Jeudi 25 mars 2021

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde sur l'entreprenariat des femmes dans les territoires ruraux

Mme Annick Billon, présidente. - Monsieur le ministre, chère collègue de la délégation aux entreprises, chers collègues, Mesdames, la délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux, en abordant des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, la participation des femmes à la vie politique locale et leur accès aux responsabilités, la santé et la lutte contre les violences. Ce bilan aborde également l'égalité professionnelle et l'entreprenariat féminin dans les territoires ruraux, qui constituent le thème de notre table ronde aujourd'hui.

Je précise que notre délégation a désigné, afin de mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs associant tous les groupes politiques de notre assemblée et représentant des territoires aussi divers que la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.

Je rappelle que cette réunion est diffusée en direct sur le site Internet et sur le compte Twitter du Sénat et qu'elle est organisée à la fois en présentiel et en visioconférence.

Notre table ronde s'intéresse donc à l'entreprenariat féminin dans les territoires ruraux. Elle porte à la fois sur les difficultés spécifiques rencontrées par les femmes cheffes d'entreprise dans ces territoires lors de la création ou de la reprise d'une entreprise mais également sur les mécanismes de solidarité à l'oeuvre entre femmes dans ces territoires.

Les politiques publiques des dix dernières années ont encouragé la création d'entreprise, avec, par exemple, la mise en place du statut de micro-entrepreneur. Cependant, ont-elles suffisamment pris en compte les particularités des territoires ruraux pour soutenir les femmes qui souhaiteraient y devenir entrepreneures ? En outre, les politiques publiques de soutien à la création d'entreprise traitent-elles différemment les femmes et les hommes dans ces territoires ? Autrement dit, les femmes ont-elles suffisamment accès aux dispositifs d'aide à la création d'entreprise ? En 2018, notre rapport sur les femmes et l'agriculture avait notamment montré que l'accès au foncier était bien plus difficile pour les femmes. Disposons-nous de données statistiques sur le nombre de créations d'entreprise effectuées par des femmes en zone rurale, leur type de statut entrepreneurial et les secteurs d'activité que ces femmes investissent ?

Nous nous interrogerons également, avec nos invités, sur les principaux obstacles rencontrés par les femmes cheffes d'entreprise en milieu rural. Le manque de réseau est souvent évoqué. Nous savons en effet que les hommes s'organisent davantage en réseau que les femmes. Le faible maillage territorial, la difficile conciliation des différents temps de vie et la faible couverture numérique de ces territoires constituent d'autres pistes que nous explorerons.

Pour répondre à ces diverses interrogations, nous avons le plaisir d'accueillir M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises (PME). M. Alain Griset nous fera l'honneur d'ouvrir notre table ronde.

Nous accueillons également notre collègue vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, Martine Berthet, sénatrice de la Savoie et, par ailleurs, co-rapporteure de la mission de la délégation sur les nouveaux modes de travail et de management.

Nos autres invitées nous éclaireront, par leurs expériences et leur témoignage, sur la spécificité du parcours des femmes cheffes d'entreprise dans les territoires ruraux, l'importance de la constitution de réseaux de femmes entrepreneures dans ces territoires, la nécessité de soutenir la participation des femmes dans les instances représentatives des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les possibilités d'accompagnement des femmes souhaitant accéder à un crédit ou à une aide à la création d'entreprise en zone rurale.

S'agissant de l'importance des réseaux de femmes cheffes d'entreprises en milieu rural, nous entendrons Marie Eloy, fondatrice de Femmes des territoires et de Bouge ta boîte ; Carole Jung, scénographe de musées, artiste plasticienne sonore et adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77, réseau de femmes cheffes d'entreprises en Seine-et-Marne et Delphine Deserier, gérante du Cottance Café dans la Loire et membre du réseau Femmes chefs d'entreprises (FCE).

Pour évoquer le rôle des CCI dans les territoires ruraux, nous écouterons le témoignage de Marie-Christine Farges, élue de la CCI de la Corrèze en tant que cheffe d'entreprise et gérante de la Minoterie Farges à Bar.

Afin de comprendre le rôle primordial de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) en milieu rural, nous entendrons Ophélie Héliès, directrice territoriale adjointe Nord Occitanie et Lot-et-Garonne, chargée de la mise en oeuvre du programme Regain sur l'entreprenariat en milieu rural.

Je cède désormais la parole au ministre Alain Griset, que je remercie sincèrement d'être présent à nos côtés pour cette table ronde.

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises (PME). - Madame la présidente, Madame la vice-présidente, Mesdames et messieurs les sénateurs, Madame la présidente Marie Eloy, Mesdames, tout d'abord, je vous remercie de votre invitation. Je suis heureux d'être physiquement présent parmi vous, tout en respectant les consignes sanitaires aujourd'hui obligatoires. Intervenir devant votre délégation est un moment important. En effet, j'ai abordé la question de l'entreprenariat au féminin à plusieurs reprises depuis le mois de juillet 2020. Au moins quatre réunions ont eu lieu avec Marie Eloy sur ce thème. L'entreprenariat au féminin est un véritable enjeu, qui n'a pas toujours été abordé dans tous ses aspects. Lors de son élection, le Président de la République a très vite considéré que la France devait prendre un engagement à ce sujet. J'essaie donc d'établir un constat de la réalité et de comprendre comment nous pouvons améliorer la situation.

Vous avez souhaité concentrer votre table ronde sur l'entreprenariat au féminin dans le monde rural. Les difficultés y sont sans aucun doute encore plus fortes que dans les villes. Il est important de vous écouter et de trouver des solutions nous permettant d'avancer de façon significative.

Ces difficultés se manifestent dès l'éducation, en particulier au collège et au lycée. L'entreprenariat n'y est pas toujours abordé, encore moins du point de vue des jeunes filles. Ce travail devra sans aucun doute être mené sur le long terme, afin qu'il devienne un sujet d'étude et que la création d'entreprise constitue un véritable débouché pour les jeunes femmes. Utiliser les compétences de ces jeunes femmes pour créer des entreprises est une chance que la France n'a, pour le moment, pas suffisamment saisie.

À une échelle globale et plus particulièrement dans les territoires ruraux, se perpétue une certaine mentalité selon laquelle la création d'entreprise ne constituerait pas une bonne solution, et encore moins pour les jeunes femmes. Contrecarrer cette idée reçue nécessitera un travail de très long terme de notre part.

Nous sommes prêts à travailler sur quelques pistes.

Madame la présidente, vous avez évoqué les CCI. Pendant de nombreuses années, j'ai dirigé les Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) de France. Au sein de ce réseau, des décisions ont permis aux femmes d'être officiellement représentées parmi les élus, avec un nombre obligatoire d'élues inscrit dans les textes. De la même façon, je ne suis pas opposé à ce que nous forcions le destin lorsque les femmes ne sont pas assez représentées dans les instances dirigeantes. Le progrès réalisé dans les chambres de métiers et de l'artisanat peut ainsi être reproduit dans les chambres de commerce et d'industrie.

En outre, une volonté collective d'information me semble nécessaire. Une information générale sur l'entreprenariat doit être diffusée, quel que soit le niveau du cursus scolaire.

Nous devons également travailler avec les collectivités locales. En effet, depuis la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), les régions et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jouent un rôle éminent sur le plan économique. Pourtant, les actions tournées vers l'entreprenariat au féminin sont très rares dans les programmes économiques des régions et des EPCI. Pour ma part, je ne vois que des avantages à mettre ce sujet au coeur des discussions entre l'État et les régions ou au sein des contrats de plan et à en faire une priorité au niveau local.

Le milieu rural connaît quelquefois un chômage plus important que les grandes métropoles. Pour autant, la création d'entreprise n'est pas toujours une piste envisagée, encore moins pour les femmes. Dès lors, nous pourrions trouver collectivement un intérêt à déterminer comment, dans ce domaine, nous pourrions orienter, sensibiliser et accompagner.

J'évoque l'accompagnement car la création d'entreprise demeure un véritable enjeu pour tous. Créer une entreprise relève toujours d'une démarche particulière, associée à un engagement et à une prise de risques. Je suis absolument favorable à la mise en place d'un accompagnement à la création d'entreprise. Tout d'abord, une information préalable doit permettre à chacun de connaître les engagements associés à cette démarche. Ensuite, la mise en place d'un accompagnement me paraît particulièrement justifiée tant on sait combien les trois premières années d'existence d'une entreprise sont importantes et décisives.

En 2009, le régime de l'autoentreprise a été créé. Ce régime a été « vendu » comme un statut alors qu'il n'en est pas un. Je rappelle que ceux ou celles qui créent une autoentreprise sont en réalité sous le statut d'entrepreneur individuel, avec toutes les conséquences qui y sont associées. Par conséquent, disposer d'une information solide en la matière relève de l'intérêt collectif.

Le Président de la République m'a demandé de préparer un plan pour les indépendants. Je suis totalement disposé à étudier de quelle manière nous pouvons intégrer un certain nombre de mesures afin d'améliorer la situation des femmes en particulier.

Dans mes fonctions précédentes, j'ai beaucoup travaillé sur la question des conjoints collaborateurs. Les femmes jouent souvent un rôle tout à fait déterminant dans les entreprises, en les créant elles-mêmes ou en participant à leur création avec leur conjoint. Depuis 1982, dans le secteur de l'artisanat, des mesures concourent à offrir aux femmes une vraie place, reconnue juridiquement et socialement, en particulier s'agissant de leurs droits à la retraite et à la formation.

Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. Ainsi, la loi PACTE impose que toutes les femmes qui travaillent en tant que conjoints collaborateurs disposent désormais d'un véritable statut. Néanmoins, des progrès restent à accomplir. Dans le cadre de ce plan qui porte sur les indépendants, je proposerai au Président de la République et au Premier ministre un certain nombre de mesures, afin de régler de façon définitive cette question récurrente des droits à la retraite et à la formation des conjoints collaborateurs. Nous devons en effet trouver des solutions définitives.

Ce sujet ne peut pas être réglé si nous n'en avons pas une bonne connaissance. Je suis tout à fait favorable à la publication de statistiques genrées, régulièrement actualisées, qui permettraient de mesurer les progrès réalisés et d'identifier les points sur lesquels il convient de travailler davantage. Si vous considérez qu'il s'agit d'un élément important, je suis favorable à des outils fléchés pour les femmes, en particulier concernant les financements affectés à la création d'entreprises ou à leur reprise. J'ai déjà évoqué la création d'un fonds dédié à l'entreprenariat au féminin avec la banque publique d'investissement (Bpifrance). Un tel fonds permettrait de remédier aux difficultés de financement rencontrées par les femmes lors de la création d'entreprise. Notons qu'il existe déjà un grand nombre d'initiatives au sein de Bpifrance sur ce sujet.

Madame la présidente, vous avez indiqué que nous devons encore progresser. Nous y parviendrons. Disposer de beaucoup d'argent pour créer une entreprise n'est pas toujours un pré-requis. Néanmoins, il est absolument indispensable qu'un financement soit octroyé lorsque cela est nécessaire.

