COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mercredi 12 mai 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi confortant les principes de la République et de lutte contre le séparatisme

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme s'est réunie au Sénat le mercredi 12 mai 2021.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. François-Noël Buffet, sénateur, président, de M. François de Rugy, député, vice-président, de Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, sénatrices, rapporteures pour le Sénat, et de M. Florent Boudié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Notre commission mixte paritaire est chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme. Il reste 130 articles en discussion. Il n'est pas certain que nous puissions parvenir à un accord...

M. François de Rugy, député, vice-président. - L'écart entre les rédactions du Sénat et de l'Assemblée nationale sur quelques articles centraux témoigne de divergences profondes qui nous empêchent de parvenir à un dispositif susceptible d'être adopté par nos deux chambres. Je le regrette, mais c'est le jeu de la démocratie parlementaire.

M. Florent Boudié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - L'Assemblée nationale a consacré une centaine d'heures en séance à l'examen de ce texte. Nous avons adopté, en séance et en commission, plus de 300 amendements, issus de tous les groupes politiques. Le Sénat a adopté 19 articles conformes.

Nos échanges informels, la semaine passée, montrent qu'il reste des divergences profondes sur deux dispositions fondamentales, qui constituent autant de lignes rouges pour nos deux chambres. C'est le cas tout d'abord de l'interdiction des signes religieux ostentatoires pour les accompagnateurs scolaires. S'il importe de lutter contre le prosélytisme, étendre aux accompagnateurs scolaires le principe de neutralité, applicable aux enseignants, semble problématique, car leurs missions sont différentes. Une autre ligne rouge concerne l'instruction en famille : le système d'autorisation nous semble préférable au système de déclaration. Ces deux sujets nous empêchent de parvenir à un accord, même si les points d'accord sont nombreux sur le reste du texte.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Je voudrais dire quelques mots sur le texte élaboré par le Sénat et sur l'esprit dans lequel nous avons abordé ce projet de loi. Nous sommes, je crois, tous d'accord pour estimer qu'il est nécessaire de lutter contre l'islam politique et plus largement contre le séparatisme. Nous avions d'ailleurs mis en place en 2019 une commission d'enquête destinée à identifier et à lutter contre ce phénomène, et formulé plusieurs propositions, que nous avons été heureux de retrouver en nombre dans ce texte.

Ce texte nous paraît donc nécessaire et nous avons oeuvré pour le compléter tout en reconnaissant ses limites. Personne ne pense qu'il résoudra brusquement la question du séparatisme et de nombreux sujets restent à traiter, notamment en matière sociale, d'intégration, d'assimilation, de politique migratoire, ou encore d'équilibre sociologique dans les quartiers.

Je souhaite rapidement vous présenter les modifications adoptées par le Sénat sur les articles que j'ai plus particulièrement suivis.

Sagissant des services publics, nous avons approuvé l'inscription dans la loi du respect des principes de neutralité et de laïcité des personnes chargées dun service public, quelles que soient les modalités dorganisation de celui-ci. Nous avons longuement débattu en commission et en séance du champ d'application du principe de neutralité et des personnes qu'il doit concerner. Ce débat est important ; il porte sur deux catégories de personnes. La première est celle des personnes qui participent de manière occasionnelle au service public. Nous avons considéré qu'elles ne sont pas toutes dans la même situation, et qu'il est en pratique impossible de leur imposer à toutes la même exigence de neutralité.

Cependant, nous avons souhaité aller au bout de la logique pour certains collaborateurs occasionnels, qui interviennent dans le cadre très particulier de l'école, à la fois hors et dans les murs : il s'agit des parents d'élèves qui participent à des sorties scolaires, car celles-ci font partie - j'y insiste - du temps pédagogique. Je regrette qu'il soit impossible de progresser ensemble sur ce point, qui est pour nous essentiel. Si nous voulons sortir des ambiguïtés et affirmer clairement les principes républicains, rien n'est plus important que de sanctuariser l'école et le rapport des parents et des enfants à l'institution scolaire. Il convient aussi de sanctuariser le milieu sportif, lieu majeur de cohésion sociale. C'est pour cette raison que nous avons interdit le port de signes religieux ostentatoires lors des événements sportifs.

