Mardi 9 juin 2020

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Budget communautaire - Proposition révisée de cadre financier pluriannuel 2021-2027 et instrument de relance : communication et examen d'une proposition de résolution européenne

M. Jean Bizet, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui exceptionnellement un mardi. J'ai bien conscience que cela bouscule et surcharge nos agendas. Certains d'entre vous s'en sont émus. Mais nous n'avons pas pu trouver d'autre solution pour permettre au Sénat de se prononcer en temps utile sur la nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel (CFP) formulée par la Commission européenne et intégrant l'instrument de relance. En effet, ce sujet occupera certainement le Conseil européen du 19 juin prochain. La Commission a publié sa proposition fin mai. Les textes nous ont été transmis il y a dix jours. La semaine dernière nous était indispensable pour les étudier et entendre le Gouvernement - j'ai encore échangé hier soir avec Mme Sandrine Gaudin, Secrétaire générale des affaires européennes. Nous ne pouvions donc pas rapporter devant vous la semaine dernière. Nous ne pouvions pas non plus le faire après-demain jeudi, jour habituel de nos réunions, car la proposition de résolution européenne (PPRE) que notre commission va examiner aujourd'hui doit être renvoyée à la commission des finances, et celle-ci aura aussi besoin de quelques jours pour permettre à ses membres d'amender notre texte, avant de l'examiner mardi 16 juin, soit trois jours avant le Conseil européen.

Vous le voyez, le calendrier est très tendu, mais ce n'est pas notre fait. Il nous est imposé par les autorités européennes, qui accélèrent les procédures pour doter le plus vite possible l'Union européenne (UE) des outils juridiques permettant d'apporter une réponse financière rapide à la crise déclenchée par la pandémie de Covid-19.

Nous nous réunissons donc aujourd'hui pour examiner une PPRE que je vous présente avec notre collègue Simon Sutour. Presque six mois après notre première prise de position sur le CFP, celle-ci porte sur la communication présentée par la Commission européenne le 27 mai dernier, comprenant à la fois une proposition révisée de CFP 2021-2027 et une proposition de mise en place d'un instrument de relance de 750 milliards d'euros pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19, éviter les divergences entre les 27 États membres et ainsi conforter le marché unique.

Nous avons dû intervenir rapidement afin que le Sénat puisse adopter une résolution définitive avant le Conseil européen prévu le 19 juin, même si celui-ci ne devrait pas être conclusif. Après avoir été inquiétés par les annonces du président Macron et de la chancelière Merkel, les quatre pays dits frugaux - l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède - ont fait un peu de chemin, mais cela risque de ne pas suffire...

Je vous rappelle que ce plan de relance présenté par la Commission intervient après l'adoption en avril, au sein de l'Eurogroupe élargi, d'un premier train de mesures d'urgence à hauteur de 540 milliards d'euros. La Banque centrale européenne (BCE) a de son côté mis en oeuvre un programme de rachat d'actifs d'urgence pandémique (PEPP), dont l'enveloppe atteint désormais 1 350 milliards d'euros.

Compte tenu de l'ampleur de la crise économique résultant de la pandémie, la nécessité est rapidement apparue d'aller au-delà de ces premières mesures, afin de mettre en place un plan de relance très significatif.

Le 18 mai 2020, le Président de la République française et la chancelière allemande ont dévoilé une « initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus », qui a largement inspiré la proposition de plan de relance présentée par la Commission européenne. Cette initiative proposait en particulier de mettre en place un fonds de « 500 milliards d'euros en dépenses budgétaires de l'Union européenne (UE) pour les secteurs et régions les plus touchés, sur la base des programmes budgétaires de l'UE et dans le respect des priorités européennes ». Le 23 mai, les quatre États « frugaux » présentaient une contre-proposition insistant en particulier sur l'octroi de prêts plutôt que de subventions et appelant à une modernisation du CFP, afin de contenir le montant des contributions nationales au financement de l'UE. Leur message a été partiellement entendu, puisque, sur 750 milliards d'euros, les prêts représentent 250 milliards d'euros et les subventions, 500 milliards d'euros. Mais ils ont aussi compris qu'il était important de conforter le marché unique, dont ils font pleinement partie et dont leur activité économique, qui repose beaucoup sur l'exportation intra-européenne, dépend largement. Aussi sont-ils, après l'émotion initiale, revenus à une attitude plus constructive.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté, le 27 mai, à la fois une nouvelle proposition de CFP pour les années 2021-2027 et une proposition de plan de relance de 750 milliards d'euros, intitulé Next Generation EU, pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid-19. Cet instrument de relance viendrait, à titre exceptionnel et temporaire, compléter et renforcer les dépenses inscrites dans le CFP par des engagements au cours de la période 2021-2024.

La Commission souhaite utiliser ces montants exceptionnels pour rendre l'Europe plus verte, plus digitale et plus résiliente. On ne peut qu'approuver, mais encore faut-il s'entendre sur ce que recouvre le mot « vert » : tout le monde n'a pas la même définition du verdissement... Face aux critiques de certains États membres, la Commission réaffirme donc ses priorités politiques et en particulier l'ambition du Pacte vert pour l'Europe.

Nous souhaitons affirmer à cette occasion que la transition vers une économie plus verte ne doit pas être synonyme de décroissance, et souligner la nécessité de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale. Des fuites indiquent qu'on irait vers une réduction de 10 % de la surface agricole utile, une hausse de 25 % de la production agricole bio, et une baisse de 50 % de l'usage de produits phytosanitaires, mais sans qu'il soit fait référence aux sauts technologiques qui sont nécessaires pour atteindre ces résultats !

L'UE ne doit se priver d'aucune technologie permettant d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est assignés, que ce soit en matière d'énergie, d'industrie ou d'agriculture. Notre PPRE insiste d'ailleurs sur la nécessité de doter suffisamment le projet ITER pour le mener à bien : si la France ne le fait pas, qui en parlera ? Il nous semble également important que les États membres aient une définition harmonisée du verdissement, afin d'éviter entre eux des distorsions de concurrence.

Afin que les entreprises et les citoyens de l'UE soient pleinement bénéficiaires des moyens financiers nouveaux envisagés pour l'UE, nous pourrions en outre compléter le texte de la PPRE qui vous a été transmis hier. Nous proposons d'insister sur la nécessité de renforcer la résilience de l'économie et de la base industrielle de l'UE, en soulignant le besoin de moderniser la politique de la concurrence, mais aussi d'optimiser et d'accroître la réactivité des outils de défense commerciale face aux pratiques déloyales. Cet enjeu avait d'ailleurs été identifié dans l'initiative franco-allemande. Rappelez-vous aussi le règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers dont nous avons discuté il y a deux ans et de l'évolution de la commissaire Vestager - que nous entendrons le 16 juin - sur l'enjeu qui s'attache à l'émergence de champions européens dans un monde ouvert.

M. Simon Sutour, rapporteur. - Je suis d'accord : l'UE ne doit se priver d'aucune technologie pour atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixés. Lors de la dernière réunion de la Commission des affaires européennes des Parlements nationaux à Helsinki, j'ai rappelé que la France fermait ses dernières centrales à charbon grâce au nucléaire, ce qui lui assurait un excellent bilan carbone. Certains de nos collègues n'avaient pas beaucoup apprécié ma remarque !

Le CFP socle serait arrêté à 1 100 milliards d'euros en prix 2018. Il s'agit donc d'une voie intermédiaire entre la proposition initiale que la Commission avait présentée en mai 2018 - 1 134,6 milliards d'euros - et la proposition de la présidence finlandaise du Conseil en décembre 2019 - 1 087 milliards d'euros. Elle est très proche de celle proposée par le Président du Conseil européen M. Charles Michel, à la mi-février 2020 - 1 094,8 milliards d'euros. Cette comparaison doit toutefois être analysée avec précaution, en raison des compléments inscrits au sein de l'instrument de relance, même si celui-ci présente un caractère extraordinaire et temporaire. La Commission présente en effet le CFP socle et l'instrument de relance de manière agrégée.

Nous considérons qu'une réaction rapide et ambitieuse de l'UE, dans le respect des compétences des États membres, est légitime et pertinente. Tous les États membres n'ont pas la même capacité à répondre aux conséquences économiques et sociales de la crise. L'ampleur du plan de relance allemand en témoigne. J'observe d'ailleurs que des efforts sont en particulier prévus pour réduire le coût de l'énergie et améliorer la situation en matière de déploiement numérique, ce qui pourrait donner demain à l'Allemagne un avantage comparatif.

Nous affirmons néanmoins que la nouveauté de l'instrument de relance ne doit pas conduire à négliger les négociations sur le CFP socle.

Nous avons fait le choix de ne pas reprendre tous les éléments que nous avions évoqués dans la résolution adoptée par le Sénat au mois de février, mais de nous concentrer sur quelques points qui nous paraissent essentiels.

Nous saluons notamment le fait que la politique de cohésion demeure une politique stratégique et voit son importance accrue par les crédits exceptionnels du plan de relance. Un nouveau programme intitulé REACT-EU sera doté de 5 milliards d'euros dès 2020 puis de 50 milliards d'euros en 2021 et 2022 dans le cadre du plan de relance. Même si les crédits inscrits dans le cadre socle baissent de près de 8 milliards d'euros par rapport à la proposition présentée par la Commission en mai 2018, on aboutira bien à une hausse globale des crédits de cohésion, dont la Commission souligne l'importance pour la relance économique. Le montant de la part de notre pays est un autre sujet. Pour l'instant, nous maintenons l'essentiel, mais il nous faut rester vigilants, car le Fonds européen de développement régional (Feder), par exemple, est un appui important pour l'investissement des collectivités territoriales : le Gouvernement doit en prendre conscience.

La communication de la Commission précise qu'afin de garantir un soutien suffisant aux États membres et aux régions qui en ont le plus besoin, un réexamen des dotations nationales au titre de la cohésion serait opéré en 2024. Ce réexamen pourrait donner lieu à des ajustements, à la hausse uniquement, dans la limite de 10 milliards d'euros pour l'ensemble des États membres.

Nous insistons également sur la gouvernance de la zone euro. En début d'année, nous avions salué l'accord de principe intervenu pour mettre en place un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité (IBCC) au sein de la zone euro, même si nous avions mis en évidence ses insuffisances. Nous regrettons aujourd'hui que la nouvelle proposition de la Commission ne consacre plus de crédits à cet outil, dont on comprend que les fonctions pourraient être reprises par la nouvelle « facilité pour la reprise et la résilience » mise en place au sein de l'instrument de relance. Nous jugeons essentiel de réinstaurer un mécanisme de gouvernance et un cadre d'analyse propres à la zone euro, et ce de manière durable, les outils du plan de relance n'ayant qu'une durée limitée.

Nous saluons la mise en place d'un nouveau programme pour la santé, afin de tirer les leçons de la crise que nous avons traversée. Doté de 1,7 milliard d'euros dans le CFP socle, ce programme bénéficierait de 7,7 milliards d'euros supplémentaires provenant du plan de relance.

Nous regrettons en revanche la diminution des crédits consacrés à Erasmus + par rapport à la proposition de mai 2018. La position conjointe que nous avions adoptée avec nos collègues de l'Assemblée nationale avait mis l'accent sur ce programme qui est emblématique, sans succès...

