Mercredi 23 septembre 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la politique de lutte contre la pollution de l'air

M. Vincent Éblé, président. - Nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur les politiques de lutte contre la pollution de l'air.

Notre pays a fait l'objet d'une condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne, en octobre dernier, pour dépassement systématique et persistant des valeurs fixées pour les émissions de dioxyde d'azote. Si ces manquements comportent donc des risques financiers pour le budget de l'État au titre des contentieux européens, il y a là, également, un sujet de préoccupation environnementale de premier plan pour nos concitoyens. Lors de la récente période de confinement, ceux-ci ont apprécié la baisse des émissions de polluants, qui a contribué à une amélioration de la qualité de l'air.

Cette enquête de la Cour succède à son rapport de 2015 sur le même sujet, réalisé à la demande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale. Malgré toutes les recommandations formulées, les résultats en matière de qualité de l'air ne sont malheureusement pas au rendez-vous, comme en témoigne la condamnation que j'ai évoquée.

C'est pourquoi notre commission a souhaité demander à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur les politiques de lutte contre la pollution de l'air, afin de dresser le bilan des politiques menées récemment et de proposer des pistes d'évolution, y compris budgétaires et fiscales - c'est bien le moins pour notre commission ! -, susceptibles d'atténuer les risques, désormais bien connus, afférents à la pollution de l'air.

Nous recevons Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions des travaux menés.

Pour nous éclairer sur le sujet, sont également présents aujourd'hui M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat du ministère de la transition écologique et solidaire, et M. Jean-Félix Bernard, président d'Airparif, association chargée de la surveillance de la qualité de l'air dans la région d'Île-de-France.

Nous accueillons par ailleurs M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis des crédits de la transition énergétique, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Après avoir entendu la présidente Annie Podeur, Jean-François Husson, rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'il tire de cette enquête. Il posera également ses premières questions aux différentes personnes entendues cet après-midi.

À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Je vous rappelle que notre réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.

Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - C'est toujours un honneur de pouvoir présenter devant votre commission les travaux de la Cour, comme c'est le cas aujourd'hui sur les politiques de lutte contre la pollution de l'air. Je suis accompagnée de Catherine Périn, présidente de la section « Environnement, agriculture et mer » de la deuxième chambre, et de l'un des rapporteurs, Jérôme Perdreau, auditeur.

Je rappelle que la demande que vous avez formulée au titre de l'article 58-2 de la LOLF portait sur deux axes principaux : d'une part, une appréciation des dispositifs nationaux et locaux de lutte contre la pollution de l'air ambiant, à l'exclusion, donc, de l'air intérieur, et notamment de leur capacité à limiter les risques sanitaires, environnementaux, économiques ou juridiques, et, d'autre part, l'identification des enjeux immédiats et de moyen terme posés par la pollution de l'air et des mesures à mettre en oeuvre rapidement en direction des principaux secteurs émetteurs, en se fondant sur les bonnes pratiques existant en France ou à l'étranger.

À cette fin, les rapporteurs ont pu interroger un large panel d'acteurs et effectuer des déplacements dans plusieurs régions particulièrement concernées par la problématique de la pollution atmosphérique : Île-de-France, Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes - vallée de l'Arve, métropole de Grenoble -, Marseille Fos-Berre. Les actions entreprises par les collectivités territoriales ont fait l'objet d'une attention particulière, notamment sous la forme d'une enquête auprès des régions et des métropoles.

Les travaux menés se sont appuyés sur la précédente communication de la Cour, qui datait de décembre 2015 et répondait à une demande de la commission d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale.

Le périmètre et les objectifs de la nouvelle enquête ont été définis en concertation avec Jean-François Husson, sénateur de Meurthe-et-Moselle, qui avait présidé en 2015 la commission d'enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

L'instruction a été conduite entre le printemps 2019 et début 2020.

La phase de contradiction s'est ensuite déroulée entre mars et mai 2020 dans des conditions compliquées par la crise sanitaire. Des auditions ont été organisées avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et solidaire, d'une part, ainsi que, avec la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, d'autre part.

Dans la première partie du rapport, la Cour s'est attachée à identifier et à apprécier les risques sanitaires, économiques et environnementaux afférents à la pollution de l'air. Que faut-il retenir ?

La pollution atmosphérique serait la troisième cause de mortalité prématurée en France, avec 47 000 décès chaque année, selon les estimations de l'Agence européenne pour l'environnement (AEE). Les constats effectués lors de la précédente enquête de la Cour sur les effets de cette pollution restent hélas largement d'actualité ; cependant, l'évolution des connaissances scientifiques a mis au jour des impacts sanitaires jusqu'alors ignorés, comme les troubles de la reproduction, ceux du développement du foetus et du développement de l'enfant, les maladies métaboliques ou les maladies neurodégénératives. Le point sur l'état des connaissances figure en annexe 3 du rapport.

Certains effets économiques restent encore mal mesurés, quoiqu'importants : dans le domaine agricole, par exemple, les pertes de rendement dues à la pollution par l'ozone sont estimées par le ministère de l'agriculture, en première analyse, dans une fourchette située, selon les cultures, entre 3 % et 20 % desdits rendements.

Les impacts sur l'environnement, et notamment sur la biodiversité, demeurent encore peu étudiés.

Qu'en est-il des résultats ?

La lutte contre la pollution de l'air a permis d'enregistrer une baisse des émissions de polluants dans notre pays, mais le niveau de concentration dans l'air reste préoccupant dans plus d'une dizaine de zones du territoire, essentiellement urbaines. Face à ces dépassements de seuils, le Conseil d'État a prononcé, le 10 juillet dernier, une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard dans l'exécution de la décision du 12 juillet 2017, « Association Les Amis de la Terre France », qui sanctionne le non-respect des normes européennes.

Ce risque croissant de mise en jeu de la responsabilité de l'État montre bien la complexité de la situation française au regard de la pollution de l'air : si des progrès indéniables ont été réalisés concernant les niveaux d'émissions, ils sont insuffisants pour permettre un retour à court terme au respect des normes de concentration européennes.

En outre, les nouvelles connaissances sur l'impact, notamment sanitaire, de la pollution de l'air conduisent à réévaluer les objectifs.

En effet, l'atteinte des normes européennes n'aurait, comme l'indiquent les simulations de Santé publique France, qu'une faible incidence sanitaire.

Les valeurs guides de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus exigeantes, car établies sur des critères uniquement sanitaires, constituent désormais une référence pour les juges, mais également dans l'opinion publique. Ces valeurs guides de l'OMS, qui pourraient elles-mêmes être réévaluées prochainement, sont déjà prises en compte dans les avis de l'autorité environnementale et dans l'évaluation de la mise en oeuvre des plans de protection de l'atmosphère par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqua).

Par ailleurs, plusieurs substances, particules ultrafines ou carbone suie notamment, restent actuellement non réglementées, bien que leur dangerosité soit de mieux en mieux établie.

En somme, des progrès ont été réalisés, mais les efforts restant à accomplir seront les plus difficiles et appelleront des mesures plus volontaristes, afin d'atteindre les objectifs européens. Le cadre et les outils de la politique publique de l'État existent désormais. Reste néanmoins que ses objectifs sont parfois difficiles à concilier avec ceux d'autres volets de l'action publique, y compris la lutte contre le réchauffement climatique ou la politique de l'eau. Le schéma figurant dans le rapport donne une idée de la complexité des jeux d'acteurs.