La seconde catégorie de personnes pour lesquelles la question de la neutralité a été débattue est celle des usagers des services publics. En l'espèce, nous devons être réalistes. Imposer la neutralité aux usagers du service public n'a pas de sens. Nous nous sommes interrogés sur le port du voile par les petites filles. Ce sujet doit nous alerter et mérite un débat approfondi à l'occasion d'un autre texte, même si un amendement sur ce point a été adopté en séance publique contre l'avis de la commission des lois. À l'inverse, interdire dans certains cadres délimités le port de signes religieux ostentatoires ou les drapeaux étrangers fait sens. Nous avons aussi posé la question du refus d'accorder ou de renouveler des titres de séjour à celles et ceux qui remettent en cause nos valeurs. Cela semble primordial pour conforter les principes de la République.

S'agissant, ensuite, des mesures relatives au respect des droits des personnes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, il nous a semblé nécessaire d'être efficace sur ces questions sérieuses et sensibles, de poser des principes clairs et de protéger les femmes victimes, mais pas de créer des difficultés là où il n'en existe pas. Nous avons ainsi supprimé certains articles, comme l'article 13, et en avons précisé d'autres sur les certificats de virginité ou les mariages forcés.

L'actualisation des mesures concernant la police des cultes est bienvenue et nous la soutenons. Nous sommes cependant attachés à préserver la responsabilité du ministre des cultes et nous avons rétabli l'article 35 de la loi de 1905.

Enfin, nous avons approuvé le principe d'une nouvelle mesure de fermeture administrative des lieux de culte en cas de provocation à la haine ou à la violence, et nous avons, en commission, porté sa durée à trois mois - finalement rétablie à deux mois en séance -, tout en précisant les raisons pouvant conduire à cette mesure. Parallèlement, nous avons souhaité caractériser davantage les locaux annexes au lieu de culte qu'il sera possible de fermer s'il existe des raisons sérieuses de penser qu'ils seraient utilisés pour faire échec à l'exécution de la mesure de fermeture du lieu de culte.

Ces mesures pragmatiques, utiles, sont de véritables apports dans la lutte quotidienne contre le séparatisme et j'espère qu'elles seront retenues dans le texte définitif. L'actualité montre que si nous n'abordons pas la question des listes communautaristes aux élections, nous serons confrontés à de grandes difficultés dans les années à venir. Nous devrons réfléchir à ce sujet.

Ce texte aurait pu être l'occasion de nous réunir au-delà des appartenances politiques et des croyances qui peuvent être les nôtres, au service de la République et de ce ciment qui fait que nous sommes tous libres de vivre ensemble : la laïcité. Nos concitoyens n'attendent pas seulement des solutions techniques, mais des actes au quotidien contre tous ceux qui souhaitent diviser ou fracturer notre pays.

Mme Dominique Vérien, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Je regrette que nous n'ayons pu trouver une voie commune pour surmonter nos divergences peu nombreuses au regard de notre volonté commune. Le Sénat n'a pas bousculé le texte de l'Assemblée nationale, mais il l'a enrichi pour le rendre plus efficace. J'espère que les apports du Sénat seront conservés.

S'agissant du régime des associations cultuelles et non cultuelles, de la lutte contre la haine en ligne ou de l'application du régime juridique spécifique de l'Alsace-Moselle, je pense que nous aurions pu parvenir à un accord.

Sur les associations cultuelles, nous savons que la liberté de culte est importante ; son contrôle ne peut s'exercer de façon trop tatillonne sans trahir nos propres principes de séparation des Églises et de l'État. Nous avions donc fait le choix de desserrer l'étau en permettant au préfet de s'intéresser plus directement aux associations dont le fonctionnement l'intrigue, et non à toutes indistinctement, lors du renouvellement de la déclaration cultuelle. Cela semble d'ailleurs plus conforme aux moyens dont il dispose.

Nous avons aussi souhaité proportionner les obligations de transparence financière. Il reste néanmoins des progrès à faire en ce domaine, notamment sur le rôle des commissaires aux comptes, pour ne pas pénaliser les petites associations.

Nous avons aussi enrichi le contrat d'engagement républicain, revu le régime de dissolution administrative des associations et mieux encadré les conditions de suspension des fonds de dotation par le préfet. Nous avons décalé dans le temps l'entrée en vigueur des dispositions relatives au contrôle de la régularité de la délivrance des reçus fiscaux pour permettre aux associations de s'y préparer et de bénéficier d'une plateforme de déclaration sur internet, tout en laissant le temps à l'administration fiscale de s'organiser.

Je suis convaincue que ces dispositions seront conservées dans la version finale, car elles enrichissent le texte. Je regrette le maintien des désaccords sur deux points centraux. Toutefois, je suis convaincue que l'actualité nous forcera à faire bouger les lignes ; en effet, si l'on n'accepte pas des signes de prosélytisme sur un document de campagne, je comprends mal comment on pourrait l'accepter dans une sortie scolaire. Nous aurons aussi certainement à nous interroger à nouveau sur le régime d'autorisation pour l'instruction en famille, dont la constitutionnalité semble douteuse. Le débat n'est donc pas fini.

Mme Annie Genevard, députée. - Le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale soutient la rédaction du Sénat, qui comporte bon nombre de dispositions qu'il a lui-même inspirées. Cette rédaction contient en effet plusieurs éléments prometteurs. Le premier est l'extension de la notion de neutralité religieuse de certains espaces de service public, comme les lieux d'enseignement supérieur ou certains espaces sportifs. François Baroin, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), nous avait demandé de travailler en ce sens.

La deuxième piste qui me paraît à la fois intéressante et nécessaire, c'est la question de la neutralité religieuse dans la sphère politique. Le cas récent d'une femme voilée figurant sur une affiche électorale, soutenue par La République en Marche - soutien retiré hier - montre à l'évidence qu'il faut légiférer. Toute frilosité en la matière ne peut que favoriser un entrisme politique qu'il faut à tout prix empêcher.

Je ne reviendrai pas en détail sur les questions d'éducation, bien qu'elles me soient fort chères, mais nous partageons évidemment les positions du Sénat. Je note avec satisfaction le maintien dans le code pénal du délit d'entrave à la liberté d'enseigner, que j'avais présenté à l'Assemblée nationale et que la majorité avait bien voulu accepter, et je valide tout à fait la modification que vous avez faite à ce sujet.

Nous devons être attentifs à ce qui peut créer de la discorde dans notre pays. À cet égard, je suis particulièrement sensible à la proposition d'interdiction des drapeaux étrangers dans les manifestations, et en particulier les mariages. Quand on est maire, on sait très bien l'effet que cela produit dans la population : une réaction de rejet et d'hostilité - et c'est là que peuvent commencer des manifestations qu'on ne voudrait pas voir se propager. Cette disposition peut paraître anecdotique, mais, en réalité, dans le quotidien des Français, elle a beaucoup d'importance.

Pour terminer, je réitère mes regrets sur les lacunes de ce texte. Tel que vous l'avez conçu, il ne permet pas de parler d'immigration, de radicalisation ou de l'expansion du fait religieux dans les entreprises, bien mise en évidence par le dernier rapport de l'Institut Montaigne. Le texte est ainsi conçu qu'on ne peut pas aborder les relations qui relèvent du droit privé. C'est tout à fait regrettable parce que la propagation du fait religieux dans l'entreprise est un phénomène avéré, sur lequel nous devrons nous pencher.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Sur les dispositions liées à l'éducation et au sport, je veux à mon tour noter une forme de convergence sur un grand nombre de sujets. Lors de notre réunion préalable de la semaine dernière, nous avions les uns et les autres noté un point dur de désaccord sur la suppression de l'article 21, concernant l'instruction en famille, que le président Macron parlait de supprimer dans son discours des Mureaux en octobre dernier. Tout en mesurant le chemin qui a été parcouru pour aller jusqu'à un régime d'autorisation, nous sommes très attachés à la liberté et au régime de déclaration. Aucune proposition de nouvelle rédaction ne nous a été transmise par l'Assemblée nationale depuis cette réunion de la semaine dernière, ce qui acte, de fait, un désaccord sur ce point et donc sur l'ensemble du texte. Je le regrette, car la rédaction adoptée par le Sénat n'était en définitive pas si éloignée des objectifs fixés par le Gouvernement, ni de ceux de l'Assemblée nationale.

Le dispositif modernisé que j'ai proposé, au travers de différents amendements aux articles 21 bis et suivants, pour le recours à l'instruction en famille, répond à la volonté du Gouvernement de lutter efficacement contre le séparatisme, en encadrant cette pratique. Mais le point qui sépare le Sénat de l'Assemblée nationale est fondamental, puisqu'il s'agit d'un principe reconnu par notre Constitution : la liberté, pour les parents, de choisir les modalités d'enseignement de leurs enfants. Sur la possibilité de soumettre cette liberté fondamentale à un régime d'autorisation préalable, je réitère mes interrogations de la semaine dernière : est-ce conforme à la Constitution ? Nous verrons bien !

Parmi les nombreux apports du Sénat, je souhaite tout particulièrement mentionner les articles relatifs à l'enseignement supérieur. Étrangement, le texte initial n'en faisait pas mention, alors que, dans l'exposé des motifs, il est question de lutter contre le communautarisme dans toutes les sphères et dans l'ensemble des services publics. Celui de l'enseignement supérieur semblait avoir été oublié... Pourtant, nul ne peut contester l'existence d'une problématique communautariste dans l'enseignement supérieur public, et d'une volonté de « détourner le sens des mots, des choses, des valeurs et de la mesure », pour reprendre les mots mêmes du Gouvernement. J'espère donc que l'Assemblée nationale reprendra nombre de nos propositions sur l'enseignement supérieur.

M. Guillaume Vuilletet, député. - Vous avez fait référence au discours des Mureaux. C'est à partir de ce discours fondateur que ce projet de loi est arrivé, en deux parties : une partie institutionnelle, que nous examinons, et une partie sociale, qui trouve sa réalité dans d'autres dispositions législatives, ou dans l'action du Gouvernement en matière de lutte contre la pauvreté.

Le principe est simple. Pour lutter contre le séparatisme, il faut s'efforcer de renforcer les principes de fonctionnement de notre République à travers différents axes, pour défendre le service public et faire en sorte qu'il n'y ait pas, dans nos dispositifs, de failles dont pourraient bénéficier les communautaristes et les séparatistes, et, enfin, pour protéger la dignité humaine.

Un travail important a été réalisé à l'Assemblée nationale, le plus souvent à la quasi-unanimité, sur le vote des amendements comme sur celui des articles : nous le savons, car nous avons tenu à organiser des scrutins publics à chaque fois, pour montrer qu'il peut y avoir consensus en la matière.

Dans mon département, il y a une ville dont on pourrait dire qu'elle a été conquise par des listes communautaristes, Madame Eustache-Brinio. L'important est de détecter de telles listes en amont, sachant que tout le monde sait se dissimuler, et que rien ne le permettait sur le plan légal. C'est un exercice complexe... Concernant l'incident que vous avez cité, il n'est dit nulle part qu'il faut interdire le port du voile sur une affiche. Toutefois, nous avons dit clairement, en tant que parti politique, que nous ne pouvions pas soutenir quelqu'un qui aurait cette revendication identitaire, c'est-à-dire qui montrerait sa religion comme un axe de discours électoral.

Un travail important a également été réalisé par le Sénat, mais il y a une véritable différence entre le texte issu des travaux de la commission et le texte adopté en séance ! Nous aurions pu arriver à un travail commun sur la base du texte adopté par la commission ; cela s'avère beaucoup plus difficile sur le texte adopté par le Sénat. Je m'interroge sur les motifs d'une telle différence, mais quoi qu'il en soit, les divergences ne permettent pas d'arriver à un accord.

Nous allons donc retravailler chacun de notre côté, ce qui ne veut pas dire que nous allons écarter d'un revers de la main tout ce qui a été fait par le Sénat. Il y a certaines idées que nous pouvons reprendre, mais aussi des principes sur lesquels nous ne pouvons pas tergiverser. Il y a, en tout cas, un regret à la fois politique et symbolique : nous aurions tous gagné à émettre un message fort d'accord sur les principes de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, sénateur. - Si le groupe socialiste a approuvé un certain nombre de dispositions, nous avons aussi marqué notre désaccord avec nos collègues de la majorité du Sénat sur certains points. Je pense en particulier à cette histoire de parure vestimentaire pour les personnes accompagnant les sorties scolaires... J'ai souffert pendant une journée entière : nous avons passé trois heures à discourir sur le voile, puis trois heures sur le burkini ! Pourtant, la religion, c'est une question de spiritualité, et pas de textile.

Notre principal désaccord sur ce texte tient au fait qu'il est, au fond, assez extérieur à son objet, ce qui est étrange... Les mesures qu'il comporte ne seront pas déterminantes pour lutter efficacement contre la violence et le radicalisme islamistes. Les associations que nous avons auditionnées estiment qu'on les couvre de contraintes en tous genres. L'Église protestante, par exemple, se demande si ces contraintes sont bien nécessaires pour lutter contre le radicalisme ; nous ne pensons pas qu'elles le soient.

Pour lutter contre le radicalisme et les violences, il importe d'investir largement dans le renseignement, dans la sécurité, mais aussi dans l'éducation. À cet égard, je regrette la position qui a été prise au Sénat sur l'éducation à la maison, puisque le texte prévoit beaucoup de possibilités pour des cas particuliers, avec des capacités de contrôle. Ce n'est pas faire du bien aux enfants - mis à part un certain nombre de cas particuliers - que de les priver du bienfait de l'école. À Orléans, quand je vois les gamins inoccupés dès 16 h 30, je me dis que l'emprise de l'école républicaine a faibli par rapport à beaucoup d'autres emprises. Ce qui serait peut-être plus urgent que tout ce qui est inscrit dans ce texte, c'est de restaurer la force et la présence de l'école républicaine.

M. Éric Diard, député. - Ce projet de loi, qui vise à renforcer le respect des principes de la République, est un texte aux objectifs particulièrement importants : il s'agit de mieux armer la République face aux entreprises séparatistes. Les séparatismes, nous le savons, sont divers, diffus et répandus dans de nombreux pans de notre société. Ils sont aussi dangereux, car, s'ils ne se confondent pas tout à fait avec elle, ils ont des liens étroits avec la radicalisation, qui peut elle-même basculer dans l'action terroriste. C'est la raison pour laquelle je regrette que ce projet de loi soit aussi limité.

On parle de renforcer les principes de la République, de lutter contre le séparatisme, mais rien n'a été prévu pour renforcer ces principes face à la radicalisation des personnes pour qui la République est justement un ennemi à abattre. Le champ ainsi défini du projet de loi et l'interprétation restrictive de l'article 45 de la Constitution à l'Assemblée nationale ont ainsi empêché l'examen d'amendements visant à lutter contre la radicalisation dans nos services publics.

Aussi, de nombreux services publics en difficulté ont été oubliés dans ce projet de loi. Je pense notamment aux hôpitaux, aux agences régionales de santé (ARS) ou aux services publics pénitentiaires, qui sont pourtant en première ligne face à la radicalisation en prison, que le Conseil d'État considère comme un fait documenté. Les détenus de droit commun radicalisés en prison, dont le nombre est difficile à évaluer mais semble compris entre 1 000 et 1 700, constituent une véritable menace, car la radicalisation les a endurcis. Comme M. Piednoir l'a rappelé, l'université a aussi été oubliée dans ce projet de loi, alors que les séparatistes y sont nombreux, comme l'actualité le montre : des associations étudiantes se font souvent les porte-voix de discours radicaux, organisent des réunions interdites aux personnes selon leur sexe ou leur couleur de peau et mettent tout en oeuvre pour censurer les interventions et conférences de personnes qui ne partagent pas leur opinion.

Au sujet de l'éducation, je souhaite relever une incohérence. Le projet de loi met en place un régime d'autorisation de l'instruction en famille, que, pour ma part, je défends, mais maintient le simple régime déclaratif pour ouvrir un établissement hors contrat. J'entends bien qu'il faut laisser le temps à la loi dite « Gatel » du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat de s'appliquer, mais il ne faut pas oublier que des failles ont été identifiées, dans lesquelles certains commencent à s'engouffrer. Le Sénat a apporté de nombreuses contributions au texte, notamment grâce à une lecture plus large de l'article 45 de la Constitution que l'on peut qualifier de courageuse. Il a ainsi apporté des éléments nouveaux, en ce qui concerne le port d'insignes religieux, le contrôle des fonds de dotation et des associations, mais aussi l'encadrement des syndicats étudiants et de certains discours au sein des universités. L'Assemblée nationale avait adopté un amendement redonnant aux préfets compétence pour délivrer l'agrément aux associations sportives. Malheureusement, le Sénat a supprimé cette disposition. Beaucoup des nombreuses contributions du Sénat semblent trop s'éloigner du texte de l'Assemblée nationale, ce qui augure un examen en nouvelle lecture, qui sera soumis au principe de l'entonnoir.

M. Alexis Corbière, député. - Je veux adresser un avertissement, en particulier à mes collègues députés du groupe La République en Marche : quand on place une discussion sur un terrain qu'on ne maîtrise pas très bien et que l'on déforme certains termes au profit d'un agenda politique, on trouve toujours plus radical que soi ! La majorité sénatoriale l'a d'ailleurs démontré, et il existe une force politique, non représentée dans cette salle, plus radicale encore.

Au cours de nos auditions, certaines personnes étaient incapables de définir des notions centrales ou de fournir des chiffres et d'apporter une réalité matérielle à des sujets pourtant obsédants. Quel est donc le nombre de certificats de virginité délivrés en France ? Tout cela est resté très flou.

La laïcité est importante, elle est déterminante, mais bien telle qu'elle est définie dans la grande loi du 9 décembre 1905. Ainsi du refus du financement public des religions : nous avons choqué certains de nos collègues en rappelant qu'il y a encore trois départements métropolitains où cette loi n'est pas appliquée. Si tout le monde est obsédé par la laïcité, ne peut-on faire en sorte que ce qui la définit légalement soit également appliqué en Alsace-Moselle, et que l'on cesse de financer certaines pratiques cultuelles ? Nous sommes là en pleine actualité : la maire de Strasbourg a décidé, sans rompre avec la tradition, de financer un lieu de culte, ce qui a immédiatement choqué. On pourrait clarifier les choses !

Prenez garde : le mot de « laïcité » est devenu extrêmement trouble pour nombre de nos concitoyens. Comment expliquer la laïcité à nos élèves, quand elle est bien souvent utilisée avec un sens déformé ? Ce débat aurait pu être l'occasion de rappeler le sens réel de ce principe, mais cela n'a pas été le cas. La version du texte proposée par le Sénat ne le permet pas non plus. Je suis sidéré par les interdictions que la majorité du Sénat propose d'édicter envers les associations étudiantes : si elles étaient en vigueur, une association telle que l'Union des étudiants juifs de France ne pourrait pas exister !

Je suis personnellement défavorable à ce qu'un candidat arbore des signes religieux, mais quand certains se réclament de la fidélité à la République, je tiens à rappeler que l'abbé Pierre, élu député en 1945, posait en soutane pour son matériel électoral. À cette époque, cela ne choquait nullement nos collègues sénateurs ! Il en est de même pour la non-mixité : rappelons que l'école républicaine de Jules Ferry, dont beaucoup se réclament, n'était pas mixte.

Membre suppléant de cette commission mixte paritaire, je n'ai d'autre pouvoir que celui de ma parole. Vous l'aurez bien compris, je suis en désaccord avec le texte adopté par l'Assemblée nationale et plus encore, si cela est possible, avec celui du Sénat.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Eu égard aux différentes interventions qui précèdent, il ne me reste qu'à constater notre désaccord, tout en formulant le voeu que les dispositions pour lesquelles nos positions convergent davantage puissent prospérer dans la suite du processus législatif.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme.

La réunion est close à 18 h 15.