Mercredi 20 juillet 2022

Mission d’information sur la situation de la presse quotidienne régionale - Examen du rapport

M. Laurent Lafon, président. – Nous examinons ce matin les conclusions de la mission d’information sur la situation de la presse quotidienne régionale.

M. Michel Laugier, rapporteur. – En tant qu’élus locaux, nous avons tous une relation forte, presque « charnelle », avec la presse quotidienne régionale (PQR), vecteur actif de vie locale et de lien social. Pour reprendre l’heureuse expression de la chercheuse Pauline Amiel, la PQR va « du village au monde ». Son importance pour notre démocratie ne saurait être sous-estimée.

Étant moi-même ancien journaliste de cette presse, je m’y intéresse pour ainsi dire doublement ! Je remercie donc la commission et notre président Laurent Lafon de m’avoir confié cette mission d’information, et je remercie les collègues qui ont participé activement aux auditions.

Les 51 titres de PQR et leurs 91 versions locales sont lus chaque mois par 43 millions de lecteurs. Ce secteur emploie un tiers des journalistes de la presse écrite, soit 5 700 personnes environ.

La presse locale maille l’ensemble du territoire et s’est constituée au fil du temps en monopoles territorialisés articulés autour de huit grands groupes. Les groupes EBRA et Sipa-Ouest France représentent à eux deux le tiers de la diffusion globale de la presse quotidienne.

Les ressources de la PQR reposent sur trois piliers : les ventes de journaux, la publicité et la diversification, en particulier l’événementiel, qui permet de vendre les titres moins cher que leur coût de revient – un exemplaire dont la valeur faciale est comprise entre 1,10 et 1,30 euro coûte en réalité entre 1,50 et 1,80 euro.

L’un des grands enseignements de nos auditions est que les modèles économiques diffèrent grandement. Certains titres, comme Ouest France, font porter l’essentiel de leurs efforts sur les ventes et la publicité, tandis que Le Télégramme de Brest, par exemple, a axé son modèle sur l’événementiel – la légendaire Route du Rhum, les Francofolies, le Printemps de Bourges ou encore l’ultra-trail du Mont-Blanc.

La Marseillaise organise le Mondial de la pétanque, tandis que sur la même aire géographique, le titre La Provence se trouve au cœur d’une guérilla juridique entre le groupe NJJ et CMA-CGM, dans l’attente des investissements massifs qui seront rapidement nécessaires.

Enfin, il faut également évoquer le développement d’une presse locale purement en ligne, dont le fer de lance demeure Marsactu qui couvre les Bouches-du-Rhône. Si la presse en ligne bénéficie maintenant, comme je l’avais appelé de mes vœux à l’époque, d’une aide dédiée, elle peine encore à trouver un modèle économique viable, entre « Mediapart local » à accès payant (Marsactu) ou gratuit financé par la publicité.

Quelle est aujourd’hui la situation de cette PQR ?

Malgré la grave crise traversée par le secteur, nous pouvons nous féliciter de la résistance de ses titres par rapport à la presse quotidienne nationale (PQN). En effet, la PQR n’a perdu « que » 37 % de ses ventes entre 2010 et 2021, quand la presse quotidienne nationale en a perdu les trois quarts. Cela illustre bien la fidélité de son public et son enracinement dans les territoires.

Pour autant, la diffusion globale de la PQR a diminué dans des proportions équivalentes à celle du secteur de la presse, soit 30 %.

Cette spécificité de la PQR constitue aujourd’hui sa principale faiblesse.

Les ventes et les abonnements en version papier étant quatre fois plus rémunérateurs que les versions numériques, la PQR a bénéficié du fort attachement de son lectorat pendant des années pour préserver ses marges, alors que la situation de la presse quotidienne nationale s’est rapidement dégradée.

France Soir et La Tribune sont certes les seuls grands titres de PQN qui ont disparu depuis 2010, mais la moitié des autres titres ont changé de propriétaire dans des conditions souvent complexes. Pour autant, cette crise a poussé les titres de PQN à adapter leur modèle économique à la révolution numérique, souvent avec l’aide d’investisseurs puissants et au prix d’investissements très significatifs.

Le paysage de la presse quotidienne est donc scindé entre une presse nationale diffusée en grande partie sous format numérique et une presse régionale qui privilégie encore très largement les ventes d’exemplaires physiques.

Or le contexte actuel s’avère très défavorable à la vente d’éditions papier, ce qui fragilise la PQR, désormais confrontée à une crise conjoncturelle et à un environnement économique très défavorable marqué par la dégradation de ses recettes et l’augmentation de ses coûts.

En effet, alors que les ventes s’érodent sur ses canaux de distribution traditionnels sans que le numérique suffise à compenser les pertes, les recettes publicitaires sont elles aussi en diminution depuis des années. En dépit des avancées des négociations relatives aux droits voisins et de la décision de l’Autorité de la concurrence en date du 21 juin dernier, le modèle économique de la PQR est gravement menacé.

Celui-ci repose encore sur des coûts fixes importants, adaptés à une situation où les ventes d’exemplaires papier sont encore nombreuses. Or tel n’est plus le cas, et le futur n’est guère porteur.

Dans ce cadre, le Gouvernement a dû assumer une partie des coûts du plan réseau imprimerie (PRIM) de redimensionnement des imprimeries à hauteur de 36 millions d’euros, comme il l’avait fait en 2008 pour la presse quotidienne nationale.

Notons au passage que la presse, comme pour Presstalis, devenu France Messagerie, recourt régulièrement à des crédits publics, parfois même pour pallier ses erreurs de gestion ou d’anticipation…

Le sujet le plus souvent évoqué dans nos auditions a été sans conteste le coût du papier. Plusieurs facteurs se sont cumulés pour justifier l’envolée des coûts : développement de la livraison à domicile, qui a réorienté les chaînes de production vers les emballages, prix de l’énergie, perte dans notre pays des principaux producteurs... Depuis le début de l’année, le prix de la tonne de papier est passé de 400 à 750 euros.

Le bilan pour les éditeurs dépend des contrats passés, des relations avec les producteurs et des capacités à jouer sur la pagination et le prix.

Il convient par ailleurs de souligner qu’entre 2009 et 2019, le prix par exemplaire du papier avait baissé, passant de 10 à 8 centimes. Pour autant, en tenant compte de tous les effets, j’estime le coût pour la presse quotidienne entre 80 et 100 millions d’euros, et le double pour toute la filière presse.

Je ne sous-estime pas la responsabilité des éditeurs, qui ont négligé d’investir dans leurs sources d’approvisionnement, et des pouvoirs publics, qui ont laissé s’éteindre une production nationale. Le choc n’en demeure pas moins rude pour des éditeurs fragilisés par dix années de baisse des tirages et deux années de pandémie. C’est pourquoi je vous proposerai une mesure d’accompagnement.

J’en viens enfin à la fin de l’exemption dont bénéficie la presse pour régler l’éco-contribution.

Lorsqu’en 2017, la France a fait le choix courageux d’inclure la presse dans le régime de responsabilité élargie du producteur (REP), ce qui a conduit les collectivités à dimensionner leurs infrastructures pour traiter et recycler le papier journal, les éditeurs ont bénéficié d’une dérogation prévue par le droit européen pour verser leur contribution à Citeo en nature, soit en encarts publicitaires dans leurs pages sensibilisant les lecteurs à l’importance du tri et du recyclage des journaux.

Conformément au droit européen, l’article 72 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a mis un terme à ce régime dérogatoire au 1er janvier 2023. À compter cette date, les éditeurs devront acquitter une contribution, cette fois-ci financière, pour un montant d’environ 22 millions d’euros.

Si la fin du dispositif dérogatoire est connue et acceptée bon gré mal gré depuis deux ans, elle apparaît comme insupportable dans le contexte actuel à de nombreux éditeurs, qui s’indignent « que la presse soit considérée comme un déchet », d’autant plus que tous les pays n’ont pas fait ce choix.

J’en viens aux recommandations que je vous propose d’adopter.

La PQR affronte une équation complexe. Elle doit, d’une part, préserver un marché de la vente papier auquel beaucoup de ses lecteurs sont encore attachés, mais dont les coûts de fabrication comme de diffusion sont aujourd’hui croissants, et d’autre part, investir massivement dans le numérique pour répondre aux nouvelles attentes de son lectorat.

Si la PQR est en partie responsable, par manque d’anticipation et de volonté collective d’agir, compte tenu de son importance pour la démocratie et la vie locale, le secteur doit maintenant être accompagné par l’État dans sa nécessaire transition.

Je vous propose donc huit recommandations, regroupées au sein de quatre thèmes.

Le premier est l’accompagnement du développement numérique.

Si je ne crois pas être de bonne politique de gonfler l’enveloppe d’aides à la presse, ma première recommandation est d’élargir aux investissements dans le numérique le taux de subvention super bonifié de 70 %, contre 60 % actuellement.

Le deuxième thème est relatif à la sensibilisation des pouvoirs publics.

Par ma recommandation n° 2, reprise du rapport de la mission flash de l’Assemblée nationale relative aux aides à la presse régionale et locale, je propose d’ajouter aux critères examinés par la commission départementale d’aménagement commercial pour autoriser l’ouverture de commerces la présence d’un stand de presse dans les zones dites « blanches ».

La recommandation n° 3 vise à élargir le pass Culture aux abonnements papier.

J’en viens au troisième thème, qui a trait à l’accompagnement du choc inflationniste.

S’il est clair que l’État n’a pas vocation à tout compenser, je propose par ma recommandation n° 4 une aide à court terme, limitée à 2022, partielle et réservée aux titres en difficulté, dont le montant reste à déterminer. Je crois important de faire une place à la concertation au sein de la filière, en contrepartie d’engagements de la part de celle-ci.

À plus long terme, il sera impératif que les crédits de France Relance soient également utilisés pour aider à rebâtir une filière nationale de production de papier. Tel est l’objet de la recommandation n° 5.

Le quatrième et dernier thème est relatif à Citeo.

Je propose un dispositif à deux étages au travers des recommandations nos 6 et 7.