En outre, la mise en oeuvre de cette politique bute sur des difficultés majeures : le renouvellement sans évaluation et, pour l'essentiel, la reconduction, en 2017, du principal outil national, le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prépa) ; le caractère partiel de la mise en oeuvre des mesures, dont certaines, parmi les plus ambitieuses, ont déjà été abandonnées ou retardées - je pense à la fiscalité des carburants ou aux pratiques agricoles notamment ; des moyens budgétaires mal tracés, estimés à 392 millions d'euros en 2018, et qui, surtout, paraissent modestes au regard du poids des dépenses fiscales emportant des effets négatifs sur la qualité de l'air - ces dernières s'élevaient, toujours pour 2018, à 5 milliards d'euros.

La montée en puissance des collectivités territoriales, point positif, mérite d'être signalée : la déclinaison territoriale de la politique est en effet de plus en plus marquée, du fait de l'implication certes variable, mais croissante, des collectivités territoriales.

Le rôle des régions et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est notamment incontournable en matière de transports et d'urbanisme. Antérieurement portés par les services de l'État, les plans de protection de l'atmosphère, qui sont encore trop peu nombreux, font aujourd'hui l'objet d'une coopération plus étroite entre l'État et les collectivités.

Les documents de planification incombant aux collectivités, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) en particulier, font également une place croissante à ces enjeux. Des dispositions ont d'ailleurs été introduites par la loi d'orientation des mobilités (LOM) afin d'aligner leur niveau d'ambition sur celui des plans de protection de l'atmosphère.

En matière d'urbanisme, l'intégration de la qualité de l'air dans les orientations d'aménagement est, en revanche, encore trop peu développée. Cette implication accrue des collectivités devra être poursuivie ; lors de son audition par la Cour, le directeur général de l'énergie et du climat a d'ailleurs fait part de son intention d'associer plus étroitement les régions à l'élaboration du prochain Prépa, qui devrait entrer en vigueur en 2022.

Au terme de son enquête, la Cour émet une douzaine de recommandations, dont certaines figuraient déjà dans ses travaux précédents.

Il est indispensable, tout d'abord, d'éclairer le débat public sur les mesures nécessaires et sur leur impact budgétaire ; c'est le sens des deux premières recommandations.

La sensibilisation du public aux enjeux de la qualité de l'air progresse, notamment grâce à des initiatives comme la Journée nationale de la qualité de l'air, qui s'est tenue le 16 septembre dernier, et aux actions du Conseil national de l'air (CNA), dont le rôle et les missions doivent être confortés.

Les mesures contraignantes qui devront nécessairement être prises ne pourront être acceptées que si elles font l'objet d'un véritable débat public explorant tous les scénarios disponibles et leur impact socio-économique. À cette fin, les processus de consultation sur les différents plans et les projets d'aménagement ayant un impact sur la qualité de l'air doivent inclure, dans le champ de la discussion, les scénarios les plus ambitieux - je pense aux valeurs guides de l'OMS. À noter, en ce sens, la révision de l'indice ATMO de qualité de l'air, qui intégrera à compter du 1er janvier prochain les particules fines dites PM 2,5 et des seuils harmonisés avec l'indice européen.

De la même façon, l'équilibre entre les divers impératifs de politiques publiques suppose que les effets sur la qualité de l'air de l'ensemble des moyens d'action publique soient évalués. À cette fin, le processus en cours de « budgétisation environnementale » doit permettre de mieux éclairer les décisions et de faciliter la mise en cohérence des différentes politiques.

Les autres recommandations concernent les principaux secteurs émetteurs ; en la matière, la Cour a fait le choix de mesures concrètes à mettre en oeuvre à court terme.

Dans le domaine des transports, certaines recommandations du précédent rapport de la Cour, comme les zones à faibles émissions ou la classification des véhicules, ont été ou sont en cours de déploiement, mais tous les leviers disponibles ne sont pas encore mobilisés ; les quatre recommandations du présent rapport visent à assurer une meilleure prise en compte de la qualité de l'air dans la fiscalité et les différents dispositifs incitatifs.

Le différentiel de fiscalité au profit du diesel, qui perdure, n'est pas justifié du point de vue des émissions de polluants atmosphériques. Cette question est sensible, mais un rééquilibrage est souhaitable dans un souci d'efficacité et de cohérence de l'action publique en matière de qualité de l'air.

Les citoyens doivent être mieux informés sur les émissions des véhicules en conditions réelles de conduite. Cela passe par une adaptation, pour certaines catégories de véhicules, de leur classification Crit'Air, laquelle est aujourd'hui discutable, ainsi que par l'expérimentation de l'affichage des niveaux d'émissions de polluants atmosphériques en conditions réelles de conduite lors de la vente des véhicules.

Quant aux dispositifs d'aide au renouvellement des véhicules, ils doivent faire une place renforcée aux divers paramètres liés aux émissions de polluants atmosphériques, dont le poids du véhicule - ce critère est par exemple retenu en Norvège.

Le secteur de l'industrie fait l'objet de deux recommandations - réduction des émissions diffuses, encadrement du fonctionnement en mode dégradé - qui nécessitent des contrôles renforcés des services de l'inspection des installations classées.

Même si des progrès importants ont été enregistrés depuis plusieurs décennies, les processus de production industriels complexes peuvent en effet générer des émissions parfois mal connues de substances potentiellement dangereuses. L'incendie de Lubrizol doit être une piqûre de rappel pour les pouvoirs publics, qui doivent faire preuve d'une vigilance particulière et s'assurer que les industriels mettent bien en oeuvre leurs obligations de déclaration et de contrôle.

Une autre recommandation reprise du précédent rapport porte sur le renforcement des liens entre médecine du travail, agences régionales de santé (ARS) et cellules interrégionales d'épidémiologie, à des fins de prévention et de suivi des risques sanitaires.

Pour ce qui concerne le secteur agricole, où les efforts paraissent à ce jour très insuffisants, trois recommandations visent à limiter réellement les émissions d'ammoniac et à surveiller la teneur en pesticides dans l'air.

En effet, l'attention des pouvoirs publics et du monde agricole s'est longtemps focalisée sur les enjeux de qualité de l'eau liés aux pratiques de fertilisation. Il convient aujourd'hui de tenir compte également des émissions atmosphériques d'ammoniac.

Or plusieurs mesures prévues dans le Prépa tardent à être mises en oeuvre, celles qui sont relatives aux pratiques et aux matériels agricoles notamment. Il s'avère que les agriculteurs, confrontés à bien d'autres difficultés, n'entreprendront les efforts nécessaires que si les pouvoirs publics définissent à la fois un horizon réglementaire crédible susceptible d'orienter leurs décisions d'investissement et des accompagnements financiers suffisants leur permettant d'amortir ces investissements. Ce n'est qu'au terme de cette indispensable phase de transition que pourront être envisagées des interdictions.

Plus généralement, les pouvoirs publics français doivent veiller à ce que la prochaine politique agricole commune (PAC) en cours de négociation intègre la pollution atmosphérique dans les critères d'éco-conditionnalité de l'ensemble des aides. Les régions, qui ont vocation à devenir autorités de gestion des crédits, devront être sensibilisées sur ce point.

Enfin, les efforts de surveillance de la présence de pesticides dans l'air et des risques liés à l'exposition des populations doivent être poursuivis, afin de bâtir un dispositif durable. La campagne exploratoire conduite depuis 2018, dont les premiers résultats ont été restitués avant l'été, constitue une base qui devra être enrichie au fil des années, ce qui nécessite des financements pérennes.

La Cour a concentré ses recommandations sur certains secteurs émetteurs particulièrement prioritaires, mais l'identification des risques en première partie du rapport démontre la nécessité, plus généralement, de poursuivre les efforts engagés sur la voie de la réduction des émissions de polluants atmosphériques.

Nous vous remercions de votre attention et nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Je veux commencer par remercier la Cour des comptes pour sa présentation et son enquête, qui apporte des éléments d'analyse précis et actualisés sur les politiques de lutte contre la pollution de l'air.

Il y a cinq ans, la publication du rapport de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, que j'ai eu l'honneur de présider, avait fait beaucoup de bruit pendant quelques jours, mais n'avait eu que peu d'effets. Nous avions chiffré le coût global de la pollution de l'air à plus de 100 milliards d'euros par an, dont 68 à 97 milliards au titre des seuls coûts sanitaires. Peu de temps après, la Cour des comptes a remis un rapport sur les politiques publiques de lutte contre la pollution de l'air. Malgré toutes les recommandations formulées, les résultats en matière de qualité de l'air ne sont malheureusement pas au rendez-vous.

Les risques que comporte la pollution de l'air sont pourtant bien connus.

Le risque est d'abord sanitaire, évidemment : l'Agence européenne pour l'environnement évalue les conséquences de la pollution de l'air, en France, à environ 47 000 décès prématurés par an, ce qui en fait la troisième cause de mortalité prématurée dans notre pays.

La pollution de l'air représente en outre un risque financier important pour l'État, au titre des contentieux européens. En effet, si les émissions de polluants atmosphériques ont diminué depuis les années 1990, cette tendance ne s'est pas accompagnée d'une amélioration de la qualité de l'air, en particulier dans une quinzaine de zones du territoire où les concentrations de polluants restent supérieures aux normes européennes. Ces normes sont d'ailleurs, je le rappelle, inférieures aux normes préconisées par l'OMS.

Ainsi, en octobre 2019, la France a été condamnée pour manquement par la Cour de justice de l'Union européenne en raison de dépassements des normes fixées en matière de concentration en dioxyde d'azote. Si l'État n'exécute pas l'arrêt de la CJUE, la Cour indique que la France encourt une amende de 100 millions d'euros la première année, puis 90 millions d'euros par année de dépassement.

Je souhaite poser deux questions à M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat : pouvez-vous nous indiquer si des provisions pour litiges communautaires ont été constituées dans les comptes de l'État pour faire face à ces amendes, et, le cas échéant, à quelle hauteur ? À quelle échéance la conformité avec les normes européennes sera-t-elle selon vous atteinte ?

Le risque financier n'est pas seulement européen : le Conseil d'État a condamné l'État, en juillet dernier, à une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard dans l'exécution des obligations découlant du droit européen. Le Conseil d'État avait en effet, en juillet 2017, enjoint à l'État de réaliser des plans d'action ; or les feuilles de route issues de ces plans ont été jugées insuffisantes.

Les risques précités en témoignent : les politiques publiques mises en oeuvre en matière de lutte contre la pollution de l'air n'ont à ce jour pas porté leurs fruits.

Dans un rapport de contrôle budgétaire que j'ai publié au printemps 2017 sur le droit européen environnemental, j'estimais que cet échec était imputable à trois facteurs : une action nationale peu ambitieuse, une gouvernance complexe, des financements éclatés et insuffisants. Aujourd'hui, je note que la Cour des comptes dresse peu ou prou le même constat.

Premièrement, l'action nationale reste pénalisée par une absence de vision stratégique et de cohérence en matière de lutte contre la pollution de l'air. J'avais indiqué, à son adoption en 2017, que le deuxième plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques, fixant des objectifs à horizon 2030, reposait sur des mesures déjà engagées, comme la mise en place de zones à circulation restreinte ou l'incitation à la conversion des véhicules les plus polluants et à l'achat de véhicules plus propres. Non seulement ce plan manquait d'ambition, mais sa mise en oeuvre est partielle : certaines mesures ont été abandonnées, comme le rattrapage de la fiscalité du gazole par rapport à celle de l'essence, interrompu fin 2018. Il reste donc à espérer que le prochain plan, prévu pour 2022, sera plus ambitieux.

Deuxièmement, la gouvernance reste complexe en raison de la multiplicité des acteurs, et donc des outils à coordonner. Compte tenu de leurs compétences, la région et l'intercommunalité constituent les niveaux d'action privilégiés de la lutte contre la pollution de l'air. Or, si les plans de protection de l'atmosphère, élaborés par les préfets à l'échelon local, souffrent d'un manque de pilotage, ils s'articulent difficilement, de surcroît, avec les outils et schémas déployés par les collectivités. Comme la Cour, je souhaite donc que leur caractère incitatif soit renforcé et qu'ils soient complétés par une annexe financière formalisant les engagements financiers de l'État et des collectivités.

Pour ce qui est du financement de la lutte contre la pollution de l'air, le constat de la Cour est similaire à celui de notre commission, qui dénonce régulièrement depuis plusieurs années, lors de l'examen du budget, la faible lisibilité des moyens alloués à la transition écologique. Au total, la Cour chiffre à près de 360 millions d'euros les moyens budgétaires directement alloués par l'État à la politique de lutte contre la pollution de l'air, soit un montant largement inférieur aux dépenses fiscales dont l'effet est négatif sur la qualité de l'air, dont la Cour estime le montant à 5 milliards d'euros.

À l'instar de la Cour, je souhaite que l'effort budgétaire alloué à cette politique publique et, plus largement, à la transition écologique soit davantage lisible dans le budget de l'État ; notre commission portera ainsi une attention particulière au premier « budget vert » qui nous sera bientôt proposé, visant à évaluer l'impact environnemental du budget de l'État.

Je m'inquiète également du financement des associations de surveillance de la qualité de l'air, qui jouent un rôle de premier plan, en matière d'information de la population et d'amélioration des connaissances sur la qualité de l'air notamment. Elles disposent de 70 millions d'euros de ressources, partagés entre l'État, les collectivités et les industries. Or ces ressources sont fragilisées, alors même que le besoin de financement de ces associations devrait augmenter ces prochaines années, en raison de la nécessaire surveillance de nouveaux polluants notamment.

Sur ce sujet, je souhaiterais interroger le président d'Airparif : estimez-vous que les modalités de financement actuelles des associations de surveillances de la qualité de l'air sont adaptées aux besoins observés ?

Le rapport propose enfin plusieurs mesures intéressantes à destination des principaux émetteurs de polluants, ventilées par secteur.

Je me concentrerai aujourd'hui sur le seul secteur des transports. Le renouvellement du parc automobile constitue une voie incontournable ; le dévoiement des normes d'émissions par les constructeurs, récemment médiatisé autour du scandale du « dieselgate », contrecarre pourtant cette politique de renouvellement. Les émissions générées en conditions réelles de conduite par les véhicules conformes aux normes Euro s'avèrent ainsi quatre à six fois supérieures aux limites d'émissions fixées par lesdites normes. Le parc automobile se renouvelle, avec un soutien indéniable de l'État, mais les concentrations en zones urbaines denses ne diminuent pas ! Et les pastilles Crit'Air, utilisées pour les aides de l'État ou pour les futures zones à faibles émissions (ZFE), reposent sur ces normes Euro, qui ne représentent pas les émissions en conditions réelles.

Par ailleurs, la Cour rappelle que la prise en compte de la pollution de l'air reste limitée dans les dispositifs fiscaux d'aide à l'achat de véhicules ; ainsi du malus automobile, qui tient compte des émissions de CO2, mais non des émissions de polluants atmosphériques.

