Mardi 12 octobre 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Serge Babary sur le projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante.

M. Serge Babary, rapporteur pour avis. - Les travailleurs indépendants, malgré leur nombre et leur importance dans le paysage économique et social de notre pays, sont trop longtemps restés en marge des politiques publiques.

Notre commission est saisie pour avis de l'article 1er, probablement le plus notable du texte, et s'est vu déléguer au fond l'examen de deux articles relatifs respectivement au code de l'artisanat et au dialogue social au sein des chambres de commerce et d'industrie (CCI). Les autres articles du projet de loi sont traités par la commission des lois, saisie au fond, et par la commission des affaires sociales, pour ce qui relève notamment de la formation professionnelle et de l'allocation pour travailleurs indépendants.

Je regrette, à titre liminaire, des conditions de travail peu respectueuses du Parlement : le texte a été présenté en conseil des ministres deux semaines seulement avant son passage en commission. Si nous avions disposé officieusement d'une version finalisée, nos travaux auraient pu débuter ; or, jusqu'au dernier moment, le texte a fait l'objet d'allers et retours entre le ministère compétent, Matignon, le Conseil d'État et les organisations professionnelles. Autre exemple de cette précipitation : les consultations obligatoires n'ont été entamées que mi-septembre. Les organisations institutionnelles, syndicales et professionnelles n'ont disposé que d'une semaine environ pour formuler leurs remarques. En dépit de nos alertes répétées, le Gouvernement continue d'agir d'une façon qui nuit au dialogue, à la recherche de consensus et, in fine, à l'efficacité des textes que nous examinons.

Alors que les grands groupes et les petites et moyennes entreprises (PME) ont bénéficié, ces dernières années, d'une succession de plans et de mesures ciblées, les travailleurs indépendants ont souvent été laissés de côté. Le dernier texte les concernant au premier chef remonte à 1994 ! Depuis, certaines dispositions éparses ont bien été prises, comme la création de l'entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) en 2010, mais aucun plan exhaustif et structurant n'a été mis en oeuvre. Symptôme de cette ignorance ou de cette indifférence aux indépendants, le fonds de solidarité ne leur était initialement pas ouvert. Il a fallu de nombreuses alertes, notamment du Sénat et singulièrement de notre commission, pour qu'ils puissent enfin en bénéficier.

Je me félicite donc que ce texte, combiné aux mesures figurant dans le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), remédie en partie à cette situation. Bien entendu, nous ne sommes pas dupes de l'opportunité calendaire de cette réforme, qui, après quatre ans d'une attention toute relative, concernera trois millions de personnes à six mois d'une échéance électorale majeure.

Les travailleurs indépendants méritent qu'un intérêt soutenu leur soit porté. Au nombre de 3,2 millions environ - chiffrage établi en l'absence de définition juridique stabilisée -, ils sont les acteurs économiques de notre quotidien : commerçants, artisans, professions libérales, professionnels du spectacle, travailleurs des plateformes, entrepreneurs agricoles et dirigeants de société affiliés à la sécurité sociale.

Depuis plusieurs années, ces professionnels font face, avec une remarquable résilience, à une succession de crises : baisse du tourisme après les attentats, impact économique des manifestations des « Gilets jaunes », grèves contre la réforme des retraites et, désormais, conséquences de la crise sanitaire. Pour ne prendre qu'un exemple, les professionnels des arts et du spectacle ont subi 100 jours de fermeture en 2020. Or, ces travailleurs se trouvent dans une situation triplement fragile : d'abord, leur salaire mensuel moyen ne dépasse pas 2 500 euros - 470 euros seulement pour les micro-entrepreneurs. Ensuite, la crise a réduit leur revenu d'activité et a conduit certains au surendettement, compte tenu des prêts souscrits et des reports de charges sociales et fiscales. Les lendemains de crise risquent donc d'être particulièrement difficiles. Enfin, les travailleurs ayant opté pour le statut d'entreprise individuelle (EI) sont responsables sur l'intégralité de leur patrimoine, résidence principale exceptée.

L'article 1er du projet de loi cherche à remédier à cette situation. S'il souhaite lancer une activité en son nom propre, un entrepreneur a le choix entre une EI ou une EIRL. Dans une EI, il sera responsable sur l'intégralité de son patrimoine - en cas de faillite, le remboursement des dettes pourra inclure la saisie de son véhicule personnel ou de ses meubles - tandis que, dans l'EIRL, il ne le sera que sur le patrimoine qu'il a affecté à son activité professionnelle. Ce faisant, le statut de l'EIRL est plus protecteur que celui de l'EI. Les entrepreneurs en EI ignorent souvent que leur patrimoine personnel peut être engagé en cas de dettes liées à l'activité professionnelle et le découvrent lorsque la situation apparait irréversible. Compte tenu de la situation économique, un nombre croissant de travailleurs indépendants fait face au risque, majeur, que leurs dettes professionnelles soient recouvrées en partie sur leur patrimoine personnel.

De fait, malgré la protection qu'elle offre, l'EIRL n'a pas trouvé son public, en raison notamment des formalités administratives que le statut impose. Ainsi, seules quelques dizaines de milliers d'EIRL sont créées chaque année, contre plusieurs centaines de milliers d'EI - 630 000 en 2020.

L'article 1er scinde le patrimoine de l'EI entre un patrimoine personnel, désormais protégé, et un patrimoine professionnel, constitué des « biens, droits, obligations et sûretés dont l'entrepreneur est titulaire, utiles à l'activité ». Ce faisant, il donne à l'EI la même protection que celle qui est offerte par l'EIRL sur le patrimoine personnel vis-à-vis des créanciers professionnels, tout en la dispensant du formalisme propre à l'EIRL qui constituait un irritant à l'origine du faible recours à ce statut. Victime de son manque d'attractivité, l'EIRL est mise en extinction ; les entreprises existantes continueront d'être régies par ce statut, mais aucune nouvelle EIRL ne sera désormais créée. L'EI pourra toutefois échapper à la protection des biens personnels sur demande d'un créancier, pour un engagement spécifique. Dans ce cas, un délai de réflexion de sept jours francs devra être respecté. Bien entendu, l'administration fiscale et la sécurité sociale continueront de disposer d'un droit de gage général.

L'article 1er simplifie également la transmission du patrimoine d'une EI. Actuellement, l'entrepreneur doit céder, transmettre ou apporter en société chacun de ses biens séparément. Demain, il pourra transmettre l'intégralité du patrimoine, en une fois, sans même devoir le liquider au préalable. Il s'agit de fluidifier le passage de l'exercice d'une activité en nom propre à une société et, ce faisant, de faciliter les transmissions. Il est, en effet, plus aisé de transmettre une entreprise dont la propriété peut être détenue sous forme de parts sociales par les héritiers.

Il ressort des auditions que j'ai conduites que les professionnels sont satisfaits de ces mesures, souvent attendues de longue date. Il semble plutôt salutaire, en effet, qu'un entrepreneur individuel en difficulté ne voit pas son patrimoine personnel saisi, d'autant que seuls les EI courraient encore ce risque. Le faible degré de connaissance que les entrepreneurs ont de leur responsabilité a parfois des conséquences graves.

En dépit de ces motifs de satisfaction, plusieurs incertitudes demeurent.

Il semble d'abord à peu près certain que les créanciers, au premier rang desquels les banques, ne se satisferont pas d'un droit de gage ne portant que sur le patrimoine professionnel, surtout pour les plus petites entreprises dont le patrimoine affecté est limité. Par conséquent, les banques exigeront de l'entrepreneur qu'il renonce expressément à la protection de son patrimoine personnel ou demanderont des sûretés conventionnelles. Dans les faits, il n'aura guère le choix, sauf à perdre son financement.

Il me semble donc nécessaire que le Gouvernement et les banques élaborent une charte d'engagement quant aux conditions de financement des EI, sur le modèle de celle qui est applicable aux prêts garantis par l'État (PGE) ou de celle de 2011 pour améliorer l'accès au crédit des EIRL aux termes de laquelle les banques se sont engagées à accorder des financements sans prise de gage sur le patrimoine personnel du chef d'entreprise.

Ensuite, la définition incertaine du patrimoine professionnel est de nature à engendrer nombre de contentieux. Tout se jouera autour de la notion d'utilité à l'activité, que les créanciers ne manqueront pas d'élargir au maximum. Certes, un décret devrait venir la préciser, mais il conviendra également que le pouvoir règlementaire porte une attention particulière à la définition et au traitement des biens communs à l'entrepreneur et à son conjoint, des biens mixtes et du patrimoine numéraire.

Enfin, je crains que la simplicité recherchée, qui se traduit par l'absence de déclaration de patrimoine affecté à l'EI, contrairement à l'EIRL, ne soit compensée par les nombreuses demandes de garantie émanant des créanciers.

S'agissant des articles délégués au fond à notre commission, l'article 7 concerne une habilitation à légiférer par ordonnance pour clarifier la rédaction et le plan du code de l'artisanat. De fait, les textes importants adoptés depuis vingt-cinq ans n'ont pas été codifiés et le code de l'artisanat n'est ni clair, ni actualisé, ni efficace. Cette clarification se faisant à droit constant, je vous proposerai de ne pas nous opposer à cette demande d'habilitation. En séance publique, je demanderai au ministre de s'engager publiquement sur le maintien de cette précision au cours de la navette. En revanche, le délai d'habilitation prévu est de dix-huit mois. Cela me paraît excessif, alors que les services de l'État ont certainement déjà réfléchi à la codification qu'ils souhaitent mettre en oeuvre. Je vous proposerai donc de réduire ce délai à quatre mois, afin que l'ordonnance soit prise avant l'élection présidentielle.

L'article 12, quant à lui, règle une situation dommageable au dialogue social au sein des CCI. La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a prévu que le réseau n'embauche plus que des personnels de droit privé. Ils représentent désormais 30 % des effectifs de CCI France et des CCI de région. Par ailleurs, une convention collective devait être négociée et signée dans les neuf mois suivant la promulgation du texte et des élections des représentants du personnel se tenir ensuite dans les six mois.

La loi Pacte n'avait pas prévu, en revanche, l'absence de signature de la convention ! Or, elle n'a recueilli que 47 % des suffrages, en raison de l'opposition de l'intersyndicale majoritaire. Par conséquent, la convention n'est pas entrée en vigueur et les personnels de droit privé bénéficient de dispositions transitoires. Surtout, les élections des comités sociaux et économiques (CSE) n'ont pu être organisées. Dès lors, les personnels de droit privé, bien qu'ils représentent un tiers des effectifs et que la négociation porte sur une convention qui les concerne au premier chef, ne sont pas représentés.

L'article 12 prévoit donc d'inverser le calendrier : six mois après la promulgation du présent projet de loi auront lieu des élections pour renouveler la représentativité des syndicats ; puis, dans les dix-huit mois, la convention devra être signée. À défaut, la convention collective des métiers du conseil et de l'accompagnement aux entreprises s'appliquera.

Il me semble que ces dispositions sont de nature à sortir de l'ornière. Cependant, comme le réseau comporte dix-huit CCI, donc autant d'employeurs, il conviendra de s'assurer que, en cas d'élection partielle, son résultat ne puisse être invoqué pour provoquer de nouvelles élections générales dans les dix-sept autres CCI. Je vous propose donc de préciser que la représentativité syndicale est calculée à partir de la dernière élection générale et pour toute la durée du cycle électoral de quatre ans, et que, en cas de difficulté devant conduire à organiser une nouvelle élection, cette dernière n'aura lieu qu'au niveau local.

M. Daniel Gremillet. - Je remercie notre rapporteur pour sa présentation. La séparation du patrimoine des EI est particulièrement attendue. Dans nos territoires, nous avons tous connaissance de drames à la suite de faillites... Mais combien de pépites sont également nées grâce à ce statut ? L'échec de l'EIRL s'explique aussi par la frilosité des banques à financer un risque entrepreneurial sous cette forme. Ce fut aussi le cas de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), même si le patrimoine foncier permettait souvent d'apporter une garantie. La charte évoquée par le rapporteur sera-t-elle suffisante pour que les banques jouent le jeu de la séparation du patrimoine ? Il ne faudrait pas, en effet, que la mesure conduise à réduire le nombre de créations d'entreprise.

Je suis très circonspect, par ailleurs, sur le dispositif complexe prévu pour les CCI. Ce détricotage me surprend...

M. Franck Menonville. - Le sujet est majeur pour nos territoires qui comptent près de trois millions de travailleurs indépendants. Le maigre succès de l'EIRL s'explique par sa complexité administrative et par les difficultés de financement. Veillons à ce que cette nouvelle réforme ne se heurte pas aussi à la frilosité des banques ! Si les garanties ne sont pas encadrées, elle ne servira à rien. Certes, la charte peut constituer un outil utile, mais nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur un fonds de garantie. Dans le secteur agricole, le bien professionnel représente une garantie, absente lorsque l'entrepreneur ne possède pas de capital, mais seulement un savoir-faire. Je partage les orientations de notre rapporteur.

Mme Marie Evrard. - Je salue le travail réalisé. L'économie française a la chance de compter plus de trois millions de travailleurs indépendants, forces vives et créateurs de richesse et d'emploi de nos territoires. Les réformes votées depuis 2017 n'ont hélas aboli ni les difficultés ni le risque économique auxquels ils sont confrontés, notamment depuis la crise sanitaire.

Le projet de loi s'inscrit dans le cadre du plan gouvernemental en faveur des indépendants. Il opère un changement de paradigme et comprend des mesures longtemps attendues. La création d'un statut unique d'EI sera plus protectrice pour le patrimoine personnel des entrepreneurs. Ils seront, en outre, éligibles à l'allocation pour travailleurs indépendants lorsqu'ils cesseront leur activité et pourront voir leurs dettes professionnelles effacées dans le cadre d'une procédure individuelle de surendettement. Le texte facilite également la transformation des EI en sociétés et renforce l'accès des travailleurs indépendants à la formation. Enfin, il demande une habilitation à légiférer par ordonnance pour améliorer la clarté juridique du code de l'artisanat et prend des mesures indispensables au fonctionnement des CCI.

Le groupe RDPI soutiendra ce texte avec fierté.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - L'économie française est faite de ses PME, de ses artisans, de ses commerçants et de ses travailleurs indépendants. Pourtant, aucune banque ne prêtera à un jeune entrepreneur sans exiger une garantie sur un bien personnel. À défaut, le financement ne sera pas accordé. Ce projet de loi apparait louable, mais irréaliste. Les banques ont-elles été consultées ? Je n'ai pas obtenu de réponse du ministre à ma question... Comment éviter un détournement de cette réforme ?

M. Daniel Salmon. - Je remercie à mon tour le rapporteur. Il apparait effectivement indispensable de mieux protéger les indépendants, mais le texte oublie les travailleurs victimes de l'uberisation, faux indépendants compte tenu des liens de subordination qui les unissent à leurs employeurs. Je le regrette.

L'article 1er reste hélas au milieu du gué en essayant de protéger le patrimoine personnel des entrepreneurs, sans aucune certitude de réussite.

L'article 12, quant à lui, pose question en ce qu'il pourrait conduire à fragiliser le dialogue social dans les CCI. Je déplore, en outre, une nouvelle habilitation à légiférer par ordonnance, que nous risquons de ne pas pouvoir ratifier avant la fin de la session parlementaire.

M. Henri Cabanel. - Je salue le travail réalisé par notre rapporteur. On ne prête qu'aux riches... De fait, les banques ne financeront pas les entrepreneurs sans garantie. Les avez-vous auditionnées ? Ce texte va, certes, dans le bon sens, mais il faut pouvoir l'appliquer.

L'échec de l'EIRL a-t-il fait l'objet d'une évaluation ? Il faut comprendre pourquoi ce statut n'a pas fonctionné. Est-ce seulement à cause de l'absence de garantie pour les banques ?

M. Laurent Duplomb. - Je remercie notre rapporteur et partage l'analyse d'Évelyne Renaud-Garabedian. Les banques ont besoin de garanties pour prêter de l'argent ; cela me semble normal : elles ne peuvent supporter tous les risques. Ce principe, que nous le voulions ou non, régente notre vie économique. C'est le monde des Bisounours que de faire croire le contraire à quelques mois de l'élection présidentielle ! Ce texte ne sera pas appliqué.

M. Fabien Gay. - Je suis frappé de libéralisme, tant je suis proche de partager ce point de vue. Entreprendre nécessite de s'investir totalement, de prendre un risque. Celui-ci est rémunéré : voilà le principe du libéralisme. Ce projet de loi est opportuniste et politicard ! Après le bien-être animal, le Gouvernement fait plaisir à une catégorie de Français, en espérant que cela lui rapportera des voix.

Il aurait fallu mieux définir les travailleurs indépendants. Certains, salariés déguisés qui ne décident de rien, n'appartiennent en réalité pas à cette catégorie. Il faut travailler sur leur statut, comme le Sénat a commencé à le faire.

Il convient aussi de réfléchir à la relation entre les banques et les travailleurs indépendants. Comment leur permettre de prendre un risque mesuré ? La solution de banques locales offrant des taux d'intérêt avantageux mériterait d'être étudiée.

En l'état, ce texte ne modifiera rien et aucune banque ne suivra ! Du reste, il prévoit de nombreuses possibilités d'extension de garantie... Cela me rappelle les PGE ! Les PME, que ce texte ignore, souffrent aussi des banques. Ni libéral ni communiste, le dispositif proposé n'apportera aucune solution.

Mme Patricia Schillinger. - Je vous trouve dur. Ce texte parle aussi de transmission d'entreprise et de protection sociale. Des travailleurs indépendants ont été auditionnés et ont salué les mesures qu'il comporte, notamment l'accès à une indemnité en cas de chômage - il faut aussi le reconnaître.

M. Michel Bonnus. - Absolument !

M. Serge Babary, rapporteur pour avis. - Les professionnels demandent d'adapter l'EIRL, il faut réparer ce qui est devenu un fiasco, ce statut s'accompagnant de tracas administratifs dont les entrepreneurs ont la phobie. Les nouvelles règles seront plus simples, elles rendront plus fluide la création d'entreprises indépendantes, ce qui va dans le bon sens. Se pose ensuite la question de la transmission de l'entreprise individuelle vers une autre entreprise ou vers des héritiers, et qui est toujours plus difficile pour une entreprise en nom propre : ici aussi, les améliorations qu'apporte ce texte constituent un élément très positif pour les professionnels.

Concernant les questions du financement, j'entends bien ce que vous dites. Il ne fait aucun doute que les banques demanderont des garanties, vous l'avez rappelé, au motif que la banque ne prête pas son argent, mais celui de ses clients, qu'elle a des obligations de garanties. Ce texte oblige le créancier à faire une demande écrite, avec un délai de 7 jours pour se rétracter, c'est une réponse partielle. Le ministre nous parlera de sociétés de caution mutuelle (SCM), mais c'est déplacer le problème, car cette société couvrira le client, mais demandera finalement aussi une garantie : en réalité, il n'y a pas de prêteur sans garantie.

Vous avez raison de rappeler l'importance des indépendants dans notre tissu économique, leur fragilité, leur façon de s'engager sans compter leur temps, pour une rémunération trop souvent médiocre. Cependant, tout ce qui peut faciliter leur installation et simplifier leur vie administrative est utile et va dans le bon sens. Vous avez aussi parlé de l'uberisation, c'est vrai qu'il faut définir ce qu'est un indépendant, mais ce n'est pas le sujet ici.

Enfin, nous sommes dans une situation de blocage avec les CCI, que l'article 12 de ce texte permet de dépasser, en prenant en compte les difficultés qui ont entrainé le blocage. Il y aura une date, des corrections, de nouvelles élections pour que les salariés de droit privé participent à la vie sociale des CCI : c'est encore un progrès.

EXAMEN DE L'ARTICLE POUR AVIS

Article 1er

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous comprenons à votre propos, que vous êtes favorable à l'article 1er.

M. Serge Babary, rapporteur pour avis. - Oui, parce qu'il est attendu par les professionnels.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 1er.

EXAMEN DES ARTICLES DÉLÉGUÉS AU FOND

Article 7 (délégué)

M. Serge Babary, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-23 réduit de dix-huit à quatre mois le délai d'habilitation pour clarifier par ordonnance la rédaction et le plan du code de l'artisanat.

Si la demande d'habilitation semble légitime dès lors que la réforme du code de l'artisanat se fait à droit constant et ne vise qu'à y intégrer des dispositions législatives et réglementaires existantes, le délai y afférent est trop long. Comme les services de l'État travaillent déjà à cette recodification depuis plusieurs mois et qu'il est plus cohérent de publier l'ordonnance avant les prochaines élections présidentielles, je vous propose de clore le délai d'habilitation à la fin avril 2022.

L'amendement COM-23 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 7 ainsi modifié.

Article 12 (délégué)

M. Serge Babary, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-24 sécurise les élections des comités sociaux et économiques (CSE) de CCI France et des CCI de région, au niveau national comme local.

Le réseau consulaire compte une tête de réseau et 18 CCI de région, soit autant d'employeurs différents. Il convient donc de s'assurer que, à l'occasion d'éventuelles élections partielles - par exemple si des membres d'un CSE d'une CCI de région démissionnent durant le mandat -, les résultats ne puissent être invoqués pour exiger l'organisation de nouvelles élections nationales ; autrement, le risque d'instabilité serait élevé et préjudiciable à la fluidité du dialogue social et au fonctionnement des CSE.

Cet amendement précise donc que la mesure de la représentativité des organisations syndicales par addition des suffrages obtenus repose sur les résultats des dernières élections générales, et qu'elle s'applique sur l'ensemble de la durée du cycle électoral du réseau.

Enfin, il ajoute que, en cas de difficulté lors d'une élection locale, une élection partielle doit être organisée.

L'amendement COM-24 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 12 ainsi modifié.

La réunion est close à 16 h 55.

Mercredi 13 octobre 2021

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures 35.

Hausse des prix des énergies et ses conséquences - Audition de M. Frédéric Gonand, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine-PSL

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, monsieur le professeur, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme Sophie Primas, notre présidente, retenue dans son département des Yvelines par le salon des maires, une étape incontournable pour un sénateur. Nous avons néanmoins pu échanger avec elle ce matin lors d'un bureau de la commission pour préparer cette audition, ainsi que notre programme de travail pour les mois à venir.

Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Frédéric Gonand, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine.

Monsieur le professeur, vous êtes l'un des spécialistes des enjeux économiques de l'énergie. Vous avez été le conseiller du ministre en charge de l'économie ; vous êtes aujourd'hui le conseiller de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Par ailleurs, vous avez été commissaire de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et êtes désormais membre de son comité de prospective.

Nous sommes actuellement confrontés à une véritable « flambée » des prix de l'énergie, avec une multiplication par 2 du prix de marché du gaz, par 3 de celui du pétrole et par 9 de celui de l'électricité, par rapport au printemps 2020.

Cette flambée des prix de marché se répercute sur les tarifs réglementés de vente : ceux du gaz ont augmenté d'environ 12,5 % en octobre, et ceux de l'électricité pourraient augmenter dans une même proportion, en février.

Si cette flambée des prix se confirmait, elle emporterait de très lourdes conséquences sur le pouvoir d'achat des ménages et les coûts de production des entreprises, obérant durablement les perspectives de relance de notre économie, mais aussi celles de sa décarbonation.

En effet, les dépenses liées à l'énergie représentaient 2 300 euros par ménage en 2010, soit 8,5 % de leur budget, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). C'est autant que l'habillement ou les loisirs !

De plus, ces dépenses concentraient 90 millions d'euros pour le secteur de l'industrie en 2017, toujours selon l'Insee. Ces dépenses sont d'autant plus élevées pour les entreprises énergo-intensives, c'est-à-dire celles fortement consommatrices d'énergie, notamment dans les secteurs de la métallurgie, de la chimie, de la papeterie ou de la cimenterie. Au nombre de 200, ces entreprises représentent ensemble une consommation d'énergie de 65 térawattheures (TWh), soit la moitié de la consommation du secteur de l'industrie, selon l'Union française de l'électricité (UFE).

Si la situation est donc critique, la réaction des pouvoirs publics est encore balbutiante.

Certes, le Premier ministre Jean Castex a annoncé, le 30 septembre, la mise en oeuvre d'un « bouclier tarifaire », avec un blocage des tarifs réglementés du gaz à compter d'octobre, une limitation à 4 % de la hausse des tarifs réglementés de l'électricité prévue en février et une hausse de 100 euros du chèque énergie.

Par ailleurs, la Commissaire européenne en charge de l'énergie, Kadri Simson, a annoncé, le 22 septembre, une « boîte à outils », permettant aux États membres de recourir à des aides ciblées aux consommateurs, à des paiements directs aux personnes en situation de précarité énergétique, à des réductions de taxes sur l'énergie ou à des transferts des charges vers la fiscalité générale. La constitution de stocks stratégiques de gaz à l'échelle européenne est aussi à l'étude.

Dans ce contexte, la réponse apportée par la France peut sembler en retrait. Certains pays européens ont pris des mesures plus fortes, avec une baisse de la TVA, en Espagne ou en Italie, ou des compensations budgétaires, au Royaume-Uni ou en Pologne.

Certains acteurs ont donc appelé la France à faire davantage : l'Union française des consommateurs (UFC-Que choisir), association de consommateurs, et l'Union des entreprises utilisatrices d'énergie (Uniden), regroupement d'industriels, ont ainsi plaidé pour un relèvement du plafond de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh).

Dans cette situation très perturbée, je souhaiterais vous soumettre quatre séries de questions.

Tout d'abord, comment caractériseriez-vous la flambée actuelle des prix des énergies ? Est-ce une évolution globale, quels que soient les énergies et les pays ? Est-ce une évolution durable, susceptible de peser sur les prochains mois ?

Plus encore, quelles sont les causes de cette flambée des prix ? Des facteurs conjoncturels, tels que la reprise de l'économie mondiale au sortir de la crise de la covid-19, expliquent-ils l'essentiel de cette évolution ? À l'inverse, doit-on y voir des facteurs structurels, à l'instar de la tarification du carbone dans le cadre de la transition énergétique ?

Pour répondre à cette flambée, les mesures annoncées par le Gouvernement et la Commission européenne vous paraissent-elles suffisantes, ou faut-il faire davantage, en baissant la fiscalité énergétique, en augmentant les aides aux ménages et aux entreprises ou en révisant des mécanismes de régulation, comme le dispositif de l'Arenh ou les stocks stratégiques de gaz ?

Enfin, en l'absence de mesures appropriées, quelles pourraient être les conséquences de cette flambée pour les ménages et les entreprises ? Une dégradation du pouvoir d'achat, de la compétitivité et, in fine, de la croissance est-elle à prévoir ? Faut-il s'attendre à des faillites d'entreprises énergo-intensives, voire de fournisseurs d'énergie, comme au Royaume-Uni ? Faut-il craindre une hausse de la précarité énergétique, qui touche déjà 3,5 millions de ménages, selon l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) ?

M. Frédéric Gonand, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine. - Je vais essayer de vous brosser le tableau d'une crise pas vraiment anticipée par certains spécialistes, celle du prix du gaz. Vous m'interrogez sur son caractère, structurel ou conjoncturel. Selon moi, elle est d'origine majoritairement conjoncturelle. Le constat est important à affiner, car il a un impact sur le type de politique économique à mettre en place pour y remédier. En effet, prendre des mesures de long terme pour traiter un phénomène temporaire n'est pas souhaitable, mais j'y reviendrai.

J'aborderai la présentation du marché de l'électricité, sachant que l'envolée des prix de l'électricité est due à l'envolée des prix du gaz. J'en profiterai pour revenir sur les déclarations de certains responsables politiques soulignant que le marché européen de l'électricité aurait un fonctionnement aberrant, économiquement et écologiquement. Je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait le cas. Je vous donnerai un certain nombre d'arguments pour défendre ce type d'organisation.

Enfin, il me semble important de nous attarder sur la question de l'isolation thermique des bâtiments.

C'est toute la difficulté de parler de la transition énergétique : il y a des leviers partout, une quinzaine, et dès que l'on en actionne un, cela en impacte un autre, comme dans un jeu de mikado. Par comparaison, la réforme des retraites, sur laquelle j'ai beaucoup travaillé, ne concerne que trois leviers.

La transition énergétique a aussi des conséquences sur les métaux (cuivre, aluminium, terres rares), sujet dont on parle peu, et sur lequel je suis prêt à répondre, si vous le souhaitez. Il faut savoir que, dans ce domaine, tout est à la hausse, et c'est structurel.

Je commence par le marché du gaz. Comme vous le savez, les prix de vente au détail ont été relevés de 12,6 %, toutes taxes comprises, au 1er octobre 2021. Depuis le 1er janvier 2019, on est à + 29 % et, depuis le 1er janvier 2020, on est à + 44%, sachant que les prix du gaz ont beaucoup baissé en 2020. Vous le savez, ces prix sont fixés par le Gouvernement. Ce sujet est politiquement ultrasensible, car le consommateur le ressent immédiatement, tous les mois ou tous les trimestres.

Du point de vue économique, l'effet est plus diffus car les tarifs réglementés de vente du gaz ne concernent aucun industriel ni aucune collectivité, et seulement 29 % des ménages. Je ne minimise pas le choc, qui est majeur, mais j'insiste sur sa diffusion progressive dans l'économie. Tous ces acteurs sont en tarifs dits du marché, sous contrat avec leurs fournisseurs, et la plupart de ces contrats sont à prix fixe, pour éviter les trop importantes fluctuations du marché. Cela signifie qu'actuellement ce sont les marchés financiers qui absorbent ces mouvements haussiers. À court terme, l'effet n'est donc pas majeur, mais il va se diffuser dans les mois qui viennent, ce qui est un sujet d'inquiétude.

Je rappelle que les tarifs réglementés de vente du gaz vont disparaître au 1er juillet 2023, donc ce sujet sortira du champ politique.

Cette augmentation des prix de détail est la face émergée de l'iceberg, la face immergée étant constituée des prix de gros, à savoir le prix du gaz naturel liquéfié (GNL) sur le marché mondial et celui du gaz sur le marché européen.

Le marché du gaz dans le monde est divisé en trois régions, ce qui est important à savoir, car cela a des implications sur la crise actuelle : Amérique du Nord, Europe et Asie. Par comparaison, le marché du pétrole est mondial, et le marché de l'électricité est national.

L'Amérique du Nord est quasiment autosuffisante et exporte même un peu de GNL, mais beaucoup moins en 2021 à cause de problèmes de maintenance dans un certain nombre d'usines.

L'Asie est très peu autonome, or c'est vraiment le grand centre de consommation de GNL. Elle produit très peu. Un gazoduc allant de Russie en Chine existe d'ores et déjà, mais son volume de transport est assez faible. Jusqu'à récemment, le principal consommateur de GNL était le Japon, mais, depuis cette année, c'est la Chine, dont la demande a augmenté de 15 % en 2021. Vous imaginez la panique dans le petit monde des méthaniers !

L'effet d'aspirateur fait qu'il ne reste plus de méthaniers pour l'Europe, qui est certes moins dépendante du GNL, car elle produit encore beaucoup de gaz en Norvège, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas. Par ailleurs, nous sommes reliés à quatre gazoducs russes : Nord Stream - qui arrive en Allemagne -, Yamal-Europe - via la Pologne -, le gazoduc ukrainien - peu rempli en ce moment -, Blue Stream - via la Mer Noire et qui arrive en Europe orientale. Cependant, nous avons connu des problèmes d'approvisionnement à cause de la crise de la covid, les maintenances n'ayant pu être réalisées sur les plateformes de mer du Nord durant l'année 2020.

En mer du Nord, la baisse de production est de nature temporaire. En revanche, aux Pays-Bas, elle est d'ordre structurel. Le gigantesque gisement de Groningue, exploité depuis quarante ans, est en train de s'épuiser, si bien que ce grand pays gazier sort peu à peu du gaz.

Restent les importations. En la matière, Gazprom ne fait pas absolument ce qu'il veut : il est lié à la France par des contrats à long terme, signés il y a dix, quinze ou vingt ans, définissant très précisément le volume et le montant de gaz à livrer. Il n'est donc pas en position de market maker. Néanmoins, les Russes disposent d'une marge de manoeuvre et, selon toute vraisemblance, ils l'ont utilisée au cours des dernières semaines : ils auraient pu augmenter le débit du gazoduc ukrainien et ils ne l'ont pas fait. Cette probable rétention contribue à l'explosion du prix du gaz, même si le Président Vladimir Poutine a déclaré, il y a quelques jours, que la Russie allait alimenter le marché.

Le prix du gaz monte vite : au plus fort de la crise, en Europe, il était de 150 à 160 euros le mégawattheure. Aujourd'hui, il s'établit à 85 euros le mégawattheure : il peut également baisser vite. La question n'est pas de savoir s'il va redescendre, mais quand nous allons retrouver un prix normal, de l'ordre de 15 à 20 euros le mégawattheure.

Tout dépendra des Russes et de la météo ; à ce titre, ma compétence d'économiste atteint ses limites. L'hiver dernier a été froid en Asie, si bien que les importations de GNL ont bondi ; s'il fait froid cet hiver, la baisse des prix du gaz se fera encore attendre.

En résumé, l'offre s'est révélée faible en Europe. Dans le même temps, l'activité redémarrait, d'où un écart de 10 % entre l'offre et de la demande, contribuant au renchérissement du prix du gaz. Ce sont les stocks qui nous ont sauvés. En effet, le gaz se stocke assez facilement, à un coût relativement raisonnable, ce qui, pour l'heure, n'est pas le cas de l'électricité.

Avons-nous les réserves suffisantes pour passer l'hiver ? En France, la réponse est oui ; mais, en Allemagne comme aux Pays-Bas, la réponse est non. Or, si toute l'Europe sollicite nos stocks, nous ne pourrons pas suffire à la demande et c'est le continent tout entier qui sera en difficulté : c'est ce qui se passerait si l'hiver était très froid et si les Russes persistaient dans leur politique de rétention. Ce scénario est pessimiste, mais il n'est pas impossible.

Une autre question se pose : si le prix du gaz a tant augmenté, pourquoi l'utilise-t-on encore pour fabriquer de l'électricité ? La Pologne et l'Allemagne pourraient recourir au charbon. D'ailleurs, au premier semestre 2021, la part du charbon a dépassé celle des énergies renouvelables (EnR) dans la production d'électricité allemande. Toutefois, l'augmentation structurelle des prix du CO2, au titre des quotas d'émission, a renchéri le prix du charbon et, par ricochet, a renforcé la compétitivité du gaz.

Ainsi, l'explosion du prix du gaz en 2021 est le fruit d'un concours de mauvaises circonstances assez extraordinaire, mettant en jeu sept ou huit facteurs pour la plupart conjoncturels.

Les prix de l'énergie sont parmi les plus volatils de toute l'économie. Combien de temps la flambée des prix du gaz va-t-elle durer ? Ces derniers vont sans doute rester sensiblement plus élevés que la moyenne dans les mois qui viennent, mais on peut raisonnablement penser que la situation va se normaliser. En deux semaines, le prix du gaz a tout de même été divisé par deux.

Il faut certes penser aux conséquences sur les ménages et sur les entreprises ; mais il ne faut pas oublier non plus les finances publiques, qui, au fond, représentent les ménages et les entreprises de demain.

À cet égard, face à un problème en bonne partie d'ordre conjoncturel, mieux vaut privilégier des mesures réversibles, de court terme, au lieu de décisions entraînant des coûts pérennes pour les finances publiques ou des réformes structurelles sur les marchés. Le chèque énergie permet d'agir vite ; c'est le dispositif que votre commission privilégie. Quant au blocage des prix de l'énergie, il a été décidé la première fois par le Premier ministre François Fillon en avril 2011. Nous étions également dans un contexte préélectoral. Cela étant, en vertu de la loi, il faut que les tarifs réglementés de vente couvrent les coûts. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) est tenue de s'en assurer. Si le prix du gaz continue d'augmenter, peut-être faudra-t-il envisager le blocage, notamment en cas de nouvelle vague de hausse après ce mois d'octobre, ce qui n'est pas impossible.

Le Gouvernement en a-t-il fait suffisamment ? Il a opté pour des mesures relativement temporaires et, pour ma part, j'aurais tendance à lui suggérer de ne pas en faire beaucoup plus, en tout cas pas d'engager de mesures ayant un impact sur le déficit structurel. Cela étant, un point me semble problématique : rien n'a été annoncé au sujet de l'isolation thermique des bâtiments. Pourquoi ne pas consacrer davantage de moyens à ce chantier ? Pour l'heure, on aide des ménages pauvres qui, pour la plupart, vivent dans des passoires thermiques et qui, malgré les dispositifs mis en oeuvre, continueront d'avoir froid. Quitte à dépenser de l'argent public, autant s'efforcer de résoudre les problèmes de long terme.

Sans doute avez-vous lu la note de conjoncture publiée par l'Insee le 6 octobre dernier : en 2020, le pouvoir d'achat des ménages n'a pas baissé et, en 2021, il devrait augmenter de 1,5 % en 2021. Je n'ignore nullement les problèmes économiques et sociaux que connaissent nos concitoyens. Mais, à l'évidence, l'effet de la crise a été complètement amorti, pour les ménages comme pour les entreprises, grâce au chômage partiel. En revanche, les finances publiques ont été extrêmement sollicitées. Or l'accumulation de la dette publique pose un problème d'équité entre les générations : cette injustice n'est jamais évoquée, alors même que nous vivons dans un pays où, à juste titre, les questions d'inégalité sont très sensibles - la crise des gilets jaunes l'a une nouvelle fois prouvé.

Le fiscal gap, indicateur calculé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), permet de déterminer le niveau de déficit qu'un pays doit atteindre pour garantir l'équité intergénérationnelle, en réduisant la dette publique à un niveau correct. La France devrait consentir un surplus budgétaire de 1 %. L'Allemagne, elle, est au bon niveau.

Bref, selon moi, ce qu'il nous faut désormais protéger, ce sont les finances publiques.

Toutes les matières premières subissent cette tendance inflationniste, en particulier les métaux : la transition énergétique nourrit la hausse des prix du cuivre et de l'aluminium ; les transitions numérique et énergétique font augmenter le prix des terres rares - platine, indium, palladium, néodyme, etc. Tous ces facteurs sont d'ordre structurel.

J'en viens à la hausse du prix de l'électricité, qui, à hauteur de 80 %, résulte de l'envolée du prix du gaz ; la part restante est plutôt liée à l'augmentation du prix des quotas de CO2, qui a bondi de 20 euros la tonne en 2020 à 60 euros la tonne aujourd'hui.

En temps ordinaire, les coûts de production de l'électricité sont de 50 à 100 euros le mégawattheure ; aujourd'hui, on évolue entre 150 et 200 euros le mégawattheure. Cette situation dure depuis des semaines et elle est tout sauf anodine ; de tels sommets ont rarement été atteints par le passé.

Certains responsables, et non des moindres, ont qualifié d'aberrant le fonctionnement du marché européen de l'électricité. Pourquoi le gazier, producteur marginal, paierait-il l'électricité en fonction du prix du gaz ? Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation.

Si le marché de l'électricité européen fonctionne de la sorte, c'est parce que cela permet de minimiser le coût moyen de production de l'électricité.

En outre, si l'Europe a opté pour un mix électrique entre l'énergie nucléaire, les EnR et le gaz, c'est pour une bonne raison : ce panel de technologies nous permet de minimiser les coûts globaux de production de l'électricité en garantissant un parc optimal.

Selon l'analyse économique et les questions environnementales mises à part - je ne néglige en aucun cas leur importance, mais elles n'entrent pas dans mon champ de compétence -, la part optimale du nucléaire dans ce mix est de 60 % à 75 %, car cette énergie présente beaucoup de coûts fixes et très peu de coûts variables : il est donc pertinent de la faire fonctionner environ 60 % du temps

Pour le reste, il faut un producteur à même de fournir de l'électricité vite, même s'il y a peu de soleil ou peu de vent. Ainsi, il faut soit un barrage de haute chute, mais cette ressource finit par s'épuiser, soit une centrale à gaz.

Sans notre mix électrique, nous serions exposés au risque de black-out, qui pourrait se révéler très coûteux : on n'est pas sûr de savoir redémarrer un réseau victime d'un black-out - la dernière fois qu'il a fallu le faire, c'était en 1976. Les questions économiques, les enjeux de souveraineté et de défense dont il s'agit sont considérables. La sécurité d'approvisionnement se paye.

Dans ses grandes lignes, le fonctionnement du marché européen de l'électricité ne me semble donc pas du tout aberrant.

S'agissant de l'Arenh, c'est une question éminemment politique. Les prix de l'électricité élevés sur le marché de gros et les coûts amortis des centrales nucléaires - aux alentours de 30 à 40 euros le mégawattheure - permettent à EDF de gagner de l'argent deux fois : la première en vendant plus cher sur le marché de gros, la seconde compte tenu du fonctionnement du tarif d'achat prévu pour les EnR. En effet, ce tarif compense l'écart entre le coût de production et le prix de marché, une explosion de ce prix faisant fondre l'indemnisation devant être versée par EDF pour l'achat d'énergie éolienne ou photovoltaïque notamment. Pour autant, si l'entreprise gagne beaucoup d'argent aujourd'hui, elle demeure dans une situation économique délicate. De fait, ce n'est pas tellement de sa faute car la transition énergétique apparaît coûteuse. Toute augmentation du plafond de l'Arenh bénéficierait au consommateur, mais nuirait à l'entreprise ; cela relève d'un choix politique. En outre, je ne crois guère à un levier structurel - qui se chiffrerait à plusieurs milliards d'euros - pour agir sur un problème conjoncturel. Par ailleurs, certains sont assez sensibles à la valorisation financière d'EDF, en vue d'opérations ultérieures potentielles, ce qui interfère dans le raisonnement. Quelle solution, alors, face à l'envolée du prix de l'électricité ? Il me semble possible d'agir sur le prix du gaz - 80 % de cette envolée étant liée à ce prix - comme sur le stockage de l'électricité. Celui-ci implique l'utilisation de piles de la taille d'un semi-remorque qui sont banchées sur le réseau. Leur utilisation permet de lisser l'offre et la demande et, partant, le prix de l'électricité. Bientôt, cette technologie d'avenir, grâce à une réduction de 20 % à 30 % du coût de production des batteries, sera économiquement pertinente.

Malgré des investissements considérables, le point d'atterrissage de la transition énergétique, en 2050, sera favorable, grâce au stockage de l'électricité, à l'usage renforcé de l'énergie photovoltaïque, peu coûteuse puisque le silicium ne manque pas sur la croûte terrestre, au maintien du nucléaire et, dans une moindre mesure, du gaz. Je crois également beaucoup à une consommation plus sobre, qui implique un travail de pédagogie auprès des ménages. Je défends les pulls en laine : un outil parfait de politique énergétique !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Faut-il réduire la fiscalité énergétique ?

M. Frédéric Gonand. - A priori, non, même si les économistes se montrent habituellement favorables aux baisses d'impôts et de dépenses publiques. La fiscalité énergétique influence le comportement des consommateurs. Elle produit donc un effet environnemental - minoritaire en raison du caractère faiblement élastique de la demande - en pesant sur la demande de produits polluants et un effet fiscal dès lors que, parallèlement, diminuent les impôts directs, économiquement plus nocifs. La fiscalité énergétique apparaît donc neutre pour la dépense publique et favorable à l'environnement comme à la croissance.

Les pouvoirs publics, cependant, peuvent être confrontés, en période de crise, au phénomène d'incohérence temporaire entre les objectifs de court terme et ceux de long terme. Je prendrai, pour l'illustrer, l'exemple d'Ulysse et des sirènes : s'il lui serait agréable, à court terme, de leur céder, il doit, pour sa survie, leur échapper en s'attachant au mât et en bouchant ses oreilles avec de la cire. La solution à l'incohérence temporaire réside donc dans la contrainte, qui empêche les décideurs publics de céder aux solutions de court terme. Pour cette raison d'ailleurs, les banques centrales sont indépendantes...

M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études sur l'énergie. - Je me réjouis que notre commission s'intéresse à la flambée des prix des énergies, enjeu fondamental pour les ménages et pour les entreprises. Il faut assurer la souveraineté alimentaire autant que la souveraineté énergétique pour que le pays fonctionne. En 2020, nos travaux avaient déjà fait état d'un risque inflationniste pesant sur les prix de l'énergie à l'issue de la crise sanitaire. Je regrette que nous n'ayons pas été entendus.

Vous avez évoqué la Russie, mais qu'en est-il de la responsabilité de l'Algérie dans l'augmentation du prix du gaz ? Les pays européens pourraient-ils mieux organiser leur approvisionnement et la gestion de leurs stocks de gaz ?

Pensez-vous que la flambée des prix sur le marché du carbone constitue un problème ? Le vice-président de la Commission européenne, Franz Timmermans, estime qu'un cinquième de la hausse du prix de l'électricité peut être attribué à celle du CO2. Partagez-vous son analyse ? Une solution fiscale est-elle envisageable ? Des industries énergo-intensives risquent de fermer.

La transition énergétique aura-t-elle, à long terme, un impact sur les prix de l'énergie ? Faut-il continuer à investir dans la filière nucléaire ? Quel est, selon vous, l'avenir de l'hydrogène, dans lequel de nombreuses industries investissent ?

Enfin, estimez-vous utile de créer un mécanisme de compensation budgétaire, fiscal ou douanier, pour que la transition énergétique ne pénalise pas les ménages ? Quid d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne ?

M. Frédéric Gonand. - J'avoue ne pas pouvoir répondre précisément à votre question sur l'Algérie, faute d'avoir étudié leurs volumes exportés. Le pays, quoi qu'il en soit, ne représente pas un producteur dominant.

Je ne crois pas en l'utilité d'un stock stratégique de gaz à l'échelle européenne. Le stockage me semble mieux géré dans un environnement de marché que par un opérateur unique. Du reste, la Commission européenne risque fort de s'opposer à une telle option. En outre, cette crise apparaît conjoncturelle ; or, le stockage de gaz sera effectif après plusieurs années. Déjà, un quart de la consommation française annuelle est couvert par des stocks de gaz et un système de stockage européen ne réduira en rien notre dépendance à l'importation. Je m'avoue donc très dubitatif.

Le prix du carbone est effectivement responsable de 20 % de l'envolée de celui de l'électricité. Le marché des quotas de CO2 vise à réduire les émissions de polluants. Il s'agit d'un mécanisme économique optimal, dans la mesure où il permet une dépollution à un moindre coût et évite les difficultés liées à une fixation du prix du carbone par un fonctionnaire bruxellois. À cet égard, le marché européen du carbone joue son rôle. Ainsi, la sidérurgie, responsable de 7 % des émissions de CO2, investit massivement, face à l'augmentation du prix du carbone, pour convertir ses hauts fourneaux à l'électricité et à l'hydrogène, cette seconde énergie étant facile à fabriquer, peu coûteuse et indépendante de la production russe. ThyssenKrupp a annoncé que ces hauts fourneaux de nouvelle génération représenteraient un tiers de son parc en 2030. Le prix élevé du carbone contribue donc avec succès à la décarbonation de l'industrie. Il est aussi important de s'assurer que nos concurrents chinois ont au moins le même prix à supporter.

S'agissant de la diversification de l'approvisionnement en gaz, nous pourrions produire du gaz sur le territoire national grâce au biométhane. Cela relève d'un choix politique. L'usine Solvay, qui produit du fil de nylon en Alsace, a fait usage de cette technologie, qui demeure cependant trois fois plus chère que le gaz naturel. Il existe, en outre, un risque de fuite dans l'atmosphère de 2 % à 3 % du méthane produit, vingt-cinq fois plus nuisible que le CO2 en matière d'effet de serre. Le bilan environnemental du biométhane apparaît donc mitigé. Une autre solution réside dans la technique du power-to-gaz, qui consiste à utiliser de l'électricité, transformée en hydrogène via l'électrolyse, et à y ajouter du CO2 pour créer du méthane de synthèse. C'est ce que l'on appelle la réaction de méthanation, ou de Sabatier. Engie maîtrise cette technologie, qui demeure quatre fois plus coûteuse que le méthane naturel.

La transition énergétique a un effet inflationniste sur les prix - tirant à la hausse le prix du carbone, des réseaux de distribution d'électricité et de gaz et les infrastructures d'EnR - ; il ne faut cependant pas la considérer comme un coût, mais comme un investissement : elle permet de passer d'un capital industriel polluant à un capital moins consommateur d'énergie. Je rappelle que jusqu'à 70 % de la consommation française d'énergie finale repose actuellement sur le pétrole, le charbon et le gaz. À titre d'illustration, la bascule de l'industrie automobile vers le moteur électrique divisera par trois le nombre d'ouvriers. Cette évolution est réalisable en dix ans, mais l'Union européenne l'impose en trois à quatre ans, au risque d'une importante casse sociale. Les banques auront-elles la capacité à financer les investissements nécessaires ? Nous devons nous y montrer attentifs.

Si l'augmentation des prix de l'énergie facilite la transition énergétique, la précarité énergétique pose problème. La redistribution, cependant, relève d'un choix politique. Il existe déjà de nombreux instruments de redistribution verticale qu'il convient d'utiliser avant de créer de nouveaux dispositifs. Le chèque énergie, en ce qu'il ne modifie pas les prix, me semble pertinent.

S'agissant du nucléaire, il ne faut vraiment pas fermer des centrales qui fonctionnent et dont le coût est amorti, car cela serait de la destruction de valeur pure. Pour l'avenir, il convient de garder à l'esprit qu'un mégawattheure de nucléaire coûte cher - 110 à 130 euros contre 80 euros pour l'éolien. Les coûts fixes de l'énergie nucléaire demeurent, en effet, élevés, alors que les coûts marginaux sont faibles. Mais lorsqu'un coeur nucléaire fonctionne, il fournit deux départements en électricité. En termes d'indépendance énergétique, c'est imbattable. Cependant, des questions liées à la sécurité existent. Les European pressurized reactors ou Evolutionary power reactors (EPR) ne représentent pas une nouvelle technologie source de gains de productivité, mais un système de production plus sécurisé, avec un doublement, un triplement, un quadruplement des circuits ou des bains de secours. En définitive, nous construisons des forteresses qui, quoiqu'il arrive, ne sauteront a priori pas. Pour éviter un blackout très coûteux, nous ne pouvons pas nous passer du nucléaire.

M. Jean-Claude Tissot. - Je vous remercie pour votre présentation. Les vingt dernières années montrent combien la libéralisation à l'extrême de l'énergie a pénalisé la France, le groupe EDF et les consommateurs, qui ne cessent de voir leur facture augmenter. L'Europe de l'énergie se trouve désormais confrontée à ses propres limites. Que pourrait proposer le Gouvernement à cet égard dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne ?

M. Patrick Artus estime que, compte tenu des coûts de maintenance des centrales nucléaires et l'intermittence des énergies renouvelables, les prix de l'énergie pourraient doubler au cours des vingt prochaines années. Partagez-vous son analyse ?

Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le montant idoine du chèque énergie s'établit à 710 euros. Approuvez-vous cette estimation ?

Enfin, pourquoi nos voisins européens n'ont-ils pas choisi de stocker davantage de gaz ?

M. Laurent Duplomb. - À vous entendre, nous apprenons beaucoup et je ne peux m'empêcher d'établir un parallèle avec les difficultés agricoles et alimentaires : nous n'avons aucune stratégie nationale ! Sinon, nous aurions déjà trouvé une solution aux problèmes énergétiques, comme nous l'avons fait autrefois avec le nucléaire. Nous souffrons d'injonctions contradictoires : suppression du bois pour le chauffage malgré les nombreuses forêts sur le territoire national, industrie de la méthanisation tuée par la multiplication des normes et secteur photovoltaïque par la baisse des prix, absence de stratégie pour le développement de l'hydroélectricité. Sous Louis XIV, la France comptait 40 000 seuils ; il n'en reste que 14 000 que nous nous interdisons de faire fonctionner. À force d'absurdités et de solutions trouvées au détriment de la dette publique, ne pensez-vous pas que nous allons rapidement nous heurter à une limite ?

M. Alain Cadec. - Je vous remercie pour vos éclairages. Au 1er octobre, la hausse du prix du gaz atteignait plus de 12 %, soit une croissance sans précédent depuis 2013. Les candidats à l'élection présidentielle formulent diverses propositions pour protéger la facture énergétique des ménages : tarification progressive de l'énergie et de l'eau et gratuité des premières consommations, mise à contribution des dividendes, diminution de la fiscalité sur le carburant, suppression des taxes sur les taxes, soutien à la filière nucléaire. Il n'existe certes aucune recette miracle, mais quelle vous semble constituer la meilleure mesure pour stabiliser le prix de l'énergie ?

M. Pierre Louault. - Il apparaît difficile de contrôler le prix de l'énergie. Le gaz, notamment, pose des difficultés de stockage. Celui-ci permet d'acheter à coût bas et de revendre à prix moyen ; cependant, nous revendons actuellement au prix fort, ce qui interroge du point de vue de la solidarité nationale.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Comment envisagez-vous l'évolution du coût des métaux à moyen et long termes ? Ils sont, en effet, indispensables aux nouvelles technologies comme à la transition énergétique. Récemment, le prix des terres rares a ainsi considérablement augmenté. Quelles seraient les conséquences d'une augmentation pérenne des prix sur nos politiques de développement durable ?

M. Patrick Chaize. - Le président de la CRE Jean-François Carenco a récemment annoncé une augmentation faible, mais durable du prix de l'électricité. Partagez-vous son analyse ? Il a également indiqué que le prix du gaz serait gelé jusqu'en juillet 2022. Je suis surpris par vos propos sur le manque d'anticipation de l'évolution des prix : nous aurions pu la prévoir. Pourquoi nous sommes-nous montrés si peu précautionneux ?

M. Pierre Cuypers. - Nous vivons en plein paradoxe. L'État veut supprimer le moteur thermique au profit de l'électrique, alors que nous connaissons les difficultés d'approvisionnement. Nous commettons, à mon sens, une erreur historique !

Disposez-vous d'une évaluation de l'impact de l'augmentation du prix du gaz sur l'agriculture ? Nous risquons des ruptures de stocks et une inflation du prix des engrais. Nous sommes trop dépendants et vulnérables en matière énergétique, ce qui relativise sans doute votre propos sur le coût du biométhane.

Mme Françoise Férat. - Je lisais récemment un article sur la flambée du prix de l'énergie en Europe. Une solution consisterait à créer une centrale d'achat européenne pour le gaz. Qu'en pensez-vous ?

M. Fabien Gay. - Je vous remercie, mais nous avons sur le sujet un profond désaccord... Vous placez votre analyse dans le marché, alors qu'il représente une partie du problème. L'Europe de l'énergie, décidée au Conseil européen de Barcelone en 2002, portait la promesse d'une réduction de la facture pour le consommateur. Nous vivons l'inverse : + 70  % depuis 20 ans ! Le dernier kilowattheure produit l'est grâce au gaz, dont l'augmentation tarifaire pèse sur la facture énergétique. Ne pensez-vous pas que nous subissons une crise structurelle du mode de construction du prix ? Il faut sortir l'énergie du marché libéral et y appliquer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 %, comme sur les produits de première nécessité. Cela offrirait une économie de 350 euros à 500 euros par ménage. Je partage, par ailleurs, votre réflexion sur le chèque énergie.

Enfin, je n'ai guère apprécié vos propos sur le pull ni le hashtag d'EDF sur le même thème, ce que j'avais indiqué à son président-directeur général (PDG) Jean-Bernard Lévy : dix millions de nos concitoyens se trouvent en situation de précarité énergétique !

M. Jean-Pierre Moga. - L'augmentation du prix de l'énergie est à la fois conjoncturelle et structurelle. Que proposez-vous de la possibilité d'utiliser les dividendes carbone pour aider les ménages modestes ? Certains retraités reçoivent moins de huit cents euros par mois et vivent, l'hiver, avec un manteau à leur domicile. Pour revenir au sujet des pulls, il est vrai qu'autrefois, nous nous habillions en fonction des saisons dans les bureaux et dans les ateliers... Cela relève d'un changement culturel.

L'offre d'énergie étant rigide, ne faudrait-il pas agir sur la demande en prônant la sobriété énergétique. Nous devons, certes, consommer mieux, mais aussi consommer moins. Quelles seraient alors les conséquences sur les prix ? Certains pays ont-ils mis en oeuvre des actions en ce sens ?

M. Patrick Chauvet. - Notre dépendance aux importations de gaz apparaît structurelle. De fait, la production de biogaz ne semble pas encore mature. Nous en connaissons, certes, les inconvénients, mais cela recouvre un véritable intérêt lorsque le prix du gaz naturel est élevé. Le biogaz constitue également un outil d'aménagement du territoire, de pérennisation des exploitations agricoles et de développement des circuits courts de distribution d'énergie.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les économistes préconisent-ils un mix énergétique idéal ? Quel est votre point de vue sur le sujet ?

M. Bernard Buis. - La meilleure énergie reste celle qui n'est pas consommée. Aussi, il me semble nécessaire d'aider les ménages à atteindre la sobriété énergétique avec des dispositifs comme MaPrimeRénov'. Faudrait-il aller plus loin en ce domaine ?

D'aucuns préconisent d'utiliser les batteries de voiture pour stocker l'électricité. Cela vous semble-t-il constituer une solution ?

Mme Patricia Schillinger. - Notre monde est de plus en plus connecté et les énergies renouvelables y occupent une place croissante. Pourtant, nous ne savons pas où nous allons avec la voiture électrique et les productions alternatives, comme l'énergie éolienne, ne sont pas encore stables. Ne faudrait-il pas songer à un dispositif de chèque favorisant la réduction de la consommation en énergie ?

Mme Martine Berthet. - Le soutien aux industries électro-intensives implique un prix stable de l'électricité, afin de maintenir leur compétitivité. Or, le recul de leurs marges rend difficile l'investissement. Pour les aider à se moderniser, que pensez-vous d'un écrêtement différencié entre particuliers et entreprises, dans le cadre de l'Arenh ? Un contrat à long terme avec les fournisseurs d'électricité serait-il envisageable, maintenant que la situation d'EDF éloigne le risque de position dominante ?

Mme Micheline Jacques. - La vapeur d'eau issue de l'activité industrielle pourrait-elle constituer une piste pour la production d'énergie propre ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Vous avez évoqué les inégalités intergénérationnelles et le poids de la dette publique en invoquant la nécessité d'un excédent budgétaire. Il apparaît pourtant nécessaire d'investir massivement pour la transition énergétique et en faveur de la solidarité. Comment concilier réduction de la dette publique et de la dette environnementale ?

M. Franck Montaugé. - Quelles ont été les conséquences de l'ouverture du marché européen de l'électricité ? Le consommateur français en a-t-il bénéficié ? Ce sujet a-t-il été documenté ? Quelle réforme structurelle permettrait, selon vous, de réussir la transition énergétique tout en préservant le pouvoir d'achat des ménages ? Quelle vous semblerait être l'organisation optimale du groupe EDF ? Enfin, quelle place devrait, selon, vous occuper Total dans ce paysage ?

Mme Sylviane Noël. - Je vous remercie à mon tour. L'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques oppose la France et la Commission européenne depuis de nombreuses années. Ces ouvrages représentent 12 % de la production française d'électricité et jouent un rôle important en matière de stabilité de l'offre. Parmi eux, 433 barrages appartiennent à l'État et sont gérés par EDF. L'ouverture à la concurrence risque-t-elle de morceler le marché et d'augmenter les prix ?

M. Laurent Somon. - Vous avez indiqué que la consommation de pétrole et de gaz s'élevait à 70 % du total, mais les statistiques de 2020 établissent cette proportion à 40 %. Laurent Duplomb a raison : nous n'avons pas de stratégie nationale de l'énergie ; tout est morcelé. Quel serait, selon vous, le mix énergétique idéal ? Gérer nécessite de prévoir ; aussi, je suis surpris par vos propos sur le stockage de gaz à l'échelle européenne.

M. Daniel Salmon. - La politique du faible coût de l'énergie n'a permis ni la sobriété énergétique ni la protection de l'industrie. Les inégalités de revenu doivent être considérées en dehors de la question énergétique. Quel budget devrions-nous affecter à une politique en faveur de la sobriété ? Quel lien celle-ci devrait-elle nouer avec la politique d'aides publiques ?

La référence au pull ne me pose problème que si la remarque ne concerne qu'une partie de la population, comme le vélo...

M. Henri Cabanel. - Il y a beaucoup à faire pour réaliser des économies d'énergie, dont 36 % de la consommation est résidentielle. Nous avons voté une loi pour l'autoconsommation d'énergie photovoltaïque, mais le dispositif demeure peu encouragé, alors qu'il permet d'économiser 25 % à 30 % d'énergie pour les ménages qui l'utilisent.

M. Frédéric Gonand. - La libéralisation du marché de l'énergie, monsieur le sénateur Jean-Claude Tissot, a eu pour principal intérêt la transparence sur les prix et les coûts. Avant, le marché du gaz était opaque et les marges élevées. Il est normal que les prix aient augmenté en vingt ans ; la question est de savoir si cela aurait été de même en l'absence de libéralisation. Il n'y a pas de réponse claire à cette question.

Je ne sais ce que les prix seront dans vingt ans. S'agissant de l'énergie, il me paraît difficile de prévoir à long terme, quoi qu'en dise M. Patrick Artus. Cependant, il me semble exister de nombreux arguments à l'appui d'une augmentation du prix de l'électricité et du gaz, alors que celui du pétrole devrait diminuer en conséquence de la transition énergétique. Selon les simulations, le baril pourrait atteindre douze dollars.

La dépense énergétique moyenne annuelle des ménages français se chauffant à l'électricité s'élève à 1 500 euros. Dès lors, un chèque énergie à 720 euros conduirait à régler 50 % de leur facture et, ainsi, à ne pas faire contribuer certains ménages à l'effort de transition énergétique. Cela ne me semble pas cohérent avec l'objectif poursuivi.

Enfin, je ne sais pas pourquoi les autres pays stockent ou ne stockent pas le gaz.

Monsieur le sénateur Laurent Duplomb, nous avons été surpris par la crise des prix de l'énergie. Nous aurions donc gagné à coordonner les producteurs, les transporteurs et les distributeurs au niveau européen. Nous pourrions davantage développer l'usage d'ester méthylique de colza pour les ménages modestes en milieu rural, qui ne peuvent acquérir une pompe à chaleur. Il suffit, en effet, de 400 euros pour changer le brûleur d'une cuve à fioul.

Monsieur le sénateur Alain Cadec, une taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) véritablement flottante pourrait constituer un outil efficace.

Monsieur le sénateur Pierre Louault, le dernier mégawattheure d'électricité produit par les centrales au gaz est celui qui nous protège du blackout. Leur production est pilotable, alors que les centrales nucléaires sont moins modulables et que la demande d'électricité peut varier de 70 % au cours d'une journée. À titre personnel, je suis prêt à payer pour éviter le blackout.

Monsieur le sénateur Patrick Chaize, je ne connaissais pas ces propos du président Jean-François Carenco. La CRE évalue les coûts de production, mais il revient ensuite au Gouvernement de modifier les tarifs réglementés du gaz et de l'électricité. Si les coûts ont augmenté, ce qui est probable, la CRE le constatera. Un opérateur peut s'y opposer en saisissant le Conseil d'État, mais le résultat sera connu après mai 2022...

Nous aurions pu anticiper une augmentation des prix du fait de la reprise économique suivant la crise sanitaire, mais il est parfois difficile d'apparaitre pessimiste et d'avoir raison trop tôt...

Madame le sénateur Françoise Férat, je ne suis guère favorable à la solution que vous évoquez. Je préfère une coordination entre les opérateurs gaziers européens. Veillons à ne pas mettre en place une centralisation trop politique.

Monsieur le sénateur Fabien Gay, je ferai attention à mon argument sur les pulls.

M. Laurent Duplomb. - Les mêmes réclament la sobriété énergétique !

M. Frédéric Gonand. - La crise, en l'absence de blackout, n'est pas structurelle. Un tel événement est arrivé en 2008 en Californie.

M. Fabien Gay. - Pourquoi justement en Californie ?

M. Frédéric Gonand. - Ils n'avaient libéralisé que la moitié de la chaîne de valeur.

L'abaissement du taux de TVA à 5,5 % me semble délicat s'il conduit à exempter une partie de la population du financement de la transition énergétique.

M. Fabien Gay. - Mais elle bénéficierait à tous !

M. Frédéric Gonand. - Certes, mais le principe reste que ceux qui polluent plus paient davantage.

Monsieur le sénateur Jean-Pierre Moga, les dividendes carbone pourraient être utilisés à condition de réduire les impôts directs. Je partage également votre analyse sur la sobriété énergétique, qui doit permettre d'atteindre la neutralité carbone.

Il n'y a que trois grands leviers de la transition énergétique : le développement des EnR, la taxe carbone, qui ne saurait être trop élevée, et l'efficacité énergétique, laquelle, pour un certain nombre de motifs, n'est pas très facile à obtenir, parce que les effets de ses gains sur la pollution sont amortis par un effet rebond. Il faut donc, en plus, la sobriété énergétique.

Monsieur le sénateur Fabien Gay, il faut savoir que 10 % de la consommation d'électricité est liée à des appareils électroniques qui restent en veille. Fermer ses rideaux ou ses volets la nuit évite le rayonnement thermique de l'habitat. Il y a plein de petits réflexes à avoir... Effectivement, des campagnes publiques sur la sobriété me sembleraient bienvenues.

Monsieur le sénateur Patrick Chauvet, je maintiens que de nombreux éléments de la crise du gaz sont conjoncturels. Je répète que les Russes ne sont pas complètement market makers. Ils sont vraiment liés par des contrats à long terme.

Il est vrai que la compétitivité relative du biogaz est en train d'augmenter par rapport à celle du gaz naturel. Comme je l'ai écrit dans un rapport que j'ai remis à la CRE voilà deux ans, le biogaz est intéressant en ce qu'il crée un circuit énergétique court entre les campagnes qui le fabriquent et les milieux urbains qui le consomment. Il permet un aménagement du territoire intelligent et harmonieux, argument qu'à mon avis Engie devrait utiliser plus souvent. Je suis donc tout à fait d'accord avec vous.

Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, qu'est-ce qu'un mix électrique optimal ? Si l'on n'a pas de stockage d'électricité, c'est plus de la moitié en nucléaire. À l'horizon 2050, avec beaucoup de stockage, on pourra peut-être avoir plus de la moitié en énergies renouvelables. Il faudra toujours des mécanismes de back-up, qui seront peut-être non pas du nucléaire, mais du gaz.

Ce ne serait probablement pas cher, mais il faut du stockage d'électricité et éventuellement de carbone. Il faut donc du progrès technique. Il y a beaucoup de scénarii envisageables.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Quid de l'éolien ?

M. Frédéric Gonand. - Je ne suis pas très favorable à l'éolien. Le modèle d'affaires de l'éolien est mûr. On produit à 80 euros le mégawattheure, ce qui n'est pas très cher, 15 % du temps. Quand il y a trop de vent - plus de 11 mètres par seconde -, il faut débrancher l'éolienne parce que ça pose des problèmes physiques. Au reste, il y a, dans une éolienne, des tonnes d'acier et du néodyme, terre rare qui vient de Chine, il faut prévoir au moins la taille d'un terrain de football entre deux éoliennes pour éviter certains phénomènes électromagnétiques, et il faut stabiliser l'éolienne dans le sol avec des dizaines de mètres cubes de béton. Au final, comme M. Stéphane Bern, je me demande en quoi une éolienne est écolo...

M. Daniel Salmon. - Vos propos sur l'éolien sont caricaturaux et ne résistent pas à l'examen. Je pourrais les démonter point par point.

M. Frédéric Gonand. - Je reconnais que j'ai un peu poussé... Par ailleurs, vous avez noté que j'étais un farouche défenseur du photovoltaïque.

Monsieur le sénateur Bernard Buis, oui, MaPrimeRénov' était une bonne idée.

Quid du stockage de l'électricité dans les vehicles to grid ? J'ai remis à la RTE un rapport sur ce sujet en 2018. Les études réalisées par RTE tendent à souligner que ce n'est pas un très gros sujet : apparemment, la quantité d'électricité que l'on peut stocker dans les batteries dans les voitures thermiques n'est pas si considérable. J'ai tendance à leur faire confiance sur le sujet...

Madame Patricia Schillinger, quid d'un chèque qui récompenserait la sobriété des ménages en matière d'énergie ? Je n'y ai pas pensé et je vais y réfléchir. A priori, l'idée me semble plutôt sympathique.

Mme Patricia Schillinger. - En Allemagne, cela existe.

M. Frédéric Gonand. - Pour éviter que cette incitation ne retombe sur les finances publiques, il faut faire en fait un marché de la sobriété énergétique : on fait payer ceux qui ont de mauvais comportements pour rémunérer ceux qui ont des comportements vertueux.

Madame le sénateur Micheline Jacques, dans le secteur de l'énergie, il y a des dégagements de chaleur en permanence. Quand on fait passer de l''électricité dans un câble, on a un effet Joule qui fait perdre 5 % de l'énergie transportée. C''est d'ailleurs la raison pour laquelle on ne sait pas très bien transporter l'électricité sur les milliers de kilomètres. Même dans une voiture, 25 % de l'énergie qui se trouve dans le réservoir n'est pas transformée en énergie mécanique de transport, mais en frottement, donc en chaleur. La récupération de la chaleur est donc une vraie question : on augmenterait beaucoup l'efficacité énergétique du système. Pour le moment, on ne sait pas bien faire. C'est un sujet de recherche et développement important. L'enjeu est aussi la récupération du froid fabriqué par certains sites industriels.

Madame la sénatrice Martine Berthet, je suis plutôt favorable à un écrêtement différent pour les industriels et les contrats à long terme sur les électro-intensifs. Je pense que la politique de l'énergie doit contribuer aussi à la compétitivité et à la souveraineté industrielles. J'ai déjà vainement essayé de faire passer cette idée voilà dix ans, sous d'autres auspices...

Madame la sénatrice Florence Blatrix Contat, comment concilier dette publique et dette environnementale ? Par le progrès technique ! Avec de nouvelles technologies, on peut être moins polluant, plus efficace énergétiquement et moins dépendant des finances publiques. La recherche et développement s'attelle à trouver de nouvelles façons de produire, à la fois économiquement pertinentes et respectueuses de l'environnement.

Monsieur le sénateur Franck Montaugé, j'ai écrit, dans une tribune parue dans L'Opinion, que je n'étais pas très favorable à la réforme que vous avez évoquée. En effet, la littérature montre que les gains de coûts ne sont pas avérés quand on porte atteinte au côté verticalement intégré du groupe EDF : cela bénéficie surtout aux financiers. D'autres pays l'ont fait : la Norvège, l'Italie, le Brésil, les États-Unis, le Canada... Il y a, dans l'énergie, des effets d'échelle qui plaident en faveur de structures verticalement intégrées.

S'agissant du bilan de l'ouverture des marchés du point de vue du consommateur, les éléments de comparaison ne sont pas clairs, mais la transparence des prix et des coûts a tout de même un vrai intérêt économiquement. C'est documenté : on sait, par le régulateur, combien coûte le transport du mégawattheure.

Voilà vingt ans que la Commission européenne essaie de nous faire croire que le marché de l'énergie est un marché standard, comme celui des baguettes de pain, des pâtes ou de l'automobile. Or, lorsque les coûts fixes sont très élevés, le marché ne fonctionne plus bien, voire plus du tout.

Vous voyez que je viens de faire l'apologie d'une entreprise verticalement intégrée... On a vu discours plus libéral !

Le marché de l'énergie est très compliqué. Ce ne pourra jamais être un marché pur et parfait.

Madame la sénatrice Sylviane Noël, vous le savez mieux que moi, l'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques est un vieux serpent de mer entre le groupe EDF, les collectivités locales et la Commission européenne. Je ne suis pas sûr que la Commission européenne ait raison de consacrer autant d'énergie à ce sujet. Le système fonctionne. Il assure très souvent la pointe en France. Il est très largement amorti et ne coûte pas cher. Je ne vois donc pas très bien l'ampleur des gains potentiels. L'existence d'une rente hydroélectrique m'inspire quelques réserves. L'ouverture à la concurrence ne changerait pas grand-chose au coût de production de l'hydroélectricité. Ce ne serait pas plus mal d'en rester là...

Monsieur le sénateur Laurent Somon, en France, le gaz représente entre 20 et 25 % et le pétrole 40 % du total de la consommation finale.

J'ai déjà répondu à la question de la place du nucléaire dans le mix. Normalement, les opérateurs remplissent l'été et déstockent l'hiver. L'activité de base des stockeurs consiste à arbitrer : acheter quand ce n'est pas trop cher et vendre quand c'est plus cher. C'est déjà un peu ce que font les opérateurs.

Monsieur le sénateur Daniel Salmon, vous m'avez interrogé sur le budget nécessaire à une politique de sobriété. Pour faire court, la littérature a largement démontré que le coût économique d'un réchauffement climatique moyen, de l'ordre de 2 à 3 degrés, n'était pas très élevé. Pourquoi diable investirait-on des dizaines de milliards d'euros dans quelque chose qui, finalement, nous ferait gagner assez peu de croissance ?

Selon moi, l'argument massue et définitif en faveur de la transition énergétique est que la probabilité d'avoir un réchauffement climatique hors de contrôle, de l'ordre de 6 ou 7 degrés - avec des fontes de calottes polaires, un arrêt du Gulf Stream, des déplacements climatiques de population... -, n'est pas nulle.

La bonne justification de la transition énergétique est la théorie du risque. Le seul problème est qu'aucune assurance ne peut assurer contre le risque d'une telle hausse des températures, compte tenu des montants gigantesques en jeu. Il faut donc faire de l'auto-assurance, à savoir dépenser maintenant la prime que l'on aurait normalement versée à une assurance sous forme d'investissements de transition énergétique pour se prémunir contre le risque mortel d'un réchauffement climatique hors de contrôle.

Il est possible de calculer le montant optimal de dépenses en investissements pour la transition énergétique : il se chiffre en dizaines de milliards d'euros.

Le pull est l'apanage du pauvre... J'essaierai peut-être, à l'avenir, de me référer plutôt au maillot de corps !

Monsieur le sénateur Henri Cabanel, l'autoconsommation n'empêchera pas les réseaux de distribution de continuer à jouer leur rôle d'assurance. Une maison ne sera jamais une île isolée sur le plan électrique : il sera toujours nécessaire qu'il y ait autour des réseaux. Pour ce qui concerne les conditions réglementaires, l'Europe a plutôt bien avancé sur le sujet voilà deux ans. Un rapport du comité de prospective de la CRE a d'ailleurs porté sur cette question.

Madame le sénateur Évelyne Renaud-Garabedian, la transition énergétique pousse les prix des métaux à la hausse à peu près partout. Je prends l'exemple du cuivre, métal de la transition énergétique par excellence, parce qu'il est ductile et que c'est un excellent conducteur électrique. Il y en a beaucoup dans les véhicules électriques - à peu près 80 kilos par véhicule, contre 20 kilos dans un véhicule thermique. Il y en a également dans les éoliennes.

Le problème est que l'offre de cuivre va être rapidement insuffisante, alors que la demande est très dynamique dans le monde et va le rester lors de la prochaine décennie. Or, pour mettre en place une mine de cuivre neuve, il faut huit ans. La production de cuivre est très longue à lancer. La surproduction et le surendettement dans le secteur ont conduit à une chute des investissements en 2014. À ma connaissance, aucun projet d'ouverture de mines de cuivre n'a été annoncé dans le monde depuis le début de l'année. Goldman Sachs prévoit ainsi que la tonne de cuivre, qui, de mémoire, s'élève aujourd'hui à 9 000 dollars, passe à 15 000 dollars à l'horizon de la décennie.

L'aluminium aussi va devenir plus cher. L'aluminium est un métal lui aussi très utilisé dans la transition énergétique. Les véhicules électriques, les panneaux solaires en consomment beaucoup. La difficulté est que 40 % de l'aluminium mondial est produit en Chine, à partir d'électricité souvent issue du charbon.

On dit que l'aluminium est l'électricité rendue solide, puisque 30 % des coûts d'une aluminerie correspondent à de l'électricité. L'aluminium est donc très polluant. Il y a d'ailleurs un lien étroit entre le prix du CO2 dans le monde et celui de l'aluminium. On peut tabler sur une hausse de 20 à 30 % de son prix.

D'autres problèmes d'approvisionnement sont liés à la transition énergétique. Qui dit batteries automobiles dit cobalt ! Or 50 % du cobalt dans le monde est produit en République démocratique du Congo, qui n'est pas le pays le plus stable au monde... Tesla dépense beaucoup d'argent actuellement pour fabriquer des batteries sans cobalt. Là encore, c'est la recherche et développement qui nous permet d'éviter certains coûts liés à la transition énergétique.

On pourrait également connaître des tensions sur le prix du lithium, qui est très utilisé dans les batteries automobiles.

La transition énergétique est une révolution industrielle qui a tendance à consommer beaucoup de nouveaux métaux, essentiellement des terres rares - en fait pas si rares, mais dont la production est très polluante et qui sont surtout fabriquées en Chine. Je pense notamment au néodyme, que l'on trouve dans les aimants semi-permanents, mais aussi au praséodyme ou à l'yttrium. Ces métaux, largement utilisés dans les moteurs électriques notamment, sont produits en Chine. Notre dépendance à l'égard de ce pays est un problème important.

La transition numérique se traduit aussi par des besoins de stockage de données numériques qui sont fortement consommatrices de métaux, de type néodyme ou iridium. L'offre, sur ces différents marchés, va-t-elle réussir à suivre ? Pour la plupart des métaux rares et des platinoïdes, oui, mais on peut avoir des inquiétudes concernant l'indium, métal très utilisé dans les écrans tactiles des smartphones et des tablettes. La production d'indium a déjà été multipliée par 5 entre 1993 et 2013 et la demande continue à galoper, parce qu'il a peu de substituts. Au-delà de l'indium, le néodyme pourrait faire l'objet de tensions.

La France a un intérêt stratégique à investir beaucoup d'argent pour essayer soit de fabriquer des biens qui soient moins dépendants de métaux, soit de fabriquer des métaux sur son propre territoire. Le Sénateur Daniel Gremillet sait que les travaux des spécialistes des mines et de la Commission européenne montrent que l'on peut récupérer du lithium dans les anciens bassins charbonniers en Europe, surtout en Espagne et en Pologne. Si nous sommes dans une situation délicate sur la question du métal, nous pouvons nous en sortir soit par la recherche et développement, soit par l'extraction, sur le sol européen, de métaux que l'on ne savait pas extraire jusqu'à maintenant.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le professeur, je vous remercie, au nom de l'ensemble de mes collègues, du temps que vous nous avez consacré et de la précision de vos réponses. Votre audition a été extrêmement intéressante.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous devons examiner un amendement à la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, qui sera examinée demain en séance publique.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Daniel Salmon. - L'amendement n°  1 est un amendement de précision, tendant à indiquer que l'article premier de la proposition de loi ne concerne pas les barrages de moins de 4,5 mégawatts et que la mise en application du texte n'interviendrait qu'à l'échéance des concessions.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Le présent amendement entend corriger deux effets de bord identifiés par la commission, en appliquant le mécanisme de quasi-régie aux seules concessions échues et aux seules installations hydrauliques concédées.

Si ces modifications sont utiles, elles ne suffisent pas à rendre le mécanisme de quasi-régie opérant.

Tout d'abord, le périmètre de la « quasi-régie » est trop large. D'une part, il engloberait, non seulement les concessions du groupe EDF, mais aussi celles de ses concurrents. D'autre part, ce périmètre n'exclurait pas les concessions transfrontalières.

Plus encore, une quasi-régie nationale serait préférée aux sociétés d'économie mixtes hydroélectriques locales. Cela serait contraire à la politique de décentralisation et au principe de subsidiarité.

Enfin, aucune condition financière n'est prévue, le dispositif étant muet sur les recapitalisations des sociétés, les indemnisations des concessionnaires et les transferts des salariés induits par un tel bouleversement.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à l'examen des amendements déposés par le Gouvernement sur le texte issu de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

Article 2

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Anne-Catherine Loisier, rapporteure, est favorable à l'amendement n°  3, qui concerne la caractérisation des filières de production dont les produits peuvent être exemptés par voie règlementaire de l'application de l'article 2. Il s'agit d'un amendement de précision, la rédaction initiale ayant été modifiée par erreur lors de la navette parlementaire.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3, de même qu'aux amendements de coordination juridique nos  4 et 5.

Article 2 bis AA

La commission émet un avis favorable à l'amendement de coordination juridique n°  2.

Article 2 bis D

La commission émet un avis favorable à l'amendement de précision rédactionnelle n°  1.

Les avis de la commission sur les amendements au texte de la commission mixte paritaire sont repris dans le tableau ci-après :

Article 2

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

Le Gouvernement

3

Caractérisation des filières de production dont les produits peuvent être exemptés par voie règlementaire de l'application de l'article 2

Favorable

Le Gouvernement

4

Coordination juridique

Favorable

Le Gouvernement

5

Coordination juridique

Favorable

Article 2 bis AA

Le Gouvernement

2

Coordination juridique

Favorable

Article 2 bis D

Le Gouvernement

1

Modification rédactionnelle

Favorable

Proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de Mme Sophie Primas, Mme Anne Chain-Larché, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Jean-Paul Prince, Mme Florence Blatrix Contat, M. Jean-Claude Tissot et M. Bernard Buis comme membres titulaires et de M. Laurent Duplomb, M. Daniel Gremillet, M. Laurent Somon, Mme Annick Jacquemet, M. Franck Montaugé, M. Éric Gold et M. Fabien Gay comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La commission mixte paritaire se réunira jeudi 21 octobre à 9 h 30 à l'Assemblée nationale.

Projet de loi de finances pour 2022 - Désignation des rapporteurs pour avis

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Dans la perspective de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, nous devons désigner nos rapporteurs pour avis budgétaires sur les différentes missions qui relèvent de notre champ de compétences.

Je vous propose de désigner rapporteurs pour avis M. Laurent Duplomb, Mme Françoise Férat et M. Jean-Claude Tissot, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ; M. Daniel Gremillet, sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ; M. Serge Babary, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Franck Montaugé, sur la mission « Économie » ; Mme Micheline Jacques, sur la mission « Outre-mer » ; M. Jean-Pierre Moga, sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » ; Mme Dominique Estrosi Sassone, sur la mission « Cohésion des territoires » (volet Logement) ; Mme Viviane Artigalas, sur la mission « Cohésion des territoires » (volet Politique de la ville) ; Mme Martine Berthet, sur le compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État » ; et Mme Anne Chain-Larché, sur la mission « Plan de relance ».

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 15.