Mardi 12 juillet 2022

Mission d’information sur le contrôle des Ehpad – Examen du rapport d’information

Mme Catherine Deroche, présidente. – Avant que nous n’examinions le rapport de la mission d’information sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), je vous rappelle que nous suspendrons nos travaux vers 14 h 25 pour assister à l’éloge funèbre de Catherine Fournier en séance publique.

M. Bernard Bonne, rapporteur. – L’émotion légitime suscitée par la publication de l’ouvrage de Victor Castanet a conduit notre commission à mettre en place une mission d’information, dotée de pouvoirs d’une commission d’enquête, que vous nous avez confiée. Après avoir entendu 150 personnes au cours de 54 auditions en format rapporteur, auxquelles certains d’entre vous ont été très assidus, et 7 réunions de commission, nous allons aujourd’hui vous présenter nos conclusions et nos recommandations.

Au préalable, permettez-moi de dire ce que le rapport n’est pas.

Bien que notre mission tienne compte du contexte et s’en approprie certains éléments, il ne s’agit pas d’une commission d’enquête sur la gestion des Ehpad du groupe Orpea, ou sur le groupe Orpea lui-même. Sur ce sujet, le Gouvernement a diligenté une mission de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale des finances (IGF). Nous tenons d’ailleurs à saluer la grande qualité du travail d’investigation des responsables de cette mission, et la clarté des réponses apportées à nos questions lorsque nous les avons auditionnés.

À la suite de la remise de leurs conclusions, le Gouvernement, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, a saisi le procureur de la République de Nanterre de faits susceptibles de caractériser les infractions d’abus de confiance, voire de détournement de fonds publics. Une enquête judiciaire a été ouverte.

Nos travaux ont été consacrés à la question du contrôle, au « contrôle du contrôle » et, plus largement, à l’analyse de la manière dont l’État et les autorités de tarification assurent le pilotage stratégique du secteur. Ils font apparaître quatre constats : les autorités de contrôle peinent à remplir leurs missions ; il existe un déficit de pilotage stratégique ; le pilotage par la qualité doit être développé pour redonner son attractivité au secteur ; les besoins pour l’avenir sont connus, et il faut désormais y répondre.

Commençons par analyser les difficultés rencontrées par les autorités de contrôle pour remplir leurs missions.

Dans l’affaire Orpea, les limites de la réglementation ont été mises en exergue dès les premières révélations. Elles ont été confirmées par l’enquête de la Cour des comptes et par le rapport de la mission IGAS-IGF. Certaines pratiques ne font l’objet d’aucun contrôle réel et sérieux, comme la gestion des flux financiers au sein des groupes multi-gestionnaires d’Ehpad ; dans d’autres cas, comme le contrôle de la section hébergement, les autorités de contrôle ont été désarmées.

Notre première recommandation sera d’étendre la campagne de contrôle annoncée par le Gouvernement à tous les groupes privés lucratifs. Le rapport IGAS-IGF montre l’importance de ces contrôles, à un niveau agrégé, sur un certain nombre de sujets : remises de fin d’année, constitution d’excédents, recrutement, imputations budgétaires. Il n’est plus suffisant de contrôler les établissements : il faut aussi contrôler les groupes. Cette mission doit être confiée à l’IGAS et à l’IGF, dans l’attente d’une évolution de la réglementation qui organiserait ce contrôle en routine.

Le contrôle des groupes doit être conçu comme un dialogue régulier avec les autorités. Nous proposons la conclusion d’une convention pluriannuelle d’objectifs entre ces groupes privés et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Pour mettre en place ces contrôles ainsi que cette nouvelle convention, nous proposons de débuter par une contractualisation avec les groupes privés lucratifs ; elle a vocation à être étendue à tous les groupes intervenant dans le secteur des Ehpad.

Ce cadre général une fois posé, nous le complétons avec plusieurs mesures concrètes visant à mieux encadrer l’activité des groupes privés.

Les flux financiers entre les établissements et le siège des groupes doivent être encadrés, notamment les frais de siège et les excédents budgétaires.

Le recours à prélèvements au titre des frais de siège constitue un mode d’organisation classique et n’est pas propre au secteur médico-social. Cette possibilité est déjà encadrée par le code de l’action sociale et des familles, qui la subordonne à l’octroi d’une autorisation. Nous proposons de plafonner les prélèvements qui peuvent être effectués au titre des frais de siège.

La seconde catégorie de flux financiers sur laquelle l’affaire Orpea attire l’attention est celle de la constitution d’excédents budgétaires. Depuis la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV), les éventuels excédents sont laissés à la disposition des établissements. Ces excédents sont nécessaires pour leur permettre de dégager une capacité d’autofinancement. Pourtant, la mission IGAS-IGF constate que la gestion de ces excédents est mal appréhendée par l’État. Nous proposons alors de plafonner leur montant et de définir la durée durant laquelle ils peuvent être utilisés.

Enfin, il nous semble indispensable de procéder au contrôle de la section hébergement. Dans le prolongement des échanges que nous avons eus en février dernier avec le Premier président de la Cour des comptes, il convient d’élargir les compétences de la Cour et des chambres régionales des comptes au volet hébergement des établissements et services médico-sociaux.

Ces évolutions, qui nous semblent indispensables, doivent être complétées par des mesures d’ajustement tout aussi essentielles.

L’assouplissement du cadre réglementaire mis en place par la loi ASV a été mis à profit par certains acteurs pour optimiser leurs présentations budgétaires et leurs résultats. Ainsi, en 2016, les effectifs des agents des services hôteliers émargeaient à 70 % sur le budget hébergement et 30 % sur le budget dépendance ; les effectifs des aides-soignants émargeaient à 30 % sur le budget dépendance et à 70 % sur le budget soins. Depuis la réforme, certains établissements financent des effectifs des services hôteliers à plus de 30 % sur la section dépendance et font financer les effectifs des aides-soignants à plus de 70 % sur le budget soin. Cela leur permet de dégager une marge sur la section hébergement qui n’apparaît pas dans les documents transmis par les établissements non habilités à l’aide sociale.

Le rapport IGAS-IGF relève, d’une part, des difficultés d’interprétation des textes dont auraient pu bénéficier les acteurs pour optimiser l’affectation des dépenses, et, d’autre part, l’existence de pratiques différentes suivant les agences régionales de santé (ARS). Il nous semble donc nécessaire de demander à l’État de clarifier les règles d’imputation des dépenses de personnel entre les différentes sections tarifaires.

Enfin, comme l’ont indiqué les personnes auditionnées, le régime des sanctions à mettre en œuvre est complexe. La mission IGAS-IGF consacrée à la gestion des établissements du groupe Orpea suggère de prononcer des sanctions financières directement à l’encontre des groupes, plutôt que d’engager une procédure à l’encontre de plusieurs de leurs établissements. Cette solution est conforme à l’organisation fortement centralisée du groupe Orpea et aux pratiques qui sont sanctionnées.

Dans ce cas précis, à savoir une utilisation des fonds publics non conforme à la réglementation, la mission IGAS-IGF considère que deux procédures s’offrent aux pouvoirs publics pour prononcer des sanctions à l’encontre du groupe : la récupération des financements publics employés à un objet différent de celui qui est prévu par les textes, ou des sanctions financières.

La mission préconise de lancer une procédure de récupération à l’échelle nationale, sous l’égide de la CNSA. Cette procédure peut être engagée par une décision du représentant légal de l’établissement qui a accordé un concours de l’État, ici la CNSA.

Si aucune de ces deux procédures n’a jamais été actionnée à l’encontre d’un groupe, il nous paraît d’ores et déjà indispensable de formuler deux recommandations.

Premièrement, définir les actions préalables au prononcé des sanctions financières. Ces dernières s’inscrivent dans une procédure de réponses graduées et ne sont prononcées qu’à la suite d’une injonction non satisfaite.

Deuxièmement, compléter la procédure de récupération des sommes utilisées à des fins autres que celles qui sont prévues par les textes : il s’agit aujourd’hui d’une disposition d’ordre général, afin de simplifier son utilisation dans le champ médico-social.

Nous considérons le plan de contrôle annoncé par le Gouvernement comme très insuffisant. Il est, en outre, mal perçu sur le terrain, vécu comme une tracasserie inutile, tant la situation et les difficultés rencontrées par la majorité des établissements sont connues de leurs autorités de tutelle.

L’État porte une responsabilité écrasante dans les orientations actuelles du contrôle, qui n’en font pas une priorité des ARS, ainsi que l’ont indiqué les représentants de médecins inspecteurs, pharmaciens inspecteurs et inspecteurs de l’action sanitaire et sociale.

Les contrôles existants sont prioritairement axés sur la maltraitance. C’est indispensable, mais cela ne suffit pas, nous l’avons vu : le contrôle des flux financiers doit être intensifié.

Un contrôle efficace nécessite également de renforcer la coordination des acteurs, encore trop hétérogène selon les départements. Concurrence et répression des fraudes, inspection du travail, ARS, finances publiques… chacun organisait ses propres contrôles. Une coordination totale est sans doute inatteignable, mais la renforcer et échanger des informations, c’est possible ! Pour cela, il est nécessaire d’imposer des contraintes d’organisation.

La CNSA pourrait se voir confier le soin de réunir un comité d’animation des contrôles au niveau national, qui réunirait les administrations centrales concernées, les caisses de sécurité sociale, le Défenseur des droits, l’Assemblée des départements de France (ADF), afin de concevoir des orientations communes, et de donner des impulsions aux réseaux déconcentrés. Ce comité d’animation doit être décliné au niveau départemental, avec un représentant du conseil départemental. Cette déclinaison territoriale doit prendre un tour plus opérationnel, avec des échanges d’informations sur les contrôles réalisés par les uns et les autres, ainsi que la définition d’actions communes.

Par ailleurs, les moyens consacrés au contrôle doivent être renforcés, afin que les missions d’inspection et de contrôle ne soient pas seulement mutualisées, mais bien accrues.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. – Le renforcement et la structuration des contrôles doivent aller de pair avec un renouvellement des pratiques en matière de pilotage stratégique.

Le déficit que nous avons constaté dans ce domaine est en partie imputable aux gouvernements successifs qui ont évoqué – et même, pour certains d’entre eux, préparé – un projet de loi Grand Âge, avant d’y renoncer. Dans ce contexte, les évolutions législatives et réglementaires n’ont été qu’incrémentales, et n’ont pas favorisé une approche globale ni une vision stratégique des sujets. La volonté de développer le maintien à domicile s’est imposée comme la priorité stratégique du secteur, et ce à juste titre. Or, cet objectif prioritaire ne dispensait pas les autorités d’assurer le pilotage stratégique du secteur des Ehpad, afin de garantir son adéquation avec l’évolution des besoins et le développement du virage domiciliaire.

Le renforcement du pilotage stratégique doit passer par une meilleure gestion du régime d’autorisation.

En attendant, et à défaut de refondre tout le régime d’autorisation, comme cela est développé dans les conclusions de ce rapport, nous vous proposons trois évolutions.

Tout d’abord, la question des transferts d’autorisation et du pilotage de l’offre privée a retenu notre attention. La réglementation en vigueur ne laisse qu’une marge de décision limitée aux autorités compétentes pour s’opposer à un transfert d’autorisation. Dans la pratique, le rejet du transfert ne peut se fonder que sur l’incapacité du cessionnaire à remplir les conditions de gestion de l’établissement. Comme la plupart des organismes cessionnaires gèrent déjà des établissements, démontrer une telle incapacité est complexe. Un droit d’opposition à ces transferts doit ainsi être accordé aux autorités de tarification, afin qu’elles soient en capacité de piloter l’offre dans le temps et de choisir les opérateurs.

Ensuite, nous observons qu’une autorisation donne droit à la perception de dotations publiques, finançant principalement les salaires des soignants, sans lesquels l’établissement n’accueille personne et ne réalise donc pas de profits. L’autorisation d’exploiter un Ehpad est, par conséquent, un actif public dont bénéficie un opérateur privé, et doit être considéré de la même façon que les licences de téléphonie, les autorisations d’occupation du domaine public ou les concessions d’autoroutes. La délivrance de l’autorisation pourrait, dès lors, être soumise au versement d’une redevance.

Enfin, la procédure d’appels à projets renforce la concurrence non seulement entre établissements publics et privés commerciaux, mais encore entre ces derniers et les établissements de l’économie sociale et solidaire (ESS). Nous proposons alors des mesures d’encadrement de l’offre à but lucratif, qui dépasse déjà 50 % de l’offre dans certains territoires.

Ces remarques sur le pilotage de l’offre nous conduisent naturellement à évoquer des questions de gouvernance.

A contrario de la pratique constatée dans le groupe Orpea, la gouvernance des établissements a un grand besoin de gestion de proximité, laquelle passe par une meilleure association des résidents ou de leurs familles.

L’association des usagers au fonctionnement des établissements médico-sociaux a longtemps été balbutiante. Le principal organe est, à cet égard, le conseil de la vie sociale (CVS), créé par la loi de 2002, en remplacement du conseil d’établissement. Les associations d’usagers estiment que seul un CVS sur cinquante est opérationnel, et qu’une très grande proportion des résidents, des familles et des personnels ne connaît pas son existence et son rôle.

Avec le décret du 25 avril 2022, le Gouvernement a apporté d’opportunes précisions. La composition du conseil a d’abord été élargie et les attributions des CVS précisées. Le décret rend également obligatoire l’élaboration d’un règlement intérieur et d’un rapport d’activité.

Ces clarifications sont bienvenues, mais elles ne lèvent pas tous les obstacles à la bonne marche de ces organes. La présence d’associations agréées, par exemple, devrait être envisagée, sur le modèle des associations d’usagers dans le secteur sanitaire.

Nous rejoignons nos collègues de l’Assemblée nationale sur la nécessité de créer un conseil national consultatif des personnes âgées, sur le modèle du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Ce dernier, créé par la loi de 1975, peut être consulté par les ministres compétents et peut se saisir de toute question relative à la politique concernant les personnes handicapées, dont il évalue la situation matérielle, financière et morale.

Un tel organe pourrait, par ailleurs, être relié par convention au comité d’animation des contrôles, en lien avec notre recommandation n° 5, convention qui aurait pour objet de favoriser la concertation et les échanges d’informations.

Avec la place des usagers, la question de la gouvernance est dominée par une autre problématique : celle de la simplification du pilotage territorial.

De ce point de vue, la création en 2020 d’une nouvelle branche de sécurité sociale chargée de la gestion du risque de perte d’autonomie n’a pas changé grand-chose. Pour un certain nombre d’acteurs, la médicalisation souhaitable des Ehpad emporte ou emportera à terme une compétence élargie des ARS dans les territoires, ne laissant éventuellement aux départements que la compétence d’aide à domicile. Un tel recul de la place des départements dans la politique médico-sociale ne nous semble pas opportun.

La mission de Dominique Libault de mars 2022 nous semble s’inscrire dans une démarche plus intéressante. Elle précise que l’objectif ne doit pas être de remettre en cause les choix de gestion des acteurs dans leur périmètre de compétences, mais de viser, « compte tenu de la forte imbrication des politiques de l’autonomie, à les amener à traiter ensemble, sur la base d’une contractualisation, les sujets à la frontière des prises en charge sanitaires, sociales et médico-sociales, dans l’intérêt général d’un meilleur service rendu ».

D’après ce rapport, la gouvernance territoriale de la politique de l’autonomie pourrait être refondée au sein d’une conférence territoriale de la santé et de l’autonomie (Cotea). Celle-ci s’appuierait sur le réseau des ARS et sur les conseils départementaux, mais associerait également d’autres acteurs intervenants dans les politiques de soutien à l’autonomie, tels les préfets, les acteurs des politiques publiques d’insertion professionnelle, d’emploi et de cohésion des territoires, mais aussi les directeurs des services départementaux de l’éducation.

Le périmètre des missions de la Cotea concernera les quatre blocs d’actions du service public territorial de l’autonomie (SPTA) proposé par le rapport : réaliser et mettre à jour un diagnostic partagé des besoins, sur le plan quantitatif et qualitatif ; définir une stratégie départementale d’organisation du SPTA répondant aux besoins, sur la base d’un cahier des charges national ; animer les dynamiques partenariales locales, par exemple en matière de prévention, ou pour organiser des sorties d’hospitalisation ; établir à cette fin une programmation des projets et des financements associés.

Avec la gouvernance, le pilotage par la qualité est présenté par de nombreux acteurs, qu’il s’agisse de la Cour des comptes ou de Dominique Libault, comme un levier à actionner pour améliorer la prise en charge des résidents et l’attractivité du secteur.

