Jeudi 8 juillet 2021

- Présidence de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Examen du rapport sur l'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération Astrid

Hommage à Pierre Laffitte

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Mes chers collègues, avant d'aborder notre ordre du jour, je souhaite que nous rendions hommage à notre ancien collègue Pierre Laffitte, décédé hier à l'âge de 96 ans. Il était un grand scientifique. Nous l'avons connu à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dont il a été membre pendant près de 20 ans, de 1988 à 2008, et dont il a été le vice-président de 2001 à 2008. Il a rédigé pour l'OPECST de nombreux rapports, notamment sur l'intérêt du véhicule électrique au regard de la protection de l'environnement en 1993, sur les réseaux grands débits et l'entrée dans la société de l'information en 1996, sur le soutien à la recherche et à l'innovation en 1999, sur les conséquences de l'évolution scientifique dans le secteur des télécommunications en 2001, et sur les apports de la science et de la technologie au développement durable en 2006.

Avant d'entrer au Sénat, Pierre Laffitte a mené une longue carrière qui l'a notamment conduit à s'intéresser à la formation des ingénieurs. Il a dirigé l'École des Mines. Il a créé des liens et des passerelles entre grandes écoles et universités. Il a développé la recherche partenariale avec l'industrie. Avant tout, cependant, il fut le fondateur visionnaire de Sophia Antipolis, première technopôle d'Europe. Il a voulu créer une cité internationale de la science dans son département des Alpes-Maritimes, qu'il représentait au Sénat. En rassemblant dans un même lieu des centres d'enseignement, des centres de recherche publique et privée et des entreprises innovantes, il a créé un écosystème dont le succès ne s'est jamais démenti.

Je vous invite à respecter une minute de silence.

Les membres de l'OPECST observent une minute de silence à la mémoire de Pierre Laffitte.

- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice président de l'Office -

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Le sénateur Pierre Laffitte était un homme chaleureux, enthousiaste, visionnaire. Il avait des convictions politiques, relatives notamment à la construction européenne, inscrites dans une vision girondine qui l'a amené à défendre le projet de Sophia Antipolis. Il considérait en effet que l'intelligence pouvait se trouver partout en France, y compris dans son département des Alpes-Maritimes, où il a relevé le défi de l'implantation d'activités industrielles et scientifiques. J'ai eu à travailler avec lui, alors que j'avais la responsabilité du ministère de l'Industrie, de la Poste et des télécommunications, notamment sur les téléports, qui furent un moment un sujet de grand intérêt pour lui. Il était un interlocuteur convaincant, qui suscitait la sympathie de l'ensemble de ses collègues, même de ceux qui lui étaient différents dans leurs comportements et dans leurs réflexions. Au moment où le Président de la République se prépare à rendre hommage au siècle d'Edgar Morin, je ne peux m'empêcher de penser que le sénateur Pierre Laffitte a marqué son époque. Nous aurions souhaité qu'il nous accompagnât encore quelques années, car il n'avait pas épuisé ses capacités d'innovation. Il travaillait en effet, la dernière fois que j'ai été en contact avec lui, autour du projet de production d'hydrogène par l'utilisation du plasma sur le méthane. Il s'agit d'un brevet de l'École des Mines. Il avait eu l'idée d'un développement sur le site même de Sophia Antipolis, ce qui n'a pas été possible. Son procédé a finalement été développé aux États-Unis. Un homme politique peut donc avoir un parcours singulier qui force l'admiration.

Tel est le cas également des deux intervenants de ce jour, auxquels je donne la parole pour qu'ils évoquent les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération Astrid.

Examen du rapport sur l'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4ème génération « Astrid » (Thomas Gassilloud, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs).

M. Thomas Gassilloud, député, rapporteur. - Le 15 janvier 2020, le Bureau de l'Assemblée nationale a saisi notre Office d'une « étude sur l'énergie nucléaire du futur », comportant « une évaluation des choix techniques disponibles pour développer celle-ci ».

Comme le rappelle le Président Richard Ferrand dans son rapport au Bureau de l'Assemblée, notre collègue André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), à l'origine de cette saisine, avait suggéré que « l'OPECST puisse évaluer la pertinence scientifique et technique de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération » Astrid et « ses conséquences au regard des enjeux climatiques, énergétiques et industriels de notre pays ».

Les réacteurs utilisés aujourd'hui sont des réacteurs à eau pressurisée de première, deuxième ou troisième génération. La troisième génération correspond généralement aux EPR, qui permettent des avancées en termes de sûreté, mais restent des réacteurs à eau pressurisée. De son côté, Astrid était un projet visant à concevoir un réacteur de quatrième génération, avec comme fluide caloporteur le sodium.

Stéphane Piednoir et moi avons pris en compte l'étendue de la saisine du Bureau de l'Assemblée nationale, en élargissant autant que possible nos investigations au-delà du seul projet Astrid, pour nous intéresser aux nombreuses technologies nucléaires avancées en cours de développement en France comme à l'étranger.

L'Office nous a confié cette étude le 6 février 2020, à la veille de la crise sanitaire. Nous n'avons de ce fait commencé réellement nos travaux qu'à la fin du mois de septembre 2020. Malgré ce contexte particulier, nous avons suivi une démarche d'investigation conforme aux pratiques habituelles de l'Office, en procédant à une large consultation des parties prenantes : chercheurs, associations, acteurs institutionnels, internationaux et industriels. Nous avons au total pu échanger avec plus de 150 interlocuteurs impliqués dans ce sujet.

Nous avons commencé par mener des auditions « de rapporteur ». Lorsque nous avons été informés par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) d'un projet de reclassement de l'essentiel des réserves françaises de matières nucléaires en déchets, nous avons organisé une audition publique pour que nos collègues et nos concitoyens puissent débattre des enjeux associés à cette ressource énergétique majeure, non seulement à l'échelle de la France mais aussi du monde. Elle est équivalente, en termes énergétiques, aux ressources pétrolières américaines identifiées en 2005, avant l'exploitation des gaz de schistes.

Nous avons également visité les principaux laboratoires de recherche et sites industriels de la filière nucléaire : Cadarache, Marcoule, le Tricastin, La Hague ou encore Saclay.

À notre grand regret, les circonstances ne nous ont pas permis de nous rendre à l'étranger. Nous avions en effet prévu des missions aux États-Unis et en Fédération de Russie, deux pays aux démarches très contrastées. À défaut, nous-nous sommes appuyés sur les conseillers nucléaires des ambassades de France à Washington et à Moscou, ce qui a notamment permis d'organiser une visioconférence très éclairante avec des parlementaires, industriels et scientifiques russes sur la stratégie poursuivie par leur pays.

Je laisse maintenant Stéphane Piednoir présenter les succès scientifiques et industriels français dans le domaine nucléaire, les difficultés de la période récente et leurs éventuelles conséquences si nous ne réagissons pas.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. - Il nous a semblé utile de réaliser en premier lieu un rappel sur la contribution de la France au développement de l'énergie nucléaire, ainsi que sur les difficultés rencontrées dans la période récente, pour mieux mettre en lumière la nécessité d'un sursaut de la recherche et de l'industrie nucléaire française.

La contribution française aux sciences nucléaires a été décisive sur le plan scientifique, avec des figures comme Henri Becquerel, Paul Villard, Marie et Pierre Curie, ou encore Irène et Frédéric Joliot-Curie. Elle a continué après-guerre, notamment avec la création du CEA en 1945, qui a permis à notre pays de se doter en une dizaine d'années à la fois de l'arme nucléaire et de la maîtrise de l'atome pour les usages civils, en particulier pour la production d'électricité. Elle s'est poursuivie dans les années 1970 avec le déploiement, accéléré après le premier choc pétrolier, du parc de centrales nucléaires et avec la conversion de l'usine de La Hague vers le secteur civil, première étape de la mise en place d'un cycle du combustible « fermé ».

Néanmoins, les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima ont entamé la confiance des populations dans l'énergie nucléaire et ralenti son développement en Occident.

L'Office avait alerté le Gouvernement dès 1991, et les années récentes le confirment : l'absence de construction de nouveaux réacteurs s'est traduite par une perte de compétences et de savoir-faire conduisant aux difficultés récurrentes que l'on connaît, notamment sur le chantier de Flamanville. Aux États-Unis, la situation des acteurs traditionnels de l'industrie nucléaire est similaire.

Alors qu'à l'Ouest l'industrie nucléaire déclinait, à l'Est de nouveaux leaders ont émergé. D'une part, en Fédération de Russie la création de l'entreprise d'État Rosatom en 2007 a conduit à une accélération sur le plan industriel, en particulier à l'exportation, ainsi qu'en matière de recherche et développement. D'autre part, la Chine, après une phase d'appropriation des technologies étrangères, devrait dépasser dès 2030 les États-Unis et l'Europe en termes de capacité nucléaire installée, tout en investissant elle aussi fortement dans la recherche.

