Mardi 29 septembre 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 15 h 35.

Projet de loi de finances pour 2021 - Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2021 et au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de féliciter tous les collègues qui ont pris part dimanche aux élections sénatoriales et de les remercier de leur présence dès aujourd'hui pour entendre le président du Haut Conseil des finances publiques.

M. Pierre Moscovici vient en effet nous présenter l'avis du Haut Conseil relatif aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, avant que les ministres Bruno Le Maire et Olivier Dussopt nous détaillent demain ces deux textes de loi très attendus.

Il nous est en effet apparu important de ne pas différer le début de cette traditionnelle séquence budgétaire, malgré les circonstances liées au renouvellement sénatorial, compte tenu des délais d'examen du budget toujours serrés. Nous avions procédé selon les mêmes modalités lors du précédent renouvellement.

Alors que la crise sanitaire se traduit par des incertitudes exceptionnellement élevées, tant sur le plan macroéconomique que budgétaire, l'avis du Haut Conseil est important pour éclairer la représentation nationale sur l'évolution de nos finances publiques et la sincérité du projet de loi de finances.

Je laisse la parole au Premier président de la Cour des comptes et, à ce titre, président du Haut Conseil des finances publiques.

M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m'avoir invité, malgré le renouvellement sénatorial, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions de notre avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2021.

C'est la deuxième fois que je viens devant vous en tant que président du Haut Conseil. J'y suis également venu en tant que président de la Cour des comptes.

À l'occasion de ma première audition relative au troisième collectif budgétaire, qui a eu lieu une semaine après ma nomination, je vous avais fait part de mon attachement sincère au Haut Conseil, une institution que j'ai portée sur les fonts baptismaux en 2012, alors j'étais ministre de l'économie et des finances.

J'avais aussi souligné à cette occasion la double orientation nationale et européenne du Haut Conseil. Le Haut Conseil, comme vous le savez, est chargé de veiller à la sincérité des prévisions macroéconomiques et de finances publiques établies par le Gouvernement français, mais il est également compétent pour apprécier la cohérence de la trajectoire des finances publiques au regard de nos engagements européens et des règles en vigueur en la matière.

Je vous avais d'ailleurs indiqué mon souhait d'approfondir les relations entre cet organisme et le Parlement. Je tiens aujourd'hui à vous le répéter avec conviction : éclairer le législateur constitue le coeur de la mission du Haut Conseil. Pour les parlementaires, disposer d'un tiers de confiance indépendant est effectivement nécessaire à la qualité et à la sincérité des prévisions gouvernementales sur lesquelles sont établis les textes financiers qui vous sont soumis.

Assurer cette mission suppose que le mandat et les moyens confiés au Haut Conseil soient adaptés à cet enjeu démocratique, mais aussi aux enjeux de finances publiques que nous impose la crise sanitaire et économique que nous traversons. J'aurai l'occasion d'y revenir dans quelques instants, en conclusion de mon propos, en partageant avec vous certaines réflexions sur la modernisation de la gouvernance des finances publiques.

J'en viens à la saisine du Haut Conseil. Quelques mots sur le contexte international tout d'abord. Dans la continuité de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, le PLF pour 2021 est évidemment marqué par le choc économique de très grande ampleur qui a touché l'économie mondiale au premier semestre 2020 en raison de la crise sanitaire.

La chute d'activité causée par l'épidémie et les mesures de restriction sanitaire présente en fait le même profil dans la plupart des économies du monde. Ce n'est ni un V, pour reprendre l'idée d'une forte chute suivie d'une remontée rapide, ni un W, en tout cas à ce stade, qui reflète l'image d'un double plongeon. Il s'agit bel et bien d'une racine carrée. Cela signifie que le PIB mondial s'est très nettement replié au premier semestre, avant de connaître un rebond très vigoureux mais incomplet au cours du second semestre. Le retour à la normale de l'activité et à la norme 2019 devrait selon l'ensemble des prévisions être lent.

Les économies enregistrent bien sûr un recul et un rebond de l'activité d'ampleur et de temporalité diverses, mais le profil d'ensemble est très largement partagé au niveau mondial, en tout cas dans les grandes économies industrialisées occidentales. L'activité de la zone euro, en particulier, se serait située près de 15 % en dessous de son niveau d'avant-crise.

Selon le consensus des prévisionnistes, cet écart devrait se résorber progressivement, mais l'activité dans son ensemble ne retrouverait son niveau d'avant-crise qu'à la mi-2022.

D'après les dernières données disponibles, ce rebond de l'économie mondiale ne serait aujourd'hui que partiel. Plusieurs indicateurs signalent effectivement depuis juillet que le rattrapage, qui était très fort au début de l'été, commence à s'essouffler, freiné notamment par certains secteurs des services, comme le transport aérien, l'hôtellerie ou encore la restauration, pour lesquels des restrictions d'origine sanitaire perdurent ou s'aggravent.

Les perspectives de croissance de l'économie mondiale restent par ailleurs soumises aux doutes qui entourent l'évolution des conditions sanitaires. Les incertitudes sur la maîtrise de l'épidémie comme sur le développement d'un vaccin demeurent exceptionnellement élevées, ce qui fragilise incontestablement l'exercice de prévision.

Croyez bien qu'en vous présentant cet avis, nous faisons preuve de la modestie qu'impose cette situation.

Ce contexte général étant posé, je vais vous présenter les trois principaux messages du Haut Conseil.

Le premier message porte sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement, que nous estimons plausibles.

Le second message tient à la nécessité absolue d'adopter selon nous le plus tôt possible, en fait dès le printemps 2021, une nouvelle loi de programmation des finances publiques, l'actuelle étant évidemment caduque.

Le dernier message concerne la soutenabilité de la dette publique, qui doit constituer la boussole de la stratégie de finances publiques de la France et appelle une grande vigilance.

Le scénario macroéconomique du Gouvernement subit, comme chez la plupart de nos partenaires, une évolution en racine carrée. Pour 2020, le Gouvernement prévoit en conséquence un recul du PIB français de 10 % en volume, chiffre en légère amélioration par rapport à la prévision du troisième PLFR pour 2020, qui se situait à 11 %.

La prévision de fin mai avait d'ailleurs été jugée prudente par le Haut Conseil, qui pensait qu'un certain nombre de facteurs permettraient de limiter la récession. Pour 2020, le Gouvernement prévoit un rebond de l'activité de 8 %.

Le Haut Conseil considère le scénario macroéconomique d'ensemble à l'horizon 2021, en cumulant 2020 et 2021, comme plausible. Ce qualificatif, nous l'utilisons pour les prévisions d'activité économique, mais aussi d'inflation, d'emploi et de masse salariale.

En 2021, l'activité s'établirait en fin de période à 2,7 % en-dessous de son niveau de 2019, ce qui est un montant proche des autres prévisions disponibles. Cela dépendra étroitement, en tout état de cause, de l'évolution de la situation sanitaire, mais je veux immédiatement introduire une nuance : si nous estimons que le scénario macroéconomique d'ensemble est plausible d'ici 2021, nous portons un regard un peu différent de celui du Gouvernement sur la chronique annuelle.

Pour 2020, sauf aggravation marquée de la situation sanitaire d'ici la fin de l'année - qui n'est pas à exclure et qui compromettrait une reprise du travail dans le pays -, nous considérons que la prévision d'activité est prudente. Le recul du PIB devrait être un peu moindre que prévu. Disons que le consensus des prévisionnistes tourne plus autour de - 9 % que de - 10 %.

Pour 2021, à l'inverse, l'ampleur du rebond pourrait être plus limitée que prévu par le PLF pour 2021. Ce rebond repose en effet sur l'hypothèse forte d'une amélioration de la situation sanitaire tout au long de l'année 2021, qui n'est pas certaine, mais aussi sur l'hypothèse, que nous considérons comme volontariste, d'un effet important des mesures du plan de relance sur la croissance. Le Gouvernement l'estime à 1,1 point de PIB, ce qui s'ajouterait notamment aux effets attendus des plans de relance chez nos partenaires. Il y a peut-être là une nuance avec le Gouvernement.

Par exemple, nous pensons que l'effet du plan de relance sur l'investissement public local, que le Sénat connaît bien, pourrait être un peu moins fort en 2021 que prévu par la loi de finances, en raison de délais inhérents à l'instruction de dossiers d'investissement et du niveau déjà élevé des capacités de production du secteur du bâtiment. Nous pourrions donc avoir un léger tassement ou une difficulté dans la mise en oeuvre du plan de relance au niveau local.

Sur le fondement de ces hypothèses économiques, le Gouvernement prévoit un niveau de déficit absolument inédit depuis plus de soixante-dix ans : il s'établirait à 10,2 % du PIB en 2020, puis à 6,7 % du PIB en 2021. Ces prévisions sont assez proches de celles que le Gouvernement vous a présentées l'été dernier lors du débat d'orientation des finances publiques. Comparé au rapport préparatoire à ce débat, le PLF prévoit un solde public en amélioration de 1,2 point en 2020 mais, symétriquement, une dégradation de 1,2 point en 2021. Cette prévision prend en compte la révision des hypothèses macroéconomiques et les nouvelles mesures de soutien à l'activité décidées dans le cadre du plan de relance.

Là encore, le Haut Conseil estime que le solde public nominal prévu pour 2020-2021 est atteignable, même si des incertitudes entourent les conditions sanitaires et les évolutions macroéconomiques.

Au-delà du déterminant sanitaire, nous nous sommes attachés à identifier les principaux risques qui affectent les prévisions de recettes et de dépenses sur la base des informations dont nous disposons. S'agissant des prélèvements obligatoires, nous estimons les prévisions cohérentes avec le scénario macroéconomique. Nous relevons que le Gouvernement fait l'hypothèse que les exonérations temporaires de cotisations pour les entreprises des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire ne seront pas prolongées en 2021. Si cela ne se vérifiait pas, les recettes publiques seraient alors dégradées.

S'agissant des prévisions de dépense publique, nous estimons vraisemblables les risques à la hausse comme à la baisse. Du côté baissier, la mise en oeuvre des investissements prévus dans le cadre du plan de relance pourrait être plus lente qu'attendue, ce qui se traduirait par un report de dépenses sur 2022 et les années ultérieures.

Par ailleurs, la charge de la dette pourrait être un peu moins élevée - mais c'est traditionnel - que dans la prévision du PLF pour 2021, du fait d'hypothèses de taux d'intérêt qui sont comme à l'accoutumée relativement conservatrices.

Du côté haussier, nous relevons un risque sur le niveau attendu des dépenses de santé. Le PLF pour 2021 prévoit une enveloppe de 4,3 milliards d'euros pour faire face à la crise sanitaire en 2021, contre des dépenses actuellement estimées à 10,1 milliards d'euros pour 2020. En particulier, les dépenses associées à une éventuelle campagne de vaccination pourraient se révéler supérieures de 1,5 milliard d'euros à celles prévues par le PLFSS pour 2021.

En dépit de ces aléas, le Haut Conseil estime dans l'ensemble que les prévisions de finances publiques sont atteignables et ne sont pas irréalistes.

J'en viens au deuxième message porté par l'avis du Haut Conseil à propos de la nécessité d'adopter une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Qu'il s'agisse du scénario macroéconomique ou de la trajectoire de finances publiques, la LPFP du 22 janvier 2018 est définitivement caduque.

En effet, l'estimation du PIB potentiel retenue par cette loi, adoptée deux ans avant la crise, est obsolète. L'ampleur du choc subi par l'économie française devrait avoir un impact durable sur l'appareil productif, sous l'effet notamment du recul de l'investissement. Dans les documents qui ont été fournis au Haut Conseil, le Gouvernement considère d'ores et déjà que le niveau du PIB potentiel devrait être révisé à la baisse de 1,5 point en 2020, puis de plus de 2 points en 2021 par rapport aux hypothèses de la loi de programmation.

Plus généralement - et ce n'est pas une critique -, la trajectoire financière de la loi de programmation n'anticipait évidemment pas le choc sur les finances publiques que nous observons en 2020 et que nous constaterons encore en 2021.

Souvenons-nous que la loi de programmation prévoyait un déficit public égal à 1,5 point de PIB en 2020 et 0,9 en 2021, prévisions bien éloignées de celles présentées par le PLF pour 2021.

La difficulté vient du fait que, bien que caduque, cette loi de programmation constitue, aux termes de la loi organique de 2012 - que je connais bien, puisque je l'ai fait voter par le Parlement quand j'étais ministre des finances - la référence pour le PLF qui vous est soumis, ainsi que pour le Haut Conseil et la Commission européenne, et ce à double titre : tout d'abord, le Haut Conseil doit s'appuyer sur la croissance potentielle telle qu'établie par la loi de programmation en vigueur, même si elle n'a plus aucun sens. Le solde structurel est ainsi calculé, dans le PLF pour 2021, avec la même hypothèse de croissance que la loi de programmation, même si celle-ci n'est absolument plus pertinente.

Ainsi, la révision à la baisse de la croissance potentielle telle qu'estimée actuellement par le Gouvernement conduira à accroître le déficit structurel de plus d'un point en 2021.

En outre, le Haut Conseil doit comparer la trajectoire budgétaire prévue par le PLF à celle de la loi de programmation. À cet égard, le Haut Conseil constate que l'écart de solde structurel prévu en 2021 s'élève à - 2,4 points de PIB par rapport à la loi de programmation de 2018, ce qui constitue un écart important au sens de la loi organique de 2012. Le solde structurel présenté par le Gouvernement se dégraderait ainsi de 1,4 point entre 2019 et 2021 et s'établirait à - 3,6 % de PIB en 2021, très loin de l'objectif de déficit structurel de - 1,2 % du PIB fixé par la loi de programmation.

Je soumets la conclusion aux parlementaires : puisque les anciens repères économiques et financiers sont devenus inadaptés, le Haut Conseil estime tout à fait nécessaire d'en changer dès que possible, sans attendre que la crise économique, sociale voire sanitaire soit derrière nous, c'est-à-dire lorsque la situation se sera stabilisée et que l'horizon sera plus lisible.

Au total, le Haut Conseil invite le Gouvernement à présenter dès le printemps 2021 une nouvelle loi de programmation des finances publiques, qui permettra d'établir une stratégie de finances publiques de moyen terme, fixera notamment une nouvelle trajectoire d'évolution du PIB et du PIB potentiel, ainsi que des finances publiques, conformément à la loi organique de 2012. Cela permettra de fonder les appréciations de chacun sur des critères correspondant aux réalités d'aujourd'hui plus qu'à celles d'hier, que la crise rend totalement caduques.

Avant de conclure, je vous livre le troisième message principal porté par l'avis du Haut Conseil, concernant la soutenabilité de la dette.

Selon le scénario du Gouvernement, la dette publique s'élèverait à 117,5 points de PIB en 2020, soit une hausse de près de 20 points par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Le ratio de dette publique reculerait en 2021, mais très légèrement, à 116,2 points de PIB. Cette perspective d'une baisse limitée du ratio de dette publique liée au très fort rebond du PIB attendue par le Gouvernement est fragile et pourrait être remise en cause si le rebond de l'activité était moindre.

En tout état de cause, constatons que la dette va connaître une augmentation massive par rapport à la situation d'avant la crise, ce qui résulte à la fois du choc économique inédit, mais aussi de la réponse budgétaire apportée pour y faire face, qui est tout aussi massive.

Le ratio de dette publique s'établirait ainsi en 2021 à 18 points de PIB au-dessus de son niveau d'avant la crise et 22 points de PIB au-dessus de celui prévu par la loi de programmation.

Cette évolution n'intervient pas dans un ciel serein, puisqu'elle arrive après une décennie quasi ininterrompue de hausse de la dette. Or le contexte de croissance potentielle affaiblie rend plus difficile son reflux. Selon nous, la soutenabilité à moyen terme de la dette publique constitue un enjeu central de la stratégie budgétaire de la France. Elle appelle à cet égard la plus grande vigilance.

Je sais que, chez les économistes comme chez les politiques, des débats commencent à naître. Et si l'on annulait la dette ? Bonjour les épargnants ! Et si l'on monétisait totalement la dette ? La Banque centrale en prend déjà une bonne part : je ne pense pas qu'elle aille jusqu'à une monétisation absolue. Les textes ne le permettent d'ailleurs pas. Et si l'on mutualisait la dette ? Un début de mutualisation de la dette commence à avoir lieu avec le plan européen de relance, mais nous n'en sommes pas pour autant à ce stade.

Conclusion : nous retrouverons toujours la dette sur notre chemin, et c'est un fardeau qui pèsera sur les générations futures. Une dette finit par être remboursée. Nous avons rendez-vous avec elle. C'est pourquoi nous envoyons un message de vigilance.

Je termine en partageant avec vous quelques réflexions sur la gouvernance des finances publiques, et particulièrement - pardonnez-moi de plaider pour ma chapelle - sur le mandat du Haut Conseil.

La crise qui a touché la France et le monde entier se traduit par un choc massif sur les finances publiques, et notamment sur l'encours de la dette publique, je viens de le dire. Au regard de cette situation, je suis persuadé qu'une refondation de la stratégie budgétaire est indispensable pour assurer la soutenabilité de la dette publique et le meilleur usage des deniers publics. La Cour des comptes s'est d'ailleurs exprimée à ce sujet dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, publié en juin dernier, que j'ai présenté devant vous.

Pour faire respecter et mettre en oeuvre cette stratégie, il faut un renforcement de la gouvernance budgétaire. Je vous rappelle qu'en 2012, à la suite de la crise financière de 2008, puis de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, les gouvernances française et européenne des finances publiques avaient été refondées pour éviter que les difficultés alors rencontrées ne se reproduisent à l'avenir.

Dans le prolongement du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), la loi organique de 2012 avait introduit dans le droit français un ensemble de dispositifs visant à favoriser une maîtrise durable des finances publiques. Elle avait notamment fondé le Haut Conseil des finances publiques.

Après le choc que nous connaissons aujourd'hui qui est, je le répète, totalement inédit depuis la Seconde Guerre mondiale, il m'apparaît nécessaire de compléter l'architecture élaborée en 2012 pour franchir une nouvelle étape dans l'amélioration du pilotage des finances publiques en France.

La Cour des comptes va s'exprimer sur ce sujet à l'automne. Mon propos n'est pas d'anticiper ici le rapport qui vous sera présenté, mais de vous dire ce que j'en pense avec ma casquette de président du Haut Conseil.

Depuis sa création, notre jeune institution budgétaire indépendante a contribué à l'amélioration du réalisme des hypothèses macroéconomiques. C'est un constat étayé par des analyses économiques de très grande qualité, vous en conviendrez quelles que soient vos sensibilités, que réalise le Haut Conseil de manière indépendante.

Toutefois, notre mandat - j'insiste sur ce point - est significativement plus réduit que celui de nos homologues européens, tout comme nos moyens. C'est à mes yeux insuffisant pour assurer la surveillance indépendante de la trajectoire des finances publiques et éclairer les autorités, les citoyens et les parlementaires sur les risques liés à la situation de nos finances publiques. Nous allons maintenant échanger des questions et des réponses. Je ne pourrai vous répondre que dans le cadre du mandat qui est le mien. Je serai donc frustré et je vais vous frustrer. Je pense que nous pourrions faire beaucoup plus.

Je citerai trois limites. En premier lieu, la loi organique de 2012 n'a pas formellement confié au Haut Conseil des finances publiques la mission d'apprécier le réalisme des prévisions de finances publiques, qu'il s'agisse des recettes, des dépenses ou du déficit public.

Dans l'exercice de notre mandat actuel, nous ne pouvons faire abstraction de ces considérations. Elles font régulièrement l'objet de développements dans notre avis, mais notre analyse reste limitée dans sa portée par la loi organique.

Deuxième écueil : le Haut Conseil n'est pas non plus compétent pour examiner la réalité de l'évaluation de l'impact financier ou socio-économique des mesures, quand bien même celles-ci seraient déterminantes pour apprécier le réalisme de la trajectoire des finances publiques. Si vous me demandez ce que je pense de telle ou telle mesure, je ne vous répondrai pas, car il s'agirait d'une réponse personnelle et non d'une réponse du Haut Conseil. Avec un mandat un peu plus élargi, je pourrais vous répondre non pas à partir d'un jugement mais d'une évaluation précise des choses.