M. Jean Bizet, président. - Concernant la politique agricole commune (PAC), nous relevons avec satisfaction que, par rapport aux propositions initiales de la Commission, le premier pilier gagne 4 milliards d'euros et le second pilier, 5 milliards d'euros. En outre, le second pilier bénéficierait de 15 milliards d'euros supplémentaires à titre exceptionnel dans le cadre du plan de relance, afin de favoriser la transition verte affirmée dans la stratégie dite « de la ferme à la table ».

L'augmentation des crédits de la PAC, et singulièrement la revalorisation du premier pilier que le Sénat appelait de ses voeux, va indéniablement dans le bon sens. L'effort demeure toutefois insuffisant pour répondre aux orientations défendues par le Sénat, qui entend réaffirmer le caractère stratégique de la PAC, alors que la stratégie « de la ferme à la table » suscite des interrogations sur l'approche économique du développement de l'agriculture européenne.

Je souhaiterais d'ailleurs renforcer encore à ce sujet la version du texte qui vous a été transmise hier, en soulignant plus fortement l'enjeu que représente la revalorisation du premier pilier, y compris pour nos outre-mer, dont l'agriculture présente des spécificités. Nos collègues ultramarins l'avaient défendu en février devant la commission des finances et il me semble qu'il ne serait pas inutile d'appuyer le soutien que nous apportons aux outre-mer au travers de cette PPRE.

Concernant l'autonomie stratégique de l'UE, nous constatons que le fonds européen de la défense serait doté de 8 milliards d'euros, soit 3,4 milliards d'euros de moins que dans la proposition initiale de la Commission européenne, les crédits consacrés à la mobilité militaire étant par ailleurs sabrés. Je constate que, proposition de CFP après proposition de CFP, le fonds européen de la défense sert de variable d'ajustement, ce qui n'est pas acceptable.

La proposition de la Commission est certes plus satisfaisante que celles présentées par la présidence finlandaise du Conseil puis par le Président du Conseil européen, mais nous souhaitons affirmer avec force qu'elle n'apparaît pas à la hauteur de l'ambition affichée visant à affirmer l'autonomie stratégique européenne. Nous suggérons donc de réaffirmer les positions que nous avons prises à deux reprises en début d'année en faveur d'une remontée de ces crédits.

De même, nous souhaitons confirmer notre souhait d'un rétablissement de l'ambition initiale concernant la politique spatiale européenne, qui doit être pleinement indépendante pour assurer l'autonomie stratégique de l'UE. La Commission propose en effet de diminuer ces crédits d'un milliard d'euros, ce qui est toujours plus satisfaisant, reconnaissons-le, que les propositions présentées par la présidence finlandaise du Conseil puis par le Président du Conseil européen. L'espace va devenir un endroit stratégique d'affrontement entre puissances : l'UE ne doit pas en être absente.

À la suite d'un échange que j'ai eu hier soir avec la Secrétaire générale des affaires européennes, Mme Sandrine Gaudin, je souhaiterais également compléter le texte qui vous a été transmis par un ajout sur ITER, en reprenant notre position de février. La France apparaît en effet très seule sur ce dossier et il me paraît important que nous apportions un soutien à ce programme. Il y a comme une pudeur, à Bruxelles, qui empêche de parler du nucléaire, vu la pression qu'y font régner les environnementalistes les plus radicaux, qui refusent de voir que le nucléaire permet de diminuer les émissions de CO2. Or, à en croire le Professeur Gérard Mourou, lauréat du prix Nobel, sur les lasers à haute fréquence, nous pourrions dans une dizaine d'années régler le problème des déchets nucléaires, qui est le tendon d'Achille de la filière. Je n'ai donc pas d'états d'âme à soutenir cette position.

M. Simon Sutour, rapporteur. - Nous autres, dans mon département, nous vivons sous le champignon... et nous nous en portons très bien !

J'en viens maintenant à l'instrument de relance de 750 milliards d'euros Next Generation EU, qui viendrait compléter le CFP sur la période 2021-2024.

Ces 750 milliards d'euros seraient répartis en 500 milliards d'euros de subventions et garanties et 250 milliards d'euros de prêts. Ils se décomposent schématiquement en deux blocs.

Un premier bloc de 190 milliards d'euros viendrait renforcer à titre exceptionnel différents programmes du CFP. Nous en avons déjà évoqué quelques-uns, mais je veux également souligner l'accent mis sur les programmes « InvestEU » et « Horizon Europe », qui bénéficieraient de cette nouvelle enveloppe afin de favoriser les investissements stratégiques et de soutenir la solvabilité des entreprises. Les crédits inscrits au titre du plan de relance ne correspondent toutefois pas à des majorations nettes, les crédits inscrits sur le CFP socle enregistrant des baisses.

De même, 30 milliards d'euros viendraient compléter les 10 milliards d'euros inscrits dans le CFP socle, au titre du fonds de transition juste. Ceci apparaît nécessaire en vue d'accompagner la transition vers une économie plus verte et les mutations socio-économiques indispensables dans les territoires les plus touchés. Dans sa résolution du 11 février 2020, le Sénat soulignait en effet la nécessité d'accompagner certains territoires et certaines filières confrontés à d'importants défis de reconversion.

Le plan de relance viendrait également renforcer les dépenses de résilience, notamment la sécurité civile et les crédits consacrés à l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, ainsi qu'à l'aide humanitaire.

Aux côtés de ces crédits divers, la Commission propose la mise en place d'un outil de très grande ampleur : la « facilité pour la reprise et la résilience », à hauteur de 560 milliards d'euros. Ces 560 milliards d'euros seraient répartis en deux enveloppes : 310 milliards d'euros de subventions et 250 milliards d'euros de prêts.

Cette « facilité » servirait à financer des dépenses en phase avec les priorités de l'UE - transition écologique et numérique, résilience des économies nationales - et s'inscrirait dans le cadre du Semestre européen. Cette inscription dans le cadre du Semestre européen impliquera donc un dialogue exigeant entre les États membres et la Commission lors de l'examen des programmes nationaux de réforme. Ceux-ci intégreront en effet à l'avenir des plans nationaux pour la reprise et la résilience. La Commission précise qu'elle évaluera ces plans « au regard de leurs effets sur la durabilité compétitive, la résilience économique et sociale, la croissance durable et les transitions écologique et numérique des États membres ».

Nous pourrions d'ailleurs compléter la version du texte qui vous a été adressée hier afin de demander un renforcement de l'implication des Parlements nationaux dans la mise en oeuvre et le suivi du Semestre européen. Il nous faut toujours insister pour que les Parlements nationaux soient admis à jouer leur rôle européen...

S'agissant des subventions, une clé de répartition prédéfinie sera établie. Elle tiendra compte de la population, du PIB par habitant et du chômage. Elle sera particulièrement bénéfique pour les pays les plus touchés par la crise, notamment ceux caractérisés par un faible revenu par habitant et un chômage élevé. Selon les informations que nous avons recueillies auprès de la direction du Budget, la France pourrait ainsi bénéficier de 10,4 % des subventions de cette facilité, soit environ 32 milliards d'euros. Elle serait donc le troisième État membre bénéficiaire du volet subventions de cette facilité, après l'Italie et l'Espagne qui en recevraient environ 20 % chacune.

Compte tenu des conditions actuelles de financement sur les marchés, il n'apparaît pas certain que la France ait un intérêt à solliciter un prêt dans le cadre de cette facilité.

Le taux de retour global de la France sur l'ensemble des crédits du plan de relance n'est pas connu de manière précise à ce stade. Il pourrait avoisiner le montant de 39 milliards d'euros évoqué dans la presse. Les services interrogés n'ont toutefois pas confirmé ce montant, d'autant que l'enveloppe globale du plan de relance reste soumise à l'approbation du Conseil européen.

M. Jean Bizet, président. - Pour assurer le financement de ces 750 milliards d'euros, la Commission émettrait des obligations sur les marchés financiers au nom de l'UE. Les fonds empruntés seraient remboursés à partir de 2028 et potentiellement jusqu'en 2058, ce qui nous conduit à mettre l'accent sur le besoin de financement à venir de l'UE.

Les 250 milliards d'euros de fonds empruntés, qui seraient octroyés sous la forme de prêts aux États membres dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience, seraient remboursés par les sommes reçues de la part des États membres bénéficiaires de ces prêts. Seuls les 500 milliards d'euros empruntés aux fins de subventions et garanties feraient ainsi l'objet d'une mutualisation au niveau de l'UE.

Pour procéder à cette opération, la Commission propose de relever le plafond des ressources propres de l'UE de 0,6 point de pourcentage afin d'augmenter la marge de manoeuvre, c'est-à-dire la différence entre ce plafond des ressources propres et les dépenses réelles, cette marge de manoeuvre faisant office de garantie.

La Commission précise que ce pouvoir d'emprunter serait clairement limité en termes de volume, de durée et de portée. Ce relèvement du plafond prendrait donc fin lorsque tous les fonds empruntés auront été remboursés et que tous les passifs éventuels seront éteints, c'est-à-dire au plus tard le 31 décembre 2058.

Ce relèvement temporaire s'ajouterait néanmoins à un autre relèvement du plafond qui serait, lui, permanent. La Commission justifie ce second relèvement en faisant valoir que « l'impact économique de la pandémie de coronavirus montre à quel point il est important de faire en sorte que l'UE dispose d'une marge de manoeuvre budgétaire suffisante en cas de chocs économiques entraînant une chute du revenu national brut ». La décision sur les ressources propres impliquant une approbation par le Parlement français, en application de l'article 211 du traité sur le fonctionnement de l'UE, nous jugeons nécessaire que des justifications complémentaires soient apportées concernant la nécessité de relever de manière permanente le plafond des ressources, en plus du relèvement temporaire prévu pour permettre le financement de l'instrument de relance. Il est vrai qu'il faut sans cesse demander que les Parlements nationaux puissent exercer leurs compétences... Incidemment, je rappelle aussi qu'il faut aussi plus de transparence dans les trilogues.

Si l'instrument de relance soulage à court terme les finances publiques nationales des États membres, dans un esprit de solidarité entre eux, il n'en demeure pas moins que l'enjeu de financement de ces mesures à moyen terme est majeur et conduit à remettre l'accent sur deux points déjà soulignés par le Sénat dans sa résolution européenne du 11 février 2020 : les rabais et l'évolution du système des ressources propres.

Selon les informations recueillies auprès de la direction du Budget et du Secrétariat général des affaires européennes, pour le seul CFP socle, la contribution moyenne annuelle de la France au cours de la période pourrait atteindre entre 26 et 29 milliards d'euros, en cas de maintien intégral des rabais -malheureusement probable - et d'absence de nouvelle ressources propres, contre environ 20 milliards d'euros aujourd'hui. Ce n'est pas neutre dans la conjoncture actuelle... Le rapporteur général de la commission des finances, M. de Montgolfier, sera fondé à s'en émouvoir !

Le remboursement de l'emprunt découlant de l'instrument de relance induirait une charge financière supplémentaire pour les États membres. S'il est difficile de l'évaluer avec précision aujourd'hui, elle pourrait, en l'absence d'accord sur les rabais et de nouvelles ressources propres, atteindre un montant de 3 à 4 milliards d'euros par an à compter de 2028.