Ce basculement de la maîtrise de l'énergie nucléaire génère pour la France plusieurs risques : le risque d'une prise de contrôle des organisations internationales, par exemple l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), par des pays moins soucieux de non-prolifération et de sûreté nucléaires ; le risque d'une influence de la Chine et de la Russie sur un nombre croissant de pays clients, puisque le choix de l'énergie nucléaire conduit le pays client à nouer des relations de long terme avec ses fournisseurs ; à terme, le risque que la France devienne elle aussi dépendante si sa maîtrise technologique continue à décliner. Ce risque serait d'autant plus dommageable que nous pourrions avoir besoin de l'énergie nucléaire sur le très long terme, en complément des énergies renouvelables : malgré la multiplication des scénarii « 100 % énergies renouvelables », les solutions techniques nécessaires pour se passer de sources pilotables ne sont pas encore au rendez-vous. Si elle se concrétisait, cette dépendance pourrait également remettre en cause notre aptitude à maintenir une force de dissuasion crédible : sa principale composante, les sous-marins, pourrait devenir plus difficile à maintenir sans maîtrise des technologies nucléaires civiles.

Il convient également de souligner que la France est la seule puissance occidentale à exploiter de façon commerciale les technologies liées à la fermeture du cycle du combustible, fermeture que visent aussi Russes et Chinois. Les Britanniques et les Japonais ont eux aussi investi dans la fermeture du cycle, mais les premiers ont abandonné, avec le reste de leur savoir-faire nucléaire, et les seconds ne sont jamais parvenus à démarrer l'usine de Rokkasho, équivalent de La Hague.

Continuer sur la voie du déclin du nucléaire civil pourrait donc avoir de multiples et lourdes conséquences. Nous considérons qu'il ne sera pas possible d'inverser la tendance sans revenir aux fondamentaux qui ont fait de la France l'un des grands acteurs du nucléaire civil, à savoir un fort investissement dans la recherche et l'innovation, qui va de pair avec la motivation des jeunes pour un domaine scientifique et technique parmi les plus exigeants.

M. Thomas Gassilloud, député, rapporteur. - Pour répondre à la saisine du Bureau de l'Assemblée nationale, nous avons réalisé un panorama rapide des technologies nucléaires du futur.

Celles-ci s'appuient sur deux grands principes : la fission nucléaire, qui consiste à casser des atomes lourds en atomes plus petits, et la fusion nucléaire, qui consiste au contraire à rassembler plusieurs atomes légers pour former un atome plus lourd.

La fission nous intéresse en priorité, puisqu'il s'agit du mécanisme mis en oeuvre dans les réacteurs nucléaires actuels, d'autant que la fusion, avec notamment le projet international ITER à Cadarache, ne pourra probablement pas se concrétiser avant la fin du siècle. Il n'en demeure pas moins que l'objectif de maîtrise de la fusion nucléaire doit être poursuivi, puisque celle-ci ne produit aucun déchet.

Pour la fission, une première catégorie de solutions porte sur les réacteurs dits « de quatrième génération », dont les développements sont coordonnés par le Forum international génération IV. Le projet de réacteur Astrid correspondait à l'un des six concepts développés dans ce cadre.

Ces différents concepts présentent plusieurs avantages par rapport aux réacteurs actuels, par exemple des températures de fonctionnement élevées qui les rendent mieux adaptés à des usages dérivés comme la fourniture de chaleur pour des applications industrielles ou la production d'hydrogène.

Néanmoins, ils présentent également des difficultés en termes de sûreté, comme l'a mis en évidence un rapport publié en 2015 par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Cette question de sûreté constitue, à notre avis, l'obstacle principal au développement de ces technologies dans les pays occidentaux. Un réacteur innovant devrait proposer un saut en matière de sûreté pour compenser le manque de recul sur l'exploitation d'une nouvelle solution technique.

Les petits réacteurs modulaires, en anglais Small Modular Reactor ou SMR, sont la seconde grande catégorie de réacteurs du futur basés sur la fission. La plupart reprennent les principes de fonctionnement des réacteurs actuels, même si leur taille et leur puissance sont inférieures.

Ce concept de petits réacteurs inverse la tendance historique, constatée depuis le début de l'industrie nucléaire civile destinée à la production d'électricité, à savoir l'accroissement constant de la puissance des réacteurs, pour bénéficier d'un effet d'économie d'échelle. Ces SMR présentent cependant potentiellement plusieurs atouts importants.

Leur faible puissance ouvre la possibilité de réaliser un saut en matière de sûreté nucléaire, sous réserve que leur conception intègre correctement cet objectif. Leur modularité devrait permettre de standardiser les composants et de les fabriquer en série en usine, et donc de bénéficier d'un effet de série. Grâce à la construction en usine, leur réalisation sur site sera beaucoup plus simple que celle des réacteurs actuels, ce qui réduira les délais, d'un facteur de l'ordre de deux, et surtout les incertitudes, avec un impact très positif sur le financement. Leurs faibles taille et puissance les rendent plus adaptables à diverses situations : sites isolés, réseaux électriques peu développés, ressources en eau limitées, production de chaleur de proximité en cogénération pour l'industrie ou même le chauffage urbain, envisagé en Finlande, etc. Néanmoins, la multiplication des sites peut avoir un impact négatif sur la sécurité.

Un coût de production plus élevé pourrait être l'inconvénient majeur des SMR, puisqu'ils ne bénéficient pas d'un effet d'échelle comme les grands réacteurs. C'est d'ailleurs la position des industriels français. Mais ce coût de production plus élevé pourrait être compensé par l'effet de série et la simplification de la construction sur site, comme le montre, pour la partie relative au coût de construction, une étude récente basée sur les données du SMR américain le plus avancé, Nuscale.

L'industrie française : EDF, TechnicAtome, le CEA et Naval Group, développe un SMR appelé Nuward, avec l'objectif d'une commercialisation après 2030. D'une puissance de 340 mégawattheures (MWe) - deux fois 170 MWe -, il est conçu pour remplacer les centrales à charbon, à l'exportation. Nombre de projets étrangers concurrents existent, dont certains ont quelques années d'avance sur Nuward. Nous pensons donc que ce projet mériterait de voir son développement soutenu, avec l'objectif de l'accélérer.

La construction en série de ce réacteur français nécessitera une usine qui ne peut se justifier sans un volant de commandes initiales suffisant. Aussi, nous estimons qu'il sera nécessaire d'évaluer la possibilité de remplacer, après 2030, certains réacteurs de 900 MWe par des SMR, en mettant, le cas échéant, en balance les questions de coût, de sûreté et de développement industriel. Cette suggestion avait été formulée par le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), M. Bernard Doroszczuk, lors de sa récente audition devant l'OPECST.

Le succès des SMR dépendra également de la possibilité d'homogénéiser leurs conditions de certification dans les différents pays, comme c'est le cas pour l'aéronautique. L'ASN a déjà engagé des échanges à ce sujet avec ses homologues européens. L'IRSN a également pris les devants, en se proposant d'étudier la sûreté des SMR. Nous apportons notre soutien à ces démarches et demandons que l'ASN et l'IRSN disposent des moyens nécessaires pour les mener à terme.

Enfin, plus de la moitié des projets de SMR recensés par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) reprennent l'un des six concepts de réacteurs de génération IV évoqués précédemment, avec les mêmes avantages en termes de nouveaux usages, par exemple pour la production de chaleur. Ces réacteurs sont en général désignés sous l'acronyme AMR pour Advanced Modular Reactor ou « réacteur modulaire avancé ». Comme les SMR utilisant les technologies des réacteurs actuels, les AMR pourraient tirer bénéfice de leur faible puissance pour apporter un saut significatif en matière de sûreté. C'est pourquoi nous considérons qu'il s'agit d'une voie de recherche et développement importante.

Après cette description des différentes technologies en matière de réacteurs de fission avancés, Stéphane Piednoir va présenter le résultat de nos travaux pour ce qui concerne le projet Astrid. Auparavant, je le remercie pour le travail que nous avons réalisé ensemble, qui fut agréable et instructif.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. - J'ai également pris beaucoup de plaisir à travailler avec Thomas Gassilloud sur cette mission.

J'en viens donc au projet de réacteur de quatrième génération Astrid, réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, que je vais brièvement vous présenter, et à la décision rendue publique en août 2019 de ne pas en construire le prototype.

Ce projet répondait à trois enjeux majeurs. D'abord l'indépendance énergétique, en donnant à la France la capacité d'utiliser la quasi-totalité du contenu énergétique de l'uranium naturel et des matières qui en sont issues, déjà disponibles sur notre sol en grande quantité, par exemple les 350 000 tonnes d'uranium appauvri issues des opérations d'enrichissement réalisées pour les besoins du parc actuel. Ensuite, une meilleure gestion des déchets radioactifs les plus dangereux, en mettant en oeuvre la transmutation, prévue par la loi Bataille de 1991 et par la loi du 28 juin 2006 sur la gestion durable des déchets radioactifs. Enfin, la préservation des acquis de la recherche, Astrid prenant le relais de 60 ans de recherches sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium qui s'étaient concrétisées par la construction de trois réacteurs : Rapsodie, Phénix et Superphénix.

Le projet Astrid, prévu par les lois du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique et du 28 juin 2006 déjà mentionnée, a été lancé en 2010, à la suite d'une décision du président Jacques Chirac. Son financement dans le cadre du premier Programme d'investissements d'avenir (PIA) était d'environ 650 millions d'euros. Compte tenu des autres sources de financement, par exemple le budget du CEA, son coût total est estimé aujourd'hui à environ 1,2 milliard d'euros.

