Politique industrielle

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la politique industrielle et l'avenir de notre industrie.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des présidents.

Je vous rappelle que les auteurs du débat disposeront d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

M. Alain Chatillon, président de la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays .  - Notre industrie est un élément fort de notre pays, rappelons-le. M. Bourquin et moi-même avons, après celui de 2011, effectué un nouveau travail important sur Alstom et l'industrie, fondé sur une dizaine de déplacements et une cinquantaine d'auditions.

Comment améliorer la situation actuelle ? Voilà l'enjeu.

De 5,4 millions dans les années 80, nous sommes passés à 2,4 millions d'emplois dans l'industrie. L'Allemagne a quatre fois plus d'entreprises de taille intermédiaire que la France : pourquoi ? Comment se fait-il que la France, premier pays exportateur dans l'agro-alimentaire il y a dix ans - 11 milliards d'euros d'excédent - ne soit plus que le troisième après l'Allemagne et l'Italie ? La digitalisation et la concurrence n'y sont pas étrangères, mais n'expliquent pas tout.

Face au géant chinois qui représente 30 % du marché mondial, et à son second américain qui pèse 17 %, il faut assurément constituer un géant européen, nous y sommes favorables. Mais pourquoi le faire au détriment d'Alstom ? Ce sera l'objet de notre débat.

Qu'en est-il de la réindustrialisation ? Surtout, comment se fait-il que nous ayons autant perdu ? Nos cuisines n'ont plus un seul appareil français : pourquoi ? Il faudra examiner les mesures à prendre pour limiter la concurrence qui s'affranchit des normes.

Sur les vingt-sept propositions que nous avions formulées avec Martial Bourquin, il y a sept ans, très peu ont été suivies. J'espère que nos 45 propositions actuelles rencontreront un écho plus large, grâce à vous, Madame la Ministre, à l'occasion de la loi Pacte.

Nous proposons en particulier un PEA totalement défiscalisé pour les PME-PMI...

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Alain Chatillon.  - Allons plus loin, Madame la Ministre !

M. Martial Bourquin, rapporteur de la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays .  - C'est à la suite du rapprochement entre Alstom et Siemens que nous avons lancé notre étude, car il était manifestement déséquilibré. Nous avons donné la majorité à Siemens sur un groupe qui a eu 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2017 et qui vient de remporter le métro à Ryad, à Bombay, à Francfort, à Shanghai, le TGV de nouvelle génération en Italie. Pour cinq ans, la commande publique française seule garantissait son avenir.

Nous étions pour un accord mais équilibré, sur le modèle d'Airbus. Pourquoi avoir ainsi laissé un grand groupe sous la coupe étrangère, comme cela a été fait pour d'autres groupes vendus à la découpe ? C'est d'autant plus absurde que l'industrie du futur est une extraordinaire opportunité. Mais il sera bientôt trop tard. Il ne nous reste que cinq ans pour construire cette industrie du futur, ou bien tout nous échappera.

Or la question industrielle est sous-estimée en France, quel que soit le gouvernement, c'est culturel. Il faut que la France croie de nouveau à l'industrie. Nous ne devons pas accepter ce que disait Michel Houellebecq : une France vidée de ses usines et de ses ouvriers, où ne subsisteraient plus que des stations de ski et des hôtels de charme. Pour cela, il faut favoriser les territoires français, notre tissu industriel - c'est le sens du suramortissement, que nous avons voté à l'unanimité. L'Allemagne pense d'abord à l'Allemagne, l'Italie, à l'Italie ; la France, elle, a trop tendance à voir le développement de ses grandes entreprises à l'étranger. Or ce n'est qu'en réindustrialisant la France qu'on fera baisser le chômage.

Alstom, douze sites en France, 8 500 employés, 4 500 sous-traitants, doit être rééquilibré.

La France ne restera une grande puissance qu'en conservant un socle industriel puissant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de vos propositions ; je partage votre sentiment d'urgence.

