Mercredi 1er juillet 2020

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 8 heures.

Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, et les modalités de transposition de la directive « Services de médias audiovisuels » - Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin Franck Riester, ministre de la culture, dans des circonstances assez exceptionnelles que je vais m'efforcer de détailler afin que nous ayons tous les enjeux en tête.

Vous vous souvenez sans doute que l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique a été brutalement interrompu à l'Assemblée nationale entre son passage en commission et en séance publique, à la suite des mesures de confinement liées à la crise de la Covid-19. L'Assemblée n'a pu mener à bien l'examen des nombreux articles de ce texte tant attendu. En plus de la réforme de l'audiovisuel public, le projet de loi comportait la transposition de trois directives européennes : la directive Services de médias audiovisuels (SMA) du 14 novembre 2018, qui doit être transposée avant le 19 septembre 2020 ; la directive Droit d'auteur et la directive Câble et satellite (Cabsat), du 17 avril 2019, ces deux derniers textes devant être transposés le 7 juin 2021 au plus tard.

Face à l'impossibilité de reprendre en séance l'examen du texte, vous envisagez aujourd'hui, monsieur le ministre, d'introduire dans le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue), des amendements habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer dans notre droit ces trois directives. Ce projet de loi a été déposé le 12 février 2020 et sera examiné par le Sénat en première lecture mardi 7 juillet et mercredi 8 juillet.

Vous avez tenu à nous informer très tôt de l'intention du Gouvernement de déposer des amendements visant à transposer ces directives et les multiples échanges que nous avons eus depuis lors ont contribué à éclairer notre réflexion sur le sujet. L'adoption de ces dispositions par le Sénat permettrait, en cas d'accord avec l'Assemblée nationale, leur promulgation d'ici à la fin du mois de juillet, ce qui garantirait les délais de transposition de la directive SMA - au sujet desquels nous vous avions alerté - et placerait une nouvelle fois la France en position de pionnier en Europe pour la mise en oeuvre de dispositions favorables aux auteurs, quelques mois après l'adoption de la loi sur les droits voisins, à l'initiative du Sénat.

Cependant, comme vous le savez sans doute, les ordonnances n'ont pas « bonne presse » au Sénat. Nous venons d'en voter beaucoup en raison de l'état d'urgence, mais nous tenons à avoir des débats précis et exigeants sur chaque sujet, c'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Je vous cède donc la parole pour vous permettre de présenter les amendements que vous envisagez de déposer à l'occasion de l'examen du projet de loi Ddadue, de justifier tant la méthode que les périmètres retenus à cette occasion et de nous faire état, si vous le pouvez, de l'accueil que cette initiative a reçu dans le secteur des médias.

Enfin, je souhaite que cette audition permette de faire un point sur France 4, dont le sort nous préoccupe de longue date. L'écran noir devrait intervenir le 9 août ; nous avons pris une position claire en faveur du maintien de cette chaîne, laquelle, après avoir été rééditorialisée, a fait ses preuves durant la crise sanitaire. Nous souhaiterions connaître votre position.

M. Franck Riester, ministre de la culture. - Je vous remercie de votre écoute et de votre réactivité. Vous l'avez dit, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique ne peut suivre le processus qui a été entamé. Pour la petite histoire, son examen en commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a donné lieu à des contaminations par le virus de la Covid-19. Alors que nous devions examiner ce texte en séance publique en avril dernier, la crise sanitaire nous a contraints à revoir l'agenda parlementaire. Depuis lors, les différents projets de loi de finances rectificative et les autres urgences, alors que le temps disponible était réduit, ont conduit le Gouvernement à réfléchir à une stratégie pour adopter les dispositions contenues dans ce texte, dont les objectifs - la transposition des trois directives, la préparation à la télévision du futur à ultra-haute définition, la modernisation de la régulation, le renforcement de la lutte contre le piratage, la réaffirmation des missions du service public et son adaptation à la révolution numérique ainsi qu'à la révolution des usages - sont toujours d'actualité. Nous avons choisi de faire passer ces mesures dans un temps plus restreint, poussés par la crise, qui a accru la nécessité de transposer les directives concernées. Outre la question des délais, il nous fallait en effet tenir compte de la baisse massive de la publicité sur les chaînes privées, qui a réduit les bases de calcul du financement de la création et augmenté le poids des plateformes, dont la participation au financement de la création est donc plus que jamais nécessaire. Nous répondons ainsi à la demande des acteurs comme du Parlement et nous entendons conserver la forme de leadership que nous avons acquise grâce à l'adoption de la proposition de loi de M. David Assouline tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, qui nous a permis de fixer le cadre de la transposition de cette mesure pour les autres pays. Il est donc urgent de le faire pour le reste de la directive sur le droit d'auteur comme pour la directive SMA, car l'interprétation qu'en font d'autres pays diverge parfois de la nôtre. Plus vite nous transposerons, plus vite nous fixerons la bonne façon de le faire, dans le sens que nous souhaitons. Pour aller vite, une des possibilités est donc l'intégration de la transposition des trois directives dans le projet de loi Ddadue, lequel contient déjà l'inscription en dur d'un certain nombre de dispositions du projet de loi sur l'audiovisuel découlant de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Nous ne pouvions pas faire cela sans le Parlement, c'est pourquoi nous avons pris contact avec le Sénat. Aujourd'hui, nous nous rencontrons pour déterminer s'il est possible d'aller vite sur la transposition via le dépôt d'un amendement du Gouvernement au texte Ddadue. L'autre possibilité serait l'examen en septembre à l'Assemblée nationale d'un projet de loi classique avec un temps de discussion court, mais cela ne nous permettrait pas d'être prêts au 1er janvier pour imposer à Netflix ou à Disney des obligations de financement de la création française et européenne et ne nous laisserait pas beaucoup de temps pour discuter du reste du texte.

La transposition par ordonnance de ces directives dans le projet de loi Ddadue et la discussion d'un projet de loi contenant les autres dispositions en septembre à l'Assemblée nationale nous permet de couvrir l'ensemble du spectre du texte et d'imposer aux plateformes le respect du droit d'auteur « à la française » et la participation au financement de la création. Je vous ai donc transmis les amendements du Gouvernement relatifs à l'habilitation ainsi que le projet d'ordonnance lui-même, qui reprend la rédaction issue des travaux de la commission à l'Assemblée nationale. Il était déjà prévu que la directive « Cabsat », très technique, soit transposée par ordonnance, en revanche, les dispositions essentielles de la directive sur le droit d'auteur concernant la rémunération proportionnelle et le partage de la valeur avec les plateformes devaient être transposées « en dur ». L'ordonnance prévue reprend sur ce point la rédaction de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Enfin, il était déjà prévu que les autres articles de la directive soient transposés par ordonnance.

En ce qui concerne la directive SMA et les obligations de financement qu'elle comporte, nous souhaitions donner la primeur à la négociation professionnelle pour parvenir à des accords avec chaque acteur financier, les chaînes de télévision et, demain, les plateformes. Cependant, ce nouveau calendrier nous force à changer de stratégie : nous allons donc nous doter par décret des moyens de fixer des obligations aux plateformes et déterminer les règles pérennes plus tard, dans le cadre de la discussion du projet de loi, à partir du résultat de la négociation entre les professionnels concernés, entériné par un décret-cadre. Aucune transposition n'est donc prévue pour cette partie du texte, afin de donner la primeur à la négociation en laissant au Gouvernement la possibilité de fixer les obligations par décret.

J'aurais préféré procéder différemment ; nous avons travaillé durant des mois sur ce texte et j'aurais aimé le défendre devant le Parlement. Ce n'est donc pas de gaieté de coeur que je me résous à le « saucissonner ».

L'accueil des professionnels, des ayants droit comme des plateformes, lesquelles souhaitent sortir de l'incertitude, a été favorable à une transposition rapide des dispositions de la directive SMA. Les plateformes sont attentives aux obligations qui leur seront imposées, mais elles savent que nous voulons avancer. Les chaînes de télévision sont également très demandeuses.

Sur le droit d'auteur, la plupart des sociétés d'auteurs sont favorables au texte, la rémunération proportionnelle donnant lieu à un débat vif - il ne l'était pas moins au niveau européen au moment de la discussion de la directive elle-même. À mon sens, nous avons trouvé un bon équilibre, puisque le texte va trop loin selon les producteurs, mais pas assez aux yeux des artistes-interprètes. Cette solution conduit à inscrire dans le marbre le principe de la rémunération proportionnelle, tout en introduisant suffisamment d'exceptions pour ne pas trop perturber les équilibres. Le recours au forfait de rémunération, notamment, très demandé par les producteurs de musique, permet ainsi de changer de paradigme très progressivement.

S'agissant de France 4, le Président de la République nous a demandé de revoir toutes les réformes en cours, à commencer par celles qui concernent l'extinction de France 4 et de France Ô ; j'ai demandé des informations à France Télévisions dans l'hypothèse où celle-ci n'interviendrait pas le 9 août. Ces informations sont en court d'analyse et j'espère recevoir les arbitrages très bientôt, car votre impatience est légitime. France Télévisions a anticipé les deux scénarios possibles afin de s'organiser en fonction de la décision que prendra le Gouvernement.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Si le Gouvernement persistait à vouloir faire disparaître France 4, cette décision devrait être prise après les débats au Parlement sur l'autre partie du projet de loi, qui concerneront précisément les périmètres. Nous sommes, quant à nous, attachés à France 4 et à la filière de l'animation qu'elle fait vivre.

M. Jean-Pierre Leleux. - Monsieur le ministre, tout le monde s'accorde ici sur l'urgence de transposer ces directives, notamment SMA. À ce titre, je dois vous adresser un satisfecit : il n'est pas fréquent que le Parlement examine une ordonnance avant d'habiliter le Gouvernement à la prendre.

S'agissant de la directive SMA, pouvez-vous nous indiquer si les principes d'équité et de non-discrimination entre les plateformes et les acteurs français seront bien respectés ? Il est en effet à craindre que les plateformes se voient accorder des conditions plus favorables que les chaînes, notamment concernant la production indépendante. Le texte de l'ordonnance que vous avez bien voulu nous transmettre indique ainsi que les plateformes sont « assujetties aux obligations de financement des oeuvres françaises et européennes », mais ne contient pas le terme « équité », pourtant cité dans l'exposé des motifs.

M. Franck Riester, ministre. - Vous avez raison, l'équité est un des objectifs majeurs de cette transposition. La directive SMA assujettit les services qui opèrent depuis l'étranger aux mêmes obligations que ceux qui se trouvent en France ; le principe est bien d'harmoniser les règles entre les chaînes de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) dans un décret-cadre. Nous pouvons réfléchir à rendre ce principe plus visible dans le texte, mais il s'agit bien d'un principe fondateur.

M. Jean-Pierre Leleux. - La chronologie des médias pourrait être révisée par décret si aucun accord professionnel n'intervenait dans les six mois, alors que la directive donne la priorité à la négociation professionnelle, au risque de négliger les intérêts de certains acteurs, notamment français. Pouvez-vous confirmer que toute révision de la chronologie des médias au bénéfice des plateformes devra être accompagnée d'une révision des règles pour les chaînes en clair ?

M. Franck Riester, ministre. - La chronologie des médias se résume à la mise en place de plusieurs fenêtres de distribution exclusive de contenu et à un accès privilégié en fonction de l'effort investi dans le financement. Une clause de revoyure à dix-huit mois avait été prévue en la matière, nous y sommes. Il est aujourd'hui nécessaire de revoir les règles, car si l'on impose des obligations de financement aux plateformes, il faut également faire évoluer la contrepartie à ces participations ; pour autant, il s'agit bien de rééquilibrer le fonctionnement, ce qui ne se fera donc pas au détriment des acteurs traditionnels. Les partenaires devront d'abord discuter entre eux, puis le Gouvernement prendra ses responsabilités pour conclure, en faisant en sorte que les acteurs traditionnels ne soient pas pénalisés, bien au contraire.

M. Jean-Pierre Leleux. - S'agissant du droit d'auteur, confirmez-vous que l'ordonnance maintiendra le pouvoir de contrôle de la future autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) sur l'efficacité des mesures de filtrages mises en place par les plateformes de partage et les réseaux sociaux, de sorte que ceux-ci ne puissent opposer le secret des affaires à la divulgation du code source des algorithmes de filtrage ?

M. Franck Riester, ministre. - Tout ne sera pas dans l'ordonnance. Une partie des pouvoirs de l'Arcom seront inscrits dans le projet de loi sur l'audiovisuel. Entre temps, je ne vois aucun inconvénient à trouver un moyen provisoire de donner des pouvoirs à la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). Nous souhaitons être pragmatiques en permettant, grâce au projet de loi Ddadue, la transposition rapide des directives. Nous verrons si d'autres dispositions doivent être prises en dehors du projet de loi.

Je précise que nous publierons deux décrets en juillet. Le premier portera une modification des règles relatives à la publicité afin de donner de la souplesse aux chaînes de télévision en matière non pas de volume, mais d'organisation dans la journée. Il comprendra aussi l'ouverture de la publicité au cinéma, avec un contrôle a posteriori de la capacité des chaînes à laisser une place importante à un coût raisonnable aux films d'auteur et aux films français. Après dix-huit mois d'expérimentation, nous examinerons, avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la place que ces films auront obtenue dans la publicité. Enfin, nous ouvrirons aux chaînes de télévision la publicité segmentée, utilisée par les acteurs de l'internet. En revanche, la promotion de la distribution à la télévision sera toujours interdite, car cela aurait trop d'impact sur les radios et sur la presse quotidienne régionale.

Le second décret autorisera la diffusion de films de cinéma tous les jours de la semaine avec une restriction : le samedi soir sera réservé aux films d'auteur ou aux productions ou coproductions de la chaîne.

M. David Assouline. - Qu'en est-il d'un plan de relance global pour le secteur de la culture ? Vous affirmez que la culture est fondamentale pour notre vie en société et qu'il s'agit d'un secteur de développement économique essentiel, mais, alors que nous assistons à l'annonce de plans dans tous les domaines et que ce secteur a subi des pertes à hauteur de 10 milliards d'euros, nous ne voyons pas de plan global se dessiner et nous devons nous contenter de mesures saupoudrées qui ne dépassent pas 2 milliards d'euros.

L'audiovisuel public pourrait au moins faire l'objet d'une action rapide : les pertes publicitaires pèsent lourd alors que vous aviez défini une trajectoire budgétaire à la baisse jusqu'en 2022. Le secteur a montré pendant la crise à quel point il était nécessaire, n'est-il pas possible de réviser cette trajectoire ?

La crise a aggravé les difficultés du secteur, nous sommes d'accord, il n'y a pas de temps à perdre pour aller chercher l'argent où il est. Les plateformes, qui ont bénéficié de la crise, doivent maintenant contribuer à la création et au droit d'auteur le plus rapidement possible. Les processus de transposition peuvent être longs, et on a vu que du temps était encore nécessaire après la transposition pour que les mesures entrent en application. Il faut donc aller vite. S'il y a consensus, alors qu'un débat parlementaire poussé a eu lieu à l'Assemblée nationale et si nous nous mettons d'accord sur la rédaction, une ordonnance peut nous permettre d'aller vite. L'essentiel, c'est que les plateformes payent leur dû.

Sur France 4 et le périmètre de l'audiovisuel public, vous attendez un arbitrage, mais arrêter cette chaîne le 9 août parce que nous aurions tergiversé reviendrait à faire un pied de nez aux acteurs du secteur qui affirment tous qu'il faut une chaîne jeunesse dans le service public de l'audiovisuel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous débattrons du plan d'urgence pour le secteur de la culture et de l'audiovisuel, plusieurs de nos collègues ont participé activement au groupe de travail animé par Jean-Pierre Leleux, qui a émis des propositions, mais je souhaite que cela vienne après les questions relatives à la transposition des directives et au calendrier d'examen du reste des mesures à l'automne.

M. Franck Riester, ministre. - Nous parlerons donc du plan de relance tout à l'heure. Je vous remercie du soutien que vous exprimez à la transposition par ordonnance. Sur la trajectoire budgétaire de France Télévisions, vous avez raison de souligner que l'audiovisuel public a été au rendez-vous, en prenant de nombreuses initiatives pendant la crise, mais aussi pendant le déconfinement, avec la mise en avant de la scène française, la diffusion de spectacles vivants, etc. Toutefois, son modèle repose sur un financement public massif, il a donc été moins impacté que le secteur privé. Nous allons examiner les perspectives pour l'avenir, afin de réfléchir à la manière de tenir compte de cette année particulière en ce qui concerne les déficits et les projets structurants que nous souhaitons voir aboutir, comme les travaux de la Maison de la radio. Pour le reste, nous sommes favorables au maintien des trajectoires financières, qui nous semblent soutenables.

S'agissant des négociations en cours sur le droit voisin au droit d'auteur, j'échange régulièrement avec mes collègues européens, je leur ai encore écrit récemment pour accélérer la transposition et je suis en contact avec Pierre Louette à propos de l'organisation de la négociation entre les éditeurs de presse et Google. Le dossier avance, car les éditeurs de presse prennent conscience de la nécessité d'établir une gestion collective des droits négociés, peut-être même au niveau européen. C'est très positif.