Selon vos rapporteurs, cela doit commencer par une prise en charge renforcée des questions de maltraitance.

Selon Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde, « les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l’ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares ».

Par conséquent, il faut redoubler d’efforts pour faciliter la détection des situations problématiques graves dans les établissements. Cela impose de fiabiliser au plus vite la connaissance du problème par la finalisation des outils informatiques nécessaires. Il conviendrait d’aller plus loin, en imposant, par exemple, une obligation de réponse sur la suite donnée aux signalements de maltraitance adressés par les familles aux autorités de tarification et de contrôle.

L’autre volet de la politique de qualité repose sur le déploiement d’un référentiel élaboré par la Haute Autorité de santé (HAS).

La HAS a finalement publié, en mars 2022, le premier référentiel d’évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux. Comme elle n’a pas les moyens nécessaires pour assurer la certification de l’ensemble des structures, celle-ci sera réalisée par des organismes tiers ; les procédures de labellisation seront accréditées par le Comité français d’accréditation (Cofrac). Les premières évaluations fondées sur ce référentiel devraient débuter en septembre.

Le pilotage des établissements par la qualité peut aussi prendre la forme d’un suivi d’indicateurs de l’activité rendus publics.

Le décret du 28 avril 2022 précité prévoit la transmission par les Ehpad de cinq indicateurs : la composition du plateau technique ; le profil des chambres (simples ou doubles) ; le nombre de places habilitées à l’aide sociale à l’hébergement ; la présence d’un infirmier de nuit et d’un médecin coordonnateur dans l’établissement ; le partenariat avec un dispositif d’appui à la coordination des parcours de santé.

La liste d’indicateurs annoncée par la ministre en mars dernier était deux fois plus longue, la Défenseure des droits en proposait d’autres : les indicateurs ne font pas tout. Quoi qu’il en soit, il conviendra de suivre de près la mise en œuvre de ces mesures.

Le pilotage par la qualité doit également favoriser une meilleure organisation du secteur et renforcer son attractivité.

Sur les besoins en personnel du secteur des personnes âgées dépendantes, que ce soit du côté du nombre ou de la qualification, tout a déjà été dit. Par exemple, le rapport de 2020 réalisé par Myriam El Khomri présente les métiers du grand âge comme peu attractifs, car le turnover y est important ; le nombre de candidats aux concours d’aide-soignant a baissé de 25 % en cinq ans, la sinistralité de l’emploi atteint des niveaux records, les rémunérations du secteur sont durablement faibles, les formations restent cloisonnées et l’organisation du secteur est encore insuffisamment structurée.

M. Bernard Bonne, rapporteur. – Les besoins pour l’avenir sont connus, il faut désormais y répondre.

Nous concédons que, malgré tous les moyens engagés pour réussir le virage domiciliaire, et les succès déjà engrangés en la matière, le besoin de places en Ehpad va continuer à s’accroître dans les années à venir. La population de personnes âgées dépendantes, estimée à 2,5 millions de personnes en 2015, pourrait atteindre 4 millions en 2050. Si la dépendance évolue de façon plus optimiste, il faudrait tout de même ouvrir 56 000 places en Ehpad d’ici à 2030.

Pour accompagner la politique immobilière du secteur, les pouvoirs publics s’appuient sur deux mécanismes : des plans d’aide à l’investissement placés sous l’égide de la CNSA, des mécanismes d’incitation fiscale pour favoriser l’investissement immobilier.

Ces instruments doivent être examinés au regard des pratiques en cours et des besoins à venir. Il devient fondamental d’investir massivement dans la modernisation du bâti des Ehpad, surtout ceux relevant du public dont le bâti est plus ancien ; il faut entamer une réflexion sur les moyens à leur donner pour faciliter le portage de leur immobilier, en donnant par exemple la possibilité de s’appuyer sur des professionnels, tels des offices publics de HLM ou des foncières solidaires, pour les accompagner dans la gestion de ce patrimoine.

En outre, une réflexion doit être ouverte sur la pertinence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l’investissement privé dans le secteur.

La démographie ne permettra sans doute pas de se passer des acteurs du secteur privé commercial, mais il semble possible de freiner l’emballement de la rentabilité, notamment dans la dimension immobilière, cruciale dans le modèle économique des acteurs privés lucratifs.

L’immobilier d’une grande partie des Ehpad commerciaux s’appuie sur la vente en lots sous statut de loueur en meublé non professionnel ouvert à l’investissement défiscalisé : ce statut s’adresse notamment aux particuliers, promettant en contrepartie des taux de rendement importants. Or, ces montages pèsent lourd, avant même la mise en fonctionnement de l’établissement, sur le niveau du tarif hébergement, réduisant de fait l’accessibilité financière de ces structures, pourtant d’intérêt général ; ne parlons pas de la pression exercée sur la rentabilité de l’exploitation.

Aussi nous interrogeons-nous sur l’opportunité de restreindre très sérieusement les mécanismes de défiscalisation de l’investissement locatif en Ehpad.

Notre dernière proposition ne surprendra guère, car elle reprend ce qui précède, et, surtout, elle s’appuie sur la promesse faite, au moins sous cette forme, depuis le milieu du quinquennat précédent : examiner une loi consacrée au grand âge et à l’autonomie, afin de répondre aux besoins de la population.

Cette recommandation est incontournable, le secteur a besoin de réformes structurelles de grande ampleur. Ne pas le faire, c’est manquer de considération pour nos aînés.

Nous voudrions conclure la présentation de ce rapport en saluant le professionnalisme, le dévouement et le travail considérable qui est accompli chaque jour dans les Ehpad, et que la crise sanitaire rend encore plus difficile.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Je salue moi aussi le travail de nos deux rapporteurs.

Je rappelle que le dépôt de ce rapport ouvre un délai de vingt-quatre heures au cours duquel il peut être demandé que le Sénat se réunisse en comité secret.

Je vous demande donc la plus stricte confidentialité sur nos débats jusqu’à la conférence de presse.

Désignation d’un rapporteur

La commission désigne Mme Frédérique Puissat rapporteur sur le projet de loi n° 19 (A.N., XVIe lég.) portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, sous réserve de sa transmission.

Elle décide de déléguer l’examen au fond :

– à la commission des affaires économiques des articles 6 à 13 et 17 à 19 du projet de loi déposé à l’assemblée nationale.

– à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable des articles 14, 16,et 20.

La réunion est suspendue à 14 h 20

La réunion est reprise à 15 h 15.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous reprenons nos travaux sur le rapport de la mission d’information sur le contrôle des Ehpad.

M. Philippe Mouiller. – Je salue le travail des rapporteurs. Les conclusions de leurs travaux sont très attendues sur le terrain.

Le rapport montre qu’il est difficile de contrôler les crédits du volet hébergement des établissements et services médico-sociaux à but lucratif. Un amendement datant de 2009 avait exclu ces établissements de tout contrôle : pourrions-nous revenir sur cette disposition à l’occasion de l’examen d’un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

Pour être efficaces, les contrôles supposent des sanctions : les outils à la disposition des autorités sont-ils adaptés ? Doivent-ils être améliorés ?

Cette mission d’information trouve son origine dans une crise : nous avons tous été choqués par le traitement réservé aux résidents par certains groupes privés. Pourtant, dans certains territoires, les difficultés seraient considérables sans leur concours. Je souscris à l’équilibre prôné par les rapporteurs : il faut restreindre les profits, et des moyens plus importants doivent être consacrés aux personnes âgées. Toutefois, ne multiplions pas les normes qui décourageraient le secteur privé d’investir.

Chacun est conscient du vieillissement de la population. Néanmoins, l’augmentation du nombre de places disponibles constitue-t-elle la seule réponse ? Ne faut-il pas envisager une transformation du modèle des Ehpad ?

Mme Monique Lubin. – Ce rapport est très intéressant. J’espère que nous pourrons nous en servir à l’occasion de l’examen d’une future loi consacrée à la dépendance.

Le livre a soulevé la question des financements normalement destinés aux soins et à la dépendance, qui, dans les faits, sont détournés pour améliorer l’attractivité des groupes aux yeux des investisseurs. Ce phénomène était-il connu ? Si c’est le cas, était-il toléré ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail.

Avec ma collègue Laurence Cohen, nous regrettons l’absence de loi sur le grand âge, pourtant promise par le précédent gouvernement. La cinquième branche de la sécurité sociale créée récemment est une coquille vide, du point de vue tant de son financement que de sa gouvernance : c’est une fausse bonne idée. Notre groupe déposera une contribution à ce sujet. Nous demandons des moyens pour les Ehpad : cela passe par des recrutements, des revalorisations salariales et des plans de formation de qualité.

Nous plaidons pour un grand service public du troisième âge. Nous ne devons pas faire de profits sur le dos de nos anciens. Le rôle des conseils départementaux au sein de la gouvernance des établissements doit être renforcé, de même que les contrôles inopinés au sein des grands groupes privés.

J’ai été profondément choquée par le niveau de salaire des directeurs d’Orpea : le chiffre de 1,2 million d’euros a été cité. Pendant ce temps, faute de moyens, les personnes âgées sont maltraitées dans les Ehpad privés. Étant donné que ces groupes bénéficient de fonds publics, est-il possible d’encadrer ces salaires exorbitants ?

Mme Raymonde Poncet Monge. – Je remercie les deux rapporteurs pour leur travail. Les auditions ont été remarquablement dirigées par nos deux collègues. Je regrette toutefois que le rapport n’ait pas adopté la même tonalité.

Aujourd’hui, le constat est clair : les groupes à but lucratif tels qu’Orpea et Korian puisent dans la section hébergement au détriment des soins apportés aux personnes. Plus le niveau de dépendance est élevé, moins les résidents sont en capacité de réclamer une qualité de service minimale. La vulnérabilité est exploitée. Il en va de même pour les cliniques psychiatriques gérées par ces groupes. Pis encore, les personnes sans famille ne peuvent pas se défendre. Les indicateurs de qualité ne pourront pas résoudre tous les problèmes.

Ces groupes privés saisissent l’occasion des modifications législatives et réglementaires pour augmenter leur profit. Dans son livre, Victor Castanet a cité un exemple édifiant : lorsque l’assurance maladie passe de la solvabilisation individuelle des dispositifs au forfait afin de limiter la dépense devenue trop dynamique, ils parviennent encore à maximiser le profit. Le même scénario s’est répété lors de l’adoption de la loi ASV. Ces sociétés, qui disposent d’une grande puissance de feu, sont très lucratives et sont mieux gérées que certaines entreprises du CAC 40. D’aucuns soutiennent qu’elles se retireraient du marché sans ces profits : qu’elles le fassent !

Notre réaction est bien tardive. Ces groupes ne se contentent plus de puiser dans les sections soins et hébergement : ils ne sont plus un acteur du secteur médico-social – ne l’ont-ils jamais été ? – ou de l’immobilier de santé. D’ici à 2025, Orpea aura vendu un quart de son patrimoine immobilier, engendrant ainsi des profits spéculatifs via des filiales présentes au Luxembourg et dans les paradis fiscaux. La croissance externe d’Orpea s’est fondée sur l’endettement financier.

Au fil du temps, Orpea donne de moins en moins d’informations sur ses filiales à l’étranger : leur structure financière est inconnue, contrairement à la situation prévalant en Allemagne. Il est nécessaire que l’Autorité des marchés financiers (AMF) joue pleinement son rôle.

Nous examinerons prochainement le projet de loi du Gouvernement relatif au pouvoir d’achat. Orpea rassure actuellement ses actionnaires en leur rappelant que ses crédits-bails sont capés à 1 %. Ceux-ci peuvent se réjouir : les tarifs des contrats des usagers sont, quant à eux, bien indexés sur l’inflation, soit une augmentation vraisemblable de 7 à 8 %. Une volonté politique est indispensable pour réduire la place qu’occupent ces grands groupes privés dans le secteur médico-social. Les transferts d’autorisation doivent être mieux encadrés. Par ailleurs, les autorisations ne doivent plus être renouvelées tacitement tous les quinze ans.

Le taux d’encadrement doit être rendu obligatoire, comme dans les crèches. Sans personnel en nombre suffisant, il faut fermer les établissements.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Les enfants rentrent chez eux le soir, à l’inverse des résidents des Ehpad.

Mme Frédérique Puissat. – Madame Poncet Monge, si l’on appliquait ce que vous proposez, tous les établissements devraient fermer.

Mme Raymonde Poncet Monge. – En moyenne, les résidents restent deux ans dans les Ehpad. Si des problèmes d’embauche apparaissent, il faut refuser les nouveaux résidents. N’étalons pas la misère, comme Orpea le fait aujourd’hui. Le taux d’occupation des établissements est leur levier d’action : sans personnel, ils seraient contraints de fermer.

M. Olivier Henno. – Je tiens à féliciter les deux rapporteurs, qui n’ont ménagé ni leur temps ni leur peine. Je rends hommage à leur pugnacité.

Toutefois, je m’interroge sur l’efficacité de l’action publique : un livre d’un journaliste aura été nécessaire pour approfondir un sujet aussi important. Quel a été le rôle de l’État, des ARS et des conseils départementaux ? J’ai moi-même consacré du temps aux conseils d’administration de plusieurs Ehpad publics.

Les rapporteurs soutiennent qu’une réflexion doit être ouverte sur la pertinence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l’investissement privé dans le secteur. Ils s’interrogent sur l’opportunité de restreindre largement les mécanismes de défiscalisation de l’investissement locatif dans les Ehpad. J’y suis plutôt favorable, mais avez-vous mesuré les conséquences de cette décision ? Le modèle global ne serait-il pas remis en cause ? Cette préconisation des rapporteurs est importante et structurelle. Je me réjouis que vous ayez ouvert ce débat.

M. Bernard Bonne, rapporteur. – Je rappelle que les travaux de notre commission avaient pour objet non pas le groupe Orpea ou la loi Grand Âge, mais le contrôle du contrôle. Nous avons naturellement débordé du cadre – nous souhaitions même le faire davantage – et nous n’avons pas été bienveillants, il est vrai, tant ce que nous avons appris au cours des différentes auditions nous a paru scandaleux. Dans la mesure où nous devions répondre à la mission qui nous a été confiée, nous n’avons pas inclus dans le rapport l’ensemble de nos observations et recommandations. Lorsque le projet de loi Grand Âge sera examiné, nous pourrons nous exprimer plus largement.

Des décrets ont été pris en urgence par le Gouvernement, entre la publication du livre de Victor Castanet, le rapport IGAS-IGF et la remise de notre rapport : ils prévoient un contrôle approfondi de la section hébergement notamment. Des modifications législatives seront néanmoins nécessaires pour imposer, dans l’intérêt des résidents, des contrôles plus stricts à ces groupes, qui, chaque fois, leur opposent le secret des affaires.

Nous avons en outre constaté un mélange dans les tarifications, entre les soins et la dépendance d’une part, qui relèvent de l’État et des départements, et l’hébergement d’autre part. Or, quand on fait glisser du personnel de l’un à l’autre, en particulier de l’État vers l’hébergement, il s’ensuit une modification de l’orientation de l’argent public. C’est ce à quoi s’est livré Orpea, et ce n’est pas normal. Nous devons donc modifier la loi pour contrôler plus efficacement le volet hébergement dans l’ensemble du secteur médico-social.

En ce qui concerne la place du privé, Michelle Meunier et moi-même avions tendance à remettre en cause, au début de nos travaux, l’existence même du secteur privé, commercial et social ne faisant pas bon ménage. Je vous assure aujourd’hui que la suppression du secteur privé est impossible. Mme la présidente l’a fait remarquer, que ferait-on des résidents de ces établissements ? Qui est en mesure aujourd’hui de racheter l’ensemble des biens immobiliers des groupes privés ?

Un encadrement beaucoup plus important est en revanche nécessaire. Nous devons aussi doter le secteur public de moyens supplémentaires pour lui permettre d’acquérir de l’immobilier. La simple gestion des établissements est à la portée de tous et le secteur public a démontré qu’il en était parfaitement capable. Finalement, tous les établissements se heurtent à la même difficulté : un manque de moyens – les directeurs réclament au plus vite en moyenne deux personnes supplémentaires par établissement – auquel – je l’espère ! – la loi Grand Âge pourra remédier.

L’évolution du secteur privé lucratif doit être contenue. Dans certains départements, la proportion d’établissements relevant de cette catégorie atteint quasiment 50 % quand, dans d’autres, elle n’est que de 8 à 9 %. Nous n’avons pas fixé de limite chiffrée, mais la loi Grand Âge pourrait en instaurer une.

