Lutte contre la fraude (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.

Discussion générale

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été examiné en premier par le Sénat. Espérons que d'autres textes suivront cette voie tout à fait sage !

Nous sommes parvenus à un accord en CMP à une très large majorité, six mois après son adoption au Conseil des ministres et après une première lecture qui a enrichi le texte. De 11 articles, il en contient désormais 38. La CMP n'a connu que deux abstentions, marque de votre intérêt à lutter contre la fraude fiscale et douanière, et elle met fin au verrou de Bercy.

En première lecture, le Sénat s'est montré constructif par rapport à un texte aux ambitions modestes. Nous regrettons que l'Assemblée nationale ait supprimé 9 des 18 articles du Sénat. L'ensemble des dispositions initiales demeurent, amendées ou complétées, même si seul l'article premier créant une police fiscale de Bercy ne nous a pas totalement convaincus.

Sur les 19 articles additionnels insérés par l'Assemblée nationale, peu d'opposition. Ils améliorent des procédures existantes. Le Sénat a voulu, en CMP, sécuriser les procédures connues ou abandonner des procédures non sécurisées juridiquement. Nous regrettons que certains apports du Sénat ne soient pas retenus, mais ce texte reste utile dans la lutte contre la fraude fiscale.

Nous avons facilité le dépôt de plainte et supprimé le verrou de Bercy, tout en réservant la transmission automatique pour les dossiers les plus graves - avec, pour être conforme à l'exigence posée par le Conseil constitutionnel, trois critères cumulatifs : pénalités d'au moins 80 %, montant supérieur à un certain seuil fixé par décret et faits réitérés ou comportements aggravants.

Finalement, nous nous sommes ralliés à la rédaction proposée par l'Assemblée nationale, avec une procédure dont l'esprit est proche de celle que nous avions adoptée ; elle élargit les critères, tout en restant suffisamment contraignants pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel mais aussi éviter d'encombrer la justice. C'est un véritable progrès : l'administration est désormais liée par des critères légaux pour transmettre les dossiers les plus graves au parquet, même si elle conserve toute latitude pour transférer d'autres dossiers, par exemple par souci d'exemplarité.

L'Assemblée nationale a maintenu certains dispositifs comme le rétablissement de la faculté de transaction de l'administration fiscale en cas de poursuites pénales, celle de conclure une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) en cas de fraude fiscale ; l'interdiction faite à l'Agence française de développement de financer des dossiers avec des États non coopératifs ; ou encore, le renforcement de la lutte contre la contrebande de tabac.

Le Sénat, aussi, a renforcé la lutte contre la fraude à la TVA, absente du texte initial - la CMP a rétabli le régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA, que nous avions introduit en première lecture.

M. Philippe Dallier.  - Bonne idée !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur.  - Ce dispositif a démontré son efficacité au Royaume-Uni, avec d'importantes rentrées fiscales. L'article 4, qui prévoit une déclaration automatique des revenus par les plateformes, est également issu de nos travaux et nous l'avons encore amélioré.

Nous sommes parvenus à l'équilibre en CMP. Tant l'Assemblée nationale que le Sénat ont réalisé un travail constructif, espérons que cela continuera !

Nous regrettons souvent, au Sénat, des périodes de moindre activité. Faites confiance au Sénat en lui confiant plus de textes en premier !

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. Emmanuel Capus et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - La réussite de la CMP traduit le large consensus autour de ce texte qui vise à adapter nos outils de lutte contre la fraude aux enjeux de la fraude du XXIe siècle.

La discussion parlementaire a considérablement enrichi le texte, passé de 11 à 38 articles. L'Assemblée nationale a conservé la moitié de vos propositions, en particulier le délit de blanchiment, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l'étranger, le renforcement de la lutte contre les trafics sur le tabac, la faculté de transiger en cas de poursuites pénales.

L'article premier, supprimé par le Sénat, instaure une police fiscale qui interviendra en complément de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). Le Gouvernement s'est clairement engagé pour la bonne coordination des deux services.

Le Sénat a aussi fait preuve de pragmatisme sur le verrou de Bercy. L'Assemblée nationale a précisé utilement les critères de la transmission automatique. L'article 13 améliore la collaboration entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale comme cela existe déjà dans beaucoup d'autres pays. La circulaire d'application est en préparation, je vous la présenterai si vous le souhaitez.