Troisième limite - et ce sera mon dernier exemple, sans que la liste ne soit pourtant exhaustive : le mécanisme de correction ex post n'a pas fait preuve de son efficacité. Il a été créé par la loi organique 2012, mais son déclenchement par le Haut Conseil en cas d'écart significatif avec la trajectoire de solde structurel de la loi de programmation est beaucoup trop tardif. Parce qu'il intervient seulement une fois les écarts constatés, il ne semble pas permettre d'assurer le plein respect des trajectoires pluriannuelles.

Au regard de ces limites et de l'enjeu central que constitue la soutenabilité de la trajectoire de dette publique, il me semble que des ajustements de la gouvernance des finances publiques seraient nécessaires. J'ai d'ailleurs demandé au rapporteur général du Haut Conseil, Éric Dubois, ici présent, de réfléchir aux évolutions souhaitables du mandat de notre institution budgétaire indépendante dans une logique de transparence de nos travaux, mais aussi de rénovation de notre gouvernance. Le rapport qu'il me remettra vous sera transmis et sera rendu public.

Je pense que cela appelle un toilettage de la loi de 2012 limité mais significatif. Comparé aux autres institutions européennes de notre secteur, le Haut Conseil, même s'il est selon notre tradition indépendant, est celui qui a le mandat et les moyens les plus faibles. Il faut adapter ses moyens aux nouveaux enjeux.

D'ailleurs, le PLF pour 2021 prévoit un accroissement très significatif des moyens humains du Haut Conseil et je m'en réjouis. Si ceci est confirmé par l'adoption de la loi de finances, cela permettra de renforcer dès le début de l'année prochaine notre expertise économique et notre capacité d'analyse au service des citoyens et du Parlement.

Je reviendrai devant vous - car je suis têtu - avec ces propositions qui, je pense, sont d'intérêt général : tiers de confiance, indépendance, expertise renforcée et moyens adaptés.

Voilà les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous. Je suis évidemment à votre disposition pour répondre à vos questions dans la limite du mandat du Haut Conseil.

M. Vincent Éblé, président. - Merci, monsieur le président. Nous vous avons entendu.

J'invite le rapporteur général à nous faire part de ses questions.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci, monsieur le président. Je suis, mes chers collègues, très heureux de vous retrouver.

Monsieur le président du Haut Conseil, vous êtes dans le cadre de votre mandat, mais vous ne perdez pas tout à fait le sens de la vie parlementaire, puisque vous avez déjà passé quelques messages sur les moyens du Haut Conseil. On a bien compris votre invitation à voter cette augmentation des moyens du Haut Conseil.

Nous sommes très admiratifs de la capacité du Haut Conseil à émettre un avis en ce moment. Lors de votre dernière audition, j'avais cité Le Soulier de satin de Paul Claudel en disant que le pire n'est pas toujours sûr. En ce moment, on peut dire que le meilleur ne l'est pas davantage !

Nous sommes dans une grande période d'incertitude et mesurons tous avec modestie la difficulté de l'exercice qui consiste à rendre un avis sur le PLF et le PLFSS pour 2021.

En effet, les doutes sont extrêmement nombreux. Je ne parlerai évidemment pas de l'évolution du contexte sanitaire, n'ayant aucune compétence pour cela. En revanche, ma première question portera sur l'impact du plan de relance. J'ai bien étudié le document qui nous est parvenu lundi : il s'agit plus de la présentation d'un plan de relance que d'un PLF, avec un effet sur l'activité estimé par le Gouvernement à 1,1 point de PIB. Vous notez dans votre avis que la mise en oeuvre de ce plan de relance pourrait être plus lente que prévu. C'est une question que nous avons collectivement adressée au Gouvernement en séance : on peut afficher un beau plan de relance à 100 milliards d'euros mais on connaît la capacité des administrations françaises à recréer des procédures. L'incertitude relative aux décaissements et au calendrier de mise en oeuvre constitue donc un véritable sujet. Je partage ainsi votre préoccupation. Mais il existe aussi une incertitude concernant l'effet « multiplicateur » du plan de relance sur l'activité, sujet qui n'est pas abordé dans l'avis. L'hypothèse retenue par le Gouvernement en la matière vous semble-t-elle crédible ?

Une autre de mes questions portera sur la dette. Je siégeais déjà dans cette commission lors de la crise de 2008-2009, qui était bien évidemment d'une nature tout à fait différente. Il s'agissait alors d'une crise de liquidité. Aujourd'hui, il n'y a pas de problème pour emprunter sur les marchés, au contraire. Nous empruntons à des taux négatifs de - 0,2 % à dix ans, et le Gouvernement prévoit une remontée des taux d'intérêt à 0,7 % en 2021. Cette remontée des taux est nettement plus forte que celle que prévoient les autres pays européens, les marchés et les instituts de conjoncture. On a assisté plusieurs fois à cette présentation consistant à être un peu plus pessimiste que le consensus des économistes pour ensuite bénéficier d'un certain nombre de marges de manoeuvre dans l'exécution. N'est-ce pas de nouveau le cas ?

Enfin, vous avez très justement indiqué que la soutenabilité à moyen terme des finances publiques appelle à la plus grande vigilance. La commission des finances dans son ensemble ne peut que partager l'idée qu'après la relance devra venir le temps de la consolidation budgétaire, afin de reconstituer des marges de manoeuvre. La difficulté sera d'opérer cette transition au bon moment, pour ne pas casser la reprise. Pouvez-vous nous éclairer sur les critères susceptibles de définir le calendrier pertinent en la matière ? Faudrait-il par exemple entamer le redressement des comptes publics dès que le PIB aura retrouvé son niveau de 2019, ce qui se produira en 2022 d'après la trajectoire gouvernementale, alors même que l'écart de production sera toujours négatif ?

M. Vincent Éblé, président. - La parole est aux commissaires.

M. Claude Raynal. - Monsieur le président, je suis d'accord avec Albéric de Montgolfier pour dire que l'exercice est difficile. Tous les exercices de ce genre le sont : établir un PLF est compliqué et donner un avis sur ce PLF est risqué pour le Haut Conseil. On ne peut donc que saluer cette tentative.

Toutefois, je m'attendais très sincèrement, s'agissant du projet de loi de finances, à un chiffrage ou une étude médiane, accompagnée d'un scénario pessimiste et d'un autre plus optimiste. Je ne pensais pas à un PLF aussi « carré » que d'habitude, étant donné les circonstances. On pouvait espérer un scénario de base sur lequel bâtir quelque chose. Je souhaiterais connaître votre avis sur ce point.

Peut-être une relecture aura-t-elle lieu dans six mois, mais un jeu d'hypothèses nous aurait permis d'encadrer la discussion et d'évaluer l'ensemble des risques, car on a du mal à comprendre pourquoi on choisit tel niveau plutôt que tel autre en matière de calcul des recettes et des dépenses.

En outre, si l'on a bien compris que la loi de programmation était caduque, faut-il vraiment se lancer à nouveau dans l'exercice d'ici quelques mois ? Ne vaut-il pas mieux attendre la fin de la pandémie ou de la crise sanitaire ? Ne risque-t-on pas de la réécrire pour rien ? Pourquoi une telle urgence selon vous ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Monsieur le président, je reviens sur le rebond que connaissent les différents pays européens. Existe-t-il une corrélation entre la force des plans de relance et celui-ci ? Comment avez-vous construit votre prévision ?

M. Jérôme Bascher. - Monsieur le président, l'État estime que le plan de relance amènera 1,1 point de croissance en plus. Or j'ai cru comprendre que les plans de relance ne fonctionnaient que lorsqu'ils étaient accompagnés de réformes structurelles dans les ministères et les collectivités locales pour accélérer les décaissements.

Ne pensez-vous pas qu'il manque quelque chose pour faciliter la dépense de la centaine de milliards annoncée en dix-huit mois seulement ?

Par ailleurs, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que la loi de programmation des finances publiques est caduque depuis 2020. Le Gouvernement s'est empressé, juste après l'avoir fait voter, de ne pas la respecter. C'est le premier Gouvernement qui fait voter une loi et se met tout seul hors-la-loi ! Il continue à franchir allègrement toutes les limites de cette loi de programmation des finances publiques, ce qu'il a commencé à faire l'année suivant son adoption. Gilets jaunes, réforme des retraites, covid-19, etc. : il y a toujours une bonne raison pour ne pas respecter la règle.

Ne croyez-vous pas que la solution consisterait en une véritable règle d'or, si souvent évoquée et jamais mise en oeuvre ?

M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le président, vous avez la parole.

M. Pierre Moscovici. - Monsieur le rapporteur général a raison, je n'ai pas totalement oublié mes autres activités. Je suis aussi venu plaider pour un programme, mais vous ne savez peut-être pas que les avis que nous produisons, qui sont je pense d'une remarquable qualité, sont réalisés avec deux équivalents temps plein. Ces gens travaillent jour et nuit pour cela...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - J'ai été rapporteur spécial de la mission budgétaire concernée !

M. Pierre Moscovici. - J'ai obtenu du ministre du budget, que je remercie, cinq équivalents temps plein en plus. Un triplement des moyens permettra de réaliser plus de choses. Cela prendra aussi tout son sens en cas d'élargissement du mandat.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'impact du plan de relance. Nous n'affirmons pas que le surcroît de croissance de 1,1 point prévu par le Gouvernement en 2021 n'est pas crédible. Il est volontariste. C'est une question d'ingénierie. Nous connaissons notre pays : il faut mettre en place une ingénierie qui permette non de dépenser 100 milliards d'euros en dix-huit mois - le Gouvernement ne le prétend pas lui-même - mais de dépenser les 37 milliards d'euros programmés pour 2021.

Nous pensons que l'hypothèse est volontariste, à la fois du fait de la saturation de certaines capacités sectorielles et des difficultés traditionnelles à mettre en oeuvre ces investissements.

L'effet multiplicateur retenu par le Gouvernement, sujet dont nous avons longuement débattu lors des auditions, est de 0,8. Nous ne pensons pas que ce soit là un chiffre élevé au regard de la situation économique. C'est le risque de retard qui explique que nous estimons qu'il existe un certain volontarisme, sans qu'il soit pour autant impossible d'obtenir 1,1 point. Souhaitons-le, mais ce pourrait être un petit peu moins, d'où notre jugement.

S'agissant de l'hypothèse des taux d'intérêt, le Haut Conseil relève la prudence traditionnelle du Gouvernement. Cela peut présenter quelques avantages. On garde une certaine marge de manoeuvre. Toutefois, le consensus des économistes et la prévision de taux du Gouvernement présentent un écart. Le consensus anticipe des taux longs à zéro l'année prochaine pour la zone euro. Selon le Gouvernement, le chiffre est de 0,7. Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas le plus probable au regard de l'analyse du Haut Conseil. Il y a là une marge de manoeuvre possible en exécution.

Concernant la dette et la consolidation budgétaire, nous avons eu un débat entre nous pour savoir si nous devions parler ou non de la dette. Je ne concevais pas que nous n'en parlions pas. Quelques membres du Haut Conseil soulignaient que nous étions à la limite de notre mandat. Je pense que nous sommes dedans, mais j'aimerais répondre à votre question en allant plus loin. Je ne le peux pas dans le cadre du mandat actuel, étant déjà à mes limites.

Deux réflexions de bon sens : dans la situation de crise sanitaire, mais aussi de crise économique et sociale que nous ne connaissons, nous ne contestons pas la légitimité de la priorité accordée à la relance et au soutien de l'économie. Nous attirons l'attention sur le fait qu'on ne peut pas pour autant ignorer la question de la dette. À un moment donné, il faudra bien retrouver une trajectoire assurant la soutenabilité de la dette publique. Quand ? C'est un débat sur lequel j'aimerais que nous puissions poursuivre nos échanges. Cela dépend de l'élargissement du mandat du Haut Conseil. Je pourrais vous faire une réponse personnelle : elle ne serait pas d'un très grand intérêt. Priorité à la dépense compte tenu de la situation donc, mais restons vigilants sur la question de la soutenabilité de la dette publique à moyen terme.

Je n'ai pas de commentaire à faire sur la manière dont sont élaborés les projets de loi de finances. Fallait-il établir des scénarios ? Notons que l'incertitude est très élevée et difficilement quantifiable. Doit-on faire autant de PLF que de scénarios de croissance ? Le Gouvernement ne l'a pas choisi.

Il est clair que l'incertitude demeure. Il n'est pas interdit d'évoquer cette question dans le débat.

S'agissant de la programmation des finances publiques, plusieurs approches sont possibles. On peut attendre la fin de la crise sanitaire ou que tout ceci soit largement derrière nous. On peut attendre la fin de la crise économique et sociale. Pour résumer notre message, il convient de le faire le plus tôt possible, c'est-à-dire au printemps 2021, sauf dégradation très forte ou instabilité persistante.

Je ne me prononce pas sur le moment à compter duquel la loi de programmation est devenue caduque. Pour avoir été moi-même ministre des finances, membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale, je puis dire qu'il y a toujours eu des écarts. Nous ne sommes toutefois plus dans l'écart mais dans la caducité, ce qui est assez différent. On ne peut le reprocher à ce Gouvernement, pas plus qu'à d'autres auparavant. Quand un événement extraordinaire se produit, on ne peut conserver la même boussole.

De ce point de vue, monsieur Raynal, il est compliqué de vivre sans loi de programmation réaliste. On ne peut porter aucun jugement. Toutes les notions à partir desquelles nous travaillons, comme la croissance potentielle et le solde structurel, n'ont plus rien à voir avec la réalité. C'est pour cela qu'il faut agir le plus tôt possible. Si cela ne se fait pas au printemps 2021, ce sera trop tard ! Nous ne pouvons vivre totalement sans règle. N'avoir aucun point de repère solide est toujours fâcheux pour le débat démocratique. Voilà la raison pour laquelle, si la situation est stabilisée et lisible au printemps, il me paraît raisonnable de viser ce moment.

Pour ce qui est de la question des prévisions macroéconomiques, madame Vermeillet, ce qui figure dans notre avis est extrait de ce qu'on appelle le Consensus forecast - autrement dit, le consensus des économistes. L'évolution d'ensemble de l'activité a partout le même profil mais certains pays sont descendus plus bas, et remontent un peu plus haut. Quand on considère les choses en termes de croissance et d'emploi, ce n'est pas totalement négligeable. Même si le profil est identique, il existe quelques différences qui sont loin d'être insignifiantes.

Enfin, s'agissant de la règle d'or, je suis au-delà de mes compétences. Pour le moment, nous disposons d'une loi organique qui prévoit des lois de programmation. Tant qu'on demeure dans cette loi organique, il faut modifier la loi de programmation, mais on peut aussi envisager - ce n'est toutefois pas mon rôle - une autre loi organique. Cela devient bien plus lourd et relève du débat politique et public pour d'autres échéances. Dans le cadre qui est le nôtre actuellement, c'est la loi de programmation qu'il faut modifier, et je pense qu'il est logique de raisonner pour le moment à cadre inchangé.

Ce débat a déjà eu lieu en 2012. Certains proposaient une règle d'or. Selon moi, les règles d'or, même en Allemagne, ne tiennent pas quand survient un événement comme celui-ci. C'est la programmation qui s'impose davantage. Je suis allé trop loin : je me tais...

M. Bernard Delcros. - Monsieur le président, quelles prévisions peut-on réaliser sur le niveau d'investissement des collectivités en 2021 et sur les pertes de recettes liées à la situation que l'on connaît ?

Pouvez-vous par ailleurs nous donner votre sentiment concernant la baisse des impôts de production qui a été annoncée par le Gouvernement et sur les modalités de compensation aux collectivités ?

M. Jean Bizet. - Monsieur le président du Haut Conseil, ma question s'adresse également à l'ancien commissaire et ancien ministre des finances. Dans le prêt européen au coeur du plan de relance, la France représente 15 % du PIB. Sa population est légèrement supérieure, entre 15 % et 20 %. Or, elle va récupérer seulement 8 % du prêt de l'Union européenne, mais en rembourser 17 %. C'est la logique de la mutualisation, et on ne peut que se réjouir de l'action du couple franco-allemand.

Il va falloir être extrêmement vigilant en ce qui concerne la reprise de la compétitivité de notre pays. Cela suppose une baisse drastique des dépenses publiques. Encore une fois, on n'a pas été assez volontariste en la matière.

Par ailleurs - c'est plutôt à l'ancien commissaire que je m'adresse -, il va falloir être politiquement très exigeant en matière de ressources propres de l'Union européenne. Ce sera autant de contributions nationales en moins. On sait que l'Europe apporte souvent les bonnes réponses, mais à son rythme. Il y a malgré tout urgence, et je sens une partie de bras de fer s'engager entre le Parlement européen et la Commission. Je suis plutôt du côté du Parlement européen, qui est extrêmement volontariste dans ce domaine. Je n'en entends pas assez parler au niveau national.

M. Pascal Savoldelli. - Monsieur le président, vous nous parlez de rebond. Le taux d'investissement des entreprises françaises demeure au même niveau qu'avant. Toutefois, l'autofinancement s'effondre de 40 points et les marges de 7 points. C'est là un indicateur à prendre en compte.

Je voudrais attirer votre attention sur une question qu'on évoque rarement ici, celle de la dette privée. Quand va-t-on se poser la question de sa soutenabilité ? Elle représente 138,2 % du PIB. On parle d'une tendance à 150 % pour la France. Dans la zone euro, l'augmentation est de 2 points, contre 6,4 points pour la France.

Il n'y a pas de lien mécanique entre dette privée et dette publique, mais l'une n'ignore pas l'autre. Quel est votre avis sur ce point ?

Enfin, j'ai constaté que l'on envisageait une diminution de l'investissement public local de 4,9 milliards d'euros en 2020 par rapport à 2019 dans le cadre du PLF pour 2021. Or nous sommes tous d'accord sur ce point : une baisse de l'investissement public local a, dans notre pays, des conséquences sur le tissu TPE-PME. Comment expliquer cette baisse deux fois supérieure aux prévisions du Gouvernement ?

Mme Christine Lavarde. - Monsieur le président, je souhaitais vous interroger sur la dette publique, mais j'ai compris qu'on était à la limite de vos prérogatives en tant que président du Haut Conseil. Vous pourrez certainement me répondre quand vous viendrez nous présenter le rapport sur l'évolution des finances publiques locales : qu'en est-il de la dette des établissements publics et des collectivités territoriales ? Est-elle soutenable ? Quelles collectivités vont se trouver, à une certaine échéance, « proches du mur » ?

Je voudrais également revenir sur le rebond. Vous avez dit que les prévisions présentées dans votre avis étaient issues du Consensus forecast. On entend parler uniquement des aléas liés à l'évolution de la crise sanitaire. Les années antérieures, on parlait d'autres types d'aléas, notamment de la guerre commerciale ou des enjeux géopolitiques. Il me semble qu'ils n'ont pas disparu en 2021. Dans quelle mesure sont-ils pris en compte ?

M. Patrice Joly. - Monsieur le président, vous avez évoqué l'indépendance. Il m'est revenu à la mémoire un article de Jean-Denis Bredin sur l'indépendance de la justice, au moment où je suis devenu magistrat, ce qui m'a beaucoup questionné tout au long de mon activité professionnelle. Il parlait de l'indépendance de la justice, pas simplement par rapport au pouvoir politique, mais également par rapport à son cadre intellectuel, ses schémas de pensée et, parfois, ses a priori. Je voulais faire partager ce souvenir à l'ensemble des collègues présents dans cette salle et à vous-même.

Vous évoquez par ailleurs le rebond et la racine carrée, mais on entend aussi beaucoup parler de rebond en K, qui ne permettrait pas aux plus modestes de bénéficier de la reprise, en dépit de la forte mobilisation des finances publiques. Quel est votre avis à ce sujet ? Êtes-vous là dans votre périmètre d'intervention ?

Enfin, s'agissant de l'annulation de la dette ou d'une partie de celle-ci, sujet évoqué par les plus éminents économistes, vous avez attiré l'attention sur les épargnants. Un quart de la dette est détenu par la Banque centrale européenne et par les banques nationales. Cette caractéristique particulière mérite peut-être une approche un peu plus fine du sujet. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.

M. Pierre Moscovici. - Existe-t-il une corrélation entre les plans de relance et le rebond ? Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas des prévisions du Haut Conseil mais de celles du consensus des économistes.

Nous n'avons pas analysé les plans de relance de nos partenaires. C'est difficile dans le temps qui nous est imparti, avec les moyens qui sont les nôtres. J'espère que nous ferons mieux à l'avenir, même à mandat constant, avec nos propres moyens.

Incontestablement, il existe une corrélation entre l'ampleur du rebond et l'ampleur de la perte initiale, ce qui est une des raisons pour lesquelles, si nous jugeons la séquence 2020-2021 plausible, le séquençage lui-même nous paraît un tout petit peu différent. Plus on baisse en 2020, mieux on peut rebondir en 2021.

Les autres instituts économiques estiment en général qu'on devrait baisser un peu moins en 2020 et rebondir un peu moins en 2021, ce qui aboutit grosso modo au même résultat.

Plusieurs questions portent sur l'investissement local. Le Gouvernement prévoit un rebond net pour 2021 de 7,9 %, en dépit de la baisse de l'investissement du fait de la crise sanitaire. Tout cela est un peu mécanique. Des chantiers ont dû être arrêtés au printemps. La base 2020 sera donc particulièrement basse. C'est aussi une affaire de recettes et, vous le savez, les recettes des collectivités locales sont, à court terme, moins sensibles aux cycles que les recettes de l'État. Elles chutent moins brutalement que l'ensemble. J'aurai l'occasion de revenir prochainement devant vous pour parler des finances publiques locales dans leur ensemble, dans le cadre des travaux de la Cour des comptes.

Pour ce qui est des questions du sénateur Bizet sur l'Europe, je connais les différents facteurs que vous évoquez. Je n'ai jamais été pour ma part un partisan de la théorie du juste retour, mais plutôt de la théorie du retour efficace. Il existe aussi des incertitudes sur la partie européenne du plan de relance. Cette partie contribue à environ 40 % des ressources du plan. Encore faut-il qu'il y ait un accord et que cet argent puisse redescendre.

Ainsi que nous l'avons dit vous et moi, la tuyauterie, l'ingénierie, la mise en place de mécanismes permettant des investissements efficaces sont des éléments indispensables. Le plan de relance est à la fois un plan d'urgence mais aussi un plan structurel. Il consiste à améliorer la compétitivité de l'économie, à mener à terme un certain nombre de réformes et à mettre en place des investissements dans de nouveaux secteurs économiques. C'est ce qu'on appelle parfois le retour à la souveraineté. Tout cela exigera de notre part une très grande vigilance.

Pour ce qui est des ressources propres, je partage totalement votre sentiment. Je change de casquette une seconde : on a augmenté le plafond des ressources propres de 1 % à 2 % du revenu national brut de l'Union parallèlement à la mise en place du plan de relance européen. C'est une question qui ne peut être négligée. De ce point de vue, un certain nombre de pistes sont évoquées, comme la taxe carbone aux frontières ou la taxe sur le numérique.

Je me suis rendu la semaine dernière à Bruxelles et j'ai rencontré le président du Parlement européen à cette occasion. Il est vrai qu'il existe un volontarisme traditionnel plus grand au Parlement, mais je pense que le débat principal aura lieu entre les États membres dans le cadre du Conseil. Les positions sont très différentes. L'ancien commissaire à la fiscalité que je suis, qui a notamment proposé une directive sur le numérique, sait de quoi il s'agit. J'ai réussi à obtenir le consentement de vingt-quatre États membres, mais quatre ont bloqué, ce qui pose aussi la question du vote à la majorité qualifiée sur les ressources propres. Dans l'Europe telle qu'elle est, c'est un problème qui se pose. Vous m'entraîner vers sur mon péché mignon, je m'arrête donc tout de suite.

J'ajoute cependant une réponse à une question que vous ne posez pas, celle concernant les règles de finances publiques. De la même façon que j'appelais à l'adoption d'une nouvelle loi de programmation, il me paraît clair que nous ne couperons pas à une révision des règles de finances publiques européennes, dans la mesure où, là aussi, on observe certains points de caducité. On ne peut rester sans règle ni les suspendre pour l'éternité. On ne peut revenir exactement aux critères antérieurs.

La Cour des comptes, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, estimait que nous allions vivre très durablement avec plus de 100 points de PIB de dette publique et que le déficit public ne reviendrait pas en dessous de 3 % du PIB avant cinq ans. On peut toujours freiner dès aujourd'hui, mais ce serait totalement contraire à l'exigence de relance de la croissance. Il faut donc avoir des règles plus lisibles, plus simples, plus cohérentes. C'est une réflexion qui est devant nous. Elle est éminemment politique. Il y aura des débats important à la Commission, au Parlement et au Conseil. Il faut une révision intelligente. Ce message était celui de la Cour des comptes dans son rapport. Il est implicitement contenu dans le rapport du Haut Conseil des finances publiques.

Concernant la dette privée, monsieur le sénateur, j'adorerais vous répondre, mais je suis totalement démuni en tant que président du Haut Conseil des finances publiques. Vous avez évidemment raison sur le fait que c'est un facteur qui est à prendre en compte.

De la même façon que je reviendrai parler de la dette des collectivités locales, je souhaite que l'amélioration du mandat du Haut Conseil lui permette de faire une analyse plus profonde de la dette et de sa soutenabilité.

Je suis par ailleurs entièrement d'accord avec vous : les incertitudes géopolitiques n'ont pas disparu. La première d'entre elle tient au résultat l'élection américaine. Nous vivrons ce soir le premier débat entre MM. Biden et Trump. Ceci est mentionné dans l'avis du Haut Conseil, comme dans les prévisions. Vous avez donc entièrement raison : il n'y a pas que la crise sanitaire. Le monde dans lequel nous vivons est un monde où la tendance à l'entropie est de plus en plus grande.

Cela soulève une question pour l'Europe : allons-nous rester l'agneau au milieu des loups ? Cette question dépasse le périmètre de mon mandat.

Enfin, le rebond en K nous incite à réfléchir sectoriellement. Je ferai deux remarques à cet égard. Je ne dirais pas que nous sommes sur des nuances, mais on est quand même dans un cadre plausible, avec, en outre, une très grande incertitude. Certains secteurs vont être et sont déjà très durement touchés, comme les transports, en particulier les transports aériens, le tourisme, l'hôtellerie ou la restauration.

Ma deuxième remarque porte sur l'emploi. Même avec une croissance qui reviendrait mi-2022 à son niveau de fin 2019, nous n'aurons évidemment pas le même contenu en termes d'emplois. Quand on parle de courbe en K, il faut donc prêter une attention très grande à ce qui se passe sectoriellement et ne pas se noyer dans la macroéconomie. Il faut aussi penser à la microéconomie, ce qui, encore une fois, ne relève pas du mandat du Haut Conseil des finances publiques.

La plupart des conjoncturistes que nous avons consultés évoquent bien cette discordance. On sera descendu beaucoup plus bas et remonté beaucoup plus vite que lors de la crise de 2008. Nous n'avons retrouvé dans l'Union européenne le niveau de PIB de 2008 que six ans après. Je raisonne par rapport à des prévisions que nous avons estimées nous-mêmes plausibles. Dans le cas présent, nous mettrions seulement deux ans pour retrouver le niveau de production d'avant-crise, mais l'impact sectoriel et l'impact en termes d'emplois peuvent être extrêmement différents, ce qui implique des réflexions très profondes et très complexes.

M. Vincent Éblé, président. - Merci, monsieur le président.

La réunion est close à 16 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 30 septembre 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Contrôle budgétaire - Mesures d'urgence dans le domaine de la recherche en réponse à la crise sanitaire - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons ce matin une communication de contrôle budgétaire de nos rapporteurs spéciaux, MM. Jean-François Rapin et Jean Bizet, sur les mesures d'urgence dans le domaine de la recherche en réponse à la crise sanitaire.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Cette communication est le fruit d'un travail de contrôle mené avec Jean Bizet, dans les conditions tout à fait particulières que vous connaissez.

Dès le déclenchement de la crise sanitaire, nous avons fait le choix de réaliser un suivi des mesures d'urgence prises dans le domaine de la recherche. Nous avons d'emblée pu constater la grande réactivité des pouvoirs publics et des acteurs de la recherche face à la crise. REACTing, le consortium de recherche publique sur les maladies infectieuses émergentes, piloté par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), s'est mobilisé sur la question dès la mi-janvier 2020. Les ministères de la recherche et de la santé l'ont rapidement doté de moyens supplémentaires permettant notamment au début du mois de mars le préfinancement à hauteur de 1 million d'euros de vingt projets de recherche prioritaires.

L'Agence nationale de la recherche (ANR) a quant à elle lancé un premier appel à projets dit « Flash Covid » dès le 6 mars. Ce dispositif a connu un certain succès : 258 projets ont été déposés et 108 sélectionnés. L'enveloppe, d'un montant initial de 3 millions d'euros, a été portée à 17,7 millions d'euros grâce à des contributions du ministère de la recherche, de la Fondation pour la recherche médicale, de la Fondation de France et des régions.

De nombreux autres appels à projets ont suivi, lancés successivement par l'Agence de l'innovation de défense, Bpifrance, l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), ainsi que par plusieurs régions.

Le ministère de la recherche a également mis en place un fonds d'urgence doté de 50 millions d'euros afin de financer à très court terme toute une gamme d'actions : projets de recherche vaccinale prioritaires, petits projets hors appels à projets existants, contribution française à l'appel EDCTP (European and Developing countries Clinical Trials Partnership) en faveur de la recherche sur la Covid-19 dans les pays du Sud, etc.

Nous avons aussi pu noter la grande variété des projets retenus. Au-delà de la recherche thérapeutique et vaccinale, on trouve également de la recherche fondamentale visant à mieux comprendre le virus ainsi que des études épidémiologiques, qui me paraissent indispensables. Je pense par exemple au projet OBEPINE, doté de 3 millions d'euros, qui vise le déploiement d'un réseau de surveillance du virus dans les eaux usées. On relèvera aussi l'attention donnée aux projets de recherche en sciences humaines et sociales, qui représentent à ce jour environ 20 % des financements octroyés à ce jour par l'ANR dans le cadre de ses appels à projets « Covid ». Sans nier ce que celles-ci peuvent apporter dans la réponse à la crise, cela semble tout de même constituer une spécificité française par rapport à l'Allemagne ou aux États-Unis, qui ont concentré leurs efforts sur le volet biomédical.

Parmi les axes d'amélioration du fonctionnement des appels à projets, le ministère de la recherche a relevé la nécessité de réduire les temps de décision et de lancement des projets. Nous en relevons un second : le prisme parfois très académique des critères de sélection, qui exclut souvent de facto la plupart des projets issus de la recherche privée.

Cette réactivité et ce foisonnement du monde de la recherche doivent être salués, mais ils ont un revers : le risque d'une dispersion des moyens publics en temps de crise et d'un certain désordre. En effet, les crédits proviennent de toute part : du programme d'investissements d'avenir (PIA), du ministère de la recherche, du ministère de la santé, mais aussi du ministère de la défense, ou encore de l'Agence française de développement (AFD). Au total, quelque 180 millions d'euros ont été mobilisés par l'État pour la recherche de crise. Ces moyens ont été dégagés grâce à des prélèvements sur les réserves et des redéploiements, sans ouverture de crédits supplémentaires.

Dans l'ensemble, nous avons assisté à un éclatement des capacités de décision et de financement en matière de recherche alors que, pour être efficace, la gestion de la crise aurait dû être centralisée et interministérielle. C'est d'ailleurs un constat que l'on fait toujours sur les crédits de recherche : ils proviennent de différents ministères, et c'est parfois difficile d'identifier un pilote dans l'avion ! Le consortium REACTing a certes pu jouer un précieux rôle de coordination, et l'installation du Comité d'analyse, de recherche et d'expertise (CARE), instance ad hoc créée fin mars, a permis de clarifier les priorités, mais chaque financeur a conservé la main sur ses processus de sélection des projets et d'attribution des financements. Les essais cliniques constituent un exemple de saupoudrage : pas moins d'une centaine d'essais ont été lancés et ont ainsi dû se partager un stock de patients en diminution, ce dont on pouvait bien sûr se réjouir par ailleurs. Il aurait été préférable d'inclure un maximum de cohortes dans un nombre plus restreint d'essais.

Nous gagnerions sans doute à nous inspirer de l'exemple américain, où la fixation des priorités fédérales de recherche et les décisions de financement relèvent de la seule BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority), qui a concentré des moyens colossaux - près de 12 milliards de dollars - sur seulement 63 projets, tous domaines confondus.

Le ministère de la recherche nous a indiqué que des réflexions étaient en cours concernant l'élargissement du champ d'action de l'ANRS, avec notamment une intégration de REACTing, pour en faire une agence de recherche en maladies infectieuses émergentes qui définirait d'une seule voix les priorités en la matière. Cela va dans le bon sens, mais ne paraît pas remettre fondamentalement en cause la dispersion des guichets de financement.

S'agissant des perspectives financières pour la recherche médicale, le Président de la République s'est engagé, dans le cadre de la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche), à augmenter de 1 milliard d'euros le budget de la recherche dans le domaine du vivant et de la santé. Cet effort est d'autant plus nécessaire que les moyens qui lui sont alloués, certes importants - environ 1,2 milliard d'euros annuels -, n'ont guère évolué depuis environ dix ans. Il convient de le mener dans les meilleurs délais, et la période de programmation actuellement envisagée - qui nous amène jusqu'en 2030 - paraît un peu longue. Nous serons attentifs au respect de cet engagement.

M. Jean Bizet, rapporteur spécial. - Comme vous le savez, les crédits du PIA concourent également au financement de la recherche, y compris dans le contexte de la crise actuelle. Aussi, dès la fin du mois de mars, 80 millions d'euros du PIA ont été débloqués pour financer un appel à projets structurants pour la compétitivité (PSPC) géré par Bpifrance et centré sur la recherche thérapeutique, soit une part importante des 180 millions d'euros évoqués. La réactivité des équipes du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) peut être saluée, avec notamment la mise en place d'un site Internet permettant aux porteurs de projets de recherche de déterminer le guichet de financement le plus adapté.

Au-delà de la recherche stricto sensu, le PIA a également lancé un appel à manifestation d'intérêt doté d'une enveloppe de 120 millions d'euros pour financer le développement rapide de nouvelles capacités de production de médicaments impliqués dans la prise en charge des malades de la Covid-19, dans une logique de souveraineté sanitaire. L'ensemble des annonces du SGPI en lien avec la crise, incluant les mesures évoquées et diverses actions de soutien à l'écosystème de l'innovation, représente une masse financière globale de 1,5 milliard d'euros. Ce montant doit être relativisé puisqu'il ne s'agit que d'enveloppes déjà votées qui sont soit redéployées, soit consommées de façon accélérée. S'y ajoute le décaissement anticipé de 250 millions d'euros d'aides à l'innovation déjà attribuées.

Les acteurs de la recherche privée et particulièrement les start-up dites « biotech » ont du mal à trouver leur place dans le maquis des appels à projets de recherche lancés en réponse à la crise. C'est une différence majeure avec les pays anglo-Saxons. La présidente de Xenothera, une biotech nantaise ayant développé un traitement prometteur à base d'anticorps contre la Covid-19, nous a décrit son parcours du combattant pour faire valoir son projet auprès de l'ANR, de REACTing et du CARE, le manque d'écoute auquel elle s'est heurtée et l'absence de motivation des refus, voire, dans certains cas, l'absence de réponse tout court. Alors que la région s'est montrée réactive et l'a soutenue dès la première heure, il a fallu attendre l'été pour obtenir un soutien de l'État, via le PIA et Bpifrance, où la compréhension des enjeux et des réalités d'une start-up est sans doute meilleure. Le consortium que Xenothera a formé autour du projet avec le CHU (centre hospitalo-universitaire) et l'université de Nantes a ainsi bénéficié d'un soutien de près de 8 millions d'euros.

Autre témoignage recueilli : Owkin, une start-up spécialisée dans l'intelligence artificielle pour la recherche médicale, a mis en place une plateforme visant à fédérer les acteurs de la recherche publique et privée par-delà les frontières et à favoriser la recherche collaborative en permettant une exploitation en commun des données. Cet exemple montre la capacité de la recherche privée à s'auto-organiser autour d'objectifs d'intérêt général, même si encore trop de structures et de chercheurs tendent à conserver le monopole sur leurs données. La puissance publique n'est pas qu'un financeur, elle doit aussi pouvoir accompagner ce type d'initiatives en favorisant le développement de systèmes fédératifs et l'interopérabilité des données de santé.

On peut relever avec satisfaction qu'à ce sujet de nombreux acteurs majeurs de la recherche française, mais aussi la Commission européenne, ont été signataires de la déclaration internationale sur le partage des données de la recherche sur la Covid-19 lancée par la fondation britannique Wellcom.

L'effort national en faveur de la recherche sur la Covid-19 s'inscrit et doit continuer de s'inscrire dans une dynamique européenne. Le programme Horizon 2020 - pour près de 180 millions d'euros -, le Conseil européen de l'innovation (CEI) - pour 166 millions d'euros - et l'initiative européenne pour les médicaments innovants (IMI) - pour 117 millions d'euros - ont lancé des appels à projets de recherche en réponse à la crise sanitaire, qui ont permis le financement de nombreux projets incluant ou coordonnés par des acteurs français.

En matière d'essais cliniques, l'exemple de l'essai Discovery, initié par la France et rassemblant treize pays, a montré que la coopération européenne restait largement perfectible. Coordonné par l'Inserm et doté de 11 millions d'euros, le projet s'est heurté à la lenteur de certains de nos partenaires européens à y inclure un nombre satisfaisant de groupes de patients. Cela est pour partie imputable à l'hétérogénéité des normes régissant les essais cliniques dans les différents États membres, mais aussi à un défaut de confiance réciproque.

La crise nous montre qu'un effort commun est indispensable en matière de vaccins. Pris isolément, aucun État membre n'est en mesure d'apporter aux industriels un soutien déterminant pour financer à la fois la recherche, les essais et enfin la production massive de doses de vaccins, comme sont en train de le faire les États-Unis. L'Europe de la santé reste à construire, et la France doit y prendre toute sa part. À cet égard, je vous renvoie au rapport que nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey ont consacré à l'Europe de la santé : l'Union européenne n'a qu'une compétence d'appui en la matière, mais il faudrait aller plus loin.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il en est de ce secteur comme des autres... Le projet de loi de finances qui contient le plan de relance nous sera présenté par les ministres cet après-midi. La question qui se pose - le président du Haut Conseil des finances publiques le reconnaissait hier - est la suivante : quelle est la réelle capacité de l'État à dépenser ? Tout cela ne doit pas rester un effet d'affichage. On se fait plaisir en affichant d'importants montants d'autorisations d'engagement, mais notre capacité à créer de la complexité administrative et notre incapacité à travailler avec le secteur privé rendent en pratique difficile la concrétisation des mesures et projets prévus !

Prenons l'exemple de la recherche sur l'hydrogène - secteur prometteur et d'avenir. Nous avons le projet de travailler avec les Allemands ; mais, en pratique, on connaît la capacité de l'État à complexifier les choses, par exemple en créantdes agences ! Or nous ne déboucherons sur une utilisation industrielle massive qu'à la condition de travailler avec les constructeurs automobiles.

Autre exemple, nous avons certes besoin de fongibilité dans les préfectures, mais cela risque de déboucher sur du saupoudrage sans ligne directrice qui ne préparera pas l'industrie de demain. Votre travail nous alerte et nous appelle à être très vigilants sur le volet recherche du plan de relance.

M. Alain Houpert. - Je tiens à féliciter nos rapporteurs. Leur communication arrive à point. Nous avons vu comment l'étude Discovery a explosé en vol ! Quelque 11 millions d'euros ont été jetés à la poubelle : nous n'avons recueilli que 800 patients en France... On ne peut pas faire d'études randomisées pendant une maladie infectieuse ; on ne peut pas donner des placebos à des personnes qui sont en train de mourir en réanimation. On a interdit à des médecins de prescrire de l'azithromycine et de la chloroquine !

S'agissant de la présence du virus dans les boues d'épuration, l'administration est à nouveau en train d'ouvrir le parapluie. Soyons attentifs au coût pour les communes : les plans d'épandage sont arrêtés et les boues doivent désormais être stockées. C'est un coût mensuel de l'ordre de 50 000 euros pour une commune de 5 000 habitants qu'il faudra ajouter à la facture des collectivités locales. L'État n'est pas le seul à payer, les collectivités locales aussi !

M. Philippe Dallier. - M. Houpert a parlé de 11 millions d'euros ; je parlerai de 5 millions d'euros. Dans un reportage, l'Institut Pasteur de Lille mentionne ses travaux sur une molécule à partir de laquelle les scientifiques pourraient trouver un traitement opérationnel en six mois. Mais il faut 5 millions d'euros. Y a-t-il des fonds disponibles pour répondre à ce genre de demande ? Qui décide de leur attribution ?

M. Jean Bizet, rapporteur spécial. - Je ne peux qu'être d'accord avec Alain Houpert sur Discovery et le coût de certaines mesures de protection induit pour les communes.

Philippe Dallier, ce type de crédit est mobilisable par redéploiement. On doit pouvoir trouver facilement 5 millions d'euros dans ce cadre. Nous essaierons de voir ce qu'il en est.

Hier, j'ai interpellé Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. Dans le cadre du plan de relance européen de 750 milliards d'euros et du projet de fédéralisme budgétaire, la France, qui représente 15 % du PIB de l'Union européenne et 18 % de la population de l'Union européenne, ne récupérera que 8 % du prêt dont elle remboursera 17 %. Sa réponse a été très politique.

Je ne suis pas forcément dans la recherche du juste retour, et je comprends parfaitement qu'il faille jouer la carte de la mutualisation. Cependant, alors même qu'il a annoncé à l'avenir une baisse drastique des dépenses publiques, M. Moscovici a fait des appels du pied pour recruter des fonctionnaires dans sa propre administration.

Je suis très inquiet sur la soutenabilité de la dette à terme. Il va falloir que la France se montre particulièrement compétitive.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - J'adhère aux remarques du rapporteur général. Sur le budget de la recherche, je sais combien les difficultés seront importantes, pour ce qui concerne le plan de relance : il faudra utiliser 60 % des fonds avant six mois. C'est pour le moins rock'n roll, si vous me passez l'expression. Toute la chaîne devra se mobiliser pour répondre en urgence à des appels à projets.

Le montant de 11 millions d'euros dont parle Alain Houpert est à l'échelle européenne. Pour la France, il est de 4,9 millions d'euros. Cela n'empêche pas de reconnaître les difficultés que Discovery rencontre à imposer sa vision européenne.

Des travaux complémentaires seront lancés sur les boues des stations d'épuration, qui sont un bel indicateur de la charge virale. La question reste de savoir si le virus est encore actif quand il sort de la station d'épuration. Je me suis entretenu avec la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), il y a soixante-douze heures.

Sur la question posée par Philippe Dallier, je reste attentif à l'évolution des travaux et des déclarations que peut faire l'Institut Pasteur, que ce soit au niveau régional ou en matière de santé publique. Rien ne sert de préciser de quelle molécule il s'agit. Évitons de répéter l'épisode malheureux de la chloroquine. Plus de 2 000 ont été testées, et elle figure sans doute parmi elles.

Je ne suis pas inquiet sur le fait que nous pourrons trouver 5 millions d'euros. La question reste de savoir comment et quand.

En tout état de cause, il faudra simplifier les procédures d'appel à projets de l'Agence nationale de la recherche pour que les fonds de relance soient utilisés le plus vite possible.

Contrôle budgétaire - Ambassadeurs thématiques - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous en venons à la communication de MM. Rémi Féraud et Vincent Delahaye, rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État » sur les ambassadeurs thématiques.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Le sujet de notre rapport est régulièrement médiatisé. Nous nous en tiendrons à sa partie budgétaire, comme nous en étions convenus lors du débat sur la légitimité et le coût des ambassadeurs thématiques, intervenu en séance au cours du dernier projet de loi de finances.

Au 1er janvier 2020, on recense une vingtaine d'ambassadeurs thématiques. En poste à Paris, ils ne sont accrédités auprès d'aucun État étranger ni d'aucune organisation internationale. Ils sont rattachés à la direction du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et peuvent avoir une double tutelle - par exemple du ministère de la santé ou de celui de la culture - en fonction de leur domaine d'intervention. Leurs missions peuvent se répartir en trois catégories : les unes touchent à des sujets d'actualité et à des problématiques transversales, comme les droits de l'homme, la santé, le numérique ou bien le rayonnement culturel ; d'autres sont consacrées à des dossiers géographiques importants et sensibles, comme le conflit syrien ou bien le partenariat oriental de l'Union européenne : enfin, certaines missions concernent l'organisation d'événements internationaux comme le G7 de Biarritz. Le ministère insiste sur le fait que, s'ils bénéficient du titre d'ambassadeur, c'est pour renforcer leur autorité au plan international et faciliter leur accès auprès de personnalités étrangères. Ils bénéficient ainsi d'un rang qui leur permet d'exercer leurs missions correctement.

Nous n'avons pas constaté d'incohérence manifeste entre la réalité de l'exercice des fonctions d'ambassadeur thématique et la doctrine d'emploi qui définit ces fonctions, même si le contrôle reste insuffisant.

Initialement, dans les années quatre-vingt, les ambassadeurs thématiques étaient itinérants. Les premiers d'entre eux ont été nommés sous la présidence de M. Chirac. Leur nombre a augmenté pendant une dizaine d'années avant de se multiplier durant la dernière décennie. Ils étaient vingt au 1er janvier 2020. Quelques-uns ont encore été nommés au cours de l'été.

Ces ambassadeurs sont pour l'essentiel des fonctionnaires et des diplomates. Quelques personnalités politiques exercent aussi la fonction, mais en nombre très limité quand elles ne sont pas fonctionnaires du Quai d'Orsay.

Les missions qu'exercent les ambassadeurs thématiques s'inscrivent dans des objectifs de politique étrangère, avec quelques exceptions - il y a eu par exemple un ambassadeur à la cohésion sociale.

On estime à environ 200 000 euros par ambassadeur la dépense annuelle moyenne pour une rémunération proche de 123 000 euros bruts, soit la moitié de celle attribuée à un ambassadeur en poste à l'étranger : en poste à Paris, les ambassadeurs thématiques ne perçoivent pas d'indemnité de résidence à l'étranger.

Le coût global de ces ambassadeurs atteint 1,8 million d'euros, montant à 2,3 millions d'euros si l'on prend en compte le CAS « Pensions ». La prise en charge des frais de mission et de représentation a représenté 400 000 euros en 2019, la hausse de ce montant par rapport aux années précédentes n'étant due qu'à l'intégration de dépenses qui n'étaient jusque-là pas prises en compte.

Les ambassadeurs thématiques disposent de collaborateurs, agents publics relevant d'un secrétariat partagé, pour un coût total de 1,5 million d'euros en 2019.

En 2019, première année où l'estimation a été réalisée, le coût global des ambassadeurs thématiques s'est élevé à 4,1 millions d'euros, soit 186 000 euros par ambassadeur sur un an.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Nous avons regardé le coût des ambassadeurs thématiques, mais aussi la définition de leurs missions et leurs obligations, qui posent quelques difficultés. Aucun décret n'en traite, à l'inverse des ambassadeurs en poste à l'étranger ou auprès d'organisations internationales. Il n'y a pas de lettre de mission pour tout le monde ! (Sourires) Un quart des ambassadeurs thématiques actuellement en poste n'en ont pas, ce qui est un peu bizarre.

Évaluer l'activité des ambassadeurs s'est révélé également difficile, car seule une minorité des lettres de mission - lorsqu'elles existent - mentionne formellement une obligation de rendre compte. En conséquence, un nombre très limité d'ambassadeurs ont remis des rapports d'activité - il y en a eu six sur vingt - ou des rapports de fin de mission - nous n'en avons vu qu'un seul... Le ministère a été contraint de transmettre des pièces de nature diverse - agendas, comptes rendus, notes - qui témoignent d'une activité mais ne permettent pas d'apprécier le travail en tant que tel.

Le ministère semble avoir pris conscience de la nécessité d'agir - notre mission n'y était pas étrangère. Son secrétaire général a signé une note de service prévoyant un meilleur suivi budgétaire infra-annuel qu'illustre, notamment, le changement de méthode comptable, avec la prise en compte de la totalité des coûts ; une autorisation préalable de son service ou de la direction de la modernisation du ministère pour le recrutement de personnels supplémentaires, contrairement à la situation précédente ; une obligation d'établir des plans d'action et de produire des rapports de fin de mission.

Ces mesures vont dans le bon sens, mais nous suggérons de les renforcer en prenant un décret qui aurait pour objet de consacrer juridiquement la catégorie des ambassadeurs thématiques ; de décrire en termes généraux les missions qui peuvent être confiées à un ambassadeur thématique ; de prévoir que la nomination d'un ambassadeur thématique s'accompagne obligatoirement de la notification d'une lettre de mission précisant les objectifs qui lui sont assignés, les moyens qui lui sont alloués et les autorités ou directions auxquelles l'ambassadeur est rattaché ; d'indiquer l'obligation faite à l'ambassadeur thématique de rendre compte de son action à la direction ou l'autorité à laquelle il est rattaché par la voie d'un rapport d'activité annuel et d'un rapport de fin de mission.

Nous n'avons pas réussi à obtenir les évaluations annuelles des ambassadeurs thématiques et n'avons obtenu que peu de lettres de mission et de rapports d'activité. Le sujet commence à être pris en compte, mais il doit faire l'objet d'améliorations sensibles pour rentrer dans un cadre normal d'activité - ces ambassadeurs sont rémunérés par les deniers publics.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En dépit de brefs débats sur ce sujet lors de l'examen des lois de finances, c'est la première fois que nous avons une évaluation réelle du coût de ces ambassadeurs thématiques et une synthèse de ce qui manque : lettres de mission, rapports annuels...

Je m'interroge sur la liste des vingt ambassadeurs thématiques. Certains me semblent pleinement justifiés par la mission très claire qu'ils occupent, comme le président du groupe de Minsk ou le représentant du Président de la République sur la Syrie. Mais je m'interroge sur le délégué aux investissements internationaux ou le délégué à l'action culturelle extérieure de la France.

M. Philippe Dallier. - Ou au sport ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Quelle est l'utilité de ces derniers, alors que nous avons des ambassadeurs dans des organisations internationales et, pour ce dernier cas, notamment à l'Unesco ? Ces ambassadeurs ne font-ils pas double emploi avec ces représentants dans les organisations internationales, ou certains de nos diplomates comme les attachés culturels ?

Le ministère des affaires étrangères participe à la réduction de l'effort public dans les ambassades et les consulats, dont certains ont des missions extrêmement compliquées. Ainsi, pour la crise sanitaire, les ressortissants français, mais aussi les instituts français, les alliances françaises, les lycées français sont en grande difficulté. Nos ambassades manquent de personnel et agissent dans des conditions difficiles. Or les ambassadeurs thématiques, ce sont vingt personnes avec des équipes. Ne serait-il pas plus intéressant de remettre ces postes d'appui dans le réseau diplomatique pour gérer la crise actuelle ? Par exemple, le Vietnam est entièrement fermé, il n'y a pas de vol pour le pays. Nos ressortissants et nos entreprises ont besoin d'assistance et ne peuvent se tourner que vers les consulats et les ambassades.

L'on peut entendre les engagements du ministère, mais ce n'est pas une simple note de service qui résoudra le problème. Je pense qu'il serait utile de déposer un amendement d'appel pour supprimer ces postes d'ambassadeurs thématiques, et de le retirer si le ministre s'engage à publier un décret comme vous le préconisez. Qu'il n'y ait pas de lettre de mission ou de rapport pose problème... Cet amendement d'appel permettrait de s'assurer réellement des progrès réalisés et notamment pour que les missions et le travail de ces ambassadeurs soient plus visibles. Face à une circulaire du ministère, nous connaissons la possible résistance de l'administration...

M. Jérôme Bascher. - J'aime beaucoup, humainement, les ambassadeurs thématiques, et je remercie les rapporteurs de leur travail. Mais ce sujet a le don de m'horripiler. Je connais Catherine Bréchignac, ancienne présidente du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Haut Conseil des biotechnologies, ancienne secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences, qui n'a pas besoin d'être nommée ambassadeur pour se voir confier une mission. Cela n'a pas de sens.

Listons ce que doit être un ambassadeur thématique. Il y a un ambassadeur de l'environnement, mais une ministre est chargée de ce sujet ; de même pour le sport. Ces postes comprennent une tâche de négociation, mais c'est le rôle du ministre, de son administration, des ambassadeurs ! Ces personnes pourraient plutôt être chargées de mission auprès du ministre, surtout si elles ont auparavant été ambassadeurs ; elles n'ont pas besoin du titre ! Elles auraient une mission ponctuelle, définie par une lettre de mission, avec application du statut de la fonction publique, plutôt que de faire l'objet de mesures ultra-dérogatoires, voire scandaleuses.

M. Éric Bocquet. - Avez-vous rencontré un ambassadeur ou une ambassadrice thématique pour échanger ? Je m'étonne de voir encore Mme Royal sur la liste au 1er janvier 2020.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Elle était encore en poste au 1er janvier 2020 ; elle ne l'est plus actuellement.

M. Michel Canevet. - Merci pour ce rapport de qualité. Vos propositions sont nécessaires pour faire évoluer les choses. Une ambassadrice en poste a dû démissionner - ou être démissionnée - en raison des écarts entre les moyens prévus et ceux utilisés. Avez-vous pu vérifier que les moyens sont bien affectés à l'usage prévu et qu'il n'y ait pas d'errements préjudiciables ?

M. Vincent Segouin. - Ces ambassadeurs thématiques sont-ils soumis aux mêmes contraintes que les parlementaires, notamment en termes de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), ou de justification de leurs dépenses ?

M. Claude Raynal. - Merci pour ce rapport éclairant. Je m'interroge sur le calcul de la moyenne des rémunérations, dans la mesure où certains exercent la fonction bénévolement. Ne pourrait-on pas obtenir la moyenne de ceux touchant une rémunération ?

Certains ambassadeurs, ou anciens ambassadeurs ayant été en poste à l'étranger, sont chargés de mission interne au ministère. N'aurait-on pas intérêt à séparer les deux choses ? Le ministère des affaires étrangères a souvent des ambassadeurs sans mission...

M. Philippe Dallier. - Un certain nombre !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comme les préfets hors cadre...

M. Vincent Éblé, président. - Ils sont payés quand même !

M. Claude Raynal. - Donner une mission thématique à un ambassadeur ne me choque pas, sachant qu'il est déjà rémunéré par le ministère. Combien de personnes qui ne sont pas ambassadeurs de plein exercice sont rémunérées par le ministère ? Un amendement d'appel pourrait aussi limiter le nombre maximal de tels ambassadeurs thématiques.

M. Vincent Éblé, président. - Cela s'appelle le plafond d'emploi....

M. Jérôme Bascher. - Comme pour les préfets réalisant une mission pour le compte du Gouvernement...

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Nous n'avons pas souhaité nous prononcer sur l'opportunité des différents postes. Par ailleurs, nous avons manqué de temps pour rencontrer ces ambassadeurs. Nous n'avons pas pu non plus vérifier le rôle de tous leurs collaborateurs. Ainsi, Mme Royal ne percevait pas de rémunération spécifique comme ambassadeur thématique, mais elle avait deux collaborateurs en CDD, dont nous n'avons pas pu vérifier le travail.

Proposer un amendement d'appel me semble une bonne façon de faire. Il faut un meilleur encadrement de ces postes. Le ministère nous annonce des progrès, il faut que ceux-ci soient réalisés.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Il y a des types très différents d'ambassadeurs thématiques. Quatre d'entre eux ne sont pas rémunérés pour cette tâche : outre Mme Royal, l'ambassadeur pour les investissements internationaux est aussi le directeur général de Business France. Cela ne nous a pas paru choquant, mais il faut l'expliquer. Le président de l'Institut français est également ambassadeur pour les relations culturelles internationales, sans rémunération spécifique pour cette ambassade. Enfin, l'ancienne secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences est aussi ambassadrice déléguée à la science, la technologie et l'innovation. La moyenne est calculée alors que seuls seize ambassadeurs thématiques sont rémunérés spécifiquement.

M. Vincent Éblé, président. - La moyenne est donc calculée sur les seize ambassadeurs rémunérés ?

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Oui. Il n'y a pas de dérive particulière ni de coût très important, mais le cadre juridique est insuffisant. Je comprends la nomination d'un ambassadeur pour plus de crédibilité dans les relations internationales, sinon cela relève d'un délégué interministériel. Il faut mieux encadrer. Durant la présidence de François Hollande, le nombre d'ambassadeurs thématiques a considérablement diminué : ils sont passés de 27 à 18.

M. Claude Raynal. - Il fallait que cela fût dit !

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Le nombre très variable d'ambassadeurs thématiques suivant les périodes montre que certaines responsabilités ne sont pas indispensables, mais qu'elles peuvent être utiles ; un amendement d'appel, pourquoi pas, afin d'encadrer et de passer de la circulaire au décret ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Vincent Segouin, les ambassadeurs thématiques nommés en Conseil des ministres sont soumis à une obligation de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique mais à l'inverse des parlementaires, ces déclarations ne sont pas rendues publiques.

La commission autorise la publication de la communication de MM. Rémi Féraud et Vincent Delahaye sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 10 h 05.

La réunion est ouverte à 16 h 10.

Contrôle budgétaire - Franc CFA - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons une communication de contrôle budgétaire de Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial, et M. Victorin Lurel, rapporteur, sur le franc CFA.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. - Nous nous retrouvons pour parler du franc CFA et de la zone franc. Je remercie M. Victorin Lurel, qui a souhaité être associé à ce travail. Ses compétences techniques et son dynamisme ont été précieux.

Ce contrôle budgétaire a été lancé après les annonces des Présidents français et ivoirien le 21 décembre 2019 sur la réforme du franc CFA en Afrique de l'Ouest. On parle très peu, d'habitude, du franc CFA, alors qu'il s'agit pourtant d'un sujet très important pour la France et son image en Afrique. Traditionnellement, en effet, on ne consacre à ce sujet que quelques lignes dans le rapport budgétaire sur les engagements financiers de l'État.

En juillet, lors de la restitution de nos premières observations, il nous restait encore quelques auditions à mener. Nous avons donc décidé de profiter du contrôle budgétaire pour dresser un véritable état des lieux de la zone franc. La crise sanitaire, évidemment, n'a pas facilité notre travail.

Nous commençons notre rapport par le constat qui a guidé notre travail : la méconnaissance de ce que désigne concrètement la zone franc, des principes qui la régissent et des mécanismes qui la sous-tendent a alimenté des idées reçues, aujourd'hui difficiles à bousculer. La zone serait ainsi un vestige du colonialisme qui bénéficierait d'abord à la France. Il est vraiment dommage que notre pays ait perdu la bataille de l'image en laissant filer ce sujet. Pourtant, ce n'est pas en évitant le débat qu'on évite la polémique !

La zone franc comporte quinze pays : les Comores et quatorze autres pays regroupés en deux unions monétaires, l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA) et la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac), soit 183 millions d'habitants pour un PIB de 241,7 milliards de dollars.

Elle est régie par trois accords de coopération monétaire distincts, datant des années 1970. Cela signifie donc, malgré une idée communément répandue, qu'il y a non pas une, mais trois monnaies distinctes : deux francs CFA - un pour l'Afrique de l'Ouest, un pour l'Afrique centrale - et le franc comorien.

Elle fonctionne selon quatre principes fondamentaux : la parité fixe avec l'euro, à un taux inchangé depuis 1994 ; la garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle apportée par la France ; la mutualisation d'une partie des réserves de change sur un compte d'opérations auprès du Trésor, contrepartie de la garantie ; la liberté des transactions et des mouvements de capitaux à l'intérieur de chacune des zones. On pourrait ajouter un cinquième principe : la présence de représentants nommés par la France dans les instances techniques de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et de la Banque centrale des États d'Afrique centrale (BEAC). La présence est plus marquée dans les instances des Comores, et nous estimons qu'il serait opportun de réfléchir au remplacement des représentants français par des administrateurs indépendants.

Que représente la zone franc dans le budget français ? De prime abord, pas grand-chose : le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », pendant budgétaire des accords de coopération monétaire conclus entre la France et les quinze pays de la zone franc, n'est pas doté de crédits depuis de nombreuses années. Il n'existe même plus de document de performance annexé aux projets de loi de finances ! Cette absence de crédits se justifie par le faible risque d'appel en garantie. Le terme d'accord monétaire est trompeur, puisque l'engagement pris par la France est un engagement budgétaire : la France s'est engagée à répondre à toute demande en devises des banques centrales de la zone franc en cas d'épuisement de leurs réserves de change et d'incapacité à couvrir leurs importations.

Deux institutions sont particulièrement impliquées dans la gestion de cette coopération monétaire : la Banque de France, avec un service de sept économistes consacré plus généralement à la zone franc et au développement, et le Trésor, avec environ trois à quatre équivalents temps plein (ETP) au sein du service des affaires multilatérales et du développement qui sont chargés du suivi de la coopération monétaire.

Enfin, il faut aussi évoquer la rémunération de la part des avoirs extérieurs nets que les banques centrales de la zone franc doivent obligatoirement déposer auprès du Trésor. Dans le contexte de taux actuel, ces dépôts sont rémunérés à des conditions avantageuses, du fait des taux plancher : 0,75 % pour les dépôts de la BCEAO et de la BEAC, 2,5 % pour ceux de la Banque centrale des Comores. En 2019, 62,6 millions d'euros ont été versés aux banques centrales africaines.

Pour reprendre les termes d'une personne que nous avons auditionnée, M. Mario Giro, il existe donc un véritable décalage entre « cette petite ligne pour le budget de la France » et « ce sujet si énorme et symbolique pour une partie de l'Afrique ».

On le savait, et les auditions nous l'ont confirmé, la façon de percevoir la zone franc, ses avantages et ses inconvénients, est aujourd'hui fortement affectée par son histoire et ses symboles, bien plus que par des considérations strictement économiques. Malgré un changement de nom, le franc CFA reste marqué par son héritage colonial. Officiellement créé le 26 décembre 1945, il était alors le franc des colonies d'Afrique et, jusqu'en 1978, les sièges des banques centrales étaient à Paris.

La méconnaissance de la zone franc et de la dominance idéologique a cristallisé les débats et alimenté les contrevérités sur les francs CFA et la zone franc. C'est pour cela qu'il nous est apparu essentiel de revenir sur ces idées reçues et de chercher à distinguer le vrai du faux sur la zone franc.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je n'ai pas souvenir d'un rapport parlementaire récent sur le franc CFA. Pourtant, nous subissons l'information, voire la propagande, qui est diffusée depuis fort longtemps sur ce sujet. Face à cela, la France a en effet oublié que la monnaie était aussi un objet politique.

Chaque système monétaire a ses avantages et ses inconvénients. Or, si l'on peut défendre sur le plan économique ce système, avec trois monnaies différentes, il faut reconnaître que la France a perdu la bataille de l'image et que l'affirmation de la dimension identitaire s'effectue à ses dépens. Ce rapport est donc bienvenu pour faire le point sur la question, car il serait trop facile d'accuser la monnaie de toutes les difficultés qui frappent les États appartenant à la zone franc.

Dans le rapport, nous revenons sur dix constats portés sur le franc CFA, plus ou moins critiques, et sur lesquels les faits nous appellent souvent à la nuance.

Première critique : l'obligation de détenir une partie des réserves sur un compte d'opérations auprès du Trésor constituerait une taxe sur les pays de la zone franc et servirait à financer la dette française au détriment du développement des économies locales. Nathalie Goulet l'a dit, les réserves sont rémunérées, librement accessibles et servent de contrepartie à la garantie octroyée par la France. Ces réserves n'ont, par ailleurs, aucune conséquence sur la disponibilité du crédit dans l'économie, qui relève bien davantage de la faible inclusion bancaire et de la frilosité des banques commerciales.

Ensuite, les mécanismes de la zone franc, avec la parité fixe et la convertibilité inconditionnelle et illimitée, contribuent à sa stabilité monétaire et à la maîtrise de l'inflation. Ce sont les principaux arguments des défenseurs de la zone franc. À l'échelle du continent, les francs CFA sont des monnaies anciennes ; elles ont survécu à des crises politiques ou militaires de grande ampleur dans certains pays membres. De même, l'inflation est bien plus basse dans la zone franc que dans la plupart des autres pays du continent. Une inflation basse peut contribuer à réduire la pauvreté, participer à l'attractivité des investisseurs et faciliter la mise en place de politiques communes. Mais une inflation trop basse n'est pas forcément un signe de santé, nous le voyons aujourd'hui en Europe ! Cette priorité donnée à la stabilité des prix se fait au détriment d'un objectif premier de croissance. C'est un arbitrage politique qui doit être ouvert à la discussion. Ce débat est planétaire : faut-il viser une cible d'inflation ou mettre l'accent sur l'emploi et la croissance ? La Réserve fédérale américaine a un objectif d'emploi et de croissance dans ses statuts, tandis que la BCEAO vise d'abord la stabilité des prix. Il serait peut-être souhaitable que la Banque centrale des Comores, la BCEAO et la BEAC précisent leurs objectifs à cet égard.

Troisième critique : le franc CFA serait un obstacle à la croissance et au développement des pays de la zone franc. Or rien ne le démontre. Ce qui est sûr, c'est que ces pays ne présentent pas spécialement de meilleures performances en termes de croissance, de PIB par habitant ou d'indice de développement humain. On peut néanmoins relever une exception pour l'UMOA, qui présente depuis 2012 un taux moyen de croissance supérieur à 6 %. Il est évident qu'il existe d'autres obstacles à la croissance, tels que la faible diversification des économies, le climat des affaires incertain ou encore l'insuffisante qualité de l'éducation, de la gouvernance et des infrastructures. La monnaie ne peut pas tout. Ainsi, dans un pays comme la Côte d'Ivoire, le taux de bancarisation n'est que de 15 % : dans ces conditions, les mécanismes de transmission monétaire ne peuvent pas fonctionner.

Quatrième critique : le franc CFA est soumis aux aléas des fluctuations de l'euro. L'euro a tendance à s'apprécier face au dollar, ce qui renchérit le prix des exportations, un sujet particulièrement sensible quand on sait que les économies de la zone franc exportent principalement des matières premières et que ces échanges se font principalement en dollar. Mais cet arrimage à une monnaie forte ne peut expliquer à lui seul le déficit de compétitivité des pays de la zone franc. Nous le savons fort bien en France, la compétitivité dépend de tout un ensemble de facteurs.

Cinquième critique : on a beaucoup entendu dire lors de nos auditions que le franc CFA était surévalué et que cela nuisait à la compétitivité et à la diversification des économies. Deux nuances toutefois : le FMI estime que la surévaluation est raisonnable, de l'ordre de 5 %, et on oublie souvent qu'une dévaluation peut être très douloureuse pour les populations locales. Toutes ont encore le souvenir de la dévaluation de 1994, vécue de manière brutale : - 50 % pour les francs CFA, - 33 % pour le franc comorien. Attention à ne pas trop jouer aux apprentis sorciers dans ce domaine : les agences de notation nous mettent en garde contre une dévaluation et ses effets sur l'endettement des pays de la zone franc.

Sixième critique : on ne laisse pas les banques centrales de la zone franc conduire une politique monétaire autonome et même expansionniste, alors qu'elles sont en mesure de le faire. Les détracteurs du franc CFA disent souvent que la BCEAO et la BEAC sont incapables d'agir de manière autonome, trop affectées par les décisions de la BCE. Il faut nuancer le propos : il y a bien influence, mais de manière indirecte, via la politique de change. Les banques centrales de la zone franc mènent des politiques monétaires plus accommodantes que leurs homologues en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, justement parce que les anticipations d'inflation sont basses : la BCEAO a un taux « directeur » de 2,5 % et le Nigeria de 13,5 %.

Septième critique : le franc CFA favoriserait les entreprises françaises. Certes, la zone franc est apparue, en 1939, d'abord pour protéger l'économie française à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Mais les choses ont évolué depuis ! Il n'y a pas de règles commerciales ou financières en vigueur qui favoriseraient les entreprises françaises. La parité fixe avec l'euro est un avantage pour l'ensemble des entreprises étrangères, pas seulement pour la France - et, dans les faits, la part de la France et de la zone euro dans les échanges avec l'UMOA et la Cemac est en recul.

Huitième critique : la France disposerait d'un droit de veto au sein des instances dirigeantes de la zone franc. C'est faux ! La France ne dispose d'aucun représentant au sein des instances politiques des unions monétaires. Sa présence est en recul, il n'y a plus qu'un seul représentant nommé par la France dans les instances techniques de la BCEAO et de la BEAC. La situation est un peu différente pour les Comores, où les représentants nommés par la France constituent toujours la moitié du conseil d'administration de la Banque centrale. Nous recommandons de mieux encadrer ces nominations et de réduire la présence française dans les instances de la Banque centrale des Comores.

Neuvième critique : la Banque de France exercerait une « tutelle » sur les banques centrales de la zone franc. C'est faux également ! La Banque de France entretient des relations commerciales et de coopération avec la BCEAO, la BEAC et la BCC. Par exemple, l'accord de coopération avec la BCEAO est extrêmement large et couvre quasiment toutes les missions et les métiers habituellement dévolus à une banque centrale. Pour les relations commerciales, c'est la Banque de France qui fabrique les billets francs CFA et franc comorien. Cette fabrication est assurée par la papeterie de Vic-le-Vicomte et par l'imprimerie de Chamalières, deux imprimeries situées en Auvergne et qui emploient environ 900 personnes. Contrairement à ce qu'on entend, ce n'est pas imposé par les accords de coopération monétaire : ce sont les banques centrales qui ont décidé de faire fabriquer leur monnaie en France, comme beaucoup de pays africains - d'autres s'adressant à d'autres pays européens, par exemple l'Allemagne. Seuls neuf pays africains disposent aujourd'hui des infrastructures pour fabriquer leurs billets sur place.

Enfin, dixième critique : le Trésor exercerait une tutelle sur les pays de la zone franc par l'intermédiaire du compte d'opérations. Or les règles relatives à ce compte sont inscrites dans des accords monétaires et dans les conventions de garantie. S'il y a une alerte, ce n'est pas le Trésor français qui agit mais les banques centrales de la zone franc, auxquelles il revient d'abonder le compte d'opérations. Des conseils de politique monétaire, où les représentants français sont minoritaires, peuvent alors être convoqués pour décider des mesures de redressement.

On le voit, sur un aspect purement économique, la contestation de la zone franc n'est pas aussi simple que certains détracteurs voudraient le faire croire. Il serait abusif d'en faire un bouc émissaire. Mais se contenter de ces considérations économiques serait une erreur, car la monnaie est aussi un objet politique, idéologique et souverain.

Le bilan, pour être équilibré, doit aussi souligner l'importance des intérêts versés par la France aux pays concernés pour le dépôt de leur quote-part de réserves, le taux d'intérêt y est bien supérieur à ce qui se pratique à l'ordinaire : nous présentons les chiffres précis dans notre rapport, je vous invite à vous y reporter. Je précise par ailleurs que les avoirs déposés par les banques centrales bénéficient d'une garantie de change, en cas d'appréciation ou de dépréciation de la monnaie vis-à-vis du droit de tirage spécial.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. - Le sujet est éminemment politique : le franc CFA, placé au coeur du désamour entre la France et l'Afrique, fait l'objet de critiques parfois sans fondement ou sans nuance. Dès lors que notre rapport entend parvenir à une présentation équilibrée, nous devons aussi souligner les avantages du franc CFA : les intérêts versés aux pays qui déposent une partie de leurs réserves, mais aussi la convertibilité, la stabilité monétaire. Si nous mentionnons ces avantages, nous ne cachons pas pour autant les inconvénients de la Zone franc ou ses lacunes.

Nous avons également des propositions, sur le changement de nom de la monnaie, sur la centralisation des réserves de change, sur le compte d'opérations, lequel fait l'objet de fantasmes, mais aussi, très concrètement, sur le repli de la France dans les instances de gouvernance, ou encore sur la rémunération des réserves déposées. Ce sont d'ailleurs des mesures reprises dans le nouvel accord de coopération monétaire entre la France et les États membres de l'UMOA.

Nous avons noté, de la part de nos interlocuteurs, une inquiétude quant au décalage entre la fin de la centralisation des réserves et le maintien de la garantie dans ce nouvel accord de coopération monétaire - il est clair qu'il faut viser une équivalence, ou bien il y aura un hiatus. Des mécanismes de reporting seront donc mis en place pour la France ait de la visibilité sur son risque financier et puisse le piloter. Nous devons également veiller à ne pas perdre une nouvelle fois la bataille de l'image.

Il faut également dire que la réforme dans l'UMOA pourrait constituer une première étape vers une réforme plus ambitieuse de la coopération monétaire dans la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao). La Cédéao développe en effet son propre projet de monnaie unique, l'eco. Il faut toutefois dire que cette réforme, nécessaire, risque d'être reportée du fait de la crise sanitaire et des réticences de certains pays membres. N'est-ce pas l'occasion de poursuivre et d'approfondir notre travail de proposition, d'imaginer une réforme plus ambitieuse et plus structurée d'une souveraineté monétaire ouest-africaine ? Nous avons interrogé longuement Dominique Strauss-Kahn sur le sujet, les pistes intéressantes ne manquent pas. Ce sujet technique est donc bien plus vaste qu'il n'y paraît, nous avons de quoi y travailler encore.

M. Gérard Longuet. - Merci pour ce rapport. J'espère qu'il aura une large diffusion.

Le franc CFA souffre de sa dénomination, mais, pour le reste, il est parfait : d'abord, parce qu'il assure une convertibilité, qui est une condition sine qua non des investissements étrangers, et des taux d'intérêt bien moindres pour les économies concernées que pour celles qui sont comparables mais situées hors zone franc. Nos partenaires africains ont un droit légitime à une autonomie d'affichage et à une autonomie réelle, mais il ne faut pas perdre de vue que leur sécurité monétaire, assurée par la zone franc, repose sur un partenariat étroit avec la France. C'est le noeud de l'ensemble : les avantages de la sécurité obligent aux conditions de la sécurité, les uns ne vont pas sans les autres. L'Afrique est riche par sa démographie, par ses ressources, mais son développement requiert des moyens très importants - en infrastructures, en éducation, en formation -, donc des capitaux qui doivent venir de l'extérieur, ce qui exige des garanties, qu'apporte l'arrimage organisé par la zone franc. D'où ma question : quel équilibre, entre l'affirmation de l'autonomie et le maintien de cette sécurité indispensable à l'apport de capitaux ?

M. Marc Laménie. - Quelle est l'importance du franc CFA en masse monétaire ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je ne reprendrai pas la distinction entre autonomie affichée et autonomie réelle... Je ne vous cache pas que, en abordant le sujet, j'avais quelques préjugés, et qu'il régnait un certain flou sur les chiffres. J'ai découvert bien des choses, par exemple le fait que la France assure une garantie de change sur les réserves déposées, au cas où l'euro se déprécie. Il me semble qu'en soixante-quinze ans d'existence nous sommes parvenus à un équilibre : la zone franc a résisté aux guerres, aux indépendances, à la corruption, l'équilibre a été trouvé entre la sécurité de change et la liberté dont les banques centrales disposent pour gérer elles-mêmes les leviers monétaires. Il faut bien comprendre que, demain, si ces banques n'avaient plus obligation de déposer en France la moitié de leurs réserves, elles le feraient ailleurs, pour une rémunération moindre - la France rémunère à 0,75 % et 2,5 %, c'est considérable. Il faut tenir compte, cependant, de la géopolitique des émotions, et c'est bien pourquoi nous disons qu'il est plus rationnel d'en finir avec l'obligation de dépôt, mais aussi que la France doit se retirer des instances techniques de gouvernance, sauf en cas de crise. En 1994, la France avait une alternative : soit payer, soit dévaluer. On a choisi de dévaluer, mais sans réformer l'ensemble, ce qui n'était pas une bonne chose.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. - Les quinze pays de la zone franc représentent un PIB cumulé de 241 milliards d'euros. Au-delà de l'aspect monétaire et financier, il y a une question de positionnement de la France en Afrique de l'Ouest et plus généralement en Zone franc, sur une question qui relève du domaine de la souveraineté. La crise sanitaire, ses conséquences économiques et sociales vont durer, il serait utile de suivre la situation et de continuer ces travaux, en particulier pour s'interroger davantage sur une plus grande implication de l'Europe au coeur du franc CFA..

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je suis favorable, personnellement, à une réforme en profondeur d'où émergerait un régime de change flottant ou ajustable, adossé à des droits de tirage spéciaux : la France n'y perdrait pas ses avantages. Resterait à déterminer la place qu'y prend la BCE.

M. Vincent Éblé, président. - Merci pour ces travaux et ce débat.

La commission autorise la publication de cette communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 16 h 50.

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance et Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

M. Vincent Éblé, président. - Pour la toute dernière réunion avant que notre commission soit renouvelée, nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi MM. Bruno Le Maire et Olivier Dussopt, qui viennent nous présenter le projet de loi de finances pour 2021, délibéré lundi dernier en conseil des ministres. Nous avons reçu, hier après-midi, le président du Haut Conseil des finances publiques, M. Pierre Moscovici, qui nous a présenté l'avis de cette institution.

Ce projet de loi de finances n'est toujours pas accompagné d'un projet de loi de programmation des finances publiques, alors que la loi de programmation de 2018 est une référence dépassée, ainsi que nous le disions déjà l'an dernier, avant même le déclenchement de la crise, et ainsi que le Haut Conseil des finances publiques le rappelle dans son avis. Monsieur Dussopt, vous avez déclaré devant notre commission, le 10 septembre dernier, qu'un tel projet de loi de programmation serait présenté prochainement ; peut-être serez-vous en mesure de préciser le calendrier prévu par le Gouvernement.

Le projet de loi de finances pour 2021 est exceptionnel par le caractère particulièrement élevé du déficit budgétaire qu'il prévoit et par la présence d'une mission spécifique consacrée à la relance, mais ces éléments ne doivent pas faire oublier la nécessité de poursuivre et de financer les missions plus traditionnelles de l'État.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. -Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je félicite tous ceux et toutes celles d'entre vous qui ont été réélus dimanche dernier. Je suis heureux de vous présenter, accompagné pour la première fois de M. Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, les grandes orientations du projet de loi de finances.

Ce projet de budget vise à la fois à maintenir la protection nécessaire de nos salariés et de nos entreprises et à engager dès maintenant les investissements indispensables à la transformation économique de notre pays. Ces deux volets ne sont pas exclusifs l'un de l'autre ; ce n'est pas parce que nous préparons l'avenir de la France que nous devons renoncer à soutenir des secteurs très durement touchés par la crise du coronavirus.

S'agissant des mesures de soutien, j'en retiens quatre. La première est le prêt garanti par l'État (PGE), au titre duquel 120 milliards d'euros ont été accordés à plus de 500 000 entreprises, dont 90 % de très petites ou de petites et moyennes entreprises (TPE ou PME), que l'État a donc d'abord privilégiées dans sa réponse à la crise. Beaucoup d'inquiétudes se font jour chez ces entrepreneurs, restaurateurs, patrons de café, d'hôtel, travailleurs de l'événementiel, traiteurs, fleuristes, commerçants de proximité qui craignent de ne pas pouvoir rembourser leur prêt d'ici à trois mois. Je veux les rassurer : deux possibilités leur seront offertes. Ceux qui le souhaitent pourront prolonger la maturité de leur prêt jusqu'à cinq années, pour un total de six années, à un taux très attractif - entre 1 % et 2,5 % en fonction de la durée de prolongation - négocié avec la Fédération bancaire française (FBF), que je recevrai encore la semaine prochaine pour m'assurer que ces instructions parviennent jusqu'aux agences dans vos territoires. Ces taux comprennent la garantie de l'État, qui représente cent points de base, et sont les plus attractifs sur le marché. D'autres entreprises ont besoin de fonds propres pour investir sans que cela pèse sur leur niveau d'endettement. Nous avons prévu 3 milliards d'euros pour que ces entreprises puissent lever des fonds sous la forme de prêts participatifs d'une durée de sept ans, lesquels ne sont pas comptabilisés comme de la dette dans les bilans, afin d'alléger leur trésorerie et de leur permettre d'investir. Ces fonds prendront la forme de prêts participatifs ou d'obligations convertibles. Nous faisons donc le nécessaire pour financer la prolongation des PGE ou leur transformation en prêts participatifs ou en obligations convertibles pour favoriser les investissements.

Le deuxième volet de la protection mise en oeuvre est le fonds de solidarité, qui a apporté 6 milliards d'euros d'aide à 1,7 million de commerçants, d'indépendants et d'artisans. Le premier volet de ce fonds est aujourd'hui plafonné à 1 500 euros et distribué par la direction générale des finances publiques (DGFiP) avec l'efficacité qu'on lui connaît ; nous allons le porter à 10 000 euros. Un gérant de salle de sport, un patron de bar ou de restaurant qui aura perdu 80 % de son chiffre d'affaires - nous serons très compréhensifs - ou qui aura dû fermer pourra demander jusqu'à 10 000 euros. Je suis prêt à poursuivre la réflexion pour continuer à faire évoluer ce fonds de solidarité afin qu'il puisse couvrir le plus grand nombre d'entreprises confrontées à une chute très importante de leur chiffre d'affaires ou à une fermeture administrative.

Le report des échéances fiscales et sociales est le troisième outil, auquel nous avons déjà consacré 30 milliards d'euros. Nous continuerons à accorder reports ou exonérations aux entreprises fermées administrativement, lesquelles n'ont pas vocation à payer des charges si elles n'ont pas de chiffre d'affaires.

Enfin, le dernier élément est le chômage partiel, pour lequel nous avions provisionné plus de 30 milliards d'euros ; nous en avons dépensé une vingtaine. Nous allons le maintenir, avec la prise en charge à 100 % des salaires pour toutes les entreprises des secteurs de l'hôtellerie, des cafés, de la restauration, jusqu'au 31 décembre de cette année. Comme je l'ai annoncé ce matin avec Élisabeth Borne, le dispositif sera étendu au secteur de l'événementiel et à celui des salles de sport, dont les entreprises ont fermé ou n'ont plus qu'une activité résiduelle. Cela représente un effort considérable, de plusieurs centaines de millions d'euros. Toutes les entreprises du secteur du tourisme, qui devaient supporter à partir du 1er novembre un reste à charge de 15 %, bénéficieront d'une prise en charge à 100 % jusqu'au 31 décembre de cette année. Nous marquons ainsi notre détermination à protéger les secteurs les plus fragilisés par la crise. La circulation du virus persiste, la protection doit également persister !

Nous avons mis en place des mesures de soutien aux secteurs en difficulté, tels que l'aéronautique, les start-ups, l'automobile. Nos mesures de soutien à la demande ont remarquablement bien marché. La prime de 7 000 euros pour les véhicules électriques a permis d'en vendre 55 000 depuis le début de l'année. Les véhicules électriques représentaient seulement 1,8 % de l'ensemble des voitures en 2019. Cette proportion a bondi à 6,1 % en 2020. Il y a une vraie dynamique. Pour continuer à soutenir la demande de véhicules électriques, nous maintiendrons le bonus à 7 000 euros jusqu'à la fin de l'année 2020, puis il passera à 6 000 euros en 2021 et à 5 000 euros en 2022.

Nous nous engageons maintenant dans la relance. L'époque est à la caricature, alors qu'elle devrait être à la nuance. Je le regrette. En effet, contrairement à la caricature, le Gouvernement n'est pas engagé dans une politique exclusive de l'offre, abandonnant la demande.

Soutenir massivement le chômage partiel, c'est soutenir la demande ; investir dans l'aéronautique, c'est soutenir la demande ; investir 15 milliards d'euros dans l'industrie automobile, qu'est-ce, sinon soutenir la demande ? Le Gouvernement protège et soutient la demande des plus fragiles, par exemple en augmentant l'allocation de rentrée scolaire à concurrence d'un demi-milliard d'euros.

Néanmoins, l'axe fondamental de la politique du Gouvernement reste le soutien à l'offre et l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises, parce que c'est ainsi que l'ensemble de l'économie française pourra se redresser sur le long terme.

Ces choix se font dans un contexte très difficile de persistance du virus et de grandes incertitudes économiques. Lorsque tout le monde m'expliquait, fin août, que la crise était derrière nous et que la consommation repartait à la hausse, j'ai tenu à modérer les enthousiasmes des uns et des autres, et, alors que les instituts de statistiques estimaient que la récession devait être réévaluée de - 11 % à - 8 %, je m'en suis tenu à une évaluation prudente, à savoir - 10 %. Il s'agit de ne pas céder à des excès d'optimisme. Le redressement sera lent. Il prendra deux ans. Si, en 2022, nous avons retrouvé le niveau de 2019, nous aurons relevé ensemble un très beau défi économique et politique.

Le budget de la relance représente 100 milliards d'euros, décaissés sur deux ans, dont 86 milliards d'euros de financement de l'État répartis entre 66 milliards d'euros de crédits budgétaires et 20 milliards d'euros de baisse d'impôts de production, 8,7 milliards d'euros provenant de la sphère sociale, 3 milliards d'euros de la Banque des territoires et 2,5 milliards d'euros de Bpifrance.

Nous visons un décaissement de 10 milliards d'euros d'ici à fin 2020. Des appels d'offres ont déjà été lancés pour la rénovation énergétique des bâtiments. Vous avez jusqu'au 9 octobre pour faire remonter les projets. Les aides à l'embauche des jeunes et à l'industrie peuvent être décaissées très vite.

Nous souhaitons que 42 milliards d'euros soient effectivement dépensés d'ici à la fin de l'année 2021, pour que la relance soit la plus rapide possible.

Le Premier ministre réunira un conseil national de la relance rassemblant parlementaires, organisations patronales et syndicales et représentants des collectivités locales, de façon à veiller à la bonne mise en place du plan de relance. Je présiderai chaque semaine un comité de pilotage national dont le secrétariat général sera assuré par Bruno Parent et qui veillera au suivi des indicateurs d'exécution du plan de relance, qui seront transparents et accessibles sur Internet. Enfin, des comités de suivi régionaux associeront les préfets, les présidents de région et les directeurs régionaux des finances publiques.

Le premier principe fondateur de notre politique économique de l'offre, c'est la baisse des impôts. Il n'y aura pas d'augmentation d'impôts d'ici à la fin du quinquennat. D'ici à fin 2021, nous aurons baissé les impôts de 45 milliards d'euros, dont la moitié pour les ménages, notamment via la taxe d'habitation, et la moitié pour les entreprises, notamment via la réduction de l'impôt sur les sociétés à 25 % d'ici à 2022 pour toutes les entreprises. Avec la baisse des impôts de production de 10 milliards d'euros à compter du 1er janvier 2021, ce sera la diminution d'impôts la plus importante depuis vingt ans en France. Malgré cela, notre taux de prélèvements obligatoires restera un des plus élevés des pays de l'OCDE.

Le deuxième principe fondateur est l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises. C'est nécessaire pour réussir la relocalisation industrielle, produire des électrolyseurs, des batteries électriques, des ordinateurs quantiques ou des avions à hydrogène. Nous devons poursuivre notre politique de formation et de qualification qui a permis, pour la première fois depuis dix ans en 2019, la création d'emplois industriels.

Tous ceux qui veulent la relocalisation industrielle mais refusent d'en tirer les conséquences fiscales ou en matière de formation des salariés manquent de cohérence.

Notre objectif est de renforcer l'activité de 4 points de PIB, dont 1,5 point en 2021, et de créer 240 000 emplois dès 2022.

Le troisième principe fondateur est l'accélération de la transition écologique. Pour la première fois, nous vous présentons un budget « vert », dans lequel nous identifions les dépenses vertes, neutres et négatives. Cet exercice est perfectible, mais au moins il existe. On peut savoir gré au Gouvernement de s'être engagé dans cette voie.

Trente milliards d'euros du plan de relance sont consacrés à des mesures favorables à l'environnement et aucune mesure ne lui est défavorable : rénovation énergétique des bâtiments, développement du ferroviaire, des pistes cyclables, du recyclage, hydrogène...

Ma conviction est que la France peut sortir plus forte de cette crise, avec un modèle économique plus juste, plus compétitif, plus décarboné.

Beaucoup de Français sont en plein désarroi ou en colère, mais nous voulons apaiser les tensions en montrant que nous protégeons les plus fragiles et les plus exposés à la crise économique, avec des solutions concrètes. Nous voulons montrer aux Français qu'il existe une voie de passage pour une France plus compétitive et plus respectueuse de l'environnement.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. - Je m'associe aux félicitations adressées par M. Le Maire aux sénateurs réélus et je salue ceux qui ont fait le choix de ne pas se représenter. Je leur souhaite le meilleur.

Premièrement, le projet de loi de finances pour 2021 est le principal vecteur du plan de relance. Sur 100 milliards d'euros, 8,7 milliards d'euros sont couverts par la sphère sociale, avec l'Unedic et la sécurité sociale, 5,7 milliards d'euros par la Banque des territoires et Bpifrance, et 86 milliards d'euros par l'État, dont 20 milliards d'euros de baisse d'impôts - 10 milliards d'euros dès le 1er janvier - et 66 milliards d'euros de crédits budgétaires. Parmi ces derniers, on compte 11,5 milliards d'euros au titre du Programme d'investissements d'avenir (PIA) et 16 milliards d'euros relevant des missions habituelles, comme l'abondement du financement de l'insertion par l'activité économique, qui dépend du budget du ministère du travail. Certains crédits ont déjà été votés par le Parlement, comme le milliard d'euros de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) décidé en juillet dernier. Enfin, 36,4 milliards d'euros sont prévus pour la mission « Relance ». Nous veillons, dès début 2021, à ouvrir les autorisations d'engagement et avons prévu 22 milliards d'euros de crédits de paiement. Ces 36,4 milliards d'euros sont répartis entre l'écologie, pour 18,4 milliards d'euros, la cohésion, pour 12 milliards d'euros, et la compétitivité, pour 6 milliards d'euros.

Nous avons veillé à ce que cette mission soit pilotée directement par le ministère de l'économie, des finances et de la relance. En outre, nous avons concentré ses crédits sur trois programmes : cette solution garantit une véritable fongibilité à l'échelle de chaque programme et permet de mettre en oeuvre la clause de revoyure. Si un projet ne voit pas le jour, nous pourrons facilement en annuler les crédits et les redéployer au profit d'un autre arrivé à maturité.

Deuxièmement, ce projet de budget traduit - évidemment - les engagements pris depuis le début du quinquennat. À périmètre constant - autrement dit, les crédits de la relance mis à part -, nous avons fait le choix de vous présenter un projet de loi de finances très conforme à ce que nous avions indiqué lors du débat d'orientation des finances publiques : avec le montant total de dépenses présenté à cette occasion, l'écart n'est « que » de 700 millions d'euros. Il résulte de choix tels que la revalorisation des traitements des enseignants ou la mise en oeuvre de la justice de proximité.

Nous tenons à rester aussi près que possible du programme triennal. Certes, nous avons la responsabilité d'engager de nombreux crédits pour répondre à la crise économique. Mais, pour les financer dans le temps, nous devons également maîtriser les dépenses publiques structurelles et conserver au plan de relance un caractère aussi conjoncturel que possible. C'est aussi pour cela qu'avec ce budget nous tenons l'engagement de stabilité du schéma d'emplois de l'État pour 2021. Ce schéma affiche une très légère baisse, de 157 équivalents temps pleins (ETP).

Suivant nos priorités, nous donnons davantage de moyens aux ministères régaliens. Le ministère des armées voit son budget augmenter de 1,7 milliard d'euros, conformément à la loi de programmation militaire (LPM). L'intérieur voit son budget augmenter de 433 millions d'euros et la justice, de 610 millions d'euros - tous ces chiffres sont hors relance -, soit 8 %. Cette hausse inédite répond à deux objectifs : mettre en oeuvre de nouveaux engagements, notamment au titre de la justice de proximité, et rattraper la trajectoire de la loi de programmation de la justice, légèrement sous-exécutée lors des deux derniers exercices.

En parallèle, nous préparons l'avenir. Le budget du ministère de l'éducation nationale va augmenter de 1,4 milliard d'euros ; celui du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche augmentera de 500 millions d'euros pour financer des actions en faveur de la vie étudiante et traduire les priorités inscrites dans le projet de loi de programmation de la recherche, texte en cours d'examen ; le budget du ministère de la transition écologique augmentera de presque 1 milliard d'euros, dans la continuité des années précédentes.

Certaines priorités politiques, sans être nouvelles, se trouvent affirmées cette année. Le ministère de la culture verra ses crédits augmenter de 150 millions d'euros. Quant au ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, il verra ses fonds croître de 40 % - même si ce budget, de quelques dizaines de millions d'euros en propre, est sans commune mesure avec les budgets massifs précédemment évoqués.

De plus, nous poursuivons le travail de « sincérisation » du budget entrepris en 2017. Depuis 2018, notre doctrine est de minorer à 3 % le taux de mise en réserve, qui était auparavant de 8 %. Ce taux est même ramené à 0,5 % pour trois programmes budgétaires : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), dépenses par nature assez incompressibles.

Afin de simplifier le paysage fiscal, nous proposons de supprimer sept petites taxes supplémentaires et nous débattons avec un certain nombre d'entre vous, ainsi qu'avec vos collègues députés, pour étendre encore cette liste. Depuis 2018, une soixantaine de petites taxes auront été supprimées, pour un montant total de 750 millions d'euros.

Nous vous proposons aussi de poursuivre le travail de rebudgétisation d'un certain nombre de fonds financés par des taxes affectées. C'est un moyen de renforcer l'autorisation parlementaire en matière budgétaire. Nous suggérons notamment de rebudgétiser le fonds Barnier, dont le montant total est aujourd'hui de 137 millions d'euros.

Enfin, au titre des baisses d'impôts, nous engageons, avec ce budget, la suppression d'un tiers de la taxe d'habitation encore payée par 20 % des foyers. Ce mois d'octobre, 80 % des foyers ne paieront plus de taxe d'habitation. Cet effort représente un engagement de 2,4 milliards d'euros. De surcroît, nous franchissons une nouvelle étape dans la diminution de l'impôt sur les sociétés, conformément à la trajectoire arrêtée, pour un engagement de 3,7 milliards d'euros.

Troisièmement, il s'agit d'un budget de transition écologique. Plus d'un tiers du plan de relance est consacré à celle-ci et 18,4 des 36,4 milliards d'euros de la mission « Relance » y sont dédiés. Un budget « vert » permet de donner à chaque programme budgétaire une cotation environnementale fondée sur six critères, lesquels sont un gage de nuance. Le développement du ferroviaire est bon pour l'environnement, car il contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais il peut être considéré comme défavorable à la biodiversité.

Quatrièmement et enfin, j'évoquerai la trajectoire des finances publiques.

L'exercice 2020 devrait se terminer avec un déficit public aux alentours de 10,2 % du PIB et une dette publique représentant 117,5 % du PIB. Ces chiffres s'expliquent par la diminution du fruit des prélèvements obligatoires de 6,8 %, laquelle représente 70 milliards d'euros, toutes administrations confondues, et 46 milliards d'euros pour l'État, ainsi que par la hausse des dépenses d'intervention publique. Cette hausse est de 6,5 % pour l'année 2020, contre 2,2 % en 2019.

Pour 2021, notre objectif, c'est un déficit à 6,7 % du PIB et une dette à 116,5 % du PIB. Cet objectif est atteignable - notre but final étant de retrouver la situation de la fin 2019 -, car l'État se finance dans des conditions extrêmement favorables. Il convient de les préserver grâce aux réformes et aux dépenses structurelles que nous engageons, dans le droit fil de la trajectoire précédente. De 2017 à 2019, nous étions sous les 3 % de déficit - au cours de la dernière année, le déficit, hors crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), s'établissait même à 2,1 %. Le poids de la dépense publique avait été réduit de 55,5 % à 54 % du PIB et la part des prélèvements obligatoires avait diminué de 45,1 % à 44,1 % en 2019.

L'année 2020 sera particulière : le poids des dépenses publiques dans le PIB va augmenter, du fait de leur propre croissance et de la baisse du PIB. Toutefois, nous espérons atteindre à nouveau 58 % en 2021 et revenir à un chiffre proche de celui de 2019 au cours de l'année 2022. Pour ce qui concerne les prélèvements obligatoires, nous espérons atteindre un taux de 43,8 % fin 2021, avec les mesures fiscales relatives à la taxe d'habitation et à l'impôt sur les sociétés, mais aussi avec la baisse des impôts de production, qui s'inscrit dans le cadre du plan de relance.

Nous sommes particulièrement attentifs à la trajectoire des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires : il s'agit de préserver notre crédibilité sur les marchés financiers. Au surplus, nous aurons d'autant plus de facilité à obtenir, pour notre propre plan de relance, des financements de l'Union européenne que nous l'accompagnerons de réformes structurelles. En outre, nous gardons bien à l'esprit qu'une dette se rembourse : c'est une question de responsabilité.

Enfin, monsieur le président de la commission, vos interrogations quant au calendrier de présentation d'un projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques rejoignent les attentes du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Dans les prochaines semaines et les prochains mois ou, en tout état de cause, en 2021, nous devrons procéder à la révision de la trajectoire. Le cantonnement de la dette, notamment de la dette covid, imposera également d'adopter un certain nombre de dispositions au titre de la gouvernance des finances publiques. Ce sera très certainement l'occasion d'un double exercice.

M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le ministre de l'économie, la situation sanitaire s'aggravant à nouveau de jour en jour, de nouvelles restrictions d'activité ont été décidées par le Gouvernement dans les régions les plus affectées. En conséquence, vous avez annoncé un soutien renouvelé aux secteurs concernés, comme la restauration et l'événementiel. Sera-t-il nécessaire de renforcer une nouvelle fois les crédits des dispositifs du plan d'urgence adopté au printemps dernier - fonds de solidarité, chômage partiel et exonérations sociales -, soit dans le budget pour 2020, via le collectif budgétaire de fin d'année, soit dans le budget pour 2021, qui ne consacre encore aucun crédit à ces dispositifs ?

De plus, le plan de relance ne consacre que 800 millions d'euros au soutien aux plus précaires, soit à peine 0,8 % du total. Vous précisez vous-même que ce montant correspond, pour deux tiers, à la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, qui était déjà budgétée et a été versée en août dernier. N'est-ce pas le signe d'un plan déséquilibré, qui penche excessivement du côté des entreprises au risque de paraître illégitime à nombre de nos concitoyens ? Pourquoi ne pas avoir repris certaines propositions, comme l'ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes ou la création de « chèques-relance » au bénéfice des plus modestes ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Monsieur le ministre de l'économie, avec ce projet de loi de finances, vous anticipez une baisse du PIB de 10 % en 2020, qui contrecarre l'acquis de croissance et laisse supposer une rechute de l'économie au dernier trimestre. Pouvez-vous revenir précisément sur les raisons d'une telle trajectoire ? S'agirait-il plutôt d'une chute de la consommation, d'un recul de l'investissement ? Ou bien, avec ces chiffres, anticipez-vous tout simplement une deuxième vague de l'épidémie ?

Ma deuxième question portera sur la baisse des impôts de production. D'un point de vue économique, l'on considère généralement qu'un bon plan de relance doit respecter « la règle des trois T » : timely, targeted, temporary. Or la baisse des impôts de production est une mesure permanente. Même si personne ne contestera que les impôts pesant sur les entreprises, en particulier, sont trop lourds, n'aurait-il pas mieux valu mettre en oeuvre des mesures plus ciblées sur certains secteurs, par exemple des annulations de charges, tout en subventionnant directement l'investissement, et reporter cette baisse des impôts à des temps meilleurs ?

Le Gouvernement met l'accent sur la territorialisation du plan de relance. Olivier Dussopt a déclaré que c'est la DGFiP qui, en quelque sorte, piloterait ce plan. Je ne remets pas en cause les compétences de la DGFiP, mais, sur le terrain, comment cela va-t-il se passer ? Hier, le président du Haut Conseil des finances publiques, qui connaît bien cette administration, pointait le risque d'enlisement, de non-décaissement, surtout quand on sait le côté parfois tatillon de l'administration française. Certes, que Bruno Le Maire préside lui-même le comité hebdomadaire est de nature à nous rassurer, mais la DGFiP n'a pas de compétence « métier ». Aussi, comment s'assurer de la bonne territorialisation de ce plan de relance ?

Pendant ma campagne électorale, j'ai évidemment rencontré des chefs d'entreprise désespérés. Que répondre à un sous-traitant de troisième rang dans l'aéronautique, par exemple ? Lorsqu'on fabrique des vis pour l'aéronautique, on n'est sous-traitant ni de premier rang ni de deuxième rang, mais de troisième rang. Le travail sur l'aluminium ou le titane nécessite des compétences très longues à acquérir, et comment tenir sans aucune perspective de commandes avant des années ? Le risque n'est-il pas que, ces compétences disparaissant, nous ne soyons plus capables de produire des pièces d'avion en France ? Les mesures de chômage partiel ne suffiront pas, cependant que ces entreprises échappent aux mesures du plan sectoriel.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne crois pas que le plan penche trop du côté des entreprises. Ce sont elles qui vont créer de l'emploi, ce qui est la priorité absolue. L'objectif est non pas de soutenir massivement la demande, puisque le pouvoir d'achat des Français a été épargné, mais d'empêcher les entreprises de faire faillite. Nous tablons sur une récession de 10 %, quand le pouvoir d'achat baisserait de 0,5 % en 2020, ce qui est comparativement peu, même si, d'ordinaire, celui-ci progresse. Cela signifie que nous avons amorti très largement le choc économique pour les ménages, l'État l'absorbant à hauteur de 60 % par l'endettement, une dette qui devra être remboursée. Les entreprises, quant à elles, qui ont supporté une large part de ce choc économique, doivent être soutenues.

Pour autant, nous ne négligeons pas les Français les plus fragiles, les plus modestes, qui ont été très touchés par la crise. Plus de 700 000 personnes ont perdu leur emploi, souvent des emplois précaires, de très courte durée. J'étais tout à l'heure en Seine-et-Marne et chacun sait que, chez Disney, où l'on compte beaucoup de contrats courts ou d'emplois peu qualifiés, ce sera compliqué. Il faut soutenir en priorité ces personnes qui ne bénéficient pas du chômage partiel et sont parfois dans une situation de détresse totale, plutôt que d'engager une relance globale de la demande, qui coûterait extrêmement cher et dont beaucoup de Français n'ont pas besoin aujourd'hui.

Pourquoi le pouvoir d'achat n'a-t-il baissé que de 0,5 % ? Principalement parce que nous avons dépensé 20 milliards d'euros au titre du chômage partiel - 30 milliards d'euros sont prévus. Dans le fond, nous avons payé les salaires à la place des entreprises. C'est la première fois que l'on fait cela en France. Cette décision, voulue par le Président de la République, a permis de protéger des compétences, des salariés, ce qui évitera de devoir former dans quelques mois les mêmes salariés, et donc de perdre du temps.

Nous avons réévalué à 10 %, au lieu de 11 %, le taux de la récession. Les chiffres de la consommation sont bons : selon les données de l'Insee publiées ce matin, la consommation de biens a augmenté de 3 % en août par rapport au mois précédent et de 2,4 % par rapport à août 2019. Il y a donc bien un effet de rattrapage. Néanmoins, je reste prudent, le retour du virus pouvant avoir un impact sur le moral des Français.

S'agissant des impôts de production, je revendique le choix de les baisser ; je plaide en ce sens depuis quatre ans. Je veux assurer aux entreprises françaises une équité de concurrence. Les impôts de production, je le rappelle, sont sept fois plus élevés en France qu'en Allemagne. La baisse de ces impôts doit permettre d'offrir un environnement économique plus favorable à l'industrie, cette baisse étant ciblée principalement sur les secteurs industriels et sur les PME. C'est une nécessité si nous voulons réussir la relocalisation industrielle.

S'agissant des sous-traitants aéronautiques, je partage votre préoccupation. Je réunirai les responsables de la filière aéronautique très prochainement. Nous avons investi beaucoup d'argent dans cette filière : les sous-traitants - ceux de l'Eure-et-Loir, de l'Eure et d'ailleurs - doivent eux aussi en bénéficier, et non pas uniquement Airbus, Safran, Thales et Dassault, grandes entreprises françaises dont nous sommes par ailleurs très fiers.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - S'agissant du rôle de la DGFiP, celle-ci a démontré durant la période de confinement sa très grande réactivité : 6,2 milliards d'euros ont été versés au titre du fonds de solidarité au début du confinement, tandis que les règles de versement ont été modifiées cinq ou six fois. Chaque fois, la DGFiP a su adapter son fonctionnement très rapidement.

Nous nous appuyons sur la DGFiP pour le versement des crédits du fonds de solidarité, notamment pour les entreprises qui doivent fermer en raison du nouveau pic épidémique. Par ailleurs, nous veillons à ce que les directions régionales participent aux comités de suivi au niveau territorial. Cette administration peut fournir, quasiment en temps réel, des indicateurs extrêmement précieux pour mesurer l'effet du plan de relance. Ainsi, nous connaissons au mois le mois le niveau des dépenses des collectivités locales et le niveau de paiement de leurs échéances fiscales par les entreprises.

S'agissant de la question de la territorialisation, il faut distinguer quatre types de mesures dans le plan de relance.

Premièrement, il comporte des mesures nationales qui ne font pas l'objet d'une déclinaison locale. Ainsi, la baisse des impôts de production concerne toutes les entreprises, en vertu du principe d'égalité devant l'impôt. Grâce à la DGFiP, nous pourrons territorialiser les résultats et évaluer les montants concernés pour les entreprises de chaque département. De même, l'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire est une décision applicable nationalement.

Deuxièmement, certains crédits font l'objet de mesures de paramétrage à un niveau national, mais sont gérés par des opérateurs territoriaux. Je pense notamment aux crédits gérés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou par l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Troisièmement, d'autres crédits font l'objet d'une gestion déconcentrée, par exemple ceux de la DSIL, à la main des préfets de département et des préfets de région. Il en ira de même, à hauteur de 1 milliard d'euros, pour les crédits consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités.

Quatrièmement, certains crédits sont confiés directement à la gestion, partagée ou non, des collectivités locales : les crédits faisant l'objet d'une délégation. Je pense notamment aux 600 millions d'euros que nous voulons déléguer aux régions pour la mise en oeuvre des travaux d'économie d'énergie dans les lycées ou pour les mobilités, ainsi qu'aux crédits dévolus aux contrats de plan en cours de négociation.

Il faut aussi mentionner la présence des élus locaux - des présidents de région notamment, mais pas seulement eux - dans le comité de suivi régional.

Un mot rapide sur la compensation de la baisse des impôts de production. Pour ce qui concerne la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dans le pacte signé entre l'État et les régions, il est prévu d'affecter aux régions une part du produit de la TVA comme c'était déjà le cas en équivalent DGF, étant entendu qu'est prise en compte la part perçue en 2020 sur la base de la valeur ajoutée de 2019, période de haut de cycle.

S'agissant de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises (CFE), il y va de 3,3 milliards d'euros sur un produit total de 45 milliards d'euros, ce qui permet de relativiser l'enjeu. Nous avons prévu un prélèvement sur recettes dynamique en fonction de l'évolution des bases.

M. Vincent Delahaye. - Quasiment toutes les missions voient leurs crédits augmenter. Cela signifie qu'elles sont presque toutes prioritaires. Quelles sont celles qui ne le sont pas ?

Par ailleurs, on emprunte à tout-va : entre 250 milliards et 300 milliards d'euros en 2021. Qui nous prête, hormis l'Europe ? Des Français ? Des fonds souverains de Chine, d'Arabie Saoudite, du Qatar ?

M. Pascal Savoldelli. - Il n'a pas beaucoup été question des collectivités territoriales. Comment envisager un plan de relance sans elles, qui représentent 70 % de l'investissement civil ? Vous prévoyez en 2020 une diminution de l'investissement public local plus marquée que dans le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR) - moins 4,9 milliards d'euros par rapport à 2019, contre moins 2,4 milliards d'euros. Comment expliquez-vous cette réduction deux fois supérieure aux prévisions ?

Vous avez abordé la question de l'offre et de la demande. Pour ma part, je suis préoccupé par la situation de l'activité marchande et des entreprises. Alors que les entreprises sont quasiment au même niveau d'investissement cet été, leur autofinancement s'effondre de 40 points et leurs marges de 7 points. En quoi votre plan de relance permettra-t-il un rebond de notre activité économique ? En matière de délocalisations, il faudrait prendre en compte la question de la fiscalité et de la formation, dit-on. Pourtant, concernant Bridgestone ou Renault Choisy, ce n'est pas un problème de fiscalité et de formation !

On s'interroge sur la soutenabilité de la dépense et de la dette publique, mais qu'en est-il de la dette privée, c'est-à-dire celle des ménages et des entreprises, qui représenterait 138,2 % du PIB et tendrait vers 150 %, alors même qu'elle est en partie couverte par la dépense et la dette publiques ? Comment envisagez-vous la soutenabilité de la dette privée ?

M. Bernard Delcros. - La loi de finances pour 2020 prévoit les modalités de compensation de la suppression de la taxe d'habitation, qui s'appliqueront à partir de 2021. Pour les départements et les intercommunalités, la perte du produit de la taxe d'habitation sera compensée par une part de TVA. Quelles sont les prévisions de recettes de TVA pour 2020 ?

Pouvez-vous nous confirmer que, s'agissant des modalités de compensation de la baisse des impôts de production, on conservera la dynamique des bases à travers un système de dégrèvement ?

La troisième loi de finances rectificative a prévu d'allouer un milliard d'euros au bloc communal, sous forme de subventions, pour faciliter la relance dans les territoires. Dispose-t-on de prévisions sur l'effet de levier de ce milliard d'euros et sur le calendrier concret de déclinaison des investissements dans les territoires ?

M. Marc Laménie. - La troisième loi de finances rectificative prévoit au moins 30 milliards d'euros en faveur des entreprises et du monde économique, et un milliard d'euros au titre de la dotation de soutien à l'investissement local pour soutenir les investissements des communes et intercommunalités, aux fins de relancer le secteur du bâtiment et des travaux publics. Pour autant, l'ensemble des collectivités territoriales expriment des inquiétudes légitimes quant au manque à gagner en matière de recettes, avec la baisse de la TVA, des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour les départements, etc.

Dans le même temps, vous prévoyez une baisse des impôts de 45 milliards d'euros. Comment tout cela peut-il s'articuler ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Une bonne exécution, c'est une exécution rapide, avez-vous dit, monsieur Le Maire. Pour ma part, je m'interroge sur la rapidité d'exécution. En effet, chaque projet suppose une instruction par les services de l'État. Or celle-ci lui est bien souvent fatale, et il est à craindre que les entreprises ne soient découragées. Ce n'est pas une question financière, c'est une question de logistique. Vos collègues des différents ministères vous ont-ils donné des garanties que leurs services - directions départementales des territoires (DDT), directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), etc. - accompagnent les projets des entreprises et des collectivités et facilitent leur mise en oeuvre dans les territoires ? Cela me paraît fondamental !

M. Philippe Dallier. - Au fil des PLFR, le Gouvernement s'est montré prudent dans ses prévisions macroéconomiques, et c'est tant mieux. Pour autant, s'agissant de 2021 et de 2022, messieurs les ministres, n'êtes-vous pas trop optimistes ? L'hypothèse d'un retour à la situation d'avant-crise en 2022 vous paraît-elle plausible, même si je comprends que cette date n'a peut-être pas été choisie au hasard ? Pour ma part, je m'inquiète un peu : bien malin qui peut dire comment la crise sanitaire va tourner.

Je n'ai toujours pas compris si la réforme de l'aide personnalisée au logement, qui devait initialement s'appliquer en 2020 et devrait maintenant intervenir au 1er janvier 2021, allait permettre d'économiser 900 millions d'euros ou 1,2 milliard d'euros par an.

Pour 2021, vous rajoutez 437 millions d'euros dans ce programme et vous demandez à Action Logement de verser un milliard d'euros au Fonds national d'aide au logement (FNAL), alors même que vous ne procéderez pas à une compensation de 300 millions d'euros précédemment accordée à cet organisme. Or les effets de la crise vont entraîner une augmentation du nombre d'allocataires. Le montant prévu sera-t-il suffisant ?

Dans un article paru ce matin dans les Échos, Geoffroy Roux de Bézieux s'inquiétait de l'avenir d'Action Logement. Un rapport de l'Inspection générale des finances semble ouvrir un certain nombre de pistes qui pourraient mener jusqu'au démantèlement d'Action Logement. Sur ce sujet, il faudrait que le Gouvernement abatte ses cartes et indique ses intentions : 500 millions d'euros ont été prélevés l'an dernier, un milliard d'euros le seront cette année, à quoi s'ajoute la non-compensation de 300 millions d'euros. Le contexte ne semble pas favorable au secteur du logement, alors même que ce projet de loi de finances prévoit peu de mesures d'incitation pour la construction en général.

M. Jérôme Bascher. - Après avoir entendu votre prudence, il y a un mois, vous conduisant à ne pas réviser trop tôt les prévisions de décroissance pour l'année 2020, j'admire votre optimisme pour l'année 2022, surtout au regard des crises passées, d'une part, et de l'absence de réformes structurelles, d'autre part ! Or, et c'est l'histoire qui le dit, ce sont celles-ci qui marchent lorsque l'on veut faire un plan de relance budgétaire.

Je partage l'analyse de Sylvie Vermeillet. Il va y avoir des engagements nouveaux, mais les décaissements concernent des projets qui existent déjà, pour lesquels il n'y a pas besoin de plan de relance et qui se seraient faits naturellement. Cela risque de créer un effet d'aubaine, ce qui est dommage.

Je vous félicite de maintenir la trajectoire pour la baisse des impôts. En effet, la première chose dont les entreprises françaises ont besoin, c'est de visibilité. Il est temps de baisser les impôts de production et l'impôt sur les sociétés, et de supprimer des petites taxes. En revanche, le mot « dépense » est totalement absent de votre vocabulaire : il n'y a aucune trajectoire ! Comment donner confiance, alors que la dépense va forcément créer de la dette ? Pouvez-vous davantage vous expliquer sur le cantonnement de la dette et le mécanisme que vous souhaitez mettre en place ? Car la vraie crise à venir, c'est celle de la dette !

M. Claude Raynal. - Au mois de juin dernier, vous avez parlé d'un plan global de 450 milliards d'euros, qui comprenait à la fois des garanties, des prêts et de la dépense budgétaire, cette dernière étant limitée à 75 milliards d'euros. Étaient en particulier prévus 300 milliards d'euros de prêts garantis par l'État. Or ceux-ci ne représenteraient plus que 120 milliards d'euros. Par conséquent, il faut déjà retirer 180 milliards d'euros des 450 milliards d'euros prévus.

De même, vous parlez de 100 milliards d'euros pour le plan de relance, mais, en recomptant, je n'en trouve que 91, puisque 9 milliards d'euros ont déjà été annoncés en juin. C'est pourquoi je n'aime guère ces effets d'affichage, trop généraux, trop globaux ; je leur préfère une présentation plus claire des sujets.

Vous excluez toute hausse d'impôts jusqu'à la fin du mandat. Pourtant, l'extension de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) jusqu'en 2042 représente une hausse majeure, qui aura bien été engagée sous votre mandat. Prudence, donc, là aussi. De plus, l'absence de hausse d'impôts s'accompagne d'une augmentation symétrique de la dette, ce qui n'est pas très rassurant du point de vue de l'équilibre général. Au moins, la baisse de la taxe d'habitation avait été financée par une croissance portée à 2,3 % ; nous en sommes loin aujourd'hui.

Je comprends votre discours sur la compétitivité et la compétition internationale, que l'on entend d'ailleurs depuis des années et qui est tout à fait pertinent, mais à quelle vision globale de long terme correspond-il ? On baisse les impôts dits de production, mais jusqu'où ira-t-on ? Allons-nous vers 0 % d'impôts pour les entreprises ?

M. Claude Nougein. - Ce serait formidable !

M. Claude Raynal. - Si l'on ne fait que se comparer en permanence aux uns ou aux autres, on peut les réduire indéfiniment.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a de la marge...

M. Claude Raynal. - Où la baisse s'arrêtera-t-elle ? Quel est l'objectif ? Je n'en vois pas.

Comme je l'ai dit à Pierre Moscovici, en cette période exceptionnelle, je m'attendais à un budget exceptionnel dans sa présentation même. Certes, un budget doit comporter des chiffres, mais je me serais attendu à des évaluations hautes et basses, vu la situation, ce qui aurait facilité un ajustement en cours d'année à l'intérieur de ce faisceau.

Enfin, vous avez parlé hier d'un fonds de private equity, comme on dit, pour les entreprises non cotées, et avez annoncé que vous alliez encourager les Français à y souscrire. Quel sera l'outil qui les y incitera ?

M. Claude Nougein. - Le 2 juin dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant une couverture assurantielle des pertes d'exploitation subies par les entreprises en cas de crise sanitaire, fruit des travaux de notre commission des finances. Où en est-on du parcours parlementaire de ce texte ? Je pense qu'il a très peu de chances d'aboutir, puisqu'il émane du Sénat. Dès lors, allez-vous le reprendre à votre compte ? Nous n'y verrions aucun inconvénient. Évidemment, il n'aurait pas d'effet rétroactif, mais, si la crise perdure en 2021, il pourrait être utile. Rien n'a été fait en la matière, pour le moment. Pourtant, les entreprises ont souffert énormément : pendant le confinement, si l'État a fait ce qu'il fallait en matière de charges variables, notamment de personnel, rien n'a été fait concernant les charges fixes, comme les loyers, les frais d'électricité, de téléphone ou les frais financiers - autant de pertes d'exploitation qui apparaîtront dans les bilans de 2020. Il serait bon que, en 2021, suite aux négociations avec les assurances conduites par les auteurs de ce texte, celles-ci puissent jouer leur rôle. Sinon, les entreprises souffriront à nouveau si la crise devait perdurer l'année prochaine.

M. Michel Canevet. - Lors de votre dernière audition, nous avions appelé votre attention sur les difficultés du trafic transmanche et la question de la compétitivité des entreprises qui l'assurent. Des réponses ont été données par le Premier ministre à l'Assemblée nationale pour 2021, avec une exonération de cotisations sociales à hauteur de 15 milliards d'euros. Poursuivez-vous l'examen de la situation ? Cette exonération de cotisations sociales durera-t-elle suffisamment pour que ces entreprises puissent retrouver toute la compétitivité qui leur est nécessaire pour assurer leur importante mission ?

Vous avez évoqué la baisse des impôts de production pour 2021, à hauteur de 10 milliards d'euros sur un total de 70 milliards d'euros. Avez-vous prévu une nouvelle tranche de baisse des impôts de production en 2022 ?

Dans cette situation difficile, il est nécessaire que des moyens d'accompagnement soient consacrés à nos entreprises. Est-il opportun d'envisager une baisse des moyens des chambres consulaires de 100 millions d'euros dans le projet de budget ? Cela risque de mettre en difficulté ces institutions, qui sont pourtant utiles pour accompagner les entreprises et permettre la réussite des plans de formation et de transformation des métiers.

M. Didier Rambaud. - La crise a fait voler en éclats le cadre institutionnel de la gestion des finances publiques. Nos repères ont changé et, à titre personnel, je ne sais plus ce qui est prioritaire : la réduction de la dette ou celle des déficits publics ? M. Moscovici diffuse en ce moment l'idée qu'après le temps de la relance, il faudra aller vers la construction d'un nouveau cadre de gestion des finances publiques, au niveau européen bien sûr. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-François Husson. - Vous dites que le poids de la dépense publique dépassera, en 2020, 62 % du PIB, avant de redescendre à 58,5 % en 2021. Par quelles mesures, ou artifices, parviendrez-vous à réduire les dépenses publiques à hauteur de quatre points de PIB, alors qu'elles n'ont diminué que d'un point en deux ans ? Quel crédit accorder à une telle annonce ? Nous avons vu l'année dernière l'expérimentation d'un budget « vert ». Vous avez consacré entre une minute et une minute trente à celui-ci : je trouve que cela commence mal, mais c'est peut-être une crainte infondée... Avez-vous prévu de vous assurer que les mesures exécutées respecteront des normes environnementales - définies par qui, d'ailleurs ? Vous avez pris un risque en affirmant qu'aucune mesure, dans votre projet de budget, n'est défavorable à l'environnement...

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je parlais uniquement du plan de relance !

Mme Christine Lavarde. - Je souhaiterais revenir sur les crédits alloués à la rénovation énergétique des bâtiments publics. Lors de votre précédente audition, vous avez déclaré qu'il s'agissait de projets déjà étudiés, prêts, pour lesquels il manquait un financement, raison pour laquelle les marchés pouvaient être sélectionnés avant la fin de l'année pour une mise en oeuvre en 2021. Au sein du Conseil de l'immobilier de l'État, nous avons eu des discussions sur l'opportunité de sélectionner aussi vite des projets, notamment au regard des conséquences que la crise de la covid a eues sur l'organisation et la manière de travailler. Comment pouvez-vous être sûr que les projets qui vont être choisis dans les semaines à venir ne seront pas à refaire d'ici à quelques mois ou quelques années, pour correspondre à la nouvelle manière de travailler dans les bâtiments publics ? Mieux vaut investir dans le long terme que dans le court terme...

Je n'ai rien trouvé, dans le dossier de presse ou dans le projet de loi de finances, sur les relations avec les collectivités territoriales. Le 1er janvier 2021, la contribution économique territoriale va être transférée à la métropole du Grand Paris. Qu'en est-il des sept millions d'habitants qui vivent dans les territoires du Grand Paris ? Comment ces territoires vont-ils pouvoir continuer à exercer leurs missions ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - M. Vincent Delahaye demande qui nous prête. Comme nous levons 260 milliards d'euros de dettes sur les marchés, c'est une question essentielle. J'ajoute que, si nous voulons continuer à trouver des prêteurs, il vaut mieux leur garantir que nous leur rembourserons ce que nous leur empruntons ! C'est une évidence, mais elle n'est pas toujours partagée aujourd'hui, puisque certains pensent qu'il y aurait de l'argent magique, qui tomberait du ciel et n'aurait jamais à être remboursé... La dette française est détenue à 46 % par des résidents, parmi lesquels nous comptons la Banque de France et la Banque centrale européenne ainsi que les compagnies d'assurances françaises, soit 19 % de l'ensemble, et les banques françaises, qui représentent 6 % des investisseurs. La répartition entre investisseurs résidents et non-résidents est stable : il y a une très grande stabilité dans le financement de la dette française, ce qui est la preuve que cette dette est solide - et nous avons tout intérêt à ce qu'elle le demeure.

Les investisseurs non-résidents sont principalement des grandes banques centrales étrangères, à commencer par celles de la Chine, du Japon et de la Suisse, et des investisseurs institutionnels étrangers. Nous empruntons aussi à des banques européennes et à des assureurs européens et japonais, ainsi qu'à des fonds de pensions. Tous acteurs que je rencontre régulièrement lorsque je me rends à l'étranger, ce qui est malheureusement de moins en moins fréquent.

J'insiste : le financement de notre dette fait apparaître un équilibre entre investisseurs résidents et non-résidents. C'est un facteur de sécurité auquel nous sommes attachés.

Si les spreads restent stables grâce à l'action de la Banque centrale européenne, le ministre des finances que je suis ne prendrait pas la responsabilité de garantir aux Français que les taux d'intérêt demeureront toujours faibles dans les dix ou quinze ans qui viennent. C'est pourquoi, la crise passée, nous devrons rembourser cette dette : par la croissance, la responsabilité en matière de finances publiques et des réformes de structure - incluant, à mes yeux, la réforme des retraites.

Monsieur Savoldelli, Olivier Dussopt vous répondra sur les compensations prévues pour les collectivités territoriales, dont le milliard d'euros alloué à la DSIL - un effort non négligeable.

S'agissant de l'investissement des entreprises, il se maintient à un niveau satisfaisant compte tenu de la situation. Mais les marges sont évidemment dégradées. La baisse des impôts de production, celle de l'impôt sur les sociétés et le milliard d'euros consacré à la relocalisation doivent permettre de restaurer les marges des entreprises. C'est impératif, car, sans marges, pas d'investissement, et donc pas d'emploi. Si je suis aussi attaché à la réduction des impôts sur les entreprises, c'est parce que les marges de celles-ci font les emplois de nos compatriotes !

Monsieur Delcros, monsieur Laménie, Olivier Dussopt répondra à vos questions sur les collectivités territoriales.

Sylvie Vermeillet a soulevé la question, décisive, de la rapidité d'exécution. Oui, il est essentiel que les services déconcentrés se mobilisent pour la bonne exécution du plan de relance.

J'ai pris bonne note des critiques visant les appels à projets pour les relocalisations industrielles. Le président du Medef estime que les règles sont encore trop compliquées. On peut et on doit toujours faire mieux : je ne serai jamais satisfait, tant que mon pays n'aura pas retrouvé les niveaux de croissance et d'emploi auxquels il peut prétendre.

Si 375 projets ont été déposés dans les secteurs indiqués - automobile, aéronautique, secteurs critiques, dont le médicament, secteurs des territoires d'industrie -, il est vrai que nombre de PME ont rencontré des obstacles dans la formalisation de leur dossier. Ce n'est pas acceptable. Je vais regarder où sont les points de blocage, et nous simplifierons les appels à projets.

Depuis le départ, ma méthode est inchangée : proposer et exécuter vite, corriger au fur et à mesure. Si l'on attend d'avoir le produit parfait, on ne fait jamais rien !

M. Dallier a évoqué mon optimisme. Disons qu'il s'agit de volontarisme...

Ce qui compte, ce ne sont pas les taux de croissance de - 10 et + 8 %, c'est l'écart de production. Or les chiffres que je donne correspondent à un écart de 2,4 %, très inférieur aux 4 % que nous redoutions. L'objectif est d'arriver à un écart nul en 2022.

Bien entendu, je ne maîtrise absolument rien de la situation sanitaire. Une prolongation de l'épidémie au-delà du début de 2021 pourrait avoir des conséquences. Cela dépend aussi de chacun d'entre nous.

Monsieur Bascher, je vous remercie d'avoir insisté sur la visibilité, essentielle, en ce qui concerne la trajectoire des impôts. Assailli de propositions pour modifier les impôts dans tous les sens, plafonner, déplafonner, limiter, ouvrir, refermer ou simplifier le crédit d'impôt recherche, j'ai pris une grande décision : ne rien faire. Dans le fond, je pense que c'est la meilleure politique pour le crédit d'impôt recherche, parce qu'elle offre, au moins, de la stabilité et de la visibilité aux entreprises.

M. Jean Bizet. - Il est temps !

M. Bruno Le Maire, ministre. - S'agissant de l'impôt sur les sociétés, je maintiens ce que je répète depuis ma prise de fonction : il s'établira à 25 % pour toutes les entreprises en 2022.

Pour les impôts de production, une première baisse, de 10 milliards d'euros, interviendra au 1er janvier prochain, suivie d'une deuxième, du même montant, au 1er janvier 2022.

S'agissant du cantonnement de la dette, je pense que c'est la meilleure façon de distinguer la dette consentie pour faire face à la crise de la dette structurelle. Les 17,5 points de dette supplémentaires correspondent uniquement aux dépenses liées au chômage partiel, aux garanties d'État pour les prêts, aux exonérations de charges et au fonds de solidarité. Il est juste d'isoler cette dette de l'endettement structurel et de garantir son amortissement à l'horizon de 2042.

Monsieur Raynal, j'aurais volontiers fait un budget en faisceau... Cela nous aurait rendu grand service pour négocier avec les autres ministères ! Malheureusement, le droit ne le permet pas.

Le fonds de la BPI dont vous avez parlé est très important. Les Français ont constitué une épargne de l'ordre de 85 milliards d'euros, parce que nous avons amorti le choc de la crise pour une large majorité d'entre eux - même si je n'oublie pas tous ceux qui ont perdu leur emploi, à commencer par les titulaires de CDD, les intérimaires et les personnes très peu qualifiées, dont nous devons nous soucier en priorité. Aux Français qui ont pu économiser, dont le livret A et le livret de développement durable sont remplis, qui ont déjà des contrats d'assurance-vie, le fonds d'investissement que nous mettons en place avec la BPI permettra d'investir directement dans les PME implantées sur leur territoire. C'est un dispositif unique en Europe !

Il ne s'agit pas d'investir dans une PME, ce qui serait trop risqué. En investissant - au minimum, 5 000 euros - dans un fonds réunissant 1 500 PME de secteurs extrêmement divers et implantées sur tout le territoire, les ménages peuvent amortir et diversifier le risque. Destiné à soutenir nos PME dans un esprit de patriotisme économique, ce placement est bloqué pendant cinq ans. Le capital n'étant pas garanti, il s'adresse aux Français qui disposent d'une épargne sûre suffisante, leur permettant de prendre un peu plus de risques - moyennant quoi la rentabilité peut être intéressante. Ce dispositif aidera considérablement nos PME sur les territoires !

M. Nougein a posé une question très importante sur le régime d'indemnisation des pertes d'exploitation.

Lorsque j'étais ministre de l'agriculture, je me suis battu, avec l'aide de nombreux sénateurs ici présents, pour rendre plus efficace le système assuranciel en matière de calamités agricoles. Nous y sommes arrivés, après dix ans. Je souhaite que nous y parvenions un peu plus rapidement pour l'indemnisation des pertes d'exploitation en cas de crise sanitaire.

De fait, les chances qu'une nouvelle épidémie survienne un jour sont, j'en ai peur, de dix sur dix. Il serait donc totalement irresponsable de ne pas nous préparer. Cette fois, l'État a amorti tout le choc ; la prochaine fois, j'espère que la charge financière sera un peu plus équitablement répartie.

Quand une crise survient, il est normal de réagir avec les moyens du bord. Mais il serait irresponsable de ne pas anticiper une prochaine pandémie, en mettant en place des dispositifs assuranciels couvrant les pertes d'exploitation. Aujourd'hui, les restaurateurs négocient avec leurs assureurs sur la base des petits alinéas dans les contrats... Tout cela est très artisanal : il nous faut un système professionnel, et je me réjouis que les parlementaires se mobilisent sur cet enjeu essentiel.

Monsieur Canevet, je vous confirme qu'une nouvelle baisse des impôts de production interviendra en 2022.

S'agissant des chambres de commerce et d'industrie, je souhaite le maintien de la réforme, parce que les réformes structurelles sont importantes pour réduire la dépense publique - Jérôme Bascher s'est d'ailleurs exprimé en ce sens.

Monsieur Rambaud, Olivier Dussopt répondra à vos questions dans quelques instants.

Monsieur Husson, il n'y a aucune dépense « grise » ou « brune » dans le plan de relance - je ne parle pas du budget dans son ensemble, mais des 100 milliards d'euros de la mission « Relance ».

M. Jean-François Husson. - Ce n'est pas ce que j'ai entendu.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Les crédits destinés aux routes sont principalement consacrés à la réfection d'infrastructures existantes. En matière de construction, il y a un seul projet d'importance : la route du littoral à La Réunion, à laquelle il manque trois kilomètres. On peut en débattre au regard de l'exigence environnementale, mais, de façon assez pragmatique, je considère qu'il vaut mieux finir une route commencée...

Madame Lavarde, Olivier Dussopt va vous répondre sur le Grand Paris, qui est un enjeu important.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Je regrouperai les nombreuses questions portant sur les collectivités territoriales, pour y répondre à la fin de mon intervention.

S'agissant du budget vert, le système de cotation est fondé sur un rapport de l'Inspection générale des finances et du Commissariat général au développement durable. L'objectif est de donner aux parlementaires et à tous ceux qui le souhaitent un moyen d'appréhender les dépenses budgétaires et fiscales.

Les dépenses favorables au regard d'au moins l'un des six critères et qui ne sont défavorables à aucun progresseront de 30 % l'année prochaine. À l'inverse, les dépenses défavorables à un critère au moins et qui ne sont favorables à aucun diminueront de 10 %.

À ce stade, la plupart des dépenses de l'État sont considérées comme neutres, puisque nous avons décidé que toutes celles relatives à des revenus - traitements des agents publics, transferts sociaux - n'ont pas d'incidences environnementales ; mais ce travail a vocation à s'améliorer.

Les dépenses uniquement défavorables à l'environnement sont, pour l'essentiel, des dépenses fiscales en matière énergétique : par nature, elles ne peuvent pas être considérées comme favorables à l'environnement.

Les dépenses favorables à l'environnement sont, elles, assez faciles à identifier. Quoi qu'il en soit, le rapport sera rendu public : davantage qu'un cadre contraignant, c'est un outil d'évaluation qui permettra de flécher telle ou telle dépense.

S'agissant des dépenses publiques, nous espérons effectivement revenir à un niveau correspondant à 58 % du PIB en 2021 et retrouver en 2022 un taux proche de celui que nous avons connu en 2019, d'abord grâce à la croissance, mais aussi parce que nous tenons compte du budget tel que nous l'avons élaboré, ainsi que du caractère ponctuel et conjoncturel du plan de relance.

En outre, nous voulons parvenir à une maîtrise de l'évolution des dépenses publiques en volume se situant autour de 0,4 % du PIB. Ainsi, je réponds aussi à Vincent Delahaye : les budgets peuvent à la fois augmenter en valeur et baisser en volume lorsque les dépenses sont bien maîtrisées. On peut financer certaines priorités sans forcément supprimer la totalité des ressources des autres secteurs, tant s'en faut.

Concernant le dimensionnement du plan de relance, Claude Raynal disait tout à l'heure qu'il n'avait retrouvé que 91 milliards d'euros sur les 100 milliards d'euros annoncés. En réalité, les 9 milliards d'euros que vous cherchez, monsieur le sénateur, ont déjà été votés : il s'agit des mesures adoptées dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative, comme le milliard d'euros supplémentaire pour la DSIL ou les 4 milliards d'euros consacrés au financement de la prime d'apprentissage ou à l'embauche des jeunes. Ces dépenses contribuent à la relance et sont incluses dans les 100 milliards d'euros du plan.

Pour répondre au sénateur Bascher, j'indiquerai que nous avons, pour 2021, un schéma d'emplois stable, puisqu'est prévue une baisse de 157 ETP. Nous avons pour objectif de supprimer entre 10 000 et 11 000 emplois d'ici à la fin du quinquennat. Nous aurons l'occasion d'actualiser cet objectif dans les prochains mois, non pas pour réviser le schéma d'emplois que nous proposons pour 2021, mais pour tenir compte du fait que, en 2020, la crise nous a obligés à créer un certain nombre d'emplois. Je ne prendrai qu'un exemple, celui de Pôle emploi : l'augmentation du nombre des inscrits à Pôle emploi nous a amenés à créer 2 800 postes au sein de cet organisme, alors que ce n'était évidemment pas prévu.

Philippe Dallier nous a interrogés sur les aides publiques au logement (APL) et Action Logement.

Aujourd'hui, nous prévoyons la « contemporanéisation » des APL au 1er janvier 2021. Le quantum des économies est extrêmement compliqué à définir, dans la mesure où nous vivons actuellement une période de crise économique et sociale qui entraîne une hausse du nombre des ayants droit ou du volume des droits potentiels. C'est d'ailleurs la démonstration que cette réforme est bonne pour les usagers : elle permet d'adapter et de mieux caler le niveau des droits dont ils bénéficient selon la réalité de leur situation et de conforter le rôle d'amortisseur social des aides au logement.

S'agissant d'Action Logement, vous avez évoqué l'existence d'un prélèvement d'un milliard d'euros, un peu plus élevé que les années précédentes - nous en convenons bien volontiers -, mais aussi la suppression de la compensation de la perte d'une recette fiscale. J'insiste sur le fait que le prélèvement que nous proposons est tout à fait soutenable, puisque la trésorerie d'Action logement s'élève à 6 milliards d'euros. Quant à la suppression de la compensation à hauteur de 300 millions d'euros, elle l'est tout autant. Pour vous en convaincre, sachez qu'Action Logement, qui vient de publier ses résultats pour l'exercice 2019, affiche un bénéfice net de 1,4 milliard d'euros, pour un actif de 88 milliards d'euros.

Cela étant, la question de la réforme structurelle d'Action Logement se pose. Vous avez mentionné le rapport de l'Inspection générale des finances. Il existe d'autres travaux qui nous laissent penser qu'une réforme pourrait rendre le système plus efficace avec, au pire, le maintien du prélèvement sur les entreprises, et, au mieux, le même niveau de service avec un prélèvement qui pourrait être moins élevé. Vous avez noté que, dans le texte présenté aujourd'hui, il n'y a pas de disposition en ce sens, mais nous continuons à dialoguer avec les principaux partenaires sociaux d'Action Logement pour élaborer le projet de réforme le plus consensuel possible et parvenir à clarifier le rôle de chacun en matière de politique du logement. Vous le savez, ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement prélève de l'argent sur la trésorerie d'Action Logement, mais il est aussi parfois arrivé que l'État demande à Action Logement de financer des politiques, en matière de logement, qui ne relevaient pas forcément de son champ de compétence.

Enfin, j'en viens à la question des collectivités locales.

Les collectivités locales sont évidemment concernées par le plan de relance. Bruno Le Maire a évoqué la hausse d'un milliard d'euros de la DSIL. Je précise qu'une circulaire a été adressée aux préfets pour élargir l'éligibilité des projets, au regard non seulement des critères habituels de cette dotation, mais aussi de ceux de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de manière que les petites communes ne soient pas écartées du bénéfice de ce milliard d'euros supplémentaire.

Un autre milliard d'euros sera consacré à un appel à projets spécifique pour la rénovation énergétique des bâtiments communaux, qui sera géré de manière déconcentrée. D'autres crédits seront déployés, notamment au travers des contrats de plan.

Surtout, nous avons créé en LFR 3 un mécanisme de maintien à un niveau minimal des recettes des collectivités locales. Ce mécanisme garantit le niveau des recettes fiscales et domaniales du bloc communal et celui des DMTO des départements via des avances remboursables, avec une clause de remboursement particulièrement avantageuse, puisqu'il est prévu que les départements ne rembourseront ces avances que lorsqu'ils auront retrouvé le niveau de recettes de DMTO qu'ils ont obtenu en 2019.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette mesure est issue d'un amendement du Sénat !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Accepté de bonne grâce par le Gouvernement à la suite de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur général !

Pour le reste, nous constatons un recul de l'investissement des collectivités locales d'un peu plus de 9 % au cours de l'année 2020. Nous l'expliquons par les difficultés que peuvent rencontrer les collectivités locales sur le plan financier, mais surtout par les retards pris par les programmes de travaux durant le confinement ainsi que, de manière plus traditionnelle, par le cycle électoral. J'ajoute que, cette année, ce cycle a été particulièrement long.

La crise a certes dégradé les finances des collectivités territoriales, mais moins que ce que nous craignions. À date, nous constatons que les recettes fiscales des collectivités diminuent moins que prévu. Au 31 août, les recettes de DMTO n'avaient diminué que de 2,6 % - nous conservons toutefois l'hypothèse d'une baisse de 10 %, car nous savons qu'il y a un décalage entre les actes et leur enregistrement. Nous prévoyons également une baisse des recettes de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) se situant autour de 3 %, ce qui est moins important que ce que nous redoutions. Cela signifie que le mécanisme de garantie des recettes que nous avons prévu est certainement calibré à un niveau suffisamment élevé. À titre d'illustration, nous avons proposé aux départements de profiter d'un acompte sur les avances remboursables de DMTO : sur les 80 départements éligibles, 40 l'ont refusé. Cela montre que, à date, la situation financière des départements est relativement préservée, et c'est tant mieux.

En 2021, nous envisageons un rebond de l'investissement des collectivités locales de près de 8 %, ce qui contribuera évidemment à la relance.

Pour rassurer le sénateur Delcros, je confirme que le prélèvement sur recettes qui compensera la baisse de la cotisation foncière des entreprises sera dynamique et indexé sur l'évolution des bases, et que la fraction de TVA qui compensera la perte de recette au titre de la taxe d'habitation pour les départements et les intercommunalités ne dépendra pas du niveau de la TVA encaissée par l'État. En effet, la loi prévoit que ce qui sera versé en 2021 correspondra en montant aux recettes de taxe d'habitation perçues par les collectivités concernées en 2020. Par conséquent, que les recettes de TVA augmentent ou baissent cette année n'aura aucun effet sur le niveau de la compensation en 2021. En outre, sa dynamique sera celle de la TVA au niveau national.

Dernier point, Bernard Delcros nous interrogeait sur l'effet levier de la DSIL. En général, on estime qu'il se situe autour de 3. De manière assez traditionnelle, même si cette estimation souffre de beaucoup d'exceptions, on considère qu'avec un euro de subvention, un euro d'apport en fonds propres et un euro d'endettement, on arrive à peu près à définir la structure des sections d'investissement des collectivités locales.

M. Vincent Éblé, président. - Merci, messieurs les ministres.

La réunion est close à 18 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.