Il convient également de mieux contrôler les autorisations. Auparavant, quand un groupe rachetait un établissement privé, on se contentait de signer. L’absence de contrôle explique en partie les niveaux de rémunération exceptionnels des directeurs de groupe. Si les directeurs et les personnels des établissements font leur travail avec les moyens dont ils disposent et les contraintes qui sont les leurs, il faut contrôler les rémunérations au niveau du groupe. Dans les groupes privés, on n’attribue de rémunérations qu’en fonction des résultats. Si demain les résultats sont moins bons – ils le seront, l’action Orpea ayant déjà perdu 80 % en l’espace de six mois – les rémunérations le seront également.

M. Mouiller évoquait l’augmentation du nombre de places dans trente ans. Dans un rapport que nous avons remis récemment avec Michelle Meunier, nous avions fait un pari : ne plus créer de places en établissement, mais privilégier le maintien à domicile et les structures intermédiaires. Force est de reconnaître que nous allons devoir créer des places supplémentaires. Une annonce du Gouvernement passée relativement inaperçue prévoit de supprimer l’ensemble des unités de soins de longue durée (USLD) et de placer 80 % de leurs résidents – soit près de 20 000 personnes – en maison de retraite. Des unités de soins prolongés complexes (USPC) seront créées pour accueillir les 20 % restants. En un mot, il faut maintenir la place du privé, mais le contrôler beaucoup plus.

J’en viens aux interrogations soulevées par Mme Lubin : les dysfonctionnements constatés dans les groupes privés étaient-ils connus, avérés et tolérés par les autorités de contrôle ? La réponse est non, et c’est précisément ce qui nous semble scandaleux. Personne ne s’est posé la question. Un ancien membre du corps préfectoral, ancien directeur d’ARH, est même parti travailler quelque temps comme conseiller du groupe Orpea. Personne n’imaginait à quel point tout y était fait pour gagner de l’argent. Les consultants de McKinsey ou autres étaient beaucoup plus forts qu’imaginé. Ils ont trouvé toutes les failles du système qui permettaient d’engranger des dividendes et ils ne s’en sont pas privés.

Madame Apourceau-Poly, nous ne pouvions aller beaucoup plus loin dans le cadre de ce rapport, mais la question que vous avez soulevée pourrait être abordée dans le cadre de la loi Grand Âge.

Je remercie Mme Poncet-Monge pour sa présence à l’ensemble des auditions. Il était nécessaire que le Sénat fasse preuve de fermeté. Je rappelle également que le groupe Orpea n’est pas le seul concerné.

Mme Émilienne Poumirol. – Tout à fait !

M. Bernard Bonne, rapporteur. – Il me semblait important d’inscrire dans le rapport l’extension du contrôle à tous les groupes privés dans les deux ans. Orpea a été montré du doigt, mais je vous assure que des exagérations ont eu lieu dans beaucoup d’autres groupes privés commerciaux. Ce n’est pas mentir que de dire que les profits y ont été extraordinairement élevés.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Cela aurait dû susciter des interrogations !

M. Bernard Bonne, rapporteur. – Peut-être…

Alors que nous avons contrôlé les établissements – parfois même les départements –, personne, pas même les directeurs d’ARS – c’est anormal –, ne s’est soucié de contrôler les groupes. Or le système Orpea, copié par beaucoup d’autres, l’a bien montré : tout remontait au niveau du groupe, où les flux financiers notamment bénéficiaient d’une opacité complète. Les grands groupes ont pu profiter allègrement de cette absence de contrôle.

Concernant la proposition visant à supprimer les dispositifs de défiscalisation, nous devons réfléchir, dans le cadre de la loi Grand Âge, aux moyens d’aider au maximum les établissements publics, afin que l’immobilier ne soit pas une difficulté financière majeure, comme c’est aujourd’hui le cas. Si les groupes privés ont prospéré, c’est parce que le secteur public n’avait pas les moyens de rivaliser en la matière.

La gestion, tout le monde sait faire. Le personnel est identique dans le public et dans le privé. Nous devons supprimer cette défiscalisation, jusqu’ici trop profitable aux groupes sans que les investisseurs en bénéficient réellement. Nombre de particuliers se sont fait berner après avoir investi dans de l’immobilier pour ces grands groupes. Au bout d’un certain temps, lorsque l’établissement n’était plus conforme, ils se sont retrouvés propriétaires d’un établissement vide, quand d’autres obtenaient des autorisations de poursuite d’activité en tant qu’Ehpad. La recommandation n° 16 vise effectivement à modifier cette possibilité de défiscalisation afin de priver les grands groupes de cet avantage comparatif.

Nous avons également fait le constat que les capacités financières des grands groupes leur permettaient de répondre très rapidement aux appels à projets et, bien souvent, de les remporter. Dans ce contexte, il faudra revoir l’ensemble des autorisations de transfert, de rachat et d’implantation.

La loi Grand Âge permettra d’améliorer considérablement la situation – il le faut. Le nouveau ministre des solidarités souhaite nous rencontrer à ce sujet, preuve qu’il s’y intéresse. J’espère qu’il aura la force de persuasion suffisante pour convaincre le Gouvernement de soumettre un projet de loi au Parlement. Quels seront les moyens associés ? C’est tout le problème. Si nous pouvons empêcher des dérives, il est certain que nous ne pourrons continuer à travailler sans moyens supplémentaires.

Je remercie M. Castanet pour son livre. Il nous a permis de dévoiler ces anomalies et de dénoncer le système. Je note que l’audit interne mis en place par le groupe Orpea est arrivé aux mêmes constatations que la mission IGF-IGAS. J’ai le sentiment que M. Philippe Charrier, jusqu’ici président-directeur général par intérim d’Orpea, avait vraiment la volonté de remettre les choses en place.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Je précise que, par rapport à la version du rapport soumise à consultation, la recommandation n° 12 a fait l’objet d’une modification rédactionnelle. Elle est désormais la suivante : « Décliner le comité d’animation des contrôles au niveau départemental avec un représentant du conseil départemental afin de coordonner les actions ».

Les recommandations sont adoptées.

La mission d’information adopte, à l’unanimité, le rapport d’information et en autorise la publication.

Il est décidé d’insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Je rappelle que le dépôt du rapport ouvre un délai de vingt-quatre heures au cours duquel il peut être demandé que le Sénat se réunisse en comité secret. Aucun d’entre nous ne doit donc faire état de ce qui a été exposé cet après-midi durant ce délai. Cette règle s’applique également aux rapporteurs.

Je rappelle également que tous les travaux non publics de la commission d’enquête, autres que les auditions publiques et la composition du Bureau de la commission, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de trente ans. Le non-respect du secret est puni par le code pénal, mais aussi par le Règlement du Sénat, qui prévoit l’incapacité de faire partie pour la durée de son mandat de toute commission d’enquête.

La réunion est close à 16 h 00.

Mercredi 13 juillet 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

Situation des comptes sociaux – Audition de M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous accueillons ce matin M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale pour évoquer la situation des comptes sociaux, alors que la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du mois de juin s’est tenue… hier mardi 12 juillet ! Notre rapporteure générale Élisabeth Doineau a participé à cette réunion.

La correction du solde attendu par rapport aux prévisions, qui a fait l’objet d’une abondante communication, ne doit pas faire oublier les quelque 17 milliards d’euros de déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse alors que nous examinerons bientôt un texte sur le pouvoir d’achat, qui perd un peu de vue cet élément.

Vous m’avez également demandé, monsieur le directeur, à pouvoir échanger avec les commissaires sur les constats et recommandations du récent rapport sur le recouvrement social rendu par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Nous y procéderons lors de la deuxième partie de notre ordre du jour.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat. Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.

Je vous laisse la parole, monsieur Amghar, pour une présentation de la situation des différentes branches et des enjeux auxquels fait face l’Urssaf Caisse nationale dans sa mission de trésorerie, dans un contexte économique marqué par de fortes incertitudes.

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale. – La commission des comptes de la sécurité sociale a présenté hier une actualisation des comptes. Depuis deux ans se sont multipliés les retournements de tendance dans l’évolution des situations économiques ainsi, par voie de conséquence, que dans les prévisions, d’autant qu’on sous-estime en général ces retournements.

Depuis la présentation du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, il y a eu d’abord une révision à la hausse des prévisions de croissance pendant la discussion au Parlement, où elles sont passées de 6 % à 6,25 %, la hausse de la masse salariale prévue passant, elle, de 6,2 % à 6,4 %. Avec le retour des restrictions sanitaires en début d’année et la dégradation du contexte international, les prévisions de croissance pour 2022 ont été revues à la baisse, à 2,5 %, conformément au consensus des économistes en juin. Pour la sécurité sociale, le principal déterminant des recettes est la masse salariale. Or, celle-ci devrait croître non plus de 6 %, mais de 8,3 %. Cela s’explique par deux facteurs : l’emploi reste bien orienté, et l’inflation se reflète dans l’évolution des salaires. Les comptes 2021 ont aussi été revus favorablement, parce que les recettes ont été meilleures que prévu.

En 2022, la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) devrait reprendre 40 milliards d’euros de dette, ce qui réduira notre besoin de financement : celui-ci passera, en moyenne, de 64,8 milliards d’euros en 2021 à 40 milliards d’euros environ en 2022 du fait de cette reprise de dette et du déficit anticipé de quelque 17 milliards d’euros en 2022. Pour l’instant, nous trouvons facilement des financements car les liquidités sont abondantes et les taux directeurs négatifs. Au premier semestre, nous avons pu emprunter à – 0,6 %. La révision des prévisions de déficit en 2021 et 2022 n’a qu’un impact modéré sur notre besoin de financement. C’est en mars 2022 que celui-ci a été le plus élevé, à 58 milliards d’euros, et nous devrions finir l’année autour de 19 milliards d’euros.

Ce qui conduit à revoir l’analyse de notre besoin de financement n’est pas tant la révision des hypothèses économiques que la situation de notre déficit, qui reste élevé en 2021 et 2022, et l’évolution des conditions de financement, avec la remontée prévisible des taux d’intérêt. Notre hypothèse était qu’en 2022 l’Urssaf se financerait à – 0,4 % sur les marchés. Pour l’instant, nous avons fait mieux, puisqu’au premier semestre nous étions à – 0,6 %. Au deuxième semestre, nous devrions faire moins bien, entre – 0,2 % et 0 %, car la Banque centrale européenne (BCE) devrait remonter ses taux à partir de juillet. Cela devrait réduire les gains que la sécurité sociale réalise – paradoxalement – sur ses emprunts, qui se sont élevés en 2021 à 270 millions d’euros. En 2022, la dette diminuant et les taux revenant vers la neutralité, nous avons prévu 125 millions de produits financiers, mais nous devrions plutôt être à 100 millions d’euros. En fait, à ce stade, l’impact de la remontée des taux restera modéré, et se verra surtout au second semestre et en 2023 – mais il faut rester prudent sur les prévisions, car on sous-estime toujours les retournements de tendance.

Nous devrions toutefois retrouver un univers de taux positif en 2023. La dette recommencera donc à nous coûter, mais il est difficile de dire combien, d’autant que, avec l’inflation, les taux réels continueront à être négatifs, et l’encours se dévaluera progressivement. Outre le coût de la dette, nous devons veiller à sa liquidité. Nous trouvons facilement des financements aujourd’hui, car les liquidités sont abondantes, même si les investisseurs commencent déjà à se montrer plus prudents, notamment sur les titres à long terme. Tout dépend, en fait, de l’évaluation que font les marchés de la capacité de notre pays à rembourser ses dettes, telle qu’elle est reflétée par les notes que nous donnent les agences spécialisées. Pour l’instant, Fitch et Moody’s nous donnent la même note qu’à la France, avec un point de vigilance sur la dette de long terme. Dans un contexte économique incertain, un émetteur public est une valeur de refuge. Mais en cas de choc imprévu, la liquidité peut se retreindre brutalement, comme cela s’est produit en mars 2020, où nos besoins de financement sont devenus d’un coup difficiles à satisfaire. Nous devons donc identifier les mesures permettant de réduire notre exposition aux chocs sur les marchés financiers. Nous sommes actuellement contraints par le fait que nous ne pouvons recourir qu’à des titres de court terme, c’est-à-dire de moins d’un an, à la différence de l’agence France Trésor.

M. Philippe Mouiller. – Merci pour cette présentation. Vous avez surtout parlé des taux d’intérêt et souligné l’avantage pour nos dettes des taux négatifs, mais le véritable enjeu est surtout le moyen d’orienter l’évolution de ces dettes. Certes, la situation de l’emploi génère de bonnes recettes, mais en matière de dépenses, les perspectives ne sont pas bonnes. Le stock de dette reste important, et des questions fondamentales se poseront en 2023 sur la santé et les hôpitaux. La cinquième branche, très récente, est déjà en déficit. Les recettes de CSG attendues pourront-elles suffire ? Pourriez-vous nous donner des perspectives sur la manière de financer nos besoins en 2023 ? L’évolution des taux ne saurait être le seul paramètre retenu : vous nous parlez de centaines de millions d’euros quand nous parlons de milliards d’euros ! Les représentants du ministère, comme vous-même ce matin, donnent le sentiment de ne pas trop s’en faire parce que les taux d’intérêt sont toujours négatifs. Nous nous préoccupons davantage du solde de notre dette, et des enjeux financiers des années à venir.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – La Cour des comptes n’a pas été en mesure de certifier les comptes de l’activité de recouvrement pour 2020 et 2021. Elle estime que l’imputation à l’exercice 2021 des régularisations des réductions de cotisations sociales dues au titre de l’exercice 2020 par les travailleurs indépendants a conduit à une sous-estimation du déficit du régime général en 2021. Pourquoi les Urssaf n’ont-elles pas imputé les versements en cause à l’exercice 2020, comme le demandait la Cour ? Quel est le niveau des déficits cumulés du régime général, actuellement supportés en trésorerie par l’Urssaf Caisse nationale ? La détérioration prévisible de la situation financière du régime général, qui devrait faire suite, entre autres, à la revalorisation de 4 % des pensions et des minima sociaux au 1er juillet, vous inquiète-t-elle ? À quel taux l’Urssaf Caisse nationale emprunte-t-elle actuellement ? La hausse progressive des taux d’intérêt vous fait-elle craindre une dégradation de votre capacité d’emprunt ?

Mme Monique Lubin. – Vous avez parlé de la difficulté de faire des prévisions. L’actualité vous donne raison, puisque nous avons appris hier que le déficit de la sécurité sociale pour 2022 serait finalement moindre que ce qui était prévu.

Mme Catherine Deroche, présidente. – De 17 milliards d’euros seulement…

Mme Monique Lubin. – J’ai l’impression qu’on utilise beaucoup des prévisions qui, comme disait un Président de la République beaucoup cité en ce moment, font ensuite pschitt…

Le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat va être discuté prochainement au Sénat. Il comporte un certain nombre de mesures qui vont priver les caisses de sécurité sociale de recettes dont elles ont absolument besoin. La mode est à la désocialisation et à la défiscalisation, ce qui est tout de même paradoxal quand on connaît les besoins de financement de nos comptes sociaux… Qu’en pensez-vous ?

M. Yann-Gaël Amghar. – Je suis désolé si mon propos a eu l’air excessivement émollient sur la situation financière, ou trop ciblé sur la question des taux d’intérêt. Je me suis focalisé, comme je pensais y être invité, sur l’impact attendu des taux sur nos conditions de financement. Bien sûr, ce serait prendre le sujet par le petit bout de la lorgnette que de croire que la seule question est celle de l’évolution des taux d’intérêt et des conditions de financement de la dette sociale ! J’ai d’ailleurs également insisté sur la capacité de la sécurité sociale à se financer au quotidien, rappelant qu’en 2020 nous avons été confrontés à un choc exceptionnel, soulignant l’importance de cette question de la liquidité.

Dans vos questions, beaucoup d’éléments sont de nature politique, et relèvent des choix qui doivent être faits. L’amélioration des comptes repose essentiellement sur une amélioration des recettes, qui reflète le rebond de l’économie. Quant aux dépenses, elles correspondent aux prévisions, ou les dépassent, notamment pour la branche maladie.

Nous ne sommes pas prévisionnistes, d’autant qu’une partie de l’évolution des dépenses dépendra d’arbitrages politiques. Mais l’élément nouveau, pour les années qui viennent, sera l’impact du retour de l’inflation sur les comptes sociaux, avec la double question de savoir à quelle vitesse l’inflation se répercute sur les salaires, et sur nos dépenses. Cela dépendra du rythme de revalorisation des prestations, de la manière dont on revalorisera plus ou moins rapidement les déterminants des dépenses de santé, de l’évolution du point d’indice de la fonction publique, des honoraires correspondant aux prestations médicales, des tarifs des produits de santé… Il peut y avoir un effet spontanément bénéfique de l’inflation sur les comptes sociaux si l’inflation se répercute plus vite sur les salaires que sur les prestations. Mais on voit bien en ce moment, avec le projet de loi sur le pouvoir d’achat, que, si l’inflation repart trop vite, les rythmes normaux de révision des prestations peuvent être politiquement difficiles à maintenir.

Pour l’instant, nous observons une bonne tenue des recettes. Nos enquêtes sur le niveau de la masse salariale, des embauches, ou sur le niveau des impayés en fin de mois, ne laissent pas prévoir, à ce stade, de difficultés nouvelles : mois après mois, nous constatons une amélioration des impayés par rapport à la situation qui prévalait pendant la crise. En fait, on observe plutôt une bonne résistance de l’économie française, qui a été le principal vecteur de redressement des comptes sociaux. Mais dans la durée, il y aura des arbitrages politiques à prendre sur le rythme de prise en compte de l’inflation et donc la répartition de l’effort entre recettes et dépenses.

Mme la rapporteure générale m’interroge sur la certification des comptes et sur la manière dont nous avons traité les régularisations opérées en 2021 sur les cotisations des travailleurs indépendants. Il s’agit donc du rattachement de ces régularisations à un exercice ou à un autre. Les travailleurs indépendants bénéficient d’un système de cotisations provisionnelles sur la base du dernier revenu connu, avec une régularisation l’année suivante lorsque le revenu est définitivement connu, comme pour l’impôt sur le revenu.

Nous avons appliqué la norme comptable, définie notamment par le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP) dans le recueil des normes comptables applicables aux établissements publics, qui prévoit que ces régularisations soient rattachées à l’exercice relatif aux déclarations de revenus, c’est-à-dire à l’exercice au cours duquel on connaît les montants régularisés. Ce sujet a donné lieu à de nombreux travaux, qui ont montré qu’il était impossible de prévoir avec suffisamment de robustesse l’ampleur de ces régularisations. Nous n’avons fait qu’appliquer les normes comptables en intégrant les régularisations l’année où leur montant est connu avec certitude. L’Unédic, qui reçoit les recettes correspondantes, a vu ses comptes certifiés sans réserve par ses commissaires aux comptes, alors que la question aurait pu se poser vu l’avis de la Cour des comptes… Nous avons eu une divergence avec la Cour, qui n’a pas voulu tenir compte de cette norme comptable, alors que celle-ci s’impose à nous.

Nous portons actuellement 40 milliards d’euros de déficits cumulés des régimes sociaux. Comme je l’ai dit tout à l’heure, en 2022, la Cades doit reprendre 40 milliards d’euros de dette. Notre besoin de financement sera donc allégé en fin d’année à 19 milliards d’euros environ.

Au premier semestre, nous nous sommes financés à – 0,6 %. Pour le second semestre, nous espérons nous financer entre – 0,2 % et 0 %.

Aussi, sur l’année, on devrait être entre – 0,3 % et – 0,4 %, en cohérence avec les prévisions que nous avions faites en début d’année. Après, nous sommes dépendants des décisions de la BCE, et nous pourrions nous retrouver avec des taux positifs en fin d’année.

Madame Lubin, vous m’interrogez sur l’impact des mesures de pouvoir d’achat. Pour l’instant, seule l’exonération de cotisations des indépendants a vocation à être compensée. La question porte sur la pérennisation de la prime de pouvoir d’achat. Il s’agit d’une rémunération désocialisée, ce qui entraîne une substitution de ce mode de rémunération aux augmentations de salaires soumis à cotisations.

Il y a donc évidemment un impact sur les finances sociales, mais cet effet est un peu neutralisé par le forfait social, 20 % en général, mis en place voilà dix ans.

Je ne suis pas en mesure aujourd’hui d’évaluer l’impact réel sur les finances de la mise en place de la prime, d’autant qu’elle prend le relais de dispositifs existants.

Mme Laurence Cohen. – Avec la réforme de l’assurance chômage mise en place par le précédent gouvernement, on a assisté à une augmentation de l’ordre de 48 % des radiations administratives depuis un an. Dans ces conditions, comment se féliciter de l’amélioration des comptes de l’Unédic ?

M. Yann-Gaël Amghar. – Madame la sénatrice, cette question n’entre pas dans mon champ de compétence. Je rappelle que les comptes de l’Unédic sont en dehors des comptes de la sécurité sociale. L’évolution du nombre de personnes indemnisées n’a donc aucun effet sur les comptes de la sécurité sociale.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous allons maintenant évoquer le rapport de la Mecss sur l’unification du recouvrement social. Si vous partagez le souci de sécuriser les déclarations, vous avez fait part de divergences d’analyse qu’il est bon d’évoquer aujourd’hui.

M. Yann-Gaël Amghar. – Je partage quand même beaucoup de recommandations faites par ce rapport, mais je veux revenir sur un certain nombre de points susceptibles d’avoir un impact sur la décision politique. Il faut toujours avoir en tête les objectifs que se sont assignés les pouvoirs publics avec cette réforme, c’est-à-dire la simplification et la sécurisation du recouvrement des cotisations sociales, ainsi que le contexte particulier que nous vivons depuis deux ans.

Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’à l’occasion de la crise de la covid, nous avons dû mettre en place des plans d’apurement massifs au profit des entreprises. Or nous avons des problèmes de visibilité sur la façon dont les entreprises ont négocié la régularisation de leurs créances de cotisations avec les autres organismes collecteurs, notamment l’Agirc-Arrco.

Le problème se pose aussi d’ailleurs pour des employeurs publics. J’ai eu à discuter avec un grand hôpital public confronté à une dette importante de cotisations sociales. Nous sommes partis sur un plan d’apurement particulièrement long. Je sais que cet hôpital devait avoir la même discussion avec la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et d’autres collecteurs. Or je n’étais pas en mesure de pouvoir avoir un échéancier et donc une prévision de sa trésorerie qui tienne compte des demandes de ces différents collecteurs.

Pour revenir sur les objectifs de la réforme, sachez que l’Urssaf a un taux de recouvrement d’un demi-point supérieur à celui de l’Agirc-Arrco. Le transfert du recouvrement représente potentiellement un gain de 400 millions d’euros pour les comptes sociaux, ce qui n’est pas négligeable.

La Caisse des dépôts et consignations traite des employeurs publics, qui, de manière générale, posent moins de problèmes en matière de recouvrement. La CNRACL, c’est chaque année une quinzaine de millions d’euros de cotisations récupérés.

Par ailleurs, il n’y a pas de corps de contrôle spécifiques comparables à celui de l’Urssaf dans les autres organismes collecteurs, ce qui veut dire que, concrètement, il n’y a pas de lutte efficace contre le travail dissimulé et que l’on n’est pas en mesure de rétablir les salariés intégralement dans leurs droits pour ce qui est des cotisations dont le recouvrement n’a pas été transféré.

Enfin, je pointerai une divergence de méthode quant à votre analyse sur les économies de gestion et le transfert d’agents. Vous considérez qu’il n’y a pas d’économies s’il n’y a pas de transfert massif de personnel, alors que les réaffectations de salariés en interne se substituent à des recrutements.

Votre rapport souligne des difficultés, et je les reconnais. Néanmoins, il faut reconnaître que le chantier entrepris depuis trois ans est considérable. Nous avançons de manière pragmatique et nous serons bientôt en mesure de percevoir les bénéfices des travaux en cours.

M. René-Paul Savary, rapporteur. – Vous n’avez pas relevé d’absurdités dans le rapport, ce qui est plutôt rassurant… À la dimension technique du sujet, nous avons en effet voulu adjoindre une dimension politique.

Vous nous dites que le recouvrement unifié est plus simple. Ce n’est pas notre avis. Il nous a semblé que les apports étaient relativement faibles par rapport à ceux que l’on avait déjà constatés avec la mise en place de la déclaration sociale nominative. Il y a sans doute des gains supérieurs à attendre de l’unification du recouvrement. Vous avez évoqué un gain potentiel de 400 millions d’euros… Sur 81 milliards d’euros de cotisations au total, cette somme doit être relativisée, même si elle n’est certes pas négligeable.

Vous nous dites que l’Agirc-Arrco ne peut procéder à des contrôles sur pièce et sur place, mais que ne le faites-vous pas ? La loi permet aux Urssaf, depuis 2006, de contrôler les cotisations de retraite complémentaire dans le cadre de ses contrôles sur pièce et sur place.

Il nous importe que le travail soit bien fait et que le lien entre cotisations et droits soit assuré. À cet égard, une fiabilisation à la maille nominative, et non pas agrégée, est indispensable à terme. C’est fondamental dans un régime contributif par points. Aussi, il nous apparaît raisonnable de décaler d’un an le transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire du privé. En effet, la réforme des retraites ayant été annulée, ou à tout le moins reportée, il n’y a pas d’urgence en la matière. Je rappelle que 20 millions de personnes sont concernées et qu’il convient donc d’agir avec prudence.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. – Mon collègue rapporteur a dit l’essentiel.

Je veux rappeler qu’une telle réforme a un impact direct sur la vie des gens. Nous avons eu une approche politique du sujet. Nous n’avons pas fermé la porte aux évolutions, mais nous estimons qu’il faut prendre tout le temps nécessaire. Nous sommes attachés à la maille nominative, qui permet seule de calculer à l’euro près les droits à prestations individuels, acquis par les assurés.

M. Yann-Gaël Amghar. – S’agissant du travail dissimulé, nous assurons un contrôle, mais simplement pour les cotisations relevant de l’Urssaf. On ne peut pas le faire pour les organismes complémentaires car les textes d’application n’ont jamais été pris.

M. René-Paul Savary, rapporteur. – Vous pourriez quand même informer les organismes complémentaires des anomalies détectées dans le champ des régimes de base !

M. Yann-Gaël Amghar. – Nos contrôles permettent de récupérer 700 millions d’euros, mais le travail dissimulé représenterait entre 7 milliards et 10 milliards d’euros de cotisations non recouvrées.

L’Urssaf a la possibilité de faire du contrôle sur place, contrairement à l’Agirc-Arrco. Le contrôle viendra s’il y a un transfert de collecte.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. – Rien ne vous empêche de vous mettre d’accord avec l’Agirc-Arrco pour contrôler les cotisations de retraite complémentaire. Je ne comprends pas !

M. Yann-Gaël Amghar. – Aujourd’hui, vous ne pouvez pas tirer des conséquences d’un redressement Urssaf sur les cotisations Agirc-Arrco. C’est le salarié qui est pénalisé.

Je suis, comme vous, attaché au lien entre cotisations et droits. Pour cela, il faut avoir une connaissance à l’euro près des salaires. C’est l’objet de nos contrôles.

En termes techniques, nous sommes prêts pour procéder au transfert du recouvrement dès 2023, mais cela relève, bien entendu, d’une décision politique.

Mme Corinne Imbert. – Concrètement, en quoi, demain, le contrôle Urssaf aura-t-il un impact sur le recouvrement des cotisations Agirc-Arrco ?

Mme Raymonde Poncet Monge. – Pouvez-vous préciser vos chiffres sur les manques à gagner des cotisations liés au travail dissimulé ?

M. Yann-Gaël Amghar. – Madame Imbert, le transfert à l’Urssaf de la collecte des cotisations de retraite complémentaire permettra d’aller jusqu’au bout de la procédure de contrôle. Nous disposerons des taux applicables à chaque salarié ; l’inspecteur chargé du redressement pourra donc adresser à l’entreprise observations et mises en demeure et l’Urssaf recouvrer l’ensemble des sommes redressées. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas exercer cette faculté faute d’information sur les taux spécifiques aux retraites complémentaires.

Madame Poncet Monge, nous évaluons entre 7 et 10 milliards d’euros les pertes de cotisations dues au travail dissimulé, par des méthodes statistiques ; la somme de 700 millions est le produit des redressements effectués l’an dernier : on n’attrape que 10 % du travail dissimulé !

M. René-Paul Savary, rapporteur. – Vous avez su transformer votre métier par une meilleure prise en compte des difficultés des entreprises et de leurs salariés. Lors de la crise, l’Urssaf a su faire un effort en ce sens, sauvant un certain nombre d’entreprises, alors que ce n’était pas du tout sa vocation à l’origine.

En matière de recouvrement unique, tout le monde convient d’une chose, de la Cour des comptes au Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) : il faut parvenir à une meilleure fiabilisation des données individuelles. Vous évoluez vous-même sur cette question. Seulement, pour que le recouvrement unique marche, il faut convaincre ; or nous n’avons pas encore trouvé de partenaires sociaux convaincus par cette démarche. Des guichets uniques, comme la Mutualité sociale agricole (MSA) ou l’Agirc-Arrco, ne souhaitent pas renoncer à leur activité de recouvrement. Il est beaucoup plus compliqué de changer les choses pour des organismes qui marchent que pour ceux qui ne fonctionnent pas. On n’est donc pas à un an près ! Vous êtes sur une bonne voie, mais il faut prendre le temps de convaincre. Telle est notre position ; nous attendons de connaître celle du Gouvernement.

Mme Catherine Deroche, présidente. – M. Amghar n’étant pas membre du Gouvernement, il ne pourra hélas ! nous répondre sur ce point… Je le remercie cependant pour ces échanges qui nous ont permis de clarifier certaines choses, notre commission ayant toujours entretenu de bonnes relations de travail avec l’Urssaf Caisse nationale.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation video qui est en ligne sur le site du Sénat.

Application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et situation et perspectives des comptes sociaux – Examen du rapport d’information de la Mecss

Mme Catherine Deroche, présidente. – Notre rapporteure générale va maintenant nous présenter le rapport d’information de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 et sur la situation et les perspectives des comptes sociaux.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – Mon propos s’inscrit dans la continuité des échanges que nous venons d’avoir avec M. Amghar, que je remercie d’avoir mis de nombreux éléments à notre disposition. Comme lui, j’estime qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

La Mecss a pris l’habitude de confier au rapporteur général de notre commission le soin d’élaborer au printemps un rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale. Nos travaux ont connu cette année un léger décalage du fait des élections. Cette démarche est très justifiée, puisque ce n’est pas au moment où nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l’année suivante que nous avons le temps de nous pencher sérieusement sur la gestion passée.

Pour autant, le rapport que je vous présente aujourd’hui est le dernier du genre. En effet, dès l’année prochaine, il prendra une coloration législative, dans le cadre de l’examen du premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), relatif à l’année 2022. Nous serons alors invités à faire suivre nos constats d’un vote sur ce projet de loi.

Pour l’heure, nous n’examinerons qu’un rapport d’information, divisé en deux parties. Je ferai d’abord un point sur la situation financière de la sécurité sociale, en vous précisant que la tenue très tardive de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) n’a pas facilité cet examen. Je vous dresserai ensuite un premier bilan de certaines mesures emblématiques de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, en sachant que certaines d’entre elles ne sont applicables que depuis quelques mois.

S’agissant des comptes de la sécurité sociale, le verre est à moitié vide ou à moitié plein, suivant la façon dont on les examine : à moitié vide, car le déficit enregistré en 2021 reste considérable – 24 milliards d’euros – sur le périmètre de l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), soit le troisième plus fort déficit de l’histoire de la sécurité sociale ; à moitié plein, si l’on considère, d’une part, que ce résultat est bien meilleur que la prévision inscrite dans la LFSS pour 2021 – 34,9 milliards d’euros – et, d’autre part, qu’il constitue aussi une amélioration spectaculaire de quelque 15,7 milliards d’euros par rapport à celui de l’année 2020, qui s’élevait à 39,7 milliards d’euros.

Pour autant, la Cour des comptes nous invite à fortement tempérer ce constat. En effet, elle a refusé de certifier les comptes de la branche recouvrement, considérant que les produits de l’année 2020 sur les travailleurs indépendants étaient minorés de 5 milliards d’euros et que ces mêmes produits étaient majorés du même montant au titre de l’année 2021. L’amélioration réelle du résultat de la sécurité sociale serait donc de 5,7 milliards d’euros et non de 15,7 milliards !