Je salue la reprise par le Sénat d'apports bienvenus des groupes communiste, socialiste, Modem et La France insoumise comme à l'article 11 la possibilité d'inclure des États de l'Union européenne dans les États et territoires non coopératifs (ETNC).

Votre commission des finances a montré son attachement à la responsabilité solidaire des plateformes internet avec les prestataires et vendeurs ne payant pas la TVA. L'administration pourra prendre des mesures pour les sanctionner. C'est une avancée majeure.

Le Sénat a conjugué sa détermination pour lutter contre la fraude, avec le pragmatisme économique - pour que la lutte contre la fraude ne se fasse pas au détriment de la compétitivité de notre économie. Ainsi, la CMP a restreint le name and shame aux personnes morales et ajouté l'obligation de publier toute décision contentieuse favorable au contribuable.

Je me réjouis encore de votre position conciliante sur l'article 7, sachant que cet article ne vise pas tant les professions réglementées ni le secret professionnel, mais les officines qui agissent en dehors de tout cadre réglementé avec pour seul but que leurs clients échappent à l'impôt.

La CMP a fait aussi preuve de pragmatisme en supprimant l'obligation de communiquer aux représentants du personnel la documentation sur les prix de transfert, informations qui resteront à la disposition de l'administration en cas de contrôle fiscal.

Avec ces nouveaux outils, le projet de loi est adapté aux nouvelles formes de lutte contre la fraude : votre travail a été décisif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur le banc de la commission ; Mmes Françoise Gatel et Michèle Vullien applaudissent également.)

Mme Nathalie Delattre .  - En ces jours de commémoration de la Constitution de la Ve République, je citerai Georges Pompidou : « la fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme ».

M. Philippe Dallier.  - Très bien !

Mme Nathalie Delattre.  - Ce texte démontre, s'il en était encore besoin, combien le bicamérisme est un impératif démocratique dans notre pays. Je me réjouis de la réussite de la CMP. Après l'adoption de la loi pour une société de confiance cet été, voici le volet répressif des fraudes, lesquelles sont une entorse à notre pacte démocratique. La fraude représente 60 à 80 milliards d'euros, soit 20 % des recettes fiscales.

L'examen parlementaire a enrichi le projet de loi, passé de 11 à 38 articles.

Rapporteure pour avis, j'avais proposé la suppression de l'article premier, qui me paraissait redoubler les moyens de lutte contre la fraude fiscale du ministère de l'Intérieur. Je regrette la création d'une nouvelle police fiscale, alors que la BNRDF existe déjà : on crée un risque de guerre des polices.

Je salue l'article 9 bis qui renforcera l'efficacité des modes de poursuite et leur transparence, mais regrette que les députés aient supprimé l'article 9 ter ; qui inscrivait dans la loi la jurisprudence Talmon.

Mme Nathalie Goulet.  - Et oui !

Mme Nathalie Delattre.  - Le risque d'interprétation contrario est limité d'autant que nous avions précisé l'intention de cet article : ce risque ne justifie donc pas qu'on se prive d'inscrire dans la loi cette jurisprudence utile et fragile.

Je regrette que nous devions en arriver à pratiquer le name and shame car dénoncer et blâmer publiquement ne sont guère dans notre culture, mais je comprends que le droit évolue pour les seules personnes morales. De même pour l'évolution des pouvoirs de l'AMF dans la lutte contre les abus de marché.

La suppression du verrou de Bercy a fait l'objet de nombreux débats dans la presse. Nous voulions la transmission des dossiers concernant une fraude supérieure à 100 000 euros ; l'Assemblée nationale a complété le dispositif. Les lois de 2013 et de 2016, ainsi que l'accord multilatéral de 2016, avaient représenté des avancées. Même si ce texte n'est pas exemplaire, il est significatif. Le groupe RDSE votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je félicite les rapporteurs qui ont contribué à l'aboutissement de ce texte. Après des incantations, voilà des faits, pour consolider le pacte fiscal et social avec nos concitoyens. Sénat et Assemblée nationale ont trouvé un compromis.

M. Jean-François Husson.  - Cela arrive !

Mme Sylvie Vermeillet.  - Le Sénat a montré combien il était utile au débat démocratique.

Certes, nous regrettons la suppression de neuf articles d'origine sénatoriale, mais nous nous félicitons de l'adoption conforme de la lutte contre le blanchiment, de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale en cas de poursuites pénales ou encore du fait que les personnes physiques soient finalement écartées de la publication des sanctions.

Le Sénat a veillé à l'efficacité de l'application du projet de loi. L'article 4 ter a été rétabli, pour la responsabilité collective des plateformes en ligne, fort heureusement. Nous avons vu l'efficacité d'un tel dispositif au Royaume-Uni. L'enjeu est majeur, la TVA fournissant la moitié des recettes fiscales de l'État.

Je salue l'action décisive du Sénat contre le verrou de Bercy. Demain, le transfert des dossiers au procureur sera automatique dans certains cas. Cependant, réserver un traitement différent aux élus et aux fonctionnaires, ce serait contraire au principe d'égalité devant la loi : nul ne doit être au-dessus de la loi... ni en dessous !

Grâce à l'implication constructive de chacun, nous adoptons un texte attaquant la fraude fiscale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Emmanuel Capus .  - Nous sommes heureux que la CMP ait abouti à un accord. C'est suffisamment rare pour être souligné. (On approuve à droite.) Nos assemblées savent se retrouver sur les intérêts supérieurs de la Nation. La fraude fiscale touche au coeur du lien civique, au coeur de l'État.

Le texte a triplé de volumes. C'est peut-être un peu d'inflation législative. Le verrou de Bercy a été levé. Beaucoup de fantasmes entourent cette procédure qui ne consiste qu'à rendre à César ce qui appartient à César, c'est-à-dire faciliter le recouvrement des sommes dues par le fraudeur à l'administration fiscale.

La tentation était grande, et certains y ont succombé, de voir dans l'autorité judiciaire un parangon de vertu et dans l'administration le bras armé du copinage et du renoncement. Je ne partage pas l'idée que l'exemplarité exigée des élus et des fonctionnaires justifierait de les placer en dessous de la loi. Exemplarité ne doit pas rimer avec chasse aux sorcières et soupçon généralisé.

Plusieurs mesures vont dans le bon sens : le name and shame, utilisé avec mesure et aux seules personnes morales, est un bon outil, redoutable contre la fraude. La publicité des sanctions appliquées aux personnes physiques, elle, irait à l'encontre de la préservation de la vie privée, garantie par la Convention européenne des droits de l'Homme.

Je me félicite que le texte prévoit la publication des décisions favorables aux contribuables et que la mesure proposée par le Sénat contre la fraude à la TVA sur les plateformes en ligne ait été adoptée par la CMP.

Le groupe Les Indépendants se félicite de la position de compromis trouvée sur un texte qui se prêtait à tous les excès. La lutte contre la fraude a son importance ; le respect de la vie privée et l'équilibre de la justice aussi.

La tentation est grande de voir dans ce texte une occasion de clouer ces bourgeois au pilori comme disait Gérard Longuet. Je crois au contraire que c'est la force de notre République de punir avec justice et mesure, de prévenir avec fermeté et efficacité, de légiférer avec tempérance et souci de l'intérêt collectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. François Patriat .  - L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord important qui responsabilise les acteurs économiques et renforce l'administration. Gardienne d'un temps long, notre assemblée doit se réjouir que ces mesures n'aient pas été prises dans la précipitation.

La fraude fiscale bafoue nos principes républicains les plus essentiels, elle mine les finances publiques, 29 à 40 milliards d'euros selon les estimations du Conseil des prélèvements obligatoires, jusqu'à 80 milliards selon d'autres ; autant d'argent non investi au service de nos concitoyens.

Je salue le travail des rapporteurs des deux assemblées. Le projet de loi initial comportait onze articles. Le Sénat en a ajouté dix-huit. L'Assemblée nationale a conservé des ajouts utiles du Sénat comme la répression du délit de blanchiment douanier, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l'étranger, l'extension de la convention judiciaire d'intérêt public en matière de fraude fiscale, la lutte contre les trafics sur le tabac ou encore le rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale en cas de poursuites pénales.

L'article premier, réinscrit à l'Assemblée nationale, donnera de nouveaux moyens de sanctionner des fraudes complexes avec la création d'une police fiscale. Ni les moyens de la BNRDF, ni ses effectifs ne diminueront.

L'article 2 renforce les moyens des douanes pour le contrôle des logiciels en matière de lutte contre la fraude.

Autre démonstration du pragmatisme du Sénat : la responsabilisation des plateformes de vente en ligne en matière de fraude à la TVA.

Ce texte est équilibré, en ce qu'il dispense de l'obligation de transmission les plateformes dont les revenus sont exonérés par nature, comme la mise en relation pour du covoiturage ou la publication d'annonces pour la vente de biens d'occasion entre particuliers ; de même, il intègre un seuil de 3 000 euros, seuil que connaît bien le Sénat, en deçà duquel les revenus tirés de la vente de biens d'occasion ou bien du partage de frais ne feront pas l'objet d'une transmission à l'administration fiscale ; ce seuil est complété d'un critère cumulatif de fréquence de vingt transactions par plateforme.

Ce texte est aussi exemplaire avec l'introduction du name and shame et l'automaticité de la peine complémentaire de publication en cas de fraude.

L'article 13 sur le verrou de Bercy est évidemment important. Le sujet court depuis une trentaine d'années. Sur 4 000 dossiers répressifs, 1 000 sont transmis à la commission des infractions fiscales (CIF). Dans 90 % des cas, on aboutit à un dépôt de plainte. Émilie Cariou a proposé que l'administration transmette au parquet les dossiers qui concernent une fraude supérieure à 100 000 euros et ayant donné lieu aux pénalités les plus importantes, 100 % et 80 % ou de 40 % en cas de réitération. De même, l'administration pourra désormais porter plainte directement sans avis préalable de la CIF.

Je salue le travail de nos deux chambres, l'écoute du Gouvernement envers les parlementaires et la volonté de co-construction qui a présidé au texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Éric Bocquet .  - Au lendemain de l'ouverture du procès d'UBS, ce texte prend un visage bien pâlichon. Car ce procès illustre l'ampleur et la complexité de l'industrie de la fraude fiscale.

Vous annoncez à grands frais la création d'une police fiscale, mais, en même temps, la suppression de 2 130 postes dans l'administration fiscale. Comment se feront les contrôles ? Selon certaines sources syndicales internes, une entreprise était susceptible, en 2008, d'être contrôlée tous les quatre-vingt-quatre ans - et, actuellement, tous les cent trente ans ; pour les particuliers, les contrôles de fond réalisés sur place sont passés de 4 166 en 2008 à 3 613 en 2017, soit de 0,011 % à 0,009 % des contribuables. Pas moins de 3 100 emplois ont été supprimés dans les services de l'administration fiscale depuis 2010.

Le procès d'UBS se tient grâce à l'action des lanceurs d'alerte. La République leur est redevable : ce projet de loi était l'occasion de renforcer leur protection et reconnaître leur rôle dans l'entreprise. Ce texte devait aussi revoir la liste française des paradis fiscaux, où la Suisse ne figure pas. Le secret bancaire y aurait disparu. Pourtant le tribunal de Saint-Gall vient de donner raison à UBS qui refuse d'accéder aux demandes d'aide administrative de la France. Dès 2014, UBS a tenté d'obtenir sans succès une compensation sur reconnaissance préalable de culpabilité. Cette procédure discrète prévue par la convention judiciaire d'intérêt public est contraire au name and shame. En 2017, HSBC a accepté de payer une amende de 300 millions d'euros pour une fraude de 1,6 milliard d'euros. La justice n'est décidément pas la même pour tous - selon que vous serez puissant ou misérable !

L'amendement sur la délicate question des prix de transfert dans les entreprises a été supprimé alors qu'il constituait une plus-value en matière de transparence. M. Darmanin déclarait il y a quelques mois qu'il ne souhaitait pas plus qu'un aménagement du verrou de Bercy. La lumière jaillit soudain grâce à un amendement enfin accepté par le Gouvernement ; il y a eu, depuis, une communication dont l'efficacité a été redoutable auprès de l'opinion publique...

Oui, le verrou est desserré pour les dossiers de fraude supérieure à 100 000 euros, mais il n'est pas desserré. Le nombre de dossiers transmis automatiquement doublerait, à 2 000 : c'est la moitié seulement des quelque 4 000 dossiers considérés comme des fraudes graves par l'administration.

Nous prenons en compte la création de sanctions pour les intermédiaires dans ce texte. Effectivement, on ne peut jamais s'évader sans un peu d'aide. Cette proposition figurait dans les rapports des commissions d'enquête.

Nous prenons en compte également la clarification vis-à-vis des plateformes de l'économie collaborative. Nous restons donc très nettement sur notre faim. Le compte n'y est pas, le déroulement de la CMP a été particulièrement éclairant et a permis de jauger les intentions dans leur réalité. Nous ne voterons pas ce texte.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - La lutte contre la fraude fiscale est de longue haleine. Ce fléau nuit à l'équilibre des entreprises et contrevient au pacte social. Nous nous félicitons qu'un texte traite de ces sujets et nous notons des avancées comme le dispositif encadrant les plateformes internet, le name and shame ou la création de la police fiscale.

Cependant, cette loi représente une série d'occasions manquées. L'ouverture du verrou de Bercy constitue une avancée réelle, mais ne va pas assez loin car les dossiers qui ont fait l'objet d'une sanction administrative de 40 % devraient être transmis directement au parquet.

Les juges devraient aussi pouvoir ouvrir une information connexe sur des dossiers pas forcément de nature fiscale.

La jurisprudence Talmon a permis le procès UBS. Pourquoi ne pas l'avoir inscrite dans la loi ? On nous dit que ce serait la fragiliser. Cette subtilité m'échappe. La lutte contre l'optimisation fiscale aurait pu aller plus loin. Certains députés de la majorité en conviennent qui disaient ce matin dans la presse qu'il faudrait supprimer les niches à évasion fiscale : si vous vouliez véritablement lutter contre la fraude fiscale, monsieur le ministre, il faudrait agir contre ces niches bien particulières.

L'objectif principal de ce Gouvernement est d'aider coûte que coûte les entreprises, quitte à réduire les dépenses sociales. On aurait gagné quelques mois si on avait inscrit la lutte contre le blanchiment dans ce texte plutôt que dans la loi Pacte. Le Gouvernement semble considérer que finalement la fraude fiscale, ce n'est pas si grave et que l'essentiel est de privilégier la négociation pour que l'État retrouve ses recettes fiscales. Or la fraude fiscale, c'est une faute morale. Le plaider coupable et la convention judiciaire d'intérêt public participent de cette philosophie. Nous souhaitons au contraire, une politique de dissuasion.

Dans l'histoire, il y a deux sortes de lois contre la fraude : celles qui interviennent après de grands scandales et celles qui compensent une politique fiscale favorable aux plus riches. Ce texte répond au second cas : c'est pourquoi nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

M. Jérôme Bascher .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Voilà six mois que ce texte a été présenté en Conseil des ministres. Nous en partageons l'objectif. Il est de bon goût qu'il arrive après le texte sur la société de confiance.

Eric Bocquet a rappelé le procès UBS. En 2012, le Sénat a évalué à 30 à 50 milliards d'euros le préjudice lié à la fraude fiscale. Aujourd'hui, à cause du développement numérique mal maîtrisé, nous en serions à 100 milliards d'euros. C'est considérable !

La fraude est une offense pour ceux qui ne paient pas d'impôt ; c'est aussi et d'abord une injustice pour ceux qui en paient (M. Laurent Duplomb applaudit ; applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Pour lutter contre la fraude, il faudrait, dans un pays champion des prélèvements obligatoires comme le nôtre, commencer par baisser ces prélèvements ! Ce serait même la mesure la plus efficace pour lutter contre la fraude.

Panama a commencé, le 3 octobre, à diffuser l'information fiscale auprès d'autres pays, dont la France : c'est une bonne nouvelle, dont on ne parle guère.

Ce texte n'est évidemment pas aussi bon que celui qui était sorti du Sénat.

M. Bruno Sido.  - Hélas !

M. Jérôme Bascher.  - Mais nous restons attachés au bicamérisme et saluons le texte sorti de l'Assemblée nationale.

Nous n'avions pas voulu de la police fiscale - mais avons accepté sa création. Il faudra l'évaluer, pour éviter le risque de guerre des polices fiscales.

Le Sénat avait aussi prôné un abattement forfaitaire de 3 000 euros pour les revenus perçus par les particuliers sur les plateformes de vente en ligne et déclarés directement par celles-ci. L'Assemblée nationale ne l'avait pas retenu, contre l'avis du Gouvernement. Le Sénat aura été précurseur, puisque cette idée est reprise à son compte par la majorité dans la loi Pacte. Il s'agit de sanctionner les fraudeurs, non les particuliers honnêtes.

Je regrette que l'interdiction des cartes prépayées par les plateformes n'ait pas été retenue : l'anonymat favorise non seulement le blanchiment mais a permis à un criminel de Strasbourg d'attirer sa proie. Je n'en vois pas l'utilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Alors que la fraude à la TVA sur les plateformes de vente en ligne représente plusieurs milliards d'euros, le projet de loi initial ignorait le sujet. Heureusement, la CMP a rétabli les apports de notre rapporteur, ce dont nous nous félicitons. Le problème du carrousel de TVA mérite une réponse rapide.

De même, la CMP est revenue sur le texte de l'Assemblée nationale pour que le name and shame ne vise pas les personnes physiques - qu'un juge peut innocenter ultérieurement.

La convention judiciaire d'intérêt public, créée par la loi Sapin 2, est étendue à la fraude fiscale.

Notre commission des finances a su convaincre l'Assemblée nationale et le Gouvernement de lever, enfin, le verrou de Bercy. Certes, c'était avant tout un symbole, mais dans le temps de la transparence, il était nécessaire qu'il sautât. Certains auraient voulu aller plus loin mais il fallait tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je salue les efforts d'Albéric de Montgolfier et d'Émilie Cariou pour trouver une solution en CMP. Je remercie aussi le président Éblé. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Antoine Lefèvre.  - Très bien.

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je ne parlerai pas de la vraie-fausse suppression du verrou de Bercy. La CMP a supprimé l'article 1er B, introduit par le Sénat en première lecture sur amendement du groupe UC, qui encadrait le délai et fixait la procédure en cas de question préjudicielle pour éviter les conflits de juridictions.

Avec l'article 8, le juge pénal devra surseoir à statuer en attendant que le juge de l'impôt - le juge administratif - fixe le montant de l'impôt fraudé, puisque l'amende pénale pour fraude fiscale devient proportionnelle à celui-ci. Or la jurisprudence de la Cour de Cassation impose que le juge pénal recherche et détermine le montant des impôts fraudés servant de base de calcul aux pénalités...

Le texte voté par la CMP créé une obligation systématique de sursis à statuer dans les dossiers pénaux de fraude fiscale, sans organiser ces renvois. Le Conseil d'État, juge administratif suprême, va-t-il accepter que le juge pénal fixe lui-même le montant des redressements fiscaux ?

Le texte de la CMP aboutit à complexifier la procédure. Cela fera le bonheur des cabinets fiscalistes. Il faudra revoir l'article 8, inapplicable. Voilà ce qui se passe lorsqu'il n'y a pas de navette ! J'attends avec impatience le décret d'application. L'article 8 est inapplicable et ne donne aucune garantie au justiciable, au contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Thierry Carcenac .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Mme Taillé-Polian a dit les avancées mais aussi la frilosité de ce texte. L'ingéniosité des fraudeurs est sans limites. Après la loi sur la société de confiance, qui consacrait le droit à l'erreur, ce projet de loi rétablit un certain équilibre.

Notre groupe avait défendu en première lecture la création d'une police fiscale sous le contrôle du juge. Il ne faut pas craindre une guerre des polices ; l'exemple de la police douanière, créée en 2010, le montre.

On constate une baisse du nombre de contrôles fiscaux et une diminution des effectifs de la DGFiP, alors que la fraude reste évaluée entre 60 et 80 milliards d'euros.

Rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », j'ai souligné l'inégalité de traitement des entreprises selon les territoires : les sièges sociaux sont concentrés dans quelques départements et la fréquence des contrôles varie en fonction de l'implantation des brigades et du tissu économique. Les méthodes évoluent avec le contrôle à distance et ciblé grâce au data-mining. J'espère que les suppressions de postes à Bercy ne se feront pas au détriment du contrôle fiscal. Nous y reviendrons en loi de finances...

Le groupe socialiste sera toujours favorable au renforcement de la lutte contre la fraude fiscale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur certains bancs du groupe CRCE)

La discussion générale est close.

M. le président.  - En application de l'article 42 alinéa 12 du Règlement, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement ; le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 10

Remplacer les mots :

au deuxième alinéa du présent II

par les mots

à l'avant-dernier alinéa du I

L'amendement de coordination n°1, accepté par la commission, est adopté.

M. le président.  - Conformément à l'article 42 alinéa 12 du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l'amendement qui vient d'être adopté par le Sénat.

L'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance est suspendue quelques instants.