Jeudi 17 juin 2021

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Environnement et développement durable - Proposition de résolution européenne demandant la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières : examen du rapport

M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 595 déposée par notre collègue Gisèle Jourda et plusieurs de ses collègues. Elle vise à obtenir la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières.

De fait, l'Europe est l'une des régions de la planète où les terres sont le plus mal en point. Les déversements de produits chimiques, les labours et l'étalement urbain accentuent la pression sur les sols européens qui constituent pourtant une ressource naturelle à protéger, car elle n'est pas indéfiniment renouvelable.

C'est ce qui avait motivé la création d'une commission d'enquête sénatoriale l'an dernier, à l'initiative du groupe socialiste - Gisèle Jourda en fut rapporteure, et Laurent Lafon, président. La commission d'enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, a rendu son rapport en septembre 2020 - et le Sénat en a débattu en janvier dernier - ; elle recommandait notamment de poser les jalons d'un véritable droit européen et national de la protection des sols.

Aussi, cette proposition de résolution européenne entend mettre en application ces recommandations. Son examen a été confié à deux rapporteurs, qui en sont aussi auteurs : Gisèle Jourda et Cyril Pellevat.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Notre commission est saisie d'une proposition de résolution européenne, que j'ai déposée le 17 mai dernier avec plusieurs de mes collègues membres de la commission d'enquête sur la pollution des sols, parmi lesquels Cyril Pellevat, qui est également co-rapporteur de ce texte. Ce dernier a pour objet la relance du processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation par les activités industrielles et minières.

Cette proposition de résolution découle des travaux de la commission d'enquête, dont j'étais rapporteure. Le rapport qui a été adopté à l'unanimité, en septembre 2020, formule cinquante propositions. Il préconise notamment l'introduction dans la législation européenne et nationale d'un « véritable droit de la protection des sols ».

La commission d'enquête a constaté qu'il manque toujours un cadre juridique européen spécifique en matière de protection des sols. L'exposé des motifs de la proposition de résolution reprend ce constat. Il explique ce qui a conduit à l'abandon du processus d'élaboration d'une directive-cadre, discutée à partir de 2006 et retirée en 2014. « À la différence de l'air ou de l'eau, des biens naturels communs dont la protection a donné lieu à un arsenal juridique très sophistiqué, les sols sont restés le parent pauvre de la législation aux niveaux européen et national » fait ainsi observer notre collègue Laurent Lafon, président de la commission d'enquête.

Cette remarque a également été formulée par les différents interlocuteurs que nous avons auditionnés dans le cadre de l'examen de cette PPRE. Le sol ne bénéficie pas d'un niveau de protection équivalent à celui de l'eau ou de l'air, alors que l'environnement constitue une préoccupation essentielle des institutions européennes. Je rappelle que la protection de ces deux écosystèmes a fait l'objet de directives spécifiques.

Lutter contre la pollution des sols doit sans délai devenir une priorité des politiques nationale et européenne. La pollution menace l'ensemble des milieux naturels qui interagissent entre eux ; elle ne connaît pas non plus les frontières. La pandémie de covid-19 a montré la vulnérabilité des populations face aux risques sanitaires ainsi que leur sensibilité à ces questions.

La PPRE appelle ainsi à relancer le processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols et la prévention de leur dégradation liée à des activités industrielles et minières. Les États membres ont encore des approches différentes des sols. Il est essentiel de s'orienter vers une harmonisation de la réglementation pour mettre en oeuvre les politiques environnementales définies par l'Union européenne. Notre texte demande aussi qu'une telle directive européenne prévoie que les États membres établissent une cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols. Il invite enfin le Gouvernement, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, à soutenir cette démarche.

Cette PPRE est présentée alors que la Commission européenne a adopté, le 12 mai dernier, le plan d'action de l'Union européenne intitulé « Vers une pollution zéro dans l'air, l'eau et les sols », qui s'inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe. Avec cette initiative, l'Europe intègre les sols à la réalisation des objectifs de réduction de la pollution et de préservation de la biodiversité. Deux semaines auparavant, les principaux groupes politiques du Parlement européen se sont accordés sur une résolution sur la protection des sols, qui rejoint notre proposition puisqu'elle « demande à la Commission d'élaborer un cadre juridique commun à l'échelle de l'Union, dans le plein respect du principe de subsidiarité, sur la protection et l'utilisation durable de sols ».

Au regard des enjeux sanitaires et environnementaux, il me semble que nous ne pouvons que souscrire à cet objectif qui s'inscrit dans le prolongement des conclusions de la commission d'enquête sur la pollution des sols. Je souhaiterais, avec mon collègue Cyril Pellevat, développer plusieurs points : la dégradation préoccupante des sols, le défaut d'une réponse européenne globale et sa nécessité pour assurer la transition écologique et protéger la biodiversité.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Les activités industrielles et minières qui se sont développées au cours des siècles précédents ont eu incontestablement un impact sanitaire et écologique sur l'état des sols et des sous-sols.

Ainsi, 2,8 millions de sites seraient potentiellement contaminés dans l'Union européenne, 390 000 d'entre eux nécessiteraient un assainissement. Pourtant, seuls 65 500 sites auraient été assainis en 2018, soit moins de 2,5 % des sites pollués, selon les chiffres communiqués par la Commission européenne. Le coût de la dégradation des sols dans l'Union européenne est estimé à environ 38 milliards d'euros par an. 

Or toute pollution du sol en raison de la complexité et de la variabilité de sa structure n'est pas sans conséquence sur les autres milieux naturels. Un quart de la biodiversité est contenu dans les sols. La dégradation des sols a donc des incidences considérables sur la protection des eaux, le changement climatique, la santé humaine, la biodiversité et la protection de la nature.

L'identification des sites et sols pollués, et surtout des risques qui y sont associés, reste encore aujourd'hui parcellaire dans l'Union européenne, comme nous l'a confirmé le directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique. Les différentes bases de données ne permettent pas de disposer d'une cartographie complète de l'état de dégradation des sols dans notre pays et dans l'ensemble des États membres.

Cela me conduit au deuxième point : l'absence de politique globale au sein de l'Union européenne en matière de protection des sols et de prévention de leur dégradation.

C'est à partir du début des années 2000 que les sols commencent à être considérés par le droit européen. Leur protection et leur réhabilitation sont progressivement mieux prises en compte, souvent à la suite de catastrophes industrielles. On privilégie alors une approche sectorielle fondée sur des enjeux industriels, environnementaux ou de santé. Des dispositions éparses figurent ainsi dans différentes directives européennes.

L'Union européenne n'a pas défini, jusqu'à présent, de véritable politique globale et cohérente dans le domaine des sols mais ce sujet relève de diverses politiques sectorielles. La protection des sols fait, par exemple, partie des enjeux environnementaux identifiés par la politique agricole commune.

Cette absence d'une législation européenne spécifique résulte surtout de l'échec du processus d'adoption d'une directive définissant un cadre pour la protection des sols, présentée en septembre 2006 par la Commission européenne.

Cette proposition de directive-cadre a, en effet, été bloquée par le Conseil malgré le vote favorable du Parlement européen. Cet échec au Conseil tient à l'opposition de quatre pays - l'Autriche, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Allemagne - et à l'abstention de la France, inquiets « des enjeux importants, tant en matière de politique industrielle qu'au regard de l'activité agricole », mais aussi du coût induit par la mise en oeuvre des mesures d'inventaire envisagées. Après neuf ans de négociations, la proposition de directive-cadre sur les sols fut finalement retirée en 2014.

Son adoption devait être la pierre angulaire dans la mise en oeuvre d'une véritable politique de protection des sols à l'échelle de l'Union européenne.

Cette difficulté à faire émerger une législation européenne sur les sols résulte en partie des traités. La définition d'un cadre réglementaire européen se heurte au « régime de propriété » qui relève de la compétence propre des États membres. Cette réserve de compétence nationale restreint donc le champ d'intervention de l'Union en matière de gestion des sols. Par ailleurs, l'article 192 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) soumet à la règle de l'unanimité les mesures relatives à l'affectation des sols, à l'exception de la gestion des déchets. L'approche retenue pour assurer la protection des sols influe sur le bien-fondé de l'action européenne.

Ainsi les États membres sont-ils particulièrement vigilants sur le respect du principe de subsidiarité. La protection des sols est essentiellement un enjeu national. Lors de nos auditions, il nous a été indiqué que des pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas qui disposent déjà d'une législation spécifique pour la protection des sols sont peu enclins à l'adoption de dispositions contraignantes dans un cadre européen.

Pendant ce temps, les processus de détérioration des sols se généralisent et s'aggravent en Europe et dans le monde. Une action commune de l'Union européenne est à la fois essentielle et légitime. Les progrès réalisés par les États membres sont extrêmement variables pour garantir une gestion durable des sols.

Ce sujet est aujourd'hui à l'ordre du jour du programme de travail de la Commission européenne pour 2021 : elle prévoit de présenter, à l'automne, une nouvelle stratégie thématique en faveur des sols qui vise à lutter contre la dégradation des sols au sein de l'Union européenne. L'objectif est de parvenir, à l'horizon de 2030, à une situation de neutralité en matière de dégradation des terres. La Commission prépare également une proposition législative, avec des objectifs contraignants, pour restaurer les écosystèmes dégradés, y compris les sols.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - La protection des sols s'inscrit donc dans le cadre des objectifs de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique et en faveur de la biodiversité. Le plan d'action « zéro pollution de l'air, de l'eau et du sol » - je le rappelle - comporte un volet consacré à la protection des sols et à la prévention des sites contaminés. Il envisage un recensement des sites potentiellement contaminés et des actions pour procéder à leur assainissement. Cette démarche est soutenue par le Parlement européen qui, dans sa résolution, insiste sur l'importance de prévoir des dispositions relatives à la cartographie des zones à risques et des sites contaminés.

Avec mes collègues cosignataires de la proposition de résolution, nous sommes convaincus que des règles communes et un véritable cadre juridique pour la protection des sols sont indispensables. Cette proposition de résolution européenne est le fruit des travaux de notre commission d'enquête, dont les propositions avaient été adoptées à l'unanimité, ce qui est rare.

Une intervention au niveau européen se justifie en raison du lien qu'entretiennent les sols avec les autres milieux naturels que sont l'eau et l'air, qui sont eux soumis à une réglementation européenne. Par ailleurs, les disparités existantes entre les régimes nationaux de protection des sols, en imposant aux opérateurs économiques des obligations différentes, peuvent peser sur le bon fonctionnement du marché intérieur. Enfin, il ne faut pas non plus ignorer la nature transfrontalière des risques écologiques.

L'Union européenne a besoin d'une « boîte à outils » efficace qui fixe, d'une part, les grands principes d'une politique de protection et de prévention de la dégradation des sols et, d'autre part, des objectifs, tout en laissant une marge d'appréciation significative aux autorités nationales dans sa mise en application, dans le respect du principe de subsidiarité.

La réalisation d'une cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols, comme le recommande la commission d'enquête, constitue un préalable indispensable à l'objectif de restauration des écosystèmes dégradés à l'horizon 2030. L'approche que nous proposons est sensiblement différente de celle de la directive de 2006. Nous prônons une politique de gestion des sols selon les risques et l'usage.

Nous sommes tout à la fois réalistes et optimistes sur le processus que nous souhaitons voir engager. Il faudra du temps, mais il essentiel de saisir cette opportunité pour faire évoluer le cadre juridique. La prochaine présidence française du Conseil de l'Union européenne doit permettre à notre pays de porter cette ambition en faveur d'une meilleure protection des sols, qui a été celle de la commission d'enquête du Sénat. Lors de nos auditions, nous avons eu la satisfaction de constater que le Gouvernement entendait être offensif sur ce sujet, dans le même sens que le Sénat.

Pour l'ensemble des raisons que je viens d'exposer, nous vous proposons d'adopter cette proposition de résolution européenne, légèrement amendée afin d'en préciser la rédaction et d'y apporter quelques corrections matérielles, selon le texte que vous avez préalablement reçu.