Je prends acte de ce constat en le tempérant toutefois à mon tour, en complément des critiques formulées tout à l’heure par M. Amghar : en 2020, la branche vieillesse avait bénéficié d’un produit tout à fait exceptionnel de 5 milliards d’euros, à savoir l’encaissement de la soulte de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, ou « soulte Cnieg », que gérait le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Au bout du compte, il me semble donc qu’on peut estimer l’amélioration structurelle entre 2020 et 2021 à environ 10 milliards d’euros.

Cette évolution peut être expliquée par la seule progression des recettes, bien plus forte que ce qui était anticipé, à hauteur de 25,6 milliards d’euros. La reprise, plus vigoureuse que prévue, explique cette performance. On relèvera en particulier le dynamisme de la masse salariale, en croissance de 8,9 %, contre 6,2 % en prévision initiale.

En face, les dépenses affichent elles aussi une forte hausse, bien que moindre que celle des recettes : 15 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la prévision initiale, cet écart étant très concentré sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).

Même si le solde est globalement favorable, on peut difficilement nier que les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale ont été bouleversées en cours d’exercice. Toutefois, tout comme en 2020, cela n’a pas donné lieu au dépôt d’un texte rectificatif ou même à une simple consultation du Parlement. Espérons que l’entrée en vigueur du nouveau cadre organique, le 1er septembre prochain, changera ces habitudes lorsque cela sera nécessaire.

Les branches accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP), famille et autonomie ont retrouvé le chemin de l’équilibre l’année dernière. Pour ces branches, la crise de 2020 a été essentiellement marquée par une baisse des recettes et le fort rebond de celles-ci en 2021 a suffi à les faire repasser dans le vert.

La branche vieillesse reste, pour sa part, dans le rouge, avec un déficit de 1,1 milliard d’euros ; un solde dégradé reste à prévoir en raison des évolutions démographiques.

La branche maladie apparaît comme la branche malade, anémiée, de la sécurité sociale. En 2021, son déficit reste considérable : 26,1 milliards d’euros. Conjoncturellement, l’Ondam a progressé de 8,6 % en 2021 pour atteindre 239,8 milliards d’euros, soit une hausse de 8,6 % par rapport à 2020, année où l’Ondam avait déjà progressé de 9,4 %. Par rapport à la prévision initiale, l’écart est de 14,4 milliards d’euros, dont 13,9 milliards au titre de la réponse à la crise sanitaire. Surtout, il est difficile d’envisager une perspective de retour à l’équilibre de la branche, même à moyen terme, notamment du fait des effets pérennes du Ségur de la santé.

Je ne dirai qu’un mot sur 2022 : sous une forme amoindrie, cet exercice suit la même tendance que 2021, à savoir un solde meilleur que la prévision, avec un déficit de seulement 16,8 milliards d’euros au lieu de 20,4 milliards. Là encore, la hausse prévue des dépenses – 12 milliards d’euros – serait plus que compensée par un fort dynamisme de la masse salariale et donc des recettes, qui augmenteraient de 15,6 milliards d’euros. La reprise de la croissance a eu un impact très favorable sur les comptes sociaux, mais les effets de la nouvelle crise inflationniste ne sont pas encore visibles.

Au bout du compte, même avec ces assez bonnes nouvelles, l’endettement de la sécurité sociale reste préoccupant. En particulier, le plafond de 136 milliards d’euros de reprise de déficits par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) que nous avons voté en 2020 sera certainement saturé avant la fin de 2023. Dès lors, la question de la reprise de tout déficit futur et d’une nouvelle prolongation de la Cades finira immanquablement par se poser. Il reviendra donc aux pouvoirs publics, Gouvernement et Parlement, de formuler des choix dès cet automne, dans le cadre du prochain PLFSS et de la loi de programmation des finances publiques. L’évolution de la croissance et des recettes sera un élément important, mais la maîtrise des dépenses, en particulier des branches maladie et vieillesse, pourra difficilement être mise sous le tapis.

Après ces constats financiers, je veux évoquer la mise en œuvre de plusieurs mesures de la LFSS pour 2021, sous le contrôle des rapporteurs de branche, à savoir la mise en place de la cinquième branche, l’allongement de la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, et le lancement du plan de désendettement et d’investissement des hôpitaux.

S’agissant de la création de la branche autonomie, je pense que nous sommes en quelque sorte à mi-chemin.

Certes, il n’y a pas grand-chose à redire sur la mise en place technique de cette branche. La LFSS pour 2021 a adapté les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) afin d’en faire un véritable gestionnaire de branche. Ainsi, la caisse a désormais pour rôle de veiller à l’équilibre financier de la branche autonomie ; de piloter et d’assurer l’animation et la coordination des acteurs participant à la mise en œuvre des politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées et handicapées ; de contribuer au financement de la prévention de la perte d’autonomie, des établissements et services sociaux et médico-sociaux, des prestations d’aide à l’autonomie des personnes et des proches aidants, de l’investissement dans le secteur ; de contribuer à l’information des personnes et de leurs proches aidants en créant des services numériques facilitant leurs démarches ; de contribuer à la recherche et à l’innovation dans le secteur ; enfin, de contribuer à la réflexion prospective sur les politiques de l’autonomie et de proposer toute mesure visant à améliorer la couverture du risque. Cet organisme reçoit beaucoup de missions importantes, mais il va falloir lui donner les moyens d’agir !

Par ailleurs, le Gouvernement a publié les textes nécessaires à l’adaptation du fonctionnement et de l’organisation de la CNSA à l’univers de la sécurité sociale, en particulier au travers de l’ordonnance du 1er décembre 2021 relative à la mise en œuvre de la création de la cinquième branche du régime général de la sécurité sociale relative à l’autonomie. Jean-René Lecerf a été élu à la présidence du conseil de la CNSA au premier semestre de cette année. Ancien sénateur, ancien président du conseil départemental du Nord, M. Lecerf a été, pendant plusieurs années, le président de la commission des finances de l’Assemblée des départements de France (ADF). Son expérience de longue date d’élu local et national lui confère une véritable expérience des politiques d’autonomie dans toutes leurs dimensions et le respect des spécificités de la branche autonomie. Enfin, le conseil d’administration de la CNSA a approuvé, le 14 mars dernier, la convention d’objectifs de gestion qui lie la CNSA à l’État pour les cinq années à venir. D’un point de vue technique, la mise en place de la nouvelle branche est donc réussie.

En revanche, cette mise en place n’a pas été l’occasion de répondre aux lourds enjeux financiers auxquels la nouvelle branche devra faire face sous l’effet du vieillissement de la population, ce que nous ne pouvons que regretter. Comme Philippe Mouiller le sait bien, les sujets d’autonomie et de ressources de la branche sont donc encore largement devant nous.

S’agissant du congé paternité, l’article 73 de la LFSS pour 2021 a allongé la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant de onze à vingt-cinq jours et de dix-huit à trente-deux jours en cas de naissances multiples. Il a également rendu obligatoire pour le père ou le concubin de la mère le bénéfice, d’une part, du congé de naissance, à la charge de l’employeur et d’une durée minimale de trois jours, et, d’autre part, d’une période de quatre jours de congé de paternité, immédiatement consécutive au congé de naissance. C’est donc durant une période totale de sept jours que les pères doivent désormais cesser de travailler à la naissance ou à l’adoption de leur enfant.

Cette réforme avait pour ambition d’accroître le taux de recours au congé de paternité, qui s’était stabilisé, depuis son instauration en 2002, au niveau de 67 %. Ce taux global plutôt élevé dissimulait toutefois une distribution hétérogène selon la situation socioprofessionnelle des assurés éligibles. Par exemple, le taux de recours au dispositif des pères en contrat à durée indéterminée était de 22 points supérieur à celui des pères en contrat court.

Cette réforme du congé de paternité est entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Elle n’a donc pas encore connu d’année pleine d’application et le bilan reste à ce stade difficile à dresser.

D’un point de vue budgétaire toutefois, la CCSS indique que l’allongement du congé de paternité a induit une hausse des dépenses d’indemnités journalières liées au congé de paternité de 95 millions d’euros en 2021, soit une augmentation de 41 % par rapport à 2020. Une baisse des recettes, qui se chiffrerait entre 50 et 100 millions d’euros, est également notée. Cette hausse du coût financier du congé paternité laisse présager un recours accru au congé qu’il n’est cependant pas encore possible d’objectiver précisément.

Selon les premiers chiffres communiqués, qui demandent encore consolidation ainsi que nous l’a mentionné la direction de la sécurité sociale, le nombre de congés de paternité aurait sensiblement crû, de l’ordre de 47 %, entre le second trimestre et le troisième trimestre de l’année 2021. De même, 62 % des pères ayant bénéficié d’un congé au troisième trimestre auraient choisi la durée maximale de vingt-cinq jours. Ces premiers éléments sont donc positifs. Le coût constaté de la réforme en 2021 serait néanmoins inférieur, et ce d’au moins 65 millions, à la prévision indiquée dans l’étude d’impact annexée au PLSS en 2020. Il serait donc possible que cette réforme n’ait pas encore atteint les objectifs ciblés.

Quoi qu’il en soit, tout juste un an après l’entrée en vigueur de cette réforme, il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Il conviendra dans les mois qui viennent de suivre l’évolution du nouveau dispositif, à mesure que des chiffres consolidés nous parviendront. Une fois que nous aurons le recul nécessaire, il serait tout à fait intéressant que la Mecss se penche spécifiquement sur cette réforme du congé paternité, si, bien entendu, tel est le souhait du rapporteur de la branche famille.

S’agissant enfin du plan d’assainissement de la situation financière et d’investissement des établissements de santé, je me suis attachée à la mise en place concrète de ce plan et non plus à l’origine des fonds – même si je regrette une nouvelle fois que 13 milliards d’euros de ce plan proviennent de la Cades, qui n’est pas faite pour cela.

Les éléments que j’ai obtenus m’amènent aux constats suivants.

En matière de gouvernance, les agences régionales de santé (ARS) sont très orientées par l’échelon central pour ce qui concerne le volet « désendettement » – ou « assainissement de la situation financière afin de recréer une capacité d’investissement » –, dont 80 % sont décidés au niveau national. Je le rappelle, ce volet devait à l’origine porter sur l’intégralité du plan, soit 13 milliards d’euros représentant environ un tiers de l’endettement total des établissements. Néanmoins, cette proportion a été ramenée à 6,5 milliards, à savoir environ un sixième de la dette des hôpitaux en LFSS pour 2021. Et les sommes correspondantes sont versées aux établissements sur une durée de dix ans.

En somme, si cela va dans le bon sens, on peut se demander si le rythme de ces apports permet vraiment de soulager les établissements éligibles à la hauteur de leurs besoins, comme l’a souvent observé Mme Raymonde Poncet Monge lors des entretiens que j’ai menés. Les établissements hospitaliers peuvent-ils véritablement investir de nouveau ?

À l’inverse, pour ce qui concerne les investissements, à partir d’un cadre fixé par circulaire ministérielle, les agences disposent d’une assez large autonomie de décision en matière de choix des projets.

Il y a donc des nuances dans les choix qu’ont pu faire les ARS que j’ai entendues : ainsi, si la dimension de structuration de l’offre de soins sur un territoire est très présente dans la politique de l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes ou des Pays de la Loire, elle l’est un peu moins dans celle de l’ARS d’Île-de-France, qui met en revanche un accent particulier sur les projets liés à la psychiatrie.

En revanche, il apparaît clairement que les enveloppes du plan permettent aux agences de débloquer des projets en attente, qui ne pouvaient jusque-là être soutenus faute de moyens, malgré leur aspect parfois structurant – je pense, en particulier, aux hôpitaux de proximité. De ce fait, la plupart des choix de projets ont pu être menés sur un rythme rapide.

Des interrogations demeurent cependant, tant sur la capacité des agences à soutenir des projets qui apparaîtraient dans un second temps que sur la capacité des établissements à tenir le budget de leurs projets, dans un contexte d’évolution sensible du coût de la construction. De même, la capacité des entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) à mener de front l’ensemble des projets des établissements n’est pas garantie.

Enfin, et cela sera ma principale conclusion, le volet « investissement » de ce plan, qui n’était pas prévu à l’origine, a été rendu indispensable par des années de sous-financement. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2020 avait cruellement relevé que 83 % des établissements publics de santé consacraient moins de 3 % de leurs produits courants de fonctionnement à l’investissement courant en 2018, ce qui est unanimement considéré comme un seuil critique afin d’éviter la vétusté des installations existantes. C’est une réalité souvent soulignée par Laurence Cohen.

Ce sous-investissement chronique doit nous interroger sur les méthodes de régulation de l’Ondam puisque, pour tenir une enveloppe au sein de laquelle des montants moins contrôlables (soins de ville…) se révèlent dynamiques, l’investissement hospitalier peut apparaître comme une variable d’ajustement commode et indolore… jusqu’au moment où l’élastique craque et nécessite un plan d’urgence.

Notre commission a déjà proposé que l’investissement fasse l’objet d’un sous-objectif spécifique, dont le Parlement pourrait adopter le montant en prévision et en exécution. Cette demande me semble plus pertinente que jamais.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Merci de ce rapport dynamiquement présenté.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. – Merci de cet exposé pédagogique sur un sujet aussi complexe. Cette complexité a été relativement bien maniée par les différents gouvernements pour pouvoir soit atténuer les tendances, soit adresser éventuellement un signe plus négatif lorsque des efforts sont attendus. Comme vous l’avez souligné, le pilotage de la CNSA se met en place. Mais, concrètement, force est de constater qu’il n’y a pas de grands changements ! Nous étions favorables à ce pilotage, notamment parce que nous souhaitions donner voix aux collectivités, aux départements et aux associations. Pour autant, nous demeurons dans un centralisme clair : les orientations sont décidées au niveau ministériel. Le pilotage est tellement encadré qu’il en perd tout son sens.

Concernant les aspects financiers, vous avez évoqué la tendance actuelle de la branche. Des recettes sont attendues pour 2024 en matière de contribution sociale généralisée (CSG), mais ne nous leurrons pas. Nous avons transféré à cette branche des recettes et des missions existantes sans régler les difficultés sous-jacentes. Par ailleurs, un certain nombre de financements ne sont pas compensés par la CNSA aux départements, notamment pour les personnes âgées ou handicapées. Ce sont donc les départements qui s’endettent. De plus, la situation budgétaire de la grande majorité des établissements médico-sociaux est mauvaise. Elle sera peut-être même en fin d’année catastrophique au regard des charges en matière d’énergie et d’alimentation !

Si la situation affichée de la branche autonomie ne semble pas trop mauvaise aujourd’hui, c’est uniquement grâce aux départements et à des déficits reportés sur les comptes des établissements.

Quant à l’avenir, je rappelle que l’estimation des besoins financiers s’élève à 16 milliards d’euros pour 2030 : 10 milliards pour la branche personnes âgées et 6 milliards pour la branche handicap. Sans parler des enjeux relatifs à la scolarisation et à l’emploi des personnes handicapées ! Le chantier est donc immense, mais aucune perspective n’a été tranchée sur les financements de demain. Allons-nous suivre l’avis de la CNSA concernant une augmentation de la CSG ? Allons-nous transférer une partie des allocations ? Bref, nous demeurons dans un flou artistique. Nous savons seulement que la situation ne reflète pas la réalité comptable et financière de l’exercice. On évalue les besoins, mais absolument pas les recettes !

M. René-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse. – Soyons également attentifs à la branche vieillesse. Le déficit de 1,1 milliard ne paraît certes pas énorme, mais la situation qui s’améliorera jusqu’en 2023 va ensuite se dégrader de nouveau, avec des prestations de plus en plus inférieures au niveau moyen des salaires. Je rappelle que le pouvoir d’achat des retraités va s’amenuisant au fil des années. Par ailleurs, le Ségur de la santé creuse le déficit au niveau de la branche maladie, mais apporte des recettes pour la branche vieillesse ! L’interprétation globale est donc toujours délicate d’autant qu’en changeant les règles avec la cinquième branche, cela laisse de la place au système des vases communicants !

Ce qui m’interpelle, c’est que nous enregistrons une hausse des recettes plus importante que l’augmentation des dépenses liées à la crise. Pour autant, nous sommes incapables de combler le déficit ! Comment allons-nous nous en sortir ? Les besoins sont réels, les hôpitaux sont sous-financés, mais nous sommes toujours incapables de réduire le déficit, y compris lorsque nous bénéficions de recettes supplémentaires. La remise à l’équilibre de nos comptes sociaux n’est donc pas une évidence.

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. – La branche famille est excédentaire, rien de nouveau sous le soleil. La question du congé paternité se pose. Il conviendra effectivement d’analyser la réalité du recours à ce congé.

