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Mercredi 2 février 2011

Énergie

Audition de M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, sur la politique européenne de l'énergie
(en commun avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire)

M. Jean Bizet. - Je remercie Monsieur le ministre d'avoir accepté de nous rencontrer pour nous entretenir du Conseil européen du 4 février. Depuis 2006, un débat préalable se tient au Parlement avant toute réunion ordinaire du Conseil européen. Aujourd'hui, la situation est un peu différente puisqu'il s'agit d'un débat du Conseil européen, certes ordinaire, mais thématique et consacré à l'énergie et à l'innovation. Dans ce cas, la règle coutumière du débat en séance publique ne s'applique pas. Il était pourtant difficile d'accepter qu'il n'y ait aucune expression parlementaire préalable sur des sujets aussi importants. C'est pourquoi le président Émorine et moi-même avons souhaité cette réunion.

Un point me préoccupe : nous avons le sentiment que l'Europe reste frileuse face à l'énergie nucléaire. Pourtant, la lutte contre le réchauffement climatique et la nécessité de diversifier les sources d'approvisionnement auraient dû favoriser une évolution des esprits, ce qui d'ailleurs semblait s'esquisser il y a deux ou trois ans. Nos partenaires évoluent-ils, Monsieur le ministre ?

Cette question me conduit à évoquer la sûreté nucléaire : à l'heure actuelle, chaque pays à une législation propre avec des procédures d'autorisations particulières très lourdes, ce qui freine le développement de l'industrie nucléaire. Peut-on espérer une harmonisation européenne, voire internationale pour réduire cet obstacle ? Cette question a été au coeur des discussions que nous avons eues il y a quelques jours en Finlande, lorsque nous avons accompagné M. Laurent Wauquiez, votre collègue au Gouvernement.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Nous avons le grand plaisir de vous accueillir, Monsieur le ministre. La commission de l'économie ayant des compétences en matière d'énergie, il est très intéressant de vous entendre avant le Conseil européen consacré à ce sujet.

M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - Merci d'avoir bien voulu m'inviter à m'exprimer devant vos deux commissions réunies, à la veille du Conseil européen du 4 février consacré à l'énergie.

Les sommets des vingt-sept chefs d'État et de Gouvernement européens ne sont jamais des moments comme les autres. Mais celui-ci est encore plus particulier : il s'agit d'un véritable retour aux sources de la construction européenne. Au commencement de l'Europe, celle des solidarités concrètes, celle de Robert Schuman et de Jean Monnet, il y avait l'énergie : la communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1952, puis la communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) en 1957.

Le volontarisme énergétique de l'Europe des Six a été l'un des moteurs de la croissance industrielle des Trente Glorieuses. Quel paradoxe pourtant, de constater que l'intégration européenne a effacé la politique commune de l'énergie. On nous disait qu'il n'y avait plus de bases juridiques. On n'évoquait plus l'énergie que sous l'angle de la mise en concurrence. Au fond, il n'y avait plus de politique de l'énergie, comme il n'y avait plus de politique industrielle. L'Europe oubliait ses racines. Nous avons réduit les enjeux énergétiques à ceux du climat : je ne dis pas qu'il faille réduire l'importance de la lutte contre le changement climatique, qui est fondamentale. Mais l'énergie, c'est aussi l'avenir de nos industries, le pouvoir d'achat de nos concitoyens, la compétitivité de l'Europe et la garantie d'avoir du gaz ou de l'électricité quand il faut se chauffer en hiver. C'est tout cela que nous avons réintroduit avec le traité de Lisbonne.

La politique de l'énergie a, enfin, son chapitre institutionnel spécifique. L'Europe va pouvoir renouer avec ses racines et reprendre le train de son histoire. Il était sans doute temps, car les élargissements successifs ont ramené l'énergie au centre des préoccupations européennes. La crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine a souligné les graves déséquilibres d'approvisionnement en Europe. La nécessité de répondre à la croissance des besoins énergétiques, tout en diversifiant les sources, a montré qu'on ne pouvait pas accepter l'approche idéologique d'un mix énergétique unique à l'échelle de l'Europe. Un nombre toujours plus grand d'États européens s'interroge sur le « déni nucléaire » qui caractérise les discussions communautaires, au moment même où l'on constate la relance des programmes nucléaires civils dans nombre de pays dans le monde.

Nous devons impérativement préparer l'après-pétrole, tout en nous attaquant à la volatilité des prix, comme nous allons le faire dans le cadre du G20. Le Conseil européen du 4 février posera donc les bases d'une stratégie européenne de l'énergie pour les vingt à cinquante prochaines années.

Le premier objectif pour la France, c'est de construire une économie sans carbone. L'Europe devra réaffirmer l'objectif de 80 à 95 % d'énergie sans émission de carbone à l'horizon 2050. La Commission a, elle-même, relevé que cet objectif imposait une étape intermédiaire de deux tiers d'électricité décarbonée d'ici à 2020.

Notre deuxième objectif, c'est d'appuyer la décarbonisation de l'économie sur les quatre piliers d'une politique énergétique à la hauteur des enjeux européens. Ces quatre piliers, ce sont la compétitivité-prix de nos industries ; la protection tarifaire des consommateurs, qui ont droit à une énergie abordable ; la sécurité des approvisionnements et, bien sûr, la réduction des émissions de gaz à effet de serre conformément à nos engagements du paquet énergie-climat et du Grenelle de l'environnement.

La compétitivité-prix est un objectif majeur du mix énergétique de demain. Nous devons avoir le mix le plus compétitif pour que l'Europe demeure une terre de production industrielle. Prenons l'exemple de l'aluminium : la production mondiale a été multipliée par trois en 30 ans, alors que la production de l'Union européenne a diminué d'un tiers. Or, le principal facteur d'attraction pour l'aluminium est le prix de l'électricité. Cette situation n'est pas acceptable et nous voulons y remédier.

Troisième objectif : l'instauration d'un socle nucléaire en Europe, aux côtés des énergies dites renouvelables. C'est la condition pour atteindre la décarbonisation de l'économie, tout en garantissant la compétitivité de l'Europe et des approvisionnements sûrs et abordables. Nous l'avons vu en France avec les tarifs appliqués au photovoltaïque. L'Italie, l'Espagne, et même l'Allemagne engagent à leur tour une réflexion sur les conditions nécessaires à la compétitivité des énergies renouvelables. Nous ne devrons pas imposer un mix énergétique unique aux vingt-sept États membres. Nous relevons avec satisfaction qu'un consensus se dégage enfin sur ce point et l'Union européenne s'est engagée à promouvoir les standards de sûreté nucléaire les plus élevés. Cela faisait bien longtemps que le mot « nucléaire » n'avait pas été mentionné dans des conclusions du Conseil européen.

Prochaine étape : les scénarios de la Commission devront intégrer le nucléaire en termes d'infrastructures et de fonctionnement de marché. Il s'agit de réconcilier durablement stratégie énergétique et politique industrielle, grâce à la compétitivité-prix, mais aussi à de véritables initiatives industrielles de décarbonisation de l'économie.

L'Europe doit réussir la « révolution » du véhicule électrique. La France est pleinement engagée dans ce chantier majeur des technologies de pointe. Mais nous ne pouvons pas nous payer le luxe d'une guerre intra-européenne des normes. L'Europe a besoin de standards communs de recharge électrique pour garantir un marché européen du véhicule électrique et, au-delà, pour contribuer à l'émergence d'un marché mondial. Nous avons donc proposé que le Conseil européen accélère le calendrier, en fixant la fin du premier semestre pour l'adoption de véritables standards européens. Ces messages seront ceux de la France au Conseil européen.

Je voudrais également évoquer d'autres avancées récentes, qui devront être confortées le 4 février. Première avancée : la durabilité de la feuille de route pour les trois fois vingt, soit moins 20 % d'émissions de gaz à effet de serre, 20 % au moins d'énergie renouvelable, 20 % d'économies d'énergie. Le paquet énergie-climat trace une route ambitieuse jusqu'en 2020, comme l'a voulu le Président de la République. Ces objectifs sont cohérents par rapport à ceux du Grenelle. La France tiendra ses engagements et les dépassera même probablement pour la réduction des gaz à effet de serre.

L'efficacité énergétique joue un rôle essentiel. Il faut encore accélérer nos efforts dans le cadre de plans sectoriels. Évitons cependant de nous assigner de nouveaux objectifs chiffrés contraignants en Europe, alors même que le cadre d'ensemble figure déjà dans les trois fois vingt.

J'en viens au deuxième point, à savoir la sécurité d'approvisionnement. Des avancées importantes ont eu lieu en 2010. Elles se sont imposées d'elles-mêmes en raison de l'actualité, notamment avec la crise russo-ukrainienne du début 2009. Je pense aussi au règlement sur la sécurité d'approvisionnement en gaz et à la directive sur les stocks pétroliers, qui ont considérablement amélioré les réponses nationales et collectives en cas de crise. Là encore, les outils mis en place au niveau européen coïncident avec ceux qui existent en France.

Le troisième point concerne les infrastructures. L'importance nouvelle que leur accorde la Commission européenne est encourageante. L'Europe a besoin d'infrastructures, qu'il s'agisse de production, de stockage, de transport ou de gestion. Notre effort doit porter sur l'interconnexion des vingt-sept marchés nationaux et la recherche de routes ou de sources d'approvisionnement nouvelles. Ainsi nous parviendrons à équilibrer nos ressources et nos besoins à l'échelle européenne. Les infrastructures sont nécessaires pour la sécurité d'approvisionnement, ainsi que pour le développement des énergies renouvelables intermittentes. Nous avons obtenu au niveau européen la réalisation de plans de développement des réseaux. C'est un gage de responsabilité pour la sécurité énergétique qui permettra de mettre fin à des déséquilibres régionaux inacceptables.

Mais l'Europe doit aussi rester réaliste. D'une part, la politique énergétique ne doit pas se réduire à une géopolitique des « grands tuyaux ». Il faut maîtriser les coûts, ce qui passe par la recherche d'un équilibre entre des unités de production à forte intensité, proche des lieux de consommation, et l'acheminement souvent plus lointain des sources renouvelables. Cela passe surtout par la rentabilité des nouvelles infrastructures. A l'exception de certains équipements stratégiques, où des financements publics devraient pouvoir être trouvés, il faut tirer parti des mécanismes de régulation. La bonne régulation est celle qui définit le bon prix pour la rentabilité d'un nouvel investissement.

