Avenir de l'Union européenne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur l'avenir de l'Union européenne.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - L'Europe est le cadre naturel où nos valeurs et intérêts doivent être portés à l'heure de la mondialisation. Le président, comme il l'a affirmé à Athènes et à la Sorbonne, a fait d'une ambition européenne renouvelée une priorité pour la France avec deux convictions : dans un monde en crise, seule l'Europe nous permettra d'exercer pleinement notre souveraineté, de maîtriser notre destin ; et nous ne réussirons qu'en comblant le fossé entre les institutions européennes et les peuples.

M. Richard Yung.  - Absolument !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Le président a fixé un cap clair avec deux échéances : 2019, année des prochaines élections européennes et 2024, échéance du mandat de la commission issue de ces élections.

Pour préparer ces rendez-vous, nous avons besoin d'une conscience lucide de la situation dans laquelle l'Europe se trouve. Face à la défiance, rien de pire que le déni. L'Europe suscite une indifférence résignée ; pourtant, elle revient au centre de l'attention quand elle est pointée du doigt et laissée dans l'ombre là où elle réussit - et nous n'avons pas assez montré ce que l'Union européenne rend possible.

La décision souveraine du peuple britannique de quitter l'Union européenne, paroxysme de la crise, doit être respectée. Le commissaire chargé des négociations, Michel Barnier, agit selon les principes fixés par le Conseil européen : des garanties réciproques pour les citoyens concernés, le respect par le Royaume-Uni de ses obligations administratives, fiscales et juridiques contractées comme État membre, la prise en compte de la spécificité de la frontière irlandaise, ainsi que le caractère indivisible des quatre libertés de circulation - des capitaux, des biens, des services et des personnes. De plus, aucune négociation ne saurait être menée à titre bilatéral.

Face à la décision, britannique, l'Union européenne a fait montre de cohésion. Le Royaume-Uni reste un partenaire essentiel pour la France, notamment pour la défense dans le cadre de l'accord de Lancaster House.

Mais chacun a son intérêt ; le nôtre est de conduire la procédure au plus vite avant de fixer le nouveau cadre. Le compte n'y est pas pour le moment, en dépit des ouvertures opérées par Theresa May à Florence.

Le contexte - à commencer par la crise en Catalogne - nous commande de revoir nos priorités politiques et nos pratiques institutionnelles. Il réclame un sursaut, une refondation, comme l'a dit le président de la République. L'illusion d'une souveraineté de repli nous conduirait à l'isolement et à une exposition plus grande aux désordres du monde.

Chargé de conduire notre diplomatie, je puis dire que jamais, depuis la fin de la Guerre froide, les tensions n'ont été aussi vives. La multilatéralité s'affaiblit, la compétition s'organise, les inégalités s'accroissent.

La seule réponse qui vaille est indissolublement nationale et européenne. La souveraineté de la France passe par une Europe réformée et souveraine, qui intègre une culture du rapport de forces - ce qui lui a fait trop longtemps défaut.

Trois conditions à cela : unité de l'Europe, protection des intérêts de ses citoyens, capacité à peser et à défendre ses valeurs.

L'unité sera compromise si les peuples d'Europe ne sont pas des acteurs de la refondation ; c'est pourquoi la France propose des conventions démocratiques dans chaque État membre, au plus près du terrain, dès le premier semestre 2018, pour préparer la refondation. Ainsi les citoyens auront été consultés en amont. La ministre des affaires européennes, Nathalie Loiseau, est mobilisée sur ce sujet.

Le président de la République a aussi proposé une circonscription européenne unique, dans le cadre de laquelle seraient élues des listes transnationales au Parlement européen - ce serait une réponse au Brexit.

M. Bruno Sido.  - C'est le fédéralisme !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Le socle de l'unité européenne, ensuite, c'est la conscience des citoyens qu'ils sont européens. Fortifier cette conscience par l'enseignement, les échanges, en particulier scolaires et universitaires, c'est garantir l'avenir de l'idée européenne, de notre civilisation que chacun de nos pays exprime singulièrement. Notre jeunesse n'a jamais été aussi mobile, il convient donc d'assurer, au niveau européen, une égalité d'accès à l'horizon européen.

Les objectifs affichés par le président de la République sont ambitieux. Ceux qui, en Europe, veulent aller plus loin ne doivent pas en être empêchés.

Le président a proposé de former un groupe d'États volontaires pour une refondation européenne ; l'accueil qui lui a été réservé incite à l'optimisme.

L'Allemagne sera notre partenaire majeur pour avancer. Elle est engagée dans une négociation sur la future coalition gouvernementale qui sera dirigée par Angela Merkel. Celle-ci est un partenaire ancien et fiable ; ensemble, nous ferons progresser l'Europe. C'est d'autant plus important que le score très élevé de l'extrême droite aux élections allemandes a révélé que le scepticisme et le rejet de l'Europe sont un risque en Allemagne aussi. Le président a souhaité, dans cette perspective, un nouveau traité de l'Élysée.

L'unité se manifestera plus que jamais face à la crise migratoire, dans la solidarité. Le président a réuni le 28 août à Paris ses homologues allemand, espagnol, tchadien, nigérien notamment, ainsi que la haute représentante de l'Union européenne, Mme Mogherini, dans cette perspective - il a plaidé pour un office européen de l'asile et une police aux frontières européennes.

L'exigence de solidarité européenne repose sur un équilibre entre droits et obligations : la cohérence comme la légitimité du projet européen passent par là.