Concernant l’équilibre global des comptes, on sous-estime toujours les effets de la conjoncture – je pense à l’augmentation des recettes. Sans bouder notre plaisir, s’agit-il d’une tendance de long terme ? Va-t-elle se prolonger avec l’inflation ?

Concernant les branches elles-mêmes, nous aurons des débats intéressants lorsque nous auditionnerons Jean-René Lecerf, président du conseil de la CNSA. Selon moi, les décisions sont encore trop souvent centralisées. Or la CNSA sera amenée à prendre de l’ampleur, surtout si nous examinons la fameuse loi Autonomie qui est annoncée. La question de la proximité des décisions par rapport au terrain, du dialogue avec les départements, mais aussi de la transparence des décisions sera l’un des défis à venir pour la branche autonomie.

En ce qui concerne la branche vieillesse et la branche maladie, il va falloir faire un effort sur la question des retraites. Nos concitoyens, vivant plus longtemps, devront peut-être aussi travailler plus longtemps. Quoi qu’il en soit, soyons lucides : ce n’est pas parce que nous aurons résolu le problème des retraites que nous aurons réglé la question du déficit des comptes sociaux !

Le problème majeur est celui de la branche maladie. Or les propositions restent toujours timides. Il conviendra sans doute de nous interroger sur l’organisation d’un système dont on vante trop souvent les mérites. Est-il réellement pertinent ? Certains pays qui dépensent moins bénéficient d’une meilleure organisation, preuve que tout ne dépend pas des moyens. Nous allons devoir nous attaquer à cette branche qui représente le gros du déficit des comptes sociaux – et non les retraites ! La dialectique des moyens nous empêche d’aborder courageusement la question structurelle de l’organisation.

Mme Monique Lubin. – Je salue le rapport élaboré par Élisabeth Doineau. Je m’interroge sur la décision récente du Gouvernement de déconjugaliser l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Cette déconjugalisation était déclarée impossible jusqu’au mois de mars dernier. Quid des conditions générales du texte ? Tout cela pèsera lourdement sur les comptes sociaux…

Mme Laurence Cohen. – Je me joins au concert des louages : cet exercice ingrat a été rendu plus pédagogique et plus accessible grâce au travail de notre rapporteure générale.

Au regard du budget de la sécurité sociale, qui s’élève à plus de 400 milliards d’euros, un déficit de 24 milliards d’euros ne semble pas grand-chose. Je suis toujours frappée, en revanche, que l’on ne remette jamais en cause le déficit des recettes. L’accent est toujours mis sur les dépenses, le Gouvernement envisage d’augmenter la CSG, mais personne ne s’interroge jamais sur les cotisations : or les nombreuses exonérations sociales constituent un manque à gagner important.

Ma deuxième remarque porte sur la création de la cinquième branche. Cathy Apourceau-Poly a parlé hier d’une coquille vide. Je partage cette analyse. Nous plaidons pour que l’autonomie soit prise en charge par l’assurance maladie. La vieillesse est un phénomène naturel. Cette impression de fuite en avant valide le choix de notre groupe.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. – Merci de cette présentation claire et pragmatique. Côté branche maladie, j’ai retenu deux mots : malade et anémiée, il ne reste plus qu’à préparer la perfusion ! Faut-il être fataliste et considérer que notre système de santé peut se le permettre ? Quid de la question de la reprise de la dette par la Cades ? Va-t-on encore augmenter le plafond ? Si les taux d’intérêt augmentent, cela nous coûtera cher. Nous avons eu la chance d’avoir un Ondam en forte augmentation l’année dernière. S’agit-il d’une question d’organisation ? Certainement un peu, mais c’est surtout une question de responsabilisation de chacun. L’espérance de vie en bonne santé n’évolue pas beaucoup ; compte tenu de la démographie, les dépenses de santé augmentent. En reviendra-t-on au « quoi qu’il en coûte » ? J’attends avec impatience le prochain PLFSS. D’habitude, on nous proposait un coup de rabot sur le médicament et un coup de rabot sur l’hôpital. Or je n’imagine pas aujourd’hui que l’on puisse donner un coup de rabot sur l’hôpital : ce serait fatal. On demandera donc certainement un effort au médicament…

Avant d’être sénatrice, je pensais que pour contrôler le déficit, il suffisait de tout remettre à plat, de s’interroger sur nos moyens et de fixer des priorités par rapport aux objectifs. Mais on voit bien que l’on ne contrôle plus rien. Le déficit de la branche maladie est équivalent à celui de l’ensemble des régimes de base de sécurité sociale, c’est historique. Je n’ai ni remède ni cocktail de perfusion à proposer pour que le système aille mieux.

Mme Raymonde Poncet Monge. – On manque d’une vision intégrée des cinq branches. On prend trop l’habitude de les examiner une par une. Or il faut aussi mesurer l’impact des décisions que nous prenons sur les autres branches. René-Paul Savary a rappelé que le Ségur de la santé avait été une bonne chose pour la branche vieillesse, mais pas pour la branche maladie. Est-ce une bonne idée de reculer l’âge de la retraite à soixante-cinq ans quand l’espérance de vie en bonne santé n’avance plus ? Pour travailler, il faut être valide !

Par ailleurs, en retardant l’âge de départ à la retraite, on améliore certes le solde de la vieillesse, mais on détériore celui de l’invalidité ainsi que les chiffres du chômage. Il va falloir revoir toute cette dialectique et repenser notre système de sécurité sociale dans son intégralité. Un audit sur cette question me paraît nécessaire. Idem pour l’autonomie : tant qu’il n’y aura pas de prévention en ce sens dans les autres branches, la branche autonomie aura toujours besoin de recettes supplémentaires pour faire face à la dégradation. Peut-être faudrait-il recenser toutes ces interactions dans un tableau synoptique ? Ce serait un point d’étape nécessaire si l’on souhaite réorganiser le système.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – Toutes ces observations participent à la cohérence du rapport. La situation est effectivement compliquée. On a souvent tendance à remettre à plus tard les décisions. Peut-être faut-il sortir les investissements d’avenir des hôpitaux de l’Ondam général ? Les choix opérés auparavant, on s’en rend compte aujourd’hui, ont été préjudiciables en matière de rénovation. Nous vous avons présenté un tableau illustrant la courbe de l’Ondam, avec deux bulles représentant les deux années difficiles que nous avons traversées durant la crise. Ces deux bulles se détachent totalement d’une courbe qui était celle de nos prévisions et des constatations des années précédentes. Il faut donc repenser le système.

Je demanderai au président de la Mecss si un certain nombre d’entre nous – je pense notamment à Corinne Imbert – ne pourraient pas réfléchir sur la branche assurance maladie, parce que c’est là que se concentrent les difficultés.

Comme l’ont dit certaines de nos collègues, il faut, sur la question du financement, considérer l’ensemble : peut-on accepter un déficit ? Si oui, comment le financer ? Combien vaut un point de CSG ? Il faut tout examiner et se lancer dans une démarche prospective.

Mes chers collègues, je vous invite à rencontrer le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de votre territoire. Certaines ARS ont lancé de véritables plans d’investissement dans le secteur médico-social. Vous pourrez ainsi faire le point sur les programmes qu’elles ont pu mettre en œuvre grâce aux moyens du Ségur de l’investissement. C’est important pour la vie de nos territoires.

J’espère que nous nous donnerons l’occasion de réfléchir et de faire des propositions sur la manière de rebâtir nos analyses prospectives pour intégrer d’importants travaux dans nos hôpitaux. C’est la question qui nous préoccupe.

La réunion, suspendue à 11 h 00, est reprise à 11 h 15.

Variole simienne – Audition du professeur Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat, de MM. Bruno Coignard, directeur des maladies infectieuses, et François Beck, directeur de la prévention et de la promotion de la santé, de Santé publique France, et du docteur Clément Lazarus, représentant de la Direction générale de la santé

Mme Catherine Deroche, présidente. – Mes chers collègues, nous passons au dernier point de notre ordre du jour, consacré à la variole simienne.

J’ai souhaité que nous fassions un point ce matin sur l’état des connaissances sur cette maladie, sur l’évolution de la situation épidémique et sur les mesures prises ou envisagées par les autorités sanitaires, en particulier la vaccination.

Nous entendons ce matin le professeur Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat ; M. Bruno Coignard, directeur des maladies infectieuses, et M. François Beck, directeur de la prévention et de la promotion de la santé, de Santé publique France ; le docteur Clément Lazarus, adjoint à la sous-directrice Veille et sécurité sanitaire, qui représente la Direction générale de la santé (DGS).

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.

Je vous laisse la parole, professeur Lescure, pour commencer.

M. Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat. – Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais, pour ce qui me concerne, évoquer la situation clinique.

Nous avons affaire à une variole simienne qui, jusqu’alors, n’avait pas beaucoup dépassé les zones d’endémie. Il s’agissait essentiellement de zoonoses, les transmissions interhumaines étaient peu fréquentes. Elles concernaient surtout les chasseurs ou les enfants en contact avec les animaux porteurs du virus, principalement les rongeurs et les singes.

Cette infection virale à gros virus à ADN enveloppé, assez résistant en milieu inerte, provoquait, durant la phase virémique d’invasion systémique, des signes généraux tels que fièvre et syndrome pseudo-grippal. On assistait ensuite à l’émergence de lésions cutanées ou cutanéo-muqueuses, d’évolution monosynchrone, c’est-à-dire en une seule phase, qui duraient environ trois semaines avant de cicatriser une fois les croûtes tombées et qui pouvaient laisser des séquelles cicatricielles dysesthétiques.

Le pronostic de cette maladie en zone d’endémie est variable en fonction des régions et des sous-types viraux. Nous pensons que les données dont nous disposons ne sont pas forcément très précises s’agissant du nombre de patients touchés et du contexte de la zone d’endémie. Cependant, on considère que la mortalité est d’environ 30 % pour le sous-type viral évoluant en Afrique centrale et de 10 % en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, le sous-type viral qui s’est disséminé en dehors de la zone d’endémie est celui de l’Afrique de l’Ouest, dont la mortalité est moins sévère.

Depuis le mois de mai dernier, nous constatons une diffusion au-delà de la zone d’endémie. C’était déjà arrivé, mais il existe, cette fois, une particularité des modes de transmission, ce qui a un impact sur la présentation clinique. Aujourd’hui, et c’est inédit, la transmission interhumaine est assez dynamique dans une communauté particulière, la transmission se faisant essentiellement entre hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), dans un contexte de multipartenariat. Ces hommes sont en général jeunes et souffrent très peu de comorbidités. On retrouve des patients séropositifs au VIH, mais la plupart sont très bien contrôlés et ne présentent pas d’immunodépression. Nous n’avons pas de forme grave, parce que les patients, aujourd’hui, ne présentent pas de facteur de risque de gravité de la maladie, la population de malades ne comportant pas de personnes à risqus que sont les enfants, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées.

La particularité clinique de cette sortie de la maladie de sa zone d’endémie est probablement liée au mode de transmission : les lésions sont essentiellement, dans un premier temps, génitales ou périgénitales. Elles évoluent selon la chronologie classique, mais on voit régulièrement des évolutions atypiques, avec des récurrences proches de la première floraison : on a l’impression, cliniquement, que plusieurs éruptions cutanées sont possibles, ce qui n’est pas décrit dans la maladie en zone d’endémie et pourrait laisser envisager une physiopathologie différente ou de potentielles recontaminations. Par ailleurs, on note une plus grande fréquence des cas de rectites et de pharyngites, qui sont probablement liés aux modes de transmission et dont on ignore aujourd’hui les séquelles potentielles d’un point de vue fonctionnel.

Aujourd’hui, en France, Bichat et La Pitié-Salpêtrière font à peu près la même évaluation : la gravité est faible, mais, sur un panel de 500 patients diagnostiqués dans les deux hôpitaux, on compte plus de 25 hospitalisations, ce qui n’est pas totalement négligeable. Cependant, il convient de préciser que ce ne sont pas des hospitalisations en réanimation, qui grèvent le pronostic vital : il s’agit essentiellement d’atteintes oculaires, de kératites, d’atteintes rectales ou de surinfections bactériennes, lesquelles sont, sur la zone d’endémie, la principale cause de gravité, voire de décès, du fait d’un accès aux soins limité et d’un accès aux antibiotiques parfois restreint.

M. Bruno Coignard, directeur des maladies infectieuses de Santé publique France. – Je vais faire un point de situation épidémiologique, en m’appuyant sur un diaporama.

L’alerte initiale date de mai 2022. Elle a été émise par les autorités sanitaires de Grande-Bretagne, en vertu d’un système européen qui permet aux États membres et à ce pays d’échanger des messages d’information sanitaire de manière rapide. Ce message a été reçu par la DGS et Santé publique France le samedi 14 mai. Il faisait état de deux cas confirmés, chez une mère et un nouveau-né, d’infections à monkeypox, et d’un cas index, le conjoint. Surtout, ces personnes n’avaient pas voyagé ou été en contact avec des voyageurs. Ces cas dataient des 12 et 13 mai.

En date du 14 mai, les Britanniques rapportaient aussi quatre cas confirmés chez des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, qui n’avaient pas non plus voyagé ou été en contact avec des voyageurs. Cela plaidait donc très fortement en faveur d’une transmission autochtone sur le territoire britannique.

Ce message a été bien reçu par nos collègues de la DGS et par nous-mêmes. Nous avons tenu une première réunion le lundi suivant pour analyser ce signal atypique – les notifications précédentes concernaient toutes des importations, les malades ayant voyagé en Afrique.

Dans un second temps, le Portugal a aussi confirmé ses premiers cas. Au départ, il faisait état de syndromes infectieux similaires avec des lésions cutanées chez des homosexuels masculins, sans diagnostic étiologique – ils ont recherché la présence de monkeypox à la suite de l’alerte britannique.

Nous avons donc mis en place dès le 17 mai une surveillance renforcée : en plus de la déclaration obligatoire pour tous les orthopoxvirus, dont la variole, nous avons mis en place une définition de cas spécifique et une conduite à tenir, pour diffusion aux cliniciens qui déclarent ensuite ces cas et aux laboratoires.

Le premier cas français a été déclaré, après diagnostic au Centre national de référence (CNR), le 19 mai.

Le 4 juillet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur la base des données remontées par les pays, avait recensé plus de 6 000 cas, une très grande majorité d’entre eux – 4 920 – dans la région Europe. Selon l’inventaire du nombre de cas en Europe, établi en date du 7 juillet, sur la base des données corrigées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), les pays principalement concernés sont l’Espagne, l’Allemagne, la France, le Portugal, les Pays-Bas, l’Italie et la Belgique – je ne cite que les pays qui ont déclaré plus de 100 cas.

La courbe épidémique réalisée sur la base des mêmes données européennes montre une progression régulière. Il faut toutefois ne pas se fier à l’apparence de stabilisation, voire de décroissance au cours des dernières semaines : les délais de diagnostic sont, en moyenne, de sept jours. Par ailleurs, les délais de notification à l’ECDC peuvent varier suivant les pays. Les trois pays qui connaissent une hausse des nombres de cas sont la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Allemagne, qui ont des dynamiques un peu plus précoces et, surtout, beaucoup plus importantes qu’en France.

Le bilan que nous avons arrêté hier, mardi 12 juillet, à 14 heures, sur la base de nos données nationales – il sera mis en ligne après cette réunion – fait état de 912 cas confirmés recensés en France, dont 828 ont fait l’objet d’une investigation par nos équipes et celles des agences régionales de santé (ARS) et ont été décrits en date du 11 juillet.

Les adultes ont entre 19 et 84 ans, l’âge médian étant de 36 ans. Nous avons aussi 5 cas adultes féminins et 2 cas pédiatriques. Parmi les hommes dont l’orientation sexuelle est connue, 97 % sont des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et 75 % ont des relations multipartenaires, c’est-à-dire avec au moins deux partenaires rapportés dans les trois semaines précédant le début des symptômes. La plupart de ces malades ne sont pas capables d’identifier la personne qui les aurait contaminés.

S’agissant de la répartition géographique des 824 cas décrits au 11 juillet, l’essentiel – 517 – est diagnostiqué en région Île-de-France, mais le nombre de cas déclarés augmente de façon régulière en Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, sans doute aussi à la faveur des migrations estivales.

J’y insiste, les données des dernières semaines ne sont pas consolidées. Le délai de diagnostic médian est aujourd’hui de six jours ; il a beaucoup diminué. Quoi qu’il en soit, l’épidémie est encore active. La date de début des signes du premier cas était le 7 mai, et le dernier cas recensé dans ce bilan date du 7 juillet.