Or, par rapport à sa proposition de mai 2018, la Commission européenne apparaît en retrait sur la suppression des rabais. Elle indique en effet que, compte tenu des conséquences de la pandémie de Covid-19, « les rabais actuels pourraient être supprimés progressivement sur une période beaucoup plus longue que ce qu'envisageait la Commission dans sa proposition de 2018 ». Nous proposons de ne pas souscrire à cette approche et de réaffirmer notre souhait de supprimer l'ensemble des rabais à l'occasion de la mise en place du nouveau CFP. À présent que les Anglais sont presque partis, nous subissons toujours cette décision qui remonte à Mme Thatcher...

L'évolution très significative des contributions nationales, toutes choses égales par ailleurs, devrait constituer en outre une forte incitation à trouver à l'avenir un accord sur la mise en place de nouvelles ressources propres, que le Parlement européen réclame avec force.

La Commission européenne évoque de nouveau plusieurs pistes déjà connues ainsi qu'une possible nouvelle ressource propre, fondée sur les activités des grandes entreprises, dont les contours apparaissent très flous à ce stade. Il nous apparaît essentiel que la Commission clarifie rapidement ses orientations et propositions, en veillant à maîtriser la pression fiscale qui pourrait en résulter pour les citoyens et les entreprises de l'UE.

M. Simon Sutour, rapporteur. - La double proposition présentée par la Commission le 27 mai est donc importante à plusieurs titres et justifie une prise de position du Sénat.

Nous saluons le fait qu'au travers de cet effort d'une ampleur inédite, l'UE fasse preuve de réactivité et d'innovation, qu'elle réaffirme ses valeurs de solidarité, qu'elle veille à apporter aux États membres un soutien pertinent au regard des priorités de l'action de l'UE et qu'elle préserve ainsi le marché unique.

Nous soulignons aussi les enjeux que représentera cette concentration de fonds européens en début de période, qui représente un véritable défi en termes d'ingénierie.

C'est un moment important pour l'UE, même s'il doit être analysé sans emphase : l'UE ne reprend pas les dettes des États membres et les dépenses inscrites au sein de l'instrument de relance ne devraient pas conduire à un accroissement pérenne du budget de l'UE. La Commission ne cesse de souligner que cet accroissement des dépenses est exceptionnel et temporaire, et uniquement conçu pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid-19. Autant de gages aux quatre États « frugaux », qu'on appelle aussi les quatre « pingres » !

Cet emprunt au nom de l'UE, inédit dans son ampleur, devrait toutefois donner des marges de manoeuvre nouvelles à la Commission, qui confirme les priorités politiques esquissées par la Présidente Ursula von der Leyen en faveur du Pacte vert pour l'Europe, de la stratégie numérique et d'une Europe plus résiliente.

La question du mode de financement de l'UE à partir de 2028 se posera aussi avec une intensité nouvelle, compte tenu des remboursements à venir.

Nous considérons ainsi que les Parlements nationaux devront s'impliquer plus fortement dans les débats à venir, que ce soit dans le suivi de l'instrument de relance en général, dans le suivi du Semestre européen ou encore lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Et nous estimons qu'ils auront besoin pour cela non seulement d'être mieux informés qu'ils ne le sont aujourd'hui, en particulier sur les échanges en trilogues, - comme nous l'avons rappelé à la Médiatrice européenne la semaine dernière - mais aussi mieux associés, les actes délégués et les actes d'exécution permettant à la Commission de les contourner...

M. André Gattolin. - Bravo pour ce rapport, qui précise des chiffres encore soumis à des aléas. La contribution de la France sera donc de 26 à 29 milliards d'euros par an. S'agira-t-il bien de mesures exceptionnelles ? On parle d'un plan en trois ans, mais la période 2021-2024 en compte quatre ! Avec 750 milliards d'euros en plus sur cet intervalle, on fait plus que doubler le budget annuel. Comment faire marche arrière ensuite ? D'autant que de 2028 à 2058, il faudra rembourser. Nous sommes donc dans des faux-semblants diplomatiques vis-à-vis des États frugaux. J'avais rappelé plusieurs fois avant la crise que, pour perdurer à l'horizon 2050, l'UE devrait porter son budget au moins à 3 % de son PIB. La crise est peut-être l'opportunité, non de renforcer Bruxelles, mais de rester compétitifs dans le monde. Les plans de relance américain et chinois sont plus lisibles que les nôtres, partagés entre le niveau européen et l'échelle nationale. Même sur les 500 milliards d'euros de subventions, le journal Le Monde affirme que 67 milliards d'euros seraient en réalité des garanties destinées à exercer un effet de levier. Bref, il y a encore beaucoup de flou dans la mécanique qui nous est proposée. Il faudra des éclaircissements. Espérons que la secrétaire d'État nous les apportera !

M. Jean-François Rapin. - En un temps si court, difficile de comprendre tous ces chiffres ! Pourriez-vous nous fournir un tableau récapitulatif ? Pour la recherche, les fonds augmentent-ils, ou le budget est-il en baisse, par exemple ? M. Sutour a parlé de vigilance. C'est important vu le flou sur les chiffres, qui ne sont d'ailleurs pas définitifs, puisque le Conseil européen ne les adoptera sans doute pas tels quels. On parle de 32 milliards d'euros arrivant brutalement dans nos régions et devant être dépensés rapidement, alors que l'on connaît les difficultés qui existent déjà pour consommer les crédits de droit commun. Comment et par qui ces fonds seront-ils gérés ? Il nous manque aussi des informations sur les modalités de remboursement des ressources qui seront empruntées, ou des avances remboursables. Quelle clef de répartition ? Quel coût ? Quelle durée ? Enfin, il y a un vrai problème de clarté dans la discussion, car la Commission s'exprime en euros constants, ce qui est difficilement compréhensible pour une période de sept ans. En tout cas, je me réjouis de voir qu'il existe un plan santé spécifique, comme je l'avais recommandé lors de l'audition de M. Breton.

M. André Reichardt. - Cette PPRE me convient parfaitement, tant en ce qui concerne le CFP que le plan de relance. Mais ces fonds seront-ils efficaces ? À court terme, M. Rapin a raison : nous avons déjà du mal à consommer les fonds de cohésion ! Ceux du plan de relance devront être dépensés intégralement et intelligemment, dans le cadre des orientations européennes, et en évitant si possible les effets d'aubaine : on voit trop souvent des porteurs de projets qui ne sont pas indispensables profiter de tels fonds. Pour le Semestre européen, la concertation avec les États membres devra aussi être exigeante, afin que le bénéfice soit collectif. Nous devrions aussi l'inscrire dans la PPRE : ce plan de relance doit profiter à l'Europe, et non à certains pays tiers, asiatiques notamment, qui en tireraient parti pour vendre leurs produits et infrastructures.

M. Jean-Yves Leconte. - Je partage votre conclusion sur la nécessaire implication des Parlements nationaux, qui possèdent la souveraineté fiscale, dans la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

Je souscris à l'esprit de l'alinéa 30 où il est affirmé que « la transition vers une économie plus verte ne doit pas être synonyme de décroissance », ainsi qu'à vos propos sur le nucléaire - même si, l'an dernier, l'abandon du projet de réacteur Astrid a marqué un retour en arrière préoccupant en matière de souveraineté. Je propose cependant que l'on ajoute, à la fin de ce paragraphe, après la mention des objectifs de l'Union européenne en matière environnementale, « en particulier en termes de neutralité carbone et sobriété énergétique ».

Je suggère également de rappeler ce qui était mentionné dans notre proposition de résolution européenne de février dernier sur Frontex, c'est-à-dire la nécessité de doter l'agence d'un budget lui permettant de jouer son rôle de gardien des frontières avec crédibilité et dans le respect des valeurs européennes.

Compte tenu du rôle de la France dans la modification des règles du processus d'adhésion à l'Union européenne, qui s'appliquera à la Macédoine et à l'Albanie, je propose de rappeler la nécessité de moyens supplémentaires pour crédibiliser le nouveau processus. En effet, désormais des bénéfices seront progressivement accordés aux candidats dès avant l'adhésion.

Enfin, si l'on peut se féliciter des engagements financiers exceptionnels de l'Union européenne, il convient, pour lancer une évolution systémique, de travailler à des financements pérennes. Il est particulièrement angoissant d'envisager que ceux qui ont vingt ans aujourd'hui continueront à rembourser les engagements au titre du Covid-19 quand ils en auront soixante... Il est indispensable de réfléchir à des recettes propres pour le budget de l'Union européenne. Je comprends que vous n'évoquiez pas, dans la proposition de résolution, l'imposition sur le capital, mais puisque l'on ne peut pas taxer encore davantage la consommation des Européens, il faut des outils nouveaux. Compte tenu de la liberté de circulation des capitaux dans l'Union européenne, j'estime que c'est à ce niveau qu'il faut agir, en tirant parti des circonstances pour faire preuve d'audace.

M. Claude Haut. - Félicitations pour votre travail, qui s'inscrit dans la suite de la résolution européenne du 11 février 2020.

Aller dans le sens de l'histoire implique de réévaluer le budget de la PAC, en allant plus loin que les efforts déjà consentis. Une réévaluation est envisagée, nous dit-on, après les trois ou quatre premières années ; en tout cas ce budget n'est pas à la hauteur des besoins de l'agriculture européenne.

Comme vous l'avez souligné, le Fonds européen de la défense est trop souvent une variable d'ajustement, d'autant que la France, qui porte nombre d'interventions militaires, mériterait un soutien au niveau européen.

M. Michel Raison. - Je suis, pour ma part, partisan d'un affichage en euros constants, en particulier pour le budget de la PAC. L'inflation a été relativement faible au cours des dernières années, mais on ne sait pas ce qui peut arriver dans les mois qui viennent...

Tout le monde veut un monde plus durable. C'est vrai pour le tourisme, sur lequel je remettrai demain un travail à la commission des affaires économiques, comme pour l'agriculture. Les agriculteurs eux-mêmes s'y attèlent depuis longtemps. Mais jusqu'où faut-il aller ? Sur les 15 milliards d'euros du plan de relance, on ne parle que de la stratégie « de la ferme à la table », qui ne touche pourtant qu'une part très modeste des ventes de produits agricoles. N'oublions pas le reste ! Pour le moment, l'Union européenne et la France sont globalement autosuffisantes ; mais sans désherbants ni produits de traitement, une crise pourrait nous rendre entièrement dépendants. Imaginons une dépendance agricole analogue à celle que nous avons connue pour les masques... Pour ma part, je réfute le parallèle qu'a fait le Président de la République entre la crise sanitaire et la guerre, justement parce que pendant la guerre, les habitants des villes ont souffert de sous-alimentation.

Il convient également d'intégrer la recherche aux stratégies de verdissement de notre économie, car tout changement de méthode réclame un effort approfondi dans ce domaine. Certaines biotechnologies peuvent révolutionner l'agriculture. Ce n'est pas seulement une question d'argent, mais de volonté, de mise en commun de nos systèmes de recherche. L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) manque de moyens, et la coordination européenne n'a pas été à la hauteur. Promettre des carottes locales ne fait pas une politique. Soyons plus économiques et scientifiques.

M. Jean Bizet, président. - Je partage entièrement vos préoccupations.

M. Daniel Gremillet. - Une synthèse des données financières relatives au plan de relance européen me semblerait en effet tout à fait bienvenue.