Dans un premier temps, il faut interroger la Commission européenne quant à la possibilité de poursuivre le paiement en nature par la voie des encarts de presse pour les éditeurs. Les collectivités, qui peuvent utiliser à leur profit ces encarts, pourraient être d’une certaine façon indemnisées, pour un temps au moins.

En cas d’accord des autorités européennes, il faudrait, d’ici à la fin de l’année, mettre en débat au Parlement une éventuelle modification de l’article L. 541-10-19 du code de l’environnement.

Si la Commission européenne ne retenait pas cette interprétation, il me paraîtrait pertinent, pour cette seule première année, que l’État compense aux éditeurs les 22 millions d’euros qu’ils devront verser, charge à eux de s’acquitter de l’éco-contribution dès 2024.

Enfin, la recommandation n° 8 invite les éditeurs à réfléchir à la modulation à la baisse, en se rendant plus vertueux en matière environnementale.

Chacun voit le résultat de ce travail, qui révèle notre inquiétude pour la survie de cette presse, laquelle qui encaisse depuis des années des chocs répétés.

M. Jérémy Bacchi. – Nous partageons les inquiétudes sur l’avenir de la PQR, à laquelle les Français sont attachés, mais il y a tout de même des leviers à activer. Plusieurs problématiques s’imposent à nous, parmi lesquelles le coût du papier. À ce titre, je partage la recommandation visant à utiliser les crédits de France Relance pour la filière papier. Les problèmes à laquelle celle-ci est confrontée ne relèvent pas seulement de la conjoncture, ils sont antérieurs à la crise inflationniste actuelle, ils durent dans le temps, et cela risque de faire disparaître certains titres. Le coût des transports est, lui, plus lié à la conjoncture et pèse également sur les titres, même s’il est indirect et concerne surtout la distribution.

Concernant les autres difficultés, le virage du numérique n’a pas toujours été pris dans les temps, alors même que les ratios de recettes entre papier et numérique vont de un à quatre. Toutefois, le coût du passage au numérique est très lourd et certains des titres, parmi les deux tiers d’entre eux qui ne sont pas affiliés à un grand groupe, ne peuvent le financer. Cela pose la question de la concentration des titres et de la pluralité de la PQR.

Les préconisations vont plutôt dans le bon sens, même si je serais allé plus loin. Elles prennent la mesure de la problématique. Suffiront-elles à enrayer le déclin de la PQR et les coups conjoncturels que celle-ci subit ? Nous ne le saurons que dans quelques années, et j’espère qu’alors il ne sera pas trop tard.

Enfin, il nous faut analyser la baisse d’engagement des collectivités locales, lesquelles sont de grandes contributrices aux budgets de la PQR au travers des annonces légales et des publicités. Or leurs budgets sont en baisse, avec un impact dramatique. Cela nécessite donc une certaine anticipation pour que les entreprises de presse puissent disposer de ressources plus diversifiées. L’événementiel est, certes, une possibilité, mais le marché n’est pas infini et les événements qui fonctionnent bien ont souvent été créés il y a des décennies, quand la PQR disposait encore des ressources propres suffisantes pour leur donner naissance.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. – J’approuve les recommandations du rapporteur sur un sujet important, les médias de proximité, qui sont aussi un facteur de cohésion sociale.

J’évoquais hier l’évolution de l’éco-contribution avec le directeur de la rédaction de Nice-Matin, qui me confiait ses craintes. En effet, un décret prévoit que, à compter du 1er janvier 2023, les entreprises de média ne pourront plus verser l’éco-contribution en nature, au travers de publicité vantant le recyclage, par exemple, mais subiront un prélèvement financier pour un total de 15 à 20 millions d’euros, qui pourrait encore augmenter. Cette décision me semble être un non-sens : les consommateurs ont en effet besoin d’être orientés de manière simple, voire ludique, et la publicité joue ce rôle. Il est regrettable que cette éco-contribution soit vidée de sa substance et se mette à peser sur le budget des éditeurs.

Mme Sylvie Robert. – Je partage le constat de l’attachement des Français à cette PQR, qui peut encore s’amplifier à l’occasion de phénomènes dramatiques ou d’élections. Les alliances avec les autres médias territoriaux, tels que France 3 et France Bleu, se développent et cela me semble intéressant.

Connaissez-vous le montant des droits voisins perçus par la PQR ? Il y a un problème de transparence en matière de remontée de ces sommes : nous ne les connaissons pas. La question dont nous débattons est pourtant aussi économique et financière.

S’agissant des recommandations, je ne suis pas certaine que l’extension du pass Culture à la presse papier soit un levier efficace, mais enfin, pourquoi pas ? Dans ma région, Ouest France règne, avec un modèle très singulier, et Le Télégramme, dans mon département, ne paraît qu’en numérique.

L’événementiel est en effet une vraie question ; les alliances avec d’autres médias sont intéressantes pour cela : les Vieilles Charrues, par exemple, font l’objet de partenariats qui suscitent un lectorat énorme. Ouest France et Le Télégramme sont offerts à tous les participants, ce qui emporte un coût important pour la direction de l’événement. Il est vrai, cependant, que cela vaut surtout pour les manifestations d’envergure installées de longue date.

Enfin, je rappelle que cette évolution de l’éco-contribution concerne seulement l’année 2023.

Mme Monique de Marco. – Je suis très attachée à la PQR. Dans le Sud-Ouest, Sud Ouest a le monopole de l’information sur toute notre région.

Quelle est la part des revenus publicitaires de la PQR ? Elle doit être importante, si j’en crois la présence de grands encarts publicitaires. Cela a été souligné également dans les auditions de la commission d’enquête sur la concentration.

S’agissant des recommandations, je souhaite inclure le numérique dans la recommandation n° 3.

M. Michel Laugier, rapporteur. – C’est déjà le cas.

Mme Monique de Marco. – Je suis dubitative sur la recommandation n° 6. 22 millions d’euros attribués à Citeo, c’est important. Peut-être faut-il étudier le financement de la mesure, mais il me semble qu’il importe de maintenir cette évolution. Je suis inquiète de la perspective de modifier le code de l’environnement, car cela pourrait susciter un débat qui ne me semble pas souhaitable.

Notre groupe soutiendra ce rapport.

M. Pierre-Antoine Levi. – J’ai participé à quelques auditions et je partage les recommandations du rapporteur. Il s’agit de défendre la liberté d’expression, de renforcer la pluralité et de développer la diffusion des informations. Après avoir constaté les conséquences de la crise sanitaire, je suis convaincu qu’il faut intégrer la presse papier au pass Culture, pour sensibiliser la jeunesse à la lecture de la presse. En outre, dans un contexte d’inflation générale, il paraît en effet judicieux d’investir dans la reconstruction d’une filière papetière indépendante. Ainsi, l’approvisionnement serait sécurisé pour ce secteur lourdement affecté par la crise.

S’agissant de la concentration, il est vrai que certains groupes régionaux se trouvent en situation de monopole. Ne pourrait-on pas imaginer un mécanisme de minoration des aides en cas de comportement monopolistique ?

Le groupe centriste votera l’ensemble des recommandations du rapporteur.

M. Bernard Fialaire. – Je connais également l’attachement des citoyens à la PQR, en particulier des personnes âgées. Le lien qui les maintient dans l’engagement civique passe souvent par cette presse, laquelle est alors à la fois une source importante d’information et une stimulation.

Je rappelle que 24 % des revenus de la PQR proviennent de la publicité. Or des études américaines ont prouvé le lien entre l’existence d’une PQR et la citoyenneté. Quelle est la part de la publicité issue des collectivités territoriales ? Je constate souvent la présence d’encarts massifs ainsi que d’articles qui paraissent complaisants. Au vu des résultats des dernières élections régionales et départementales, on peut s’interroger sur la reconduction quasiment intégrale de certains exécutifs locaux !

Mme Laurence Garnier. – Il faut rappeler que cet enjeu économique est essentiel. Ce qui se joue, c’est la place que l’on veut faire à une sorte de pensée complexe qui n’a plus cours au travers des médias nationaux et des réseaux sociaux et que le rôle de la PQR est d’alimenter. À ce titre, la question du lectorat jeune est primordiale, pour préparer l’avenir économique du secteur.

Votre proposition d’élargir le pass Culture à la souscription des abonnements en version papier est excellente. Dans mon territoire, Ouest France et Presse Océan, entre autres, mènent un travail exemplaire auprès des jeunes lecteurs via des concours et des actions pédagogiques dans les classes.

Comment notre commission peut-elle renforcer les liens entre le monde de l’éducation et la presse locale ? Nous aurions tous à y gagner, car, sur les réseaux sociaux, les jeunes lecteurs sont confrontés à une pensée synthétique et bien souvent caricaturale.

Mme Laure Darcos. – Je salue le travail de Michel Laugier. Dans mon territoire, Le Parisien n’est quasiment plus accessible qu’en version numérique et a perdu beaucoup de lecteurs. Le Républicain de l’Essonne s’adresse davantage aux élus locaux et aux seniors. Heureusement, les collectivités territoriales soutiennent à bout de bras ces petits journaux.

Ma question porte sur les annonces légales. Le Républicain de l’Essonne constate avec désespoir que les tribunaux de commerce et les tribunaux administratifs souscrivent de moins en moins d’abonnements. Le nombre d’annonces légales diminue. Peut-on inciter les acteurs juridiques à agir autrement ? Le principe de séparation des pouvoirs nous empêche d’inciter les tribunaux à favoriser les petits journaux locaux.

M. Jean-Raymond Hugonet. – Je m’associe aux louanges adressées à Michel Laugier.

Quelle est la valorisation des actifs immobiliers pour les groupes de la PQR encore propriétaires de leurs murs ? Dispose-t-on d’informations à ce sujet ?

Mme Sonia de La Provôté. – Je m’associe également aux éloges de mes collègues sur la qualité du rapport.

Il est difficile de distinguer la question de la PQR de celle des télévisions et des radios locales. Nous avions déjà débattu de la présence de France Bleu dans les territoires. Ce sujet est essentiel pour l’accès à l’information. La concentration des médias tend à créer un prêt-à-penser qui se reproduit facilement. Or la PQR ne réagit pas systématiquement aux sujets qui feront vendre : elle propose une information documentée et diversifiée. En outre, le rôle des correspondants locaux est essentiel. Il est vital de préserver la PQR et je me réjouis des propositions du rapporteur.

