Projet de loi constitutionnelle Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Direction de la Séance

N°22

22 mars 2024

(1ère lecture)

(n° 291 , 441 )


Question préalable

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Motion présentée par

M. XOWIE

et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky


TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE

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En application de l’article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.

Objet

Les auteurs de la motion considèrent que, par ce projet de loi, le gouvernement français constitutionnalise la colonie de peuplement en Nouvelle-Calédonie et légitimise la « minorisation » du peuple kanak. C’est une façon de favoriser la recolonisation du territoire et l’invisibilisation du peuple Kanak. Les auteurs de la motion considèrent que le contenu de ce projet comporte de graves manquements à l’esprit et la méthode initiées par les accords de paix de Matignon et de Nouméa ainsi qu’à leur irréversibilité constitutionnelle, comme aux engagements internationaux de la France.

L’Accord de Nouméa a acquis force constitutionnelle en 1998 par l’effet de l’article 77 de la Constitution, qui assigne pour mission au législateur organique « d’assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre ». L’Accord de Nouméa est ensuite largement approuvé par la population de l’archipel lors de la consultation du 8 novembre 1998, le « Oui » recueillant 72 % des suffrages exprimés. Cet Accord prévoyait un corps électoral restreint. Les accords de décolonisation, conformément au droit de l’ONU, mettaient fin au peuplement ou à défaut à ses conséquences électorales. C’est la raison pour laquelle ne peuvent devenir électeurs ceux qui s’installent après le 8 novembre 1998. C’est le Conseil constitutionnel qui, par une réserve d’interprétation, établira un corps glissant. Le Parlement votera immédiatement le retour à l’interprétation originale de l’Accord. La réforme constitutionnelle tardive de 2007 impulsée par Jacques Chirac le fera.

Ce projet de loi ne respecte pas la voie consensuelle de la question du corps électoral en Nouvelle-Calédonie et répond une fois de plus à la pression d’une partie. Les auteurs de la motion rappellent la conclusion d’un accord global est le chemin consensuel le plus approprié. L’adoption d’un projet de loi comme celui-ci vient entraver les discussions actuellement en cours.

D’une part, ce projet de loi constitutionnelle intervient en rupture totale avec l’esprit et la méthode consensuelle des Accords de paix qui ont bâti la Nouvelle-Calédonie. Le point 5 de l’Accord de Nouméa (documentation d’orientation) indique que : » Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

Le corps électoral fait partie de l’organisation politique de 1998 et ne peut donc subir une modification sans aboutissement des consultations pour un accord global sur une nouvelle organisation politique. Modifier unilatéralement la Constitution représente pour l’État français une rupture de sa parole, à la fois politique et juridique. C’est rouvrir en 2024 la colonie de peuplement de 1853, enfin fermée en 1998.

Outre une organisation originale des pouvoirs publics fondée sur un partage territorial des responsabilités par la provincialisation, sur un Gouvernement collégial composé à la proportionnelle et un principe de rééquilibrage économique, social et culturel du pays, l’Accord de Nouméa instaure, au sein de la nationalité française, une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui concrétise la participation au destin commun avec le peuple kanak, peuple colonial, des diverses communautés issues de la colonisation qui y vivent.

La reconnaissance d’une citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie fonde ainsi la définition d’un corps électoral qui, s’il apparaît restreint au regard des seuls Métropolitains a été largement ouvert aux autres par le consentement du peuple kanak. Ce serait mettre en péril l’équilibre qui a permis à la Nouvelle-Calédonie de retrouver une paix civile, qui reste néanmoins encore fragile.

D’autre part, en déposant ce projet de loi, le Gouvernement français rompt avec ses engagements internationaux et notamment avec la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU qui indique que : (Résolution 35/118 – 1980).

« Les États membres adopterons les mesures nécessaires pour décourager ou prévenir l’afflux systématique dans les territoires sous domination coloniale d’immigrants et de colons venus de l’extérieur, qui bouleverse la composition démographique de ces territoires et peut être un obstacle majeur à l’exercice véritable du droit à l’autodétermination et à l’indépendance par les habitants de ces territoires ». Ce principe est renouvelé systématiquement tous les ans lors de l’Assemblée générale de l’ONU dans les résolutions concernant l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.

Ce projet de loi constitutionnelle ignore aussi l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Rappelons que la circulaire de Pierre Messmer, Premier ministre en 1972, a organisé la colonie de peuplement afin de mettre en minorité le peuple kanak. La stratégie de l’État est d’englober systématiquement le peuple autochtone dans la colonie de peuplement au sein du corps électoral pour les scrutins d’autodétermination. Il s’agit également d’une porte ouverte pour modifier le corps référendaire.

Le statut Fabius-Pisani (1985) et les statuts Pons (1986 et 1988) ont été issus de cette stratégie d’État, en entrainant le boycott massif du FLNKS lors du référendum car le corps électoral inclut toutes les personnes résidant en Nouvelle-Calédonie depuis trois ans au minimum. 

Les accords de paix ont consolidé la stabilité de l’archipel et « posé les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun ».

Les auteurs de cette motion ne peuvent accepter la partialité de l’État français, de surcroît si fortement dérogatoire dans la restriction des droits des parlementaires et remettant en cause les Accords de paix. En définitive, ce projet de loi constitutionnelle vient détruire la communauté de destin définie par la lettre et l’esprit des Accords de Matignon et de Nouméa.

Ne pas examiner ce projet en acceptant la question préalable ne crée aucun vide juridique. Il laisse, conformément à l’Accord constitutionnalisé, aux parties calédoniennes le temps du palabre sans changer unilatéralement les équilibres des Accords politiques passés. 

Ne pas examiner ce projet en acceptant la question préalable, c’est refuser la constitutionnalisation de la colonie de peuplement en Nouvelle-Calédonie.



NB :En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant les orateurs des groupes.