Jacques Delors disait à juste titre que l'unité de l'Europe reposait sur la concurrence qui stimule, la coopération qui rapproche, et la solidarité qui unit.

Il est fondamental que les États membres trouvent un équilibre pour une convergence économique et fiscale. Je songe au régime des travailleurs détachés, qui ne satisfait personne. Le président a engagé une réflexion sur le sujet, avec nos partenaires de l'Est. Un socle social européen sera étudié dans les prochains jours à Göteborg.

Les fonds sociaux tendent au même but : corriger les disparités. Les élus que vous êtes connaissent l'importance de ces fonds pour les territoires - la France bénéficie, au total, de 27 milliards d'euros pour 2014-2020.

La convergence demande également de renforcer l'Union économique et monétaire, vers une Union des marchés de capitaux pour stimuler l'investissement et l'innovation. Le président de la République souhaite aussi renforcer la zone euro à travers la création d'un budget et d'un ministre communs soumis à un contrôle parlementaire européen. Ainsi l'Europe s'affirmera-t-elle comme une puissance économique mondiale.

Le deuxième élément du projet est la protection - une dimension inhérente à la construction européenne, on le voit dès l'instauration de la PAC, qui n'a pas eu d'autres objectifs que de protéger le revenu des agriculteurs, la sécurité alimentaire et la protection des consommateurs - puis ont été ajoutés la protection de l'environnement et le développement rural. Nous devons assurer, dans le cadre d'une PAC rénovée, que ces objectifs seront mieux atteints et que notre agriculture assure un niveau de vie décent aux producteurs et que les consommateurs accèdent à des produits de qualité, au juste prix.

Ne cédons pas aux caricatures qui présentent l'Union européenne soumise aux seules forces du marché et oubliant ses citoyens les plus fragiles : le Fonds européen d'aide aux plus démunis accorde à notre pays, pour 2014-2020, 500 millions au titre de l'aide alimentaire aux plus démunis.

Protéger, c'est aussi en finir avec une certaine naïveté commerciale, en luttant contre le dumping et la concurrence déloyale. Je salue la décision du Conseil européen de se doter d'un nouveau mode de calcul des distorsions de concurrence dues à l'intervention de l'État dans les pays tiers, nous veillerons à ce que la Commission européenne en fasse le meilleur usage. Plus largement, il convient de refonder la politique commerciale européenne, en y imprimant nos valeurs, le respect des normes sanitaires et environnementales, la lutte contre les dérèglements climatiques. Les négociations commerciales elles-mêmes doivent être transparentes. Le CETA est un bon accord, grâce notamment à son mécanisme juridictionnel de règlement des différends sur les investissements, mais il faut que les accords de demain soient plus complets, en intégrant notamment la dimension climatique et sanitaire.

Notre exigence : la transparence. Le président souhaite la création d'un procureur commercial européen pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

Jean-Claude Juncker a manifesté son intention de mieux surveiller les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques au sein de l'Union ou venant d'investisseurs sensibles ; des États membres, comme la France, se sont dotés d'outils performants, d'autres non, il faut harmoniser.

Autre dimension essentielle de la protection, la sécurité. Les crises se multiplient à nos portes - au Sahel, en Ukraine, en Libye, en Syrie -, elles font vaciller l'architecture de la sécurité européenne. La France doit prendre l'initiative ; avec l'Allemagne, nous avons un partenaire conscient des menaces à l'Est et au Sud. Une doctrine stratégique européenne commune est la condition sine qua non de l'autonomie stratégique européenne.

Deux avancées récentes dans ce domaine. D'abord la Coopération structurée permanente (CSP) qui suscite l'intérêt de nombreux États membres ; c'est un partenariat reposant sur la mise à disposition d'unités de combat sur des critères fixés collectivement et vérifiés. Seconde avancée, la création d'un programme européen pour le développement des industries de défense. Son budget pourrait atteindre 500 millions d'euros par an.

Le président de la République a enfin exposé les principales clés d'une Europe souveraine : gestion de la crise migratoire, politique commune face au réchauffement climatique, transition énergétique efficace et équitable. C'est le point de départ de la troisième dimension du projet : la projection européenne dans le monde. La perception négative de l'avenir, qui nourrit le populisme, doit être combattue. Nos concitoyens ne veulent pas sortir de la mondialisation, ils veulent une mondialisation organisée selon des règles justes et équitables.

Dans ce cadre de pensée, l'Europe poursuit ses efforts en Afrique ; une taxe sur les transactions financières, telle que proposée par le président de la République, serait affectée à l'aide au développement.

Autre volet d'une action fiscale de progrès, la taxe carbone. La voix de la France, coordonnée avec nos partenaires, a porté sur ce thème.

L'unité, la protection sont les conditions de projection de l'Europe au niveau international, pour contribuer à la stabilité du monde. La construction européenne a fait taire les armes depuis soixante-dix ans. Mais n'oublions pas que le fracas de l'histoire et la folie des hommes ont déjà balayé les constructions humaines les plus sûres. La valeur de la construction européenne, cette création politique unique, mesurons-la en la rapportant à son origine, celle des drames du siècle passé et de la volonté qui permit de les dépasser.