M. Pierre Cuypers. - La règle de l'unanimité sur ces sujets ne risque-t-elle pas d'être un facteur de blocage ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Tout dépend des dispositions envisagées. Si elles relèvent de l'affectation des sols, le Conseil statue en effet à l'unanimité. Concernant la proposition de directive-cadre de 2006, son adoption a été bloquée par quatre États, malgré l'appui du Parlement. Nous avons bon espoir de lever ces freins en cherchant à fédérer. Nous plaidons pour remplacer des mesures disparates par un cadre juridique global, comme il en existe pour l'air ou pour l'eau. Ceux-ci ont donné lieu à des évaluations positives ; pourtant, lorsqu'ils ont été mis en place, les inquiétudes étaient nombreuses. Le Pacte vert est l'occasion d'harmoniser les dispositifs et de définir un cadre de référence pour réduire la pollution. La crainte de mesures contraignantes n'est pas fondée, car parmi les mesures disparates existantes, certaines sont déjà contraignantes. Certains pays ont déjà avancé sur une législation en matière de pollution des sols. Ils ne devraient pas s'opposer à cette proposition de directive. Mais il existe toujours un risque de blocage... En tout cas, le ministère souhaite que l'on parvienne à un texte pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne, et notre commission pose les premiers jalons de la voie à suivre.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Sait-on quels pays soutiennent cette idée d'une directive ? L'Espagne ou l'Allemagne n'ont peut-être pas la même approche.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Il est encore trop tôt pour répondre. Les pays qui ont déjà une législation sur les sols ne devraient pas s'y opposer. Le projet de directive de 2006 a échoué, car plusieurs pays ont eu peur de mesures contraignantes. Ils ont cru que l'Europe allait pouvoir enjoindre les États de dépolluer leurs sols, ce qui peut être difficile et coûteux. Or, en l'occurrence, il ne s'agit pas de cela. L'enjeu est de fixer un cadre commun, de définir des principes. Chaque État sera libre ensuite d'élaborer son plan d'action.

L'approche des sols a changé. Elle est devenue tridimensionnelle, prenant en compte la surface, le sous-sol et la biodiversité. Les sols sont vivants, et la pollution les modifie et se diffuse. Les pollutions ne connaissent pas les frontières. Les nuages non plus... Je rappelle d'ailleurs que la frontière n'a pas toujours été une ligne, mais était, auparavant, une marche.

Nous voulons simplement que nos sols ne soient pas les oubliés du Pacte vert. Il importe de les respecter et de ne plus martyriser notre terre. Dans la vallée de l'Orbiel, dans l'Aude, vallée touristique connue notamment pour ses châteaux cathares, la pollution n'est pas visible de premier abord. Pourtant, les exploitants de l'ancienne mine d'or ont enfoui des déchets toxiques importés d'Australie, de Suisse, ou du Japon, pour gagner de l'argent, sans mesurer les risques de pollutions. Or, à la suite des pluies et d'inondations, des matières dangereuses ont été déplacées et la zone est polluée au cadmium et à l'arsenic. Nous proposons une directive-cadre pour fixer de grandes orientations, plutôt que des injonctions.

M. André Reichardt. - Je soutiens l'idée d'un cadre global, dans le respect de la subsidiarité.

La question financière est cruciale. Les coûts de dépollution sont considérables. Nous le constatons en Alsace : on ne peut revenir sur l'enfouissement des déchets ultimes, car cela coûte trop cher, même si ce n'est pas dit explicitement...

La prévention est moins coûteuse que la dépollution. Avec la subsidiarité, il appartiendra aux pays de trouver les meilleures manières de procéder. Attention toutefois à ne pas prendre des mesures susceptibles de nuire à la compétitivité. Si un pays instaure des taxes ou des mesures contraignantes, il risque de perdre en attractivité par rapport à ses voisins ; à l'échelle des continents, c'est l'Europe qui risque d'être pénalisée par rapport à d'autres continents qui n'ont pas les mêmes scrupules. Voyez ce que fait la Chine dans l'exploitation des sols des autres pays, par exemple en Afrique de l'Ouest : des investisseurs chinois pillent les terres rares ou les ressources du sol, puis partent, en laissant la pollution.

M. Pierre Laurent. - Je soutiens la proposition de résolution européenne. Si l'on ne donne pas une impulsion politique forte, on n'avancera jamais. Les enjeux sont considérables. La dépollution pose des problèmes financiers et juridiques : qui est responsable ? Qui doit payer ? Une directive-cadre aura aussi l'intérêt de mettre l'accent sur la prévention. Tous les acteurs sont concernés : États, collectivités locales, acteurs économiques, etc. Les organisations syndicales peuvent aider à faire pression pour avancer.

M. Pierre Louault. - Que pense l'armée de ce projet ? Plusieurs terrains militaires sont concernés par des pollutions.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Notre sujet était centré sur la pollution liée à l'activité industrielle et minière.

Le projet de directive a achoppé en partie pour des raisons financières. Mais, avec le Pacte vert, l'approche est différente. La commission d'enquête avait préconisé la création d'un fonds de dépollution, car celle-ci ne doit pas reposer uniquement sur les collectivités. Nous voulons avant tout donner une impulsion. Mais rien n'interdit d'envisager également, à terme, la création d'un fonds européen : souvenez-vous du fonds européen de la défense, qui est parti d'une proposition de notre commission.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Je vais mettre aux voix la proposition de résolution européenne.

La commission des affaires européennes autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

M. Jean-François Rapin, président. - J'informe notre commission que le groupe socialiste a nommé notre collègue Jean-Michel Houllegatte membre de notre commission en remplacement de Gilbert-Luc Devinaz, démissionnaire. Je lui souhaite la bienvenue.

En octobre dernier, notre commission avait désigné notre collègue Devinaz rapporteur au long cours sur les sujets environnement (hors climat), en trinôme avec François Calvet et Jacques Fernique, et transports/mobilité, en quatuor avec Pascale Gruny, Dominique de Legge et Pierre Médevielle. Comme Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Michel Houllegatte est aussi membre de la commission du développement durable.

Je vous propose de le désigner rapporteur sur ces deux dossiers en remplacement de M. Devinaz.

Il en est ainsi décidé.

- Co-présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat, et de Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Institutions européennes - Réunion avec les commissions des affaires européennes du Bundestag, de la Chambre des députés, du Sénat polonais et du Sénat français (« triangle de Weimar »)

Premier thème de débat : la Conférence sur l'avenir de l'Europe

Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - La conférence sur l'avenir de l'Europe nous permet d'entreprendre une réflexion paneuropéenne. C'est la première fois qu'il est demandé aux citoyens européens de se prononcer sur l'avenir de l'Europe. Ces sujets sont vastes et nombreux. Les thématiques institutionnelles sont certes importantes mais ne doivent pas nous empêcher de discuter du fond des politiques européennes. Il est nécessaire de tirer les conclusions de la convention des années 2002-2003 qui était trop centrée - et c'est une cause de son échec - sur l'aspect institutionnel, au détriment du contenu.

Le sujet des institutions devra être abordé dès lors que sera identifié un blocage institutionnel qui empêche une politique européenne d'être pleinement efficace, comme c'est le cas avec l'unanimité au Conseil dans le domaine fiscal ou de la politique étrangère.

Il faut également s'interroger sur la confiance mutuelle en se demandant ce que nous voulons faire ensemble et sur quelles bases. Cela nous amène à aborder le sujet des droits et valeurs européens. De nombreux outils sont aujourd'hui mis en oeuvre afin d'assurer la préservation de l'État de droit notamment l'article 7 du traité sur l'Union européenne (TUE), bien que son efficacité ne soit pas totale. C'est pourquoi l'Union a adopté un mécanisme de conditionnalité des fonds européens à l'État de droit fondé sur des critères objectifs qui permet de lier le budget européen à des valeurs clairement établies. La décision de la Cour de Justice concernant ce mécanisme est attendue.

Nos parlements doivent contribuer concrètement au débat qui s'engage. Il nous faudrait penser à des évènements communs qui pourront être lancés entre nos commissions européennes sous la forme de débats transnationaux en lien avec la société civile, afin de recueillir les opinions des citoyens et experts. J'aimerais également savoir si vos Parlements respectifs ont prévu des évènements en lien avec la conférence.

M. Gunther Krichbaum, président de la Commission des affaires européennes du Bundestag. - Je vous remercie d'avoir organisé cette réunion interparlementaire.

Ce que nous faisons par le biais de cette réunion est un travail préliminaire. Il faudra ensuite continuer à travailler au renforcement de l'amitié franco-allemande-polonaise. Il est important de se coordonner et de coordonner nos réseaux sur tous les sujets susceptibles d'être abordés dans le cadre de la conférence sur l'avenir de l'Europe. Il nous faut rassembler nos efforts dans le cadre de cette relation triangulaire pour un échange de points de vue et d'opinions. Nous avons effectué un travail en amont pour identifier les sujets qui pourraient être prioritaires au sein de la conférence sur l'avenir de l'Europe. Le comité exécutif de la conférence a, à l'unanimité, conclu que tous les sujets évoqués devaient être traités avec la même importance. Les citoyens ont déjà la possibilité de donner leur opinion via une plateforme en ligne.

Nous envisageons que les membres de la délégation allemande se répartissent la tâche pour dialoguer avec les citoyens sur chacun des sujets. Le sujet de l'État de droit est très important. Le Bundestag estime qu'une modification des traités ne doit pas être exclue. Un certain nombre de pays dans l'Union ne veulent à aucun prix d'une révision des traités, ce qui est compréhensible. Toutefois, si nous voulons faire avancer l'Union, il est impossible d'écarter toute idée d'un changement institutionnel. Il nous faut réfléchir au sein du triangle de Weimar sur la manière dont nous envisageons d'aménager cette conférence sur l'avenir de l'Europe.

Mme Anita Czerwiñska, vice-présidente de la Commission des affaires européenne du Sejm polonais. - Je vous remercie, Mme la présidente Sabine Thillaye, pour l'initiative de cette rencontre. Nous souhaitons que chacun puisse exprimer son avis en ce qui concerne la conférence de l'avenir sur l'Europe.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat. - La Conférence sur l'avenir de l'Europe est lancée, son assemblée plénière se réunira dans quelques jours à Strasbourg et les citoyens peuvent commencer à contribuer à ces travaux. Nous nous réjouissons tous de ce lancement et formons le voeu que ces travaux soient utiles et féconds. Je souhaiterais échanger avec vous sur deux points particuliers.

Tout d'abord je continue à m'inquiéter du calendrier de cette conférence. L'échéance du printemps 2022 était évoquée dès le départ mais le lancement de la conférence a pris un an de retard du fait de la pandémie mais aussi des difficultés des trois institutions à s'accorder sur son fonctionnement. Est-ce raisonnable de faire en un an ce que l'on comptait faire en deux ans ? Je ne voudrais pas que cette hâte conduise à expédier des débats, ce qui ne manquerait pas de décevoir les citoyens et contredirait l'objectif même de la conférence. Si nous parvenons à trancher certains points d'ici le printemps prochain, tant mieux. Mais donnons-nous le temps d'aller au-delà si nécessaire.

Par ailleurs nous avons mis en place au sein de notre commission un groupe de travail sur les questions institutionnelles qui s'est penché sur l'opportunité des listes transnationales pour les élections européennes et sur le système des candidats tête de liste pour la désignation du président de la Commission européenne : ces sujets seront discutés au sein de la conférence. À l'issue de nos auditions, il me semble que ces propositions posent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.

Les listes transnationales vont complexifier le scrutin et nécessiteront une harmonisation plus poussée de nos systèmes électoraux : règles de financement des campagnes, autorité commune de régulation, règles de publicité et autres.

S'agissant du système des candidats tête de liste, il nous conduirait notamment à donner un rôle principal aux partis politiques européens dans la désignation du président de la commission. Est-on certain de vouloir le faire ? Je serais très intéressé de connaître l'opinion de vos commissions sur ces points.

M. Bogdan Klich, Président de la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat Polonais. Cette conférence n'en est qu'à un stade préliminaire mais je pense qu'elle pourra conduire à un changement dans les traités. Nous avons besoin d'une Union qui fonctionne mieux conformément au principe de subsidiarité et qui garantisse la sécurité extérieure et intérieure. Nous devons avoir une politique étrangère capable de répondre aux défis internationaux, notamment en Lybie, en Biélorussie et en Russie. L'Union doit savoir traiter les grands enjeux comme ceux relatifs à la gestion des changements climatiques ou la politique de développement. L'Union doit être plus résiliente.