Malgré les chiffres positifs sur l'investissement étranger ou le solde entre les fermetures et les créations de sites industriels, nous sommes conscients de ce que l'effort doit être soutenu. L'industrie est notre héritage et notre futur. C'est ce qui garantit notre souveraineté. Dès le premier jour du quinquennat, nous avons agi pour améliorer l'environnement des entreprises : suppression de l'ISF, prélèvement fiscal unique, loi Travail, transformation du CICE en baisses de charges, autant de mesures au service de la production industrielle.

Nous allons continuer. Nous voulons faire de la France la première puissance d'innovation en Europe. Il faut pour cela investir et réformer la formation et l'apprentissage. Le fonds pour l'innovation et l'industrie, doté de 11 milliards d'euros, plutôt que d'immobiliser des capitaux dans des entreprises, préparera l'avenir du pays. C'est pourquoi nous sommes défavorables à la proposition 31 : l'État ne doit pas se transformer en gestionnaire financier.

Nous avons créé 16 filières structurantes, dans des domaines très variés, de l'automobile à la santé.

L'association entre les pouvoirs publics et l'industrie automobile est indispensable pour développer les véhicules hybrides.

Même chose pour l'industrie pharmaceutique, avec une banque de données médicales qui sera la plus riche du monde.

Nous réduisons les délais pour mener des essais cliniques et obtenir les autorisations de mise sur le marché. Je suis aussi engagée pour ancrer l'innovation dans les territoires. La démarche de relabellisation des pôles de compétitivité est lancée. Nous ne sommes pas naïfs : nous devons rester maîtres de nos innovations.

Avec la loi Pacte, l'État pourra intervenir dans plus de secteurs stratégiques, notamment l'espace, le stockage de données, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs.

La fusion entre Alstom et Siemens a été faite pour réagir à l'arrivée d'un géant chinois. Des engagements ont été pris pour maintenir le siège et la gestion en France. C'est un mariage entre égaux mais avec une structure actionnariale asymétrique. Le Gouvernement veillera à ce que cela ne change pas et à préserver l'équilibre franco-allemand - et que les engagements pris soient tenus, en particulier celui de préserver le niveau d'emploi pendant quatre ans.

Notre plan d'action pour la croissance porte une priorité sur les PME, trop souvent freinées, trop petites et n'innovant pas assez.

Deuxième défi : la digitalisation et la robotisation de l'industrie. Le Premier ministre a pris des engagements sur ce point récemment : investissements massifs de base, suramortissement, plateforme numérique pour la digitalisation filière par filière.

Autre défi, les territoires, avec l'initiative « Terre d'industries », qui constitue un kit pour leur donner les outils dont ils ont besoin.

Je salue le travail de votre commission et vos 45 propositions. Nombreuses sont celles qui trouveront leur place dans la loi Pacte. Restez mobilisés : votre parole compte pour que l'industrie attire les meilleurs talents. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur le banc de la commission)

M. Franck Montaugé .  - La mission d'information appelle l'État à renouveler sa politique industrielle. La vente d'ADP, d'Engie et de la Française des jeux génèrera un gain médiocre. Ce n'est pas 10 milliards d'euros qui seront affectés, mais les dividendes générés par vos cessions. Vous escomptez un rendement de 250 millions d'euros alors que les dividendes de ces entreprises ont oscillé entre 850 millions en 2007 et 1,5 milliard en 2012.

Comment justifiez-vous de céder des placements qui généraient un rendement de 10 % pour passer à 2,5 % ? Où est la belle affaire pour l'État ? S'agit-il simplement d'éviter de passer le cap symbolique de la dette publique à 100 % du PIB ? À qui profitera cette véritable spoliation des Français ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Notre logique, c'est l'État stratège plutôt que l'État gestionnaire. Nous voulons investir dans l'industrie de demain plutôt que dans des entreprises - si profitables soient-elles, même si je n'ai pas les chiffres précis en tête.

La Française des jeux continuera à générer de la recette fiscale, bien plus importante que les dividendes. Ces cessions seront sécurisées du point de vue de la régulation. Notre choix d'un placement en obligations d'État donne de la stabilité, de la visibilité.