Chaque génération de notre pays peut se référer à un événement marquant : dialogue renoué avec l'Allemagne après la guerre, chute du mur de Berlin, François Mitterrand donnant la main à Helmut Kohl devant l'ossuaire de Douaumont... Il nous incombe de créer celui qui marquera les prochaines générations ! L'horizon de notre souveraineté est européen. C'est en construisant avec l'ensemble des États membres de l'Union une Europe souveraine, que nous assumerons nos responsabilités à l'égard du peuple français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RTLI et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et SOCR)

M. André Gattolin .  - Je dirai d'abord mon immense satisfaction de constater l'affluence à notre débat d'aujourd'hui : au lieu des débats que nous avons régulièrement avant chaque Conseil européen, qui mobilisent le secrétaire d'État et quelques-uns d'entre nous, voici que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se présente devant un hémicycle bien rempli. Je vous suggère, monsieur le ministre, d'annualiser un tel rendez-vous - et je me réjouis du titre de votre ministère, le temps n'est plus à l'Europe discrète voire honteuse que dénotait l'appellation de tel ministère délégué aux affaires européennes...

Emmanuel Macron a su mettre l'Europe au coeur de sa campagne, comme un véritable atout pour notre pays. Son discours de la Sorbonne n'est pas la fulgurance d'un jour ; il s'inscrit dans une série d'interventions majeures sur la centralité de cet enjeu.

Son discours de Bruges, le 18 avril 2016, en témoigne : il y envisageait la fin de la règle de l'unanimité. Souvenez-vous aussi de son meeting de Nantes... (Quelques exclamations sceptiques à droite et à gauche)

À Athènes, il a annoncé son souhait de mettre en place des listes transnationales pour les élections européennes : le Parlement européen y avait échoué pour les élections de 2004 et les opposants à une telle idée ont pris l'habitude de la dénigrer ; mais c'est maintenant le président d'un des principaux États membres qui la reprend : on ne peut plus si facilement l'écarter d'un revers de main !

Nous avons besoin d'une représentation politique de classe européenne : envisageons un Erasmus de la représentation parlementaire en Europe ! Être parlementaire national devrait impliquer des détachements réguliers dans d'autres parlements ou au niveau européen.

Non à un enlèvement d'Europe, mais un élèvement de la France par l'Europe : c'est ce à quoi le président nous convie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le 7 septembre devant le Parthénon, sur la Pnyx - lieu du premier gouvernement du peuple par le peuple - le président de la République demandait : qu'avons-nous fait de la démocratie ? En effet, soixante ans après le Traité de Rome, le bilan est amer. Alors qu'en juin dernier, notre communauté nationale s'est retrouvée unie pour célébrer l'oeuvre accomplie et le message délivré par Simone Veil, grande figure européenne qui fait notre fierté, partout l'indépendance de la justice, la liberté de la presse, les droits des syndicats et des femmes sont entravés et bafoués - je songe au droit à l'IVG, à l'amour entre personnes de même sexe. Que dire du sort de nos frères et soeurs en humanité fuyant la guerre en Syrie ?

Dernièrement, on a versé du sang pour empêcher des citoyens de voter en Catalogne et l'Union européenne refuse d'intervenir au nom de la non-ingérence. On a pourtant contraint la Grèce à réduire les pensions de retraite des plus pauvres : la solvabilité de la dette passe avant la défense du droit de vote ! La queue aux soupes populaires s'allongent ; de plus en plus de nos concitoyens travaillent le jour et dorment la nuit... dans leur voiture.

En Allemagne, votre modèle, 22 % des salariés sont pauvres, 5 millions d'actifs vivent avec moins de 450 euros par mois. Cette misère sociale attise les braises de l'extrémisme et pousse les électeurs vers des partis antidémocratiques, racistes et xénophobes. Résultat : 94 députés nazis reviennent sous la coupole du Reichstag ! Entendez ce coup de tonnerre d'un orage à venir qui pourrait être bien plus terrible.

Vous y répondez par un ordolibéralisme à l'allemande ; vous voulez priver le Parlement de ses prérogatives budgétaires, au profit d'un gouvernement de techniciens - parce que vous estimez préférable de confier le pouvoir à ceux qui ne le tiennent pas du peuple...

Quel dogme vous aveugle pour ne pas voir que la précarité nous conduit à l'abîme ? Oui, il faut refonder l'Europe ; mais par pitié, sur d'autres principes : une République universelle, démocratique et sociale. Retrouvons l'esprit de la démocratie athénienne, où exercer son droit de citoyen, c'était d'abord vivre bien ensemble. Victor Hugo appelait, en 1860, dans son exil, luttant contre « Napoléon le petit », chacun à s'unir vers ce but solennel, cette vaste aurore, celle des nations affranchies, au cri de « Vive la liberté ! ». (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Débattre de l'avenir de l'Union européenne, c'est donner une vision et un espoir pour les générations à venir - quantifier, vous l'avez dit monsieur le ministre, la conscience de nos concitoyens d'être européens, retrouver l'esprit des pères fondateurs.

Depuis son élection, le président de la République ne s'est pas ménagé sur ce dossier. Il a posé, à la Sorbonne et à Athènes, les bases de son ambition. D'abord, une Europe plus démocratique, ensuite une Europe plus protectrice : voilà la direction à prendre.

Nous ne pouvons plus jouer avec l'opinion publique - je songe aux référendums du passé. C'est l'esprit de la proposition de conventions européennes démocratiques. La reconstruction doit partir des peuples. C'est le meilleur moyen de donner l'envie d'Europe. C'est aussi la bonne manière d'intégrer des idées nouvelles soutenues par les citoyens. Le Sénat participera pleinement à ce mouvement. Notre commission des affaires européennes a publié l'an dernier, avec la commission des affaires étrangères, un rapport intitulé « Relancer l'Europe » dont il conviendrait de s'inspirer.

Redonner du sens à la démocratie européenne, c'est aussi redonner une légitimité au Parlement européen. La proposition de listes transnationales est intéressante, elle conforte le sentiment d'appartenance à une communauté de citoyens européens, la possibilité de partager un projet. Il faut aussi rééquilibrer les pouvoirs entre les différentes institutions européennes. La question des moyens européens est elle aussi cruciale. Il est urgent de relancer ces débats.

Après la refondation démocratique de l'Union à laquelle travaille le président, il convient de lui redonner du sens. Une Europe qui protège, c'est une Europe qui tend vers une convergence des droits sociaux, des droits des salariés et de la fiscalité : l'initiative lancée par la France sur la révision de la directive dite « travailleurs détachés » est un marqueur fort.

La convergence fiscale doit être appuyée, pour mieux protéger mais aussi écarter les pratiques anticoncurrentielles des Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA).

Une Europe qui protège, c'est une Europe juste, une Europe qui fait aussi des choix clairs en matière de sécurité et de défense.

L'Europe pourrait également se doter d'une force d'intervention commune, d'un budget de défense commun. Le renseignement doit aussi être coordonné au niveau européen.

Nous soutenons l'action du président de la République. Pour la première fois depuis des années, la France retrouve son rôle moteur et de pivot en Europe, en partenariat avec l'Allemagne.

Point de catastrophisme ni de déclinisme : nous sommes fiers de siéger dans cet hémicycle, devant le drapeau tricolore et mais aussi devant celui de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur plusieurs bancs des groupes LaREM, RDSE et SOCR)

M. Didier Guillaume .  - Il y a quelques années, un débat sur l'avenir de l'Union européenne aurait paru incongru tant nous nous accordions sur la réalité, la nécessité et même les modalités de cet avenir. Est-ce toujours le cas ? Cette confiance dans le projet européen nous a fait oublier la nécessité de l'expliquer, de le penser et de le repenser. Aujourd'hui, l'Europe vit une crise majeure. Elle n'offre que deux issues : la fin de l'idée européenne, ce qui serait un désastre, ou le redémarrage d'une Europe prospère et solidaire. Nous devons réinventer le rêve européen. Oui il faut un sursaut, un cap pour la refondation.

Alors que l'euroscepticisme gagne, que les peuples deviennent plus méfiants, ce type de débat est utile.

Monsieur le ministre, nous vous soutiendrons pour relancer l'Europe, approfondir le projet européen, créer une dynamique démocratique : vous aurez besoin de la force du Parlement. Mais nous serons exigeants et vigilants : il faut corriger les erreurs, ne pas baisser les bras. Faire table rase du passé serait une erreur. Quel reniement, quelle démission intellectuelle, quel déshonneur que de vouloir supprimer les symboles comme le drapeau européen ! Inacceptable !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Didier Guillaume.  - Nous approuvons la décision du président de la République de reconnaître solennellement le drapeau et l'hymne européens. La construction européenne est aussi affaire de symboles.

M. Simon Sutour.  - Très bien !

M. Didier Guillaume.  - Face au danger de l'éclatement, la mobilisation doit être totale. Le phénomène britannique n'est pas isolé. Aux dernières élections présidentielles, les eurosceptiques à l'extrême droite et à l'extrême gauche ont récolté 40 % des voix, en Allemagne l'extrême droite est entrée au Bundestag. En Hongrie et en Pologne, les eurosceptiques sont au pouvoir ! La menace n'est pas que virtuelle, avec en lame de fond, le refus de payer pour les autres.

La France a été en pointe pour régler la crise grecque. Elle doit continuer à faire prévaloir l'exigence de solidarité, trop longtemps occultée derrière l'économique. Certes, il faut une union monétaire renforcée, une harmonisation fiscale, un budget efficace, mais aussi une convergence sociale avec la construction d'un socle européen des droits sociaux.

La solidarité, c'est aussi le partage de l'effort de défense. La France ne peut assumer seule la protection de tout un continent. Une plus grande unité militaire en Europe s'impose. Les propositions du président de la République en la matière sont fortes, espérons qu'elles aboutiront.

Le deuxième écueil est celui d'une déconnexion du projet européen. De la directive Bolkestein à celle sur les travailleurs détachés, de la PAC à Schengen, l'éloignement de la technostructure attise l'exaspération. N'éloignons pas l'Europe des citoyens. Cessons d'empiler les institutions : tout nouveau projet doit avoir une légitimité démocratique. Le Parlement européen doit avoir plus de pouvoirs ! Démocratie et solidarité, voilà les deux principes que nous voulons porter.

Oui l'Europe a besoin d'une boussole. L'ancrage des symboles européens participe à la progression du sentiment européen. Vous nous trouverez à vos côtés, monsieur le ministre, face au populisme. La France a toujours été du côté des bâtisseurs. La France restera un moteur solide de l'Europe avec l'Allemagne - sans doute, un nouveau traité de l'Élysée sera-t-il nécessaire. Il faut faire de l'Europe une puissance souveraine. Les obstacles seront nombreux, c'est vrai, mais nous demeurerons infatigables pour rebâtir l'idée européenne, afin que demain, tous ensemble, nous puissions continuer à dire « Vive l'Europe ! ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM et RDSE)

Mme Colette Mélot .  - Le 25 mars 2017, nous fêtions les soixante ans du Traité de Rome. Si le projet européen a connu une progression indéniable, marquée par les élargissements successifs, de nombreux périls le menacent : Brexit, hausse des populismes, crise migratoire... Mais l'Union européenne est une force pour la France. Sortons des clichés : le rôle des États membres dans la prise de décision est déterminant. Certains dénoncent l'échec de Schengen alors qu'ils ont refusé de lui donner les moyens de fonctionner !

Les souverainistes se trompent de combat. L'Union européenne n'est pas un adversaire mais un levier de reconquête d'une souveraineté menacée par la dette ou la dépendance à certaines matières premières. Nous avons besoin d'une Europe-puissance qui maîtrise ses frontières, qui protège son marché intérieur face à la concurrence déloyale, qui fasse confiance aux territoires en respectant le principe de subsidiarité.

Le discours volontariste du président de la République va dans le bon sens ; le Gouvernement semble vouloir prendre le sujet européen à bras-le-corps, tant mieux. Il faut donner à l'Union européenne les outils pour garantir sa sécurité, prendre en compte la question migratoire, faire de l'Union un leader en matière de développement durable. Les mots devront être suivis d'actes.

Oui aux conventions démocratiques de refondation de l'Union européenne, pour que les citoyens se réapproprient l'Europe. Il est indispensable de communiquer, pour que le projet européen retrouve du souffle. Trop souvent, les dirigeants ont construit l'Europe sans les citoyens. Résultat, la défiance s'est accrue. Pourtant les succès européens sont nombreux, à l'image du programme Erasmus qui fête ses trente ans et dont trois millions de jeunes ont bénéficié depuis sa création. Il concerne 270 000 jeunes chaque année et intègre désormais un volet professionnel, encore trop peu utilisé.

L'Europe est une nécessité, plus que jamais. Il faut associer plus largement encore les Français. Les Européens doivent se retrouver, reprendre leur destin en main pour que l'Europe ne devienne pas « un continent sous influence ou sous-traitant », selon la formule de Michel Barnier.

Au Sénat, le groupe RTLI s'investira sur cette question qui est au coeur de son ADN. L'Europe est une chance pour la France, nous n'avons pas le droit de la gâcher. (Applaudissements sur les bancs du groupe RTLI)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien.

présidence de M. David Assouline, vice-président

M. Jean-Claude Requier .  - Quelle Europe pour demain ? L'actualité montre que le réveil identitaire qui travaille de plus en plus de pays est un obstacle de plus... L'entrée de l'AFD au Bundestag illustre le poids croissant des eurosceptiques. La France n'y échappe pas. Aux défis politiques s'ajoutent la crise de la dette, la crise migratoire, le terrorisme... L'Europe est sur tous les fronts !

Que serait chaque état isolé, face à la Chine, à la puissance américaine ou aux grands ensembles régionaux qui se créent en Asie ou en Amérique latine ? L'union est une condition de survie. Quelle serait la situation à nos frontières sans Frontex, sans l'accord avec Ankara ?

N'attendons pas d'être au pied du mur. Trop souvent, on a agi dans l'urgence, sous le coup de l'émotion... L'Union européenne demeure notre indéfectible horizon. Certes l'Europe n'est pas parfaite, mais elle reste notre meilleur instrument pour relever les défis communs, comme le rappelle la déclaration de Bratislava.

Le président de la République a rappelé le 26 septembre à la Sorbonne que l'Europe avait toujours été portée par des pionniers, des optimistes, des visionnaires. Les pères fondateurs l'ont inventée, nous devons la réinventer. La vision du président de la République est fondée sur le concept de souveraineté européenne, déclinée dans bien des domaines : je ne peux que me réjouir de cet élan. Rien ne m'effraie dans ses propositions, au contraire ; certaines sont d'ailleurs déjà à l'étude à Bruxelles.

Mais pour que l'élan aboutisse, il faut des valeurs communes. Au premier rang : la solidarité, mise à rude épreuve avec le Brexit. Or sans solidarité, point de convergence fiscale, sociale ou environnementale. La réforme des institutions ne doit pas être taboue. Il est temps de les rendre plus démocratiques et transparentes.

Maurice Faure, mon mentor en politique, m'avait confié avoir négocié le Traité de Rome contre le Quai d'Orsay et imposé sa vision politique, mais cette Europe n'était pas celle des normes et des directives qui, elle, ne fait guère rêver...

Monsieur le ministre, le groupe RDSE sera à vos côtés pour rendre à l'Europe une nouvelle ambition, plus de sens et plus de souffle ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC, LaREM et SOCR, ainsi que sur certains bancs du groupe Les Républicains)

M. André Reichardt .  - Évoquer l'avenir de l'Union européenne serait-il la marque d'un optimisme forcené, quand l'Europe a traversé, ces derniers temps, un annus horribilis après l'autre, chacun charriant son lot de crises nouvelles ? Le feu couve toujours sous la cendre, même si le tumulte des années noires semble derrière nous.

Après un quinquennat marqué par l'effacement de la France sur la scène européenne, les discours du président de la République à Athènes et à la Sorbonne ont replacé notre pays au centre du jeu et ses propositions alimentent le débat sur la refondation de l'Europe.

Pourtant, le cadre qu'il propose ne fait pas consensus. Oui, trop longtemps la construction européenne s'est faite sans les peuples.

Oui, les élargissements ont rendu inévitable une plus grande différenciation dans notre coopération. Toutefois, la dimension fédéraliste de son projet nous laisse perplexes - car c'est bien d'un mouvement vers une Europe fédérale qu'il s'agit, d'une avant-garde dont la France aurait vocation à prendre la tête...

M. Simon Sutour.  - Mais c'est très bien !

M. André Reichardt.  - Parler de souveraineté européenne réelle relègue la souveraineté nationale au rang de fiction. Les électeurs ont rejeté le 7 mai le démantèlement de l'Union, ils n'ont pas pour autant plébiscité l'Europe fédérale. Chercher à forcer le destin, c'est perdre de vue la diversité des peuples. La multiplication des instances supranationales n'est pas la clé de l'efficacité ou de l'acceptation ; il faut plutôt une articulation intelligente des principes de responsabilité et de solidarité au service d'un objectif commun. Nous avons besoin d'un projet politique de civilisation face aux mutations et aux convulsions du monde contemporain. Ancrons l'Europe sur un territoire qui reflète son histoire et son identité, dans des frontières stables. L'indétermination géographique est le symbole d'une indéfinition politique. Fixons nos frontières, clarifions nos relations avec nos voisins. M. Juncker lui-même reconnaît que la Turquie s'éloigne de l'Europe...

Articulons mieux la construction européenne et l'expression de la démocratie nationale. Des conventions démocratiques, pourquoi pas, mais il faut surtout renforcer le rôle des parlements nationaux. Difficile de soutenir l'élection du Parlement européen sur la base de listes transnationales sauf à éloigner encore plus les députés des électeurs. Au contraire, il faut accorder un pouvoir d'initiative aux parlements nationaux, voire un droit de véto.

Le champ des compétences partagées doit être revu et l'Europe se concentrer sur le socle commun : le marché unique, la défense, les frontières extérieures, la recherche, l'énergie, les grandes infrastructures, l'économie, la lutte contre l'évasion fiscale et le dumping. Au lieu de cela, nous avons laissé se développer une Europe de l'accessoire.

Les transferts de souveraineté dans une Europe à 27 sont une impasse. Mieux vaut des coopérations entre pays capables et responsables. Pas d'hypothétique noyau dur, pas davantage d'une Europe à la carte, à 27 vitesses, mais il faut assouplir les coopérations renforcées, trop difficiles à mettre en oeuvre.

L'Europe doit assurer la protection des citoyens. Premier chantier : les frontières. Le corps européen de garde-côtes et de garde-frontières est indispensable mais son action doit rester conditionnée à l'accord des États membres. Nous ne souscrivons pas à la création d'une police des frontières indépendante sur les territoires nationaux. Accélérons le développement des hot-spots, éloignons réellement les déboutés du droit d'asile, ce qui suppose de conditionner les aides financières aux pays tiers au respect des accords de réadmission.

Deuxième chantier : la défense. Dans un monde instable et dangereux, il faut recouvrer notre autonomie stratégique, sans renoncer à l'alliance avec les États-Unis, mais renforcer nos niveaux d'engagements financiers, capacitaires et industriels, développer des programmes communs d'armement, appliquer la préférence communautaire aux marchés de défense.

Troisième action, le renforcement de la zone euro. Celle-ci s'est certes dotée de règles plus robustes mais la crise a miné la confiance entre États membres. Nous ne sommes pas pour l'émission commune de dette publique ou la création d'une assurance chômage européenne ; c'est au sein de chaque pays qu'il faut agir.

Pour réduire les risques, il faut renforcer la gouvernance de la zone euro mais surtout progresser sur la voie de la convergence fiscale et sociale et lutter contre le dumping fiscal. Pourquoi pas un serpent social et fiscal ? En 2012, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient ouvert la voie avec le Livre vert franco-allemand.

Enfin, l'Europe doit assurer la défense de ses intérêts dans la mondialisation. Nos partenaires sont aussi nos concurrents ! Les accords commerciaux doivent être soumis au principe de réciprocité. Une taxe anti-dumping et des sanctions contre les contrefaçons s'imposent.

Voilà quelques pistes d'évolution pour redonner du sens à notre coopération et emporter l'adhésion de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RTLI et LaREM, ainsi que sur le banc des commissions)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - À la demande du président Larcher, nos commissions des affaires étrangères et des affaires européennes ont créé un groupe de suivi du Brexit. Son rapport s'intitule : « Retrouver l'esprit de Rome ». La décision britannique, non-sens géostratégique, a été un choc. Je salue le travail de Michel Barnier qui conduit les négociations avec fermeté et rationalité face à l'incohérence britannique. Pas question de passer à la phase 2 sans avoir préalablement traité de la situation des citoyens européens au Royaume-Uni, du règlement financier de la sortie et de la question irlandaise.

L'Europe, devenue un bouc émissaire pour les responsables politiques nationaux, paye son impuissance face à la crise financière, au terrorisme et au choc migratoire. Vision et leadership font défaut. La dérive technocratique doublée du déficit démocratique a alimenté la défiance et les populismes. Un sursaut s'impose : l'Europe-puissance doit succéder à l'Europe-espace. Au-delà du marché commun, un projet politique est nécessaire.

L'Union européenne doit se faire respecter dans les négociations économiques et commerciales. Elle doit définir des priorités économiques, comme Airbus et Ariane jadis ; développer de nouvelles actions sur le numérique et l'énergie. La politique de la concurrence doit être mise au service de la reconquête industrielle et de l'emploi et non entraver l'émergence de champions européens. Il faut aussi renforcer la convergence sociale et fiscale entre États ; moderniser la politique de cohésion en s'assurant que les pays d'Europe centrale et orientale qui en bénéficient respectent les valeurs de l'Union.

La réforme de la PAC est un enjeu crucial : dans sa résolution, le Sénat l'a souhaitée forte, simple et lisible.