Quatrième point : priorité est donnée à la recherche. Le plan stratégique pour les technologies énergétiques, dit « SET-Plan », lancé en 2007, fonctionne. Il a permis d'identifier les technologies énergétiques stratégiques à moyen et long terme et de susciter les indispensables synergies pour la recherche. Six initiatives industrielles européennes ont été lancées, notamment pour l'éolien, le solaire, les bioénergies, la fission nucléaire et les réseaux intelligents. Tâchons de le faire monter en puissance avec le prochain programme cadre de recherche et développement. Plusieurs programmes phares de la France sont au centre du « SET-plan », comme la recherche sur le nucléaire de quatrième génération.

Cinquième et dernier point : la prospective. En matière énergétique, les investissements nécessitent dix à quinze ans pour entrer en service et durent pendant cinquante ou cent ans : nous devons donc voir loin. Au-delà des objectifs de 2020, nous devrons définir la feuille de route d'ici 2050.

La France, avec d'autres, contribue à faire avancer l'Europe de l'énergie. Le Conseil européen marquera une étape importante et je m'efforcerai d'en prolonger les avancées dans le cadre du prochain Conseil des ministres « énergie » du 28 février.

J'en viens à notre politique énergétique en France, qui est d'ailleurs étroitement liée à nos engagements européens.

La régulation est un maître mot dans l'énergie. La régulation en 2011, c'est d'abord la mise en oeuvre de la loi NOME. C'était une idée il y a un an et c'est désormais une loi, promulguée et qui sera entièrement applicable le 1er juillet. Nous travaillons à la fois sur les décrets opérationnels et sur le prix de l'ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Grâce à la loi NOME, la Commission européenne a reconnu que le mix énergétique français performant devait se traduire pour les ménages et les entreprises de notre pays par des prix de l'électricité compétitifs.

La régulation, c'est aussi l'obligation de capacités, dispositif ingénieux conçu notamment par M. Bruno Sido, qui permettra enfin de résoudre nos problèmes d'effacement et d'investissement. Une fois cette disposition mise en oeuvre, nous devrons en faire la promotion à l'échelle européenne.

La régulation, c'est également l'immense chantier de la précarité énergétique, avec l'amélioration des tarifs sociaux afin de les rendre plus attractifs et plus accessibles qu'aujourd'hui.

La régulation, c'est enfin la reconnaissance que les entreprises d'énergie, et particulièrement les entreprises historiques, ont une mission de service public. Le contrat de service public de GDF Suez est entré en vigueur début 2010 et j'espère signer celui d'EDF dans les mois à venir.

J'en viens au nucléaire, qui est un immense et exaltant chantier. L'ambition est claire : il s'agit pour nos opérateurs, emmenés par le plus expérimenté, d'être de vrais champions à l'export, capables de proposer différents produits et services dans une multitude de pays, avec le souci constant de l'excellence opérationnelle, de l'exigence de sûreté et de retombées industrielles dans notre pays. L'enjeu principal des prochains mois est le partenariat stratégique entre EDF et Areva, actuellement en discussion et qui m'occupe beaucoup. Les discussions sont en général sereines et de bonne tenue (Sourires). Il n'en reste pas moins que la vision peut ne pas coïncider de façon absolue sur tous les points. Dans ce cas, bien sûr, l'État jouera son rôle comme il l'a fait sur d'autres dossiers difficiles.

Si l'on parle de développement international, il faut être irréprochable en France. C'est pourquoi nous entendons fixer le plus haut niveau d'exigence pour le système français, qu'il s'agisse de gestion du parc actuel - redressement du coefficient de disponibilité, allongement de durée de vie - de réalisation des EPR de Flamanville et de Penly, de notre politique de gestion des déchets, de sûreté ou de recherche.

La politique énergétique nationale, c'est aussi le développement des énergies renouvelables. Nous y sommes tous favorables, à condition qu'elles s'inscrivent dans un véritable projet industriel. C'est d'ailleurs pourquoi le Premier ministre a décidé le moratoire sur la filière photovoltaïque et engagé une concertation. C'est aussi pourquoi nous avons voulu que le cahier des charges de l'éolien offshore ait une composante industrielle. Et c'est avec ce même état d'esprit que nous lancerons en 2011 les premiers renouvellements de concessions hydroélectriques.

La transition énergétique ne concerne pas que les énergies renouvelables, mais aussi toutes les filières industrielles qui seront touchées par l'évolution de la société. Il faudra en accompagner certaines dans leur mutation, comme celle du raffinage, et d'autres qui devront servir de relais de croissance. Je ne donnerai qu'un exemple frappant : celui des réseaux intelligents. C'est un sujet majeur, aux confins de l'énergie, de l'industrie, et de l'économie numérique, auquel je sais que la commission de l'économie est particulièrement attachée et dont nous reparlerons bientôt.

Voilà ce que je tenais à vous dire sur le cap européen et ses déclinaisons françaises en matière de politiques énergétiques, avant la réunion du Conseil de vendredi.

M. Ladislas Poniatowski, président du groupe d'étude sur l'énergie. - Ce sommet va être compliqué, car il se fait sous une présidence faible. Les États membres, notamment la France qui a des ambitions précises en matière énergétique, vont avoir du mal à faire valoir leurs vues.

Concernant l'efficacité énergétique, vous avez rappelé l'objectif des trois fois vingt, dont l'un concerne la diminution de la consommation d'énergie de 20 %. Lors d'un des derniers sommets, les objectifs étaient très précis dans le domaine du bâtiment, moins précis dans le domaine du transport et très flous pour la filière énergétique, car les États n'étaient pas d'accord entre eux. Avez-vous l'intention de proposer des avancées en ce domaine ? M. Barroso a estimé, il y a quelques semaines, que l'objectif du troisième 20 % ne serait probablement pas atteint.

Ma seconde question porte sur les infrastructures. Quand la Commission avait présenté le 17 novembre 2010 ses priorités en matière d'infrastructures énergétiques, les chiffres cités étaient assez impressionnants, puisqu'elle estimait à près de 1 000 milliards d'euros les investissements nécessaires dans notre système énergétique d'ici 2020. Mais les États membres ne sont pas d'accord entre eux. Quel sera la répartition des financements entre le privé et le public ?

Nous savons tous qu'il faut développer les lignes à haute tension pour transporter l'électricité. En France, quand on veut transporter de l'électricité de Flamanville au reste du pays, les oppositions se multiplient. Imaginez les réactions lorsqu'il s'agit de la transporter d'un pays à un autre ! En outre, ces investissements ne seraient pas financés par de l'argent public. Dans ces conditions, je crains que cet objectif ambitieux ne soit difficile à atteindre.

Allez-vous mettre les pieds dans le plat en ce qui concerne le financement privé - public des interconnexions ? Des financements publics seront indispensables. Malheureusement, l'Allemagne est très réticente sur ce point. Comment allons-nous résoudre cette équation ? Les objectifs existent, mais les désaccords portent sur le financement.

M. Roland Courteau. - La Commission européenne a présenté ses priorités pour les infrastructures énergétiques pour les vingt ans à venir. Elle a défini les couloirs prioritaires dans l'Union européenne pour l'acheminement de l'électricité, du gaz et du pétrole afin d'atteindre ses objectifs « en matière de compétitivité, de développement durable, de sécurité d'approvisionnement ». C'est sur cette base de couloirs prédéfinis que les projets d'intérêt européen seront désignés. Quelle est la position de la France par rapport au principe même de ces couloirs prioritaires ?

Les objectifs énergétiques et climatiques, les trois fois vingt, nécessiteraient d'investir 200 milliards dans le seul transport de l'énergie. Les nouveaux projets d'infrastructures seraient réalisés pour l'essentiel grâce à des financements privés, en raison des réticences des États, mais aussi du manque de fonds publics disponibles. Ne faut-il pas rappeler qu'une part de financement public sera nécessaire dans certains cas afin de garantir la réalisation d'objectifs d'intérêt général ?

M. Bruno Sido. - Il est question de diminuer de 20 % la consommation d'énergie. Le 14 décembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution qui invite l'Union européenne à donner un caractère contraignant à cet objectif. Quelle est la position de la France sur cette question ?

M. Daniel Raoul. - Nous n'allons pas reprendre le débat sur la loi NOME, que nous n'avons d'ailleurs pas votée. L'énergie est un élément essentiel de la qualité de vie des Européens, mais c'est aussi un enjeu essentiel pour la survie de notre industrie, et je pense en particulier à l'aluminium.

Le rôle géopolitique de l'énergie va lui conférer une place particulière dans le débat public, notamment dans les relations entre l'Union européenne et la Russie. C'est parfois douloureusement ressenti par les pays européens, surtout en Ukraine.

La Commission propose trois axes pour la politique énergétique européenne : la compétitivité, la sécurité des approvisionnements et la protection de l'environnement, les fameux trois fois vingt. Ces orientations sont globalement acceptables. En revanche, nous sommes perplexes sur la façon d'y parvenir.

L'approvisionnement en matières premières pose problème, et il en sera de même pour l'énergie fossile, tant pour le pétrole que pour le gaz. Comment assurer notre indépendance ou, du moins, notre sécurité d'approvisionnement ?

La Commission conçoit la concurrence entre opérateurs comme étant l'alpha et l'oméga de la compétitivité. J'ai l'impression que la Commission est affectée d'un TOC, le trouble obsessionnel de la concurrence ! Or, concurrence et planification sont antinomiques. L'Europe a besoin d'une véritable planification énergétique pour atteindre les trois fois vingt, en dépit de ses différences de développement : nucléaire en France, centrales à charbon en Allemagne et en Pologne...

Notre premier défi concerne la dépendance des économies européennes à l'égard du pétrole. Nous devons préparer dès maintenant l'après-pétrole. Le débat sur les gaz de schiste que nous avons eu hier avec Mme Kosciusko-Morizet concernant les explorations dans le centre de la France soulève un certain nombre de questions.