Pour ce qui concerne les principaux signes rapportés, 81 % des malades déclarent des éruptions génito-anales, 73 % une éruption sur une autre partie du corps, 78 % de la fièvre, 76 % des adénopathies et 37 % un mal de gorge ; 5 % sont immunodéprimés. Enfin, 211 malades, soit 26 %, sont séropositifs au VIH. Quant aux non-porteurs du VIH – au nombre de 403 –, soit 70 %, ils sont sous prophylaxie pré-exposition au VIH (PrEP).

Le délai médian de diagnostic est de six jours, mais il a diminué : il était de 13 jours en semaine 18, contre 4 jours aujourd’hui. Cela montre bien que l’accès aux tests est aujourd’hui beaucoup plus fluide qu’au tout début. Quelques hospitalisations ont été rapportées, comme l’a indiqué le professeur Xavier Lescure, pour la gestion de douleurs parfois intenses, quelques surinfections bactériennes et, parfois, des mesures d’isolement.

L’analyse est en cours. Je n’ai pas de données plus précises à ce stade, mais nous pourrons vous les communiquer ultérieurement. Aucun décès n’a été recensé parmi les cas français.

Pour conclure, les actions que Santé publique France mène aujourd’hui se déclinent sur plusieurs axes : surveillance-investigation ; contribution à l’expertise et lien avec la recherche, avec laquelle nous partageons nos données – nous avons des relations quotidiennes à l’échelon national avec les cliniciens, avec des équipes de recherche, notamment des modélisateurs, pour travailler sur la dynamique épidémique, avec l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes sur certains projets de recherche. Nous partageons nos données à l’échelon européen, toutes nos données de surveillance nationale alimentant les travaux du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, mais aussi avec l’OMS.

L’appui aux décideurs est quotidien : nous transmettons chaque jour à la Direction générale de la santé, depuis le 19 mai, des données sur les cas.

Les analyses sur le suivi des contacts sont en cours, pour voir, notamment, quelles sont leurs caractéristiques. Enfin, Santé publique France, dans son établissement pharmaceutique, participe bien évidemment à la gestion du stock des doses de vaccins et d’antiviraux et aux schémas logistiques d’approvisionnement.

M. François Beck, directeur de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France. – Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous parler des mesures de prévention qui ont été prises par Santé publique France. Elles l’ont été dans une logique de continuum avec les données que le docteur Coignard vient de vous présenter. En effet, les différentes mesures de prévention visent à cibler des populations. Il est donc très important pour nous de voir comment l’épidémie évolue et, en particulier, comment les profils des personnes atteintes évoluent.

Pour ce faire, nous avons pu nous appuyer sur le dispositif Sexosafe, qui existait à Santé publique France depuis 2016. Ce dispositif est à la fois un dispositif digital et un dispositif de terrain, à destination des milieux fréquentés par la communauté LGBT. Dès le 20 mai, nous avons pu, grâce à ce dispositif, publier un premier post sur les réseaux sociaux. Nous avons ensuite mis en place une foire aux questions (FAQ). Le 27 mai, un article est paru sur le site sexosafe.fr pour expliquer ce que l’on savait à ce moment-là sur la variole du singe.

Puis, au fur et à mesure, nous avons mis à disposition des acteurs de terrain, des ARS, mais aussi des associations, notamment celles qui sont en contact avec les différents lieux de consommation sexuelle, un certain nombre d’outils. Nous avons conçu des affiches, une fiche conseil dédiée aux personnels des établissements les plus concernés par la variole du singe, ainsi qu’un flyer pour diffusion dans les lieux de consommation sexuelle et, surtout, pour les marches des fiertés qui avaient lieu entre la fin du mois de mai et le début du mois de juillet dans de nombreuses grandes villes françaises. C’était très important. En parallèle, nous avons mené un certain nombre de campagnes sur les réseaux sociaux.

À partir de la mi-juin, nous sommes passés à une communication d’intensité plus forte, avec une campagne d’affichage plus soutenue dans les bars, restaurants et clubs gay ou gay-friendly, et une campagne digitale elle aussi plus intense. Celle-ci s’est appuyée sur les réseaux sociaux et les sites communautaires, notamment Komitid et Misterb&b, ainsi que sur les applications de rencontre, puisqu’il y avait là un fort enjeu – je pense, par exemple, à Hornet ou Grindr. Il y a ensuite eu un partenariat avec d’autres médias communautaires, notamment avec les radios Radio FG et G One Radio. Le cœur du message portait alors sur le repérage des symptômes, qui ont d’ailleurs pu évoluer au cours de l’épidémie, sur la conduite à tenir et sur la nécessité de faire appel à un professionnel de santé.

Le troisième temps de communication tournera autour du repérage des symptômes, mais aussi de la promotion de la vaccination depuis l’avis rendu par la Haute autorité de santé (HAS) et sur l’ouverture d’une ligne d’aide à distance, Monkeypox Info service. Nous poursuivons donc la campagne digitale, avec différentes adaptations.

Pour le terrain ont été conçus une affiche pour les lieux de vaccination, une nouvelle fiche conseil pour les personnels des lieux de convivialité, ainsi qu’un certain nombre de flyers évoquant la vaccination.

Pour ce qui concerne les populations autres que les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, nous sommes également en train de travailler à des fiches pour le site internet Vaccination Info service, lequel est destiné à la fois aux professionnels de santé et au grand public.

En termes de performance, notre campagne a réussi à atteindre de nombreuses personnes de sa cible, puisque nous avons recensé plus de 200 000 clics sur les bannières qui pouvaient apparaître sur des sites ciblés – ce geste de l’internaute pour aller vers l’information que nous lui proposons constitue, du reste, un indicateur très intéressant. Nous nous sommes appuyés sur plus de 300 établissements, ce qui a représenté à peu près un million d’occasions de voir les affiches que nous diffusions. Nous disposons d’un certain nombre d’autres indicateurs, sur lesquels je pourrai revenir.

Pour terminer, j’évoquerai Monkeypox Info service : cette ligne est ouverte tous les jours, de 8 heures à 23 heures, depuis aujourd’hui. C’est un dispositif extrêmement intéressant pour compléter toutes nos autres actions de prévention, puisqu’il permet aux personnes inquiètes d’avoir un interlocuteur tout de suite.

M. Clément Lazarus, adjoint à la sous-directrice veille et sécurité sanitaire, représentant de la Direction générale de la santé. – Pour ma part, je vous présenterai ce qu’a fait la Direction générale de la santé depuis le lancement de l’alerte, l’esprit dans lequel elle travaille et les perspectives en termes de gestion.

Au préalable, je précise que la maladie, si elle s’appelle la variole du singe, n’est qu’un cousin de la variole. Elle a en outre peu à voir avec le singe. Elle a été découverte chez le singe, cet animal pouvant être hôte de cette maladie, mais le réservoir animal, ce sont plutôt les petits rongeurs. Sur ce sujet, nous travaillons avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et les autorités vétérinaires.

Je précise par ailleurs que la variole du singe n’est pas une maladie des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Si l’épidémie dans les pays de l’hémisphère Nord et en Europe est actuellement centrée sur cette communauté, elle peut se diffuser au-delà de ce cercle. Il faut le dire de manière très claire.

Nous avions l’habitude de voir ces dernières années des cas importés depuis les zones d’endémie, vers les USA, vers le Royaume-Uni, compte tenu de ses liens avec le Nigeria, vers Israël en 2018, Singapour en 2019. La fréquence des événements d’introduction est désormais plus importante, compte tenu de l’augmentation du trafic aérien mondial. Nous n’avions pas encore vu de circulations actives à large échelle, comme c’est le cas en France depuis le 19 mai.

Après la découverte de ce premier cas, nous avons mis en place une stratégie autour du risque épidémique et biologique (REB). Il s’agit d’une stratégie d’endiguement des premiers cas d’une maladie qui ne circule pas de manière autochtone dans notre pays.

La conduite à tenir consiste à mettre à l’isolement les cas durant 21 jours, à réaliser des investigations en aval pour trouver d’éventuels cas secondaires et en amont pour identifier les lieux et les circonstances de contamination, éventuellement pour les documenter et mettre en place des actions.

Il faut également avertir les cliniciens, via les Mars et les DGS-Urgent, mais aussi via la Coordination opérationnelle – Risque épidémique et biologique (COREB). Il s’agit d’une phase d’alerte et de sensibilisation. Peu de spécialistes en France ayant eu à connaître cette maladie, les médecins peuvent passer à côté du diagnostic. Un travail iconographique a également été réalisé pour permettre aux populations les plus ciblées de reconnaître les lésions.

On a mis assez rapidement en place une vaccination post-exposition des cas à risques. Alors que le premier cas a été identifié le 19 mai, que la Haute Autorité de santé a publié son avis le 24, nous avons pris un arrêté sur le fondement de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, car le vaccin américain bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis contre le monkeypox, mais pas en Europe. L’avis de la HAS a été complété le 20 juin pour préciser les indications chez les enfants et les personnes ayant été immunisées contre la variole lorsqu’elles étaient jeunes. Depuis le début de la vaccination, plus de 1 000 injections ont été réalisées.

Nous avons saisi plusieurs fois le Haut Conseil de la santé publique afin qu’il nous aide à élaborer et à diffuser des recommandations sur la conduite à tenir face aux cas et aux sujets contacts et aux personnes ayant un risque de développer une forme grave, sur les mesures de prévention et les gestes barrières spécifiques, et ce en concertation avec les associations.

La documentation des cas effectuée a permis de constater une circulation particulière chez les HSH multipartenaires, une localisation assez spécifique des lésions et les circonstances de transmission, très majoritairement des contacts très rapprochés.

La variole du singe n’est pas une maladie sexuellement transmissible au sens strict du terme, mais elle s’en approche.

L’enjeu est donc de passer à une gestion infectiologique classique, avec une forte composante de santé sexuelle et reproductive.

La prise en charge des cas était au départ centrée sur les établissements de santé de référence et les établissements habilités par les ARS pour la gestion du risque épidémique et biologique. La prise en charge a ensuite été ouverte à l’ensemble des services de maladie infectieuse. On commence à ouvrir la prise en charge en ville, dans les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), qui sont des centres dédiés à la santé sexuelle. Le premier réflexe doit être de consulter son médecin traitant, mais le 15 est aussi fait pour orienter les patients.

Les cliniciens ayant constaté que les lésions sont horriblement douloureuses, nous avons saisi les sociétés savantes compétentes afin d’envisager une prise en charge spécifique de la douleur. Nous sommes en attente de leur retour.

Maintenant que nous avons un tableau de la situation, nous n’avons plus besoin de documenter tous les cas et de tester tout le monde lorsque le diagnostic clinique est évident et que les diagnostics différentiels, notamment les IST, sont éliminés.

Cette maladie étant proche de la variole, les laboratoires ont besoin d’une autorisation particulière pour détenir ce type de prélèvement. L’ensemble des laboratoires P3 hospitaliers vont désormais pouvoir les traiter. Le Centre national de référence les assiste dans le déploiement de la technique de diagnostic. Selon la Société française de microbiologie, il est préférable d’en rester au niveau P3 compte tenu de la pathogénicité de cet agent. Toutefois, dans certains territoires ou certaines situations, il est possible d’autoriser les laboratoires de niveau P2 +. Nous travaillons sur cette question.

Nous travaillons d’ores et déjà avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) afin d’identifier les fabricants de tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) et d’évaluer les performances de ces tests. S’il était possible d’en mettre à la disposition des CeGIDD, cela faciliterait les diagnostics.

J’en viens à la vaccination préventive. Nous avons saisi la Haute Autorité de santé le 1er juillet, qui a rendu son avis le 8 juillet. La vaccination est recommandée dans trois indications principales : pour les HSH multipartenaires et les personnes trans multipartenaires, les gérants de lieux de convivialité avec consommation sexuelle, les personnes en situation de prostitution. La HAS a indiqué qu’elle ne retenait pas les soignants, mais que la vaccination de ceux qui sont particulièrement exposés était possible au cas par cas. Cette indication ne se fait pas au détriment de la vaccination post-exposition. La vaccination post-exposition est prioritaire sur la vaccination préventive.

Dès le 8 juillet, les ARS ont reçu l’avis de la HAS. Elles travaillent depuis à l’élargissement des centres de vaccination. Nous avons travaillé avec Santé publique France et l’ANSM pour organiser le schéma logistique et lever l’ensemble des freins techniques, notamment en ce qui concerne les conditions de conservation et de transport des vaccins.

Le dimanche 10 juillet, un nouvel arrêté a été publié afin de lever l’ensemble des freins réglementaires qui nous gênaient pour déployer la vaccination. Il n’est plus besoin de faire de rétrocession nominative depuis une pharmacie hospitalière pour vacciner, par exemple, dans les CeGIDD. Le vaccin ne figurant pas dans le calendrier vaccinal, les centres de vaccination ne pouvaient pas vacciner avec ce type de vaccin. Nous avons rappelé que les infirmiers pouvaient réaliser l’injection sur prescription médicale.

Aujourd’hui, plus de soixante-dix centres sont référencés, sur les sites des ARS et sur le site www.sante.fr/monkeypox. Les prises de rendez-vous ont débuté. Nous arriverons à une vitesse de croisière assez rapidement.

Je souligne que nous faisons partie des premiers pays à faire une vaccination préventive, avec le Royaume-Uni, le Canada et l’Allemagne. Il nous a fallu redimensionner les stocks prépositionnés dans les régions et nous travaillons sur la consolidation des circuits d’approvisionnement.

Je sais que vous allez m’interroger sur les stocks. Aussi, je vous indique d’emblée que le capacitaire et la composition du stock sont couverts par le secret-défense.

Mes collègues de Santé publique France ont beaucoup parlé de la communication, mais j’insiste sur le fait que nous avons un dialogue hebdomadaire et de qualité avec les associations, sur ce que nous faisons et sur les remontées du terrain. Un numéro vert – 0801 90 80 69 – est ouvert depuis aujourd’hui.

Vous le voyez, nous avons fait beaucoup de choses dans un temps restreint. Je rappelle que l’alerte a été lancée voilà un mois et demi.

Enfin, je tiens ici à rendre hommage aux équipes qui travaillent avec moi sur ce sujet. Elles sont totalement mobilisées, tard le soir, y compris le week-end. Soyez assurés que nous sommes totalement déterminés à lutter contre cette nouvelle épidémie. J’espère que tout ce que nous avons appris durant la crise de la covid nous servira pour gérer cette épidémie au mieux.

Mme Corinne Imbert. – Alors que le nombre de cas recensés est assez modeste, craignez-vous un emballement et une augmentation du taux de mortalité ? Craignez-vous que l’on puisse atteindre le taux de 10 % de l’Afrique de l’Ouest ?

Estimez-vous qu’il existe des cas asymptomatiques et non ou mal dépistés ? Quelles mesures sont prises pour favoriser le dépistage, en plus des TROD ?

Comment expliquer le petit décalage de la mise en place de la vaccination par rapport aux autres pays comme le Canada ou l’Allemagne ?

Nous avons bien entendu que les stocks sont couverts par le secret-défense, mais permettez-nous de vous interroger sur le stock dit « suffisant ». Vous dites que la vaccination post-exposition doit rester prioritaire, ce qui signifie qu’il va falloir gérer des stocks. La Haute Autorité de santé recommande deux injections à 28 jours d’intervalle, ce délai pouvant atteindre quelques semaines. Ce délai est-il une façon de gérer les stocks ?

L’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) aurait passé des commandes de vaccins. La France bénéficiera-t-elle de ces commandes groupées ou a-t-elle passé des commandes parallèles ?

Pouvez-vous nous donner des informations sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins ?

Le démarrage de la vaccination en Île-de-France semble difficile. Est-ce un problème de logistique ou un problème de stocks ? À quelle date les vaccinations seront-elles possibles dans les régions ?

Mme Florence Lassarade. – Existe-t-il un protocole pour la femme enceinte porteuse de lésions génitales ? Faut-il pratiquer systématiquement une césarienne ?

Quel est le délai d’efficacité de la vaccination ? Peut-on envisager la vaccination de la femme enceinte ?

Enfin, le vaccin contre le papillomavirus se diffuse-t-il ? Ce vaccin n’a-t-il pas été victime de l’épidémie de covid ?

M. Bernard Jomier. – Le discours de la Direction générale de la santé ne correspond pas exactement au déroulement des faits. Vous avez rappelé que le premier avis de la Haute Autorité de santé datait de la fin mai, date à laquelle l’Allemagne commandait 240 000 vaccins. Pour le moment, nous n’avons aucune réponse aux questions sur les commandes de vaccins. Nous sommes en retard par rapport aux autres grands pays concernés, comme d’habitude !

