Utilisation des caméras mobiles

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique.

Discussion générale

M. Jean-Pierre Decool, auteur de la proposition de loi .  - J'ai quelques années de vie publique derrière moi et, tout comme vous, j'observe à quel point les mentalités et l'état d'esprit ont évolué.

Dans les années quatre-vingts, je me souviens que lorsque nous évoquions les problèmes des quartiers difficiles, de l'économie souterraine, des zones de non-droit, nous étions traités de « sécuritaires » !

Pourtant, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en son article 2, reconnaît le droit à la sûreté. L'article 12 de cette même Déclaration proclame même que « la garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ». La sécurité n'est donc pas une nouveauté du XXIe siècle !

À cet effet, des dispositifs de « vidéosurveillance » - on parle de vidéoprotection aujourd'hui - ont été installés dans de nombreuses villes, avec les résultats que l'on connaît, au service des enquêtes. Des caméras mobiles équipent les uniformes des autorités de sécurité, afin de témoigner des conditions d'une interpellation, d'une arrestation au cours d'un contrôle opéré par les forces de l'ordre.

La nature de l'insécurité change. Ce ne sont plus simplement les citoyens qui sont victimes, mais les forces de sécurité, cette force publique qui peut être non seulement agressée physiquement, mais également accusée sur le plan juridique d'insulter, de porter des coups, voire de commettre des viols lors de contrôles de police ordinaires. Les plaintes contre les autorités se multiplient aujourd'hui. La police, protectrice, doit se protéger.

Mais les sapeurs-pompiers, les agents de la pénitentiaire en ont aussi besoin. En décembre 2017, à Wattrelos, une agression d'une violence inouïe, à coups de marteau, d'une quinzaine d'individus contre des sapeurs-pompiers venus secourir des proches de leurs agresseurs, reste dans les mémoires.

Sans disserter ici sur les causes, reconnaissons que la société a changé et adaptons-nous, soyons pragmatiques !

La loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, modifiée par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, a créé un régime spécifique pour l'enregistrement audiovisuel des interventions des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.

Enfin, la loi du 3 juin 2016, complétée par un décret d'application du 23 décembre 2016, a prévu un dispositif d'expérimentation pour les agents de police municipale dans le cadre de leurs interventions. L'expérimentation, d'une durée de deux ans, s'est déroulée du 3 juin 2016 au 3 juin 2018 - il y a dix jours. Ainsi, 391 communes ont participé à l'expérience et 2 325 caméras ont été installées.

À Quiévrechain, dans le Nord, les retours sont extrêmement positifs. L'assermentation, aujourd'hui, ne signifie plus grand-chose. Les assermentés doivent toujours se justifier. C'est triste. Grâce aux caméras, tout geste d'hostilité, toute parole seront filmés et authentifiés. L'image a une force que n'a pas la phrase, un vrai effet dissuasif : l'auteur de tels gestes évitera, à l'avenir, les provocations. Enfin, l'agent pourra déclencher la caméra en fonction de son appréciation de la situation.

Pour une fois que quelque chose fonctionne, autant l'utiliser et l'étendre, y compris aux services publics et aux agents de la pénitentiaire.

Certes, c'est un texte de plus. Mais il convenait de dissiper le flou juridique auquel se heurtent les maires pour faciliter les expérimentations. Le texte lève un doute, clarifie une zone d'ombre. Un amendement bienvenu de la commission a précisé les modalités d'intervention donnant lieu à l'utilisation de ces caméras par les pompiers, en excluant les interventions médicales.

Certains élus voudraient prolonger l'expérimentation qui devait prendre fin le 3 juin, sans attendre notre vote. Madame la Ministre, y seront-ils autorisés ? Ce dispositif n'est pas une solution miracle ; mais il protège à la fois le représentant de l'ordre et le citoyen.

Je remercie le rapporteur Wattebled et le président Bas pour leur écoute attentive. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

M. Dany Wattebled, rapporteur de la commission des lois .  - Les agents publics sont de plus en plus victimes d'insultes, d'outrages, voire d'agressions. En 2016, 687 policiers ont été blessés. Tout le monde se souvient du déchainement de violence effroyable de Viry-Châtillon, en octobre 2016. Les agressions, physiques et verbales de sapeurs-pompiers, ainsi que sur le personnel pénitentiaire sont également en hausse.

