Mercredi 13 octobre 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Désignation d'un rapporteur

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, par courrier en date du 6 octobre dernier, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le Président du Sénat le souhait de M. le Président de la République de reconduire M. François Villeroy de Galhau dans ses fonctions de gouverneur de la Banque de France, pour une durée de six ans.

Cette décision est soumise à l'avis préalable des commissions des finances des deux assemblées, qui entendront M. Villeroy de Galhau la semaine prochaine, mercredi 20 octobre, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ; elles s'exprimeront par un vote.

En application du paragraphe 2 de l'article 19 bis du Règlement du Sénat, tel qu'il résulte des modifications adoptées en juillet dernier par notre assemblée, « lorsqu'elle est consultée selon la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, la commission désigne un rapporteur chargé de préparer l'audition ».

Il vous est donc proposé de mettre en oeuvre cette disposition nouvelle.

La commission désigne M. Jean-François Husson rapporteur sur la proposition de nomination aux fonctions de gouverneur de la Banque de France en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010 838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19 - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous allons examiner, sur le rapport de notre collègue Mme Nadine Bellurot, les avis que pourrait donner notre commission sur les amendements de séance déposés sur la proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative, qui sera examinée demain après-midi en séance publique, dans le cadre de l'espace réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE).

Le 29 septembre dernier, la commission n'avait pas adopté la proposition de loi.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Avant l'article unique

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - L'amendement n°  1 rectifié ter proposé par notre collègue Michel Canévet me semble irrecevable, car il traite d'un dispositif tout à fait différent du code général des impôts : il concerne le mécénat d'entreprise, alors que cette proposition de loi porte sur les réductions d'impôt pour les dons consentis par des particuliers.

L'amendement n°  1 rectifié ter est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Huit autres amendements ont été déposés par M. Éric Gold, pour tenir compte des remarques que nous avions formulées lors de l'examen du rapport. Cependant, comme nous avons rejeté le texte en commission, et par souci de cohérence, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'ensemble de ces amendements.

Articles additionnels avant l'article unique

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  7 rectifié et 8 rectifié.

Article unique

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  4, 3, 2 et 5.

Intitulé de la proposition de loi

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  6 et 9.

Remplacement d'un rapporteur

La commission désigne M. Arnaud Bazin, rapporteur sur la proposition de loi n° 383 (2020-2021) visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid 19, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues, en remplacement de Mme Nadine Bellurot.

Proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport de Mme Christine Lavarde sur la proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, qui nous a été transmise par l'Assemblée nationale.

Je vous rappelle que notre commission a délégué au fond l'examen de trois des huit articles de la proposition de loi à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à savoir les articles 2, 4 et 7, que celle-ci a déjà examinés hier - nous n'aurons qu'à les intégrer dans le texte de la commission. Je salue à cet égard la présence de M. Pascal Martin et de Mme Nicole Bonnefoy, rapporteurs pour avis.

Cette proposition de loi s'inspire largement du travail accompli par la mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, dont la rapporteure était Mme Nicole Bonnefoy, et qui avait donné lieu à l'adoption d'une première proposition de loi par le Sénat, l'an passé, sur le rapport de M. Jean-François Husson. Nous avons tous regretté que l'Assemblée nationale ne reprenne pas à son compte cette initiative et qu'elle adopte son propre texte.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous rappelle le contexte de cette nouvelle proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale : la mission d'information sénatoriale, la proposition de loi sénatoriale de janvier 2020, puis cette proposition de loi, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 14 décembre 2020, près d'un an après les travaux du Sénat, et adoptée très vite, le 28 janvier 2021. Depuis, rien... jusqu'à ce que le texte, à la faveur de la navette parlementaire, nous revienne désormais.

Au préalable, je souhaite rappeler ce qu'est un régime assurantiel. Un assuré verse une prime pour se prémunir contre un risque, et l'assureur, en cas d'aléa, verse une indemnité pour couvrir les dommages. Dans tous les cas, jamais l'indemnité ne dépasse le coût du dommage?; elle n'a pas vocation à améliorer l'existant.

L'assurance contre les catastrophes naturelles est financée par une surprime de 12 % assise sur le montant de la prime d'assurance contre les dommages. Le montant est faible, car la mutualisation des risques est très importante. Le code des assurances précise la mise en oeuvre de cette garantie.

Une catastrophe naturelle correspond à une inondation, une coulée de boue, un mouvement de terrain, un séisme, un raz-de-marée, un cyclone, une avalanche, une sécheresse ou un effondrement de terrain dû à des cavités. Ce n'est ni une tempête ni un épisode de grêle : ces aléas ne sont pas pris en charge par ce régime d'indemnisation. Les indemnités couvrent le bâti ; cheptels, récoltes, bâtiments légers, marchandises transportées, avions, bateaux et péniches ne sont pas couverts.

Il existe un schéma de réassurance, fondé sur un partage des primes entre les assureurs et la Caisse centrale de réassurance (CCR) et sur une répartition de la prise en charge des indemnisations. La CCR dispose de la garantie de l'État, garantie sollicitée une seule fois, en 1999.

En parallèle, le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « fonds Barnier », plus récent et créé en février 1995, poursuit un objectif de prévention des dégâts en cas de survenance d'un aléa, non d'indemnisation.

L'article 1er de la proposition de loi vise à renforcer la transparence de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle par l'État et de l'ensemble du dispositif.

Prenons un exemple concret. Un séisme survient, votre maison s'écroule. Vous faites une déclaration à la mairie et à l'assureur. La mairie agrège les demandes d'indemnisation et les fait remonter à la préfecture, qui sollicite des rapports d'expertise technique, réalisés par les services de l'État compétents, comme Météo France ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). La communication de ces rapports n'est aujourd'hui pas systématique. Demandes et rapports sont transmis à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur, qui instruit les dossiers et transmet son avis à une commission interministérielle chargée de constater l'état de catastrophe naturelle. Cette commission s'assure que les critères relatifs à l'origine naturelle et à l'intensité anormale de l'aléa soient bien réunis pour reconnaître l'état de catastrophe naturelle, et elle transmet un avis simple aux ministres concernés, qui peut alors déclarer reconnaître l'état de catastrophe naturelle.

Depuis 2016, la commission se réunit toutes les trois semaines et elle examine 5 500 dossiers par an ; elle en rejette près d'un tiers. Environ 60 % des dossiers étudiés portent sur le risque retrait-gonflement des argiles (RGA), dit « risque sécheresse ».

L'arrêté ministériel déclarant l'état de catastrophe naturelle détermine les zones, les périodes prises en compte, la nature des dommages couverts par la garantie catastrophe naturelle, dite « garantie Cat Nat?». L'arrêté doit être publié dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes des communes en préfecture.

Il existe une procédure accélérée, plus rapide, qui permet d'afficher la prise en compte politique du sinistre.

Nous comptons 82?000 indemnisés par an, dont 72?000 particuliers.

Il est possible de former des recours, prévus par le code des relations entre le public et l'administration : sur les 300 à 400 recours gracieux sollicités par an, 90 % concernent le risque RGA.

L'article 1er de la proposition de loi modifie le code des assurances, en motivant la décision directement dans l'arrêté interministériel, et non plus dans la décision prise par le préfet de département et transmise à chaque commune. La notification de la décision à la commune précise les conditions de communication des rapports d'expertise. Dans l'arrêté, est mentionnée la possibilité, pour les communes et les sinistrés, de former un recours gracieux. Ces dispositions prennent en compte les critiques formulées par la mission d'information du Sénat, qui insistait sur l'opacité de la procédure et la faible motivation des décisions de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

Je souhaite vous proposer d'adopter deux amendements. Le premier d'entre eux prend acte au fait que les dispositions relatives au recours gracieux n'ouvrent pas de nouveaux droits aux sinistrés et aux communes. La loi n'est pas le bon véhicule pour récapituler les droits des sinistrés, qui existent déjà dans le code des relations entre le public et l'administration. Évitons les lois bavardes.

Le second amendement concerne la précision des voies et délais de recours par les arrêtés ministériels. Nous ne parlons que des recours gracieux, alors que les recours contentieux existent bien. Il s'agit donc d'une précision rédactionnelle importante.

L'article 2 a été délégué à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

L'article 3 revient sur la modulation de franchise applicable aux sinistrés des collectivités qui ne sont pas dotées d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN). Aujourd'hui, une franchise reste à la charge de l'assuré ; elle varie selon l'usage du bâtiment, qu'il soit professionnel ou non, et selon l'aléa climatique. Dans les communes sans PPRN, la franchise est modulée en fonction du nombre de constatations de l'état de catastrophe naturelle intervenues pour le même risque au cours des cinq dernières années. Chaque année, 5 600 sinistrés particuliers voient leur franchise modulée?; dans 42 % des cas, elle est doublée à la suite de la troisième reconnaissance, en cinq ans, de l'état de catastrophe naturelle à cause d'une sécheresse. La proposition de loi supprime cette modulation de franchise des habitants des communes sans PPRN. En revanche, elle maintient une telle franchise pour les biens assurés par les collectivités pour lesquelles un PPRN a été prescrit mais n'a pas été approuvé dans les délais réglementaires.

Par ailleurs, en séance, à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a fait adopter un amendement précisant que les caractéristiques de la franchise sont définies par arrêté. En séance, le Gouvernement a précisé ses intentions en indiquant qu'un arrêté ministériel viendrait ainsi fixer un plafond de franchise pour les petites entreprises. Il devrait également prévoir que les assureurs puissent aligner, dans les contrats d'assurance, le niveau de la franchise catastrophe naturelle sur celui des autres garanties, par exemple la franchise pour l'assurance tempête. Enfin, en déplafonnant la franchise des grandes entreprises, ces dernières seraient incitées à adopter des mesures de prévention. Voilà qui répond aux préoccupations présentes dans certains amendements qui ont été déposés.

La suppression partielle de la modulation reprend l'article 4 de la proposition de loi de Mme Bonnefoy?; elle n'entraîne pas de surcoût significatif pour le régime.

L'examen de l'article 4, qui crée une commission nationale consultative des catastrophes naturelles, a été délégué à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Il s'agirait d'une nouvelle instance qui n'aurait pas vocation à traiter des dossiers particuliers, mais plutôt à réfléchir à la pertinence des critères retenus pour la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

L'article 5 traite du délai de publication de l'arrêté constatant l'état de catastrophe naturelle et des différents délais de la procédure d'indemnisation. Sur ce dernier point, je vous propose d'adopter un amendement pour aller plus vite encore dans le versement de l'indemnisation : le délai passerait, pour le versement, d'un mois à dix jours.

Les dispositions relatives aux modalités d'indemnisation de l'assuré sont tout à fait intéressantes. Les indemnisations, dans la rédaction actuelle, doivent couvrir les travaux permettant de mettre un arrêt aux désordres existants dans la limite de la valeur de la chose assurée, si la solidité du bâti est constatée, et ce uniquement en cas de sécheresse. Ainsi, nous sortons du régime assurantiel classique. Mettre fin aux désordres en matière de risque RGA représente des coûts énormes. Installer des pieux dans les fondations d'une maison coûte extrêmement cher, et les dépenses excèdent souvent la valeur du bien assuré.

Quid des dépenses de prévention, en amont, pour diminuer le coût des risques ? L'État a un rôle à jouer. Le Gouvernement réfléchit à la question, car le risque RGA est bien le risque majeur pour le régime d'indemnisation, risque difficile à indemniser. Cette proposition de loi apporte des corrections, mais pas une réponse d'ensemble. Il semblerait qu'un nouveau vecteur législatif puisse venir peut-être traiter la question de ce risque sécheresse.

L'article 6 concerne la prise en charge des frais de relogement d'urgence des sinistrés. Le régime « Cat Nat » n'indemnise que les dommages matériels infligés aux biens. Les frais annexes peuvent être pris en charge par les assureurs en fonction des stipulations du contrat, ou par le Fonds d'aide au relogement d'urgence (FARU) des collectivités, sous certaines conditions. La proposition de loi inclut dans son périmètre les frais de relogement d'urgence si le bien sinistré est la résidence principale et qu'il est rendu inhabitable, ainsi que les frais d'architecte et de maîtrise d'ouvrage associés à la remise en état de l'habitation. Le surcoût, modéré, est estimé entre 6 à 10 millions d'euros.

L'article 7, délégué à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, propose un rapport sur les actions de prévention du risque RGA. Encore un rapport...

L'article 8 étend le délai de dépôt d'une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à 24 mois, contre 18 mois auparavant. Les dommages liés aux sécheresses ne sont pas visibles immédiatement. Ces dispositions reprennent l'article 4 de la proposition de loi de Mme Bonnefoy.

Cette proposition de loi de l'Assemblée nationale reprend ce que le Sénat avait voté il y a deux ans... autant de temps perdu. Le Gouvernement, lors de la lecture à l'Assemblée nationale de la proposition de loi sénatoriale, aurait simplement pu réécrire certaines dispositions par voie d'amendements.

Au-delà se pose la question de la manière dont notre société se prépare à ces aléas climatiques. Les coûts de ces risques pour notre société sont très importants. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 prévoit déjà une augmentation des crédits du fonds Barnier, notamment pour reloger des populations dans des zones plus sûres. Le risque RGA est présent dans presque tous nos départements. Le nouveau bâti doit prendre en compte ces aléas ; or les surcoûts de construction ne sont pas négligeables.

Enfin, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi, dans la rédaction qui vous a été distribuée.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Le système est aujourd'hui à bout de souffle. Il a été imaginé en 1982?; or, quarante ans plus tard, nous faisons face à une crise climatique majeure. Les phénomènes naturels d'une intensité anormale se multiplient, et le risque RGA touche tout le territoire. La procédure de reconnaissance et d'indemnisation est considérée comme opaque, complexe et parfois injuste. Il était temps de répondre aux attentes pour faciliter les démarches, renforcer la transparence et mieux accompagner les communes et les sinistrés.

Cette nouvelle proposition de loi est un véritable plagiat des travaux du Sénat. La procédure accélérée nous a obligés à mener les auditions et à bâtir notre réponse en moins de deux semaines.

L'article 2 sur le délégué départemental permet au maire d'avoir un seul interlocuteur : voilà une bonne chose. Cependant, je suis très mitigé sur l'ensemble de la proposition de loi, car la difficulté majeure n'est pas abordée. Le risque RGA concerne 4 millions d'habitations sur le territoire national, pour un coût de travaux moyen de 70 000 euros. Cela représente le chiffre colossal de 285 milliards d'euros d'investissements à prévoir !

En deux semaines, nous n'avons pu que dresser un constat, et dessiner des pistes. Nous proposons la création d'un régime juridique spécifique et l'élaboration de nouveaux financements. Certaines personnes ont mis toutes leurs économies dans leur maison?; ils se retrouvent parfois dans des situations inextricables, auxquelles cette proposition de loi n'apporte pas de réponse. Leur apporter des réponses, voilà le sujet essentiel.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Les aléas climatiques ne sont plus l'exception. Il s'agit d'inclure désormais les conséquences du réchauffement climatique dans les politiques de prévention et les régimes d'assurance, objet de la mission d'information sénatoriale. S'ajoute l'exigence de transparence des autorités administratives.

La mesure d'un aléa est réalisée sur le fondement de son intensité. Pour la sécheresse, voilà qui est difficile, car les conséquences, insidieuses, apparaissent dans le temps : Michel Vaspart, président de la mission d'information du Sénat sur ce sujet, disait que c'est un véritable cancer. Des bâtiments s'écroulent des années après un épisode de sécheresse, et plus de 70 % du territoire est concerné par ce risque RGA.

Les travaux du Sénat, très importants, avaient duré un an. Deux ans se sont écoulés, et les élus et les sinistrés attendent toujours cette réforme. Michel Vaspart et moi-même sommes allés voir tous les ministères, y compris le responsable de la commission interministérielle, qui nous disait qu'il n'y avait aucun problème - nous étions sortis de cette réunion assez agacés. Avec sa proposition de loi votée à l'unanimité, le Sénat a fait preuve de responsabilité et de perspicacité.

Dans ce texte de l'Assemblée nationale, quid du risque RGA ? Nous avions voulu répondre à ce problème en mettant en place un dispositif particulier, qui vous sera présenté, et dont j'espère qu'il sera accepté - le Gouvernement, lui, ne propose rien. Il s'agit bien d'organiser la résilience, et non de boucher trois fissures. Je tiens donc beaucoup aux deux amendements sur le crédit d'impôt et sur l'extension à cinq ans du délai de prescription.

Pour conclure, je rappelle qu'un euro de prévention, c'est sept euros économisés dans le cadre de l'indemnisation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je regrette les mauvaises manières réservées à la proposition de loi du Sénat. Le propos conclusif du rapporteur Mme Lavarde est sûrement le plus éclairant : il faut dresser un véritable état des lieux sur la façon dont nous pourrions nous projeter dans l'avenir, notamment pour le risque RGA.

La loi a déjà prévu beaucoup de choses. Je constate que les règles existantes sont mal appliquées, et que l'urbanisation est parfois mal contrôlée - l'État et les collectivités sont responsables - et les difficultés retombent sur les particuliers et les assurances. Cet état des lieux est donc nécessaire. Nous devrions être plus stricts pour l'application des règles et la politique de prévention. Il s'agit de réduire la facture, et de ne pas faire payer nos défaillances par les particuliers.

M. Marc Laménie. - Merci aux rapporteurs pour ce travail collectif qui concerne nombre de communes. Bien que les inondations touchent souvent le sud de la France, elles se sont récemment produites en Allemagne et en Belgique, faisant beaucoup de victimes. En dépit de la complexité de la procédure de reconnaissance, celle-ci peut être mise en oeuvre rapidement par les représentants de l'État dans des délais relativement courts. Dans ce cas, pourquoi vouloir renforcer la transparence des décisions ? Les plans de prévention des risques inondation (PPRI) dont on parle beaucoup constituent une procédure lourde, avec des implications en termes d'urbanisme. Quant aux incendies de forêt, qui ont touché le Var et affectent fortement les habitations, sont-ils également pris en compte ?

M. Emmanuel Capus. - Je félicite Mme le rapporteur pour la qualité - habituelle - de son rapport sur un sujet extrêmement important qui, du fait du réchauffement climatique, affectera l'ensemble de nos départements. Je regrette que nos collègues députés n'aient pas saisi l'occasion de montrer leur respect pour le travail de qualité du Sénat, d'autant que les travaux de fond réalisés par la mission d'information, par Nicole Bonnefoy, se révélaient suffisants pour montrer notre estime réciproque. Sur un sujet qui concerne particulièrement les collectivités territoriales, le Sénat doit avoir la priorité. L'article 2 du présent texte crée un nouveau poste de délégué aux catastrophes naturelles. Cela ne risque-t-il pas de compliquer le dispositif et de ralentir les procédures ? Ce rôle ne revient-il pas au préfet ?

Mme Isabelle Briquet. - Je remercie les rapporteurs d'avoir précisé les enjeux particuliers de l'indemnisation des catastrophes naturelles, les contours de ce texte, et d'avoir rappelé combien ce sujet est connu de notre assemblée. C'était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi de Nicole Bonnefoy que le Sénat avait votée à l'unanimité en janvier 2020. Le texte qui nous est soumis est inadmissible sur la méthode, comme l'a dit avec plus de nuance M. le rapporteur général. Par ailleurs, que de temps perdu alors que nous aurions pu valider un texte opérationnel !

Sur le fond, le texte contient une avancée pour les sinistrés. Pour autant, le dispositif du crédit d'impôt pour la prévention des aléas climatiques, qui figurait dans le texte de notre collègue, n'a pas été repris. C'est pourquoi nous vous proposons de le réintégrer par voie d'amendement. De même, les conditions de l'indemnisation prévues à l'article 5 nous paraissent trop restrictives et risquent de porter préjudice aux sinistrés. Enfin, l'extension du délai de prescription de deux à cinq ans pour obtenir une indemnisation est de bon sens pour les dommages résultant des mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation.

En conclusion, nous voterons ce texte, car il représente tout de même une amélioration. Et il ne tient qu'à nous de l'enrichir.

M. Vincent Segouin. - Ayant fait partie de la mission d'information sur la gestion du risque climatique, je retiens surtout que c'est la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en cas de sécheresse et les enjeux liés aux sols argileux qui posaient le plus de problèmes. J'entends qu'il faut à tout prix améliorer la construction des bâtiments, ce qui passe par l'augmentation des diagnostics, déjà assez nombreux, au risque de susciter le désintérêt de nombreux ménages et d'entraîner la désertification de certains territoires. Je regrette le manque d'ambition de l'État pour les dépenses de prévention. Or un euro dépensé en faveur de la prévention, c'est 7 euros économisés au titre des sinistres ! Enfin, l'assurance couvre des risques accidentels. Cela signifie qu'un phénomène répétitif n'est plus du ressort de l'assureur. Par conséquent, les risques ne seront plus couverts dans certaines zones. C'est pourquoi j'ai déposé des amendements en ce sens.

M. Christian Bilhac. - Je reconnais que des erreurs d'urbanisation ont été commises, mais pas partout. Dans mon département, les dégâts subis à la suite de la sécheresse ont touché des maisons construites dans les années 1960 qui avaient été jusqu'à présent préservées. S'agissant des inondations, sans parler de faute des services d'urbanisme, on a constaté des détournements de la décision prise en faveur de la surélévation de l'habitation. Les rez-de-chaussée qui devaient juste servir à protéger des inondations sont devenus des pièces à vivre. Un travail doit être réalisé à ce sujet.

M. Jean-Michel Arnaud. - En vertu du code des assurances, l'affectation de l'indemnité à la réparation d'un immeuble bâti suppose un arrêté du maire, qui doit non seulement prescrire des mesures de remise en état compatibles avec l'environnement, mais peut également édicter les conditions de l'affectation de l'indemnité. Or, dans la pratique, l'arrêté n'est pas pris, et l'obligation d'affectation de l'indemnité est inopérante. Ne serait-il pas opportun que l'arrêté du maire ne soit plus une condition nécessaire à l'utilisation effective de l'indemnité à la réparation ? De surcroît, le maire ne pourrait-il pas prescrire certaines mesures de réparation sans remettre en cause le principe général d'indemnisation ?

M. Claude Raynal, président. - Lorsque l'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté, le délai dont dispose l'assuré pour déclarer le sinistre est très court, ce qui pose souci notamment en période estivale.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Monsieur Capus, le délégué départemental ne complexifiera ni ne ralentira la procédure : le nombre de dossiers susceptibles d'être éligibles au dispositif « Cat Nat » augmente très sensiblement ; de plus, le préfet remplit déjà de nombreuses tâches. Cette spécialisation devrait simplifier et accélérer le dispositif, en permettant aux maires et aux sinistrés d'avoir un interlocuteur nommément désigné.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis. - Le rapport sénatorial proposait la création d'une cellule départementale destinée à rassembler les acteurs concernés par ces aléas, dont les élus, afin qu'ils partagent leur expérience en la matière. L'Assemblée nationale a préféré un délégué départemental. Pourquoi pas, mais quels moyens vont lui être attribués ? Quand on voit ceux qui sont alloués aux services de l'État dans le département, je m'interroge quelque peu. À ce propos, l'amendement de Mme Estrosi-Sassone est intéressant en ce qu'il prévoit un délégué départemental référent au sein de la commission. Les deux ne sont pas incompatibles.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Laménie, comme je l'ai dit en propos liminaire, l'incendie ne fait pas partie des aléas couverts par le dispositif « Cat Nat ».

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'amendement COM-30 prévoit que l'arrêté interministériel de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle mentionne les voies et délais de l'ensemble des recours possibles, et non pas uniquement ceux qui sont applicables aux recours gracieux.

L'amendement COM-30 est adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'amendement COM-11 prévoit une communication sur l'état de catastrophe naturelle à « chaque commune et administré concerné ». Aujourd'hui, l'arrêté est publié par la commune sur son panneau d'affichage. Eu égard aux difficultés liées à l'envoi des cartes électorales, on peut se demander si les administrés seront mieux informés avec l'ajout de cette disposition : avis défavorable.

L'amendement COM-11 n'est pas adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'amendement COM-31 vise à supprimer des dispositions redondantes qui sont déjà prévues par le code des relations entre le public et l'administration.

L'amendement COM-31 est adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'émettrai un avis de sagesse sur l'amendement COM-6 rectifié. La motivation d'une décision administrative doit être accessible aux citoyens - cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant. On a parfois le sentiment qu'elle s'exprime dans un langage peu compréhensible pour nos concitoyens. Il est peut-être nécessaire de rappeler cette obligation.

L'amendement COM-6 rectifié est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'article 2, délégué au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

L'amendement COM-8 rectifié n'est pas adopté.

Article 3

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La rédaction de l'amendement COM-12 soulève une interrogation. S'agit-il d'une franchise par assuré ou par nature de biens ? En cas de catastrophe naturelle, deux contrats d'assurance peuvent être mobilisés, qui n'ont pas été forcément conclus chez le même assureur : le contrat multirisque habitation et le contrat automobile en cas de garantie complémentaire pour les dommages aux biens. En l'espèce, une seule franchise s'appliquerait-elle ? La franchise participe de l'équilibre du dispositif d'indemnisation. Si l'on joue sur ce paramètre, il faudra ensuite modifier la prime versée par les assurés. Pour toutes ces raisons, je sollicite le retrait de cet amendement, et à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

L'amendement COM-12 n'est pas adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Comme je l'ai dit, le Gouvernement a pris des engagements pour moduler, à tout le moins limiter le niveau des franchises pour les petites entreprises. L'amendement COM-1 tel qu'il est rédigé pourrait avoir des effets de bord négatifs selon le montant du dommage : retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté sans modification.

Après l'article 3

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-16, qui est conforme à la version adoptée en 2020, et tient compte des observations qui avaient été formulées à l'époque par notre commission.

L'amendement COM-16 est adopté et devient article additionnel.

Article 4

L'article 4, délégué au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 5

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'amendement COM-32 a pour objet d'accélérer le versement de l'indemnité aux sinistrés.

L'amendement COM-32 est adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-17, qui impose à l'assuré d'utiliser les indemnités versées par l'assurance pour réparer les dégâts. Aujourd'hui, la libre disposition de l'indemnité est un principe central de l'assurance, mais il est déjà encadré pour les catastrophes naturelles. Je m'interroge sur cette contrainte dans le cas où le sinistré ne souhaiterait pas reconstruire au même endroit, par exemple en cas de séisme. Cet amendement pourrait l'y contraindre.

M. Vincent Segouin. - Non !

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est ainsi que je l'ai compris. Cet amendement tend à revenir sur la liberté des assurés. Or dans certains cas comme le risque inondation, il peut être plus pertinent de se reloger dans une zone qui n'est pas soumise au même risque. Aujourd'hui, un maire peut imposer la réparation des dégâts si l'immeuble est dangereux et impropre à l'habitation. Dans la mesure où cette possibilité de contraindre l'assuré existe déjà, j'émets un avis défavorable. Cher collègue, je vous suggère de retravailler votre amendement d'ici à la séance publique.

Avis également défavorable à l'amendement COM-18, qui porte spécifiquement sur le retrait-gonflement des argiles. Ce sujet est très imparfaitement traité par cette proposition de loi, mais le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale est un équilibre qui concilie les attentes des sinistrés et la soutenabilité du régime. En outre, cette position n'a pas été particulièrement dénoncée lors des auditions que j'ai menées.

M. Vincent Segouin. - Dans les clauses d'un contrat d'assurance, vous n'êtes pas tenu de reconstruire au même endroit en cas de sinistre total. Mais pour obtenir le rachat de la valeur à neuf, il faut justifier des factures. Certaines personnes n'utilisent pas les fonds du premier sinistre pour réparer le bien, et ils attendent le deuxième sinistre pour se déclarer. D'où mon amendement COM-17. Mon amendement COM-18 a trait au statut de l'assureur, qui doit payer les dégâts liés aux catastrophes naturelles, mais non les opérations de prévention, d'amélioration ou d'embellissement du bien.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Nous avons eu ces débats à l'époque, lors de l'examen de la proposition de loi du Sénat, pour laquelle Jean-François Husson était rapporteur. Je maintiens mes deux avis défavorables. L'assuré a tout intérêt à réaliser les travaux, sous peine d'être privé du versement complémentaire.