Je suis moi aussi en plein accord avec Michel Raison. Une partie de la population veut modifier son alimentation ; c'est un enjeu stratégique important. Cependant, notre premier devoir, et la raison d'être de l'Europe telle qu'elle s'est construite dans l'après-guerre, est de nourrir l'ensemble de la population dans de bonnes conditions. Pour cela, il faut des productions accessibles à tous les ménages. Il serait pour le moins étonnant que nos choix en matière de politique agricole commune affaiblissent la consommation alimentaire en Europe. Nos exportations agricoles sont créatrices d'emploi. L'agriculture ne doit pas être configurée pour 20 % ou 30 % de la population. Je vois des scientifiques, des intellectuels publier des tribunes parlant de révolution dans nos modes de production, mais notre rôle est de garder la tête sur les épaules.

Ainsi, plutôt que de nous donner bonne conscience en plantant des arbres, il faut se poser la question de l'économie forestière. Quelles sont les essences de demain, alors que la chimie verte, qui utilise les fibres du bois, est une véritable révolution en préparation ? L'Europe doit se montrer incitative dans ce domaine.

Comme André Reichardt, j'estime qu'il convient que l'Europe impose des contraintes sur les produits agricoles importés. La relocalisation que chacun appelle de ses voeux doit s'accompagner d'un maintien de la performance, faute de quoi des concurrents issus d'autres espaces mondiaux viendront conquérir nos marchés.

De grâce, simplifions l'utilisation des fonds de cohésion et des crédits européens, dont nous sommes quelques-uns à avoir l'expérience ! D'autres pays ne s'embarrassent pas de complications.

M. Olivier Henno. - Le volume des fonds de cohésion nous met à l'abri d'une crise de liquidité, mais le principal enjeu est notre capacité à faire émerger des projets de qualité. Ainsi, en France, l'épargne a beaucoup progressé : la question n'est donc pas tant le financement que la qualité et la rentabilité des projets. Or malgré des taux très bas, les projets manquent. Comme Jean-François Rapin et André Reichardt, j'estime qu'il faut éviter les effets d'aubaine. Faisons émerger des projets d'avenir, de qualité, qui garantissent l'avenir de ceux qui rembourseront à soixante ans ce que nous empruntons alors qu'ils en ont vingt.

M. Jean Bizet, président. - Nous vous proposons donc quelques amendements à la proposition de la résolution européenne.

Pour répondre à l'inquiétude que plusieurs d'entre vous manifestent à l'égard du risque de concurrence déloyale et de l'absence de prise en compte du respect de l'environnement, nous proposons l'ajout d'un alinéa après l'alinéa 30 qui pourrait être rédigé ainsi : « Insiste sur la nécessité de renforcer la résilience de l'économie et de la base industrielle de l'Union européenne, ce qui suppose notamment une politique de modernisation de la concurrence, ainsi qu'une optimisation et une réactivité accrue des outils de défense commerciale face aux pratiques commerciales déloyales, afin que les entreprises et les citoyens de l'Union soient pleinement bénéficiaires des moyens financiers nouveaux envisagés par l'Union ».

À la fin de l'alinéa 30, nous ajouterions les mentions « neutralité climatique » et « sobriété énergétique » proposées par Jean-Yves Leconte.

Nous proposons de compléter ainsi l'alinéa 36 : « Insiste sur l'importance de revaloriser le premier pilier, qui demeure essentiel pour permettre aux agriculteurs de relever les défis économiques, sanitaires, environnementaux et liés au dérèglement climatique auxquels ils sont confrontés, et qui finance notamment le Programme d'options spécifiques à l'éloignement à l'insularité (Posei), programme indispensable pour le soutien à l'agriculture des régions ultrapériphériques. »

À l'alinéa 42, nous proposons l'ajout suivant : « et réaffirme que le projet International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER) devra bénéficier des crédits adéquats pour permettre, dans le respect des engagements pris, la conduite de ces travaux en vue de créer pour l'avenir une source durable d'énergie sûre et respectueuse de l'environnement ».

Enfin, à l'alinéa 48, nous vous soumettons l'ajout suivant : « Demande un renforcement de l'implication des Parlements nationaux dans la mise en oeuvre et le suivi du semestre européen ». Cela va mieux en le disant...

M. Simon Sutour, rapporteur. - Je rappelle l'objet de notre travail : donner notre point de vue à notre gouvernement, d'abord dans l'espoir qu'il reprendra nos propositions, ensuite pour lui donner un appui dans la négociation au niveau européen. D'où l'importance du contact de notre président avec la Secrétaire générale aux affaires européennes et du débat prévu avant le Conseil européen de jeudi. Vous le savez, notre proposition de résolution passera sous les fourches caudines de la commission des finances, avec toutefois le regard bienveillant de notre collègue Jean-François Rapin...

Il convient que les nouveaux fonds de cohésion soient pris en compte, dans la comptabilité des régions, comme de l'investissement à part entière. Manier les financements européens est particulièrement complexe, or cette complexité vient davantage de Paris que de Bruxelles. Il faut libérer les initiatives et non les laisser brider par une administration omnipotente, et continuer à nous battre même si la demande, comme pour l'implication des Parlements nationaux, relève du voeu pieux.

Monsieur Leconte, je suis favorable à la mention de la neutralité carbone, mais dans ce cas, n'ayons pas honte de notre industrie nucléaire qui fournira de l'électricité pour nos voitures électriques...

Je suis solidaire de mes collègues sur la PAC, en ajoutant qu'elle doit prendre davantage en compte les productions méditerranéennes comme la vigne, la petite agriculture de montagne sèche, les cultures fruitières et légumières et l'élevage. Le blé et la betterave ne sont pas toute l'agriculture française.

M. Jean Bizet, président. - Plusieurs d'entre vous ont demandé des tableaux chiffrés, qui seront intégrés dans le rapport.

La Commission européenne a l'habitude d'utiliser des euros constants dans ses communications, mais il est vrai qu'elle joue parfois de l'ambiguïté. Cela fait partie de la culture bruxelloise... N'en soyons pas dupes.

Quant à la nécessité de trouver des ressources propres, le rapport Monti nous avait laissés sur notre faim. Nous sommes contraints, pour soulager la participation des États membres au budget européen, de faire preuve de courage politique et d'inventivité. Dans le panel des ressources propres le plus souvent citées, figurent la taxe carbone aux frontières - un impératif économique et écologique -, une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission de CO2, la taxe sur les déchets d'emballages plastiques non recyclés, et la taxe sur le numérique - sous réserve que la réflexion engagée au sein de l'OCDE aboutisse. L'harmonisation de la taxation sur les sociétés à travers l'Assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (Accis) n'est plus évoquée.

L'ingénierie de la gestion des fonds par les régions est en effet un point d'attention particulier, puisque des sommes considérables viendront s'ajouter aux fonds de cohésion traditionnels : REACT-EU représentera 5 milliards d'euros dans un premier temps puis 50 milliards ; le Fonds pour une transition juste, 40 milliards d'euros. Les régions devront donc faire preuve de réactivité. En revanche, les 32 milliards d'euros que recevrait la France au titre de la facilité pour la reprise et la résilience du plan de relance resteront probablement gérés au niveau de l'État, car ils passeront par le filtre du Semestre européen. En d'autres termes, pour les toucher, la France devra avoir le courage de mener des réformes structurelles.

Je partage pleinement les craintes d'André Reichardt sur les effets d'aubaine. L'alinéa 30 souligne bien que le plan de relance doit d'abord profiter à l'industrie européenne. La Chine utilise régulièrement l'outil des aides d'État. L'Union européenne a mis en place le règlement sur le filtrage des IDE (investissements directs étrangers) : toute prise de participation d'une entreprise extérieure à l'Union européenne dans une entreprise stratégique doit être signalée à la Commission européenne, afin de prévenir les opérations de prédation. Les Britanniques sont en train de se doter d'un mécanisme de ce type.

Le plan de relance est conçu pour harmoniser les politiques économiques des États membres. Alors que le gouvernement français apporte 40 milliards d'euros au niveau national, l'Allemagne a frappé fort avec 130 milliards d'euros. En matière industrielle, elle est en train de corriger l'un de ses rares talons d'Achille, le coût de l'énergie. D'abord, le produit de l'équivalent allemand de la CSPE (contribution au service public de l'électricité) est passé de 30 à 20 milliards d'euros, contre 7 milliards d'euros en France. Ensuite, Nord Stream 2 fera prochainement de l'Allemagne le hub gazier européen. Enfin, l'Allemagne injecte 8 milliards d'euros dans la recherche sur l'hydrogène et investit 7 ou 8 milliards d'euros pour l'accélération du déploiement de la 5G.

Ce pays a déjà mobilisé 52 % de l'enveloppe au titre de l'assouplissement de la Commission européenne du cadre sur les aides d'État ! Le rapporteur général de notre commission des finances nous avertissait, dès avant la crise sanitaire, de l'insuffisance de nos marges de manoeuvre budgétaires : la comparaison avec l'Allemagne nous en donne une illustration concrète.

Monsieur Leconte, le budget consacré à l'élargissement reste stable, à près de 13 milliards d'euros.

Monsieur Haut, les États membres restent très sourcilleux quant au ratio du budget européen sur le revenu national brut (RNB). Nous sommes à 1,12 %, compte tenu de la baisse du RNB liée à la crise de la Covid-19, ce qui est au-dessus de la proposition finlandaise.

Il semblerait que les vues au sein des 27 commencent à converger sur le caractère stratégique de l'agriculture. Mais il ne faudrait pas que le pacte vert se traduise par une décroissance. Je lis à l'instant le titre de cette dépêche : « Les ministres de l'Union européenne inquiets de l'impact potentiel du Pacte vert européen sur le secteur agricole ». Il y a une prise de conscience, à laquelle nos quatre PPRE sur le sujet ne sont pas étrangères. La commissaire européenne à la santé et à sécurité alimentaire, Mme Stella Kyriakides, a tendance à s'exprimer à la place du commissaire à l'agriculture, ce qui n'est jamais bon signe. Nous l'avions déjà constaté au moment du débat sur les profils nutritionnels.

Monsieur Raison, je vous remercie d'être la conscience scientifique de la commission ! Depuis des décennies, l'INRA se penche plutôt sur les sciences molles que sur les sciences dures. Or si nous ne nous intéressons pas aux new breeding techniques (nouvelles techniques de sélection variétale), d'autres ne nous ont pas attendus pour le faire. Désormais dirigée par un Chinois, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) va faire évoluer les normes agricoles et, comme je le rappelle souvent, celui qui tient les normes tient le marché... Ne soyons pas naïfs. Je suis très à l'écoute des écologistes, mais je suis plus sévère pour les environnementalistes radicaux qui ne veulent pas tenir compte des sauts technologiques dans leur réflexion.

La simplification est mentionnée à l'alinéa 37. La complexité de l'utilisation des fonds est une dérive bien française : des États comme la Pologne savent utiliser les fonds européens rapidement et avec simplicité...

Monsieur Henno, il faudra en effet se concentrer sur les investissements les plus pertinents.

Monsieur Leconte, je suis favorable à un rappel de nos demandes sur Frontex.

À l'issue du débat, la commission adopte la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.

