Mardi 10 novembre 2020

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, l'audition d'aujourd'hui est consacrée à l'examen du projet de loi de finances pour 2021 et au plan de relance, dont une partie importante est dédiée aux transports.

Mais l'actualité nous rattrape, et je souhaiterais que nous puissions commencer par évoquer la situation des transports qui vont, une nouvelle fois, être rudement éprouvés dans les semaines à venir. Par rapport au confinement de ce printemps, davantage de personnes utilisent les transports en commun, compte tenu du maintien de l'ouverture des écoles, des services publics et des activités pour lesquelles le télétravail n'est pas possible.

Néanmoins, la fréquentation des transports a fléchi, alors qu'elle se situait déjà ces derniers mois très en deçà de la fréquentation habituelle. C'est donc un nouveau coup dur pour les transports publics et, plus largement, pour les transports de voyageurs, qui vont continuer à subir des pertes importantes.

Je pense notamment au transport aérien, très lourdement affecté. Nous vous demanderons si de nouvelles aides ou des reports de taxes et de redevances sont envisagés par le Gouvernement pour venir en soutien aux compagnies aériennes et aux aéroports.

Le quatrième projet de loi de finances rectificatives (PLFR 4) prévoit d'aider les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) confrontées à des pertes importantes de recettes en leur attribuant des avances remboursables pour un montant de 1,9 milliard d'euros, dont près de 1,2 milliard d'euros pour Île-de-France Mobilités. Il ne s'agit pas véritablement d'une compensation, mais d'un prêt que les AOM devront rembourser. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas fait le choix de compenser directement les pertes de recettes des AOM ? Nous confirmez-vous par ailleurs que les conditions d'attribution de ces avances seront identiques pour toutes les AOM ?

L'évolution de la situation sanitaire nous conduit en outre à douter de la sincérité de certaines prévisions du budget 2021. Je pense notamment au budget de l'Agence de financement des infrastructures et des transports de France (Afitf), confrontée à une chute importante de ses recettes qui devrait vraisemblablement se poursuivre l'année prochaine.

Une subvention de 250 millions d'euros lui a été versée en août, et le quatrième projet de loi de finances rectificative prévoit de compenser partiellement la baisse du produit des amendes radars qui lui revient. Vous engagez-vous, monsieur le ministre, à sanctuariser son budget et la trajectoire d'investissement votée dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités (LOM) ?

Nous souhaiterions également évoquer le plan de relance. Nous nous félicitons qu'une part importante de ce plan soit dédiée aux mobilités, et notamment aux mobilités propres et partagées, mais nous avons plusieurs interrogations sur la nature des dépenses prévues et leur mise en oeuvre.

Notre première interrogation porte sur le caractère réellement nouveau des crédits prévus. Il semble en effet qu'une partie importante soit destinée au financement des dépenses qui sont déjà connues mais qui n'avaient pas encore été budgétées à ce jour. Les rapporteurs pour avis reviendront en détail sur ce point.

Notre seconde interrogation porte sur les modalités de répartition de ces crédits sur le territoire. Je pense par exemple aux 550 millions d'euros de crédits dédiés à l'accélération des travaux d'infrastructures de transport. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur la manière dont ils seront répartis et sur les projets qui pourraient être soutenus ? Pouvez-vous également nous indiquer la ventilation précise des 4,1 milliards d'euros destinés à la recapitalisation de la SNCF et des 650 millions d'euros visant à soutenir le secteur ferroviaire ?

Notre dernière interrogation porte sur la rapidité avec laquelle ces dépenses pourront être engagées. Elles visent, pour la plupart, à financer des projets de travaux qui s'étaleront sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Dès lors, quels effets ce plan aura-t-il véritablement sur la relance du secteur des transports ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. - Je commencerai par la situation dans les transports, notamment dans les transports en commun, où nous avons dû prendre, en lien avec les opérateurs et les élus, des mesures du fait de la recrudescence de l'épidémie.

La fréquentation des transports en commun a en effet beaucoup baissé à compter du mois de mars, période à partir de laquelle le confinement a été strict. Nous avions été amenés à réduire très fortement l'offre de transports en commun. C'est vrai dans les régions et plus encore en Île-de-France, où la densité du trafic est particulièrement importante.

Pour ce deuxième confinement adapté, dans la mesure où les scolaires représentent 4 millions de voyages par jour et qu'un certain nombre d'activités sont encore ouvertes, nous avons choisi une approche progressive, qui consiste à étudier la réalité du trafic et, le cas échéant, à adapter l'offre.

Par rapport au premier confinement, nous comptabilisons globalement environ 30 % de la fréquentation, soit deux fois moins que ce que nous observions il y a quinze jours, au moment du couvre-feu. Il n'en reste pas moins que la pointe du matin, notamment à Paris, reste assez forte, avec une fréquentation comprise entre 50 et 55 %. On observe en effet un afflux assez incompressible de voyageurs entre 6 heures 30 et 8 heures, notamment pour les travaux postés. Nous avons donc souhaité, en lien avec la région Île-de-France, qui en a la compétence, maintenir le maximum d'offres le matin, de manière à éviter les effets d'engorgement que nous avons pu observer ici et là.

Mme Pécresse, en lien avec la RATP, est à la manoeuvre, avec le soutien de l'État, de manière à ce que tout cela se passe bien, à ce que nous allégions l'offre plutôt aux heures creuses lorsque c'est possible et à ce que nous nous préparions au deuxième déconfinement.

Dans les régions, il a été fait le choix de s'en remettre au dialogue avec les AOM pour adapter l'offre TER à la marge. Aujourd'hui, la fréquentation est d'environ 74 %, pour 80 % à 92 % de l'offre.

Les transports longue distance sont affectés du fait des restrictions des déplacements interrégionaux. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à la SNCF de nous proposer un plan d'adaptation de l'offre. Depuis jeudi dernier, environ 30 % des TGV roulent pour 10 % de fréquentation. Ici et là, en cas de difficultés, comme en Bourgogne-Franche-Comté ou dans les Hauts-de-France, nous avons pu réadapter l'offre à la hausse.

Je rencontre à midi Christophe Fanichet, président de SNCF Voyageurs, pour étudier les points de blocage et le cas échéant les adapter. La philosophie a consisté depuis le début du confinement à proposer une surabondance de l'offre par rapport à la fréquentation, tout en veillant aux deniers publics : 600 TGV qui roulent à vide toute la journée pendant des semaines représentent en effet un coût pour la collectivité publique. Nous essayons de concilier ces impératifs avec un haut niveau de protection sanitaire et le maintien d'une offre qui permette de soutenir l'activité économique.

S'agissant du budget, celui-ci est en progression de 17 % par rapport à l'an passé. Les crédits du programme 203 relatifs aux infrastructures et aux services de transport s'élèvent à 3,7 milliards d'euros. Autant que faire se peut, il essaie d'anticiper les impacts de la Covid-19.

Ce plan permet de poursuivre l'effort sur le ferroviaire, mais aussi d'apporter un soutien inédit au fret ferroviaire, pour lequel le Premier ministre a pris des engagements très forts à Valenton, au début de l'été.

Ce soutien de 170 millions d'euros supplémentaires vise notamment à réduire les péages ferroviaires, de manière à soutenir les opérateurs qui, tous, ont beaucoup souffert de la crise. Il apporte des aides spécifiques à deux segments mal connus du grand public, mais extraordinairement importants pour notre économie, le transport combiné et le wagon isolé. Pendant les crises, ce sont les wagons isolés que nous passons de façon prioritaire, parce qu'ils transportent les matériaux essentiels et qu'il était nécessaire de rétablir une compétitivité très largement entravée du rail par rapport à la route.

Nous relançons également les autoroutes ferroviaires entre Calais et Sète, Cherbourg et Bayonne, Perpignan et Rungis, autoroutes que nous voulons étendre, au sud, vers Barcelone et, au nord, vers Anvers et Dunkerque.

Nous poursuivons évidemment notre action en faveur de SNCF Réseau, société que nous voulons solide et robuste. Ce sont des travaux de temps long, mais je crois que le plan de relance permet de rester sur une trajectoire crédible sur le plan financier et utile pour les territoires.

S'agissant du budget de l'Afitf, comme je l'ai dit hier à vos collègues de l'Assemblée nationale, nous le sanctuarisons. Nous accélérons au travers du plan de relance un certain nombre de travaux prévus mais non financés, ou prévus mais qui devaient être financés plus tard. La logique que nous avons essayé de construire ces derniers mois consiste, pour le plan de relance, à définir, en lien avec les collectivités, les projets les plus matures et les plus faciles à accélérer. Nous avons ainsi agrégé l'ensemble des projets dans les territoires et nous consacrerons, durant les deux prochaines années, des moyens financiers importants pour accélérer certains de ces projets ou rattraper le retard pris dans leur mise en oeuvre.

Nous reparlerons peut-être plus tard du taux d'exécution des contrats de plan État-région (CPER), mais l'objectif du Gouvernement est bien que ce plan de relance serve à accélérer les projets prévus par ces contrats.

S'agissant du budget de l'aviation civile, nous avons tenté, même si c'est compliqué, de tenir compte de l'incertitude quant à la reprise du trafic. Nous avons, pour 2020, 2021 et 2022, prévu des trajectoires conservatrices et avons préservé les moyens de l'aviation civile au prix d'un emprunt d'environ 700 millions d'euros.

S'agissant du plan de relance, 11,5 milliards d'euros sont dédiés aux transports, soit un peu plus de 10 %. Nous avons six priorités, à commencer par le secteur ferroviaire.

J'en profite pour répondre tout de suite à la question concernant les 4,1 milliards d'euros. Au total, 4,9 milliards d'euros sont prévus pour soutenir le ferroviaire, dont 4,1 milliards d'euros pour la SNCF, qui sont notamment fléchés vers les opérations de régénération du réseau et la reprogrammation de certains chantiers de fret. Ils visent également à accélérer les travaux que nous avons commencés sur les petites lignes ferroviaires. Nous consacrons par ailleurs un certain nombre de moyens à la sécurisation des passages à niveau. Je pourrai vous en communiquer plus précisément le détail si vous le souhaitez.

Les autres priorités du plan de relance concernent l'accélération des investissements relatifs aux mobilités dites du quotidien, qui totalise 1,2 milliard d'euros : 700 millions d'euros pour la région Île-de-France, 330 millions d'euros pour les autres régions.

Le soutien à la conversion du parc automobile représente, tout cumulé, plus de 2 milliards d'euros au titre de la prime à la conversion, du bonus à l'achat de véhicules électriques, et du développement de l'offre de bornes de recharge pour ces mêmes véhicules.

Des actions importantes pour accélérer la transformation des infrastructures routières seront engagées, à l'aide des 550 millions d'euros de crédits que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur le président.

Des moyens importants seront également dédiés dans le plan de relance aux secteurs portuaire, fluvial et maritime, pour un montant total de 400 millions d'euros. Nous présenterons la stratégie nationale portuaire d'ici la fin de l'année. Elle recoupe beaucoup de dimensions en matière de transition énergétique, de souveraineté et d'amélioration de notre compétitivité vis-à-vis de nos principaux concurrents et partenaires européens. Elle revêt également une dimension sociale importante.

Concernant la gestion de la crise et de ses impacts financiers sur les collectivités territoriales, je reviendrai plus tard si vous le souhaitez sur les compensations prévues par l'État, notamment s'agissant des pertes de recettes tarifaires et de versement mobilité.

Au travers du plan de relance, nous proposons pour 2021 un budget ambitieux, réaliste, qui accélère, autant que faire se peut, toutes les opérations liées à la transition écologique et industrielle.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Le secteur fluvial devrait bénéficier du plan de relance à hauteur de 175 millions d'euros, ce qui est une bonne nouvelle. Pour autant, deux inquiétudes demeurent : cet effort sera-t-il maintenu dans le temps et inscrit dans le contrat d'objectifs et de performances qui sera signé entre Voies navigables de France (VNF) et l'État ?

Par ailleurs, le PLF prévoit une réduction du plafond d'emploi de VNF de 99 emplois équivalent temps plein (ETP) cette année alors qu'une diminution de 92 ETP avait déjà eu lieu l'an dernier. Soit cela signifie que les employés de VNF ne servaient pas à grand-chose, soit la structure va connaitra dans le futur de grosses difficultés de fonctionnement. Comment justifiez-vous cette diminution quelque peu brutale ?

Concernant le volet ferroviaire, il semble qu'une partie des crédits du plan de relance corresponde soit à de la compensation de pertes liées au confinement, soit à des dépenses déjà prévues, comme la fin du glyphosate, ou les investissements liés à la sécurisation des ponts.

Dans ce contexte, quelle est la proportion des investissements réellement nouveaux prévus par ce plan ? Beaucoup de nos interlocuteurs se demandent si l'on peut réellement parler de plan de relance. Ne s'agit-il pas plutôt d'un plan de soutien ? Si celui-ci a également une véritable utilité, la sémantique reste importante.

L'écoute des territoires, l'impulsion engagée en faveur des mobilités durables sont des axes réels de votre action. Je peux en témoigner dans ma région et attester de votre volonté de sauver les petites lignes ferroviaires.

J'en profite pour dire un mot de la ligne Nice-Breil-Tende, particulièrement touchée par les intempéries terribles qu'ont connu les Alpes-Maritimes. Elle a besoin du soutien de la région, de l'État et, bien sûr, de nos amis italiens.

Nous avons travaillé intelligemment sur la résorption des points noirs routiers et autoroutiers. Nous travaillons également de concert sur le projet d'avenir de la ligne nouvelle Provence-Côte d'Azur. Les priorités sont affichées, un élan est engagé. Nous voulons désormais qu'il soit maintenu, appliqué, déployé.

Ce qui nous préoccupe aujourd'hui - et je sais que c'est également votre cas -, c'est la pérennité du modèle de financement du transport public dans notre pays, au-delà de l'Île-de-France, mais aussi notre capacité à faire des transports une priorité en matière d'investissement au-delà de 2022. Dans cet esprit, il faut dès maintenant inscrire dans les CPER cette ambition de sauvegarde, notamment s'agissant des lignes de desserte fine du territoire.

M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - Monsieur le ministre, je souhaite également y voir plus clair dans ce qui apparaît être une « valse des milliards ». S'agit-il d'un plan de soutien ou d'un plan de relance - pour reprendre les mots de mon collègue Tabarot ?

Les transports sont particulièrement touchés par la crise sanitaire. Vous vous êtes interrogé sur l'avenir du modèle économique des transports s'il continue à être à ce point atteint par la crise sanitaire. Êtes-vous prêts à soutenir les entreprises de transports publics et les AOM quoi qu'il en coûte ? Si la crise devait se traduire par un recul de l'offre de transports publics et de leur part modale, ce serait un contresens historique terrible !

Au demeurant, les modalités de compensation du versement mobilité votées dans le cas de la troisième loi de finances rectificative (LFR 3) ne sont pas satisfaisantes. D'ailleurs, l'Assemblée des communautés de France (AdCF), le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) et France urbaine viennent d'écrire au Premier ministre pour signifier leur déception.

Pourquoi ne pas avoir choisi d'assurer l'égalité de traitement des AOM en accordant une compensation spécifique du versement mobilité, tant pour les syndicats mixtes que pour les communes et les EPCI ? Seriez-vous prêt à revenir sur cette iniquité à l'occasion du quatrième projet de loi de finances rectificative ?

Le plan de relance prévoit de consacrer 1 milliard d'euros d'ici 2022 au développement et à la modernisation des transports publics, dont 300 millions d'euros pour les réseaux hors Île-de-France. Ce montant est-il véritablement destiné au développement des réseaux et non uniquement au comblement des impasses de financement de certains gros projets d'investissement ?