Une Europe recentrée doit respecter la subsidiarité. L'exigence de transparence doit nous guider. Le couple franco-allemand doit être le moteur de ces changements. L'Allemagne cherche un partenaire fort et fiable - à nous d'être à la hauteur, en faisant enfin les réformes tant de fois annoncées. Une feuille de route franco-allemande tournée vers les enjeux du XXIe siècle donnera une impulsion nouvelle.

Les coopérations renforcées sont trop peu utilisées. Pourtant, celles mises en oeuvre sont un succès - je pense au brevet communautaire. Enfin, il faut mobiliser les citoyens, en premier lieu les jeunes. Erasmus est un succès. Pourquoi pas un Erasmus des apprentis ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et SOCR)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères .  - « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri, en disant : l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !, mais ça n'aboutit à rien : il faut prendre les choses comme elles sont. » La célèbre saillie du général de Gaulle nous rappelle à la réalité, même si la vision du président de la République dessine un bel idéal...

Sécurité et défense sont un bel exemple. L'opinion attend des initiatives fortes, la Commission européenne a pris des positions inédites, la nouvelle administration des États-Unis dit souhaiter un renforcement du pilier européen de l'OTAN. Pourtant ce n'est pas demain, ni même après-demain, que l'Europe pourra assumer seule sa défense !

La France, première armée du continent, est la plus à même de porter la vision politique d'une Europe de la défense. La coopération structurée permanente progresse et le conseil de défense franco-allemand du 13 juillet laisse espérer des résultats opérationnels prochains.

Le Fonds européen de défense se met en place avec un volet de recherche et la création d'un programme de développement pour l'industrie de défense, doté de 500 millions d'euros par an les deux premières années et jusqu'à 1 milliard ensuite.

Mais les obstacles demeurent : il faudra trouver une majorité qualifiée après les élections européennes de 2019, avancer malgré un budget en contraction...

L'Europe de la défense doit reposer sur des projets concrets d'équipement. Pour être crédibles, il faut soutenir notre industrie de défense, et surtout acheter européen... L'épisode des hélicoptères achetés par la Pologne est un contre-exemple !

M. André Reichardt.  - Très bien.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Des initiatives ont été prises : programme eurodrone, hélicoptère Tigre, etc. L'accord de principe avec l'Italie sur les projets spatiaux et de missiles vont dans le bon sens mais il reste à progresser en matière navale, après l'affaire STX.

L'Union européenne est encore loin d'être dotée du budget de défense commun, des forces d'intervention communes ou de la doctrine commune que le président de la République appelle de ses voeux. La sortie du Royaume-Uni laisse la France isolée, même si Theresa May promet que le partenariat de Lancaster House se poursuivra sans conditions... ce qui est assez paradoxal !

La diffraction de l'Europe est un non-sens géostratégique. Le Brexit aura des conséquences lourdes. C'est pourquoi il est urgent de relancer le projet européen : la priorité est l'avenir de l'Union à 27. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RTLI)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - En septembre, le président de la République et le président de la Commission européenne ont chacun lancé des appels en faveur d'une Union plus forte, une véritable puissance économique et financière. Le Brexit nous pousse à faire de l'Europe continentale un centre financier majeur s'appuyant sur une union des marchés de capitaux. Pour tirer notre épingle du jeu, il faut poursuivre le renforcement de la compétitivité de la place de Paris, initié par le précédent gouvernement. Il est heureux que le présent gouvernement reprenne des propositions de notre commission des finances.

Le débat est intense, les propositions institutionnelles nombreuses : ministre des finances commun, Trésor ou Parlement de la zone euro... Mais la question fondamentale demeure : la zone euro serait-elle capable de faire face à une nouvelle crise ?

L'architecture et le fonctionnement de la zone euro demeurent vulnérables. Si la Banque centrale européenne est efficace, les gouvernements ne pourront pas se reposer indéfiniment sur son action. Le Brexit ne doit pas nous conduire à remettre à plus tard la réforme de la zone euro ; bien au contraire.

Avec l'Union bancaire et la prise en charge des risques rencontrés par les systèmes bancaires nationaux, nous vivons un test grandeur nature de la capacité des États à gérer ensemble les risques en partageant leur souveraineté. Le test n'est pas encore concluant puisque les discussions sur le mécanisme européen de garantie des dépôts bancaires et le Fonds de résolution unique sont bloquées. Peut-être la nouvelle feuille de route présentée par la Commission européenne fera-t-elle avancer les choses.

Le mécanisme européen de stabilité, qui doit être renforcé, ne pourra pas devenir un véritable Fonds monétaire européen sans une réflexion préalable sur son contrôle démocratique par les parlements nationaux.

Un mécanisme de stabilisation budgétaire en cas de choc macroéconomique affectant la zone euro nous manque aujourd'hui. Qu'il prenne la forme d'un budget d'investissement de la zone euro ou d'une ligne budgétaire dédiée à la zone euro au sein du budget de l'Union, sa mise en oeuvre aura des conséquences sur nos systèmes fiscaux. Là encore nous touchons à l'essence de la souveraineté des États.

À ce propos, quel État membre acceptera de renoncer à son droit de veto pour passer au vote à la majorité qualifiée en matière de fiscalité, comme le propose le président de la Commission européenne, quand la concurrence fiscale s'attise ?

Enfin, la définition d'une politique économique européenne et un pilotage cohérent au niveau de la zone euro supposent une plus grande convergence des économies des États membres. Une clarification des règles de surveillance budgétaire et de leurs objectifs sera un minimum. Les procédures restent hors sol, pour l'heure.