La PQR accompagne aussi de petits événements locaux : son rôle de mécène est d’utilité publique.

M. Michel Laugier, rapporteur. – Je vous remercie pour vos propos et vos questions.

Il était impossible d’aborder tous les sujets dans ce rapport consacré à la PQR. Il s’agissait avant tout d’une photographie de la situation actuelle, avec l’augmentation du prix du papier et la hausse du coût de transport.

Nous devons aider la PQR maintenant ; après, il sera trop tard. Nos échanges avec les éditeurs ont montré que nous devions aller plus loin.

Monsieur Bacchi, la concentration des médias peut certes avoir des effets négatifs, mais elle permet aussi parfois de sauver des titres de presse grâce à l’arrivée d’investisseurs.

Madame Borchio Fontimp, la fin de l’exemption dont bénéfice la presse pour régler l’éco-contribution à Citeo représente un problème majeur. Les éditeurs étaient conscients de la situation. Toutefois, l’échéance du 1er janvier 2023 arrive au plus mauvais moment. Quelle sera la situation l’année prochaine ? L’une de mes recommandations vise à compenser l’éco-contribution pour la seule année 2023. Nous essayons par ailleurs d’influencer le cours des choses au niveau européen.

Madame Robert, la PQR occupe une place primordiale dans les territoires. Nous y sommes tous très attachés. Je rappelle que la PQR a joué un rôle essentiel durant la pandémie.

Les revenus issus des droits voisins sont tenus secrets par les éditeurs. Au départ, les groupes de presse ont négocié seuls avec les plateformes, tandis qu’ils préfèrent aujourd’hui mandater l’Alliance de la presse d’information générale (APIG). L’ensemble des revenus issus des droits voisins représenteraient une somme comprise entre 10 et 20 millions d’euros.

Madame de Marco, l’éco-contribution devant être versée le 1er janvier 2023 à Citeo représente un montant de 22 millions d’euros. Cela s’ajoute à l’augmentation du prix du papier – qui représente un surcoût de 100 millions d’euros pour la presse – et à la hausse des coûts de transport. Jusqu’à présent, en contrepartie de l’exemption du paiement de l’éco-contribution, les éditeurs étaient tenus de réserver des encarts publicitaires afin d’inciter les consommateurs à adopter des comportements respectueux de l’environnement.

Monsieur Levi, la question des monopoles a été traitée par la commission d’enquête sur la concentration des médias en France. La Dépêche du Midi et Midi libre font partie du même groupe : cela permet à la PQR de survivre.

Monsieur Fialaire, la publicité représente 24 % des ressources de la PQR. Les collectivités territoriales sont parfois des partenaires des titres de presse, et parfois des concurrents, via leurs supports de communication dont certains contiennent de la publicité. Nous ne disposons pas du pourcentage de publicité placée dans la PQR par les collectivités territoriales.

Madame Garnier, nous souhaitons favoriser les rapprochements entre la presse et la jeunesse.

Madame Darcos, certains éditeurs ne survivent que grâce aux annonces légales, qui représentent un poids important pour les finances locales.

Monsieur Hugonet, je ne dispose pas d’étude précise relative aux actifs immobiliers de la PQR. En revanche, le président de La Provence nous a indiqué que la vente des actifs fonciers du groupe avait rapporté 36 millions d’euros. Cette somme permet de faire vivre le journal, mais c’est le dernier bas de laine qui était à leur disposition : sans cela, celui-ci n’aurait pas pu se maintenir.

M. Jean-Raymond Hugonet. – La transition numérique des journaux nécessite moins d’espace. Les réserves foncières alors libérées peuvent être achetées par des entreprises qui ne visent pas les mêmes buts que les acteurs de la PQR.

M. Michel Laugier, rapporteur. – Plusieurs titres de la PQR ne gagnent pas beaucoup d’argent. Le pluralisme n’a pas de prix, mais il a un coût.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte à l’unanimité le rapport d’information et en autorise la publication.

M. Laurent Lafon, président. – Je vous remercie pour la qualité de nos échanges.

La réunion est close à 11 h 30.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

M. Laurent Lafon, président. – Nous sommes heureux d’accueillir Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pour sa première audition devant notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la ministre, nous tenons à vous adresser nos félicitations pour votre nomination et nos vœux de succès dans vos nouvelles fonctions.

Je tiens à rappeler – comme je l’ai fait devant vos collègues ministre de la culture et ministre de l’éducation nationale -, que le compromis fait partie de la culture du Sénat. Or, au cours du précédent quinquennat, nous avons pu regretter un manque d’écoute et de dialogue avec votre prédécesseure. Nous formons donc le vœu que nous pourrons travailler de manière constructive avec vous.

Les sujets sur lesquels vous allez devoir vous pencher ne manquent pas. Votre précédente fonction de présidente de l’université Paris-Saclay vous y a préparée. Vous savez l’intérêt que notre commission porte aux questions qui entrent dans le périmètre d’action de votre ministère. Nous serons force de propositions.

Le 14 juin dernier, devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), vous avez insisté sur la « méthode renouvelée » que vous comptez employer : dialogue et concertation avec l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, simplification des procédures et facilitation des initiatives, planification pluriannuelle et responsabilisation des acteurs. Nous sommes intéressés pour que vous nous présentiez plus en détail cette nouvelle méthode.

Concernant le secteur de l’enseignement supérieur, vous n’êtes pas sans savoir qu’une loi de programmation dédiée est très attendue.

Plusieurs sujets de fond se posent. Côté établissements, celui, central, du financement – le « nerf de la guerre » comme vous l’avez déclaré devant le Cneser – mais aussi la question de la gouvernance, qui sous-tend celles de l’autonomie, de la responsabilisation, de la contractualisation et de la territorialisation.

Côté étudiants, l’amélioration de leurs conditions d’études et de vie est une préoccupation majeure ; elle appelle, entre autres, une évolution des bourses, un élargissement de l’offre de santé, un accès facilité au logement et à la restauration : sans doute avez-vous pris connaissance des propositions de notre mission d’information sur les conditions de la vie étudiante menée l’année dernière.

D’une manière générale, sur ce besoin d’une loi structurante pour l’enseignement supérieur, quelles sont vos intentions ?

Concernant ensuite le secteur de la recherche, nos collègues Laure Darcos et Stéphane Piednoir ont déposé, il y a tout juste quinze jours, un rapport dressant un premier état des lieux de la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche (LPR). La première de leurs dix recommandations, adoptées à l’unanimité par notre commission, est un réexamen de la trajectoire budgétaire. Compte tenu de la dynamique inflationniste, une actualisation de l’effort nous paraît indispensable. Les neuf autres recommandations tendent à la fois à améliorer l’application de certaines mesures de la LPR, notamment sur son volet ressources humaines, et à combler plusieurs de ses lacunes, en particulier en matière d’organisation et de programmation stratégique de la recherche.

Suivant la position de nos rapporteurs, nous estimons que l’ensemble de ces sujets devra être abordé à l’occasion de la clause de revoyure, prévue par la LPR en 2023. Comment comptez-vous mener cet exercice et y associer le Parlement, qui ne saurait en être tenu à l’écart ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. – Je suis honorée et heureuse d’échanger avec vous aujourd’hui.

Je ne vous rappellerai pas le contexte politique, économique et géopolitique particulier dans lequel nous nous trouvons, qui influe sur l’ensemble des secteurs de notre société. Je porte des ambitions au cœur desquelles sont l’étudiant et sa formation, ainsi que la recherche. Le front des sciences doit être développé parce qu’il est particulièrement nécessaire pour faire face aux défis de notre jeunesse, mais aussi pour répondre aux enjeux économiques, sociaux et sociétaux.

Le premier axe de ma stratégie est de placer l’enseignement supérieur au cœur de la formation de citoyens éclairés, à même de prendre toute leur part dans le monde de demain et de continuer à se former tout au long de leur vie, car les métiers et les carrières évoluent. Pour cela, il faut améliorer l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur, qui participe au renforcement du pacte républicain. C’est un levier pour préparer l’avenir de nos étudiants et du pays.

La France doit aussi prendre le plus grand soin de ses étudiantes et ses étudiants, avec un environnement propice aux études et à l’épanouissement professionnel. C’est pourquoi la vie étudiante est désormais une ligne à part entière dans le décret d’attribution des compétences de mon ministère.

Notre action doit continuer d’intégrer la transition écologique et énergétique comme un élément saillant dans la formation des étudiants, mais aussi dans la recherche, et dans les pratiques de nos établissements et de celles du monde académique.

Le premier cycle est une priorité, avec une attention particulière donnée à l’orientation, par la poursuite d’études directes ou l’insertion dans le monde professionnel, mais aussi par le droit à la reprise des études. La formation tout au long de la vie doit également être renforcée dans nos établissements.

J’entends par ailleurs travailler étroitement avec les autres ministères, particulièrement celui de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, dans une vision globale de l’enseignement post-bac.

Il s’agit également, pour faire réussir les étudiants, d’amplifier la politique sociale du ministère, afin de répondre rapidement aux conséquences de la guerre en Ukraine, notamment sur le pouvoir d’achat – certaines mesures conjoncturelles sont déjà prises –, mais aussi de réfléchir à plus long terme pour améliorer structurellement les conditions de vie des étudiants et lutter contre leur précarité. Cela passe par les bourses, mais également par la santé étudiante, dans tous ses aspects. Le bien-être suppose aussi l’accès au sport, le Pass’Sport y contribue.

Nous travaillons aussi avec les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et les universités, sur le logement et sur la restauration pour toutes et tous.

Mon second axe est de repositionner le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) comme le lieu d’élaboration de la politique de la recherche et du pilotage de ses acteurs. À ces fins, il faut renforcer l’autonomie de nos établissements, concept à définir, mais qui comprend la responsabilisation et la confiance envers les équipes de terrain. Pour cela, nous mettrons en place des contrats d’objectifs et de moyens (COM) avec l’ensemble des établissements, avec une visibilité pluriannuelle, une évaluation a posteriori et un accompagnement annuel au niveau du dialogue stratégique de gestion.