Les citoyens devraient être davantage inclus dans le processus de prise de décision, et le Parlement européen avoir plus de compétences. Le champ de la procédure législative ordinaire devrait être étendu. Les parlements nationaux devraient être plus consultés. Peu de citoyens savent ce qu'est la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (la COSAC) qui regroupe les commissions des affaires européennes des États membres. Ces consultations devraient être plus profondes et plus fréquentes.

Nous avons besoin d'une Union qui contrôle mieux le respect de l'État de droit et des droits fondamentaux car si nous voulons élargir la démocratie à l'extérieur, nous devons la respecter chez nous, en Europe. Il faut donc que la Commission européenne réponde au défi qui lui est lancé et que l'article 7 du Traité sur l'Union européenne soit correctement appliqué.

La participation à la vie politique européenne ne doit pas seulement impliquer le Parlement européen ou les citoyens les plus actifs, elle doit être en lien avec les ONG qui représentent le coeur de la démocratie au niveau national et paneuropéen. Nous devons donc soutenir les citoyens, leurs associations et les fondations.

Nous avons besoin d'une Union qui protège la classe moyenne et les PME et soit en faveur de l'économie sociale de marché. Nous avons besoin d'une Union qui permette une meilleure innovation et des technologies de pointe afin que l'Europe ne soit pas derrière les autres puissances mondiales sur le plan économique et scientifique. Nous avons besoin d'une Union qui, de manière efficace, soutienne la reconstruction des économies, des systèmes de santé et éducatifs après la pandémie.

Nous avons enfin besoin d'une Union qui contrecarre les effets du réchauffement climatique et soutienne les libertés de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Il s'agit du coeur du marché européen.

Il faut que l'Union protège contre le terrorisme international et la cybercriminalité. Ce sont des domaines pour lesquels des changements dans les traités sont nécessaires. Nous avons besoin d'une Union qui, selon une disposition ancienne datant du traité de Maastricht, parvienne à construire une défense commune en complément aux engagements pris au sein de l'OTAN afin que les citoyens se sentent en sécurité.

Ces questions sont essentielles et nous devons faire passer, dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, le message de l'importance du triangle de Weimar.

Mme  Sabine Thillaye, présidente. - Merci beaucoup cher collègue, je suis tout à fait d'accord sur l'importance du triangle parlementaire de Weimar, c'est l'objectif de notre réunion. Le volet parlementaire de ce triangle s'était interrompu en 2012 et il a été réactivé récemment.

Je suis aussi d'accord pour souligner l'importance des parlements nationaux. Il est utile que ce message soit porté par nos trois pays car les parlements nationaux sont proches des élus locaux et des électeurs et nous avons un devoir de rapprocher les questions européennes de nos concitoyens.

Je regrette que la défense commune et la sécurité ne soient pas dans la liste des thématiques évoquées par la plateforme de la Commission européenne.

M. Jean-Marie Fiévet, député. - Le 9 mai dernier c'est une Europe unie et volontariste qui a fait démarrer, malgré la crise, la conférence sur l'avenir de l'Europe. Après plus d'un an de débats, les institutions sont parvenues à s'accorder et doivent maintenant écouter les paroles européennes qui vont s'exprimer.

Les sujets abordés sont vastes, il ne faut pas craindre, selon moi, d'aborder l'ensemble des politiques européennes tant elles sont interconnectées. Comment parler d'écologie sans aborder la politique agricole commune ? Comment parler du numérique sans traiter des menaces géopolitiques hybrides ? Comment parler de sécurité sans débattre de nos valeurs communes ?

Il faut toutefois prendre garder à ce que les débats ne se diluent pas, et n'aboutissent à aucune proposition concrète. Les panels des citoyens constituent une très grande avancée démocratique. Partout en Europe, des citoyens tirés au sort vont débattre de l'UE et formuler des propositions. Cette innovation est aussi une contrainte pour les gouvernements : les débats citoyens ne doivent surtout pas rester lettre morte.

Comme l'a dit ma collègue Sabine Thillaye, nos parlements doivent contribuer concrètement aux débats qui s'engagent. Nous ne devons pas avoir peur de formuler des propositions ambitieuses afin de porter ensemble les réformes que les Européens attendent.

Mes chers collègues, la conférence sur l'avenir de l'Europe constitue un moment crucial pour l'avenir européen. Elle représente toutes les spécificités européennes : le débat démocratique entre institutions et l'association des citoyens au service d'une ambition commune. Prenons garde à ce que cette parole citoyenne soit bien entendue et à ce que nos citoyens vivent pleinement ce grand exercice démocratique.

M. Gunther Krichbaum. - Notre ami Bogdan a déjà abordé l'idée essentielle.

Il faut que nous ayons une grande ambition en abordant cette Conférence, nous devons cela aux citoyens de l'Europe. C'est de nous que dépendra l'importance des résultats de cette Conférence. La participation des citoyens est essentielle, au même titre que celle des parlements nationaux. Il a fallu lutter afin d'obtenir une telle participation car le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil européen ne souhaitaient pas intégrer les parlements nationaux. Il revient aussi aux parlements nationaux de faire l'effort pour accompagner le processus. Au sein de la COSAC, on peut également accompagner ce processus au même titre que la troïka, représentée au sein du conseil exécutif.

Comme l'a souligné mon collègue Jean-François Rapin, la pression du temps est très importante. Pendant la Présidence française, il n'y aura sûrement pas de rapport définitif mais un rapport intermédiaire. Il serait dommage d'essayer de raccourcir l'ensemble du processus afin de produire un rapport définitif, d'autant plus que la présidence française au Conseil sera marquée par les élections françaises. Il faut se donner tout le temps dont on a besoin.

Ce qui m'intéresserait, ce serait de savoir comment on va faire pour accompagner tout ce travail dans les parlements nationaux. Comment les sujets, les discussions que nous avons au Parlement européen, dans les assemblées nationales et les sénats vont-elles se tenir ? Est-ce qu'il y aura des débats prévus sur cette question ?

Ainsi, j'aimerais qu'on réfléchisse à la manière d'avancer et de travailler parce que c'est finalement de cela que dépendront les résultats.

M. Axel Schäfer, député du Bundestag. - La constitution de cette conférence est le plus grand succès démocratique depuis la création du Parlement européen. C'est vraiment un résultat remarquable : jamais autant de députés du Parlement européen, de députés de parlements nationaux et de représentants de la société civile n'avaient été réunis au sein d'une même enceinte.

Nous devons faire de cette conférence un grand succès. Au début, tout ne se passe jamais à la perfection. Ni les parlements, ni les gouvernements ne sont jamais enthousiastes. Il nous faut donc essayer de susciter cet enthousiasme, discuter et être prêts à trouver des compromis.

Il ne faut jamais oublier la nécessité de tout faire pour parvenir à l'objectif fixé. Il est clair que le calendrier prévu n'est pas tenable et qu'il ne pourra pas être respecté. Il faudra donc se contenter de rapports intermédiaires et cela n'est possible que si nous arrivons à développer une véritable dynamique.

Il est souhaitable que le plus de citoyens possible participent à cette conférence aux côtés des chefs de gouvernement et des collectivités locales. Il faut insuffler un vrai dynamisme à cette conférence. La volonté de tous de participer doit se manifester. Un véritable engagement régional est également nécessaire.

M. Nobert Kleinwächter, député du Bundestag. - À propos de la conférence sur l'avenir de l'Europe, je vais être obligé de contredire ce qu'a dit Monsieur Schäfer. Je pense que cette conférence manque de légitimité parce que les citoyens ne sont pas suffisamment informés. Je voudrais bien savoir quelle est la couverture médiatique assurée en France et en Pologne et quelles sont les possibilités réelles qu'ont les citoyens de participer à cette conférence.

Cette conférence souffre également d'un biais tenant au fait qu'elle est politiquement très à gauche. Il y a donc un manque de légitimité et une absence d'acceptation de la part de l'ensemble de la population. Cette conférence ne sera pas à même d'initier des changements institutionnels et une révision des traités.

En réalité, c'est aux parlements nationaux d'impulser un processus permettant de modifier les législations nécessaires. Toutefois, si nous pouvons parler ensemble, cela ne permettra pas d'exposer des idées qui correspondent à l'opinion majoritaire de la société.

Par ailleurs, j'ai entendu dire, quand j'ai été en Pologne, qu'il était demandé aux citoyens de s'enregistrer, et de participer au recensement. Est-ce une opération qui a été lancée par le gouvernement ?

M. Michael Link, député du Bundestag. - Je suis très heureux de vous retrouver dans le cadre de ce triangle de Weimar, peu avant le trentième anniversaire de sa création.

Tout d'abord je tiens à vous remercier, Monsieur Schäfer : vous avez beaucoup d'ambition pour cette conférence compte tenu de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Pour le Bundestag nous serons présents, Monsieur Krichbaum, Monsieur Schäfer et moi-même. Nous ferons preuve de beaucoup d'ambition. Nous n'exclurons pas la possibilité de changement des traités.

Le parti et le groupe parlementaire auxquels j'appartiens sont favorables à une modification des traités. Nous avons en effet constaté qu'il existe des problèmes au sein de l'Union qui ne peuvent être surmontés que moyennant une révision des traités, en particulier en matière de politique de défense et de sécurité et de politique de l'énergie.

Nous pensons que des projets unilatéraux comme Nord Stream 2 sont des projets dangereux qui ne sont pas favorables à l'unité européenne.

Nous pensons aussi qu'il faut avoir des ambitions importantes dans le domaine judiciaire. Il faut défendre la liberté de la justice et je pense, à ce sujet, à la situation en Pologne.

Nous sommes heureux de la création de cette conférence sur l'avenir de l'Europe et nous pensons qu'elle aboutira à des résultats concrets.

Mme  Sabine Thillaye, présidente. - Je suis tout à fait d'accord. Nous avons besoin d'ambition et surtout de volonté politique pour faire avancer le projet européen.

Mme Anita Czerwiñska. - Je me réjouis que nous évoquions le rôle des parlements nationaux. Il nous faut entendre la voix des citoyens car la conférence sur l'avenir de l'Europe leur appartient.

Il importe également de respecter les résultats des élections démocratiques et de ne pas chercher des prétextes pour les remettre en cause.

Nous souhaitons agir tous ensemble dans cet esprit. Je donne maintenant la parole au président de la sous-commission à la conférence sur l'avenir de l'Europe, M. Kacper Payñski.

M. Kacper Payñski, député du Sejm polonais. Je reviendrai en premier lieu, sur les propos de Sabine Thillaye. La règle de l'État de droit implique également de lutter contre la corruption et de respecter les règles budgétaires européennes.

En ce qui concerne la conférence sur l'avenir de l'Europe, nous devons faire en sorte qu'elle soit un succès. Si le point de vue des États membres compte de manière importante, il importe aussi d'écouter les citoyens, surtout ceux qui, jusqu'ici, n'étaient pas engagés dans la vie politique.

La cybersécurité est un sujet d'une grande importance. Nous sommes en permanence l'objet d'attaques de hackers, officiellement ou officieusement, sous l'égide des services spéciaux russes. Il y a deux ou trois semaines, nous avons eu une réunion avec des parlementaires des États baltes et des représentants de l'OTAN. Il a été relevé par le spécialiste « cybersécurité » de l'OTAN, que l'Europe n'est pas prête à répondre à ce type d'attaque. Récemment, un pipeline a même cessé de fonctionner en raison de hackers russes. Les États-Unis ont probablement les meilleures infrastructures dans ce domaine et pourtant, ils ne parviennent pas à répondre à la menace des hackers russes.

Il s'agit d'un défi important, aussi bien pour l'Union européenne que pour l'OTAN. Nous devons être prêts à le relever.

Sur la question de l'État de droit, la Pologne exprime des inquiétudes vis-à-vis de ce qui se passe actuellement au sein de l'Union européenne. Les Polonais sont pro-européens. Nous estimons à sa juste valeur l'intégration européenne tant au niveau économique que culturel.

Mais nous sentons également, trop souvent, que nous sommes un partenaire de seconde catégorie. Les normes applicables ne sont pas les mêmes pour la Pologne et les autres pays. Par exemple, en France, des hommes politiques désignent des juges. En Allemagne, ce sont des hommes politiques qui désignent d'autres hommes politiques. En Pologne, les juges sont désignés par une instance qui est en partie constituée d'autres juges, et pourtant, nous avons été attaqués à l'échelle européenne sur cette question.