Le projet était encadré par une convention signée entre l'État et le CEA. Jusqu'en 2017, il s'est déroulé en conformité avec les engagements pris dans ce cadre, notamment en termes de délais, d'atteinte des objectifs techniques initialement définis et de mobilisation de nombreux partenariats, avec des industriels français et étrangers. Le Japon était le principal partenaire étranger de la France dans ce projet.

Il semblerait que dès 2017 la décision ait été prise de diviser par quatre la puissance du futur prototype Astrid, ce qui revenait à repartir sur la conception d'un nouveau réacteur.

Un article de presse paru le 29 août 2019 a fait état d'une décision consistant à ne pas poursuivre le projet Astrid au-delà de 2019 par la construction d'un prototype. Cette décision a été confirmée le lendemain par un communiqué de presse du CEA qui annonçait le report de la construction à la fin du siècle.

Deux justifications ont été avancées : le prix de l'uranium durablement bas, qui ne justifiait pas dans l'immédiat d'investir dans de nouveaux réacteurs économes en ressources naturelles, et la nécessité d'approfondir les connaissances sur le cycle du combustible associé à Astrid.

Les intérêts à long terme du pays, notamment son indépendance énergétique dans un contexte où l'électricité représentera une part croissante de sa consommation d'énergie, ne semblent pas avoir été pris en compte.

Quoiqu'il en soit, nous estimons que l'absence d'association du Parlement à cette décision et la divergence créée avec le cadre législatif ne sont pas garantes du nécessaire consensus qui doit se dégager sur des questions aussi stratégiques pour la Nation.

Nous avons identifié quatre impacts principaux de cette décision. Le premier porte sur l'image de l'industrie nucléaire française dans le monde, étroitement associée à l'objectif de fermeture du cycle du combustible et à la maîtrise des technologies associées : l'annonce soudaine de l'abandon d'Astrid sème le doute sur la cohérence de la démarche suivie par la France depuis 70 ans, et de ce fait sur les intentions de la France à long terme. En matière de recherche et développement, alors que les partenariats sont plus que jamais indispensables, nous risquons d'être perçus comme un partenaire peu fiable, en particulier par les Japonais qui pourraient alors se tourner vers les États-Unis. De surcroît, les pays qui souhaitent acheter des centrales nucléaires cherchent à établir des partenariats de long terme avec des fournisseurs fiables et pourraient donc s'interroger sur les intentions de la France.

Le deuxième impact de l'arrêt d'Astrid concerne les étudiants et les chercheurs. Astrid était le projet phare de la R&D nucléaire en France. Dans un contexte industriel déjà difficile, l'annonce de son abandon a nécessairement eu un impact négatif sur des étudiants en général peu informés sur la filière nucléaire.

Le troisième impact est très direct. Il a trait au risque de perte de l'acquis de 70 ans de recherches sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Sans un projet fédérateur, les outils de gestion des connaissances et de simulation numérique, les essais unitaires, etc. mis en place par le CEA ne suffiront pas à freiner cette dégradation au-delà de quelques années.

Le quatrième impact, de plus long terme, est le risque d'abandon de la stratégie de fermeture du cycle du combustible qui est une obligation légale prévue par la loi sur la gestion durable des déchets radioactifs de 2006. L'article 6 prévoit en effet que « la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs est recherchée notamment par le traitement des combustibles usés ». Nous estimons que la remise en cause du statut de matière de l'uranium appauvri peu après la décision intervenue sur Astrid montre que ce risque est réel. Les conséquences sont potentiellement très lourdes sur l'industrie nucléaire française et sur le stockage géologique des déchets.

Nous pensons qu'il est nécessaire de réagir rapidement, en montrant que la France dispose toujours d'une vision claire de l'avenir de l'énergie nucléaire.

Évidemment, il semble difficile, dans le contexte actuel, de proposer une nouvelle vision de la politique énergétique du pays. En revanche, nous sommes persuadés qu'il est encore possible de refonder, avant la fin de la législature, une stratégie de recherche sur le nucléaire avancé, au travers d'un projet ou d'une proposition de loi programmatique.

Un tel texte serait l'occasion d'un large débat au sein du Parlement qui permettrait notamment de réévaluer le choix stratégique de la fermeture complète du cycle du combustible ainsi que du développement des réacteurs de quatrième génération indispensables à sa mise en oeuvre. Il serait aussi l'occasion d'évoquer le statut des matières nucléaires. Il permettrait enfin de traiter de l'accompagnement de la recherche, par exemple en confirmant les objectifs poursuivis ou en prenant des mesures pour relancer la formation des jeunes, en particulier à l'université, à l'heure où les emplois dans le nucléaire seront dynamisés par les travaux de rénovation du parc.

Nous sommes persuadés qu'une telle démarche permettrait à la fois de réduire, voire d'inverser, les impacts que je viens d'évoquer et d'instaurer une nouvelle dynamique pour la recherche et les compétences en matière d'énergie nucléaire.

Cette étude nous a permis de mieux connaître la filière nucléaire française, de visiter plusieurs laboratoires et installations industrielles et de rencontrer de nombreux scientifiques, chercheurs, enseignants, ingénieurs et techniciens. Nous sommes tout à fait confiants en leur capacité à redonner à la France sa place de leader technologique de l'énergie nucléaire.

Il revient aux responsables politiques que nous sommes de leur indiquer un chemin clair et de leur donner des objectifs ambitieux, sans oublier les moyens pour les atteindre. À notre sens, c'est la principale condition du renouveau de cette industrie française de pointe, qui est un fondement essentiel de notre souveraineté et de notre indépendance.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous vous remercions pour la qualité de votre travail, riche d'informations extrêmement précises et qui tire un signal d'alarme clair quant à la crédibilité de la démarche française en matière nucléaire, qui suppose continuité et sang-froid.

Je m'interroge sur l'attitude du CEA. J'ai le sentiment que le CEA a été soulagé de l'abandon du projet de réacteur nucléaire Astrid. Les études que vous avez signalées pesaient en effet sur les finances du CEA, qui privilégierait en fait une simulation numérique d'Astrid.

M. Thomas Gassilloud, député, rapporteur. - Le projet Astrid a été, un temps, fédérateur et a entraîné autour de lui toute une filière. Il devait initialement aboutir à un démonstrateur mais les ambitions avaient déjà été réduites au regard de la puissance de l'installation. Il me semble que l'écosystème a convergé naturellement dans cette direction, en l'absence d'une impulsion politique contraire suffisamment forte. Je pense que nos échanges de ce matin reviendront sur l'implication nécessaire du Parlement pour porter une vision de long terme.

Nous avons noté un effort important de « mise sous cloche » des acquis, notamment par la réalisation d'une documentation fournie et de vidéos nombreuses, afin d'archiver les travaux déjà accomplis. Nous avons remarqué à quel point la simulation était nécessaire, mais un jumeau numérique ne suffit pas. À titre de comparaison, la modélisation seule n'aurait pas permis de progresser en matière d'essais nucléaires. Elle n'avait de signification qu'après plusieurs dizaines d'essais.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. - Je rejoins les propos de Thomas Gassilloud sur le caractère insuffisant de la simulation numérique.

Le cheminement a été progressif. Les ingénieurs et les chercheurs du CEA ont peu à peu réalisé que le projet était en perte de vitesse, avec plusieurs réductions de la puissance du prototype. En revanche, la décision du mois d'août 2019 a été perçue comme un abandon, provoquant une démotivation au sein de la communauté scientifique du CEA.

Il convient de préciser que le programme est simplement suspendu. Une disposition législative oblige en effet à poursuivre les travaux sur la fermeture du cycle. Or, aujourd'hui, Astrid est le seul projet en ce domaine. C'est pourquoi il s'agit d'une simple suspension. La poursuite de travaux numériques ne suffira pas pour autant à maintenir les acquis de la première partie du programme. Nous risquons par conséquent une perte de connaissances sur ce secteur extrêmement pointu. Il s'agit donc d'un vrai point de vigilance.

- Présidence de M. Cédric Villani, député, président de l'Office -

Mme Émilie Cariou, députée. - Je souhaite formuler plusieurs observations sur votre rapport, qui aura un impact sur le rapport que Bruno Sido et moi devons produire sur le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR).

Vous pointez le risque d'une perte de compétences en matière nucléaire. Depuis le début de la législature, l'ASN alerte l'Office sur ce sujet. La commission Pompili avait également conclu à une alerte sur la perte de compétences dans la filière nucléaire. Depuis plusieurs années, une multitude de rapports en font mention. Quelle est la stratégie du Gouvernement en la matière ? Commence-t-il par exemple à élaborer une stratégie de formation, à défaut de laquelle la France risquerait de devoir faire appel à des scientifiques, ingénieurs et techniciens étrangers pour gérer le nucléaire français, créant un risque particulier ?

Parmi les projets de SMR que vous évoquez, vous indiquez qu'une option est intéressante. Qu'en pense EDF ? Le débat démocratique est inexistant. J'ai le sentiment d'une absence totale de transparence de la part des personnes qui prennent des décisions dans le domaine du nucléaire.

Pouvez-vous, par ailleurs, nous informer sur l'impact des SMR en termes de déchets ?

Vous avez souligné l'absence totale de processus démocratique dans l'abandon d'Astrid et du cycle fermé du combustible. J'ai le sentiment qu'après 30 ans de progrès dans l'association du Parlement aux décisions de politique énergétique et nucléaire, nous vivons un recul de la transparence démocratique. Les raisons sont multiples. En premier lieu, des décisions allant contre la loi sont prises par des administrations et des instances technocratiques. Le Parlement ne peut pas l'accepter. La loi n'a pas été respectée, en particulier le PNGMDR n'est toujours pas publié. Le Gouvernement est en situation de violation de la loi. Si le plan avait été déposé, nous connaîtrions la vision du Gouvernement sur l'ensemble des sujets évoqués précédemment.

Vous souhaitez une loi qui permettrait de rediscuter de politique énergétique. Un débat public serait également utile. La Commission nationale du débat public (CNDP) pourrait y être associée. La loi devrait aussi intégrer de nouveaux objectifs de transparence démocratique et la création d'un secret nucléaire pour les parlementaires, afin de permettre à quelques-uns d'avoir accès à des informations qui leur sont aujourd'hui interdites. Lorsqu'elle était députée, Barbara Pompili avait déposé une proposition de loi sur un tel secret. Je l'invite à la cohérence pour avancer sur le sujet. Je sollicite enfin de la transparence en matière financière. Je ne comprends pas comment il est possible d'effectuer des choix stratégiques d'orientation nucléaire sans projections financières. Elles sont indispensables à des choix éclairés.

Aujourd'hui, ces éléments manquent. De ce fait, EDF nous placera devant des non-choix dans 5, 10 ou 20 ans.

M. Thomas Gassilloud, député, rapporteur. - Nous sommes tous d'accord quant au déclin en matière de compétences. C'est d'ailleurs le cas dans beaucoup d'industries. Dans le domaine de de la défense, au contraire, l'État assume de passer des commandes pour maintenir les compétences. Il n'a malheureusement pas agi de même dans le nucléaire civil. La situation n'est pas propre à l'actuel Gouvernement puisque, dès 1991, l'OPECST signalait que l'absence de construction de nouveaux réacteurs se traduisait par une perte de compétences.

Je ne suis pas certain que nous devions attendre d'EDF une vision de long terme. EDF est en effet un industriel, soumis à des contraintes de court terme. La France ne peut pas s'appuyer uniquement sur EDF pour définir ses choix, d'autant que ces choix ont des dimensions éminemment stratégiques qui dépassent le secteur de l'électricité.

Les SMR sont des réacteurs à eau pressurisée. Ils devraient donc produire approximativement la même quantité de déchets que les autres réacteurs.

Enfin, je pense que l'implication du Parlement dans la gouvernance énergétique est nécessaire, quel que soit le gouvernement, car elle seule permet de construire une vision de long terme. Au Parlement, en effet, il est possible de faire travailler ensemble toutes les sensibilités politiques. En outre, les parlementaires se donnent le temps de la réflexion. Enfin, le Parlement est capable d'exprimer une vision de long terme, peut-être même davantage que l'exécutif, notamment parce que certains parlementaires effectuent plusieurs mandats. Nous devons par conséquent remettre en évidence l'impérieuse nécessité d'associer le Parlement aux décisions à prendre.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. - Au-delà du débat démocratique, il est impossible de faire machine arrière sans consulter le Parlement.

Les SMR et les EPR ne s'opposent pas. Nous approchons de l'effet « falaise », puisque les 45 réacteurs construits en 15 ans arrivent quasi simultanément en fin d'exploitation. Même s'il était possible de les prolonger de 10 ans, cela ne ferait que repousser l'effet « falaise », tandis que les besoins en électricité augmentent. Il existe ainsi un impératif en termes d'outil de production et un impératif de R&D, qui doit s'appuyer davantage sur l'université. Il semble indispensable, en effet, de mobiliser les étudiants sur des formations générales de physique nucléaire, avant qu'ils ne se spécialisent dans un domaine particulier.

M. Bruno Sido, sénateur. - Je félicite les rapporteurs qui ont réalisé un travail considérable. L'arrêt d'Astrid est fâcheux car, dans une période où le dérèglement climatique est évident, l'ensemble des pistes doivent être suivies. L'arrêt d'Astrid nous permet cependant de réfléchir. Nous nous lançons en effet à corps perdu dans un certain nombre d'initiatives : les éoliennes, l'énergie photovoltaïque, etc. à des prix souvent délirants. Les méthaniseurs sont, par exemple, une catastrophe. Je pense que nous devrions organiser une audition sur ce sujet, qu'il faut prendre à bras-le-corps.

Je constate que le fonctionnement de l'État est curieux. Le CEA a été créé en 1945 dans le seul but d'obtenir l'arme atomique. Du plutonium était nécessaire. Le CEA a développé le procédé de production du plutonium. Aujourd'hui, le plutonium disponible est suffisant. Or nous avons le sentiment que le CEA, que j'inclus dans l'État, refuse de réfléchir à d'autres types de centrales. Il existe pourtant d'autres solutions fonctionnelles. Par exemple, les sous-marins nucléaires d'attaque soviétiques fonctionnaient avec des réacteurs au thorium et des réacteurs sous-critiques : les combustibles étant choisis pour que moins d'un neutron par fission induise une nouvelle fission, un tel réacteur ne pouvait maintenir la réaction en chaîne par lui-même. De leur côté, les Français sont moins favorables au nucléaire qu'ils ne l'étaient. Trois accidents sont survenus à la suite d'erreurs humaines et ils doutent de la sûreté des centrales. Ils attendent que cette sûreté soit garantie. Il convient par conséquent de réfléchir aux réacteurs sous-critiques. Il s'agit d'un impératif pour relancer le nucléaire en France. Ma question est simple : y avez-vous pensé ? Envisagez-vous un autre rapport sur le sujet ?

M. Julien Aubert, député. - Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leur rapport, qui met en lumière l'absence de stratégie nucléaire. Il est beaucoup question actuellement de « stratégie énergétique », ce qui suppose qu'une telle stratégie vaudrait pour l'ensemble des énergies. Le rapport montre qu'il est possible, pour des personnes minoritaires défavorables au nucléaire, de contourner le débat démocratique en s'attaquant à un maillon faible du système, la fermeture du cycle et le projet Astrid. Or, cette démarche va à l'encontre de certaines lois, par exemple celle qui prévoit l'enfouissement des déchets. Cela suscite des difficultés en cascade, jusqu'à donner argument du problème des déchets pour exiger l'arrêt du nucléaire.

Je souhaite connaître votre sentiment sur deux autres points.

Les contradictions dans le débat nucléaire ne contraignent-elles pas les gouvernements successifs à avancer timidement, ce qui est la pire option ? Par exemple, il est question maintenant de construire six EPR, tandis qu'il était possible d'en construire plusieurs dizaines lorsque François Mitterrand était président de la République.

Sur le projet Astrid, le fait d'avoir progressivement « réduit la voilure » n'incite-t-il pas à investir de manière insuffisante, jusqu'à faire perdre tout intérêt au projet ? Le projet Astrid n'a-t-il pas aussi été victime de l'organisation de la filière nucléaire ? Si EDF et Areva avaient été une seule entreprise, la question du cycle et de l'avenir des piscines de La Hague n'aurait-elle pas permis de rééquilibrer l'intérêt d'EDF pour la solution Astrid ?

Mme Huguette Tiegna, députée. - Je souhaite féliciter les deux rapporteurs pour l'excellent travail qu'ils ont réalisé. Ma question se tourne vers l'avenir. Nous savons que le CEA se développe continuellement et se diversifie. Depuis 2017, le Parlement a voté plusieurs projets de loi, notamment la loi Climat et énergie, où figure l'objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité en 2050. Ces projections restent-elles valables ? L'arrêt du projet Astrid les contredit-il ?

Je ne suis pas certaine que les difficultés rencontrées pour attirer des jeunes vers les formations dans le domaine nucléaire soient uniquement dues au manque de financements. Indépendamment du secteur stratégique dont il est question, la France subit une forme de démotivation de la jeunesse. Les causes sont donc peut-être à trouver ailleurs, notamment dans l'organisation des formations et des parcours des élèves. Pouvez-vous indiquer quels seront les moyens permettant que les jeunes continuent de s'intéresser au nucléaire ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Je vous remercie pour votre rapport, qui est intéressant, mais déprimant. En vous lisant, nous nous demandons où va la France. Je m'interroge sur la façon dont nous préparons notre avenir.

J'ai toujours entendu dire que la décision de Dominique Voynet d'arrêter Superphénix avait été une catastrophe technique et scientifique. Estimez-vous que l'arrêt d'Astrid puisse être qualifié de même ? Surtout, je suis extrêmement étonnée du fait qu'il ne s'agisse pas d'une décision politique, mais strictement administrative.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - J'émets des doutes sur le caractère administratif de la décision.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je remercie les rapporteurs pour le travail de très grande qualité qu'ils ont réalisé. Le rapport est dense, mais extrêmement synthétique au regard de l'extrême complexité et de l'ampleur du sujet. En articulation avec ce travail, Émilie Cariou et Bruno Sido nous livreront bientôt leur rapport sur le PNGMDR. Le rapport qui nous est présenté aujourd'hui est déjà éclairant. Il porte à juste titre un regard sévère sur l'état actuel de la stratégie de l'État en matière d'énergie nucléaire.

L'abandon d'Astrid - nous pouvons discuter du fait qu'il s'agisse d'un abandon ou d'une suspension et je n'ai, pour ma part, pas compris les initiatives prévues pour la suite s'il s'agit d'une suspension - n'est pas simplement l'abandon d'un projet. L'ensemble de la stratégie est impacté. Les conséquences interviennent en amont, sur la politique d'approvisionnement et sur l'indépendance stratégique de la France, par rapport à l'uranium par exemple. Les conséquences sont aussi extrêmement importantes en aval. J'aurais souhaité, à cet égard, des précisions complémentaires quant aux conséquences sur le projet Cigéo, dont vous dites qu'elles peuvent être importantes.

Le rapport est encore plus inquiétant en termes de ressorts démocratiques, lorsqu'il constate que l'on ignore qui a pris la décision d'abandonner Astrid et la manière dont cette décision a été prise. Les raisons pour lesquelles Astrid a été, à un moment donné, sous-dimensionné par rapport au projet initial sont elles-mêmes obscures. Cette situation est extrêmement dérangeante et n'envoie pas de signaux positifs en termes de transparence.

Vous détaillez les avantages des SMR et vous évoquez une réticence visible d'EDF par rapport à ce type de réacteurs, motivée par le coût d'électricité produite. Je souhaite connaître l'état d'avancement de la recherche française sur les SMR. La stratégie française n'est-elle pas déjà embourbée ? Je crois me souvenir qu'il existe 70 projets de construction de SMR à travers le monde, avec des options assez différentes. Je peine à comprendre un tel enthousiasme si le principe même des SMR est associé à des conditions économiques de production défavorables. La réticence des acteurs français n'est-elle pas elle aussi le signe d'une difficulté quant à la stratégie à suivre dans cette nouvelle voie ?

La saisine soumise par le président Chassaigne visait à évaluer les conséquences de la décision au niveau climatique, énergétique et industriel. Vos exposés ont abordé la question énergétique et la question industrielle. Vous semblez mettre de côté la question climatique. Je souhaite pousser le raisonnement. Vous mentionniez le fait qu'une nouvelle centrale à charbon ouvre chaque semaine dans le monde. Imaginons que les SMR soient faciles à construire et à exporter. Ils rendraient l'énergie nucléaire civile développable partout dans le monde sans difficultés administratives, technologiques, etc. Quels seraient les impacts d'une telle généralisation, notamment en termes d'émission de gaz à effets de serre et de consommation d'autres ressources ? Par exemple, l'approvisionnement en eau peut-il poser problème, notamment en période de canicule ? Quelles sont donc les conséquences à prévoir sur l'exploitation des ressources et le climat ?

M. Thomas Gassilloud, député, rapporteur. - Pour répondre à Bruno Sido, la question des réacteurs sous-critiques n'est pas abordée. Elle pourrait l'être puisqu'elle peut viser la transmutation. Nous ajouterons par conséquent un paragraphe sur le sujet. Je ne partage pas son opinion sur les méthaniseurs mais il s'agit d'un autre sujet.

S'agissant de la vision que les citoyens ont du nucléaire, un décalage s'est créé, notamment en termes de contribution supposée du nucléaire au dérèglement climatique, alors qu'il s'agit de l'énergie qui produit le moins de dioxyde de carbone, y compris par rapport aux panneaux solaires et aux éoliennes, sur l'ensemble du cycle de vie.

Superphénix était le premier réacteur à neutrons rapides de format industriel dans le monde. Il aurait permis à la France de disposer d'une avance par rapport aux autres pays. Astrid est un palliatif à l'arrêt de Superphénix, notamment pour avancer en matière de sûreté. C'est pourquoi je pense, en toute humilité, que nous pouvons questionner la façon dont a évolué notre rapport au nucléaire lors des 30 ou 40 années écoulées.

Deux éléments ont été fatals à la quatrième génération de réacteurs. Le premier est le coût de la matière nucléaire. Même dans les réacteurs à eau pressurisée, il représente quelques euros par mégawattheure. Il a pu être considéré que le coût de la matière n'était pas suffisant pour justifier des investissements importants à court terme. Le calendrier de la décision sur Astrid doit aussi être lu par rapport à la construction d'EPR. Était-il possible politiquement d'annoncer le lancement de la quatrième génération de réacteurs, alors qu'il continue d'exister des incertitudes sur la troisième génération ?

Je voudrais finir sur une note positive. Je note les impulsions positives données en matière nucléaire ces dernières années, avec la décision concernant la chaufferie du porte-avions de nouvelle génération, qui sera nucléaire. Il s'agit d'un signe fort adressé à la filière. Citons en outre l'implication française en faveur de l'énergie nucléaire, notamment dans les négociations sur la taxonomie européenne. La crise sanitaire incite à se poser les bonnes questions en termes de résilience. À cet égard, la quatrième génération doit également être prise en compte dans une dimension quasi assurantielle, et non pas uniquement par rapport au prix du mégawattheure : la France doit tester sa capacité industrielle et énergétique à garantir son autonomie en termes de production énergétique. Pour conclure sur cette note positive, nous avons la conviction que le nucléaire donne un avantage comparatif important à la France. L'ambition à l'export peut, quant à elle, être revivifiée : avec la quatrième génération, la France pourra exporter à la fois son savoir-faire industriel et la matière « uranium appauvri » dont elle dispose. Nous pourrons même ambitionner d'exporter de l'énergie avec le couplage entre nucléaire et hydrogène et de faire ainsi de la France le « château d'eau » à hydrogène de l'Europe.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. - Huguette Tiegna s'interrogeait sur la mobilité électrique, sujet sur lequel nous avions tous deux réalisé un rapport pour l'Office il y a deux ans. Je ne pense pas que l'on puisse corréler l'arrêt du programme Astrid avec l'essor de la mobilité électrique, qui est tout à fait réel. Le signal a été donné et les constructeurs « s'engouffrent dans la brèche ». Les publicités pour voitures le montrent : elles concernent maintenant les véhicules électriques ou hybrides, et non plus les véhicules à moteur thermique. Le besoin en électricité augmentera de manière considérable dans notre pays. En Allemagne et au Royaume-Uni, les projections prévoient une augmentation de 70 % dans les prochaines décennies. En France, les scénarios continuent pourtant de tabler sur une réduction de la consommation électrique de 20 %. C'est en total déphasage avec la logique de la décarbonation de l'économie.

La question climatique est évoquée dans le rapport au travers des centrales à charbon. Le rapport évoque les SMR et leur puissance de moins de 300 mégawatts. Le projet Nuward envisagé par EDF correspond à deux fois 170 mégawatts. Ce type de projet pourrait être adapté pour remplacer les centrales à charbon, nettement plus productrices de CO2. Cette solution ne remplacerait pas les réacteurs de 900 ou 1 300 mégawatts. En revanche, elle pourrait assurer le remplacement des centrales à charbon.

Julien Aubert promeut un « modèle russe », où l'ensemble des outils sont centralisés au niveau d'un même opérateur. L'histoire du nucléaire en France est passée par le CEA, Areva et désormais Orano. De nouvelles gouvernances sont peut-être à envisager. Il ne m'appartient pas de me prononcer aujourd'hui. Sur les décisions politiques, il y a eu une absence coupable de décision au début des années 2000, avec un exécutif plutôt à droite. Ensuite, sous le quinquennat de François Hollande, il a été prévu de réduire à 50 % en 2025 la part du nucléaire dans la production d'électricité. Aujourd'hui, le taux est de 70 %. Emmanuel Macron a donc repoussé l'objectif à 2035. Je pense que nous n'y parviendrons pas. Au-delà, le parc nucléaire doit rester une force dans notre pays. Nous devons nous appuyer sur nos atouts. L'origine des décisions, administrative ou politique, m'échappe. Je n'étais pas dans les arcanes du pouvoir. Il est certain néanmoins que nous devons nous appuyer sur l'atout du nucléaire.

Mme Émilie Cariou, députée. - Est-il possible de mentionner, dans votre proposition d'un débat parlementaire, la nécessité de réaliser des projections financières sur l'ensemble des options à prendre en matière énergétique ? En effet, nous avançons aujourd'hui « à l'aveugle » en ce domaine.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je n'ai pas eu de réponse sur Cigéo. Je souhaite également émettre une remarque sur la page 12 du projet de rapport. Il me semble que la première phrase doit être reformulée, car il existe une ambiguïté sur les « sources pilotables » évoquées. En outre, les scénarios 100 % énergies renouvelables tablent sur des développements technologiques futurs et une certaine intensité d'innovation, mais les projections dépendent également des évolutions de la consommation. La France table sur une diminution, tandis qu'il existe des raisons de penser à une augmentation. Il s'agit cependant également de choix de société. La formulation doit donc tenir compte des éléments précédents et des hypothèses à venir.

- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office -

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Sur Cigéo, je suis en effet très préoccupé par le contenu du rapport. Le sujet mériterait probablement une étude. Le site de Bure a été conçu pour stocker les produits vitrifiés actuels dans des conditions parfaitement définies. Si nous changeons de pratiques, les conditions de stockage varient également. Comment percevez-vous ce sujet sensible ?

M. Thomas Gassilloud, député, rapporteur. - La partie relative aux enjeux climatiques sera effectivement complétée. Concernant le scénario 100 % énergies renouvelables, nous avons auditionné RTE. Nous doutons de sa pertinence technique et économique, dans le sens où il repose sur une capacité à moduler la consommation en période de pointe et à stocker l'énergie excédentaire en temps de sous-consommation. Nous ne croyons pas non plus à une baisse tendancielle de la consommation électrique, avec notamment l'essor déjà visible des usages décarbonés de l'électricité. Enfin, je juge utile de prendre en compte la dissuasion dans notre pays. Or, la dissuasion nécessite de posséder des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, avec des chaufferies nucléaires, pour qu'ils restent furtifs, ce qui nécessite le maintien d'une filière nucléaire.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. - Gérard Longuet, qui connaît parfaitement le dossier Cigéo, a identifié l'enjeu. Le projet de stockage géologique Cigéo doit être questionné si le programme Astrid est abandonné sans être remplacé par un axe de recherche équivalent sur la fermeture de cycle.

M. Bruno Sido, sénateur. - Cigéo a été conçu pour stocker les déchets existants. La décision a en effet été prise de ne pas transmuter, sans en informer d'ailleurs le Parlement. Cigéo reste par conséquent pertinent, puisque les déchets existent.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je félicite de nouveau les deux rapporteurs pour leur travail. Sur le sujet abordé, une expression forte du Parlement me paraît indispensable.

La suspension d'Astrid a été annoncée après que François Jacques, qui a dirigé l'ANDRA, a été nommé administrateur général. Il connaît la question des déchets, la loi de 1991 et la loi de 2006. Sa difficulté est celle du gestionnaire d'un CEA qui n'a pas les moyens financiers de poursuivre ses ambitions, avec une interrogation sur le budget d'Astrid : 1,3 milliard d'euros ou 5 milliards d'euros ? Rappelons-nous que le programme nucléaire français, voulu par le président Pompidou, était un système économiquement absurde quand il a été mis en place. Il était politiquement légitime pour assurer l'indépendance énergétique de la France, alors que l'énergie fossile était à l'époque moins coûteuse que l'énergie nucléaire. Cette dimension économique a disparu après les chocs pétroliers, qui ont rendu le nucléaire compétitif. J'évoque ce point car, en 2010, est intervenue une décision d'agir, et, en 2018, est intervenue une décision de ne pas agir, qui résulte d'une absence de stratégie nucléaire. Le nucléaire est simplement considéré comme un mal nécessaire. Le Président de la République a pris la décision de reporter à 2035 l'idée de modifier le mix énergétique. Les questions du coût de l'énergie électrique et du coût de la fermeture du cycle n'ont en revanche pas été évoquées. Nous en souffrons aujourd'hui. EDF, de son côté, est réservée sur l'innovation dans le nucléaire. Elle n'a pas les moyens de financer l'exploration de pistes nouvelles. La décision sur Astrid a tout simplement été prise sans fondement chiffré. La gestion politique d'ensemble du dossier est totalement défaillante, du fait que le Parlement n'y est pas associé. Je me félicite par conséquent que le rapport amène le Parlement à assumer ses responsabilités, en particulier avant le débat présidentiel.

Mme Émilie Cariou, députée. - Les enjeux financiers se comptent en milliards d'euros, qui sont provisionnés, en théorie, au fil du temps. Je ne comprends pas comment EDF pourrait se retrouver face à un mur financier par manque de visibilité. C'est pourquoi nous devons nous réapproprier le sujet.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Le dossier est en effet nécessairement parlementaire. Je vous propose, pour conclure, d'autoriser la publication du rapport, tout en sachant que chaque paragraphe donnera lieu à des discussions. Notre rôle reste cependant d'ouvrir l'ensemble des sujets, y compris les plus difficiles.

L'Office autorise la publication du rapport.

Audition de Gilles Pijaudier-Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) sur le rapport annuel de la Commission  pour  2020

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - La Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) a été instituée par la loi du 28 juin 2006. Elle a succédé à une première commission scientifique créée par la loi « Bataille » de 1991. Ses membres sont des scientifiques bénévoles. Ils ont collectivement la mission d'évaluer l'état d'avancement des recherches et des études relatives à la gestion des matières et déchets nucléaires. La frontière entre matières nucléaires et déchets nucléaires est précisément au coeur de la problématique du projet Astrid. La Commission publie un rapport annuel transmis au Parlement. Il s'agit d'une véritable base pour les débats qui seront obligatoirement engagés. Nous allons commencer par écouter la présentation du rapport annuel pour 2020, faite par son président, le professeur Gilles Pijaudier-Cabot, puis nous échangerons sur les questions ainsi soulevées.

M. Gilles Pijaudier-Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2). - Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la CNE2 a pu travailler dans des conditions quasiment normales, nonobstant le fait que nous avons conduit nos auditions à distance. Pour faire suite à une demande de l'Office, nous avons travaillé sur les conséquences de la crise sanitaire et nous vous avons présenté les conclusions de ces travaux spécifiques en mars dernier. Le contexte nucléaire a été particulièrement évolutif en 2020-2021, notamment avec le plan de relance et la préparation du PNGMDR. Cette année, le rapport propose une synthèse sous la forme d'encadrés formulant des recommandations pour mettre en oeuvre la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2020. La Commission suivra en outre avec attention les études et recherches menées dans le cadre du plan de relance. J'ajoute que deux membres ont décidé de démissionner en janvier 2021 pour des raisons personnelles. Ils n'ont donc pas contribué à l'élaboration du rapport.

La première dimension abordée dans le rapport concerne les enjeux de la PPE. Quatorze réacteurs de 900 MWe doivent être mis à l'arrêt d'ici à 2035, imposant l'utilisation de combustible MOX dans des réacteurs de 1 300 MWe pour limiter l'augmentation du stock de combustible usé UOX (oxyde d'uranium). Une étape intermédiaire avant le déploiement des réacteurs à neutrons rapides est prévue pour 2050 environ : c'est le multi-recyclage du plutonium en réacteur à eau pressurisée (MRREP), qui présente des défis majeurs non résolus à ce jour. La PPE impose d'instruire la planification des opérations d'assainissement et de démantèlement, l'augmentation de la capacité de stockage des déchets de très faible activité (TFA), et la création d'un stockage pour les déchets de faible activité à vie longue (FAVL).

La Commission observe que les priorités de R&D doivent évoluer pour suivre l'évolution de la place et des modalités d'exploitation du nucléaire dans le mix énergétique français. La Commission a consacré cette année ses travaux à trois sujets qu'elle considère prioritaires : les pistes de recherche sur les « alternatives » au stockage profond ; les travaux sur la séparation ; le déploiement du projet Cigéo. A l'instar de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la Commission estime que le déploiement de la nouvelle stratégie française appelle des décisions à prendre d'ici 5 ans pour ce qui concerne les capacités de stockage, le cycle des matières et la gestion des déchets. La Commission rappelle qu'il sera difficile d'attirer de nouveaux talents vers la R&D sans un engagement à développer une industrie nucléaire sûre et performante s'intégrant dans un mix énergétique décarboné.

Une « alternative » au stockage profond est une installation ou une combinaison d'installations, éventuellement associées à des procédés de traitement et de conditionnement spécifiques, qui permet de garantir le même niveau de sûreté qu'un stockage profond pendant la même durée et sous les mêmes contraintes, c'est-à-dire la prise en charge des déchets avec les mêmes performances de sûreté et une prévision des moyens financiers associée.

Il n'y a pas lieu de remettre en cause le consensus scientifique au sujet de l'entreposage de longue durée : il ne s'agit pas d'une alternative possible au stockage profond. Les alternatives sont fondées sur la transmutation. La transmutation d'un radionucléide à vie longue vise à le transformer en un ou plusieurs autres radionucléides de période radioactive plus courte. Une étape indispensable consiste à séparer et isoler les radionucléides à transmuter. Même si elles requièrent des avancées significatives, les technologies envisagées aujourd'hui pour la transmutation pourraient déboucher sur des installations industrielles avant la fin du siècle, à la condition que des moyens importants leur soient consacrés.

En revanche, il est vain d'espérer que la transmutation permette de s'affranchir d'une installation de stockage profond. Une telle installation restera nécessaire pour gérer les déchets de haute activité à vie longue déjà vitrifiés, les déchets de moyenne activité à vie longue dont la transmutation n'est pas réaliste, et les déchets ultimes issus de la séparation et de la transmutation.

Les alternatives au stockage géologique profond reviennent sur le devant de la scène, dans le plan de relance et le PNGMDR. La Commission examinera tous les concepts nouveaux « d'alternative » au stockage géologique profond, scientifiquement documentés, qui pourraient émerger. Elle auditionnera les scientifiques concernés, afin d'avoir la capacité d'évaluer au mieux leurs travaux pour en informer le Parlement.

Le deuxième grand chapitre de notre rapport traite de la recherche et du développement sur la séparation. La séparation pour le multi-recyclage du plutonium permet de retraiter le combustible usé pour isoler les matières valorisables afin de fabriquer de nouveaux combustibles. Elle est incontournable pour le déploiement du multi-recyclage du plutonium. Il n'est pas acquis que le procédé Purex de retraitement du combustible usé UOX puisse être transposé aux quantités industrielles de combustible usé de type MOX à retraiter en vue du multi-recyclage en REP, et a fortiori en réacteurs à neutrons rapides, car les teneurs en plutonium y sont beaucoup plus élevées. La faisabilité scientifique d'un procédé de substitution semble acquise à l'échelle du laboratoire. Dans la perspective d'une mise en oeuvre du multi-recyclage en REP à partir de 2040, et en tenant compte de la nécessaire rénovation des installations de la Hague prévue à cette date, la faisabilité industrielle des nouveaux procédés de séparation devra impérativement être établie avant 2030 pour que les calendriers de la PPE soient plausibles.

La séparation sert également en amont de la transmutation des actinides. L'américium est l'élément le plus pénalisant pour un stockage profond. Il y aurait donc un intérêt à le transmuter, ce qui exigera de l'isoler en aval du procédé de retraitement. L'atteinte d'un rendement global de transmutation significatif nécessite plusieurs cycles d'irradiation et de retraitement. Un procédé spécifique a été développé en France à l'échelle du laboratoire ; il reste à l'industrialiser. L'absence d'installations d'irradiation en spectre rapide en Europe rendra d'autant plus difficile toute expérimentation sur plusieurs cycles de transmutation. En tout état de cause, la recherche sur la séparation est un axe indispensable pour la mise en oeuvre de la PPE et devrait bénéficier d'un très haut niveau de priorité. Force est de constater que ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Le troisième aspect concerne le projet Cigéo. Dans la mesure où l'inventaire de référence reste inchangé, la PPE n'a pas d'impact sur les études et recherches concernant le projet Cigéo, en particulier sur la préparation de la demande d'autorisation de création (DAC). La Commission a conclu dans ses deux derniers rapports que l'ANDRA disposait des connaissances scientifiques et des éléments techniques suffisant au dépôt de cette demande. Des connaissances restent toutefois à consolider, avant le dépôt du dossier de DAC ou d'ici la fin de son instruction, notamment sur deux sujets.

Les phénomènes de radiolyse et de corrosion produiront de l'hydrogène, ce qui provoquera sur le long terme une montée en pression temporaire dans le stockage. Le critère de conception du stockage vis-à-vis de ce phénomène est respecté, mais la Commission considère que l'ANDRA devra expliciter les marges liées d'une part aux processus physiques mis en jeu, d'autre part aux modalités techniques mises en oeuvre.

Le stockage de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) bitumés avait fait l'objet de réserves relatives au risque d'incendie. Les producteurs ont défini un programme de travail approprié, dont les résultats sont désormais attendus.

Par ailleurs, selon la loi de 2016 sur la réversibilité, Cigéo débutera par une phase industrielle pilote (« phipil »), au cours de laquelle une partie de l'installation sera construite. Seules quelques familles de déchets y seront admises pour stockage. La Commission rappelle l'importance d'une définition claire et partagée du processus de gouvernance opérationnelle du projet Cigéo avant le lancement de la phipil. Le schéma adopté doit définir qui est concerné, pourquoi, comment et quand. Sa simplicité est un gage d'efficacité. La phipil aura atteint son objectif quand elle aura répondu aux enjeux suivants mettant en pratique la gouvernance définie au préalable : la démonstration de la réalisation technique des composants de Cigéo ; la démonstration du bon fonctionnement de l'installation par des essais de qualification et par des tests de mise en oeuvre de la réversibilité ; la démonstration du bon déroulement de son exploitation industrielle.

Le dernier point concerne l'activité scientifique future en soutien au projet Cigéo. L'outil numérique de visualisation du stockage dans son environnement géologique développé par l'ANDRA pourra utilement intégrer les informations acquises ultérieurement dans une démarche d'amélioration continue (jumeau numérique). L'exploitation de Cigéo nécessitera jusqu'à sa fermeture, et donc pendant plus de cent ans, de tester des innovations et des adaptations, ce qui ne saurait être réalisé dans une installation nucléaire de base en fonctionnement. La Commission considère qu'il sera nécessaire de maintenir en activité le laboratoire souterrain de Meuse-Haute Marne pendant toute l'exploitation du stockage.

M. Jean-Paul Minon, membre de la CNE2. - Je suis le membre belge de la Commission. Avec notre collègue suédoise, Saida Laârouchi Engström, et notre collègue espagnol, José Luis Martinez, nous avons jugé intéressant cette année de nous pencher sur les pratiques de gouvernance dans les différents pays du monde confrontés à la gestion des déchets radioactifs et au développement d'un stockage.

Des bonnes pratiques ont été identifiées en matière de gouvernance. Un processus de gouvernance stratégique clair et transparent est une condition requise. Ce processus vise en premier lieu à établir l'engagement de la communauté nationale dans la recherche proactive d'une solution respectueuse des générations futures tout en tenant compte des intérêts légitimes des populations locales directement impliquées aujourd'hui.

Chaque type de gouvernance est spécifique à la question à résoudre et à la culture démocratique du pays concerné. Il s'appuie sur les acquis de la recherche, y compris en sciences humaines et sociales. Il identifie les responsabilités des différents acteurs en particulier dans l'enchaînement des décisions à prendre.

Qu'elle soit stratégique ou opérationnelle, la gouvernance doit être structurée et documentée, permettant ainsi de progresser et de conclure pas à pas. Elle implique, à l'aboutissement du processus, de décider sur la base des conclusions formulées.

Mme Émilie Cariou, députée. - Je vous remercie pour votre présentation. Vous définissez une « alternative » au stockage comme un conditionnement qui permet de garantir le même niveau de sûreté qu'un stockage profond pendant la même durée et sous les mêmes contraintes. Sur la durée, je ne vois pas comment un autre moyen de stockage aussi efficace peut être envisagé. Cela étant, des questions continuent de se poser en matière de sûreté du stockage profond. L'ANDRA indique que les déchets bitumés, notamment, seront traités ultérieurement, sans davantage de précisions. L'ANDRA devra, quoi qu'il en soit, répondre aux questions qui se posent encore sur le critère de sûreté, afin de pouvoir avancer.

Le critère de la réversibilité a aussi été inscrit dans la loi. La conclusion à tirer sur cette base peut être inverse de celle tirée sur la base du critère de sûreté. En effet, l'entreposage de longue durée répond davantage que Cigéo au critère de réversibilité. Il est étrange d'orienter les réponses. Certaines lois semblent primer sur d'autres. Je souhaite en connaître les raisons. Selon moi, le critère de réversibilité ne peut pas être ainsi effacé des objectifs poursuivis en matière de gestion des déchets nucléaires.

Vous semblez indiquer que les décisions prises sur Astrid n'ont pas d'impact puisqu'il s'agit de traiter les déchets existants. Nous considérons pour notre part qu'elles ont un impact considérable. Les décisions qui seront prises sur l'abandon de la solution du cycle fermé nous conduiront nécessairement à nous interroger sur la gestion des déchets. Donc, pourquoi s'interdire de mener de front deux sites pilotes, l'un en couche géologique profonde et l'autre en entreposage de longue durée ?

M. Bruno Sido, sénateur. - S'agissant des « alternatives » au stockage géologique des déchets, l'entreposage à sec des combustibles usés peut-il être une solution d'attente satisfaisante en vue d'une séparation puis d'une transmutation des radionucléides qu'ils contiennent ?

La séparation-transmutation des trois actinides mineurs permettrait-elle de réduire la radioactivité des déchets de haute activité après quelques centaines d'années ?

Ma dernière question est plus générale. Comment positionnez-vous la France dans le panorama international de la gouvernance de la gestion des déchets radioactifs ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Sur le sujet du multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée, vous indiquez que la PPE, en l'état, augmenterait la production d'actinides mineurs. Pouvez-vous apporter des précisions, notamment quant à la nocivité des déchets produits par le multi-recyclage ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je vais compléter la question précédente. En page 15 de votre présentation, vous écrivez « Dans la mesure où l'inventaire de référence reste inchangé, la PPE n'a pas d'impact sur les études et recherches concernant le projet Cigéo et en particulier sur la préparation de la demande d'autorisation de création (DAC). » Je cherche à comprendre ce que pourraient être des changements dans l'inventaire de référence.

M. Gilles Pijaudier-Cabot. - Pourquoi écartons-nous l'idée que l'entreposage de longue durée pourrait être une alternative au stockage géologique ? Au rythme actuel, nous devrons entreposer des combustibles et des déchets durant plus d'un siècle. L'entreposage de longue durée correspond à une durée typique d'un siècle. La réversibilité correspond à la même durée typique d'un siècle. Le stockage correspond à 100 000 ans. Ceci crée une difficulté. Nous aurions du mal à recommander un stockage dont la validité ne serait démontrée que pour une centaine d'années.

La réversibilité est évidemment importante. Nous sommes convaincus qu'il faudra entreposer des déchets pendant une durée relativement longue. Il est évidemment nécessaire de disposer de sites pour pratiquer l'entreposage durant des durées séculaires et de sites qui permettront de disposer définitivement des déchets. Les solutions ne sont donc pas incompatibles, mais nécessaires l'une à l'autre.

S'agissant des possibles changements de l'inventaire de référence, les textes précisent pour le moment que la demande d'autorisation de création de Cigéo doit être déposée pour pouvoir stocker les déchets d'un inventaire de référence lié aux déchets déjà produits et aux déchets à produire par le parc actuel, par l'EPR de Flamanville et par l'installation ITER. Il existe certes un inventaire de réserve, qui fait l'objet d'études moins complètes que l'inventaire de référence. Le projet Cigéo accueille simplement les déchets de l'inventaire de référence. Une remise en question soulèverait ainsi des difficultés complémentaires. Je ne peux cependant pas préjuger de l'évolution des textes dans quelques dizaines d'années.

M. Christophe Fournier, membre de la CNE2. - Le rapport indique que l'ensemble des options alternatives aujourd'hui présentées sont fondées sur la transmutation. Il pourra cependant en exister d'autres, au titre du plan de relance par exemple, que nous évaluerons le moment venu. N'oublions pas que la transmutation produit également des éléments à vie longue qui seraient justiciables d'un stockage. Par conséquent, la transmutation ne réduit pas totalement les radioéléments à vie longue.

L'entreposage à sec peut-il être une solution d'attente d'une solution future fondée sur la transmutation ? La réponse est à la fois affirmative et négative. Aujourd'hui, il n'existe pas de doute quant à la capacité de disposer d'entreposages à sec sûrs au sens de la sûreté nucléaire, pour peu que l'on y entrepose des déchets qui ont suffisamment refroidi et que l'on mette en oeuvre les moyens de surveillance nécessaires. La difficulté vient du manque d'éléments scientifiques permettant de préciser l'état dans lequel se trouveront les éléments combustibles après plusieurs décennies d'entreposage à sec. Nous savons que l'entreposage de ces éléments est possible, mais nous ne sommes pas certains qu'il sera ensuite possible de les manipuler en vue des opérations de retraitement ou toute autre opération permettant par exemple une transmutation. La seule solution démontrée est aujourd'hui l'entreposage sous eau. L'entreposage à sec nécessite des travaux complémentaires.

Par ailleurs, entreposer indéfiniment des déchets de façon sûre est théoriquement tout à fait possible. Pour cela, il faudrait construire périodiquement, probablement tous les cent ans, de nouvelles installations d'entreposage et, en l'absence d'une solution de gestion passive, assurer une surveillance continue de celles-ci. Pour envisager un entreposage sur 100 000 ans, il faut avoir la conviction que durant cette période on disposera des connaissances scientifiques, des moyens financiers et d'un système politique permettant de garantir leur sûreté. Or, d'après le consensus scientifique international, une solution pérenne ne doit nécessiter ni action, ni financement de la part des générations futures. C'est la raison pour laquelle, à notre avis, l'entreposage ne représente pas une alternative au stockage pour la gestion finale des déchets, même si ce peut être une solution intermédiaire.

Enfin, le dossier d'options de sûreté de Cigéo avait suscité des réserves de l'ASN sur la qualité de la démonstration de tenue à l'incendie des conteneurs de déchets bitumés. Une revue internationale a conclu que la démonstration apportée à cette date par l'ANDRA était effectivement insuffisante. Elle indiquait aussi qu'un certain nombre de travaux complémentaires, qu'elle a décrits, devraient permettre de parvenir à des éléments conclusifs permettant de démontrer la sûreté du stockage. La Commission a jugé ces conclusions pertinentes. Les acteurs de la loi ont ensuite présenté un plan de travail de 5 ans environ pour répondre aux recommandations de la revue internationale. Nous pouvons donc penser que la majeure partie des déchets bitumés pourront être stockés dans Cigéo. En revanche, il est probable que certains déchets atypiques ou mal connus devront faire l'objet d'un traitement particulier. Une solution de destruction chimique, ne nécessitant pas des investissements colossaux, va être examinée par les acteurs de la loi.

M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE2. - Nous avons insisté sur la séparation, qui revient dans l'ensemble des étapes qui nous intéressent. Pour le moment, elle est réalisée de façon industrielle et maîtrisée avec le procédé Purex à La Hague. En revanche, ce procédé ne serait plus adapté à de futurs combustibles contenant du plutonium en quantité relativement importante. Le procédé chimique de retraitement doit par conséquent être modifié. Le CEA a anticipé cette situation. Des expériences ont été menées en laboratoire, mais la faisabilité industrielle d'un nouveau procédé n'est pas établie pour le moment. Or, le projet de multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée implique de retraiter des combustibles MOX contenant plus de plutonium, donc d'adapter le procédé.

Par ailleurs, la transmutation des actinides mineurs nécessite de les séparer au préalable. Nous savons que l'américium présenterait un intérêt au regard de la transmutation. Son effet thermique augmente en effet l'emprise des déchets dans le stockage géologique. La difficulté vient de la nécessité de disposer de neutrons rapides, qui ne sont pas disponibles actuellement dans l'espace européen.

Nous avons beaucoup discuté du multi-recyclage car nous ne parvenons pas à clarifier la stratégie sous-jacente. La stratégie actuelle est fondée sur l'utilisation de combustibles à l'oxyde d'uranium et de combustibles à l'oxyde d'uranium mélangé à l'oxyde de plutonium, utilisés dans des réacteurs de 900 MWe et demain de 1 300 MWe.

Le multi-recyclage s'adresserait quant à lui à des EPR de deuxième génération envisagés à l'horizon 2050, qui succéderaient à l'EPR de Flamanville et à 6 autres EPR éventuels de première génération. Cette situation nécessite une clarification.

Par ailleurs, le multi-recyclage implique d'effectuer une série de retraitements de combustibles MOX riches en plutonium. Le MOX issu du premier cycle doit être retraité, opération qui n'est pas assurée d'une façon industrielle aujourd'hui à La Hague, puis le MOX issu du deuxième cycle à la composition différente, etc. Nous ne disons pas que c'est irréalisable, mais nous cherchons une progression logique qui permettrait de prévoir les besoins en termes d'installations et de cerveaux pour les faire fonctionner.

Enfin, l'augmentation de la quantité d'actinides mineurs résultant du multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée n'est pas le point le plus fondamental : soit les MOX usés ne sont pas retraités, soit ils le sont, ce qui permet de séparer l'uranium et le plutonium, ainsi que de vitrifier les produits de fission et les actinides mineurs. Seule la seconde option ne remet pas complétement en cause la démarche suivie aujourd'hui pour le stockage, malgré une légère croissance de l'inventaire global en actinides mineurs.

M. Jean-Paul Minon. - S'agissant de la place de la France dans le panorama international, elle est vue comme l'un des pays ayant le plus avancé jusqu'à présent. En Finlande, la construction du stockage géologique étant désormais autorisée, elle a commencé, alors qu'en Suède le processus d'autorisation est suspendu en raison des difficultés du gouvernement. En France, les premières décisions sur la gouvernance ont été prises en 1991, avec la mise en place d'un processus de gouvernance dans lequel le rôle du Parlement, en particulier de l'OPECST, était prédominant. Des lois ont été votées en 2006 et 2016, après une large concertation incluant une consultation des milieux scientifiques et aussi des débats publics. J'ai d'ailleurs participé à ces derniers, à l'époque en tant que directeur général de l'Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (ONDRAF).

La loi de 2016 précise que le stockage est la solution à mettre en place en France. Elle évoque la réversibilité. Personnellement, j'avais compris qu'il s'agissait de la réversibilité du stockage. Je constate que cette notion, qui n'a pas été entièrement clarifiée dans les débats publics, suscite des remises en cause périodiques de la solution légale. Dans notre analyse, nous avons mis en évidence la nécessité de valider complétement chaque étape du processus, notamment du point de vue de la sûreté, par l'autorité de sûreté et ses groupes permanents d'experts. Tel est le cas dans la plupart des pays, en particulier en France où ce processus est parfaitement maîtrisé.

En revanche, dans un grand nombre de pays, il n'existe pas de processus permettant d'entériner les acquis au niveau du « consensus sociétal ». La situation dépend fortement des systèmes politiques en place. En Finlande, une fois que la décision est prise, le décideur, parlement ou gouvernement, étant clairement identifié, elle n'est plus remise en cause. C'est aussi le cas en Suisse avec les votations : une fois que le peuple a décidé, on n'en reparle plus. Dans certains pays, la gouvernance demeure incertaine. Je pense que la situation en France est compliquée de ce point de vue, tant en ce qui concerne les choix en matière de mix énergétique, avec l'objectif de la décarbonisation, que pour la gestion des déchets radioactifs.

Pour une bonne gouvernance, il est important d'établir un consensus solide quant à la nécessité, dans tous les cas, d'un stockage géologique profond. Tel est le cas en Finlande, en Suisse, en Suède et au Canada. Il faut que cette décision soit entérinée et que des mécanismes adaptés soient mis en place au niveau local, les populations d'accueil du stockage étant les plus directement concernées. D'ailleurs, l'expérience récente des États-Unis et de l'Espagne montre qu'il est aussi difficile d'établir un site d'entreposage centralisé qu'un site de stockage, les questions posées par la population en termes de sûreté étant exactement les mêmes. Je pense en particulier que la France pourrait utilement recourir au domaine de la recherche en sciences humaines et sociales. Je dis cela avec modestie, la Belgique n'étant certainement pas un modèle en la matière.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je présume que le rapport de la CNE2 sera publié très prochainement, de façon à ce que les parlementaires puissent l'étudier tout à loisir dans les prochaines semaines.

M. Gilles Pijaudier-Cabot. - Absolument, Non seulement il est communiqué aux membres de l'OPECST pour les besoins de cette audition, mais nous le rendrons également accessible au grand public sur notre site.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous nous reverrons peut-être en septembre ou en octobre prochain pour réfléchir à un programme de travail.

M. Gilles Pijaudier-Cabot. - Bien volontiers.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Il me reste maintenant à vous remercier pour le temps que vous avez consacré à l'Office et pour la qualité des réponses que vous avez apportées à nos questions.

La réunion est close à 12 h 20.