La simplification de la mise en œuvre de la LPR au sein des établissements est aussi un enjeu. Je vous remercie, Laure Darcos et Stéphane Piednoir, d’en avoir dressé un premier bilan, dont je partage globalement les conclusions.

Il faut aussi renforcer la position des opérateurs de recherche, organismes nationaux et établissements, et les articuler. Je veux mettre en place les conditions durables d’une recherche guidée par la curiosité et par le front des sciences, mais aussi centrée sur les grands enjeux de société et respectueuse de la diversité des champs de recherche. Il faut, pour cela, un équilibre entre les financements pluriannuels directs et les financements sur appels à projets, pour respecter le temps long nécessaire, mais aussi favoriser une recherche qui n’a pas peur des risques et à même d’aboutir à des innovations de rupture. Cela doit aller de pair avec la simplification des financements, de l’orientation et de l’évaluation.

La LPR doit aussi contribuer à renforcer le rôle d’acteur du monde socio-économique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Enfin, il est crucial que le triptyque formation-recherche-innovation existe à tous les niveaux de formation et à l’échelle européenne. Je veux accompagner les universités dans leurs politiques d’alliances européennes et dans ces trois dimensions. Nous avons plus que jamais la responsabilité de diffuser nos valeurs communes ; le conflit aux portes de l’Union européenne nous le rappelle tous les jours.

Ces deux axes sont complétés par des axes transversaux, dont le premier est le développement soutenable, tout d’abord dans le domaine de la formation : nous formulerons des propositions concrètes à l’autonome dans la ligne du rapport de Jean Jouzel. Ce sera aussi le cas dans le domaine de la recherche, dont la nécessité est mise en évidence, par exemple, dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et du Consortium pour la biodiversité. J’ai présenté lundi les lauréats de la deuxième vague des programmes exploratoires de recherche : beaucoup d’entre eux travaillaient sur des sujets liés au climat, à l’écologie et à la biodiversité.

Le second axe transversal est le lien entre les sciences et la société, crucial au regard des fausses informations et de l’impact de la science et des scientifiques sur les politiques publiques.

Ma réflexion s’alimentera des vôtres : je suis en train de prendre connaissance de vos nombreux rapports et de ceux de l’Assemblée nationale. Ma porte est grande ouverte et je veux prendre le temps d’évaluer l’impact des décisions que nous prendrons ensemble et de leur mise en œuvre, sans faire l’économie d’une réflexion préalable.

Mme Laure Darcos. – Je vous souhaite à mon tour la bienvenue. Issue du département de l’Essonne, je suis ravie de vous avoir face à nous et j’espère que nos collègues apprécieront votre franc-parler.

Notre rapport de contrôle sur la première année et demie de mise en œuvre de la LPR se veut un état des lieux le plus exhaustif et objectif possible, qui puisse servir de base de travail en vue de la clause de revoyure en 2023.

Je voudrais revenir plus précisément sur le financement : l’actualisation de la trajectoire à mi-parcours doit, selon nous, être l’occasion d’aborder enfin le dossier du glissement vieillesse technicité (GVT), qui a été mis sous le tapis, pour ainsi dire, sous le précédent quinquennat. C’est un sujet de préoccupation majeur pour les responsables d’organismes de recherche. Serait-il envisageable de le traiter dans le cadre d’une généralisation des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) conclus entre l’État et ses opérateurs de recherche ? Par ailleurs, à combien chiffrez-vous l’impact du dégel du point d’indice des fonctionnaires sur le GVT des établissements de recherche ?

Ensuite, sur le volet ressources humaines, des voix s’élèvent pour dénoncer des lourdeurs dans la mise en œuvre de certains dispositifs, à l’encontre de l’objectif de simplification que vous avez souligné. Partagez-vous ce constat ? Comment comptez-vous y répondre ?

Concernant la trajectoire d’emplois de la LPR, nous constatons une réalisation pour 2021 inférieure aux prévisions et l’absence de mise en œuvre formelle des plans pluriannuels de recrutement pourtant prévus par la loi : comment l’expliquez-vous ?

S’agissant des chaires de professeur junior (CPJ), certains représentants d’établissements plaident pour une notification pluriannuelle et un assouplissement du calendrier de procédure : y êtes-vous favorable ? Pouvez-vous nous donner la garantie que toute création de CPJ s’accompagnera d’au moins une promotion de maître de conférences ou de chargé de recherches, comme cela était prévu ?

Enfin, au cours de nos travaux, tous nos interlocuteurs ont soulevé le sujet de l’organisation du secteur de la recherche, que la LPR n’a, à tort, pas traité. Quelles clarifications nécessiteraient, selon vous, d’être apportées ? Comment envisagez-vous, à l’avenir, la place et la gestion des unités mixtes de recherche (UMR) ?

J’ai une question subsidiaire en lien avec le rapport que j’ai rédigé avec Pierre Ouzoulias, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), sur saisine de notre commission : il y a une tendance à appliquer le modèle « diamant » pour l’éditorialisation de tous les travaux de recherche, ce qui nous inquiète. Nous défendons tous les éditeurs privés. Or deux mastodontes cachent une forêt de petits éditeurs : nous souhaiterions, peut-être à une autre occasion, parler de ce sujet avec vous.

M. Stéphane Piednoir. – Je vous souhaite à mon tour la bienvenue.

Lors de son discours de politique générale, la Première ministre a indiqué que l’université était « au cœur de l’action gouvernementale » : qu’y a-t-il concrètement derrière cette déclaration d’intention ? Est-ce la voie vers une loi de programmation de l’enseignement supérieur, que vous aviez appelée de vos vœux dans d’anciennes fonctions ?

Vous l’avez dit vous-même, la question des moyens est le nerf de la guerre : de quelle marge de manœuvre budgétaire disposez-vous alors que les efforts sont concentrés sur la mise en œuvre de la LPR ?

Avez-vous mesuré l’impact sur le budget des universités – déjà fortement contraint par la masse salariale, le GVT évoqué par Laure Darcos étant aussi un sujet pour les universités -, d’une part, de l’augmentation de 3,5 % du point d’indice des fonctionnaires, d’autre part, du coût de l’énergie, avec un surcoût de l’ordre de 100 millions d’euros pour nos universités ?

S’agissant de la méthode, vous vous montrez favorable à des COMP entre l’État et ses opérateurs : ce type de contractualisation s’appliquerait-il à toutes les universités ou seulement à celles qui le souhaitent ?

En matière de gouvernance, comment envisagez-vous la conciliation entre le renforcement de l’autonomie des établissements et le nécessaire pilotage national par le MESR ? Nous avons constaté des dysfonctionnements en la matière, je pense évidemment à la réforme des études de santé.

Comme notre président l’a mentionné, une réforme structurelle des bourses sur critères sociaux est impérative. La revalorisation de 4 % de leurs montants, prévue par le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022, ne réglera pas les problèmes de fond. Quand et comment comptez-vous ouvrir ce chantier ?

Concernant la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), qui a fait l’objet d’une utilisation exceptionnelle pendant la crise, quelles sont vos intentions ? Êtes-vous favorable à son fléchage plus marqué vers le sanitaire et le social ? Comment garantir, pour les étudiants qui s’en acquittent, un réel retour sur investissement, près de 100 euros désormais ?

Sur Parcoursup, vous avez rétabli, par décret une hiérarchisation des vœux à la fin de la phase d’admission principale, dans le but de « réduire le délai d’attente des candidats », mesure qui s’applique dès cette année. Est-ce un premier pas vers le retour à une hiérarchisation globale dans le système, que certains d’entre nous appellent de leurs vœux ?

Quel regard portez-vous sur la dévolution en matière d’immobilier universitaire et sur les demandes qui se font jour sur l’entretien de l’immobilier ?

Structurellement, la complémentarité entre les classes préparatoires et les universités est régulièrement interrogée. Quelle est votre position ?

Enfin, quel message adressez-vous aux universités n’appliquant pas les droits différenciés dans le cadre du plan « Bienvenue en France » ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. – Sur la LPR, vous recevrez un premier bilan à l’été et un autre plus complet avant la fin de l’année, même si un retard dans la publication des textes réglementaires par rapport au calendrier initial fait que le recul est moins grand que ce qu’on aurait pu espérer. À partir de là, nous pourrons discuter de la clause de revoyure et de l’accélération de la LPR, en particulier des mesures liées au pouvoir d’achat et à la reconnaissance des chercheurs, compte tenu des contraintes actuelles que nous connaissons tous.

Le GVT ne relève pas, selon moi, de la LPR : celle-ci est une ligne rouge à préserver à tout prix. Le coût du GVT est compris entre 80 et 90 millions d’euros pour le secteur dans son ensemble, dont 60 millions d’euros pour les universités. Il faut analyser son impact année par année : parle-t-on d’un montant fixe de 80 millions d’euros par an à débloquer, ou d’augmenter chaque année le financement de 80 millions d’euros par rapport à l’exercice précédent ? Nous vous proposerons une analyse.

Sur les ressources humaines, j’ai quitté une certaine casquette au moment de l’instauration de la prime individuelle (C3) du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (Ripec) et du repyramidage. Je partage avec vous le constat d’une certaine lourdeur. Pierre Mutzenhardt a été nommé dans mon cabinet avec pour mission la simplification de la mise en œuvre de la LPR et le suivi des réformes, notamment les questions de la C3 et du repyramidage. Hier, j’ai rencontré sur le sujet de la simplification la commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU). Nous vous soumettrons des propositions concrètes, même non-législatives, dès l’automne, avec en vue une entrée en vigueur au printemps 2023. Le retour d’expérience est utile : nous n’aurions pas eu le même recul il y a un an.

Aujourd’hui, pour 300 chaires de professeur junior créées, 400 repyramidages ont lieu. Nous veillerons à maintenir ce flux et cet équilibre.

Sur le plan pluriannuel d’emplois, certaines choses ne sont pas dans la LPR et je ne peux pas m’engager, car je n’ai pas encore assez d’informations sur le sujet. Je reviendrai vers vous prochainement ; des éléments seront présents dans le rapport qui vous sera remis la semaine prochaine. Ce rapport sera complété par d’autres éléments à l’automne, je m’y engage.