M. Franck Montaugé.  - L'État se privera de ressources précieuses. Pour éviter de revivre la tragédie de la cession des autoroutes de 2009, il faudrait que le produit soit au moins égal à la somme actualisée des dividendes auxquels vous renoncerez. Nous y serons vigilants.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Le Nord-Pas-de-Calais a encore perdu 1 400 emplois industriels entre 2017 et 2018, alors que l'hémorragie est continue depuis vingt ans - en dix ans, le recul est de 70 000 emplois.

L'entreprise Balsan, à Calais, spécialisée dans la fabrication des tenues des grands corps de l'armée, est titulaire du marché de l'Armée de terre ; elle détient un savoir-faire unique, qui n'est guère valorisé dans la passation des marchés. Le général Lecointre a déchiré sa veste d'apparat le dernier 14 Juillet : l'entreprise calaisienne l'a remplacée en vingt-quatre heures.

De même pourquoi priver l'entreprise Protécop d'un marché de 300 000 gilets pare-balles pour l'armée et le confier à un concurrent irlandais qui produit en Asie ?

Que dire aussi de l'aciérie Ascoval menacée par l'insuffisance du tarif d'achat de l'acier proposé par Vallourec, actionnaire principal, qui menace ainsi le modèle économique même d'Ascoval ? L'État détient 16% du capital : les salariés peuvent-ils dormir sur leurs deux oreilles ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Vous citez deux entreprises, Balsan et Protécop, qui ont su évoluer vers le sur-mesure. La perte des marchés est bien sûr une mauvaise nouvelle. La direction des achats du ministère de la Défense veille à ce que les modalités de choix prennent le plus en compte les spécificités des fournisseurs et maximisent le recours aux producteurs nationaux.

Ascoval est concerné par des projets de reprise qui doivent être solides et durables, nous y veillons.

M. Jean-François Longeot .  - Le véhicule électrique passera de 1 à 30 % du marché - véritable révolution comparable au passage au moteur à explosion. Les équipements et les pétroliers devront s'adapter. Le temps de travail de la fabrication des hybrides sera supérieur à celui d'un véhicule actuel. Surtout, il faut encore créer des filières de réutilisation des batteries. Même chose pour les téléphones portables, dont seulement 15 % sont collectés. La mission d'information que j'avais présidée en 2016 a fait des propositions, qui mobilisent l'économie sociale et solidaire : madame la ministre, comptez-vous soutenir la constitution d'une filière du recyclage ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Vous avez raison. Le recyclage des batteries est un enjeu majeur. Elles contiennent des métaux rares comme le lithium ou le cobalt. La France est très active dans le domaine.

Les compétences nationales en matière de recyclage sont nombreuses, le Gouvernement examine un projet de filière.

L'État soutient la recherche et le développement, tant en amont qu'en aval, l'éclosion-création d'un cluster performant.

M. Dany Wattebled .  - Force est de constater que la France a perdu une part de sa souveraineté avec la perte des turbines, du matériel de santé, et maintenant des trains : Alstom a été bradé à Siemens au nom de l'amitié franco-allemande alors qu'on nous parlait d'un Airbus du rail équilibré. C'est une occasion ratée. L'enseignement est que nous devons veiller à ces cessions. L'État ne risque-t-il pas de se priver d'outils indispensables à sa souveraineté ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Les cessions prévues dans la loi Pacte s'accompagnent d'une régulation des intérêts des consommateurs. Nous réinvestissons les produits des cessions dans les innovations de rupture. Le Fonds pour l'innovation et l'industrie financera à hauteur des deux tiers les entreprises de demain dans l'intelligence artificielle ou le stockage de l'énergie par exemple, et un tiers soutiendra les startups innovantes. C'est un choix stratégique.

M. Dany Wattebled.  - Ce n'est pas en bradant des fleurons industriels que l'on soutiendra l'industrie et qu'on fera reculer le chômage.

Mme Sophie Primas .  - Vu le contexte budgétaire contraint, notre mission a estimé qu'il ne fallait pas se priver de revoir le portefeuille d'actions de l'État. Mais cette réorientation de l'actionnariat public ne doit pas priver l'État d'une manne financière, ni aboutir à se dessaisir de secteurs stratégiques au profit d'acteurs étrangers. Une régulation doit être mise en place. Ensuite, les fonds obtenus ne doivent pas être uniquement réinvestis dans les startups mais aussi dans toutes les autres industries. Dans tous les cas, enfin, le Parlement doit être associé à la politique actionnariale de l'État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Je comprends que vous n'êtes pas défavorable à une modification du portefeuille de l'État. Nous avons aussi cette vision sélective. L'État doit être présent dans les entreprises stratégiques, de défense, ou du futur. Les cessions de la loi Pacte s'accompagnent d'une régulation ferme et un droit de regard de l'État, avec un dispositif d'actions enrichi dans certains cas.

Enfin, le Parlement sera associé. C'est l'objet même du chapitre 2 de la loi Pacte.

Mme Sophie Primas.  - ADP a une dimension stratégique forte. En matière de participation de l'État, l'agilité doit primer. Quant au Parlement, il faut l'associer régulièrement aux décisions de privatisation. M. Chatillon, qui représente le Parlement dans ce dossier, n'est pas assez informé.

M. Richard Yung .  - Le constat est clair, nous le partageons tous : depuis vingt ans, la France n'a pas su protéger son industrie. Nous pourrions nous inspirer de l'exemple italien, qui a défendu son industrie, et dont le PIB industriel est aujourd'hui le double du nôtre - alors que l'État italien n'a pas mené de politique particulièrement ambitieuse. Nous avons pourtant beaucoup d'outils : les pôles de compétitivité, la BPI, etc.

Que comptez-vous faire pour les harmoniser, renforcer la cohérence de l'action publique ? Comment faire aussi pour obtenir l'ouverture des marchés publics américains ? Enfin, quelles seront les propositions françaises pour la politique industrielle européenne, mise à l'ordre du jour du prochain Conseil européen ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Vous avez raison : il faut que les leviers d'action dont on dispose soient cohérents. Nous devons aussi associer les régions. C'est ce que nous faisons dans le cadre des filières. De même, le Comité national de l'industrie est organisé de manière matricielle et par filière.

Nous manquons d'outil de réciprocité avec les États-Unis. Le sujet est sur la table  - mais je ne vous cache pas que ce dossier est difficile.

Enfin, nous avons fait des propositions sur la politique industrielle européenne en vue du prochain Conseil européen.

M. Fabien Gay .  - Alstom, même réduit à la portion congrue, représente encore des sites nombreux en France, des milliers de salariés et de sous-traitants. La part d'Alstom dans la commande publique est forte mais l'opacité règne sur la répartition de la production entre la France et l'étranger. Ainsi un sous-traitant métallurgique a-t-il fait faillite cet été, l'externalisation se développe au profit de moins-disants sociaux. Et le contrat de 22 locomotives prévu pour l'usine de Belfort n'a toujours pas été attribué ! La commande publique joue un rôle majeur. L'absorption d'Alstom par Siemens est remise en cause par certaines autorités de la concurrence, hors de France.

L'État n'entrera pas au capital alors qu'il le pourrait. Comment justifier cette fusion ? Beaucoup de questions restent sans réponse pour le plan de charge de tous les sites concernés. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Un montant de commande publique important a été octroyé à Alstom pour de nombreuses années. Dans ce cadre, nous veillons à ce que ces commandes bénéficient à l'écosystème industriel en France. C'est au coeur de notre stratégie. Des plateformes numériques ont été créées et garantissent la transparence sur les plans de charge.

Quant à la commande de 22 locomotives, l'appel d'offres est en cours : je ne peux vous en dire davantage.

Mme Viviane Artigalas .  - Dans les Hautes-Pyrénées, l'usine de Tarbes compte 630 salariés. Elle participera à la construction des trains à hydrogène et au TGV du futur. Le PDG d'Alstom m'a confirmé que le site de Tarbes, d'importance industrielle, ne serait pas menacé. C'est sans doute vrai, mais la question de la commande publique est posée. Ainsi c'est l'Allemagne qui commande le train à hydrogène.

Quelle stratégie comptez-vous mettre en oeuvre pour développer la commande publique en France, associer les régions, et pérenniser nos sites industriels ?