La politique européenne de l'électricité est fondée sur l'idée d'un marché théorique parfait. Imposer la concurrence dans un secteur comme l'électricité qui n'est pas un produit stockable peut se révéler très dangereux. Le respect et la protection du consommateur supposent une vision à long terme afin de mettre en place un parc capable de s'adapter à la consommation. Nous ne pouvons envisager de développement sans augmentation de production d'énergie, même si les nanotechnologies réduisent les consommations. Une régulation européenne, et non pas une autorité indépendante - vous savez ce que j'en pense - doit donc être mise en place pour imposer une planification du parc énergétique européen, pour optimiser les besoins et les ressources et pour atteindre les objectifs du trois fois vingt. La concurrence conduit de façon certaine au sous-investissement dans les capacités de production et de transport, surtout si elle permet aux concurrents de bénéficier de tarifs préférentiels. Vous voyez à quelle loi je fais référence...

M. Gérard Le Cam. - Je m'occupe plus d'agriculture que d'énergie, mais le parallèle peut aisément être fait entre ces deux secteurs. En agriculture, les pays européens sont beaucoup plus concurrents que coopérateurs. Malheureusement, c'est la même chose dans le domaine de l'énergie, où la coopération ne fait pas bon ménage avec la concurrence voulue par le traité de Lisbonne. Il faudrait une Europe de la coopération énergétique, afin qu'elle soit compétitive au niveau mondial. Or, la concurrence morcelle, divise, oppose les entreprises. On va revenir avec la directive transport à la situation d'avant 1945, où chacun gérait sa petite boutique : c'est consternant.

Nous sommes prêts à soutenir tout ce qui peut être mis en commun : vous avez évoqué le socle nucléaire au côté des énergies renouvelables. Nous sommes favorables au socle nucléaire, car on ne peut faire autrement compte tenu des connaissances actuelles. Nous approuvons aussi les trois fois vingt et tout ce qui concerne les interconnexions.

Nous n'avons pas voté la loi NOME, car on ne peut prétendre encourager le nucléaire tout en obligeant ceux qui en produisent à vendre à perte leur production à des concurrents.

M. Michel Bécot. - La France est un des premiers pays à avoir mis en place un socle nucléaire. Or, aujourd'hui, les médias nous disent que nous sommes en rupture et que nous devons aller sur les marchés espagnols ou allemands. Que faut-il en déduire ? Devrons-nous construire d'autres centrales ? L'éolien et le photovoltaïque apporteront-ils une énergie d'appoint suffisante ?

Comment voyez-vous en France et en Europe le développement du véhicule électrique ? Il existe des entreprises comme Heuliez, dans mon département, qui ont des compétences, mais aujourd'hui, tous les grands groupes s'intéressent aux véhicules électriques. Que vont devenir les petits poucets ? L'Europe va-t-elle coordonner, réguler ce secteur ?

M. Jean-Pierre Vial. - Merci pour votre présentation très claire et merci surtout d'avoir insisté sur le volet industriel. Nous entendons peu de discours sur la filière industrielle française et nous aimerions que la détermination politique soit plus affirmée en ce domaine.

Hier, nous avons eu un échange avec Mme Kosciusko-Morizet sur le rapport Charpin dont une partie relève de vos compétences. On a reproché à ce rapport de ne pas avoir de vision industrielle. Or, nous avons dans notre pays un vrai tissu de PMI - PME qui ne demande qu'à se développer. La filière photovoltaïque représente en France un dixième de ce qu'elle est en Allemagne, tant au niveau de la production que du parc. On ne vous reprocherait pas d'avoir un peu plus d'ambition dans ce domaine. Pour maintenir la filière solaire, il faudrait une capacité minimum, de 700 à 800 mégawatts installés chaque année d'après les professionnels. De plus, il ne s'agit pas seulement de volume, mais aussi de tarification. Si nous voulons que la filière française puisse s'imposer, il faut qu'il y ait, comme pour les éoliennes, une traçabilité et une certification, afin que les produits français aient une place concurrentielle sur notre marché.

Je tiens à vous féliciter car vous parvenez à mettre en oeuvre la loi NOME. Grâce à vos services, cette loi va entrer prochainement en application. Elle a, notamment, prévu que le prolongement de vie des centrales nucléaires pourrait profiter aux industriels par le biais de participations. Ce dispositif n'enchante pas EDF. Pouvez-vous nous dire où en est le dossier ?

Vous avez évoqué le renouvellement prochain des concessions hydrauliques. Or, l'hydraulique au fil de l'eau est un outil d'accompagnement et d'adossement pour les industries très consommatrices. De nombreux pays ont su trouver des modèles viables. Il serait regrettable qu'à l'occasion de ces renouvellements, des concurrents étrangers prennent des parts de marché et que ces barrages, qui ont été financés par des capitaux français, ne puissent bénéficier à l'industrie française.

Il y a peu de temps, un Land allemand a fait savoir à EDF qu'il entendait reprendre 100 % du contrôle d'une société dans laquelle EDF avait des participations. Si cette région veut récupérer la pleine puissance de son outil énergétique, c'est sans doute pour favoriser son industrie. Nous devrions en faire de même.

M. Charles Revet. - Le nucléaire répond aux quatre critères que vous avez évoqués et auxquels j'en ajouterais un cinquième : le coût, nettement moins élevé en France, ce qui est essentiel pour nos entreprises.

Y a-t-il un risque que l'Europe nous impose des productions obligatoires ? Pourquoi ne pas prendre en compte le nucléaire dans les 20 % d'énergies renouvelables ?

La France utilise beaucoup de gaz. Il y a eu de grands projets d'implantation de terminaux méthaniers dans différents ports. Où en est-on ?

M. Michel Teston. - Notre commission a reçu successivement la présidente d'Areva et le président d'EDF et nous avons pu constater qu'il existait deux visions différentes de la filière nucléaire. Le Gouvernement entend-il imposer une seule vision stratégique pour la filière nucléaire française ?

M. Martial Bourquin. - Vous estimez à juste titre que la politique énergétique est au coeur de la politique industrielle. La question du prix de l'énergie est tout aussi essentielle. Un grand débat est engagé à l'heure actuelle sur les avantages et les désavantages de notre économie par rapport à celle de l'Allemagne. Quand nous sommes allés dans ce pays, on nous a dit que notre prix de l'énergie était un avantage évident pour nos entreprises. Nous devons garder cet avantage compétitif, d'autant que, lorsque nous avons été à Sophia Antipolis pour rencontrer les districts italiens, ils ne nous ont pas dit autre chose.

Quand nous nous sommes déplacés en Maurienne et que nous avons abordé la question de Rio Tinto et des électro-intensifs, nos interlocuteurs ont montré leur grande inquiétude face à la loi NOME : l'État français sera-t-il capable de maintenir le prix de l'électricité à un niveau abordable ? Si tel n'est pas le cas, la délocalisation aura lieu, au mieux, au Canada, là où l'hydroélectrique ne produit pas de CO2, au pire, en Chine où la production d'aluminium est 22 fois plus polluante qu'en France. Qu'entendez-vous faire pour conserver l'industrie de l'aluminium dans notre pays ?

J'en viens à la filière photovoltaïque : la suspension des aides a mis un coup d'arrêt au développement d'une filière très intéressante : dans la Tribune d'hier, Bertrand Piccard disait que d'importants investissements dans la filière photovoltaïque étaient compromis. Le niveau des tarifs de rachat est une question fondamentale. Mais la prise en compte de l'empreinte carbone des panneaux solaires permettrait sans doute de favoriser la construction de capteurs photovoltaïques français de deuxième, troisième ou quatrième génération.

J'en viens au véhicule décarboné : faisons en sorte qu'il n'y ait pas de vision univoque. Le tout-électrique après le tout-pétrole serait une erreur. Autant nous devons travailler sur le véhicule électrique, comme le font nos deux constructeurs nationaux, autant les véhicules hybrides, les futures carburations, les nouveaux moteurs sont des pistes intéressantes qu'il serait dommage de négliger.

Mme Jacqueline Panis. - Monsieur le ministre, l'incertitude sur les tarifs de rachat de l'énergie issue de la méthanisation freine des projets pourtant bien avancés : avez-vous des informations sur ces tarifs ?

M. Gérard Bailly. - On présente souvent les atouts de notre pays, en particulier son agriculture, pour développer la biomasse : qu'en pensez-vous ? Sur le photovoltaïque, ensuite, ne considérez-vous pas que les dossiers déjà bien engagés doivent aboutir, en particulier dans le monde rural ? Enfin, je voudrais connaître votre opinion sur l'hydraulique de rivière, où des projets sont trop souvent freinés par des inquiétudes écologiques, au risque d'erreurs économiques.

M. Éric Besson. - La France promeut, à l'échelon européen, les standards les plus élevés en matière de sûreté nucléaire. Cependant, les décisions et les certifications relèvent des États membres, ce qui ne nous interdit nullement de participer à des instances communautaires et internationales de concertation.

La question industrielle est au menu du prochain Conseil européen, c'est une bonne nouvelle. Nous assistons à une prise de conscience de ce que le continent européen doit conserver sur son sol un certain niveau de productions industrielles : le débat sur le brevet européen en est un signe, tout comme celui sur l'indépendance énergétique. L'industrie, du reste, dispose de soutiens précieux parmi les commissaires, qui ne sont pas tous acquis à l'idée que l'Europe devrait être un espace de consommation où l'on ne produirait plus rien.

Deuxième bonne nouvelle, la place du nucléaire s'est réappréciée avec l'impératif de « décarboniser » l'énergie, au point que plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Italie, la Hongrie et la Tchéquie, entendent relancer leur production nucléaire. En fait, deux exceptions se distinguent par leur volonté de se retirer du nucléaire : l'Allemagne et l'Autriche.

La deuxième étape consistera donc à intégrer l'énergie nucléaire dans la planification énergétique européenne. Il ne s'agit nullement d'imposer le nucléaire : chaque pays restera libre, aucun mix énergétique ne sera imposé. Ce que nous craignions, c'était que le nucléaire soit montré du doigt, que l'Europe s'en désengage ; l'inverse se produit, le nucléaire a démontré ses avantages de compétitivité et de prix, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Sur l'interconnexion, des difficultés sont effectivement apparues : nous nous efforçons de l'améliorer, avec nos partenaires.

Sur le financement, nous n'adhérons pas au projet pharaonique des Allemands, qui évoquent la mobilisation de mille milliards d'euros. Tout comme pour les réseaux numériques, nous faisons confiance à la régulation et au partenariat public-privé, avec une intervention publique circonscrite aux besoins non couverts par le marché régulé, en particulier dans les zones géographiques non rentables.

Sur la notion d'efficacité énergétique, la France propose de s'inspirer des bonnes pratiques, plutôt que d'imposer des normes contraignantes. Nous avons pris nos responsabilités, avec l'objectif ambitieux du plan bâtiment, par exemple, de réduire les consommations d'énergie du parc des bâtiments existants d'au moins 38 % d'ici à 2020. Certains de nos partenaires européens seront peut-être moins ambitieux, mais l'essentiel en la matière est que l'effort soit général.

Nous restons dépendants du pétrole, c'est une réalité. Nous le sommes cependant moins que d'autres, grâce au nucléaire, et nous préparons l'avenir, en améliorant notre efficacité énergétique et en investissant, par exemple, pour le véhicule électrique. L'après-pétrole passe par l'innovation technologique. J'ai récemment visité en Israël l'entreprise Better Place, qui prévoit de commercialiser dès septembre un véhicule électrique standard, qui bénéficiera d'un réseau d'échange de batteries sur tout le territoire israélien, les acheteurs potentiels de Renault s'y bousculent et repartent en signant les commandes : le véhicule de demain devient une réalité. Nous avons des atouts à faire valoir : notre production électronucléaire, l'avance qu'a prise Renault dans la construction de son modèle électrique, les investissements que l'Etat est disposé à mettre sur ce dossier. Nous essayons également de parvenir à une harmonisation des règles européennes, qui jouera en faveur de notre industrie puisque nous sommes en pointe. Le véhicule électrique est un sujet à part entière, sur lequel je vous propose que nous nous revoyons prochainement.

Le lien entre l'agriculture et la filière énergétique est fondé. C'est l'une des raisons qui ont conduit la présidence française du G20 à mettre l'accent sur la réduction de la volatilité des prix des matières premières agricoles et énergétiques.

En matière de concurrence, la France s'est opposée, avec succès, au démantèlement des groupes intégrés. Le Sénat a pris sa part, je vous remercie pour la bonne coopération qui a prévalu sur les ordonnances concernant le marché intérieur électricité-gaz.

S'agissant de la sécurité d'approvisionnement, je rappelle que si la France importe de l'énergie, c'est uniquement pendant les périodes de pointe et cette importation est liée aux spécificités mêmes de notre appareil de production. Nous avons parfaitement tenu le choc des pics records de décembre.

Sur le photovoltaïque, l'important était de faire cesser les spéculations et de mettre notre pays en état de profiter de cette filière qui doit être industrielle. Je rappelle que la contribution au service public de l'électricité est de 30 euros par mégawattheure en Allemagne, contre 7,5 en France, et le prix de l'électricité est beaucoup plus élevé là-bas. La concertation s'achèvera bientôt, je suis sûr que le compromis mettra fin à la bulle spéculative sans nuire à une filière prometteuse.

Sur la compétitivité industrielle et l'énergie, nous voulons un allongement de la durée de vie des centrales nucléaires en partenariat avec les industriels ; une instruction a été prise sur la sécurité.

Si l'énergie doit être décarbonée, chacun doit faire ses choix ; le nôtre consiste à faire du nucléaire la clé de voûte, tout en développant les énergies renouvelables. Sur le nucléaire, je m'exprimerai sous toutes réserves, puisque le Président de la République va réunir prochainement un Conseil de politique nucléaire. Des options stratégiques s'opposent, même si la presse ne retient que les différends de personnes. Parmi les questions stratégiques, celle du rôle que la France, spécialiste des réacteurs de troisième génération avec l'EPR et l'Atmea d'Areva, entend mener sur le marché des réacteurs de deuxième génération, qui intéressent par exemple des pays comme le Maroc ou la Jordanie et qui représentent un enjeu non négligeable. Idem pour la question des réacteurs de moyenne puissance : notre gamme n'en comporte pas, alors qu'il y a un marché. Des options stratégiques se distinguent aussi pour l'organisation de la filière : les relations se passent-elles entre États seulement, ou laisse-t-on des entreprises organiser une partie de la filière, avec EDF en chef de file ? Quelle place pour Alstom ? Quel rôle entend-t-on voir jouer à GDF-Suez, sur le moyen terme ? C'est à toutes ces questions, parmi d'autres, que le prochain conseil de politique nucléaire devrait répondre, pour redéfinir la doctrine française en la matière.

La loi NOME protège les consommateurs qui avaient craint un alignement des prix français sur les prix mondiaux. Quant aux électro-intensifs, nous accompagnons le dossier Excelsium. L'industrie de l'aluminium a été historiquement liée à l'énergie électrique, il faut pouvoir continuer.

S'agissant du tarif de rachat de l'énergie produite par méthanisation, le dossier est à l'instruction : nous agirons dans le sens de l'intérêt général. Enfin, sur la biomasse, je vous renvoie à l'arrêté que j'ai pris, qui vaut pour les scieries.

La France a de nombreux atouts, nous devons nous attacher à les conserver. L'exception énergétique française a longtemps été critiquée, mais tous les prospectivistes conviennent aujourd'hui que le choix d'un socle nucléaire civil a été un bon choix. Nous devons désormais nous attacher à l'harmonisation des règles sur le continent européen, dans le plein respect des souverainetés nationales, mais nous devons aussi développer notre filière nucléaire, ce qui suppose d'avancer sur l'aval, c'est-à-dire sur le traitement des déchets, et sur les réacteurs de quatrième génération. L'investissement dans les énergies renouvelables résulte d'un choix politique, la poursuite dans cette voie exige que ces énergies permettent la constitution d'une filière industrielle pourvoyeuse d'emplois, qui seront un retour sur investissement pour nos compatriotes, lesquels acceptent aujourd'hui de payer plus cher l'électricité produite par ces énergies renouvelables. Les décisions sur le photovoltaïque et sur l'éolien sont dictées par cette préoccupation.

M. Jean-Paul Emorine. - Monsieur le Ministre, merci pour ces précisions. Nous sommes sensibles au temps que vous nous avez consacré, dans un agenda que je sais très contraint.

Économie, finances et fiscalité

Audition de M. Dick Roche,
ministre irlandais des affaires européennes

M. Jean Bizet. - Monsieur le Ministre, c'est avec beaucoup de plaisir que nous vous accueillons aujourd'hui. Votre pays s'est trouvé bien malgré lui au centre de l'actualité européenne, il y a quelques mois. Nous avons souhaité juger par nous-mêmes de la situation, et c'est pourquoi Jean-François Humbert s'est rendu dans votre pays. Sa conclusion était que tout dépendait de la capacité de votre pays à renouer avec la croissance tout en menant une politique de rigueur budgétaire très sévère.

Nous avons maintenant un peu plus de recul. Monsieur le Ministre, comment analysez-vous aujourd'hui les perspectives économiques de l'Irlande ? Est-ce que le pari d'un retour rapide à la croissance vous paraît gagnable ?

Ensuite, j'observe que le fonds européen de stabilisation financière fait l'objet de certaines critiques dans votre pays. Certains estiment que les taux d'intérêt sont trop élevés, que l'aide est finalement moins efficace que prévu. Quel est votre jugement sur ce point ?

Enfin, la situation politique intérieure de l'Irlande est parfois difficile à comprendre pour des continentaux. Pourriez-vous nous préciser quels sont les scénarios possibles et quelles seraient les conséquences pour l'Europe ?

M. Dick Roche. - Je suis heureux d'être parmi vous cet après-midi dans ce lieu chargé d'Histoire. Permettez-moi de vous remercier pour votre accueil chaleureux. J'apprécie beaucoup cette invitation à venir échanger avec vous.

Je voudrais commencer par remercier le sénateur Jean-François Humbert de sa visite en Irlande, en décembre dernier. L'intérêt que porte votre collègue à l'amitié franco-irlandaise est de longue date, et sachez que les Irlandais y sont très sensibles.

La rédaction, au nom de votre commission, d'un rapport sur les récents rebondissements économiques et financiers en Irlande est une très bonne initiative. Beaucoup d'éléments et de commentaires sont diffusés par les médias à ce sujet, mais il est essentiel que les gouvernements et les parlements obtiennent la meilleure information disponible, et en direct.

J'ai étudié le rapport du Sénateur Humbert et bien que je ne sois pas tout à fait d'accord avec toutes les nuances de son analyse et de ses conclusions, je pense qu'il a fait montre d'une excellente compréhension de la situation en Irlande. Vous rappelez les erreurs que nous, les Irlandais, avons commises dans le passé, tout en décrivant dans le même temps l'étendue du défi auquel nous sommes confrontés. Vous détaillez également la réponse réaliste et déterminée du gouvernement et des Irlandais.

Vous faites apparaître la solidarité et le soutien que nous avons reçu, en Irlande, de nos partenaires et de nos amis en Europe et au-delà, car nous avons été ensemble confrontés à une crise, dont la responsabilité est largement partagée et dont les effets n'ont épargné aucun d'entre nous.

Vous montrez bien qu'une grande part de la force économique de notre pays est toujours présente malgré la crise et constitue une base solide sur laquelle nous allons reconstruire la croissance, l'emploi et la prospérité dans l'avenir.

Vous notez aussi à juste titre que l'Irlande « ne souffre pas d'un déficit de compétitivité » et vous louez la productivité et la flexibilité des Irlandais. Ce sont ces caractéristiques qui nous aident, par-dessus tout, en vue de consolider notre reprise économique, celle-ci étant fondée sur les exportations.

Comme vous le savez, nous continuons à bâtir une économie du futur, verte et intelligente, en mettant l'accent plus particulièrement sur l'investissement à haute valeur ajoutée dans la Recherche, le Développement et l'Innovation (RDI).

Monsieur le Président, quoique je sois enchanté de discuter les points que vous souhaiteriez soulever, je souhaitais néanmoins vous donner, au préalable, mon point de vue sur la situation économique en Irlande depuis l'adhésion à l'Union européenne et à la zone euro.

Il est de notoriété publique que l'adhésion de l'Irlande à l'Union européenne a eu des effets très positifs pour notre pays. Elle a changé notre pays - jusque là l'Irlande était « une île derrière une île » -, selon le mot de votre éminent historien, Jules Michelet. Elle a élargi nos horizons politiquement et psychologiquement, contribuant, notamment, à ouvrir la voie au processus de paix en Irlande du Nord.

Les réalisations économiques de l'Irlande, depuis qu'elle a rejoint le projet européen, parlent d'elles-mêmes. En 1973, le PIB irlandais par habitant était seulement à 58 % de la moyenne européenne. Depuis cette date, le PIB a enregistré une augmentation moyenne de 4,5 % par an, permettant ainsi à notre économie et à notre niveau de vie de converger avec le reste de l'Union européenne. Les importants défis économiques et financiers actuels doivent être évalués dans ce contexte. Nous avons parcouru un long chemin et notre position de force est toute relative face à ces défis.

Notre économie est de petite taille, mais ouverte. Par conséquent, nous sommes, par nécessité, un peuple de commerçants, exportant 80 % de tous les biens et services produits. En effet, Ernst and Young estime ainsi que l'Irlande est la deuxième économie la plus globalisée au monde. Participer au marché unique européen a été très bénéfique pour l'Irlande. Au cours des trente-cinq dernières années, nous avons réussi à diversifier largement nos marchés d'exportation en réduisant considérablement notre dépendance au marché britannique. Les exportations à destination du marché britannique ne représentent plus que 18 % des exportations totales contre 55 % en 1973. Sur la même période, nous avons augmenté nos exportations vers le reste de l'Europe de 21 % à environ 45 %.

Notre adhésion à l'Union européenne a été l'un des facteurs clés pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) en Irlande : l'accès au vaste marché unique de 500 millions de personnes a été essentiel. Près de 1 000 entreprises étrangères se sont installées en Irlande, et cet investissement a permis de créer un nombre considérable d'emplois.

Nous n'avons naturellement pas eu autant de succès que la France pour attirer les IDE. Votre Histoire, l'ampleur de votre marché domestique, votre situation géographique centrale et les aides nombreuses octroyées par votre gouvernement ont conféré, à cet égard, un certain nombre d'avantages à la France dans ce domaine. Il n'est ainsi pas surprenant que votre pays soit toujours classé parmi les trois premiers au monde pour attirer les investissements étrangers.

Mais eu égard à notre taille, nous avons bien réussi en Irlande.

Bien sûr, nous avons également perdu des investissements au cours des années, parfois au profit de concurrents à faibles coûts. Cela souligne l'importance de la montée en gamme et de l'innovation en général, un thème que nos chefs d'États aborderont au Conseil européen du 4 février.

Pendant de nombreuses années, nos taux d'imposition sur les entreprises ont eu un rôle à jouer pour attirer cet investissement. Mais bien d'autres facteurs ont entrainé notre essor économique et contribué à attirer les investisseurs. Nous avons ainsi une très forte culture entrepreneuriale. Il existe un large consensus politique et social, fortement soutenu par l'État pour l'entreprise et plus particulièrement en faveur de l'innovation. Il existe, par ailleurs, un consensus général à travers le pays sur l'amélioration constante de compétitivité, indispensable pour continuer à prospérer. « Compétitivité » n'est nulle part en Irlande un gros mot. Notre main-d'oeuvre est jeune, instruite, hautement qualifiée, dynamique et flexible. Elle parle anglais et maîtrise relativement bien d'autres langues. Ces dernières années, nous avons développé de meilleures infrastructures et amélioré les conditions d'exercice de leurs activités pour les entreprises. Tous ces facteurs s'ajoutent aux énormes avantages liés à notre adhésion à l'Union européenne.

Sans ces facteurs qui viennent d'être cités, il n'aurait pas été possible d'attirer les investisseurs étrangers ou de développer l'investissement au niveau national, quand bien même un taux nul d'imposition sur les sociétés aurait été en vigueur.

En ma qualité de ministre délégué des Affaires européennes, j'ai bien conscience que l'Irlande a beaucoup gagné d'appartenir à l'Europe. Aussi avons-nous toujours voulu insister sur notre implication et notre engagement envers l'Union européenne. Les gouvernements irlandais - et les fonctionnaires à titre individuel - ont été parmi les Européens les plus convaincus et les plus actifs, notamment au sein des institutions communautaires. Beaucoup d'entre vous connaissent ainsi Pat Cox qui a fait une belle carrière au Parlement européen, y compris comme Président. Les présidences irlandaises du Conseil ont été unanimement appréciées, car nous nous sommes efforcés de faire passer l'intérêt communautaire avant l'intérêt national. Ainsi, en 2004, et contre toute attente, la Présidence irlandaise a facilité un accord de consensus entre les 27 États membres - dont dix avaient adhéré à l'Union européenne six semaines plus tôt - sur le texte du projet de traité constitutionnel.

Nous avons, par ailleurs, joué un rôle actif dans de nombreux domaines, du commerce à l'aide au développement, en passant par l'agriculture, la sécurité et la défense, en accord le plus souvent avec la France. En 2010, plus de 400 soldats irlandais étaient ainsi aux côtés des troupes françaises engagées dans la mission de l'Union européenne au Tchad, et un général irlandais commandait cette opération depuis le quartier général situé au Mont Valérien.

L'Irlande et la France ont ensemble une longue histoire. En effet, Saint Patrick a étudié ici, et le drapeau irlandais est, bien sûr, inspiré de votre drapeau tricolore. Mais nos liens sont encore d'actualité et vont croissant.

A quelques centaines de mètres d'ici, derrière le Panthéon, rue des Irlandais, se trouve le plus important centre culturel irlandais dans le monde. Vous ne serez donc pas surpris que l'Alliance française de Dublin soit parmi les trois plus actives d'Europe.

L'Irlande se prépare également - dans un esprit fair-play - à accueillir à Dublin, le 13 février, l'équipe de France de rugby, vainqueur en titre du Tournoi des Six-Nations après un brillant Grand Chelem. Ce match sera une nouvelle fois l'occasion pour les deux équipes et leurs supporters de témoigner du respect et de l'affection que ces deux nations partagent l'une pour l'autre. La France a remporté le Grand Chelem en 2010 après que l'Irlande l'a remporté en 2009 ; c'est le genre « d'alternance » que nous aimerions voir se poursuivre indéfiniment !

L'Irlande et la France ont toujours travaillé en étroite collaboration pour faire progresser la cause d'une politique agricole durable, compétitive et sûre. Elle devrait répondre, dans un contexte marqué par la croissance de la population mondiale, aux défis liés à la sécurité alimentaire et au changement climatique.

Nous avons à peu près 8 milliards d'euros d'échanges commerciaux entre nos deux pays, et l'Irlande fait partie des dix premières destinations touristiques préférées des Français. Il y a aujourd'hui environ 9 000 ressortissants français vivant et travaillant en Irlande. Malgré notre petite taille, l'investissement irlandais en France est impressionnant et vise de nombreux domaines : la climatisation, l'industrie alimentaire, la fabrication du verre, les produits de ciment vert, l'ingénierie de l'agriculture et les services. Les entreprises irlandaises dans votre pays emploient environ 10 000 personnes.

Les sociétés françaises sont également très présentes en Irlande dans différents secteurs, qu'il s'agisse notamment des services environnementaux, de l'assurance, des équipements de transport, de l'énergie, des produits pharmaceutiques, de l'alimentation et de la mode. Leur expansion est due à l'intensité de leur activité en Irlande et à leur partenariat avec les sociétés irlandaises. Il y a quelques années, notre ambassade à Paris a réalisé une étude sur l'étendue de la coopération entre la France et l'Irlande dans le secteur de la recherche, et a relevé des centaines de partenariats académiques et commerciaux.

La France demeure notre quatrième partenaire commercial. La balance commerciale a tendance à être en notre faveur. Au cours des dix premiers mois de 2010, le montant des exportations de produits français vers l'Irlande est estimé à 1,5 milliard d'euros, contre 1,8 milliards d'euros pour la même période en 2009. De fait, une économie prospère et croissante en Irlande profite non seulement aux Irlandais, mais également aux Français.

L'Irlande est souvent caricaturée comme un aimant pour les investissements étrangers. Pourtant, un certain nombre d'entreprises françaises ont des intérêts en Irlande. Veolia a réalisé les lignes de tramway de Dublin et les tramways ont été construits par Alstom. La participation française peut également se faire par le biais d'acquisitions. Ainsi, Pernod Ricard a acquis Irish Distillers et BSN possède une participation importante au sein d'Irish Biscuits.

Cette relation incarne les principes de libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Elle vient parallèlement souligner tout ce que l'Union européenne et le marché unique ont pu apporter à l'Irlande.

Concernant les mesures que l'Irlande adopte pour répondre à la crise économique et financière, elles sont parfois difficiles à faire accepter même si nous bénéficions du soutien de l'Union européenne et de la communauté internationale. Nous comptons sur une croissance tirée par les exportations pour nous aider à juguler cette crise ; les premiers signaux sont, à cet égard, encourageants. Les investissements directs étrangers nous aideront à atteindre nos objectifs en matière de croissance et d'emploi, objectifs auxquels nous souscrivons tous au sein de l'Union européenne.

L'économie irlandaise s'est stabilisée. La plupart des analystes s'attendent à une reprise de croissance cette année, et au-delà, liée, notamment, à l'amélioration de la compétitivité et à l'augmentation concomitante des exportations. La croissance de celles-ci s'avère être l'une des plus fortes de l'Union européenne. Le marché du travail a également été réformé. Les recettes fiscales dépassent les prévisions, les dépenses publiques ont été diminuées et le déficit est en passe d'être réduit.

Il existe à ce sujet, en Irlande, un consensus réunissant les principaux partis politiques sur l'objectif de réduire notre déficit à 3 % du PIB d'ici 2014 ou 2015 si nécessaire. Le plan national de relance couplé à l'aide de l'Union européenne et du Fonds monétaire international devraient permettre à l'Irlande de dépasser ses difficultés.

Bien sûr, il est indispensable, pour permettre à l'Irlande de renouer avec la croissance, ainsi que pour la stabilité et la prospérité de l'Union européenne dans son ensemble, que rien ne vienne faire obstacle à nos efforts pour stimuler la reprise via les exportations. A ce titre, prendre des mesures comme l'augmentation de l'impôt sur les sociétés pénaliserait nos perspectives de croissance fragiliserait in fine l'Europe dans son ensemble. Le sénateur Humbert a d'ailleurs abordé cette question avec grand sérieux dans son rapport.

Notre plan national de relance prévoit des mesures de nature à renforcer notre compétitivité, remettre de l'ordre dans les finances publiques et, surtout, éliminer les obstacles à la croissance.

La croissance, comme je l'ai expliqué, est au coeur de la stratégie de relance. Les économistes peuvent diverger sur le détail des projections, mais tous prévoient une croissance de l'économie irlandaise cette année et l'an prochain.

Des études récentes de l'OCDE ont montré l'impact positif d'un faible taux d'imposition sur les sociétés pour favoriser la croissance. En classant les impôts en fonction de leur impact sur la croissance économique, l'impôt sur les sociétés a été considéré comme le plus nocif. Les gouvernements qui cherchent des recettes fiscales supplémentaires sont invités à augmenter tous les autres types d'impôts avant de majorer l'impôt sur les sociétés !

La loi de finances adoptée la semaine dernière par le Parlement irlandais prévoit de nombreuses hausses d'impôts. Peu d'Irlandais, regardant leurs fiches de paie aujourd'hui, admettraient qu'on leur dise que l'Irlande est une économie à faible imposition ! Les Irlandais sont tous d'accord pour dire que la décision de fixer le taux d'imposition sur les sociétés doit être prise au niveau national. Il existe à ce titre un consensus sur l'échiquier politique pour conserver notre taux à 12,5 %. Comme vous le savez bien, l'Union européenne repose sur un équilibre délicat entre compétences communautaires et nationales. 1,2 million d'Irlandais ont souscrit à cette approche le 2 octobre 2009, en votant en faveur du traité de Lisbonne avec une majorité écrasante de 67 %.

L'Irlande a utilisé la stratégie de l'impôt sur les sociétés depuis les années cinquante pour stimuler la croissance, et pas seulement pour attirer les investissements directs étrangers, mais également pour encourager les PME et l'innovation dans les différents secteurs de l'économie.

Monsieur le Président, je sais que les défis économiques auxquels l'Europe est confrontée sont une priorité pour la France, et que collectivement, nous ne devons pas manquer l'opportunité qu'offre 2011 pour apporter les changements nécessaires pour renforcer notre monnaie et nos économies.

Nos chefs d'État et de gouvernement ont travaillé sur cette question, l'amélioration de la gouvernance économique de l'Union européenne est déjà une réalité. Le semestre européen a commencé et des travaux sont également en cours concernant six textes législatifs européens visant à assurer une coordination plus étroite des politiques budgétaires et macro-économiques au sein de l'Union européenne. Des discussions et de nouvelles idées pour défendre nos économies se poursuivront, de façon informelle, lors du Conseil du 4 février et surtout lors du Conseil européen des 24 et 25 mars. La France a toujours joué un rôle de leader dans cette discussion que je tiens à saluer. Si nous divergeons sur certains détails et sur certaines approches, nous partageons à ce sujet le même objectif.

Nous devons chercher des idées nouvelles pour résoudre cette crise économique. Nous devons avoir, à ce titre, un débat ouvert. En ma qualité de ministre des affaires européennes, je suis bien placé pour reconnaître l'importance de l'Union européenne dans le développement de mon pays. L'Union a été le moteur de notre essor économique. De fait, face à cette crise, nous ne devons pas refuser les modalités et les processus qui nous ont jusqu'ici bien servis. Nous devons travailler ensemble au travers du cadre institutionnel de l'Union européenne afin de résoudre, dans la mesure du possible, nos difficultés. Nous devons, à cet égard, privilégier une approche fondée sur des règles, qui garantissent tout à la fois stabilité et équité.

Je tenais enfin à rendre hommage au sénateur Jean-François Humbert pour son intérêt de longue date pour l'Irlande et à la sénatrice Jacqueline Gourault, présidente du groupe d'amitié France-Irlande, ainsi que ses membres. Je suis partisan de la coopération entre nos parlements, en vue de davantage développer nos relations bilatérales et renforcer la compréhension mutuelle. J'espère que mon exposé a contribué à cet objectif.

Monsieur le Président, je serais heureux de poursuivre cette discussion, d'entendre vos points de vue et de répondre à toutes vos questions.

M. Jacques Blanc. - Avant de vous interroger sur la situation politique dans votre pays, je tiens à rappeler, Monsieur le Ministre, l'importance du partenariat entre nos deux pays pour défendre la politique agricole commune. J'ai pu mesurer la force de celui-ci lorsque j'exerçais les fonctions de secrétaire d'État à l'agriculture : Dublin nous avait particulièrement aidés en ce qui concerne la question délicate des ovins. De fait, nous pouvons compter sur l'Irlande pour préparer l'avenir de la PAC.

Le rapport de notre collègue Jean-François Humbert nous a convaincu de l'importance pour l'Irlande de conserver un taux bas pour l'impôt sur les sociétés en Irlande, même si nous avons en France de mauvais souvenirs liés aux délocalisations d'entreprises vers votre territoire, à l'instar du départ d'IBM de Montpellier. Son taux constitue, à l'heure actuelle, un atout essentiel pour permettre à votre pays de renouer durablement avec la croissance. Je relève à cet égard un consensus politique en Irlande sur cette question.

A ce sujet, je souhaitais savoir, Monsieur le Ministre, si le débat européen, notamment sur la gestion de la crise de la dette que traverse la zone euro, avait une incidence sur la campagne électorale en cours en Irlande.

M. Christian Cointat. - Votre pays vient de traverser une crise financière de première importance qui a été l'occasion pour l'Union européenne de manifester concrètement sa solidarité à l'égard d'un de ses membres en difficulté.

Nous comprenons que le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés dans votre pays est, à l'heure actuelle, inenvisageable politiquement, particulièrement dans le contexte électoral qui est le vôtre.

L'Union européenne est un espace de libre circulation des biens, des services et des capitaux et, par essence, un espace concurrentiel. Or, la concurrence ne peut véritablement jouer que si elle est donc régulée et donc loyale. Néanmoins, certains pays utilisent des moyens, notamment fiscaux, qui ne sont pas actuellement harmonisés au niveau européen, faussant de fait la concurrence.

Si nous pouvons entendre qu'aujourd'hui il est inenvisageable dans votre pays de réfléchir à une harmonisation fiscale européenne, je souhaiterais savoir, Monsieur le Ministre, s'il n'est pas possible de réfléchir à moyen terme sur les conditions d'une intervention de l'Union dans ce domaine.

Par ailleurs, qu'entend faire votre pays en faveur d'une véritable convergence économique européenne ?

M. Jean Bizet. - J'insiste également sur ce dernier point, Monsieur le Ministre : la convergence économique, fiscale voire sociale est en effet essentielle pour que la zone euro fonctionne bien.

M. Dick Roche. - Concernant l'impôt sur les sociétés, je souhaiterais insister sur deux points.

Cet impôt ne saurait être considéré comme le seul facteur capable d'attirer les investissements sur notre territoire. La flexibilité de la main d'oeuvre, son niveau de qualification, sa position géographique sur le marché européen sont tout autant d'atouts susceptibles de renforcer l'attractivité de notre territoire.

Par ailleurs, je vous invite à ne pas vous focaliser sur le taux de notre impôt - 12,5 % - mais plutôt sur son produit. Ainsi, le montant total de cet impôt représente 2,9 % du produit intérieur brut irlandais, ce qui n'est pas très éloigné du ratio français : 2,8 %. Si nous comparons la part de cet impôt dans les recettes fiscales de nos deux États, on constate qu'il représente 9,8 % des recettes fiscales irlandaises contre 6,5 % dans votre pays.

L'objectif de chacun de nos gouvernements demeure de consolider la croissance économique dans leur pays. Or, revenir sur le taux de l'impôt sur les sociétés conduirait à fragiliser la reprise économique de l'Irlande et affecterait directement la croissance de l'ensemble de l'Union européenne. Par conséquent je crains que cette polémique sur le taux de l'impôt sur les sociétés ne soit un faux débat.

Au sujet de l'aide européenne, la présentation qui en a été faite par certains médias français ne m'apparaît pas juste, en suggérant notamment que l'intervention de l'Union européenne serait financée par le contribuable européen, en particulier français. Je rappelle que cette aide a été octroyée sous la forme d'un prêt avec intérêts et que seuls les citoyens irlandais sont appelés à rembourser ce prêt.

Le débat électoral irlandais est, quant à lui, surtout marqué par la question de l'aide accordée par le gouvernement aux banques irlandaises et ses conséquences pour le contribuable. L'intervention de l'État dans le secteur bancaire relevait de notre responsabilité morale. Un effondrement du système bancaire irlandais, très ouvert aux pays de l'Union européenne, aurait eu pour conséquence de toucher non seulement l'Irlande mais l'ensemble des citoyens européens.

M. Pierre Bernard-Reymond. - L'ouverture et la dérégulation des économies nationales ont longtemps servi de fil conducteur à l'action de l'Union européenne, au risque d'une libéralisation à outrance de tous les secteurs d'activités. La crise économique et financière a conduit les États à intervenir de nouveau dans la sphère économique. Si cet interventionnisme a été accepté sur le moment, des interrogations subsistent quant à l'avenir.

D'aucuns estiment en effet que la sortie de crise devrait favoriser un retour au dogme libéral qui prédominait jusqu'en 2008, limitant de facto le rôle des pouvoirs publics en matière économique. D'autres constatent au contraire que la crise implique la mise en oeuvre d'une véritable gouvernance économique, l'adoption de normes internationales de régulation et la reconnaissance du principe de réciprocité en matière de commerce international.