Sur l’organisation du secteur de la recherche, il s’agit de donner un rôle clair et articulé à chacun, avec des politiques fortes d’université. J’ai rencontré tous les présidents d’organisme, France Universités ainsi que Udice à ce sujet. Nous voulons franchir le Rubicon : un rôle clair des organismes nationaux comme porteurs de programmes nationaux, et des universités fortes et implantées au niveau local, le tout en articulation au sein des UMR, souvent présentes sur le site des établissements.

En revanche, nous travaillerons sur la gestion financière des UMR en simplifiant les procédures pour les chercheurs, en regardant les règles de marchés publics, en ayant une vision consolidée des emplois et des financements – qu’il s’agisse des ressources propres ou des subventions -,vision que personne n’a aujourd’hui.

Je conçois l’autonomie des universités comme leur responsabilisation sur la stratégie qu’elles adoptent et qu’elles mettent en œuvre. Quant au ministère, il doit conserver une vision et un pilotage global du maillage des universités, qui ont un rôle de proximité sur les territoires et représentent des « niches »fortes en matière de recherche. Le ministère a aussi une mission d’articulation avec l’Europe.

La réforme des bourses est au cœur d’une prochaine étude. Cette réforme comprend un volet conjoncturel pour répondre à l’urgence, dès la prochaine rentrée universitaire ; nous commencerons les concertations dès la mi-septembre sur toutes les problématiques qui y sont liées : effets de seuils, impact de la linéarisation, révision des montants et assiettes de référence, etc. Nous ferons cela en concertation, notamment avec les représentants des étudiants.

Sa mise en œuvre ne sera pas simple, mais nous voulons que ses premiers effets soient ressentis dès la rentrée 2023, avec une finalisation ultérieure. Nous reviendrons vers vous avec un calendrier de la réforme. De même, nous agirons avec une méthode similaire sur le sujet de la santé étudiante.

Concernant la CVEC, nous avons en effet passé un certain temps avec un niveau exceptionnel d’utilisation, crise sanitaire oblige. Elle est assez encadrée aujourd’hui par rapport à son fléchage. Chaque étudiant a des besoins différents, et tout un panel d’actions peut être financé. Il y a une commission interne à chaque établissement : faisons-lui confiance. Nous devrons toutefois faire un vrai bilan de l’utilisation de cette CVEC, exception faite des deux années écoulées.

Sur Parcoursup, la hiérarchisation a pour seul but de fluidifier, pour une réponse aux étudiants dès la fin juillet plutôt qu’à la fin août. Nous n’allons pas vers une hiérarchisation dès le début, pour garder le principe de choix laissé à l’étudiant jusqu’au bout, contrairement à ce qui était le cas à l’époque du système admission post-bac (APB), où l’on décidait de tous les vœux dès février, avec les frustrations que cela entraînait. Ces quelques mois de plus avant la hiérarchisation, avec un meilleur accompagnement, sont une bonne chose.

Une troisième vague de dévolution immobilière est en cours : les établissements volontaires sont déjà connus. Notre patrimoine est le deuxième ou le troisième de l’État, avec 18 millions de mètres carrés bâtis. C’est considérable, à la fois pour l’autonomie des universités et pour la transition écologique. Nous travaillerons à cette dernière avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et celui de la transition énergétique, avec pour objectif une augmentation de la rénovation, notamment par le biais de contrat de plan État-région (CPER). Dans les COM, je souhaite encourager les plans d’investissements sur les bâtiments à partir des fonds de roulement.

S’agissant de la complémentarité entre les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et les universités, avec Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, nous voulons travailler sur la formation post-bac. Cette articulation globale concerne aussi, au-delà des CPGE, les BTS. Énormément d’étudiants partent après le bac dans des établissements comme l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), celle de Zurich (ETHZ), ou encore à Londres, alors que les étudiants étrangers ne font pas forcément le chemin inverse… Quand ces échanges vont dans les deux sens, c’est une richesse ; quand ils sont à sens unique, cela devient un problème. Il faut regarder l’articulation de l’ensemble des formations post-bac dans cette optique, que ce soit dans le cadre de la poursuite d’études, de formations professionnalisantes ou du droit à la reprise d’études avec la formation tout au long de la vie.

Je ne passerai pas de message sur les droits différenciés, mais nous travaillons à un bilan. Je rappelle que le plan « Bienvenue en France » a d’abord pour objectif de réserver un meilleur accueil aux étudiants étrangers qui ne viennent pas d’Europe : nous avons des progrès à faire et les établissements doivent être accompagnés pour cela. Un bilan est là encore nécessaire, alors qu’une centaine d’établissements les ont exonérés des droits d’inscription. Vous savez que trois solutions existent : exonération par l’établissement des droits d’inscription à hauteur de 10 % du nombre d’étudiants, convention avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) ou convention bilatérale avec des établissements étrangers.

Ensuite, sur les COM, nous visons à terme tous les établissements, mais la mise en œuvre sera progressive en partant bien sûr du volontariat. L’idée est celle d’une visibilité pluriannuelle sur les moyens. Nous sommes en phase de concertation et de définition de ce qu’est un COM, ce qui sera fait à l’automne. Sur les moyens, nous nous battrons pour en trouver et nous fixerons nos priorités, notamment la vie étudiante, les bourses, les COM et l’équilibre entre les financements pluriannuels et les appels à projets.

L’impact des 3,5 % de hausse du point d’indice est estimé à 530 millions d’euros, dont 370 millions pour les universités et 160 millions pour les autres organismes, parmi lesquels les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) à hauteur de 40 millions d’euros. Je parle d’un coût annuel, auquel il faut ajouter 80 millions d’euros pour le GVT : c’est loin d’être négligeable.

Sur l’énergie et son coût, la problématique est différente dans la mesure où ce pic ne sera pas éternel. Nous allons accompagner les établissements. Nous évaluons son coût entre 60 et 80 millions d’euros pour les universités et 40 millions d’euros pour les organismes nationaux de recherche, soit quelque 120 millions d’euros en tout. Ce n’est qu’une approximation, faute d’un recul suffisant pour quantifier ces montants.

Je distingue le coût ordinaire subi par les établissements, qui bénéficie des boucliers et autres dispositifs, et les coûts spécifiques liés à la forte consommation énergétique de certains équipements de recherche. Les enveloppes de fin de gestion de cette année, une fois que la visibilité sera meilleure sur les coûts réels, permettront de fournir des aides sur ces surcoûts. Les établissements pourront aussi en assumer une partie en puisant par exemple dans leurs fonds de roulement.

Enfin, que met-on vraiment dans une loi de programmation sur l’enseignement supérieur ? Du législatif, une programmation, une fixation de priorités ? Outre la vie étudiante, le premier cycle et le développement durable, dont je vous ai parlé, il y a aussi des formations nouvelles, sur l’écologie et d’autres thématiques. Nous allons voir comment les financer. Faut-il une loi ? Ce n’est pas certain, même si une programmation pluriannuelle sera certainement nécessaire. Celle-ci entrera-t-elle dans les COM ou l’élargira-t-on avec la LPR ? Nous allons l’étudier. Dans tous les cas, nous aurons bien une vision pluriannuelle sur ces sujets.

Mme Sylvie Robert. – Je vous remercie pour vos premières réponses.

Je souhaite vous interroger sur Parcoursup, après la question d’actualité au Gouvernement posée tout à l’heure par Nicole Duranton, à laquelle vous avez répondu. Dans cette commission, nous avons beaucoup parlé des algorithmes locaux et de leur transparence. Votre prédécesseuse nous accusait à tort de vouloir lever le secret des délibérations. Il faut faire évoluer Parcoursup, qui est certes un outil, mais aussi un révélateur des choix des humains qui le conçoivent. En effet, les filières en tension sont les premières concernées par la pénurie de places et de budgets. Or, quand on organise la pénurie, cela entraîne nécessairement des conséquences difficiles.

Cette situation génère anxiété et inquiétude, même chez les enseignants, que vous avez salués à juste titre tout à l’heure dans l’hémicycle. Il manque quelque chose depuis la réforme du lycée en matière d’adéquation des options. Deux jeunes avec le même dossier mais des options différentes n’obtiennent pas les mêmes formations ; on ne sait cependant pas clairement pourquoi. Certaines formations demandent des matières particulières, sans qu’on le sache. Ouvrirez-vous donc, même partiellement, la boîte noire que sont ces algorithmes locaux ?

Ensuite, sur la temporalité, vous avez dit à Stéphane Piednoir que la hiérarchisation des vœux avait pour seul objet d’accélérer les réponses. Vous avez raison : à 17 ans, on ne sait pas vraiment ce que l’on veut. Toutefois, ne pourrait-on pas améliorer l’accompagnement et séquencer la temporalité, avec une orientation du jeune en amont pour qu’il fixe certains de ses choix ? Ce n’est pas avec les 54 heures mises à disposition des enseignants, citées par Jean-Michel Blanquer, que nous y sommes arrivés !

Enfin, pour rendre ces algorithmes locaux plus transparents, il faut en étudier les impacts. Avez-vous l’intention de mener une évaluation objectivée ?

Je termine sur deux questions : votre prédécesseuse avait évoqué 3 000 à 4 000 places supplémentaires de master créées dans les filières en tension. Alors que le droit à la poursuite d’études n’est pas toujours effectif, que ferez-vous ?

Enfin, aurez-vous un plan stratégique interministériel pour la rénovation énergétique et écologique des bâtiments universitaires ?

M. Pierre Ouzoulias. – C’est avec grand plaisir que je vous ai entendu employer certaines formules, notamment celles de « nation apprenante » et d’« université au cœur de la formation de l’esprit critique ». C’est bien le cœur de notre modèle républicain, et c’est pourquoi nos universités auront toujours du mal à remplir les critères du classement de Shanghai, définis par le parti communiste chinois…

Vous connaissez comme nous l’état des universités. Les conseils d’administration de plusieurs d’entre elles ont adopté des budgets rectificatifs en déficit. Ce milieu est très légaliste et tient à l’autonomie des universités ; un budget déficitaire, qui peut conduire à la mise sous tutelle de l’établissement, est un cri d’alarme qu’il faut entendre. Le dégel du point d’indice va peser très lourd sur ces budgets. L’université Paris-Nanterre, par exemple, sort très affaiblie par une occupation qui a trop duré et qui a mis à très rude épreuve les enseignants et le personnel administratif. Ils ont défendu notre modèle de service public et ne pourront plus autant donner de leur personne sans jamais recevoir.

La précarité étudiante n’a pas disparu avec l’atténuation de la pandémie, car la crise est structurelle. Laurent Lafon, dans son rapport sur les conditions de la vie étudiante, a mis en évidence la nécessité d’une approche pluriministérielle ; en matière de logement étudiant, il faut une politique de la ville et un accompagnement par les collectivités. La métropolisation a eu du bon, mais elle a aussi eu des conséquences très négatives pour l’enseignement supérieur. J’ai été heureux de vous entendre parler de maillage territorial ; notre mission d’information a bien montré l’importance de l’université comme outil d’aménagement du territoire.

Sur Parcoursup, on pourrait permettre une hiérarchisation des vœux tout en maintenant le choix du lycéen au terme où il est fixé maintenant. Ce n’est pas antinomique. L’intérêt de la hiérarchisation, pour l’administration, est d’avoir une appréciation qualitative du choix validé in fine par le lycéen. Aujourd’hui, on ne sait pas s’il aurait mis ce choix en haut ou en bas de son classement, s’il fait un choix par défaut ou un choix raisonné. J’ai demandé cinq ans durant les données de l’algorithme de Parcoursup au ministère : si je peux aujourd’hui les obtenir, mon bonheur sera absolu !

Mme Alexandra Borchio Fontimp. – J’ai interrogé M. le ministre de l’éducation nationale la semaine dernière sur le sort des lycéens en attente de proposition sur Parcoursup ; merci de nous avoir apporté quelques éléments de réponse. Je veux aborder avec vous la situation similaire des étudiants sans master : désespoir, frustration, déception et lassitude, voilà les émotions de centaines d’étudiants qui ont obtenu leur licence, mais ne savent toujours pas si leur vœu de master sera exaucé. Selon la plateforme étudiante « Vite mon master », plus de 1 000 places seront supprimées dans les 1 500 masters offerts. Votre prédécesseur m’avait pourtant affirmé l’année dernière que 4 000 places supplémentaires seraient créées dans les filières en tension que sont le droit, l’économie-gestion, ou encore la psychologie. Nos étudiants ont besoin d’être rassurés et soutenus. Parviendrez-vous à sortir de cette situation vraiment critique ?

M. Thomas Dossus. – Merci pour ce panorama assez exhaustif des chantiers qui vous attendent, mais je reste un peu sur ma faim en matière de transition écologique et de rénovation du patrimoine universitaire. Un très bon rapport de notre collègue Vanina Paoli-Gagin sur la gestion de l’immobilier universitaire nous appelait l’an dernier à un « sursaut indispensable pour un avenir soutenable ». Les besoins en financement sont évalués autour de 9 milliards d’euros au minimum : la moitié des 18 millions de mètres carrés du patrimoine universitaire est classée C ou pire en matière de performance énergétique. Un plan de rénovation est donc urgent au vu de l’augmentation des prix de l’énergie. Qu’en est-il ?

Je m’interroge aussi sur les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur. Des enquêtes ont mis en lumière de nombreux cas de telles violences dans plusieurs établissements, mais ils ne sont sûrement pas les seuls concernés. Une feuille de route est-elle prévue sur ces questions ?

M. Pierre-Antoine Levi. – J’ose espérer, à vous entendre, que votre attention pour le Sénat sera meilleure que ce que nous avons connu pendant la précédente mandature. Nous avons voulu être une force de propositions, mais n’avons pas été assez écoutés.

Ainsi, en matière de restauration universitaire, avec ma collègue députée Anne-Laure Blin, j’ai été à l’initiative d’une proposition de loi visant à créer un ticket-restaurant étudiant, adoptée par le Sénat en première lecture le 10 juin 2021. Plus de 500 000 étudiants n’ont pas accès à un restaurant universitaire, qu’ils soient dans des classes préparatoires, des BTS, ou de petits sites délocalisés. En outre, même les non-boursiers peuvent connaître des fins de mois difficiles. Après la pandémie, l’inflation crée aujourd’hui des situations catastrophiques. Ce ticket-restaurant viendrait pallier les zones blanches de la restauration étudiante. Apporter une solution pour tous prendra du temps. Allez-vous reprendre cette proposition de loi telle qu’elle a été adoptée par le Sénat, avant d’être dénaturée par l’Assemblée nationale ? Par ailleurs, allez-vous remettre en place le repas à 1 euro ? Ces deux mesures sont complémentaires. Il y a urgence pour notre jeunesse ; je ne doute pas de votre pleine mobilisation pour le pouvoir d’achat des étudiants.

M. Bernard Fialaire. – Je suis particulièrement heureux de vous entendre ici, en tant qu’élu du Rhône, après votre annonce, le 12 juillet, de l’attribution de 28,1 millions d’euros au projet SHAPE-Med@Lyon. Comme Pierre Ouzoulias, je suis également très satisfait des orientations que vous venez de nous présenter ; je pense notamment à la formation de citoyens éclairés et à l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur.

En matière de vie étudiante, la CVEC était à l’origine plafonnée à 95 millions d’euros, puis a été réévaluée à 165 millions. Pouvez-vous nous assurer que les recettes de CVEC ne seront pas écrêtées ? Notre rapport d’information consacré à cette contribution avait mis en évidence le fait que les sommes en question étaient attribuées assez tardivement dans l’année. Les premiers acomptes seront-ils désormais suffisants pour engager des opérations ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. – Monsieur Fialaire, il n’est pas question de retenir quelque portion de la CVEC que ce soit. Une partie va aux Crous, une autre aux établissements, de manière définie a priori. Quant aux sommes qui auraient été attribuées tardivement, le problème est que seul un ordre de grandeur du nombre d’étudiants est connu en début d’année, qu’il faut ajuster en cours d’année. La CVEC est estimée dans le budget primitif des établissements, puis corrigée au vu des sommes réellement perçues.

Je profite de cette occasion pour réaffirmer l’importance du travail que je mène avec le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; nous travaillons main dans la main, nos discussions sur Parcoursup ont commencé. Une réflexion commune s’impose à la suite de la réforme du lycée.

Monsieur Levi, j’ai bien lu vos propositions et j’en discuterai avec vous volontiers. Le problème est que le coût du ticket-restaurant étudiant que vous proposez a été évalué entre 2 et 3 milliards d’euros, soit un budget similaire à celui qui est consacré aujourd’hui à l’ensemble de la vie universitaire dans le programme 231, ou encore à celui des bourses étudiantes. Pour autant, les zones blanches de la restauration universitaire sont un vrai problème qu’il nous faut affronter. Nous étudions la possibilité pour les Crous de conclure des conventions avec des cantines de lycées ou de la restauration privée, ce qui aurait un coût bien moindre qu’un ticket-restaurant.

Quant au ticket-repas à 1 euro, il est reconduit pour l’année 2022-2023 à destination des boursiers et de tous ceux qui s’adresseront aux Crous : cela fait partie des mesures d’urgence que nous avons annoncées, avec la revalorisation de 4 % des bourses. Tous les étudiants précaires ne sont pas boursiers : c’est pourquoi l’aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros sera également versée à tous les étudiants bénéficiaires d’une aide personnalisée au logement (APL). L’objectif est de couvrir d’autres étudiants que les boursiers, rapidement et efficacement.

Concernant Parcoursup, nous allons travailler avec le ministère de l’éducation nationale à une meilleure transparence des critères et des algorithmes. Dès l’année prochaine, les notes de l’épreuve de spécialité du bac, qui se tient en mars, pourront entrer dans le dossier, ce qui donnera à celui-ci une plus grande objectivité, ainsi qu’une meilleure homogénéité à l’échelle nationale. Nous travaillons également de concert à un meilleur accompagnement du futur étudiant, plus ou moins individualisé, pour l’informer sur les formations, leurs débouchés, ou encore la meilleure façon de parvenir à accomplir son projet, mais sans le surcharger d’informations ! Il n’y a pas de baguette magique, ce sera un travail difficile, il faudra voir ce qui se fait ailleurs.

Quant à la hiérarchisation des vœux, nous ne souhaitons pas revenir à la version antérieure où tout tombait si le premier vœu était octroyé : le choix final restera à l’étudiant. Par ailleurs, il faut déterminer qui connaît cette hiérarchisation : si les établissements y avaient accès, leur décision pourrait s’en trouver biaisée, même involontairement.

Les problèmes sont similaires pour les masters. Nous menons une concertation visant à aboutir à la rentrée à une plateforme intitulée « Mon master » présentant les offres de formation. Aujourd’hui, jusqu’à la rentrée, on ignore le nombre de places réellement libres, ce qui cause beaucoup de désorganisation et de stress pour les étudiants. On évalue aujourd’hui le nombre de places en master à 190 000  pour 145 000 demandes, mais ce chiffre n’est peut-être pas correct : on manque d’outils pour une mesure fiable. La plateforme à laquelle nous travaillons pourrait permettre de mieux évaluer les manques et d’identifier les filières en tension, à l’échelle nationale : la proximité géographique en master est moins importante qu’en premier cycle, quitte à mieux accompagner l’étudiant qui devra déménager. Les masters de droit sont en tension, mais certaines universités, comme Brest, loin d’être saturées, ne remplissent pas toutes les places offertes. Ouvrir des places ailleurs serait gaspiller l’argent public !

M. Laurent Lafon, président. – Qu’en est-il des places supplémentaires qui avaient été annoncées ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. – Ces places ont été offertes pour l’année 2021-2022. On est en train d’en faire le bilan. Cette année, il y a des places en moins dans certaines filières, mais des places supplémentaires ont été rajoutées ailleurs. Globalement, le nombre de places évolue peu cette année par rapport à l’année dernière.