De nombreux enjeux sont déjà relativement bien identifiés et nombre d'entre eux sont communs à tous les territoires. Votre table ronde se concentre aujourd'hui sur les territoires ruraux. Je me tiens à votre disposition pour envisager, si nécessaire, au-delà de ce que nous souhaitons réaliser sur la totalité du territoire national, une ou des actions spécifiques aux territoires ruraux. Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous afin de vous écouter et de déterminer comment nous pourrions prendre les mesures qui nous permettront collectivement de progresser sur ce sujet d'une grande importance.

Mme Annick Billon, présidente. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces pistes de réflexion. Bien entendu, l'accès des femmes à l'entreprenariat et au monde de l'entreprise est parfois plus difficile dans les territoires ruraux. Depuis le début de nos travaux, nous avons relevé un certain nombre de difficultés, notamment concernant la mobilité, qui se révèle essentielle dans l'exercice professionnel.

Je cède la parole à notre collègue Martine Berthet, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Cette délégation se penche en ce moment sur les nouveaux modes de travail que la pandémie nous impose. Je fais moi-même partie de cette délégation aux entreprises, extrêmement active.

Mme Martine Berthet, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. - Monsieur le ministre, Madame la présidente, chers collègues, Mesdames, si je me sens directement concernée, et à plusieurs titres, par le thème de cette table ronde, c'est tout d'abord parce que j'ai moi-même été cheffe d'entreprise en Savoie. En effet, j'y ai dirigé une pharmacie et je suis toujours membre de la délégation Femmes Chefs d'Entreprises (FCE) Pays de Savoie. Ensuite, en tant qu'élue locale, maire puis sénatrice de ce département, j'ai pu mesurer le dynamisme des femmes qui s'investissent dans le tissu économique local mais aussi les difficultés auxquelles elles sont souvent confrontées.

En 2018, le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) - devenu depuis l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - avait piloté une étude relative aux « freins et leviers pour l'accès à l'emploi des femmes dans les territoires ruraux ». Cette étude a démontré que si les freins directs (formation, métiers, secteurs d'activité, marché de l'emploi) et les freins indirects (conditions de travail, situation familiale, modes de garde, mobilité, etc.) à l'accès à l'emploi des femmes ne sont pas spécifiques aux territoires peu denses et isolés, leur caractère rural les amplifie. Néanmoins, l'étude a également mis en valeur de remarquables initiatives dans les territoires ainsi que les leviers pour favoriser l'emploi et l'entreprenariat des femmes dans les zones rurales.

Où en sommes-nous en 2021 ?

J'observe qu'en milieu rural, les femmes osent de plus en plus entreprendre. On parle souvent de leur implication dans les entreprises agricoles. Cette implication existe également dans d'autres secteurs.

Au cours des travaux conduits avec la délégation sénatoriale aux entreprises du Sénat, dont je suis vice-présidente, nous avons souvent l'occasion d'échanger avec des chefs d'entreprise, lors de nos déplacements dans les territoires ou en visioconférence pendant cette crise sanitaire.

Notre collègue Annick Billon peut en témoigner. En 2020, dans le cadre de notre mission sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), nous avons été impressionnés par le fort engagement des femmes entrepreneures dans ce domaine. Qu'elles créent de toutes pièces une société ou reprennent une entreprise familiale, leur énergie et leur succès sont très encourageants.

Encore récemment, à l'occasion de la mission que nous conduisons sur les nouveaux modes de travail et de management, une cheffe d'entreprise du Finistère a expliqué comment elle avait réussi à développer son entreprise en secteur rural, en créant une école de formation interne et en appliquant une méthode de management coopératif.

Je suis persuadée que les nouvelles technologies ainsi que la numérisation croissante des territoires ruraux et des petites et moyennes entreprises offrent de nouvelles opportunités, dont les femmes savent se saisir.

L'évolution du cadre législatif va également dans le bon sens. Je pense en particulier à la loi du 4 août 2014 relative à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Néanmoins, il est nécessaire que les mesures se concrétisent réellement sur le terrain. Je pense aussi au plan national en faveur de l'entreprenariat des femmes et aux plans d'actions régionaux pour la création d'entreprises par les femmes. Ces plans ont couvert la période 2018-2020. Cependant, quels en sont les résultats concrets ?

Je suis plutôt optimiste pour l'avenir et l'entreprenariat des femmes en milieu rural.

Il reste néanmoins encore beaucoup de progrès à réaliser, notamment en matière d'orientation scolaire, et pour lutter contre les préjugés et l'autocensure des filles à l'égard de nombreux métiers.

Certaines femmes cheffes d'entreprise témoignent par ailleurs de préjugés défavorables des financeurs à leur égard. Faire évoluer l'image de la gestion du « bon père de famille » est difficile. Nous savons bien que les femmes doivent parfois redoubler d'efforts pour convaincre de leur crédibilité.

Par ailleurs, de nombreuses femmes créent leur propre emploi à travers le statut d'autoentrepreneur ou un autre statut d'indépendant, bien moins protégés que d'autres, comme la crise l'a montré. L'entreprenariat peut malheureusement être synonyme de précarisation. La délégation aux entreprises attend le plan que vous proposerez, Monsieur le ministre, sur le statut des travailleurs indépendants et leurs conditions d'exercice.

Il faut également continuer à faciliter l'articulation entre vie personnelle et professionnelle, particulièrement difficile pour les femmes cheffes d'entreprise dont le niveau de stress est préoccupant. Les récentes études sur le télétravail ont bien montré qu'il restait beaucoup de chemin à parcourir pour obtenir un partage plus égal des tâches domestiques. Nous touchons là à des sujets de société qui limitent nécessairement le développement de l'entreprenariat féminin.

Si certains sujets sont particulièrement prégnants en milieu rural, d'autres concernent tous les territoires. Je me réjouis donc de participer à cette table ronde, qui pourrait trouver à se prolonger d'ici l'été avec un nouvel échange entre nos deux délégations sénatoriales sur le thème plus large de l'entreprise au féminin.

Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chère collègue. Il est vrai que les délégations sénatoriales organisent régulièrement des réunions conjointes, toujours enrichissantes. Avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, nous avions d'ailleurs organisé une matinée consacrée à l'entreprenariat dans les territoires ultramarins, qui avait été passionnante. Afin d'avancer au mieux ensemble, nous avons l'habitude d'associer à nos travaux une ou deux délégations sur des thématiques précises.

Notre prochain sujet concerne les femmes qui s'organisent en réseau. Dans le cadre du rapport de la délégation sur les femmes et l'agriculture en 2017, j'ai effectué un certain nombre de déplacements avec une équipe de rapporteurs issus de tous les groupes politiques. Nous avons alors constaté que les femmes parvenaient à progresser sur les questions de statuts, notamment de conjoint exploitant, essentiellement dans les territoires où elles étaient organisées en réseau et où elles occupaient une place importante dans les organisations syndicales, patronales et professionnelles. Par exemple, nous avions rencontré en Bretagne des agricultrices organisées en réseau et militantes.

Pour parler des femmes en réseau, j'invite Marie Eloy, présidente de Femmes des territoires et de Bouge ta boîte, à prendre la parole.

Mme Marie Eloy, fondatrice du réseau Bouge ta boîte et cofondatrice du réseau Femmes des territoires. - Merci, Mesdames la présidente et la vice-présidente. De nombreux éléments ont déjà été abordés.

Merci, Monsieur le ministre. Je connais votre engagement et je sais que vous êtes issu des territoires ruraux.

Mesdames, Monsieur, je suis extrêmement heureuse que nous abordions ce sujet. Depuis des années, je sens un « vent puissant » d'entreprenariat féminin dans les territoires. De son côté, la crise a permis de mettre en lumière les très petites entreprises (TPE). Plus largement, il est important de montrer à quel point celles-ci font vivre les villes et les villages. Nous le constatons sur le terrain.

Je suis fondatrice de plusieurs réseaux féminins. Le premier, Femmes de Bretagne, organise 500 évènements par an autour de l'entreprenariat, dans soixante-dix villes. Ces chiffres révèlent l'ampleur de notre maillage territorial.

Nous avons dupliqué ce réseau sur le plan national en créant Femmes des territoires, avec la Fondation Entreprendre. L'objectif, dans ce cadre, est de permettre à 75 000 femmes de créer leur entreprise en sept ans.

Je suis également présidente du réseau Bouge ta boîte, destiné aux dirigeantes d'entreprise dont la société compte plus de trois ans d'existence.

Dans ce domaine, nous sommes confrontés à deux sujets : la création d'entreprises dans les territoires ruraux et leur développement. Je remercie Monsieur le ministre de s'être rendu auprès des « bougeuses » le 8 mars et d'avoir échangé longuement avec elles. Cet échange était passionnant. Nous avons reçu des témoignages importants sur les bénéfices apportés par le réseau aux femmes dirigeantes.

Depuis sept ans, j'ai rencontré des milliers de dirigeantes dans les territoires. En dehors de la période particulière que constitue la pandémie, je suis normalement dans une ville différente chaque jour afin de rencontrer des dirigeantes. En 2019, nous avons ainsi effectué un Tour de France de l'entreprenariat féminin, au cours duquel nous avons rencontré des milliers de dirigeantes. Nous nous sommes rendu compte que ce réseau se portait très bien dans les territoires mais qu'il était complètement hors-sol, c'est-à-dire déconnecté des CCI, des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), des grandes écoles et des mairies, celles-ci restant traditionnellement des lieux très masculins.

L'objectif des réseaux féminins est bien de tendre vers la mixité dans les territoires. Cette dernière est essentielle. En effet, toutes les études indiquent qu'une plus grande mixité est associée à une progression de la performance, du vivre ensemble et de l'innovation pour la planète. Bien qu'un tel changement prenne du temps, il est important d'activer les leviers que nous connaissons afin d'améliorer la mixité dans les territoires. Bouge ta boîte a, par exemple, récemment signé un partenariat avec les chambres des métiers et de l'artisanat pour davantage de mixité.

Aujourd'hui, parmi les personnalités les plus médiatisées en France dans les catégories patrons et business, on compte seulement 1 % de femmes. Dans les territoires, 55 % des dirigeantes d'entreprise sont incapables de citer le nom d'une entrepreneure inspirante. En outre, parmi les noms cités, les deux premiers sont ceux de Michelle Obama et d'Oprah Winfrey. Il est donc de la responsabilité des Françaises et des Français de mettre en avant les femmes entrepreneures.

Pour les femmes, s'insérer dans un réseau n'est pas un réflexe naturel, contrairement aux hommes. Il faut que les femmes puissent s'identifier à l'image du réseau et aux personnes qui y adhèrent. Or les réseaux sont essentiellement masculins dans les territoires, puisqu'ils comptent 80 à 90 % d'hommes en moyenne.