Sous l'influence des médias libéraux polonais, qui ne nous sont pas favorables, on prétend que notre système de justice n'est pas impartial. La Cour de Justice de l'Union européenne a prétendu que la Pologne était dotée d'une culture juridique différente de celle des autres États membres. C'est vraiment absurde. Je suis avocat, et en Pologne, la culture juridique est la même que dans les autres pays européens. Il s'agit d'un système de droit continental. Cette accusation était parfaitement ridicule.

Dans un arrêt, le Conseil d'État français a estimé que le droit constitutionnel français était plus important que le droit communautaire. Le tribunal de Karlsruhe, en Allemagne, a défendu la même position. Lorsque j'étais étudiant, j'ai eu à traiter un sujet d'examen sur les relations entre droit communautaire et droit constitutionnel. Il était alors évident que la Constitution était la loi fondamentale. Or, les juridictions constitutionnelles sont mises sous pression par la Cour de Justice qui estime que le droit communautaire est plus important. C'est vraiment très inquiétant.

Notre Premier ministre a posé la question au Conseil constitutionnel polonais. Toutefois, la Commission européenne a demandé que cette question ne soit pas posée. Autrement dit, le Premier ministre n'aurait pas le droit d'interroger le Conseil constitutionnel polonais afin de savoir si la Constitution peut prévaloir sur le droit communautaire. Cela est contraire à l'État de droit.

L'Union européenne veut influencer les États membres sur des questions relevant de leur droit interne. Cela est très préoccupant. Nous vivons de plus en plus dans un modèle où les juges, notamment les juges de l'Union européenne, veulent décider de tout. Les juges de la Cour de Justice se donnent des droits de manière totalement aléatoire et en marge des traités.

Il faut que nous discutions ensemble des prérogatives détenues par les États et qu'au sein du triangle de Weimar, nous adoptions une position commune sur ce sujet. Nous devons être solidaires entre parlements nationaux. L'Union européenne ne peut pas décider elle-même de ses compétences.

Nous ne voulons pas un super État européen. Lorsque l'on parle d'État de droit, le premier impératif est de ne pas violer les traités existants. Les règles doivent être les mêmes pour tous les États membres.

La Pologne sera toujours solidaire et acceptera les décisions des autres États membres, notamment celles rendues en Allemagne et en France sur la primauté du droit constitutionnel par rapport au droit de l'Union. Nous sollicitons un soutien de votre part, parlement allemand et parlement français, sur ces sujets.

Il y a une autre question que j'aimerais soulever. Il s'agit de la règle du consensus qui est essentielle.

Mme Sabine Thillaye, présidente. - Ce que vous avez dit est très intéressant. Il est clair que des notions clefs, comme celle d'État de droit, doivent être appréhendées globalement. Une définition commune de ce que l'on nomme nos identités constitutionnelles serait également souhaitable.

M. Marvin Gwó·d·, député du Sejm polonais. - Je me réjouis que le triangle de Weimar fonctionne de nouveau. En 2003, j'ai initié ce forum, avec Gunther Krichbaum, et un député français. Il s'agit d'un très bon format pour discuter des affaires européennes. Nous célébrons le trentième anniversaire du traité entre la Pologne et l'Allemagne. Nous avons encore beaucoup de travaux à mener.

En ce qui concerne la conférence sur l'avenir de l'Europe, nous souhaiterions que cette conférence implique les citoyens. Leur voix est essentielle. Par exemple, 5 millions de citoyens européens se sont dits favorables à l'arrêt des changements d'heure, l'été et l'hiver et pourtant les autorités n'y ont pas mis fin.

Quant à la question de savoir si cette conférence pourrait conduire à une révision des traités européens, nous devons au préalable nous demander si la crise sanitaire ne doit pas nous conduire à mieux garantir la sécurité d'approvisionnement de l'Union vis-à-vis de certains médicaments ou produits ainsi que notre cybersécurité.

Nous devrions tout d'abord nous interroger sur ce à quoi l'Union européenne devrait ressembler à l'avenir. L'Europe devra être avant tout solidaire. Si la notion de transition est abondamment utilisée, elle ne peut s'effectuer que par la solidarité européenne.

Mais les États membres sont également confrontés aux risques d'attaques de hackers qui peuvent menacer la sécurité de nos pays.

En ce qui concerne l'économie, la récession due à la crise doit nous conduire à nous demander si le modèle économique actuel permet de mettre en place la transition écologique dans le cadre d'un plan aussi ambitieux que celui qui a été décidé avant la crise sanitaire.

Notre stratégie industrielle, qui a fortement subi les répercussions de la crise sanitaire, devra également être adaptée en conséquence.

Enfin, au sujet du marché unique, il convient de rappeler que nous avons également besoin d'une Europe unique capable parler d'une seule voix. Aujourd'hui il s'agit d'une obligation et d'un défi communs.

Mme Laurence Harribey. - La question de la santé a démontré que lorsque nous sommes confrontés à quelque chose de concret, nous sommes en capacité de résoudre un certain nombre de problèmes et d'avancer au sein de l'Union européenne. La santé est une compétence d'appui de l'Union, ce qui signifie que nous ne pouvons avancer qu'en termes de coopération. Ceci explique d'ailleurs la difficulté de l'Europe au démarrage. Mais en utilisant les possibilités juridiques existantes, l'Union européenne a rendu possible une stratégie d'acquisition de vaccins en commun. La task force menée par le commissaire Thierry Breton prouve également que nous pouvons arriver à de substantielles réalisations malgré le cadre juridique en la matière.

La Commission a proposé trois règlements d'importance qui vont dans le bon sens pour permettre à l'Union de disposer d'un plan de préparation et de réaction face aux menaces transfrontalières en santé, anticiper et gérer les pénuries de médicaments ainsi que poser les bases d'une véritable politique de recherche.

La politique européenne en matière de santé interroge également d'autres secteurs, en particulier la politique industrielle, la politique de concurrence et la recherche. Aujourd'hui est prévue la création de l'agence HERA à l'image de la BARDA américaine, mais il conviendra de s'interroger sur les moyens octroyés.

Cette question de la santé constitue une thématique majeure pour le Sénat français, surtout en raison de la méthode retenue, qui consiste à travailler sur un enjeu européen pour faire avancer l'Union de manière concrète. Les citoyens s'approprieront le fonctionnement de l'UE lorsque nous traiterons de problèmes concrets quotidiens.

M. André Gattolin. - Je souhaiterais porter une réflexion plus générique sur le débat lui-même, sa méthodologie et ses objectifs.

La question du « qui » a été posée : les acteurs institutionnels, les citoyens, participeront à la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Il nous reste à déterminer si la représentation citoyenne sera efficace et effective, ce qui constitue un vrai sujet.

Nous sommes particulièrement préoccupés par la question du cadrage : à quel horizon fixe-t-on le débat dans le cadre de la Conférence de l'Europe ? L'échéance de dix ans a été évoquée, ce qui est à la fois très long et très court. Ces dix années seront préemptées par le cadre financier pluriannuel de sept ans, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre. Il convient de rappeler que le Traité de Rome fêtera ses 65 ans l'année prochaine : la construction européenne s'inscrit dans un temps long, ce qui est particulièrement difficile à une époque où les transformations sont de plus en plus rapides.

Il y a dix ans, quelles visions projetions-nous sur l'Union européenne ? Envisageait-on le Brexit, l'état actuel des relations entre l'Europe et l'Amérique du Nord, ou encore la montée de la puissance chinoise ?

Il est donc nécessaire d'adopter une vision ouverte, et non pas seulement de se préoccuper du court terme. À l'horizon de dix ans, nous restons dans la projection des enjeux actuels.

Dans le cadre de la Conférence ont été définis neuf thèmes. Ces derniers seront-ils toujours pertinents dans dix ou vingt ans ? Aujourd'hui, les réflexions du Congrès américain portent sur l'horizon 2050, celles de la Chine sur l'horizon 2049. En Europe, nous pensons à l'horizon d'un ou deux mandats, ce qui risque de restreindre notre réflexion.

Nous avons aussi beaucoup de présupposés et de concepts qui sont enracinés au niveau européen. L'Union européenne repose sur la promesse d'un espace de paix et de prospérité partagé, et ce depuis le début de sa construction. Aujourd'hui, aucun grand continent ne pourrait revendiquer cela. Cet objectif était opportun après-guerre, maintenant, ce qui doit nous définir, c'est la compétition et notre rapport avec les autres dans l'ordre mondial, ce qui nous amène à dépasser le cadre des problématiques actuelles au sein de l'Union.

M. Jean-Yves Leconte. - Des inquiétudes ont été soulevées quant à la primauté du droit constitutionnel sur le droit européen. Il convient de rappeler qu'aujourd'hui, nous avons décidé de mettre en place des politiques communes et de définir un ordre juridique pour les encadrer. La question du respect de ce droit soulève une question de confiance et de capacité à agir en commun. Nous devons faire attention au respect de nos identités constitutionnelles, mais nous ne pouvons pas théoriser le fait que le droit européen doit être soumis à chacune de nos constitutions. Alors que ce débat existe dans plusieurs pays, il faut rappeler que la capacité de l'Union européenne aujourd'hui repose aussi sur sa capacité à avoir des règles et à les faire appliquer dans tous les pays.

Le deuxième point que je voudrais souligner est que le droit européen n'est pas divin : s'il ne nous convient pas, nous pouvons le changer. Or, nous nous rendons compte que sur un certain nombre de sujets, les politiques européennes sont tellement intégrées qu'elles touchent parfois à nos identités nationales. Par exemple, sur les questions budgétaires, le fait d'avoir une supervision à Bruxelles pose un certain nombre de difficultés. Sur la question des frontières, nous devons définir le mandat donné à Frontex : s'agit-il d'un mandat direct de surveillance des frontières extérieures ou ne fonctionne-t-il que sous supervision de l'État concerné ?

La question des règles de nationalité est également délicate car elle se situe au coeur de nos identités. Or, est-ce acceptable que certains États vendent la citoyenneté européenne et en fassent un commerce ?

En France, nous sommes par ailleurs préoccupés par la jurisprudence interdisant d'obliger les opérateurs de téléphonie à conserver les données de connexion, ce qui pose des problèmes pour les services de renseignement et les enquêtes du Parquet.

Sur ces sujets, les politiques européennes sont aujourd'hui tellement intégrées que nous ne pouvons pas ne pas aller plus loin : si nous n'allons pas plus loin, nous reculerons.

Le coeur du débat est le suivant : sommes-nous prêts à aller plus loin pour défendre nos politiques actuelles ?

Évoquer la notion de souveraineté européenne signifie accepter de partager sa souveraineté entre pays européens. Ceci peut conduire à renforcer le débat politique européen, c'est-à-dire aller vers la mise en place de listes transnationales qui seraient compétentes pour une partie des sujets européens, afin que le débat européen ne se résume pas à la somme des débats nationaux.

Enfin, il est important que les pays candidats à l'adhésion fassent partie de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, afin qu'ils comprennent le fonctionnement de cette Union à laquelle ils aspirent.

M. Bodgan Klich. - Je poursuis mon propos déjà entamé lors de ma précédente intervention : que devrions-nous faire ensemble  pour l'Europe ? Je préfère éviter les polémiques mais je dirais tout de même que le droit communautaire est supérieur au droit polonais. Notre loi fondamentale dispose de manière précise que les sources de droits sont notamment les traités internationaux. Or, en pleine connaissance de cause, les citoyens polonais se sont exprimés en 2003 en faveur de l'intégration à l'UE et, depuis, le droit européen est intégré à notre ordre juridique.

Nous devrions plaider lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe en faveur du dialogue et contre l'exclusion et les mesures mises en place par les pouvoirs populistes en Europe et en dehors. Le populisme et le nationalisme sont dangereux pour l'Europe : ils sont des ennemis pour l'Union et nous devrions en avoir conscience.

Nous devons souligner ce qui nous unit, en premier lieu les valeurs européennes, qui ont des racines profondes dans la culture judéo-chrétienne et la renaissance européenne. Nous avons en commun des valeurs démocratiques fondées sur la liberté. La démocratie libérale est le seul régime politique qui permet de consacrer des valeurs comme l'État de droit, la liberté d'élection, la transparence de l'administration publique, le principe de subsidiarité sur lequel se fonde l'UE ainsi que la règle de l'autonomie régionale.

Nous devons dénoncer la démocratie illibérale défendue par Victor Orban en Europe et la démocratie souveraine défendue par Vladmir Poutine en Russie. Il n'existe qu'une seule forme de démocratie : c'est la démocratie libérale.