Quant à l’évaluation et aux algorithmes, il y a dans Parcoursup des tableaux remis à jour quotidiennement. La transparence ne me pose aucun problème, simplement, comment la fournir ? On donne des consignes et des critères pour l’examen des dossiers. Il faut que les étudiants sachent ce qui est requis d’eux, en mathématiques par exemple, pour tel ou tel cursus. Si les responsables d’une formation jugent nécessaire un bon niveau en mathématiques, il faut leur faire confiance, quitte à offrir à l’étudiant une remise à niveau en amont ; supprimer de tels critères par démagogie ne le mènerait pas à la réussite… Il ne faut pas raisonner à l’instant t, mais envisager une année supplémentaire et casser les cursus en ligne droite. S’il l’étude des mathématiques est indispensable, disons-le clairement et faisons le nécessaire !

Mme Sylvie Robert. – Il faut que les étudiants comprennent !

Mme Sylvie Retailleau, ministre. – Il faut que tout le monde comprenne, accepte que tout ne peut être obtenu instantanément. Il y a un travail de transparence et d’explication à mener, sur la manière d’accéder à son projet professionnel.

Monsieur Dossus, concernant la transition écologique et les plans de rénovation, le coût de 9 milliards d’euros que vous avez cité pour les travaux requis est juste, voire sous-évalué. Alors, que faire dans le contexte financier actuel ? Je ne le sais pas encore précisément, mais on ne peut pas rester sans rien faire. Il faut mobiliser les contrats d’objectifs et de moyens, les contrats de plan État-régions, les plans de relance, mais aussi inciter les établissements à puiser dans leur fonds de roulement pendant quelques années et à l’utiliser pour la rénovation, en particulier thermique, de leurs bâtiments. On pourrait aussi les accompagner par des prêts qui ne les mettraient pas en difficulté. Dans tous les cas, il faut les aider à mener des plans d’envergure en la matière, par un Descartes, plutôt qu’un Grenelle, du bâtiment universitaire.

Quant aux violences sexistes et sexuelles, depuis la loi du 8 août 2016, les établissements ont l’obligation de mettre en place des dispositifs facilitant leur déclaration. Ils se sont emparés de ces outils. Je voudrais rendre hommage à cette libération de la parole dans les établissements et à la réponse positive de ces derniers. Un investissement de 7 millions d’euros du ministère est en cours pour les accompagner, des appels à projets très simples sont aussi lancés pour créer des cellules d’accompagnement des victimes. Les réactions des directeurs des établissements ayant fait l’objet d’enquête ont été très saines, ils ont tout de suite saisi le procureur de la République et encouragé la parole. Trois inspecteurs généraux accompagnent les établissements dans la formation de leur personnel au traitement de ces violences.

Mme Sonia de La Provôté. – Je veux vous interroger sur la réforme de l’accès aux études de santé. J’ai produit deux rapports sur ce sujet, en mai 2021, puis en mars 2022 pour suivre la mise en œuvre. J’ai pu constater des améliorations, mais des difficultés demeurent ; la transparence et l’accompagnement restent insatisfaisants dans certaines universités. Ne pas connaître les règles du jeu, notamment le nombre de places offertes, est une difficulté importante pour le futur étudiant. Les différences de niveau restent importantes suivant la formation choisie en première année, le parcours d’accès spécifique santé (PASS) ou la licence option accès santé (LAS). On observe aussi des disparités entre établissements en matière de contenus pédagogiques : une maquette nationale paraît indispensable afin de sélectionner les futurs professionnels de santé suivant les bons critères. Le poids des oraux pour l’accès en médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP) demeure trop élevé, jusqu’à 70 % de la note dans certaines universités. Par ailleurs, l’affluence des candidats sur Parcoursup ne diminue pas et dépasse les capacités d’accueil des universités. Les besoins médicaux sont nombreux dans toutes les professions ; le numerus apertus en médecine est le fruit d’une concertation entre agences régionales de santé (ARS) et universités. La priorité devrait être les besoins déterminés par les ARS ; les moyens alloués aux universités devraient leur être proportionnés. Les inégalités entre universités confinent à une cacophonie injuste ; leur autonomie n’exclut pas un pilotage. Je souhaiterais donc connaître les mesures que vous entendez mettre en œuvre en la matière pour régler ces problèmes.

M. Yan Chantrel. – La LPR court jusqu’en 2030, mais la présente mandature s’achèvera en 2027, sans que le Président de la République puisse se représenter. Tous les investissements prévus entre 2027 et 2030 pourraient être garantis en les avançant…

Nous sommes dans une période d’urgence sociale le pouvoir d’achat se rétrécit, notamment pour les personnes les plus précarisées. C’est le cas des doctorants, dont le bien-être matériel et la santé mentale sont pourtant cruciaux pour la réussite de leurs travaux. Nous saluons la revalorisation des nouveaux contrats doctoraux, quoiqu’elle soit tardive et trop étalée dans le temps, mais que comptez-vous faire pour ceux dont le contrat a débuté antérieurement à cette revalorisation ?

Mme Céline Brulin. – Vous vous dites attachée à un travail interministériel ; je m’en réjouis. Un énorme effort de formation de médecins est nécessaire pour résorber les déserts médicaux et soulager les services hospitaliers. Le numerus clausus a été supprimé, mais on ne voit pas se développer les capacités de formation. Un tel développement doit se faire à partir des besoins des régions et non de manière centralisée, ce qui accroît les inégalités. Or aujourd’hui, les nouvelles ouvertures de places sont surtout à Paris… Je ne vois pas comment on pourra répondre aux objectifs de la stratégie « Ma santé 2022 ». Pour former plus de professionnels de santé, il faut aussi davantage de chefs de clinique. De plus en plus de collectivités financent ces postes : cela répond à un besoin, mais c’est aussi source d’inégalités car certaines collectivités ne sont pas en mesure de le faire. Si vous vous engagez dans cette voie en dépit des contraintes budgétaires, vous aurez un immense soutien populaire !

Par ailleurs, un chantier d’universitarisation a été lancé pour les études de masso-kinésithérapie, mais il avance trop lentement. La question des droits d’inscription, aujourd’hui très inégalitaires, continue de se poser : certains étudiants paient jusqu’à 6 000 euros ! Cela aussi creuse les déserts que l’on connaît. Comptez-vous accélérer ce chantier ?

M. Jacques Grosperrin. – Au-delà de vos points communs avec votre prédécesseur, vous nous rassurez : on vous sent enthousiaste, prête à assumer cette immense tâche. Toutefois, il vous reste un obstacle à franchir : le mur de Bercy. Au-delà des grandes intentions, de votre volonté de remettre l’étudiant au centre, votre poids politique sera déterminant. Vous saurez nous trouver à vos côtés si nous pouvons vous aider en la matière.

Votre vision pour les étudiants est claire, mais quel projet pour les universités tirez-vous de votre expérience ? On aurait pu mettre en place un grand ministère de l’intelligence, en fusionnant le vôtre avec celui de l’éducation nationale, ce qui pourrait régler bien des problèmes, à commencer par Parcoursup !Lors de son discours du 13 janvier 2022 devant les présidents d’université, le Président de la République disait qu’on ne pourrait pas « rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants ». Faites-vous vôtre cette analyse ? Une hausse des droits, compensée par des bourses plus importantes, pourrait être une source de revenus pour les universités.

Un changement de gouvernance semble nécessaire pour que nos universités retrouvent une place honorable dans les palmarès mondiaux. Par ailleurs, vous faites de la transition écologique une priorité pour la recherche. Des moyens supplémentaires, ou retirés à d’autres secteurs, lui seront-ils alloués ? La dévolution reste étrangère à nombre de présidents d’université ; comment les inciter à aller plus loin ?

J’ai siégé au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), je sais combien cette évaluation est compliquée. Porterez-vous un œil attentif sur cette question ?

Enfin, après le dégel du point d’indice, comptez-vous réaliser une cartographie des finances des universités françaises ?

Mme Annick Billon. – Concernant le logement, les difficultés ne se résument pas aux boursiers. Des zones tendues demeurent et la question des factures énergétiques se pose aussi. Comment imaginez-vous aider les étudiants à faire face à ces charges ?

Vous voulez assurer un accès au sport et à la culture, mais quid des équipements et de l’état de ce patrimoine ? Disposerez-vous des moyens suffisants pour mettre en application cette volonté ?

Max Brisson, Marie-Pierre Monier et moi-même avons produit un rapport d’information dressant le bilan des mesures éducatives du précédent quinquennat. Nous avons relevé un déficit de connaissance des attendus pour les études supérieures, conduisant à une mauvaise orientation de nombreux lycéens. Quels outils favoriseraient une meilleure orientation ?

Enfin, la délégation aux droits des femmes du Sénat a rendu un rapport sur les femmes et la ruralité ; il préconise, afin de faciliter l’accès de tous aux études supérieures, de décentraliser les deux premières années universitaires dans chaque département. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel Savin. – La pratique sportive a de nombreux bénéfices, mais beaucoup d’étudiants ne pratiquent aucune activité physique. Depuis la pandémie, on observe une explosion du nombre de jeunes souffrant de graves troubles psychologiques. Comment entendez-vous répondre à cette situation ? Seriez-vous favorable à une pratique obligatoire du sport par les étudiants ? Le parc des infrastructures sportives universitaires est très vieillissant : comment aider les universités à les entretenir ?

Nous honorions ce matin au Sénat nos athlètes olympiques et paralympiques. De nombreux sportifs de haut niveau connaissent des difficultés à suivre un parcours scolaire et universitaire. Des programmes spécifiques existent dans certains établissements, mais restent suspendus aux ambitions de leurs dirigeants. Comment généraliser l’accompagnement de ces sportifs soucieux d’accomplir leur rêve tout en préparant leur avenir professionnel ?

Mme Monique de Marco. – Notre mission d’information sur les conditions de la vie étudiante a souligné le manque d’offre de logement pour les étudiants et la faible capacité d’accueil des résidences étudiantes. Mme Vidal avait annoncé un plan de construction de 60 000 logements, mais il est loin d’être rempli. Il est impératif de relancer cette dynamique. Par ailleurs, certaines résidences ne peuvent être comptabilisées comme logement social aux termes de la loi SRU, dissuadant certaines communes d’octroyer des permis de construire pour leur construction ou leur rénovation, notamment dans l’agglomération bordelaise. Comment résoudre ce problème urgent ?