L'amendement COM-17 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-18.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'amendement COM-15 représente l'extrême inverse. L'indemnisation et la prise en compte du risque sécheresse devront être réexaminées collectivement. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Isabelle Briquet. - Je le maintiens.

L'amendement COM-15 n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

L'amendement COM-33 est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 6

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il semblerait que moins d'une dizaine de cas par an arrivent devant le bureau central de tarification (BCT). Cela se produit si l'assureur refuse de garantir pour le risque de catastrophes naturelles alors qu'il est obligatoirement inclus dans l'assurance multirisque. Le BCT étudiera le refus de l'assureur et pourra lui imposer l'inclusion de cette garantie. N'ayant pas connaissance de difficultés liées à la mise en oeuvre du dispositif actuel, je demande le retrait de l'amendement COM-19, et à défaut, j'émets un avis défavorable.

M. Vincent Segouin. - J'accepte de retirer mon amendement.

L'amendement COM-19 est retiré.

Article 7

L'article 7, délégué au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

L'article 8 est adopté sans modification.

Après l'article 8

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'amendement COM-4 n'est peut-être pas adapté à tous les sinistres. Un assuré a toujours intérêt à transmettre ses factures le plus vite possible pour percevoir une indemnisation complète. Dans le même temps, un sinistre n'est clos qu'en cas d'accord des deux parties. Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement COM-4 n'est pas adopté.

Article 9 (supprimé)

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avis de sagesse sur l'amendement COM-14, dans le droit-fil des travaux antérieurs du Sénat. En 2020, Jean-François Husson, alors rapporteur, avait mis en avant que le crédit d'impôt n'était pas forcément le dispositif le plus pertinent. Son coût serait certes soutenable pour les finances publiques en raison de son plafonnement, mais je m'interroge sur les travaux qu'il permettrait d'engager. C'est un petit plus, mais le sinistré devra mettre en place des mesures coûteuses pour la prévention.

L'amendement COM-14 est adopté.

L'article 9 est ainsi rédigé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le périmètre de la proposition de loi est adopté.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1er

Auteur

Sort de l'amendement

Mme LAVARDE, rapporteur

30

Adopté

M. TABAROT

11

Rejeté

Mme LAVARDE, rapporteur

31

Adopté

Mme ESTROSI SASSONE

6 rect.

Adopté

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

21

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

22

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

23

Adopté

Mme ESTROSI SASSONE

7 rect.

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

Mme ESTROSI SASSONE

8 rect.

Rejeté

Article 3

Auteur

Sort de l'amendement

M. TABAROT

12

Rejeté

Mme VENTALON

1

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

Auteur

Sort de l'amendement

Mme BONNEFOY

16

Adopté

Article 4

Auteur

Sort de l'amendement

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

24

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

25

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

26

Adopté

Mme ESTROSI SASSONE

9 rect.

Adopté

Article 5

Auteur

Sort de l'amendement

Mme LAVARDE, rapporteur

32

Adopté

M. SEGOUIN

17

Rejeté

M. SEGOUIN

18

Rejeté

Mme BRIQUET

15

Rejeté

Article 6

Auteur

Sort de l'amendement

Mme LAVARDE, rapporteur

33

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 6

Auteur

Sort de l'amendement

M. SEGOUIN

19

Retiré

Article 7

Auteur

Sort de l'amendement

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

27

Adopté

M. Pascal MARTIN, rapporteur pour avis

28

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 8

Auteur

Sort de l'amendement

Mme VENTALON

4

Rejeté

Article 9 (Supprimé)

Auteur

Sort de l'amendement

Mme BONNEFOY

14

Adopté

« Pandora Papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ?» - Audition de Mme Giulia Aliprandi, chercheuse à l'Observatoire européen de la fiscalité, MM. Marc Bornhauser, avocat spécialiste en droit fiscal, Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, et Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France

M. Claude Raynal, président. - Nous nous retrouvons ce matin une semaine après les informations publiées par un consortium international de journalistes sur les montages fiscaux élaborés par plus d'une dizaine de cabinets de conseil financier. Connues sous le nom de Pandora Papers, ces informations s'inscrivent dans le sillage de précédents travaux d'investigation - Panama Papers en 2016, Paradise Papers en 2017 ou encore OpenLux plus tôt cette année. Les informations mettent à jour un système à grande échelle d'opacification de flux financiers, par la création de sociétés écrans, localisées dans des juridictions à fiscalité réduite et peu ouvertes aux échanges d'informations, incluant des territoires dépendant de grands États.

Depuis une dizaine d'années, d'importantes avancées ont été enregistrées à différents niveaux. Je pense au projet BEPS - pour Domestic tax base erosion and profit shifting - de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais aussi à plusieurs directives emblématiques - la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale dite « ATAD », ou les directives relatives à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal dites « DAC » -, et à des évolutions législatives nationales. Pourtant, la levée du secret bancaire à la suite de la crise financière de 2008 se heurte toujours à certains obstacles, dont les sociétés écrans.

En tant que législateurs, nous nous interrogeons sur l'efficacité des règles applicables pour contrôler et appréhender fiscalement les sociétés offshore, ainsi que sur les moyens de renforcer la lutte contre ces montages. Les enjeux sont à la fois financiers et politiques, dans la mesure où ces pratiques peuvent faciliter le blanchiment de revenus illicites et reportent la contribution publique sur d'autres acteurs.

Pour faire le point sur ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP), M. Marc Bornhauser, avocat spécialiste en droit fiscal, Mme Giulia Aliprandi, chercheuse au sein de l'Observatoire européen de la fiscalité et M. Quentin Parrinello, responsable plaidoyer justice fiscale et inégalités pour Oxfam France. Je vous remercie tous d'avoir accepté cette invitation.

Je vous propose de tenir chacun un propos liminaire de dix minutes, que vous pourrez compléter ultérieurement par des précisions complémentaires.

Sans plus tarder, je cède la parole à M. Frédéric Iannucci, pour qu'il nous expose le point de vue de l'administration chargée du contrôle fiscal sur les Pandora Papers et sur les suites qui pourraient en résulter pour les résidents fiscaux français concernés.

M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques. - L'administration fiscale se réjouit évidemment de ces nouvelles révélations concernant des schémas d'évasion ou de fraude fiscale internationales. Il s'agit d'une étape supplémentaire par rapport à des révélations antérieures. Nous n'avons accès qu'aux publications de la presse, car, en vertu de leurs principes déontologiques, les journalistes n'entendent pas livrer plus d'éléments aux administrations fiscales. Les informations dont nous disposons sont assez fragmentaires ; elles portent sur des personnes qui détiendraient des sociétés à l'étranger et sont, ou non, résidentes fiscales françaises. Il ne suffit pas d'être français pour être assujetti à l'impôt en France. Pour les personnalités citées qui sont non-résidentes depuis plusieurs années, l'administration fiscale française n'est pas en mesure d'opérer des vérifications.

Hormis le cas où les personnes viendraient spontanément régulariser leur situation, c'est pour nous le début d'un travail long et minutieux pour retrouver les informations pertinentes permettant d'effectuer des redressements. Savoir qu'une personne détient une société dans tel ou tel paradis fiscal n'est pas suffisant pour en tirer des conclusions opérationnelles sur le montant des impôts qu'elle doit payer. Le plus souvent, nous avons le nom du siège d'une société, mais sans informations sur le lieu de situation des comptes et encore moins sur les sommes qui y figurent. Nous sommes amenés à faire des demandes d'assistance administrative internationale auprès des pays concernés ; certains d'entre eux nous confirment les informations, mais sans nous donner d'informations comptables et financières. C'est là toute la difficulté.

Nous avons un peu de recul sur les Panama papers ; des procédures ont abouti. Nous travaillons de plus en plus avec la justice, notamment le parquet national financier et tous les services de l'État conjuguent leurs efforts en ce sens. Le dernier rapport de l'OCDE sur le sujet publié cette année - En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc - est éloquent à cet égard. En ce moment même se poursuit le débat sur l'étendue du secret professionnel des avocats, y compris dans leur fonction de conseil. Nous y sommes très sensibles, car si des sanctuaires sont créés, y compris en France, notre action sera encore plus limitée.

Sur les précédentes vagues de révélations, nous avons obtenu des résultats. Pour les Panama Papers, 115 dossiers ont conduit à 167 millions d'euros de droits et de pénalités. Pour les Paradise Papers, nous en sommes à 11 millions d'euros. Nos travaux étant loin d'être achevés, ces chiffres sont régulièrement actualisés.

Je peux vous assurer de notre détermination à combattre ces phénomènes.

M. Marc Bornhauser, avocat spécialiste en droit fiscal. - Ces Pandora Papers, après les Panama Papers et les Paradise Papers, ne nous apprennent pas grand-chose sur les techniques utilisées ni sur les juridictions concernées : les îles Vierges britanniques, le Panama, la Suisse, ce sont toujours les mêmes usual suspects. En examinant ce que les journalistes ont bien voulu dévoiler, je me suis aperçu que tous ces schémas n'étaient pas nécessairement frauduleux.

Il convient de distinguer la fraude, sanctionnée par l'administration fiscale qui use pour ce faire de tous les moyens légaux, et l'optimisation, qui reste encore un droit. Selon qu'elle est agressive ou non, cette pratique se trouve du bon ou du mauvais côté de la loi. Des marqueurs objectifs permettent de la classer.

Il faut également opérer une distinction entre les problématiques de fiscalité et celles qui sont liées à la confidentialité. Certaines personnes veulent rester discrètes, on ne peut pas le leur reprocher si leurs investissements ne proviennent pas d'argent sale. Toutefois, les personnes politiquement exposées (PPE) ont un devoir plus lourd quant à la transparence de leur patrimoine. J'ai été frappé que Tony Blair ait acquis un tel patrimoine.

Les avocats ne sont pas des intermédiaires financiers comme les autres. Nous avons une déontologie très stricte ; nous ne pouvons pas participer à la commission d'une infraction, et si tel est le cas, nous ne sommes pas protégés par le secret professionnel. Nous tenons cette faculté de la loi dans l'intérêt de nos clients. Pour réprimer une fraude, le législateur n'a rien à gagner à nous prendre pour cible en perquisitionnant nos cabinets. Nous attaquer, c'est attaquer la justice et le consentement à l'impôt. Nous, avocats, participons à l'expression de cette justice qui, pour aboutir, doit entendre l'accusation, mais aussi la défense. La distinction entre le conseil et la défense, sur laquelle le Sénat s'est prononcé récemment, n'existe pas dans les textes européens, en particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il est indispensable que nos clients puissent nous parler sans crainte de dénonciation.

Les Pandora Papers vont-ils justifier une loi de circonstance qui donnera encore plus de pouvoir à l'administration fiscale ? Les textes existent ; l'arsenal juridique de l'administration fiscale s'est même considérablement renforcé au cours des dix dernières années. Les limites sont désormais atteintes. Après-demain, le Conseil constitutionnel statuera sur la Constitutionnalité de l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales et de l'article 755 du code général des impôts. Quelle que soit la décision du Conseil - validation, censure ou réserves d'interprétation -, il sera difficile d'aller plus loin que ce mécanisme permettant à l'administration fiscale d'interroger ceux qui n'ont pas satisfait à leurs obligations déclaratives, et en l'absence de réponse satisfaisante, de taxer le solde le plus élevé du compte bancaire au titre des dix dernières années, soit 60 % des sommes créditées.

L'administration fiscale a acquis de nombreux savoir-faire. La première cellule de régularisation dite « Woerth » travaillait sur la fameuse liste HSBC. Or l'un de mes clients avait acheté sans m'en parler des titres provenant d'une « société BVI » car inscrite aux British Virgin Islands (Îles Vierges britanniques), dont l'origine était douteuse. Je lui ai immédiatement conseillé de déclarer ses avoirs. J'avais été reçu par le directeur de cette cellule, qui ignorait ce que signifiait « BVI ». L'administration fiscale a fortement renforcé son expertise grâce aux campagnes de régularisation. Cette connaissance de la pratique lui permet aujourd'hui de réprimer les schémas abusifs, ce qui n'est pas le cas de tous les schémas dénoncés dans les Pandora Papers.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez parlé de marqueurs objectifs permettant de distinguer fraude et optimisation fiscale. Quels sont-ils ??

M. Marc Bornhauser. - Si vous ne respectez pas la loi, c'est de la fraude. Si vous la respectez, c'est a priori de l'optimisation. Il faut aussi prendre en compte l'abus de droit : si vous bafouez l'esprit de la loi, vous êtes également fraudeur. Tout cela relève de la jurisprudence. Nous guidons nos clients pour les accompagner du bon côté de la ligne.

Mme Giulia Aliprandi, chercheuse à l'Observatoire européen de la fiscalité. - La semaine dernière, la révélation des Pandora Papers a montré que certains schémas permettent d'éviter l'imposition de sommes importantes. La recherche économique cherche à évaluer le patrimoine financier détenu offshore. Pour l'Europe, on estime que 1 500 milliards d'euros, soit l'équivalent de 10 % du PIB, sont placés offshore. La perte de recettes fiscales serait ainsi de 46 milliards d'euros. Pour la France, le patrimoine financier détenu offshore serait d'environ 300 milliards d'euros, ce qui engendre une perte de recettes d'environ 10 milliards d'euros. Au-delà de ce chiffre agrégé, rappelons que ce patrimoine est surtout détenu par les individus les plus riches de notre société.

Des mesures ont été prises pour combler le manque d'informations, notamment l'échange d'informations automatiques relatives aux comptes bancaires et financiers. Toutefois, les États-Unis n'entretiennent pas de relations réciproques avec les autres pays. Ainsi, la France ne dispose pas d'informations concernant les citoyens français ayant des comptes bancaires aux États-Unis. Par ailleurs, l'instauration d'un registre des bénéficiaires effectifs progresse doucement dans un nombre de pays de plus en plus important. Les progrès sont toutefois plus lents dans les juridictions les plus opaques.

L'Observatoire européen de la fiscalité suggère de mettre en place des mesures supplémentaires, pour combattre la fraude et l'évasion fiscales. Nous sommes, tout d'abord, favorables à la création d'un cadastre financier, pour lutter contre l'opacité qui entoure la richesse mondiale et sa répartition. Ces outils permettraient de donner aux gouvernements une vision globale des richesses détenues par leurs citoyens. Les professionnels choisissant de favoriser la fraude fiscale et les flux financiers illicites en sont responsables, comme leurs clients. Nous souhaitons donc la mise en place de sanctions plus sévères pour les fournisseurs de services destinés à la fraude fiscale.

M. Claude Raynal, président. - Existe-t-il une spécificité des Pandora Papers, monsieur Parrinello ?

M. Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France. - Oui, cette investigation présente des spécificités. La plus importante, à mon sens, est le fait que la fuite de données couvre environ quinze ans, jusqu'à une période très récente, et concerne quatorze intermédiaires financiers. On découvre ainsi comment des intermédiaires financiers et des juridictions fiscales se sont adaptés aux changements législatifs de certains pays. Je pense notamment aux sanctions mises en place par l'Union européenne à partir de la liste des paradis fiscaux. À la suite de cette mesure, certains territoires, comme le Dakota du Sud, aux États-Unis, sont apparus comme des territoires susceptibles de loger des actifs en toute discrétion.

Comme dans toute fuite, on s'intéresse d'abord aux têtes d'affiche, qui sont souvent des personnes aux responsabilités, ce qui nourrit une méfiance envers l'action politique et sape le consentement à l'impôt. Dès lors, comment retrouver une confiance dans l'action politique ?

Cette investigation fait apparaître certains faits de blanchiments, qui devront être caractérisés, provenant par exemple de la mafia italienne, du terrorisme ou des narcotrafiquants. La transparence, pour ce qui concerne l'échange d'informations non seulement entre les administrations fiscales, mais aussi en direction des citoyennes et citoyens, est cruciale. En effet, 70 % des affaires de corruption impliquent aujourd'hui une société écran. Quels sont les outils pour faire face à cette situation ?

Il existe, en France, l'échange automatique d'informations, l'identification des bénéficiaires effectifs et, depuis peu, le registre des sociétés permettant d'identifier les bénéficiaires effectifs. Toutefois, ce registre possède certaines limites. Tout d'abord, il est disponible uniquement par un accès à la pièce, ce qui suppose d'aller chercher les informations une par une ; ensuite, on n'est pas encore sûr de son taux de complétude, qui avoisinerait les 75 %. Il ne suffit donc pas de publier ces informations, il faut pouvoir les vérifier. Ainsi, d'après OpenLux, dans le registre des sociétés du Luxembourg, 50 % des entreprises ne déclarent aucun bénéficiaire effectif. Dans le registre des sociétés du Royaume-Uni, des dizaines de milliers d'entreprises n'ont pas de bénéficiaires effectifs déclarés ; enfin, dans le cadre de ces registres, il n'est pas possible d'avoir accès, au sein d'un montage, à une structure située hors de France. Ainsi, si je suis contribuable français et que je possède une entreprise qui n'est pas située en France, je n'apparaîtrai pas dans le registre des bénéficiaires effectifs. Pour renforcer ce registre, il convient donc de croiser l'ensemble des données disponibles. C'est un premier pas vers le cadastre financier évoqué par Giulia Aliprandi.

Bien évidemment, la limite essentielle est que nous n'avons pas accès aux actifs logés dans les territoires qu'on appelle les paradis fiscaux. C'est là tout l'enjeu de la liste de ces paradis fiscaux pour faire pression sur des pays tiers. Cependant, l'absence de registre public des bénéficiaires effectifs ne fait pas partie des critères pris en compte pour qualifier un paradis fiscal au niveau européen. L'enjeu, aujourd'hui, est donc de trouver le moyen de faire pression sur les pays tiers. La liste européenne des paradis fiscaux a prouvé dans une certaine mesure son utilité dans ce domaine, quand elle n'était pas soumise à des pressions politiques et lorsque ses critères étaient objectifs et ambitieux.

J'évoquerai enfin les intermédiaires financiers, dont il faut renforcer le contrôle. Certains d'entre eux ne sont pas concernés par les obligations de lutte contre le blanchiment. Par ailleurs, dans la très grande majorité des cas, le blanchiment d'argent implique des personnes morales, alors que les déclarations à Tracfin impliquent des personnes physiques. Il convient également de renforcer les sanctions qui les concernent.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je poserai trois questions.

Tout d'abord, Claude Raynal l'a rappelé, le projet BEPS de l'OCDE comporte un certain nombre de recommandations pour renforcer les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées. La directive ATAD comprend différentes dispositions visant à renforcer le contrôle de ces entités, en permettant notamment d'imposer des revenus issus d'une société localisée dans un territoire à faible imposition. Malgré ces avancées, il n'a pas été jugé utile d'adapter le dispositif existant en France à l'article 209 B du code général des impôts. Quelles en sont les raisons ? En quoi cet outil permet-il, ou non, de lutter efficacement contre de tels montages financiers ?

Ensuite, dans le cadre de la directive dite « DAC 6 », les intermédiaires financiers sont tenus de déclarer à l'administration fiscale les montages fiscaux considérés comme agressifs qu'ils conçoivent ou commercialisent. Les données sont ensuite échangées entre les États membres. Quel premier bilan peut-on tirer de cette obligation ? Pourrions-nous imaginer qu'elle devienne la norme au niveau international ?

L'échange d'informations entre administrations fiscales joue un rôle essentiel en matière de lutte contre les pratiques fiscales dommageables. Sous l'égide du Forum mondial, des procédures standardisées ont été mises en oeuvre. Pourtant, comme les Pandora Papers l'indiquent, ces échanges semblent ne pas suffire, du fait des territoires participants ou du périmètre des informations couvertes. Quel est le rôle de ces données pour le contrôle fiscal ? Quelles limites identifiez-vous et comment y remédier ? 

M. Éric Bocquet. - Tout d'abord, je voudrais saluer l'excellente initiative de la commission des finances, qui a réussi, huit jours après la révélation des Pandora Papers, à organiser cette table ronde fort intéressante et fort utile.

Je salue également la presse, notamment le Consortium international des journalistes d'investigation, qui a mené ce travail depuis de longues années. Depuis l'affaire Cahuzac en 2013, nous en sommes au treizième dossier de révélations fracassantes, toutes révélatrices des pratiques incroyables et scandaleuses du monde de l'offshore.

Tout est connu aujourd'hui. À chaque fois, c'est la même sidération, le même scandale. En s'appuyant sur les révélations OpenLux du mois de février dernier, le journal Le Monde avait mené une enquête au long cours, qui révélait que 55 000 sociétés offshore au Luxembourg détenaient 6 500 milliards d'actifs. Nous qui travaillons ici sur le budget de la France, lequel atteint péniblement 400 milliards de dépenses, nous sommes confrontés à une échelle absolument incroyable.

Les Pandora Papers représentent 11 300 milliards de dollars, soit 10 000 milliards d'euros, autant d'argent qui échappe à l'impôt.

À l'occasion des Panama Papers, en 2016, les pratiques du cabinet Mossack Fonseca avaient été pointées. Toutefois, on se rend compte, avec ces nouvelles révélations, que ce cabinet n'était pas un cas isolé. Cette année, on nous parle du cabinet Baker McKenzie, avec 5 000 avocats présents dans 46 pays du monde. Dans les Pandora Papers sont cités quatorze cabinets, des personnalités politiques - cela fait bien évidemment beaucoup de mal à la République -, ainsi que 600 de nos concitoyens. On y découvre que des États membres de l'Union européenne, le Luxembourg et Chypre, sont eux-mêmes impliqués dans ces pratiques, ce qui n'est pas sans poser un problème politique de fond.

Ces dossiers illustrent parfaitement le caractère systémique de cette industrie de l'offshore, qui est au coeur du système. Il faut des clients, des territoires complaisants, des banquiers, des avocats, des notaires, des prestataires, des prête-noms, et des sociétés écrans. Tout cela fait système et organise l'opacité.

Monsieur Iannucci, les noms de 600 Français ont été cités. Vous avez évoqué tout à l'heure comment vous traitiez ce genre de sujets. Pourriez-vous préciser votre stratégie ? De quels moyens disposez-vous ? Les journalistes ont exploité 12 millions de documents ; M. Darmanin a créé en 2018 une police fiscale composée de vingt-cinq individus, sans doute très compétents, mais c'est peu. Dans le même temps, depuis vingt ans, la DGFiP a perdu 38 000 emplois.

M. Olivier Dussopt, la semaine dernière, disait que nous avions récupéré 200 millions d'euros après les Panama Papers. Vous nuancez ce chiffre puisque vous avez parlé de 167 millions d'euros. Le décalage est saisissant entre les sommes récupérées et celles qui sont censées nous échapper.

J'évoquerai ensuite la chaîne de responsabilité. La commission d'enquête de 2013 l'a montré, on ne peut pas pratiquer l'évasion sans un peu d'aide. Je me souviens de l'audition de M. Marc Roche, à l'époque journaliste pour Le Monde, correspondant à Londres, fin connaisseur de la City, du monde de la finance et de ses acteurs. Il avait déclaré : « les banques ne sont qu'un petit élément d'un réseau de complicités plus vaste dans lequel on trouve des bureaux d'avocats, des cabinets comptables, des conseillers financiers ». Denis Healey, Chancelier de l'Échiquier entre 1974 et 1979, a eu ce mot : « la différence entre l'optimisation et l'évasion fiscale est dans l'épaisseur des murs d'une prison » !

Le dernier point, évoqué par Monsieur Parrinello, est la liste des paradis fiscaux en Europe. Aux yeux de l'Union européenne, aucun État membre ne peut être considéré comme un paradis fiscal. Quid du Luxembourg et de Chypre, mais l'on pourrait aussi citer Malte, ainsi que l'Irlande, dont le statut fiscal est particulier ? Il y a là, à mon sens, un deuxième trou dans le bouclier ; sans parler des complicités constatées, qu'il s'agisse de Tony Blair ou de Dominique Strauss-Kahn. Tout cela est fondamentalement dommageable.

Mme Sophie Taillé-Polian. - M. Éric Bocquet a dit beaucoup de choses que je partage. Je salue la presse sans laquelle nous n'aurions pas d'information aujourd'hui. Merci aussi aux lanceurs d'alerte, qui prennent beaucoup de risques et qui ne sont pas assez protégés. Oxfam ne pense-t-elle pas qu'il y aurait des choses à faire en ce sens ?

M. Bornhauser a rappelé que l'optimisation, tant qu'elle n'était pas illégale, était un droit. Or, la semaine dernière, pour justifier la réforme de l'assurance chômage, on pointait du doigt les précaires en disant : « ils optimisent, c'est scandaleux ! » Il y a donc deux poids, deux mesures. Certains s'arrogent le droit de s'extraire de leurs obligations de participer à l'effort public pour faire société. C'est violent, à l'heure où notre pays compte 4 millions de nouveaux vulnérables.

Nous avons beaucoup débattu en 2018 de la loi pour un État au service d'une société de confiance, présentée par MM. Darmanin et Dussopt. Nous avions déposé à l'époque un certain nombre d'amendements, qui ont été rejetés, pour réprimer les intermédiaires, ainsi que pour inverser la charge de la preuve. Toutes ces dispositions permettaient pourtant de faciliter le travail de l'administration fiscale. Que proposez-vous comme solutions ?

Il y a certes une augmentation des moyens, notamment techniques, avec le data mining, mais, ainsi que nous ne cessons de le dénoncer, le nombre d'enquêtes est toujours le même. On enregistre une baisse des montants récupérés par l'État, alors même que certains innovent sans arrêt pour s'extraire de leurs obligations de solidarité et de justice.

M. Hervé Maurey. - M. Iannucci a évoqué les sommes recouvrées, mais il n'a pas indiqué ce que cela pouvait représenter en pourcentage par rapport à la masse globale. Existe-t-il des perspectives pour améliorer les recouvrements par rapport aux scandales précédents ? Il est important que des mesures efficaces soient prises, sans pour autant en arriver, comme l'a suggéré ma collègue, à inverser la charge de la preuve. De quels outils souhaiteriez-vous disposer pour être encore plus efficaces ? Faut-il renforcer les coopérations internationales ? Faut-il prévoir de sanctionner les intermédiaires ? Faut-il que les journalistes eux-mêmes fassent preuve de transparence et acceptent de se montrer un petit peu plus coopératifs qu'ils ne le sont ? Je brise là un tabou...

M. Didier Rambaud. - J'ai retrouvé un article datant de décembre 2018, publié dans un grand quotidien du soir, qui expliquait qu'il était pratiquement impossible pour un État seul comme la France de stopper l'évasion fiscale. Modifier les règles pour forcer les Français les plus fortunés à payer leurs impôts en France nécessiterait la modification de conventions fiscales internationales qui prévalent sur le droit français, comme l'explique le quotidien. Partagez-vous ce constat ?

Ma deuxième remarque est plus optimiste. Je me réjouis que la semaine dernière, au sein de l'OCDE, 140 pays se soient mis d'accord sur la taxation mondiale des multinationales à hauteur de 15 %. Les derniers pays opposants - la Hongrie, l'Irlande, l'Estonie - ont levé leurs objections. Cet accord est-il prémonitoire ? Pourrait-il nous permettre d'espérer davantage de coopération dans la lutte contre l'évasion fiscale ?

M. Patrice Joly. - Il y a urgence à agir du point de vue démocratique. Le consentement à l'impôt est en jeu, la contribution aux charges collectives également. Cette sécession des riches participe à la montée du populisme. Il n'y a aucune commune mesure entre les retours qu'a pu obtenir l'administration fiscale et les sommes en jeu. Il existe donc un problème de moyens. Comment se fait-il que nous ne soyons pas plus productifs en matière de récupération ? Quel est l'avis de nos intervenants sur l'actualisation de la liste des paradis fiscaux européens ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Ma première question concerne le registre des bénéficiaires effectifs. Je sais qu'il est déjà très compliqué, en droit français, de le modifier sur Infogreffe. Il est donc très difficile d'avoir un registre à jour. Quels moyens pourrions-nous mettre en oeuvre pour rendre ces registres plus opérationnels ? Serait-il envisageable de consolider un tel registre au niveau de l'Union européenne, voire via des traités à l'échelon international ? On le sait, c'est la chaîne d'interposition et les actionnariats en cascade qui nous permettent de tracer les fraudes. Quant aux paradis fiscaux en Europe, il convient de s'interroger sur certains de nos partenaires, qui ne semblent pas jouer tout à fait franc jeu avec nous. C'est à mon sens une question qui mérite d'être soulevée.

M. Michel Canévet. - La lutte contre la fraude, vers les paradis fiscaux ou envers les prestations sociales, doit rester un combat permanent. Dans le prolongement des propos d'Hervé Maurey et de Patrice Joly, je m'interroge également du peu de productivité en ce qui concerne les Panama Papers. Sommes-nous vraiment allés au bout de ce que l'on pouvait faire ? C'est pire encore pour les Paradise Papers puisque le produit des redressements est extrêmement limité. Quelle est la situation dans les autres pays européens ? Ont-ils également engagé une action résolue pour lutter contre les paradis fiscaux et contre l'évasion fiscale ?

M. Thierry Cozic. - L'accord qui a été signé la semaine dernière avec 136 pays sur la nouvelle taxation des multinationales permet de jeter un pavé dans la mare de l'optimisation fiscale. Cet accord est organisé autour de deux piliers.

Le premier vise, par une modification de l'allocation d'une partie des droits d'imposition, à restreindre la capacité des paradis fiscaux à développer par toutes les astuces juridiques et financières possibles l'ensemble des mécanismes permettant de découpler artificiellement l'endroit où un revenu est perçu du lieu où il est enregistré. Selon l'OCDE, 125 milliards de dollars de base taxable au niveau mondial pourraient ainsi échapper aux paradis fiscaux.

Le deuxième, plus classique, vise à établir un taux minimum effectif d'imposition à 15 % des profits logés à l'étranger par les multinationales qui réalisent plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Ces deux nouveaux piliers de la taxation peuvent paraître révolutionnaires puisqu'un État pourra taxer une entreprise, même si celle-ci n'est pas présente sur son territoire. C'est un énorme changement de paradigme dans la façon d'organiser la taxation des multinationales. Dans un monde de libre-échangisme, n'est-il pas vain de parler de mesures propres à la France, quand seule une réponse globalisée semble être de nature à résoudre la problématique, à l'image de ce qui se passe pour le climat ? Une approche plus collective n'est-elle pas la seule solution pour que certains pays cessent leur dumping fiscal et pour aller vers une harmonisation ?

M. Claude Raynal, président. - Il a été question de la création d'un cadastre des avoirs financiers. J'aimerais avoir l'avis de M. Iannucci sur la concrétisation de ce concept.

Le Conseil de l'Union européenne a pris récemment la décision de sortir trois juridictions de la liste européenne des États et territoires non coopératifs, parmi lesquelles les Seychelles ; certains y ont vu le signe de la portée réduite d'une telle liste. Qu'en pensez-vous ?

M. Quentin Parrinello. - Je salue également le travail d'investigation des journalistes, ainsi que le courage des lanceurs d'alerte. Oxfam n'est pas forcément l'ONG la plus indiquée pour se prononcer sur la protection de ces derniers. Je vous renvoie notamment aux travaux de Transparency International et de la Maison des lanceurs d'alerte (MLA). Pour autant, il serait utile de mener un travail sur la chaîne d'alerte, qui passe aujourd'hui systématiquement en interne, ce qui peut fragiliser la personne, voire la mettre en danger.

Vous m'avez interrogé sur la liste des paradis fiscaux, en liant cette question à celle de la balance entre initiatives unilatérales et multilatérales. On peut effectivement adopter les meilleures règles possible en France, il n'en reste pas moins que l'on fait face à des juridictions opaques. C'est tout l'intérêt d'outils comme les listes de paradis fiscaux si elles sont assorties de sanctions.

La liste dont on entend le plus parler est celle de l'Union européenne. Elle souffre d'une faille majeure, relevée par M. Bocquet : selon les critères actuels, certains États membres de l'Union européenne devraient y figurer. D'après une analyse réalisée par Oxfam il y a quelques années, cinq pays étaient concernés : l'Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Malte et Chypre. Deux d'entre eux ont été cités dans les Pandora Papers : le Luxembourg et Chypre, dont le président de la République était impliqué. Le fait que ceux qui sont censés voter les lois participent à des montages financiers pose problème, mais c'est un autre sujet...

On peut agir de manière unilatérale pour faire évoluer les autres pays en se servant d'outils comme les listes de paradis fiscaux, si celles-ci sont basées sur des critères objectifs et ambitieux. Le problème vient du fait que ces listes sont trop souvent soumises à des pressions politiques. Des États sont too big to blacklist - trop gros pour être montrés du doigt -, il faut donc améliorer les critères. S'agissant de la liste européenne des paradis fiscaux, il existe des critères de coopération fiscale - un pays accepte de transférer des informations fiscales à d'autres -, des critères de pratiques fiscales dommageables - elles sont extrêmement réduites, ce qui explique pourquoi des paradis fiscaux importants ne font pas partie de la liste -, et des critères d'application des réformes fiscales internationales. Mais rien sur la transparence des bénéficiaires effectifs ou sur les règles mises en place pour les intermédiaires financiers ! Ces deux derniers critères simples, auxquels on peut ajouter celui du taux d'imposition zéro, pourraient être pris en compte.

La question des pressions politiques doit être également intégrée. L'Europe est-elle prête à mettre le Dakota du Sud ou le Delaware dans une liste grise ou noire ? On risque de se retrouver dans une situation où des pratiques de blanchiment vont se déplacer des petits États vers de grands États too big to blacklist. La question de la chaîne de responsabilité et des intermédiaires est un véritable enjeu. Aujourd'hui, une myriade d'acteurs parviennent à échapper aux obligations de contrôle. Aux termes de la cinquième directive antiblanchiment, les obligations de lutte contre le blanchiment s'appliquent aux « auditeurs, experts-comptables externes et conseillers fiscaux, et toute autre personne qui s'engage à fournir, directement ou par le truchement d'autres personnes auxquelles cette autre personne est liée, une aide matérielle, une assistance ou des conseils en matière fiscale comme activité économique ou professionnelle principale ». Le problème vient de l'emploi du mot « principale ». Et ce n'est pas Oxfam ou Transparency International qui le relève, mais Tracfin qui, selon un rapport de l'Assemblée nationale de juillet dernier, explique que « certains membres des professions du chiffre et du droit ont élaboré une stratégie de contournement en développant, parallèlement à leur activité réglementée, des entités juridiquement distinctes [...] qui les exonèrent de leurs obligations ». Certains intermédiaires ne sont pas soumis à l'obligation, appelée « know your customer », de vérifier d'où vient l'argent.

Autre enjeu, s'agissant des intermédiaires : les déclarations faites à Tracfin portent essentiellement sur des personnes physiques, alors que les personnes morales représentent l'immense majorité des cas de corruption.

S'agissant de l'accord international, j'ai le regret de vous dire que ce n'est pas la fin des paradis fiscaux et de l'évasion fiscale ! Cet accord ne vise que les multinationales. Le fameux « Pilier un » ne devrait s'appliquer qu'à 70 à 100 entreprises, soit un confetti dans l'économie mondiale. Le taux d'imposition minimum effectif à 15 % comprend, quant à lui, un certain nombre d'exonérations de substance, qui permettent aux multinationales d'abaisser leur taux d'imposition effectif en dessous de 15 %. Tout n'est pourtant pas à jeter dans cet accord ; on est tout de même passé en quelques années d'une logique dans laquelle la concurrence fiscale était considérée comme l'effet collatéral du libre-échange à une logique dans laquelle l'impact sur nos sociétés et sur le consentement à l'impôt de cette concurrence fiscale déloyale n'est plus acceptable. Réussir à mettre plus d'une centaine de pays autour de la table est déjà un processus intéressant, même si le résultat est largement en deçà des attentes de la société civile.

Il faudrait également engager une démarche similaire en matière de fiscalité des patrimoines. La centralisation du registre des bénéficiaires est un des enjeux. Le recours à une personne morale en dehors de notre pays fait sortir une structure du registre, ce qui en limite la portée. Il faut donc utiliser le bras armé que constitue une liste noire des paradis fiscaux et appliquer des sanctions pour forcer des pays à dévoiler des informations. Cette mesure aidera l'administration fiscale, mais elle permettra surtout de conforter le consentement à l'impôt, puisque les citoyens auront la possibilité d'exercer un contrôle.

Enfin, pour finir sur la lutte contre l'évasion fiscale, les moyens techniques sont évidemment indispensables, mais les contrôles fiscaux nécessitent des personnels. La technologie ne peut pas tout faire en la matière !

Mme Giulia Aliprandi. - Les politiques menées ont vraiment un effet sur les dépôts des contribuables offshore. On constate que les contribuables modifient leurs stratégies : les dépôts aux États-Unis connaissent une forte augmentation, car ce pays ne partage pas ses informations. On constate également un accroissement des transferts vers d'autres types de biens : l'immobilier ou les oeuvres d'art. Il faut élargir le champ d'application des mesures qui ont déjà été prises.

Je rejoins M. Parrinello sur l'accord de l'OCDE. Il est notable qu'autant de pays aient réussi à parvenir à une conclusion commune. C'est le fruit de nombreuses négociations, au cours desquelles des concessions très importantes ont été faites, notamment sur les exonérations de substance. Le taux effectif minimal affiché est de 15 %, mais ces exonérations, assez difficiles à justifier, conduisent en réalité à faire baisser ce taux. Je partage aussi son avis sur la liste des paradis fiscaux : c'est évidemment un sujet très politique, qui peut être sensible pour le multilatéralisme et la coopération entre les différents pays. Pour résoudre ce type de problème, il est préférable de favoriser la coopération et le dialogue entre les administrations et les pays. Comme ce processus est long et compliqué, il faudrait trouver d'autres moyens d'action.

Je conclurai sur le registre des bénéficiaires effectifs. Cet outil très important est en cours d'unification au niveau européen. Sa mise en oeuvre dans les différents pays est assez lente, même si certains États ont été plus efficaces que d'autres et ont publié leur registre. L'amélioration de la qualité du registre sera bienvenue.

M. Marc Bornhauser. - La directive « DAC 6 » a été transposée en droit français, en intégrant, avec certaines réserves, les avocats dans son champ d'application. Les avocats ne sont pas d'accord avec la manière dont cette directive a été transposée : ils ont saisi le Conseil d'État d'un recours contre l'instruction qui commentait la loi de transposition de la directive. Manifestement, leurs arguments n'étaient pas totalement dépourvus de fondement, puisque le Conseil d'État a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, rejoignant ainsi la Cour constitutionnelle belge, qui en avait déjà fait de même sur la demande du barreau de Bruxelles. Quand les choses vont trop loin, nous ne nous laissons pas faire. Il est important que notre secret professionnel soit protégé, parce que, comme je l'ai déjà dit en introduction, mais je veux marteler le message, le secret professionnel ne sert pas à nous protéger et à nous exonérer de nos responsabilités, il est là dans l'intérêt des justiciables et donc de la justice. En matière fiscale, l'intérêt de la justice rejoint le consentement à l'impôt, si précieux pour notre démocratie. Les lois doivent être appliquées dans le respect des droits fondamentaux protégés par notre Constitution, pour ne pas affaiblir le consentement à l'impôt, ce qui serait extrêmement grave.

Pointer du doigt les avocats, comme l'ont fait un certain nombre de sénateurs et d'ONG autour de cette table, c'est se tromper de cible. Oui, il y a des intermédiaires financiers qui commercialisent des schémas frauduleux, non, il n'y a pas d'avocats parmi eux, en tout cas pas d'avocats français. Le nom du cabinet Baker McKenzie, cité dans les Pandora Papers, a été livré à la vindicte populaire : je mets au défi de prouver qu'ils ont mal agi. Si c'est le cas, ils seront sanctionnés, mais connaissant la réputation et la qualité des professionnels de ce cabinet en France, j'en serais personnellement extrêmement surpris.

Je veux également évoquer la dictature de la transparence que l'on essaye de nous imposer. Le respect de la vie privée est un droit constitutionnel. Le secret n'est pas honteux ! On peut avoir un intérêt parfaitement légitime à ne pas vouloir que ses affaires privées soient mises sur la place publique. Arrêtons de vouloir mettre de la transparence partout !

Il est vrai que certaines catégories de citoyens méritent une place particulière : ceux qui aspirent à exercer des fonctions publiques doivent s'attendre à ce que les citoyens scrutent leurs affaires privées, mais on est face à un problème d'éthique : il faut tracer une frontière entre la répression de la fraude, d'un côté, et le droit à la liberté et au respect de sa vie privée, de l'autre. Votre honorable assemblée participe au processus législatif qui vise à résoudre ce problème en délimitant la bonne frontière entre ces principes contradictoires. Au-dessus de vous, il y a le Conseil constitutionnel, la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme, qui ont leur conception des choses.

La transparence absolue est une folie, et je la dénonce pour le citoyen lambda qui a droit au respect de sa vie privée et de ses placements, lesquels ne doivent pas se retrouver sur la place publique. Le Conseil constitutionnel a censuré la publicité du registre des trusts. On ne peut pas faire n'importe quoi au nom de la transparence !

M. Frédéric Iannucci. - Je voudrais tout d'abord faire la distinction entre deux grands sujets : d'une part, la dissimulation de la matière imposable et, d'autre part, la répartition de l'imposition. L'imposition des multinationales est un sujet de répartition entre États de la matière imposable : ce n'est pas tout à fait le thème de notre débat d'aujourd'hui, qui est la dissimulation pour échapper à l'imposition.

La question de base, c'est comment obtenir les informations pertinentes. Des progrès considérables ont été faits depuis au moins une dizaine d'années en matière d'échange automatique d'informations sur les comptes, les revenus, la localisation pays par pays de l'activité économique.

La question des bénéficiaires effectifs est une question non seulement fiscale, mais aussi d'antiblanchiment. En France, un système très abouti, tenu par les greffiers, est en accès direct et gratuit pour tous. Il est certes perfectible - je pense à l'actualisation des données et aux mises à jour. Un système existe aussi au niveau de l'Union européenne. Le GAFI - le Groupe d'action financière - s'est emparé du sujet au niveau mondial. Le point déterminant, c'est de savoir quelles sont les personnes physiques et morales derrière les écrans. Sans cette information, on ne peut pas faire grand-chose.

En ce qui concerne l'accès à l'information, la directive « DAC-6 » devrait avoir un effet dissuasif sur les montages les plus agressifs. Comme l'a dit M. Bornhauser, les avocats font tous les recours possibles et imaginables, car ils sont indignés d'avoir été inclus dans le champ de la directive et d'être considérés comme des intermédiaires. Cela me surprend parce que la Cour européenne des droits de l'homme a clairement distingué l'activité de conseil de celle de défense, notamment dans l'arrêt Michaud rendu en 2012. L'avocat peut intervenir très en amont pour conseiller un client : cela ne relève pas du tout de l'activité de défense juridictionnelle qui, elle, justifie pleinement l'étendue du secret professionnel.

Il serait dangereux de sanctuariser l'ensemble du secret professionnel des avocats, y compris sur l'activité de conseil, car cela nous priverait de moyens d'accès à l'information.

La notion de cadastre des actifs financiers participe de cette logique. Nous avons besoin d'une vision complète de la matière imposable et de sa localisation. Il n'est pas rare que les informations publiées soient déjà connues de l'administration fiscale et, de surcroît, toutes les situations ne sont pas illégales. Cela explique l'écart entre le nombre de personnes dénoncées par le consortium de journalistes et celui des redressements engagés.

Notre arsenal législatif pour réprimer les situations illégales est étendu. Nous pouvons imposer en France un bénéfice réalisé optiquement dans une structure étrangère ou rejeter la déduction d'une charge en France sur des flux qui vont vers l`étranger. De ce point de vue, la France est plutôt en avance sur les standards internationaux. Notre coordination avec l'autorité judiciaire est de plus en plus forte. Cela nous permet de combiner nos accès à l'information.

J'entends votre sentiment de déception sur le nombre de redressements effectués par l'administration fiscale. Les Pandora Papers concerneraient 600 Français, mais je n'en ai pas la liste, je dispose seulement de quelques noms.

Le système est de plus en plus dissuasif. Les gens savent qu'ils risquent d'être rattrapés par l'administration fiscale : nous avons beaucoup de demandes de régularisations de comptes à l'étranger. Sachez que la direction nationale d'enquêtes fiscales procède à ses propres investigations, même si le secret fiscal nous interdit d'en faire état. Je pense notamment au dossier HSBC, qui nous a permis de mettre au jour 3 000 détenteurs de comptes à l'étranger. C'est un travail peu visible, mais qui nous mobilise au quotidien. On peut toujours mieux faire, mais cela n'est pas qu'une question d'effectifs. Nous avons besoin d'outils technologiques pour cibler les contrôles dans un volume d'informations considérable. Pour être efficace, il faut savoir où chercher. Nous avons aussi besoin de réponses globalisées au niveau européen, voire mondial, car tout devient plus long et plus difficile hors de nos frontières.

Pour juger de l'effectivité de la coopération des paradis fiscaux, nous regardons s'ils nous répondent et s'ils répondent bien. Attention à l'effet de décalage temporel : les données révélées datent parfois de plusieurs années ; certains paradis fiscaux nous assurent de leur bonne volonté et de leur bonne foi, mais la modification de leur législation interne prend du temps. L'OCDE procède à une revue périodique de sa liste des paradis fiscaux. L'Union européenne procède alors par rétrogradation du pays, de la liste noire vers la liste grise par exemple.

Les avocats ne sont pas visés : ce sont eux qui prennent pour cible la législation anti-évasion, de manière assez violente, au nom de grands principes que je comprends, mais qui me semblent en décalage avec l'essence de la profession d'avocat en matière fiscale.

M. Claude Raynal, président. - Merci à tous. Nous avons pu voir la subtilité des différences d'appréciation.

La réunion est close à 12 h 40.