Laquelle de ces deux options entend appuyer l'Irlande ? Souscrivez-vous à l'analyse tendant à opposer une Europe du Nord, scandinave et anglo-saxonne, plus libérale à une Europe du Sud plus encline à l'interventionnisme ?

Mme Colette Mélot. - Une forme d'euroscepticisme semble avoir gagné l'Irlande avec la crise économique et financière, rompant avec l'euphorie liée à l'adhésion à l'Union européenne et au développement concomitant de l'économie irlandaise. J'aurais souhaité savoir, Monsieur le Ministre, quel était, à l'heure actuelle, le sentiment de la population irlandaise à l'égard de l'Union européenne, et notamment quelle était la perception de la construction européenne chez les jeunes Irlandais ?

Par ailleurs, votre pays est-il favorable à l'intégration à terme de l'Islande dans l'Union européenne ?

M. Dick Roche. - La population irlandaise a une attitude complexe à l'égard de l'Union européenne. Elle est pleinement consciente de l'impact positif de l'adhésion sur le développement du pays. Elle reste néanmoins sceptique sur l'inclinaison de la Commission à trop intervenir, sur n'importe quel sujet, sur la régulation qu'elle met en place dans tous les domaines et sur les problèmes de communication qui accompagnent son action. A ce titre, le recours à l'aide européenne a suscité un certain nombre de réactions négatives, mes concitoyens estimant que l'Union européenne imposait une forme de pression à l'Irlande pour qu'elle demande une intervention du Fonds de stabilisation.

Les sondages montrent néanmoins que les Irlandais demeurent très favorables à l'Union européenne, malgré l'attachement séculaire de la population à son indépendance. Ce soutien à la construction européenne est largement partagé par la jeunesse, qui se sent tout à la fois irlandaise et européenne.

S'agissant de la nature de notre modèle économique, on ne peut considérer qu'il s'agisse d'un modèle libéral tant il est marqué par l'intervention de l'État dans un certain nombre de secteurs d'activité, à l'image des transports ou de sa participation dans les établissements financiers. L'État irlandais est également très impliqué en matière de protection sociale, notamment en ce qui concerne les retraites et l'assurance-chômage. Je serais donc tenté de dire que Dublin est finalement plus proche de Berlin que de Boston.

En ce qui concerne les conséquences de la crise, l'Irlande souhaite que le programme qu'elle met en oeuvre pour sortir de celle-ci et l'expérience qu'elle en retire puisse servir à l'ensemble des pays de l'Union européenne.

Au sujet de l'élargissement, l'Irlande a toujours été très favorable à ce processus. Elle était en 2004 un des trois pays à ouvrir directement son marché du travail aux ressortissants des dix pays qui venaient d'adhérer à l'Union. L'Irlande soutient, de fait, les demandes d'adhésion de la Croatie et de l'Islande. Concernant l'Islande, il est d'ailleurs coutume de dire dans notre pays qu'Islandais et Irlandais ont le même sang !

M. Jean-François Humbert. - Je tenais, au préalable, à remercier le ministre, ainsi que l'ensemble de mes interlocuteurs, pour l'excellent accueil qui m'a été réservé lors de mon déplacement en Irlande, en décembre dernier.

La crise bancaire que traverse l'Irlande est notamment symbolisée par l'effondrement de l'Anglo Irish Bank et les importantes difficultés que traverse l'Allied Irish Bank. A ce titre, certains observateurs estiment qu'un démantèlement de cette banque apparaît comme inéluctable, malgré le coût d'une telle opération estimé à 45 milliards d'euros. Existe-t-il d'autres solutions ? La scission en deux entités, l'une reprenant les seules activités saines et l'autre gérant le reste est elle-plausible ? Dans un autre ordre d'idée, la liquidation de la banque échelonnée sur plusieurs années est-elle envisageable ?

M. Dick Roche. - Deux rapports ont récemment mis en lumière le rôle du gouvernement en septembre 2008, lorsqu'a éclaté la crise bancaire, liée notamment à une déficience du système de régulation. L'État irlandais avait le choix entre deux options : déclarer la faillite de l'Anglo Irish Bank ou participer directement à la recapitalisation de cet établissement, voire de l'ensemble du secteur. Il convient de noter que juste avant sa mise en faillite, les encours de la banque américaine Lehman Brothers représentaient entre 6 et 8 % du PIB américain. Les encours de l'Anglo Irish Bank représentent, quant à eux, 22 à 24 % du PIB irlandais.

Une mise en faillite n'aurait donc pas été sans incidence majeure pour l'ensemble de l'économie irlandaise. Elle aurait également conduit à la faillite de l'Allied Irish Bank et fragilisé la position de la Bank of Ireland. Au-delà du cas irlandais, la mise en faillite de l'Anglo Irish Bank aurait eu des conséquences catastrophiques pour l'ensemble de la zone euro, en affectant directement l'exposition d'autres banques européennes. Ce risque a, notamment, motivé l'intervention financière du gouvernement dans le secteur bancaire.

Celle-ci a été opérée en deux temps. Le premier a été consacré à l'élimination des avoirs considérés comme toxiques. La deuxième étape a, quant à elle, été marquée par une recapitalisation des banques par l'État, qui en devient le principal actionnaire. La relance du secteur bancaire est une priorité du gouvernement irlandais qui entend, par ce biais, aider les petites et moyennes entreprises. Par ailleurs, une réflexion sur la régulation du secteur bancaire doit être lancée.

Agriculture et pêche - Politique commerciale

Examen de la proposition de résolution n° 226 de MM. Serge Larcher et Éric Doligé sur la compensation des effets, pour les départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne (E 5655)
Rapport de M. Christian Cointat

M. Christian Cointat. - Le 24 septembre 2010, la Commission européenne a transmis au Parlement européen et au Conseil une proposition de règlement portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union. Il s'agit en fait d'une refonte du régime existant appelé « POSEI » (pour Programmes d'Options Spécifiques à l'Éloignement et l'Insularité). Ce régime POSEI a fait l'objet de plusieurs modifications depuis son adoption le 30 janvier 2006 : la Commission propose donc de refondre le texte pour intégrer ces modifications, mais aussi pour assouplir les règles et procédures du programme et les adapter aux nouvelles exigences du traité de Lisbonne.

Ce programme répond à deux objectifs :

- d'une part, garantir l'approvisionnement des régions ultrapériphériques en produits agricoles : c'est le régime spécifique d'approvisionnement (RSA), qui compense les surcoûts de l'éloignement en exonérant de droits de douane certains produits importés ;

- d'autre part, préserver et développer l'activité agricole des régions ultrapériphériques : ce sont les mesures en faveur des produits agricoles locaux (MFPL) (aides à la surface ou à la production, primes animales, versements aux producteurs...).

Le régime POSEI a fait la preuve de son efficacité : la Cour des comptes européenne l'a reconnu en octobre 2010. Dans son rapport, elle invite à poursuivre l'approche ascendante et décentralisée, instaurée en 2006, pour améliorer encore l'efficacité des mesures existantes. Surtout, la Cour des comptes souligne publiquement la grande importance de ces mesures pour l'agriculture des régions concernées. Le budget qui y a été consacré en 2010 s'est élevé à 278 millions d'euros pour la France, 268 pour l'Espagne et 106 pour le Portugal.

La proposition de règlement de la Commission ne modifie pas le soutien communautaire à l'agriculture des RUP. Elle ne le modifie pas, alors même que le règlement du 19 décembre 2006, qui a étendu le règlement POSEI au secteur de la banane, a admis que, s'il était constaté un changement significatif dans les conditions économiques affectant les sources de revenu dans les régions ultrapériphériques, la Commission européenne devait le prendre en compte. Mais c'est bien là que le bât blesse car la situation a considérablement changé en une année : le 15 décembre 2009, a été conclu l'accord multilatéral de Genève sur le commerce des bananes, et au printemps 2010, l'Union européenne a conclu des accords avec l'Amérique centrale d'une part, et avec la Colombie et le Pérou d'autre part. Or la proposition de la Commission feint d'ignorer les conséquences que risquent d'avoir, pour l'agriculture en outre-mer, ces accords commerciaux. C'est ce qui justifie la démarche de nos collègues Serge Larcher et Éric Doligé, président et rapporteur de la mission commune d'information sur les DOM qui a rendu son rapport en juillet 2009. C'est au nom du comité de suivi des orientations de cette mission, qui a été créé le 21 octobre 2009, qu'ils ont en effet déposé le 18 janvier 2011 une proposition de résolution européenne dénonçant l'indifférence qu'affiche la Commission européenne, dans son projet de règlement, à l'égard des effets sur l'agriculture des DOM de ces divers accords commerciaux.

En quoi consistent ces accords ? Les textes sont toujours en cours de vérification juridique. Ils doivent ensuite être paraphés et traduits dans les langues officielles avant que la Commission ne les propose à la signature au Conseil. Le texte de ces accords n'a donc pas encore été diffusé ni transmis au Parlement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Néanmoins, selon les informations disponibles, l'Union européenne a pu obtenir certaines avancées, à savoir la fin des barrières douanières pour ses industries, surtout l'automobile, et un meilleur accès aux marchés péruvien et colombien des vins et spiritueux et des produits laitiers. En contrepartie, les deux États andins ont obtenu pour leur part une amélioration du potentiel d'exportation de bananes, de sucre, de rhum et d'autres produits agricoles.

Plus précisément, concernant la banane, l'UE va abaisser ses droits de douane à 75 euros par tonne au 1er janvier 2020. Déjà l'accord multilatéral de Genève sur les bananes s'était conclu par un abaissement progressif du droit de douane de 176 à 114 euros la tonne, applicable à partir de 2017... C'est donc une baisse supplémentaire importante de 40 euros par tonne qui est consentie sur la taxation des bananes importées des pays andins. Pour la banane, il est également prévu jusqu'en 2020 une sauvegarde spéciale, déclenchant une suspension du traitement préférentiel, dans le cas d'une forte augmentation des importations en provenance de ces pays au-delà d'un certain seuil (seuil qui sera relevé chaque année).

Pour ce qui est du sucre et des produits à teneur élevée en sucre, des contingents à droit nul, avec un taux de croissance annuel, sont consentis à la Colombie et au Pérou.

