Projet de loi de finances pour 2020 (Première partie)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2020, adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances .  - Je suis très heureux de vous présenter ce projet de loi de finances pour 2020 dans un contexte économique marqué par les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine et un ralentissement de la croissance mondiale.

J'ai redit au secrétaire américain au commerce de l'administration Trump combien nous étions opposés aux sanctions infligées à nos viticulteurs. Ceux-ci peuvent compter sur notre soutien, d'autant que nous sommes à une période importante de commercialisation du vin.

Alors que la croissance européenne ralentit, la France tire son épingle du jeu en maintenant un niveau de croissance élevé et un taux d'investissement important. Son attractivité est la meilleure de la zone euro. Les taux d'investissement restent faibles voire négatifs, ce qui doit appeler les États à investir, notamment dans l'innovation, pour compléter une politique monétaire arrivée aux limites de son efficacité.

La politique que nous vous proposons est d'innovation pour le travail et de rétablissement de nos finances publiques. Face au ralentissement de la croissance, la seule politique valable est celle de l'investissement et de l'offre. Elle commence à donner des résultats.

Nous maintenons une baisse d'impôts d'un milliard d'euros en faveur des entreprises. Les allègements de charges seront renforcés. Il n'y aura plus aucune cotisation patronale au niveau du Smic. Nous maintiendrons ce cap pour que nos entreprises jouissent de la visibilité dont elles ont besoin.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances.  - Pas comme pour la baisse de l'impôt sur les sociétés.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Les entreprises au chiffre d'affaires plus modeste verront l'impôt sur les sociétés baisser plus rapidement que les autres.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Pas assez vite.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Toutes les entreprises seront concernées puisque le cap des 25 % de taux d'impôt sur les sociétés pour toutes sera atteint en 2022.

Le prélèvement sur les entreprises affecté au financement des chambres de commerce et d'industrie diminuera. Ces dernières ont fourni des efforts importants de modernisation et de transformation et je les en remercie. Nous ferons un point d'étape en 2020 pour nous assurer qu'elles supportent toutes la transformation. La suppression du prélèvement France Télécom leur rendra 30 millions d'euros.

Les impôts baisseront de 13 milliards d'euros pour les entreprises et de 27 milliards d'euros pour les ménages, soit 40 milliards d'euros au total sur le quinquennat. Nous sortons du matraquage.

Nous maintenons une politique offensive de soutien à l'innovation, clé de notre souveraineté et de notre croissance, en sanctuarisant le crédit d'impôt recherche (CIR), tout en suivant la préconisation de la Cour des comptes de réduire le taux de fonctionnement, de 50 à 43 %, ce qui représente une économie de 230 millions d'euros à l'horizon 2021.

Cette politique d'innovation nous a conduits à céder un certain nombre d'actifs dans les entreprises. La privatisation de la Française des jeux (FDJ), dont je viens de lancer la cotation ce matin, est un succès populaire, concernant un million de Français, mais aussi pour l'entreprise qui a montré sa solidité et la place de Paris qui met ainsi en lumière son attractivité. C'est la preuve qu'il est possible de trouver les moyens financiers nécessaires aux innovations de rupture. Je rappelle que l'intégralité du produit des cessions ira au fonds pour l'innovation de rupture.

Donner les moyens aux entreprises commerciales de se développer tout en gardant un droit de contrôle de l'État, telle est notre ligne directrice.

L'un des axes de ce budget est la rémunération du travail. Nous engageons une baisse massive de l'impôt sur le revenu à hauteur de 5 milliards d'euros pour 17 millions de Français dès le 1er janvier 2020. La suppression de la taxe d'habitation, sur laquelle je reviendrai, s'ajoute à notre politique de meilleure rémunération du travail. La crise des gilets jaunes a montré combien les Français aspirent à la dignité par le travail et souhaitent bien en vivre. La revalorisation de la prime d'activité de 100 euros de plus par mois au niveau du Smic, la défiscalisation des heures supplémentaires et la suppression de toute taxe sur l'intéressement sont quelques-uns des dispositifs que nous avons mis en oeuvre en ce sens.

Nous avons supprimé la taxe de 20 % sur l'intéressement, simplifié les accords d'intéressement et permis qu'ils soient signés pour un an et non trois, pour que les plus petites entreprises puissent l'expérimenter. Je suis prêt à aller encore plus loin sur la simplification pour que nous passions de 1,4 à 3 millions de salariés concernés, dans les meilleurs délais. C'est une question de justice, de reconnaissance du travail et d'association des salariés aux résultats de l'entreprise.

Nous devons constater avec lucidité que dans certains domaines, par exemple les hôpitaux, les économies demandées depuis tant d'années ont rendu la situation difficile. Le plan annoncé par le président de la République, inédit, vise à mieux récompenser le personnel hospitalier : 100 euros nets par mois dès 2020 pour les aides-soignants s'occupant de personnes âgées, 800 euros par an pour les infirmiers et aides-soignants exerçant à Paris et en proche banlieue et 300 euros versés directement par les hôpitaux. Nous avons également décidé de reprendre une partie de la dette des hôpitaux pour qu'ils puissent assainir leur situation financière et investir dans des travaux. Afin d'assurer ce financement, nous réduisons les niches fiscales. Celle sur le gasoil non routier (GNR) sera supprimée en trois ans, avec une première hausse au 1er juillet 2020 afin de laisser aux professionnels le temps de s'adapter et de bénéficier d'un certain nombre de compensations.

Nous réduirons aussi la niche au mécénat d'entreprise...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Grave erreur !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - ...en faisant passer le crédit d'impôt de 60 à 40 % pour les dons de plus 2 millions d'euros. Cela ne concerne que 78 grandes entreprises.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances.  - Et combien de bénéficiaires ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - À chaque économie de dépense publique, vous me dites que c'est une erreur. Faites des propositions.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Supprimez les agences nationales de l'eau, les agences régionales de santé (ARS), l'agence nationale de cohésion des territoires.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Cette mesure permettra de réaliser une économie de 4 millions d'euros.

Enfin, le rétablissement de nos finances publiques est notre troisième axe. Nous ne sommes désormais plus en procédure de déficit excessif.

M. Jérôme Bascher.  - Ça va venir !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Le déficit est à 2,8 % pour 2020, ce qui en fait le plus bas depuis vingt ans. Les chiffres sont têtus.

M. Jean-François Husson.  - Il n'y a pas que les chiffres !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous rétablissons nos finances publiques à un rythme plus lent que prévu, c'est vrai. Mais nous devons nous adapter au contexte économique, à celui de la crise sociale et au ralentissement profond de la croissance mondiale.

Ces objectifs, qui seront tenus d'ici la fin du quinquennat, nous permettrons de conjuguer politique de l'offre, meilleure rémunération du travail et rétablissement de nos finances publiques. La France pourra ainsi rester l'une des économies les plus vaillantes de la zone euro. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics .  - Voici la troisième année consécutive que j'ai le plaisir de vous présenter le budget. Celui-ci témoigne des résultats positifs de notre politique fiscale et économique : baisse du chômage, croissance dynamique, accroissement inédit du pouvoir d'achat, baisse des impôts comme jamais. Ces résultats incontestables sont dus à notre politique économique, à la baisse des dépenses publiques et à des transformations structurelles.

Pas moins de 40 milliards d'euros de dépenses auront été évitées entre 2017 et 2020, les faisant passer de 55 à 53,4 % du PIB. Les impôts baisseront de 9 milliards d'euros pour les ménages et d'1 milliard d'euros pour les entreprises. Le déficit public aura baissé de plus d'un tiers entre notre arrivée et 2020, de -3,4 % à -2,2 % du PIB, et ce après la sincérisation de la dette de la SNCF qu'aucun gouvernement n'avait jusque-là prise en compte. Pour la première fois depuis dix ans, nous avons stabilisé notre endettement et nous allons amorcer sa diminution en 2020.

Nous sommes déterminés à garder le cap, même si l'ampleur inédite des réponses à l'urgence économique et sociale nous oblige à faire des modifications. Je souhaite souligner la sincérité de la présentation des comptes de la Nation, salué par l'ensemble des observateurs. Nous avons fait les économies de gestion qu'il fallait.

Je salue l'accord en CMP sur le projet de loi de finances rectificative sans mesures fiscales. Il montre que nous avons tenu le chiffre du déficit, malgré les mesures prises pour répondre aux situations difficiles dégagées lors du grand débat. C'est la deuxième fois que le Gouvernement ne prend pas de décret d'avance, ce qui était une mauvaise habitude. Cela témoigne du climat de confiance dans lequel nous travaillons.

Au cours du quinquennat, 27 milliards d'euros d'impôts auront été rendus aux ménages et 13 milliards d'euros aux entreprises. Grâce au prélèvement à la source, 95 % des Français imposables, soit 17 millions d'euros, constateront une baisse d'impôts de 5 milliards d'euros sur leur feuille de paie, dès le mois de janvier, pour un gain moyen de plus de 300 euros.

Dès l'an prochain, la taxe d'habitation sera supprimée pour 80 % des ménages. Les autres la verront diminuer jusqu'à disparition en 2023. Elle sera compensée à l'euro près aux collectivités locales. Personne jusqu'ici n'a supprimé un impôt qui représente 22 milliards d'euros. C'est un engagement du président de la République dont nous prendrons le temps de discuter.

Nous baissons les impôts, mais nous ne baissons par la garde. Le Gouvernement prévoit des moyens budgétaires à la hauteur des défis. Nous accélérons la transition écologique. Les crédits qui lui sont alloués, ainsi qu'aux transports, augmenteront de 3 milliards d'euros sur le quinquennat et de 800 millions d'euros dès 2020. Demain, je m'absenterai quelques heures de cet hémicycle pour signer la convention financière du canal Seine-Nord-Europe.

Le CITE, très important pour les travaux, sera recentré et transformé en prime contemporaine, à destination des ménages les plus modestes. Plus on est pauvre, moins on a de revenus et plus son logement est une passoire énergétique. Cette prime sera plus efficace et plus généreuse envers les plus modestes.

Nous accompagnons le retour à l'emploi et protégeons les plus vulnérables grâce à la prime d'activité qui bénéficiera d'une enveloppe en hausse de 4 milliards d'euros d'ici 2022, soit 9 milliards d'euros à la fin du quinquennat contre 3,5 milliards d'euros au début. La prime exceptionnelle de 100 euros au niveau du Smic, annoncée l'an dernier par le président de la République, sera reconduite. Grâce aux dispositifs d'intéressement, nous renforçons le lien entre capital et travail.

L'allocation adulte handicapé (AAH) sera revalorisée de 1,3 milliard d'euros sur le quinquennat. Nous améliorerons le recouvrement des pensions alimentaires. Les pensions des plus modestes seront indexées sur l'inflation jusqu'à 2 000 euros.

Nous poursuivons le réarmement régalien de l'État avec 1,7 milliard d'euros pour la mission « Défense » ; quelque 10 000 emplois de policiers et de gendarmes seront créés sur le quinquennat. Les crédits du ministère de l'Intérieur augmenteront de manière inédite de plus de 2 milliards d'euros et les heures supplémentaires des policiers seront enfin versées.

Les crédits du ministre de l'Éducation augmenteront aussi de plus de 2,6 milliards d'euros pour financer le dédoublement des classes, la limitation à 24 élèves par classe, le déploiement du service national universel, la réforme sans précédent du bac, l'augmentation des crédits de la recherche de 500 millions d'euros et la poursuite du Programme d'investissements d'avenir (PIA). Ce budget est un budget d'investissement.

Nous poursuivons notre action résolue contre la fraude fiscale, sujet sur lequel le Sénat a apporté des contributions importantes. Le travail de votre rapporteur général a mené à une CMP conclusive sur la loi du 23 octobre dernier. L'année 2019 sera celle où la fraude fiscale aura été la plus combattue, avec des gains pour les finances publiques très importants. Grâce à la fin du verrou de Bercy, nous sommes à 85 % de transmissions au parquet. La procédure de plaider coupable est également très efficace. Nous irons plus loin en travaillant sur la fraude à la TVA sur les plateformes du e-commerce.

M. Philippe Dallier.  - Bonne idée !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Les plateformes seront redevables de la TVA en 2021 en lieu et place des vendeurs. Nous dresserons une liste noire de celles qui ne sont pas coopératives. Nous permettrons à l'administration de demander des informations sur la provenance et la destination des colis, selon un dispositif expérimenté avec succès au Royaume-Uni. Tout cela répondra à la Commission européenne qui estime la fraude à la TVA à 10 milliards d'euros en France.

Nous travaillerons sur la liste des États non coopératifs. La domiciliation fiscale des dirigeants d'entreprises sera débattue...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Émilie Cariou n'en veut pas.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Payer ses impôts en France n'est pas honteux, au contraire.

La loi de finances sera l'occasion d'un débat sur l'utilisation des réseaux sociaux pour confondre les fraudeurs, dispositif déjà en oeuvre aux États-Unis et au Royaume-Uni notamment.

Nous simplifierions la vie des Français : les indépendants ne feront plus de déclaration sociale - ils rempliront une déclaration au lieu de trois -, les crédits d'impôt et les aides sociales comme les APL seront contemporéanisés, les Français n'auront plus à remplir de déclaration de revenus, des petites taxes seront supprimées. C'est un travail global de rationalisation que nous menons.

Le Gouvernement est à l'écoute du Sénat pour améliorer le texte qui réduit les impôts et simplifie la vie des Français. (M. Hervé Marseille ironise.)

M. Jean Bizet.  - Le rêve !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Le chômage baisse et les impôts baissent.

M. Jean Bizet.  - Le paradis !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - La politique du Gouvernement n'y est pas pour rien. (M. Roger Karoutchi rit ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur plusieurs travées du groupe UC.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Roger Karoutchi.  - Et il est en forme !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Gérald Darmanin a rappelé l'historique. Que s'est-il passé à l'automne 2017 ? Jean-François Husson a alerté sur le risque de prévoir une hausse pluriannuelle de la fiscalité sur l'énergie et avait parlé de bonnets rouges et non de gilets jaunes : c'est son seul tort ! Idem l'année suivante. Le Gouvernement a continué à être sourd et aveugle... C'est dans la douleur qu'il a fini par accepter un amendement du Sénat. Je forme le voeu que vous nous écoutiez enfin. Écoutez le Sénat !

M. Julien Bargeton.  - Pas sur le prélèvement à la source.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Certains impôts baissent, il est vrai, mais le bilan de mi-quinquennat n'est pas très brillant. Le redressement des comptes publics est purement et simplement abandonné. La France vit à crédit. Les grandes masses n'évoluent guère depuis l'examen de la loi de programmation des finances publiques.

Certes, votre scénario macro-économique représente une base crédible, mais il est entouré de fortes incertitudes. Compte tenu notamment du faible dynamisme du commerce extérieur, les hypothèses de croissance devraient être revues à la baisse. En 2020, comme en 2021, le PIB croît faiblement de 1,3 %. Vous gardez une petite réserve de précaution avec le scénario d'une hausse des taux d'intérêt plus faible qu'anticipé en avril dernier. Vous prévoyez ainsi une faible hausse, à 0,7 %, des obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans fin 2020.