Pour évaluer la situation, nous avons besoin des prévisions des épidémiologistes. Or nous n’en avons pas. Les facteurs d’incertitude rendent-ils les prévisions trop complexes ?

Combien de vaccins sont disponibles pour la population générale ? On ne peut pas nous opposer le secret-défense sur le nombre de vaccins disponibles pour la population générale. Cela n’a rien à voir avec la sécurité nationale !

Quand avez-vous commandé des vaccins ? En quelle quantité ?

Un travail d’information a été fait avec un certain nombre d’associations, notamment communautaires, mais pourriez-vous nous en dire plus sur le dispositif d’information de la population ?

M. Xavier Lescure. – Je ne pense pas que le taux de mortalité dans notre pays atteigne 10 %, comme en Afrique de l’Ouest, où il est difficile d’estimer la létalité précise de la maladie. Santé publique France n’a pas recensé de décès dans les pays de la zone Nord, alors que 7 000 ou 8 000 cas sont documentés. Les patients touchés chez nous ne présentent pas de risques de développer une forme grave.

Cette réponse pourrait différer si l’épidémie se diffusait chez des personnes à risques de forme grave – les enfants, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées. Pour ces raisons, nous voulons éviter la diffusion de la maladie au-delà de la communauté actuelle.

Les circuits de dépistage et de diagnostic se mettent en place progressivement. L’offre au début était centrée sur les établissements de santé de référence, ce qui a provoqué un engorgement assez rapide, les cas étant surtout recensés en Île-de-France. Le déploiement d’autres centres a permis de réduire le délai de diagnostic. Enfin, aujourd’hui, un diagnostic est possible avec une approche clinique par des équipes expérimentées.

D’un point de vue sanitaire, nous ne sommes pas très inquiets, d’une part parce que la transmission interhumaine est très faible, d’autre part parce que nous disposons d’outils thérapeutiques curatifs, de traitements antiviraux dont l’efficacité semble assez puissante et la tolérance correcte. Je ne pense pas qu’il faille craindre une diffusion dans la population générale dans des proportions inquiétantes.

Pour les enfants, le tecovirimat est indiqué à partir de 13 kilogrammes de poids corporel, soit environ l’âge de 2 ans. Le brincidofovir est indiqué dès la naissance. Chez la femme enceinte, on peut utiliser les immunoglobulines.

Nous disposons de peu de données sur l’efficacité du vaccin antivariolique classique sur le monkeypox, mais elle est estimée à 85 %. On sait que la mémoire de la vaccination est stable et perdure longtemps.

M. Bruno Coignard. – La question des cas asymptomatiques n’est pas résolue pour l’instant. Nos collègues belges ont fait état de trois cas asymptomatiques ou paucisymptomatiques, mais on ne sait même pas si ces personnes étaient contagieuses. La recherche se poursuit sur ce sujet.

Nos collègues britanniques ont publié le 8 juillet un technical briefing dont les conclusions étaient très prudentes. Ils ne savent pas si nous sommes sur un plateau ou si le nombre de cas va encore augmenter. Le CDC effectue aussi des travaux de modélisation pour évaluer les stratégies de prévention, notamment vaccinales, mais il ne fait pas de projections. Nous devrions disposer de projections nationales dans un proche avenir, en tout cas je l’espère. J’attends les résultats des travaux des équipes de recherche avec qui nous collaborons sur ce sujet.

L’épidémie au Royaume-Uni a démarré avant la nôtre. Le premier cas en France date du 19 mai. Nous avons interrogé les données de surveillance syndromiques des services d’urgence et des services hospitaliers de manière rétrospective et nous n’avons pas identifié de cas de monkeypox avant le premier cas du 19 mai. En revanche, nous avons identifié une épidémie de varicelle ! L’épidémie en France est en outre de moindre intensité que celle qui est observée en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Espagne.

Pour éviter les sous-diagnostics, nous avons fait un gros travail d’information des cliniciens. Il faut également sensibiliser les patients afin qu’ils consultent. Si un patient ne consulte pas, on ne peut pas avoir connaissance de son cas.

M. Clément Lazarus. – Pour faciliter le diagnostic et le dépistage, les prélèvements peuvent être effectués par tous les laboratoires de biologie médicale, y compris en ville. Nous travaillons avec l’ANSM pour assouplir la réglementation applicable pour traiter et conserver les échantillons. Les laboratoires P3 de ville peuvent désormais les traiter. Il est envisageable d’aller plus loin là où il n’y a pas de laboratoire de niveau P3 afin de faciliter l’accès au diagnostic dans les territoires qui en auraient besoin. Il faut toutefois veiller à ne pas mettre en danger les personnels des laboratoires.

Les TROD ne sont pas encore accessibles sur le marché. Il nous faut trouver les fournisseurs et évaluer, dans le cadre d’un protocole de recherche, leurs performances.

Je précise que l’avis du 20 mai de la HAS, rendu public le 24 mai, ne traite que de la vaccination post-exposition, non de la vaccination préventive.

Ce qui est couvert par le secret-défense, je l’ai dit, c’est le capacitaire et la composition du stock dans le cadre du plan variole piloté par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on a un stock suffisant de vaccins contre la variole et pour engager la vaccination préventive et post-exposition.

La priorisation faite par la HAS est bien de nature médicale. Il est logique de prioriser les personnes ayant eu un contact à risque et présentant un risque immédiat de développer la maladie, avant la population présentant un risque potentiel.

Les stocks sont suffisants pour traiter ces indications. Des commandes complémentaires ont été passées aussitôt l’alerte lancée. Les livraisons ont eu lieu, d’autres sont programmées en août, en septembre et à la fin de l’année.

Nous avons destocké plusieurs milliers de doses des stocks stratégiques, notamment en Île-de-France. Plusieurs milliers de doses vont l’être à brève échéance. Les doses arrivent sur le terrain.

La pharmacovigilance relève de l’ANSM. Nous suivons la question avec Santé publique France, les vaccins étant destockés du stock stratégique de Santé publique France.

Les délais entre les deux doses de vaccin sont indicatifs et ne posent pas de problème médical. Ils offrent pour nous une souplesse logistique, mais comme pour n’importe quel autre vaccin.

Mme Catherine Deroche. – Vous dites que les stocks sont suffisants, mais avez-vous évalué la cible ?

M. Xavier Lescure. – Des chercheurs en sciences sociales ont des données assez précises. Au total, 120 000 personnes seraient concernées.

Mme Catherine Deroche. – Le fait de cibler certaines personnes ne risque-t-il pas de nous faire passer à côté de cas ? En outre, ce ciblage a un côté stigmatisant. Comment traitez-vous cet aspect en termes de communication ?

M. Bruno Coignard. – Nous avons bien caractérisé aujourd’hui la principale population à risque, les HSH multipartenaires, mais nous restons vigilants afin de détecter d’éventuelles modifications, notamment l’apparition de cas chez des femmes, des enfants ou des travailleurs du sexe par exemple.

Mme Laurence Cohen. – On a l’impression que vous maîtrisez tout, que vous avez tout anticipé, mais on ne dispose d’aucun chiffre. Nous sommes obligés de vous croire sur parole !

Il ne me semble pas que l’argument du secret-défense ait été invoqué dans le cadre de la pandémie de covid. Pourquoi l’invoquer pour cette épidémie ?

Vous avez dit que la variole du singe n’est pas une IST, mais qu’elle s’en approchait. Pourriez-vous nous donner des précisions ?

Aujourd’hui, soixante-dix centres de vaccination sont ouverts, mais disposeront-ils des doses nécessaires ?

La France est-elle en capacité de produire les vaccins ? Quels laboratoires les fabriqueront ?

Mme Véronique Guillotin. – Faisons-nous face à une endémie, une épidémie ou surveille-t-on uniquement des cas sporadiques ?

La maladie est transmise par le rongeur à l’homme. Cela suppose-t-il une morsure ? Des mesures de prévention pour les métiers exposés aux rongeurs ? La transmission interhumaine se fait-elle par contact ou par les secrétions génitales ? S’agit-il d’une IST ? Faut-il prévoir une prévention spécifique ?

Mme Mélanie Vogel. – J’ai moi aussi du mal à comprendre l’argument du secret-défense. On ne vous demande pas combien de vaccins sont stockés pour nous protéger d’une éventuelle attaque biologique qui mettrait en péril la sécurité nationale ! J’espère d’ailleurs que les vaccins utilisés ne réduisent pas nos capacités à nous défendre en cas de guerre biologique...

Pourriez-vous nous dire combien de doses vont être destockées dans les semaines et les mois à venir ? Le problème, c’est qu’il n’y a pas de rendez-vous disponibles dans les centres de vaccination. Si ce n’est pas un problème de stocks, comment expliquer cette situation ? À quelle échéance le problème sera-t-il résolu ?

Pourquoi la-France ne participe-t-elle pas aux achats groupés à l’échelle européenne ? Est-ce que cela a un rapport avec nos difficultés à assurer la vaccination ?

Quel est le niveau de protection contre la variole du singe des personnes qui ont été vaccinées contre la variole avant 1984 ?

Comment gérez-vous les contacts avec les patients à l’isolement, mais qui ne sont pas hospitalisées ?

Enfin, cette maladie n’est pas à proprement parler une IST, mais elle touche une communauté en particulier. Je m’inquiète des risques de stigmatisation. Une communication est-elle prévue sur ce sujet pour éviter des violences et des attaques contre cette communauté ?

M. Bruno Coignard. – Une IST stricto sensu est liée à un agent pathogène retrouvé dans les secrétions génitales. Quelques publications font état de la présence d’ADN viral dans le sperme, mais s’agit-il pour autant d’un virus infectieux ? Cela reste à prouver. La définition de l’Organisation mondiale de la santé est plus large : est considérée comme une IST toute infection qui se transmet lors de rapports sexuels non protégés, c’est-à-dire non protégés par un préservatif externe ou interne.

Si on qualifie le monkeypox d’IST, on va laisser penser que le port d’un préservatif protège de la maladie, ce qui n’est pas le cas. C’est une infection qui se transmet principalement par des contacts directs, de peau à peau, avec un patient porteur de lésions.

Ni le CDC ni l’OMS ne considèrent l’infection à monkeypox comme une IST, mais nous sommes tous d’accord sur le fait qu’elle peut se transmettre lors de rapports intimes entre personnes. De ce fait, ce n’est pas une maladie spécifique de la communauté homosexuelle masculine, même si elle est la principale population à risque. Nous restons vigilants sur la détection de cas qui se transmettraient dans les mêmes circonstances, mais dans d’autres populations.

Il s’agit clairement d’une épidémie, qui se concentre dans la population homosexuelle masculine, avec de rares cas chez des femmes et des enfants.

M. Clément Lazarus. – Le stock de vaccins antivarioliques a été constitué dans le cadre du plan national de réponse à une menace de variole, dit plan variole, piloté par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Le secret appartient donc à ce dernier. La divulgation d’informations couvertes par le secret-défense est punie de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d’amende.

Les vaccins de ce stock peuvent être utilisés, s’agissant du vaccin de troisième génération, contre le monkeypox. C’est ce que nous faisons. Nous les utilisons donc pour une autre indication que leur indication initiale. À ce stade, le stock est toujours couvert par le secret. Nous avons déstocké 7 500 doses et nous en déploierons 5 000 supplémentaires la semaine prochaine et la suivante. Nous poursuivrons cette démarche en fonction des besoins remontés par les ARS et au fur et à mesure des ouvertures des centres de vaccination. Nous organisons le schéma logistique associé en lien avec Santé publique France.

Nous rencontrons cependant des contraintes calendaires, cette semaine étant celle du 14 juillet, ainsi que des difficultés liées au manque de ressources humaines nécessaires pour la vaccination. Nous essayons néanmoins de monter en charge collectivement pour proposer une offre de vaccination satisfaisante et permettre aux personnes qui le souhaitent de se faire vacciner.

Il existait donc bel et bien des stocks de vaccins. En outre, plusieurs commandes ont été passées dès le début de l’alerte. Une livraison est arrivée et d’autres sont programmées. D’autres commandes sont à l’étude.

S’agissant de la commande européenne, la priorité a été donnée dans ce cadre aux pays dépourvus de stocks. La France disposant d’un stock, l’idée a été de faire preuve de solidarité à l’égard de nos partenaires européens. Nous nous efforçons, de manière générale, d’agir de façon pragmatique dans un cadre européen coordonné.

Selon un récent avis de la Haute autorité de santé, une seule dose de vaccin est nécessaire en cas d’antécédent de vaccination contre la variole. Toutefois, plus l’ancienneté de cette vaccination est importante, moins le niveau de protection associé est grand.

Des hospitalisations peuvent par ailleurs être décidées pour accompagner les personnes placées à l’isolement. Lorsqu’elles ont connaissance du cas d’une personne ayant du mal à s’isoler, les agences régionales de santé peuvent se charger de son suivi, en l’appelant plusieurs fois dans la semaine. Cette démarche doit être poursuivie, car un isolement de 21 jours est difficile à supporter. Ce paramètre est pris en compte et nous devons continuer à travailler sur ce point.

Le laboratoire concepteur du seul vaccin déjà homologué spécifiquement contre la variole du singe s’appelle Bavarian Nordic. Il s’agit d’un laboratoire danois doté de filiales en Allemagne, en Suisse et aux États-Unis. Ce vaccin est monodose et sa conservation comme son transport requièrent des températures spécifiques : – 80 °C pour le stockage et – 20 °C pour le transport. Nous ne pouvons nous abstraire du résumé des caractéristiques du produit (RCP) du fabricant. Nous étudions néanmoins, en lien avec Santé publique France et l’ANSM, toutes les marges de facilitation possibles en la matière.

M. François Beck. – Santé publique France a été très sensible, dès le début de l’épidémie, à la question des discriminations possibles à l’égard de la population LGBT. Les associations LGBT, avec lesquelles nous travaillons depuis longtemps sur le terrain, considèrent le site www.sexosafe.fr comme une référence.

Nous avons ciblé cette population dans notre communication, mais sans jamais l’évoquer, pour limiter au maximum les amalgames. De manière générale, notre objectif est de faire évoluer dans le bon sens les recommandations adressées à l’ensemble de la population.

M. Xavier Lescure. – Certains centres de vaccination référencés ne sont pas encore activés. La période est en effet compliquée pour lancer de nouvelles activités. Les centres de vaccination ont donc suscité de nombreuses déceptions, malgré la bonne volonté déployée par tous. De nombreuses personnes ont obtenu un rendez-vous à une date trop éloignée de celle qu’elles espéraient pour pouvoir passer un été festif.

De plus, nous rencontrons beaucoup de difficultés sur le terrain pour traiter en priorité la post-exposition, notamment pour les prises de rendez-vous effectuées sur le site Doctolib.

Par ailleurs, comme le soulignait Clément Lazarus, sans disposer de toutes les preuves nécessaires, nous avons un faisceau d’éléments sur la base duquel nous pouvons considérer, de façon pragmatique, qu’il est possible de parler d’IST. Les Anglais recommandent d’ailleurs le port du préservatif jusqu’à huit semaines après l’infection, et le virus a été détecté dans le liquide séminal. Il s’agit d’un virus très solide, que les virologues estiment infectant, et sa sémiologie semble indiquer une transmission par les rapports sexuels, au-delà des seuls contacts intimes au niveau cutané.

Il existe deux laboratoires focalisés sur la variole du singe, un danois et l’autre américain.

S’agissant du niveau de protection de la population, plusieurs études non publiées, notamment de séroprévalence, du laboratoire des virus émergents de Marseille indiquent qu’il s’établit aux alentours de 10 % en France. Ce pourcentage correspond à la proportion de personnes de plus de 50 ans qui ont été vaccinées contre la variole. Il existe donc une population cible non immune importante sur notre territoire.

Les difficultés rencontrées dans le cadre de l’isolement se constatent par ailleurs sur le terrain. Les difficultés liées au contact tracing accentuent la pertinence d’une vaccination en pré-exposition, pour essayer de contenir la dynamique du virus.

Enfin, s’agissant de la recherche sur la maladie, une cohorte européenne permettra prochainement de retracer son histoire naturelle en dehors de la zone d’endémie. Des discussions sont également en cours au plus haut niveau des organisations non gouvernementales (ONG) en vue de la programmation d’essais cliniques multi-pays.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Merci à tous.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation video qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 50.