M. Kazimierz Kleina, sénateur polonais. - Il y a trente ans lorsque le Triangle de Weimar était institué, la situation était bien différente. Nous ne savions pas à quoi aller ressembler l'Europe, ni même la Pologne. Les pays de l'Est passaient sous le giron de la démocratie et cette initiative était donc cruciale. L'Europe déjà unie parlait alors d'intégration.

Aujourd'hui la Pologne fait partie de l'Union et cette dernière a bien changé. Nous devrions donc nous demander à quoi ressemblera l'Union dans 30 ans. Il n'y a pas, pour nous, d'intégration économique sans État de Droit. Nous devons nous rencontrer régulièrement et proposer des solutions juridiques communes avec toujours l'objectif d'inclure les citoyens. Ils doivent prendre part à la discussion, à travers les écoles, les églises, les associations.

Mme Sabine Thillaye, présidente.- L'Union a été créée pour apporter une réponse à nos divergences internes mais aujourd'hui le paradigme change : il nous faut prendre position face au monde extérieur, ce qui implique aussi de définir nos priorités.

Nous devons également tenir compte de nos valeurs communes comme la liberté et l'État de Droit. Elles doivent nous réunir. Nous devons nous inscrire dans le temps long comme le font nos partenaires et nos concurrents.

Second thème de débat : le marché unique comme instrument de la relance économique et de la transition écologique

Mme Sabine Thillaye, présidente. - La crise que nous traversons a démontré l'importance du marché unique mais posé aussi la question de l'indépendance et de l'autonomie stratégique de l'Union ainsi que celle de sa résilience.

Nous avons réussi à adopter un plan de relance ambitieux, qui constitue un saut qualitatif. Ce plan est l'expression de la solidarité européenne puisqu'il s'agit d'un emprunt commun qui bénéficiera en particulier aux pays qui en ont le plus besoin.

Nous devons à présenter concrétiser nos projets ambitieux ; sur ce point, les parlements nationaux ont un rôle clé qui est de contrôler le respect des engagements pris par les Etats. La France a présenté un plan ambitieux qui consacre 50 % des crédits à la transition environnementale. Aucun soutien financier ne sera apporté aux activités polluantes.

Mme Ursula Groden-Kranich, députée du Bundestag. Nous devons penser sur le long terme et agir à court terme. Le Bundestag étudiera prochainement le thème des infrastructures à hydrogène. Il nous faut tirer les conclusions de la pandémie. Nous avons besoin de travailler au développement de notre continent. Beaucoup de tâches nous attendent.

M. Johannes Schraps, député du Bundestag. L'accord auquel nous sommes parvenus sur la facilité de reprise et de résilience est très important et révèle une grande volonté d'avancer de la part de l'Union européenne. L'accord permettra de donner une impulsion importante à nos économies, de les verdir et de les numériser. Mais nous ne pouvons tabler sur le plan de relance et sur cette facilité qu'à condition de pouvoir commencer à engager les fonds rapidement. L'Union européenne fait preuve de réactivité.

Les premiers projets sont déjà sur la table : la réponse à cette crise sera forte. C'est une grande différence par rapport aux crises précédentes. Les projets lancés par la France et l'Allemagne sont des projets d'intérêt commun, par exemple dans le domaine de la numérisation et de l'hydrogène, mais les autres pays membres de l'Union peuvent participer.

L'argent du plan de relance est lié à l'État de droit : les fonds qui sont alloués depuis le 1er janvier doivent être orientés vers des pays qui respectent l'État de droit. Sinon, la Commission peut proposer d'interrompre le versement de l'argent du plan de relance. La Commission a élaboré une procédure, mais ne l'a pas encore appliquée. Nous pensons que la base même de la coopération sur les sujets techniques est le respect de l'État de droit.

M. Siegbert Droese, député du Bundestag. Le marché unique a permis de générer de la prospérité : il faut donc continuer de le développer. Le plan de relance de l'Union prévoit des aides d'un montant de 600 milliards d'euros, qui représenteraient entre 0,5 % et 4 % du PIB. Je connais les garanties apportées pour que ces fonds soient utilisés de manière efficace, notamment au regard des problèmes de corruption. Comment pouvons-nous empêcher qu'une économie zombie se développe, qui n'aurait plus rien à voir avec la libre concurrence et les règles démocratiques ?

L'Union européenne souhaite atteindre la neutralité climatique d'ici 2050 : mon groupe parlementaire considère que la réduction des émissions de CO2 est fondamentale, mais il faudrait également davantage d'initiatives en faveur du fuel vert.

M. Ernst Klaus, député du Bundestag. Deux points me paraissent importants pour le marché intérieur. Il y a d'une part des taux d'imposition différents sur les entreprises : certaines ont leur siège social situé dans des États où le taux est moins élevé, comme en Irlande. L'harmonisation fiscale est très importante, de manière à ce que tous les pays aient les mêmes conditions en matière de compétitivité.

D'autre part, le plan de relance a été accepté par les citoyens, même si les pays qui reçoivent l'aide doivent comprendre que certaines conditions doivent être respectées. Il y a des pays qui n'acceptent qu'une partie des règles européennes, et bafouent la liberté de la presse et l'État de droit. Si nous n'arrivons pas à créer les mêmes conditions dans tous les États membres, il y aura un problème d'acceptation de la part des citoyens.

Mme Anita Czerwiñska. - Les prises de parole de mes collègues du Bundestag comprennent des allusions évidentes à la Pologne. Pourtant, dans le cadre du projet Nord Stream II avec la Russie, je m'étonne que vous ne voyez pas de problème d'État de droit au regard de la situation avec la Biélorussie.

Mme Anna Kwiecien, députée du Sejm polonais. - La transition écologique dans l'Union européenne nécessite des investissements très concrets. Les aides d'État devront être compatibles avec la transition écologique. Les différences entre les États membres doivent néanmoins être prises en compte : il faut tout faire pour que les gens n'aient pas l'impression d'être laissés pour compte. Ils doivent être des acteurs de cette transition, et non des victimes. La transition efficace doit permettre de mener à une transition acceptable au niveau de la société et soutenue par les citoyens. Il faut faire davantage attention au nombre d'emplois créés. En Pologne, il faut trouver de nouvelles possibilités pour les employés des mines de charbon, mais cela concerne d'autres industries, notamment l'automobile.

Pour la Pologne, il faut une transition écologique équitable : des ambitions trop importantes à court terme, sans financement adéquat, pourraient conduire à une véritable catastrophe. La société polonaise risque d'être opposée à cette transition. La Commission doit mettre en place des mécanismes de compensation.

Le marché unique est un des moyens de sortir de la crise sanitaire et économique. Il faut permettre une réelle libre circulation des marchandises et des services. La Pologne, à l'heure actuelle, s'est bien débrouillée en ce qui concerne la lutte contre la crise, avec un taux de chômage faible. Néanmoins, nous voulons une solidarité avec les autres États membres, pour que ce taux de chômage faible soit une réalité dans tous les États de l'Union. Pour parvenir à ce but, il est très important de s'appuyer sur le marché unique européen et de continuer de lutter contre les différents obstacles aux libertés de circulation.

M. Tomasz Glogowski, député du Sejm polonais. - J'aimerais vous donner la vision d'un député de l'opposition au sujet de la transition écologique. Je viens de Silésie, où l'on trouve de nombreuses mines et où l'enjeu de la transition écologique est particulièrement important. Nous devons faire face à ce défi. Je regrette que le montant du Fonds de transition juste ait été diminué.

M. Jean-Marie Fiévet, député. - Je voudrais aborder le sujet, rarement évoqué, de la transition écologique et énergétique des armées européennes. Au-delà de l'implication dans les projets de coopération propres au domaine de la défense, les armées peuvent tirer parti des initiatives principalement destinées au secteur civil, mais qui peuvent avoir des répercussions positives pour le monde militaire.

Grande puissance militaire de l'Union européenne, la France est particulièrement engagée sur le sujet de la transition écologique et énergétique. Les attentes grandissantes de la société civile envers les armées en matière de respect de l'environnement font peser sur nos pays une lourde responsabilité. Les pays de l'Union européenne doivent créer une dynamique en ce sens.

Il s'agira de s'impliquer dans des initiatives multilatérales en proposant l'organisation d'événements réunissant cercles de réflexion, industriels et spécialistes des nouvelles technologies, lors desquels des experts des pays de l'Union européenne pourront présenter certains projets prometteurs portés par les armées, comme, pour la France, les travaux sur le camp écologique. Nous pourrions également faire avancer des discussions sur le développement d'une filière européenne de recyclage, y compris pour les armées, non seulement pour des questions de coûts, mais aussi pour le renforcement de leur autonomie stratégique. Les ministères français des affaires étrangères et des armées travaillent déjà sur ces questions.

Il doit y avoir une réelle prise en compte des enjeux de la transition énergétique des armées à l'échelle la plus pertinente, à savoir l'échelle européenne et internationale. Dans le cadre du plan de relance, la recherche et développement dans le domaine des énergies doit occuper une place importante. Pour les carburants d'avenir, tout le monde parle de l'hydrogène, mais on peut également mentionner les carburants à base d'algues, les carburants de transition synthétiques ou les électro-carburants. Ces carburants ne produisent aucun gaz à effet de serre, il faut vraiment lancer la recherche dans ce domaine.

Mme Marguerite Deprez-Audebert, députée. - Historiquement, le marché unique a toujours été au coeur de l'intégration européenne. À l'heure actuelle, il constitue un véritable atout pour la relance économique et la transition écologique en Europe. Notre espace de libre circulation est non seulement l'une des plus grandes zones d'échanges économiques au monde, mais il nous permet de définir des normes exigeantes afin d'accélérer la nécessaire transition écologique à l'échelle européenne et mondiale.

La question des normes joue un rôle central pour le bon fonctionnement du marché unique et sa contribution à la relance verte de notre économie. À ce titre, la publication par la Commission européenne le 21 avril dernier du système européen de classement des investissements verts dans différents secteurs économiques constitue une étape importante. Cette taxonomie de la finance durable a vocation à définir quelles activités économiques pourront être considérées comme des investissements verts au sein de l'Union européenne. L'objectif est d'attirer les capitaux privés vers des secteurs dont les activités sont en cohérence avec l'objectif de neutralité climatique d'ici 2050 prévu par le Pacte vert pour l'Europe.

Cependant, la Commission n'a pas encore tranché sur l'étiquetage vert ou non de l'énergie nucléaire et du gaz naturel. Or, la définition de la notion d'investissement vert dans le secteur de l'énergie revêt une importance toute particulière pour la mise en oeuvre du Pacte vert. Si cette question de l'étiquetage des investissements dans différentes sources d'énergie est essentielle, elle ne fait pas forcément l'unanimité entre les États membres. Les perceptions et besoins en termes d'approvisionnement en énergie ne sont pas les mêmes entre la France, l'Allemagne et la Pologne. Cela est vrai pour le nucléaire, le charbon et le gaz naturel. Pour mener à bien notre transition écologique, nous avons besoin de décarboner notre production d'hydrogène. Dans ce contexte, plusieurs voix s'élèvent en France pour donner à l'énergie nucléaire le statut d'énergie de transition. Une note publiée par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) préconise le recours aux énergies renouvelables et nucléaire afin de décarboner la production d'hydrogène. Je souhaiterais connaître la position de nos collègues allemands et polonais sur la question des investissements verts dans le secteur de l'énergie, notamment de la reconnaissance du gaz naturel et du nucléaire comme énergies de transition.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous nous réjouissons tous que le plan de relance européen puisse enfin se mettre en place. Ce plan est-il suffisant ? Il faut le prendre tel qu'il est. Il a été difficile de parvenir à un accord au Conseil européen. La ratification de la décision sur les ressources propres a mis en évidence, au Sénat, des lignes de fracture, des craintes vis-à-vis d'un saut fédéral qui serait opéré en catimini. Je ne crois donc pas à un plan européen complémentaire.

En revanche, je vois la tentation de contourner l'obstacle par un débat légitime sur les règles budgétaires européennes. Doit-on s'accrocher aujourd'hui aux fameux critères de Maastricht ou faut-il les assouplir pour permettre aux États d'investir plus dans des domaines stratégiques pour l'avenir afin que l'Europe ne soit pas irrémédiablement distancée par ses concurrents, au premier rang desquels les États-Unis et la Chine ? Le gouvernement français souhaite que ce débat ait lieu, notamment dans la perspective de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022. Il est important, mais assurément pas simple à mener, car la cohésion de la zone euro est potentiellement en jeu. C'est un débat qui ne peut, à mon sens, être mené qu'en étant accompagné d'une doctrine budgétaire crédible et d'engagements sincères en matière de choix et de maîtrise des dépenses publiques. La France a parfois eu tendance à avoir des engagements flottants et à être plus prompte à dépenser qu'à réduire les dépenses publiques.

C'est un débat que nous devrons avoir d'abord dans nos parlements nationaux, car le consentement à l'impôt et le vote du budget sont nos prérogatives historiques. Aussi je souhaiterais connaître votre approche en la matière, vos conditions et vos lignes rouges éventuelles. Si ce débat prospère, nous devrons le mener avec rigueur et en prêtant une attention accrue à l'impact des mesures proposées. Je pense par exemple à la trajectoire pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. Cet objectif est évidemment louable, mais faisons attention aux conséquences socio-économiques des décisions qu'il implique. La dynamique de dépenses publiques induite pourrait être très élevée, et ne peut se concevoir que dans une approche globale offensive de l'Union européenne pour faire prévaloir ses intérêts, en matière commerciale et industrielle en particulier. Pour toutes ces raisons, je pense que nous gagnerions à échanger de manière concrète entre nos commissions sur ces sujets, en partageant des analyses circonstanciées. Ce serait une contribution utile à l'approfondissement de la démocratie européenne que nous appelons de nos voeux.

Certains de nos collègues ayant dû nous quitter, je vais vous faire part de l'intervention qu'avait prévue mon collègue Alain Cadec, qui est en lien direct avec la transition écologique.

Très récemment, la ministre française de la transition écologique a qualifié les énergies renouvelables de vitales pour lutter contre le changement climatique et parvenir à la neutralité carbone. Par ses propos, elle a désigné comme prioritaire l'implantation d'éoliennes sur le territoire français afin de soutenir la stratégie de décarbonation du paysage énergétique français.

Le gouvernement français a en effet défini une trajectoire dans les prochaines années, la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui prévoit notamment le doublement des capacités de production d'électricité renouvelable d'ici 2028. Elle s'inscrit dans un contexte d'évolutions des modes de vie et des mobilités qui renforceront incontestablement nos besoins en électricité. L'industrie de demain, fondée sur l'exploitation et la maîtrise des données, sera par ailleurs fortement consommatrice d'électricité.

Je tiens à rappeler que la production électrique française est déjà quasiment décarbonée. Elle provient à 75 % du nucléaire et à 23 % des énergies renouvelables, essentiellement de barrages hydroélectriques. Pourtant, les énergies renouvelables, même si elles sont largement adoptées par nos concitoyens, suscitent de fortes réactions. Elles montrent certaines limites environnementales, technologiques et sociétales. Le seuil de saturation est d'ailleurs déjà atteint pour plusieurs catégories, comme l'éolien terrestre et offshore. Pourtant, l'éolien offshore français ne représente que 1 % de l'électricité provenant des énergies renouvelables. Actuellement en campagne électorale, je peux constater qu'il y a une fronde de plus en plus importante de nos concitoyens contre l'implantation d'éoliennes et ses conséquences sur nos paysages. Un animateur de télévision très attaché au patrimoine, Stéphane Bern, a rédigé une tribune, largement relayée dans les médias français, pour dénoncer cette invasion qui menace nos paysages et notre patrimoine. Nous sommes confrontés dans nos régions à des implantations de parcs éoliens offshore qui provoquent la colère des pêcheurs, des habitants et d'associations environnementales. Ces parcs sont censés être érigés à une quinzaine de kilomètres au large des côtes, souvent en dépit des réticences des maires soucieux de protéger la richesse écologique de leur territoire. Paradoxalement, les critères financiers priment sur la préservation des activités économiques et les critères environnementaux.

L'installation d'éoliennes nécessite des aires d'implantation importantes. Pour produire la même quantité d'électricité, une centrale nucléaire s'étend sur la surface de 5 000 hectares, contre 5 000 km² pour un parc éolien.

Il me paraît essentiel que chaque pays apporte ses propres solutions, en fonction de ses spécificités économiques et industrielles, pour atteindre l'objectif de neutralité carbone que l'Union européenne s'est fixé.

M. Bogdan Klich. - Nous espérons que le contrôle exercé par la Commission sur les dépenses du fonds de relance sera rapide et transparent, afin de permettre un déblocage rapide des fonds. La Commission européenne a pour mission de veiller à ce que la législation européenne soit appliquée, et non pas d'empêcher son application.

Nous espérons aussi que la Cour de Justice réagira plus rapidement aux cas de violation de l'État de droit. Il faudrait que la Conférence sur l'avenir de l'Europe conclue à la nécessité de modifier l'article 7 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de sorte à rendre cet article opérant.

M. Marek Plura, sénateur polonais. - Le plan de relance a une importance cruciale pour les États membres. Il va permettre non seulement de contrecarrer certains effets de la pandémie, mais aussi d'investir et de créer des emplois.

J'aimerais parler de la situation des personnes présentant un handicap. Certains fonds européens, comme le Fonds social européen, ont une clause pour favoriser l'accessibilité des infrastructures aux personnes présentant un handicap (accessibilité des projets réalisés, accessibilité des investissements, etc.). Il faudrait que ces exigences soient également intégrées au plan de relance.

Les actes législatifs de l'Union européenne ne soutiennent pas suffisamment l'accessibilité en faveur des personnes en situation de handicap. Les directives sur le transport aérien et sur le transport ferroviaire permettent déjà des investissements, mais la mise en oeuvre de ces textes n'est pas toujours à la hauteur de ce qui était prévu. Seules 10 % des personnes qui présentent un handicap sont actives sur le marché du travail : il ne s'agit donc pas seulement d'un devoir civilisationnel, mais aussi d'opportunités économiques.

Mme Gabriela Morawska, vice-Présidente du Sénat polonais. - Ce sont les valeurs de l'Union - et notamment l'État de droit, comme l'affirme l'article 2 du Traité - qui lui permettent d'être unie. Il s'agit d'un fondement sans lequel le marché unique ne peut pas fonctionner : les hommes d'affaires ne peuvent investir que s'ils ont confiance dans le système judiciaire des États membres. Il ne faut pas fermer les yeux sur les violations de l'État de droit dans différents États membres.

M. Karimierz Kleina, sénateur polonais. - Quel que soit le parti au pouvoir, nous soutenons avec constance le marché unique et la politique régionale. Il faut aussi donner une chance aux pays à l'est de l'Union européenne de se développer : l'Ukraine, la Biélorussie. L'économie polonaise repose en partie sur les travailleurs ukrainiens. À terme, il n'est pas souhaitable que des pays relativement riches continuent à « piller » la main-d'oeuvre qualifiée des pays plus pauvres. Sinon ces pays ne parviendront pas à se développer et risquent d'être plus dépendants de la Russie.

Par ailleurs, la Pologne met en place un programme de transition énergétique, basé sur la construction d'éoliennes offshore. Ces éoliennes sont localisées à plus de vingt kilomètres de la côte, ce qui me semble être une meilleure solution que celle qu'a choisie la France. Un élément essentiel du marché unique européen sera la construction de lignes énergétiques transnationales. Ce n'est que comme cela que nous pourrons anticiper des problèmes liés à la transition énergétique.

M. Bogdan Klich. - Je vous remercie. Je propose que ce type de réunion soit systématiquement organisé avant les réunions de la conférence sur l'avenir de l'Europe. J'aimerais que notre position soit préparée au préalable afin que le triangle de Weimar puisse participer à la conférence sur l'avenir de l'Europe en constituant comme un front uni.

Mme Sabine Thillaye, présidente. - Ces réunions sont très importantes pour arriver à des positions communes, au profit de l'Union européenne, malgré des positionnements différents. Nous avons déjà une coopération interparlementaire depuis 2019 assez poussée avec nos homologues du Bundestag, avec la mise en place de l'Assemblée parlementaire franco-allemande qui doit nous permettre de mieux nous connaître. Je parle souvent de l'interculturalité : nous avons tous une histoire et une culture différentes qui créent des appréciations divergentes sur certains sujets. Mais de ces divergences peuvent aussi naître des solutions. La conférence sur l'avenir de l'Europe doit permettre de clarifier la pensée de chacun pour trouver des solutions aux défis qui nous sont posés.

Par ailleurs, le bon fonctionnement du marché unique est un moteur de la relance économique européenne et nous devons tout faire pour en identifier les obstacles. Ceux-ci peuvent parfois se trouver dans les zones transfrontalières où peuvent exister des barrières pour lesquelles nos concitoyens peuvent blâmer l'Union européenne mais qui sont en réalité de l'ordre du bilatéral. Enfin, se pose le sujet plus général de la disparité de nos systèmes fiscaux et sociaux, qui est probablement plus difficile à lever.

Mme Ursula Groden-Kranich, députée du Bundestag. - Nous avons vu à quel point il était important que nous puissions nous écouter et discuter. Le thème de l'État de droit est essentiel, mais également la discussion autour de Nord Stream 2 avec les collègues polonais. En outre, le marché unique est la base de la reprise après la pandémie que nous venons de traverser. C'est le sujet qui va le plus nous occuper et cela nous donnera l'occasion de montrer que nous voulons nous redresser ensemble, dans un effort commun. Nous voyons que les pays très touchés par la pandémie arrivent à recevoir des fonds du plan de relance, ce qui montre qu'ils ne sont pas seuls.

Pour conclure, je me souviens de mon premier sommet de Weimar à Paris, les Français y faisaient encore la publicité pour l'énergie nucléaire. Je constate que nous avons beaucoup avancé sur ce sujet et nous avons ouvert d'autres perspectives. Je pense qu'il faut parler des lignes rouges et trouver des solutions de compromis. C'est ensemble que nous arriverons à résoudre les problèmes européens.

Mme Anita Czerwiñska. - Nous voulons tous, en tant que parlementaires polonais, parler d'une seule voix et écouter la voix des Européens. La conférence sur l'avenir de l'Europe est adressée aux citoyens. L'une des valeurs essentielles de l'UE est leur diversité. Nous devons respecter nos opinions respectives, même si elles ne coïncident pas avec les opinions générales. Il faut faire preuve de tolérance car c'est le citoyen souverain qui va décider de l'avenir de l'Europe. Dans un tel esprit, nous devons respecter les résultats des élections, même si, pour certains hommes politiques, ces résultats ne sont pas favorables. Il faut accepter qu'en Pologne, il y ait eu des élections démocratiques à l'issue desquelles, pour la septième fois, le parti « Droit et justice » a gagné. Il s'agit d'une décision souveraine de la société polonaise.

Ceux qui insinuent qu'il n'y a pas d'État de droit en Pologne disent des contrevérités. Cela découle d'une méconnaissance de la situation juridique et politique polonaise. Nous vous invitons à une discussion pour comparer les États de droit en Pologne mais aussi en France et en Allemagne, en particulier en ce qui concerne la liberté d'expression. Il faut une discussion franche qui permette de respecter les avis respectifs. Nous vous donnerons toutes les informations nécessaires et vous invitons à venir à Varsovie. Nous pourrons parler du pluralisme, de la démocratie en Pologne, qui se portent très bien, comme le démontre le fait que le Sénat soit mené par l'opposition. Nous désirons que le Triangle de Weimar soit un triangle équilatéral.

Enfin, nous avons parlé du plan de relance. En Pologne, il y a eu une tentative pour le bloquer, étant donné que l'opposition, qui a la majorité au Sénat polonais, n'en souhaitait pas l'adoption. Le Sejm a fini par adopter ce plan, car la gauche a décidé d'accepter ce plan de reprise. Le risque était que les autres États membres ne puissent pas mettre en oeuvre le plan de relance européen. Il ne faut pas nous regarder de haut, en nous donnant des leçons. Nous demandons à être écoutés.

Mme Sabine Thillaye, présidente. - Nous avons une discussion franche et ouverte. Nous sommes disposés à venir en Pologne pour discuter de toutes ces questions.