Mais des incertitudes macroéconomiques pèsent sur vos prévisions : Brexit, augmentation des tensions protectionnistes, risque de ralentissement de la zone euro, notamment. Le niveau de déficit serait dégradé de 0,5 point de PIB, ce qui ferait passer la dette au-delà de la barre de 100 % du PIB dès 2020.

Les chiffres sont là : le programme de stabilité, il y a dix-huit mois, prévoyait 0,9 % de déficit ; on aura 2,2 %. Pire, à l'horizon du quinquennat, le Gouvernement anticipait un solde public excédentaire de 0,3 % du PIB ; il prévoit désormais un déficit de 1,5 % du PIB à cette même date.

Certes le déficit baisse, mais cela s'explique par la réforme du CICE et par la conjoncture. Le solde structurel, lui, stagne.

M. Philippe Dallier.  - C'est zéro !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Il est strictement identique à 2019. Le Gouvernement profite de la conjoncture sur les taux d'intérêt pour réduire le déficit nominal mais ne s'attaque pas au déficit structurel.

Sur l'endettement, on prévoit 97 % du PIB. La baisse de la dette, de 0,7 % du PIB, serait dix fois moins importante que ce que vous prévoyiez il y a dix-huit mois dans le cadre du programme de stabilité. Quel écart par rapport à l'Allemagne, aux Pays-Bas, dont l'endettement était, il y a peu, de 60 % du PIB, comme le nôtre ! Aujourd'hui, il est de 54 points de PIB pour les Pays-Bas et de 47 points de PIB pour l'Allemagne. La France a continué à s'endetter contrairement aux autres pays.

Quant à l'effort de réduction des prélèvements obligatoires, il est aussi faible que sous le précédent quinquennat.

La Commission européenne craint que les prévisions budgétaires de la France pour 2020 ne présentent un risque de non-conformité par rapport aux règles européennes. (M. Jean Bizet le confirme.)

Monsieur Le Maire, vous nous disiez, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, que la France qui balaie les règles européennes d'un revers de main, c'était fini ! Mais le président de la République estime que la règle des 3 % appartient à un autre siècle... Comment pouvez-vous être pris au sérieux lorsque vous demandez aux Allemands de dépenser plus ?

La vérité, c'est qu'en cas de crise, la France, pays très endetté, n'aurait pas d'arme, ni monétaire - déjà trop utilisée - ni budgétaire disponible : on ne prête pas à un pays endetté à 100 %, contrairement à un pays comme l'Allemagne dont la dette ne dépasse pas 60 % du PIB. La situation est très claire : vous jouez avec le feu.

Le déficit de l'État est de 93 milliards d'euros, compte tenu d'une augmentation des recettes de 3 milliards d'euros et des dépenses de 7,7 milliards d'euros. La dette négociable de l'État augmentera de 81 milliards d'euros pour atteindre cette année 1 915 milliards d'euros, sans compter la reprise d'une partie de celle de SNCF-Réseau.

Cette année, nous emprunterons 205 milliards d'euros. C'est la première fois que nous empruntons plus que le produit de la TVA et de l'impôt sur le revenu.

C'est soutenable, mais que se passera-t-il en cas de retournement de la conjoncture ?

Vous affirmez que les dépenses sont inférieures à ce qui était prévu en loi de finances initiale : c'est vrai, mais la cible fixée était nettement plus élevée que celle prévue un an plus tôt par la loi de programmation des finances publiques. Le nouveau triennal s'écarte de 8 milliards d'euros des objectifs de cette dernière.

Seule mission importante en baisse, la mission « Cohésion des territoires », sous l'effet du report à l'an prochain du versement contemporain des aides au logement et grâce à la vieille ficelle du prélèvement sur la trésorerie d'Action Logement de 500 millions d'euros. C'est artificiel.

Les effectifs de l'État devaient baisser de 50 000 sur le quinquennat ; ils baissent cette année de 47 emplois seulement, en comptant les opérateurs car sans eux, les effectifs augmentent. Nous sommes très loin des objectifs affichés en 2018.

Le texte comporte plus de 200 articles. Certes nous baissons la pression fiscale sur le ménage.

M. Julien Bargeton.  - Quand même !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Mais pour la baisse de l'impôt sur les sociétés, la pente est révisée pour la deuxième fois en deux ans, ce qui laisse penser qu'il sera bien difficile d'atteindre réellement le taux de 25 % en 2022.

Nous sommes très loin du verdissement du budget. La fiscalité écologique cache de nouvelles recettes de rendement. Le Sénat vous le dit une fois de plus : une fiscalité environnementale ne peut être acceptée si elle vise surtout à fournir des recettes. Elle doit être juste et traçable et prendre en compte les contraintes des territoires, notamment ruraux.

L'application du schéma des compensations de la suppression de la taxe d'habitation est prématurée. Le Sénat vous proposera d'attendre et de décaler d'un an l'entrée en vigueur de la réforme. Aujourd'hui, elle ne fonctionne pas. Ne la votons pas à l'aveugle.

L'expérience de ces deux dernières années le montre : nos propositions sont raisonnables. Écoutez le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Victoire Jasmin et M. Yvon Collin applaudissent également.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.) Après un long temps de travail en commission, je salue l'implication de ses membres, du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux. Ils ont entendu 488 personnes pendant plus de 200 heures d'audition, la commission s'étant réunie pendant 40 heures en plénière - et je ne parle pas des commissions pour avis. Ces travaux préparatoires éclaireront utilement nos débats pendant les 20 jours que la Constitution nous impartit.

Ce projet de loi de finances s'inscrit dans un contexte de ralentissement économique marqué. La croissance, qui était de 2,3 % en 2017, ne serait plus que de 1,4 % en 2019 et 1,3 % en 2020.

Incertitudes internationales et européennes, Brexit, risques liés aux conflits sociaux en France : de nombreux aléas pèsent sur les prévisions de croissance et incitent à la prudence en cas de retournement de conjoncture qui pèserait sur nos finances publiques. Or ce projet de loi de finances en manque considérablement. Il ne laisse aucune marge de manoeuvre au Gouvernement en cas de crise. Il s'écarte de la loi de programmation des finances publiques que le Gouvernement a choisi de ne pas réviser pour ne pas montrer l'ampleur de ses renoncements. Malgré des taux d'intérêt très bas qui allègent considérablement le service de la dette - elle devrait diminuer de 3 milliards d'euros en deux ans -, l'endettement public frôlera les 100 % du PIB en 2020, à rebours de la réduction qui avait été annoncée.

Nous examinons un budget de renoncement. L'objectif de revenir à l'équilibre avant la fin du quinquennat est définitivement abandonné, comme le renoncement aux règles européennes : le président de la République considère d'ailleurs le pacte de stabilité comme une règle d'un autre siècle.

M. Jean Bizet.  - Curieux !

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - Paradoxalement, la France appelle l'Allemagne à renoncer à son équilibre budgétaire.

Le Gouvernement, qui se targuait à l'été 2017 d'engager un mouvement sans précédent de baisse de la dépense publique et de réduction des effectifs de l'État de 50 000 postes, a dû finalement se confronter à la dure réalité. Nos concitoyens demandent un véritable socle de services publics.

Après un budget 2019 présenté à tort comme celui du pouvoir d'achat, celui de 2020 est donc celui du renoncement et du statu quo face aux inégalités. Le Gouvernement choisit d'abord d'agir sur les aides sociales et l'assurance chômage. Seules des manifestations d'ampleur forcent le Gouvernement à répondre à la demande sociale, de manière brouillonne et désordonnée, comme le prétendu plan Hôpital le montre. Aucune vision d'ensemble n'est proposée.

Le Gouvernement n'a pas renoncé à baisser les impôts, mais à crédit, en augmentant le déficit budgétaire et en privatisant. On privilégie les intérêts de court terme. Les baisses d'impôts visent en priorité les entreprises et les ménages les plus aisés. Avec le rapporteur général, j'ai mené une étude sur le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et sur la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Rien ne permet de mesurer le fameux ruissellement. Au total, les contribuables les plus fortunés auront nettement profité de ces réformes sans rien donner en retour. Une étude de l'Institut des politiques publiques sur l'effet cumulé des budgets 2018-2020 montre qu'il n'y a eu aucun gain ou presque pour les 20 % les plus pauvres, mais une hausse de 4 % des revenus disponibles pour le premier centile des contribuables les plus riches. L'Insee vient de faire paraître une note qui le confirme. Je propose de revenir sur ce système néfaste, afin de répondre à la demande d'équité fiscale des Français. Tous les contribuables doivent contribuer à la solidarité nationale, même les plus aisés.

La suppression de la taxe d'habitation ne va pas changer cela : les plus modestes en étaient exonérés. Quelque 44,6 % des 17,6 milliards d'euros que cette réforme coûte bénéficieront aux 20 % des plus riches. En outre, les collectivités territoriales demandent des garanties sur la pérennité de leurs ressources. Nous en reparlerons lors de l'examen de l'article 5.

Le Gouvernement doit définir une stratégie en matière de fiscalité environnementale. Entre le renoncement précipité à la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le coût sur les ménages les plus modestes était excessif, et les péripéties sur les biocarburants, la ligne n'est pas claire. Nous devons rapprocher nos dispositifs fiscaux des deux objectifs que sont l'équité et l'utilité de l'action publique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°I-639, présentée par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2020.

M. Pascal Savoldelli .  - Si nous déposons cette motion, ce n'est pas pour empêcher le débat (Exclamations amusées à droite) mais parce que ce projet de loi de finances relève d'une profonde insincérité politique vis à vis des Français et de leurs aspirations. Cette question préalable, c'est le peuple qui vous la pose.

Le Gouvernement ne tient pas compte des mouvements sociaux inédits qui ont marqué l'année 2019.

Les associations féministes demandaient 1 milliard d'euros supplémentaires : elles n'auront droit qu'à un Grenelle tandis que les crédits de la mission « Égalité entre les hommes et les femmes » baissent ! Alors que les étudiants alertent sur leur précarité, le budget de l'enseignement supérieur baisse pour la première fois depuis 2008 (M. Gérald Darmanin, ministre, le conteste.) quand le nombre d'étudiants augmente !

Le Gouvernement répond à la colère sociale par un jeu de dupes : baisse de l'impôt sur le revenu payé seulement par 50 % des ménages, mais pas de la TVA sur les produits de première nécessité, ni baisse des tarifs de l'énergie. Quand la fin du mois commence le 15, ces 20 % de taxes sont autant de repas en mois, de jours passés dans le froid...

Le président Macron s'émeut du film « Les Misérables », mais divise par deux les crédits de la vie associative, pourtant essentiels dans le soutien scolaire ou l'accès au sport et à la culture. Qu'il écoute donc Kerry James : « Incapables de voir loin, on veut pas le bien, on veut le gain, quitte à détruire l'intérêt commun ».

Les prétendues baisses d'impôt que le Gouvernement concède ne sont financées que par les taux d'intérêt négatifs. Il reprendra demain, pour financer la hausse de la charge de la dette, ce qu'il donne aujourd'hui.

Quant aux difficultés des campagnes et des zones périurbaines, le Gouvernement n'en tient aucun compte. Si la misère n'est pas sublimée par l'art, elle reste invisible à ses yeux...

Nos communes et départements sont devenus les derniers remparts contre un libéralisme destructeur. Pourtant, le Gouvernement compte bien les mettre au pas. Emmanuel Macron a fustigé au Congrès des maires, l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Si celles-ci deviennent de simples guichets de l'État, qu'adviendra-t-il des centres de santé, des bibliothèques, du logement social, des équipements sportifs et culturels ?

Le projet du Gouvernement n'est pas le progrès social et humain mais bien la transformation libérale de l'État à tous les échelons. Après la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) aux communes de 41 milliards d'euros en 2013 à 26 milliards d'euros, après la loi NOTRe...

M. Philippe Dallier.  - Merci Hollande !

M. Pascal Savoldelli.  - ... les contrats de Cahors et la suppression de la taxe d'habitation opèrent une nouvelle mise au pas des collectivités territoriales, au détriment des politiques de solidarité et des services municipaux.

Le mécanisme de compensation est non seulement illisible mais il se fonde sur des valeurs locatives datées. C'est une arnaque ! Et l'on voudrait la faire passer pour une mesure de justice sociale ? L'exonération a été étendue aux 20 % des foyers les plus aisés.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - C'est le Conseil constitutionnel !

M. Pascal Savoldelli.  - Ainsi, 45 % du coût total de la réforme bénéficiera à ces 6,3 millions de foyers qui n'en ont pas besoin...

Le Gouvernement avance masqué : son objectif est d'appliquer aux collectivités la même transformation qu'à l'État, une destruction de l'État social au profit d'un simple lieu d'administration des affaires du CAC 40, piloté par des hauts fonctionnaires qui passent du public au privé et inversement.

Après les élections municipales - comme par hasard  - Mme Gourault présentera son projet 3D pour des collectivités qui pourront se « différencier » pour mieux se concurrencer. C'est un choix de société lourd de sens, où la solidarité cède à la concurrence de tous contre tous et au darwinisme social.

Les miettes lâchées aux étudiants ou au personnel hospitalier confirment la faiblesse d'un Gouvernement qui était minoritaire et qui le demeure. Le régime est en bout de course, acculé par les contestations sociales, et nous conduit au désastre. Votons la motion préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Vous ne souhaitez pas nous priver de débat, dites-vous, mais telle serait pourtant la conséquence automatique de l'adoption de votre motion. Ce serait dommage, avec plus de 1 200 amendements, dont plusieurs de votre groupe ! (Mme Éliane Assassi sourit.) Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je veux corriger quelques contrevérités flagrantes. Le budget de la recherche et de l'enseignement supérieur ne baisse pas, il augmente de 500 millions d'euros, y compris l'enveloppe destinée à la vie étudiante. Tout augmente dans le budget de Mme Vidal, les documents budgétaires en attestent.

Celui de Mme Schiappa ne baisse pas, il est stable.

Mme Éliane Assassi.  - Il baisse !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Non, lisez le texte transmis par l'Assemblée nationale.

Les 20 % les plus aisés n'auraient pas besoin d'être exonérés de taxe d'habitation ? Un célibataire percevant 2 500 euros par mois serait donc très aisé ? Je ne le pense pas.

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - Moi non plus. Mais en dessous de ce seuil, il n'y a pas de gain à la réforme !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Vous imputez la décision au Gouvernement mais c'est le Conseil constitutionnel, saisi par le Sénat, qui a exigé la suppression de la taxe d'habitation pour tous.

M. Philippe Dallier.  - On vous l'avait bien dit !

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Enfin, les collectivités territoriales - et singulièrement votre département, monsieur Savoldelli - n'ont jamais autant investi. Jamais l'investissement public n'a été aussi haut !

M. Stéphane Piednoir.  - Ce n'est pas vrai.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Évitons les contre-vérités et étudions au fond le projet de loi de finances. Avis défavorable.

M. Thierry Carcenac.  - Nous comprenons la position de nos collègues du groupe communiste sur l'absence d'ambition du Gouvernement, mais nous souhaitons débattre du texte. Nos amendements permettront de voir qui souhaite vraiment plus de justice sociale, qui veut lutter contre l'enrichissement des plus aisés. Nous ne voterons pas la motion.

M. Pascal Savoldelli.  - Nous avons des divergences d'analyse, mais nous restons au Sénat dans le respect et à l'écoute. Mon propos sur la taxe d'habitation et sur la taxe foncière sur les propriétés bâties ne traduit pas l'opinion de mon groupe, mais celle du Sénat unanime. Quelle autonomie fiscale pour les départements, privés de taxe foncière sur les propriétés bâties, et pour les communes, auxquelles on retire la taxe d'habitation ? C'est une recentralisation ! La fin de l'autonomie fiscale, c'est la fin de la libre administration des collectivités territoriales, au mépris de la Constitution ! (M. Laurent Duplomb approuve.)

Les électeurs sont attachés à ce principe car il y a un lien intime entre démocratie et impôt.

Mme la présidente.  - Votre temps de parole est écoulé.

M. Pascal Savoldelli.  - Le CICE, l'IFI, autant de tours de passe-passe de ce Gouvernement ! (M. Éric Bocquet applaudit.)

M. Philippe Dallier.  - Nous ne voterons pas non plus cette question préalable. Nos collègues communistes voulaient bénéficier de dix minutes de temps de parole supplémentaires, mais souhaitent en réalité que nous examinions le texte. (Sourires)

Rarement l'écart aura été tel entre l'autosatisfaction du Gouvernement et la situation décrite par le rapporteur général. (M. Laurent Duplomb renchérit.) Avec les conflits sociaux, les grèves qui s'annoncent, pensez-vous vraiment la situation si brillante ? Certes, le pays va un peu mieux que sous le quinquennat de François Hollande... (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et indignées sur celles du groupe SOCR)

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas difficile !

M. Philippe Dallier.  - ... mais on est loin de ce qu'il faudrait faire, au vu de l'urgence. Il y a matière à débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

La motion n°I-639 est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°40 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption   16
Contre 324

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - Nous entamerons demain l'examen des articles de la première partie. Je vous informe que nous demanderons d'examiner en priorité les articles premier et 9 à 15 - hormis le 13 bis examiné - à l'ouverture de la séance, à 14 h 30.

Les articles 2 à 5, hormis l'article 4, seront examinés samedi matin ; les articles 4, 13 bis, 16, 16 ter, 17, 18, 19, 20, 28, 28 bis, 32 et 33 seront examinés à l'ouverture de la séance du lundi 25 novembre après-midi.

Les autres seront examinés dans l'ordre normal du dérouleur.

Ces demandes de priorité et de réserves incluent les amendements portant articles additionnels liés aux articles concernés.

Discussion générale (Suite)

M. Julien Bargeton .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Ce projet de loi de budget baisse les impôts, réduit le déficit, stabilise la dette, maîtrise les dépenses tout en préservant les services publics. Il ne mérite pas tant de critiques, dont la véhémence est inversement proportionnelle à la portée.

La réforme de la taxe d'habitation était un engagement fort du président de la République.

M. Philippe Dallier.  - Hasardeux !

M. Julien Bargeton.  - Elle est contestée, mais je note qu'aucun amendement n'en propose la suppression. Les maires voulaient une compensation dynamique : c'est le cas. Liberté de taux, compensation à l'euro près, tout cela figure dans le texte !

Nous nous réjouissons du gain de pouvoir d'achat pour les ménages - notamment en Vendée, premier bénéficiaire de la réforme.

M. Bruno Retailleau.  - Merci d'avoir pensé aux Vendéens ! (Sourires)

M. Jean-François Husson.  - Quelle délicate attention !

M. Julien Bargeton.  - Baisse de 5 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés à 25 % d'ici 2022, heures supplémentaires défiscalisées. Nous sommes loin du choc fiscal du quinquennat précédent, quand les prélèvements obligatoires ont augmenté de 65 milliards d'euros ! La baisse des impôts a permis de réguler le chômage et de créer 540 000 emplois, c'est une bonne trajectoire. Elle était indispensable pour affermir le consentement à l'impôt, pilier de la République. Baisse des impôts et lutte contre la fraude fiscale vont de pair. Le prélèvement à la source y participe. Heureusement que le Sénat n'a pas été écouté sur ce sujet !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - On paye juste plus d'impôts...

M. Julien Bargeton.  - Je suis aussi favorable aux mesures de lutte contre la fraude fiscale. L'État ne doit pas baisser la garde face aux géants du numérique. Il faut faire du judo, utiliser la puissance des outils numériques pour combattre la fraude. Sur ce point, le Sénat a proposé des solutions intéressantes concernant les plateformes.

N'en déplaise à certains à gauche, les prélèvements obligatoires restent trop élevés en France. Il faut les réduire, de manière mesurée et progressive, surtout pas les augmenter ! Question de crédibilité et de cohérence.

La cohérence, c'est aussi d'opérer des économies.

Mais proposer, comme le fait la majorité sénatoriale, de modifier d'un trait de plume le temps de travail des agents de la fonction publique...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - C'est la Cour des comptes !

M. Julien Bargeton.  - ... sans dialogue préalable avec les organisations syndicales, alors que vous demandez que l'on respecte les corps intermédiaires, n'est ni crédible ni sérieux. Quant à l'AME, il faut certes la contrôler, mais sans en faire un totem ou un tabou.

Combien d'amendements aggravant ou créant des niches fiscales ! La fiscalité ne sera jamais un jardin à la française, mais la jungle est suffisamment touffue pour ne pas en rajouter dans la complexité. Il y va de la crédibilité de la France devant l'Europe. Ce n'est pas Bruxelles qui contraint la France à redresser ses finances publiques, c'est la situation du pays ! Certes, le déficit est à 2,2 %. C'est au moment où il est au plus bas depuis vingt ans qu'on peut discuter de la règle ! C'est au moment où il y a des investissements puissants à faire dans la défense, le numérique, l'écologie qu'il faut poser le débat. Et cela n'empêche pas de continuer à maîtriser le déficit public. (M. le rapporteur général s'exclame.)

Selon Alfred Sauvy, « le but de la démocratie, ce n'est pas de s'entendre mais de savoir se diviser ». C'est bien parti pour... Ce débat doit éclairer. Il ne doit pas être convenu mais courtois si l'on veut avancer. Il y va de la crédibilité de notre pays. Poursuivons avec constance, cohérence et clarté. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Philippe Adnot .  - Inutile de revenir sur la réforme de la taxe d'habitation car la haute administration, figée dans ses certitudes, n'écoutera rien.

M. Bruno Sido.  - Alors on s'en va !

M. Philippe Adnot.  - Cette suppression était un engagement de campagne, absurde, qui coûtera cher à l'État et aux contribuables et qui porte atteinte à l'autonomie des collectivités locales. Plutôt qu'un cadeau à ceux qui payent une forte taxe d'habitation, mieux valait un allègement forfaitaire pour tous les contribuables. Les 20 milliards d'euros que coûtera chaque année à l'État la suppression de la taxe d'habitation sont un déficit supplémentaire qui sera financé par l'emprunt.

Vous privez les collectivités territoriales d'un levier responsabilisant. Les maires ne pourront plus calmer les ardeurs dépensières... Les impôts fonciers ne concernent pas tout le monde : la spécialisation de l'impôt, c'est l'injustice garantie. Faute d'avoir réussi à supprimer les communes, vous avez inventé une arme de destruction massive : la déresponsabilisation.

L'État impécunieux ne profite pas des taux bas pour réaliser des investissements structurels. On utilise des artifices - la reprise de la dette de la SNCF n'apparaîtra pas dans le déficit de l'État !

La mesure sur le mécénat témoigne de l'absence de vision de nos élites comptables. En diminuant de 60 à 40 % les exonérations au-delà de 2 millions d'euros, on économisera certes quelques millions... Notre-Dame de Paris brûle, l'État est son propre assureur - heureusement que les citoyens se mobilisent !

De nombreuses chaires de l'enseignement supérieur sont financées par les entreprises. Certes, c'est au-delà de 2 millions d'euros de dons que diminue le taux, mais c'est le cumul des dons qui importe. Demain, de nombreuses universités verront leur financement diminuer... Tous les autres pays ont cette dynamique, et nous la remettons en cause !

J'approuve sans réserve la position de la commission des finances : pas d'application de la taxe d'habitation tant qu'on n'en connaîtra pas toutes les conséquences, et supprimons l'article sur le mécénat qui méconnait l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)

M. Éric Bocquet .  - Le Gouvernement vante ce budget comme une réponse aux gilets jaunes. Ce mouvement est l'expression d'une crise sociale profonde, pas un mouvement passager. Nos concitoyens ne supportent plus un pouvoir jugé technocratique et arrogant, guidé par ses tableaux Excel plus que par la vie réelle. Notre société est profondément fracturée, entre des premiers de cordée et « ceux qui ne sont rien ». La France périphérique se révolte.

La République va mal car les inégalités se creusent. Et votre politique aggrave la situation. En 2018, le taux de pauvreté a augmenté de 0,6 %, près d'un Français sur sept vit sous le seuil de pauvreté, alors que la France est la sixième puissance mondiale et la troisième puissance européenne. Quelque 400 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, et l'on compte 9 millions de pauvres en France, chiffre qui n'a été dépassé qu'à deux reprises : en 1996 et en 2011.

Et pour les premiers de cordée ? Tout va bien, merci pour eux ! Ils se félicitent des mesures socio-fiscales de 2018, surtout les 10 % les plus riches, dont le niveau de vie a augmenté de 790 euros par an, contre 230 euros pour les autres.

Les plus grands bénéficiaires sont les détenteurs de capital. Le remplacement de l'ISF par l'IFI rapporte 10 000 euros. L'effet cumulé de vos mesures aura été d'augmenter encore la fortune des 0,1 % les plus riches, les foyers dont le revenu annuel excède les 700 000 euros !

Après le grand débat, on a promis l'acte deux du quinquennat, le virage social. Votre récit est peaufiné et colporté à l'envi via les medias. En réalité, vous ne revenez pas sur les mesures fiscales pour les plus riches : c'est une pause tactique plus qu'un tournant social.

Vous promettez une baisse d'impôt, cela signifie une cure d'austérité pour les services publics, moins de crédits pour faire face à l'urgence sociale et climatique. Vous baissez l'impôt sur les sociétés alors que les grands groupes continuent à délocaliser. Ce cadeau pour le capital, c'est 2,5 milliards d'euros en moins pour nos hôpitaux, nos retraités, nos communes...

Le problème, ce n'est pas l'impôt mais l'injustice fiscale !

Henry Morgenthau, secrétaire d'État sous Roosevelt, disait « l'impôt est le prix à payer pour vivre dans un monde civilisé ». Personne ne doit y échapper, notamment les contribuables les plus importants.

Où en est le rapport de la mission de la Cour des comptes sur la fraude fiscale, qui aurait dû être remis avant le débat du projet de loi de finances ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Le 2 décembre !

M. Éric Bocquet.  - Rien sur l'évasion fiscale dans ce budget. Estimez-vous que le problème est réglé ?

Nous proposerons le rétablissement de l'ISF, la progressivité de l'impôt, la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité et sa hausse sur les produits de luxe - dont le chiffre d'affaires a augmenté de plus de 10 % en 2018.

Ce sont les plus modestes qui pâtiront de vos choix, d'autant qu'ils ne profitent pas des baisses d'impôt, n'étant pas imposables. Vous faites des économies sur la santé, le logement, l'assurance chômage, les APL, la vie étudiante, les services publics de proximité ; vous vendez les bijoux de famille, Aéroports de Paris et Française des Jeux. Pour que le travail paie, il faut passer par la CAF, la prime d'activité, les allègements de cotisations sociales - bref, la solidarité nationale paye les augmentations de salaire tandis que la distribution de dividendes bat des records.

Vous mettez en avant la restitution du pouvoir d'achat par la suppression de la taxe d'habitation ; très bien, mais avec quelles conséquences pour les collectivités territoriales, qui ont dit leur hostilité à un remplacement par la taxe foncière ? D'autant que vous prenez comme année de référence 2017 et non 2019 ! Les présidents de département y sont opposés, alors que les départements connaissent des situations financières très tendues. La compensation des pertes par une part de TVA les prive de toute liberté, puisque seul l'État en maîtrise le taux. On nous promet la compensation à l'euro près ? Les élus sont échaudés... Non, monsieur le ministre, le compte n'y est pas pour les départements.

Dans les territoires ruraux, la disparition des services publics se confirme. Ce projet de budget ignore l'urgence climatique autant que l'urgence sociale. Certes, il y a 800 millions d'euros de plus pour la transition écologique et Bercy a distribué un petit livre vert, mais c'est 30 milliards qu'il faudrait investir ! Les taux sont négatifs pour les prêts jusqu'à quinze ans. C'est le moment d'en profiter ! Il faut rénover 700 000 logements par an - nous en sommes péniblement à 200 000 - qui sont des passoires thermiques.

Il y a si peu dans ce budget pour le ferroviaire, rien pour le fret. Vous devriez accompagner les collectivités territoriales qui s'engagent vers la gratuité des transports collectifs.

La réduction dogmatique de la dépense publique nous a menés dans l'impasse. Messieurs les ministres, changez votre logiciel et attaquez-vous aux 500 niches fiscales. Le CICE aurait couté 100 milliards d'euros depuis sa création pour 130 000 emplois seulement. L'évitement de l'impôt représente des dizaines de milliards d'euros qui échappent à la collectivité. Luttons contre ces pratiques scandaleuses ! Nous déposerons un amendement pour créer un observatoire de la fraude fiscale, excellente idée que le Gouvernement ne manquera pas de soutenir. (Mme Nathalie Goulet approuve.) En France, la multiplication des affaires montre que la fraude se sophistique, alors que le nombre de contrôles fiscaux diminue. Toujours cet écart entre une communication brillante et les choix faits par votre Gouvernement....

Un budget doit être l'outil de la justice sociale et de la justice fiscale. M. Macron, « président des riches » : vous aurez du mal à vous débarrasser de cette étiquette qui collera comme le sparadrap du capitaine Haddock. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Claude Malhuret .  - « Point de banqueroute. Point d'augmentation d'impositions. Point d'emprunts. Pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen. C'est de réduire la dépense au-dessous de la recette. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l'État à la faillite. » Ce sont les mots de Turgot, présentant son plan d'action à Louis XVI pour restaurer la crédibilité de l'État face à la colère qui montait. Il n'eut que deux ans avant que Louis XVI ne le congédie, cédant aux sirènes de l'emprunt et de la dette. On connaît la suite. (Exclamations amusées à droite)

M. Philippe Dallier.  - Et la fin !

Mme Catherine Procaccia.  - Ce n'est guère optimiste !

M. Claude Malhuret.  - Deux ans ne vous suffiront pas pour assainir les finances publiques... Nous devons redoubler d'effort pour tirer un trait sur des décennies d'incurie budgétaire. Ne cédons ni au défaitisme, ni au triomphalisme. La barre des 100 % du PIB reste au-dessus de notre dette comme un bonnet d'âne au-dessus de nos têtes.

Certes, le Gouvernement a repris la barre, les voyants économiques sont revenus au vert, la croissance s'établit à 1,2 %, résiliente là où la machine allemande commence à se gripper. Les prélèvements obligatoires sont contenus sous la barre des 45 % du PIB et le ratio de dépense publique reflue, à 53 % ; le déficit public reste dans les clous de Maastricht.

La procédure européenne de déficit budgétaire excessif est derrière nous. Nous avons rassuré nos voisins sur la fiabilité de notre modèle économique et social. Mais la France reste encore un mauvais élève en matière de déficit public ; la Commission européenne, tout en litote, évoque un « risque de dérapage significatif des comptes publics par rapport aux ajustements requis ». Nos partenaires ont su profiter du contexte macroéconomique favorable pour redresser leur situation - ce n'est pas le cas de la France.

L'État porte seul le déficit public, restant dans le rouge quand les administrations locales et la sécurité sociale affichent des soldes excédentaires. Gare à la remontée des taux : les créanciers ont toujours meilleure mémoire que les débiteurs.

Le Sénat a bien sûr le regard rivé sur la réforme de la fiscalité locale. La bataille des chiffres n'a pas encore débuté que les communes craignent d'avoir perdu la partie. Le coefficient correcteur pour compenser le transfert de la taxe d'habitation vers le budget de l'État, dit « coco », ne suffira probablement pas. Avec un coco, on n'est jamais à l'abri de mauvaises surprises. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pascal Savoldelli proteste.)

Les Français font encore confiance aux maires et refusent que les collectivités territoriales perdent au change. Nous y serons attentifs. Les collectivités dégagent désormais des excédents bancaires. Elles redoutent de perdre la main sur leurs recettes et de se retrouver dépendantes de l'État. La question des valeurs locatives n'est pas un détail technique.

Je n'ignore pas les raisons qui conduisent à de tels arbitrages. Vous avez le courage de mener une politique de pouvoir d'achat en réduisant la pression fiscale sur les ménages sans laisser filer la dette, heureusement aidés par la conjoncture économique et les taux bas. La baisse d'impôt est salutaire, je vous félicite d'avoir fait vôtre notre proposition de l'an passé. Si le travail est pour les hommes un trésor, les Français commençaient à croire que l'État se l'accaparait.

La paix sociale exige que le travail soit mieux rémunéré et que les impôts soient bien payés en France. C'est pourquoi notre groupe ne s'oppose pas à la domiciliation fiscale des dirigeants d'entreprises françaises. On peut à la fois relocaliser et l'impôt et le travail. Nous soutiendrons également la suppression des taxes à faible rendement et des niches fiscales. Turgot avait déjà identifié les obstacles : « Chaque ordonnateur soutiendra que toutes les dépenses particulières sont indispensables » écrivait-il au roi, mais « il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l'économie. »

Les Français aiment l'État qui donne et détestent celui qui prend, mais peu se souviennent que ce sont les deux facettes d'une même pièce. L'État est vu, non sans quelque raison, comme un monstre à deux bras inégaux, l'un très long pour prendre, l'autre très court pour donner.

Si Oscar Wilde disait que le mariage était la principale cause de divorce, on pourrait dire que les dépenses publiques sont les principales causes des impôts : tout le reste est mensonge sur lequel fini par germer la haine d'un autre fantasmé, des responsables politiques aux riches en passant par les chômeurs ou les étrangers.

Alors qu'à la veille du 5 décembre, il est plus difficile de trouver en France un esprit tranquille qu'un trèfle à quatre feuilles, le Gouvernement doit composer avec une urgence plus grande encore que la réduction de la dette publique : le dérèglement climatique.

On entend qu'il faudrait sortir des critères de Maastricht toutes les dépenses qui contribuent à la transition écologique. On comprend bien l'intention, mais la mise en oeuvre est difficile. À moins de la dicter directement de Bercy, comme le voudrait le leader minimo de la France soumise à Cuba. (M. Jérôme Bascher et Mme Sylvie Goy-Chavent approuvent ; sourires à droite.) L'urgence climatique nous met face à nos contradictions. Nous savons tous qu'il n'y a pas d'alternative : dette climatique, dette publique, même combat. « La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur » écrivait Valéry.

Les mesures de fiscalité écologique que vous proposez vont dans le bon sens, car elles touchent au logement et aux transports. Nous les soutiendrons.

Il est toujours plus confortable d'envisager que la seule solution pour s'adapter au monde de demain est de faire table rase du passé. Ce serait la pire erreur d'oublier le monde d'hier pour penser le monde de demain. Les réformes en faveur de la lutte contre les dettes publiques et climatiques vont dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voici un an éclatait à Paris et partout dans les départements une crise sociale d'ampleur. D'importantes mesures de soutien au pouvoir d'achat ont été prises...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Sur proposition du Sénat !

M. Bernard Delcros.  - ... pour répondre au sentiment d'injustice sociale fiscale et territoriale exprimée avec colère par les Français.

M. Jean-François Husson.  - Et écologiques !

M. Bernard Delcros.  - Derrière les dépenses publiques auxquelles nous consentons, c'est l'humain qui prime. Bien sûr, nous tenons à l'objectif du redressement des comptes publics. Cependant, ne nous trompons pas : nous n'y arriverons pas sans une politique de réduction des inégalités. Pourquoi continuer de poursuivre un illusoire objectif de réduction des effectifs d'agents publics, alors que nous avons besoin d'agents hospitaliers, d'enseignants, de policiers et de gendarmes ? (M. Julien Bargeton le confirme.) Même si des redéploiements sont nécessaires et des économies possibles dans les agences et organismes satellites de l'État, nous ne pouvons pas casser le service public.

D'autres marges de manoeuvre existent comme la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales qui a fourni 40 % de recettes supplémentaires depuis l'an dernier, soit 5,6 milliards. Nathalie Goulet y reviendra.

Cette loi de finances doit tenir compte de la réalité sociale sans perdre de vue le redressement des comptes publics. Le déficit a baissé, mais reste élevé.

La baisse de 5 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu se fait au profit des premières tranches d'imposition. L'impôt sur les sociétés va continuer à baisser tandis que la suppression de la taxe d'habitation concernera 80 % des ménages en 2020 et la totalité en 2023. Elle donnera du pouvoir d'achat aux Français.

La réforme de la fiscalité locale se fera selon des modalités assez proches de celles proposées par le Sénat en 2018. Le mécanisme de compensation, qui a suscité l'inquiétude des élus locaux, substituera au montant de taxe d'habitation perdu une nouvelle recette fiscale : les communes recevront la TFPB ; les départements et les intercommunalités bénéficieront de l'effet péréquateur d'une part de TVA reversée. Élu du Cantal, je connais les limites d'une stricte autonomie financière, illusoire.

M. Julien Bargeton.  - Bravo !

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Bernard Delcros.  - Enfin, la hausse de la péréquation pour les communes et les départements renforce la solidarité en faveur des collectivités territoriales les plus fragiles.

Des corrections s'imposent. Le risque de variation du potentiel financier de l'ensemble des collectivités sous l'effet de la suppression de la taxe d'habitation devra être neutralisé.

Mme Nathalie Goulet.  - C'est la double peine !

M. Bernard Delcros.  - Le Cantal verrait ainsi son potentiel financier s'accroître de 12 % et Paris le verrait baisser de 40 %. Il faut absolument éviter cela !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - La réforme n'est pas aboutie, il faut repousser son application.

M. Bernard Delcros.  - Les valeurs locatives qui serviront de référence devraient être revalorisées, et ce n'est pas le cas. Le 0,9 % voté à l'Assemblée nationale marque un progrès, mais ce n'est pas suffisant. Enfin, les ressources des départements sur la durée devront être garanties.

Notre groupe contribuera activement au débat budgétaire qui s'ouvre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Josiane Costes, MM. Bernard Buis et Arnaud de Belenet applaudissent également.)

M. Yvon Collin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) C'est dans un contexte international incertain que nous examinons ce projet de loi de finances. Le ni oui ni non britannique, l'impact des crises au Moyen-Orient sur le cours des hydrocarbures et les tensions sino-américaines coûteront 0,5 point de croissance en France en 2020.

La réduction du déficit budgétaire doit pourtant être poursuivie. Le retour sous la barre des 3 % est intervenu en 2017 et la perspective d'un déficit à 2,2 % est réjouissante. La dette publique décroît, mais pas assez vite, malgré des taux d'intérêt très bas.

L'exercice budgétaire requiert de digérer les aléas sociaux et économiques au plus vite, mais il est important de réduire au plus vite notre déficit structurel. Pour mettre en oeuvre une politique la plus équitable possible, et éviter ainsi que n'éclatent des colères contenues, le texte prévoit une baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros au bénéfice des classes moyennes.

L'équité est aussi un principe qui devrait s'appliquer aux niches fiscales : il serait temps d'en évaluer l'efficacité et la légitimité pécuniaire de leurs bénéficiaires.

L'équité doit aussi s'appliquer aux entreprises. Le commerce physique est imposé à hauteur de 47,3 milliards d'euros contre 67 millions seulement pour les Gafa. Je proposerai de substituer à la taxe sur les surfaces commerciales une taxe sur les entrepôts des plateformes de vente en ligne. Le commerce physique génère 2,8 millions d'emplois et contribue au dynamisme de notre pays.

Je salue le maintien de la baisse de l'impôt sur les sociétés qui atteindra un milliard d'euros en 2020. Néanmoins, la réduction du versement des entreprises pour le mécénat et la modification des modalités de calcul du crédit CIR sont regrettables. Il ne faut pas reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre...

Mes amendements concerneront les opérateurs de télécommunications et l'aviation civile. Pour les premiers, un aménagement de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) ou de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) serait une bonne chose, à l'heure où le Gouvernement souhaite que tout le territoire soit couvert.

En matière de transport aérien, l'objectif est de réduire de 50 % les émissions de CO2 à horizon 2050. Les compagnies ont besoin d'être soutenues pour y parvenir et pour ne pas grever leur compétitivité.

Les collectivités locales constatent une régression de leurs ressources alors que vous plaidez une stabilité des dotations. Qu'en est-il ? Nous attendons une politique efficace pour notre pays qui va mal. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Emmanuel Macron a été élu sur deux engagements : la réconciliation des Français et la transformation de la France. Or on en est à parler d'archipélisation, de fracture entre un bloc élitaire et un bloc populaire.

Pour ce qui est de la transformation de la France, nous voici au troisième projet de loi de finances qui témoigne d'une politique économique budgétaire et fiscale dont on peut mettre en doute l'efficacité pour préparer l'avenir.

Faut-il nous réjouir des meilleures performances françaises par rapport à nos voisins allemands ? Nous devrions avoir le triomphe modeste car nous ne sommes protégés que par nos faiblesses. C'est notre addiction à la dépense publique qui nourrit le peu de croissance qui est la nôtre. Exportant peu, notre exposition aux difficultés du commerce international est moindre...

Ces faiblesses structurelles nous protègent, mais expliquent aussi que nous soyons à la traîne de l'Europe, avec un chômage deux fois plus élevé que dans les grandes économies occidentales.

Nous sommes toujours les champions du monde de la dépense publique : nous ne faisons pas mieux que sous le quinquennat précédent. Et que dire des 190 milliards d'euros de dette supplémentaire que rien ne justifie ? Le taux d'investissement public baisse de même que celui des ménages.

On pourrait donner un satisfecit sur la baisse d'impôt. Cependant, ces baisses cachent d'autres hausses d'impôt, sur le bonus-malus par exemple. Dans le cadre de la désindexation, les familles et les retraités vont contribuer à hauteur d'un milliard au budget de l'État. Les générations futures que nous sommes en train d'endetter nous le reprocheront.

Ce budget répond-il à la question du pouvoir d'achat et à celui de la transition écologique ? Je ne le crois pas. D'où vient le sentiment général en France d'une forme de paupérisation ? Les gilets jaunes disent habiter un entre-deux, ni assez riches pour profiter ni assez pauvres pour percevoir des aides, ils ont occupé les ronds-points, ces non lieux dont ils font un quelque part.

Emmanuel Macron leur répond en ouvrant les vannes de la dépense publique. Cette solution n'est pas soutenable à moyen terme et ne traite pas les causes profondes : la croissance molle qui pèse sur notre économie, la désindustrialisation française qui fait baisser les salaires de 40 000 à 28 000 euros. La solution serait une croissance potentielle plus élevée, un effort sur l'offre de travail aussi bien pour les seniors que pour les plus jeunes. C'est d'ailleurs pour cela que nous proposons de reculer l'âge légal de la retraite. La croissance potentielle, c'est la productivité multipliée par l'offre de travail : or nos entreprises supportent 18 points de PIB de charges, contre 9 en Allemagne et 11 en moyenne dans la zone euro.

Enfin, Jean-François Husson nous rappelait, dans une question d'actualité au Gouvernement, la condamnation de la France fin octobre par la CJUE pour dépassement des seuils de dioxyde d'azote. Et pourtant, ce n'est pas le mix énergétique qui est en cause : la France utilise une énergie décarbonée. Mais vous envoyez de mauvais signaux à la fois au secteur du logement et à celui des transports.

M. Jean Bizet.  - Merci au nucléaire !

M. Bruno Retailleau.  - La modification du CITE va nuire aux travaux sur les passoires énergétiques. Même remarque pour la redéfinition du bonus-malus. Le verdissement de la fiscalité cache un rendement budgétaire : vous n'avez pas tiré la leçon de la révolte fiscale de l'année dernière.

Monsieur le président Éblé, je vous félicite d'avoir demandé à ce que nous ayons lundi un vrai débat sur toutes les mesures fiscales écologiques : vous nous parlerez aussi de votre voyage dans les pays scandinaves, exemple dont la France pourrait s'inspirer.

Ce budget privilégie une économie de la demande sur celle de l'offre, dont bénéficieront les entreprises chinoises. Il témoigne d'un amour du présent et donc d'un sacrifice du futur. Je ne suis même pas sûr que l'ouverture des vannes de la dépense publique suffira à calmer la colère sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Louis Lagourgue applaudit également.)

M. Thierry Carcenac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Récemment, le débat politique a été parfois occulté par des sujets de société qui, bien que légitimes, concernent souvent assez peu nos concitoyens. Il est temps de débattre des choix budgétaires. Ce qui prime, ce sont les dépenses engagées par ce Gouvernement depuis le début de la mandature.

Le groupe socialiste et républicain est convaincu de la nécessité d'une bonne gestion publique. Si la règle des 3 % et celle des 60 % ne représentent pas l'alpha et l'omega en matière budgétaire, elles permettent de dégager les marges de manoeuvre nécessaires à la mise en oeuvre des politiques publiques.

Avec un certain aplomb, le Gouvernement promettait un excédent public de 0,2 % en fin de quinquennat, une dette publique à 91,4 % du PIB et des dépenses publiques à 50,9 %. Nous sommes loin de ces objectifs !

Permettez-nous ainsi d'être dubitatifs. Vous invoquerez la récession internationale, la crise des gilets jaunes, vous vous targuerez de meilleurs résultats que nos voisins et de vos prédécesseurs. Entre 2008 et 2012, pendant le quinquennat de M. Sarkozy, la croissance était de 0,36 % et le déficit a cru de 1,4 % : il faut dire que la conjoncture était peu porteuse à l'époque. Sous François Hollande, la croissance moyenne a été de 1,07 % et le déficit a chuté de deux points. Le Gouvernement a donc beau jeu de critiquer l'ancien monde !

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - Très bien !

M. Thierry Carcenac.  - Vous, avec une conjoncture bien meilleure, vous avez fait l'exploit de réduire le déficit de 0,2 % !

M. Julien Bargeton.  - Vous avez augmenté les impôts !

M. Thierry Carcenac.  - À la vue de ces renoncements, nous aurions pu nous attendre à ce que nos concitoyens bénéficient d'un réel effort de la part d'un gouvernement qui s'est illustré jusqu'à présent par la protection des grands groupes et des plus aisés.

Les mesures en faveur des gilets jaunes ont coûté à l'État deux fois plus que les économies qu'il comptait réaliser à l'occasion du projet de loi de finances pour 2020.

Certes, l'impôt sur le revenu baisse de 5 milliards d'euros, mais combien rapporte le prélèvement à la source, monsieur le ministre ?

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Quand le bébé est beau, tout le monde veut être le père !

M. Thierry Carcenac.  - C'était le précédent gouvernement...

Où sont les moyens redéployés pour l'enseignement supérieur, les étudiants, le logement, la santé et l'hôpital public, la transition écologique ? Malgré des recettes supplémentaires et la modestie de la redistribution, vous ne parvenez pas à équilibrer les comptes.

Une suggestion : le rétablissement de l'ISF pourrait répondre au besoin de justice fiscale. Selon le rapport commis par MM. Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, l'IFI a permis aux 100 premiers contribuables français d'engranger un gain annuel moyen de 1,2 million d'euros par foyer.

Attendez-vous que le mouvement social du 5 décembre dégénère ? Cette posture de pompier pyromane est surprenante.

Le groupe socialiste et républicain souhaite tendre la main au Gouvernement et à la majorité sénatoriale : notre contre-projet témoigne de notre crédibilité.

M. Julien Bargeton.  - Il étoffe la croissance.

M. Thierry Carcenac.  - Nous réservons notre vote, en attendant de connaître le sort destiné à nos amendements relatifs à la justice fiscale et sociale, au défi environnemental et à l'intelligence des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Georges Patient .  - En juillet dernier, le président de la République a rappelé qu'il ne fallait pas faire d'économies sur les outre-mer et le Gouvernement a respecté la parole présidentielle.

Le budget de la mission outre-mer est stable, la baisse apparente étant due à des mesures de périmètre pour 100 millions d'euros et, pour 34 millions, à la compensation moindre des exonérations de charges sociales. En outre, cette mission ne porte que sur 11,6 % du total des crédits dévolus aux outre-mer dans le projet de loi de finances 2020.

Depuis 2018, les outre-mer ont ainsi bénéficié de 400 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. Il reste cependant beaucoup à faire.

Le président de la République a dit : « nous ne sommes pas en train de réussir en outre-mer ». Il est vrai que le PIB par habitant de la Guyane, à 14 800 euros, représente la moitié de ce qu'il est en métropole. Pire, il est seulement de 9 100 euros à Mayotte. La jeunesse ultramarine - 33,1 % a moins de 20 ans - est une richesse, mais elle a besoin d'investissements. Elle représente jusqu'à 54,5 % de la population à Mayotte et 42,3 % en Guyane. Mais 21,3 % des 18 à 25 ans quittent le système scolaire prématurément et le chômage des jeunes atteint 40 % en outre-mer et continue à augmenter. Le budget lui consacre 200 millions d'euros en deux ans, sans compter une dotation spéciale de 90 millions d'euros pour Mayotte et la Guyane pour construire des établissements scolaires.

Divers dispositifs sont renforcés comme le service militaire adapté dont les capacités d'accueil sont ports à 6 000 jeunes.

En juillet 2019, la signature de contrats de convergence et de transformation entre les collectivités régionales et l'État pour un montant de 2,1 milliards d'euros sur quatre ans a démontré la volonté du Gouvernement de mener une politique à la hauteur des enjeux ultra-marins. Ce projet de loi de finances le confirme, mais il reconnaît aussi pour la première fois l'iniquité de traitement entre les collectivités territoriales de métropole et d'outre-mer. (M. Gérald Darmanin, ministre, le confirme.)

Le Gouvernement a chiffré ce différentiel de péréquation à 85 millions d'euros à rattraper sur cinq ans. Je suis déçu de voir que la commission des finances a préféré s'aligner sur la ligne du Comité des finances locales en proposant un amendement qui augmente le montant total de la DGF certainement pour ne pas brusquer les communes de l'Hexagone. La solidarité n'est donc pas une valeur partagée par tous.

Il nous faudra plus qu'une augmentation de dotation pour sortir ces collectivités exsangues de l'ornière. Mais il faudra pour cela un autre instrument que le projet de loi de finances.

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'équilibre, c'est la santé, dit-on. C'est vrai aussi pour le budget. La France fait partie des derniers pays de la classe européenne en matière de déficits. Bizarrement, ce sont les pays en équilibre, voire en excédent comme l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède ou la République Tchèque, où l'on lutte le plus efficacement contre le chômage et l'inactivité. Santés budgétaire, économique et sociale sont liées. Pour lutter contre ces fléaux faut-il plus de dépenses publiques et de déficits ? Non, c'est l'inverse !

Nous sommes tous responsables : dès la moindre montée de température sociale, on répond par plus de dépense publique et de pouvoir d'achat... mais à crédit ! Les Français en demandent toujours plus pour l'éducation, la santé, la défense, la sécurité, les étudiants, la transition écologique...

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Et les collectivités territoriales !

M. Vincent Delahaye.  - Le chômage de masse, les déficits, la dette, on connaît ! Cela depuis quarante ans ! Si la dépense publique faisait le bonheur, nous serions les plus heureux au monde.

M. Jean-François Husson.  - Ce sont les Finlandais.

M. Vincent Delahaye.  - Pour revenir à l'équilibre budgétaire en un an, il faudrait augmenter tous les impôts de 33 %. C'est impossible. Pour en sortir, il faut donc réduire les dépenses publiques.

M. Julien Bargeton.  - Où ?

M. Vincent Delahaye.  - Il faut travailler plus. Les 35 heures de Martine Aubry ont été mauvaises, et pas seulement pour l'hôpital. (Protestations à gauche ; M. Bruno Retaillailleau, Mme Céline Boulay-Espéronnier et M. Gérald Darmanin, ministre, approuvent.)

M. Michel Canevet.  - Un vrai désastre !

M. Vincent Delahaye.  - Nous sommes le pays qui travaille le moins, avec un taux de chômage très élevé. Il faudrait que tous les fonctionnaires travaillent 35 heures. Avec le rapporteur général, nous proposerons de porter la durée du travail à 37,5 heures, comme dans le privé.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Payées combien ?

M. Vincent Delahaye.  - Nous en reparlerons, mais je finis mon intervention, monsieur le ministre.

Il faut être rigoureux sur le temps de travail et astucieux sur la mobilité entre ministères. Par exemple, 25 000 des 800 000 fonctionnaires de l'Éducation nationale sont payés à ne rien faire. Pourquoi ne pas les former pour qu'ils deviennent des greffiers dont l'insuffisance ralentit la justice ?

Lors de la conclusion du grand débat, le Premier ministre appelait à une culture de la simplification. Le dire, c'est bien ; le faire, c'est mieux. Prenez les fameuses niches fiscales, nous sommes tous responsables. Au nom du groupe UC, je déposerai un amendement pour réduire les taux de l'impôt sur le revenu mais aussi pour supprimer 80 niches fiscales : que les amateurs de niche fiscale se rassurent, il en restera plus d'une centaine sur l'impôt sur le revenu.

Pour l'équilibre budgétaire, il faut donc rigueur, astuce et volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Michel Canevet.  - Bravo !

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a deux ans, je dénonçais ici la hausse brutale, dangereuse et aveugle de la fiscalité carbone. Monsieur le ministre des comptes publics, vous aviez réagi avec dédain, mais je vous concède un droit à l'erreur. (Sourires)

Après la crise des gilets jaunes, nous pensions la leçon retenue. Ce n'est pas le principe même de la fiscalité écologique qui pose problème, mais son utilisation à des fins de rendement budgétaire.

M. Julien Bargeton.  - Et la TVA Fillon ?

M. Jean-François Husson.  - C'est surtout le hold-up fiscal, qui associe l'écologie à une contrainte, qui a été dénoncé l'an dernier, alors que ce sujet devrait nous permettre de faire « France ensemble ».

Pire : avec l'arrêt en rase campagne de la trajectoire carbone, vous ne disposez plus de la fiscalité énergétique pour financer vos plans de sauvetage. Comme vous ne pouvez plus augmenter les recettes écologiques, vous réduisez les dépenses.

Ce projet de loi de finances traduit votre volonté de vernir - à défaut de verdir - la fiscalité de rendement. Vous êtes de faux dévots, des vrais Tartuffe verts de l'écologie : vous cassez la prime au remplacement automobile qui fonctionne, vous réduisez de 50 % le CITE, rendant inatteignable l'objectif de 500 000 rénovations de logements par an, alors qu'il en faudrait entre 700 000 et un million. Tartuffe, vous prétendez faire de l'éco-contribution sur les billets d'avion une mesure écologique alors que vous impactez notre compagnie nationale et cette taxe va financer la réparation des radars détruits l'an dernier ! Tartuffe enfin, vous supprimez les CAS écologiques qui permettent de suivre l'utilisation des recettes.

Ce budget est celui du renoncement à accompagner les ménages, un chèque énergie qui ne permet pas de compenser la fiscalité verte.

Renoncement aussi : les agences de l'eau continuent à être ponctionnées par l'État et les fonds destinés à la prévention des risques diminuent. Comme un lapin de votre chapeau, vous sortez un petit livre vert - nouvelle version du petit livre rouge ? C'est du greenwashing que votre green budgeting !

Pourtant, le temps presse et vous hypothéquez l'avenir de nos concitoyens. En privilégiant la communication sur le courage, vous masquez mal l'absence de stratégie et votre improvisation.

Ceux qui rêvent d'une convergence des luttes exposent la France à une coalition des colères : les revendications s'accumulent chez les agriculteurs, les étudiants, les soignants, les forces de l'ordre.

La France ne peut demeurer dans cet état de tension permanent. Ne laissons pas couver l'incendie. La vraie chambre de refroidissement, c'est le Parlement. Renouez avec les Français à travers leurs représentants pour un pacte démocratique, social, économique et écologique.

J'espère que, cette fois-ci, vous entendrez notre voix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Ce projet de loi de finances est présenté comme l'acte II du quinquennat dans un contexte de baisse massive d'impôt et de « croissance robuste ». En réalité, celle-ci, fragile, doit beaucoup aux mesures d'urgence décidées à la suite des gilets jaunes. Si l'AFP parle de « budget gilets jaunes », ce jaune me semble bien pâle. Vous poursuivez la même politique avec, il est vrai, davantage de déficit.

Rien sur la suppression de l'ISF ou sur le prélèvement forfaitaire unique.

La suppression de la taxe d'habitation ne bénéficiera pas aux cinq millions de Français les plus modestes.

M. Julien Bargeton.  - Rétablissez-la !

M. Rémi Féraud.  - Au contraire, les 20 % de Français les plus aisés vont engranger 8 milliards. Monsieur le ministre, vous justifiez cette mesure par la décision du Conseil constitutionnel qui demande l'application de cette réforme à tous : quelle ironie de l'histoire !

Cette suppression ne sera, en outre, pas compensée intégralement aux communes : 250 millions vont manquer aux intercommunalités dès 2020. Quant aux départements d'Île-de-France, vous leur prendrez chaque année 60 millions d'euros de droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Les franges les plus modestes ne bénéficieront pas non plus de la baisse de l'impôt sur le revenu ni de la suppression de la taxe d'habitation.

Au terme des trois premiers budgets du Gouvernement, un Français au deuxième décile de revenu, soit 1 150 euros mensuel, aura gagné 284 euros par an, contre 4 462 euros pour les 1 % les plus aisés.

Vous conservez pourtant un déficit budgétaire sans financer les actions publiques dont notre pays a besoin. L'écologie, que vous hésitez à ériger en priorité, fait l'objet d'un tour de passe-passe. Vous vous targuez de 900 millions d'euros de crédits en plus, soit une hausse de 2,6 %, alors que l'Allemagne consacrera à l'écologie 100 milliards d'euros sur dix ans !

Quant aux effectifs du ministère de la Transition écologique, ils ont été réduits de 5 000 postes, dont 1 769 en 2020. Quel signal !

Le groupe socialiste et républicain ne peut se retrouver dans un budget qui ne permet ni la justice fiscale, ni la transition énergétique, ni la préservation de nos grands services publics. Il pèse beaucoup sur les finances des collectivités territoriales et de la sécurité sociale, et ne saura pas apporter de réponses aux fractures de notre pays.

Manque de justice, manque d'ambition, manque d'efficacité... Depuis un an, tout a changé. Mais rien n'a changé en réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Jean-Marc Gabouty .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Pour examiner ce projet de loi de finances, il faut le replacer dans un contexte international toujours plus incertain : conflits, relations perturbées entre la Chine et les États-Unis, Brexit constituent une toile de fond peu propice aux investissements et aux initiatives. En France, notre commerce extérieur est toujours en déficit et le secteur industriel est à la peine.

Le projet de loi de finances reprend des engagements des débuts du quinquennat et comprend plusieurs nouveautés.

Le déficit se réduit pour atteindre 2,2 % du PIB, soit le niveau de 2019 si l'on retire le double impact de la transformation du CICE en allègement de cotisations sociales. La dette se maintient à 98,7 % du PIB. Il n'y a donc pas d'amélioration structurelle, avec un déficit qui dépasse encore les 90 milliards d'euros.

La crise des gilets jaunes est souvent évoquée, avec une compassion un peu déplacée pour évoquer certaines mesures : les 17 milliards de mesures nouvelles annoncées par le Gouvernement ont été principalement prises en charge par le budget. La trajectoire des finances publiques 2018-2022 a effectivement été infléchie en raison de charges nouvelles non programmées et le retour à l'équilibre budgétaire a été reporté.

Cette politique de la demande a des effets positifs sur la TVA et sur l'impôt sur les sociétés, du fait de la transformation du CICE, ce qui génère une base taxable.

Le budget 2020 nous inspire un certain nombre de satisfactions et aussi quelques interrogations et inquiétudes.

Pour les inquiétudes : l'effort significatif de l'État en direction des entreprises ne se traduit pas encore par de la croissance, des emplois ni un accroissement du commerce extérieur. Je note aussi une insuffisance des efforts pour réduire la dépense publique. Enfin, le déficit et la dette publique stagnent à des niveaux particulièrement élevés alors que les taux d'intérêts sont historiquement bas. Il faudrait aussi ne pas renouveler les départs des agents dans les administrations centrales.

Les éléments de satisfaction existent toutefois : sincérité des comptes, prudence des estimations, notamment pour les taux d'intérêt. Les prélèvements obligatoires baissent de 0,9 point entre 2017 et 2020 - conséquence de la baisse de la fiscalité sur les entreprises et les ménages, surtout en faveur des classes moyennes.

Les concours accordés aux collectivités locales sont stabilisés, après plusieurs années de baisse. Nous ne doutons pas de la compensation intégrale pour la suppression de la taxe d'habitation.

La réforme de la fiscalité locale sera peut-être l'occasion d'une heureuse remise à plat. Je crois moins au fait d'appuyer toujours plus le budget de l'État sur la taxation des ménages et des entreprises et non sur la consommation.

En l'état, la majorité du groupe RDSE votera ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Face à Turgot, cher à Claude Malhuret, je citerai mon père qui disait : « Il vaut mieux devoir que de ne pas pouvoir rendre ».

M. Gérald Darmanin, ministre.  - J'ai peur que ce soit une contrepèterie...

Mme Nathalie Goulet.  - Je vous parlerai de la lutte contre la fraude fiscale : l'année a été particulièrement favorable. La fraude fiscale a rapporté cette année 640 millions, 40 % en plus, sans compter le contentieux avec Google, qui doit 465 millions d'euros en plus de son amende de 500 millions d'euros.

L'assouplissement du verrou de Bercy a permis 587 dénonciations. La procédure du plaider coupable, pour laquelle nous étions réticents, semble fonctionner avec neuf procédures.

Il faut cependant améliorer le contrôle des prix de transfert. Avez-vous les moyens humains suffisants ? Le site de la direction de la vérification nationale et internationale qui s'en occupe n'affiche aucune donnée nouvelle depuis 2016. Pourriez-vous nous apporter des informations sur ces contrôles, notamment sur les échanges automatiques entre États, puisqu'une disposition est applicable depuis le 1er janvier 2018 ? En outre, depuis le 1er janvier 2019, l'instrument multilatéral est entré en vigueur en France, qui a pour objectif de modifier automatiquement des conventions fiscales bilatérales.

Certaines conventions bilatérales, notamment avec le Qatar, pourraient-elles être revues, car elles transforment plus ou moins notre pays en paradis fiscal ?

La création d'un fichier des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) européen aurait beaucoup d'intérêt pour lutter contre la fraude, notamment avec le développement des banques en ligne.

En Allemagne, une banque en ligne émet des IBAN FR - la créativité de ces acteurs pose problème. Il faut davantage de contrôles et donc de moyens humains. Les sanctions devront également être exemplaires. Nous serons vigilants à l'adoption de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation des collectivités territoriales n'est pas meilleure que l'an dernier mais l'État devrait s'inspirer de leur rigueur de gestion. Le maintien des dotations est un trompe-l'oeil qui ne trompe personne. Certaines augmentent, comme la dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR), mais si la prise en charge par l'État de la revalorisation de l'indemnité des élus se fait au sein d'une enveloppe normée, cela reviendra à déshabiller Pierre pour habiller Paul !

M. Jean-François Husson.  - Une fois de plus !

Mme Christine Lavarde.  - Votre budget vert clair est un mauvais signal envoyé aux collectivités territoriales alors que la loi d'orientation des mobilités a renforcé leurs compétences en matière de transport.

La suppression de la taxe d'habitation est la première erreur du quinquennat. La charge s'élève entre 20 et 24 milliards d'euros - dont 2,6 milliards reportés en 2023, sur le quinquennat suivant. Pour 40 % des Français et deux tiers des parisiens, il n'y a aura plus de lien fiscal entre concitoyens et service public ; le concitoyen ne sera plus qu'un consommateur.

À défaut de loi de financement des collectivités locales, vous nous proposez un pis-aller pour compenser la perte de recettes pour les communes. Malgré les amendements du rapporteur général, des points négatifs demeurent. Ainsi, les collectivités qui ont accru leurs taux en 2018 et en 2019 vont en perdre tout le bénéfice. L'application du « coco » présente quelques avantages par rapport à un fonds national de garantie, mais à condition qu'il soit supérieur à 1. Quelle garantie que le système ne sera pas déséquilibré à terme ?

La suppression de la taxe d'habitation a également des conséquences sur le calcul du potentiel fiscal, qui entre dans le calcul de quatorze indicateurs. Surtout, pourquoi voter dans le projet de loi de finances pour 2020 une réforme dont on nous annonce qu'elle évoluera en 2021 ? Il eût été plus respectueux de nous présenter une réforme aboutie.

Quelle logique y a-t-il à faire reposer l'ensemble de l'imposition des ménages sur la taxe foncière, qui repose elle aussi sur des valeurs locatives injustes, (Mle rapporteur général approuve.) lesquelles, d'ailleurs ne seront pas modifiées avant 2026 ?

La réforme des recettes des départements les rend plus vulnérables à la conjoncture économique, alors que leurs dépenses sont déjà liées à celle-ci. Pour eux, c'est la double peine !

Quant au transfert de charges non compensées, je citerai un seul exemple : la suppression du crédit d'impôt famille en 2023. Les entreprises, qui aidaient jusqu'à présent les collectivités, vont-elles dès lors continuer à s'engager pour les crèches ? Il manque 230 000 places pour l'accueil des jeunes enfants. Les collectivités territoriales ne pourront pas compenser leur retrait, car le reste à charge est au minimum de 30 % du coût global d'une place.

La LOM transfère les petites lignes aux régions sans financement.

M. Jean-François Husson.  - Eh oui ! C'est un cadeau empoisonné...

Mme Christine Lavarde.  - Les intercommunalités sont invitées à prendre en charge le transport en zone rurale, sans financement.

M. Jean-François Husson.  - Eh oui !

Mme Christine Lavarde.  - Les collectivités maîtrisent leur endettement, pas l'État. Elles, comment faire autrement, parviennent à faire toujours plus avec moins de recettes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Ce budget serait, à vous entendre, messieurs les ministres, « le budget du pouvoir d'achat ». Mais ce n'est pas celui de la justice fiscale, et vous entretenez la confusion entre des prélèvements, des cotisations, des taxes et des impôts qui sont de natures bien différentes. Vous ne compensez pas vos baisses d'impôt et de cotisations sociales.

Vous compensez la suppression de la taxe d'habitation et le transfert de la taxe foncière par une part de TVA, qui est dynamique, certes, mais qui est également l'impôt le plus injuste, et invisible, car les Français ne perçoivent pas qu'ils le paient. Imaginez qu'il faille le régler séparément : pour une paire de chaussures à 50 euros, 10 euros à envoyer au fisc, pour une voiture à 10 000 euros, 2 000 euros... Les Français réclameraient sa diminution !

Vous amplifiez la part de la TVA dans le financement de la sécurité sociale en en fléchant une partie sur la compensation de la réduction des cotisations employeurs.

À la TVA sociale s'ajoute une TVA territoriale, avec la compensation de la taxe d'habitation et de la taxe foncière. Certes, les bases de calcul de ces deux dernières sont injustes à cause de la non-actualisation des valeurs locatives, qui ont été fixées il y a 35 ans, mais il en va de même de la TVA. En réduisant l'impôt sur le revenu, qui ne concerne pas les plus modestes, en maintenant le niveau de TVA, vous accroissez les injustices sociale et fiscale.

Les mesures fiscales à destination des plus riches s'accumulent, sans évaluation de leur efficacité. Pas de ruissellement à l'horizon... Vous faites mine de penser qu'il y a une contestation sociale contre l'impôt : pas du tout, mais un mouvement pour plus de justice fiscale, et pour une égalité d'accès aux services publics. Pourtant, vous refusez de changer de politique et de répondre aux urgences.

Comment luttez-vous contre le changement climatique ? Les mesures fiscales et budgétaires sont insuffisantes. Il manque chaque année une dizaine de milliards d'euros pour remplir les engagements pris dans le cadre de la COP21. Ce n'est pas un budget d'acte II mais un budget d'entêtement dans une logique pourtant largement rejetée par nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Jérôme Bascher .  - Lorsque M. Moscovici prit ses fonctions de Commissaire européen, la France était sous surveillance pour un déficit excessif ; six ans plus tard, elle l'est pour dette excessive !

Vous vous sentiez à votre arrivée comme les Jules César de la finance publique : « Veni, vidi, vici ». On allait voir ce qu'on allait voir ! Mais vous vous êtes transformés en Catilina : veni, vidi, déficit. Et avec Cicéron, nous pourrions dire : « Quousque tandem abutere patientia nostra ? »

Le Gouvernement claironnait la grande réforme des retraites, il bat en retraite à présent. Il claironnait la baisse de l'impôt sur le revenu, c'est le glas qu'il sonne en récupérant la dette des hôpitaux. Quant à la baisse de l'impôt sur les sociétés, elle s'est éteinte sous le fracas des marches forcées des gilets jaunes.

Pourtant la conjoncture vous aidait, taux d'intérêt négatifs, réforme réussie du prélèvement à la source...

M. Julien Bargeton.  - Refusé par le Sénat !

M. Jérôme Bascher.  - ... ou baisse du chômage. Le contexte était favorable !

On ne prépare pas l'avenir avec un budget qui laisse inchangé le déficit structurel, ni avec un tel niveau de dette. Et vous n'avez pas de cap, vous foulez au pied votre loi de programmation des finances publiques. Seules les collectivités la respectent !

Les 3 % sont devenus obsolètes. Le déficit devrait être de 0 %. Vous avez perdu votre boussole et naviguez à vue, alors que les administrations publiques prennent l'eau.

Vous ne faites que déplacer l'eau dans la cale - dette des hôpitaux, dette de la SNCF... C'est un bateau ivre aux réalités moins poétiques. Votre politique est inaudible et inacceptable.

Que devient le consentement à l'impôt quand tout part en tuyauteries, la TVA ou la TICPE aux collectivités, à Bruxelles ou à l'État, les taxes sur les assurances à la sécurité sociale, etc. ? Comme le dit Gérard Larcher, l'autonomie fiscale des collectivités territoriales est la condition de leur liberté.

L'État doit revenir à ses missions recentrées. Revenons aussi à une décentralisation responsable, à la confiance envers les élus et à un cap vraiment réformateur. Ne soyez pas otages d'une administration astucieuse qui mystifie tout !

Le président de la République a su passer par-dessus et parler directement au pays en annonçant les travaux du canal Seine-Nord. Mais encore faut-il les financer ! Vous annoncez fort, mais vous faites semblant.

Je terminerai par le célèbre exorde d'Albéric de Montgolfier : « Écoutez le Sénat » ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Le Maire, ministre .  - Monsieur Bascher, vous avez commencé par Cicéron et avez fini par Rimbaud et le rapporteur général... Vous auriez dû continuer à citer Cicéron : « Quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? » Jusqu'où ira votre audace ? Autrement dit, jusqu'où pousserez-vous le bouchon, monsieur Bascher ? Car vous l'avez poussé loin.

Pas de cap ? Vous pouvez critiquer nos orientations mais non nier qu'elles existent. Il y a eu une transformation économique radicale du pays, dans un premier temps avec la baisse de la fiscalité sur le capital, la transformation du marché du travail, la politique de formation et de qualification, qui ont permis la création d'un million d'emplois et un taux de chômage le plus bas depuis douze ans.

Nos finances publiques se rétablissent, certes un peu plus lentement que prévu. Nous lançons la deuxième phase de la transformation avec le pacte productif pour une économie décarbonée en 2050.

Vous nous accusez de tartufferie, alors que notre budget est sincère ! Comment prétendre que nous ne faisons rien pour la décarbonation de l'économie ? La France dépensera plus de 6 milliards d'euros en 2020 sur les énergies non renouvelables (ENR), 800 millions d'euros pour la prime à la conversion et le bonus automobile.

J'ai entendu contester le malus automobile, qui serait injuste. Soit ! Nous vous proposons son déplafonnement. Évitons tout droit à polluer pour les constructeurs de SUV : en face d'un marketing offensif, informons le consommateur sur la pollution.

Notre politique est fondée sur un principe de justice : le travail doit payer. Nous mettons de nombreux moyens pour une meilleure rémunération de ceux qui travaillent. Nous avons entendu la souffrance des gilets jaunes : 100 euros de prime d'activité pour les Smic, la défiscalisation des heures supplémentaires, la baisse de l'impôt sur le revenu, la suppression du forfait sur l'intéressement, pour ceux qui aujourd'hui n'en ont pas, ce n'est pas rien, et tout cela pour un objectif : la dignité par le travail et dans le travail.

La reprise de 10 milliards d'euros de dette de l'hôpital public permettant d'investir dans des rénovations ou dans le matériel, ou d'assainir les finances, le soutien aux soignants et aux urgences, c'est une action juste.

Vous citiez Rimbaud à la fin de votre intervention, monsieur Bascher : « Comme je descendais les fleuves impassibles... » Ne soyez pas un de ces « peaux-rouges criards » ; redevenez un sénateur raisonnable. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Michel Canevet applaudit également.)

M. Gérald Darmanin, ministre .  - Il faut bien savoir son latin et ensuite l'oublier. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bargeton a bien résumé le sujet de la fiscalité locale. Il faut mettre à bas une certaine hypocrisie... Les orateurs ont beaucoup critiqué les propositions du Gouvernement en la matière, mais la suppression de l'article 5 n'est pas semble-t-il à votre ordre du jour ; le Sénat, chambre représentant les collectivités, ne propose même pas de modifications d'ampleur. La réforme s'appliquera seulement au 1er janvier 2021, monsieur le rapporteur général.

Il reste un travail important à faire. Il faudra écouter le Conseil constitutionnel.

Un peu comme Nostradamus, monsieur le rapporteur général, vous avez prévu une fin du monde qui n'arrivait pas. (M. le rapporteur général proteste.)

Dois-je le rappeler à la Haute Assemblée ? Il n'existe pas d'autonomie fiscale des collectivités territoriales mais une autonomie financière : les collectivités territoriales ne peuvent pas créer des impôts. Nous ne sommes pas un régime fédéral. Du reste, même en Allemagne, la décentralisation n'est pas liée au levier fiscal, et la péréquation est possible entre collectivités parce que les impôts sont nationaux. On peut à la fois défendre les collectivités territoriales et supprimer les impôts de production !

Ce que dit M. Baroin n'est pas vrai : la taxe d'habitation n'appartient pas aux communes. Elle est un impôt national, décidé par vous, représentants de la Nation.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Elles en fixent tout de même le taux.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Même pas ! Chaque collectivité intervient sur une petite partie du taux.

Madame la sénatrice Goulet, le chiffre que vous cherchiez était 22 milliards d'euros.

Je comprends, madame Lavarde, que les riches ne veuillent pas changer les règles du jeu.

Mme Christine Lavarde.  - Ce n'est pas ce que j'ai dit. (M. Jean-François Husson le confirme.)

M. Gérald Darmanin, ministre.  - La TVA intéresse plus le Nord-Pas-de-Calais ou la Creuse que la taxe d'habitation... Faisons un impôt national avec une répartition locale.

Que le Sénat s'intéresse à la répartition, aux effets pour les collectivités, c'est normal. Le Gouvernement est là pour faire ce travail d'intérêt général, salutaire.

Monsieur Bocquet, il ne m'appartient pas de donner des ordres à la Cour des comptes. Elle remettra son rapport le 2 décembre, ce qui est bien normal pour une institution napoléonienne ! Nous aurions tous préféré avoir ce document tôt. Mais c'est la première fois qu'est adoptée cette démarche en France, ne l'oubliez pas ; et le Gouvernement est prêt à venir en débattre avec vous, tant sur les chiffres que sur les méthodes, et à en inclure la traduction dans le projet de loi de finances, qui ne sera pas définitivement adopté.

Pas de mesures de lutte contre la fraude fiscale ? Domiciliation fiscale des dirigeants d'entreprises françaises, utilisation de l'intelligence artificielle sur les réseaux sociaux, « paquet TVA » pour lequel je n'ai pas voulu demander une habilitation : le projet de loi de finances est l'un de ceux qui luttera le plus contre la fraude fiscale.

Monsieur Dallier, Action logement a 4 milliards d'euros de réserves. Celles-ci augmentent, c'est de bonne politique.

Dans Molière, à la fin d'une démonstration absurde, on conclut : « Votre fille est muette. »

Cette année, nous augmentons les crédits pour l'écologie de 800 millions d'euros, soit 3 milliards d'euros depuis 2017 auxquels s'ajoutent 3,5 milliards d'euros pour les dépenses extrabudgétaires. L'écologie est une dépense publique très importante. Je ne sais si le Gouvernement est Tartuffe mais vous êtes manifestement Trissotin... (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE LIMINAIRE

M. Rémi Féraud .  - La discussion de cet article est un peu formelle. Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra.

La conjoncture mondiale est incertaine - Brexit, commerce international, tensions internationales - rendant vos prévisions optimistes peu probables.

Le Gouvernement utilise l'argument inverse de celui qu'il avait utilisé, l'année dernière, sur le CICE. Cette année, on apprend que le 0,9 point d'amélioration du déficit masquerait une stabilité du déficit structurel... Comment le Gouvernement justifiera-t-il auprès de la Commission européenne l'absence d'amélioration de son déficit structurel ?

Mme la présidente.  - Amendement n°I-423 rectifié, présenté par MM. Capus, Malhuret, Bignon, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot et MM. Menonville et Wattebled.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année 2020, le Haut Conseil des finances publiques transmet un avis motivé au Parlement sur le niveau de dépenses prévu par le projet de loi de finances pour 2021, ainsi qu'une analyse détaillée par missions budgétaires, en l'avisant notamment des cas manifestes de sous-budgétisation.

M. Claude Malhuret.  - Actuellement le Haut Conseil des finances publiques se prononce uniquement sur les recettes du projet de loi de finances. Cet amendement d'appel lui permettrait de se prononcer sur les dépenses du projet de loi de finances pour 2021.

Si cet avis rendu s'avère éclairant, il faudrait alors recourir à une proposition de loi organique dans un second temps, pour rendre permanente cette évolution.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Cela exige une loi organique. Cet amendement serait en outre contraire à une jurisprudence du Conseil constitutionnel !

Le contrôle des dépenses incombe au Parlement. (M. Jean Bizet approuve.) Le Haut Conseil valide les hypothèses de croissance. Retrait ou avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable pour les mêmes raisons. C'est évidemment le Parlement qui contrôle le Gouvernement, comme dans de très nombreux pays. Au Royaume-Uni, néanmoins, comme dans nombre de démocraties parlementaires, le Parlement ne regarde pas le détail des dépenses, il fixe un plafond, mais il passe plus de temps au contrôle de l'exécution.

Le Gouvernement a fait déjà un effort en renonçant aux décrets d'avance. Faut-il entrer dans l'hyperdétail des dépenses ? Il vaudrait mieux regarder l'exécution... (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Philippe Dallier.  - En commission des finances, nous avons été surpris par le contenu de l'amendement. Effectivement, il faudrait passer plus de temps à contrôler l'exécution. Mais demander au Haut Conseil des finances publiques de faire le travail des rapporteurs spéciaux de la commission des finances, c'est singulier ! La commission des finances a des moyens de contrôle sur place et sur pièces : pourquoi demander au Haut Conseil des finances publiques de le faire à notre place ?

M. Claude Malhuret.  - En constatant l'avis défavorable du ministre et du Gouvernement, je n'ai d'autre solution que de retirer cet amendement. Je l'aurais fait avant si j'avais été informé de la discussion qui s'est tenue ce matin à la commission des finances. Peut-être faudrait-il poursuivre la logique jusqu'au bout en présentant un amendement précisant que le Haut Conseil n'a pas à se pencher sur la partie recettes du projet de loi de finances ?

L'amendement n°I-423 rectifié est retiré.

L'article liminaire est adopté.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

ARTICLE 36

M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances .  - La contribution française au budget européen est prévue par les traités et s'inscrit dans le cadre financier pluriannuel. Cependant, l'appréciation par le Parlement correspond à une exigence de transparence et nous donne l'occasion de faire le point sur nos relations budgétaires avec l'Union européenne.

En 2020, le montant du prélèvement sur les recettes a été estimé à 21 milliards d'euros, soit une hausse de 143 millions par rapport à la prévision actualisée pour 2019, auxquels s'ajoutent 1,8 milliard de droits de douane, soit une contribution finale de 23 milliards d'euros. La stabilité du montant de prélèvement des recettes interroge, car le décaissement des crédits européens aurait pu avoir une influence inverse.

On observe en France une sous-consommation des fonds européens, qui n'est pas supérieure à la moyenne européenne, mais qui est dommageable. À la suite du rapport de la mission du Sénat sur l'utilisation des fonds européens, vous aviez annoncé des mesures concrètes, madame la ministre : où en est-on ?

Si le règlement du Brexit ne se passait pas comme prévu, la contribution de la France pourrait augmenter de 1 à 2 milliards d'euros, et les dépenses européennes pourraient subir des coupes drastiques.

Lors du débat postérieur au dernier Conseil européen, vous aviez dit que des solutions techniques existaient pour augmenter la trésorerie de l'Union européenne. Où en est-on ?

La France est le premier bénéficiaire des aides de la PAC, au coeur des politiques budgétaires française et européenne. Le soutien à l'agriculture et au développement rural ne peut être considéré comme une politique ancienne, au regard des enjeux à venir, alimentaires, écologiques, économiques et sociaux, et au regard des moyens que consacrent à ce secteur des pays comme les États-Unis et la Chine.

Un accord vient d'être trouvé entre le Conseil et le Parlement européens sur le projet de budget européen. Le budget s'élèvera à 168 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 183 milliards d'euros en crédits de paiement. Il a été décidé que 20 % devraient financer des actions en faveur du climat, en faveur des jeunes, emploi, programme Erasmus plus, etc.

Nous nous réjouissons que la voix du Parlement ait été entendue, qui correspond aux demandes du groupe socialiste et républicain. Espérons qu'il en ira de même pour le prochain cadre financier pluriannuel. Ursula von der Leyen présentant l'agenda de la nouvelle Commission européenne a évoqué un système de réassurance des prestations chômage. C'est une piste intéressante !

Je recommande au nom de la commission des finances l'adoption sans modification de cet article. (M. Simon Sutour applaudit.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - L'année prochaine devra être celle de l'adoption par les institutions européennes du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Mais nous sommes mal embarqués... Peu de sujets font consensus entre les États membres. On discute encore du niveau des contributions nationales, 1 % ou 1,3 % du revenu national brut. Quelle est la préconisation de la France en la matière ?

Les divergences portent aussi sur la pérennité et la légitimité des politiques agricoles et de cohésion qui, si elles sont présentées comme traditionnelles, n'en constituent pas moins le coeur de la valeur ajoutée européenne, dont elles font toute la pertinence.

La grande majorité des États membres reconnaissent le bien fondé des nouvelles missions de l'Union européenne telles que rappelées par Mme von der Leyen, en insistant sur l'ambition climatique.

Tout retard de l'adoption du prochain cadre financier pluriannuel entraînera des ratés dans la consommation des crédits européens. C'est la crédibilité de l'Union européenne, pourtant, qui est en jeu ! Les citoyens ont des attentes fortes. Les décevoir aurait des conséquences politiques graves dans le contexte difficile que nous connaissons (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, Mme Sylvie Vermeillet, MM. André Gattolin et Simon Sutour applaudissent également.)

M. Pierre Laurent .  - Ce débat met en lumière le déficit démocratique dans l'élaboration des politiques budgétaires de l'Union européenne. Il ne s'agit pas de remettre en question la contribution française au budget européen. Nous versons plus que ce que nous recevons, mais n'avons pas d'opposition à ce principe de solidarité. Ce qui est en cause, c'est la nature des politiques financées avec cet argent.

Le budget européen repose sur les contributions directes des États, avec des produits de TVA et de droits de douane en baisse, rançon du libre-échange croissant depuis les années quatre-vingt. Étouffé par l'austérité, l'exercice budgétaire européen atteint ses limites. Le carcan européen étouffe les marges de manoeuvre nationales et les États de plus en plus nombreux rechignent à contribuer au budget européen.

Pourtant, les besoins de financement sont importants, pour servir de grandes politiques, enjeux numériques, réindustrialisation plus écologique, services publics. Mais ce n'est pas avec le budget actuel que l'on pourra y répondre.

La lutte contre le dumping fiscal, la taxation des transactions financières et la taxation sociale et écologique des marchandises entrant en Europe sont des pistes pour de nouveaux moyens financiers.

Nous nous inquiétons des menaces qui pèsent sur la PAC et souhaitons une réorientation moins favorable à l'agrobusiness, au profit d'une agriculture plus respectueuse des sols et de la biodiversité.

Nous regrettons le recul de la politique de cohésion, seule politique de solidarité de l'Union européenne, même si nous préconisons la révision de ses critères.

Nous ne sommes pas favorables à la montée en puissance des moyens sécuritaires. La multiplication par cinq des agents de Frontex pour cadenasser l'Europe n'est pas la vision que nous souhaitons pour l'Union européenne. Ces dirigeants européens qui fêtent l'anniversaire de la chute d'un mur sont en train d'en bâtir un nouveau.

Rien n'annonce le projet d'un développement d'une défense européenne indépendante, de sorte que nous augmentons le budget de la défense européenne sans vision d'avenir.

Le mariage entre Fincantieri et Naval Group semble voué au divorce, au vu de leurs conflits en Arabie-Saoudite, en Roumanie et au Brésil.

Quant aux atermoiements sur le lancement du système de combat aérien du futur (SCAF) et du Main ground combat system (MGCS), ils illustrent encore la faiblesse de notre vision commune.

Nous nous abstiendrons sur cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Colette Mélot .  - L'examen de l'article 36 sera marqué par les changements significatifs de 2019 : renouvellement du Parlement européen, nouveau visage de la Commission européenne. La chance et l'avenir des citoyens européens, pourtant, c'est l'Union européenne.

Lors du dernier Conseil européen, nous avons noté les divergences qui existent entre les États membres et les institutions. Nous souhaitons des éclaircissements sur les pourcentages de RNB des États qui définiront leur contribution.

L'année 2020 ne sera pas exempte de changement. La forme que prendra le Brexit pourrait avoir des incidences sur la contribution du Royaume-Uni avec le risque d'une perte de 10 milliards d'euros.

Cette année, le budget s'élèvera à 166 milliards d'euros dont 21 % consacrés à la lutte contre le changement climatique. La contribution de la France est fixée à 21,3 milliards d'euros, en augmentation réelle, mais inférieure à ce qui avait pu être envisagé. La France est l'un des premiers bénéficiaires, en volume des dépenses de l'Union ; près de 68 % des crédits dépensés en France concernent l'aide au secteur agricole.

Développement du numérique, climat, aide à la jeunesse, protection des citoyens, telles sont les orientations de la politique européenne que nous soutenons, elles correspondent aux demandes des Européens.

L'Europe, c'est aussi le développement de nos territoires. Le rapport que j'ai rendu avec Mme Harribey est clair sur le déploiement et la mise en oeuvre des fonds européens par les États membres. Il faut que chacun s'oriente vers les sujets d'avenir, sans toutefois sous-budgétiser les missions traditionnelles.

L'intérêt des citoyens européens exige un budget européen ambitieux. Les attentes de nos territoires sont fortes. Dotons l'Union européenne des moyens de réussir. Nous voterons cet article.

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Combien de Français connaissent le budget de l'Union européenne ? Très peu. Quelle serait leur perception si on leur donnait le chiffre de 166 milliards d'euros ? Certainement une grande perplexité. Le budget de l'Europe à 28 représente à peine la moitié du budget de notre pays. Nos concitoyens ne peuvent que mesurer le décalage entre les moyens et les missions.

Qu'il s'agisse d'une Europe politique ou budgétaire, nos concitoyens ont besoin de pédagogie. Comme le contribuable local a besoin d'une consolidation du budget communal et intercommunal, le contribuable national gagnerait à avoir une vision consolidée des budgets national et européen.

La contribution de la France au budget européen est de 23 milliards d'euros, en faible augmentation - c'est une bonne nouvelle. Elle devrait augmenter dans le prochain cadre financier pluriannuel. Mais notre pays souffre d'une sous-consommation des crédits européens. J'apprécie votre honnêteté à cet égard, madame la ministre, lorsque vous dites que la complexité administrative est d'origine plus nationale qu'européenne. Nous attendons les simplifications promises.

L'article 36 pose la question essentielle de l'après 2022. Un budget à 1 % du PIB ou à 1,1 %, 1,2 %, voire 1,3 % comme le mentionnait le président de la commission des affaires européennes ? Comment compenser la perte de la contribution du Royaume-Uni ? Comment financer la lutte contre le réchauffement climatique, l'embryon d'une défense commune, la lutte contre le terrorisme, la question migratoire ?

Les pays les plus européistes sont souvent les plus mobilisés en faveur de l'orthodoxie budgétaire, ceux adeptes d'une Europe puissance sont plus limités dans leurs moyens. C'est dire l'écheveau à dénouer.

Il nous faut privilégier une pédagogie de l'Europe et une appropriation des questions européennes par nos concitoyens. Pourquoi ne pas envisager une initiative telle qu'une convention citoyenne, sur le modèle de celle qui examine en ce moment les questions climatiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Claude Requier .  - La contribution de la France au budget de l'Union européenne reflète notre engagement communautaire. Le groupe RDSE y est très attaché. Le montant de 21 milliards d'euros est satisfaisant. Cependant quel sera l'impact de l'interminable feuilleton du Brexit ? Nous restons dans l'expectative.

Déjà en 2007-2013, l'exécution budgétaire avait fait un bond de 2 milliards d'euros par rapport à la prévision initiale. Le même scénario ne va-t-il pas se reproduire en 2020 ?

Les procédures de contrôle sur les fonds de cohésion sont trop lourdes ; il faut les abréger. Et que nos territoires profitent pleinement des fonds européens !

Je soutiens le principe d'une assiette commune consolidée par l'impôt sur les sociétés. Hélas, la règle de l'unanimité au Conseil européen bloque toujours cette proposition.

Mon groupe est aussi attentif au projet de taxe sur les services numériques, dévoilée par la Commission européenne. Notre pays est en pointe sur ce sujet, mais isolé.

Le prochain cadre financier 2021-2027 ne devra pas substituer les nouvelles priorités aux anciennes : vous ne serez pas surpris de mon attachement au maintien des moyens de la PAC. Les agriculteurs, à qui l'on demande toujours plus, ont besoin de la PAC pour mener à bien les objectifs fixés à l'article premier du code rural. La baisse de 3 % en valeur de la PAC serait inacceptable ; je crois que les groupes du Sénat sont d'accord là-dessus.

Notre groupe, attaché à l'intégration européenne, votera cette contribution au budget de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; MM. Simon Sutour et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. Simon Sutour.  - Très bien !

M. André Gattolin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants) Chaque année, l'étude de cet article donne lieu à un rituel rondement mené. Un article de 34 mots, dont seuls deux chiffres changent, comme pour nous rappeler que l'exercice est plus comptable que politique.

Le premier est celui de l'année suivante, on ne peut le changer, sauf à renoncer au calendrier grégorien. Le second, celui de la contribution de la France, est lui aussi assez prévisible : 21,3 milliards d'euros cette année, un montant quasi inchangé par rapport à 2019. Il s'inscrit dans le cadre contraignant de l'élaboration du budget annuel de l'Union, qui ne peut recourir au déficit ou à la dette, encadrée par le cadre financier pluriannuel. Cette année, dernière du cadre financier en cours, aucune fantaisie budgétaire n'est autorisée.

Rituellement, et avec notre ferveur pro-européenne coutumière, nous voterons donc cet article. (Mme la secrétaire d'État s'en réjouit.)

La liturgie républicaine n'interdit cependant pas les questionnements parfois jusqu'au doute et à l'inquiétude. L'accord ou non sur le Brexit laisse planer un doute, comme les menaces de guerre commerciale généralisée. Le cadre financier 2021-2027 n'est toujours pas adopté. Le Brexit n'en est pas le seul responsable. Il existe aussi une explication plus endogène : la concordance entre calendriers politique, institutionnel et budgétaire de l'Union européenne. La décision finale reviendra à un Parlement fraîchement élu et une Commission nouvellement désignée. C'est une très bonne chose démocratiquement. Cela change de l'ineptie, selon laquelle les calendriers politique et budgétaire diffèrent.

Le principe d'un cadre financier pluriannuel, initiative de Jacques Delors en 1988, était une solution bienvenue aux crises annuelles lors de l'établissement du budget annuel, lorsque chaque États membre, surtout après une victoire aux élections, se livrait à un chantage - culminant, en 1984, avec l'obtention par Margaret Thatcher du fameux chèque britannique, rabais qui a entraîné des rabais sur le rabais au profit de plusieurs États membres. Au fil du temps, la part des contributions nationales n'a cessé d'augmenter en raison de la baisse des ressources propres traditionnelles. Les tensions budgétaires sont réapparues à la suite du grand élargissement puis de la crise financière de 2008.

La finalisation du prochain cadre financier pluriannuel ne sera pas de tout repos, avec le départ du Royaume-Uni, dont il n'est pas certain qu'il s'acquittera de toute sa dette. Le débat sur l'élargissement à des pays qui seraient débiteurs nets n'en est pas facilité...

Les ébauches qui intègrent des ressources propres à hauteur de 12 % anticipent des arbitrages drastiques sur les budgets de la PAC et de la politique de cohésion. Il faudra décider si nous voulons donner à l'Union européenne les moyens d'être réellement souveraine. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. Jean-François Rapin .  - Le cadre financier pluriannuel qui s'achève est le dernier à être exécuté à 28. Malheureusement, le prochain se fera sans le Royaume-Uni, ce qui représente un manque à gagner de 5,5 milliards d'euros par an, alors même qu'il devra financer de nouvelles politiques dans les domaines de la défense, de la sécurité, du contrôle des frontières et des migrations, de la lutte contre le changement climatique, de la recherche et de l'innovation.

La Commission européenne a réussi à présenter un budget qui peut être lu différemment, selon le point de vue, comme en hausse ou en baisse par rapport à la période 2014-2020. Selon qu'on retranche ou non la participation britannique, il représente 1,13 % à 1,16 % du revenu national brut (RNB) des États membres. Or pour la période 2021-2027, la Commission a proposé un budget pluriannuel équivalent à 1,11 % du RNB - une contraction des moyens de l'Union. Mais en termes absolus, on observe une hausse de 5 % par rapport à l'actuelle programmation...

Les coupes dans la PAC à laquelle mon groupe est très attaché et les politiques de cohésion sont inédites : moins 15 %, soit 7 milliards d'euros en moins pour la ferme France. C'est une erreur stratégique qui remet en cause notre capacité à répondre aux enjeux alimentaires et environnementaux, alors que tous les grands pays producteurs choisissent de renforcer les concours publics à l'agriculture.

Face aux défis, le manque d'ambition n'est une réponse ni appropriée ni tenable. Or les discussions sont encore très difficiles : certains contributeurs nets veulent rabaisser le budget à 1 % du RNB à 27, tandis que les bénéficiaires nets aimeraient le porter à 1,3 % de ce RNB.

La France affiche son volontarisme. Mais pour que sa voix soit entendue, elle doit rétablir ses comptes publics. Sinon, ses propositions connaitront le même sort que sa proposition de budget de la zone euro.

Ce prélèvement sur recettes étant le quatrième poste de dépenses de l'État, une augmentation du budget de l'Union européenne coûterait 2 milliards d'euros de plus par an avec ressources propres, et 6 milliards d'euros sans.

Toute pression accrue sur nos finances publiques ne serait pas tolérable si persistaient les rabais et corrections dont bénéficient plusieurs États membres. Cette réforme ne peut plus être repoussée - question de transparence et d'équité entre États membres. Le développement indispensable de nouvelles ressources propres pour l'Union européenne ne devra pas conduire à alourdir l'imposition de nos entreprises, déjà lourdement taxées. Un principe devrait être exigé comme règle d'or : chaque euro prélevé pour l'Union européenne devrait diminuer d'autant la charge au niveau national.

Je propose, pour ma part, une taxe carbone aux frontières de l'Union, dans un objectif à la fois économique et environnemental. Plus largement, il faut instaurer des taxes anti-dumping plus robustes dans tous les domaines.

Il est urgent d'accélérer les négociations sur le cadre financier pluriannuel. La perspective d'un accord a été repoussée au mois de mars, or le temps presse ; la mise en oeuvre de la nouvelle PAC a déjà été repoussée d'un an. Tout retard se traduit in fine par des difficultés supplémentaires sur le terrain. Il faut trancher le noeud gordien ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et UC)

M. Simon Sutour .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous regrettons le veto du président de la République à l'ouverture de négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord, qui met à mal la parole de la France et sa crédibilité - sans aucune consultation du Parlement.

Nous nous félicitons, en revanche, de la réunion à Paris, début décembre, d'un sommet au format Normandie sur la situation en Ukraine. Des représentants de ce pays, de la Russie et de l'Allemagne y participeront. C'est un espoir pour la paix.

La présidence finlandaise cherche à obtenir un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel d'ici la fin de l'année. Le départ du Royaume-Uni, deuxième contributeur net, laisse un trou de 13 milliards d'euros par an. Sans de nouvelles ressources propres, la contribution de la France devrait mécaniquement augmenter - jusqu'à 6 milliards d'euros.

Les nouvelles priorités ne doivent pas l'emporter sur les politiques traditionnelles, ni la transition écologique supplanter la justice sociale.

Le chantier majeur dans les prochaines années sera celui des ressources propres - il serait temps qu'il commence... (M. Jean-Claude Requier le confirme.)

Les crises, passées et à venir, ne doivent pas nous tétaniser mais être l'occasion de nouvelles étapes de la construction européenne.

Nous sommes inquiets concernant la politique de cohésion et la PAC. La première, qui représente un tiers du budget de l'Union européenne, soit 552 milliards d'euros, serait amputée de 50 milliards d'euros, dont 11 milliards seulement sont liés au départ du Royaume-Uni. C'est inacceptable ! Nous demandons au Gouvernement d'agir pour que la politique de cohésion conserve un budget conséquent : les territoires les plus fragiles en dépendent. L'affaiblissement des fonds structurels stopperait net le développement de nombreuses régions.

La présidence finlandaise dit faire de la réforme de la PAC une priorité - mais il ne reste que quelques mois pour aboutir à un accord. La France a besoin d'une réorientation de la PAC pour accompagner ses petites et moyennes exploitations agricoles, en montagne ou dans la zone méditerranéenne, éternelle sacrifiée.

Nous souhaitons que la France conserve une enveloppe inchangée. C'est indispensable pour opérer la transition vers un modèle plus durable.

Un budget européen ambitieux, tant par son volume que par la qualité des politiques poursuivies, serait le meilleur moyen de lutter contre le populisme. Le groupe socialiste et républicain, attaché à l'Union européenne, votera cet article. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE et sur le banc de la commission ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. Jean Bizet, président de la commission.  - Très bien !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes .  - Merci de vos interventions. Je suis chargée de vous demander d'autoriser le prélèvement sur les recettes de l'État au profit de l'Union européenne pour 2020. Notre contribution devrait être de 21,3 milliards d'euros, quasi stable par rapport à 2019. L'accord sur le budget 2020 intervenu la semaine dernière entre le Parlement et le Conseil n'est pas de nature à modifier cette prévision.

J'entends - pas ici mais dans les rangs des Républicains à l'Assemblée nationale - des propos d'estrade selon lesquels l'Union européenne coûterait cher à la France et ne lui rapporterait rien. Cela m'inquiète. J'ai été stupéfaite de l'abstention du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale sur cet article, pour la première fois.

M. Jean Bizet, président de la commission.  - Pas ici !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Je suis rassurée de voir la majorité sénatoriale porter haut les couleurs de l'Europe.

M. Yvon Collin.  - Nous sommes des gens sérieux.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Cette contribution est une contribution de solidarité envers les régions les plus démunies, les professions victimes du changement climatique - agriculteurs, pêcheurs, viticulteurs - les plus éloignés de l'emploi... C'est l'honneur de la France, pays fondateur, d'être un contributeur net.

Nous ne nous retrouvons d'ailleurs pas dans ces catégories comptables qui opposent au lieu de rassembler.

Certains veulent limiter le budget à 1 % ; nous voulons un budget à la hauteur des ambitions d'une Europe souveraine, qui assure la sécurité de ses citoyens, investit dans l'avenir, suit la voie d'un développement durable.

C'est pourquoi la France demande que 40 % du budget soit dédié à la transition énergétique. Il n'y a pas lieu d'opposer les politiques anciennes, qui seraient mauvaises, aux nouvelles, qui seraient bonnes. Il faut investir pour la souveraineté et la solidarité, pour réduire les inégalités dans les pays et entre les pays.

Certains demandent des rabais ; nous appelons à de nouveaux modes de financement plus clairs et plus lisibles, via des ressources propres, qui mettent à contribution ceux qui profitent de notre marché unique et financent une Europe plus forte.

Sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027, nous cherchons toujours un accord, mais pas à n'importe quel prix. Le Brexit, même sans accord, ne devra pas se traduire par une hausse trop importante de la contribution française.

Nous défendons tous la PAC, non par conservatisme mais par cohérence. Nos concitoyens doivent pouvoir consommer des produits sains, locaux, respectueux de la biodiversité et du climat. La PAC, c'est 0,3 % de la richesse répartie sur 80 % de l'espace continental. Nous voulons une PAC rénovée, qui investisse, assurant aux producteurs des moyens modernes et des revenus pérennes.

C'est un budget de transition écologique, où la politique de cohésion est préservée, en particulier pour les régions de transition où le sentiment européen est en danger. Nous soutenons le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, la contribution sur le plastique non recyclé, l'affectation du produit des enchères carbone au budget européen, l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Le volet numérique, lui, se discute au niveau de l'OCDE.

Nous plaidons pour la conditionnalité afin de lutter contre le dumping social et fiscal et faire respecter nos valeurs et l'État de droit. Le budget européen doit être un instrument politique, porter un projet de convergence sociale, une communauté de droits et de valeurs.

Le président de la République a proposé une grande conférence sur l'Europe. Le Parlement européen et la nouvelle présidente de la Commission ont repris son idée. Il s'agit de retrouver la confiance de nos concitoyens.

Le budget européen doit se traduire en actes pour les citoyens, sur tous les territoires. Je vous invite à me rejoindre dans mon tour de France de l'Europe du concret, à la rencontre des élus et des porteurs de projets ambitieux financés par des fonds européens. À Douai, la rénovation des corons est financée par l'Union européenne, de même que les maisons de service public du Pic Saint-Loup, les services de pointe à Thionville, ou encore Erasmus Pro à Pantin. Autant d'exemples que Mme Colette Mélot cite dans son excellent rapport.

M. Simon Sutour.  - Qu'il ne reste pas lettre morte !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Il est vrai cependant qu'il faut simplifier les procédures au bénéfice des élus et des porteurs de projet, mieux coordonner les fonds européens, au bénéfice des territoires. Commençons par ce qui est de notre ressort. J'ai présenté hier une proposition aux maires pour mettre fin aux tracasseries administratives et accélérer la mise à disposition des fonds.

Il faut que les 21 milliards d'euros que vous votez arrivent jusqu'à nos concitoyens pour les réconcilier avec l'Europe. Je n'attaque pas l'État ou les élus locaux, je ne cherche pas des responsables, mais des solutions ! Nous allons lancer une consultation pour que les porteurs de projet signalent les obstacles auxquels ils se heurtent. La tuyauterie européenne est inimaginable et peut décourager.

Dans ce cadre, parce que vous êtes proches des élus, le rôle des sénateurs est essentiel. L'Europe ne se projette pas de Bruxelles ni de Paris, elle se fait sur le terrain, en s'offrant aux élus et aux porteurs de projet. Vous m'aurez toujours à vos côtés. Dans quelques semaines, nous lancerons cette consultation ainsi que trois missions d'inspection, non pour rédiger un énième rapport mais pour suivre chaque projet avec attention et voir comment simplifier cette usine à gaz. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE et sur le banc de la commission ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

L'article 36 est adopté.

Prochaine séance, demain, vendredi 22 novembre 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 40.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication