Jeudi 16 juin 2022

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Audition de M. Jean Hornain, directeur général de Citeo

M. Stéphane Artano, président. - Nous poursuivons ce matin les auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins, dont les rapporteures sont Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.

Nous entendrons Jean Hornain, directeur général de l'entreprise Citeo, qui est un acteur majeur du recyclage et de la valorisation des déchets. Cette société s'engage fortement pour réduire l'impact environnemental des emballages et papiers utilisés en les transformant en de nouvelles ressources, et nous sommes curieux de découvrir ses actions dans les outre-mer compte tenu de son expertise reconnue.

Cette valorisation locale des déchets constitue en effet l'une de nos préoccupations principales, comme l'ont montré les précédentes auditions que nous avons organisées avec la Direction générale des outre-mer (DGOM), la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) et l'Agence de la transition écologique dite « Ademe », ainsi que nos tables rondes avec les associations environnementales et les acteurs économiques.

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Nos premières auditions ont mis en évidence le retard pris par les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) dans les outre-mer. C'est un constat global très largement partagé, dont les facteurs sont divers, même si les éco-organismes ont évidemment une grande part de responsabilité.

Citeo bénéficie d'une expérience importante, compte tenu de l'ancienneté des filières emballages et papiers et de la part de ces déchets dans nos poubelles.

Pourriez-vous faire un point précis sur la mise en oeuvre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi AGEC », du 10 février 2020 ? Le texte prévoit, en effet, que les éco-organismes ont l'obligation de prioriser leurs actions dans les outre-mer, dans le but de rattraper le retard accumulé. Où en sommes-nous, en particulier du développement des plans ad hoc de rattrapage en trois ans ? Le calendrier et les obligations sont-ils tenus ?

Qu'en est-il également du nouveau cahier des charges de la filière REP des emballages ménagers ? Alors qu'il a été révisé il y a quelques semaines, il fait l'objet d'un recours devant le juge administratif, car les missions accordées à Citeo soulèvent de nombreuses craintes, notamment de la part des collectivités territoriales. Ce cahier des charges prend-il en compte les spécificités des outre-mer ? Vous paraît-il adapté à leur situation particulière ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Monsieur le président, nous sommes heureux que vous puissiez assister à cette réunion en présentiel. Je salue également la présence du directeur général, qui pourra nous éclairer sur le retard pris par les filières REP dans les outre-mer. Lors des précédentes auditions, il est apparu qu'il restait difficile de faire émerger des filières locales de recyclage, rentables et bien dimensionnées.

Je souhaiterais que vous nous apportiez votre éclairage sur ce point qui est fondamental si l'on veut que nos outre-mer sortent de leur dépendance extérieure en matière de recyclage. Cet objectif mobilise toute l'attention de notre mission.

La question est-elle celle du financement ou relève-t-elle de l'ingénierie ? Quelles actions Citeo a-t-elle engagées pour développer des filières locales ? Nous avons noté qu'un appel à manifestation d'intérêt avait sélectionné dix-sept projets dans les départements et régions d'outre-mer (DROM). Quelle est la nature et l'ampleur du soutien, aussi bien financier que technique, apporté à ces projets par Citeo ?

Je m'interroge aussi sur la possibilité pour Citeo d'apporter un soutien financier au transport inter-îles des déchets. En effet, à l'échelon régional, la massification des volumes représente un enjeu considérable et le transport inter-îles un défi qui surenchérit largement les coûts de traitement.

L'entreprise Citeo a-t-elle envisagé cette solution, comme semble l'y inviter l'article 64 de la loi AGEC, qui dispose que « les éco-organismes exerçant leurs activités au sein de la collectivité de la Guadeloupe prennent en charge, le cas échéant, les coûts de transport des îles de Marie-Galante, la Désirade, Terre-de-haut et Terre-de-bas vers la Guadeloupe dite "continentale" » ?

À ce sujet, je tiens à insister sur la situation particulière de la Guadeloupe. Les trajets entre Marie-Galante ou La Désirade et l'île principale, considérée comme le continent par les jeunes, sont très longs avec des effets de courants maritimes impressionnants. Mes collègues Victoire Jasmin et Victorin Lurel pourraient en témoigner. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Jean Hornain, directeur général de l'entreprise Citeo. - Je suis accompagné de Thibault Boucher, conseiller aux affaires publiques, qui gère notamment les relations avec les élus, et de Philippe Moccand, directeur outre-mer de Citeo chargé des schémas des collectes et de tri.

Citeo est une entreprise à mission dont l'objectif est de réduire l'impact environnemental des emballages ménagers et des papiers graphiques. Nous exerçons cette mission depuis trente ans dans le cadre de la REP, qui oblige les entreprises mettant sur le marché des produits dotés d'un emballage à assurer la fin de vie de celui-ci par la réduction, par le recours au réemploi et par le recyclage. Citeo compte 30 000 entreprises réparties sur l'ensemble du territoire français. Ces dernières contribuent à cette mission quel que soit le matériau traité - le verre, l'acier, l'aluminium, le carton, les papiers, les résines plastiques -, et apportent un financement pour réaliser de l'éco-conception et de la mobilisation. Citeo passe des accords avec les collectivités territoriales, soit un peu moins de 700 avec des communautés de communes et des communautés d'agglomération. Notre spécificité est que nous intervenons financièrement auprès de ces acteurs. Notre activité est encadrée par un cahier des charges et, au sein de ces partenariats, les collectivités territoriales mettent en place les dispositifs qui permettent de collecter, trier et recycler les emballages ménagers.

S'agissant des outre-mer, nous intervenons à La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, territoires qui représentent environ 1,8 million d'habitants. Nous avons passé un accord avec dix-huit établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et nous sommes « en pourvoi », c'est-à-dire directement acteurs, dans trois territoires plus difficiles - deux en Guyane et un à Mayotte.

Viviane Malet a souligné, à juste titre, que les filières REP connaissaient des retards dans les départements et collectivités d'outre-mer (DOM-COM), comme le montrent leurs performances de collecte et de tri, elles-mêmes très disparates. Ainsi, la France collecte et trie en moyenne 50 kilogrammes d'emballages par an et par habitant, mais La Réunion seulement 25, la Martinique ou la Guadeloupe environ 15 et Mayotte 2, soit globalement le tiers de la performance de l'Hexagone.

Plusieurs facteurs d'explication peuvent être dégagés.

Tout d'abord, les filières REP ont été développées plus tard dans les outre-mer. Pour la filière REP emballages ménagers, La Réunion a commencé la première en 2003 et réalise d'ailleurs les meilleures performances, les Antilles ont commencé en 2010, la Guyane et Mayotte en 2015, contre le début des années 1990 pour le reste du territoire.

Ensuite, s'agissant de la mise en oeuvre de ces filières dans les DOM-COM, c'est le modèle appliqué dans l'Hexagone qui a été repris. Or celui-ci ne prenait pas nécessairement en compte les spécificités locales, insulaires ou territoriales, comme les cirques à La Réunion, les forêts immenses de la Guyane, et les différences de niveau de population - 800 000 habitants à La Réunion, 6 000 ou 7 000 à Saint-Pierre-et-Miquelon, peut-être 30 000 habitants à Saint-Martin.

Néanmoins, en ce qui nous concerne, des modalités particulières d'intervention ont toujours existé, notamment pour le soutien aux collectivités territoriales, différentes de celles qui sont en vigueur dans l'Hexagone.

Quels sont nos modes d'intervention ?

Le premier est le soutien à la tonne. Un EPCI collecte et trie des tonnes d'emballages ménagers et de papiers que nous payons ensuite selon un barème déplafonné, équivalant au double de celui de l'Hexagone. Nous incitons ainsi les collectivités territoriales à développer la collecte.

Le deuxième mode d'intervention est la reprise des matériaux, y compris en Guadeloupe continentale, dont vous avez souligné la spécificité. Nous assurons la reprise des matériaux et nous les envoyons dans l'Hexagone ou ailleurs.

Les plans d'actions territoriaux (PAT) sont un autre mode d'action que nous avons lancé en 2018. Ces PAT sont discutés et négociés avec les collectivités territoriales, l'Ademe et l'État. On en compte soixante, qui représentent une vingtaine de millions d'euros d'investissement. Ce sont des plans spécifiques de densification des points de collecte et de mobilisation des citoyens, auxquels les collectivités territoriales peuvent participer. En plus des soutiens à la tonne déjà évoqués, nous payons un montant par habitant, définis selon un barème standard, pour accompagner ces plans spécifiques.

Nous prenons aussi en charge des actions de communication spécifiques et nous bâtissons des plans de communication. Celui que nous venons de réaliser en Guadeloupe comporte une affiche publicitaire rédigée en créole. À La Réunion, nous avons passé un accord avec l'humoriste Titi le comik, que j'ai rencontré récemment. L'objectif est de réaliser des supports adaptés aux territoires.

Comme autre moyen d'action, nous lançons des appels à projets et des appels à manifestation d'intérêt (AMI), qui concernent la métropole et les DOM-COM. On peut citer celui sur le développement du réemploi du verre, pour lequel un acteur de La Réunion s'est porté candidat, ou celui sur la collecte solidaire et innovante, réalisé en partenariat avec l'Ademe, pour lequel quatre ou cinq projets viennent des DOM-COM.

Vous avez cité les appels à manifestation d'intérêt dédiés à la valorisation locale, sujet qui gagne en importance. En effet, y a-t-il encore un sens à collecter 12 000 tonnes de verre à La Réunion pour les stocker dans des conteneurs et les expédier ensuite en Afrique du Sud afin qu'elles y soient recyclées, ou bien à envoyer des cartons d'emballage depuis les Antilles ou la Guyane jusqu'en métropole ? Le bon sens voudrait que l'on reconnaisse l'existence de solutions de valorisation locale, qui ne sont pas toujours ce que l'on appelle du recyclage.

Prenons l'exemple du verre. Il y a quelques semaines, j'étais à La Réunion et, parmi les lauréats de notre appel à projets, figurait la société Sud Traitement Services (STS), qui produit un additif servant à la fabrication du béton à partir du verre réduit préalablement en poudre par ses soins. Dans la mesure où il existe un marché local, cette solution de valorisation du verre apporte une valeur ajoutée tout en évitant un bilan économique et environnemental médiocre, et cela par l'intermédiaire d'une entreprise locale prête à développer cette activité.

Les dix-sept lauréats de notre appel à manifestation d'intérêt, dont vous avez parlé, proposent des projets comparables, qui ont trait au carton, au verre ou aux plastiques. Il peut aussi s'agir de valorisation des combustibles solides de récupération (CSR). Certes, il existe une hiérarchie générale des modes de traitement des déchets, mais, dans les îles, si l'on tient compte de l'impact environnemental et de la valorisation énergétique, il n'y a guère de sens à mettre des emballages - même plastiques - sur des bateaux pour les envoyer vers l'Hexagone.

Nous voudrions encourager, dans ces territoires, les projets de valorisation énergétique CSR et éviter ainsi d'importer du charbon. Pour revenir à l'exemple de La Réunion, il existe un projet dans le sud de l'île.

Il faut un projet dans le nord de l'île : une unité de traitement de Suez gère les emballages et fabrique du CSR, mais l'envoie ensuite à l'enfouissement, dans une décharge déjà pleine, à des coûts prohibitifs ; j'aurai l'occasion d'évoquer par la suite la difficulté supplémentaire posée par la TGAP. Développer des unités de valorisation énergétique prend dès lors tout son sens.

Un dernier mode d'intervention, issu de la loi AGEC et des dispositions européennes, a trait aux déchets abandonnés. Notre responsabilité est d'aider les collectivités territoriales à développer des plans de prévention et de contribuer aux coûts de nettoiement, conformément à la loi qui s'appliquera sur l'ensemble du territoire en 2023 et qui s'applique déjà de manière rétroactive depuis 2021 dans les DOM-COM.

Afin de mobiliser les territoires d'outre-mer, j'ai signé, il y a quelques semaines, un projet avec Saint-Denis de La Réunion ; un autre est en cours de signature à Mamoudzou, à Mayotte, et d'autres sont en gestation pour les parcs naturels de Guadeloupe et de Guyane. Nous avons proposé par écrit aux maires et aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'intervenir pour collecter les déchets abandonnés via une convention-cadre.

Vous m'avez interrogé sur le bilan de la loi AGEC. Du fait de l'augmentation du soutien à la tonne, nous couvrons 100 % du coût de collecte et de tri, ce qui n'était pas le cas auparavant. La modification du cahier des charges de la filière responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les emballages ménagers est-elle adaptée à la situation des COM ? Les résines plastiques pour lesquelles nous ne disposons pas de solution de recyclage représentent un tiers du total, soit environ 100 000 tonnes ; les collectivités locales pourraient confier ces déchets aux entreprises agréées, afin d'accélérer le développement des filières de recyclage.

Les nouvelles dispositions n'ont pas de conséquence majeure pour les collectivités que nous soutenons toujours financièrement et dont nous reprenons les déchets. Les opérateurs de collecte et de tri, à l'inverse, via le recours qu'ils ont déposé, souhaitent que nous nous limitions à l'aspect financier. J'estime pour ma part que notre rôle est de soutenir les collectivités et de les inciter à développer des projets. Toutefois, les solutions n'adviennent pas par magie, par le seul marché, sans notre financement. Nous ne sommes pas un opérateur de tri et de recyclage.

Vous m'avez également interrogé sur les filières locales de recyclage. Il s'agit pour nous d'un élément majeur, comme j'ai pu l'illustrer avec les PAT et les AMI. Le soutien que nous apportons est non pas seulement financier, mais aussi technique. Nous facilitons la mise en oeuvre de projets au sein des collectivités, notamment en leur proposant un accompagnement à l'investissement.

En matière de financement et d'ingénierie, le cadre réglementaire et législatif prend en compte la spécificité des DOM-COM. Des améliorations sont sans doute possibles, mais la volonté politique est là. De fait, les moyens financiers ont été multipliés par trois.

La capacité d'exécution est cruciale ; les collectivités locales doivent être en mesure de mener les projets, grâce aux PAT, aux AMI et aux dispositifs de collecte des déchets abandonnés. Des difficultés d'organisation demeurent, par exemple lorsque plusieurs syndicats de traitement interviennent sur un territoire restreint, alors que leur mutualisation permettrait d'aller plus vite, même si cela peut être compliqué politiquement.

Nous avons sollicité les collectivités au sujet des déchets abandonnés : pour l'instant, malgré l'existence de financements et une indéniable volonté d'avancer, relativement peu de projets sont menés.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Quel accompagnement envisagez-vous pour éliminer les décharges sauvages, problème réel dans nos départements ultramarins ?

M. Jean Hornain. - Pour éviter l'abandon des déchets, nos premiers axes de travail sont la réduction à la source, voire la suppression des emballages et le développement de l'écoconception. Nous y oeuvrons en lien avec les entreprises.

Le second axe est le développement de la collecte. Il s'agit, avec le tri, du meilleur rempart. Nous menons un travail majeur avec les élus, qui sont responsables des dispositifs de collecte, que ce soit au travers des PAT ou des soixante projets de densification que nous conduisons.

Cela n'a pas uniquement trait au soutien à la tonne. Il faut créer dans nos territoires d'outre-mer le réflexe du tri, qui n'est pas encore constitué, pour des raisons diverses. À La Réunion, beaucoup d'habitants trient, mais leurs erreurs sont problématiques. Dans les Antilles, la motivation tout comme le dispositif demeurent absents.

Enfin, s'agissant des décharges sauvages, nous proposons aux collectivités qui ont un projet de prévention une convention type qui prévoit un soutien en euros par habitant. La mise en oeuvre est relativement simple.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Dans les décharges sauvages, tout est mélangé, or vous intervenez sur les emballages. Comment votre intervention peut-elle être efficace ?

M. Jean Hornain. - Les dépôts sauvages concernent rarement les emballages, mais plutôt des déchets du bâtiment ou de l'électroménager.

Nous avons visité les quartiers de Saint-Denis de La Réunion avec la maire de la ville, Ericka Bareigts, pour réfléchir à l'installation de poubelles, à la sensibilisation des employés municipaux aux sujets relatifs à la prévention et au repérage des lieux d'abandon de déchets. Si les emballages de la vie quotidienne sont notre spécialité, nous pouvons apporter notre expertise aux élus sur d'autres problématiques.

Au-delà de la propreté, les déchets abandonnés sont un enjeu sanitaire, en particulier à La Réunion et en Guadeloupe.

Mme Viviane Malet, rapporteure. - J'habite à Saint-Pierre de La Réunion. Trois boutiques se trouvent en face de chez moi : le lundi matin, entre les morceaux de verres, les bouteilles en plastique et les bouts de papier, le trottoir est couvert de déchets. Les collectivités pourraient-elles, à l'échelle du quartier, mettre en place des chantiers d'insertion, créateurs d'emploi et de formation, que vous pourriez financer ?

M. Jean Hornain. - Nous pouvons tout à fait mettre en place une telle convention type avec la collectivité.

Plus généralement, l'éducation à l'éco-citoyenneté est un vrai sujet : dans certains pays, l'abandon de déchets est sanctionné de manière plus appuyée. Nous intervenons dans les écoles via des associations : chaque année, 1,5 million d'enfants sont concernés sur l'ensemble du territoire. Nos opérations de sensibilisation sont notamment menées avec l'association Expédition 7e continent et le WWF. Le moindre déchet, y compris un mégot de cigarette qui se retrouve dans la nature, est un véritable drame pour l'environnement, dans les DOM-COM ou ailleurs.

Nous réfléchissons, avec l'éducation nationale, aux manières de renforcer les leviers d'éducation à l'éco-citoyenneté, pour en faire un sujet central au quotidien.

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Travaillez-vous aussi les bailleurs ?

M. Philippe Moccand, directeur de la collecte et du tri chez Citeo. - Nous travaillons avec l'ensemble des bailleurs, sur tout le territoire. Nos partenariats prennent la forme d'un triptyque : Citeo, collectivités locales, bailleurs sociaux.

M. Jean Hornain. - Nous sommes implantés localement, et chaque territoire est confié à un spécialiste. Un lien direct est ainsi entretenu avec les élus et le terrain. Nous avons parlé d'impulsion politique : il faut parvenir à une mobilisation générale. Les leviers existent, il faut s'en saisir.

M. Stéphane Artano, président. - Je salue les membres du groupe d'études « Économie circulaire », notamment sa présidente, Marta de Cidrac et son vice-président Didier Mandelli, présents en visioconférence, ainsi qu'Yves Détraigne, en présentiel.

Qu'en est-il du fléchage de la TGAP ?

M. Jean Hornain. - Je vais être direct. Il m'a été expliqué en long, en large et en travers qu'il était impossible de flécher la TGAP. Or, j'estime que cela devrait être possible, en particulier dans les territoires ultramarins.

Je suis plutôt favorable à l'augmentation de la TGAP, malgré les protestations que cela provoque. L'enfouissement doit être arrêté d'ici à une décennie ; or, dans nos territoires ultramarins, il demeure un mode majeur de traitement des déchets. Il faut développer des solutions de valorisation locale, en acceptant que le tout recyclage n'est pas une solution mais que la valorisation en est une, car elle permet d'éviter l'importation de charbon ou d'autres énergies fossiles. Selon les territoires, la hiérarchie de traitement des déchets doit être différente. Il faut accepter que la TGAP, dont le montant s'élève à plusieurs millions d'euros, puisse soutenir des solutions locales. Je suis conscient que c'est un sujet délicat, mais il serait logique que la fiscalité environnementale puisse servir à la transition écologique.

La tarification incitative permettrait d'encourager nos concitoyens à réduire la quantité de déchets ménagers. Cela fonctionne dans un certain nombre de collectivités, et je suis favorable à ce que ce soit appliqué dans les DOM-COM.

Il me semble que le Sénat est favorable au fléchage de la TGAP...

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Nous avons baissé son taux. À La Réunion, où règne le tout enfouissement, nous finaliserons l'année prochaine un projet d'unité de valorisation énergétique (UVE), mais l'augmentation de la TGAP nous semble peu incitative : nous souhaiterions la flécher vers les filières de recyclage sur le territoire. Pour l'instant, faute de solution de rechange, nous trouvons injuste l'augmentation de la TGAP.

M. Jean Hornain. - Je connais votre projet dans le sud de La Réunion : il en faut également un dans le Nord. L'usine de Suez, qui produit du CSR, l'envoie à enfouissement alors que celui-ci peut être valorisé. Il est difficile de monter une UVE dans le Nord alors que la TGAP augmente et que les décharges sont pleines, ce qui induit des coûts supplémentaires. Votre projet est un modèle : si vous pouviez exercer votre influence pour le dupliquer...

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Je pense qu'il n'y a plus qu'un projet en cours ; il devrait être mutualisé, afin de servir pour toute l'île. Il me semble qu'un accord en ce sens a été passé il y a quelques mois.

M. Jean Hornain. - C'est d'autant plus important que, en 2026, il sera demandé à tous les habitants de nos territoires ultramarins de mettre l'intégralité de leurs emballages dans le bac de tri. Cela intervient en décalage avec l'Hexagone, où le processus se terminera en 2023, et doit mener à la valorisation des éléments triés. Il ne s'agit pas seulement de recyclage, mais de réemploi local : j'ai cité l'exemple du verre, mais beaucoup d'autres ont émergé dans le cadre de l'appel à manifestations d'intérêt. Certains vont ainsi fabriquer de la paillette pour alimenter des unités de fabrication d'emballages plastiques.

M. Philippe Moccand. - L'objectif pour Citeo est de reproduire cet appel à manifestations, afin de faire émerger de nouvelles filières. Nous avons la chance que, parmi les 17 premiers lauréats, tous les territoires soient représentés et tous les matériaux concernés.

Comme Jean Hornain l'a expliqué, le plastique peut servir à faire de la paillette, mais également des films pour les filières locales, en particulier à La Réunion. Le carton sert surtout à fabriquer des boîtes alvéolées - boîtes d'oeufs - pour la filière alimentaire en Guyane, à Mayotte et à La Réunion, mais aussi à produire de la pâte à carton en vue de l'export et peut même être utilisé comme combustible dans des unités de CSR ou de valorisation énergétique.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Sur ce type de projets, quel accompagnement pouvez-vous apporter ?

M. Philippe Moccand. - Pour ce projet, nous avons défini deux types de parcours. Le premier : le parcours « développement », destiné à ceux qui nécessitent un accompagnement technique et une mise en relation avec des experts. Les premiers lauréats sont en ce moment même à Paris, où on les fait « phosphorer » pendant trois jours dans un incubateur avec des groupes d'experts. Ils sont formés sur le plan technique, mais aussi financier, afin de développer un business model qui puisse fonctionner à terme.

Second parcours, destiné à l'ensemble des candidats : l'étude de faisabilité, au cours de laquelle nous identifions les projets les plus viables pour les territoires. Nous accompagnons ensuite financièrement ceux qui ont été sélectionnés.

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Les contenants de certaines boissons ne pourraient-ils pas être standardisés ?

M. Philippe Moccand. - Votre question entre pleinement dans le champ de notre action pour le réemploi. Nous travaillons à La Réunion avec l'entreprise Réutiliz sur la réutilisation des petits flaconnages, mais aussi avec cette fameuse marque de bière Dodo, afin de densifier le réemploi et d'augmenter les capacités captées. On sait qu'un verre bien collecté, trié et nettoyé peut être recyclé pratiquement à l'infini : c'est notre objectif. Par ailleurs, le travail avec les metteurs en marché pour standardiser les contenants doit se développer.

M. Jean Hornain. - Revenons à l'exemple de la Dodo, dont le système de gratification est intéressant : en donnant quelques centimes aux personnes qui rapportent les bouteilles vides, ils parviennent à en collecter environ 70 %. Mais, spécificité de l'outre-mer, énormément de produits sont importés, de marques très diversifiées ; cela pose une limite à la standardisation.

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Mais ne serait-il pas envisageable, pour les boissons fabriquées localement - jus de fruits, limonade -, de développer les mêmes contenants que pour la bière Dodo ?

M. Philippe Moccand. - Pour vous répondre, je vais prendre l'exemple d'une autre boisson alcoolisée : dans les Antilles, nous avons travaillé avec plusieurs rhumiers pour standardiser les bouteilles, mais nous nous sommes heurtés à l'attachement des marques à leurs modèles bien spécifiques, car ils valorisent les produits sur le plan du marketing. L'idéal serait d'avoir un seul modèle de bouteille, mais la logique commerciale rend malheureusement la chose compliquée.

Au-delà de cela, il faut créer des unités de lavage et de réutilisation dans tous les territoires : seule La Réunion est actuellement dotée d'une unité en fonctionnement.

M. Jean Hornain. - Pour avancer sur la question du réemploi, il va falloir standardiser. Nous menons un travail à l'échelle nationale pour la standardisation des emballages de boissons, de produits frais et de restauration rapide. Nous n'obtiendrons pas l'instauration généralisée d'emballages uniques - je pense à des produits un peu iconiques -, mais ce sera le cas pour certains produits.

M. Thibault Boucher, conseiller aux affaires publiques de l'entreprise Citeo. - Nous jouons également un rôle d'accompagnement réglementaire des entreprises, pour lesquelles les lois AGEC et Climat et résilience ont créé un certain nombre d'obligations et d'interdictions. Nous proposons ainsi aux entreprises des formations sous forme de webinaires, à des horaires adaptés aux outre-mer. Certaines, sur des sujets spécifiques, sont réalisées en partenariat avec des acteurs locaux, comme l'Association pour le développement industriel de La Réunion (ADIR).

Par ailleurs, nous essayons de créer d'autres liens locaux, par exemple avec la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Guadeloupe, afin de renforcer notre offre de formation et de mieux nous faire connaître.

M. Stéphane Artano, président. - Monsieur Hornain, vous avez parlé de tarification incitative ; pensiez-vous à une taxe à l'entrée des produits sur le territoire ? Le cas échéant, ce dispositif risque d'alimenter le fort niveau d'inflation en outre-mer. Quels types de produits et d'emballages pourraient être concernés ?

M. Jean Hornain. - Non, je pensais seulement aux modèles que je connais et qui se développent, dans lesquels l'habitant va par exemple payer son bac d'ordures ménagères en fonction du nombre de levers de bac.

Mme Gisèle Jourda. - Pouvez-vous nous dire où vous en êtes sur la question de la consigne ?

M. Jean Hornain. - Cela a fait l'objet de beaucoup de débats en 2019. Sur l'ensemble du territoire, environ 60 % des bouteilles en plastique jetées sont actuellement collectées ; les objectifs fixés par la loi AGEC sont de 77 % en 2025 et de 90 % en 2030. Pour les atteindre, la consigne est un outil indispensable.

En Allemagne, 25 centimes sont restitués lorsque la bouteille ou canette consignée est déposée dans un point de vente quelconque. Cela a un effet incitatif colossal sur le taux de collecte : même si une bouteille est abandonnée, elle sera récupérée par quelqu'un pour la déconsigner.

Une question d'équilibre économique sous-tend ce système, qui demande des investissements, comme la mise en place de gros bacs jaunes. Mais, en tout état de cause, le sujet reviendra en 2023 sur le plan national pour décider si la consigne sera systématisée, en particulier sur les bouteilles plastiques et les canettes.

Grâce à l'initiative de la vice-présidente de région Sylvie Gustave-Dit-Duflo, la Guadeloupe part avec une légère avance, car nous avons mené pendant plusieurs mois des travaux avec les metteurs en marché - ce sont eux qui doivent assurer le paiement et l'opérationnalité du système -, pour définir les conditions d'organisation d'un système de consigne. Mais, compte tenu de l'échéance, la Guadeloupe pourrait finalement se rattacher au calendrier de la décision nationale.

Nous avons donc bien étudié, avec les partenaires locaux et en liaison avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le cas, assez particulier je dois dire, de la Guadeloupe : il nous a fallu tenir compte de la quantité, propre à une île, de produits importés, qui nécessitent un dispositif de contrôle pour éviter une fraude massive.

Mme Jocelyne Guidez. - Vous occupez-vous seulement de traiter les emballages ou construisez-vous aussi des déchetteries ? J'habite la Martinique, notamment le Diamant, où sont brûlés des plastiques et autres déchets dans des déchetteries ouvertes, ce qui pose des questions d'hygiène : n'y a-t-il pas un risque de maladies ?

M. Jean Hornain. - Notre domaine d'intervention est l'emballage ménager, c'est-à-dire celui qui arrive entre les mains du consommateur. Certains de nos collègues s'occupent des déchetteries et sont opérationnels, mais ce n'est pas notre rôle. En ce qui nous concerne, nous payons les collectivités territoriales et, surtout, les EPCI, qui ont la maîtrise d'ouvrage et sont chargées des bacs de collectes. Nos emballages ne terminent pas dans les déchetteries, car ils passent dans des points de collecte, chez les particuliers ou dans l'espace public.

Mme Marta de Cidrac. - Vous arrive-t-il de trouver des déchets dangereux parmi les déchets ménagers ? Lors d'un récent déplacement en Mayenne sur l'initiative de notre collègue Guillaume Chevrollier, des représentants de l'entreprise Séché, spécialisée dans le traitement des déchets, nous ont alertés sur cette question qui a, semble-t-il, des incidences sur l'ensemble de la chaîne de tri.

M. Jean Hornain. - Oui, nous retrouvons régulièrement, dans les centres de tri, un peu de tout dans les déchets, y compris des seringues ou même des bonbonnes de gaz... Ce qui a une incidence à la fois sur la qualité des matières et sur la sécurité des opérateurs.

Nous nous trouvons à un moment particulier où nous disons aux habitants de mettre tous leurs emballages dans leur bac de tri, ce qui est parfois interprété comme « mettez tout dans le bac de tri ». Cela entraîne ce que nous appelons des « refus » en centre de tri, dont le taux est d'environ 20 %, parmi lesquels se trouvent effectivement quelques déchets dangereux.

M. Stéphane Artano, président. - Nous vous remercions pour vos réponses qui pourront être utilement complétées par les documents écrits que vous voudrez bien transmettre à nos rapporteures.

Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Audition de M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce

M. Stéphane Artano, président. - Nous poursuivons nos auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets des territoires ultramarins.

Nous entendons à présent Nicolas Garnier, délégué général de l'association Amorce, qui accompagne les collectivités sur l'ensemble de leur compétence pour la gestion des déchets ménagers. Son réseau d'information, de partage d'expériences et d'accompagnement des collectivités et des acteurs locaux en matière de gestion territoriale des déchets en fait l'un des experts de ce sujet.

Monsieur le délégué, vous avez reçu une trame pour préparer cette audition.

Je cède sans plus tarder la parole à nos rapporteures, Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion, afin qu'elles précisent leurs questions. Puis vous aurez le temps de leur répondre, avant de traiter les questions de nos autres collègues.

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Nous venons d'entendre Jean Hornain de Citeo. Nous entendrons la semaine prochaine les représentants de plusieurs filières REP lors d'une table ronde, mais, d'ores et déjà, le constat d'un retard important des filières REP dans les outre-mer, lorsqu'elles existent, s'impose.

Je souhaiterais avoir vos retours et votre analyse sur cet enjeu particulier de l'action des éco-organismes dans les territoires ultramarins.

Parmi les nombreuses questions qui vous ont été adressées, j'attends que vous fassiez un point précis sur la mise en oeuvre de la loi anti-gaspillage et économie circulaire (AGEC) de 2020.

En effet, cette loi fait obligation aux éco-organismes de prioriser leurs actions dans les outre-mer, afin de rattraper le retard accumulé. Ma question principale porte donc sur le premier bilan de mise en oeuvre de cette loi dans les outre-mer. Où en sommes-nous, en particulier pour développer des plans ad hoc de rattrapage en trois ans ? Le calendrier et les obligations sont-ils tenus ? Les éco-organismes vous paraissent-ils au rendez-vous de cette loi ?

Je souhaiterais aussi évoquer le nouveau cahier des charges de la filière REP Emballages. Ce dernier a été révisé voilà quelques semaines et fait l'objet de recours devant le juge administratif, notamment de la part d'Amorce. Pourriez-vous nous faire un point sur les raisons de ce recours contre ce cahier des charges, qui inquiète de nombreuses collectivités territoriales? Par ailleurs, ce cahier des charges vous paraît-il mieux adapté aux outre-mer ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le délégué général, l'association Amorce est en prise directe avec les collectivités territoriales et leurs groupements pour faire remonter les bonnes pratiques et identifier les difficultés communes. La gestion des déchets, qui est au coeur des services publics du quotidien, figure au premier rang de vos préoccupations, alors même que cette politique publique se transforme à marche forcée depuis quelques années.

Un questionnaire vous a été transmis pour guider votre exposé sur notre sujet.

Sans reprendre toutes nos interrogations, je souhaite insister sur quelques points.

En premier lieu, j'aimerais avoir votre avis sur la gouvernance locale de la gestion des déchets. Avez-vous des retours montrant des difficultés de coordination des acteurs pour développer des filières complètes ? La répartition actuelle entre la région, les EPCI, les syndicats mixtes et le pouvoir de police du maire vous paraît-elle perfectible ? Avez-vous des observations ou des propositions émanant des acteurs locaux des DROM-COM ?

En second lieu, je désire avoir votre retour sur les dépôts sauvages, qui constituent un fléau dans de nombreux outre-mer. La réglementation administrative et pénale vous paraît-elle adaptée pour lutter contre les dépôts sauvages ? En outre-mer, comment les éco-organismes pourraient-ils prendre en charge financièrement l'élimination des dépôts sauvages, dont le coût pèse actuellement sur les finances des collectivités territoriales ?

M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Il faut savoir que les outre-mer ont toujours été perçus comme la dernière roue du carrosse en matière de REP. Depuis la création des éco-emballages en 1992, l'histoire des REP va s'accélérer grâce ou à cause d'Amorce, puisque nous sommes à l'origine de la quasi-totalité des dispositifs de REP en France qui ne viennent pas de directives européennes. Trois ont été imposés par des règles européennes : emballages, déchets électroniques, piles et accumulateurs. Les autres sont des dispositifs nationaux, qui ont été créés par amendements parlementaires.

À cet égard, je tiens à rendre hommage au Sénat, qui a joué un rôle prépondérant depuis quinze ans pour créer, notamment, la REP textile ou la REP mobilier. Certaines REP sont actuellement en cours de mise en place, comme la REP chewing-gum ou la REP textiles sanitaires, que nous avons arrachée grâce à l'apport du Sénat, voilà maintenant trois ans. Il faut savoir que ces derniers représentent 40 à 50 kilogrammes par an par habitant en France, à peu près au même niveau que le gisement des emballages.

Aujourd'hui, un Français produit chaque année à peu près 600 kilogrammes de déchets, avec des disparités très importantes entre le monde urbain et le monde rural : on est plutôt autour de 800 kilogrammes par habitant dans le monde urbain dense et autour de 450 kilogrammes dans le monde rural. On peut dire qu'à peu près un tiers de la production de déchets des Français, métropole et DROM, est soumis à des dispositifs de REP. J'ai oublié en introduction de mentionner la REP bateaux, avec les fusées de détresse, qui concernent particulièrement les DROM.

Il faut savoir que le système de REP à la française est un système extrêmement peu contraignant. La seule contrainte, c'est l'obligation de contribuer sous la forme d'une éco-contribution sur le barème, ce que l'on appelle le barème amont, pour tout metteur sur le marché d'un produit. Cette éco-contribution est levée sur le consommateur, et le niveau est discuté par les éco-organismes. On peut dire que c'est une délégation du service public de l'État. Mais, entre ce qu'il y a dans la loi et le cahier des charges, il y a souvent un gouffre au sortir des négociations, car l'État a tendance à assouplir sa position.

Par ailleurs, les objectifs environnementaux sont, d'une part, souvent flous, et, d'autre part, rarement ambitieux.

Enfin, l'État ne fixe pas d'objectifs par territoire. C'est ce qui est le plus problématique pour les outre-mer, où le développement des filières coûte plus cher, notamment en raison de l'insularité.

En somme, l'éco-organisme, mandataire du metteur sur le marché, qui n'est pas tenu par un objectif territorial, n'est pas incité à produire son effort, par exemple, en Guadeloupe, où il va payer plus cher pour un même résultat qu'en métropole, sachant qu'il n'y a de toute façon pas de véritable sanction s'il n'atteint pas son résultat global. L'éco-organisme va chercher en priorité à recycler la tonne du Grand Paris ou du Grand Lyon, ce qui lui permettra d'optimiser ses coûts.

Nous avons donc besoin de cahiers des charges plus contraignants, avec un véritable système de sanctions, et des objectifs fixés par DROM.

Les objectifs par DROM mériteraient certes d'être différenciés : on ne peut exiger de Mayotte, qui commence à peine à recycler, une performance semblable à celle d'un territoire métropolitain qui recycle depuis 1992.

Cela étant, le seul fait de fixer un objectif aurait pour effet de contraindre l'éco-organisme à se donner les moyens de l'atteindre. Nous créerions alors, en quelque sorte, une obligation de faire dans ces territoires. Le fait qu'un certain nombre d'entre eux n'aient jamais pratiqué la collecte sélective avant 2020 s'explique par le fait que les éco-organismes n'ont jamais ressenti d'obligation de généraliser la collecte ni d'atteindre le moindre objectif dans les DROM.

Malgré le dispositif d'accompagnement spécifique prévu par la loi AGEC pour les outre-mer, je doute fort qu'un acteur comme Citeo mobilise aujourd'hui les moyens suffisants pour atteindre 75 % de recyclage en Guyane, en Guadeloupe ou en Martinique. Au contraire, selon nos calculs, le taux de prise en charge financière de la collecte sélective et du tri des emballages dans les DROM est inférieur à 20 % du coût réel. La loi française prévoit pourtant un financement, par l'éco-organisme, des coûts optimisés à hauteur de 80 %, mais ces coûts s'entendent selon le référentiel national qui n'est pas représentatif des coûts dans les outre-mer. Il conviendrait, selon nous, de prendre comme référence 80 % des coûts optimisés par DROM ou dans la moyenne dans les DROM, ce qui serait déjà un moindre mal.

Nous savons bien que les conditions logistiques et environnementales sont totalement différentes dans les DROM, et j'espère que les représentants des éco-organismes que vous avez auditionnés n'ont pas tenu de propos peu amènes à l'égard des DROM. Pour notre part, nous avons fait la preuve que le niveau élevé des coûts dans les DROM s'expliquait par les spécificités de ces territoires, aucunement par un quelconque surdimensionnement ou par une mauvaise gestion publique : on ne monte pas un centre de tri dans un DROM comme on le fait en région parisienne.

Vous m'interrogez ensuite sur les raisons qui nous ont conduits à déposer un recours sur le cahier des charges.

La REP emballages a été conçue comme une REP « financière » : à quelques exceptions près, la responsabilité légale de la collecte sélective et du tri incombe aux collectivités locales. Si je voulais être caustique, je dirais que cet accord initial convenait à tout le monde : déjà responsables de la collecte classique, les collectivités locales se considéraient comme légitimes pour réaliser la collecte sélective qui, de surcroît, conférait une ambition environnementale à un service public ; de l'autre, l'éco-organisme se satisfaisait du fait que le prestataire public ne lui facturait qu'une très faible part du coût de la prestation.

Cet accord tacite a volé en éclat à l'occasion de la loi Grenelle, quand l'amendement soutenu par Amorce tendant à porter le niveau de prise en charge des coûts par l'éco-organisme à 80 % a été adopté. Nous avons échoué, en revanche, à faire adopter un amendement plus précis, qui visait à prévoir une prise en charge à hauteur de 80 % des coûts rééls optimisés dans les DROM.

Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une phase où certains gisements d'emballage ne représentent plus un coût, mais une valeur. Cela explique notamment l'intérêt croissant pour les canettes en aluminium. Prenons à présent l'exemple du Polyéthylène Téréphtalate (PET) - à cet égard, nous suivons de très près la tentative de mise en place d'une consigne pour les bouteilles d'eau en plastique en Guadeloupe, une fausse bonne idée que le Sénat a su brillamment et vaillamment rejeter - sachant que la valeur de cette matière est de 2 000 euros la tonne, dès lors que le coût de la collecte sélective tombe à 700 euros, des acteurs privés se portent naturellement candidats pour prendre en charge la collecte.

C'est là que réside l'enjeu quasiment philosophique du service public des déchets. Tant que cette mission représente un coût, la charge en revient aux collectivités locales, mais dès qu'elle recèle de la valeur, alors le marché s'en empare, généralement au travers de son éco-organisme. Dans un premier temps, l'idée d'une consigne sur les bouteilles en plastique a été reçue très positivement : nous allions collecter de nombreuses bouteilles, cesser de polluer les océans et améliorer le geste de tri. Mais si l'idée est si bonne, pourquoi ne pas l'élargir au pot de yaourt ou au blister de chips, qui ne valent rien ?

Telle est la question que nous avons posée au Gouvernement. Et la réponse est simple : l'acteur privé ne s'intéresse qu'aux gisements rémunérateurs. Il laisse au service public et aux contribuables locaux le coût de ce qui n'a pas de valeur. Voilà l'enjeu de la consigne : une privatisation de ce qui a de la valeur et le maintien dans le champ public de ce qui coûte. Le jour où le pot de yaourt aura une valeur supérieure à son coût de collecte sélective et de tri, une consigne sera peut-être envisagée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Nous contestons le cahier des charges pour la simple et bonne raison que celui-ci apporte une nouveauté qui pose question. Quand nous demandons une modification du cahier des charges, par exemple pour créer un barème DROM, on nous oppose que cela n'est pas possible en cours d'agrément. Mais quand Citeo demande une modification pour prendre le contrôle du flux des nouveaux plastiques, alors on s'exécute immédiatement. Il y a là deux poids deux mesures !

Surtout, ce cahier des charges n'impose plus aux collectivités locales de trier les nouveaux plastiques. Les centres de tri que nous construisons actuellement deviendront donc en grande partie obsolètes. Il nous sera en effet demandé de les simplifier, dans la mesure où Citeo se chargera du surtri, et, par voie de conséquence, prendra le contrôle de la matière. Tout l'enjeu réside donc dans le contrôle des matières plastiques, dont certaines ont une valeur, quand d'autres sont en train d'en acquérir une.

Le groupe Citeo aurait pu adopter une démarche consistant à créer des filières et des installations de recyclage. Étonnamment, quand on creuse la question du recyclage chimique et que l'on demande aux principaux acteurs, Eastman ou Loop, ce qu'ils projettent de recycler dans leurs usines, ces derniers répondent qu'ils entendent recycler non pas le pot de yaourt ou le blister de chips, mais des bouteilles d'eau ! Il n'y a pourtant pas de besoin en la matière. Nous disposons depuis longtemps de ce savoir-faire. Faute de cahier des charges contraignant, nous savons que Citeo n'atteindra pas un taux de recyclage élevé pour ses pots de yaourt ou ses blisters de chips, mais que le groupe aura, in fine, récupéré le contrôle de la matière.

L'évolution du cahier des charges est donc un jeu de dupes consistant à laisser croire que l'on confie à Citeo la responsabilité de recycler les nouveaux plastiques, alors qu'en réalité, nous obtiendrons probablement dans trois ans le résultat suivant : Citeo, passé maître dans l'accumulation d'objectifs qu'il n'atteint jamais sans jamais être sanctionné, maîtrisera ce flux sans pour autant recycler davantage.

Aussi, nous craignons de voir interrogée, demain, la pertinence des milliards d'euros de dépenses consacrées par les collectivités locales à la modernisation ou à la création de centres de tri sophistiqués. En effet, si la consigne est mise en place, ces derniers ne verront plus une seule bouteille. Les canettes et les boîtes de conserve se font déjà de plus en plus rares. Le verre ne passe pas par les centres de tri et le flux des nouveaux plastiques ne devra plus être trié, Citeo entendant se charger d'une forme de surtri. Dans ces conditions, la Cour des comptes risque, à raison, de nous montrer du doigt pour mauvais usage de l'argent public.

S'agissant de la coordination des compétences territoriales, la loi AGEC a permis quelques belles avancées, en particulier sur la police des dépôts sauvages. Elle offre désormais la possibilité de mettre les véhicules sous séquestre et d'utiliser des vidéos de caméras thermiques comme base d'une action en justice contre un contrevenant. Nous manquons toutefois d'une cartographie des dépôts sauvages qui permettrait un suivi de leur résorption.

Nous regrettons également que le texte de loi, qui, dans l'esprit, devait permettre, dès lors que le dépôt sauvage serait principalement constitué de déchets du bâtiment par exemple, de faire financer la résorption de ces dépôts par la REP correspondante, ne déclenche finalement ce processus que pour les dépôts sauvages de plus de 200 tonnes. Ce faisant, la loi exclut du financement par les éco-organismes la résorption de la quasi-totalité des dépôts sauvages de métropole et d'outre-mer. En dépit de quelques avancées, les communes restent esseulées en matière de résorption des dépôts sauvages, laquelle représente pourtant un coût considérable.

Aussi, nous préconisons d'abaisser le seuil du dépôt sauvage financé par la REP à une tonne. Tout dépôt sauvage constitué principalement de véhicules devrait être géré à terme par la REP véhicules hors d'usage (VHU), tout dépôt sauvage de pneus par Aliapur, tout dépôt sauvage d'ordures ménagères résiduelles par Citeo et tout dépôt sauvage de matériaux par Valobat (pour les produits du bâtiment) et Ecominero (pour les matériaux de construction d'origine minérale). Aujourd'hui, le scénario d'un contrevenant identifié et solvable qui financerait lui-même la résorption du dépôt sauvage dont il est l'auteur est extrêmement rare et illusoire.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Pouvez-vous préciser vos propositions en matière de sanctions en cas de non-atteinte des objectifs par les filières REP ?

M. Nicolas Garnier. - J'établirai un parallèle avec les deux dispositifs assez proches que sont les certificats économies d'énergie (CEE) et les quotas de CO2. En cas de non-atteinte de son objectif d'économie d'énergie en TWh, EDF est sanctionnée à hauteur d'un coût du TWh manquant plus élevé que celui du marché. Il a donc non pas obligation, mais intérêt à réaliser des économies d'énergie. De la même manière, les entreprises soumises au dispositif d'échange de quotas d'émission (ETS) s'exposent, faute d'atteindre leurs quotas, à de très lourdes pénalités. Tous les acteurs économiques privés concernés ont ici intérêt à respecter leurs objectifs environnementaux.

À l'inverse, chaque tonne supplémentaire collectée représente, pour les éco-organismes, un coût supplémentaire, et la non-atteinte des objectifs n'emporte aucune conséquence. La loi AGEC a bien tenté de contraindre davantage les éco-organismes, mais de façon très légère. Elle prévoit que si l'on constate, en cours d'agrément, qu'un éco-organisme s'écarte de la trajectoire d'atteinte de son objectif environnemental, l'État peut lui demander un rapport établissant les conditions de correction de son dispositif. Si ces corrections ne suffisent pas à remettre l'éco-organisme sur sa trajectoire environnementale, l'État a la possibilité, en fin d'agrément, de sanctuariser les sommes que l'éco-organisme aurait dépensées pour atteindre ses objectifs. Dans le pire des cas, l'éco-organisme devra payer les sommes qu'il aurait payées s'il avait atteint son objectif environnemental. Il n'est donc pas très incité à l'atteindre.

Dans ce contexte, nous proposons de mettre en place un dispositif contraignant chaque année l'éco-organisme, qui s'écarterait de la trajectoire de son cahier des charges d'agrément, à payer des tonnes « malussées » - c'est-à-dire soumise à un malus - à l'État ou aux collectivités locales. Cela constituerait une ressource financière pour Bercy - une sorte de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) - et pour les collectivités locales.

En effet, les nombreuses tonnes qui ne font pas l'objet d'une collecte collective se retrouvent, en bout de chaîne, dans les centres d'élimination. Or, nous connaissons les difficultés qu'éprouvent les collectivités des DROM pour installer de tels centres et pour gérer les ordures ménagères résiduelles. Leurs difficultés seraient moindres si l'on ne comptait pas, dans ces ordures ménagères résiduelles, les tonnes d'emballages que Citeo devrait traiter au titre de ses objectifs de recyclage par DROM.

Le dispositif imaginé changerait complètement les règles du jeu : plutôt que de payer une tonne manquante « malussée », l'éco-organisme aurait intérêt à aller chercher la tonne manquante. Il atteindrait ses objectifs, comme EDF atteint ses objectifs de CEE ou Dalkia ses objectifs de quotas de CO2.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure - Le dispositif que vous proposez pourrait permettre une sorte de rééquilibrage. Nous n'avons pas encore abordé la question de la TGAP, mais il semblerait que, pour l'heure, la quasi-totalité des taxes repose de fait sur les collectivités locales et sur les contribuables...

M. Nicolas Garnier. - La TGAP est un autre sujet qui nous tient particulièrement à coeur, et les DROM pourraient être largement bénéficiaires de la proposition que nous faisons à ce sujet depuis plusieurs années.

Pour en revenir à votre question, un tiers des 600 kilogrammes de déchets annuels produits en moyenne en France par habitant est soumis à une REP, mais avec un financement insuffisant qui s'élève à 50 % du coût global réel, voire à 20 % dans les DROM pour ce qui est des emballages. En d'autres termes, dans les DROM, le contribuable finance jusqu'à 80 % du coût du traitement de ces déchets.

Un deuxième tiers de la poubelle des Français est constitué de matière organique, pour laquelle il n'existe pas de dispositif de REP. De temps en temps, il me vient à l'esprit de créer une REP sur les choux-fleurs et sur les pommes de terre. En effet, les industries agricole et agroalimentaire ne participent pas encore à la fin de vie de leurs produits, et il y a là peut-être quelque chose à inventer...

Afin de développer la collecte sélective des biodéchets, qui repose actuellement sur les seules aides de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), donc sur la ressource de TGAP, nous proposons d'affecter davantage la TGAP à l'économie circulaire. Pour rappel, la TGAP rapporte de 500 à 600 millions d'euros, dont seuls 150 millions d'euros reviennent à l'Ademe au titre de l'accompagnement de l'économie circulaire. Cela fait selon nous de la TGAP une taxe partiellement faussement environnementale. Nous considérons en effet qu'une véritable taxe environnementale doit envoyer un « signal prix », mais aussi affecter, sinon intégralement, du moins majoritairement, sa recette à son objet.

Sans refaire l'histoire des Gilets jaunes, la taxe carbone n'ayant pas été conçue pour produire des recettes destinées à l'accompagnement de la transition écologique, un certain nombre de personnes ont estimé que sous couvert de contribuer à la protection de l'environnement, cette taxe avait surtout des motivations budgétaires. Toutes proportions gardées, il en est de même de la TGAP : le contribuable pourrait ne pas comprendre pourquoi 80 % des 600 millions d'euros de TGAP qu'il paye au nom d'une meilleure gestion des déchets ne sont pas affectés à cet objectif.

Le troisième gisement dont personne ne parle est celui des « abandonnés de l'économie circulaire » : la litière pour chat, le CD, les ustensiles de cuisine, le briquet en plastique... Amorce a ainsi recensé vingt-huit pages d'objets vendus dans le commerce, qui ne bénéficient d'aucune solution de recyclage et qui ne sont soumis à aucune écocontribution. À titre d'exemple, un briquet Bic terminera inéluctablement sa vie dans un centre d'enfouissement ou dans un incinérateur. En l'absence de signal prix, de REP et de TGAP, pourquoi la société Bic ferait-elle évoluer son plastique pour le rendre recyclable ? Pourquoi se rapprocherait-elle d'un éco-organisme pour intégrer son produit dans la collecte sélective des emballages ?

C'est la raison pour laquelle - et le Sénat nous a souvent soutenus dans cette démarche - nous défendons la mise en place d'une TGAP amont sur les produits non recyclables. Cette taxe ne serait exigible qu'en l'absence de solution de recyclage - le cas échéant, le produit serait soumis à une REP ; elle viendrait soulager les collectivités locales des coûts d'élimination. Car reconnaissons-le : la collectivité n'est pas responsable du fait que le briquet n'est pas recyclable et n'est pas recyclé.

C'est là toute l'injustice de la TGAP aval : elle taxe en partie le mauvais acteur. Selon nous, le dispositif fiscal global n'est donc pas cohérent. Certains metteurs sur le marché s'étonnent d'être soumis à une REP et de devoir contribuer à l'environnement quand certains produits, non recyclables, échappent à de telles obligations. Il y a là une forme de prime au cancre qui n'incite pas véritablement à recycler.

Mme Nassimah Dindar. - Vous relevez à juste titre que, dans les DROM, la TGAP est plus un pensum qu'une aide pour les collectivités territoriales. À ce titre, seuls 150 millions d'euros sont destinés à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Pour tous les produits non recyclables que vous avez recensés, ne pourrait-on pas réduire la TGAP des territoires ultramarins ?

M. Nicolas Garnier. - C'est effectivement l'autre option qui s'offre à nous : a minima, il faudrait créer une franchise de TGAP pour la part des ordures ménagères résiduelles (OMR) que personne ne sait recycler et pour lesquelles une sanction fiscale n'a, dès lors, aucun sens.

De mémoire, le Sénat a adopté un amendement visant à créer une telle franchise. Ce dispositif permet de lever une injustice sans résoudre le problème du non-recyclable. En revanche, la TGAP amont serait à même d'entraîner une forme de responsabilisation des metteurs sur le marché.

À titre d'anecdote, sur la base d'une proposition d'amendement du réseau Amorce, le Sénat avait voté la REP « meubles ». Le lendemain, le directeur général adjoint d'Ikea me téléphonait pour me dire : « Il paraît que vous êtes à l'origine de cette mesure. Qu'est-ce qu'on vous a fait ? » Je lui ai répondu : « Rien ; simplement, nos déchetteries débordent de vos étagères en aggloméré dont personne ne sait quoi faire. »

Nombre d'industriels ne se sont jamais posé la question de la fin de vie de leurs produits. Les responsables de Decathlon ne savaient pas en quelle matière étaient faits leurs palmes, leurs combinaisons et leurs maillots de bain. Grâce au vote de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), qui a instauré la REP « sport », c'est désormais le cas.

L'attelage d'une TGAP amont et d'une franchise de TGAP aval sur le même gisement serait probablement la meilleure solution.

Mme Marta de Cidrac. - Vous connaissez ma position au sujet des éco-organismes, qu'il s'agisse de leur structuration actuelle ou de leur mode de financement. En somme, ils ont tout intérêt à ce qu'il y ait le plus de pollueurs possible, car c'est ce qui leur assure des recettes - je le dis de manière délibérément caricaturale.

Vous insistez avec raison sur les nombreux objets ne disposant d'aucune filière de traitement. Un grand travail attend le législateur à ce titre, car la situation actuelle revient en quelque sorte à accorder une prime au pollueur.

Enfin, étendez-vous votre réflexion à l'ensemble de la filière ? Il faut considérer à la fois les éco-organismes, les collectivités territoriales et le choix des exutoires. La destinée de ces objets mérite bel et bien une réflexion de fond. On ne pourra pas créer une REP pour chacun d'eux, d'autant que de nouveaux produits sortent chaque jour sur le marché et qu'il y aura de plus en plus de déchets.

M. Nicolas Garnier. - Il s'agit effectivement d'une question fondamentale.

Faut-il des REP partout ? Il n'y a aucune raison qu'une responsabilité élargie du producteur soit imposée pour les emballages et non pour les briquets. La notion de responsabilité est universelle.

En revanche, la REP peut être mise en oeuvre de différentes manières. La TGAP amont que nous proposons est une forme de REP. On ne va évidemment pas remuer ciel et terre pour créer une collecte sélective des briquets. Cela étant, il est juste que les industriels financent le coût d'élimination des briquets jetables en fin de vie. C'est une REP triviale, mais, généralement, quand ils commencent à payer, les producteurs réagissent très vite. De même, avec la REP « textiles sanitaires », qui arrive, les fabricants de couches pour bébés seront bientôt pointés du doigt.

Il faut donc l'établir une bonne fois pour toutes : il existe une responsabilité universelle du producteur quant à la fin de vie de ses produits.

Au passage, je précise que les éco-organismes devraient se voir assigner des objectifs de prévention, ce qui n'a jamais été le cas jusqu'à ce jour. Je pense notamment au cas des emballages jetables.

J'insiste, il faut distinguer le principe de la REP et les formes de sa mise en oeuvre : une REP, ce n'est pas nécessairement un éco-organisme finançant la collecte sélective. Dans cette logique, nous réfléchissons à une REP de l'agroalimentaire sous la forme d'une obligation de reprendre les composts aux normes : ce serait, en somme, une responsabilité de retour au sol de la matière organique. On commence à s'inquiéter de la capacité à utiliser les composts issus de nos collectes sélectives de biodéchets. Dans cette logique, Bonduelle serait obligé d'accepter des composts de qualité pour boucler la boucle de l'économie circulaire.

N'oublions pas non plus les formes de REP dites « opérationnelles », qui complètent les REP « écosystèmes ». La REP « mégots » doit avant tout assurer la collecte des mégots. En la matière, la question du recyclage est presque anecdotique. L'enjeu, c'est avant tout le financement de la communication et de la coercition. Il s'agit pour ainsi dire d'une REP de financement du nettoiement.

On observe aujourd'hui une très forte tendance au rapprochement des REP : Éco-mobilier se propose ainsi d'être l'éco-organisme pour les jouets ou, à titre partiel, pour les matériaux, qu'il s'agisse du bois ou du plastique. On commence à créer des bennes destinées aux plastiques rigides dans les déchetteries françaises, pour les meubles, les jouets, le matériel de sport ou de bricolage. On pourrait demain y ajouter les disques compacts.

On ne va pas multiplier à l'infini les collectes sélectives et les éco-organismes. En revanche, on peut placer sous REP des gisements qui n'y sont pas, comme certains plastiques, même si ce sera tout sauf simple ; et, là où l'avenir n'est pas le recyclage, les producteurs doivent payer la TGAP en lieu et place de la collectivité.

Mme Marta de Cidrac. - La loi AGEC contient un certain nombre de dispositions spécifiques aux outre-mer. En la matière, pourrait-on confier des opérations pilotes à tel ou tel territoire avant d'étendre éventuellement ces mesures à l'ensemble du pays ? Ne pourrait-on pas aller plus loin dans la décentralisation des solutions, non seulement outre-mer, mais dans l'Hexagone ?

M. Nicolas Garnier. - La loi AGEC a effectivement défini des enjeux spécifiques aux outre-mer pour les REP : c'était une première, même si les initiatives actuelles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. D'ailleurs, pour ce qui concerne les DROM, on a encore beaucoup de mal à obtenir des chiffres au sujet de la collecte sélective.

De plus, il aurait fallu pousser la logique à son terme en fixant des objectifs environnementaux contraignants par DROM et par REP.

Néanmoins, établir des filières de débouchés de recyclage dans ces territoires n'est pas une mince affaire : on ne va pas créer de grandes papeteries à Mayotte ou de grandes verreries dans les territoires ultramarins producteurs de rhum - les verres qui y sont employés viennent majoritairement du Brésil.

Il faudrait une stratégie de l'économie circulaire pour la Caraïbe, l'Amazonie et une partie de l'océan Indien : à ce titre, il est grand temps de construire une dynamique internationale. Aujourd'hui, pour recycler quelques tonnes, soit on invente des filières de recyclage un peu baroques, soit on transporte les déchets sur des milliers de kilomètres - il fut un temps où une partie de la collecte sélective de la Martinique se retrouvait à Fos-sur-Mer - une partie va maintenant au Brésil -, ce qui n'a pas de sens.

L'opération pilote menée en Guadeloupe, à savoir la consigne de bouteilles en plastique, a fait l'objet de luttes presque homériques dans les deux assemblées parlementaires. Je précise qu'il ne s'agit pas d'une consigne stricto sensu, car les bouteilles collectées sont broyées : c'est une simple collecte sélective non professionnelle.

Au terme de négociations difficiles avec la ministre de l'époque, Élisabeth Borne, on a décidé d'attendre trois ans. Sur ce sujet, le Sénat a joué un rôle majeur. Mais depuis lors, il ne s'est presque rien passé : la collecte sélective n'a pas été développée hors foyer, notamment dans la restauration. Vous connaissez donc d'ores et déjà mon opinion sur le sujet.

En parallèle, avec l'expérimentation assez avancée menée en Guadeloupe, on obtient le pire de la privatisation d'une collecte sélective, à savoir la discontinuité territoriale.

La collecte sélective payante des bouteilles est assurée dans les supermarchés de Pointe-à-Pitre et, peut-être, dans deux ou trois villes relativement étendues de Guadeloupe ; mais les petits commerces de proximité, les « lolos », n'auront pas d'automates de consigne. Comment pourraient-ils se charger d'alimenter les automates des supermarchés des villes guadeloupéennes ? Cette simple suggestion a provoqué un tollé.

Non seulement l'expérimentation de la consigne ne donne pas des résultats exceptionnels, mais elle va coûter très cher. De plus, elle ne vise pas les objets qui polluent majoritairement la mer - barquettes de frites, paquets de chips, emballages unitaires de gâteaux, etc. Les bouteilles représentent moins de 10 % de la pollution plastique des mers.

Enfin, il est intéressant d'imaginer d'autres formes de gouvernance. Dans nos rêves les plus fous, ce n'est pas l'État, mais la région, voire l'intercommunalité, qui donne l'agrément en établissant le cahier des charges de Citeo. L'État, lui, est juge et partie. Sauf exception, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ne nous défend pas et, in fine, les cahiers des charges ne sont pas assez contraignants. Le Sénat aura peut-être l'audace et la force de mener cette réforme sensationnelle ?

Mme Nassimah Dindar. - À La Réunion, la consigne des bouteilles est devenue quasiment culturelle, et cela marche très bien. Peut-on envisager qu'Amorce ou un autre organisme finance une collecte de ce type, en passant par les communes ou les intercommunalités ?

M. Nicolas Garnier. - Depuis quatre ans, nous parlons non pas d'une consigne pour réemploi sur les bouteilles de verre, telle que celle qui est mise en place pour la Dodo ou le rhum à La Réunion, mais d'une consigne pour recyclage sur les bouteilles plastiques, concurrençant les collectes sélectives des collectivités locales.

La crise entre le Gouvernement et le Sénat sur ce sujet vient de là - Marta de Cidrac peut en parler plus précisément. Il faut faire de la consigne pour réemploi. L'idée initiale du Gouvernement était que les metteurs sur le marché reprennent le contrôle de leurs émissions de plastique ; le texte a été transformé au Sénat pour favoriser une consigne en vue du réemploi.

Depuis lors, nous avons tous cheminé, et nous nous sommes rendu compte qu'au lieu de généraliser les consignes pour réemploi il fallait regarder au cas par cas, en prenant en compte les études d'impact sur l'environnement. Le réemploi sous-tend un réseau de collecte, une proximité des unités de lavage et une uniformité des contenants qui n'est pas sans conséquence.

Nous continuons d'être très favorables à la consigne pour réemploi, mais sa mise en oeuvre demande de la finesse : les producteurs de champagne n'ont pas envie que leurs bouteilles soient remplies de vin de Bordeaux. La collecte, le lavage et la réutilisation des bouteilles représentent un coût.

M. Stéphane Artano, président. - Au nom de la délégation, je vous remercie de la qualité de vos interventions. La table ronde de jeudi prochain sera consacrée aux filières REP, et nous soumettrons à leurs représentants les idées que vous avez proposées.

M. Nicolas Garnier. - Je me permets de vous faire une suggestion : parlez-leur de chiffres. Quels sont les gisements ? Combien cela vous rapporte-t-il, dans chaque DROM ? Quels sont les taux de collecte sélective, les taux de recyclage ? Combien cela vous coûte-t-il dans chaque DROM ?

C'est parce que l'on n'a pas assez parlé de chiffres dans les DROM que la REP est dans cet état. Il faut imposer aux producteurs une culture du résultat chiffré : ils en sont capables, car ils viennent du monde de l'entreprise.

M. Stéphane Artano, président. - Merci de cette suggestion.