L'intérêt d'un réseau féminin tient au fait qu'il permet de s'identifier mais également de révéler ses forces et ses faiblesses avec authenticité. Assumer ses faiblesses est important dans les territoires ruraux car l'entreprenariat féminin s'inscrit souvent dans une démarche de reconversion. Des femmes auparavant salariées, en quête de sens et souhaitant avoir un impact à travers leur activité, se lancent ainsi dans l'entreprenariat. À cette occasion, 60 % n'ont pas effectué de business plan. Seules 12 % se financent. Si la quête de sens et l'envie sont présentes, les codes ainsi qu'une bonne connaissance des notions de rentabilité, de business et de chiffre d'affaires font défaut. Bouge ta boîte a vocation à permettre un dialogue sur tous ces sujets, permettant à l'entreprise créée d'être viable.

Aujourd'hui, 70 % des dirigeantes en France gagnent moins de 1 500 euros par mois tandis que 50 % des hommes déclarent vivre correctement de leur activité. Or pour un homme, vivre correctement de son activité renvoie à des revenus compris entre 3 000 et 4 000 euros par mois. Un travail considérable est à réaliser. Nous connaissons les leviers à activer : une augmentation des role models, des financements, de la présence des femmes dans les réseaux ainsi qu'une réduction de leur charge mentale.

Au sein des entreprises de plus de dix salariés, 14 % seulement des chefs d'entreprise sont des femmes. Leur impact global dans l'économie est donc faible. Pourtant, cet impact peut évoluer car nous percevons bien dans les territoires que les femmes souhaitent entreprendre et qu'elles ne manquent pas d'audace, d'énergie et d'expertise. Pour concrétiser cet impact, seuls manquent un rééquilibrage et les leviers d'action.

S'agissant du réseau Femmes des territoires, quarante antennes ont été créées dans les territoires ruraux en un an malgré la crise de Covid-19. Récemment, nous avons ouvert une antenne à Saint-Geniès-de-Comolas, situé à vingt minutes d'Avignon. Dans ce village qui compte seulement 1 500 habitants, vingt-huit femmes voulaient entreprendre. Les territoires ruraux constituent donc un vivier impressionnant, aujourd'hui sous-exploité et peu mis en avant alors qu'il est indispensable pour la relance.

Pendant la crise, nous pensions observer une moindre volonté de créer des entreprises. En réalité, ce n'est nullement cas. Un sentiment d'urgence existe et encourage les femmes à créer leur entreprise pour être utiles. Ces femmes doivent absolument être accompagnées. Dans le cadre de Femmes des territoires, nous les mettons en lien les unes avec les autres et nous réunissons les conditions nécessaires pour qu'elles partagent leurs compétences. Ce lien se tisse d'abord par le digital, ce qui est très important. Nous organisons ensuite des rencontres physiques, ce qui est moins possible en ce moment mais fait tout de même partie de notre ADN. Le digital est très important car les femmes doivent pouvoir s'identifier. Elles peuvent constater que des femmes qui leur ressemblent sont mises en avant sur le site Internet. Une fois qu'elles appartiennent à ce réseau social, elles oseront se rendre aux rencontres physiques.

Nous les mettons donc en lien et nous leur permettons de partager des compétences. J'ai vu de nombreuses femmes dans les zones rurales qui rencontraient des difficultés à se relancer dans la vie active à la suite d'un burn out, d'un licenciement, d'une période de chômage ou d'un congé parental. L'appartenance à un réseau crée une spirale vertueuse leur permettant généralement d'aider les autres et, ainsi, de prendre confiance pour créer leur entreprise. De nombreuses femmes ayant suivi cette trajectoire sont ensuite devenues coordinatrices du réseau.

Accompagner les femmes dès le début de la création d'entreprise est essentiel. Néanmoins, il est encore plus crucial de les accompagner dans le développement de l'entreprise et sa pérennisation. Si 70 % des dirigeantes d'entreprise ne vivent pas de leur activité, on doit y voir le signe qu'elles ne disposent pas des codes et qu'elles doivent être accompagnées sur tous les sujets qui ont trait à la vie d'une entreprise (marge, rentabilité, prospection, etc.). C'est ce que nous faisons avec Bouge ta boîte, à travers 400 réunions de travail par mois dans 120 villes et auprès de 1 700 dirigeantes d'entreprise.

La crise a été très difficile pour le développement des entreprises créées par des femmes, notamment au moment du déconfinement. En effet, les écoles n'ont pas rouvert immédiatement. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), on constate aujourd'hui un écart de salaire de 42 % en moyenne au sein d'un couple. Ce sont donc les femmes qui sont restées au foyer afin de garder les enfants en attendant l'ouverture des écoles. Quand elle est salariée, une femme passe à côté de promotions. Quand elle est entrepreneure, une femme n'a pas le droit aux allocations chômage alors qu'elle a investi toutes ses économies dans l'entreprise. En outre, les femmes entrepreneures, dont les entreprises sont moins viables que celles des hommes au démarrage, n'ont souvent pas pu prospecter ni générer de chiffre d'affaires entre les mois de mars et septembre derniers. Les aides du Gouvernement ont heureusement pu aider les femmes entrepreneures après ces six mois de forte fragilité. Elles ont utilisé ces aides en très grande majorité.

La fragilisation des entreprises a pesé sur l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans les territoires. Pour autant, les femmes entrepreneures ne sont pas restées sans agir. La moitié d'entre elles a suivi des formations, s'est adaptée ou a accru sa présence sur les réseaux sociaux. Les femmes estiment qu'elles sont encore 50 % à ne pas posséder le niveau de formation digital suffisant pour surmonter la crise. Il faut donc absolument continuer à soutenir les initiatives liées à la formation digitale.

Tous les acteurs locaux ont la responsabilité de soutenir l'existence de role models. Il faut également agir afin que les femmes puissent être accompagnées dans les réseaux et que les réseaux féminins soient considérés comme des acteurs à part entière. Le maire d'une grande ville, qui nous avait accueillies, avait qualifié l'entreprenariat féminin d'entreprenariat « secondaire ». Nous ne sommes pas secondaires ! Personne ne parle d'entreprenariat au masculin.

Je souhaiterais que nous soyons considérées comme des dirigeantes d'entreprise à part entière et que les réseaux féminins puissent prendre part aux consultations et aux décisions. C'est le cas depuis votre arrivée, Monsieur le ministre, et je vous en remercie. Très peu de femmes sont cependant présentes dans les organisations patronales et dans les réseaux représentatifs de l'entreprenariat en général. Les réseaux féminins doivent être pris en compte en vue d'un rééquilibrage.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué les actions à mener concernant le financement et la charge mentale, notamment en soutenant le congé du deuxième parent et en augmentant le plafond appliqué par la Caisse d'allocations familiales (CAF) en matière de garde d'enfants. En effet, l'aide de la CAF est malheureusement versée jusqu'aux six ans de l'enfant alors qu'un enfant de cet âge ne peut pas rentrer de l'école seul. Cette réalité pénalise fortement les femmes en milieu rural, notamment les entrepreneures mères célibataires.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour cette présentation. J'ai eu raison de citer la Bretagne puisque le réseau y est né et que la délégation compte des élus bretons.

Je vous rejoins quand vous constatez qu'il existe un vrai déficit en termes de réseaux. Récemment, avec le sous-préfet à la relance des Pays de la Loire, j'ai visité l'entreprise vendéenne Cero, qui bénéficie du plan de relance. Cette entreprise est dirigée par une femme qui se tenait pourtant en retrait lors de notre visite. Lorsque je lui ai demandé si elle participait à un réseau, elle m'a indiqué que seul son mari était engagé dans ce genre de démarches. Comme en politique, les femmes se tiennent parfois à l'écart des réseaux.

Je vous rejoins également lorsque vous affirmez que des figures auxquelles il est possible de s'identifier sont nécessaires. Par exemple, l'entreprise Sodebo, qui s'associe au Vendée Globe, a été reprise par les filles du fondateur. Elles dirigent une entreprise de taille intermédiaire mais qui, à présent, représente un très grand nombre d'emplois et continue à recruter.

Je donne immédiatement la parole à Carole Jung, scénographe de musées, artiste plasticienne sonore et adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77, réseau de femmes cheffes d'entreprises en Seine-et-Marne. Je vous souhaite la bienvenue, Madame.

Mme Carole Jung, adhérente de l'association Dirigeantes Actives 77, réseau de femmes cheffes d'entreprise en Seine-et-Marne. - La présidente de l'association Dirigeantes Actives 77 n'a pas pu venir à cette table ronde. Je suis moi-même membre d'honneur de cette association.

L'intervention de Marie Eloy était très riche. Je ne vais pas en répéter le contenu.

J'aimerais souligner que je suis devenue adhérente de Dirigeantes Actives 77 après m'être installée dans un tout petit village, alors que j'habitais auparavant à Paris et que j'étais mère. À cet égard, mes amies qui habitent en Suède m'ont indiqué que le regard porté sur les mères n'y est pas le même qu'en France. Dans notre pays, les femmes passent toujours après les hommes. Tant que cette mentalité perdurera, nous ne progresserons pas vers l'égalité.

La notion de réseau permet justement d'affirmer qu'ensemble, les femmes peuvent agir. L'appartenance à un réseau nous permet d'apprendre et d'être connectées avec des interlocutrices qui ne nous ressemblent pas, ce qui est très important.

Lorsque je travaille en tant que scénographe, je dispose d'une équipe. Néanmoins, toutes les questions administratives, juridiques ou relatives au financement me semblent vraiment complexes car je me considère avant tout artiste. A l'inverse, lorsque je suis encadrée par un réseau, je peux progresser. J'ai besoin de ce réseau pour effectuer des rencontres, pour obtenir de l'aide mais également pour trouver du travail. Entre femmes appartenant à un réseau, nous pouvons nous ouvrir mutuellement des horizons.

Habiter un territoire isolé, sans transports, ni médecin, ni école, vous impose d'être toujours sur les routes. Ce choix de vie est difficile même si je le revendique. En tant que femmes, de nombreux éléments concourent toutefois à ce que nous devions nous occuper de nos enfants avant tout.

J'aimerais également souligner que les réseaux comptent une majorité de femmes âgées de plus de cinquante ans qui ont été licenciées en raison de leur âge. Ces femmes deviennent indépendantes car elles ne peuvent pas être à nouveau engagées comme salariées. Cependant, elles souffrent d'un manque de considération. Cette réalité renvoie aux questions de mentalité que j'évoquais. Il est nécessaire de rappeler les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes, notamment quand elles sont mères. Elles doivent pouvoir rebondir et se reconvertir.

Les réseaux prennent notre réalité en compte. Ils nous apportent une énergie et une ouverture indispensables. En effet, hors des réseaux, nous ne disposons pas d'aide et nous ne sommes pas considérées. Ma présence aujourd'hui est la preuve que les réseaux nous permettent d'être écoutées. Ensemble, nous progressons davantage.

L'existence de réseaux féminins est donc importante. Les réseaux mixtes, eux, ne fonctionnent pas de la même manière et ne permettent pas la même écoute. Un réseau de femmes, de son côté, nous permet de nous réunir entre personnes confrontées aux mêmes problèmes. Nous pouvons par exemple évoquer le manque de crèche qui oblige certaines femmes à arrêter de travailler pour garder leurs enfants. Pendant ce temps, les hommes continuent à occuper leur emploi.