Je souhaite poser deux questions à ce sujet au directeur général de l'énergie et du climat : que répondez-vous à la Cour qui recommande une prise en compte des émissions des véhicules en conditions réelles dans la classification Crit'Air, sur laquelle reposent notamment les futures zones à faibles émissions ? Un recalibrage des aides au renouvellement du parc proposées par l'État sur la base de critères liés au niveau d'émission de polluants atmosphériques est-il envisagé dans le cadre du prochain projet de loi de finances (PLF) ? 

Le secteur des transports n'est bien évidemment pas le seul secteur appelé à poursuivre la baisse de ses émissions ; pour plus de détails concernant les secteurs résidentiel-tertiaire, industriel et agricole, je vous renvoie au rapport de la Cour, qui recommande des mesures intéressantes : par exemple, pour le secteur industriel, l'intensification des contrôles des installations classées.

Le Sénat a prévu de tirer les conclusions de ce rapport en formulant des solutions nouvelles.

M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat du ministère de la transition écologique. - Je commencerai par donner une vision globale de la situation.

Le paradigme est celui du verre : est-il à moitié vide ou à moitié plein ? On ne peut quand même que constater - c'est un fait statistique - l'amélioration de la qualité de l'air, et la baisse tant des émissions que des concentrations. Ainsi trente-trois agglomérations dépassaient-elles les seuils d'émission de particules PM 10 en 2007, contre deux seulement en 2019 ; concernant les oxydes d'azote, vingt-deux agglomérations dépassaient le seuil en 2013, contre neuf en 2019.

L'effort doit évidemment être poursuivi, en se conformant aux avis scientifiques. Je rappelle en outre que ces valeurs limites réglementaires sont certes des guides importants pour l'action, mais pas des seuils au-dessous desquels tout irait bien : les particules concernées ont des effets à doses plus faibles. Le risque ne disparaît pas en dessous des valeurs limites ; c'est pourquoi, d'ailleurs, nous incluons désormais des particules plus fines, dites PM 2,5, dans l'indice de qualité de l'air.

En matière de transport routier et de respect des valeurs limites, nous pensons pouvoir entrer dans une phase d'accélération. Il est ainsi obligatoire, désormais, en application de la loi d'orientation des mobilités, de créer des ZFE dans les agglomérations qui dépassent les normes. La ministre de la transition écologique et solidaire Barbara Pompili a réuni la semaine dernière les maires et présidents d'intercommunalité concernés ; un consensus se dessine autour d'une orientation collective partagée, celle du respect sans exception des normes d'ici à 2023 pour toutes les agglomérations, 2025 pour Paris, Lyon et Marseille, calendrier plus resserré que dans les précédentes projections.

Nous souhaitons avancer sur plusieurs recommandations de la Cour des comptes. Je pense au pilotage tant national que local, avec la révision dès cet automne du Prépa, après bilan des actions réalisées et de leur impact, ou à la révision des plans de protection de l'atmosphère, qu'elle vienne d'avoir lieu, comme dans la vallée de l'Arve, ou qu'elle soit en cours, comme à Marseille, Toulon, Nice, Grenoble, Lyon, Clermont-Ferrand - celui de Toulouse sera révisé au premier semestre 2021. Nous partageons l'idée de la Cour qu'il faut non seulement viser le respect des normes, mais avoir pour horizon les valeurs guides de l'OMS. Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement a dit, le 5 mars 2020, dans le cadre d'un débat européen, qu'il était souhaitable de rapprocher, à terme, les normes européennes de ces valeurs guides.

J'en viens aux questions budgétaires. Il y a dans les comptes de l'État des provisions faites en vue de divers litiges ; ces provisions sont appréciées en termes de risques et de probabilités. Il n'y a pas en revanche, dans le budget annuel, de crédits de paiement, sauf si la condamnation est imminente ou déjà prononcée.

La semaine prochaine, la présentation du projet de loi de finances sera accompagnée de celle du premier « budget vert », l'ensemble des dépenses étant analysées en termes d'impact positif ou négatif sur l'environnement.

Un mot sur les recommandations sectorielles. Concernant le transport routier, le rapprochement des fiscalités respectives de l'essence et du diesel, qui s'est opéré depuis la mandature précédente, a été suspendu fin 2018, à la suite du mouvement que vous connaissez. Un certain nombre de mesures d'aide ou de mesures fiscales ont néanmoins contribué à rééquilibrer le traitement des motorisations diesel et essence - je citerai la taxe sur les véhicules de société et les primes à la conversion.

Concernant la prise en compte des émissions en conditions réelles, sont applicables à l'ensemble des véhicules nouvellement produits et homologués les normes dites Euro 6d-TEMP. Les véhicules doivent faire l'objet de tests en conditions réelles de conduite, avec un facteur d'écart de 1,4, et non de 4 ou 5, entre ce que l'on mesure sur banc à rouleaux et ce que l'on mesure en conditions réelles : durcissement, donc, des normes à l'homologation.

Le Gouvernement a par ailleurs mis en place, en application d'un règlement européen, un service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs, rattaché à notre direction générale, qui mène des contrôles ciblés de respect des normes. Ce programme sera poursuivi en 2021. Ces données doivent être portées à la connaissance des acheteurs et être prises en compte dans les stratégies de restrictions de la circulation.

J'ajoute que nous disposerons bientôt d'une norme Euro 7, qui conduira à un rééchelonnement, voire à une refonte des vignettes Crit'Air, dont je rappelle qu'elles doivent être affichées lors de la vente des véhicules, y compris d'occasion.

En matière de prise en compte des niveaux d'émissions dans les politiques d'aide et d'incitation, je rappelle qu'un certain nombre de mesures ont été prises ou sont en cours de discussion : rééquilibrage des taxes qui étaient mal dimensionnées, recalage et durcissement progressif des critères d'éligibilité aux politiques de bonus et de prime à la conversion.

Je signale également que le plan de relance contient diverses mesures en faveur de la mobilité propre : développement du vélo, moyens supplémentaires pour les transports en commun, électrification des navires à quai dans les grandes métropoles maritimes, prime à la conversion électrique des poids lourds, aides au rétrofit.

Concernant l'industrie, on constate de réels progrès, depuis des décennies, en matière d'équipement en filtres notamment. Certains sujets restent néanmoins à traiter, comme l'amélioration de la prise en compte de certains polluants - je pense au 1,3-butadiène, que nous avons demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) d'examiner. Un point noir, également : les émissions diffuses. Une des recommandations de la Cour est mise en oeuvre par le ministère, à savoir l'examen de certains polluants spécifiques peu connus - ainsi des émissions atmosphériques du secteur de la pharmacie.

J'en viens à l'agriculture. Le Prépa prévoyait des actions, dont il faut accélérer la mise en oeuvre, de réduction des émissions liées à l'utilisation d'engrais. Est à l'étude - il s'agit d'une des recommandations de la convention citoyenne pour le climat - une taxation différenciée des engrais ; mais cette mesure ne pourra pas fonctionner seule et sans accompagnement. Le plan de relance, dans son volet agricole, prévoit des mesures en faveur de l'agro-écologie et de la modernisation des matériels et des installations.

En matière de surveillance des pesticides, je rappelle que la France a été, avec la Belgique, le seul pays européen à engager une action d'ampleur : nous avons lancé en juin 2019 une campagne nationale exploratoire des pesticides menée par l'Anses, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et le réseau des Aasqua, qui a permis de faire une photographie des substances présentes dans l'air ambiant et des niveaux de concentration. Des mesures ont été effectuées pendant un an concernant soixante-quinze substances sur la base d'un protocole harmonisé. Le laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air a élaboré des scénarios de coûts. Nous prévoyons d'ailleurs, au titre des crédits budgétaires pour 2021, d'accorder 10 millions d'euros supplémentaires aux Aasqua, qui se voient doter de missions nouvelles, dont la surveillance des phytosanitaires et celle des particules ultrafines.

Je précise que nous avons pu dégager cette année, en redéploiement de crédits, 2,8 millions d'euros supplémentaires de subventions au profit des Aasqua, les financements industriels étant cette année difficilement mobilisables. Le modèle de financement des Aasqua, qui repose sur une diversité de sources, est complexe, mais sans doute préférable à une subvention intégralement étatique.

M. Jean-Félix Bernard, président d'Airparif. - Merci pour ce rapport très exhaustif, où un grand nombre d'actions menées sont mises en perspective - les annexes, notamment, sont précieuses.

J'interviens au nom de la Fédération Atmo France, qui regroupe les associations agréées chargées, dans chaque région, de surveiller et de mesurer la qualité de l'air. J'ai présidé pendant deux mandats le Conseil national de l'air, et j'avais été chargé par le Gouvernement de réaliser la première évaluation de la loi sur l'air, suivie, cinq ans plus tard, par une seconde évaluation faite par votre ancien collègue M. Philippe Richert, dont les conclusions sont, pour certaines, toujours d'actualité.

Cela dit, la situation s'améliore, s'agissant notamment des polluants réglementés ; mais elle s'améliore très lentement, au moment où l'on commence à parler d'un passage aux normes OMS. Nous risquons de nous retrouver, en 2025, avec des niveaux de pollution conformes à l'ancienne réglementation, mais non conformes eu égard aux nouveaux standards plus restrictifs. J'observe aussi que les contentieux provoquent des accélérations ; je me souviens des débats sur l'ozone, il y a une vingtaine d'années : la condamnation de la France avait permis d'améliorer la situation, bien que le problème de l'ozone, exception notable parmi les polluants réglementés, ne soit toujours pas totalement réglé.

Je remercie l'État pour son soutien pendant la crise de la covid-19. Ce soutien nous a permis de continuer à réaliser des mesures de surveillance en dépit des difficultés. Nous avons pu savoir ce que respiraient les Français pendant le confinement, et identifier de manière très formelle les différents facteurs d'émissions.

Quelques mots sur le financement des associations : leur modèle économique a peut-être vécu, en effet, depuis son instauration à l'époque où Michel Barnier était ministre de l'agriculture. Le principe était que les industriels, c'est-à-dire les sources fixes, participent au financement des associations de surveillance, via la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), au même titre que les collectivités et que l'État. En même temps était garantie l'indépendance de la mesure, à défaut de l'unanimité des mesures. Aujourd'hui, les polluants ont changé ; la Cour des comptes a relevé que les sources fixes et les industriels n'étaient peut-être plus les principaux pollueurs, les transporteurs et le secteur agricole étant par exemple des émetteurs importants sans contribuer directement au financement des associations.

La forme associative, très originale, donne en tout cas à nos évaluations une réelle crédibilité auprès de la population.

J'en viens aux collectivités. Un certain nombre de départements se sont dessaisis de cette compétence. La loi sur l'air est pourtant très claire : tout le monde doit contribuer à cette lutte d'intérêt général, quelles que soient les compétences des uns et des autres. Mais il n'est pas précisé à quel niveau une telle participation est requise, de sorte que les collectivités ont tendance à se renvoyer la balle, surtout en période de disette budgétaire, ce qui tend à aggraver nos problèmes de financement. La loi sur l'air mériterait donc d'être révisée afin de rendre la vie plus facile aux Aasqua.

Je salue néanmoins les décisions récentes de l'État visant à compenser en partie les baisses de financement, sachant que la demande du public sur ces questions augmente fortement. On ne peut pas se contenter de mesurer les polluants recensés par la législation française : le public demande autre chose ; il exige qu'on s'intéresse aux particules ultrafines, à l'ammoniac, au black carbon, et que l'on anticipe sur ces questions.

Par ailleurs, depuis la loi sur l'air, un grand nombre de plans ont été faits ; l'organigramme des structures travaillant sur l'air - vous en avez donné un aperçu - est éloquent, comme l'est le nombre des outils de planification existants : chaque niveau de collectivité a son plan. Mais, le plus souvent, on n'a ni état initial ni évaluation, ce qui rend impossible de valoriser les actions en distinguant ce qui a marché et ce qui n'a pas marché. Si un guide méthodologique national pouvait être édité afin de pouvoir comparer entre elles les actions faites par les uns et par les autres, y compris celles qui sont mises en oeuvre dans les collectivités d'autres pays d'Europe, cela serait très utile. J'ai bien noté que le Conseil d'État, dans sa décision condamnant la France, soulevait le problème du manque d'évaluation, avec un paragraphe spécifique sur l'Île-de-France. Je me tourne donc vers le législateur.

M. Vincent Éblé, président. - Il traduira cette recommandation.

M. Jean-Félix Bernard. - La valorisation, en France, est souvent vue comme une contrainte. La qualité de l'air peut être valorisée du point de vue de la santé, mais aussi du tourisme ; c'est une source d'attractivité et, désormais, un secteur économique d'avenir, en plein essor, dans lequel interviennent des start-up, des PME et de grands groupes du CAC 40. Les sommes investies dans l'amélioration de la qualité de l'air ne le sont donc pas à fonds perdu !

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis. - Merci pour votre accueil au sein de la commission des finances.

La pollution de l'air est un sujet majeur qui préoccupe nos concitoyens ; j'y suis particulièrement sensible. On mesure combien complexe est l'articulation entre elles des politiques de l'eau, du climat, de l'air ; et vous avez pointé l'importance de mieux décliner localement, auprès des collectivités locales notamment, lesdites politiques.

En tant que rapporteur pour avis des crédits de la biodiversité, j'ai noté que cette question était insuffisamment étudiée. Le plan de reconquête de la biodiversité annoncé devrait remédier à ce problème. La question du défaut de réglementation sur les particules fines mérite aussi d'être approfondie. Lorsque des mesures volontaristes sont prises, on obtient des résultats ; ainsi des normes Euro 6 sur les moteurs thermiques, qui ont permis de limiter les émissions. Mais rien n'a été fait, par exemple, pour lutter contre la pollution de l'air due au freinage des trains. Il faut un freinage écologique : c'est du concret. Il existe d'ailleurs une filière, avec des start-ups positionnées sur le sujet.

Un voeu, pour conclure : je plaide pour davantage de cohérence dans les politiques de lutte contre le changement climatique et la pollution de l'air. Il faut articuler autour d'un même axe les plans de réduction des émissions de polluants atmosphériques, la stratégie nationale bas carbone chère au sénateur Husson, la programmation pluriannuelle de l'énergie, le plan de reconquête de la biodiversité.

M. Julien Bargeton. - On distingue classiquement quatre outils de lutte contre la pollution : la réglementation - on peut interdire une pratique ou un produit jugé polluant ; la fiscalité - la théorie du double dividende promet des recettes à court terme et une modification des comportements, donc une réallocation des ressources, à long terme ; le budget - on subventionne les activités vertueuses en aidant une filière comme la filière hydrogène ; les marchés, l'exemple-type étant peut-être celui de l'échange de quotas de pollution.

La Cour a-t-elle une appréciation sur ces quatre outils ? Existe-t-il des comparaisons internationales sur l'efficacité des diverses politiques publiques de lutte contre la pollution de l'air ? Sur un sujet aussi complexe à analyser, nous manquons parfois de comparaisons. Existe-t-il d'autres rapports dans d'autres pays, et une base de données où ces rapports auraient été compilés ?

Mme Annie Podeur. - M. Bargeton a bien identifié les quatre moyens mobilisables. S'agissant du champ de la réduction des émissions de polluants atmosphériques, trois outils ont été retenus : la fiscalité, le budget - il faut des incitations - et la réglementation. Pour l'ammoniac, si on veut que les acteurs, notamment les agriculteurs, modifient leurs comportements, il ne faut pas méconnaître la situation économique dans laquelle nombre d'entre eux se trouvent. Je pense en particulier aux éleveurs, qui sont directement concernés par les émissions d'ammoniac en raison de l'absence de couvercle sur les cuves d'effluents et de techniques d'épandage qui ne sont pas nécessairement vertueuses.

Il est évident qu'il faut d'abord utiliser l'outil incitatif. Les déversements de la PAC, c'est plus d'une dizaine de milliards d'euros. Il faut fixer des critères d'éco-conditionnalité pour diriger les aides. Actuellement, des aides à l'hectare sont dénuées de tout lien avec les préoccupations environnementales.

Les quotas existent pour les émissions de gaz à effet de serre, mais pas pour les émissions polluantes. Nous avons dressé une revue de littérature internationale qui figure en annexe : il n'y a pas de marché pour les émissions de polluants atmosphériques. S'il y en avait un, il faudrait qu'il soit conçu à l'échelle européenne.

Il n'existe hélas ! pas de base recensant toutes les données disponibles. Nos rapporteurs pratiquent des investigations, font des revues de littérature, se réfèrent aux travaux d'organismes de recherche, de l'OCDE, d'Eurostat pour essayer de recueillir le maximum de données. En la matière, des domaines sont encore complètement inexplorés - je pense notamment aux risques économiques et environnementaux. Les laboratoires universitaires devraient se mobiliser sur ces sujets.

M. Laurent Michel. - On constate que des politiques similaires sont menées en Europe, aux États-Unis, au Japon et en Corée, avec des « dosages » différents. Pour l'industrie, l'approche unanimement choisie a été la réglementation, harmonisée au niveau européen avec des directives d'abord sectorielles et maintenant avec la directive relative aux émissions industrielles, dite « IED ». Ce texte fixe des standards pour les émissions dans l'eau et dans l'air, et les meilleures pratiques de gestion environnementale pour un grand nombre de secteurs.

Les quotas, c'est en réalité une réglementation avec un marché derrière : il faut une injonction pour fixer le seuil maximal d'émission. Un tel système n'est pas applicable à la pollution de l'air, qui est à la fois globale - des directives européennes fixent les plafonds d'émission pour chaque pays - et locale. Si je ne me trompe pas, seuls les États-Unis ont testé ce système, il y a très longtemps. Dans le secteur automobile, les grandes zones - Asie, Europe, États-Unis - ont des approches similaires : réglementer le véhicule ou le carburant, par exemple en interdisant l'essence sans plomb.

Il faut aussi relever la volonté d'organiser l'urbanisme et le transport, pour limiter les déplacements individuels. Londres a mis en place un péage. En France, on s'oriente plutôt vers une restriction progressive des véhicules autorisés, ce qui nécessite une politique d'accompagnement. Depuis le plan sectoriel de juin dernier, la prime à la conversion dans les zones à faible émission peut être abondée par l'État et les collectivités. Nous avons également mis en place un guichet unique entre l'État et la Métropole du Grand Paris pour additionner nos aides. On assiste dans les agglomérations à une organisation des trafics, à un développement des transports en commun et à une limitation progressive des véhicules les plus polluants. Les politiques convergent, même si chaque pays a ses sensibilités et ses caractéristiques.

En ce qui concerne les documents de synthèse, il faut peut-être regarder du côté de l'Agence européenne pour l'environnement, qui dresse régulièrement un rapport sur l'état de l'environnement en Europe.

M. Jean-Félix Bernard. - Différents pays sont menacés de contentieux en raison de leurs dépassements des seuils de pollution - nous ne sommes pas les seuls. Des délégations de grandes agglomérations, notamment du Bade-Wurtemberg, sont venues nous rendre visite pour voir avec nous comment sortir de ces questions de contentieux.

Sur les comparaisons internationales, je suis d'accord avec Laurent Michel : les politiques sont assez proches. Mais il existe tout de même quelques nuances. Les Japonais ont, par exemple, interdit le diesel en ville il y a plusieurs dizaines d'années. On ne parvient à traduire les efforts réalisés par les uns et par les autres parce que nous ne faisons pas d'évaluation sérieuse. On a l'impression que les plans sont faits sous la contrainte, et non de manière proactive.

Mme Marine Tondelier, déléguée générale d'Atmo France. - En France nous avons un dispositif unique, envié par certains pays : le système de surveillance de la qualité de l'air. Que ce travail soit fait par des associations est un gage de transparence et d'indépendance. C'est cette forme associative qui permet en fait d'aller parfois là où l'État ne va pas encore. Si l'on dit que l'on surveillera demain les particules ultrafines ou les pesticides, c'est parce que, dans les territoires, des élus, des collectivités, parfois des industriels, ont mis de l'argent sur la table pour que des mesures soient localement mises en oeuvre, afin d'avoir demain une stratégie nationale. Les premières données permettront à l'Anses de faire un rapport, au Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air de préparer un plan de surveillance, etc.

Les associations de surveillance de la qualité de l'air ne sont pas là que pour surveiller : nous sommes de véritables leviers d'action et accompagnons ceux qui veulent agir sur le territoire. Les agriculteurs commencent à entrer - pas encore dans toutes les régions - dans les conseils d'administration des associations, ce qui nous permet de travailler ensemble sur des sujets. Dans le Grand Est, un président de chambre d'agriculture était très engagé sur ces questions : nous avons organisé ensemble un colloque en 2017.

Les agriculteurs sont souvent complètement démunis. On leur explique que le « pic de printemps », comme on en a connu au début du confinement, est très lié aux activités agricoles. Ils mettent en avant le fait qu'ils appliquent les lois sur l'air et sur l'eau, et qu'on leur a appris à épandre à ce moment-là - tous en même temps puisque les délais sont contraints.

Le rapport souligne que les évaluations des plans sont insuffisantes. Pour les PCAET, le « A » n'est souvent pas la priorité. L'air est le parent pauvre de ces plans. Nous travaillons avec l'ex-Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), devenue l'Agence de la transition écologique, à un projet intitulé Plan'Air : puisque nous arrivons à la fin de la première génération de PCAET, nous allons auditionner une trentaine de collectivités pour faire une revue de littérature exhaustive sur la question de l'air, voir ce qui a marché et ce qui n'a pas marché, faire des recommandations pour la deuxième génération de plans.

J'en viens à la transversalité nécessaire des politiques. Nous ne cessons de le souligner, un euro investi dans la politique pour le climat n'aura pas forcément des conséquences positives pour l'air - le rapport cite l'exemple du chauffage au bois ; on pourrait prendre celui du diesel - ; en revanche, un euro investi dans la politique publique pour l'air sera forcément bon pour le climat.

Nous avons des outils, comme les cartes stratégiques de l'air, qui permettent d'aider les décideurs à prendre en compte cette thématique dans les plans d'urbanisme. À Strasbourg, il fallait construire un écoquartier : qui dit écoquartier dit nouveaux habitants, et donc construction d'une école. Mais la zone était rouge sur la carte stratégique : une solution a pu être trouvée grâce aux techniques de construction, en plaçant un grand mur écran avant la cour de récréation pour la protéger de l'axe routier, et en implantant les fenêtres de manière différente. Il a été possible de diminuer d'environ 30 % l'exposition des enfants dans l'école.

On doit inverser notre manière de concevoir la politique de l'urbanisme, en n'étant pas seulement dans la réparation. L'outil fait peur à certains élus. Lorsque je suis arrivée à Atmo France, j'ai participé à une réunion avec l'organisation France urbaine : l'élu de Strasbourg expliquait qu'il fallait procéder partout comme cela avait été fait pour l'implantation de l'école dont je viens de vous parler. Un autre élu s'est offusqué en expliquant que si ces cartes étaient rendues publiques, on se rendrait compte que toutes les HLM sont dans des zones rouges. Cet outil, qui est à la disposition des villes, lui paraissait subversif. Aujourd'hui, il se démocratise quelque peu et est devenu important pour les villes qui veulent travailler à la conception de l'urbanisme.

Nous avons une mission de pédagogie et de sensibilisation du grand public, lequel montre un intérêt croissant pour les questions relatives à la qualité de l'air. Mais nous ressentons aussi de la méfiance. Car les données sont multiples, et avec les microcapteurs, chacun peut mesurer la qualité de son air... Il faut des données de référence, permettant d'obtenir des informations claires. C'est la raison pour laquelle nous rénovons l'indice Atmo et que nous essayons de le faire connaître, afin qu'il puisse servir de source d'information fiable. Plusieurs indices sur l'air sont disponibles, et le public ne comprend pas pourquoi un endroit est vert sur une carte et rouge sur une autre. C'est davantage un facteur de confusion et d'inquiétude que de réassurance.

Au moment de la catastrophe de Lubrizol, on a constaté qu'il fallait donner au public des explications claires émanant de personnes de confiance : Atmo Normandie s'est retrouvé en première ligne. Nous prenons très à coeur ce rôle de tiers de confiance, en lien avec l'État qui nous donne son agrément et travaille avec nous au quotidien. Nous travaillons beaucoup sur l'open data, pour que les données que nous produisons irriguent le tissu économique et permettent de créer des emplois en France.

Néanmoins, notre modèle économique pose question. Nous avons demandé que des travaux parlementaires soient conduits sur cette question, afin de recueillir des avis extérieurs. Car nous ne sommes peut-être pas les plus à même de rénover ce modèle. Le problème vient non pas des régions, mais des départements. La loi est floue : si les régions sont chef de file sur l'air, certains départements se désinvestissent. Ces derniers mois, plusieurs villes ont cessé d'adhérer à Atmo France, car elles trouvent gratuitement toutes les données en open data sur notre site...

La TGAP air permet à des personnes qui ne connaissaient pas bien notre activité de participer aux discussions, voire d'être trésoriers de nos associations. Les industriels savent qu'ils doivent payer cette taxe : ils sont d'accord pour nous la donner, car cela leur permet d'être associés à la gouvernance. Pour eux, il s'agit d'une application du principe pollueur-payeur, mais avec un seul pollueur qui paye : ils font un effort, mais veulent savoir sur quoi cela va déboucher.

Le plafond de la TGAP air est de 171 000 euros ou 25 % de la cotisation due. Les industriels proposent de le relever à 250 000 euros, par exemple, en arguant que cela ne leur coûterait pas plus cher, et nous aiderait à pallier les difficultés actuelles. Il y aurait un petit manque à gagner pour l'État, mais les sommes sont minimes si on les rapporte au budget général.

Le potentiel de la taxe TGAP air se réduit d'année en année. C'est une bonne nouvelle, car cela signifie qu'il y a moins d'émissions de polluants atmosphérique : cette baisse s'explique pour de bonnes raisons, mais aussi par des délocalisations, les hivers moins rigoureux... Les industriels investissent également dans de nouvelles technologies, ce qui doit être salué. Cette situation nous met quelque peu en difficulté : c'est pourquoi l'élévation du plafond pourrait être une bonne solution. Plusieurs parlementaires nous soutiennent et déposeront des amendements en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Cette solution relativement indolore permettrait de financer une partie du plan post-Lubrizol sur la prise en charge des incidents et des accidents industriels, présenté par Élisabeth Borne en février dernier.

M. Vincent Éblé, président. - Merci pour votre intervention.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Si le rapprochement de la fiscalité sur les carburants a été arrêté, c'est parce qu'il avait été objectivement mal engagé, comme nous l'avions déjà relevé. Rapprocher, ce n'est pas forcément partir du point le plus bas pour aller au point le plus haut ; il faut baisser ce qui est trop haut et augmenter ce qui est trop bas, ce qui permet de recueillir plus facilement un consensus. Faites passer le message !

Lors des travaux de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, nous avions interrogé les opérateurs sur ce qu'il fallait faire. Tous plaidaient pour que la réglementation soit revue, avec un seul préalable : une concertation en amont pour avoir de la visibilité, et ne pas changer de pied en permanence.

Monsieur Michel, vous êtes sous l'effet euphorisant du plan de relance. Le Gouvernement envisage d'instaurer une nouvelle taxe sur les voitures en fonction de leur poids. Il a beaucoup été question de la convention citoyenne pour le climat : c'est une bonne chose, mais il ne faut jamais oublier de passer par les points de passage démocratiques que sont le Sénat et l'Assemblée nationale.

Je conclurai sur une observation : le pays européen qui a la meilleure qualité de l'air, c'est la Finlande ; le pays européen dont les habitants sont les plus heureux, c'est la Finlande ! Il faudrait se pencher sur cet exemple, même si les situations ne sont pas comparables eu égard à la taille de ce pays et au nombre de ses habitants.

M. Vincent Éblé, président. - Je remercie tous les intervenants d'avoir participé à cette discussion stimulante.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Jean-François Husson.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Contrôle budgétaire - Communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur les projets immobiliers des pouvoirs publics

M. Vincent Éblé, président. - Nous passons à la communication de contrôle budgétaire de M. Jérôme Bascher sur les projets immobiliers des pouvoirs publics.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Cette communication est le fruit d'un travail de contrôle sur les projets immobiliers des institutions relevant de la mission « Pouvoirs publics », à savoir la présidence de la République, l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel.

Les budgétisations réalisées via le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » pour financer des rénovations à l'Élysée avaient donné lieu à une micro-polémique lors de l'examen du dernier budget.

Les institutions de la République ont des priorités communes : la nécessité d'entretenir et valoriser leur patrimoine historique ; la rénovation des locaux pour faire bénéficier les personnes qui y travaillent de moyens modernes, notamment en termes de réseaux ; l'adaptation à l'évolution des missions institutionnelles - l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et la charge de travail qui l'accompagnait avaient entraîné pour le Conseil constitutionnel la réalisation de travaux très importants ; et la prise en compte des questions d'efficacité énergétique, de sécurité et d'accessibilité des bâtiments.

La poursuite de ces objectifs, en particulier celui d'entretien du patrimoine historique, explique que les investissements immobiliers représentent un effort financier important.

À l'Assemblée nationale par exemple, sur la période 2017-2019 le montant exécuté des dépenses d'investissement de l'Assemblée nationale s'est élevé à 19,1 millions d'euros dont 8,3 millions d'euros pour des opérations de préservation ou de mise en valeur du patrimoine historique, soit 43,5 % du montant des dépenses d'investissement.

Au Sénat, on constate un effort d'investissement important depuis trois ans, avec une moyenne annuelle de 18,4 millions d'euros pour la période 2017-2019, contre 10,5 millions pour la période 2014-2016.

Je rappelle que ces dépenses sont assumées par les réserves des assemblées parlementaires. La dotation budgétaire de l'État, qui couvre le fonctionnement courant, est figée depuis neuf ans. Ces neuf années de gel représentent pour le Sénat un effort équivalent à plus d'une année de dotation.

Le cas de la présidence de la République est quelque peu différent dans la mesure où l'essentiel des dépenses immobilières est assuré par le budget de la culture via l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic), issu de la fusion de l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels et du Service national des travaux.

On constate une tendance récente des pouvoirs publics à inscrire leurs projets immobiliers dans le cadre d'une programmation pluriannuelle ou d'un schéma directeur. C'est une bonne nouvelle !

La programmation permet de se doter d'une véritable vision d'ensemble pour mener de façon cohérente l'ensemble des objectifs évoqués, même si de mauvaises surprises peuvent toujours arriver - la découverte d'amiante par exemple. Elle s'inscrit également dans un souci de bonne gestion financière.

Le schéma directeur immobilier de la présidence de la République couvre la période 2019-2022 et représente un effort global prévisionnel de 52 millions d'euros, ce qui n'est pas rien. Il s'inscrit dans la continuité de la récente réforme de l'organisation administrative de l'Élysée. La présidence de la République, ce n'est pas seulement l'hôtel d'Évreux - le palais de l'Élysée proprement dit -, mais aussi le palais de l'Alma. Ce dernier bâtiment est en cours de rénovation pour y loger l'ensemble des services support de l'Élysée. L'Oppic a la maîtrise d'ouvrage globale du chantier.

À l'Assemblée nationale, selon les informations que je remercie le Collège des Questeurs de m'avoir communiquées, le programme des travaux est extrêmement important : rénovation de l'hôtel de Broglie et de l'hôtel de Lassay, et de la couverture de l'hémicycle, qui aurait dû être faite cet été, mais qui a dû être reportée en raison de la crise sanitaire.

Pour le Conseil constitutionnel, les opérations sont plus modestes que celles réalisées au début des années 2010 : il s'agit notamment de l'aménagement de voies de circulation vers la Comédie-Française et de l'ouverture d'une boutique. Un plan d'économie d'énergie et de développement durable a également été adopté.

Le Sénat a franchi un pas supplémentaire puisque, depuis 2017, l'effort de programmation pluriannuelle concerne l'ensemble de son budget. La principale opération porte sur les travaux de rénovation des 26-36, rue de Vaugirard. Dans le Jardin du Luxembourg - qui, il est toujours bon de le rappeler, est géré par le Sénat -, a débuté la rénovation de la Fontaine Médicis. L'effort global d'investissement programmé s'élève à 55 millions d'euros pour la période 2020-2022.

Les principales recommandations de mon rapport concernent le financement des projets immobiliers des pouvoirs publics.

S'agissant de la présidence de la République, l'enjeu est d'améliorer la lisibilité des crédits d'investissement. Il faut consolider le budget de l'Élysée sur la mission « Pouvoirs publics ». La présidence bénéficie de deux exceptions : le concours du ministère de la culture, via l'Oppic, et l'avance de trésorerie du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». L'Élysée a déjà fait des efforts de consolidation à la demande de la Cour des comptes pour ce qui concerne la sécurité de la présidence de la République. Il faut continuer, car les crédits concernés sont importants.

De leur côté, les assemblées parlementaires et le Conseil constitutionnel puisent dans leurs réserves pour financer leurs projets immobiliers. Cela ne peut continuer ainsi. Il est temps de mettre fin au gel de la dotation de l'État aux assemblées parlementaires, notamment pour leur permettre de couvrir leurs besoins de rénovation du patrimoine historique dont elles sont affectataires.

Globalement, je donne donc un satisfecit à l'ensemble des institutions de la République pour la gestion de leur patrimoine immobilier.

Mme Christine Lavarde. - Cet été, la salle des Conférences du Sénat a été rénovée à l'identique. On a reposé de la feuille d'or là où il y avait de la feuille d'or, etc. Quelles règles s'appliquent pour la rénovation des espaces de l'Élysée ? Des pièces sont complètement transformées, le style historique est abandonné... J'entends l'argument avancé par le rapporteur spécial sur la nécessité de rendre les lieux fonctionnels. Mais, en l'occurrence, on assiste à un changement de style !

En matière de rénovation, notamment destinée à améliorer la performance énergétique, les collectivités doivent rénover des bâtiments en conservant leur aspect d'origine. Pourquoi l'Élysée aurait-il le droit de s'affranchir de ces contraintes de respect du patrimoine, d'autant que les crédits viennent du ministère de la culture ?

M. Thierry Carcenac. - Nous n'avons pas l'habitude de gérer de façon rigoureuse l'important patrimoine immobilier de notre pays. Le rapporteur a évoqué l'Oppic ; pour la justice, une agence est chargée les projets immobiliers. Les opérateurs sont multiples, ce qui nuit à la transparence et à la lisibilité du système.

Avec Christine Lavarde, nous siégeons au Conseil de l'immobilier de l'État. La construction du nouveau Palais de justice de Paris aurait dû permettre de récupérer les anciens bâtiments. Nous avons appris qu'il avait été décidé, lors d'une réunion interministérielle, que chaque ministère conserverait ses locaux. Le ministère de la culture a dû abandonner son projet d'ouvrir à la visite le 36, quai des Orfèvres. Nous n'avons pas de vision claire de la politique immobilière de l'État.

Les deux assemblées ont une commission chargée du contrôle des comptes. J'ai fait partie de la commission du Sénat : nous analysons chaque année les moyens affectés aux travaux de rénovation. Le Conseil constitutionnel fait preuve de la même transparence. On ne peut pas en dire autant du Conseil d'État - je pense à l'installation de la cour administrative d'appel à Toulouse.

Le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » est la roue de secours. On en connaît les conséquences : il nous est toujours dit que les avances accordées seront abondées par des cessions à venir...

Je remercie le rapporteur spécial pour son travail, qui nous permet de compléter la vision de la politique immobilière de l'État avec celle des pouvoirs publics.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - J'indique que j'ai travaillé sur dossier - le confinement ne m'ayant notamment pas permis de me rendre à l'Oppic - mais j'ai reçu tous les éléments d'information nécessaires.

S'agissant du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », il est prévu de vendre un immeuble rue de l'Élysée pour 27 millions d'euros afin de couvrir l'avance.

La fusion entre l'Oppic et l'opérateur qui s'occupe des programmes immobiliers de la justice n'est pas une idée neuve. La création de l'Oppic devait être la première étape. Le ministère de la culture avait vocation à s'occuper de l'ancien palais de justice, notamment en raison de la présence en son sein d'une remarquable chapelle...

Madame Lavarde, si la salle des Conférences du Sénat a été refaite à la feuille d'or, c'est parce que nous prenons le parti de faire à l'identique, même si pour Émile Zola, le style Napoléon III était « le bâtard opulent de tous les styles » !

À l'Élysée, en revanche, effectivement les planchers vont sauter ! Les étages et demi-étages vont être refaits pour y loger notamment les services de sécurité de la présidence de la République. Des appartements ont été supprimés pour en faire des bureaux. Les architectes des Bâtiments de France sont peut-être assez « coulants », alors que dans les collectivités nous avons parfois du mal à nous faire entendre... Même si je n'ai pas d'éléments précis sur les sujets que vous évoquez, je vous assure que l'aile concernée par l'aménagement des bureaux est très peu fonctionnelle et mérite cette rénovation lourde.

L'hôtel de Marigny, qui est le lieu de réception de l'Élysée pour les chefs d'État étrangers, doit également faire l'objet de rénovations : le nombre de chambres est limité au strict nécessaire, d'autant que les visiteurs étrangers préfèrent maintenant loger dans des palaces.

M. Vincent Éblé, président. - Merci pour cette présentation.

La commission autorise la publication de la communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 16 h 35.