M. Jean-François Rapin, président. - Nos échanges ont permis de mettre en évidence à la fois nos points communs mais aussi nos divergences. Nous avons encore de nombreux débats à venir, par exemple sur l'énergie. Je considère, n'en déplaise à certains, comme nombre de mes homologues, que le nucléaire est un atout qui participe à la décarbonisation de l'économie française et européenne et qu'il restera à ce titre une énergie de premier plan. S'agissant de notre prochaine réunion, elle pourrait porter sur l'État de droit, sujet que j'aborderai pour ma part sans préjugés.

M. Kleina Kazimierz, sénateur polonais. - Je suis heureux de cette réunion. Elle a permis d'aborder des sujets essentiels pour nos pays, notamment celui du plan de relance. Toutefois, j'attire l'attention sur l'importance de la discipline en matière de finances publiques, étant président de la commission des Finances du Sénat. Les emprunts faits aujourd'hui au nom de l'Union européenne devront être remboursés.

Mme Sabine Thillaye, présidente. - L'Union européenne a besoin de confiance mutuelle, entre les États-membres mais aussi entre les parlementaires. Les rencontres physiques y contribuent certainement et j'espère que notre prochaine réunion, en Pologne, sera en présentiel.

La commission des affaires européennes autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 05.

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Situation des pêcheurs français à la suite du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne - Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer, et M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

M. Jean-François Rapin, président. - Madame la ministre de la mer, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, nous sommes heureux de vous accueillir ensemble au Sénat.

L'enjeu justifie amplement votre présence : six mois après la conclusion de l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, l'inquiétude a ressurgi, et même la colère, au vu des difficultés de mise en oeuvre de celui-ci. La situation devient très tendue sur les côtes normandes et dans les Hauts-de-France, c'est pourquoi il est important pour nous d'effectuer ce point d'étape.

S'agissant de la mise en oeuvre de cet accord, nous souhaiterions tout d'abord obtenir des précisions techniques sur l'effectivité et le nombre des licences accordées, qui font toujours défaut à de nombreux pêcheurs européens pour accéder à la bande des 6-12 milles, près des côtes britanniques.

Concernant les quotas à venir, quel est, selon vous, l'état d'esprit de nos partenaires britanniques ? Quelle est concrètement l'action de la Commission européenne, et bien sûr, celle du Gouvernement à la fois par rapport à la Commission européenne et au gouvernement britannique ? Les dernières altercations entre le Président de la République et M. Boris Johnson démontrent en effet une tension palpable.

Enfin, nous aimerions avoir des clarifications sur les mesures de rétorsion que nous avons à notre disposition. Le négociateur Michel Barnier évoquait la possibilité de les mobiliser dans cinq ans et demi, au moment de renégocier l'accord. A-t-on les moyens de les activer dès aujourd'hui ? Vous le savez, vous qui vous êtes rendue de nombreuses fois à Boulogne et en Normandie, nos entreprises de pêche sont inquiètes.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. - Si nous avons dû faire des concessions sur l'accord de décembre 2020, l'Union européenne (UE) est finalement parvenue à conserver 75 % des captures en valeur dans les eaux britanniques. Ce chiffre était loin d'être acquis, et jusqu'au dernier moment, nous nous sommes inquiétés de la possibilité de ne pas trouver d'accord. Sur sa mise en oeuvre, question tout aussi importante, j'évoquerai trois aspects : la gestion des stocks partagés, l'accès aux eaux britanniques, et les dispositifs d'accompagnement.

Nous sommes finalement engagés sur la bonne voie concernant les stocks partagés, puisque nous avons obtenu un accord sur les quotas de pêche début juin - soit plus de cinq mois après le début des négociations. Ces quotas doivent être renégociés tous les ans : il était d'autant plus important de réussir cette première négociation. Notons cependant que les rouages de cette négociation restent à affiner. Sur le fond, l'UE s'est trouvée confrontée à un partenaire difficile, qui a systématiquement cherché à s'éloigner de l'application de l'accord Brexit. Je citerai, par exemple, sa volonté de mettre en place des plafonds sur les espèces hors quotas, ou encore sa proposition de conclure un accord partiel, rejetée par l'ensemble des États membres. Tout cela m'amène à considérer que l'accord conclu, s'il n'est pas totalement satisfaisant, reste équilibré, et ce grâce à l'unité des États membres. Je me félicite notamment du compromis trouvé en mer celtique, zone particulièrement sensible pour les pêcheurs bretons. Ce texte permettra également de donner la visibilité nécessaire aux professionnels et aux entreprises. Il constitue sans nul doute un premier palier important pour la construction de la relation future avec les Britanniques.

La question de l'accès aux eaux du Royaume-Uni n'a pas beaucoup progressé depuis que nous avons échangé sur le sujet. Nous avons d'abord travaillé, aux côtés des pêcheurs français, sur la zone économique exclusive (ZEE), pour laquelle nous avons obtenu 739 licences définitives, soit l'intégralité des autorisations demandées. Ces licences sont conséquentes, puisqu'elles représentent 44 % des autorisations européennes. En revanche, sur l'accès à la bande des 6-12 milles britanniques, nous n'avons jusqu'à présent reçu que 88 licences pour les professionnels de nos trois régions. Il manque 86 licences par rapport à ce que nous avions demandé, dont 40 concernent des navires-remplaçants, et 46 des navires de moins de 12 mètres. Pour ce type de navires, le problème réside dans la nécessité de démontrer des antériorités de pêche dans la zone. Je regrette toutefois que, de façon systématique, dès lors que la France apporte des réponses à la Commission européenne sur ce point, le Royaume-Uni formule de nouvelles demandes de pièces à fournir. Nous travaillons d'arrache-pied pour y répondre, mais nous serons prêts à activer tous les leviers prévus par l'accord pour le faire appliquer face à ces demandes excessives de la part du Royaume-Uni. Concernant Guernesey, nous avons rapidement obtenu 167 licences provisoires, valables jusqu'au 30 juin 2021, date à laquelle les licences définitives devraient être attribuées. Si toutefois certaines ne nous parvenaient pas dans les temps, nous demanderions que cette date soit décalée. La situation est plus compliquée avec Jersey. Si nous souhaitions initialement demander 344 licences, nous n'avons finalement pu fournir les données justificatives que pour soutenir 272 de ces demandes, pour obtenir au final 47 licences définitives.

M. Jean-François Rapin, président. - Comment expliquez-vous cette différence entre votre souhait initial et les 272 licences effectivement demandées ?

Mme Annick Girardin, ministre. - Dans le cadre des dispositions de l'accord de la baie de Granville, nous avions obtenu plus d'autorisations que de bateaux pêchant effectivement dans la zone. C'est ce que l'on appelait des « licences papier », pour lesquels on ne peut démontrer l'antériorité de pêche. Nous ne disposons d'une antériorité démontrée que pour 272 navires.

À la surprise de n'obtenir que 47 licences définitives sur ces 272 demandes, s'est ajouté le fait qu'elles comportaient des restrictions complémentaires totalement arbitraires, non prévues par l'accord, à l'instar de limitations en nombre de jours ou pour certaines zones, et qui n'avaient pas été notifiées en amont par les autorités britanniques. J'ai donc signifié notre désaccord, à la fois à la Commission européenne, à Jersey et au Royaume-Uni : pour nous, ces éléments sont nuls et non avenus. Ce n'est pas acceptable, et je partage l'exaspération des pêcheurs normands et bretons exerçant leur activité dans la baie de Granville, parfois depuis fort longtemps. Le Royaume-Uni a décidé que les contraintes seraient levées jusqu'au 30 juin 2021 pour les licences définitives, et qu'elles seraient applicables au-delà. Et les licences restées provisoires par manque de données ont également été renouvelées jusqu'au 30 juin - dans quelques jours seulement ! J'ai demandé au commissaire européen d'aller beaucoup plus loin, avec pour objectif d'obtenir du Royaume-Uni une prolongation de ce système jusqu'au 30 septembre, voire jusqu'au 1er janvier 2022. En effet, j'estime qu'il nous faut du temps pour faire baisser la pression et décider de ce que nous faisons véritablement. Dans le même temps, j'ai demandé d'actionner la possibilité de faire travailler le Royaume-Uni et la Commission sur un nouvel accord pour la baie de Granville, qui serait plus équilibré, et qui s'effectuerait avec le concours du conseil de partenariat. Pour mémoire, cette instance permet à la Commission et au Royaume-Uni de négocier pour Jersey un autre cadre.

M. Jean-François Rapin, président. - Pourriez-vous rapidement revenir sur la constitution de ce conseil ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Cet organe est chargé de la gouvernance politique de l'accord de commerce et de coopération signé entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, et comprend ensuite des déclinaisons sectorielles. Il est constitué de manière paritaire de représentants européens et britanniques. Côté britannique, il est piloté par le ministre David Frost, chargé des relations avec l'UE, et côté européen, par le vice-président de la Commission, M. Maros Sefcovic.

Mme Annick Girardin, ministre. - Concernant la pêche, l'ambition reste simple : il s'agit de remettre en place les équilibres des accords de la baie de Granville. Ma vision de l'Europe consiste à préserver les relations de bon voisinage entre les régions françaises et les îles anglo-normandes. Je suis pragmatique, mais naturellement, il faut que toutes les parties aux négociations y contribuent pour y parvenir.

Enfin, le plan d'accompagnement financé dans le cadre de la réserve d'ajustement au « Brexit » représente 100 millions d'euros pour la filière pêche. Attendu, ce plan est désormais entré en vigueur, et se matérialise pour les pêcheurs par des arrêts temporaires indemnisés à 70 % du chiffre d'affaires. J'ai d'ailleurs obtenu que ce dispositif soit prorogé au second semestre 2021. En outre, pour les pêcheurs et les mareyeurs qui n'auraient pas eu recours aux arrêts temporaires durant cette période, un dispositif de compensation d'une partie des pertes du chiffre d'affaires du premier trimestre a été mis en place, pour un montant de 12 millions d'euros pour les pêcheurs et 8 millions pour les mareyeurs.

Le Brexit nous a fait rentrer dans un nouveau monde, mais il n'est pas question que nous renoncions à nos droits. Il faut revendiquer l'héritage des pêcheurs français, en co-construisant cette nouvelle relation avec les professionnels, mais aussi avec les Britanniques.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Nous nous trouvons dans un moment extrêmement difficile. Nous savions que la mise en oeuvre de l'accord serait tout aussi compliquée que sa négociation, qui, il y a quatre ans, a représenté un véritable test de souveraineté et d'unité européenne. Nous devons maintenant en réussir l'application.

Il s'agit d'un bon accord, y compris sur la question de la pêche, négocié de bonne foi en toute transparence avec les professionnels, même s'il existe effectivement des difficultés. Aujourd'hui, notre préoccupation est vive, car la partie britannique ne respecte pas intégralement ce texte, tant sur la question de la pêche que sur d'autres aspects, relevant du protocole irlandais. Nous constatons beaucoup d' « intox » dans la façon dont le Royaume-Uni présente l'attitude de l'UE. Notre relation mérite mieux que cela. Pourtant, l'UE ne fait pas preuve d'inflexibilité, et l'on ne peut pas dire que la souveraineté britannique n'a pas été respectée. Au contraire, nous avons toujours cherché le compromis dans la négociation. Par exemple, au sujet des contrôles sanitaires et phytosanitaires simplifiés, Maros Sefcovic a déclaré être prêt à trouver des modalités simplifiées, pour 80 % des contrôles aujourd'hui effectués. Nous attendons de la part des Britanniques autre chose qu'un mauvais récit : une application stricte des engagements pris, et la fin de cette triste comédie consistant à accuser l'UE de créer des difficultés en Irlande.

Au titre de la réserve d'ajustement, 5 milliards d'euros étaient réservés pour limiter les impacts économiques du Brexit, notamment dans les régions concernées par la pêche. Cependant, la proposition de la Commission ne prenait pas suffisamment en compte nos intérêts. Nous avons finalement trouvé un compromis qui, je le crois, est conforme à ces derniers, avec une enveloppe de près de 700 millions d'euros pour la France. Ce compromis est en passe d'être finalisé en trilogue par la Commission, le Parlement européen et le Conseil. Nous aurons ensuite à discuter des modalités précises de répartition de ce montant au niveau national.

Cela ne signifie pas pour autant que nous devons baisser la garde sur la délivrance des licences, ainsi que sur l'accord du 2 juin dernier relatif aux taux admissibles de capture (TAC). Nous devrons poursuivre notre mobilisation pour obtenir la délivrance des licences, puisqu'il en manque 80. Cela a été évoqué par le conseil de partenariat, réuni le 9 juin.

Au sujet de l'application des accords sur la pêche, nous avons indiqué être prêts à poursuivre les procédures que nous avons engagées si la situation ne s'améliorait pas. Nous n'hésiterons pas à saisir le tribunal arbitral pour constater la violation des accords, et si cela est nécessaire, à prendre les mesures de rétorsion qui s'imposent. Il ne s'agit pas de menaces, mais de faits. Force est de constater que les choses commencent à durer, et l'impatience monte légitimement. Nous n'avons jamais hésité à faire preuve de la plus grande fermeté tout au long de la négociation de l'accord. Nous n'hésiterons pas à le faire au sujet de sa mise en application.

Le conseil de partenariat est l'organe transversal d'évocation des difficultés à résoudre. Il s'accompagne de comités spécialisés, dont un comité sur la pêche qui pourrait se réunir fin juillet pour traiter des difficultés que nous avons évoquées, à la demande de la France. Les professionnels du secteur pourront également être consultés à cette occasion.

En outre, nous devons d'ores et déjà réfléchir à l'après-2026. Quand bien même les dispositions prévues pour la période transitoire seraient bien respectées pendant les cinq ans à venir, les Britanniques auront en effet en main la possibilité de restreindre et, dans un cas extrême, d'empêcher l'accès à leurs eaux à l'occasion des nouvelles négociations. Mais nous, Européens, disposons aussi de mécanismes et de moyens d'action : le cas échéant, nous devrions ainsi utiliser toutes les mesures compensatoires ou de rétorsion à notre disposition, y compris dans les autres domaines sectoriels de l'accord, en particulier l'énergie.

M. Jean-François Rapin, président. - Peut-on envisager d'amender l'accord pour un secteur en particulier ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Oui, c'est possible en théorie, si les parties sont d'accord pour le faire. Cependant, nous raisonnons dans le cadre actuel, avec les mécanismes qui donnent la possibilité d'un équilibre, et les Britanniques devront nous dire ce qu'ils comptent faire pour l'après-2026.

M. Jean-François Rapin, président. - Quelle réciprocité par rapport aux licences de pêche que nous leur accordons ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Nous avons toujours dit que les Britanniques avaient un avantage tactique sur la pêche, c'est bien pourquoi nous avons voulu un paquet ; c'est en passant par le global que l'on pèse pour la renégociation. Dans six ans, nous négocierons aussi l'accès énergétique en parallèle de la pêche. Les droits de douane sur les produits de la pêche sont aussi négociables. Les réponses peuvent s'envisager à l'intérieur du secteur de la pêche et entre les différents secteurs.

Mme Annick Girardin, ministre. - Les Britanniques ont plus de 1 000 navires dans les eaux européennes en zone économique exclusive (ZEE), mais ils ne vont pas dans notre zone des 12 milles. Le bât blesse surtout là où les Européens ont des droits historiques dans les 6-12 milles britanniques, c'est là, en l'absence de réciprocité, que les Britanniques veulent aller au-delà de l'accord. Ce que nous disons, c'est que l'accord doit s'appliquer : seulement l'accord, mais tout l'accord ; nous sommes face à un partenaire difficile - et que se passera-t-il dans cinq ans ? Nous butons en particulier sur définition de la notion de navires remplaçants. C'est inquiétant parce que si nous n'aboutissons pas dans ces négociations, des droits de pêche vont se perdre puisqu'ils sont attachés à des navires qui peuvent arriver en fin de carrière et devoir arrêter de pêcher. Voilà ce que l'on désigne habituellement par les termes de clause dite du « grand-père ».

M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci pour cette présentation et pour votre détermination à appliquer l'accord et rien que l'accord, sans renier nos droits de pêche ancestraux. C'est une bonne nouvelle qu'en 2026 la renégociation ne portera pas seulement sur la pêche, mais aussi sur l'énergie, cela donnera plus de possibilités de peser. Permettez-moi de poser une question sur la gestion des stocks partagés : l'accord n'est intervenu que le 2 juin, alors que le sujet est posé depuis le début de l'année - ne pourrait-on pas aller plus vite les prochaines années ?

Ensuite, comment verriez-vous la négociation d'un nouvel accord « Granville 2 », pour réglementer la pêche dans les eaux anglo-normandes ? Quel en serait le calendrier et comment cela s'articulerait avec les autorisations transitoires ?

Enfin, la réserve d'ajustement est-elle annualisée ?

Mme Annick Girardin, ministre. - L'article 502-4 permet de modifier les dispositions relatives aux relations de la pêche avec les îles anglo-normandes ; nous demandons ainsi de rouvrir une discussion pour poser les bases d'un « Grandville 2 » si l'on veut l'appeler de cette manière. J'ai aussi proposé d'impliquer l'Union européenne pour un éclairage scientifique supplémentaire, car la restriction des zones est liée à la gestion de la ressource, qui a été de très bonne qualité sous l'égide de l'accord de Granville. J'attends la réponse des autorités européennes. Le conseil spécialisé de la pêche doit pouvoir y travailler dès le mois de juillet, avec l'objectif de parvenir à un nouvel accord d'ici la fin de l'année, mais nous n'avons eu jusqu'ici aucune réponse de Jersey, pas même sur le délai pour la mise en place du nouvel accord.

S'agissant de la réserve d'ajustement Berxit, le plan d'accompagnement porte sur 2021-2025. Les moyens sont à définir avec la Commission. Le plan a été élaboré avec les professionnels, les outils sont en place, nous enregistrons les dossiers de demandes de compensation ou d'aide et nous accompagnons les pêcheurs pour remplir ces dossiers.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Le plan d'ajustement européen prévoit pour la France 713 millions d'euros en euros constants jusqu'en 2025, 80 % en trois tranches entre 2021 et 2023, le solde d'ici 2025.

Mme Annick Girardin, ministre. - Les outils devront peut-être évoluer, mais les enveloppes budgétaires sont définies.

M. André Reichardt. - L'accord sur le Brexit a été longuement et âprement négocié, il forme un tout et je m'étonne d'entendre que la pêche devrait être traitée comme un sujet à part. Je ne comprends pas qu'on nous dise que, nous Français - et je parle en sénateur alsacien, dont la circonscription n'est pas directement concernée par la pêche en mer -, nous devrions faire preuve de patience, envisager une renégociation sur la pêche. Ce qui se passe en réalité, c'est que le Royaume-Uni s'arrange avec une partie de l'accord. Voilà ce qu'il ne faut pas tolérer ! Je me félicite de la fermeté du Gouvernement, mais quelle vous semble la solidarité de l'Union européenne sur le sujet ? Peut-on attendre qu'elle exprime des positions fortes avant 2026 ? Dès lors que l'accord est global, il faut s'y tenir : les Vingt-Sept ont-ils des moyens de rétorsion, sur la pêche, mais aussi sur d'autres secteurs ? Ce dossier n'est pas détachable, il ne faut pas le traiter comme un problème entre la France et le Royaume-Uni, arbitré par la Commission, mais comme un problème entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : pensez-vous que tous nos partenaires de l'UE sont sur cette position ?

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Je n'ai pas de doute sur la solidarité européenne. Ceux qui depuis 2016 ont fait le pari de la division se sont trompés. La négociation des Vingt-Sept sur le Brexit a été un test de souveraineté réussi pour l'Union, d'autres sujets que la pêche se sont posés et, à chaque fois, ils ont été abordés non pas comme des cas à traiter à part, mais faisant bien partie intégrante du mandat commun, ce qui n'était pas gagné au départ. L'enjeu est encore très important : certains croient que l'Europe va se diviser et qu'on peut se servir dans l'accord sur le Brexit, selon ses intérêts nationaux. J'étais en Irlande récemment, nous y avons délivré un message commun de fermeté. Le vice-président Maros Sefcovic a été très clair dans la discussion avec le ministre britannique David Frost. Au G7 plusieurs dirigeants européens ont fait valoir qu'il fallait respecter tout l'accord sur le Brexit, évoquant des mesures de rétorsions sectorielles si les engagements n'étaient pas respectés. Nous défendrons les intérêts français et européens, ils sont imbriqués. En novembre dernier, nous ne savions pas si un accord sur le Brexit allait être trouvé, nous pensions qu'il faudrait éventuellement négocier séparément pour la pêche, mais le Président de la République a refusé la dissociation, la position française a été très forte sur le caractère global de l'accord et nous aurons la même détermination dans l'application.

Ceux qui nous reprochent un manque de flexibilité se trompent. Nous sommes allés en réalité jusqu'à la contorsion, mais cette flexibilité ne va pas jusqu'à la faiblesse ni jusqu'à l'abandon, pas plus qu'elle ne s'arrête à une focalisation sur les seuls intérêts français : c'est un tout, qui sert l'intérêt de l'Europe.

Mme Annick Girardin, ministre. - Je le confirme : huit États membres sont directement concernés par la pêche maritime, mais les autres pays soutiennent notre position, on le voit dans les rencontres et dans la reprise du dossier par le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic. Quels que soient nos différends entre pays européens à propos de la pêche, nous avons affirmé qu'il y avait des outils de rétorsion et que nous les utiliserions, comme les droits de douane sur toutes les marchandises, sur l'énergie, et voire plus largement et à l'extrême jusqu'à la remise en question de l'accord sur le Brexit lui-même, dans toutes ses dimensions. J'ai le sentiment que les Britanniques jouent la montre en se disant que la question de la pêche est un modèle pour 2026, et qu'ils auraient donc intérêt à faire en sorte que la négociation les engage le moins possible.

M. Jean-François Rapin, président. - Quels délais envisagez-vous pour dédommager les arrêts temporaires ? Les pêcheurs des Hauts-de-France nous demandent une intervention régionale pour faire face à leurs difficultés de trésorerie. Ensuite, nous avons auditionné le commissaire européen aux Affaires maritimes et à la pêche, M. Virginijus Sinkevicius, mais je ne perçois pas son degré de motivation ni s'il mesure bien l'impact territorial du non-respect de l'accord. Enfin, se pose la question des débarques en Écosse, les pêcheurs doivent aller jusqu'au Danemark, ce qui entraîne un surcoût important. On nous appelle au secours, la Commission est-elle prête à laisser les collectivités territoriales aider les pêcheurs ?

Mme Annick Girardin, ministre. - Le ministère de la mer a travaillé avec Bercy pour que la circulaire - elle vient juste d'être adressée aux pêcheurs - apporte une réponse aux deux sociétés concernées dans les Hauts-de-France par les problèmes de débarque en Écosse.

Sur les arrêts temporaires, j'ai dit à Boulogne qu'il faudrait six mois pour effectuer les paiements du plan d'accompagnement. Il faut compter avec les deux circuits de financement, par FranceAgriMer et par l'Agence de services et de paiement : il y a en quelque sorte des « embouteillages ». Je maintiens ce calendrier, les dossiers sont en cours d'instruction. L'échéance a été étendue jusqu'à la fin de l'année, je veillerai à ce que tous les fonds arrivent en temps et en heure.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Le Commissaire européen à la pêche est très engagé sur ces dossiers. Une rencontre sur place serait également utile - il a été invité par le maire de Boulogne, nous relaierons l'invitation -, l'Union européenne monte en puissance sur la question de la pêche, c'est un fait notable. La mise en oeuvre de l'accord n'est pas simple, nous le constatons. Le fait qu'elle soit suivie par un vice-président de la Commission européenne permet une approche transversale, c'est l'intérêt même de la pêche que de n'être pas isolée. Nous avons été des aiguillons et nous continuerons à l'être.

Mme Annick Girardin, ministre. - Les relations sont constantes et de très bonne qualité entre mes services et ceux de la Commission, c'est important de le souligner.

En ce qui concerne le problème de la débarque, tant que les produits ne sont pas arrivés (avec une logique de guichet unique/document unique) je précise que nous avons mis en place un mécanisme d'exonération des droits de douane, mais il ne peut fonctionner qu'à condition que la partie britannique crée aussi son guichet unique ; cela reste à faire, nous espérons être entendus. Je crois que les Britanniques sont partants, ils ont aussi des intérêts à le faire, j'espère que le problème sera réglé rapidement. Nous aurons des éléments sur le dossier de Jersey dès le 30 juin et nous sommes très vigilants.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci de votre disponibilité, nous espérons que vous trouverez les mesures efficaces.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 45.