L'enjeu lié aux mentalités revient toujours. La France est très en retard en matière d'égalité par rapport aux pays nordiques, où les hommes - quelle que soit leur fonction - peuvent suspendre leur travail pour aller chercher leurs enfants à l'école. Or l'égalité ne progressera pas sans un changement de mentalité, qui doit s'opérer dès l'école primaire.

Je répondrai volontiers à vos questions.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour la fraîcheur et la sincérité de votre témoignage. Dans quelle commune êtes-vous installée ?

Mme Carole Jung. - J'habite Ville-Saint-Jacques, vers Montereau, au sud de la Seine-et-Marne. Par ailleurs, l'association Dirigeantes Actives 77 compte entre soixante-dix et cent adhérentes dans toute la Seine-et-Marne, plus grand département de France.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous vous remercions de ce témoignage. Nous constatons que des solutions existent. Marie Eloy a noté l'importance des réseaux. En outre, l'accès aux services publics, la garde d'enfants et la mobilité restent des préoccupations largement partagées par les femmes. L'articulation de leur temps personnel et de leur temps professionnel demeure une question essentielle.

Je cède la parole à Delphine Deserier, gérante du Cottance Café dans la Loire et membre du réseau Femmes chefs d'entreprises (FCE). Je l'invite à livrer son témoignage après cette intervention sincère sur la situation difficile que vivent les femmes cheffes d'entreprise.

Mme Delphine Deserier, gérante du Cottance café (Loire), membre du réseau Femmes chefs d'entreprise France (FCE), ancienne présidente de la délégation FCE 31. -Merci beaucoup. Madame la présidente, Monsieur le ministre, Messieurs les sénateurs et Mesdames les sénatrices, je suis très heureuse de témoigner aujourd'hui.

Je suis cheffe d'entreprise depuis plus de quinze ans ainsi que membre du réseau FCE depuis une dizaine d'années. J'ai été présidente de la délégation de Toulouse pendant trois ans. J'ai également essayé de créer une délégation dans l'Ariège, avec beaucoup de difficultés puisque des hommes chefs d'entreprises ont fait barrage car ils ne voyaient pas l'intérêt d'un réseau féminin de dirigeantes. Nous n'étions pas très nombreuses en Ariège à l'époque.

J'ai aujourd'hui changé de vie ; je suis revenue dans ma région d'origine, la Loire. J'ai repris la gérance d'un café, commerce de proximité, dans un petit village de 730 habitants. Il est intéressant pour moi de témoigner aujourd'hui car j'ai connu la gestion d'une entreprise à la fois dans une grande ville comme Toulouse et dans un petit village. Je peux effectuer un comparatif intéressant.

Lorsque j'écoute les témoignages de Marie Eloy et de Carole Jung, je constate que les mêmes freins sont toujours à l'oeuvre, dans une grande ville comme dans un petit village. Ces freins renvoient à l'accès à l'entreprenariat et au fameux plafond de verre que nous nous imposons avant la création d'une entreprise. Il existe aussi des résistances sur le plan financier, en lien avec certaines aides ou les réticences dont peuvent faire preuve les banques à l'égard d'une femme.

Le réseau Femmes chefs d'entreprise est le plus vieux réseau féminin de dirigeantes au monde. Il a été créé en 1945 après que des femmes avaient dû reprendre l'entreprise de leur mari décédé ou blessé à la guerre. Ces femmes ont d'emblée mis en avant la nécessité de s'entraider, de partager et d'échanger sur les difficultés rencontrées au niveau de l'entreprise mais aussi sur le plan personnel. Ce réseau est très développé puisqu'il est présent dans plus de soixante départements en France et dans plus de cent pays dans le monde.

Je suis très fière d'appartenir à ce réseau. Notre objectif est le même que celui de toutes les personnes qui ont déjà témoigné : parler de mixité, d'échanges et de la place de la femme entrepreneure dans le tissu économique local et national, sujets majeurs pour nous.

À mon sens, entreprendre dans un petit village est une démarche dont la spécificité tient à la dimension locale de l'accompagnement qui vous est apporté, ceci à travers le maire, l'équipe municipale et les habitants. Cette spécificité a également trait à la possibilité d'échanger avec la communauté de communes et les petites villes situées à proximité. Ce maillage particulier permet des échanges différents de ceux qui peuvent avoir lieu dans une grande ville. La possibilité d'être impliqué localement avec les producteurs et les fournisseurs, que je découvre depuis quelques mois, me semble très intéressante. Connaître ces deux dimensions, rurale et urbaine, présente également un intérêt.

Dans ma région, je rencontre de nombreuses femmes impliquées dans le secteur agricole, qu'elles soient conjointes de chefs d'exploitation ou créatrices et exploitantes. Dans la Loire, un grand nombre de femmes sont à la tête d'élevage de bovins ou de volailles. La région compte également un certain nombre de femmes agricultrices produisant des produits locaux, notamment du fromage et du miel.

La principale difficulté tient au fait que ces femmes utilisent souvent le statut d'autoentrepreneur. Se faire connaître et trouver une place dans l'économie locale leur est difficile, ce qui constitue sans doute un frein important. Comment rencontrer suffisamment d'acteurs pour être connue sur le terrain ?

Les freins auxquels se heurte l'entreprenariat féminin en milieu rural sont les mêmes que dans une grande ville : le manque d'intégration, une présence insuffisante sur les réseaux locaux ou les freins financiers.

Dans le cadre de l'ouverture du Cottance Café situé dans le petit village de Cottance, entre Lyon et Roanne, je fais également partie du réseau 1 000 cafés. Ce réseau a été fondé par le groupe SOS, qui conduit de nombreuses actions en matière d'entreprenariat social et solidaire. Le réseau compte vingt-sept cafés ouverts à ce jour sur les mille espérés, dans des communes de moins de 3 500 habitants. Parmi les propriétaires de ces vingt-sept cafés, la parité est réelle puisqu'on y dénombre quatorze femmes et treize hommes.

Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Madame, pour ce témoignage en direct de la Loire.

Après ces témoignages sur l'importance des réseaux, nous évoquerons le rôle majeur des Chambres de commerce et d'industrie (CCI) dans les territoires ruraux. Je donne la parole à Marie-Christine Farges, élue de la CCI de la Corrèze, en tant que cheffe et gérante d'une entreprise de fabrication de farine artisanale à Bar.

Mme Marie-Christine Farges, élue de la Chambre de commerce et d'industrie de la Corrèze, gérante de la Minoterie Farges à Bar. - Monsieur le ministre, Madame la présidente, Mesdames, Messieurs, mon parcours est un peu particulier. Je suis gérante d'une entreprise familiale créée par mon grand-père avant d'être reprise par mon père. J'ai toujours affirmé, dès mon enfance, que je serai un jour à la tête de cette entreprise car cette activité me plaît beaucoup.

La minoterie est située à Bar, petite commune du centre de la Corrèze. Vous n'ignorez pas qu'un ancien Président de la République a mis le département de la Corrèze en lumière. Nous faisons partie de la région Nouvelle-Aquitaine.

Je suis aujourd'hui à la tête d'une entreprise de six salariés, dans un secteur d'activité très masculin puisque les meuniers sont généralement des hommes. En plus de la fabrication de farines, nous sommes fabricants d'aliments pour le bétail. Nous travaillons largement avec les acteurs du monde agricole. Or dans l'agriculture, les chefs des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) sont souvent des hommes. Mon secteur d'activité est donc très masculin.

J'ai cependant eu la chance d'être toujours encouragée dans ma démarche au sein de la famille. Je n'ai jamais été freinée dans mon souhait de reprendre les rênes de l'entreprise. Il est important que mon père m'ait laissée un jour devenir dirigeante. Dans les entreprises familiales, les parents, et souvent le père, arrêtent leur activité tardivement car ils ont le sentiment que leur fille a besoin d'être épaulée. Dans mon cas, j'ai eu la chance que cette transition se passe bien.

Depuis 2015, je suis élue de la CCI de la Corrèze, où nous sommes dix femmes sur trente-six élus. En Corrèze, nous avons la chance que la CCI soit présidée par une femme, Mme Françoise Cayre. Il s'agit de la première présidente depuis quarante ans, ce qui prouve que les mentalités évoluent. Mme Cayre est également première vice-présidente de la CCI de Nouvelle-Aquitaine.

Des actions ont tout de même été menées dans les CCI. À ce niveau, il existe un service consacré à la création d'entreprise. Le traitement y est le même, que ce soit une femme ou un homme qui appelle pour obtenir des renseignements. Les femmes sont accueillies de la même manière que les hommes.

Nous constatons que les femmes rencontrent davantage de difficultés à accéder au poste de cheffe d'entreprise car elles sont moins nombreuses à demander des renseignements en ce sens. Les femmes restent encore dans leur statut de salariée et peinent à accéder à cette fonction de dirigeante d'entreprise. Seules 32 % des personnes demandant des renseignements à la CCI de la Corrèze sont des femmes. Parmi elles, seules 20 % concrétisent leur projet. Ce chiffre prouve qu'il existe encore des freins, à mon sens davantage familiaux que financiers.

Souvent, les femmes installent leur activité professionnelle en Corrèze en fonction de leur première formation ou de leur premier métier, plutôt liés au commerce, à la santé, aux services à la personne ou à la restauration. Nous sommes dans un secteur très rural, où il existe peu d'industries de très grande taille. Lorsque les femmes s'installent dans notre département, c'est la plupart du temps dans des commerces qui présentent une dimension féminine. Peu de femmes accèdent à de hauts postes et à des postes de dirigeantes dans l'industrie. Il est regrettable qu'au contraire, les femmes soient encore aujourd'hui reléguées à des postes subalternes. Elles travaillent souvent dans des petites entreprises qui emploient peu de salariés. Il est regrettable que nous ne trouvions pas de femmes à la tête des très grandes entreprises.

En 2013, la CCI de la Corrèze a décidé de créer l'association Correz'Elles, à laquelle peuvent adhérer les dirigeantes d'entreprise qui le souhaitent. Elles se réunissent souvent dans ce cadre pour parler de leurs problématiques, presque toutes communes. Ce réseau leur permet également d'échanger et de gérer leurs difficultés ensemble, car elles se comprennent. La création de ce club me semble très importante. Elle permet de beaux échanges.

Malheureusement, certains clichés ont toujours la peau dure. À l'école, les garçons sont davantage formés que les filles à être chef d'entreprise. Le cliché veut qu'une fille est censée rester à la maison afin de s'occuper de la famille et du foyer. Ce désir d'entreprendre et de devenir cheffe d'entreprise ne lui est pas transmis.

De nombreuses femmes accèdent aujourd'hui à des postes traditionnellement occupés par des hommes, mais ils se situent au bas de l'échelle. Elles ne parviennent pas à gravir les échelons dans les grandes entreprises jusqu'à en devenir les dirigeantes. Cette possibilité ne leur est pas laissée, ce que je déplore.

Les CCI ont peut-être un rôle à jouer dans les écoles et les centres de formation. Nous pourrions éventuellement partager nos expériences avec des jeunes pour leur transmettre une belle vision de l'entreprenariat au féminin. Les femmes, comme les hommes, disposent des ressources et des qualités pour diriger une entreprise.

Néanmoins, je pense que les femmes peuvent moins aisément se détacher de leur foyer, peut-être plus particulièrement dans les territoires ruraux. Si elles exercent un grand nombre de responsabilités dans leur entreprise, il leur est plus difficile de bien gérer l'articulation de leurs vies professionnelle et familiale. Les femmes concernées devraient être plus largement aidées et disposer de davantage de moyens (humains, financiers) afin qu'elles puissent à la maison passer le relais à une personne de confiance. La présence des hommes à la maison est limitée puisqu'ils travaillent également. Si nous voulons obtenir la parité, ces femmes cheffes d'entreprise devraient être davantage aidées dans les territoires ruraux. Si ces femmes se sentaient moins coupables, elles pourraient s'investir davantage et plus facilement.

Je reste à votre disposition pour toutes les questions.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, Madame. Vous avez évoqué un certain nombre de freins que nous connaissons bien, notamment la difficulté pour les femmes de s'imaginer cheffe d'entreprise. Par conséquent, il est indispensable de donner plus de visibilité à quelques exemples particulièrement emblématiques. Or 1 % seulement des personnalités médiatisées dans les catégories patron et business sont des femmes.

Vous avez souligné combien les stéréotypes ont la vie dure. Chantal Jouanno, qui a présidé notre délégation de 2014 à 2017, avait observé que la place des petites filles se trouvait déjà réduite dans la cour de récréation. Notre rapport1(*) sur les jouets et les stéréotypes de genre avait montré que, dès le plus jeune âge, les petites filles sont orientées vers un rôle de protectrice tandis que les petits garçons, qui jouent à partir à l'assaut du monde avec leurs épées, se voient attribuer un rôle de conquérant. De la même façon, les stéréotypes sont encore très ancrés dans les jouets et impactent le champ des possibles qui s'ouvre à ces petites filles.

Notre prochaine invitée évoquera le rôle important de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) dans les territoires. Ophélie Héliès, directrice territoriale adjointe Nord Occitanie et Lot-et-Garonne à l'ADIE, chargée de la mise en oeuvre du programme Regain sur l'entreprenariat en milieu rural, est avec nous.

Madame Héliès, je vous cède la parole.

Mme Ophélie Héliès, directrice territoriale adjointe Nord Occitanie et Lot-et-Garonne à l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), chargée de la mise en oeuvre du programme Regain sur l'entreprenariat en milieu rural. - Je vous remercie de me donner la parole. Contrairement aux intervenantes précédentes, je ne suis pas cheffe d'entreprise. J'ai néanmoins préparé mon témoignage sur la base d'interviews de cheffes d'entreprises et de personnes qui les accompagnent. Sachez que seules des femmes m'ont répondu lorsque j'ai proposé d'évoquer le sujet de l'entreprenariat au féminin.

Depuis plus de trente ans, l'ADIE, association nationale reconnue d'utilité publique, défend l'idée que chacun peut devenir entrepreneur, même sans capital et sans diplôme, s'il a accès au crédit et à un accompagnement professionnel personnalisé fondé sur la confiance, la solidarité et la responsabilité. La mission de l'ADIE est de donner accès à l'entreprenariat et à l'emploi, par le microcrédit et l'accompagnement, à ceux dont les projets ne peuvent pas bénéficier de crédits bancaires. L'ADIE finance également les besoins en mobilité de personnes en recherche d'emploi ou de salariés précaires à travers des microcrédits personnels. Cependant, je n'aborderai pas ce dernier sujet à l'occasion de cette table ronde.

En 2020, l'ADIE a apporté ses financements à plus de 29 000 personnes et en a accompagné plus de 46 000. Nous sommes présents en France au travers de 470 lieux d'accueil. Pour illustrer le public avec lequel nous travaillons, je vais vous présenter trois chiffres-clés :

- 49 % des personnes que nous finançons et accompagnons vivent sous le seuil de pauvreté ;

- 37 % d'entre elles perçoivent des minima sociaux ;

- 24 % ne possèdent pas de diplôme.

En France, 32 % des créateurs d'entreprise sont des femmes alors que ces dernières souhaitent autant entreprendre que les hommes. Les freins à l'entreprenariat des femmes sont multiples. Ils ont déjà été abordés au cours des interventions précédentes.

L'accès aux financements leur est plus difficile. Le taux de rejet de crédits demandés par les créatrices est de 4,3 % contre 2,3 % pour les hommes. Or l'aspect financier est essentiel dans la volonté d'entreprendre, pour se développer ou pour réfléchir à son projet de création. 44 % des femmes estiment que les échecs de la création s'expliquent par le manque de financement. Les femmes ayant demandé un financement se disent aussi victimes d'un biais de genre au moment de leur demande, au travers des questions qui leur sont posées sur leur organisation familiale, leur crédibilité en tant que cheffe d'entreprise ou encore leur capacité à créer un modèle économique viable.

Évidemment, ces statistiques ne prennent pas en compte toutes les femmes qui ont renoncé à demander un financement, celles-ci estimant, avant même d'entreprendre leur démarche, qu'elles ne pouvaient pas y prétendre.

Parmi ces freins s'ajoute le manque de confiance en soi. 35 % des femmes estiment ne pas posséder les compétences requises pour créer leur entreprise contre 23 % des hommes. Nombre d'entre elles ressentent un sentiment d'imposture. Elles se montrent plus prudentes dans leur parcours et elles sont beaucoup plus consommatrices de services d'accompagnement.

Enfin, parmi les autres sources de problèmes, notons les difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle, des moyens de garde d'enfants parfois insuffisants et la très inégale répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes au sein des foyers.

Les freins à l'entreprenariat en milieu rural sont multiples et se cumulent parfois avec les freins liés au genre. L'accès à l'information sur les services existants y est difficile. En effet, le bouche-à-oreille, principal levier en milieu rural pour connaître les dynamiques du territoire, n'est accessible que si l'on dispose déjà d'un petit réseau. Notons également le peu de services d'appui à l'entreprenariat et leur faible maillage. En outre, il est indispensable de se déplacer pour faire appel à ces services. Je peux également témoigner du sentiment d'isolement de certaines femmes. De tels sentiments peuvent représenter un frein supplémentaire, quelles que soient les compétences et les capacités des femmes qui souhaitent se lancer dans l'entreprenariat.

Depuis 2016, l'ADIE a lancé le projet Regain pour améliorer l'accessibilité de nos services en milieu rural et renforcer l'accompagnement des entrepreneurs. Ce projet a été mené dans cinq départements : le Cher, la Nièvre, l'Ariège, les Hautes-Alpes et l'Aveyron. Nous pensions qu'il existait des dynamiques entrepreneuriales en zones rurales et nous avons fait le pari qu'investir du temps pour aller à leur rencontre permettrait de les faire émerger. Un documentaire a été tourné en 2019 pour illustrer le projet Regain. Il prend la forme d'une enquête de terrain sur la réalité de l'entreprenariat individuel dans ces territoires hyper-ruraux. Plusieurs femmes interviennent dans ce film.

Au-delà du projet Regain, d'autres actions sont menées dans différents territoires (des grandes villes, des villes de taille moyenne et des petites villes) pour faciliter le développement d'entreprises gérées par des femmes. Par exemple, en Pays de la Loire, l'ADIE a développé un projet de boutique éphémère dédiée aux créatrices pour leur permettre de tester leur activité et de prendre confiance en elles. En Occitanie et en Pays de la Loire, des évènements ont été organisés, tels que le forum destiné à révéler les talents des femmes entrepreneures, le forum sur l'entreprenariat au féminin ou encore les rencontres La boss c'est moi.

Dans le Lot-et-Garonne, à plus petite échelle - mais je crois que chaque action compte dans les territoires ruraux -, l'ADIE met depuis peu ses locaux à disposition du réseau Bouge ta boîte et organise des ateliers collectifs sur le financement des entreprises, lorsque ce réseau identifie plusieurs « bougeuses » ayant besoin d'un financement. Ma collègue sur place dit, s'agissant de cette action, qu'elle souhaitait à son échelle faciliter la vie de ses interlocutrices. Il faut parfois multiplier les actions en zone rurale. Celles-ci peuvent paraître minimes mais elles sont importantes pour réussir à développer l'entreprenariat, notamment féminin.

41 % des personnes soutenues en 2020 par l'ADIE sont des femmes alors que ces dernières représentent 32 % des créateurs d'entreprises en France. Ces chiffres sont sensiblement identiques en zones rurales.

Lorsque j'ai commencé à préparer cette intervention avec les femmes entrepreneurs que nous avons accompagnées sur le territoire dont je suis chargée, les mots que j'ai le plus entendus sont « courage », « réseau », « connectée », « passion », « énergique », « pugnacité » ou encore « fierté ». Ce sont des mots forts, montrant l'envie et le dynamisme des femmes entrepreneures en milieu rural. Nous pouvons nous appuyer sur cette implication et cette énergie pour développer l'entreprenariat féminin en zone rurale. Cependant, durant ces interviews, j'ai également entendu le mot « combat » ou les expressions « devoir en faire deux fois plus », « démontrer mes compétences », « me battre pour exister », « ne rien lâcher pour y arriver ». Un travail de fond doit être mené pour tendre vers l'égalité.

J'illustrerai ces propos par deux parcours de femmes cheffes d'entreprise que nous avons accompagnées sur ce territoire, pour montrer leur force, sur laquelle nous pouvons nous appuyer dans les territoires ruraux. Je cite leur nom car elles m'ont autorisée à le faire.

La première est Mme Alibert, qui a lancé son activité en microentreprise en 2016 et qui gère désormais une société avec quatre salariés dans le sud de l'Aveyron. Elle fabrique une spécialité aveyronnaise, le gâteau à la broche cuit au feu de bois. Elle déclare au sujet de son ambition : « J'avais envie de voler de mes propres ailes pour affirmer ce que je savais faire ». Mme Alibert était précédemment cheffe de brigade dans des restaurants étoilés. Elle s'est installée en Aveyron pour des raisons familiales mais n'y a pas trouvé d'emploi. Elle a débuté son activité en vendant des gâteaux à la broche sur des marchés, avec le statut en microentreprise. Elle a développé son activité très progressivement et seule car elle n'a pas trouvé de financement bancaire. En 2018, elle a eu l'opportunité d'obtenir un local à Millau. L'ADIE a financé son projet en investissant dans les travaux d'aménagement des locaux et l'achat du matériel car elle n'avait toujours pas trouvé de financement bancaire. Mme Alibert a progressivement embauché ses salariés, qui sont quatre aujourd'hui. Elle vend désormais dans sa boutique mais également en ligne et à des revendeurs en Aveyron, à Toulouse et à Paris ainsi que sur les foires et les marchés. En 2020, elle a été à nouveau financée par l'ADIE qui lui a assuré des facilités de trésorerie afin de tenir durant le premier mois de confinement. Par la suite, elle a enfin obtenu un Prêt garanti par l'État (PGE).

Mme Alibert est une battante. Son histoire constitue une vraie réussite sur un territoire fragile. Elle indique : « Ce n'est pas si difficile que ça d'entreprendre, ça peut être donné à tout le monde mais s'il n'y avait pas eu l'ADIE qui s'était déplacée dans ma boutique pour me rencontrer, je ne serais peut-être pas là ».

Je pense aussi au parcours de Mme Voisin, qui a ouvert en 2019 un café-boutique spécialisé dans les jeux de société dans le Lot-et-Garonne. Quand elle exprime sur son ambition à travers ce projet, elle explique : « Je souhaitais être autonome, garder une liberté qui me correspond ». Mère au foyer depuis plusieurs années, Mme Voisin a rencontré des difficultés à obtenir des financements. On lui a reproché son statut de mère sans emploi. Elle a revu sa copie et son investissement à la baisse pour être financée par l'ADIE.

Son activité tourne aujourd'hui un peu au ralenti à cause de la situation sanitaire. Néanmoins, à l'heure actuelle, Mme Voisin continue de réaliser des animations dans des écoles, d'accueillir des mineurs et d'organiser des ateliers pour les personnes en situation de handicap. L'espace boutique continue de fonctionner. Mme Voisin est passionnée et optimiste, comme beaucoup : « J'ai la conviction que peu importe où nous en sommes dans la vie, il est possible de faire quelque chose et de trouver des personnes qui nous font confiance ».

Les entrepreneures qui ont témoigné indiquent que les femmes ont les mêmes besoins que les hommes. Il importe de leur faire confiance, de parler d'elles autour de nous mais également de mener un travail de fond sur la place de la femme dans la société afin de lutter contre les préjugés de genre mais aussi pour libérer leur capacité d'entreprendre. Enfin, il importe de mettre en valeur les réussites entrepreneuriales féminines. Je ne parle pas seulement des start-upeuses et des diplômées de grandes écoles mais bien des petites entreprises qui font aujourd'hui l'économie des territoires.

Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Madame, pour cette intervention.

Je vais immédiatement passer la parole aux rapporteures qui l'ont demandée. Je cède la parole à Marie-Pierre Monier, rapporteure sur ce thème des femmes et de la ruralité.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Merci, Madame la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, Mesdames, je crois, Madame la présidente, que nous abordons de nouveau, aujourd'hui, deux problématiques que nous suivons depuis le début de cette mission.

Nous constatons que la création d'entreprise n'échappe ni au poids des stéréotypes de genre ni à un plafond de verre. C'est malheureusement ce qui ressort de tous vos témoignages. Nous évoquons cette réalité à travers tous les sujets traités par notre délégation.

Par ailleurs, dans le cadre de notre mission, les deux problématiques que nous abordons régulièrement sont la mobilité liée à la ruralité et le manque de services publics.

Je voudrais revenir sur ce qui me paraît être le fil conducteur des auditions de cette table ronde : les réseaux d'entrepreneures. Nous constatons que vous jouez un rôle essentiel et que la situation ne bougera que par votre action. Vous facilitez les échanges d'informations mais vous accompagnez également les femmes. Vous avez bien identifié qu'il ne s'agit pas seulement de créer son entreprise mais également de la rendre pérenne.

Je souhaiterais mieux connaître les politiques publiques qui existent à ce sujet. Vous semblez être au coeur de la question, Monsieur le ministre. Quels leviers conviendrait-il de mettre en place pour que les améliorations s'étendent et deviennent durables ?

Vous nous avez beaucoup parlé du statut de microentrepreneure, perçu comme un levier d'accès à l'emploi dans les territoires où disposer d'un travail salarié paraît difficile. Cependant, ce statut est tout de même moins rémunérateur et protecteur. Comment peut-on accompagner et protéger davantage les femmes qui optent pour ce statut ? Comment améliorer l'information ? Vous avez toutes souligné que disposer d'informations est essentiel. En outre, comment expliquer les aides destinées aux femmes qui vivent dans les territoires ruraux ?

Par ailleurs, disposez-vous de chiffres sur les secteurs d'activité des entreprises dirigées par des femmes ? Il faut en effet s'appuyer sur un constat pour être force de proposition.

J'aimerais évoquer l'école. Mme Farges a indiqué qu'à l'école, les filles sont davantage encouragées à rester à la maison et qu'elles désirent moins entreprendre. Je ne dirais pas cela. En revanche, nous avons besoin d'agir dès l'école pour réussir à casser ces stéréotypes de genre. Il est vrai que le poids de ces stéréotypes conduit les femmes à « se freiner » elles-mêmes. La situation est très difficile. Vous évoquiez la notion de combat et la nécessité que la famille accepte qu'une femme puisse entreprendre. Ces obstacles doivent être surmontés.

J'ai souvent souligné, au sein de cette délégation, que c'est au niveau de l'école que nous parviendrons à faire évoluer la situation, si nous travaillons vraiment sur ce sujet.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, Madame la rapporteure. Si vous le permettez, je vais céder la parole à M. le ministre, qui aura peut-être quelques réponses à apporter à Marie-Pierre Monier et que je remercie d'avoir été parmi nous ce matin.

M. Alain Griset, ministre délégué. - Je vous remercie à nouveau de cette invitation. Il est pour moi fondamental d'être présent dans ces échanges. C'est en écoutant les représentantes des entreprises et les entrepreneures elles-mêmes que nous pouvons trouver des pistes. La volonté du Gouvernement est en tout cas d'essayer de répondre à ces demandes.

Certains éléments concernent le long terme : il s'agit des questions de mentalité et de pratiques, notamment éducatives. Certaines évolutions sont positives. Lorsque l'on examine le tissu entrepreneurial au fil des générations, la volonté des femmes d'entreprendre est plus forte. Nous pouvons sûrement améliorer cette progression. Il n'en demeure pas moins que les évolutions, notamment structurelles, sont nettes. Elles concernent l'école et les mentalités. Les mentalités des nouvelles générations ont évolué, à la fois chez les femmes et les hommes. Ce chemin doit être poursuivi, en montrant la réussite des unes et en combattant les préjugés des autres.

Par ailleurs, je suis à votre disposition pour travailler sur des mesures à plus court terme. Nous voyons bien que certains sujets sont récurrents, notamment la question du financement. J'ai indiqué ma volonté de créer des fonds fléchés, dédiés. J'ai bien entendu Marie Eloy lorsqu'elle affirmait que les femmes devaient faire partie des comités de crédit. Je suis tout à fait disposé à étudier comment nous pouvons trouver des solutions.

Cependant, je ne suis pas certain que la question de l'accompagnement pour les créateurs d'entreprise, qui est un sujet fondamental, concerne seulement les femmes. Ce sujet est transversal. Je pense que l'accompagnement dans la création d'entreprise, voire en amont, est un élément important pour tous les créateurs d'entreprise de notre pays.

Mme Jung observait que certaines personnes au chômage créent leur entreprise par défaut. C'est une bonne chose. Néanmoins, il est fondamental qu'un créateur d'entreprise connaisse bien l'engagement et les risques qu'il prend afin d'éviter les désillusions. Créer son entreprise nécessite une bonne connaissance en gestion des cotisations sociales, des impôts, ainsi que des notions financières en matière de chiffre d'affaires et de construction d'un business plan. Il n'y aurait rien de pire que de maintenir des personnes dans l'illusion que créer une entreprise est une tâche facile. Il est préférable de passer le temps nécessaire à leur transmettre toutes les informations utiles. Nous pouvons progresser rapidement afin de disposer des outils permettant de les accompagner.

S'agissant de la représentation des femmes, je suis tout à fait d'accord pour que nous étudiions ce sujet au niveau des chambres consulaires. Je suis beaucoup plus réservé concernant les organisations professionnelles. En revanche, nous pouvons envisager une « représentation fléchée » pour les femmes dans les grandes organisations interprofessionnelles, telles que le MEDEF, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P). Concernant les métiers, la situation est plus délicate. Je vais volontairement le démontrer par l'excès : vous n'atteindrez jamais une égalité de représentation dans le secteur de l'esthétique car il existe peu d'hommes esthéticiens. A contrario, il sera difficile d'obtenir une représentation équilibrée dans le bâtiment. Il convient donc de se fixer des objectifs réalistes. S'il est possible d'agir sur l'interprofessionnel, rechercher une égalité de représentation par métier n'est pas un objectif atteignable. Je suis toutefois à votre disposition pour continuer d'échanger sur ce sujet.

Les propositions sur un plan destiné aux indépendants que je remettrais au Président de la République concernera des sujets tels que le statut juridique ou les cotisations. Je n'ai, naturellement, aucune difficulté pour examiner spécifiquement la question des conjoints collaborateurs, qui jouent un rôle tout à fait particulier dans l'entreprise. Les éléments que j'ai évoqués précédemment sur l'accompagnement et le financement font partie des points sur lesquels nous pouvons travailler.

Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je suis à votre disposition. Dites-moi si vous disposez déjà d'éléments que vous souhaitez voir intégrer dans ce plan qui comprendra beaucoup de dispositions réglementaires. Il s'accompagnera également de quelques mesures législatives dans le prochain projet de loi de finances. Peut-être un volet, certes modeste, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) portera-t-il également sur ces questions.

Je suis naturellement preneur de vos propositions sur des éléments réglementaires. Mme Eloy sait qu'avec mes équipes, nous sommes disponibles et à l'écoute pour déterminer comment nous pouvons franchir un cap supplémentaire. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur mon ministère pour examiner ces enjeux de façon très positive. Encore une fois, nous devons toutefois définir des objectifs réalistes, concrets, qui nous permettent d'avancer.

Je pense que nous devons mettre en avant un certain nombre d'exemples. Nous travaillons actuellement sur la question de la numérisation et de la digitalisation. Au ministère, nous avons réalisé des films diffusés sur les chaînes de télévision. Je suis absolument convaincu, d'expérience, que les réussites doivent être mises en avant afin de faire tomber les préjugés et les craintes.

Au-delà de personnes emblématiques que l'on peut valoriser, il me semble intéressant de montrer à une jeune fille qu'elle peut être cheffe d'entreprise et que d'autres, avant elle, y sont parvenues, tout en n'occultant pas les difficultés que ces femmes ont dû affronter. Je suis très ouvert à ce que nous réalisions au niveau du ministère des petits films spécifiques à l'entreprenariat au féminin. Une telle démarche ne peut évidemment pas tout résoudre mais pourra, peut-être, apporter une pierre à l'édifice que je souhaite nous voir construire ensemble.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci de votre participation à la table ronde. Nous étions ravis d'échanger avec vous. Vous avez raison : de nombreuses pistes s'offrent à nous pour répondre à cet enjeu de l'entreprenariat au féminin. La réponse ne sera pas nécessairement législative ; elle peut être réglementaire et également relever de bonnes pratiques. En Vendée, les présidentes de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et de la CPME sont des femmes. Ces femmes doivent évidemment être mises en avant pour montrer qu'un tel parcours est possible. De même, des prix sont décernés dans certains départements pour mettre en valeur cet entreprenariat féminin, ce qui permet d'offrir à ces femmes une visibilité dont elles ne disposent pas toujours.

Je cède la parole à Marie Eloy et aux intervenantes par visioconférence pour répondre à l'intervention de la rapporteure Marie-Pierre Monier.

Mme Marie Eloy. - Pour répondre à vos différentes questions sur les leviers, nous devons conserver une vigilance de tous les instants sur les role models lors de conférences et de remises de prix, notamment dans la presse quotidienne régionale.

Concernant les réseaux, nous avons évoqué, avec M. le ministre, un guichet unique où l'on pourrait obtenir toutes les informations sur l'entreprenariat, notamment les aides et les prêts.

Un problème se pose au niveau de Pôle Emploi, qui est le principal pourvoyeur d'aides auprès des entrepreneurs, entre autres via l'Aide à la reprise ou création d'entreprise (ARCE). En effet, nous bénéficions de la part de Pôle Emploi de 50 % de nos indemnisations sous la forme de capital, puis nous ne sommes jamais recontactées. Nous disposons donc d'un capital pour fonder une entreprise puis nous sommes littéralement « lâchées dans la nature » sans que Pôle Emploi ait pris la peine de savoir si nous avons réalisé un business plan et si nous connaissons les bases de l'entreprenariat. Une telle situation n'est pas possible. Dans mes souvenirs, il existait auparavant un stage obligatoire de cinq jours ; aujourd'hui il n'existe plus rien.

Il est indispensable que les créateurs et créatrices d'entreprise puissent connaître les réseaux, les aides, les prêts, les actions de formation numérique et les solutions de financement. Par exemple, l'ADIE est capable d'indiquer le pourcentage de femmes accompagnées directement dans ses financements, ce qui n'est par exemple pas encore le cas de Bpifrance aujourd'hui, ni en termes de capital ni en termes de prêt. Pourtant, connaître ce pourcentage est essentiel afin de savoir s'il existe des biais sociétaux, notamment dans les territoires. Je peux témoigner que ces biais existent bel et bien. Nous pouvons ensuite évoquer la charge mentale.

Seules 19 % d'entrepreneures de nos réseaux ont opté pour le statut d'autoentrepreneur. Tous mes propos concernent les dirigeantes en général.

Encore une fois, il n'est pas question d'expertise - car ces femmes disposent de la compétence - mais de légitimité, car elles ne sont pas représentées et ne peuvent pas s'identifier. Il est aussi question de crédibilité.

Je suis moi-même cheffe d'entreprise. J'ai créé mon entreprise Bouge ta boîte dans mon petit village de 600 habitants. J'étais mère célibataire, au RSA, et je dois dire que je me bats en permanence pour être crédible. J'ai notamment réalisé plusieurs levées de fonds pour Bouge ta boîte car nous ne sommes pas du tout soutenus sur le plan financier. J'ai fait des démarches pour obtenir tous les prêts bancaires possibles : Initiative, NACRE, Réseau Entreprendre et SNCF. Lorsqu'il n'a plus été possible d'effectuer des prêts bancaires, j'ai donc réalisé des levées de fonds.

Je perçois ce manque de crédibilité de façon très forte, en permanence. Néanmoins, il s'agit de ressentis, difficiles à expliquer. C'est pour cette raison que des statistiques et des chiffres sont nécessaires.

Le guichet unique permettra de connaître toutes les aides, même si Bpifrance Création effectue un travail formidable à ce sujet en recensant toutes les aides qui existent.

Concernant les chiffres sur les secteurs d'activité, la répartition reste malheureusement très traditionnelle. Les secteurs féminins, évoqués par l'une des intervenantes, sont les services à la personne, le bien être, etc. C'est cette réalité qu'il faut changer. Des exemples de réussite dans d'autres secteurs y aideront.

Un travail fantastique est effectué à propos des écoles par l'association 100 000 entrepreneurs. D'ailleurs, tous les réseaux présents à cette table ronde, ainsi que la plupart des réseaux féminins, envoient des femmes cheffes d'entreprise dans les écoles grâce au réseau 100 000 entrepreneurs. La situation commence vraiment à évoluer au niveau de l'éducation, grâce à eux.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour vos réponses. Je cède la parole à Guylène Pantel, rapporteure.

Mme Guylène Pantel, rapporteure. - Je souhaite juste insister sur deux points. Les droits des parents sous le statut d'indépendant sont différents de ceux des parents salariés, notamment pour les jours enfants malades et les congés parentaux. Ne faudrait-il pas un socle commun sur les droits pour les femmes entrepreneures, qui ne bénéficient pas pour le moment des mêmes droits ?

Par ailleurs, pour les conjoints collaborateurs et les conjointes collaboratrices, ne faudrait-il pas imposer une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour qu'en cas de divorce ou de séparation, ces conjoints ne se retrouvent pas sans statut après une situation difficile ? Faudrait-il rendre une VAE obligatoire ou trouver un équivalent ?

Les réseaux sont indispensables en milieu rural. Toutes les femmes n'ont cependant pas accès à ces réseaux. Je peux le constater dans des départements très ruraux comme le mien.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, chère collègue. Je cède la parole à Ophélie Héliès de l'ADIE.

Mme Ophélie Héliès. - J'aimerais formuler une remarque sur la façon de faire connaître les services qui existent et les actions. En zone rurale, il faut vraiment multiplier les actions pour arriver à toucher le public. En zone urbaine, hors période de restrictions sanitaires, vous pourrez rassembler facilement 150 ou 300 personnes en organisant un évènement. En zone rurale, en revanche, il faut organiser dix ou vingt évènements pour réussir à mailler le territoire et à toucher autant de monde. La densité de population est en effet beaucoup plus faible. Les problèmes de mobilité sont considérables. Il est donc nécessaire de multiplier les évènements pour être au plus proche du public.

Par ailleurs, je ne peux pas répondre au niveau national sur les secteurs d'activités investis par les femmes. Néanmoins, je peux me prononcer sur les secteurs investis par les femmes entrepreneures qui sont financées et accompagnées par l'ADIE. En zone rurale, selon les chiffres du projet Regain sur les départements où nous avons mené cette expérimentation, 50 % des femmes financées et accompagnées pendant cette période réalisent des projets liés au commerce. 12 % des projets concernent des prestations de services (prestations de service généraux et artisanat). Enfin, un pourcentage plus faible concerne d'autres secteurs comme l'agriculture ou les services aux particuliers. Les secteurs artistique, culturel, des transports et de la restauration-hôtellerie sont très peu concernés.

Mme Annick Billon, présidente. - Une autre intervenante en visioconférence souhaite-t-elle répondre à nos collègues rapporteurs ?

Mme Delphine Deserier. - Je souhaite réagir aux propos des deux précédentes intervenantes sur l'éducation, au sens noble du terme, pour lever toutes les barrières et tous les stéréotypes sur l'entreprenariat en général, et l'entreprenariat féminin en particulier. Je suis extrêmement active au sein du réseau 100 000 entrepreneurs. Je crois que nous devons avancer à ce sujet.

Madame l'élue de la CCI de Corrèze a sans doute participé à l'action que nous avons réalisée lors de la semaine du 8 mars, durant laquelle les femmes cheffes d'entreprises interviennent auprès des écoles, dans les CCI, pour parler de l'entreprenariat féminin. Je crois que nous devrions réaliser ce type d'actions beaucoup plus régulièrement afin de faire tomber les stéréotypes sur les métiers réservés aux hommes ou aux femmes, même si, comme l'a dit le M. le ministre, il y a peu d'esthéticiens et, heureusement, de plus en plus de femmes dans les BTP.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Je cède la parole à notre collègue Annick Jacquemet, sénatrice du Doubs.

Mme Annick Jacquemet. - Merci, Madame la présidente. Chers collègues, chers amis, je voudrais d'abord dire que vous m'avez, Mesdames, toutes captivée par vos expériences et vos interventions ainsi que par l'énergie et la conviction que vous mettez dans vos paroles. Nous sommes majoritairement des femmes à cette table ronde.

Je suis moi-même cheffe d'entreprise. J'ai exercé une profession libérale. Je suis mère de trois enfants. J'assume un engagement public et politique depuis 1995. J'ai donc réussi à mener toutes ces carrières de front.

Cette opposition, trop souvent formulée, entre carrière professionnelle et enfants me contrarie quelque peu. Je ne voudrais pas que les enfants soient considérés comme ceux qui empêchent de réussir une carrière. J'entends bien qu'il existe des difficultés, que j'ai moi-même vécues. Il me semble qu'une intervenante, jeune grand-mère, parlait de la garde de ses enfants et petits-enfants comme une solution pour apporter davantage d'aides humaines et financières aux mamans qui travaillent et qui souhaitent développer leur entreprise. Il ne faut malheureusement peut-être pas trop compter sur les hommes. En effet, si une dirigeante doit consacrer beaucoup de temps à son entreprise, c'est également le cas pour un homme. Effectivement, cela libère l'esprit d'être aidée par quelqu'un à la maison, sur qui compter et qui peut éventuellement aller chercher les enfants à l'école. Ce soutien, en plus de celui des crèches, permet de se concentrer davantage sur son entreprise et sa profession.

Par ailleurs, je suis davantage en faveur de l'équité que de l'égalité. Il me semble qu'il revient à la société de mettre en place des structures pour aider les femmes dans la création d'entreprises.

J'ai entendu que 20 % des femmes n'achèvent pas leur projet de création d'entreprise. Je voudrais savoir quel est le pourcentage pour les hommes. Devenir chef d'entreprise n'est pas offert à tous, femme ou homme. Certains ont cette possibilité, cette capacité, ce sens des responsabilités et une envie de s'investir. En effet, un chef d'entreprise ne travaille pas trente-cinq heures par semaine. Tout le monde ne souhaite pas travailler en permanence, tandis que certains s'épanouissent en dehors de la sphère professionnelle.

Concernant l'information et les actions que vous réalisez dans vos différentes associations et réseaux, il serait possible d'utiliser tous les bulletins municipaux et des EPCI pour toucher les femmes au plus près. Ces bulletins, au sein des communes, permettent d'être au plus près des femmes. Les habitants des petits villages ou des communautés de communes reçoivent régulièrement les journaux locaux, qui peuvent être un support d'information intéressant.

J'ai trouvé les échanges de cette table ronde captivants. Je vous remercie de toutes vos expériences et de vos témoignages.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à notre collègue, sénatrice du Doubs et vétérinaire. Par son métier, nous voyons qu'Annick Jacquemet est une femme d'engagement elle aussi. Avant de vous laisser répondre, Mesdames, je vais passer la parole à Bruno Belin.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Merci, Madame la présidente. Tout d'abord, je suis très heureux de participer à cette délégation et je salue le travail effectué par sa présidente. J'ai beaucoup apprécié les propos de conclusion du ministre. Il est vrai que, si nous voulons progresser, nous devons arrêter les clichés. Certaines professions ne sauraient être réservées à un genre. Cependant, plus de 70 % des élèves sortant des écoles de formation aux professions de santé sont des femmes. Il s'agit d'un fait. Nous ne demanderons pas à instaurer des quotas.

Nous devons sortir des clichés et rassembler. Ainsi, nous parviendrons à améliorer la situation ensemble, notamment grâce au travail mené par Annick Billon et par cette délégation.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à nos collègues. Je cède la parole à la présidente Marie Eloy.

Mme Marie Eloy. - Pour répondre à vos questions, Madame la sénatrice, je suis tout à fait d'accord sur le danger d'opposer le fait d'élever ses enfants et celui de faire carrière. Malgré tout, au moment du déconfinement, nous n'avons pas eu d'autre choix que d'évoquer le problème de la fermeture des écoles car cette réalité a été catastrophique pour les dirigeantes d'entreprise. Ces faits doivent être entendus, alors qu'il existe encore 42 % d'écart de salaire au sein d'un couple.

Comme vous l'avez dit, il est tout à fait possible de mener une carrière en étant mère avec une organisation et un partage des tâches équilibré avec un conjoint - ce qui n'est pas le cas dans la plupart des foyers. La situation est plus difficile pour les femmes seules. Le fait que les questions des femmes entrepreneures concernent la garde d'enfants est une réalité. Je l'ai constaté il y a peu de temps, alors que je me trouvais à Angers avec l'ADIE. J'ai été très étonnée car les questions portaient sur la façon de concilier entreprenariat et parentalité, le regard des enfants sur l'entreprenariat et la possibilité de percevoir des revenus suffisants. Ces questions doivent être entendues.

Nous pouvons y répondre par les role models, en présentant des cheffes d'entreprise qui réussissent. Avec Bouge ta boîte, nous mettons en avant l'expertise et l'audace des femmes au quotidien. La mise en lumière des role models prend du temps car il existe des biais culturels et sociaux très ancrés chez les femmes comme chez les hommes.

Vous avez évoqué des aides pour les femmes concernant les gardes d'enfants. Je pense que ces dispositifs aident aussi les hommes. S'il existe un seul fait positif avec les divorces, c'est que les hommes s'occupent davantage des enfants !

J'espère que ce mouvement tendra vers un changement profond de la société. L'allongement du congé du deuxième parent s'inscrit également dans cette voie.

Concernant les bulletins municipaux et la communication auprès des femmes, la presse nationale relaie effectivement peu les réseaux féminins, considérés comme secondaires alors que nous sommes des organisations patronales. En effet, nous représentons des milliers de dirigeantes. Nos relais sont plutôt la presse quotidienne régionale, qui mentionne les rencontres ou les ouvertures de commerce ou d'entreprise par des femmes, mais aussi et surtout, les réseaux sociaux. Ces derniers ont permis de mettre les femmes en lien et de partager nos problématiques communes.

Les clichés sont réels. Cependant, les réseaux féminins existent effectivement pour que nous progressions dans un élan commun, et, en aucun cas, en opposition les uns contre les autres.

M. Bruno Belin, rapporteur. - N'opposons pas les personnes entre elles.

Mme Marie Eloy. - Ne les opposons pas mais regardons, malgré tout, les chiffres, qui sont parlants. Nous devons les regarder en face. Je m'oppose absolument aux clichés. Néanmoins, il faut regarder la réalité. Je préférerais dire que l'égalité existe. Or l'égalité existe dans les droits mais non dans la réalité. Je le déplore, croyez-moi. Avancer dans un élan commun constitue notre quotidien et nous ne nous plaçons jamais en opposition. En revanche, il faut affronter la réalité et oeuvrer pour la changer ensemble. Nous avons absolument besoin des hommes.

Mme Annick Billon, présidente. - C'est important de le dire. Merci de ces précisions, Madame la présidente.

Je cède la parole à Carole Jung.

Mme Carole Jung. - Je voudrais juste intervenir concernant les propos de Marie Eloy. Effectivement, nous nous faisons connaître par la presse locale. Les Dirigeantes Actives 77 organisent des salons business, des échanges et des projets comme Hôte Fonction, qui parle des rencontres entre élus et cheffes d'entreprise. Nous créons des évènements auxquels sont invités tous les élus de la région. Avec les entrepreneures, nous échangeons sur nos vies afin de créer des liens et de nous faire connaître. Ces initiatives fonctionnent bien. Nous avons noué des partenariats et nous organisons des conférences.

Je retiens les idées concernant les écoles, auxquelles je n'avais pas pensé. En effet, nous sommes intervenues au sein d'un IUT. Intervenir en amont, dès l'école primaire et le collège, pourrait effectivement être intéressant.

De nombreuses actions peuvent être menées. Nous devons simplement être encore plus actives.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Je cède la parole à Mme Héliès, de l'ADIE.

Mme Ophélie Héliès. - Nous parlons beaucoup de conciliation entre vie privée et vie professionnelle. 46 % des femmes estiment qu'il est plus facile de concilier vie privée et vie professionnelle en étant cheffe d'entreprise. Il s'agit aussi parfois d'un choix. Je dispose de nombreux exemples de personnes que j'ai accompagnées au cours de ces dernières années qui disent se tourner vers l'entreprenariat parce qu'elles en ont envie mais aussi parce que ce poste leur permet de concilier plus facilement leur vie personnelle et leur vie professionnelle.

Au sein de l'ADIE, nous finançons un grand nombre de femmes qui s'occupent seules de leurs enfants. Elles parviennent à être cheffes d'entreprise dans cette situation. Cela prouve donc que c'est possible.

Notons que 44 % des personnes estiment que le frein principal à la création d'entreprise est le manque de financement. La conciliation entre vie privée et vie professionnelle n'est donc pas le premier frein mentionné, même si cette question est souvent soulevée par les femmes.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Je vais laisser la parole à Martine Berthet, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises. Nous sommes très heureux qu'elle ait accepté de participer à cette table ronde.

Mme Martine Berthet. - Merci beaucoup, Madame la présidente. Merci surtout pour cette invitation. Les échanges étaient très intéressants. L'éclairage sur l'entreprenariat au féminin dans les territoires ruraux, encore plus difficile qu'en zone urbaine, est très important.

Je pense qu'il importe surtout de mettre à disposition des familles des structures afin de permettre la garde des enfants, même si le soutien de l'entourage familial revêt une grande importance pour les femmes qui créent leur entreprise. Ce soutien existe tout de même souvent.

En cas de création ou de reprise d'une entreprise, l'appartenance à un réseau est essentielle. Cependant, une seconde étape reste à franchir. Je me souviens que le réseau des Femmes chefs d'entreprise nous incitait fortement à prendre des mandats, au sein de la CCI notamment. Je suis entrée de cette façon en tant qu'élue à la CCI. Sans le réseau, je n'y aurais jamais pensé. J'étais élue sur un autre territoire en Savoie. Je n'aurais jamais eu l'idée d'apparaitre sur une liste CCI. Finalement, c'est bien le réseau qui m'y a incitée et qui revenait systématiquement à la charge sur la prise de mandats lors d'élections, notamment professionnelles. Je crois que ces mandats sont importants pour que nous parvenions à une meilleure représentativité. Pour cela, il est effectivement nécessaire que l'entreprise soit déjà sur des rails. En revanche, une fois que l'entreprise est installée et qu'elle fonctionne en rythme de croisière, je crois qu'il est important de franchir cette deuxième étape, même si ce n'est pas toujours facile, pour être représentées dans les chambres consulaires.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, madame la vice-présidente. Il est temps de conclure cette table ronde.

Je voudrais vraiment remercier M. le ministre, qui a eu la gentillesse d'assister à cette réunion en présence, malgré les contraintes sanitaires. Je vous remercie de votre présence, Madame la vice-présidente.

Je remercie les présidentes et représentantes des associations, des réseaux, de l'ADIE et de la CCI. Ces échanges étaient importants. Comme l'a dit à très juste titre notre collègue Marie-Pierre Monier, nous voyons que les stéréotypes ont la vie dure. Les femmes ont d'autant plus besoin de ces réseaux pour lesquels vous travaillez. Sans gardes d'enfants, mobilité et orientation scolaire et universitaire, nous peinons à faire bouger les lignes. À partir du moment où nous ferons progresser la possibilité pour les femmes de se diriger vers l'entreprenariat, nous aurons davantage de moyens de garde et de services dans les collectivités, les communes et la ruralité. C'est bien cela l'essentiel car ces avancées serviront à la fois aux hommes et aux femmes.

Madame la présidente Marie Eloy, j'aimerais vous dire que les difficultés rencontrées par les femmes dans l'entreprenariat sont les mêmes que celles qu'elles peuvent connaître en politique, dès lors qu'elles s'engagent, ou dans l'agriculture par exemple. À juste titre, Martine Berthet faisait appel à la nécessité d'engagement. Appartenir à un réseau, ce n'est pas seulement appartenir à une association. Il faut ensuite se rendre dans les syndicats et les structures professionnelles. C'est possible seulement si les freins liés à la mobilité ou encore à la garde d'enfants sont levés en amont. Vous avez indiqué que les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses. Évidemment, les difficultés à surmonter sont d'autant plus importantes dans le cadre de ces familles.

Je cède la parole à Delphine Deserier.

Mme Delphine Deserier. - Les clichés sont encore bien présents. Notre rôle est de les faire tomber par l'éducation, dès l'école. Je ne sais pas comment nous pourrons y parvenir car je ne suis pas sûre que tous les instituteurs et institutrices soient formés sur ces sujets.

Par ailleurs, les clichés existent dans les médias. Je me souviens de la couverture d'un hebdomadaire sur les chefs d'entreprise, au moment du premier confinement, ne montrant que des hommes d'un certain âge. La photographie ne comportait ni femmes ni jeunes.

Mme Annick Billon, présidente. - Vous avez eu tout à fait raison d'intervenir. Nous avions évidemment relevé cette couverture d'hebdomadaire. Marta de Cidrac et Dominique Vérien, membres de la délégation, ont effectué un travail sur la représentation des femmes dans les médias audiovisuels. Nous avons pu constater que, pendant le premier confinement, les experts qui sont intervenus dans tous les médias étaient essentiellement des hommes.

Il est question, dans cette délégation, d'égalité et d'égal accès aux métiers car, nous l'avons dit, tous les métiers n'attireront pas de la même manière les hommes et les femmes. Une représentation est nécessaire.

Nous devons montrer des visages de femmes qui réussissent pour ouvrir le champ des possibles aux jeunes femmes.

Le rôle des réseaux est majeur. La Bretagne était précurseur concernant ces réseaux. Cependant, les femmes ont tendance à ne pas suffisamment se constituer en réseaux pour accéder à tous ces métiers.

Bien entendu, nous vous remercions chaleureusement, Mesdames, pour vos interventions à la fois étayées, chiffrées, pointues et honnêtes, à travers vos parcours. Nous poursuivrons le travail avec les huit rapporteurs, des hommes et des femmes.

La question des femmes et de la ruralité concerne beaucoup de sujets, tels que l'entreprenariat, l'engagement politique, l'accès au soin, l'orientation universitaire et scolaire ou encore la mobilité. Je ne doute pas que les rapporteurs formuleront des propositions intéressantes dans ce travail au Sénat, mais aussi dans leurs territoires. Je vous remercie.


* 1 Jouets : la première initiation à l'égalité, rapport d'information n° 183 (2014-2015) du 11 décembre 2014 fait au nom de la délégation par Mme Chantal Jouanno et M. Roland Courteau.