M. Laurent Lafon, président. – On connaît depuis plusieurs années une poussée démographique du nombre d’étudiants. Comment se présente la rentrée 2022 ? Combien y aura-t-il d’étudiants supplémentaires à accueillir et quelles filières pourront en prendre davantage ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. – Les moyens financiers sont assurément le nerf de la guerre. Tous nos projets – logement, équipements sportifs, bourses, augmentation des capacités d’accueil, recherche… – devront être priorisés. Pour être réaliste, il faudra faire des choix, mais aussi trouver des manières de remplir les objectifs avec des moyens moindres, en jouant sur plusieurs tableaux. Nos ambitions ne pourront être atteintes uniquement avec les moyens que l’on demandera à Bercy, qui a ses propres responsabilités, desquelles nous sommes solidaires au sein du Gouvernement. Nous convenons de l’étendue des besoins, pour notre jeunesse et pour la recherche et l’innovation ; reste à s’accorder sur des solutions. Être responsable ne veut pas forcément dire qu’il faut tirer des traits sur tout ; il faut plutôt essayer d’atteindre certains objectifs de manière interministérielle, ou avec les collectivités. On peut aussi collaborer avec le secteur privé, mais en délimitant bien le cœur de mission de nos universités publiques.

Monsieur Savin, à deux ans des Jeux, le sport est effectivement crucial, mais je doute que le rendre obligatoire soit compatible avec l’autonomie des universités, d’autant que le décideur doit en général être le payeur : je ne suis pas sûre de disposer rapidement des moyens nécessaires. En revanche, il faut inciter fortement à la pratique du sport ; la CVEC représente de ce point de vue une importante source de financement. J’y travaille avec Mme Oudéa-Castéra, ainsi qu’à l’accompagnement des sportifs de haut niveau et des athlètes olympiques : nous travaillons notamment au développement des campus connectés, très utiles pour des athlètes amenés à beaucoup se déplacer ; grâce à l’enseignement à distance, ils gardent un lien avec l’établissement, quitte à mettre un ou deux ans de plus à acquérir leur diplôme.

Quant aux équipements sportifs universitaires, comme pour la restauration, on ne pourra pas garantir un accès à tous les étudiants de tous les campus à équipements spécifiques. Il faut aider les établissements à nouer des liens avec les collectivités pour l’utilisation de leurs équipements sportifs ; j’entends me déplacer dans les régions pour contribuer à de tels rapprochements, dans des territoires très divers.

Concernant la hausse de la facture énergétique, l’aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros qui sera versée à la rentrée aux boursiers et aux bénéficiaires de l’APL ne porte pas que sur les dépenses alimentaires, pour lesquelles ils auront toujours accès au ticket-repas à 1 euro, qui peut leur faire économiser encore jusqu’à 100 euros par mois ; ils pourront donc utiliser ce chèque pour faire face aux surcoûts de logement.

Les attendus pour la réussite des étudiants sont une vaste question : il faut mener un travail approfondi autour du premier cycle et du lien avec les lycées. Pour les formations professionnalisantes de trois ans, il faut aussi accompagner la sortie et maintenir un lien avec la formation professionnelle, tout au long de la vie. Ne pas avoir de master en cinq ans, ce ne doit pas être grave ! L’important est de permettre l’évolution des compétences et la validation des acquis professionnels. Le parcours vers un projet professionnel ne doit pas forcément être linéaire.

Environ la moitié des 60 000 logements étudiants lancés a été réalisée ; ce plan doit continuer. Quant à la problématique de la qualification du logement étudiant en logement social, nous devons y travailler globalement, afin d’obtenir les permis de construire. Les Crous ont pour politique de finir les rénovations de logement, on doit les y aider.

Madame de La Provôté, vous avez bien résumé l’état de la réforme des études de santé. Concernant le poids excessif des oraux, des consignes très fortes ont été données pour l’année qui vient : nous incitons les établissements à donner aux oraux un poids de 30 % dans la note finale. La conférence des doyens de médecine soutient fortement cette cible, il y a eu une prise de conscience des problèmes que vous avez relevés. Un autre travail est mené sur la bascule des places non pourvues entre PASS et LAS ; nous attendons un avis du Conseil d’État sur ce point. Nous allons aussi travailler sur le problème des mineures et des majeures homogènes. Même avant la réforme, il n’y avait pas de programme homogène entre universités, même si le concours était le même. Cette année, on devrait avoir des retours sur la deuxième année de LAS et l’intégration des étudiants concernés. Des progrès sont indispensables, il faudra dresser un bilan exhaustif de la réforme pour l’appréhender de façon systémique et non thématique.

J’en profite pour répondre sur le nombre de places et sur les problématiques liées aux médecins et aux chefs de clinique. Je vois prochainement le ministre de la santé, davantage concerné par certains de ces enjeux.

Les places supplémentaires ne peuvent pas être créées qu’en première année, mais doivent aussi l’être en deuxième année. D’ailleurs, il n’y a pas que la médecine : pharmacie et maïeutiques sont aussi concernées, avec un vrai problème d’intégration des étudiants.

N’oublions pas non plus l’atterrissage de la réforme du deuxième cycle, avec un passage intensif entre le contrôle continu, les examens cliniques objectifs et structurés (ECOS) et les oraux, qui mobilisent énormément les médecins et les professeurs des universités – praticiens hospitaliers (PU-PH). L’augmentation du nombre de places trouve là un problème pour suivre cette réforme. L’achèvement de celle-ci est nécessaire avant de songer au numerus apertus, auquel la Conférence des doyens de médecine réfléchit. Les stages de terrain sont une raison de la très haute qualité de nos études de santé, mais constituent aussi un entonnoir à l’augmentation du nombre des étudiants.

Sur les études de kinésithérapie, qui vont au-delà de notre ressort, il y a deux types d’écoles : celles qui sont conventionnées avec les universités, et celles qui sont en format sanitaire et social. Je ne vais pas m’avancer sur ce sujet, faute d’une vision globale, mais nous devons y travailler avec les régions et le ministère de la santé. Il en va de même pour les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI).

J’ai bien conscience que je serai là au plus tard jusqu’en 2027, et que la LPR court jusqu’en 2030. L’accélération de la LPR consisterait à lui faire produire tous ses effets dès 2027. Or les trois dernières années représentent trois fois 600 millions d’euros ; c’est beaucoup. Je reviendrai vers vous avec la réactualisation, si possible dès le budget 2024, pour évaluer la faisabilité de cette accélération.

Sur les doctorants, les efforts consentis sont notables. Yan Chantrel l’a fait remarquer, les augmentations de salaire des doctorants sont échelonnées, et traitent le flux et non le stock. Cela ne suffit donc pas, j’en suis consciente. Nous évaluons le coût du traitement du stock, qui est sans doute important. Nous savons que nos doctorants en ont besoin.

Je reviens à la dévolution. Je suis contre la fusion du MESR et du ministère de l’éducation nationale : nous n’avons pas la même culture. J’en veux pour preuve la différence de statut entre un élève et un étudiant. L’université est autonome et, contrairement au lycée, gère la recherche, l’innovation et l’international. Je défends depuis longtemps et défendrai un MESR de plein exercice.

En revanche, sur la vision globale des universités, j’assume leur différenciation, sans considérer que certaines sont plus importantes que d’autres. Encourageons-la, pour avoir des universités puissantes quelle que soit leur taille sur chaque territoire.

Sur les palmarès mondiaux et le classement de Shanghai, que vous avez évoqués, tout n’est pas noir et blanc. Réjouissons-nous quand la France est reconnue, au-delà des critiques que l’on peut formuler à l’encontre des critères de ces classements. Il est d’ailleurs plus facile de critiquer lorsqu’on a de bons résultats. Le fait que nos universités soient plus visibles, ce que permet ce classement est une bonne chose à prendre, et la force du top 20 est autrement plus grande que celle du top 500. Défendre une évaluation qualitative plutôt que quantitative, quand on a montré qu’on ne le faisait pas par pur intérêt mais pour des questions de valeurs, a nettement plus de poids au niveau national et surtout international.

En matière de recherche, la transition écologique est une priorité : s’il faut faire des choix, nous les ferons. Nous avons fait une annonce avant-hier sur les programmes thématiques de recherche : une grosse partie des 600 millions d’euros iront à des programmes aux thématiques environnementales. J’ai choisi de me rendre à Montpellier pour souligner cette orientation.

Concernant le HCERES, on est parvenu à une amélioration de l’évaluation des laboratoires : la visite est rétablie, les tableaux sont simplifiés. On doit plus se concentrer sur l’aspect qualitatif de la recherche que sur son aspect quantitatif. Cette évaluation se fera plutôt a posteriori, nous réfléchirons plus avant aux critères avec le HCERES.

Quant à la cartographie des finances des universités, on commencera par faire celle du ministère ! Cela entre dans notre conception du pilotage. Ensuite, la cartographie des établissements nous permettra de développer une meilleure compréhension de la distribution de l’argent. Il faut améliorer les relais territoriaux, mieux travailler avec les recteurs de région.

Quant aux frais d’inscription, une hausse ne suffira pas à régler les problèmes. J’ai étudié les modèles économiques des universités des pays du nord, qui ont essayé une telle hausse et en sont revenus. Il faut parler des ressources propres des établissements, mais je reste profondément attachée à l’accès aux universités publiques. Nous ne sommes pas prêts à garantir un tel accès, par l’augmentation des bourses, en cas d’augmentation des frais d’inscription. D’autres solutions sont possibles. Tout en préservant l’accès aux diplômes nationaux, on peut encourager le développement de diplômes universitaires.

La prochaine rentrée universitaire sera difficile ; il faut surveiller l’équilibre du nombre de places offertes pour que les étudiants trouvent un débouché sur Parcoursup ou en master. L’année dernière, en septembre, 230 étudiants restaient sans affectation à la fin de la procédure Parcoursup, soit un nombre suffisamment faible pour apporter une solution individuelle à chaque dossier. Nous travaillons à cette rentrée et nous en ferons le bilan l’année prochaine.

M. Laurent Lafon, président. – Merci pour ce tour d’horizon très complet. Nous avons apprécié la franchise et la précision de vos réponses.

La réunion est close à 18 h 55.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.