L'arsenal juridique a été renforcé et la répression des outrages à personne détentrice de l'autorité publique, sur le modèle de celle des outrages à magistrat, a été accrue.

Des initiatives ont été prises en matière de prévention, à l'instar de la mise en place des caméras mobiles pour la police et la gendarmerie nationales, expérimentation étendue à la police municipale et aux services de sécurité de la SNCF et de la RATP.

Les caméras-piétons devaient mieux protéger les agents contre les accusations parfois excessives dont ils font l'objet, et apaiser les tensions, incitant les agents et les citoyens à la modération. Dans les faits, le recours à ces caméras a démontré son efficacité, en apaisant les situations tendues. Cette proposition de loi en étend l'usage à d'autres catégories d'agents, dont les conditions d'intervention se dégradent. Les violences à leur égard sont autant d'atteintes intolérables à la République elle-même.

La commission des lois a tenu à garantir l'équilibre entre la protection des droits, notamment le respect de la vie privée, et les nécessités de l'ordre public, et à assurer l'adéquation du dispositif aux besoins du terrain. Elle a donc récrit l'article premier pour définir un cadre plus protecteur : l'usage des caméras mobiles est autorisé dans le seul cas où un incident se produit ou est susceptible de se produire, qui mette en péril l'intégrité physique des agents ; il est exclu lors des interventions à caractère médical, en raison du secret médical. Vu la nécessité de passer des marchés publics, le délai de l'expérimentation est allongé d'un an. La CNIL donnera un avis motivé et public sur le décret en Conseil d'État et le Gouvernement communiquera au Parlement une évaluation de l'expérimentation au moins six mois avant la fin des trois années.

Le cadre d'utilisation des caméras mobiles par l'administration pénitentiaire est également précisé. L'usage des caméras mobiles pourrait se révéler utile dans le cadre des missions qui présentent un risque particulier d'incident ou d'évasion, soit en raison de leur nature - je pense aux missions des équipes régionales d'intervention et de sécurité qui interviennent en cas de crise - soit en raison du niveau de dangerosité des détenus concernés, les détenus violents ou radicalisés notamment.

Le rapport relatif à l'extension de l'usage des caméras mobiles aux polices municipales étant positif, la commission des lois a complété la proposition de loi pour le pérenniser. Nous espérons, Madame la Ministre, que cette proposition de loi pourra être rapidement débattue à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur quelques bancs)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Le Gouvernement se félicite que votre Haute Assemblée ait inscrit ce débat à l'ordre du jour et juge cette proposition de loi bienvenue. Je ne reviendrai pas sur l'extension progressive du périmètre des agents autorisés à recourir aux caméras mobiles - agents de la SNCF et de la RATP, forces de sécurité intérieure, et enfin police municipale. Le Gouvernement est attaché à leur usage par les forces de sécurité intérieure, car les caméras participent à l'apaisement des tensions. Aussi, avons-nous décidé de multiplier par quatre le nombre de ces équipements dans le plan de sécurité du quotidien, pour atteindre 10 000 caméras en 2019. À terme, activer sa caméra quand la situation s'envenime deviendra un réflexe pour tout agent.

Ce dispositif me paraît plus efficace pour apaiser les tensions que celui du récépissé de contrôle d'identité. Le bilan de l'expérimentation prévue par la loi est en train d'être tiré.

Le but de cette proposition de loi était à l'origine d'étendre l'expérimentation aux sapeurs-pompiers. L'idée est bonne - et le Gouvernement condamne fermement les agressions de pompiers survenues récemment. Leur accompagnement par les forces de l'ordre n'est pas exclu. Fallait-il les doter de caméras ? Le Gouvernement n'en n'était pas persuadé, soucieux qu'il était du respect de la vie privée et du secret médical des personnes chez lesquelles les pompiers sont amenés à intervenir - rappelons qu'ils doivent parfois pénétrer dans un domicile sans mandat judiciaire.

La commission a borné utilement le dispositif. Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse de votre assemblée.

S'agissant du volet du texte relatif à l'administration pénitentiaire, le Gouvernement est favorable à doter les agents de caméras mobiles pour les extractions judiciaires, les transfèrements administratifs, d'autant que la commission a utilement élargi le dispositif au personnel de surveillance, quand il est chargé de missions particulièrement risquées.