Par ailleurs j'attire votre attention sur les travaux de l'Institut I4CE, think tank qui évalue à près de 1,7 milliard d'euros les investissements supplémentaires qu'il faudrait réaliser tous les ans dans ce secteur pour aller vers la neutralité carbone.

Ma deuxième question porte sur les constructeurs automobiles. Vous venez d'annoncer la prolongation jusqu'au 1er juillet 2021 de la hausse des aides à l'acquisition de véhicules propres, dont le bonus qui a été porté à 7 000 euros pour les véhicules électriques. C'est plutôt une bonne chose pour les fabricants. Cependant, s'il convient d'aider l'achat de ces véhicules, il faut aussi envoyer un signal clair aux constructeurs et orienter leur modèle économique vers des véhicules plus légers. C'est le sens de l'histoire. Pourquoi avoir retenu un seuil de déclenchement du malus « au poids » de 1,8 tonne, qui exemptera de fait un très grand nombre de véhicules ? Le signal est-il suffisant?

Enfin, malgré l'augmentation des moyens consacrés à son entretien, l'état du réseau routier national non concédé continue de se dégrader.

Le plan de relance prévoit 350 millions d'euros de crédits dédiés à la modernisation du réseau routier national et au renforcement des ponts. 60 millions d'euros en particulier viendraient en aide aux petites collectivités territoriales pour recenser et diagnostiquer leurs ouvrages d'art. Nous nous félicitons qu'une enveloppe y soit consacrée dans le plan de relance. Vous savez que notre commission est extrêmement attachée à ce sujet auquel elle a consacré un rapport d'information qui fait date.

Toutefois, ce montant paraît faible au regard des efforts que nécessiterait la remise en état des ponts gérés par les collectivités. Avez-vous des précisions sur la manière dont ces crédits seront répartis ?

Pour terminer, j'aimerais vous interroger sur les crédits du plan de relance dédié au développement du vélo. 100 millions d'euros sont prévus l'année prochaine pour soutenir des projets portés par les collectivités territoriales. Disposez-vous déjà d'une liste de projets pouvant faire l'objet d'un financement ou allez-vous lancer rapidement un nouvel appel à projets ?

Mme Évelyne Perrot, rapporteure pour avis. - Les compagnies aériennes et les aéroports souhaitent que la mise en place des tests de dépistage rapide dans les aéroports soit systématisée. Quelles suites allez-vous donner à cette demande ?

Si une personne venait à être testée positive au départ, serait-elle éligible à un remboursement de son vol par la compagnie aérienne ?

Je souhaite également vous interroger sur la question du remboursement des vols. Dans le courrier que vous aviez adressé à notre commission pendant la période de confinement, vous nous aviez affirmé que des débats étaient en cours au niveau européen en vue de mettre en place un fonds de garantie permettant de rembourser les passagers d'un vol annulé en cas de faillite d'une compagnie aérienne. Où en sont ces discussions ?

J'aimerais également vous interpeller sur les enjeux environnementaux associés au transport aérien. Dans le contexte sanitaire actuel, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a acté en juin dernier la modification des règles du mécanisme Corsia, qui contraint les compagnies aériennes à acheter des crédits de compensation carbone pour les émissions de CO2 supérieures au niveau des émissions enregistrées en 2019 et 2020.

La France et l'Union européenne ont accepté que les seuils de référence soient fixés en fonction des seuls niveaux d'émission d'avant la pandémie. Or ce secteur mettra des années a retrouvé son activité de 2019. N'est-il pas regrettable d'avoir ainsi vidé de sa substance le seul mécanisme international contraignant qui permettrait de réguler le secteur sans créer des distorsions de concurrence ?

Ma troisième question a trait aux nuisances sonores. Le Gouvernement entend-il compenser dans la présente loi de finances les pertes de ressources de la taxe sur les nuisances sonores aériennes pour les années 2020-2021 ? Faute de compensation, de nombreux projets d'insonorisation ne pourront pas être financés dans les mois à venir.

Enfin, de nouvelles lignes d'aménagement du territoire sont-elles envisagées pour compenser l'arrêt à venir de liaisons commerciales par Air France ? 20 millions d'euros seront consacrés à ces lignes en 2021. Je rappelle que vous vous étiez engagé à accroître ces crédits à hauteur de 25 millions d'euros d'ici 2022. Cette promesse sera-t-elle tenue ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Tout d'abord, je partage ce qui a été dit par M. Tabarot sur le sous-investissement chronique qui affecte l'ensemble de nos réseaux. Il est vrai que le transport fluvial a peut-être été l'un des grands oubliés de ces vingt dernières années. On se retrouve un peu, dans ce secteur, dans la même situation que pour les petites lignes ferroviaires.

La LOM a déjà permis des avancées considérables : nous avions acté en 2017 un budget de 75 millions d'euros, en très forte augmentation en matière de régénération des canaux. Il est de 100 millions cette année, nous ambitionnons de parvenir à 140 millions d'euros en vitesse de croisière.

L'effort réalisé sur ce réseau est tout à fait conséquent par rapport à ce qu'il est possible de réaliser sur le plan technique et opérationnel.

Nous ajoutons au plan de relance 175 millions d'euros pour le grand et le moyen gabarit. En termes de volume budgétaire, il s'agit d'un effort considérable, à la hauteur de l'ambition que nous avons pour ce secteur.

S'agissant des ETP, j'ai déjà eu cette discussion avec Laurent Hénart, président de VNF, il y a quinze jours. Des efforts importants de productivité ont été réalisés. Des projets de regroupement ou de digitalisation peuvent faire sens, la philosophie que j'ai proposée à Laurent Hénart consistant à se donner la chance, par bassin - comme nous l'avons fait pour les petites lignes ferroviaires, mais avec une dimension moins régionale - de construire, en lien avec les collectivités, le même type de contrat qu'en matière de fret, de façon à se fixer des perspectives à dix ans.

Les sujets qui concernent le fret semblent davantage d'intérêt national. Dans ce cas, l'État peut apporter une contribution plus forte. Les sujets relatifs à la plaisance sont peut-être davantage d'intérêt local.

Cette philosophie pourrait s'appliquer aux réseaux de canaux. C'est le travail que j'ai proposé à Laurent Hénart. Je souhaite que nous avancions en ce sens.

Sur les 4, 9 milliards d'euros dédiés au ferroviaire, 1,5 milliard d'euros d'argent nouveau est consacré à la sécurisation des ponts que vous avez évoquée, mais aussi à de nouvelles priorités politiques, qu'il s'agisse du fret, des petites lignes ou des trains de nuit. Cette somme permettra, sans dénaturer la trajectoire de régénération du réseau, d'accélérer le développement ou de rattraper le retard que nous avions pris dans le secteur ferroviaire.

J'ajoute que les crédits consacrés aux petites lignes figurent bien dans les CPER jusqu'en 2022. Ils feront également partie de la future contractualisation.

Monsieur Jacquin, la question du modèle économique des transports en commun est compliquée. Nous avons subi un premier confinement très strict, avec des fréquentations qui ont très largement diminué. Nous avons à l'époque cherché à nous assurer que nous pouvions opérer en toute sécurité sanitaire. Ceci a nécessité des investissements importants en matière de nettoyage et de désinfection, de nouvelles compétences. S'y ajoutent des dépenses nouvelles en matière de sécurité sanitaire et de sécurité tout court, dans un contexte que vous connaissez parfaitement.

Les modèles économiques sont donc quelque peu chahutés - et le mot est faible.

Nous avons, dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, commencé à compenser une partie du versement mobilité pour l'ensemble des collectivités, après remontée des données. Dans le PLFR 4, nous allons compenser le reliquat de versement mobilité au regard des pertes réelles, ainsi que, sous forme d'avances remboursables, les pertes de recettes tarifaires.

C'est la logique qui prévaut et que nous avons négociée avec les collectivités. Tout cela devra évidemment être considéré au regard des conséquences du deuxième confinement et des nouvelles pertes qui pourraient apparaître. Je n'ai pas de réponse définitive s'agissant de la possible désaffection des transports en commun sur le temps long.

En mai et juin, au moment du déconfinement, la fréquentation était comprise entre 60 et 65 % par rapport à la période d'avant-crise, ce qui nous donne des indications intéressantes sur le comportement des usagers.

Parmi les 30 % des personnes qui n'ont plus fréquenté les transports, la moitié s'est reportée sur la marche et le vélo et la moitié sur la voiture, certains disant vouloir reprendre leurs habitudes assez vite, notamment lorsqu'un vaccin ou traitement sera disponible, d'autres assurant être durablement passés à d'autres moyens de transport. Le vélo, dans ce contexte, a été très largement plébiscité.

Nous allons continuer à étudier cela de façon extrêmement précise, mais il me semble que de nouveaux modes d'organisation du travail se sont mis en place - notamment le télétravail - qui auront probablement un impact durable.

On a pu entendre ici et là, en s'appuyant sur les chiffres de l'immobilier, qu'il y avait un début de phénomène de « démétropolisation ». Si c'est le cas, cela pourrait questionner les investissements dans les transports sur la durée. Il faudra évidemment être en phase avec la réalité.

S'agissant de la vente des véhicules, le bonus fonctionne très bien pour les véhicules électriques. Nous avons non seulement souhaité maintenir un haut niveau de bonus, tout en soutenant le marché de l'occasion, mais également permis aux ménages les plus modestes d'en bénéficier. C'est l'objet des 1 000 euros de bonus pour l'achat d'un véhicule électrique d'occasion annoncés il y a quelques semaines.

Nous avons également voulu favoriser les ménages d'outre-mer, confrontés à un coût d'achat beaucoup plus important.

Le malus au poids a été étudié au regard de l'offre automobile française. La Convention citoyenne pour le climat proposait de le fixer à 1,4 tonne. D'autres proposaient des seuils de poids bien supérieurs. Nous avons considéré que le critère de 1,8 tonne permettait de maintenir la compétitivité de l'appareil productif français et d'avoir une incitation cohérente avec nos ambitions environnementales. C'est ce qui a présidé à cette décision.

S'agissant des ponts, 60 millions d'euros sont dédiés aux collectivités. Nous pourrons vous adresser le détail très précis des investissements. Nous allons par ailleurs accompagner de façon plus structurelle les projets de ponts connectés, sur lesquels des capteurs sont placés afin d'assurer une maintenance préventive. Nous payons en effet un certain surcoût en maintenance curative par rapport à ce que nous aurions dû dépenser s'il s'agissait d'une maintenance en conditions opérationnelles.

Quant au vélo, il a été plébiscité à l'occasion de la grève des transports en commun de décembre dernier, mais aussi lors du déconfinement. Nous avons amélioré les aides pour les vélos à assistance électrique. Le vélo fait partie des dépenses éligibles au forfait mobilités durables qui, la semaine dernière, a été porté à 500 euros par an.

Par ailleurs, 200 millions d'euros sont mobilisés dans le plan de relance pour permettre de réaliser 600 pistes cyclables et un certain nombre d'abris à vélos, notamment à proximité des gares. C'est une des conditions du développement du vélo.

Au niveau européen, nous sommes en train de négocier un fonds qui permettra de mobiliser 150 millions d'euros supplémentaires, qui s'ajouteront aux 350 millions d'euros sur sept ans votés à l'occasion de la LOM.

Quant au quatrième appel à projets concernant les transports collectifs en site propre (TCSP), 450 millions d'euros lui sont consacrés dans la LOM, en plus des 100 millions d'euros du plan de relance. Cet appel à projets sera lancé dans les prochaines semaines.

Pour répondre enfin à Mme Perrot, nous avons mis en place des tests rapides il y a quinze jours au départ de l'aéroport de Nice, en lien avec les services municipaux de la ville. Nous avons débuté la semaine dernière à l'aéroport d'Orly une campagne de tests antigéniques et PCR, visant notamment à protéger l'outre-mer. Demain commence à l'aéroport de Roissy une campagne de tests rapides, notamment antigéniques, qui permettent d'obtenir des résultats beaucoup plus rapides et de protéger, dans un contexte encore incertain, les voyageurs qui partent de France ou arrivent en France, notamment en provenance de pays où le virus circule beaucoup.

Je n'ai pas de réponse s'agissant du remboursement des billets par les compagnies aériennes en cas de test positif. La politique commerciale des compagnies aériennes consiste aujourd'hui essentiellement à procéder à des reports ou à des échanges de billet sans frais.

S'agissant du fonds de garantie, les compagnies étant en situation de faillite, nous avons dû les soutenir pour qu'elles survivent et faire en sorte que les passagers qui avaient payé leurs billets puissent récupérer leurs deniers ou bénéficier de reports.

Savoir comment compenser les faillites des compagnies aériennes sur un temps long n'est pas simple. À l'échelle d'un pays, on trouve en général une grande compagnie nationale, comme en France, et de petits opérateurs.

J'observe qu'au niveau européen, cela fait sens d'avoir un processus mutualisé de garantie des paiements en cas de faillite d'une compagnie aérienne. En fonction de la reprise du trafic, ce sera un sujet important à développer. C'est un débat que nous avons avec nos collègues allemands, espagnols, italiens et portugais, au sein d'un groupe informel que nous avons constitué.

Concernant le mécanisme Corsia et le verdissement de l'aéronautique, je suis toujours un peu marri de voir que ce secteur a fait beaucoup d'efforts, et souvent très tôt, mais qu'il est aujourd'hui toujours très critiqué dans le débat public. Le mécanisme Corsia remonte à 2016 et représente le premier acte de régulation environnementale mondiale. Il a certainement été victime d'une mauvaise communication du secteur, mais il a constitué une avancée considérable.

L'aéronautique civile a aujourd'hui franchi le pas sur le plan de la transition industrielle. La filière des biocarburants est lancée. Plusieurs centaines de millions d'euros sont mobilisées. Les objectifs de taux d'incorporation de biocarburants sont ambitieux. Le verdissement industriel est en marche. La première étape se situe autour de 2027, avec des avions hybrides pour le marché régional.

L'ensemble de la filière hydrogène s'organise pour réaliser ce saut technologique vers des avions très sobres en carbone, en lien avec les autres secteurs du transport.

Cet acte très ambitieux en matière de verdissement industriel nous permettra de reconstituer des avantages géopolitiques face aux Chinois et aux Américains. Nous avons en Europe toutes les compétences et toutes les capacités pour le faire. C'est pourquoi nous investissons 1,5 milliard d'euros sur trois ans pour amorcer cette filière et être à l'avant-garde des nouvelles technologies, afin de reconstituer nos avantages comparatifs industriels.

S'agissant de la régulation environnementale, mis à part le mécanisme Corsia, il existe également le système européen d'échange de quotas carbone ETS, pour lequel il est prévu de faire disparaître les quotas gratuits. Nous disposons également d'outils de compensation nationale, notamment utilisés par le groupe Air France. Il s'agit d'un continuum parfois mal connu, parfois critiqué, mais qui constitue une bonne base de régulation environnementale.

Nous aurons certainement à mieux communiquer sur ce sujet, mais il ne faut pas dire que le secteur aérien ne prend pas sa juste part à la lutte contre le changement climatique.

Concernant la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires, l'engagement du Gouvernement est évidemment de maintenir les travaux d'insonorisation. Des échanges sont encore en cours avec Bercy sur les montants et les modalités, mais les choses avancent.

Pour finir, nous augmentons cette année de 5 millions d'euros le budget prévu pour les lignes d'aménagement du territoire, qui répondent à des critères spécifiques définis au niveau européen. Nous ne pouvons pas qualifier de lignes d'aménagement du territoire celles où l'offre aérienne viendrait à diminuer ou à disparaître. Cela renvoie au sujet de la restructuration de l'offre d'Air France, que nous menons en lien avec les régions.

J'animerai prochainement un conseil ministériel sur la question des dessertes aériennes. Nous avons aujourd'hui un groupe qui se recompose, des opérateurs régionaux qui s'intéressent à la reprise de certaines lignes, et des risques de prédation ou de concurrence déloyale de la part de différents acteurs.

Le ministère a réalisé un véritable travail de cartographie que nous avons présenté aux différentes parties prenantes pour maintenir autant que faire se peut les liaisons et ne pas tomber dans les chausse-trappes que nous avons trop connues ces dernières années.

M. Didier Mandelli. - Je partage l'inquiétude qui a été exprimée au sujet de l'Afitf, plus particulièrement concernant la taxe d'aménagement autoroutière, calculée à partir des kilomètres parcourus par les usagers sur les autoroutes. Je crains en effet que cette taxe ne soit pas au niveau attendu en 2021 pour les raisons que nous connaissons.

Ma première question concerne les mobilités du quotidien dans le cadre du plan de relance. Vous allez accompagner les AOM, en Île-de-France comme sur tout le territoire. Ne serait-il pas judicieux d'intégrer à ce plan de relance le financement des études des intercommunalités s'agissant de la prise de la compétence d'organisation des mobilités du quotidien ?

Les AOM pourraient-elles être accompagnées dans leur démarche, compte tenu des difficultés des EPCI et du manque de visibilité en matière de financement, qu'il s'agisse de la TVA ou de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ?

Ma deuxième question porte sur le volet maritime, portuaire, et ferroviaire. Une proposition de loi de Michel Vaspart, notre ancien collègue, va être examinée ces jours-ci. Si l'on veut porter de 9 % à 18 % la part du fret ferroviaire dans les acheminements, cela passe aussi par l'intermodalité. Ma question n'est pas technique, mais simplement politique : quelle sera l'articulation entre le ministère de la mer et votre ministère ? Qui sera notre interlocuteur à ce sujet ?

M. Stéphane Demilly. - Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur l'industrie aéronautique, violemment touchée par la crise du transport aérien. La chute brutale du trafic, conséquence de la Covid-19, a des répercussions sur l'ensemble des acteurs de l'aviation, et un plan de soutien ambitieux est nécessaire pour répondre à ces difficultés, que nous espérons conjoncturelles.

Des centaines d'emplois disparaissent dans le bassin d'Albert. Entreprises, partenaires sociaux, élus travaillent côte à côte pour trouver des solutions contre le risque d'effondrement de cette filière.

Nous avions beaucoup parlé de la décarbonation du trafic aérien mondial dans le cadre de la LOM lorsque j'étais porte-parole de mon groupe à l'Assemblée nationale. J'avais à l'époque défendu beaucoup d'amendements pour que l'aviation prenne toute sa part dans la nécessaire transformation écologique des transports.

Où en sommes-nous concrètement avec les motoristes ? Des crédits de recherche complémentaires sont-ils consacrés à ce secteur dans le cadre de la loi de finances ?

Par ailleurs, le transport aérien va redémarrer dans quelques années et retrouvera - nous l'espérons tous - le rythme de croissance que nous avons perdu dans un trou d'air d'une violence inouïe. Encore faudra-t-il que les compétences industrielles soient toujours là. Or le risque est grand que la disparition de nos compétences fasse la part belle à des pays low cost, qu'on appelle maintenant best cost, et que nous ne retrouvions pas notre niveau d'emploi sur le territoire national. Que faites-vous pour anticiper ce phénomène ?

M. Bruno Belin. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué les petites lignes ferroviaires, mais nous n'avons plus d'interlocuteur au sein de SNCF Réseau comme au temps de Réseau ferré de France (RFF) sur ce sujet.

Je vous ai d'ailleurs écrit il y a quelques mois pour vous faire part d'une situation dans le département où je suis élu.

Le budget consacré aux ponts des petites collectivités représente 600 000 euros par département. Or on sait que les départements gèrent des centaines d'ouvrages d'art !

Vous avez évoqué les CPER. Dans quelles conditions le volet mobilité des prochains CPER sera-t-il-négocié ?

Il ne faut pas perdre de vue le fait que la France est encore rurale à 85 %. Le vélo n'est donc pas la solution à tout. On a encore besoin de nos routes nationales. On parle de la RN 147 entre Poitiers et Limoges depuis 1954. Quand s'y met-on ?

Dans le domaine aérien, vous évoquez une cartographie des dessertes aériennes en lien avec l'aménagement du territoire. Un véritable travail est à réaliser sur les aéroports régionaux et les aéroports de proximité, qui sont essentiels, comme cela a été démontré avec les transports sanitaires d'urgence.

Il faut donc que tous les aéroports de deuxième ou troisième rang soient opérationnels 24 heures sur 24. Cela nécessite un entretien et un investissement des collectivités régionales, départementales, voire du bloc communal. Dans quelles conditions imaginez-vous que l'on puisse conserver ces aéroports ?

Leur maintien présente aussi un enjeu environnemental. À l'aéroport de Poitiers, le temps de roulage moyen est de six minutes. À Bordeaux, il est de 25 minutes et, à Orly, de 40 minutes.

Je suis prêt à participer au groupe de travail que vous évoquez concernant les aéroports régionaux, les dessertes et la cartographie des lignes aériennes. Il s'agit d'un sujet essentiel en matière d'aménagement du territoire, qui présente également des enjeux économiques - des centaines d'emplois sont concernés - et sanitaires - ces aéroports ont permis de sauver des centaines de vies depuis le mois d'avril.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Monsieur Mandelli, concernant l'Afitf, nous avons sécurisé son budget de 2,8 milliards d'euros cette année. Pour ce qui est de la taxe d'aménagement du territoire (TAT), nous avions anticipé la baisse au regard du trafic constaté, notamment pendant le premier confinement. Nous pensons que l'année 2021 sera plus « normale » en termes de trafic routier, notamment sur le réseau concédé. Tout cela s'évaluera au regard des faits.

Le vrai sujet porte plutôt sur le moyen-long terme, dans la mesure où le financement de l'Afitf repose sur des taxes sur les produits pétroliers. Or nous voulons décarboner l'économie.

Par ailleurs, j'ai expliqué les mécanismes de compensation prévus pour les AOM. En matière de financement des études, nous avons mobilisé le soutien financier de France Mobilités afin d'identifier les projets de territoire et pouvoir aider, le cas échéant, les EPCI. Je crois pouvoir dire que cela fonctionne très bien.

Le soutien aux secteurs maritime, fluvial et portuaire dans une logique d'intermodalité, fait bien partie du plan que nous présentons. Les autoroutes ferroviaires que j'ai citées - Calais-Sète, Cherbourg-Bayonne et Barcelone-Perpignan-Rungis, ainsi que la liaison avec les ports du Nord - renvoient, dans une logique d'interconnexion, à la question précédemment évoquée de l'amélioration des différents réseaux de transport.

Nos réseaux étant vétustes et des travaux très importants de régénération étant en cours sur l'ensemble des modes, nous continuerons à vivre une période compliquée durant les trois à quatre prochaines années avant de retrouver, la nuit, plus de fluidité pour les sillons fret.

Pour autant, les investissements sont au rendez-vous de manière à améliorer la situation globale et la part modale du transport de marchandises par voie maritime, fluviale et ferroviaire.

Monsieur Demilly, afin de préserver les compétences aéronautiques qui intéressent un certain nombre d'industriels français civils et militaires, nous mobilisons les leviers de la commande publique.

Nous sommes dotés d'outils nationaux mais également européens pour mieux identifier et nous prémunir contre des prédations commerciales hostiles, qui existent bel et bien.

En matière de décarbonation, nous sommes en train de lancer une filière de biocarburant. Nous avons, dans les mois passés, réceptionné quinze projets. Nous en avons sélectionné quatre ou cinq et mobilisons 400 millions d'euros pour accompagner cette filière et tenir les objectifs de taux d'incorporation qui, comme vous le savez, sont de 2 % en 2025 et de 5 % en 2030. Nous essayons de faire croître ce secteur et de massifier la production, l'enjeu étant ici une question de volume.

Monsieur Belin, nous pourrons faciliter le dialogue avec SNCF Réseau si le besoin s'en fait sentir. Ce sujet renvoie à la capacité pour l'État et les régions de se mettre d'accord. Nous avons signé trois accords régionaux, le premier avec la région Grand Est, à hauteur de 930 millions d'euros, le deuxième avec la région Centre-Val de Loire, pour un peu plus de 200 millions d'euros, et le troisième avec la région PACA, pour environ 500 millions d'euros.

Certaines collectivités ont voulu aller plus vite que d'autres. Je souhaite que, pour la Nouvelle Aquitaine, qui dispose d'un réseau très étendu, nous puissions aller plus vite sur le sujet.

Concernant les CPER, le volet mobilité est inclus dans le contrat de plan pour 2021 et 2022. Pour ce qui est de l'autoroute Limoges-Poitiers, les scénarios techniques sont à l'étude. La balle est dans notre camp : nous devons revenir vers vous avec différents scénarios techniques avant de recevoir la réponse des collectivités sur le niveau de financement. J'ai eu l'occasion d'indiquer que l'État prendra toute sa part en cas de consensus politique local sur ce projet, et si les scénarios sont crédibles sur le plan financier. Je réitère cet engagement devant vous.

Quant aux aéroports régionaux, il s'agit d'un sujet que nous avions déjà évoqué à l'occasion des Assises du transport aérien. Dans le contexte économique que nous connaissons, tous les aéroports régionaux n'ont pas vocation à être « généralistes » et à accueillir tous types de trafic en tout temps, en étant en concurrence alors qu'ils se situent parfois à moins de quelques dizaines de kilomètres les uns des autres.

Les aéroports, au sein d'une même région, voire de plusieurs régions, ont donc une vocation différenciée. Ceci renvoie à la planification régionale et à des outils comme le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Vous avez raison de rappeler le rôle très important qu'a tenu l'aérien dans l'acheminement du matériel sanitaire et le caractère stratégique des aéroports régionaux.

J'ai pu observer qu'un certain nombre d'élus qui avaient fait campagne contre les aéroports régionaux sont aujourd'hui dans mon bureau pour demander de les préserver à tout prix. Ce sont certes des actifs stratégiques, mais leur organisation doit être selon moi revue, affinée au niveau régional, afin d'aller vers une meilleure planification, une plus grande fluidité et une complémentarité plus importante entre l'offre de chaque aéroport.

Nous avons mis en place un conseil ministériel il y a maintenant trois mois sur le sujet. Nous allons tenir vers le début du mois de décembre un conseil sur la question des dessertes aériennes. Nous produirons alors les cartographies envisagées. Nous serons évidemment ravis de vous y accueillir, monsieur Belin.

Enfin, nous avons des points d'accord avec la proposition de loi de Michel Vaspart. Je salue le travail de votre ex-collègue, expert sur la question. Nous en partageons certaines ambitions, comme le développement économique, l'attractivité de la filière, la transition énergétique, ou la préservation de la souveraineté européenne.

Il existe quelques points de débat sur la gouvernance. La proposition de loi est très « décentralisatrice ». L'axe Seine a vocation à être un axe important du tissu portuaire français. Certains axes sont en concurrence internationale et intra-européenne. Il me semble que l'État a vocation à conserver une place importante.

Nous avons accompagné la signature d'une charte sociale au sein de la filière, qui comporte un certain nombre d'engagements. Cela a permis la tenue d'un dialogue nourri entre les différents acteurs de la chaîne logistique.

Pouvoir bénéficier d'un dialogue social nourri, performant et participatif et avoir des projets industriels de développement des différents axes, permet d'augurer d'un avenir plus favorable.

Pour répondre à votre question sur l'articulation avec le ministère de la mer, les sujets qui concernent la mer sont traités par ce ministère, et les sujets en lien avec les infrastructures, notamment avec les autres modes de transport relèvent du ministère des transports.

M. Bruno Rojouan. - Le département de l'Allier, qui était extrêmement enclavé, commence à s'en sortir sur le plan routier au bout de quarante ans. Le grand chantier de l'A 79 va nous offrir une liaison est-ouest sécurisée sur cet axe qui est aujourd'hui l'un des plus mortels en France.

Je souhaiterais vous interroger sur la situation ferroviaire de ce département. Moulins et Vichy se trouvent sur la ligne Clermont-Ferrand-Paris. Vous êtes venu plusieurs fois à Clermont-Ferrand et vous en connaissez les enjeux qui existent en termes d'amélioration du temps de parcours et de réduction des retards, qui s'accumulent sur cette ligne.

J'aimerais également évoquer la situation de la ville de Montluçon, qui connaît un handicap énorme. Pour rejoindre Paris, c'est un vrai parcours du combattant ; il faut quasiment quatre heures  de train ! Nous avons une difficulté énorme sur la ligne Montluçon-Vierzon, qui est en très mauvais état et ne permet pas aux trains de rouler à des vitesses normales.

Montluçon, première agglomération du département de l'Allier, subit un handicap considérable sur le plan de l'économie. Les cadres ne peuvent pas se déplacer en train pour rejoindre Paris. Plusieurs solutions ont été envisagées, mais il semblerait qu'il soit prévu que cette ligne continue de relever à 100 % de SNCF Réseau. Pouvez-vous me le confirmer ?

Le plan de relance est peut-être l'occasion d'accélérer un certain nombre de projets. Ne pourriez-vous pas trouver des moyens supplémentaires pour moderniser cette ligne ?

M. Frédéric Marchand. - Je voudrais revenir sur la question de la compensation des pertes financières des intercommunalités. Les réseaux de transport, vous l'avez dit, ont été confrontés à des pertes de recettes tarifaires et à divers surcoûts de fonctionnement liés à l'application des protocoles sanitaires.

Ces services sont également durement touchés par la baisse de la recette fiscale affectée à leur fonctionnement dans le cadre de budgets annexes. C'est notamment le cas pour la métropole européenne de Lille.

Les intercommunalités sont confrontées à des difficultés de financement de leurs réseaux de transports publics et à la dégradation de leurs capacités d'autofinancement, au moment où les priorités du plan de relance et de la transition écologique devraient au contraire conduire à les renforcer.

Le dispositif adopté cet été intègre certes le versement mobilité dans les recettes fiscales prises en compte pour le calcul de la compensation financière, mais la globalisation des recettes fiscales compensées a pour effet de diluer le problème spécifique aux transports pour les AOM sous statut d'intercommunalité à fiscalité propre.

Alors que les syndicats mixtes de transport vont voir leurs pertes de recettes fiscales compensées, il n'en sera pas de même pour les autres AOM, au risque d'une inégalité de traitement. Pouvez-vous rassurer les présidents d'intercommunalités à ce sujet ?

M. Éric Gold. - Le projet de loi de finances pour 2021 a pour ambition de développer les mobilités vertes, notamment le transport ferroviaire, pour lequel on peut constater un réel effort, avec des engagements à hauteur de plus de 4 milliards d'euros.

Le développement d'une filière hydrogène bas carbone constitue un élément du plan de relance devant contribuer à la conversion écologique de l'industrie française. La stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné, présentée récemment, prévoit une accélération massive des projets. 2 milliards d'euros de crédits sont prévus dans le plan de relance, fléchés en partie sur le développement des mobilités lourdes à hydrogène.

Pouvez-vous nous préciser si l'on a, en France, une stratégie concrète de déploiement de l'hydrogène dans le secteur ferroviaire ? À l'échelle européenne, le développement de l'hydrogène pour les trains semble trouver de plus en plus d'adeptes.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Je me suis en effet rendu à plusieurs reprises à Clermont-Ferrand, notamment pour parler de la ligne Clermont-Ferrand-Paris. Nous avons pris des engagements répétés à ce sujet. Les choses avancent, notamment en matière de renouvellement du matériel roulant.

CAF France a lancé la production industrielle sur son site de Bagnères-de-Bigorre, et les travaux se poursuivent sur la voie. Il s'agit de travaux longs et importants, similaires à ceux réalisés sur la ligne Limoges-Paris, pour les mêmes raisons : on a trop longtemps laissé se dégrader l'infrastructure ferroviaire.

S'agissant du Montluçon-Paris, notamment la partie qui va vers Vierzon, je vous confirme que, dans les dialogues que nous avons pu nouer avec les différentes régions au moment de la mission Philizot, nous avons proposé que l'État reprenne la main sur les lignes connaissant la plus forte circulation - donc que l'on réintègre cette ligne dans la trajectoire financière de SNCF Réseau -,et que les collectivités qui le souhaitent puissent se voir transférer ou déléguer un certain nombre de compétences sur les lignes d'intérêt local pour tester d'autres modèles ou avoir des systèmes de régénération plus économes.

Nous avons déjà contractualisé avec la région Centre-Val de Loire, comme je l'ai indiqué précédemment. Nous discutons avec la région Auvergne-Rhône-Alpes et son président Laurent Wauquiez. Nous avons un accord de principe sur le protocole concernant les petites lignes. Il doit maintenant être décliné plus précisément avant d'être signé.

Monsieur Marchand, je répète ce que j'ai dit concernant la compensation des collectivités : la logique qui a prévalu, c'est d'avoir une première compensation du versement mobilité dans la troisième loi de finances rectificative, et de compléter celle-ci à l'occasion du quatrième projet de loi de finances rectificative, à la fois s'agissant du versement mobilité et des pertes de recettes tarifaires, à travers l'octroi d'avances remboursables. Je réitère devant vous cet engagement du Gouvernement.

S'agissant de la question de l'utilisation de l'hydrogène dans l'ensemble de l'économie, et plus particulièrement dans le domaine du transport, si je segmente à gros traits, l'électrification aurait une part prédominante dans les secteurs urbains et légers, et l'hydrogène présenterait un intérêt pour l'industrie plus lourde ou la longue distance comme le ferroviaire. Rappelons qu'Alstom, en lien avec d'autres partenaires, a fait rouler des trains à hydrogène en Allemagne. À Tarbes, la chaîne de traction pour le train à hydrogène d'Alstom est remarquable. C'est un avantage qu'il convient de préserver et de développer. Un certain nombre de régions, soutenues par l'État, ont bénéficié de crédits pour expérimenter les trains à hydrogène.

Cela nécessite en amont que la production d'hydrogène soit réalisée à partir d'énergies bas carbone. L'enjeu du développement et la crédibilité de notre filière hydrogène résidera dans la capacité à produire massivement de l'hydrogène bas carbone de façon décentralisée. C'est un très beau champ de développement industriel, technologique et de planification territoriale. Je me réjouis que les transports puissent y participer.

M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis. - Monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu sur la manière dont vous envisagez de résoudre l'iniquité de traitement entre les AOM en fonction de leur statut. Leurs pertes de recettes ne sont pas compensées de la même manière. Des amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale. Avez-vous l'intention de revenir sur cette iniquité insupportable ?

Par ailleurs, s'agissant du ferroviaire, une décision de justice a remis hier en cause le chantier du Charles-de-Gaulle Express. Les motifs s'appuient notamment sur le nouveau contexte de crise sanitaire pour questionner le projet.

Par ailleurs, quand comptez-vous prendre une ordonnance après l'échec des négociations sur l'accord des classifications et rémunérations, ainsi que le prévoit l'article 167 de la LOM ?

Enfin, le contrat de performance de SNCF Réseau devait être présenté au Parlement en 2020. Vous avez indiqué que son retard était dû à la pandémie de Covid-19. Il reste un mois pour finaliser cette présentation extrêmement importante. Qu'en est-il ?

C'est tout le modèle économique du ferroviaire français qui échappe au Parlement ! La question des petites lignes n'a pas été traitée dans le nouveau pacte ferroviaire. Le rapport Philizot n'a jamais été publié, nous n'avons été destinataires que d'un condensé de neuf pages. Un article de la LOM prévoit une ordonnance pour traiter de la question des petites lignes. Le décret sur les petites lignes a « fuité » dans la presse récemment. Quelle place aura le Parlement dans ce qui s'apparente à des marchandages directs entre les régions, le ministère et la SNCF ?

M. François Calvet. - Monsieur le ministre, j'ai déjà attiré l'attention des pouvoirs publics sur l'injustice déplorable que connaît le département des Pyrénées-Orientales en matière de liaison avec la capitale.

L'année dernière, à la même époque, devant la commission des affaires économiques, je signalais à Mme Borne l'état fortement dégradé de la route nationale, effondrée par endroits et donc impraticable sur de longues portions, ainsi que les travaux sur la liaison Perpignan-Prades. Je pense que le Premier ministre a déjà dû attirer votre attention sur ce point.

Vous avez évoqué le train de fret Perpignan-Rungis-Barcelone : dans quelles conditions va-t-on le mettre en oeuvre et investir sur les wagons ?

Le 23 juillet dernier, lors des questions d'actualité, je vous avais alerté sur les difficultés pour rejoindre Paris par voie aérienne, alors que la liaison ferroviaire n'a pas évolué d'un iota.

Vous m'avez répondu - je cite : « Nous serons en mesure de faire des annonces prochainement sur les modalités et le calendrier ». La situation ne s'est pas améliorée, tant s'en faut. Je souhaite savoir ce qu'il en est et si un calendrier est prévu.

M. Étienne Blanc. - Ma question porte sur le Lyon-Turin.

L'Europe, peut-être un peu lassée par les reports - la Commission parle de procrastination et d'indécision à propos de ce dossier -, vient de prendre un acte d'exécution pour renforcer le contrôle de la Commission européenne sur la bonne exécution des accords internationaux passés avec l'Italie.

Si le tunnel de base ne fait plus l'objet de fortes discussions, les voies d'accès restent un véritable sujet de discussion entre la région Auvergne-Rhône-Alpes, la SNCF et la Commission européenne, qui ne voit pas bien comment les fonds européens peuvent être mobilisés s'agissant des voies d'accès du côté français.

Que fera le Gouvernement pour mobiliser les fonds européens sur ce dossier, à la fois utile pour l'interconnexion des réseaux européens mais aussi pour la décarbonation de l'économie ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Je répète à M. Jacquin ce que je disais précédemment à propos du transport routier : le PLFR 4 permettra de corriger les « iniquités », les irrégularités ou les dysfonctionnements qui ont pu être mis à jour, notamment à l'égard des AOM de droit commun en matière de taux et d'assiette.

S'agissant du CDG Express, nous avons pris connaissance de l'arrêt du tribunal administratif. Un recours sera engagé, j'imagine. La procédure judiciaire devra dire sa vérité.

Le décret concernant les petites lignes sera publié fin novembre. Nous avons notamment terminé de travailler avec les collectivités sur le sujet complexe du transfert des salariés

Pour ce qui est du contrat de performance de SNCF Réseau, je comprends votre frustration. Il n'en reste pas moins que le retard pris pour les raisons que nous avons décrites en avril perdure aujourd'hui.

La date de publication du contrat ne va pas vous ravir : nous l'estimons à l'été 2021. Des échanges ont encore lieu entre les régions et la SNCF sur des sujets importants, comme la modulation des tarifs de péage.

Le débat démocratique et politique a pleinement eu lieu. Si le rapport Philizot a constitué un rapport d'étape, administratif, il a néanmoins débouché sur le pacte « petites ligne », cofinancé par l'État et les régions. Ce qui importe, c'est ce qui se passe sur le territoire plutôt que ce qui est dit dans un rapport administratif faisant suite à une initiative parlementaire. Il a permis de faire travailler les différents acteurs du transport ferroviaire et les régions et de conclure un accord de plus de 6 milliards d'euros qui permettra de sauver les 9 000 kilomètres de petites lignes ferroviaires. Je suis convaincu que les débats essentiels qui ont eu lieu au Parlement ont présidé à la mise en place d'un plan d'action concret.

Concernant la RN 116, nous avons délégué tous les crédits il y a quelques mois. Le Premier ministre Jean Castex y a porté une très grande attention. Le problème des chutes de pierres est actuellement traité.

Quant à la ligne nouvelle entre Montpellier et Béziers, l'enquête publique sera lancée en septembre 2021. Nous avons revu et contracté le calendrier pour qu'il soit le plus rapide possible.

Concernant la desserte de Perpignan, je vous renvoie à la réponse que j'ai faite au sénateur Belin : nous avons étudié assez précisément, en lien avec Air France, les lignes qui continuerons à être desservies par Air France, et celles qui seront éventuellement reprises par Transavia. Une des questions qui se pose est celle de la capacité de Transavia à offrir aux voyageurs réguliers la même qualité de services que celle qu'offre Air France.

Quelques lignes seront reprises par d'autres opérateurs. Une des clés du remplissage des avions réside dans l'accord commercial avec Air France, acteur de référence. Pour d'autres lignes, il n'existe pas aujourd'hui de projet de reprise. C'est l'objet de la cartographie que nous voulons présenter aux élus, visant à présenter la connectivité de nos territoires au regard de l'offre aérienne.

Par ailleurs, nous continuons à subventionner les lignes d'aménagement du territoire pour permettre aux territoires enclavés et mal desservis par la route et le train de bénéficier d'une liaison aérienne de qualité. Cette politique a vocation à apporter des solutions aux entreprises et à préserver l'attractivité des territoires.

Enfin, pour répondre à M. Blanc, le chantier du Lyon-Turin, contrairement à ce qu'on entend dans le débat public, est déjà en cours. Plusieurs dizaines de kilomètres ont déjà été creusés. 200 millions d'euros issus du plan de relance permettront de garantir le financement de ce projet pour les deux prochaines années. Un appel d'offres a été lancé. Vous avez raison de dire que les voies d'accès constituent un des grands sujets de la décennie à venir. Cette question n'a toujours pas trouvé de solution sur le plan du financement. Il faut donc continuer à avancer sur les différentes options et sur le phasage des travaux. C'est une préoccupation importante du ministère des transports.

Mme Angèle Préville. - Ma question porte sur la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT), qui dessert des territoires ruraux très enclavés. La régénération de cette ligne sera-t-elle accélérée par le plan de relance ? C'est un espoir qui anime le département depuis très longtemps. Les voyageurs se sont malheureusement au fil du temps détournés de cette ligne, qui ne répondait pas aux attentes en termes d'horaires et de confort.

Il s'agit pourtant d'un levier très important de redynamisation de nos territoires, mais également de transition écologique.

M. Pascal Martin. - Monsieur le ministre, je voudrais évoquer une question qui constitue l'Arlésienne de la métropole Rouen Normandie : le devenir du futur contournement Est de Rouen, projet lancé il y a maintenant cinquante ans - très exactement en 1972 - et qui paraît à ce jour bloqué.

Nous avions trouvé il y a un peu plus d'un an une clé de financement intelligente et équilibrée entre l'État, la région Normandie, le département de la Seine-Maritime et la métropole Rouen Normandie. Ce projet plus qu'attendu par de très nombreux habitants d'une métropole qui regroupe plus de 500 000 personnes et par l'ensemble du monde économique est aujourd'hui au point mort, le nouvel exécutif de la métropole Rouen Normandie s'opposant à ce projet.

Nous avons collectivement perdu beaucoup trop de temps - et je sais que vous en êtes conscient. L'État compte-t-il, malgré l'opposition de la métropole Rouen Normandie, porter ce projet avec les autres partenaires ?

Mme Nadège Havet. -175 millions d'euros sont prévus par le plan de relance pour le verdissement des grands ports maritimes.

Les projets susceptibles d'être financés sont l'électrification des quais pour l'alimentation des navires, le renouvellement des terrasses portuaires et de la flotte de véhicules, la rénovation de bâtiments, de même que les travaux destinés à favoriser le report modal vers le fluvial et le ferroviaire pour la desserte de l'hinterland.

C'est sur ce dernier point que j'aimerais vous interroger. Une partie des crédits doit être fléchée sur les accès ferroviaires aux ports. Comment ces crédits seront-ils engagés ? En fonction de quelles priorités territoriales ? Ce sujet est de première importance pour le département du Finistère - je pense notamment au port de Brest.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Concernant la ligne POLT, nous procédons au renouvellement complet du matériel roulant de même que sur la ligne Clermont-Ferrand-Paris - cela représente de mémoire dix-huit rames nouvelles pour la ligne POLT et douze rames nouvelles pour la ligne Clermont-Ferrand-Paris. La livraison aura lieu début 2023.

Par ailleurs, plus de 1,6 milliard d'euros de travaux sont prévus sur la ligne POLT, qui traduisent les efforts très conséquents entrepris en matière de régénération de la voie ; ils sont effectués au rythme le plus rapide possible, la fin des travaux étant prévue en 2025.

Nous travaillons également sur la modernisation de la ligne - sécurité, passages à niveau, relèvement de la vitesse - et espérons, dans les prochaines semaines, être en mesure de faire des annonces intéressantes en matière de qualité de prestations. Ce travail est en cours au sein de nos services, en lien avec la SNCF.

La question de M. Martin est compliquée. Nous sommes en capacité opérationnelle de conduire le projet du contournement Est de Rouen. C'est l'un des quatre projets autoroutiers prévus dans la LOM. Nous voulons en même temps obtenir un consensus politique sur la question. Il est difficile d'aller contre la volonté politique très affirmée d'un des acteurs majeurs du territoire contre ce projet. Nous allons donc voir ce qu'il est possible de faire pour fluidifier les rapports des uns avec les autres et obtenir un consensus politique.

Madame Havet, le financement de la desserte de l'hinterland est ventilé dans les CPER. Il porte sur tous les objets précédemment cités. Ces crédits sont à la main des préfets de région.

M. Gérard Lahellec. - Merci d'avoir pointé le fait que la relance que nous appelons tous de nos voeux ne peut être crédible qu'à la condition de voir l'ensemble de nos institutions se mobiliser.

Je ne voudrais toutefois pas que nous passions trop vite sur la situation de crise que vous avez rappelée à l'instant. Je ne reviendrai pas sur la chute de la fréquentation des transports collectifs, mais il existe un autre sujet, qui est celui du déséquilibre des contrats de concession et des délégations de service public (DSP). La Bretagne est dépositaire de plus de 60 contrats de DSP.

Ces contrats se trouvent tous en situation de déséquilibre, et si je me réfère à la jurisprudence constante depuis le jugement du tribunal de Bordeaux en 1916, lorsque les contrats de concession sont en situation de déséquilibre pour des raisons imprévisibles, il revient à l'autorité concédante de rétablir ces équilibres.

Aujourd'hui, les collectivités territoriales assument seules ces dépenses. Elles se retrouvent dans une situation compliquée pour relever les défis dont nous parlions tout à l'heure.

Ma deuxième observation porte sur l'aérien. Nous subissons de plein fouet l'effet concomitant de la pandémie de Covid-19 et de la stratégie d'Air France en matière de dessertes, qui aggrave la situation de nos aéroports et de toute la chaîne d'activités qui en découlent. L'effet conjugué de tout ceci est extrêmement pénalisant pour nos territoires.

Je me permets de rappeler que ces aéroports connaissaient tous un équilibre d'exploitation. Je pense qu'il conviendrait d'en tenir compte dans les développements dont il est question.

Troisième remarque s'agissant du ferroviaire : le contrat de performance liant l'État et SNCF Réseau ne semble pas remis en cause. Or SNCF Réseau, propriétaire de l'infrastructure ferroviaire et maître d'ouvrage des travaux de remise en état, se voit dans bien des cas interdire d'y consacrer plus de 8 % de son investissement, ce qui est assez singulier.

S'agissant du rapport Philizot, je pense que l'accord est plus facile à obtenir quand on met un peu d'argent que lorsqu'il n'y en a pas, les collectivités n'étant pas pressées de mettre la main à la poche.

Enfin, s'agissant du secteur portuaire, j'ai lu le rapport de mon collègue Vaspart. Je ne l'ai pas trouvé si décentralisateur que cela. Je ne crois pas qu'il souffre d'excès de ce côté-là, mais que sa principale fragilité réside dans le fait qu'il ne mentionne pas l'existence des ports décentralisés.

Ceux-ci existent néanmoins : la loi de 2004 en avait déjà transféré quelques-uns, et la loi NOTRe en a transféré de nouveaux. Je ne pense pas que la performance puisse seulement s'apprécier en tonnage. Je crois au contraire qu'elle dépend de la complémentarité des ports.

Je réponds ce faisant à ma collègue finistérienne, qui parlait du port de Brest. Dans la proposition de loi, le port de Brest n'est pas concerné dans la mesure où il ne s'agit pas d'un grand port maritime. Il existe donc une légère faiblesse de ce côté.

M. Guillaume Chevrollier. - La mobilité est une préoccupation récurrente des maires des territoires ruraux.

Quelles actions envisagez-vous pour limiter la concentration des utilisateurs aux heures de pointe liée à la réduction de l'offre de transports ?

Par ailleurs, l'aéronautique connaît un nombre de licenciements important qui soulèvent l'inquiétude légitime des personnels mais aussi des étudiants, comme par exemple les élèves ingénieurs de l'École supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile (ESTACA), qui se situe dans mon département. Il est important de miser sur la formation pour préparer l'avenir de l'aéronautique. Quel message pouvez-vous délivrer à notre jeunesse ?

Enfin, la RN 162 traverse le territoire où je suis élu. Un processus de départementalisation est en cours. Pouvez-vous apporter des précisions sur le calendrier de son transfert, qui a été demandé il y a un certain temps. Pouvez-vous accélérer cette procédure, afin que des investissements puissent avoir lieu sur cette voie routière ?

M. Gilbert Favreau. - Je reviens sur le réseau routier national non concédé. On a parlé à plusieurs reprises les difficultés de mobiliser des financements pour remettre ces infrastructures en état. J'ai souvent évoqué avec votre prédécesseur et la direction des infrastructures la situation de la RN 149, entre Nantes et Poitiers, et de la RN 147, entre Poitiers et Limoges.

J'ai proposé à votre prédécesseur le transfert de cette route nationale aux collectivités. J'étais à l'époque président du département. Certaines régions ont posé la même question. Alors que les financements manquent pour nos infrastructures, qu'elles soient routières ou ferroviaires, il est temps que l'État prenne la mesure de la nécessité d'associer les collectivités à la gestion du réseau routier national non concédé pour permettre de faire avancer les choses et améliorer des transits qui sont souvent de première importance.

M. Ronan Dantec. - Monsieur le ministre, je reviens sur votre propos concernant l'effort du secteur aérien en matière de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, car je suis resté sur ma faim.

Certes, vous avez énuméré les dispositifs, mais il existe aujourd'hui dans ce domaine des contradictions flagrantes. Si, comme cela a été dit, le mécanisme Corsia se base sur 2019, cela signifie que la compensation ne vaudra rien et ne sera peut-être même pas nécessaire.

En parallèle, le système ETS, qui ne s'applique que sur les vols européens, subira une montée en charge, avec un coût qui sera uniquement porté par les compagnies aériennes européennes. Si nous réalisons un effort technologique fort sur les changements de motorisation, le reste du monde n'aura pas besoin d'investir dans ce type de flotte, le mécanisme Corsia ne fonctionnant pas.

Avez-vous identifié cette difficulté ? Disposez-vous d'une stratégie pour éviter une nouvelle distorsion de concurrence ? On sait que l'affrontement avec la Chine a été sanglant et que l'Europe a fait marche arrière. Êtes-vous conscient de ce risque majeur, y compris pour notre industrie aéronautique ? Il ne suffit pas d'énumérer les dispositifs pour que ceux-ci soient efficients !

En second lieu, il est inexplicable qu'Air France ferme Morlaix, où se trouvait une partie des emplois de Hop ! Déshabiller l'emploi dans les villes moyennes historiquement à l'origine du développement d'un certain nombre de petites compagnies aériennes est incompréhensible. Il est inconcevable que l'on concentre encore plus d'emplois dans les métropoles au détriment de l'aménagement du territoire. Avez-vous des propositions précises pour conserver des emplois à Morlaix ?

Mme Martine Filleul. - Je souhaiterais revenir sur la question de M. Tabarot à propos de VNF. Si on ne peut qu'être satisfait des efforts de régénération du réseau, l'inquiétude est cependant très grande s'agissant de la suppression de nombreux ETP, pour la deuxième année consécutive. L'automatisation et la digitalisation des équipements ne sont pas encore au rendez-vous pour permettre cette diminution. Des problèmes de fonctionnement du réseau risquent de se faire jour.

Je voulais par ailleurs évoquer avec vous la question portuaire. 175 millions d'euros sont consacrés au verdissement de la flotte maritime et des ports. C'est un signal intéressant, mais qui ne semble pas à la hauteur des investissements de nos voisins belges et néerlandais, qui font de leurs ports un élément important de leur redémarrage économique. Cet investissement sera-t-il a minima pérennisé ?

Enfin, HaRoPa constitue un exemple de complémentarité entre les ports maritimes et fluviaux. Allez-vous continuer à mettre cette logique en oeuvre dans le cadre de la stratégie nationale portuaire ? Elle semble un élément important de la réussite française dans ce domaine.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Je partage le constat de M. Lahellec. Le sujet du partage des risques entre le délégataire et le concédant est bien connu.

Les opérateurs ont bénéficié des différents dispositifs de soutien de droit commun de la part de l'État, que vous connaissez parfaitement. Par ailleurs, nous avons conclu avec les régions un accord de méthode et nous leur avons délégué 300 millions d'euros de crédits dédiés aux mobilités.

S'agissant des contrats concernant les petites lignes, je rappelle que SNCF Réseau prend à sa charge 100 % des travaux de régénération et d'entretien sur les lignes les plus fréquentées. Sur les lignes d'intérêt local, on peut faire valoir, à la demande des régions notamment, des modèles plus efficaces.

Des contrats ont déjà été signés avec les régions. J'en ai cité trois. Beaucoup sont intéressées. Les investissements proposés sont pris en charge à 60 % par les régions et à 40 % par l'État, mais quand on inclut l'entretien et l'investissement, le réseau ferroviaire reste majoritairement entretenu par l'État à hauteur de 60 %.

Monsieur Chevrollier, nous avons voulu maintenir une offre de transport surabondante par rapport à la demande ou à la fréquentation constatée. La pointe du matin s'explique par le fait que les « cols bleus » se rendent à leur travail entre 6 heures 30 et 7 heures 30 parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. Nous maintenons le maximum de trains sur cette tranche horaire, en lien avec les collectivités concernées. En Île-de-France, 100 % de l'offre est assurée pour un peu plus de 50 % de fréquentation.

S'il devait y avoir des adaptations, celles-ci porteraient sur les heures creuses, où l'on constate parfois 15 à 20 % de la fréquentation pour 100 % de l'offre. Tout cela a évidemment un coût mais, dans tous les cas, la priorité est à la protection sanitaire.

La question que vous avez posée sur l'inquiétude des étudiants vis-à-vis du secteur aéronautique est intéressante. En tant que ministre des transports, je constate que cette génération d'ingénieurs aéronautique aura l'opportunité incroyable d'inventer l'avion de demain.

L'industrie aéronautique a aujourd'hui la capacité d'inventer l'avion de demain et de tirer le meilleur profit d'énergies nouvelles comme l'hydrogène. Peut-être n'y a-t-il pas eu de défi aussi important depuis le milieu des années 1960. C'est un message d'espoir, mais cela nécessite de s'engager très fortement et de faire la course par rapport à d'autres pays, qui ont des moyens de financement plus conséquents et des compétences qui rattrapent les nôtres.

Concernant le réseau routier national, c'est dans le cadre des débats relatifs au projet de loi « 3D » que nous allons définir les modalités de décentralisation de certaines parties de ce réseau. La concertation avec l'ensemble des départements est à venir. Les demandes sont bien connues territoire par territoire.

Plus généralement, cette question renvoie à la dualité des réseaux de transport en France, qui résulte des choix politiques et économiques qui ont été faits durant ces quarante dernières années.

Une réflexion est à mener à ce sujet, et il existe certainement, au XXIe siècle, des façons plus intelligentes de gérer des contrats en intermodalité ou en profitant des synergies régionales.

Monsieur Dantec, au-delà de l'énumération, il faut tenir compte de l'articulation des différents dispositifs qui existent en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien. Je pense notamment au système européen d'échange de quotas d'émissions (ETS) et à l'accord international Corsia. Nous travaillons, avec l'ensemble des partenaires européens, notamment au moment des conseils des ministres des transports, à l'articulation juste et efficace de ces dispositifs.

Il était prévu que les années de référence pour le dispositif Corsia soient 2019 et 2020. Le trafic aérien est anormalement bas cette année. Il est donc normal de prendre comme référence uniquement l'année précédente qui, statistiquement, correspond davantage à ce qu'aurait dû être l'activité aérienne cette année.

S'agissant de Morlaix, je rappelle qu'aucune suppression d'emplois n'est prévue avant 2023 sur le site de maintenance. Au-delà de cette question, s'agissant de la restructuration des réseaux domestiques, le conseil ministériel que j'ai évoqué, qui traite des questions relatives aux dessertes et à la connectivité constitue un cénacle dans lequel on peut parler très concrètement de ces sujets. Je serais ravi de reparler à ce moment-là des questions de recomposition de l'offre et des impacts que cela peut avoir sur le territoire.

Enfin, en réponse à Mme Filleul, je répète que nous consacrons une enveloppe importante aux secteurs portuaires, maritimes et fluviaux, de 400 millions d'euros. La stratégie nationale portuaire viendra enrichir les outils dont nous disposons.

Nous voulons faire de l'écosystème portuaire et maritime un des éléments clés du redémarrage de l'économie. Nous ne partons pas de nulle part, mais nous avons un peu de retard par rapport à quelques autres grands ports européens comme Rotterdam ou Anvers.

Certains sujets n'ont pas été suffisamment abordés ces derniers temps, comme la souveraineté  de nos ports. La stratégie nationale portuaire doit être l'occasion d'organiser le rebond et d'agir en fonction de ce qui est pertinent.

La philosophie du Gouvernement consiste à réaliser toutes les synergies possibles, soit par des extensions ou des créations d'axes, soit simplement par la mise à profit des technologies disponibles. La numérisation n'est pas un gros mot dans le domaine des transports. Cela ne signifie pas toujours moins d'emplois, mais des emplois différents.

Ces secteurs très lourdement industriels, au bon sens du terme, n'ont pas toujours su réaliser leur transformation numérique comme ils auraient dû la faire. Elle fonctionne très bien chez certains de nos voisins. Je souhaite donc que nous mettions à profit cette crise pour s'engager dans ce chemin.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet échange et pour les réponses que vous nous avez apportées sur le projet de loi de finances pour 2021 et le plan de relance.

Il ne faudra pas oublier, comme vous l'ont dit un certain nombre de collègues, les territoires ruraux, qui doivent également être dotés de services de mobilités efficaces.

La proposition de loi relative à la gouvernance et la performance des ports maritimes a fait l'objet d'un travail particulièrement soutenu. Il est indispensable que cette dernière puisse être inscrite rapidement à l'Assemblée nationale.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 heures.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition, en commun avec la commission des affaires économiques, de M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous accueillons M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia, pour cette troisième audition plénière de nos commissions, consacrée au rapprochement entre Veolia et Suez.

Monsieur le PDG, nous sommes impatients de vous entendre, car les auditions précédentes et les nombreuses révélations par voie de presse qui ont rythmé ces dernières semaines ont suscité un grand nombre d'interrogations.

Les travaux de nos deux commissions ne relèvent pas du simple suivi de l'actualité économique, ni d'une simple curiosité pour la vie de nos grandes entreprises : notre intérêt est plus profond et plus sérieux. Maintes fois, les Français - et la représentation nationale avec eux - ont constaté, quelques années plus tard, les lourdes conséquences de cessions conclues à la hâte, ou décidées à l'occasion de crises économiques soudaines. Après que ces opérations ont révélé leurs conséquences, les pouvoirs publics ont dû chaque fois en gérer les conséquences économiques et sociales, parfois reconstruire la capacité économique du pays, voire financer la relocalisation...

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte a consacré le rôle du Parlement en matière de protection des intérêts économiques de la Nation - c'est là un symbole fort, et nous entendons bien nous saisir pleinement de cette compétence.

L'opération d'acquisition que vous avez dévoilée fin août concerne deux groupes français qui sont déjà, séparément, regardés comme des champions mondiaux des services à l'environnement. Ils totalisent plus de 80 000 salariés en France, 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et ils consacrent, dans une lutte concurrentielle acharnée, environ 170 millions d'euros chaque année à la recherche et développement (R&D) dans des technologies qui seront cruciales pour notre transition écologique. Vous serez d'accord pour considérer que l'avenir de votre groupe, Monsieur le PDG, et celui de Suez, relèvent de la protection des intérêts économiques de notre nation... Ce n'est d'ailleurs pas étranger à votre projet puisque vous ne visez rien de moins que de créer un champion mondial de la transformation écologique.

Il est donc de notre responsabilité de vous entendre et de vous interroger aujourd'hui, pour comprendre l'ensemble des implications de votre projet. En auditionnant les dirigeants de Suez, nous avons constaté que ce projet fait l'objet d'une franche opposition du groupe Suez ; vos intentions déclarées « amicales » n'ont pas su convaincre à ce jour. Le Gouvernement non plus n'a pas souhaité soutenir votre offre - du moins officiellement - et s'y est opposé au sein du conseil d'administration d'Engie, sans succès.

Nos commissions viennent de créer un comité de suivi, qui étudie les circonstances dans lesquelles votre offre d'acquisition s'est construite et se réalisera peut-être : nous recherchons à en évaluer les conséquences pour l'économie française et pour les collectivités territoriales que nous représentons.

Votre opération a pour mot d'ordre la constitution d'un « champion français ». Comment un groupe fusionné, mais délesté de près de 70 % des activités de Suez conformément aux obligations du droit de la concurrence, donc un groupe bien moins divers sur le plan technologique que ne le sont les deux entreprises actuelles - comment un tel groupe serait-il un champion plus efficace et prometteur, plus innovant que nos deux champions d'aujourd'hui ? Cette constitution d'un « champion » ne ressemble-t-elle pas plutôt à un démantèlement de votre principal concurrent, au moment où un grand nombre de contrats de délégation de service public doivent être renouvelés ?

Notre commission sait défendre, lorsque les circonstances sont réunies, la création de champions français ou européens à la force de frappe supérieure, si l'intensité concurrentielle du marché le justifie - je pense à la pression chinoise dans le secteur ferroviaire, par exemple. Or, cette pression concurrentielle n'existe pas sur votre marché, vos deux groupes occupant une large part des segments de l'eau et des déchets en France. Quelle est alors la menace qui justifierait la fusion des deux principaux acteurs mondiaux ? Quels autres opérateurs seraient-ils à même de concurrencer la nouvelle entité fusionnée ? Que devons-nous penser d'une opération dans laquelle un acteur choisit l'identité, la force de frappe financière et l'expérience de son futur concurrent direct ?

Vous vous défendez de vouloir augmenter les prix acquittés par vos clients
- notamment les collectivités territoriales - dans les années à venir. Comment allez-vous alors faire mentir la théorie économique, qui nous dicte qu'un marché plus concentré conduit à des prix supérieurs et réduit le pouvoir de marché des clients ?

Monsieur le PDG, je pense que ces questions directes mais centrales pour les intérêts économiques de notre Nation méritent une réponse franche et précise, à la mesure des enjeux.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Le projet de fusion entre Veolia et Suez pose beaucoup de questions, tant sur la manière dont le processus de rachat se déroule que sur les conséquences économiques, sociales et environnementales qu'il pourrait avoir.

Sur la forme, nous sommes nombreux à avoir le sentiment que ce projet de rachat de Suez est mené « tambour battant » et que le rôle des parties prenantes est opaque, à commencer par celui de l'État. M. Jean-Pierre Clamadieu, le président du conseil d'administration d'Engie, a évoqué lors de son audition la semaine dernière la rapidité avec laquelle celui-ci avait dû se prononcer sur l'offre de Veolia, par crainte de ne pas pouvoir bénéficier d'une proposition aussi favorable si celle-ci venait à être retirée. Vous avez tiré parti d'un « effet de surprise », puisqu'à peine plus d'un mois s'est écoulé entre votre offre d'achat sur le bloc de 29,9 % d'actions de Suez et le vote du conseil d'administration d'Engie approuvant cette vente, ce qui n'a pas permis à des offres alternatives de voir le jour.

Cette impression de précipitation, pour ne pas dire de « passage en force », est renforcée par les propos que vous avez tenus dans la presse la semaine dernière, qui appellent les autres actionnaires de Suez à débarquer l'actuel conseil d'administration, lequel empêcherait, selon vous, la conclusion d'un accord amiable.

Les dirigeants de Suez nous ont indiqué qu'ils n'avaient toujours pas reçu d'offre formalisée de la part de Veolia présentant de manière détaillée votre projet industriel - vous nous donnerez tout à l'heure votre version des faits.

Les questions sont nombreuses, également, sur les conséquences de ce projet de rachat. Nous comprenons que son impact soit incertain et difficile à évaluer, mais comment se fait-il que vos déclarations et celles des dirigeants de Suez soient aussi opposées ? Vous vous êtes engagé à garantir les emplois et les avantages sociaux de l'ensemble des salariés de Suez en France ; est-ce à dire que l'absorption des activités de Suez ne créera aucune synergie, ni aucun doublon ?

Nous sommes également très inquiets pour la viabilité des activités Eau de Suez en France en cas de rachat par le fonds Meridiam. Comment un acteur qui n'a pas d'expérience dans le domaine de l'eau pourra-t-il assurer la continuité et le développement de cette activité, et continuer à innover alors qu'il agira sur un marché de taille réduite ? Les collectivités territoriales ne risquent-elles pas d'être confrontées à une baisse de la qualité des offres lors du renouvellement de leurs délégations de service public ?

Que deviendront les autres actifs qui devront être cédés dans le secteur des déchets, et qui seront leurs repreneurs ?

Vous l'aurez compris, Monsieur le Président, ce projet de rachat nous préoccupe, compte tenu de l'importance stratégique des services qu'exploitent Veolia et Suez.

M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia- merci de me donner l'occasion de vous présenter ce projet de rapprochement.

Quelle est son origine ? Elle est dans l'annonce faite par Engie de son intention de vendre sa participation dans Suez, qui s'élève à 32 %. Cela impliquait donc nécessairement que Suez allait changer d'actionnaire principal. À une telle hauteur de participation, vous pensez bien que tout acquéreur doit avancer un projet précis et d'envergure. Cette annonce faite, fin juillet, la question a donc été de savoir qui allait acheter et pour faire quoi - et, en conséquence, de savoir si Suez allait rester française. Ces questions ne sont pas anodines, ni pour Suez ni pour Veolia. Il s'entend que Veolia ne peut se désintéresser de l'avenir de son principal concurrent. Ces questions concernent aussi le pays tout entier. C'est la raison pour laquelle lorsque j'ai présenté mon projet, fin août, je l'ai présenté globalement, et j'ai d'emblée posé l'objectif, en toute transparence, de constituer un champion français. Ce n'est pas un simple rachat des actions d'Engie, mais bien un rapprochement complet de Veolia et Suez.

Une autre société française était-elle en mesure de proposer ce rachat ? Aucune, à part Veolia. Beaucoup se sont interrogées, mais une seule avait un projet industriel : c'est Veolia. En revanche, je vous confirme que des sociétés étrangères avaient déjà déclaré leur intérêt au cours des mois précédents, je pense à notre grand concurrent chinois, Beijing Capital Group, qui s'était manifesté auprès d'Engie, ou encore à des fonds d'investissement. Vous connaissez le métier de ces fonds : ils achètent pour optimiser dans le cadre de montages financiers, puis revendre. C'est alors qu'un démantèlement aurait eu lieu. Après dix ans tout au plus, Suez aurait été à nouveau vendue, et la question se serait alors à nouveau posée de savoir si ses unités resteraient françaises ou pas. Le seul projet pour que Suez reste française - y compris les actifs qu'il faudrait céder au titre du droit de la concurrence - c'est celui de Veolia.

Je ne suis donc pas d'accord avec l'idée que notre offre serait précipitée ou opaque : nous avons répondu à une sollicitation, dès lors qu'Engie vendait et nous avons proposé la seule solution industrielle franco-française pour Suez, les autres propositions venant de l'étranger ou répondant à une logique financière. Lorsque notre principal concurrent est en vente et qu'il risque de passer entre les mains de l'un de nos principaux concurrents de demain, à l'étranger, et alors que notre secteur, la transformation écologique, est en plein développement, la question posée est bien celle de notre maîtrise industrielle, en France, des compétences dont nous aurons besoin pour réussir cette transformation. Le marché se développe très rapidement, la demande sociale est forte, nos métiers se transforment, nous sommes des champions et nous entendons le rester, avec des compétences sur notre territoire national - ceci alors que la concentration du secteur a commencé et que les choses évoluent très vite.

Vous avez cité le transport ferroviaire : savez-vous qu'il y a 25 ans, le principal constructeur ferroviaire chinois était cinq fois plus petit qu'Alstom et qu'aujourd'hui, il est cinq fois plus gros ? C'est pourquoi l'on recherche une alliance pour Alstom, d'abord avec Siemens et maintenant avec Bombardier. Il en ira de même pour la transformation écologique et l'environnement : les Chinois l'ont identifié comme facteur limitant de leur développement économique et investissent fortement, c'est d'ailleurs pourquoi nous travaillons beaucoup en Chine. Ils disposent d'un marché et de ressources financières très importantes - savez-vous que les numéros deux des déchets en Allemagne et en Espagne sont détenus par des Chinois ? C'est du reste ce numéro deux espagnol qui a remporté, il y a quelques mois, contre Veolia et Suez, l'appel d'offres pour l'exploitation de l'usine d'incinération d'Issy-les-Moulineaux...

La vente de Suez par Engie offre donc l'occasion de rapprocher nos deux champions nationaux du secteur, plutôt que l'un soit racheté par un concurrent étranger qui en sera renforcé. Je suis persuadé que si nous ne le faisons pas, nous le regretterons amèrement et que dans quelques années ni Veolia ni Suez ne pourront tenir leurs places de champions et que nous n'aurons plus les moyens de nous défendre. Il en va de notre autonomie économique dans le monde de demain, c'est là le véritable enjeu : c'est pourquoi je n'ai pas voulu laisser passer cette occasion de rapprochement. Je ne vois pas d'autre projet pour que Suez reste durablement française.

Notre projet est donc de construire le grand champion français de la transformation écologique. Ceci dans nos métiers traditionnels : les métiers de l'eau, l'assainissement, la collecte, le traitement et le recyclage des déchets ; mais aussi de nouveaux métiers, qui sont essentiels pour tenir notre rang. On ne sait pas bien recycler les plastiques, par exemple : nous devons inventer des techniques pour les recycler tous, de même que les batteries électriques, les déchets électroniques, ou les panneaux solaires en fin de vie. Nous connaissons déjà des solutions, par exemple pour les déchets toxiques ou le PET, qui ont été mises au point chez Suez et chez Veolia. Certaines techniques doivent être généralisées : cela suppose des investissements importants. Le rassemblement de nos forces, de nos capacités d'investissement permettra d'aller plus loin, plus vite et plus fort dans cette direction.

Mais il faudra aussi inventer l'autre moitié des solutions nécessaires à la transition écologique. En nous regroupant, nous avons plus de chance de trouver des solutions avant nos concurrents, et ce sera décisif - si nous ne le faisons pas, nul doute que d'autres le feront à notre place. Quelques exemples : nous ne savons pas recycler le polypropylène, les plastiques thermodurcissables ou bromés, les batteries de véhicules électriques, qui sont des déchets dangereux, avec des métaux rares comme le lithium ou le cobalt. Ceux qui arriveront les premiers à les recycler, maîtriseront ces métaux rares. Alors qu'on a perdu la bataille de la fabrication des batteries électriques, nous pouvons, en mettant nos forces en commun, placer Veolia et Suez en position de devenir le champion du recyclage des batteries électriques pour l'ensemble du continent européen. Cela vaut aussi pour la qualité de l'air, domaine essentiel, en particulier pour le lien entre l'environnement et la santé. Comment traiter l'air des bâtiments recevant du public ? Veolia a fait des expériences dans une école en Île-de-France, Suez expérimente une solution dans les cours de récréation : ensemble, nous parviendrions plus vite à proposer une solution, nous serions les premiers et nous ferions la course en tête. Autre innovation : la capture du carbone, qui me paraît indispensable pour tenir nos engagements pour le climat. Nous avons les techniques pour capturer le carbone, mais c'est encore trop coûteux et nous devons en diviser le prix par trois ou quatre. Des entreprises étrangères y travaillent, je suis convaincu que nous irons plus vite qu'elles si nous groupons nos forces et que nous saurons alors conserver notre avance. Je pourrais multiplier les exemples de solutions essentielles pour l'avenir, où nous avons commencé à travailler et où nous irons plus vite et plus loin si nous coordonnons nos efforts. Nos concurrents seront toujours là, mais nous aurons plus de chance d'être encore un leader dans vingt ans.

Nos deux entreprises sont en très bonne position et ont chacune des points forts. Veolia est un pionnier du traitement et du recyclage des déchets toxiques, et nous pourrions proposer nos solutions aux clients de Suez - de même que nous pourrions proposer aux clients de Veolia les solutions de Suez pour la méthanisation des déchets domestiques, un domaine où cette entreprise est championne : nous gagnerions ainsi des parts de marché. Même chose pour la digitalisation de nos métiers : Veolia a développé, dans 33 pays, des centres de pilotages automatisés de toutes ses installations. En acquérant l'entreprise australienne Optimatics, Suez a mis au point des logiciels à base d'intelligence artificielle, qui rendraient plus performants nos propres centres de pilotage. Voilà des synergies concrètes, qui créent de nouvelles solutions et élargissent nos clientèles, que nous n'aurions pas séparément.

Qu'est-ce que cela apportera à nos territoires ? Les territoires français bénéficieront en premier de ces innovations. Quand Veolia invente, l'an passé, la première usine de recyclage des panneaux photovoltaïques usagés au monde, c'est à Rousset, en Provence, que nous la construisons ; quand Veolia invente la première usine de recyclage de batteries électriques, c'est à Dieuze, en Moselle, que nous l'installons ; quand nous allons tripler sa taille l'an prochain, c'est sur le même site que nous allons le faire. Nous connaissons bien le territoire français, c'est pourquoi nous y implantons nos innovations, avant de les exporter, même s'il y a des exceptions. Les territoires français seront aux premières loges, parce que nos entreprises sont françaises et qu'elles le resteront. Si Suez allait ailleurs, ce ne serait plus le cas, au moins pour les projets engagés par cette entreprise.

Le regroupement est donc, en réalité, le contraire du démantèlement : il est plus prometteur, plus innovant et plus efficace que de laisser partir Suez dans d'autres mains. Nous accélérons même le projet de faire de notre entreprise la référence de la transformation écologique. Nous avions ce projet à Veolia avant la vente de Suez, le regroupement nous fera aller plus vite et plus loin dans cette direction, et nous embarquerons Suez dans ce projet. Suez et Veolia sont les deux premières entreprises au monde dans leur secteur, nous pouvons le rester longtemps à condition de ne pas nous disperser et que l'une des deux entreprises ne tombe pas entre de mauvaises mains.

Ce projet a néanmoins des contraintes, notamment en matière de concurrence, surtout en France - à l'étranger, nos deux entreprises se chevauchent peu, mis à part en Australie et en Grande-Bretagne, et ces problèmes peuvent facilement être résolus. Les chevauchements concernent surtout l'activité eau, c'est donc là qu'il nous faut trouver des solutions de désinvestissement, conformément à ce que nous demandera l'Autorité de la concurrence et dans l'intérêt des clients, les collectivités territoriales - c'est-à-dire de sorte à constituer un acteur véritablement concurrentiel, avec une vraie capacité de développement. 

Nous avons proposé la solution Meridiam. C'est une entreprise française qui s'engage à long terme - elle s'est engagée à conserver cette activité pendant 25 ans. Comment évaluer cet engagement ? En regardant ce que cette société fait déjà : en une quinzaine d'années d'existence, elle a déjà réalisé une centaine d'investissements et n'en a pas revendu un seul. C'est atypique mais cela correspond au profil de ses investissements, qui sont tous à long terme. Ensuite, Meridiam est spécialisée dans les projets auprès des collectivités publiques, notamment en matière d'infrastructures, en France et à l'étranger, y compris dans des services d'eau aux États-Unis. Elle a donc l'habitude de travailler avec les collectivités au niveau régional et local. L'entreprise affirme vouloir consacrer deux fois plus d'investissements annuels à l'activité eau en France que ne le fait Suez aujourd'hui, s'engage à maintenir l'emploi et à créer 1 000 postes d'apprentis dès la première année. Je pense donc que Meridiam est capable de donner un avenir solide à Suez Eau en France et à l'étranger, de développer ses activités, et de lui apporter davantage de moyens. Les salariés de Suez Eau France, la direction, l'ingénierie, l'opérationnel, les centres de recherche, tous rejoindront Meridiam : ce seront les mêmes, avec un actionnaire qui leur donnera plus de moyens.

Est-ce que nous choisissons notre concurrent ? Non, nous faisons une proposition : l'Autorité de la concurrence disposera, elle nous dira si nous remplissons les conditions ou bien s'il faut corriger notre proposition. Lorsque j'ai proposé mon projet aux équipes de Veolia, leur première réaction a été de me dire qu'on allait créer une concurrence plus sévère que celle d'aujourd'hui. Il y aura donc autant d'acteurs, avec les mêmes capacités d'innovation et les mêmes personnels, avec davantage de moyens : la concurrence sera au moins de même niveau.

Nous avons également des chevauchements dans le domaine de la propreté et des déchets, mais moins importants car Suez et Veolia pèsent moins dans ce secteur et on y trouve d'autres acteurs français importants. L'Autorité de la concurrence exigera les remèdes qu'elle jugera utiles au maintien des conditions de concurrence, notamment des désinvestissements par paquets pour renforcer des concurrents français, dont certains ont déjà exprimé leur intérêt.

Une autre interrogation est l'emploi, car les rapprochements se traduisent souvent par des suppressions d'emploi. Il en ira différemment dans notre cas, d'abord parce que nos métiers ne sont pas industriels mais de service et territoriaux. Le personnel opérationnel et son encadrement seront nécessairement maintenus sur les territoires. D'ailleurs, chaque année, lorsque nous perdons ou gagnons des contrats, les personnels restent les mêmes que le contrat bénéfice à Veolia ou à Suez, sans qu'il y ait le moindre problème social. Les conditions de travail sont très proches. Si nous pouvions faire des progrès de productivité sur la gestion d'une station d'épuration, cela se saurait et ce serait déjà fait. Il n'y aura donc pas de réduction de personnel opérationnel. Ce sera le cas pour ceux qui rejoindront Veolia, je l'ai garanti et je vous remettrai aujourd'hui les engagements que j'ai signés pour le maintien de tous les emplois en France et de tous les avantages sociaux. Je vous ai apporté également les engagements de Meridiam, car Engie nous a demandé des engagements écrits quand elle nous a cédé ses actions. Nous demanderons les mêmes engagements aux repreneurs de nos activités dans le secteur des déchets.

Pour aller plus loin, je vais vous faire une proposition, puisqu'il y a tant d'exemples d'engagements non tenus en matière d'emplois. Regardons d'abord ce que Veolia a fait dans le passé : en juillet, Suez a vendu l'entreprise Osis, 3 000 salariés, spécialisée dans la maintenance et l'entretien des réseaux d'assainissement ; Veolia l'a achetée, notamment pour éviter qu'elle ne soit rachetée par un acteur étranger. Les salariés d'Osis ont demandé une garantie de l'emploi et des avantages sociaux : nous les avons donnés. À deux reprises, les salariés d'Osis, voyant Suez devenir hésitant à réaliser la cession, ont demandé à être cédés à Veolia, parce qu'ils savaient que l'engagement social serait tenu. La gestion sociale chez Veolia est reconnue comme étant de qualité. Je vous propose donc que le Parlement mette en place un dispositif de suivi, de contrôle et de sanction - y compris financière - des engagements sociaux pris, et ce sur plusieurs années. Cela n'existe pas, pourquoi ne pas l'imaginer ? Je propose que le rapprochement Veolia-Suez soit le premier « cobaye » d'un tel dispositif.

Les prix de l'eau vont-ils monter ? Il y aura toujours autant d'acteurs sur le marché de l'eau, et la concurrence sera tout aussi musclée. Les collectivités continueront de choisir entre ces entreprises ou la régie - et continueront à fixer le prix de l'eau, dont il n'y a aucune raison qu'il augmente. Les équipes dirigeantes, la recherche, les opérationnels resteront les mêmes : il n'y a aucune raison que l'offre perde en qualité, il est même vraisemblable qu'elle augmente, puisque les investissements seront plus importants. Il en ira de même dans le domaine des déchets, car la concurrence sera ravivée par les cessions que nous ferons à nos concurrents.

Mme Sophie Primas, présidente. - En ce qui concerne votre suggestion de suivre le regroupement entre Suez et Veolia, c'est précisément l'objet de notre comité de suivi, que nous avons bien l'intention de faire perdurer au moins pour les trois années qui viennent.

Mme Florence Blatrix Contat. - Vous vous engagez à garantir l'emploi et les avantages sociaux, mais jusqu'en 2023 - c'est demain, juste après les élections présidentielles. Irez-vous plus loin ? Quelle est l'opposabilité juridique de tels engagements ? Qu'en est-il des engagements de Meridiam ?

Nombre de regroupements d'entreprises ont échoué par le passé, alors qu'ils étaient prometteurs, car les cultures et les managements des entreprises rapprochées étaient différents. Comment développer une culture d'entreprise commune qui valorise le capital humain ?

Vous indiquez que l'Autorité de la concurrence vous obligera à céder une partie de l'activité eau de Suez. Suez estime que les cessions représenteront les trois-quarts de ses activités en France et la moitié à l'international : est-ce le cas ? Quelle part des activités de Veolia devrait-être cédée en France et en Europe ? La logique des concentrations dans le secteur ferroviaire repose sur des économies d'échelles : est-ce le cas dans votre secteur ? N'allez-vous pas, en fait, vers un recentrage sur l'un de vos métiers ?

Mme Nadine Bellurot. - Je vous prie d'excuser M. Alain Cadec, qui m'a chargée de vous poser ces questions. Avant l'annonce à la presse faite par Engie, avez-vous rencontré les dirigeants de Suez pour leur présenter votre projet ? À quelle date ? Avez-vous informé l'Élysée, Matignon, l'administration de votre projet ? Quelles ont été les réactions ?

Pourquoi avoir fixé un délai si court à Engie pour sa réponse ? Est-ce pour écarter la possibilité d'une offre alternative ?

Enfin, M. Philippe Varin nous a dit que le conseil d'administration de Suez n'avait pas reçu d'offre formelle et complète de Veolia, pourquoi ?

Quel est le calendrier envisagé pour la suite de l'opération, quelles en seront les procédures et quelles consultations allez-vous mener ? Pourquoi avoir limité à six mois la période pré-OPA ? Avez-vous informé les autorités européennes ?

Pourquoi faire confiance à Meridiam, sachant que cette entreprise ne connait pas bien le secteur ?

Vous engagez-vous à poursuivre la R&D sur les mêmes solutions technologiques que Suez, sachant que Veolia a fait d'autre choix de R&D ?

M. Hervé Gillé. - En première instance, le juge a donné raison aux comités sociaux et économiques (CSE) de Suez qui contestaient le fait de ne pas avoir été informés ni consultés sur le projet de Veolia : comprenez-vous cette décision ? Pourquoi ne pas avoir procédé à l'information des salariés sur un sujet aussi important pour leur avenir ?

Quels sont vos projets pour les autres activités que l'eau, notamment dans le secteur des déchets : avez-vous connaissance de candidats au rachat de ces activités ? Avez-vous eu des contacts à ce sujet avec des sociétés telles que Paprec ou Derichebourg ? Envisagez-vous de vendre ces activités séparément ou existe-t-il un acteur à même d'éviter une telle vente séparée des actifs de Suez ? Quelles sont les garanties que ces repreneurs disposent d'un ancrage français ?

Au lieu de constituer un champion, n'êtes-vous pas en train de faire disparaître votre principal concurrent en France, alors que près d'un tiers des concessions d'eau potable française, représentant 1,6 milliard d'euros de chiffre d'affaires d'ici 2024, seront prochainement renouvelées ? Qui pourra concurrencer le nouveau Veolia lors de ces renouvellements ?

Mme Catherine Fournier. - Je suis quelque peu sceptique sur la méthode : le 30 septembre, vous annonciez votre souhait d'une OPA amicale, mais la semaine dernière, vous appeliez les actionnaires à « débarquer » le conseil d'administration qui, d'après vous, refuserait tout dialogue : est-ce là votre définition de l'amicalité ? Pensez-vous que Veolia puisse obtenir l'accord du conseil d'administration de Suez ?

Pourquoi avoir retenu Meridiam comme acquéreur de Suez Eau, alors que ce fonds n'a guère d'expérience dans ce secteur, étant plutôt spécialisé dans celui de la mobilité et des autoroutes ? Cette entreprise a-t-elle les capacités financières et opérationnelles à très long terme ?

Mme Évelyne Perrot. - Veolia ayant engagé quatre plans sociaux depuis 2013 dans sa branche Eau, concernant quelques 3 000 emplois, pensez-vous que, dans son périmètre actuel, votre entreprise soit préservée de suppressions d'emplois ? Seriez-vous prêt à prolonger votre engagement à ne pas supprimer d'emplois au-delà de 2023, échéance particulièrement proche si la fusion des deux groupes n'était effective qu'en 2022 ? Meridiam et les entreprises qui reprendront des activités de Suez sont-elles prêtes à s'engager aussi dans ce sens ?

M. Antoine Frérot - Les métiers de la transformation écologique sont créateurs d'emplois. Chaque solution nouvelle est créatrice d'emplois. Je vous ai parlé de la première entreprise de recyclage de batteries électriques en Moselle, c'est une petite usine, avec trente emplois, nous les doublerons l'an prochain : les emplois seront locaux. Les métiers du déchet et du recyclage créent de l'emploi, notre difficulté est même plutôt de recruter les sujets : il y a 1 097 postes non pourvus au sein du groupe Veolia, sur des profils très divers, du peu au très qualifié. Nous recherchons du personnel dans les territoires, nous ne parvenons pas toujours à recruter - n'hésitez pas à faire connaitre nos métiers. En regroupant nos forces, nous allons donc vers plus d'emploi, et nous rencontrerons plutôt des problèmes de formation : Veolia a construit des centres de formation, en France, nous allons les multiplier. Il y a quarante ans, la France a créé l'école française de l'eau : nous voulons créer l'école française de la transformation écologique, avec de nouvelles compétences. Quant aux métiers traditionnels, le nombre d'emplois ne peut pas y diminuer : la collecte des poubelles ne peut se passer de salariés sur les territoires, comme une concentration industrielle peut le faire - il en va de même pour les stations d'épuration d'eau ou de traitement. Cet épouvantail de la destruction d'emploi ne tient pas debout : il n'y a pas de risque sur l'emploi.

Est-il vrai que nous aurons à désinvestir la moitié de l'activité de Suez à l'international et les trois quarts en France ? Si c'était le cas, je n'achèterais pas Suez, cela n'aurait pas de sens, sauf si mon projet était financier et consistait à vendre à la découpe. Or mon projet, c'est d'additionner nos forces. À l'international, il y aura très peu de raisons de désinvestir et en France, seules les règles de la concurrence guideront nos désinvestissements
- ils porteront sur l'activité Eau de Suez et sur une partie de l'activité Déchets, l'Autorité de la concurrence nous le dira.

Comment réalisera-t-on des synergies sans supprimer d'emplois ? Notre projet prévoit 500 millions d'euros par an de synergies, dont 200 millions sur les achats, soit 1 % de notre capacité d'achat, qui sera comprise entre 20 et 25 milliards d'euros. Le fait de grouper nos achats - de véhicules, de canalisations... - peut faire effet d'échelle. Nous calculons 1 % sur quatre ans, c'est peu. Nous économiserons aussi 300 millions d'euros sur l'opérationnel, par l'application des meilleures pratiques. Par exemple, Veolia a développé une technique permettant d'optimiser la maintenance des incinérateurs de déchets, nous atteignons un taux de disponibilité de 94 % en Grande-Bretagne, contre 87 % en France car ces savoir-faire n'y sont pas encore diffusés. Dans les économies d'énergie des stations d'épuration, c'est Suez qui est en avance, on gagnera sur la consommation d'énergie de celles de Veolia. En réalité, 300 millions sur 35 milliards d'euros de dépenses, c'est peu. Nous voyons que 500 millions d'euros d'économies sont possibles sans toucher à l'emploi, je pense même que nous ferons mieux.

Pourrait-on se recentrer sur un seul métier ? Non, c'est exclu, nous souhaitons combiner les trois métiers Eau, Déchets, Services à l'énergie, car l'interface entre les trois sera décisive pour la transformation écologique.

Quand j'ai conçu mon projet, ai-je rencontré les responsables de Suez, d'Engie ou encore des membres de l'exécutif ? Vous avez appris que les dirigeants de Suez étaient au courant plusieurs mois avant l'annonce officielle du projet d'Engie de vendre. Je n'en ai été informé pour ma part que fin juillet - avant, il y avait bien sûr la rumeur, mais seulement la rumeur, dès lors qu'Isabelle Kocher, qui souhaitait conserver ces participations, avait quitté Engie. Je n'ai pas eu de discussion avec le président d'Engie avant l'annonce officielle à la fin du mois de juillet. Je lui ai parlé quelques jours plus tard, début août, et je l'ai revu fin août, pour lui remettre mon offre. J'avais eu l'occasion de rencontrer les dirigeants de Suez par le passé, car des projets de rapprochement avaient déjà été étudiés, l'idée ne venait en effet pas de nulle part. J'ai eu des conversations avec M. Bertrand Camus au cours des mois précédents, afin de savoir s'il serait intéressé par un rapprochement, puis j'ai eu connaissance de l'annonce d'Engie. La réponse a été claire et franche : il n'était pas intéressé. Par la suite, j'ai construit mon offre et n'ai pas échangé avec M. Camus jusqu'au jour du dépôt de celle-ci. J'en ai informé les pouvoirs publics, sans rencontrer le personnel de l'Élysée. Je n'ai pas reçu de leur part de retour sur mon offre.

Pourquoi ce délai laissé à Engie, que vous estimez court ? Il n'est pas si court : Engie a fait part de son désir de vendre fin juillet. Mon offre courait jusqu'à fin septembre, soit deux mois - dans le monde des entreprises, c'est raisonnable, en tout cas suffisant pour savoir si l'offre est intéressante. Mon projet n'étant pas seulement d'acquérir 29,9 % mais l'intégralité de Suez via une OPA, sous condition de l'accord des autorités de la concurrence, cela demande du temps : toute prolongation pour la première partie prolongerait l'ensemble de l'opération, ce n'était pas satisfaisant.

M. Varin dit ne pas avoir reçu d'offre formelle ni de proposition sur l'emploi ; il considère pourtant notre offre irrecevable, hostile, avec des conséquences dramatiques sur l'emploi et la concurrence. Soit il connaît notre offre, et peut juger de ses conséquences, soit il ne la connaît pas - mais pas les deux... La direction de Suez a bien évidemment reçu les engagements que j'ai pris sur l'emploi, que je vous remettrai.

Concernant le calendrier de l'opération : une fois la première partie des actions achetée à Engie, j'ai annoncé notre intention de faire une OPA sur le reste du capital, sous condition des autorisations nécessaires. Les autorités de concurrence ont été saisies, nous avons engagé les travaux et les échanges d'information. Une vingtaine d'autorités dans le monde doivent être consultées. L'autorité européenne a commencé des travaux d'étude - des « market tests » - pour interroger les clients et les concurrents et mesurer les conséquences du rapprochement. Ces travaux vont se prolonger durant plusieurs mois. Nous avons l'intention de pré-notifier l'opération à l'autorité européenne d'ici la fin du mois de novembre. Les travaux dureront entre douze et dix-huit mois, nous ferons les efforts nécessaires pour qu'ils soient le plus court possible.

Est-ce que je m'engage à poursuivre l'innovation ? Vous me le demandez parce que les gens de Suez affirment suivre une stratégie technologique, sous-entendant que Veolia n'en aurait pas. Or nous en avons depuis longtemps, regardez la progression des chiffres d'affaires des deux entreprises : sans innovation, Veolia n'aurait pas pu augmenter son chiffre d'affaires, et ce beaucoup plus rapidement que celui de Suez. Les deux entreprises ont des centres de recherche, des stratégies technologiques, sinon elles n'en seraient pas là où elles sont. Donc oui, je veux poursuivre et même accélérer l'innovation technique, sociétale, institutionnelle, commerciale, académique, une innovation « tous azimuts » ! La transformation écologique passera par l'innovation, ou elle ne sera pas. La moitié des solutions que nous utiliserons dans vingt ans ne sont pas encore disponibles.

Quelle est notre position par rapport à la décision judiciaire du 9 octobre, qui nous a reproché que le CSE de Suez n'ait pas été saisi du projet par Veolia ? Cette décision nous a surpris, car nous pensions que c'était à Suez de saisir son propre CSE. Nous avons contesté cette décision, surtout qu'elle porte sur l'acquisition de 29,9 % du capital, qui n'est pas une prise de contrôle de l'entreprise. Nous attendons la position de la justice en appel. Nous avons envoyé à la direction de Suez le même ensemble de documents que nous avons utilisés pour conduire la consultation chez Veolia, et nous souhaitons que Suez consulte sur cette base les instances représentatives de son personnel.

Vous parlez de notre projet de cession de Suez Eau France à Meridiam, je rappelle que c'est seulement une proposition que nous présentons à l'Autorité de la concurrence. Si elle considère que c'est une bonne solution, nous la mettrons en oeuvre, sinon nous la reverrons. Dans le domaine des déchets, l'autorité nous demandera, je suppose, des cessions sur des bases régionales, car le marché est régional, pour renforcer les autres acteurs français face à la concurrence. Ce qui est sûr, c'est que nous vendrons ces actifs à des sociétés qui s'engagent sur les aspects sociaux, comme nous l'avons fait.

La motivation de ce projet est-elle de faire disparaître mon premier concurrent ? Non, je veux m'associer, additionner les deux forces, pour que nous soyons plus forts demain, pour continuer à tenir le haut du pavé dans vingt ans. Si nous conservions deux champions français - dont l'un est à vendre aujourd'hui - il y a toutes les chances que, dans vingt ans, nous n'en n'ayons plus aucun, tant les marchés et les concurrents se développent vite, souvent à coups de moyens très importants. Ce qui s'est passé dans le monde industriel, nous le connaîtrons dans le monde du service : d'autres professions seront en concurrence avec de très grandes entreprises non européennes. La compétition économique entre les nations ne va pas se dissiper, l'appétence des peuples pour la prospérité non plus car l'exemple des dernières décennies montre que le développement est possible. Nous devons nous organiser pour faire face à cette compétition accrue, et dans notre secteur, nous en avons les moyens. Je ne veux donc pas faire disparaître mon concurrent, mais construire une grande entreprise mondiale.

Quelle est notre méthode et notre définition d'une OPA amicale ? La notion est définie en droit boursier : l'OPA est amicale lorsque l'entreprise cible voit son conseil d'administration recommander l'offre. C'est ce que j'ai souhaité ; je constate que le conseil d'administration de Suez, malgré mes nombreuses propositions - je vous ai apporté les courriers, puisque j'ai entendu dire que je ne voudrais pas dialoguer - m'a opposé une porte close. Cela m'a fait dire, la semaine dernière, que si le dialogue ne pouvait pas s'engager avec les dirigeants de Suez, je demanderais aux actionnaires de Suez de se prononcer, en faisant pression sur ce conseil administratif ou éventuellement, en le remplaçant.

Quelles sont mes raisons pour proposer Meridiam ? Je pense que c'est un opérateur de très long terme, qui connaît bien les collectivités locales, les investissements d'infrastructures, et qui est prêt à investir significativement.

Nos métiers créent de l'emploi, nous cherchons déjà des salariés, et plus nous développerons nos activités, plus nous créerons de l'emploi. Peut-on prolonger nos engagements au-delà de fin 2023, date qui viendra bien après l'élection présidentielle de 2022 ? Je suis certain que fin 2023, nous aurons créé de nouveaux emplois. Meridiam a pris le même engagement, à la demande d'Engie, et je demanderai aux repreneurs des activités dans le secteur des déchets de faire de même. Je renouvelle en outre ma suggestion : il n'est pas impossible que le Parlement puisse suivre, contrôler et sanctionner des engagements sur l'emploi. La sanction financière peut être dissuasive.

M. Daniel Salmon. - Monsieur le Président-directeur général, je vous ai écouté avec attention, je ne suis pas convaincu par vos propos car beaucoup d'éléments me semblent contradictoires. À Rennes, nous avions le plus vieux contrat de délégation d'eau, qui courait depuis 120 ans ; en 2015, nous avons mis en place une société publique locale (SPL), qui a montré depuis sa très grande efficacité. Cependant, lorsque nous avons mis en place cette SPL, les débats ont été très vifs avec Veolia, qui mettait en avant tout l'intérêt de la concurrence, en particulier avec Suez, son principal concurrent. Je vois donc mal les raisons de ce revirement et j'ai du mal à comprendre comment, en rachetant ce concurrent, vous prétendez conforter la concurrence. Vous nous dites que la concurrence véritable se situe en Chine, mais, en ce cas, allez-vous parvenir à conserver l'emploi sur notre territoire ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous voulez créer un champion mondial de la transformation écologique - vaste programme, aurait dit le général de Gaulle -, je voudrais vous parler du secteur de l'eau, stratégique à l'heure du changement climatique. L'accès à une eau de qualité à un prix abordable est un sujet qui préoccupe particulièrement les Français quand les épisodes de sécheresse se multiplient : en quoi votre projet répond-il à cette préoccupation ?

Les Assises de l'eau ont démontré la nécessité de renouveler davantage le réseau : comment le faire en encourageant l'utilisation de produits français ? Il est choquant de voir installer des canalisations en acier turc, alors que Pont-à-Mousson en propose en fonte de très bonne qualité : en quoi votre projet soutiendra-t-il l'industrie française ?

M. Fabien Gay. - Monsieur le Président-directeur général, je dis « chiche ! » à votre suggestion de suivi par le Parlement de vos engagements en matière d'emploi, qui serait doté de pouvoirs de sanctions : il faut y réfléchir, c'est intéressant.

Quand on vous parle de risque de casse sociale, vous êtes habile en nous citant l'exemple des éboueurs car oui, là où il y a aujourd'hui dix éboueurs, il en faudra encore dix demain, encore que vous trouverez bien un moyen qu'il n'y en ait plus que huit, puis sept, puis six... Mais les synergies, nous en connaissons la musique : vous allez commencer par piocher dans les postes d'ingénieurs, de chercheurs, puis vous prendrez chez les ouvriers - on l'a vu à chaque fois, il n'y a pas un seul exemple au monde où la fusion ne se soit pas traduite par des pertes d'emplois. C'est bien pourquoi vous ne vous engagez pas après 2023...

Ensuite, nous n'avons pas les pouvoirs d'une commission d'enquête, aussi vous nous direz ce que vous voudrez bien nous dire, mais nous lisons aussi la presse et, pour ma part, je ne crois pas qu'Engie puisse envisager de vendre autant de parts de Suez à Veolia, sans que l'État ait son mot à dire - ou alors c'est très grave, car cela signifie qu'il n'y a plus de régulation, contrairement à ce que dit M. Bruno Le Maire et à la loi « Pacte ». Je n'accuse personne, mais je vois aussi, en lisant la presse, que M. Ismaël Emelien, qui a été conseiller à l'Élysée, vous conseille à travers la société qu'il a créée - et je n'oublie pas que vous avez conseillé M. Emmanuel Macron quand il était à Bercy - donc je ne crois pas que l'État n'ait pas son mot à dire alors même qu'il est actionnaire d'Engie. Nous avons besoin de transparence et c'est à vous de la faire : vous pouvez me dire que tout ce que raconte la presse est faux, mais la question est là et elle entache cette opération.

Mme Marta de Cidrac. - Vous avez partagé votre souhait de créer des synergies, en particulier pour l'innovation. Veolia et Suez assurent des services essentiels à nos collectivités territoriales et à l'ensemble des Français. Cependant, dans ce contexte difficile de crise sanitaire, ne pensez-vous pas qu'une opération de rapprochement - j'utilise votre sémantique - avec Suez risque de déstabiliser tous les opérateurs et les collectivités, alors que la régularité de ces services essentiels doit être assurée ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Après l'audition, la semaine dernière, des dirigeants de Suez, j'ai aujourd'hui mieux compris quel était votre propre positionnement, face au risque que des groupes étrangers rachètent Suez, risque qui n'est pas négligeable et surtout pas acceptable. Vous contestez les dires des dirigeants de Suez lorsqu'ils affirment que le rachat par Veolia ferait disparaître 10 000 emplois, dont la moitié en France : votre engagement de conserver l'intégralité des emplois concerne-t-il aussi les emplois à l'étranger ? Si la fusion se réalise, quelle est votre vision sur le développement à l'international, des activités de Veolia et de Suez, et notamment sur les synergies qu'il est possible d'envisager ?

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le Président-directeur général, vous nous inondez de chiffres et vous êtes certain de votre fait ; mais cette opération financière ne concerne pas seulement les actionnaires et la démocratie actionnariale, comme vous le dites, il concerne aussi les nombreux salariés des deux groupes qui s'inquiètent pour leur avenir. Votre communication est offensive, vous présentez votre projet d'acquisition comme protecteur pour les salariés, mais vous ne parlez pas de la disparition d'un siège social, ni de la réduction de certaines branches, ni encore des doublons. Comment envisagez-vous concrètement la gestion des salariés si cette fusion devait aboutir ? Nous garantissez-vous que la recherche d'économies ne se fera pas au détriment des salariés et de leurs droits ?

Mme Sophie Primas, présidente. -Comment voyez-vous la période de transition pour vos clients que sont les collectivités territoriales ? Des appels d'offres sont en cours, on nous demande ce qu'il va en devenir, car Suez est en position d'incertitude, difficile pour s'engager à long terme.

Vous nous dites ne pas avoir eu de contact avec l'Élysée mais avec les « pouvoirs publics » : de qui s'agit-il ? Si c'est avec le ministre de l'économie, des finances et de la relance, ce qui ferait sens, comment expliquez-vous la position pour le moins réservée de M. Bruno Le Maire et le vote de l'État actionnaire d'Engie lors de la vente des 29,9 % de Suez ? Enfin, vous avez déjà engagé beaucoup d'argent pour acheter les 29,9 % de Suez, vous allez continuer avec l'OPA : quel en est l'impact sur la dette de Veolia ?

M. Antoine Frérot - Je n'ai pas eu de conversation avec l'Élysée ni les pouvoirs publics, mais j'ai informé les pouvoirs publics, c'est-à-dire Matignon et Bercy, avant de rendre public notre projet le 30 août. L'État a-t-il été prévenu qu'Engie voulait vendre ? Vous avez interrogé M. Clamadieu, Engie a voté la cession de Suez, je ne sais pas quelle a été alors la position de l'État ; en revanche, une fois cette décision rendue publique, elle signifiait qu'une grande entreprise française était en vente - quelqu'un allait donc l'acheter. Je persiste : le meilleur projet, pour les salariés, pour les actionnaires, les clients, les fournisseurs des deux groupes, et la France, c'est notre projet.

Concernant les synergies et l'avenir des sièges, d'abord, il n'y aura pas de suppression de postes opérationnels à cause du rapprochement. Au siège de Suez, ensuite, il y a 750 personnes : 150 dirigent l'activité eau en France, elles rejoindront Meridiam ; la moitié des quelque 600 autres salariés est affectée à la recherche, l'innovation, la construction de projet et la direction juridique : j'en ai besoin pour le rapprochement, pour développer des projets de transformation écologique, je vais même embaucher. Restent les autres fonctions « supports » - la finance, les ressources humaines, achat, comptabilité -, une partie, je dirais les deux-tiers, donc 200 salariés, pourront continuer d'exercer leurs fonctions, je peux en prendre l'engagement au nom d'un groupe qui fera 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires et qui est présent dans le monde entier - je pourrai revenir chaque année devant vous pour en rendre compte. J'ajoute que Veolia a l'habitude d'acquérir des sociétés et de gérer des engagements sociaux sans difficulté, je vous ai parlé d'Osis et ses 3 000 salariés.

Il n'y a guère de revirement, Monsieur Salmon, entre ce que vous avez vécu à Rennes et ce que je propose aujourd'hui. En créant une SPL, vous avez décidé de revenir à une forme de régie, donc à moins de concurrence, je maintiens mon point de vue : vous avez eu tort de vous passer de concurrence ; et mon projet, c'est bien de maintenir la concurrence, probablement davantage encore demain qu'aujourd'hui, pour que cette concurrence serve d'émulation dans la gestion déléguée.

La gestion de l'eau, ressource rare, l'accès à une eau de qualité sont des enjeux croissants : ce thème fait partie intégrante de la transformation écologique, au sens large, en particulier la question de nourrir plus d'êtres humains en utilisant moins d'eau, moins d'énergie et moins de sol. La réutilisation des eaux usées est une solution clé, encore faut-il en avoir la technique : nous savons garantir l'innocuité de l'eau, il faut aussi stocker l'eau l'hiver pour son utilisation l'été sans polluer les nappes. De même, pour utiliser moins d'eau dans l'agriculture, dans l'extraction minière, dans l'aquaculture, nous avons des problèmes à résoudre et nous le ferons mieux en étant regroupés.

Quel financement pour renouveler nos réseaux ? Je crois que les prélèvements des agences de l'eau pourraient être davantage utilisés pour investir qu'ils ne le sont aujourd'hui
- c'est une première piste. Sur le choix des canalisations, ensuite, vous faites référence aux difficultés de Pont-à-Mousson, l'entreprise française qui fabrique les meilleures canalisations du monde. Veolia achète pour 40 millions d'euros de produits par an, et si Pont-à-Mousson a des difficultés, ce n'est pas le fait des entreprises françaises. Le problème, c'est qu'en dehors de l'Europe, la situation est beaucoup plus difficile car des fabricants asiatiques ont pris la place, avec des produits moins bons, mais moins chers. Une entreprise rassemblant Veolia et Suez sera plus forte pour diffuser plus largement les canalisations en fonte que fabrique Pont-à-Mousson et qui sont les meilleures du monde. Un champion français pourrait renforcer sa solidarité vis-à-vis des autres entreprises françaises.

Comment envisageons-nous la période de transition ? Tant que l'OPA n'est pas conclue, les deux entreprises sont concurrentes, il n'y aura donc aucun changement. Elles resteront concurrentes puisqu'elles conserveront chacune son portefeuille de clients, elles auront à coeur d'accroitre ce portefeuille, pour l'eau comme pour les déchets.

La dette de Veolia est soutenable, notre entreprise a suffisamment éprouvé les problèmes d'une dette trop importante, que j'ai réglés il y a dix ans, pour que je sois tenté de recommencer, et nous avons conçu le projet de rachat pour que la dette soit soutenable. Nos activités sont de long terme, nous pouvons supporter une dette représentant peu ou prou le triple du cash flow. À fin 2019, nous n'atteignons pas ce chiffre. Nous ferons une augmentation de capital, nous l'avons annoncée à deux reprises, et nous nous emploierons à rester à ce niveau d'endettement pour conserver notre notation sur les marchés.

En conclusion, je reviens à mon propos initial : l'entreprise Suez est à vendre, notre projet est le meilleur pour nos deux grandes entreprises, pour tous leurs salariés, pour leurs créatifs, parce que nous innoverons et que nous resterons français. Les salariés des deux groupes seront traités avec équité, chacun participera de manière équitable à cette formidable aventure consistant à créer ce grand champion français, utile d'abord aux territoires français, et capable de tenir son rang dans vingt ans, dans un secteur en pleine expansion et dans lequel nous devons encore inventer la moitié des solutions techniques que nous utiliserons alors - des solutions que nous pourrons proposer en premier aux territoires français parce que nous les aurons trouvées en premier.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour ces précisions, nous aurons d'autres occasions de vous interroger, après avoir avancé dans nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17h45.