Enfin, pour le rhum, les lignes tarifaires sensibles du rhum en vrac ne seront pas libéralisées, mais des contingents à droit nul s'appliqueront là aussi pour la Colombie et le Pérou et augmenteront chaque année. Les lignes tarifaires sur le rhum en bouteille, qui sont moins sensibles, seront pour leur part démantelées en trois ans.

De facto, la France, à travers ses RUP, est incontestablement le premier pays contributeur à ces accords : c'est pour elle que le déséquilibre entre les concessions opérées sur les produits sensibles et les résultats obtenus sur le plan offensif paraît important, et surtout pour ses départements ultramarins. En effet, l'économie agricole des RUP françaises est extrêmement dépendante de ces productions. Ainsi, en 2007, la banane représentait 57 % de la production agricole en Martinique et 17,8 % en Guadeloupe. La canne à sucre représentait 20,3 % de la production agricole en Guadeloupe et 6,7 % en Martinique. Le commerce extérieur des DOM est également très étroitement lié à ces produits : pour la Guadeloupe, le sucre représente près de 30 % des exportations en valeur, la banane plus de 14 % et le rhum près de 12 % ; à La Réunion, le sucre représente 38,5 % des exportations en valeur.

Je souscris donc entièrement à l'analyse des auteurs de la proposition de résolution européenne qui nous est soumise : les concessions commerciales accordées par l'Union européenne ne peuvent s'entendre sans compensation destinée à préserver la fragile production agricole locale de nos DOM. Il s'agit de maintenir au niveau international la compétitivité des filières ultramarines, qui vont subir de plein fouet la concurrence des pays d'Amérique latine dont les producteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

En ce sens, il me paraît que nous devrions appuyer les trois demandes principales qui ressortent de la proposition de résolution qui nous est soumise.

La première consiste à revoir la base juridique sur laquelle repose la refonte du règlement POSEI. En effet, la Commission n'invoque que les articles 42 et 43 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), à l'appui de sa proposition de nouveau règlement POSEI. Ces articles 42 et 43 du TFUE concernent la politique agricole. Or il existe un autre article du TFUE: c'est l'article 349, qui reconnaît la situation spécifique des RUP et la nécessité d'adapter en conséquence la réglementation communautaire. Or, c'est seulement sur cet article 349 que peut se fonder en droit toute compensation pour les RUP. Nous devons, à mon sens, appuyer cette demande et faire valoir nous aussi l'importance qui s'attache à compléter l'assise juridique du futur règlement.

La deuxième demande que nous devrions, selon moi, relayer a précisément pour objet d'obtenir une compensation efficace, notamment financière, des effets des accords commerciaux. Aux dernières nouvelles, la Commission proposerait une compensation de 10 millions d'euros par an pour les trois États membres concernés (Espagne, France et Portugal), ce qui représenterait seulement 4 millions d'euros pour la France : cette proposition est inacceptable pour notre pays qui a estimé le besoin de compensation de pertes de revenu et de restructuration à 30 millions d'euros par an pour sa seule filière ! Nous devons donc maintenir la pression.

Mais une véritable réparation ne peut reposer que sur une analyse des effets des accords commerciaux signés par l'Union européenne sur l'agriculture des RUP françaises. Ceci amène à formuler une troisième demande : que la Commission européenne réalise systématiquement, à l'avenir, des études d'impact, lors de la négociation d'accords commerciaux susceptibles d'affecter les économies des RUP.

Plus globalement, c'est le principe d'adaptation des normes communautaires, notamment commerciales mais pas seulement, aux contraintes particulières des RUP qu'il nous faut défendre à Bruxelles, sur le fondement de l'article 349 du TFUE.

A court terme, notre objectif est de prêter main forte au Gouvernement dans la négociation qui s'ouvre : présentée pour la première fois au Conseil agriculture du 27 septembre 2010, la proposition de règlement POSEI sera examinée en codécision, ce qui laisse présager sa finalisation fin 2011 ou début 2012.

Pour conclure, je me propose de vous soumettre quelques menues modifications de la proposition de résolution qui nous est soumise et à laquelle, vous l'aurez compris, je souscris très largement, dans son esprit : favorable aux accords commerciaux, nous jugeons néanmoins nécessaire de prévoir des mesures d'accompagnement pour parer aux conséquences préjudiciables que ces accords pourraient entraîner pour l'agriculture des départements d'outre-mer.

Je vous propose d'abord d'ajouter dans les visas de la proposition de résolution deux références : l'une à l'accord de Genève sur les bananes puisque, à l'examen, il me semble que sa compensation est encore à l'ordre du jour. Un nouveau visa serait placé entre les alinéas 5 et 6 : « Vu l'accord multilatéral signé à Genève le 15 décembre 2009 relatif au commerce des bananes ». L'autre référence qui me paraît manquer renverrait au règlement de décembre 2006 auquel je faisais allusion tout à l'heure : ce règlement, qui a étendu le règlement POSEI au secteur de la banane, appelle en effet la Commission européenne à prendre en compte tout « changement significatif dans les conditions économiques affectant les sources de revenu dans les régions ultrapériphériques ». Il importe de le rappeler en introduisant ce visa entre les alinéas 9 et 10 : « Vu le règlement n° 2013/2006 du Conseil du 19 décembre 2006 modifiant les règlements (CEE) n° 404/93, (CE) n° 1782/2003 et (CE) n° 247/2006 en ce qui concerne le secteur de la banane ».

Je vous propose aussi de compléter l'alinéa 11 de la proposition de résolution par des mots laissant entrevoir que nous ne sommes pas opposés à la signature d'accords de libéralisation du commerce de l'UE mais que nous jugeons nécessaire d'assortir leur conclusion de protections ou « garde-fous » adaptés, susceptibles de réduire les risques encourus par l'agriculture des DOM du fait de ces accords. Cela donnerait : « Considérant que les accords de libre échange conclus en mars 2010 par l'Union européenne avec la Colombie et le Pérou, d'une part, et avec les pays d'Amérique centrale, d'autre part, font courir un risque important à l'agriculture des régions ultrapériphériques françaises si des garde-fous suffisants ne sont pas mis en place, ».

Je voudrais aussi vous proposer une reformulation à l'alinéa 12 de la proposition de résolution : en effet, la lecture de cet alinéa pourrait laisser croire que l'intérêt de l'UE est de soutenir le développement endogène des RUP. Je crois qu'il serait plus exact d'écrire que l'intérêt de l'UE est, par ces accords, de ne pas mettre en péril le développement endogène de ces régions, puisque notre objectif précis est bien ici d'éviter un péril provoqué par la politique commerciale de l'UE. L'alinéa 12 serait ainsi rédigé : « Considérant qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de ne pas mettre en péril le développement endogène des régions ultrapériphériques ».

Je vous soumets aussi une formulation plus volontariste à l'alinéa 17 : nous demandons au Gouvernement non pas de négocier, ce qui laisse entendre que nous avons des contreparties à céder, mais d'intervenir pour compenser ce qui a déjà été cédé. L'alinéa 17 se lirait ainsi : « Demande au Gouvernement d'intervenir pour que la Commission assure toute forme de compensation efficace pour préserver l'agriculture ultramarine des effets négatifs des accords commerciaux signés avec la Colombie et le Pérou et avec l'Amérique centrale ».

Enfin, je propose de compléter par une formule plus générale l'alinéa 18, invitant à une prise en compte de la spécificité des RUP dès en amont de la signature des accords commerciaux, et non pas seulement par le biais d'une évaluation de l'impact sur leur économie des accords. L'alinéa 18 serait ainsi rédigé : « Invite la Commission européenne à prendre en compte la spécificité des régions ultrapériphériques dans sa politique commerciale et, dans ce cadre, à évaluer systématiquement les effets sur les régions ultrapériphériques des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier, particulièrement grâce à des études d'impact préalables à l'échange d'offres. »

La commission a alors adopté la proposition de résolution européenne ainsi rédigée :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vus les articles 42, 43 et 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le mémorandum de l'Espagne, de la France, du Portugal et des régions ultrapériphériques signé le 7 mai 2010 à Las Palmas de Gran Canaria,

Vu les conclusions du Conseil Affaires générales du 14 juin 2010,

Vu l'accord multilatéral signé à Genève le 15 décembre 2009 relatif au commerce des bananes,

Vu la conclusion des négociations relatives à la signature d'un accord d'association entre l'Union européenne et l'Amérique centrale,

Vu la conclusion des négociations relatives à la signature d'un accord commercial multipartite entre l'Union européenne, la Colombie et le Pérou,

Vu les conclusions du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009,

Vu le rapport du Sénat n° 519 (2008-2009) fait au nom de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer,

Vu le règlement n° 2013/2006 du Conseil du 19 décembre 2006 modifiant les règlements (CEE) n° 404/93, (CE) n° 1782/2003 et (CE) n° 247/2006 en ce qui concerne le secteur de la banane,

Vu la proposition de règlement du Parlement et du Conseil portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union (E 5655),

Considérant que les accords de libre échange conclus en mars 2010 par l'Union européenne avec la Colombie et le Pérou, d'une part, et avec les pays d'Amérique centrale, d'autre part, font courir un risque important à l'agriculture des régions ultrapériphériques françaises si des garde-fous suffisants ne sont pas mis en place,

Considérant qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de ne pas mettre en péril le développement endogène des régions ultrapériphériques,

Considérant que la Commission envisage la conclusion d'autres accords commerciaux, notamment avec le Mercosur,

Estime urgent d'analyser et de compenser les effets des accords commerciaux déjà signés sur les productions agricoles des régions ultrapériphériques,

Souligne que de telles mesures de compensation trouvent leur fondement juridique dans l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Juge que la proposition de règlement portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union constitue une opportunité à saisir pour arrêter les modalités de cette compensation,

Demande au Gouvernement d'intervenir afin que la Commission européenne veille à assurer toute forme de compensation efficace pour préserver l'agriculture ultramarine des effets négatifs des accords commerciaux signés avec la Colombie et le Pérou et avec l'Amérique centrale,

Invite la Commission européenne à prendre en compte la spécificité des régions ultrapériphériques dans sa politique commerciale et, dans ce cadre, à évaluer systématiquement les effets sur ces régions des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier, particulièrement grâce à des études d'impact préalables à l'échange d'offres.