Un article additionnel pérennise l'expérimentation dans la police municipale, à son terme le 3 juin dernier. Le Gouvernement n'aurait pas fait preuve de beaucoup de sérieux dans ce dossier, ai-je entendu. C'est oublier que la loi du 3 juillet 2016 faisait courir le délai de deux ans à compter de la prise d'un décret nécessitant l'avis de la CNIL, qui n'a été publié qu'en décembre 2016... Polémique mise à part, le ministre de l'intérieur vous a adressé récemment...

Mme Éliane Assassi.  - Hier soir !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - ... le bilan de l'expérimentation : 2 325 caméras ont été implantées dans 391 communes - six par commune en moyenne. Ceci avec le soutien du fonds interministériel de prévention de la délinquance, pour 171 000 euros en 2017 - 116 communes en ont bénéficié, pour l'achat de 893 caméras.

Le constat du plus grand respect des agents de la police municipale est unanimement partagé. Les caméras mobiles dissuadent des comportements agressifs et apaisent des situations qui auraient pu dégénérer. Elles contribuent parfois à recueillir des éléments de preuve et des extractions ont permis aux unités de police judiciaire d'appréhender des contrevenants. Enfin, le visionnage des bandes améliore la formation des agents.

On l'aura compris : les demandes de pérennisation de ces caméras sont nombreuses. Aussi, le Gouvernement soutiendra-t-il ce texte et fera-t-il son possible pour un examen rapide à l'Assemblée nationale, malgré un calendrier parlementaire chargé.

Les agents ne seront plus autorisés à enregistrer leurs interventions tant que la loi n'aura pas été modifiée. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC et SOCR)

M. Stéphane Artano .  - En octobre 2015, le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté avait reconnu le succès du recours aux caméras mobiles, dissuasives et préventives des actes violents. M. Cazeneuve y voyait un outil déontologique, le son et l'image montrant le comportement des uns et des autres. Nos concitoyens perçoivent généralement ces caméras mobiles comme un moyen d'éviter les contrôles au faciès et les bavures, à condition qu'elles filment en continu, ce qui n'est pas l'objet de ce texte. Les syndicats policiers, eux, se félicitent que la vidéo ne soit déclenchée qu'à l'initiative des policiers, au nom de l'autonomie sur le terrain des forces de l'ordre.

Plusieurs décrets de fin 2016 ont étendu l'expérimentation aux policiers municipaux, ainsi qu'aux agents de sûreté de la SNCF et de la RATP. Le caractère modérateur des caméras a été reconnu par la Direction générale de la police nationale, les agents choisissant de déclencher, ou non, leur caméra.

L'article L 241-1 du code de la sécurité intérieure fixe les conditions d'utilisation des caméras mobiles par les agents de sécurité : les gendarmes et les policiers nationaux peuvent déclencher l'équipement en tous lieux, lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, après avoir prévenu les personnes filmées ; les images ne peuvent être consultées qu'à l'issue de l'intervention et après leur transfert sur un support informatique sécurisé ; sauf utilité pour une procédure, elles seront effacées automatiquement au bout de six mois.

Ce sont ces règles qui ont été étendues dans l'expérimentation lancée en 2016.

L'objectif de ces caméras est d'apaiser les tensions ; il a donc séduit aussi les polices municipales, tentées de les expérimenter à leur tour. L'harmonisation des règles applicables aux agents de l'administration pénitentiaire est donc souhaitable. N'oublions pas toutefois de garantir le droit à la vie privée, en opérant quelques ajustements pour les agents de la pénitentiaire et les sapeurs-pompiers.

Le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Antoine Lefèvre .  - Les maires de quelque trois cents communes et les syndicats de police viennent de s'exprimer sur l'efficacité des caméras mobiles. Le vide juridique qui les entoure est un mauvais signal, alors que la satisfaction des utilisateurs, clairement reflétée dans le rapport qui nous a été adressé hier soir, est unanime. Il est donc temps de proposer un élargissement sécurisé du dispositif.

On recense chaque année un peu plus de 4 000 agressions de surveillants pénitentiaires, soit plus de dix par jour, et parfois des prises d'otages...

Le 16 mai dernier, un détenu de la maison d'arrêt de Brest, fiché S, s'est échappé lors d'un transfèrement médical, son escorte étant peu armée - et l'homme ayant été manifestement prévenu la veille qu'il serait transféré à cette date, ce qui est contraire aux usages. Les escortes, médicales notamment, s'effectuent dans des conditions de sécurité relâchées. Trois fois, les membres du personnel du service d'extraction de la prison de Lille ont été pris à partie sur l'autoroute...

Dans ces situations, les caméras mobiles objectivent les éléments de preuve et dissuadent les comportements dangereux.

Les personnels pénitentiaires sont parfois pris à partie par les familles ou amis des détenus ; on peut penser que face à une caméra, les comportements agressifs seront dissuadés. À titre d'exemple, le pôle de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) de Laon, avec neuf agents, assure 640 missions par an, représentant 100 000 kilomètres parcourus.

La Chancellerie a reconnu qu'une harmonisation des règles s'imposerait, quel que soit le type d'extraction envisagée. Madame la Ministre, qu'en est-il ?

Ce texte étend l'expérimentation des caméras mobiles à ces services ; il ne faudrait pas qu'au terme des trois ans d'expérimentation, on connaisse la même situation qu'avec les polices municipales : l'obligation d'un bilan six mois avant le terme est une bonne chose. L'article additionnel propose de pérenniser le port de caméras mobiles par la police municipale, c'est particulièrement bienvenu.

Enfin, je rappelle qu'en six mois on a saisi 20 000 téléphones portables en prison : il faut agir, Madame la Ministre ! Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Arnaud de Belenet .  - Belle journée pour M. Decool ! Je commence par saluer son travail. L'usage des caméras mobiles a été poursuivi et étendu en 2016. Cette proposition de loi l'étend aussi aux sapeurs-pompiers et aux surveillants de l'administration pénitentiaire. Les expérimentations ont montré l'efficacité des caméras-piétons, outil de pacification entre la police et la population, et de prévention.

Cette proposition de loi fait donc consensus. La commission des lois a sécurisé son dispositif, à juste titre, pour renforcer le respect de la vie privée et du secret médical.

Elle prévoit un recours à la CNIL et au Conseil d'État, tout à fait justifié. Son texte, enfin, pérennise l'usage des caméras individuelles par les agents de la police municipale au vu des résultats positifs de l'expérimentation achevée le 3 juin dernier, qui portait sur 2 325 caméras déployées dans 391 communes.

Leur rôle est dissuasif, et elles rassurent les agents en minimisant l'agressivité à leur égard. La pérennisation de ce dispositif, qui s'inscrit dans la logique de la police de sécurité au quotidien, a l'entier soutien de notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur le banc de la commission)

Mme Éliane Assassi .  - Le romancier Alain Damasio a montré que Michel Foucault avait vu juste, en indiquant que le pouvoir devrait procéder autrement, plus insidieusement, en réalisant une sorte d'échange où l'individu troque une partie de sa liberté contre une vie plus fluide, où l'on passe d'un régime disciplinaire à un régime normatif. Nous troquons une partie de notre liberté contre une vie plus fluide... au point qu'un texte comme cette proposition de loi ne fait plus réagir, même en commission des lois. Il étend les caméras mobiles bien au-delà des forces de l'ordre, expérience que le ministre de l'intérieur juge « très positive », mais nous n'en n'avons eu le bilan... qu'hier. Au-delà des satisfecit, il soulève plusieurs questions.

Nous étions opposés à cette expérimentation, nous le sommes aussi à sa pérennisation. Le dispositif n'est pensé que pour les agents, seuls habilités à déclencher - ou éteindre - des caméras mobiles. Pour quoi faire ? Surveiller et punir ? Les moyens octroyés au personnel qui traitera ces images seraient mieux employés ailleurs.

Si rien ne se passe, les images seraient détruites après six mois ; mais elles pourraient l'être, est-il écrit, sans délai en cas de procédure : qu'est-ce à dire, précisément ? Les risques de dérive sont multiples. Pourquoi pas élargir aux personnels hospitaliers, aux instituteurs et aux professeurs ? On ne traite pas tous les problèmes par la technologie ! Les sapeurs-pompiers ne seront pas moins pris à partie une fois munis de caméras... (On le conteste à droite.)

C'est la disparité financière des territoires, ou le retrait de la puissance publique, qu'il faut enrayer.

Pour les agents pénitentiaires, les caméras mobiles amélioreront-elles les conditions de travail ?

M. Antoine Lefèvre.  - Oui !

Mme Éliane Assassi.  - Les agents de la pénitentiaire, que nous avons rencontrés avec mon collègue Fabien Gay, ne refusent pas ces outils, mais ils ne sont pas dupes. Ils savent qu'il vaudrait mieux accroître les moyens humains, pour traiter les causes et non les symptômes.

De même, aucune des 32 propositions avancées par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers ne porte sur ce sujet. Surveillance désincarnée et suspicion généralisée ne répondent pas aux enjeux de sécurité.

Nous nous abstiendrons donc. (M. Fabien Gay applaudit.)

M. Loïc Hervé .  - En 2016, le Gouvernement autorisait l'usage de caméras mobiles par les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP. Ce nouvel outil suscitait des craintes et des doutes. Deux ans plus tard, il a fait ses preuves.

La proposition de loi Decool étend l'utilisation des caméras mobiles aux surveillants pénitentiaires, pour lesquels les agressions ont augmenté de 20 % depuis 2016 et aux surveillants de l'administration pénitentiaire, confrontés à une population plus nombreuse et plus violente. Cet objectif est légitime ; et concerne tout citoyen, qui peut être victime d'abus de droit.

Mais il faut concilier la protection des droits individuels avec le maintien de l'ordre public. Je siège à la CNIL et me réjouis que la généralisation de l'usage des caméras mobiles ait été délimitée, comme l'usage des enregistrements. La proportionnalité du dispositif est donc garantie.

Le secret médical est protégé par un amendement adopté en commission qui encadre mieux l'utilisation par les sapeurs-pompiers en intervention, comme le respect de la vie privée.

Enfin, la commission pérennise l'usage des caméras mobiles par la police municipale, comme le souhaitaient les maires et les policiers municipaux engagés dans l'expérimentation qui, depuis le 3 juin, se trouvaient sans cadre légal.

Le groupe UC votera donc cette proposition de loi - mais ces dispositifs, s'ils ont fait leurs preuves, ne remplaceront jamais la prévention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Merci aux sénateurs du Nord, MM. Decool et Wattebled. Cette proposition de loi protège ceux qui, au péril de leur vie, protègent la nôtre. Le groupe socialiste ne peut qu'y souscrire. Je rappelle qu'elle s'inscrit dans une démarche engagée sous le quinquennat précédent, avec l'expérimentation lancée dès 2013 dans la police nationale, étendue par la loi du 3 juin 2016 à la police municipale ; enfin la loi du 27 janvier 2017 pour l'égalité et la citoyenneté, que j'avais défendue pour le Gouvernement, rendait systématique l'enregistrement lors des contrôles d'identité, tout en regrettant les récépissés, moins efficaces que les caméras mobiles.

Désormais, nous disposons des résultats de l'expérimentation : ce dispositif est efficace.

Oui, les sapeurs-pompiers et les surveillants de l'administration pénitentiaire seront protégés par les caméras mobiles. Ces outils réduisent les outrages verbaux et physiques, et servent aux magistrats pour en juger. Et les problèmes sont nombreux.

En 2016, le nombre de surveillants pénitentiaires agressés a bondi de 20 % ! À Aurillac, trois pompiers ont été violemment agressés dans la nuit du 2 au 3 juin dernier alors qu'ils intervenaient pour une tentative de suicide...

Chez les surveillants de l'administration pénitentiaire, au moins 4 000 agressions sont recensées chaque année. Aussi l'usage des caméras mobiles est-il légitime, et il serait absurde de s'en priver.

Pour être efficace, il faut l'encadrer de règles strictes : les caméras mobiles doivent être positionnées de façon apparente et les personnes filmées devront être prévenues ; les agents ne pourront accéder directement aux enregistrements. L'usage de ceux-ci sera strictement encadré par la CNIL. Mais, comme les données ne seront pas centralisées, le droit d'accès indirect ne sera pas effectif. Et la notion de « risque d'incident » est éminemment subjective.

Ensuite, il faut prévoir des règles pour l'usage des caméras mobiles dans un domicile privé. Hélas, l'étude d'impact manque. Pourquoi le Gouvernement ne nous a-t-il pas fourni des éléments techniques et éthiques sur le sujet ? La commission des lois a toutefois travaillé et a amélioré ce texte. Par exemple, à l'article 2, le dispositif retenu pour l'administration pénitentiaire est aligné sur les autres professions.

Madame la Ministre, nous souhaitons une adoption conforme dans les meilleurs délais. Mon amendement sur l'anonymat des sapeurs-pompiers qui recourent à la caméra mobile a été déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution ce matin. Je le regrette.

Le groupe socialiste se félicite de cette proposition de loi. Mais ne mécanisons pas tous les rapports humains : la formation doit demeurer prioritaire. Le livre 1984 est toujours en avance sur nous, lisais-je récemment. C'est notre phare inversé. Gardons-le en tête !

En 2007, la CNIL appelait déjà à la vigilance face à l'innovation technologique, qui séduit par le confort qu'elle promet, sans qu'on en mesure les risques, en particulier pour les libertés. Nous devrons donc être très vigilants !

Le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Alain Marc .  - Le recours aux caméras mobiles est un outil utile de sécurisation ; l'expérimentation l'a montré. On s'interroge aujourd'hui sur son extension aux sapeurs-pompiers, victimes d'un nombre croissant d'agressions - une hausse de 20 % en 2016 par rapport à l'an précédent, ainsi qu'aux surveillants pénitentiaires, qui font face à une population carcérale de plus en plus nombreuse et de plus en plus violente - on se souvient de leurs manifestations en janvier dernier. Ils demandent légitimement un renforcement de leur protection.

Cette proposition de loi pertinente de notre collègue Decool y répond : désormais, sapeurs-pompiers et agents pénitentiaires pourront, comme les policiers nationaux et les gendarmes, les policiers municipaux et les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP, utiliser des caméras individuelles.

Notre rapporteur, à raison, a limité le champ d'utilisation des caméras mobiles pour les sapeurs-pompiers aux interventions présentant un risque d'atteinte grave à leur intégrité physique et a exclu tout enregistrement en risque d'atteinte au secret médical. La commission a prolongé d'un an l'expérimentation, prévu un rapport d'évaluation et un décret en Conseil d'État soumis à un avis motivé de la CNIL.

La commission a également autorisé, à titre expérimental, l'utilisation des caméras mobiles par les agents pénitentiaires durant trois ans. Le champ d'application a été élargi aux missions présentant un risque particulier d'incident ou d'évasion.

Pragmatique et pertinente, cette proposition de loi répond à une nécessité ; le groupe Les Indépendants la votera sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Henri Leroy .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) À mon tour de remercier Jean-Pierre Decool. En commission, plusieurs d'entre nous ont proposé d'élargir le champ de cette proposition de loi. Il fallait, en effet, pérenniser l'expérimentation autorisant les policiers municipaux à utiliser des caméras mobiles, qui a pris fin dans une regrettable indifférence le 3 juin dernier. Lors du débat sur la sécurité routière, le 5 juin, j'avais expliqué pourquoi cela ne présentait que des avantages.

Les mêmes raisons valent pour les sapeurs-pompiers. Depuis dix ans, leurs conditions d'exercice se sont beaucoup dégradées. Pourquoi ? Parce qu'ils portent l'uniforme, parce qu'ils représentent l'autorité, parce qu'ils travaillent de concert avec les policiers et gendarmes. Les agressions contre eux ont explosé : leur nombre est passé de 1 603 en 2014 à 2 280 en 2016. Comme nombre d'élus, je dialogue souvent avec eux. Je retiens de nos échanges que ces violences sont souvent sociétales d'abord, alimentées par l'alcool et les pratiques dites festives ; ces violences sont urbaines ensuite, c'est-à-dire liées aux trafics et elles sont le fait de jeunes voyous qui caillassent nos pompiers, leur crachent dessus, s'en prennent à eux physiquement.

Alors, oui, nous devons équiper nos pompiers de caméras piétons parce qu'elles ont une fonction préventive - un témoin lumineux signale que l'enregistrement est mis en marche - et qu'elles favorisent la sanction - visionner la scène est un moyen de preuve efficace dans les tribunaux - à condition que le Gouvernement revienne sur la loi Taubira qui a affaibli l'institution judiciaire. Les voyous condamnés à de la prison ferme doivent aller en prison !

Nous avons dans cette proposition de loi un moyen d'apporter notre soutien à ces héros du quotidien, souvent bénévoles. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Les Indépendants)

M. Alain Fouché .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Je salue le travail d'anticipation de Jean-Pierre Decool. L'expérimentation dans la police municipale, unanimement reconnue positive, est prolongée. C'est un dispositif protecteur, qui apporte aussi des éléments objectifs de preuve en cas de litige.

J'avais déposé un amendement, avec François Bonhomme, à la loi du 22 mars 2018 autorisant les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP à expérimenter les caméras individuelles. Cette expérimentation, qui doit prendre fin le 1er janvier 2020, devra, elle aussi, être pérennisée de même que les autorités de sécurité publique devront pouvoir visionner en temps réel les données récoltées. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. François Grosdidier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi tombe à point nommé, la commission des lois l'a utilement élargie. C'est l'État qui nous contraint à légiférer. En France, tout le monde a le droit de filmer. Les maires n'ont pas attendu l'État pour équiper les policiers municipaux : je l'ai fait dans ma commune il y a sept ans. L'expérience était concluante : les caméras protègent, font chuter la pression chez près de 90 % des personnes qui se savent filmer, fournissent au juge des éléments objectifs qu'il n'a jamais refusés. Mais voilà, le Gouvernement a voulu encadrer ce qui n'en avait pas besoin par la loi du 3 juin 2016.

L'Assemblée nationale avait limité l'expérimentation aux ZSP, le Sénat l'avait étendue à toutes les polices municipales. Elle a pris fin le 3 juin 2018, le Gouvernement n'avait pas prévu de suite. Sinon que les préfets, par circulaire, ont demandé aux maires de remiser les caméras dont l'État leur avait imposé le modèle - sept fois plus cher que le prix du marché pour une sophistication sans efficacité. Certains poursuivent les maires qui les conservent. Sont-ce des initiatives individuelles ou y a-t-il eu des instructions ministérielles en ce sens ?

La caméra est aussi le meilleur régulateur de la relation police-population, ce que confirme le rapport d'évaluation de l'Intérieur du 7 juin. J'aurais pu l'écrire il y a deux ans, je vous renvoie au procès-verbal de la réunion de novembre 2016 de la commission consultative des polices municipales. La caméra est l'alternative au récépissé lors de contrôles d'identité, qui ajoute de la paperasse à la paperasse.

Bien sûr, il faut aussi équiper les sapeurs-pompiers et les agents pénitentiaires. Les prisons sont les premières zones de non-droit, les couloirs sont équipés de caméras mais il y manque le son. C'est indispensable pour appuyer les procédures disciplinaires et judiciaires et commencer de rétablir le droit dans ces établissements.

Les communes pour les polices municipales et les départements pour les SDIS sauront équiper leurs agents. Peut-on en dire autant du ministère de l'intérieur ? Les modèles sont inadaptés en BAC. Des policiers doivent continuer à utiliser leur propre GoPro, achetée à leur frais. J'ai rencontré une compagnie qui a reçu 30 caméras, 20 sont déjà hors service ; une autre en Lorraine attend toujours ses caméras qui ont été envoyées en Loire-Atlantique. J'en conclus que l'État ferait mieux d'accélérer l'équipement de ses forces, plutôt que de ralentir celui des collectivités territoriales.

Le groupe Les Républicains votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault, ministre .  - Je remercie M. Grosdidier pour son enthousiasme...

M. Antoine Lefèvre.  - Il est partagé !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Le Gouvernement fait tout pour équiper ses agents. Des marchés publics ont été passés ; vos conseils techniques, Monsieur Grosdidier, sont les bienvenus. Pour répondre à votre question, aucune instruction n'a été donnée aux préfets sur les équipements.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2 et 2 bis.

L'article 3 demeure supprimé.

M. le président.  - La proposition de loi est adoptée. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)

La séance, suspendue à 17 h 50, reprend à 18 h 30.