S'agissant des réformes structurelles, les recommandations adressées chaque année aux États membres ne deviennent pas des éléments des débats publics nationaux. La procédure est « hors sol » : elle manque probablement d'ancrages démocratiques dans les institutions nationales.

Pour reprendre les mots de Jean Monnet, « il n'y a pas d'idées prématurées ; il y a des moments opportuns, qu'il faut savoir attendre. » Le moment est venu d'agir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et LaREM ainsi que sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Je vous remercie pour ce débat, presque toujours marqué par la sagesse qui caractérise vos travaux, et j'apprécie, comme le fera sans doute Jean-Yves Le Drian, la demande de M. Gattolin d'en faire un rendez-vous annuel.

Je m'efforcerai de répondre à toutes vos questions et resterai à votre entière disposition, comme je le suis depuis ma prise de fonctions.

Certains ont formulé des encouragements, d'autres des critiques. Que tous soient remerciés. Oui, l'Europe est trop bureaucratique, trop peu démocratique. Le Gouvernement porte une ambition forte pour l'Europe car c'est en refondant l'Europe que nous retrouverons, en la partageant, une pleine souveraineté et pourrons relever les défis des migrations, des mutations technologiques, du dérèglement climatique, du terrorisme, de la protection de nos industries et de nos emplois.

C'est par une convergence par le haut, notamment dans la zone euro mais pas seulement, que nous tirerons pleinement profit du marché unique. Les négociations sont en cours pour empêcher les fraudes et le dumping social par la révision de la directive sur les travailleurs détachés. Nous travaillons à rassembler une majorité qualifiée en vue d'un accord le 23 octobre.

L'appel lancé à la Sorbonne le 26 septembre par le président de la République a eu un écho très important dans les opinions publiques et au sein du Conseil européen. Rien ne serait pire que de nous contenter d'un simple catalogue de mesures. À Tallinn, les chefs d'État et de gouvernement se sont accordés sur la nécessité de refonder l'Europe. Le président du Conseil européen Donald Tusk a été mandaté pour présenter dans les prochains jours une feuille de route. Démonstration est faite qu'il s'agit, non d'une préoccupation française, mais d'une cause européenne.

La méthode Macron est fondée sur la volonté et parfois sur l'audace mais aussi sur le dialogue, à commencer par le dialogue avec l'Allemagne. Oui, nos objectifs sont ambitieux et sans doute ne pourront-ils pas être atteints tout de suite à 27. Ceux qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent pouvoir le faire sans en être empêchés. Pour autant, nos travaux seront ouverts à tous avec pour seule exigence un niveau d'ambition partagée. Le groupe de la refondation européenne, d'ici l'été 2018, déterminera, pour chaque politique et sans tabou, s'il est possible d'avancer à 27, si un changement de traité est nécessaire, si, à traité constant, des coopérations renforcées sont possibles ou s'il faut envisager des coopérations intergouvernementales dans un premier temps. Ces instruments existent et ont été utilisés pour Schengen et le traité de stabilité de coordination et de gouvernance. Réduire cela à une marche vers l'Europe fédérale ne fait pas justice à la qualité de notre projet.

En parallèle, nous devons préserver ce que nous avons en commun, le marché unique mais aussi l'État de droit. L'Union doit être autant démocratique qu'économique et budgétaire. Les conventions démocratiques jouent un rôle essentiel dans la refondation de l'Europe. Nos objectifs ne peuvent aboutir s'ils suscitent l'indifférence des Français et des Européens. Nous voulons leur donner la parole, les écouter ; nous ne pouvons pas nous contenter d'une procédure simpliste qui consisterait à les consulter une fois les discussions terminées en leur demandant de se prononcer par oui ou par non.

Jean-Yves Le Drian a présenté les grandes lignes du dispositif de conventions démocratiques : des débats sur l'Europe, en ligne mais aussi physiques, au cours desquels pourront s'exprimer aussi bien les amoureux transis de l'Europe que ses adversaires déterminés. Nous voulons savoir là où l'Europe contente, là où elle déçoit ; là où elle devrait intervenir, là où elle devrait se faire plus discrète. Nous voulons entendre tous nos concitoyens, et pas seulement les Parisiens et les habitants des grandes villes. Nous voulons faire cela au cours du premier semestre 2018 avec tous les États membres qui le voudront.

Je salue le travail de votre groupe de suivi du Brexit. Jean-Yves Le Drian est déterminé à poursuivre notre coopération de défense avec la Grande-Bretagne dans le cadre du traité de Lancaster House pourvu que soient respectés les principes, en particulier celui de l'unicité du canal de négociation. Je salue d'ailleurs le travail de Michel Barnier. Avant d'envisager les relations futures qui nous lieront à la Grande-Bretagne, il faudra progresser sur trois sujets prioritaires : droits des citoyens, frontières et règlement financier. Le discours de Theresa May à Florence laisse entrevoir des avancées - reste à les traduire par des progrès dans les négociations.

Erasmus est effectivement un succès européen, un des plus marquants. Il faudra le généraliser pour les apprentis. En 2024, nous souhaitons que la moitié d'une classe d'âge passe six mois dans un autre pays que le sien avant l'âge de 25 ans. Cela passe par un « processus de la Sorbonne » pour que les jeunes puissent passer d'un système d'enseignement secondaire à un autre.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à m'exprimer ici, devant le drapeau tricolore et le drapeau européen.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Je veux vous dire ma fierté que la France soit à nouveau au coeur du débat sur l'avenir de l'Europe. Sa place n'est nulle part ailleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Prochaine séance, mardi 17 octobre 2017, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 50.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus