Mardi 23 novembre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Proposition de loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs - Procédure de législation en commission (article 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission (Deuxième lecture)

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons l'opportunité de nous réunir pour examiner non pas une, mais deux propositions de loi d'origine sénatoriale déposées par des membres de notre commission. Il s'agit de la proposition de loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs et de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, déposées à quelques semaines d'intervalle respectivement par nos collègues Laure Darcos et Sylvie Robert.

Je tiens à le souligner, il n'est pas si fréquent que deux textes d'origine sénatoriale parviennent ainsi sans encombre au terme d'un processus législatif parfois périlleux, a fortiori lorsqu'il s'agit d'initiatives n'émanant pas de membres de la majorité gouvernementale.

Une fois de plus, madame la ministre, preuve est faite que nous sommes en mesure, au-delà des contingences politiques, de faire converger nos points de vue sur les sujets culturels. Et je sais que vous avez joué un rôle important pour que ces deux textes aboutissent, ce dont je vous remercie.

Le fait que le livre nous rapproche, que ce soit par le biais des bibliothèques ou par celui de l'édition, constitue un symbole fort au sortir de ces deux années de crise sanitaire.

Il m'appartient de préciser que, lors de sa réunion du 2 novembre dernier, la Conférence des présidents a accepté que ces deux propositions de loi soient examinées selon la procédure de législation en commission, prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat. En vertu de cette procédure, que nous avions déjà utilisée à l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, je rappelle que le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce uniquement en commission. La séance plénière, programmée selon toute vraisemblance le 16 décembre prochain, sera donc réservée aux explications de vote et au vote des textes que nous allons élaborer au cours de la présente réunion.

J'ajoute que notre réunion est ouverte à l'ensemble des sénateurs, mais que seuls les membres de la commission de la culture présents dans cette salle sont autorisés à prendre part aux votes.

Mme Laure Darcos, auteur de la proposition de loi. - Je ne vous cacherai pas mon émotion : je n'imaginais pas que cette proposition de loi, déposée le 21 décembre 2020, trouve son aboutissement en moins d'un an, et il en est de même pour la proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert. Au départ, nous avions envisagé de déposer symboliquement un texte commun sur le livre, mais nos groupes politiques en ont décidé autrement. Mais grâce à vous, monsieur le président, et à la Conférence des présidents, nous avons eu la chance de pouvoir discuter à chaque fois de ces deux textes le même jour, y compris à l'Assemblée nationale.

Je tiens à vous remercier, madame la ministre, car, sans votre soutien sans faille, il aurait peut-être été plus compliqué d'inscrire ces textes aussi rapidement à l'ordre du jour des travaux du Parlement.

Ce matin, dans le cadre du conseil d'administration du Conseil national du livre (CNL), les libraires et les auteurs se sont félicités de ces avancées. Les conventions sont prêtes pour autoriser - enfin ! - un dépôt légal numérique avec la Bibliothèque nationale de France (BnF). Les auteurs et les éditeurs ont repris leurs discussions avec le professeur Sirinelli à partir de l'accord signé en 2017, transposé dans ma proposition de loi. De plus, nous avons conforté la position des libraires. Lors du congrès des maires, je suis intervenue sur la possibilité offerte aux communes de subventionner les librairies de centre-ville, une mesure très appréciée par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) - cette aide avait été mise en oeuvre de manière ponctuelle par quelques régions. Du reste, cette faculté existe déjà pour les cinémas de quartier et les théâtres.

Permettez-moi de remercier Céline Boulay-Espéronnier pour le travail réalisé depuis un an et Martine Berthet, qui, au nom de la commission des affaires économiques, a défendu le consommateur. La presse s'est fait l'écho d'une loi anti-Amazon mais mon objectif a toujours été d'assurer une meilleure équité entre les acteurs. Toutefois, j'aimerais vous relater la fin rocambolesque des discussions que j'ai eues avec Amazon.

On n'a cessé de nous répéter qu'Amazon rendait service aux consommateurs en offrant, pour un centime d'euro, les frais de port pour les livres. Cette mesure permettait notamment de vendre des livres aux plus jeunes et aux ruraux - Amazon était le défenseur des ruraux !

Par un appel téléphonique à la fin du mois d'août ou au début du mois septembre dernier, Amazon m'a fait une proposition assez déconcertante, une proposition commerciale en somme : accepter de ramener les frais de port pour les livres à 1,80 euro, pour s'aligner sur les frais de port traditionnels, en échange de la suppression de la mesure prévue au bénéfice des libraires. J'ai alors répondu que j'étais législateur et non pas directrice commerciale. Une fois de plus, Amazon a montré sa volonté d'avoir le monopole sur le e-commerce. Cette attitude m'a plus confortée encore dans mon combat.

Je salue la disposition introduite par l'Assemblée nationale visant à demander au Gouvernement de remettre, dans un délai de deux ans, un rapport au Parlement sur les effets de la mise en oeuvre de la livraison à domicile opérée par les libraires, à un coût moindre et dans des délais rivalisant avec les grandes enseignes du e-commerce.

Nos combats ne sont pas vains. Le PDG de la FNAC m'avait confié vouloir mener ce combat à nos côtés, car il était intéressé par la mise en place de cette mesure dans d'autres pays européens.

C'est aussi grâce à vous, madame la ministre, que cette mesure verra le jour - si le Président de la République n'avait pas été à vos côtés à Nevers, Bercy aurait continué à être tenace.

Amazon m'a également dit que j'allais appauvrir le marché du livre d'occasion, en distinguant les livres neufs des livres d'occasion sur les sites. Je n'ai pas fait une loi anti-Amazon, mais je dois dire que les derniers rebondissements montrent que j'ai mené une véritable croisade avec vous tous, et je vous en remercie. La veille de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, le directeur général d'Amazon a écrit à tous ses clients pour leur demander d'être contre la mesure que je propose.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - La proposition de loi visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs, déposée par notre collègue Laure Darcos, a été très largement adoptée par l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier, en même temps d'ailleurs que la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, déposée par Sylvie Robert, que nous examinerons dans quelques instants.

La gémellité entre ces deux textes ne s'arrête pas là. Compte tenu des apports de l'Assemblée nationale, qui confortent très largement nos positions, et en accord avec le président Laurent Lafon, nous avons pensé qu'une adoption des deux propositions de loi ce jour par une procédure dite « de lecture en commission », rendue possible par l'article 47 ter de notre Règlement, permettrait à ces deux initiatives sénatoriales d'être promulguées d'ici à la fin de l'année, après un ultime passage en séance publique au Sénat le 16 décembre prochain.

Dans le cas de la proposition de loi de Laure Darcos, les modifications de l'Assemblée nationale ont été somme toute relativement minimes. Je vous propose d'examiner les plus significatives à l'article 1er.

Cet article, vous vous en souvenez certainement, avait déchaîné quelques passions, puisqu'il met un terme à la possibilité d'offrir les frais de port pour les livres. L'Assemblée nationale a pleinement soutenu notre initiative. C'était un beau combat, et nous pouvons être fiers, avec nos collègues députés, et avec le soutien de Mme la ministre, de l'avoir remporté ! L'Assemblée nationale a simplement levé une ambiguïté sur la gratuité des frais de port dans le cas où le client commande un livre qui lui est livré chez un détaillant et prévu la transmission d'un rapport d'évaluation dans un délai de deux ans.

Les autres modifications portent sur l'article 2, qui offre la faculté aux collectivités d'attribuer des subventions aux librairies ; sur l'article 3 relatif au contrat d'édition ; sur l'article 4, qui précise le rôle du Médiateur du livre, et, enfin, sur l'article 5, qui met en place une réforme d'ampleur du dépôt légal, sont en réalité strictement légistiques et rédactionnelles.

Dans ce contexte, le choix de ne pas rallonger inutilement les délais et d'assurer à la proposition de loi une promulgation d'ici à la fin de l'année nous a conduits à recourir à cette procédure plus rapide. J'ajoute un élément plus pratique : une fois la loi promulguée, il faudra du temps à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) pour établir un barème concernant les frais de port, et ce délai doit être, à notre sens, le plus réduit possible.

Par ailleurs, les autres dispositions du texte, comme la faculté pour les communes d'assister leurs librairies, la rénovation du contrat d'édition et la modernisation du dépôt légal, gagneront à être rapidement promulguées.

C'est pourquoi je vous propose d'exprimer par un vote conforme sur ce texte issu des travaux de l'Assemblée nationale notre confiance dans la capacité des différents acteurs de la chaîne du livre à se saisir rapidement et pleinement de ses dispositions audacieuses et novatrices.

Je partage, en conclusion, l'émotion de notre collègue Laure Darcos, pour laquelle cette adoption constitue la conclusion d'un long combat qu'elle a mené avec le talent et l'énergie que nous lui connaissons. Vous le savez, la politique se fait d'autant mieux qu'elle se fait avec passion. J'ai été ravie de travailler avec Laure Darcos et d'être rapporteure de ce texte.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - Je suis très heureuse d'être avec vous cet après-midi pour l'examen des deux propositions de loi déposées par Laure Darcos et Sylvie Robert - nous examinerons la seconde dans quelques instants. Je m'associe aux compliments de Mme la rapporteure pour saluer votre combativité sans faille sur la proposition de loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs, madame Darcos.

Ces deux textes ont été soutenus dès leur dépôt, au début de cette année, par le Gouvernement, qui a engagé la procédure accélérée. Je me félicite donc de leur examen en seconde lecture qui devrait permettre leur adoption définitive.

La proposition de loi de Laure Darcos vise à renforcer l'équité entre les acteurs de l'économie du livre et complète très utilement la politique volontariste que nous menons en la matière depuis 2017. La politique de soutien au secteur du livre en France est unique. Depuis l'instauration du prix unique il y a quarante ans avec la loi Lang, le ministère de la culture a su accompagner les mutations de la filière en soutenant tous les maillons de la chaîne.

Cet accompagnement a été constant et s'illustre parfaitement depuis 2017. Je pense bien sûr aux crédits courants d'intervention dédiés à la politique du livre et de la lecture, inscrits au programme 334. Je pense également aux crédits du plan de relance : 53 millions d'euros sont ou vont être déployés en 2021 et 2022 afin de poursuivre la modernisation des librairies et des bibliothèques, généraliser le dispositif Jeunes en librairie et renforcer les achats publics de livres. Je pense aussi au pass Culture et à sa généralisation, qui est, nous le savons, une véritable aubaine pour les libraires.

Enfin, la décision du Président de la République de faire de la lecture la grande cause nationale illustre encore plus le soutien de l'État à ce secteur essentiel.

Si l'accompagnement financier de l'État est indispensable pour permettre à la filière de faire face aux mutations structurelles qu'elle connaît depuis dix ans, il faut aussi adapter notre arsenal législatif, et c'est tout le sens de cette proposition de loi.

Je partage entièrement les objectifs de ce texte - et à travers ma voix le Gouvernement. Ce texte s'inscrit pleinement dans le souhait, formulé par le Président de la République le 21 avril dernier à Nevers, de retrouver un prix unique du livre, en égalisant le prix de l'expédition et en objectivant le coût de ce service pour les livres commandés sur internet et livrés chez soi. Il vient compléter et moderniser la régulation du secteur du livre autour de trois enjeux : le soutien apporté à nos libraires et le rétablissement d'une juste concurrence sur le marché du livre ; l'amélioration de la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs ; enfin l'adaptation de la collecte des oeuvres numériques.

Tout d'abord, ce texte contient un certain nombre de mesures visant à moderniser et à adapter notre loi de prix fixe en renforçant notre régulation du prix de vente du livre. Il s'agit en effet de compléter et de parfaire l'encadrement des pratiques de vente à distance, qui avait été introduit par le législateur en 2014.

L'impact de cette législation de 2014 n'a pas été nul, loin de là. Toutefois, il paraît aujourd'hui insuffisant. Un opérateur propose en effet systématiquement la livraison quasi gratuite des livres, quelle qu'en soit la quantité et quel que soit le montant d'achat, alors qu'aucun autre acteur n'y parvient.

Cette pratique commerciale constitue indubitablement une nouvelle forme de concurrence par les prix, qui ne permet plus à la loi de 1981 de produire son plein effet.

Il est également essentiel aujourd'hui de renforcer l'information du consommateur, en clarifiant la distinction entre livres neufs et livres d'occasion lorsqu'ils sont vendus en ligne. Conformément aux préconisations du médiateur du livre, il s'agit d'éviter que soit entretenue, dans l'esprit du consommateur, une confusion tendant à brouiller la perception du principe du prix unique du livre neuf. Nous devons également veiller à resserrer la pratique des soldes de livres dans le cadre de ventes directement opérées par les éditeurs, afin de ne pas fragiliser l'économie des libraires.

Le principe d'équité, qui sous-tend cette proposition de loi, doit guider la recherche de solutions en ce qui concerne les relations entre auteurs et éditeurs. Dans le cadre du programme de mesures que j'ai présenté pour améliorer les conditions de création des auteurs, j'ai souhaité accompagner les négociations professionnelles sur l'équilibre de la relation contractuelle, notamment dans le secteur du livre. J'ai ainsi confié au professeur Pierre Sirinelli une mission de médiation dans le prolongement du processus de concertation interprofessionnelle dont est issue la réforme fondamentale de l'économie des relations contractuelles de 2014. Il faut laisser à cette nouvelle étape du dialogue interprofessionnel le temps de prospérer et d'aboutir.

Cependant, sur certains sujets consensuels tels que les problématiques spécifiquement liées à la cessation d'activité des entreprises d'édition qui n'entrent pas dans le champ de l'accord de 2014, il ne semble pas nécessaire d'attendre pour adapter la loi. En cas de cessation d'activité de l'éditeur, la proposition de loi permet d'améliorer l'information des auteurs sur l'exploitation des oeuvres éditées, mais aussi de faciliter la reprise par l'auteur de ses droits, en simplifiant les conditions de résiliation du contrat.

Ce texte offre également une base législative à l'accord interprofessionnel signé en 2017 par le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition, relatif à l'encadrement des pratiques de la provision pour retours d'exemplaires invendus, et de la compensation intertitres. Toutes ces mesures permettront d'améliorer l'équilibre et la transparence des relations entre auteurs et éditeurs.

Enfin, ce texte apporte un complément très attendu au cadre juridique du dépôt légal des oeuvres à l'ère du numérique.

Je ne vais pas m'étendre davantage sur un texte largement attendu et consensuel. Je voudrais remercier chaleureusement Laure Darcos, Céline Boulay-Espéronnier et vous-même, monsieur le président. Il s'agit d'un travail que nous avons mené ensemble, avec nos équipes, dans un esprit de confiance totale. Ce texte permettra de renforcer l'équité dans la filière du livre et je ne peux que me réjouir du consensus dont il fait l'objet. Par ailleurs, je prends devant vous l'engagement que le Gouvernement sera très attentif à sa mise en oeuvre, notamment à la publication des textes réglementaires nécessaires.

M. Pierre Ouzoulias. - Le travail réalisé est très impressionnant, et on imagine bien les pressions auxquelles vous avez dû faire face. Vous les avez un peu mentionnées, mais je sais qu'elles sont nombreuses. Vous êtes toutefois sortie victorieuse de ce combat. En tant qu'archéologue, je jalouse cette victoire qui vous a valu une citation dans le dernier Astérix : « pas de livraison gratuite d'Amazon » ! Apparaître de son vivant dans Astérix, voilà qui semble tout à fait exceptionnel... Vous faites partie du village gaulois qui résiste à la Pax Amazonica et malgré les légions envoyées contre votre texte, vous avez su défendre une potion magique qui est celle de l'intellect, celle de la diversité des opinions et de leur libre circulation.

Ce combat était important et il était juste. En effet, ce qu'Amazon visait, c'était le prix unique du livre et ce qu'Amazon contestait, c'était la capacité des pouvoirs publics et de la représentation nationale à intervenir et à réguler les marchés, quels qu'ils soient. Il était important de réaffirmer que le livre et la culture ne sont pas des marchandises comme les autres, et que les pouvoirs publics ont un devoir d'agir pour empêcher des dérives qui pourraient entraver ce à quoi nous tenons.

Je note aussi que ce texte advient de façon tout à fait opportune pour défendre les librairies. En effet, je n'oublie pas que, pendant le confinement, dans ma petite commune de Bourg-la-Reine, la librairie était le seul lieu de vie à rester ouvert. Et c'est autour de cette librairie que se sont reconstitués les vrais réseaux sociaux, ceux qui mettent en rapport les humains. Tout le monde a compris alors combien les librairies étaient exceptionnelles, et j'ai même réussi à faire en sorte que mes filles n'achètent plus sur internet, ce qui représente une victoire absolue ! Pour tout cela, j'aimerais vous remercier, chère Laure Darcos, et bien sûr, nous voterons ce texte dans la version transmise par l'Assemblée nationale.

Mme Monique de Marco. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture s'inscrit dans le prolongement d'une politique culturelle française qui prend ses racines dans la loi Lang, dont nous fêtons les quarante ans cette année. Cette politique repose sur une idée simple : le livre n'est pas un bien de consommation comme les autres et, par conséquent, son commerce doit obéir à certaines règles, dont celle du prix unique.

Le texte que vous présentez actualise cette politique en prenant en compte une nouvelle réalité, celle des géants d'internet, celle d'Amazon, celle des menaces qui pèsent sur les librairies indépendantes. En effet, en proposant un tarif de livraison à un centime, Amazon bénéficie d'une distorsion de marché mettant à mal le modèle économique des 4 000 libraires qui font le maillage de notre pays.

L'article 1er y remédie en proposant l'instauration d'un tarif réglementé pour la livraison des livres, déterminé par décret en lien avec l'Arcep, ce qui est bienvenu pour réguler ce marché de manière efficace. J'ajoute aussi qu'il s'agit d'une mesure écologique indéniable, qui devrait rapprocher les lecteurs de leurs libraires de proximité, et limiter ainsi l'empreinte carbone des envois postaux.

Tous les acteurs l'ont démontré durant la pandémie, le secteur du livre est essentiel. Les librairies ont fait preuve de résilience durant cette crise, affichant des pertes de seulement 3 % en 2020 quand les prévisions les plus alarmistes annonçaient des pertes s'élevant à 15, voire 20 %. Et, à chaque déconfinement, Françaises et Français ont témoigné de leur amour pour ces acteurs culturels en se ruant dans les librairies. La présente proposition de loi reconnaît cette réalité et permet de soutenir davantage ce secteur. Ainsi, comme il l'a fait en première lecture, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera résolument pour !

Mme Annick Billon. - Pour ne pas faire durer le suspense plus longtemps, je vous annonce que le groupe Union Centriste votera le texte proposé. Et je félicite, au nom du groupe, l'auteur de cette proposition de loi et la rapporteure, dont je salue la capacité à tenir bon. Malgré ce qui a été dit parfois pendant la pandémie, le livre et les librairies sont essentiels. Je me réjouis que ce texte porté de façon collective et transpartisane aboutisse aujourd'hui, et je note que l'année passée à y travailler l'a rendu à la fois meilleur et consensuel. Bravo à tous !

M. Laurent Lafon, président. - Aucun amendement n'a été déposé sur cette proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Articles 1er, 2, 3, 4 et 5

Les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 sont successivement adoptés sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification. (Applaudissements.)

M. Laurent Lafon, président. - Cette proposition de loi est adoptée à l'unanimité. Merci et bravo pour ce travail, salué par chacun. Nous savons ce qu'il a impliqué de motivation, de détermination et de conviction.

Proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique - Procédure de législation en commission (article 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission (Deuxième lecture)

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons maintenant la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, déposée par notre collègue Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, rapporteure. - Je dois avouer être particulièrement émue. Je ne pensais pas, lorsqu'en 2015 j'ai commencé à réfléchir au rapport que Fleur Pellerin m'avait demandé de préparer sur l'extension des horaires de bibliothèques, qu'en 2021 je réussirais à faire passer cette proposition de loi. Je suis d'autant plus émue que Laure Darcos et moi-même avons réussi dans des délais assez courts, et en même temps, à présenter à la fois au Sénat et à l'Assemblée nationale une vision de la chaîne du livre dans sa transversalité, qui démontre que chacun de ses acteurs et de ses secteurs est absolument indispensable.

Je souhaiterais au préalable remercier les collègues de mon groupe, ceux de la commission, le président Lafon, la ministre, dont je sais qu'elle a été pour beaucoup dans cette adoption, mais également ses services du livre et de la lecture qui m'ont beaucoup aidée dans la rédaction d'un certain nombre d'articles.

À la suite de notre adoption à l'unanimité de la proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique le 9 juin dernier, nos collègues de l'Assemblée nationale se sont saisis du texte. La rapporteure, Florence Provendier, a mené un travail approfondi en commission, conduit de nombreuses auditions, et je tiens à l'en remercier. Ainsi, lors de la séance du 6 octobre dernier, l'Assemblée nationale a également adopté le texte à l'unanimité. J'en ai été profondément touchée comme l'ensemble des bibliothécaires du pays, qui ont suivi les débats avec passion et voient dans notre engagement la reconnaissance de leur importance pour notre pays, dans lequel les bibliothèques représentent le premier équipement culturel, et conservent une puissance symbolique forte.

Les députés ont donc rejoint la démarche que nous avions engagée au Sénat, et ont apporté à la proposition de loi quelques améliorations et compléments notables, que je vais présenter rapidement.

À l'article 1er, l'Assemblée nationale a complété les missions des bibliothèques en y incluant le développement de la lecture publique, la diversification des publics, l'exercice des droits culturels et la réduction de l'illettrisme et de l'illectronisme. Un débat important a eu lieu sur ce sujet et, à l'initiative de la rapporteure, la commission a également prévu la coopération avec les organismes culturels et sociaux, et un accès facilité aux personnes à mobilité réduite.

À l'article 5, l'Assemblée nationale a renforcé les garanties quant au caractère pluraliste et diversifié des collections, en indiquant qu'elles devaient être « exemptes de toute forme de censure idéologique, politique ou religieuse ou de pressions commerciales ».

L'Assemblée nationale a également introduit, à l'initiative du Gouvernement, un nouvel article 9A, qui m'est particulièrement cher parce qu'il précise que les départements ne peuvent pas supprimer, cesser d'entretenir ou de faire fonctionner les bibliothèques dont ils ont la charge. Je vous rappelle que la gestion des bibliothèques centrales de prêt a été transférée aux départements par la loi du 22 juillet 1983. Ils bénéficient en contrepartie du concours particulier « Bibliothèques » et de soutiens financiers spécifiques. Cependant, un département a fait le choix en 2016 de remplacer sa bibliothèque par un service de soutien à la lecture et ce précédent a profondément ébranlé les professionnels et les établissements des autres départements. Je me félicite donc de l'adoption de cette mesure, que j'avais proposée dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), me heurtant alors à l'article 40 de la Constitution. Je précise que cette mesure ne fait qu'apporter une précision, mais une précision essentielle. Nous avons d'ailleurs sondé l'Assemblée des départements de France (ADF), qui ne s'y est pas opposée. Je tenais, madame la ministre, à vous remercier d'avoir soutenu cette démarche.

À l'article 10, l'Assemblée nationale est revenue, pour des raisons juridiques, sur l'extension des bénéficiaires de la dotation « Bibliothèques » aux établissements publics de coopération culturelle et aux groupements d'intérêt public. Les débats ont cependant permis de préciser que la dotation pouvait leur être reversée par la collectivité, au titre de leurs missions en lien avec les bibliothèques.

Enfin, à l'article 12, l'Assemblée nationale a souhaité permettre aux organismes du secteur caritatif et social bénéficiant des dons d'ouvrages de les revendre. Vous vous rappelez sans doute que notre collègue Monique de Marco avait défendu au Sénat une disposition très proche, que j'avais alors jugée potentiellement porteuse de risque, en accord avec le Gouvernement. Finalement, la navette parlementaire aidant, cette idée a fait son chemin, et ma position a évolué, pour des raisons très pragmatiques qui tiennent à la structure de ces organismes.

Telles sont les principales améliorations apportées par l'Assemblée nationale à cette proposition de loi. Je crois qu'elles ne trahissent pas nos travaux, mais elles les confortent au contraire. Face à cette convergence, dont témoigne aussi le double vote à l'unanimité, nous avons retenu, avec le président Lafon, la solution d'une lecture en commission. L'adoption conforme du texte aujourd'hui, suivie d'un simple vote en séance publique le 16 décembre prochain, nous assure ainsi de la promulgation de la loi d'ici à la fin de l'année, ce qui serait une grande victoire pour nous, en tant que parlementaires, mais surtout pour les bibliothèques, pour la lecture publique et les bibliothécaires. Je vous propose donc d'adopter ce texte tel qu'issu des travaux de l'Assemblée nationale, et je tiens à vous remercier très sincèrement pour votre engagement.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - C'est une joie de pouvoir dire le plein soutien du Gouvernement à cette proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique. Madame Robert, vous avez souligné le travail collaboratif de grande qualité engagé au Sénat, puis à l'Assemblée nationale. Les députés ont amendé le texte en conservant l'esprit et les dispositions principales.

Avec 16 500 établissements, les bibliothèques constituent le premier équipement culturel public de proximité en France. Près de 12 millions d'usagers et 13 000 collectivités territoriales - communes, intercommunalités, départements - font vivre ces lieux de culture et d'éducation sur tout le territoire.

L'État prend part à cet effort en faveur des bibliothèques et de la lecture publique. Outre les bibliothèques universitaires, il gère deux bibliothèques nationales - la Bibliothèque nationale de France (BnF) et la Bibliothèque publique d'information (BPI) - et accompagne les collectivités territoriales pour moderniser les établissements et maintenir la vitalité de la lecture publique.

Le partenariat noué entre les collectivités territoriales et l'État autour des bibliothèques est remarquable. Alors que la lecture a été déclarée grande cause nationale, ce quinquennat marquera un moment important de cette relation. Sur la base du diagnostic posé par M. Erik Orsenna en 2018, les collectivités territoriales et l'État ont renforcé leur collaboration pour étendre les horaires d'ouverture des bibliothèques, diversifier leurs missions et accompagner la formation des professionnels.

Grâce au plan pour les bibliothèques qui a suivi, l'État a accru les moyens alloués aux collectivités de plusieurs manières, avec la dotation générale de décentralisation, le plan de relance, une contractualisation renforcée, ainsi que des augmentations de crédits consolidées d'année en année, soit un total de près 60 millions d'euros pour la lecture publique entre 2018 et 2022.

Une vraie dynamique est née. Fin 2021, plus de 500 projets auront été soutenus dans toute la France.

Par rapport à 2016, les bibliothèques aidées ouvrent huit heures trente supplémentaires par semaine. Cette politique offre à près de 12,4 millions d'habitants, notamment dans les territoires les plus fragiles, la possibilité d'accéder davantage à leur bibliothèque.

L'État a également accompagné la transformation des bibliothèques dans les champs éducatif, social et numérique. Il fallait toucher de nouveaux publics en intensifiant une politique partenariale avec les collectivités territoriales. Le nombre de contrats territoire-lecture (CTL) a augmenté de 50 % entre 2017 et 2021, et l'État a créé en 2018 des contrats spécifiques pour les bibliothèques départementales ; ces contrats ont été signés avec plus de la moitié des départements.

Ce « moment bibliothèques » trouve aujourd'hui sa concrétisation sur le plan législatif avec l'initiative de Sylvie Robert, ce qui permettra enfin de consacrer, dans le code du patrimoine, le rôle essentiel de nos bibliothèques ; il apparaît d'ailleurs incroyable que cela ne se soit pas produit plus tôt.

Bien que le secteur des bibliothèques n'échappe pas au droit, il est étonnant de relever la faiblesse de sa présence dans notre corpus législatif. Là où le code du patrimoine accorde plus de 60 articles de loi aux archives et 30 musées, il n'en accorde que 5 seulement aux bibliothèques. Le moment était donc venu de faire pleinement entrer les bibliothèques dans le droit, avec un texte qui, à mes yeux, propose plusieurs avancées.

Ce texte, en effet, permet de rappeler que les missions culturelles, éducatives et ludiques des bibliothèques s'inscrivent dans le respect des principes de pluralisme des courants d'idées et d'opinions, et de neutralité du service public. Les bibliothèques doivent demeurer des espaces de liberté, des lieux de respiration démocratique ; leurs professionnels doivent être protégés de la censure comme de toutes pressions politiques, religieuses ou sociales, et leurs collections doivent refléter la diversité des opinions.

Par ailleurs, les bibliothèques doivent rester accessibles à tous, librement et gratuitement. Il est important que la loi entérine un principe qui fait consensus et constitue l'une des conditions du succès des bibliothèques.

La loi accompagne, en outre, la montée en puissance des collaborations entre collectivités territoriales, tout en respectant leur administration et en réaffirmant le rôle essentiel des bibliothèques départementales dans le soutien aux petites bibliothèques, notamment rurales.

L'Assemblée nationale a bien enrichi le texte, et je souhaite revenir sur trois ajouts. Le premier donne la possibilité aux bibliothèques de l'État et aux collectivités territoriales de revendre les livres dont elles n'ont plus l'usage et qui appartiennent au domaine privé à des fondations, associations philanthropiques ou entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS). Le deuxième ajout empêche les départements ayant bénéficié du transfert par l'État d'une bibliothèque centrale de prêt (BCP) de supprimer leur bibliothèque départementale. Enfin, le troisième ajout concerne les notions d'accessibilité aux personnes en situation de handicap, afin que celles-ci puissent accéder aux collections et aux services.

Ces avancées ont permis d'aboutir à un texte attendu et adopté à l'unanimité le 6 octobre dernier par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement soutient sans réserve l'esprit et la lettre de la proposition de loi de Sylvie Robert. Je tiens de nouveau à vous remercier, madame la sénatrice, pour votre engagement. Il s'agit d'un texte important, qui permet de consacrer - enfin ! - dans la loi le rôle essentiel de ces établissements publics de proximité ; je crois que nous pouvons tous nous en féliciter.

Mme Céline Brulin. - C'est une bonne idée d'avoir mis ces deux propositions de loi à l'ordre du jour de nos travaux ; on voit bien ce qui peut les relier.

Nous voterons ce texte sans réserve. Comme cela a été précisé, il est surprenant que les bibliothèques n'aient pas été davantage « sanctuarisées » dans des textes législatifs. Aujourd'hui me semble le moment opportun ; d'abord parce que les bibliothèques se transforment et deviennent de véritables lieux de vie ; et puis, comme l'a rappelé Mme la ministre, parce que défendre le pluralisme est peut-être encore plus important en ces temps troublés. Plus que jamais, il me paraît nécessaire de protéger les personnels des bibliothèques et de défendre des lieux où circule la diversité des opinions.

Je me félicite que cette proposition de loi permette aux bibliothèques de céder gratuitement des ouvrages dont elles n'ont plus l'usage à une diversité d'associations oeuvrant pour la solidarité.

Même si j'en comprends la logique, j'émets une petite réserve sur le fait que l'Assemblée nationale ait dû supprimer l'article 10 permettant aux groupements d'intérêt public (GIP) et aux établissements publics de coopération culturelle (EPCC) de bénéficier du concours particulier pour les bibliothèques au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; mais Sylvie Robert a indiqué qu'il existait des possibilités de reversement.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. - Une précision, madame la sénatrice : on y procédera par décret.

Mme Monique de Marco. - Ce texte très attendu réaffirme trois grands principes : la liberté d'accès aux bibliothèques, la gratuité et le pluralisme des collections.

Le cadre juridique pour les bibliothèques était insuffisant. La proposition de loi a été enrichie par l'Assemblée nationale. Je pense, par exemple, dans l'article 1er, au fait que les bibliothèques participent à la diffusion et la promotion du patrimoine linguistique. Autre ajout intéressant : la possibilité de coopérer avec les organismes culturels, éducatifs et sociaux, ainsi que les établissements pénitentiaires.

À l'article 9 également, le fait que les départements ne puissent ni supprimer les bibliothèques ni cesser de les entretenir ou de les faire fonctionner, va dans le bon sens. Enfin, je suis satisfaite de la modification apportée à l'article 12, permettant aux bibliothèques d'effectuer des dons à des fondations, des associations loi 1901 ou des organismes de l'ESS ; cette modification se rapproche des amendements que nous avions déposés. Avec la crise du covid, les bibliothèques ont eu des difficultés à réaliser leur désherbage et, dans le même temps, elles ont donné des documents à ce type d'organismes.

Nous sommes donc tout à fait favorables à l'adoption de cette proposition de loi.

Mme Laure Darcos. - Je tiens, encore une fois, à féliciter ma collègue Sylvie Robert. On peut déjà voir l'impact de la lecture publique, et ce qui a été décidé pour les bibliothèques départementales est également très important ; cette mesure visait directement le département des Yvelines qui avait décidé de supprimer sa bibliothèque. Nous voyons aujourd'hui à quel point il est fondamental de rayonner sur l'ensemble du territoire. Nous savons que, si les jeunes n'ont pas la possibilité d'aller dans des librairies, ils trouvent leur premier contact culturel dans les médiathèques et bibliothèques.

Naturellement, nous voterons ce texte, qui est l'aboutissement d'un long chemin. J'espère enfin que les ouvertures le dimanche seront de plus en plus fréquentes ; il s'agira d'initier cela dans nos territoires.

M. David Assouline. - La principale vertu de ce texte est de réparer une injustice et même une faute politique en faisant rentrer nos bibliothèques dans le code du patrimoine. L'ajout sur la liberté et le pluralisme me semble particulièrement juste. J'ai le souvenir d'un moment de tension politique alors qu'un certain nombre de collectivités locales - je pense aux municipalités de Vitrolles ou d'Orange - avaient élu à leur tête des dirigeants peu enclins à la défense du pluralisme ; leur première décision, à l'époque, fut de retirer des bibliothèques des livres qui leur déplaisaient.

Je souhaite enfin témoigner de mon expérience personnelle. Je suis arrivé en France à huit ans ; un peu perdu, j'arrivais dans une banlieue, à Creil, où je ne connaissais personne. Le premier endroit où je me suis dirigé pour accéder à des livres et nourrir des passions en dehors de l'école, ce fut la bibliothèque. J'ai mesuré depuis à quel point, pour ceux qui se retrouvent à huit dans un appartement et n'ont aucun endroit pour être tranquilles, travailler ou effectuer des recherches, la bibliothèque est le seul lieu où cela est possible.

Cette proposition de loi nous encourage à ne pas fermer les bibliothèques, à les rendre plus ouvertes encore, notamment le dimanche. À l'heure d'internet et de l'accès instantané à tout, on s'aperçoit que les bibliothèques restent des lieux de sociabilité et de justice sociale. Ceux qui ont le plus besoin des bibliothèques, ce sont les populations défavorisées, qui n'ont pas accès aux livres chez eux ou n'ont pas la place pour pouvoir se poser, étudier ou découvrir.

Cette proposition de loi étant bienvenue, nous allons naturellement la soutenir.

M. Pierre-Antoine Levi. - Le groupe Union Centriste votera bien évidemment cette proposition de loi.

Je veux, au nom de mes collègues, féliciter Sylvie Robert, auteure et rapporteure de ce texte. Le travail qu'elle a réalisé depuis 2015 se voit récompensé.

La pandémie a montré que les Français avaient un besoin collectif de culture. La fermeture des bibliothèques durant quelques mois a été durement vécue.

Cette proposition de loi tombe à point nommé, puisqu'elle garantit la liberté d'accès, la gratuité et, surtout, le pluralisme des cultures, dont on sait combien il est particulièrement important en ce moment.

J'en profite pour féliciter également Laure Darcos. Le vote de ces deux propositions de loi selon la procédure de législation en commission est un beau symbole.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

M. Laurent Lafon, président. - Aucun amendement n'a été déposé sur le texte.

Articles 1er, 4, 5, 7, 9A, 9, 10 et 12

Les articles 1er, 4, 5, 7, 9A, 9, 10 et 12 sont successivement adoptés sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

M. Laurent Lafon, président. - Je constate que cette proposition a été adoptée à l'unanimité.

Pour terminer, je tiens à féliciter Sylvie Robert. Pour l'anecdote, alors que je visitais une bibliothèque de mon département, la responsable a admiré que, en ma qualité de président de la commission, je puisse la connaître...

La réunion est close à 18 heures.

Mercredi 24 novembre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques - Désignation du rapporteur

La commission désigne Mme Catherine Morin-Desailly rapporteure de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.

Crédits relatifs à la création et à la transmission des savoirs et démocratisation de la culture - Examen du rapport d'information

M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelait initialement ce matin l'examen des avis budgétaires consacrés aux crédits alloués à la « Création », aux « Patrimoines », au « Cinéma » et à l'« Action culturelle extérieure » au sein du projet de loi de finances pour 2022.

Le rejet de la première partie du texte hier après-midi dans l'hémicycle, qui a entrainé le rejet de l'ensemble du projet de loi de finances nous contraint cependant à transformer ces avis législatifs en rapport d'information.

Cette solution permet de prendre acte du rejet du texte par le Sénat tout en permettant à nos rapporteurs de faire connaître leurs analyses sur les missions, les crédits et les politiques publiques relevant de leurs compétences respectives.

Je cède immédiatement la parole à Sylvie Robert pour nous présenter son rapport sur les crédits consacrés à la « Création » ainsi qu'à la « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Mme Sylvie Robert, rapporteure. - La mission « Culture » ne fait pas exception à la règle cette année : ses crédits sont en progression de près de 10 % en 2022 et ce sont principalement les deux programmes dont j'ai la charge qui bénéficient de ces hausses de crédits. La croissance des crédits du programme « Création » est de l'ordre de 6 %. Quant au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », il connait une croissance spectaculaire, avec une hausse de ses crédits de 30 %.

En ce qui concerne la création, l'État confirme son engagement budgétaire dans ce domaine en 2022, avec près d'1 milliard d'euros inscrits au titre du programme 131 et du plan de relance.

Les trois priorités vers lesquelles s'orientent les hausses de crédits en 2022 correspondent aux principaux points de fragilité qui risqueraient de gripper la reprise déjà trop timide de l'activité.

La première priorité porte sur le soutien à la création dans les territoires. Elle se traduit par une revalorisation des crédits alloués aux labels, aux équipes artistiques et aux résidences. Elle donne également lieu à 10 millions d'euros de mesures nouvelles en faveur des festivals, afin d'accompagner financièrement la redéfinition de la politique de l'État en direction de ces manifestations, qui doit être annoncée lors de la troisième édition des états généraux des festivals à Toulouse la semaine prochaine. Ces nouveaux crédits étaient nécessaires pour rendre crédibles les annonces à venir et seront sans doute complétés en gestion.

La deuxième priorité concerne l'accompagnement des opérateurs en fonctionnement et en investissement. La revalorisation des crédits destinés aux opérateurs reste cependant contenue, puisque plus de 40 millions d'euros de crédits supplémentaires devraient être alloués aux opérateurs de la création dans le cadre du collectif budgétaire actuellement en discussion.

Le soutien à l'emploi constitue la troisième priorité, avec 5 millions d'euros de mesures nouvelles en faveur du Fonds pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps). Il s'agit en fait plus d'une mesure de sincérité budgétaire que d'une véritable mesure nouvelle. Je regrette que l'État ne se soit pas donné de marges de manoeuvre financières pour financer l'éventuelle prolongation de certaines des mesures qui avaient été mises en place pour soutenir l'emploi en 2021 et qui doivent s'éteindre à la fin de l'année.

Malgré ce soutien accru, je reste extrêmement inquiète pour la situation de la création en 2022. Les perspectives restent alarmantes. D'une part, la situation financière des établissements demeure extrêmement fragile. Le soutien de l'État n'a généralement pas suffi à compenser les pertes. Le maintien de mesures sanitaires constitue un vrai frein pour la relance de l'activité et nécessite une intervention de l'État pour compenser les pertes, même si un décret paru mi-novembre a enfin rétabli les jauges à 100 %, ce qui pourrait peu à peu améliorer la situation.

D'autre part, la reprise reste encore limitée. Les ventes de billets enregistrent un infléchissement très net. On ne peut pas non plus exclure que la crise se soit traduite par un changement durable des habitudes culturelles des Français.

Dans ces conditions, le budget suffira-t-il pour permettre aux acteurs de la création de franchir le cap de l'année 2022 ? Rien n'est moins sûr. On ne peut écarter, à ce stade, le risque d'avoir à prolonger certaines des mesures exceptionnelles de soutien ou à en mettre en place de nouvelles, en fonction de l'évolution de la situation sanitaire et il faut bien reconnaitre que les circonstances actuelles n'encouragent guère à l'optimisme.

Il faudra donc que le ministère fasse preuve d'une grande vigilance courant 2022 et c'est pourquoi j'insiste sur le fait que l'une des urgences me parait être d'avoir des instances de concertation opérationnelles, avec les collectivités et avec les professionnels du secteur, pour pouvoir réagir rapidement et au plus près des besoins des uns et des autres. La structuration des filières musicales et des arts visuels en régions doit constituer également une priorité.

Permettez-moi également quelques mots sur la situation des artistes et des équipes artistiques, qui restent les premières victimes de la crise sanitaire. Depuis 2020, les aides sectorielles du ministère de la culture se sont essentiellement portées sur les lieux. Si ce soutien a évidemment eu des retombées positives sur les artistes en permettant d'assurer le règlement des contrats de cession en cours, il a surtout profité, en termes d'emploi, à l'emploi permanent de ces structures, moins aux artistes.

Le risque, c'est donc que la lenteur de la reprise, le maintien de restrictions sanitaires et l'engorgement des productions artistiques ait des conséquences durables sur l'emploi intermittent et l'activité des artistes visuels. De nombreux artistes sont aujourd'hui découragés, les reconversions professionnelles sont très nombreuses parmi les intermittents.

La crise a rendu très difficile l'insertion des jeunes artistes sur le marché du travail et il s'agit là d'une vraie source de préoccupation, à laquelle le budget pour 2022 ne répond que très imparfaitement.

Peut-être que si le ministère de la culture soutenait davantage les tiers lieux, les lieux de fabrique artistique, les structures de l'économie sociale et solidaire, il trouverait là un levier, car ces structures sont des sources de débouchés importantes pour les jeunes artistes et des lieux essentiels à l'accès à la culture dans les territoires, urbains comme ruraux.

On en revient au problème que nous avions pointé du doigt, avec Sonia de La Provôté, dans le rapport sur les crédits du plan de relance pour la création : la forte rigidité du budget de la création, dont l'essentiel des crédits sont fléchés en direction des opérateurs et des labels, prive aujourd'hui l'administration centrale et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) de toute marge de manoeuvre pour accompagner sur les territoires de nouveaux projets structurants. Il serait vraiment utile de laisser un minimum de latitude aux DRAC pour soutenir les projets émergents, hybrides ou ceux qui concernent des territoires plus reculés ou des disciplines plus négligées.

J'en viens maintenant au programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Du côté de l'enseignement supérieur culture et des enseignements spécialisés, je voulais vous indiquer que les choses pourraient être en cours d'évolution.

En ce qui concerne les écoles d'architecture, le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation devraient créer 10 postes supplémentaires d'enseignants-chercheurs pour accompagner la mise en oeuvre de la réforme de 2018. Cet effort devra être poursuivi en 2023, mais c'est un premier signe.

En ce qui concerne les écoles d'art territoriales, une mission conjointe a été confiée à l'inspection générale des affaires culturelles, l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et l'inspection générale de l'administration il y a quelques mois sur la question de l'alignement du statut de leurs enseignants sur celui des enseignants des écoles nationales. Même si je déplore qu'aucun calendrier n'ait été acté, j'espère que cette mission permettra enfin de débloquer cette situation, qui pose un vrai problème pour la cohérence du réseau des écoles d'art dans notre pays.

En ce qui concerne les conservatoires, la réforme du classement des conservatoires devrait finalement faire l'objet de concertations dans les mois à venir et le ministère de la culture n'a pas perdu de vue l'objectif initial d'une entrée en vigueur progressive au cours de l'année universitaire 2022-2023. Il serait important que cette réforme aboutisse pour répondre à l'attente d'une présence renforcée de l'État et d'une évolution de sa politique en faveur des conservatoires. Les critères actuels ne sont plus en phase, ni avec les missions remplies par les conservatoires et le rôle qu'ils jouent dans les territoires, ni avec les attentes de leurs publics.

Le principal enjeu du programme 361, c'est le Pass culture, qui connait deux évolutions majeures : d'une part, sa généralisation à tous les jeunes de 18 ans depuis la réouverture des établissements culturels en mai dernier ; d'autre part, son extension, à compter de janvier 2022, aux jeunes collégiens à partir de la 4e, ainsi qu'aux lycéens. Concrètement, de la 4e à la terminale, les professeurs auront la possibilité de réaliser un projet collectif avec les élèves de leur classe en choisissant une offre parmi le catalogue proposé par le Pass culture. En outre, les lycéens se verront attribuer un crédit individuel, de 20 euros en 2nde et de 30 euros en 1ère puis en terminale, à consommer sur l'application Pass culture pour se familiariser progressivement avec elle et favoriser ainsi la construction d'un véritable parcours.

Pour financer ces évolutions, les crédits progressent de 140 millions d'euros en 2022, soit une augmentation de 237 %, pour s'établir à 199 millions d'euros. Le ministère de l'éducation nationale prend directement en charge sur ses crédits le volet collectif du Pass culture, à hauteur de 45 millions d'euros, soit un financement total par l'État du Pass culture de 244 millions d'euros en 2022. Cela signifie que cet instrument devient désormais l'axe majeur, à la fois de la politique d'éducation artistique et culturelle (EAC), dont les crédits s'établissent pour le reste à 100 millions d'euros, et de toute la politique de démocratisation culturelle en général.

Avec Jean-Raymond Hugonet et Sonia de La Provôté, nous avons conduit un certain nombre d'auditions sur le sujet : le nouveau Président de la SAS Pass culture, les cabinets des ministres de la culture et de l'éducation nationale, les services du ministère de la culture, ainsi que le Vice-président du Haut conseil à l'éducation artistique et culturelle.

J'ai d'abord le sentiment que la généralisation du Pass culture et son ouverture aux jeunes de moins de 18 ans rendent le Pass culture un peu plus cohérent avec la politique menée en matière de démocratisation culturelle.

Reconnaissons aussi que plusieurs des réserves que nous avions formulées semblent avoir été entendues. Un continuum entre l'EAC et le Pass culture est désormais en place. Les plateformes ne tirent pas de bénéfice à être présentes sur l'application et elles assurent même indirectement le financement, aux côtés de l'État, de cet instrument puisque leurs offres ne leur sont pas remboursées, mais sont décomptées des crédits du jeune.

En revanche, la SAS doit encore intensifier ses efforts pour toucher les jeunes les plus éloignés de la culture et pour développer des dispositifs de médiation, même s'il a commencé à prendre des actions en ce sens.

Compte tenu du volume des crédits engagés en 2022, il faut absolument que le Pass apporte la preuve de son efficacité en termes de démocratisation de la culture, de diversification des pratiques culturelles des jeunes, de promotion de la diversité culturelle et de soutien aux acteurs culturels les plus fragiles. Il serait bon, à mon sens, que le dispositif fasse l'objet d'une évaluation qualitative sur ces sujets avant l'automne prochain.

J'identifie notamment trois défis qui attendent la SAS pour permettre au Pass culture de ne pas se réduire à une simple approche consumériste de la culture, mais de se révéler comme une véritable politique publique.

D'abord, comment assurer la bonne articulation du Pass culture avec la politique d'EAC ?

La création du volet collectif du Pass culture ne marquera un progrès de l'EAC que si les établissements scolaires ne réduisent pas à due proportion leurs budgets d'EAC et si les actions qu'il finance s'inscrivent dans un véritable projet d'établissement en matière d'EAC. Si la sortie effectuée grâce au Pass n'est pas préparée en amont, ne donne pas lieu à des discussions avec la classe ensuite pour aller plus loin, ce ne sera pas véritablement de l'EAC. Je rappelle que l'EAC est fondée sur trois piliers : fréquenter, pratiquer, s'approprier des connaissances. Il faut donc, en complément, former les enseignants et les artistes.

Ensuite, comment faire en sorte que le Pass culture garantisse à tous les jeunes une égalité d'accès à la culture sur le territoire ?

Le Pass reposant sur les propositions des offreurs existants, il n'abolit pas les inégalités territoriales d'accès la culture. D'où l'importance du partenariat entre la SAS et les collectivités territoriales pour lever les barrières dans l'accès à la culture qui peuvent être liée, soit au niveau de l'offre, soit à la problématique du transport.

Enfin, le Pass peut-il contribuer à la relance de l'ensemble du secteur culturel ?

C'est toute la question de la capacité du Pass culture à parvenir à diversifier les pratiques culturelles des jeunes. Au regard de la répartition actuelle des réservations entre les différentes catégories, je crois que des efforts sont encore nécessaires pour mieux valoriser les offres dans le domaine du spectacle vivant, des musées et des centres d'art.

Cette question me permet, en quelque sorte, de boucler la boucle car l'enjeu de 2022 pour la création, c'est bien celui de la relance, compte tenu des incertitudes actuelles. Même si le niveau des crédits est très élevé, il faudra faire preuve de la plus grande vigilance pour accompagner le secteur jusqu'au terme de cette crise qui est encore loin d'être achevée en ce qui le concerne.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Frappé de plein fouet par les conséquences dévastatrices de la crise sanitaire, le secteur de la culture réclamait un engagement budgétaire conséquent de la part du Gouvernement. Il serait malhonnête d'affirmer que l'effort d'investissement n'a pas été à la hauteur de l'urgence. Les crédits de l'État ont permis de voler au secours d'opérateurs et d'acteurs culturels déjà fragiles avant la crise et plus que jamais menacés de précarisation. Il faudra ensuite se poser la question de la pérennité de ces nouvelles dotations financières, tant du point de vue de l'équilibre budgétaire général qu'au regard de la situation de dépendance aux fonds publics dans laquelle stagnent une partie des filières couvertes par la mission.

Si les crédits du programme « 131 » progressent, on peut déplorer que les aides accordées par l'État au travers de ce programme et des crédits du plan de relance visent davantage la sauvegarde des opérateurs frappés par la crise que le soutien à une véritable relance économique rapide du secteur. On peut ainsi regretter l'absence de recours au levier du crédit d'impôt pour le spectacle vivant ou du plus récent crédit d'impôt pour les représentations théâtrales. Véritable coup de fouet fiscal, ce crédit d'impôt permettrait à de nombreuses structures culturelles d'évoluer de la survie vers l'investissement dans des projets d'avenir.

La généralisation du Pass culture soulève également des interrogations. Déployé dans toute la France depuis mai 2021, il devrait être étendu aux jeunes de 15 ans et plus et aux élèves à partir de la 4e dès 2022. Le coût de cette montée en chargé est établi à 140 millions d'euros en année pleine pour la mission « Culture ». Avec plus de 770 000 jeunes ayant activé leur Pass, le succès du dispositif auprès de la population visée est indéniable. Néanmoins, le Pass culture ne doit pas s'éloigner de sa vocation en se résumant, par exemple, à un moyen de financement d'achats scolaires.

Afin de favoriser la démocratisation culturelle et l'égalité des chances, l'EAC doit demeurer une priorité de l'État et le Pass culture n'est qu'un instrument destiné à servir cette politique éducative. Cette dernière doit se traduire par la mise en place d'un véritable parcours culturel, ciblant notamment le spectacle vivant. Il faudra veiller à faire du Pass une véritable plateforme en faveur de l'EAC et que cette incitation produise des effets qui s'inscrivent dans le temps.

Enfin, en tant qu'élue parisienne, je souhaiterais évoquer le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L'apport du plan de relance au programme « Patrimoines » ne saurait faire oublier qu'à l'exception de la dépense fiscale liée au mécénat, aucun financement public n'a été alloué aux travaux de conservation et de restauration. Les donateurs privés contribuent aujourd'hui seuls au financement de l'établissement public en charge de ces travaux, ce qui est non seulement en contradiction avec la loi du 29 juillet 2019, mais trahit l'intention des donateurs. En abandonnant ce joyau de notre culture qui inspira la plume lumineuse de Victor Hugo, l'État commet un manquement qu'il convient de réparer au plus vite.

Mme Sonia de La Provôté. - Sur le plan budgétaire, l'augmentation des crédits du programme 131 est positive. Le budget pour 2022 n'est pas un budget classique. C'est particulièrement vrai pour le secteur de la culture, dont la reprise n'est toujours pas vraiment palpable. Le secteur reste en proie à de nombreux risques. Je ne suis pas sure que la manière dont les crédits sont répartis permettent de les atténuer.

Les crédits profitent une nouvelle fois principalement aux opérateurs, aux labels et aux plus grosses structures, qui ne sont pas nécessairement ceux qui contribuent le plus à la diffusion de la culture sur les territoires. Pour l'essentiel, les crédits déconcentrés sont fléchés vers les labels et la mise en oeuvre d'appels à projets nationaux. Il ne s'agit donc pas, à mon sens, de véritables crédits déconcentrés, d'autant qu'il y a un manque évident d'interaction avec les collectivités territoriales, qui sont pourtant les principaux financeurs de l'accès pour tous à la culture et de la mise en oeuvre des droits culturels.

Compte tenu de l'ampleur des menaces qui pèsent encore sur le secteur culturel en 2022, il ne faut pas relâcher le niveau de vigilance : chacun devra maintenir le niveau de ses contributions.

Je déplore qu'aucun réel progrès n'ait été enregistré au cours des dernières années concernant les réformes structurelles, qui sont pourtant au coeur de la problématique de l'accès à la culture. La question des écoles d'art territoriales n'est toujours pas traitée. La réforme du classement des conservatoires reste en suspens. Même sur les écoles d'architecture, les avancées ne sont pas suffisantes pour assurer la pleine mise en oeuvre de la réforme de 2018.

S'agissant du Pass culture, il me semble qu'il y a un risque réel, en privilégiant cet instrument, d'aboutir à une politique d'EAC consumériste, alors que l'EAC repose plutôt, à mes yeux, sur la médiation et l'accompagnement des jeunes. Ce sont les deux axes qu'il conviendrait de développer dans l'objectif du « 100 % EAC ». Pour ma part, j'estime que les plateformes bénéficient bel et bien du Pass culture car si elles ne perçoivent rien sur un plan financier, elles récupèrent des données sur les jeunes. C'est une vraie richesse pour elles et c'est évidemment un danger pour les jeunes, qui risquent de se retrouver captifs à leur insu.

M. Pierre Ouzoulias. - Le budget de la culture pour 2022 est un budget de crise, qui tente surtout de sauver les opérateurs. Le Gouvernement vient au secours des opérateurs dans le domaine de la culture de la même manière qu'il vient au secours des entreprises dans les autres secteurs. Mais, au final, il s'est contenté de sauver une filière, sans autre vision pour la culture. Il n'y a eu aucune réflexion sur ce que représente la culture en France et la politique culturelle qu'il convient de mettre en place.

Le Pass culture illustre parfaitement le mode d'action du Gouvernement en matière culturelle. C'est l'une des raisons pour lesquelles mon groupe a systématiquement rejeté les crédits de la mission « Culture » au cours des quatre dernières années. Nous considérons que le Pass culture s'apparente à un chèque « culture », comme dans d'autres domaines, le Gouvernement met en place un chèque « énergie ». La philosophie du Pass culture me parait liée au concept anglo-saxon de capital humain : chaque jeune est détenteur d'un capital qu'il peut enrichir en achetant des produits, avec l'aide de l'État, sur le marché de la culture, lui-même régulé par l'État. Dans cette conception, l'exception culturelle française ne réside plus que dans une intervention de l'État sur le marché de la culture.

Autant dire que cette vision nous parait très éloignée de celle de Malraux, où l'art et la culture sont appréhendés comme des vecteurs d'instruction, des moyens de contribuer à l'émancipation des individus au bénéfice de la société toute entière. Les élus partageaient jusqu'ici cette vision, rendant possible une continuité des politiques culturelles dans les territoires malgré les alternances. Il me semblerait important, une fois la crise passée, que nous analysions l'influence prise par le modèle anglo-saxon par rapport à la vision qui avait cours jusqu'ici.

M. Lucien Stanzione. - Alors que le retour à la normale des activités dans le secteur de la culture n'est pas pour demain, les crédits devraient être moins élevés en 2022 qu'en 2021 : la plupart des crédits du plan de relance destinés à la création étaient inscrits sur 2021. L'année prochaine sera donc une vraie année charnière où l'on peut craindre que les effets de la crise se fasse véritablement sentir, faute d'un niveau suffisant de crédits pour compenser une activité toujours molle.

Le problème du Pass culture, c'est qu'il imprime une vision court-termiste de l'EAC. La mise en oeuvre des droits culturels ne se résume pas à l'achat de livres ou de places de concert. L'effort en matière d'EAC n'est pas au rendez-vous. Ses crédits sont dispersés. Cette politique manque encore d'une vision globale, stratégique.

S'agissant de l'enseignement supérieur culture, il est vrai que les crédits sont en hausse, mais il n'y a pratiquement rien pour les écoles d'art.

En tant que sénateur du Vaucluse, il est pratiquement de mon devoir d'évoquer la question des festivals. La saison 2021 s'est mieux passée que prévu. À Avignon, le public a été au rendez-vous. Il n'empêche que certains festivals ont de plus en plus de mal à survivre après ces deux années de crise et il est important que l'État se réengage sur ces questions.

En conclusion, je saluerai l'effort budgétaire, tout en m'interrogeant sur la manière dont les crédits ont été répartis.

M. Bernard Fialaire. - Je regrette les stratagèmes indignes de notre assemblée qui empêchent que nous débattions de ce rapport en séance.

J'ai le sentiment que la crise a été relativement bien surmontée par le secteur de la culture grâce à une intervention de l'État que je juge à la hauteur. Je suis plutôt un défenseur du Pass culture, même s'il ne saurait être l'unique instrument de la politique culturelle. Je crois utile qu'il y ait à la fois une politique d'éducation artistique et culturelle descendante, et une part d'autonomie laissée à chacun, dans la mesure où l'autonomie est aussi source de découvertes.

M. Jean-Raymond Hugonet. - En ce qui concerne le Pass culture, je reconnais tout à fait au Président de la République le droit qui est le sien de vouloir impulser une politique culturelle d'une nature particulière. Mais il me parait absurde que cette politique fasse table rase du passé, sans aucune considération pour l'action des collectivités territoriales dans le domaine culturel et l'offre qu'elles ont développée. C'est ce qui suscite mon agacement. Un autre exemple : au moment de la création du Pass culture, l'idée d'en ouvrir le bénéfice aux jeunes de moins de 18 ans avait été balayée d'un revers de main pour revenir finalement sur cette décision à peine quelques années après.

Il me semble que le Pass culture est une parfaite illustration du « fait du prince ». C'est un pur outil de communication. Je regrette l'argent qui y est investi, alors qu'il existe des moyens simples de renforcer l'EAC selon une approche éducative et non mercantile, par exemple en créant une nouvelle catégorie de professeurs - les professeurs de l'éducation artistique et culturelle -, comme le demandent les musiciens intervenants (aussi connus sous le nom de « dumistes ») depuis plusieurs années.

Mme Sylvie Robert. - Je retiens de vos interventions la nécessité de continuer à suivre attentivement au sein de notre commission les évolutions du Pass culture et ses résultats. En quatre ans, les crédits de l'EAC ont évolué pour s'orienter désormais, aux deux tiers, vers le Pass culture.

L'augmentation des crédits de la culture est indéniable. Mais comment expliquer que les chantiers dont on parle pourtant depuis des années - celui des écoles d'architecture, des écoles d'art, des conservatoires - ne s'ouvrent que maintenant, en fin de quinquennat ?

Compte tenu des fortes incertitudes sur l'évolution de la situation sanitaire, les inquiétudes restent vives pour 2022 et 2023. La situation des artistes est un vrai sujet de préoccupation. C'est la raison pour laquelle nous devons continuer à regarder de près la situation du secteur, car le passage de l'année 2022 à l'année 2023 sera décisif.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Crédits relatifs aux patrimoines - Examen du rapport d'information

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport préparé par Sabine Drexler sur les crédits consacrés aux « Patrimoines ».

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, vous ne serez guère surpris d'apprendre que les crédits du programme 175 « Patrimoines » sont eux aussi en progression en 2022, de l'ordre de 3 % en autorisations d'engagement (AE) et de 1 % en crédits de paiement (CP). À l'exception de l'action sur laquelle sont inscrits les crédits d'acquisition et d'enrichissement des collections publiques, dont le niveau demeure inchangé, toutes les actions du programme voient leurs crédits croître pour accompagner l'action de l'État en matière de patrimoine bâti, de musées, d'archives et d'archéologie préventive.

J'ai néanmoins choisi de concentrer mon propos sur la question du soutien de l'État au patrimoine bâti, dans la mesure où le Président de la République avait, en 2018, fait de cette question une « cause nationale ». Il me semblait intéressant de voir dans quelle mesure cette annonce avait été suivie d'effets pendant le reste du quinquennat.

En termes de financement, les cinq dernières années ont indéniablement été marquées par une progression continue des crédits destinés au patrimoine.

C'est particulièrement vrai pour le patrimoine protégé, dont le niveau des crédits a littéralement explosé à compter de 2021 grâce à l'apport du plan de relance. Le soutien de l'État devrait atteindre l'année prochaine 470 millions d'euros : ce niveau n'avait jamais été atteint au cours des vingt dernières années.

Cet effort exceptionnel a eu deux effets positifs.

D'une part, il a permis de combler les retards enregistrés au cours des dernières années en matière de restauration en raison du niveau insuffisant des dotations. Je pense, par exemple, à l'enjeu que constitue le plan « cathédrales », après le drame de Notre-Dame et celui de la cathédrale de Nantes.

D'autre part, il a permis aux entreprises de restauration du patrimoine de surmonter la crise sanitaire. Elles qui étaient dans une situation fragile au début du quinquennat ont recommencé à embaucher, ce qui est très positif compte tenu du besoin que nous avons de disposer d'une main d'oeuvre qualifiée dans l'ensemble des territoires. Il reste à savoir si le soutien de l'État demeurera à hauteur suffisante dans les années à venir pour conserver un tel niveau d'activité, sinon les débouchés créés pourraient se refermer rapidement.

L'engagement financier de l'État s'est également orienté en direction du petit patrimoine, sans doute par volonté de s'appuyer sur celui-ci comme levier de revitalisation des centres anciens et d'attractivité des territoires. J'en veux pour preuves l'augmentation de 30 % des crédits d'intervention déconcentrés de l'action 2 « Architecture et espaces protégés » ; la création du Loto du patrimoine dont la moitié des projets concernent du patrimoine non protégé ; ainsi que le soutien apporté par le Gouvernement à la proposition de notre collègue Dominique Vérien d'étendre le champ géographique d'application du label de la Fondation du patrimoine, qui a des conséquences directes pour l'État en termes de dépenses fiscales.

Il est dommage que ces différents dispositifs n'aient pas été complétés par une réforme de la fiscalité « Malraux » compte tenu de l'effet puissant que pourrait avoir cet outil pour inciter à la revitalisation des centres anciens.

Cette remarque mise à part, vous aurez compris que mes réserves sur l'action de l'État en direction du patrimoine portent moins sur l'aspect financier stricto sensu que sur un certain nombre d'enjeux qui ne m'apparaissent pas suffisamment pris en compte et traités par le ministère de la culture.

Le premier de ces enjeux, c'est la nécessité pour l'État de mieux accompagner les communes et les propriétaires privés dans leurs projets de restauration.

D'une part, parce que ce sont les deux catégories de propriétaires dont la part de monuments historiques en état de péril est la plus élevée : il s'agit donc d'un enjeu pour l'amélioration de l'état sanitaire du patrimoine.

D'autre part, parce que les crédits de l'État gagneraient en efficience si ces deux catégories de propriétaires parvenaient à lancer davantage d'opérations. Les crédits que l'État leur accorde ont un effet de levier, contrairement à ceux qu'il consacre à ses propres monuments : ils créent donc davantage d'activité pour la filière de la restauration.

Cette question ne se résume pas à une simple difficulté financière, même si, sur ce sujet, je suis favorable à ce que l'efficacité du fonds incitatif et partenarial pour les petites communes en difficulté soit renforcée afin de réduire les obstacles financiers qui empêchent le lancement de certains projets. Il me paraitrait important que l'État en fasse davantage la publicité auprès des communes rurales et qu'il en accroisse la dotation, car il s'agit d'un outil très pertinent.

À mes yeux, ce qui manque surtout aux communes et aux propriétaires privés, c'est un accompagnement technique pour lancer leurs projets de restauration car ils n'ont pas l'ingénierie nécessaire pour assumer correctement leur mission de maitre d'ouvrage. Sauf dans quelques régions, les services de l'État n'offrent plus d'assistance à la maitrise d'ouvrage, par manque d'effectifs au sein des DRAC (direction régionale des affaires culturelles) et des unités départementales du patrimoine et de l'architecture. Ce n'est pas la première fois que nous déplorons l'insuffisance des effectifs pour permettre aux DRAC et aux architectes des bâtiments de France (ABF) de disposer de suffisamment de temps pour se rendre sur le terrain et remplir leurs missions de conseil. En voilà encore un autre exemple criant. C'est pourquoi je crois urgent que le Gouvernement confie aux services d'inspection une réflexion en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage.

Le deuxième sujet sur lequel un engagement plus fort de l'État me parait nécessaire, c'est celui de la promotion des métiers de la restauration du patrimoine.

La transmission des savoir-faire en matière de patrimoine bâti constitue un enjeu essentiel pour l'avenir de la préservation du patrimoine. Or, si l'offre de formation est assez riche, on constate aujourd'hui une crise des vocations qui pourrait avoir des effets terribles d'ici quelques années, compte tenu du vieillissement des artisans. Il faut donc l'enrayer à temps.

Les métiers de la restauration du patrimoine sont aujourd'hui peu attractifs et, comme la plupart des métiers manuels, ils ne sont guère valorisés au sein de la société ou même de l'éducation nationale.

Je vois deux leviers d'action que pourrait mobiliser le ministère de la culture pour améliorer l'image de ces métiers. En premier lieu, l'éducation artistique et culturelle pourrait être développée pour sensibiliser dès leur plus jeune âge les élèves à l'existence de ces métiers. Il ne faut surtout pas laisser passer l'occasion de l'extension du Pass culture aux collèges à compter de janvier prochain et insérer dans le catalogue des visites de chantier et des ateliers de restauration du patrimoine pour les élèves.

En second lieu, il faut s'appuyer sur les grands chantiers des monuments historiques appartenant à l'État, dans la mesure où ils sont susceptibles par leur caractère emblématique de drainer un public plus large. L'État trouverait là une occasion en or de justifier doublement la préférence qu'il a accordée aux grands chantiers dans le cadre du plan de relance. Il n'est peut-être pas trop tard pour rectifier le tir. L'enjeu existe aussi pour le chantier de Notre-Dame. Il est dommage que le Village des métiers n'ait été installé qu'à l'occasion de la dernière édition des Journées du patrimoine.

Enfin, le troisième et dernier sujet qui me préoccupe, c'est l'absence de crédits inscrits dans le programme « Patrimoines » en faveur de la transition énergétique du patrimoine bâti, alors que vient d'être adoptée la loi « Climat et résilience » qui fixe de nouvelles obligations pour renforcer et accélérer la rénovation des logements.

Dans la mesure où le bâti ancien ne peut pas être rénové selon les mêmes modalités que le bâti moderne pour ne pas y causer des dégradations irréversibles, il me paraitrait assez cohérent que des crédits du ministère de la culture soutiennent la transition énergétique de ces bâtiments afin d'en garantir la préservation. Si les conditions d'examen du projet de loi de finances avaient été différentes cette année, je vous aurai sans doute proposé un amendement en ce sens.

De façon générale, j'ai le sentiment que le ministère de la culture ne peut pas abandonner cet enjeu au seul ministère de la transition écologique. C'est à lui de montrer que la protection du patrimoine n'est pas contradictoire avec l'enjeu climatique et que la restauration du patrimoine ancien s'inscrit davantage dans une logique de développement durable qu'une construction neuve.

C'est la raison pour laquelle il me semblerait utile que le ministère de la culture oriente davantage son action en faveur de la réutilisation des bâtiments. On sait que le patrimoine reste encore souvent perçu comme un coût. Le meilleur moyen de faire accepter la dépense de restauration, c'est de redonner au patrimoine une nouvelle fonction et de rendre ainsi l'opération vertueuse en termes de développement durable, d'amélioration du cadre de vie et de renforcement de la cohésion.

Je tiens à remercier plusieurs collègues qui m'ont aidée à entrer dans mes fonctions de rapporteur. Je pense à Philippe Nachbar, qui a été rapporteur de ces crédits pendant de nombreuses années, mais aussi à Michel Dagbert et Sonia de La Provôté qui ont réalisé un excellent rapport d'information en 2020 sur « les maires face au patrimoine historique architectural ». Leurs travaux m'ont beaucoup inspirée et vont continuer à le faire, car je souhaite que nous puissions continuer à aller plus loin, notamment sur la mise en oeuvre de ces recommandations.

Je remercie également Else Joseph qui a bien voulu me représenter, à deux reprises et au pied levé, notamment lors de l'audition de Roselyne Bachelot, et que j'associerai autant que possible à mes travaux.

Je remercie enfin toutes les personnes que j'ai pu auditionner pour préparer ce rapport.

J'en terminerai sur cette note positive qui démontre, je le souhaite, que notre patrimoine a encore de beaux jours devant lui à la condition que l'État renforce son action dans plusieurs directions. Le niveau des crédits en 2022 s'y prête. Il ne faut pas laisser passer l'occasion.

Mme Sonia de La Provôté. - Le rapporteur nous a présenté une analyse très complète de la situation. Le budget de l'État consacré aux patrimoines dépasse en 2022 le milliard d'euros. C'est significatif. Mais, il reste néanmoins des sujets itératifs pour lesquels les orientations des politiques publiques en matière de patrimoine doivent évoluer.

Nous sommes à la croisée des chemins en matière de politique gouvernementale. Il ne faudrait pas que des injonctions, notamment en matière environnementale, se transforment en injonctions contradictoires. Les mises aux normes énergétiques ou d'accessibilité modifient de manière drastique le bâti - et les échéances pour le faire sont proches. Dans le même temps, les questions liées au patrimoine et à sa préservation semblent perdre de leur prégnance dans la prise de décisions dans nos territoires.

La question des écoles d'architecture n'est toujours pas réglée, notamment en ce qui concerne les contenus pédagogiques. Nous avons déjà regretté par le passé que les architectes spécialisés sur le patrimoine ne soient pas forcément formés aux questions de mises aux normes.

Les outils fiscaux existants ne sont pas les bons, qu'il s'agisse du dispositif « Malraux » ou du « Denormandie », qui concerne la mise aux normes dans le bâti ancien. Ils ne sont pas articulés avec les politiques publiques telles que « Action coeur de ville ». En effet, ce n'est pas parce que le patrimoine des centres anciens à rénover n'est pas inscrit ou classé qu'il ne mérite pas d'être protégé. Il est urgent d'avoir une vision globale qui dépasse la seule question du patrimoine protégé au titre des monuments historiques.

Les crédits alloués à l'entretien ont été déconcentrés et il en ressort une absence de priorité. Or, l'entretien doit être une priorité budgétaire : bien réalisé, il permet de dégager des marges de crédits importantes pour de la remise à niveau, voire le sauvetage d'éléments du patrimoine.

J'en viens maintenant au patrimoine vernaculaire, le « petit patrimoine ». Il participe à notre patrimoine commun et constitue nos paysages, notre qualité de vie et la mémoire commune de nos concitoyens. Toutes les communes de France sont concernées.

Depuis plusieurs années, il n'y a plus d'assistance à maîtrise d'ouvrage de la part des services déconcentrés. Nous le signalons et le regrettons depuis des années. De nombreuses communes n'ont pas la compétence pour le faire. De plus en plus d'églises font l'objet d'arrêtés de péril. La mise en place de communes nouvelles a accentué cette problématique : il n'est pas rare, sur le territoire de ces communes, qu'il y ait sept ou huit églises classées à remettre à niveau. Lorsque l'État faisait de l'assistance à maitrise d'ouvrage, il y avait une compétence, qui fait aujourd'hui défaut, mais aussi de l'anticipation financière, une bonne connaissance des réseaux et des financements plus assurés. Beaucoup de personnels des DRAC sur le terrain veillaient à l'entretien du patrimoine. Il y avait une meilleure anticipation des besoins nécessaires pour maintenir et remettre à niveau le patrimoine.

Sur le fonds incitatif et partenarial pour les petites communes rurales à faibles ressources, le compte n'y est pas en matière de co-construction des choix et des décisions. Tout se fait entre la région et la DRAC, qui décident seules les projets qui profiteront des fonds. Il est nécessaire de renforcer le dialogue entre tous les échelons de collectivités et l'État dans les territoires.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je remercie Sabine Drexler pour la pertinence de son analyse de ce programme 175 qui représente une part importante du budget de la culture.

Si les crédits de ce programme se maintiennent au-dessus d'un milliard d'euros, il y a un net ralentissement du niveau des augmentations : + 2,78 % en crédits de paiement (CP), + 1,02 % en autorisations d'engagement (AE) par rapport à l'an dernier. Le programme « Patrimoines », qui représentait un tiers du budget de la mission « Culture » en 2021, en représente moins de 30 % en 2022.

Cette moindre augmentation est d'autant plus préoccupante que le patrimoine a continué de souffrir des conséquences de la crise sanitaire et en particulier de la moindre présence de touristes étrangers pendant une partie de l'année 2021.

Certes, la dernière loi de finances rectificative pour 2021 attribue des moyens supplémentaires (234 millions d'euros) à plusieurs opérateurs en grande difficulté en raison d'un modèle économique fondé sur une part importante de ressources propres. Mais c'est l'ensemble du secteur du patrimoine qui a besoin de moyens pérennes, soit pour soutenir une activité encore affaiblie, soit au contraire pour pouvoir répondre aux sollicitations engendrées par le plan de relance.

Je pense notamment à l'archéologie préventive. L'institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) prévoit une forte augmentation des chantiers de diagnostics pour lesquels le respect des délais de réalisation est l'une des conditions de la prospérité du projet d'aménagement concerné. J'y reviendrai dans quelques instants, mais pour tenir les délais, les services d'archéologie préventive doivent disposer de moyens suffisants notamment en personnels qualifiés.

Au-delà de l'archéologie préventive, les collectivités et notamment les plus petites d'entre elles ont besoin de plus de soutien pour assurer la sauvegarde et l'entretien du patrimoine dont elles ont la charge.

Je pense que nous devons avoir un regard particulier sur l'équilibre de la répartition territoriale des crédits : non seulement ils contribuent à l'accès de tous à la culture, mais aussi ils financent des structures d'intermédiation (associations, musées, parfois services spécialisés des collectivités) dont le rôle est indispensable pour faire découvrir et expliquer, notamment aux plus jeunes, des pans de la culture vers lesquels ils n'iraient peut-être pas spontanément.

J'en viens au contenu des actions. Pour l'action 1, avec 450 millions d'euros en AE, les crédits pour les monuments historiques et le patrimoine monumental augmentent de 7,16 % mais restent quasi stables en CP à 433 millions d'euros.

Cette année, les crédits en faveur de l'entretien et de la restauration des monuments historiques, hors grands projets, sont stables à environ 355 millions d'euros. On note simplement une petite augmentation d'un million d'euros en crédit de paiement des moyens du fonds incitatif et partenarial pour les monuments historiques des collectivités à faibles ressources, dont les crédits relèvent de l'enveloppe allouée aux monuments appartenant aux collectivités territoriale et aux propriétaires privés. Il est important que ce fonds bénéficie d'une plus forte publicité pour garantir que ses crédits soient consommés.

Quant aux crédits d'investissement déconcentrés mis à disposition des DRAC pour la restauration de monuments historiques appartenant à l'État et principalement destinés à financer des travaux de mise en sécurité des cathédrales, ils augmentent de deux millions d'euros.

Je constate que l'augmentation marquée au PLF 2021 est malheureusement stoppée concernant ces crédits avec une stabilité qui, compte-tenu de l'inflation, se traduira donc par une baisse des moyens réels consacrés à la restauration du patrimoine.

Je voudrais aussi en profiter pour dire un mot sur les difficultés d'accès à l'assistance à maitrise d'ouvrage (AMO) pour les propriétaires de monuments historiques. Si les services de l'État, en l'occurrence les UDAP, peuvent apporter ce service parfois gratuitement aux propriétaires, de nombreuses UDAP n'ont pas les moyens nécessaires en personnel pour proposer ce service. Aussi, bien qu'il soit possible - comme me l'avait indiqué la ministre l'année dernière lors de l'examen de l'un de mes amendements à ce sujet - d'avoir recours à un prestataire privé et d'intégrer les coûts dans les montants éligibles à l'aide de l'État, la réalité est autre : de trop nombreuses communes ne le font pas et renoncent du même coup à leur projet, faute d'assistance à maîtrise d'ouvrage. C'est un problème important qu'il faudra parvenir à prendre en considération dans les prochaines années.

En ce qui concerne l'action 2 « Architecture et espaces protégés », les crédits sont en hausse de 8,9 % avec 35 millions d'euros en AE et CP, après quatre exercices budgétaires de stagnation.

Je me réjouis que cette hausse concerne les crédits déconcentrés qui iront soutenir les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ou le réseau des Villes et Pays d'art et d'histoire qui font, les uns et les autres, un travail remarquable au service des collectivités. Je pense notamment au CAUE de la Drôme.

Par contre, je m'étonne à nouveau de la stabilité, pour le cinquième exercice budgétaire consécutif, des moyens consacrés au développement des sites patrimoniaux remarquables, dont le bleu budgétaire souligne pourtant l'importance dans le cadre des programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain ».

Les crédits de l'action 3 « Patrimoine et musées de France » sont en hausse de 2,68 % en AE (386 millions d'euros) mais seulement de 0,35 % en CP. Si les dépenses de fonctionnement - les subventions aux musées nationaux - sont en légère hausse à 301 millions d'euros, les dépenses d'intervention destinées aux actions en région sont en stagnation à 35,5 millions d'euros en CP.

Je regrette que la hausse des crédits en faveur des petits musées, saluée l'an dernier, ne soit pas poursuivie cette année. Cela porte préjudice au développement touristique et économique de nos communes et de nos territoires.

À l'action 4, je note à nouveau qu'après une année de nette réévaluation, les crédits de cette action sont en baisse de 5,08 % à 34,57 millions d'euros en CP. Pour autant, les crédits déconcentrés pour les services d'archives territoriales ne sont pas augmentés, alors même que le reliquat de 10 millions d'euros de crédits du plan de relance prévus pour soutenir les investissements des collectivités à la fois pour les archives, les musées et l'archéologie reste nettement en deçà des besoins.

Cela m'amène à l'action 9 « Patrimoine archéologique » : les crédits sont en légère hausse de 1,12 % à 145,5 millions d'euros, soit 1,6 million d'euros supplémentaires.

En fait, la majeure partie de la hausse du budget de cette action correspond à un transfert interne du programme 361 de la mission culture de 1,208 million d'euros en AE et 1,077 million d'euros en CP correspondant aux moyens du département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines.

La mission de service public de l'INRAP est revalorisée de près de 2 %. Toutefois, je regrette que le montant de cette revalorisation (1,5 million d'euros) soit retiré en grande partie des subventions destinées aux services d'archéologie départementaux agréés. Au regard de l'augmentation prévisible des diagnostics d'archéologie préventive, ce glissement ne paraît pas opportun et une véritable augmentation des moyens serait nécessaire.

Pour conclure, le budget du programme Patrimoine pour 2022 n'est clairement plus un budget de crise. Les augmentations affichées sont des trompe-l'oeil qui masquent, dans la réalité, au mieux une stabilité, notamment concernant la restauration et l'entretien des monuments historiques appartenant aux collectivités ou à des propriétaires privés, les sites patrimoniaux remarquables ou les petits musées de province.

Mme Else Joseph. - Je remercie notre rapporteure pour ce travail riche et précis. La question du patrimoine est plus que jamais d'actualité en raison de la crise sanitaire que connaît notre pays. L'année dernière, notre collègue Philippe Nachbar avait rappelé que la crise avait fortement affecté les entreprises engagées dans le patrimoine. Elles sont inquiètes compte tenu des incertitudes sur l'avenir, car elles dépendent beaucoup des commandes de l'État.

Comme mes collègues l'ont dit, il y a un manque patent sur les territoires d'ingénierie dont souffrent les collectivités territoriales et les propriétaires privés pour mener à bien un projet de restauration du patrimoine et la complexité des dossiers à monter.

Je déplore également la faible information sur le fonds incitatif et partenarial. Celui-ci reste mal connu des communes rurales auquel il est pourtant destiné et ses conditions d'activation restent opaques et trop souvent dans la main des DRAC. Or, ce sont souvent dans les communes les plus petites que se trouvent aujourd'hui le patrimoine à protéger. Serait-il envisageable que les DRAC assurent une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage ? J'avais interrogé la ministre sur la faible publicité de ce fonds et la possibilité d'accroitre sa dotation, quitte à prendre des crédits jusqu'à alors réservés aux monuments historiques.

On ne peut que se réjouir des crédits complémentaires du plan de relance en faveur du patrimoine qui viennent compléter les crédits du programme 175. C'est le cas pour l'accélération du chantier de Villers-Cotterêts ou du plan « cathédrales ». On peut saluer la multiplicité des financements. Espérons qu'ils seront consolidés et se concrétiseront au-delà des effets d'annonces !

Je me réjouis également de l'augmentation des crédits dédiés à l'architecture via les réseaux territoriaux, par exemple le label Villes et Pays d'art et d'histoire (autour de 3 millions d'euros), auxquels nous sommes tous très attachés. Cette volonté de donner une priorité aux travaux est intéressante. Mais elle s'inscrit dans un contexte d'incertitudes marqué en particulier par la question cruciale de la transmission des savoir-faire. Ces aspects ne sont pas neutres au regard de la faible exécution des crédits dédiés du plan de relance liés à la restauration du patrimoine - ils avoisinent un taux d'exécution de 30 %.

Il faut également poursuivre sur la voie de l'exonération pour créer davantage d'incitations à rénover le patrimoine. Les leviers fiscaux sont un autre outil important.

Sait-on déjà quels sont les monuments à qui profiteront les crédits de la mission en 2022 ? Y a-t-il des évolutions par rapport à l'année dernière ? Vous avez également évoqué le Loto du patrimoine. Les équilibres sont-ils les mêmes que l'an dernier ?

Enfin, je conclurai en évoquant les inquiétudes sur la fréquentation des musées : en raison de la crise de la covid et de la baisse de la fréquentation, certains musées ont réduit leurs horaires, notamment en renonçant à des ouvertures nocturnes. Ne faudrait-il pas au contraire élargir les horaires ? La National Gallery à Londres ouvre une fois par semaine jusqu'à 21 heures.

M. Pierre Ouzoulias. - Je salue la grande maîtrise de votre ouvrage. Lorsque j'étais jeune conservateur, un dossier était porté politiquement : celui de la conservation « du troisième type ». Nous ne voyions pas très bien à quoi cela correspondait. La notion de patrimoine doit déborder le cadre restrictif du classement. J'ai notamment été étonné de voir qu'il pouvait y avoir une dimension environnementale dans le fait de conserver des bâtiments anciens, même s'ils ne sont pas de grande importance historique. En effet, ils permettent des économies de moyens, d'espace et de matériaux. Je partage la nécessité d'une aide fiscale spécifique.

Tout comme Sonia de La Provôté, je suis très sensible à la reconversion à venir des bâtiments, notamment cultuels. De nombreuses communes vont être bloquées en raison de l'ampleur de la tâche. Transformer une église est un ouvrage compliqué. Mais dans le même temps, on ne peut pas laisser des bâtiments désaffectés, sans entretien et vides. C'est un non-sens patrimonial.

Il me semble également intéressant d'analyser les conséquences de la fin de l'avis conforme des ABF suite aux dérogations mises en place il y a quelques années afin de voir si cela a permis une simplification des procédures. Je n'en suis pas persuadé.

Le président du Centre des monuments nationaux (CMN) nous a alertés à plusieurs reprises sur la nécessité de maintenir la péréquation entre les différents monuments. Dans le cas contraire, un certain nombre de monuments un peu moins visités dans les territoires risqueraient d'être transférés aux collectivités car le CMN n'aura plus les moyens de les entretenir.

Enfin, en ce qui concerne Villers-Cotterêts, le CMN ne doit pas être la « vache à lait ». L'État a une façon de considérer ses opérateurs qui est inadmissible. On rajoute des charges supplémentaires à un opérateur qui n'en a pas besoin.

Mme Monique de Marco. - Les musées et les monuments nationaux ont connu une baisse de fréquentation de 78 % en 2020 par rapport à 2019. En 2021, elle est légèrement remontée, même si elle reste inférieure à son niveau d'avant la pandémie. Le budget de la culture augmente globalement, et celui du patrimoine n'y fait pas exception, avec l'aide du plan de relance.

Certains très grands opérateurs, même avec des financements étatiques importants, n'arrivent pas à couvrir leurs pertes liées à la covid. Je pense au Louvre, au musée d'Orsay ou au château de Versailles.

Ces crédits sont répartis entre le budget « classique » du programme 175 et le plan de relance. L'existence de deux budgets distincts semble poser une difficulté dans l'administration des crédits par les DRAC car les lignes ne sont pas fongibles, entraînant une surcharge de travail et un manque de souplesse nuisant à leur utilisation efficace.

130 millions d'euros sont consacrés au plan « cathédrales » (80 millions d'euros du plan de relance au titre de la restauration, 48 millions d'euros pour la conservation et 12 millions d'euros pour la mise en sécurité) auquel s'ajoute le chantier de Notre-Dame de Paris financé à part. Cette multiplication des financements dans un temps très court ne risque-t-elle pas d'engendrer des problèmes dans le lancement des travaux ? Certes il y aura du travail pour les entreprises de restauration, mais une attention toute particulière devra être faite sur le recrutement des personnels qualifiés.

Je conclurai par le chantier de sécurisation et de consolidation de Notre-Dame. 12 millions d'euros ont été consacrés à la dépollution du plomb, matériau extrêmement dangereux. Son usage pose des problèmes. Aussi je ne comprends pas cette obstination à vouloir reconstruire à l'identique avec ce même matériau. Je vous alerte sur les conséquences de son usage.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Le patrimoine est un atout pour les territoires, que ce soit en matière économique ou d'attractivité. J'ai noté vos préoccupations vis-à-vis de la fin de l'avis conforme des ABF. L'entretien et la conservation des églises sont un vrai enjeu. Il me semble également nécessaire de développer l'ingénierie afin que tous les crédits soient bien utilisés. Je partage également vos remarques sur la nécessité d'éviter des injonctions contradictoires en matière de transition énergétique.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je souhaite vous sensibiliser sur le suivi des dons pour la restauration de Notre-Dame de Paris. La fondation du patrimoine, où je siège, souhaite être bien informée de la manière dont les dons sont dépensés et orientés.

Mme Sabine Drexler. - Ce sujet n'a pas été évoqué lors des auditions, mais la commission a entendu le général Jean-Louis Georgelin en septembre au sujet du chantier de Notre-Dame.

M. Laurent Lafon, président. - Je salue le travail de notre rapporteure dont c'était le premier avis budgétaire - certes examiné dans des circonstances particulières.

Il nous reste à autoriser la publication du rapport.

La commission de la culture autorise la publication du rapport d'information.

Crédits relatifs au cinéma - Examen du rapport d'information

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues. Le secteur du cinéma a été aspiré comme le reste de la société dans une crise que les scénaristes n'avaient pas anticipé et encore moins porté à l'écran. Deux chiffres illustrent cette catastrophe qui s'est abattue sur le secteur :

- 300 jours de fermeture des salles en 2020 et 2021 ;

- 70 % de chiffre d'affaires en moins pour les exploitants en 2020.

À côté de ces données alarmantes, la diminution de « seulement » 21 % du nombre de films produits apparaitrait presque comme une bonne nouvelle.

Je souhaiterais d'ailleurs commencer par ce point positif, qui illustre précisément les raisons d'espérer pour demain : dans cette crise mondiale, les pouvoirs publics ont été au rendez-vous du cinéma et ont soutenu littéralement « à bout de bras » le secteur. C'est une grande différence dont nous pouvons être fiers par rapport à la plupart des autres pays, y compris européens, mais je pense aussi aux États-Unis où le tissu créatif et économique a été extrêmement fragilisé.

Le secteur du cinéma en France a il est vrai bénéficié plus que d'autres de sa structuration très ancienne, avec le CNC comme acteur central intournable de toutes les parties et des fédérations professionnelles puissantes en mesure de traiter directement avec les pouvoirs publics.

Le soutien de l'État n'a donc pas fait défaut. La Cour des comptes y a consacré une enquête publiée au mois de septembre qui adresse plutôt un satisfecit au ministère et au CNC dans la conduite de la crise.

Cette conduite, il faut le reconnaitre, se caractérise par l'ampleur des moyens. Le cinéma et la production ont bénéficié des dispositifs généraux de soutien à l'activité, pour un montant proche de 1,2 milliard d'euros, et d'aides spécifiques ciblées gérées principalement par le CNC, pour 490 millions d'euros, soit en tout 1,7 milliard d'euros en 2020 et 2021. Les dernières mesures ont été annoncées en mai et septembre dernier, pour 114 millions d'euros.

Les exploitants ont été les principaux bénéficiaires des aides générales et spécifiques, avec environ la moitié des crédits. Presque aucun secteur n'a cependant été oublié, avec peut-être une exception dans le cas de l'aide à l'exportation.

Au-delà de son coût financier conséquent, le prix à payer pour cette politique a été la fin pour un temps du dogme de l'indépendance budgétaire du CNC. Je vous rappelle que ce dernier est financé exclusivement par des taxes affectées. En 2020, la baisse des demandes de soutien, conséquence de l'arrêt des tournages, n'a pas compensé, loin s'en faut, la chute des recettes tirées des salles de cinéma et surtout les besoins criants du secteur.

Dès lors, le CNC a été amené à gérer l'essentiel des enveloppes d'aide de l'Etat, avec une grande efficacité, même si la structuration des fonds mis en place dans l'urgence n'est pas toujours très claire. Ces fonds, en provenance du budget général, ont soutenu les efforts du Centre, mais constituent bien une entorse à ses grands principes fondateurs.

Maintenant que nous pouvons espérer - encore que les derniers évènements nous invitent à la prudence - une fin de la période de crise, comment se présente l'avenir du CNC ?

Le Centre envisage un retour à l'orthodoxie pour 2022. Je veux en croire l'augure, mais j'identifie cependant trois points de fragilité :

- tout d'abord, le transfert à la DGFIP du recouvrement des taxes du CNC, qui devrait avoir lieu en 2023. Fort de sa connaissance du secteur, le Centre s'est montré d'une très grande efficacité dans cet exercice. Il n'est en réalité pas certain que l'administration fiscale fasse aussi bien, focalisée sur des impositions à plus forts enjeux financiers. Dès lors, une diminution des recettes n'est pas à exclure. Or sur un budget littéralement « au million près », quelques points de moins dans l'efficacité du recouvrement signifient des films moins financés. Je comprends bien la logique de « jardin à la française » qui a conduit au regroupement de la gestion des taxes affectées, mais en termes stricts d'efficacité, il nous faudra voir le résultat ;

- ensuite, l'hypothèse d'un retour du public dans les salles de cinéma à un niveau proche de celui de 2019 me parait optimiste. Les comportements des spectateurs ont peut-être changé, en tout cas, la fréquentation marque le pas. avec le développement des plateformes de streaming. À ce titre, l'obligation de présenter le passe sanitaire à partir du 21 juillet a probablement pesé de manière très négative : avant cette obligation, la baisse de fréquentation par rapport à 2019 était de 15 %, depuis, elle est de 24 %, et ne semble pas remonter. Or les entrées conditionnent largement les ressources ;

- enfin, les plateformes devraient rapidement devenir éligibles aux aides du Centre, ce qui va mécaniquement augmenter les dépenses.

L'équilibre financier du CNC dans les années à venir repose donc sur plusieurs paris, qui, combinés, sont risqués. Il nous faudra donc surveiller étroitement l'évolution de la situation financière en 2022.

L'année qui vient sera donc la première « post phase aigüe de la pandémie », elle sera également celle de l'entrée en vigueur tant attendue de la directive « SMA ».

Je n'étais pas encore Sénateur, mais ceux qui étaient présents se rappelleront certainement de l'adoption au Sénat de l'amendement gouvernemental actant la publication d'une ordonnance de transposition de la directive européenne en juillet 2020. Elle devait initialement faire l'objet d'un large débat dans le cadre du défunt projet de loi « Riester », mais la pandémie nous en a privé.

L'ordonnance de transposition a finalement été publiée le 21 décembre dernier, et le décret lui donnant corps le 22 juin.

Je vais vous résumer en quatre chiffres le résultat de mois de négociation entre les différents protagonistes :

- les plateformes devront investir au minimum 20 % de leur chiffre d'affaires dans la production française. Cela représenterait un investissement supplémentaire de 250 millions d'euros, soit 1/6ème de plus qu'actuellement ;

- les oeuvres d'expression françaises devront représenter 85% des productions françaises ;

- la production indépendante, socle de notre diversité culturelle, doit fournir au moins 75 % des programmes ;

- enfin, la part réservée au cinéma doit être de 20 % au moins, une précaution nécessaire alors que le genre de la série est actuellement archi dominant.

Il faudra en 2022 littéralement « mettre cela en musique », ce qui ne sera pas simple. Je citerai comme difficulté pas encore pleinement résolue la question de la base qui doit servir à calculer l'obligation : c'est très simple pour Netflix, un « pur player » qui fonctionne par abonnement, nettement plus complexe pour Amazon, qui inclut son service de streaming dans l'abonnement « Prime » cher à Laure Darcos, ou Apple, qui offre l'accès à sa plateforme pour l'achat d'un appareil de la marque.

Pourtant, et mes échanges avec la profession le confirment, nous pouvons je crois faire preuve d'un optimisme raisonnable : les différents protagonistes sont tous dans une démarche de concertation, ce qui n'a pas toujours été le cas. La transposition de cette directive marque un grand succès européen que nous pouvons ainsi saluer.

Un débat pourtant cristallise encore les oppositions, celui, presque sans fin, de la chronologie des médias. Le sujet avait été analysé très finement dans un rapport de la commission co-signé par Catherine Morin-Desailly et Jean-Pierre Leleux. Il n'a à vrai dire pas beaucoup évolué. L'arrêté d'extension de la chronologie actuelle s'achève le 10 février 2022, l'issue des négociations auraient dû être annoncée durant le Festival de Cannes en juillet, mais celles-ci achoppent encore sur les avancées à concéder par les acteurs historiques, notamment le grand financeur de la création française, Canal Plus, et la place à offrir, moyennant engagements, aux plateformes. La date du 10 février se rapproche, j'ai entendu tous les échos possibles durant les auditions, je me garderais donc bien de faire des prévisions : nous pouvons aussi bien apprendre demain la signature d'un accord qu'assister à une foire d'empoigne jusqu'au butoir !

En complément, je souhaiterais aborder rapidement un secteur souvent laissé de côté, mais pourtant essentiel, celui du documentaire. Relativement mal financé, il a particulièrement subi la période de pandémie. Aujourd'hui, la tendance lourde est à la production par les plateformes d'oeuvres de qualité, mais qui reflètent souvent un point de vue mondialisé et « aseptisé ». Or il est essentiel que nous préservions une capacité à créer des documentaires reflétant notre propre vision du monde. Je souhaite donc attirer l'attention ici même sur ce sujet trop souvent oublié, mais qui devra nous occuper dans les années qui viennent.

Dernier point sur lequel j'ai interrogé la ministre, et en lien direct avec ce qui précède, le plan dit « France 2030 », annoncé par le Président de la République le 12 octobre dernier. Je ne reviendrai pas sur la procédure un peu baroque qui a conduit à faire adopter par l'Assemblée nationale le 8 novembre et en 45 minutes de débat un amendement de 34 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,5 milliards d'euros en crédits de paiement en 2022, d'autant plus que les détails demeurent pour lors très flous. J'ai cependant interrogé la ministre lors de son audition le 9 novembre, et elle nous a indiqué que le cinéma et la production devraient bénéficier de 600 millions d'euros.

Nous avons donc pu obtenir quelques précisions sur ces crédits, qui sont en particulier destinés à répondre aux goulets d'étranglement de la France, soit le déficit de scénaristes et personnels techniques et le sous-équipement techniques, avec notamment la volonté de constituer des grands pôles en région. Sans pouvoir me prononcer bien entendu, je crois que ces orientations sont les bonnes, et pourraient permettre à notre cinéma de conserver sa place enviable dans le monde.

Comme vous le voyez, monsieur le président, mes chers collègues, l'État a fait beaucoup, à la fois en termes budgétaires et de cadre réglementaire et envisage de poursuivre cet effort.

Mais les incertitudes demeurent nombreuses pour cette année 2022, et elles tiennent pour une bonne partie non pas aux pouvoirs publics, mais surtout aux spectateurs, qui doivent retrouver le chemin des salles, et les protagonistes, qui doivent oeuvrer de concert pour préserver notre potentiel et notre exception culturelle.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Anne Ventalon. - Nous aurions dû ce matin examiner les crédits du cinéma, mais le Sénat a hier été contraint de rejeter un budget trop insincère. Nous aurions cependant pu les adopter, sous quelques réserves. Je me félicite ainsi du soutien significatif apporté au secteur et aux perspectives de retour en 2022 des taxes à leur niveau d'avant la crise. La période doit nous inviter à réfléchir à de nouvelles opportunités. Je pense en particulier au projet d'une amélioration de la formation, qui mettrait l'accent sur la nécessité de former les nouveaux talents. À ce titre, je rappelle que l'école de l'image et du son ne forme que 30 étudiants par an, ce qui est clairement insuffisant. Je pense cependant que l'État doit évoluer dans son soutien au secteur et évaluer avec précision les instruments de soutien financier. Nous devons en effet réaliser des économies, ce qui justifie un examen rigoureux des dépenses.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je rappelle que l'année dernière, à cette même date, nous anticipions une réouverture des salles le 15 décembre. Elle a finalement eu lieu le 19 mai suivant, cela en dit long sur l'incertitude de la période que nous traversons, avec de nouvelles données peu encourageantes. Les spectateurs ont, pendant la pandémie, développé de nouvelles habitudes de consommation, notamment via les plateformes. Le retour des spectateurs en salle pourrait donc prendre un certain temps.

M. Pierre Ouzoulias. - Je soutiens pleinement les propos du rapporteur quant à la nécessité d'accorder la plus grande attention à la politique documentaire. Elle met en particulier la science à la portée des citoyens.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je m'interroge sur la part du Pass culture consacrée au cinéma. Par ailleurs, il nous faudra être attentif à nos capacités de financement du cinéma et de la création dans le contexte de fusion annoncée de TF1 et M6 et de fortes incertitudes entourant la redevance.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - En réponse à Anne Ventalon, je partage bien entendu son analyse de la nécessité d'une évaluation des soutiens financiers mais je rappelle que le CNC est précisément « autofinancé » par les taxes. Je ne peux bien entendu que souhaiter que l'État n'ait pas besoin en 2022 de compléter son budget, cela serait une excellente nouvelle.

En réponse aux propos sur la désaffection du public pour les salles, je suis bien entendu pleinement conscient des inquiétudes quant à la place des plateformes. Je veux cependant évoquer un élément d'espoir : actuellement c'est le public plus âgé et traditionnellement très amateur de cinéma qui manque dans les salles, alors que le jeune public - entre 15 et 30 ans - manifeste au contraire son attachement au cinéma par un retour massif.

Sur le documentaire, nous devons avoir conscience que leur production révèle un point de vue et peut traduire une forme d'hégémonie culturelle si nous n'y prenons pas garde.

Enfin, en ce qui concerne le nouveau paysage audiovisuel, la commission d'enquête sur la concentration des médias se penchera très certainement sur les questions de production. On peut effectivement avoir des craintes pour les producteurs habitués à travailler avec telle ou telle chaîne fusionnée. Pour autant, je rappelle que les plateformes vont investir 250 millions d'euros pour la production et qu'il devrait donc y avoir du travail pour toute la chaîne.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Crédits relatifs à l'action extérieure de l'État - Examen du rapport d'information

M. Claude Kern, rapporteur. - Cet exercice budgétaire, à la tonalité un peu particulière compte tenu du vote intervenu hier, est l'occasion de faire le point sur la situation de notre réseau culturel et d'influence, dans le contexte de persistance de la crise sanitaire mondiale, et d'évaluer l'action que le Gouvernement mène pour le soutenir.

L'année dernière, j'avais dressé un panorama assez sombre de notre réseau qui a été mis à rude épreuve pendant la première vague épidémique : fermeture partielle ou totale des établissements, report ou annulation d'évènements, basculement en distanciel, pertes importantes de recettes.

Qu'en est-il un an plus tard ?

Je commencerai par notre réseau d'enseignement français à l'étranger. 

L'année scolaire 2020-2021 s'est caractérisée par une forte sensibilité des établissements à l'évolution de la pandémie et une grande hétérogénéité des situations selon les zones géographiques. Après une accalmie en fin d'année 2020, puis une nouvelle dégradation au cours du premier semestre 2021, la situation s'est globalement améliorée, malgré le maintien de disparités liées aux conditions sanitaires locales et aux décisions prises par les autorités des différents pays.

À la rentrée de septembre dernier, cette tendance à l'amélioration s'est confirmée, le fonctionnement en présentiel atteignant 84 % sur l'ensemble du réseau contre 65 % en juin. Certaines situations locales demeuraient toutefois difficiles, en particulier au Liban, en Amérique du Sud et en Asie. L'année scolaire 2021-2022 devrait rester compliquée dans ces zones, avec des situations locales toujours très évolutives.

Le rétablissement général concerne aussi les effectifs. Ceux-ci repartent à la hausse (+ 2,1 %), après la baisse enregistrée à la rentrée 2020 (- 0,2 %) qui avait suscité de très fortes inquiétudes sur l'avenir du réseau. L'évolution est cependant différente d'une zone à l'autre : la progression est particulièrement soutenue au Maghreb et en Afrique, tandis qu'une baisse conséquente est constatée en Amérique du Sud, en Asie et au Moyen-Orient.

Des disparités existent également selon la nationalité des élèves : les effectifs des élèves étrangers augmentent, alors que ceux des élèves français diminuent en raison principalement du non-retour de nombreux expatriés.

La principale inquiétude pour le réseau porte aujourd'hui sur le Liban qui est le premier pôle d'enseignement français à l'étranger avec environ 60 000 élèves scolarisés. La situation dramatique que traverse le pays, tant sur le plan économique, social que sanitaire, appelle une attention toute particulière. Les 57 établissements libanais du réseau font en effet face à une déperdition de leurs enseignants locaux, dont le salaire a été divisé par dix, et à une insolvabilité croissante des familles, qui entraîne une baisse des effectifs. Le Gouvernement a débloqué plusieurs enveloppes pour soutenir les familles et les établissements libanais - j'y reviendrai.

Afin d'amortir le choc de la crise pour le réseau, vous vous souvenez que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a lancé, au printemps 2020, un plan de soutien qui s'est concrétisé budgétairement dans la troisième loi de finances rectificative (LFR 3) pour 2020 par trois enveloppes de 50 millions d'euros chacune, soit 150 millions d'euros au total.

Où en est-on du déploiement de ce plan ?

Le premier volet, qui concerne l'aide aux familles françaises, a donné lieu à un versement de 41,7 millions d'euros à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), après une réévaluation à la baisse des besoins.

Le dispositif a notamment consisté en la prise en compte des revenus 2020 pour le bénéfice de l'aide à la scolarité, dans le double objectif de réviser la quotité des familles déjà boursières et d'attribuer des bourses à de nouvelles familles.

Sur l'année scolaire 2020-2021, 12,6 millions d'euros supplémentaires au titre des bourses ont ainsi été attribués. Le solde de l'enveloppe - de l'ordre de 29 millions d'euros - sera consacré à la poursuite du soutien aux familles françaises dans le cadre de l'année scolaire 2021-2022.

Après les réserves que j'avais émises l'année dernière sur la faible consommation des crédits dédiés, je constate une amélioration cette année, même si le nombre de rejets de dossiers a été important. Comme me l'a indiqué l'AEFE, le traitement des demandes a nécessité de trouver un équilibre entre la bienveillance attendue dans le contexte de crise et la nécessaire rigueur dans la gestion de deniers publics.

Le deuxième volet, qui porte sur l'aide aux familles étrangères et aux établissements, s'est traduit par le versement intégral de l'enveloppe de 50 millions d'euros à l'AEFE.

Le soutien financier apporté aux familles étrangères en difficulté pour payer les frais de scolarité de l'année 2019-2020 a concerné plus de 18 300 élèves, pour un montant total de 13,4 millions d'euros. Avec la persistance de la crise, le dispositif a été reconduit pour l'année scolaire 2020-2021, pour un montant prévisionnel de 2,9 millions d'euros. L'aide a par ailleurs été adaptée à la situation particulière du Liban, où plus de 9 000 élèves en ont bénéficié pour un montant de 5 millions d'euros.

Les remontées de terrain montrent que ce dispositif a bien fonctionné et qu'il a sans doute participé au maintien de la confiance accordée par les familles étrangères au réseau d'enseignement français.

Ce deuxième volet du plan s'est aussi concrétisé par le versement d'aides ciblées aux établissements affectés par la crise : 5 millions d'euros à ceux de la Mission laïque française ; 6,8 millions d'euros aux 25 établissements libanais touchés par les explosions du port de Beyrouth ; 17,8 millions d'euros pour aider les établissements dans quatre domaines prioritaires : le numérique, l'accompagnement des élèves en difficulté, l'application des protocoles sanitaires, la formation des personnels à l'enseignement à distance ; enfin, 1 million d'euros pour les établissements partenaires en grande difficulté.

Grâce à cet appui financier, aucune fermeture définitive parmi les 543 établissements du réseau n'est à déplorer, même si la situation budgétaire de certains d'entre eux reste préoccupante, notamment parmi les petits établissements partenaires des zones les plus touchées par la pandémie (Amérique du Sud, Asie).

Au total, 47 millions sur les 50 millions d'euros de cette deuxième enveloppe ont été engagés au titre de l'aide aux familles étrangères et aux établissements. Le solde des crédits sera consacré à un nouveau plan de soutien aux familles étrangères et des établissements du Liban.

Le troisième volet du plan consiste en un système d'avances de trésorerie de l'Agence France Trésor (AFT), doté d'une ligne budgétaire de 50 millions d'euros, pour soutenir la trésorerie des établissements en difficulté.

À ce jour, ce dispositif a permis de mobiliser 20 millions d'euros d'avances au bénéfice de 37 établissements. Ce niveau de consommation assez faible s'explique par le court délai de remboursement prévu - 12 mois -, qui semble peu adapté à la situation d'établissements en difficulté. En conséquence, l'AEFE a été amenée à accorder des avances sur sa propre trésorerie, à hauteur de 5,2 millions d'euros pour 41 établissements.

En résumé, le réseau apparaît globalement en moins mauvaise santé qu'on ne pouvait le craindre l'année dernière. Il fait preuve d'une bonne capacité de résilience, que le plan de soutien a - reconnaissons-le - permis de renforcer.

La plus grande vigilance s'impose toutefois : d'une part, parce que la situation demeure très instable et évolutive, d'autre part, parce que certains établissements, notamment des petites structures, sont dans un état plus critique que d'autres.

Qu'en est-il maintenant de l'AEFE ?

L'opérateur voit, en 2022, sa subvention pour charges de service public stabilisée à 417 millions d'euros, confirmant les augmentations votées les deux dernières années après - je vous le rappelle - la réduction historique de 2017.

Son plafond d'emplois connaît également une quasi-stabilité, même si celle-ci ne doit pas masquer une tendance de fond : la baisse des emplois sous plafond (- 8 % sur la période 2016-2021) et la hausse continue des emplois hors plafond (+ 11 % sur la même période).

En effet, pour mettre en oeuvre le plan de développement du réseau voulu par le Président de la République, le ministère a fait le choix d'augmenter le nombre d'enseignants recrutés localement et de diminuer les postes d'enseignants résidents titulaires. Cette orientation s'est traduite par la création d'instituts régionaux de formation, au nombre de 16 actuellement, destinés à former sur place des personnels de droit local.

Parallèlement, le réseau poursuit son expansion en homologuant de nouveaux établissements via une procédure désormais simplifiée.

Vous connaissez mes réserves sur cette politique combinant augmentation des recrutements locaux et assouplissement des critères d'homologation. Je crains qu'elle affecte, à terme, la qualité de l'enseignement dispensé, alors que l'excellence pédagogique du réseau constitue son atout historique.

J'ai par ailleurs toujours émis des doutes sur la faisabilité de l'objectif présidentiel du doublement des effectifs du réseau à l'horizon 2030. Le caractère peu réaliste de cette cible, que nous avions pointé dès 2018, l'est encore moins depuis la survenue de la crise.

L'AEFE s'est bien sûr mise en ordre de marche pour se donner les moyens d'y parvenir, mais ses efforts sont nécessairement limités par la stabilité de ses moyens. L'Agence reconnaît elle-même que des financements supplémentaires permettraient de donner plus d'ampleur au plan de développement du réseau, notamment pour renforcer les actions de soutien aux établissements les plus fragiles et pour déployer plus de personnels formateurs dans les nouveaux instituts régionaux.

J'en viens maintenant à la situation du réseau des instituts culturels et des alliances françaises.

Après une année 2020 particulièrement difficile, la situation s'est améliorée à partir du printemps 2021, permettant la réouverture de certains établissements, en Europe principalement. L'activité est cependant restée très ralentie dans la zone des Amériques et, de manière plus contrastée, en Asie, Océanie, Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

À l'été dernier, la moitié des instituts français était en mesure d'accueillir du public et avait repris l'ensemble de leurs activités, tandis que plus d'un tiers ne les avait reprises que partiellement ; 12 étaient encore totalement fermés au public. Un tiers des alliances françaises connaissait un retour à la normale, un tiers n'avait repris qu'une partie de leurs activités et le dernier tiers était fermé au public.

Dans ce contexte encore très perturbé, les établissements, incités par leur tutelle, ont fortement développé leurs activités linguistiques et culturelles à distance. Sur le moyen terme, un certain nombre envisagent d'ailleurs de conserver une offre hybride, qui présente l'avantage d'attirer de nouveaux publics.

Cet essor du distanciel a, certes, joué un rôle clé dans la résilience du réseau, mais il n'a pas permis d'éviter la dégradation du bilan économique des instituts et des alliances. En effet, les mesures de fermeture prolongées des locaux aux publics, la baisse des activités génératrices de revenus et le ralentissement du mécénat ont entraîné des pertes importantes de recettes (- 27 % en 2020). Celles-ci devraient se redresser en 2021 mais atteindraient un niveau encore inférieur à celui d'avant crise.

Le taux d'autofinancement, qui était de 75 % en 2019, a diminué mais moins que prévu (68 % contre 65 % en prévisionnel) grâce notamment à la diversification de l'offre. Une légère amélioration est attendue pour 2021 et 2022, mais beaucoup d'incertitudes demeurent sur l'évolution de la pandémie et la capacité des établissements à retrouver leurs publics. La réouverture en présentiel et la reprise des mobilités internationales apparaissent comme des conditions déterminantes à la sortie de crise.

Depuis le début de celle-ci, le ministère a fait le choix de soutenir le réseau culturel en procédant par redéploiements de crédits. En 2020, 7 millions d'euros ont ainsi été reversés aux instituts français et 3 millions d'euros aux alliances françaises. En 2021, 1 million d'euros supplémentaire a été attribué aux établissements les plus en difficultés. Cette gestion budgétaire pragmatique est louable, mais suffira-t-elle à redresser les établissements en situation de grande vulnérabilité financière ? Je n'en suis pas sûr. Des mesures d'aide spécifiques devront, à mon sens, être envisagées, si les réouvertures venaient à être encore repoussées dans certaines zones.

Le ministère mise, par ailleurs, sur son plan de transformation numérique du réseau culturel pour accompagner la sortie de crise. À l'été dernier, un appel à projets, doté d'une enveloppe de près de 2,9 millions d'euros, a été lancé dans l'objectif de financer la montée en charge qualitative et quantitative des équipements numériques des établissements. Cette démarche de modernisation et de renforcement de l'attractivité du réseau culturel français par les technologies numériques a bien sûr toute sa pertinence dans le contexte concurrentiel mondial, mais on a comme l'impression que le ministère en fait l'alpha et l'oméga de son action de réponse à la crise.

Le PLF pour 2022 ne comporte ainsi pas de mesures particulières de soutien aux instituts et aux alliances, dont les dotations de fonctionnement sont toutefois stabilisées.

Quelques mots, enfin, sur l'Institut français de Paris, à valeur d'appel à la vigilance. En loi de finances initiale pour 2021, nous avions voté une subvention stabilisée à 28,8 millions d'euros. Or, dès le mois de janvier 2021, l'opérateur s'est vu notifier par le ministère, sans explication, une baisse de 500 000 euros - soit - 2 %, ce qui est loin d'être négligeable ! Le plus inquiétant, c'est que cette diminution intervenue en tout début d'exercice a été de facto reconduite dans le PLF pour 2022, qui fixe ainsi la subvention à 27,4 millions d'euros. Cette inscription automatique inquiète beaucoup les dirigeants de l'Institut, qui y voient le signe d'une possible pérennisation. Or ils font valoir, à juste titre, les risques que ferait peser une baisse des moyens à l'heure où l'opérateur voit le périmètre de ses missions étendu et ses modalités d'intervention diversifiées. Peut-être notre commission pourra-t-elle aborder ce sujet avec la nouvelle présidente de l'Institut (Mme Nguyen Binh), à l'occasion d'une prochaine audition ?

Dans l'immédiat, cette baisse de crédits non expliquée constitue, à mes yeux, un signal très négatif alors que le début de ce quinquennat avait été marqué par un rétablissement du niveau de la subvention versée à l'Institut.

Voilà, mes chers collègues, les éléments de constat et d'appréciation que je souhaitais porter à votre connaissance.

Compte tenu du vote d'hier, nous n'avons plus à nous prononcer sur les crédits. Je brandis néanmoins un carton rouge à ce budget.

Je vous remercie de votre attention.

M. Lucien Stanzione. - . - Merci pour cet excellent rapport, qui est confiant dans l'avenir de nos structures. Je le suis moins. J'ai, pour ma part, trouvé un directeur adjoint de l'AEFE déprimé, mettant l'accent sur les difficultés financières des établissements et la paupérisation des familles. Un point me paraît central : la dépréciation de la formation des enseignants du réseau. On s'appuie de plus en plus sur les recrutements locaux, au niveau d'exigence beaucoup moins élevé. La baisse globale des financements ne permet plus à ce réseau d'assurer la voix de la France à l'étranger. On ne peut pas être d'accord avec une telle politique !

Mme Samantha Cazebonne. - Permettez-moi de me présenter. Je suis anciennement députée et française de l'étranger depuis des années. J'ai été proviseure d'un établissement d'enseignement français et je suis aussi maman d'élèves scolarisés au sein de notre réseau.

Monsieur le rapporteur, vous avez rendu hommage au plan de soutien qui, il faut le souligner, est tout à fait exceptionnel. L'ensemble des familles en témoigne. Les 100 millions d'euros des deux premières enveloppes ont permis de corriger une situation dégradée du fait de la crise sanitaire. Les aides versées ont permis à des dizaines de milliers de familles de maintenir leurs enfants scolarisés au sein de notre réseau. Cela aurait été un crève-coeur pour les parents de devoir les retirer !

J'aurais aimé que cette commission salue le caractère exceptionnel du soutien spécifique apporté aux familles étrangères ; cela n'avait jamais été fait. Sans cet accompagnement, les familles étrangères auraient quitté le réseau. Or sans celles-ci, nos établissements ne fonctionnent pas.

Je tiens également à rappeler que l'homologation est toujours garante de la qualité de l'enseignement. Les enseignants sont d'ailleurs toujours plus nombreux à vouloir entrer dans notre réseau. Je précise que le nombre d'enseignants titulaires détachés auprès du réseau a augmenté de 1 000.

À ce sujet, je vous informe que je vais déposer une proposition de loi sur les instituts régionaux de formation ; j'espère que vous serez nombreux à la voter. L'objectif est de permettre le développement de ces structures pour soutenir la qualité de notre enseignement à l'étranger.

Au final, j'aurais aimé que ce rapport soit un peu moins à charge et qu'il souligne mieux les efforts réalisés.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Comme vous, madame, nous sommes très attachés à notre action culturelle extérieure ; j'interviendrai donc avec autant de passion.

Certes, le Gouvernement a été réactif et a accompagné le secteur durant la crise. Mais il faut entendre le rapporteur et savoir d'où l'on vient. Comme il l'a rappelé, les crédits - en particulier ceux attribués à l'AEFE et à l'Institut français - ont, par le passé, subi de fortes baisses. Rappelez-vous, nous avions failli ne pas voter le contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut français car les moyens n'étaient pas à la hauteur des ambitions ! Nous avons depuis retrouvé une certaine stabilisation. Mais gardons à l'esprit que la crise a frappé un secteur antérieurement fragilisé. Nous devons rester vigilants sur la suite car la situation demeure précaire.

Merci au rapporteur d'avoir fait un éclairage particulier sur le Liban, qui subit la double peine. Une attention toute particulière doit être portée à ce pays.

M. Pierre Ouzoulias. - Monsieur le rapporteur, de par vos origines alsaciennes et votre appartenance politique à la famille centriste, vous êtes la modération absolue. Alors quand vous sortez un carton rouge, c'est en pleine responsabilité !

Depuis 2017, vous nous alertez sur la dégradation financière de notre réseau. Cette année, il y a un budget de soutien du fait de la crise. Mais la fragilisation est structurelle. À chaque fois que je voyage, en Arménie notamment, je le constate. Notre système est soutenu à bout de bras. Il s'agit, par notre réseau culturel, de défendre la voix de la France, d'avoir la possibilité d'influer. L'Arménie, le Liban, ce ne sont pas des pays anecdotiques pour notre diplomatie ! Dans les Hauts-de-Seine, nous accueillons beaucoup de Libanais : c'est tout à fait naturel qu'ils viennent chez nous du fait des liens historiques et culturels entre nos deux pays.

Concernant le détachement de professeurs auprès de notre réseau, j'ai souvent écrit au ministre Blanquer pour qu'il soit facilité. Mais c'est toujours un refus de la part du rectorat de Versailles, au motif que les effectifs sont sous tension au niveau de l'académie. Il est pourtant essentiel que les professeurs puissent avoir accès à une mobilité internationale, qui contribue à enrichir leur pratique pédagogique.

M. Max Brisson. - Certes, on peut se réjouir que l'Exécutif n'ait pas laissé tomber le réseau. Mais s'il l'a fait, c'est parce que le Sénat, et notamment à travers vous, Monsieur le rapporteur, était en alerte. La réaction du Gouvernement n'a pas été si spontanée et immédiate. Il est cependant peu dans ses habitudes de le reconnaître.

La dégradation structurelle que plusieurs d'entre vous ont pointée tient à une absence de choix, à un manque d'arbitrage, à un défaut de réorganisation de notre politique d'influence dans le monde, dont ce Gouvernement n'est pas le seul responsable. Résultat : on fait face aujourd'hui à un affaiblissement généralisé de notre réseau, que l'on mesure quand on se rend sur place.

La difficulté du détachement des professeurs renvoie à un autre sujet, celui de la baisse de l'attractivité du métier d'enseignement. Ce qui explique que les rectorats soient peu enclins à les laisser partir.

Mme Samantha Cazebonne. - J'aurais souhaité un peu plus d'objectivité.

Sur la remarque concernant les possibilités de détachement dans l'académie de Versailles, c'est bien la première fois que j'entends les choses exprimées ainsi : on regrette de ne pas perdre des enseignants afin qu'ils soient mis à disposition du réseau !

J'insiste sur le fait que les instituts régionaux de formation sont là pour garantir la qualité des enseignants recrutés localement.

Mme Sonia de La Provôté. - Suivant ce budget depuis quelques années, je constate une baisse drastique des moyens sous cette mandature. La gestion de la crise a apporté des crédits, mais il reste des problématiques stratégiques et organisationnelles à régler. Il est ici question de la défense de la francophonie, laquelle ne doit pas seulement s'appuyer sur la future Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts. Notre réseau culturel à l'international est notre meilleur atout en matière de soft power.

M. Claude Kern, rapporteur. - Effectivement, madame Cazebonne, notre pays est le seul à avoir mis en place une aide aux familles étrangères : c'est précisé dans mon rapport écrit.

En tant qu'opérateur de l'État, l'AEFE s'est bien sûr mise en ordre de marche pour mettre en oeuvre le plan d'expansion du réseau : cela passe notamment par de nouvelles homologations et par le recrutement d'enseignants locaux. Mais cette stratégie n'est pas sans soulever des inquiétudes chez les parents d'élèves : leurs représentants, que j'ai auditionnés à plusieurs reprises, s'en sont fait l'écho.

Il est certain que l'absence de vision stratégique de la part des différents gouvernements n'a pas permis à la politique d'influence culturelle de la France de gagner en puissance.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 11 h 45.