La séance est suspendue quelques instants.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Nous avons tous été frappés par la commande allemande de trains à hydrogène. La France réfléchit aussi et travaille aux mobilités décarbonées car elles sont l'avenir.

Le site de Tarbes sera pérennisé, l'accord avec Siemens prévoyant le maintien de l'emploi, des sites et du volume de la recherche et développement en France. C'est la volonté française de préserver nos sites.

Je suis persuadée que l'excellence de nos ingénieurs et de nos ouvriers sera le gage de la pérennité de nos sites.

Mme Viviane Artigalas.  - Vous n'avez pas répondu sur la commande publique plus généralement. L'actionnariat public est le gage de l'ancrage des industries sur le territoire.

Mme Valérie Létard .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Dans les Hauts-de-France, l'industrie emploie 300 000 personnes. L'industrie évolue avec des bonnes nouvelles comme la modernisation de l'usine Toyota ou les commandes pour le site d'Alstom de Petite Forêt.

Mais l'aciérie Ascoval est en difficulté. Pourtant le président de la République a reconnu son excellence, lors de la visite qu'il y a faite. Or l'usine est en procédure de redressement judiciaire.

Altifort propose de reprendre 280 salariés et de développer le site avec un train à fil. Seule condition : l'engagement de Vallourec pendant dix-huit mois. Bruno Le Maire soutient le projet et a réuni les acteurs. L'État en effet est actionnaire de Vallourec.

L'offre d'Artifort doit être remise pour le 19 octobre. Où en est-on ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Nous n'avons pas le sentiment que le marché du Grand Paris Express pose problème. Si vous avez des éléments à votre connaissance, je serai ravie d'en discuter avec vous.

L'État et la Région ont accompagné la reprise d'Ascométal, qui a laissé de côté Ascoval. Notre rôle est d'accompagner les repreneurs pour construire un projet viable et donner des perspectives crédibles aux salariés.

Entre retournements de conjoncture et instabilité de l'environnement international, le secteur de la sidérurgie est complexe. Le TGI de Strasbourg a accordé un délai supplémentaire de quatre semaines pour donner le temps aux repreneurs potentiels d'affiner leurs projets pour Ascoval, sachant que les deux candidats ne disposent pas pour l'heure des financements nécessaires. Nous recevrons les parties prenantes la semaine prochaine.

Depuis la CECA, on ne saurait faire n'importe quoi en matière d'aides publiques. Nous travaillons très sérieusement sur ce dossier compliqué, croyez-moi.

M. Cédric Perrin .  - La Haute Assemblée se penche sur l'organisation de la filière industrielle ferroviaire. Cette filière d'excellence a besoin de visibilité pour la planification des besoins et la programmation des projets. La puissance publique, arbitre de la commande publique, est au coeur de l'écosystème ; il faut une visibilité à quatre ou cinq ans. Quelles initiatives de programmation pour soutenir l'activité ?

Comment être plus offensif pour faire insérer des clauses de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans les appels d'offres ? Avec les contraintes budgétaires, le prix devient l'unique critère d'attribution. Il faut lutter contre le choix du moins-disant en valorisant les critères de RSE pour ancrer les projets en France et préserver l'emploi. La France et l'Europe doivent s'engager dans des démarches responsables. Comment le Gouvernement compte-t-il agir ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Nous avons bien conscience de l'importance de la commande publique pour les grands donneurs d'ordres, qui en dépendent à 75 %. Nous cherchons à leur donner une visibilité à quatre ou cinq ans et mettons en place des outils de prévisibilité partagés, transparents, entre donneurs d'ordre, sous-traitants et pouvoirs publics.

Le code des marchés publics permet d'inclure des clauses sociales et environnementales. Le ministère de l'économie aide les acheteurs et les entreprises à les comprendre, via des guides pratiques ; des groupes de travail européens veillent à l'homogénéité.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont .  - Comme de nombreux territoires ruraux, la Haute-Vienne n'est guère connue pour son industrie ; elle abrite toutefois, dans des unités de production de petite taille, des savoir-faire pointus. Au-delà de la porcelaine, citons l'habillement haut de gamme - Weston, France Confection, peausseries de Saint-Junien... Les élégantes chaussettes Archiduchesse sont réalisées par les 50 employés de l'entreprise Broussaud aux Cars, commune de 630 habitants. Peret Industrie, entreprise métallurgique limougeaude, a rénové les grilles du Sénat et de l'Opéra de Paris et travaille actuellement sur le chantier de la Samaritaine.

Le made in France, ou plutôt la « fabrication française »...

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.  - ... est un argument pour séduire les consommateurs, et cette dynamique s'amplifie.

Pour autant, ces entreprises sont fragilisées par une fiscalité inadéquate et les difficultés de recrutement. Le maintien d'une politique industrielle territorialisée passe par une meilleure coordination de l'action des pouvoirs publics mais aussi par une revalorisation des métiers et des formations industrielles, en créant des classes d'excellence dans l'apprentissage ou en faisant des métiers de l'industrie un axe du plan d'investissement dans les compétences. L'exposition « L'usine extraordinaire » au Grand Palais pourrait être une occasion ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Vous avez évoqué de nombreuses thématiques qui sont au coeur de nos efforts. La visibilité de l'exposition « L'usine extraordinaire » permettra, je l'espère, de changer l'image parfois poussiéreuse des métiers de l'industrie aux yeux des jeunes. Avec Mme Pénicaud, nous sommes mobilisées pour que la réforme de l'apprentissage bénéficie à l'industrie, et les filières industrielles du Conseil national de l'industrie se sont engagées à augmenter de 40 % le nombre d'apprentis.

Les savoir-faire spécifiques dans le haut de gamme sont bien en ligne de mire du Comité stratégique de filière (CSF) Mode et Luxe, avec un focus sur les façonniers pour les aider à rayonner à l'international, préserver la tradition - via le label « entreprise du patrimoine vivant » - tout en tirant le meilleur parti des nouvelles technologies.

M. Jean-François Husson .  - En Meurthe-et-Moselle, on sait ce que désindustrialisation signifie. L'industrie française a d'abord perdu des parts de marché dans le bas et moyen-de-gamme ; désormais, elle est aussi menacée dans le haut de gamme. Les rapports de force mondiaux se transforment : les États-Unis mènent une politique fiscale agressive, la Chine devient leader dans le spatial, l'aéronautique, le ferroviaire, et l'intelligence artificielle.

La part des exportations françaises ne cesse de baisser. Nos handicaps sont connus : fiscalité, investissement insuffisant dans la recherche et développement.

L'innovation est la clé de l'industrie du futur. Notre modèle industriel doit s'adapter aux mutations, à la robotique, aux enjeux environnementaux. Quelles stratégies de reconquête industrielle et commerciale le Gouvernement compte-t-il déployer, en favorisant la qualification et la formation ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Il s'agit bien, en effet, de stratégie de reconquête. En matière de compétitivité, nous avons agi, avec la réforme fiscale, les ordonnances Travail, l'investissement dans les compétences. L'industrie et les filières sont mobilisées sur les nouveaux marchés, la transformation numérique via le plan Industrie du futur - suramortissement, centres d'accélération de l'industrie du futur déployés sur le territoire, etc... La dimension européenne, enfin, est indispensable pour identifier les chaînes de valeur stratégiques et les ancrer en Europe.

M. Jean-François Husson.  - Un document de travail du ministère d'avril 2018 indique que les prélèvements obligatoires sur le secteur industriel pénalisent la France : 72 milliards en 2016, soit 3,2 % de la richesse nationale, le double de ce qui a cours dans la zone euro. À l'inverse, les investissements dans le numérique représentaient 0,5 % du PIB, contre 1,2 % dans la zone euro et 1,4 % aux États-Unis. Le secteur industriel a un effet multiplicateur exceptionnel en termes d'emploi et de création de valeur. Il y a urgence à agir !

M. Bernard Fournier .  - Depuis le début des années 90, notre industrie connaît une chute sans fin : près d'1,5 million d'emplois perdus en 25 ans ! Sa part dans l'activité est passée de 20 % en 1989 à 12 %. Des centaines d'entreprises industrielles ont disparu et nous avons été consternés par le rachat de nombreux fleurons français - Alcatel, Alstom, Péchiney...

Sans parler de l'effondrement de notre compétitivité, de l'affaiblissement durable de notre tissu productif et de notre incapacité à trouver notre place dans le commerce international, entre le haut de gamme allemand et la production des pays à bas coût de main-d'oeuvre.

Nous avons cru aux chimères de l'économie désindustrialisée, qui devait conserver les emplois de recherche et d'ingénierie tout en externalisant la fabrication. Quel manque de clairvoyance ! Aujourd'hui, ce sont les pays en développement qui sont en capacité de nous racheter ! Il n'y a pas de grands pays sans grandes industries. Comment protéger nos grands groupes des prédateurs ? Allez-vous enfin mettre en oeuvre une politique industrielle digne de ce nom ?

M. Daniel Laurent.  - Bravo !

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Je vous rejoins : il n'y a pas d'économie puissante s'il n'y a plus d'usines. Bruno Le Maire et Gérald Darmanin le pensent aussi. Les maux français - perte de compétitivité, déficit commercial et chômage de masse - doivent trouver des réponses fortes. Nous nous employons à redonner confiance aux investisseurs nationaux et internationaux pour qu'ils s'engagent en France.

Cette vision de long terme s'incarne dans le fonds pour l'innovation et l'industrie, car c'est grâce à l'innovation et à la recherche que nous sortirons de l'entre-deux dans lequel nous sommes enfermés, que nous monterons en gamme, que nous ancrerons l'industrie dans l'avenir. Il s'agit de tirer profit de notre excellence en matière de recherche et développement pour que l'innovation aille vers la création de valeur et d'activité, et fasse rayonner la France industrielle.

M. Alain Chatillon, président de la mission d'information.  - Madame la Ministre, nous travaillons, toutes sensibilités confondues, dans un état d'esprit positif et ouvert. J'espère que nous serons entendus sur la loi Pacte.

Une durée minimale de cinq ans de présence sur le territoire national après avoir touché le crédit impôt recherche, sous peine de devoir le rembourser, serait bienvenue. Cela aurait permis de sauvegarder mille emplois en France cette année.

Si les entreprises de taille intermédiaire sont si nombreuses en Allemagne, c'est qu'elles bénéficient d'une large défiscalisation grâce aux fondations. J'ai proposé à Bruno Le Maire un PEA entièrement défiscalisé, à condition d'être investi à 100 % dans les petites entreprises. Je regrette que cela ne figure pas dans la loi Pacte car 1 % de l'assurance vie, c'est 17 milliards d'euros !

Plus globalement, la fiscalité sur les entreprises représente 3,6 % du PIB, soit 80 milliards d'euros, bien plus que chez nos voisins européens. Il faut réagir ! Nous serons à vos côtés lors de l'examen de la loi Pacte. Merci au rapporteur et aux intervenants. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR)

M. Martial Bourquin, rapporteur de la mission d'information.  - Octobre est le dernier mois de validité de l'accord entre General Electric et l'État français ; or il lui doit 34 millions d'euros ! Nous souhaitons que cette somme soit réinvestie dans la vallée de l'énergie, à Grenoble, pour la transition énergétique. Une entreprise de Belfort s'est mise en grève pour obtenir six emplois, avec succès. General Electric devait en créer mille ; nous n'en sommes pas même à quatre cents.

Il se pourrait, ensuite, que des sites soient exclus de l'accord entre Alstom et Siemens. Attention à ce qu'ils ne soient pas vendus à l'encan, n'importe comment, à des groupes chinois, japonais ou canadiens...

Enfin, vous disiez que la loi Pacte entraînerait le désengagement capitalistique de nos grandes entreprises. L'Amérique de Trump, la Chine se désengagent-elles de leurs entreprises ? Non, bien au contraire ! En laissant faire le marché, nous faisons fausse route.

La France doit jouer un rôle de premier plan dans le concert européen. L'industrie, ce n'est pas que des intentions, ce sont des actes. Commençons par rééquilibrer l'accord Alstom-Siemens. Notre fleuron mérite mieux qu'une absorption pure et simple ! (Applaudissements)

Prochaine séance mardi 9 octobre 2018, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 heures.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus