Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution (Journal officiel du 5 février 2008 ).

Adopté sans modification par l' Assemblée nationale le 16 janvier 2008, le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution a été examiné et adopté en termes identiques par le Sénat le 29 janvier 2008.

Le projet de loi constitutionnelle propose une révision du titre XV de la Constitution afin de rendre possible la ratification du traité européen de Lisbonne. Saisi par le Président de la République, le Conseil constitutionnel avait en effet considéré, le 20 décembre 2007, que la ratification de ce traité appelait une révision constitutionnelle préalable dans la mesure où :

- certaines de ses clauses affectaient les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale en transférant à l'Union européenne des compétences nouvelles ou en lui permettant d'exercer certaines de ses compétences selon des modalités nouvelles ;

- les nouvelles prérogatives reconnues par le traité au Parlement de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée et à chacune des deux assemblées de veiller à ce que les actes législatifs européens respectent le principe de subsidiarité, a priori par un avis motivé adressé aux institutions européennes et a posteriori par un recours formé devant la Cour de justice de l'Union européenne, ne pouvaient être mises en oeuvre dans le cadre des dispositions actuelles de la Constitution.

Le projet de loi constitutionnelle comporte un dispositif constitué de trois volets :

- le premier (article 1 er ), d'application immédiate, engage la procédure de ratification du traité en levant les obstacles constitutionnels ;

- le deuxième (article 2), modifie le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences du traité de Lisbonne. Ces dispositions ne deviendront applicables qu'à l'entrée en vigueur du traité avec :

? un titre XV de la Constitution désormais intitulé « De l'Union européenne », le traité de Lisbonne unifiant les trois piliers de l'Union européenne issus du traité de Maastricht et des modifications terminologiques aux articles 88-1, 88-2, 88-4 et 88-5 de la Constitution ;

? une nouvelle rédaction de l'article 88-1 pour inscrire dans la Constitution, de façon pérenne, le consentement du constituant aux transferts de compétences prévus par les traités, tels qu'ils résultent du traité de Lisbonne ;

? l'ajout de deux nouveaux articles pour permettre au Parlement français d'exercer les prérogatives nouvelles qui lui sont reconnues par le traité de Lisbonne : l'article 88-6, qui concerne le respect du principe de subsidiarité et donne la possibilité à une assemblée qui estime que ce principe a été méconnu d'adresser aux institutions européennes un avis motivé dans un délai de huit semaines et de déférer à la Cour de justice de l'Union européenne, dans un délai de deux mois, l'acte qui lui paraît contraire à ce principe ; l'article 88-7 organise le droit ouvert par le traité aux Parlements nationaux de s'opposer à une décision des institutions de l'Union de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée dans différents domaines ;

- le dernier volet (article 3) supprime les références au traité constitutionnel, celui-ci étant devenu sans objet.

Au Sénat , le débat s'est engagé par l'examen d'une motion de renvoi au référendum du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution présentée, en application de l'article 67 du Règlement, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

M. Christian Poncelet, président, ayant observé que pour « la première fois » « une telle motion concernait un projet de loi de révision constitutionnelle », le Sénat, suivant l'avis de la commission des lois et au terme d'un débat dans lequel sont intervenus, outre Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Luc Mélenchon, Michel Charasse et Michel Dreyfus-Schmidt, par le scrutin n° 71 demandé par le groupe UMP, n'a pas retenu la recevabilité de la motion référendaire.

Après la demande de discussion immédiate 1 ( * ) formulée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, d'une proposition de loi constitutionnelle visant à compléter l'article 11 de la Constitution par un alinéa tendant à ce que la ratification d'un traité contenant des dispositions similaires à celles d'un traité rejeté fasse l'objet de consultation et soit soumise à référendum, le Sénat a abordé l'examen du projet de loi constitutionnelle.

Dans la discussion générale , à la suite de M. François Fillon, Premier ministre, de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de justice, et de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, est intervenu M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. Après avoir souligné le caractère a minima de la révision proposée, le rapporteur a regretté, sur la forme, que chaque ratification d'un nouveau traité nécessite de modifier préalablement la Constitution et, sur le fond, d'une part, le maintien de l'obligation du référendum pour l'admission de nouveaux Etats au sein de l'Union européenne, d'autre part, le maintien de la règle de réciprocité pour le vote des ressortissants européens aux élections locales, et enfin, la référence à la notion d' « acte législatif européen », source de confusion car susceptible de recouvrir une norme juridique de nature réglementaire. Il a conclu en appelant de ses voeux une refonte du Règlement dans les meilleurs délais pour la mise en oeuvre des nouvelles procédures résultant des articles 88-6 et 88-7 de la Constitution.

Relevant à son tour que le projet de loi constitutionnelle s'en tenait « à la révision strictement nécessaire pour permettre l'approbation du traité » de Lisbonne, M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, n'a pas souscrit à l'idée de l'insertion dans la Constitution d'une clause européenne de portée générale évitant la multiplication des révisions, estimant au contraire que notre procédure exigeait opportunément un examen des conséquences découlant de chaque étape de la construction européenne. Il a souligné que les parlements nationaux, chargés désormais d'intervenir dans le processus de décision européen pour veiller à ce que l'Union respecte le principe de subsidiarité, devenaient « des acteurs de la construction européenne ». Il a enfin estimé que le traité parvenait à une « large synthèse » au plan institutionnel, ouvrant la voie à un recentrage du débat sur le contenu des politiques communes.

Dans la suite de la discussion générale, sont également intervenus :

- M. Jean-Pierre Bel, qui a considéré que le traité comportait des avancées essentielles telles que « la création d'une présidence stable pour l'Union, la création d'un Haut représentant pour la politique étrangère et la sécurité commune, le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, l'adoption d'un protocole sur les services publics, une référence à de nouveaux défis tels que la solidarité énergétique ou le changement climatique, ou encore la procédure de contrôle renforcé des parlements nationaux » tout en déplorant que la ratification du traité de Lisbonne ne soit pas soumise au peuple français, « la participation active des citoyens aux orientations de la construction européenne étant devenue un impératif démocratique » ;

- M. Jean-Pierre Raffarin, qui s'est félicité que le traité de Lisbonne ait « débloqué la gouvernance européenne et clôt le débat institutionnel » tout en « comportant de nombreuses garanties afin que l'Union européenne ne s'écarte pas de sa mission » et qui a observé que les « attributions du Sénat se trouvaient substantiellement renforcées » dans la mesure où il pourrait désormais « émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité » et « former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation » de ce principe ;

- M. Robert Bret, qui a estimé que la procédure choisie, excluant le recours au référendum, « subtilisait le projet de loi à la réflexion citoyenne et alimentait le déficit démocratique qui gangrène la construction européenne » ;

- M. Nicolas Alfonsi, qui s'est félicité des améliorations apportées par le traité de Lisbonne aux règles de fonctionnement de l'Union européenne et a estimé que « notre procédure d'approbation des traités européens » et en faisant « intervenir périodiquement le pouvoir constituant », pouvait « apparaître à certains égards excessivement complexe » mais constituait « une garantie protectrice de la souveraineté nationale » ;

- M. Yves Pozzo di Borgo, qui a explicité les avancées réalisées par le traité de Lisbonne et s'est prononcé en faveur du processus de ratification engagé ;

- M. Bruno Retailleau, qui s'est déclaré favorable à la procédure référendaire, « une décision référendaire étant d'essence supérieure à une décision parlementaire », et a regretté qu'elle n'ait pas été choisie alors que le traité de Lisbonne constituait « une étape décisive dans la mise en place d'une quasi-structure étatique fédérale dotée de la personnalité juridique » ;

- Mme Alima Boumediene-Thiery, qui a estimé que « la voie de la ratification parlementaire » constituait « un déni de souveraineté » ;

- M. Pierre Bernard-Reymond, qui a déclaré de « bonne méthode » les « ratifications parlementaires chaque fois que la complexité des textes expose le référendum à des réponses qui n'ont rien à voir avec la question posée » et a considéré que le traité de Lisbonne avait « libéré l'avenir européen » ;

- M. André Lardeux, qui a estimé que le traité de Lisbonne avait « pour objet de faire disparaître la souveraineté du peuple français » et que la procédure choisie, en ne donnant pas la parole au peuple, constituait « une conspiration du silence pour imposer le culte du fédéralisme » ;

- M. Robert del Picchia, qui a observé que le traité de Lisbonne « consacrait des avancées démocratiques importantes et nouvelles au bénéfice des citoyens et des parlements nationaux » et a approuvé la méthode de ratification en soulignant l'urgence à aboutir ;

- et M. Jacques Blanc, qui s'est félicité que le traité de Lisbonne ait créé « un nouvel élan pour la France et pour l'Europe » et a souhaité qu'une prochaine révision constitutionnelle fasse « bénéficier la délégation du Sénat pour l'Union européenne d'une reconnaissance supplémentaire quant à son rôle de contrôle de la subsidiarité ».

Puis le Sénat a successivement rejeté :

- par le scrutin n° 72, une motion tendant à opposer l' exception d'irrecevabilité présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et le groupe CRC ;

- par le scrutin public n° 73, une motion tendant à opposer la question préalable présentée par M. Jean-Luc Mélenchon ;

- et par le scrutin public n° 74, une motion tendant au renvoi à la commission présentée par M. Robert Bret et le groupe CRC.

Lors de l' examen des articles , aucun des dix-sept amendements déposés exclusivement par les groupes CRC et socialiste n'a été adopté. L'un en particulier, présenté par M. François Marc et plusieurs de ses collègues, tendant à ménager une possibilité de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe, a été débattu avec les interventions de MM. Patrice Gélard, rapporteur, Michel Charasse, Jacques Muller, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Alfonsi et Philippe Richert avant d'être rejeté par le scrutin public n° 75 demandé par le groupe UMP.

Mme Alima Boumediene-Thiery étant intervenue pour expliquer son vote, le Sénat , par le scrutin public de droit n° 76, a adopté dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

Congrès du Parlement.

En application du troisième alinéa de l'article 89 de la Constitution, le Président de la République, par décret en date du 30 janvier 2008, a convoqué le Parlement en Congrès, le lundi 4 février 2008, afin de lui soumettre le projet de loi constitutionnelle voté en termes identiques par les deux assemblées.

Après l'intervention de M. François Fillon, Premier ministre, le Congrès, présidé par M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, a écouté les explications de vote des représentants de chaque groupe politique des deux assemblées.

Sont ainsi successivement intervenus : M. Jean-Pierre Bel pour le groupe socialiste du Sénat, M. Patrice Gélard pour le groupe UMP du Sénat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat pour le groupe CRC du Sénat, M. Pierre Fauchon pour le groupe Union centriste-UDF du Sénat, M. François Sauvadet pour le groupe Nouveau Centre de l'Assemblée nationale, M. Alain Bocquet pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de l'Assemblée nationale, M. Pierre Moscovici pour le groupe socialiste, radical citoyen et divers gauche de l'Assemblée nationale, M. Jean-François Copé pour le groupe UMP de l'Assemblée nationale et M. Jean-Michel Baylet pour le groupe RDSE du Sénat.

Le projet de loi constitutionnelle a été approuvé par scrutin public à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par 560 voix contre 181 . Le projet de loi est ainsi devenu définitif .