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie de la confiance envers le Sénat dont vous témoignez, monsieur le ministre. C'est une façon inhabituelle de travailler, mais nous savons que ces transpositions sont urgentes et doivent être incluses dans ce projet de loi Ddadue. Je forme le voeu que votre optimisme quant à un projet de loi à venir soit fondé ; je n'y crois, quant à moi, pas beaucoup.

Une question sur la directive SMA : avez-vous recueilli l'adhésion des chaînes de télévision ? Les associations d'auteurs y sont favorables, les plateformes se verront imposer des contraintes, c'est le but, mais qu'en est-il des chaînes de télévision ? Pour la bonne application de la mesure, leur soutien est nécessaire. De même, la rémunération proportionnelle fait-elle consensus ? L'Assemblée nationale a adopté un compromis, allons-nous vers quelque chose de consensuel, à la hauteur des attentes des artistes-interprètes ?

Enfin, la transposition de la directive SMA à partir de la rédaction de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale devrait être complétée par des dispositions introduites également par ordonnance destinées à en faciliter la mise en oeuvre. Qu'en est-il de ces dernières dispositions ?

M. Franck Riester, ministre. - Les chaînes de télévision sont favorables à l'imposition d'obligations aux plateformes afin qu'elles ne soient pas contraintes à donner elles-mêmes encore plus pour financer la création. Nous voulons les aider à traverser la crise en allant chercher l'argent où il est. Il est légitime de rééquilibrer les contraintes.

Sur le droit d'auteur, les auteurs soutiennent fortement le projet, le débat se poursuit entre les artistes-interprètes et les producteurs, les premiers souhaitant aller plus loin, les seconds moins loin. Notre objectif n'est pas de satisfaire tous les groupes de pression qui défendent légitimement leur point de vue, mais de trouver un bon équilibre susceptible de servir l'intérêt général. Sur la rémunération proportionnelle, nous en sommes arrivés à des avancées substantielles qui ne bouleversent pas trop brutalement les équilibres actuels, car nous souhaitons y aller progressivement, sans imposer une contrainte susceptible de remettre en cause les modèles de production phonographique.

M. André Gattolin. - En ce qui concerne la directive SMA, il a été un temps envisagé d'instaurer l'Arcom dans le cadre du projet de loi Ddadue. Pour cela, il faudrait adapter le texte issu des travaux de la commission de l'Assemblée nationale. En attendant, quel terme utiliserez-vous ? Comptez-vous parler d'autorité de régulation ?

M. Franck Riester, ministre. - Nous écrirons : « le CSA ».

M. André Gattolin. - Beaucoup de choses seront fixées par décret. Nous aimerions savoir de quoi il en retourne, s'agissant, notamment, de l'appartenance au conventionnement des services de médias audiovisuels au-delà d'un certain seuil de chiffre d'affaires. Quel sera ce seuil ? On vise les grandes plateformes, mais il ne faudrait pas que cela apparaisse comme une distorsion de concurrence.

Nous avons travaillé sur les questions relatives à la publicité dans le cadre de la directive SMA depuis deux ans, avec un rapport de notre commission et un autre de la commission des affaires européennes sur l'assouplissement du volume horaire publicitaire. Nous avions préconisé une souplesse en journée, mais un contingentement le matin entre sept et dix heures afin d'éviter une surconcentration publicitaire sur la jeunesse. La directive évoque un assouplissement de la distribution horaire. À l'époque, le président du CSA nous avait expliqué que les chaînes pourraient diffuser une heure de publicité en continu, mais qu'elles n'y auraient aucun intérêt.

Enfin, l'article 54 du texte de l'Assemblée nationale concerne la charte alimentaire. Or il existe une loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, adoptée à l'initiative du Sénat, dont l'article 1er prévoit la remise d'un rapport annuel qui n'est pas respecté par le CSA. Or la prévention vis-à-vis des publics jeunes ne concerne pas seulement le volume de publicité pour des produits trop sucrés, trop salés ou trop gras, elle s'appuie également sur l'analyse des comportements de surconsommation. Le Président de la République a approuvé la plupart des propositions de la Convention citoyenne, dont certaines concernent précisément la publicité, notamment envers la jeunesse, et sont plus proches de cette loi que de la charte alimentaire du CSA.

M. Franck Riester, ministre. - S'agissant des seuils, nous recevrons fin juillet les lignes directrices de transposition. Il s'agit d'éviter de pénaliser l'émergence de nouveaux services, donc de fixer un seuil assez élevé, tout en prévenant un saucissonnage des sociétés visant à contourner la loi.

Sur la publicité, j'ai parlé d'assouplissement, mais l'idée n'est pas de renforcer le volume global ou le volume horaire. Nous faisons sauter la règle des vingt minutes entre deux espaces publicitaires, en maintenant la limitation par heure d'horloge donnée. Il s'agit seulement d'un assouplissement.

M. André Gattolin. - C'est donc plus restrictif que le maximum autorisé par la directive.

M. Franck Riester, ministre. - En effet.

En ce qui concerne la charte alimentaire, nous allons sensibiliser le CSA au sujet de ce rapport.

M. Michel Laugier. - J'ai une question et un cri du coeur. L'article 1er du projet de loi proposait une architecture très ambitieuse pour les négociations professionnelles autour des obligations d'investissement dans la production. Ce schéma pouvait toutefois se heurter aux divergences dans la profession. Souhaitez-vous poursuivre dans cette voie ?

Enfin, nous sommes le 1er juillet, les kiosques à journaux sont vides. Ma question, qui est un cri du coeur, tient en un mot de dix lettres : Presstalis ?

M. Franck Riester, ministre. - Nous souhaitons donner la possibilité au Gouvernement de fixer par décret, après la ratification, les obligations des plateformes, après avoir discuté avec elles. Nous comptons confirmer le poids plus important donné à la négociation professionnelle en dur dans le projet de loi qui devrait être discuté en septembre, en prévoyant une application ultérieure, quand les choses seront établies. Il s'agira alors de pouvoir procéder par négociation professionnelle, après le 1er janvier 2021. Entre temps nous devons être efficaces, les discussions doivent donc être rapides pour fixer les nouvelles obligations dans le décret.

S'agissant de Presstalis, je vous remercie d'avoir voté la loi du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse réformant la loi Bichet, qui nous donne des outils pour faire face à cette crise. Le Gouvernement a évité un défaut de Presstalis durant le confinement en investissant 70 millions d'euros pour éviter la liquidation judiciaire et payer les dettes envers les marchands de journaux. Il est également au rendez-vous de la reprise de Presstalis, avec une proposition d'accompagnement - à hauteur de 80 millions d'euros - de l'offre de reprise de la coopérative des quotidiens, en lien avec celle des magazines, qui a suivi la mise en redressement judiciaire de la partie concernant Paris et Bobigny. S'agissant des dépositaires, qui sont en liquidation judiciaire, certains dépôts devront être repris par des indépendants et les deux gros dépôts de Lyon et Marseille le seront à travers des sociétés coopératives d'intérêt collectif (Scic), par les salariés eux-mêmes, en lien avec les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Le Gouvernement est favorable à cette solution et a prévu 19 millions d'euros dans le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) pour les marchands de journaux dans la zone de Lyon et de Marseille afin de les aider à tenir alors qu'ils sont privés de titres de presse à vendre. Un plan de secours a été mis en place à Lyon pour que la distribution continue et un accord a été trouvé entre les salariés en train de créer la SCIC et les MLP. C'est en cours à Marseille, le préfet de région organise à ma demande des réunions entre les acteurs, les choses avancent bien, mais il reste quelques problèmes de périmètre entre les dépôts. Le Gouvernement prévoit en outre de consacrer 8 millions d'euros dans le PLFR 3 à l'accompagnement des petits éditeurs de presse. Les conséquences sociales de cette situation sont très difficiles, avec des plans sociaux importants, nous devrons être au côté des salariés qui ne seront pas repris pour les aider, nous y travaillerons en liaison avec Muriel Pénicaud.

Si nous parvenons à mener à bien ces différents processus, nous aurons réussi à sauver la distribution de la presse écrite.

Mme Céline Brulin. - Nous sommes en effet obligés de saucissonner le processus, comme vous l'avez dit. Nous soutenons le recours aux ordonnances dans ce cas, bien que nous y soyons défavorables par principe. Il ne faudrait toutefois pas que ce saucissonnage et ces ordonnances soldent le soutien à apporter au secteur. Il est juste de faire contribuer les plateformes, mais cela prend du temps et d'autres formes de soutien sont donc nécessaires. Je suis aussi également sceptique quant à l'examen du projet de loi et je soutiens ce qui a été dit sur France Ô et France 4 : il n'y a pas de raison de se précipiter si nous devons en revenir à une vision globale après cet épisode. Il faudra alors réviser cette mesure à la lumière du rôle joué par France 4 pendant la crise.

S'agissant des intermittents, la prolongation annoncée de leurs droits ne s'est pas encore traduite dans un décret, quand cela sera-t-il le cas ?

M. Franck Riester, ministre. - Sur cette dernière question, l'année blanche a été annoncée le 6 mai. Ce dispositif, qui fait suite au bénéfice de l'activité partielle accordé aux intermittents, est unique au monde et correspond à une somme de 950 millions d'euros. Il inclut la prolongation des droits jusqu'au 31 août 2021, le report des dates anniversaires, l'assouplissement de l'examen des droits de réadmissions, le doublement du plafond des heures d'enseignement prises en compte dans le calcul des 507 heures. C'est considérable, nous avons de la chance de vivre dans un pays qui investit autant dans celles et ceux qui font la culture au quotidien. Le décret est rédigé, il passe bientôt en Conseil d'État et sera publié avant le 14 juillet. Quoi qu'il en soit, les droits sont maintenus et les dispositions sont déjà appliquées.

Pour le reste, nous travaillons à ce qu'en septembre, des heures de discussion soient dédiées au projet de loi audiovisuel à l'Assemblée nationale. Pour autant, nous conservons la cohérence d'ensemble du projet de loi, c'est pourquoi, notamment, l'ordonnance reprend la rédaction de la commission de l'Assemblée nationale. Nous allons d'ailleurs plus loin, dans cette ordonnance, que ne l'exige la transposition pure et dure, pour permettre la mise en oeuvre opérante de la directive. Nous avons ainsi ajouté le conventionnement pour les SMAD, afin de tenir compte des spécificités de chaque plateforme, la possibilité d'échange d'informations entre le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et l'administration fiscale, pour garantir le respect des obligations et des mesures afin que le droit d'auteur à la française - droit moral, rémunération proportionnelle, final cut - soit bien appliqué par les plateformes.

Mme Colette Mélot. - Le groupe de travail sur l'audiovisuel a émis beaucoup de propositions ces dernières semaines ; il importe d'instaurer une équité entre les chaînes et les plateformes, dans l'urgence provoquée par la crise. Nous sommes donc tous d'accord sur le chemin à prendre afin que les mesures de transpositions soient mises en oeuvre à la fin du mois de juillet. Mon groupe y est favorable.

M. Jean-Raymond Hugonet. - J'ai une interrogation sur la directive sur le droit d'auteur, concernant le nécessaire équilibre entre les producteurs et les artistes et auteurs. Pour avoir exercé ces deux professions, j'imagine les pressions qui s'exercent sur vous ! Le texte laisse la part belle au forfait, que l'on n'aime pas trop dans ce pays, et ne contient pas la définition d'une rémunération minimale par le biais d'une négociation collective. L'équilibre que vous recherchez paraît très favorable aux producteurs, qui, dans des négociations branche par branche, ont toujours le dessus. Selon vous, est-il encore possible d'améliorer cet équilibre par un amendement, sans pour autant céder à un lobby des auteurs ?

M. Franck Riester, ministre. - Nous avons cette discussion avec certaines organisations d'artistes-interprètes. Le texte me semble atteindre un bon équilibre parce qu'il permet d'entrer avec force dans le principe de la rémunération proportionnelle, qui n'existait pas auparavant. C'est fondamental : nous inscrivons dans la loi que la base de la relation entre producteurs et artistes-interprètes est la rémunération proportionnelle. En pratique, certains accords nécessitent le recours à des forfaits, afin, d'abord, de ne pas remettre en cause des modèles économiques qui existent et, ensuite, de répondre à des spécificités pratiques, de manière à ne pas avoir à entrer dans des quantifications individuelles qui seraient ingérables, par exemple. En outre, ce texte me semble équilibré parce que j'ai dû tenir la ligne vis-à-vis de parlementaires qui cherchaient à aller dans un sens opposé à celui que vous exprimez. Politiquement, nous avons donc atteint un bon équilibre avec l'Assemblée nationale. J'écoute ce que vous me dites et je suis prêt à retravailler certaines choses, mais, sur ce point spécifique, il me semble que nous sommes parvenus au bon équilibre. J'ai le sentiment qu'il faut en rester là.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je comptais seulement sonder le fond de votre démarche. Si vous me dites que vous êtes arrivé au bout, je souhaite simplement que l'on précise à nos collègues de l'Assemblée nationale que, sans la matière première, on ne produit que du vent !

M. Jean-Marie Mizzon. - Quel est votre sentiment sur le regroupement initié par France Télévisions, TF1 et M6 autour d'une plateforme numérique ambitieuse, comprenant des chaînes en direct, des programmes de rattrapage et des vidéos à la demande, qui participe à la réorganisation du paysage audiovisuel, au regard de la puissance d'autres acteurs étrangers ?

M. Franck Riester, ministre. - Je porte un regard bienveillant sur cette initiative, dénommée Salto ; il me semble important de s'unir pour participer à la révolution des usages face à des acteurs qui sont aujourd'hui de plus en plus puissants. Si les Français, voire, à terme, les Européens se regroupent pour mettre à disposition leurs contenus plus facilement grâce à des technologies de pointe afin de trouver les publics, je ne peux que m'en réjouir. Ces acteurs sont toutefois confrontés à des règles de limitation de la concurrence qui les entravent, j'écoute leurs remarques et leurs propositions. J'ai prévu de me rendre dans la filiale de M6 qui a été retenue pour le montage de la plateforme, qui utilise des technologies de tout premier ordre.

M. Pierre Ouzoulias. - Nous devons être conscients que, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020, l'ordonnance prend un caractère nouveau : elle devient une loi, dont la contestation ne passe plus devant le Conseil d'État, mais seulement devant le Conseil constitutionnel via des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Le Parlement doit donc être plus attentif sur la loi de ratification ; quel que soit l'avenir d'un projet de loi potentiel reprenant l'ensemble de ce dont nous débattons, il faudra réserver du temps pour le débat de ratification, qui nous permettra de faire le point.

Au moment de la transposition des dispositions relatives au droit voisin, j'avais défendu un amendement sur le droit de fouille des textes, c'est-à-dire la dérogation permettant aux chercheurs de ne pas être soumis à la même réglementation de Google quand ils font leur travail sur la presse. Ce point, prévu dans la directive, n'avait alors pas été transposé, il serait bon qu'il le soit maintenant. Les chercheurs sont en effet dans l'illégalité aujourd'hui, alors que, au 1er janvier 2021, des dispositions entrent en vigueur les obligeant à rendre publics leurs travaux. Il serait donc absurde qu'on leur impose de payer pour travailler tout en rendant publics leurs articles. C'est facile à faire : il suffit de reprendre mon amendement.

M. Franck Riester, ministre. - C'est un point important. Dans le texte examiné à l'Assemblée nationale, une ordonnance était prévue pour ce point, qui n'était pas encore rédigée ; je vous propose de prendre rendez-vous avec mon équipe pour étudier toutes les facettes de ce sujet important afin que l'ordonnance prenne en compte tous les éléments que vous avez évoqués. En effet, nous devons profiter de ce moment pour transposer les mesures relatives au data mining.

M. Jean-Pierre Leleux. - Vous avez affirmé dans différents entretiens que tous les éléments du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique seraient traités dans des véhicules différents. Quid, dès lors, de la création d'une holding de l'audiovisuel public ? Cette mesure figurera-t-elle dans le projet de loi qui serait discuté à l'automne 2020 ?

Notre groupe de travail a proposé des éléments pour un plan de relance et de sortie de crise. Parmi nos dix propositions se trouvait la création d'un crédit d'impôt éditeurs, pour la création, l'information et les émissions de flux. Une telle mesure peut-elle figurer dans le PLFR 3 ? Quelle est votre position ? Nous avions également proposé une prise en charge des coûts de diffusion pour les télévisions locales comme nationales et les radios nationales.

M. Franck Riester, ministre. - Je l'ai dit, tous les objectifs du projet de loi sur l'audiovisuel sont d'actualité, y compris la création d'un groupe public, nécessaire pour tenir compte de la révolution des usages. Tous les groupes publics en Europe l'ont fait, comme les groupes privés en France et en Europe. Nous devons mener une réflexion stratégique prenant en compte la télévision, la radio, internet, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. C'est comme cela que l'on répond aux attentes des téléspectateurs, des auditeurs et des internautes. Pour autant, s'agissant du projet de loi sur l'audiovisuel, tout dépend du calendrier. Nous sommes conscients des arbitrages à faire sur l'agenda du Parlement et nous essaierons de faire valoir nos arguments pour que ce texte soit programmé le plus vite possible.

S'agissant de l'accompagnement de la crise dans le secteur de la culture, nous avons fait les calculs : il atteint 5 milliards d'euros en tenant compte des mesures transversales, des 950 millions d'euros pour l'année blanche ainsi que des dispositions spécifiques prises par les opérateurs du ministère de la culture. Le fonds de solidarité va, quant à lui, monter en puissance, notamment pour les artistes auteurs et les indépendants.

Le PLFR 3 va traduire les engagements pris par le Président de la République le 6 mai, prendre en compte l'urgence pour certaines catégories et tenir compte des échanges que j'ai eus avec les professionnels et les parlementaires. Ce projet de loi de finances rectificative comprend en tout 620 millions d'euros pour la culture, dont 445 millions d'euros de crédits nouveaux, 75 millions d'euros de dégels et 120 millions d'euros de dépenses fiscales. Les mesures recouvrent, notamment, un accompagnement pour l'audiovisuel : le crédit d'impôt éditeur pour financer la création, à hauteur de 100 millions d'euros, qui s'applique sur dix mois, de mars à décembre, sur 15 % des dépenses engagées au titre des obligations imposées par le CSA, rémunération des auteurs incluse. Les radios, notamment, qui versent ces rémunérations vont pouvoir s'appuyer dessus pour obtenir cette aide. Pour en bénéficier, il faut avoir subi une baisse de 10 % de chiffre d'affaires sur la période. L'audiovisuel public est exclu du dispositif. En outre, nous avons décidé de réduire les coûts de diffusion des radios et des chaînes de télévision locales pour 30 millions d'euros, qui permettront aussi de financer la montée en puissance du DAB+.

Une partie de ce plan de relance s'attache aux établissements publics issus du patrimoine, une autre aux labels de la création, notamment aux festivals, grâce à la création, dans le PLFR 3, d'un fonds dédié abondé à hauteur de 10 millions d'euros, une autre, enfin, à Presstalis. Je vous transmettrai le tableau récapitulatif.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie d'avoir souligné que vous vous êtes inspiré des travaux parlementaires, nous n'avons jamais cessé d'en mener durant cette période, avec des groupes dédiés. Cette manière de travailler est originale, nous ne sommes pas favorables aux ordonnances d'une manière générale, mais il nous fallait anticiper et prendre les choses à bras-le-corps.

Nous avons obtenu plus de précisions sur le calendrier envisagé pour le projet de loi, nous restons prudents, mais nous espérons une inscription à l'ordre du jour de l'automne. Nous y voyons plus clair, également, sur le contenu des textes, je vous remercie, à ce sujet, de nous avoir transmis les projets d'ordonnance et les amendements. Nous ne sommes pas hostiles à cette transposition rapide et exceptionnelle par ordonnance, mais nous tenons à certains principes : s'agissant de la directive SMA, nous sommes particulièrement attachés à la préservation de l'équité entre les plateformes et les autres acteurs de l'audiovisuel français.

En transposant rapidement ces directives, la France va de nouveau s'illustrer. J'avais déposé en 2015 une proposition de résolution européenne visant à établir une stratégie globale et offensive sur le numérique, qui intégrait déjà la nécessité d'une directive sur le droit d'auteur. Il faut du temps pour faire avancer les sujets à Bruxelles ; si nous devions entrer dans un cycle encore plus long de transposition, nous ne serions pas à la hauteur du défi.

Un autre principe auquel nous sommes attachés est la responsabilité des hébergeurs. Pour cela, il nous faut rouvrir le débat sur la directive e-commerce pour les responsabiliser juridiquement.

Enfin, la manne financière issue de la contribution des plateformes ne doit pas nous empêcher de nous intéresser au CNC, qui doit être réarmé. La perte des recettes de billetterie suscite des inquiétudes quant à son financement : 300 millions d'euros seraient nécessaires pour le remettre en mouvement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques - Examen du rapport d'information

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'ordre du jour de notre réunion appelle à présent la présentation par nos collègues Sylvie Robert et Colette Mélot des conclusions de la mission d'information consacrée à l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques, que nous leur avions confiée en novembre dernier.

Mes chers collègues, vous avez la parole.

Mme Colette Mélot. - La mission d'information qui nous a été confiée par le bureau de la commission porte sur un sujet très précis : l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques. Nous avions concentré notre travail d'auditions sur un mois - entre fin janvier et fin février - afin de pouvoir vous rendre compte de nos constats et préconisations le plus rapidement possible. L'examen de notre rapport était ainsi programmé pour le 25 mars dernier, mais les circonstances exceptionnelles que nous avons vécues ont évidemment bouleversé ce calendrier initial. Nous sommes aujourd'hui heureuses de pouvoir enfin vous présenter notre travail.

Je tiens tout d'abord à souligner la grande expertise de notre collègue Sylvie Robert, qui avait déjà travaillé sur ce sujet en 2015 et qui a continué depuis à l'approfondir.

Premier équipement culturel public par leur nombre (16 500 établissements de lecture publique), l'importance et la diversité des publics qu'elles accueillent (environ 12 millions d'usagers), les bibliothèques ont vu leurs missions profondément évoluer à partir des années 1970, et plus encore depuis une dizaine d'années. Elles ne se limitent plus à leur rôle traditionnel de lieu de lecture et de prêt de livres : elles sont désormais des espaces d'animation culturelle au sens large.

De plus en plus de bibliothèques proposent ainsi des services dans des domaines divers (éducation artistique et culturelle, débat d'idées, formation et orientation professionnelles, médiation, lutte contre la fracture numérique...) et développent des partenariats avec d'autres acteurs issus des sphères culturelle, sociale ou éducative.

Nous avons tous, dans nos départements, des exemples illustrant cette transformation des bibliothèques en espaces de démocratie sociale et culturelle ou, pour reprendre l'expression de Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles que notre commission avait auditionné avec Erik Orsenna, en « ponts avancés de la politique culturelle dans les territoires ».

Face à ces mutations profondes, les horaires traditionnels d'ouverture des bibliothèques, correspondant aux horaires de travail de la population, sont rapidement apparus comme inadaptés et dépassés.

Pour jouer pleinement leur rôle de service public culturel, les bibliothèques doivent en effet s'adapter aux demandes nouvelles des citoyens, prendre en compte les changements de leurs pratiques et intégrer les évolutions de leurs modes de vie. Tel est le constat dressé, en 2015, par Sylvie Robert dans le rapport sur l'adaptation des horaires d'ouverture des bibliothèques, qui lui avait été confié par l'ancienne ministre de la culture Fleur Pellerin.

L'une des recommandations de ce rapport était d'augmenter l'enveloppe de la « DGD - bibliothèques » pour permettre le financement de projets d'extension des horaires d'ouverture.

De quoi s'agit-il ? La « DGD - bibliothèques » (ou « concours particulier - bibliothèques ») a été créée au sein de la dotation générale de décentralisation (DGD) au moment des transferts de compétences consécutifs aux premières lois de décentralisation. Ce support budgétaire constitue le principal vecteur du soutien financier de l'État au développement des bibliothèques publiques territoriales (municipales, intercommunales, départementales). Il sert au financement d'opérations d'investissement (construction, rénovation, équipement, informatisation...) et aux dépenses de fonctionnement non pérennes, nécessaires à l'amorçage de projets.

À la suite de la publication du rapport de notre collègue, la loi de finances pour 2016 a étendu le bénéfice de cette enveloppe budgétaire aux projets d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques. Cette mesure, dont les modalités ont été précisées par voie réglementaire, permet ainsi de financer depuis 2016, au titre de la « DGD - bibliothèques », des projets d'extension des horaires d'ouverture pour une durée maximale de cinq années consécutives.

Les demandes de soutien financier doivent être adressées par les collectivités territoriales souhaitant s'engager dans un tel projet aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qui assurent l'instruction et le suivi des dossiers.

Les deux premières années de mise en oeuvre de ce dispositif (2016 et 2017) ont vu l'émergence de 58 projets soutenus par l'État à hauteur de 2,5 millions d'euros. Plusieurs facteurs ont pu expliquer ce premier résultat prometteur, mais relativement modeste : le temps de maturation nécessaire à l'émergence des projets, la relative méconnaissance par les décideurs locaux de cette possibilité d'accompagnement financier, un contexte budgétaire contraint pour les collectivités territoriales. La pertinence du dispositif n'a toutefois pas été remise en cause sur le fond.

La publication, début 2018, du rapport-manifeste « Voyage au pays des bibliothèques » d'Erik Orsenna et de Noël Corbin a eu un formidable effet accélérateur sur la mobilisation des pouvoirs publics, tant au niveau national qu'au niveau territorial, en faveur d'une plus grande ouverture des bibliothèques.

S'en est suivi, la même année, le lancement, par le ministère de la culture, d'un plan « Bibliothèques » structuré autour de deux grands axes :

Le premier axe, « Ouvrir plus », est destiné à favoriser un accès plus large aux bibliothèques, notamment en encourageant l'adoption d'horaires d'ouverture adaptés aux besoins des publics. Le principal levier d'action de ce volet est la « DGD - bibliothèques ». Afin de parvenir à l'objectif de 400 projets d'extension des horaires d'ouverture soutenus d'ici fin 2020, 8 millions d'euros lui ont été ajoutés en 2018, portant son montant global à 88,4 millions d'euros.

Le ministère s'est engagé à ce que cet abondement supplémentaire soit reconduit sur cinq exercices, c'est-à-dire jusqu'en 2022. Ainsi, en 2019 et 2020, les crédits de la « DGD- bibliothèques » ont été stabilisés à 88,4 millions d'euros.

Le second axe, « Ouvrir mieux », est consacré à la diversification de l'offre des bibliothèques autour de trois priorités : la modernisation des espaces, l'affirmation des bibliothèques comme service public de proximité, et le renforcement de leur rôle en matière d'éducation et d'inclusion sociale. Pour la mise en oeuvre de ce volet, l'État a déployé 3 millions d'euros en 2018, puis 4 millions d'euros en 2020, soit 7 millions d'euros.

Au total, l'effort budgétaire de l'État en direction de ces deux axes s'élève à 37 millions d'euros entre 2018 et 2020.

Le retentissement de la mission « Orsenna - Corbin » et l'abondement supplémentaire de 8 millions d'euros de la « DGD - bibliothèques » ont indéniablement provoqué un changement d'échelle dans l'utilisation du dispositif de soutien aux projets d'extension des horaires d'ouverture.

Ce constat est particulièrement perceptible dans le degré de mobilisation des DRAC, plus particulièrement des conseillers pour le livre et la lecture, qui en sont les chevilles ouvrières. Le ministère les a encouragés à porter un discours très incitatif auprès des collectivités : les conseillers pour le livre et la lecture sont chargées de les sensibiliser, de les informer sur le dispositif de soutien et, une fois le projet d'extension des horaires d'ouverture lancé, de les accompagner tout au long de sa mise en oeuvre.

À cette stratégie mobilisatrice s'ajoute une large prise en charge, sur les crédits de la « DGD - bibliothèques », des dépenses engagées au titre de l'extension des horaires (diagnostic temporel, frais supplémentaires de personnel, adaptation des locaux, des équipements ou des services informatiques, évaluation du projet, frais de communication, etc.), pour un taux-cible moyen de soutien de l'État de 70 %.

Du côté des collectivités territoriales, leur appétence pour le dispositif correspond le plus souvent à une volonté de faire évoluer leur politique de lecture publique afin de mieux répondre aux besoins de la population. Le choix d'étendre les horaires d'ouverture est généralement l'aboutissement d'une réflexion sur les missions et les priorités des bibliothèques, à l'occasion de la rédaction d'un projet d'établissement, d'une mise en réseau de plusieurs structures ou de la construction d'un nouvel équipement.

Au final, la conjonction de ces deux dynamiques s'est globalement traduite par un véritable travail de confiance entre, d'un côté, les services déconcentrés de l'État, de l'autre, les collectivités territoriales.

Mme Sylvie Robert. - Ces éléments de contexte posés, venons-en au coeur de notre sujet : quatre ans après l'extension du bénéfice de la « DGD - bibliothèques » aux projets d'adaptation des horaires d'ouverture et deux ans après le lancement du plan « Bibliothèques », les bibliothèques ouvrent-elles plus longtemps ?

Notre réponse est clairement oui comme nous allons maintenant tenter de vous le démontrer.

Le nombre de projets soutenus a connu une forte progression à partir de 2018, passant cette année-là de 58 à 224. À ce jour, le dispositif d'accompagnement financier de l'État permet de soutenir 343 projets d'extension des horaires d'ouverture, ce qui représente 623 communes ou EPCI, 747 bibliothèques, et concerne 9,1 millions de Français.

Pour cette année, 60 nouveaux projets sont d'ores et déjà identifiés, laissant escompter l'atteinte, dans quelques mois, de l'objectif de 400 projets soutenus.

Cette réussite quantitative s'illustre aussi par un taux moyen d'accompagnement de l'État de 70 %, résultat conforme à la cible fixée par le ministère. Le montant moyen de l'aide en provenance de la « DGD - bibliothèques » s'élève à près de 43 000 euros annuels par projet. Cette moyenne masque toutefois des écarts importants, les coûts des projets étant très variables selon la taille de la collectivité concernée.

Un autre indicateur témoignant de l'attractivité et de la pertinence du dispositif est l'augmentation, depuis 2016 et surtout depuis 2018, de la part de la « DGD - bibliothèques » consacrée aux projets d'extension des horaires d'ouverture. Elle a ainsi atteint 10,24 millions d'euros en 2019, sur un montant global de crédits de 88,4 millions d'euros.

Ces crédits étant fongibles, si certains territoires ne consomment pas la totalité de l'enveloppe à laquelle leurs communes et intercommunalités peuvent prétendre au titre des projets d'extension des horaires, les crédits non consommés sont reversés aux territoires ayant des besoins de financement supérieurs à l'enveloppe qui leur a été attribuée initialement.

De tels mouvements de crédits, qui sont opérés à l'automne par la direction générale aux collectivités locales (DGCL), ont notamment eu lieu entre certaines collectivités d'outre-mer, qui n'avaient pas consommés l'ensemble de leurs crédits faute de projets présentés en nombre suffisant (la Guyane, la Martinique et Saint-Barthélemy), et des collectivités connaissant une forte dynamique des projets d'extension des horaires d'ouverture (la Bretagne, par exemple).

Au-delà de ces aspects chiffrés, l'ensemble des données que nous avons recueillies auprès des services centraux et déconcentrés du ministère de la culture, ainsi que des représentants des collectivités territoriales, nous permettent aussi de dresser un état des lieux très positif des politiques d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques en termes d'inclusion culturelle et sociale.

Quelles sont ces avancées qualitatives ?

Les horaires étendus, en correspondant mieux aux rythmes de vie, améliorent tout d'abord le service offert aux usagers.

Sur l'ensemble des projets en cours, l'augmentation de l'amplitude horaire hebdomadaire s'élève, en moyenne, à 8 heures 30. Contrairement à une idée souvent répandue, l'ouverture le dimanche n'est pas le créneau supplémentaire le plus fréquent. Ce sont les extensions d'horaires les jours de semaine et le samedi qui, après élaboration de diagnostics de temporalité, sont privilégiées par les collectivités.

L'extension des horaires s'inscrit aussi dans un nouveau rapport à l'usager, qui se traduit par une meilleure adaptabilité de l'offre de services, une attention accrue portée à l'accueil, une médiation renforcée. Il consacre le passage d'une logique descendante - le personnel de bibliothèque prêtant un livre à l'usager - à une logique ascendante - l'usager, acteur de son identité culturelle, demandant un service ou une offre culturelle -, dans une approche de droits culturels.

Les horaires élargis, en étant plus conformes aux plages de disponibilité des citoyens, permettent ensuite une augmentation de la fréquentation et une diversification des publics, renforçant ainsi le rôle éducatif et social des bibliothèques. Nombre d'exemples en ce sens nous ont été rapportés et sont mentionnés dans notre rapport écrit.

À cela s'ajoute le fait que plus d'un tiers des projets actuellement en cours concernent au moins l'un des types de territoires identifiés comme prioritaires (commune du programme Coeur de ville, projet portant sur une zone de revitalisation rurale ou concernant un quartier prioritaire).

L'ensemble de ces données montre, selon nous, combien les politiques d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques sont un puissant levier de réduction des fractures sociales et territoriales.

Les modifications de l'amplitude horaire incitent aussi, au sein des bibliothèques, à une réorganisation des missions. Il est ainsi fréquent que certaines tâches techniques, de faible valeur ajoutée et souvent répétitives pour le personnel, soient traitées autrement (automatisation des transactions de prêts et de retours, externalisation du traitement matériel des documents, offre de services dématérialisée, etc.), pour dégager du temps et axer le travail des agents en priorité sur l'accueil et le service au public.

Enfin, l'extension des horaires d'ouverture a un effet positif sur l'emploi de personnels, majoritairement titulaires. Le dispositif de soutien de l'État sert à 95 % au financement de dépenses de masse salariale. Au sein de ces dépenses, 60 % sont consacrés au recrutement d'agents titulaires, 36 % au recrutement d'agents contractuels et 16 % au paiement de primes ou d'heures supplémentaires.

Mme Colette Mélot. - Ce bilan que nous jugeons très satisfaisant sur le plan culturel, social et territorial connaît aussi des bémols, qui sont pour nous des sujets d'inquiétude.

Le dispositif d'accompagnement de l'État a été conçu comme une aide financière à l'amorçage des projets, limitée à cinq années. Cela signifie que dès 2021, les premiers projets engagés en 2016 ne bénéficieront plus du soutien de la « DGD - Bibliothèques ». Les projets suivants seront concernés en 2022, 2023, 2024 et ainsi de suite. C'est donc aujourd'hui la question de la poursuite du financement des projets en cours qui préoccupe le plus les acteurs concernés pour qui, tout retour en arrière est inenvisageable.

Les collectivités territoriales devront-elles prendre le relais de l'État ? D'autres sources de financement sont-elles à activer ? Nous constatons et regrettons qu'à ce jour, aucune réflexion n'ait été lancée, ni aucune période de transition préparée.

Une précision toutefois : le dispositif étant inscrit dans la loi, cela signifie que - sauf modification législative - les nouveaux projets d'extension horaire pourront continuer à bénéficier de la « DGD - bibliothèques » en tant qu'aide financière à l'amorçage, à condition bien sûr que les crédits suivent.

Une autre de nos inquiétudes porte sur le risque de tension financière au sein de l'enveloppe de cette DGD avec la reprise attendue du cycle politique local, à la suite des élections municipales. Il est probable que des projets d'envergure, du type construction de nouvelles structures, émergent et viennent diminuer d'autant les crédits disponibles pour les projets d'extension des horaires d'ouverture.

Par ailleurs, si nous nous réjouissons que les petites collectivités soient les principales bénéficiaires du dispositif, nous regrettons que les communes de grande taille soient beaucoup moins mobilisées. Ce moindre engagement s'explique clairement par les règles limitantes du pacte financier dit « de Cahors ». Nous relevons, à ce propos, une forme d'injonction paradoxale dans le souhait de l'État d'accompagner les collectivités à ouvrir mieux et plus leurs bibliothèques, avec les charges de fonctionnement qu'une telle politique implique, tout en voulant encadrer strictement l'augmentation de ce type de dépenses.

Nous pointons également des disparités territoriales dans le degré d'engagement dans le dispositif : certaines régions comptabilisent de nombreux projets d'extension des horaires (par exemple, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bretagne, Ile-de-France), alors que d'autres en comptent beaucoup moins (par exemple, Centre-Val de Loire, Grand Est, Corse, La Réunion). Cette situation tient sans doute à une mobilisation plus ou moindre grande des conseillers pour le livre et la lecture, mais aussi à un niveau d'ingénierie différent d'une région à l'autre. La mise en place de projets d'extension des horaires requiert en effet, en plus d'une aide financière à l'amorçage, un accompagnement sur le plan organisationnel (outils d'identification des besoins, de consultation des personnels, possibilité d'expérimentation, modalités de mise en oeuvre...).

Enfin, la dernière de nos préoccupations - et non des moindres - concerne la gestion des ressources humaines au sein des bibliothèques. Vous le savez tous, l'extension des horaires d'ouverture est un sujet très délicat sur le plan social car il faut parvenir à convaincre les personnels de travailler plus tard les soirs de semaine ou le week-end. Un tel projet nécessite un dialogue social approfondi qui va au-delà de la seule question des horaires de travail ; c'est le métier de bibliothécaire, dans tous ses aspects, qui doit, à cette occasion, être questionné et repensé.

Les bibliothécaires font en effet preuve d'un attachement très fort à leur coeur de métier, qui est le livre. Or la bibliothèque n'est plus exclusivement le lieu où l'on vient emprunter un livre ; tel est le cas de 55 % des personnes qui s'y rendent. Les personnels doivent désormais accueillir des publics divers et les accompagner dans l'usage de nouveaux services. Les anciennes compétences techniques laissent ainsi de plus en plus la place aux nouvelles compétences relationnelles.

La question des horaires de travail est donc indissociable d'une action en faveur de la formation des professionnels et de l'évolution de leurs pratiques. Certaines DRAC l'ont bien compris et proposent aux collectivités des offres de formation pour les personnels concernés.

Mme Sylvie Robert. - Au regard de cet état des lieux, que nous avons souhaité le plus exhaustif possible, et convaincues des bénéfices culturels, sociaux et démocratiques de l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques, nous formulons plusieurs recommandations afin de préserver voire amplifier la dynamique en cours.

Certaines concernent directement le dispositif de soutien financier de l'État, d'autres se rattachent plus globalement à la politique de lecture publique :

Premièrement, assurer la pérennité financière des projets en cours au-delà des cinq années de soutien de l'État en préparant, dès à présent, la période de transition vers d'autres relais de financement.

Nous n'estimons pas responsable, ni équilibré du point de vue des relations entre l'État et les collectivités, de remettre en cause la nature même du dispositif, à savoir une aide financière de l'État à l'amorçage de projets et non une subvention pérenne - scénario qui nécessiterait d'ailleurs une modification de la loi.

En revanche, nous demandons à ce que le ministère de la culture entame, le plus rapidement possible, - maintenant que les nouvelles équipes municipales et d'EPCI vont être mises en place - une concertation avec les collectivités sur les leviers de financement qui pourraient être activés dès l'échéance des cinq années atteinte. Certains de nos interlocuteurs ont évoqué des pistes, sans qu'aucune n'ait vraiment fait l'objet d'une analyse approfondie : co-financement entre l'État et une ou plusieurs collectivités dans le cadre des contrats territoire-lecture, mutualisation des coûts en jouant sur la co-implantation géographique de services publics territoriaux... Il s'agit sans aucun doute d'un sujet dont la nouvelle étape de décentralisation annoncée devra s'emparer. Et nous pensons bien sûr au futur projet de loi « décentralisation, différenciation et déconcentration », dit « 3D », qui devrait aborder la question des bibliothèques.

Deuxièmement, garantir aux nouveaux projets le bénéfice de l'aide financière d'amorçage en veillant, lors de l'examen des prochains projets de loi de finances, à l'abondement suffisant de la « DGD - bibliothèques » : d'abord jusqu'en 2022, comme le Gouvernement s'y est engagé, puis au-delà de cette date, en fonction du nombre de nouveaux projets escompté. À ce jour, ce nombre est difficile à évaluer. Le ministère estime toutefois qu'il sera amené à baisser progressivement à partir de 2020, les collectivités susceptibles de s'engager dans une démarche d'extension des horaires d'ouverture ayant déjà été largement mobilisées en 2018 et 2019.

Troisièmement, améliorer l'accompagnement en ingénierie des collectivités les moins bien dotées, en particulier en outre-mer, afin de réduire les disparités territoriales. Il appartient aux DRAC, sous l'impulsion du ministère, de mieux prendre en compte cette dimension logistique qui fait parfois défaut dans certains de nos territoires.

Quatrièmement, mettre l'accent sur la formation initiale et continue des professionnels en vue des prochaines « Assises de la formation en bibliothèque territoriale » qui devraient avoir lieu en novembre. Le ministère de la culture semble avoir pris conscience de l'enjeu de ce dossier qui couvre à la fois la question de l'évolution des compétences et celle des conséquences statutaires.

Cinquièmement, encourager la coopération, dans une logique de travail en réseau, entre les bibliothèques territoriales et les bibliothèques universitaires en incitant le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche à mener une réflexion commune sur ce sujet.

Enfin, notre dernière et sixième recommandation - et elle n'est pas anodine, car en lien avec le futur projet de loi « 3D » que je viens d'évoquer : sécuriser juridiquement la compétence lecture publique des départements en affirmant dans la loi le caractère obligatoire du rôle du département sur les bibliothèques départementales de prêt. Il nous semble en effet important que les départements continuent à être engagés dans le champ de la lecture publique, aux côtés des communes et des intercommunalités.

Vous le savez, la lecture publique, et on l'a bien perçu au travers de nos travaux, est un enjeu de politique culturelle très important pour les communes et intercommunalités. La bibliothèque reste le premier équipement culturel de proximité, sur lequel les maires portent une vraie attention. Il était donc important de nous avoir permis de faire cette évaluation - ce dont nous vous remercions. Le soutien pour certains projets s'achève bientôt et nous devons veiller à ce que le ministère soit sensibilisé au fait de les reconduire.

Tels sont, madame la Présidente, chers collègues, nos principaux constats et recommandations. Nous vous remercions pour votre attention et sommes à l'écoute de vos questions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie pour ce précieux travail sur lequel je propose que nous échangions.

M. Christian Manable. - Je félicite nos deux rapporteures pour ce rapport qui démontre combien la lecture publique est essentielle. Le bilan à deux ans est en effet satisfaisant : 747 bibliothèques sur 16 500 ont donc adapté leurs horaires, représentant 623 communes.

Néanmoins, il me semble que certains chiffres ne sont pas comparables. Vous indiquez que le nombre d'usagers des bibliothèques a été estimé à 12 millions en 2019, puis vous mentionnez 9,1 millions d'habitants. Pourriez-vous apporter des précisions ?

M. Laurent Lafon. - Je remercie à mon tour nos rapporteures pour ce rapport de qualité qui apporte un vrai éclairage sur le sujet. Je souhaiterais revenir sur l'un de vos constats négatifs relatif à la taille des villes, et qui constitue à mon sens un sujet en soi : les grandes villes ont moins adhéré au dispositif d'extension des horaires que les autres.

L'une des explications ne tiendrait-elle pas au taux de prise en charge qui est moindre pour les grandes villes alors que leur masse salariale et leur nombre de sites est conséquent ? Avez-vous étudié cet aspect financier et cette distinction selon la taille des villes ?

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie pour cet excellent rapport. Ma remarque porte elle aussi sur les grandes villes et leurs indispensables bibliothèques de quartier, qui multiplient certes le nombre d'ouvertures, mais qui devraient être considérées comme des bibliothèques de village et être soutenues sur la même base.

Les nouveaux projets pourront-ils bénéficier d'aides pérennes ou devront-ils trouver eux-mêmes des financements au terme des cinq années de soutien de l'État ? Le cas échéant, la loi « 3D » apparaît très importante et permettra de soulager les collectivités.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Votre rapport très exhaustif évoque non seulement la question de l'extension des horaires des bibliothèques, mais aussi la politique en faveur de la lecture publique au sens large. L'élargissement des horaires d'ouverture est une bonne chose, mais encore faut-il qu'il y ait des bibliothèques ou des médiathèques, en particulier en milieu rural ! Parfois il n'y a que de très petits équipements qui dépendent des communes ou de regroupements de communes ; or aujourd'hui, si l'on veut pouvoir disposer de services et de personnels, c'est à l'échelle d'une intercommunalité que ces équipements peuvent se construire et se développer.

Avez-vous pu faire un état des lieux de l'aménagement du territoire au regard des bibliothèques ou médiathèques en milieu rural ?

Je souscris complètement à la proposition de profiter des récentes élections municipales et des nouveaux projets de territoire pour inviter le ministère de la culture à mettre en place une politique volontariste en vue d'accompagner les collectivités dans leurs démarches, et étudier si des financements croisés peuvent être mobilisés, au travers par exemple des contrats de territoires des départements et régions. Pour reprendre la notion de droits culturels évoquée par Sylvie Robert, il y a selon moi deux pôles ressources fondamentaux : les bibliothèques/médiathèques et les écoles de musique, lesquelles ne peuvent exister qu'à l'échelle intercommunale.

Au travers de cet état des lieux, la progression du taux d'équipement pourrait être évaluée, ainsi que le type d'obstacles rencontrés, car ils ne sont pas toujours financiers.

Mme Colette Mélot. - Le chiffre de 12 millions correspond au nombre d'usagers total fréquentant des bibliothèques en France, alors que les 9,1 millions représentent le nombre de Français vivant dans une commune dont au moins une bibliothèque a étendu ses horaires.

Mme Sylvie Robert. - Nous avons souhaité distinguer les usagers dans leur ensemble de ceux qui fréquentent les bibliothèques ayant étendu leurs horaires, ce qui a permis de montrer une évolution en termes de fréquentation mais aussi en termes de diversification des publics.

Mme Colette Mélot. - Il semble que les grandes villes aient moins proposé de projets car leurs équipements s'avèrent plus lourds à gérer et plus coûteux en termes de masse salariale.

Les petites communes ayant elles aussi leurs propres difficultés, comme l'a souligné la présidente, ce sont finalement les villes moyennes qui ont le plus adhéré au dispositif.

Mme Sylvie Robert. - Nous avons observé deux phénomènes. Tout d'abord, le pacte dit « de Cahors », limitant à 1,2 % la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, a dissuadé certaines grandes villes à s'engager dans le dispositif, compte tenu de l'augmentation des coûts de la masse salariale qu'induit l'extension des horaires d'ouverture, auquel s'ajoute un travail de négociation parfois complexe. Il y a selon nous une forme d'injonction paradoxale dans le souhait du ministère d'accompagner les collectivités à ouvrir plus et mieux leurs bibliothèques, tout en voulant limiter l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement.

Par ailleurs, le montant de l'aide attribuée ne peut raisonnablement pas être proportionnel à la taille des villes, au risque de consacrer l'ensemble des crédits de la DGD « bibliothèques » au financement de l'extension des horaires d'ouverture.

Nous avons ensuite insisté sur le fait que nous étions, au moment du démarrage du dispositif, en fin de cycle municipal, période par définition peu propice aux nouveaux projets. Désormais, les nouvelles équipes vont sans doute vouloir en monter et solliciter une aide. Il faudra veiller à ce que les crédits suivent dans le cadre de la DGD.

Mme Colette Mélot. - S'agissant de la pérennité évoquée par Mme Laborde, les projets ne peuvent recevoir un soutien financier que dans la limite maximale de cinq ans. Quid de leur reconduction au terme de ce soutien ? Telle est notre principale inquiétude. En revanche, le dispositif étant, lui, pérenne - il est ainsi inscrit dans la loi -, les nouveaux projets vont pouvoir bénéficier d'une aide à l'amorçage, ce qui est très satisfaisant.

Mme Sylvie Robert. - La fongibilité de l'enveloppe de la DGD « bibliothèques » a permis de consacrer plus de 10 millions d'euros à l'extension des horaires. Mais il est à craindre que le soutien aux projets en cours ne soit pas reconduit au-delà de ces cinq premières années et que la part de la DGD consacrée aux projets d'extension horaire se révèle insuffisante, parce qu'absorbée par les projets de création, d'extension et de rénovation des bibliothèques décidés par les nouvelles équipes municipales.

Mme Colette Mélot. - Enfin, pour répondre à notre présidente, une analyse fine de l'aménagement des territoires serait en effet intéressante - nous n'avons pu la mener faute de temps. Elle permettrait de définir quels financements croisés pourraient être mobilisés. Le futur projet de loi « 3D » sera l'occasion d'approfondir ce sujet.

Mme Sylvie Robert. - Les disparités territoriales évoquées dans notre rapport sont dues à plusieurs facteurs : la volonté politique, bien sûr, mais aussi la capacité des services déconcentrés et notamment des conseillers pour le livre et la lecture à bien accompagner les collectivités, et particulièrement les petites communes, en termes d'ingénierie.

À titre d'exemple, ma région, la Bretagne, a désormais la compétence de la gestion des filières des industries culturelles, précédemment dévolue au conseiller pour le livre et la lecture. Ce transfert a permis à ce dernier de dégager du temps pour aller sur le terrain et rencontrer les élus locaux. S'en est suivi une augmentation considérable du nombre de projets déposés. La région a ainsi pu bénéficier d'une dotation supplémentaire.

Sans un conseiller actif, les projets n'existent pas ou peu, le ministère le constate dans ses statistiques. Il faut aussi rendre hommage aux départements qui mènent des plans audacieux en matière de lecture publique.

Concernant les outre-mer, leurs capacités d'ingénierie sont parfois un frein à la mise en oeuvre du dispositif. C'est pourquoi il nous faut veiller à ce que les territoires ultramarins puissent être mieux accompagnés en fonction de leurs besoins.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le projet de loi « 3D » sera en effet l'occasion de poser le sujet de la répartition des compétences et de pointer certaines carences de l'État. Nos intercommunalités sont finalement assez récentes et ont d'abord eu à s'emparer des compétences dites obligatoires. Elles vont sans doute maintenant pouvoir davantage se consacrer à la compétence lecture publique, en lien avec les départements et les régions.

Comment affiner cela dans le cadre de la loi « 3D »? Il s'agit d'un véritable enjeu. Internet ne peut remplacer les lieux de partage, de culture et d'apprentissage !

Je remercie à nouveau nos deux rapporteures dont le travail sur les bibliothèques méritera d'être poursuivi.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 11 h 35.