Jeudi 11 juin 2020

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Institutions européennes - Débat préalable au Conseil européen du 19 juin 2020 - Audition de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Jean Bizet, président. - Merci, madame la ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Nous nous réunissons ce matin pour le traditionnel débat préalable au Conseil européen qui se tiendra dans huit jours par visioconférence. Lors du précédent Conseil européen, nous étions encore en période de confinement, et nous vous avions entendue par téléphone, avec quelques difficultés techniques dont je vous prie encore de nous excuser. Je me réjouis donc que nous soyons aujourd'hui réunis physiquement au Sénat, et je tiens à vous remercier, ainsi que plusieurs de mes collègues, d'avoir bien voulu vous déplacer pour cela.

Le Conseil européen du 19 juin s'annonce, une fois de plus, comme un jalon important de l'histoire de l'Union européenne (UE). Celle-ci traverse une crise inédite, sanitaire, économique et bientôt sociale, qui appelle une réponse tout aussi inédite. Cette réponse s'est construite progressivement au fil des dernières semaines. La Banque centrale européenne (BCE) s'est mobilisée la première et est désormais engagée dans un programme de rachat de dettes souveraines, en réponse à la pandémie, qui s'élève à 1 350 milliards d'euros. L'UE a ensuite construit une réponse économique à hauteur de 540 milliards d'euros, à trois volets : le mécanisme européen de stabilité (MES), un instrument de soutien aux régimes nationaux de chômage partiel (SURE : Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency), et un fonds de garantie de la Banque européenne d'investissement (BEI).

Lors de sa dernière réunion, le 23 avril, le Conseil européen a également décidé le principe de la création d'un instrument spécifique de relance de l'économie européenne. Un mois plus tard, s'inspirant d'une initiative franco-allemande que nous saluons, la Commission européenne proposait un nouveau schéma, qui repose sur un nouveau projet de cadre financier pluriannuel (CFP), augmenté d'un effort financier substantiel - je souligne le mot, puisqu'il s'agit de 750 milliards d'euros consacrés à la relance.

L'intégration dans le CFP de ce plan destiné à rendre l'Europe plus verte, numérique et résiliente est une bonne nouvelle pour la construction européenne, car la solidarité communautaire devient ainsi le socle du plan de relance. Elle soulève toutefois des questions complexes et exige du Conseil européen, qui l'examinera le 19 juin, de s'entendre en même temps sur le CFP et sur le plan de relance. C'est un énorme défi, surtout dans un contexte où quatre États dits frugaux ont déjà marqué leur résistance.

Le Sénat tient à se positionner en amont de cette réunion. C'est pourquoi notre commission des affaires européennes a adopté hier sur ce sujet une proposition de résolution européenne (PPRE), que la commission des finances examinera mardi. Son texte salue la proposition de la Commission, sa structure, son ampleur et ses objectifs, tout en insistant sur quelques impératifs.

Dans le CFP que je qualifierais de « socle », nous réaffirmons l'importance de la souveraineté alimentaire, et donc la priorité qu'il faut accorder au premier pilier de la politique agricole commune (PAC), dont la Commission entend raboter les crédits par rapport au CFP actuel. Nous nous inquiétons aussi de voir émerger une conception du verdissement de la PAC qui pourrait conduire, si nous n'y prenions garde - et le Sénat sera particulièrement attentif - à la décroissance, avec 10 % de surface agricole utile (SAU) en moins. Il faudra comptabiliser tous les efforts qui ont été faits par la France en la matière depuis des décennies, parce que notre pays a une fâcheuse tendance à en faire plus, quand nos autres partenaires s'en tiennent simplement aux orientations de la Commission.

Nous insistons aussi sur la nécessité de renforcer quelques lignes budgétaires essentielles pour l'autonomie européenne. Il s'agit d'abord du Fonds européen de défense, dont va nous parler Ladislas Poniatowski, qui représente parmi nous le président Cambon : il n'est pas convenable que ce fonds devienne la variable d'ajustement des crédits européens. Il s'agit aussi de la politique spatiale, dont le budget a certes été relevé par rapport à la proposition finlandaise, mais pas suffisamment. Il s'agit encore du programme ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) : si la France ne parle pas du nucléaire, qui le fera ? Il s'agit enfin de l'agence Frontex, essentielle pour la protection de nos frontières.

L'enjeu principal de cet effort financier substantiel que l'UE envisage est là : dans quelle mesure confortera-t-il la puissance européenne ? Nous relevons avec satisfaction la création d'un programme d'Union européenne de la santé ; nous nous félicitons aussi que le mécanisme juridique de filtrage des investissements directs étrangers, dont la France a récemment obtenu le renforcement, se voie doté de moyens financiers. Pouvez-vous nous en dire plus sur son montant et ses modalités de mise en oeuvre ?

L'ambition que propose la Commission européenne a un prix. Elle passe par un relèvement du plafond de ressources de l'UE. Pouvez-vous nous éclairer, à ce propos, sur la justification du relèvement permanent de ce plafond que réclame la Commission et qui viendrait en plus du relèvement temporaire nécessaire pour financer le plan de relance ? Pour notre pays, quel sera le prix de cette nouvelle ambition européenne ? La nouvelle « facilité pour la reprise et la résilience » bénéficiera surtout aux États les plus touchés, dont le nôtre...

Le financement de ce plan de relance implique assurément la création de nouvelles ressources propres pour l'UE. La Commission étend le champ des possibles en la matière, c'est heureux, mais nous nous inquiétons de l'hypothèse d'une nouvelle contribution assise sur les grandes entreprises. De quoi s'agit-il ? Il ne faudrait pas que ce plan revienne en boomerang sur l'économie européenne.

Il doit aussi s'accompagner d'une révision de la politique de concurrence, que nous appelons de nos voeux. Nous recevons d'ailleurs prochainement Mme Margrethe Vestager, dont la réflexion semble s'être affinée, notamment sur le fait, pointé par le Sénat depuis des années, que nous ne pouvions pas faire émerger des champions européens. Or, le temps économique va beaucoup plus vite que le temps politique, et il nous tarde de disposer d'une feuille de route exemplaire en la matière. Nous voudrions également une optimisation de notre politique commerciale, au risque sinon que nos efforts budgétaires et environnementaux profitent in fine à nos concurrents. Quelle assurance avons-nous à cet égard ?

Quid, enfin, de l'autre grand sujet de ce Conseil européen, l'issue de la négociation sur la relation future avec le Royaume-Uni ? Nous sommes perplexes. Cette négociation patine visiblement, au point que notre négociateur, Michel Barnier, avoue sa lassitude. Chacun campe sur ses positions. Notre partenaire britannique ne veut pas jouer les prolongations et entend restaurer sa compétitivité en s'écartant des normes européennes. Le Parlement vient d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures qui seraient nécessaires faute d'accord en fin d'année. Je me réjouis que la commission mixte paritaire (CMP) soit convenue d'une durée convenable pour cette habilitation, ce qui donne au Gouvernement une certaine latitude. Il était pourtant prévu de conclure d'ici la fin de ce mois, au moins sur le volet pêche. Avez-vous des informations ? À quoi doivent s'attendre nos pêcheurs européens, et français en particulier ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Nous entendrons aujourd'hui MM. Bruno Lemaire et Olivier Dussopt, pour la présentation du troisième projet de loi de finances rectificative, qui a été présenté hier en conseil des ministres. Mes questions sont très directement liées à l'articulation entre la politique française, avec ses mesures de relance, et la politique européenne. L'ordre du jour du Conseil européen est consacré à la réponse économique à la crise sanitaire, se focalisant notamment sur les orientations du prochain CFP et sur la mise en place d'un fonds de relance.

La PPRE qui a été adoptée mardi par la commission des affaires européennes, à l'initiative de MM. Jean Bizet et Simon Sutour, sera examinée mardi prochain, sur le rapport de Jean-François Rapin, en commission des finances. Le 27 mai dernier, la Commission européenne a présenté ses orientations sur le nouveau CFP ainsi que sur le plan de relance. L'élément central de ce plan est la facilité pour la reprise et la résilience, avec 250 milliards d'euros de prêts et 310 milliards d'euros de subventions. Ces montants viennent compléter les premières mesures prises avec le MES, la mobilisation de la BEI et le mécanisme de refinancement de l'assurance chômage.

Quel regard portez-vous sur ces chiffres ? Il s'agit de dizaines de milliards d'euros. Nous avons entendu hier M. Pierre Moscovici qui, au nom du Haut conseil des finances publiques, a exprimé un avis quelque peu mitigé, soulignant que, si certains éléments laissent penser que la reprise pourrait intervenir plus tôt, il y a aussi des facteurs de risque. Comme dans Le Soulier de satin de Paul Claudel, le pire n'est pas toujours sûr, mais les statistiques de croissance annoncées hier sont, pour certaines, bien pires que les - 11 % annoncés par le Gouvernement : l'OCDE parle d'une récession de 14 % du PIB. Si les besoins, notamment de l'Europe du Sud, étaient plus importants, cette réponse sera-t-elle suffisante ? Est-elle de nature à jouer un rôle macro-économique significatif ? Je pense en particulier aux secteurs qui sont quasiment à l'arrêt, comme l'aérien ou le tourisme, mais aussi d'autres dont on parle moins, comme celui des armateurs de bateaux entre la France et l'Angleterre, qui n'ont quasiment plus aucun trafic. Si le dispositif de chômage partiel ne perdure pas, ces entreprises ne pourront pas survivre.

En permettant de lever de l'argent sur les marchés financiers, ce plan de relance présente un double intérêt. Il réduira le coût de financement pour les États qui empruntent au plus cher, ce qui limitera la fragmentation au sein de la zone euro. Et il évite une pression accrue sur les États, puisque les remboursements n'interviendraient qu'à compter de 2028. Pour la France, qui emprunte à des conditions financières encore intéressantes, avec un coût d'endettement faible, l'intérêt est plus limité que pour un pays d'Europe du Sud.

On parle de remboursement à partir de 2028, mais ce point reste à clarifier. Le calendrier dépendra sans doute des décisions prises sur les ressources propres de l'UE. En tous cas, la contribution de la France au budget de l'UE devrait augmenter d'environ 6 milliards d'euros. Avez-vous des précisions sur les modalités de remboursement de cet emprunt ? Aucune banque ne proposerait à ses clients de ne leur communiquer qu'ultérieurement les modalités exactes de remboursement. Quelle sera la part de remboursement qui devra être assumée par la France à partir de 2028, et selon quel échéancier ?

Enfin, quelle sera l'articulation de ce plan européen avec le plan français traduit en partie dans le troisième PLFR que nous allons examiner prochainement et qui comporte un certain nombre de mesures de résilience ou de relance même si, pour des mesures de relance globale, il faudra plutôt attendre le projet de loi de finances à l'automne, ce qui nous semble trop tard. Dès aujourd'hui, beaucoup de secteurs devraient être encouragés, soit par l'investissement, soit par la consommation. Pour vous, quels sont les secteurs qui devraient bénéficier en priorité de ces crédits européens ? Est-ce la recherche ? Les Allemands ont fait des annonces sur l'hydrogène, ou sur la modernisation de leur industrie. Comment assurer une synergie ou une articulation avec le plan de relance français ?

M. Ladislas Poniatowski, représentant le président de la commission des affaires étrangères. - Au risque de sortir de sujets relevant strictement de la commission des affaires étrangères, je souhaite évoquer trois points.

Sur le fonds européen de la défense, nous sommes très inquiets. Et je remarque, sous forme de boutade, qu'à chaque fois que vous venez nous voir, le montant de fonds diminue ! De 17 milliards d'euros, on est passé à 10 milliards d'euros, et désormais à 8 milliards d'euros. Le président Bizet a parlé de variable d'ajustement, il n'a pas tort. Jusqu'où ira cette diminution ? Elle constitue une erreur, pour les pays qui ont des industries d'armement - et c'est le cas de la France, qui compte des centaines de milliers de salariés dans ce domaine. Bien sûr, vous ne savez pas ce qui va sortir du prochain Conseil européen. Au moins, la France dira-t-elle clairement que cette baisse doit être endiguée ?

Second sujet d'inquiétude, la réouverture des frontières. Elle devrait être coordonnée au niveau européen, et elle ne l'est pas. Chaque soir, le journal télévisé nous montre que les pays les plus concernés par le tourisme, comme la Grèce, l'Italie ou le Portugal, sont déjà en train de préparer leurs plages et rouvrent leurs frontières, alors que d'autres pays continuent à vivre avec des frontières fermées. Cette question est liée à celle des transports aériens, qu'il faudra aussi débloquer. Pensez-vous que pourra sortir de ce Conseil européen une politique de coopération, pour que les États membres fassent la même chose au même moment ? Après tout, le tourisme est très important pour nous aussi, d'autant que nous savons très bien que nous n'aurons pas les touristes des continents américains ou asiatiques : nous avons donc besoin que l'activité touristique européenne redémarre. Quelle sera la position que la France défendra ?

Enfin, au risque de m'écarter du domaine de la commission des affaires étrangères, nous avons des inquiétudes sur le plan de relance. La réunion des ministres des finances a montré les désaccords entre les 27. Or, cette réunion était faite pour préparer le Conseil européen de la semaine prochaine. Elle a manifesté les positions des uns et des autres et, sur quatre points, on voit se dessiner désaccords et divisions.

D'abord, sur le calendrier. L'objectif annoncé est d'aller vite mais, quand on voit la vitesse à laquelle avance la préparation du CFP, depuis des mois, ce n'est pas rassurant. L'objectif de finaliser le plan de relance de 750 milliards d'euros avant la fin du mois d'août, pour que les différents programmes de chacun des pays soient engagés dès 2021, pourra-t-il être atteint ? Cela semble une mission impossible.

Il y a ensuite les réticences des pays dits frugaux que sont l'Autriche, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Finlande. Celles-ci portent d'abord sur le montant. Pourtant, sur les 750 milliards d'euros, seuls 500 milliards d'euros prendraient la forme de subventions. Ces pays trouvent que c'est encore trop, et souhaiteraient que l'aide revête davantage la forme de prêts. Quelle sera la position de la France vis-à-vis de ces réticences ?

Notre troisième inquiétude porte sur les critères de répartition de ces 750 milliards d'euros. Trois ont été annoncés : la taille des États, le PIB par habitant et le taux de chômage. Ils seraient pris en compte en fonction des chiffres d'avant la crise, ce qui est très surprenant ! Les enveloppes allouées à chaque pays correspondront donc à son PIB et à son taux de chômage d'avant la crise, alors que nous parlons d'un plan de relance pour redresser l'économie après la crise. Cela donne des résultats stupéfiants : dans ce qui est proposé, un pays comme la Grèce, qui a été très peu frappé par la crise, serait très bien servi ; un pays comme la Pologne, qui a traversé une crise sanitaire et économique plutôt limitée, sera parmi les plus gros bénéficiaires ; et la Belgique, dont les chiffres, en termes de nombre de morts et de personnes frappées par la crise sanitaire, sont terribles, serait très peu aidée. Et, si l'on additionne l'Italie, l'Espagne et la France, on obtient la moitié de l'aide proposée par l'UE ! C'est de la provocation ! On comprend que les pays frugaux protestent, et que ces critères suscitent des désaccords... Qu'en dites-vous ?

Dernière inquiétude : Bruxelles va porter un jugement sur les plans de relance de chacun des pays. La Commission jugera en fonction de critères dont certains sont sans doute objectifs, comme la transition verte ou la numérisation. Mais le plus important sera d'effectuer des réformes susceptibles d'accélérer la reprise, ce qui est un critère très subjectif. J'ajoute, enfin, que les désaccords portent aussi sur les modalités de remboursement des emprunts consentis. Tout le monde semble d'accord avec l'idée d'un emprunt de trente ans qui débuterait en 2028. C'est sur son financement que surgissent les désaccords. La Commission propose de le financer grâce à des taxes sur le numérique, les émissions de CO2, les multinationales et les actions polluantes. Or les 27 sont très divisés sur la répartition de ces taxes. Quelle position la France défendra-t-elle sur la manière de rembourser cet emprunt géant ?

Sur le Brexit, nous ne sommes pas rassurés par la conférence de presse qu'a tenue Michel Barnier à la suite de la dernière rencontre. Il y a un blocage sur tous les sujets qui restent à discuter et, sur certains sujets pour lesquels il y avait eu un accord, les Anglais sont en train de remettre les conclusions sur le tapis. Quel est votre point de vue ? À mon avis, c'est très mal parti - et il ne sortira pas grand-chose du prochain Conseil européen. Bref, je ne suis guère optimiste...

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. - Je suis très heureuse de vous retrouver en chair et en os, quoiqu'encore dans un format restreint. L'épidémie est toujours parmi nous, mais nous avons gagné contre elle une première manche. En restant prudents, nous allons progressivement retrouver une vie normale, même s'il ne s'agira pas de la vie d'avant. En tous cas, la prochaine réunion des chefs d'État ou de gouvernement se tiendra, vendredi prochain, toujours par visioconférence, ce qui est un signe des temps exceptionnels que nous vivons. C'est la cinquième fois depuis le début de la crise que les membres du Conseil européen se réunissent sous ce format inédit. La première de ces visioconférences s'était tenue le 10 mars, suite à une demande du Président de la République auprès de Charles Michel, pour qu'il y ait, au plus haut niveau européen, une instance de décision, de coordination et d'impulsion.

La discussion sera effectivement centrée sur les enjeux de la relance économique de l'UE, sur le CFP 2021-2027, avec aussi un état des lieux des négociations sur la relation future avec le Royaume-Uni.

Les chefs d'État ou de gouvernement vont discuter d'un paquet, constitué de deux jambes : le plan de relance présenté le 27 mai dernier, et le budget européen 2021-2027, qu'éclipse actuellement la nouveauté du plan de relance. La proposition de la Commission repose, pour la relance, sur le principe d'un emprunt européen. C'est un vrai changement de paradigme : il y a trois mois, c'était encore un tabou. La crise a chamboulé la donne, et je crois que nous avons tous compris que nous avions besoin d'une réponse européenne massive, que les outils budgétaires dont nous disposions à l'échelle européenne étaient insuffisants, et que les taux d'intérêt étaient suffisamment faibles pour que puissions recourir à l'emprunt dans de bonnes conditions. C'est pourquoi le Président de la République a pris l'initiative, avec huit de nos voisins européens - Belgique, Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Portugal et Slovénie - de plaider dès le 26 mars dernier auprès du président du Conseil européen pour un mécanisme d'endettement commun.

À l'époque, l'accueil avait été assez réservé. Le Président de la République a néanmoins, avec beaucoup de persévérance, cherché à faire avancer cette proposition, notamment par des contacts très réguliers avec la chancelière Merkel. Face à l'interdépendance économique fondamentale créée par ce marché européen, qui a fait notre prospérité, nous avons l'obligation de prévoir une réponse européenne à la hauteur des enjeux. Lors de leur dernière réunion du 23 avril, sur la base des travaux des ministres des finances, les chefs d'État ou de gouvernement ont d'ailleurs reconnu la nécessité et l'urgence de la création d'un fonds de relance, et ont mandaté la Commission européenne pour qu'elle précise les besoins et présente une proposition à la hauteur des enjeux.

Une seconde étape a été franchie le 18 mai, avec l'annonce de l'initiative franco-allemande, historique, qui consistait à associer au volet budgétaire et financier de 500 milliards d'euros la volonté de créer une nouvelle feuille de route pour l'Europe, axée sur la souveraineté et concernant la santé, l'industrie et la transition écologique. L'avenir nous montrera peut-être que cela a été un moment hamiltonien.

En tous cas, cette initiative franco-allemande a déjà contribué à nous faire passer une étape majeure, puisque nous avons fondamentalement modifié les équilibres entre les États membres et déplacé le centre de gravité au Conseil européen. C'est le succès d'une méthode et de l'idée que la France et l'Allemagne peuvent faire ensemble des propositions constructives, expliquer, rassembler. D'ailleurs, ces propositions ont été bien accueillies par la plupart de nos partenaires et ont isolé les États les plus durs, que certains qualifient de frugaux : l'Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark.

En réalité, ces pays ne constituent pas un bloc uni. Je me rends ce soir en Autriche, et serai lundi aux Pays-Bas. Je puis vous assurer que les entreprises et syndicats néerlandais et autrichiens sont d'accord avec ce plan, et que les demandes de la Suède, du Danemark, de l'Autriche ou des Pays-Bas ne sont pas les mêmes. Nous n'avons donc pas devant nous un bloc - et nous récusons, d'ailleurs, la logique de bloc. Il faut simplement bien comprendre ce dont ces pays ont besoin pour travailler avec nous, tout comme pour ceux du groupe de Viegrad. Comme l'a dit Jean-Yves Le Drian avec une pointe d'humour, les frugaux doivent manger un peu, et nous sommes tous conscients des interdépendances commerciales et économiques qui nous unissent.

C'est dans ce contexte de dynamique favorable que la Commission européenne a présenté le 27 mai sa proposition de relance, en lien avec une révision du CFP 2021-2027. La nouveauté, c'est le plan de relance de 750 milliards d'euros financé par l'emprunt, dont M. le rapporteur général a précisé les différents instruments. L'objectif de ce fonds de relance est de renforcer le budget de l'UE jusqu'en 2024 - de le doubler, quasiment, pendant ces années - grâce à un instrument financier permettant de lever des fonds sur les marchés financiers.

Les trois quarts des financements levés, 560 milliards d'euros donc, viendront financer un nouvel instrument de relance et de résilience, à hauteur de 310 milliards d'euros de subvention et de 250 milliards d'euros de prêts, avec une clef de répartition qui peut encore être discutée. Cet argent aura pour vocation de financer des plans de relance nationaux, que chaque pays présentera à la Commission européenne pour vérifier qu'il a bien intégré les priorités de l'UE, notamment en matière climatique et numérique : si nous voulons une relance européenne qui crée de la prospérité et non de la compétition, il faut s'assurer que nous marchons dans des directions compatibles. Le rôle de la Commission ne sera pas de sanctionner mais de s'assurer que ce que les pays proposent contribuera à une dynamique commune positive.

Le deuxième outil, à hauteur de 7 % de l'enveloppe, soit 55 milliards d'euros, est un nouvel instrument, appelé ReactUE, dont les financements sont alloués en fonction de l'impact de la crise, au titre de la politique de cohésion qui constitue un levier de relance fondamental dans les territoires les plus touchés. Très concrètement, pour nous, cela passera par les régions. Nous avons donc besoin que celles-ci se mobilisent pleinement et accroissent leur capacité à accéder à ces fonds européens dès les premières années du CFP : nous ne pouvons pas nous permettre le retard à l'allumage habituel de deux ou trois ans.

Enfin, ce plan vient abonder d'autres programmes déjà existants, comme InvestEU, dont les crédits vont doubler pour atteindre 30 milliards d'euros, avec un volet sur les investissements stratégiques, ou comme le deuxième pilier de la PAC, rehaussé de 15 milliards d'euros, le fonds de transition juste, qui augmenterait de 30 milliards d'euros, ou encore Horizon Europe. Il permet aussi d'accroître notre soutien à l'aide humanitaire, pour renforcer notre action extérieure. Il finance enfin un nouveau programme consacré à la santé, de 10 milliards d'euros.

La Commission a également proposé des ajustements sur certains programmes européens du CFP, notamment au vu des discussions que nous avons eues en février. Le budget de la PAC augmenterait, y compris pour le premier pilier : c'est une avancée que nous saluons - et je sais à quel point le Sénat est vigilant sur ce point. La PAC est une vraie politique de souveraineté, et cette crise sanitaire est venue, s'il en était besoin, démontrer combien il est précieux de pouvoir s'alimenter avec des produits qui ne viennent pas de trop loin. Nous veillerons à ce que ce niveau d'ambition proposé par la Commission ne soit pas revu à la baisse. Vous pouvez compter sur la détermination de Didier Guillaume, sur notre mobilisation, et sur la solide coalition que nous avons construite sur ce sujet, auquel le Président de la République est aussi très attentif.

En amont de cette réunion de vendredi, il faut souligner que, s'il y a eu un accueil très positif de la plupart des États membres, les négociations seront difficiles, vu le nombre de paramètres à intégrer. Nous préparons pour le 16 juin une réunion des ministres des affaires européennes, qui sera l'occasion de partager les premières orientations et de montrer les points de vigilance particuliers de la France. Dans cette discussion, chacun pourra aussi réagir formellement à la proposition.

Parmi les points que nous discuterons, figureront l'architecture et le montant du plan de relance. Certains exercent de fortes pressions pour faire baisser ce montant, rehausser la part des prêts, et assortir de conditions très fermes toute éventualité de transfert budgétaire. Pour autant, nous devons rester cohérents avec les besoins exprimés. Un deuxième enjeu sera la répartition des moyens entre les programmes du budget. Les modalités de la nouvelle facilité de relance et de résilience, ses objectifs, la clé de répartition, sa gouvernance, le rôle du Parlement européen, sont autant de questions qui seront également discutées. Troisième point important : le débat sur les ressources propres et les rabais. Sur ces deux sujets, la Commission maintient à ce stade ses propositions initiales. Elle rappelle la pertinence des ressources propres pour aider au remboursement du plan de relance, et maintient sa proposition d'une sortie progressive du système des rabais, tout en évoquant la possibilité d'un horizon plus lointain pour sa disparition. Nous savons tous qu'il s'agit d'un élément important du compromis que nous aurons à trouver.

Pour la France, le paquet de 500 milliards de subventions budgétaires est un minimum, dont nous avons besoin pour relancer nos économies. Au fond, il y a trois temps. D'abord, protéger les emplois et répondre à l'urgence : c'est ce que nous avons fait jusqu'à maintenant. Puis, renforcer l'économie et organiser la relance, et le plan de relance européen sera là pour que cela soit fait de manière cohérente : notre secteur automobile, par exemple, est européen, avec des fabricants de pièces détachées et des clients largement dispersés. Le troisième temps sera d'investir pour l'avenir, afin que les emplois créés soient durables et pérennes et que ce soient bien ceux que les transitions écologique et numérique nous imposent de créer.

Pour nous, le financement par la dette doit être maintenu, et les modalités de remboursement doivent intégrer des ressources propres, pour alléger la part qui impliquerait une hausse des contributions nationales. Ce que propose la Commission, c'est de payer tous les intérêts jusqu'en 2027, et de ne commencer à rembourser le principal qu'à partir de 2028, sur une période de 30 ans. L'idée est que le remboursement du principal doit être, autant que possible, financé par des ressources propres : contribution plastique, contribution ETS, mécanisme de contribution carbone aux frontières, taxe numérique sur les Gafam, taxe sur les transactions financières...

Concernant la dotation du fonds européen de défense, nous étions descendus à 5 milliards d'euros, nous sommes à présent à 9 milliards d'euros. Vous voyez que ma venue coïncide parfois à des hausses de budget ! La tribune publiée hier par Josep Borrell et Thierry Breton est claire : nous devons affirmer notre souveraineté, notamment sur le plan de la défense. C'est un élément de crédibilité et de puissance, face à la Chine, face aux États-Unis. Nous avons pour objectif que soit consacré à la défense européenne un montant en milliards à deux chiffres : je le dirai mardi à mes homologues. Le budget dédié par l'Union européenne à l'espace doit aussi augmenter, si elle veut être cohérente avec les décisions prises par l'Agence spatiale européenne. Concernant le financement du projet ITER, il nous manque 400 millions d'euros. Entre 2014 et 2020, ce projet a mobilisé 3 milliards d'euros. Pour 2021-2027, la Commission avait proposé initialement 5,4 milliards d'euros. Nous sommes actuellement à 5 milliards d'euros, et nous allons essayer d'obtenir une nouvelle augmentation de ce montant, car c'est une priorité dans le cadre de la transition climatique.

Il faut absolument que le fonds de relance soit disponible au moment nécessaire de la relance ! Nous avons donc une obligation de résultat très forte sur le calendrier. Mme Merkel est très consciente que la présidence allemande de l'UE doit commencer par un accord dès le mois de juillet. Et le Président de la République passe beaucoup de temps à créer les conditions d'un accord en juillet. Cette négociation est d'autant plus complexe que le calendrier est serré : nous allons intensifier nos efforts, et il y a beaucoup d'échanges, à la fois bilatéraux et en groupes, à tous les niveaux. Nous espérons qu'après le tour de table du 19 juin, nous disposerons fin juin d'une version révisée de la proposition, qui sera un support pour l'accord politique. L'Europe avance par étapes : nous échangeons avec l'Autriche et les Pays-Bas notamment, pour que chacun s'y retrouve.

Les négociations sur la relation future avec le Royaume-Uni ont été ralenties par la situation sanitaire. Les divergences sont profondes, et elles demeurent. Nous divergeons notamment sur la méthode de négociation. Les Britanniques souhaitent avancer sur les sujets qui les intéressent en priorité, quand l'UE défend une approche globale, pour obtenir un parallélisme des progrès sur les différentes dimensions de la négociation. Un comité conjoint se réunira le 12 juin entre les équipes de négociation, et une rencontre est prévue entre les représentants des institutions. M. Boris Johnson, si nous comprenons bien les signaux envoyés, devrait annoncer qu'il ne souhaite pas étendre la période de transition, et que celle-ci s'achèverait donc fin décembre 2020. Cela signifie qu'il faut boucler la négociation en quatre mois, ce qui semble difficilement atteignable. Nous devons donc nous préparer à tous les scénarios, et en particulier à celui d'une absence d'accord commercial. Le mois de juin sera crucial, en tous cas.

La politique de concurrence est une priorité française : vous avez en mémoire la lettre envoyée à la Commission européenne par la France, l'Allemagne et la Pologne à ce sujet ; elle figure aussi dans l'initiative franco-allemande. Nous ne l'avons pas mise sous le boisseau. La crise a mis en évidence une forte capacité d'adaptation des mécanismes existants. Cela reste pour nous une priorité : nous menons une bataille pour l'emploi et la souveraineté. Comptez sur notre vigilance et notre engagement, mais des réflexions intéressantes sont également menées au sein de la Commission.

Monsieur le rapporteur général, pouvoir payer les intérêts entre 2021 et 2027 et rembourser le principal avec autant de ressources propres européennes que possible, sur des critères cohérents avec nos ambitions numérique et climatique, est une nécessité. Il y a une forme de solidarité intertemporelle dans cette dynamique. Les investissements stratégiques sont inclus dans le plan de relance, avec notamment les 16 milliards d'euros d'InvestEU et le fonds de protection de nos secteurs stratégiques contre les investisseurs étrangers. D'autres secteurs que la santé sont concernés : les infrastructures critiques, le numérique, les stocks stratégiques...

Il faut élargir la réflexion : le plan Marshall, c'était de l'argent américain donné aux Européens pour qu'ils achètent des biens américains. Il faudrait un plan Schuman : de l'argent européen pour acheter des biens européens. Cela n'implique pas de se claquemurer, mais il est normal que les efforts que nous demandons à nos citoyens appuient une réindustrialisation européenne.

En matière de critères d'allocation, il faut penser en termes d'interdépendance économique. Ne revenons pas à une logique du retour à l'euro près : ce qui compte, c'est que cela fonctionne. Or des régions ont moins de moyens pour rebondir que d'autres. Il faut donc mettre les moyens là où c'est nécessaire. Si le nord de l'Italie ralentit, c'est toute l'industrie automobile européenne qui ralentit avec lui.

Avec les critères initiaux du fonds pour une transition juste, deux départements français auraient été éligibles. Il faut s'écarter des logiques de boutiquier pour partir des besoins économiques.

Pour les frontières intérieures, les choses sont claires : la plupart de ces frontières seront libres de contrôles dès le 15 juin. Là où la situation sanitaire ne le permet pas encore, les contrôles pourront être prolongés jusqu'au 1er juillet au plus tard. La zone de référence est l'espace Schengen élargi, qui comprend le Royaume-Uni.

Pour les frontières extérieures, le régime en place est conservé jusqu'au 1er juillet. Nous allons ensuite établir une liste de pays sur la base de critères sanitaires, pour que le même régime soit appliqué, que l'on atterrisse à Paris, Amsterdam ou Francfort. Nous avons pris des mesures d'urgence pour le transport aérien, en reportant l'application de certaines règles et en prolongeant des aides. Nous cherchons aussi à coordonner les mesures sanitaires au départ. Ce secteur, qui est au coeur de la construction européenne, fait l'objet d'un plan de relance, avec un pacte national de 16 milliards d'euros portant de fortes ambitions en matière de transition écologique.

Concernant le tourisme, je profite de cette audition pour inviter les Européens à venir passer leurs vacances en France à partir du 15 juin.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Sans les restaurants !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Les terrasses seront ouvertes... Ne donnons pas l'impression que les Français peuvent voyager à l'étranger sans que les citoyens européens puissent venir chez nous.

M. Jean Bizet, président. - J'insiste sur l'urgence évoquée par Ladislas Poniatowski, au niveau national et européen. Nous savons que le Conseil européen du 19 juin ne sera probablement pas conclusif. Il y en aura un autre, paraît-il, en juillet. Nous souhaiterions en connaître la date. L'urgence est aussi nationale : le plan de relance a pour objet d'éviter la fragmentation des économies, or nos amis allemands, avec leur puissance de feu, créent déjà des distorsions. L'Allemagne a immédiatement obtenu le maximum de l'assouplissement des règles sur les aides d'État décidé à Bruxelles. En matière de transition énergétique et de déploiement de la 5G, nos voisins vont beaucoup plus vite que nous.

Vous avez rappelé que les régions seraient toujours les autorités de gestion sur les fonds de cohésion et le fonds pour une transition juste. Si la France reçoit 10,4 % des sommes qui seront allouées, soit environ 32 milliards d'euros, ces sommes seront gérées par l'État. Il conviendrait que le Parlement soit plus étroitement associé à cette question.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Le Parlement européen aura lui aussi un rôle important, puisqu'il doit se prononcer sur les modalités d'application des programmes européens.

S'il faut réunir deux ou trois fois le Conseil européen en juillet, nous le ferons : il y a une obligation de résultat. En effet, si nous voulons que toutes les mesures d'urgence soient effectives à la fin 2020 et que le budget européen et la plus grande partie du fonds de relance soient opérationnels dès le 1er janvier 2021, une accélération est indispensable. Ce n'est pas une négociation européenne comme les autres. Bruno Le Maire et moi-même sommes à la pleine disposition du Parlement pour détailler ces enjeux.

M. Olivier Cadic. - Le 10 juin, la présidente de la Commission européenne a cité nommément Pékin comme source de désinformation sur le coronavirus. C'est la première fois : nous avions davantage l'habitude d'entendre parler de la Russie. Allez-vous revenir sur cette question au Conseil européen ? Comme parlementaires, nous avons subi une véritable agression de l'ambassade de Chine, qui a pris des positions très dures à notre encontre. À ma connaissance, ces affirmations figurent toujours sur le site de l'ambassade.

Bientôt quatre ans se seront écoulés après le référendum sur le Brexit. On peut comprendre la lassitude des négociateurs. Mais vous avez déclaré à un quotidien allemand qu'il fallait se préparer à l'échec des pourparlers : qu'est-ce que cela signifie pour les particuliers et les entreprises ?

Dès le référendum, je ne voyais pas comment il serait possible d'éviter le retour d'une frontière en Irlande. À quelques jours de la décision probable de ne pas prolonger les négociations au-delà du 31 décembre, où en est la mise en oeuvre du protocole nord-irlandais ?

Le 6 mai 2020, le sommet virtuel de Zagreb a confirmé sans équivoque la perspective européenne pour les pays des Balkans occidentaux. Or le Président de la République a demandé une réforme du fonctionnement des institutions avant d'envisager l'ouverture à de nouveaux membres, le système actuel de négociation étant jugé trop bureaucratique. Combien de temps prendra cette réforme ? La France a-t-elle fixé un objectif de calendrier ? Nous, parlementaires, nous adressons à de vraies gens. Jean Monnet disait que l'Union européenne ne consiste pas à unir des États mais des hommes. Les Serbes attendent depuis dix ans : quelle est la perspective que nous pouvons leur donner ?

M. Jean-Yves Leconte. - Qu'en est-il de la liberté de circulation pour les étudiants non communautaires, qui pour le moment ne sont pas même en mesure de faire des visas ?

Sur l'assouplissement des aides d'État, j'irai dans le sens de Jean Bizet : notre industrie automobile n'a pas attendu la crise pour être malade, et le décalage entre les aides allemandes et les aides françaises peut nous faire craindre le pire. Cela pourrait marquer un point d'inflexion dans la convergence des politiques industrielles pour une concurrence libre et non faussée au sein de l'UE. Ce processus doit être organisé, avec un objectif de sobriété énergétique et de neutralité carbone.

La crise n'est pas européenne mais mondiale. Nous paierons très cher la lâcheté qui a prévalu au plan international. Il y a eu d'autres souffrances que le Covid au cours des derniers mois. Je songe à la Libye, à nos relations avec la Turquie, au Sahel. Les parlementaires israéliens ont demandé à l'UE de se mobiliser sur le risque que fait peser la coalition récemment installée au pouvoir sur le processus de paix parrainé par l'Europe ! Notre politique étrangère commune est faible, pour ne pas dire inexistante, alors que l'on attend de nous que nous agissions en conformité avec nos valeurs. Si nous nous concentrons sur nos problèmes, nous en aurons d'autres.

Le nouveau processus de négociation d'adhésion à l'UE, qui prévoit des bénéfices progressifs pour les États candidats dès avant l'adhésion, doit être financé par le CFP, mais je ne vois pas apparaître ces financements supplémentaires.

Le plan de la Commission européenne a suscité beaucoup de critiques ; mais après le jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe et l'initiative franco-allemande, on ne peut être qu'impressionné par ses propositions. Vous avez évoqué, madame la ministre, un moment hamiltonien, c'est-à-dire un début d'union monétaire et fiscale. Mais pour cela, une pérennisation des ressources est nécessaire. Un jeune dont le premier emploi sera le chômage qui, à soixante ans, continuera à rembourser la dette créée par le plan de relance de la Commission serait tenté de dire à Mme von der Leyen : « Ok boomer ! ». Or les nouvelles ressources propres envisagées ne laissent pas d'inquiéter : au lieu de ponctionner la compétitivité des entreprises ou la consommation, il faut se poser la question de la taxation du capital au niveau européen.

Il est enfin impératif que vous nous indiquiez les modalités de participation des Parlements nationaux, qui détiennent toujours la souveraineté budgétaire et fiscale, à la Conférence sur l'avenir de l'Europe, décisive pour pérenniser les dispositifs mis en place aujourd'hui.

M. André Gattolin. - L'UE nous surprend, et pour une fois la surprise n'est pas une amertume liée aux occasions manquées et à l'incapacité à dépasser certains dogmes trop rigides, imposés au fil du temps comme des mantras et des psalmodies répétés sans inflexion de voix. Non, l'UE nous surprend positivement en mettant de côté ses tables de la loi si souvent décriées. Il y a encore quatre mois, en pleine torpeur post-Brexit et en plein doute existentiel, pensait-on qu'elle allait suspendre la règle des 3 % de déficit autorisé et les sacro-saintes règles limitant les aides d'État, pour souscrire à un plan de relance post-crise ambitieux de 750 milliards d'euros financé par l'endettement durable de l'institution ? Rappelons que nous ne sommes qu'au début du processus d'adoption du paquet global pluriannuel de 1 850 milliards d'euros proposé en mai par la Commission.

Le Conseil européen du 19 juin ne sera probablement qu'un tour de chauffe dans une négociation longue et ardue, largement impulsée par un couple franco-allemand retrouvé. La présidence allemande envisage deux nouvelles réunions le mois prochain pour envisager un accord, fin juillet, sur une boîte de négociation. À ce stade, un doute plane sur le calendrier de mise en oeuvre : pour être opérationnel en 2021, le plan de relance devra être discuté et approuvé au plus tard en décembre ; le Parlement aura en outre un délai très court pour l'approuver : on parle d'une approbation au mois de septembre. Cela rend le calendrier plus qu'étroit, si l'on considère qu'aucune décision de cette ampleur n'a été ratifiée dans un délai inférieur à 13 mois. Il faudra éviter que 2021 ne soit une année blanche en matière de consommation de dépenses budgétaires.

Outre le calendrier, le blocage pourrait venir des pays dits frugaux. Je connais bien les pays d'Europe du Nord. Le Danemark et la Suède pourraient rapidement se montrer raisonnables, alors que les Pays-Bas devraient rester fermes en raison de leur hostilité au principe de l'emprunt, a fortiori pour financer 500 milliards d'euros de subventions et 250 milliards de prêts. La France est-elle prête à accepter des compromis sur ces montants en contrepartie d'un feu vert des Pays-Bas ?

Des résistances sont également à prévoir sur le remboursement des prêts, dont les modalités restent très floues à ce stade. De même, si des pistes de nouvelles ressources propres sont évoquées, aucune proposition législative concrète n'a encore été formulée. Pouvez-vous confirmer que l'Allemagne insisterait sur des délais de remboursement plus courts que ceux qui sont envisagés, c'est-à-dire de 2028 à 2058 ? Comment rassurer les États qui craignent des répercussions sur les contributions nationales, à commencer par les contributeurs nets ?

Enfin, savez-vous si une date limite pour la suspension du pacte de stabilité et de croissance est prévue ? Pour l'année 2020, c'est évident ; pour l'année 2021, c'est moins clair. La Commission prévoit une reprise de 6,3 % du PIB en 2021, même si personne n'a pu me dire comment ce chiffre avait été calculé. Une reprise qui se confirmerait serait l'occasion de lancer un avertissement sur les déficits publics.

M. Franck Menonville. - Le Conseil européen marquera une étape cruciale dans la construction européenne. C'est en période de crise et au pied du mur que l'Europe avance et se construit. L'UE a régulièrement su relever des défis, qui sont nombreux mais pas insurmontables si nous demeurons unis. La direction de l'UE a donné lieu à des questionnements légitimes. L'Europe nous étonne, disait André Gattolin : le projet présenté le 27 mai prévoit la mobilisation de 750 milliards d'euros pour faire repartir l'économie. Ce plan, s'il est validé, sera le plus important jamais porté par l'Europe : plus de 1 300 milliards d'euros au total. C'est un signe très positif.

Au-delà des chiffres, l'UE pourrait aussi, pour la première fois, emprunter collectivement sur les marchés. Malheureusement, la crise a exacerbé les dissensions sur la question budgétaire. La recherche de compromis doit pourtant prévaloir ; elle passera par une mutualisation limitée et temporaire des dettes. Aucun pays ne sortira seul de la crise. C'est notre capacité politique à compter dans le monde aux côtés des grands ensembles en cours de constitution qui est en jeu.

Nous soutenons par conséquent les ambitions de ce nouveau paquet européen. Une politique numérique efficace et juste est également nécessaire, ainsi qu'une réforme des règles de la concurrence. La politique de cohésion doit être maintenue et la PAC doit être forte, modernisée et financée. Voilà les conditions d'une transition économique verte.

Les dernières annonces sur la PAC sont déconnectées des grands enjeux de souveraineté alimentaire, et à contre-courant des politiques mises en place au sein des grandes puissances mondiales. Ne faisons pas de notre agriculture ce que nous avons fait de notre industrie. Pour protéger nos entreprises stratégiques au niveau européen, la France est très active sur les mécanismes de contrôle et de filtrage des investissements étrangers. Pouvez-vous nous préciser votre vision des secteurs stratégiques ?

Sur le Brexit également, l'unité est primordiale. Je salue l'important travail de Michel Barnier et de ses équipes, dont le flegme a été altéré par les incessants revirements des Britanniques.

M. Jean-François Rapin. - Le plan de relance est une réponse inédite à une situation inédite. Je m'associe aux propos de mes collègues sur les États frugaux. Quelles sont les marges de manoeuvre pour les convaincre d'aller dans le sens de ce plan de relance, qui aura indéniablement un impact fort sur nos finances publiques, même si l'échéance est reportée à 2028 ? Pouvez-vous confirmer le chiffre de 32 milliards d'euros de retour direct à la France ? C'est celui que cite la presse, mais il est difficile d'y voir clair, entre les estimations en euros courants et en euros constants. Cela implique une participation en retour de la France dans le paiement des intérêts. Peut-on l'estimer ?

Le panier de ressources propres sur lequel la Commission compte s'appuyer traîne son lot d'oppositions de principe dans certaines capitales. La Commission évoque un accord possible d'ici à 2024, mais il pourrait ne jamais être trouvé. J'estimais en février que la partie était loin d'être achevée.

Dans l'hypothèse d'un CFP à 1 100 milliards d'euros, sans suppression des rabais ni ressources propres nouvelles, quelle serait la contribution annuelle de la France au budget européen ? On nous annonce une fourchette comprise entre 26 et 29 milliards d'euros. Pouvez-vous me la confirmer ?

Je ne partage pas entièrement l'analyse de Jean-Yves Leconte. La situation exceptionnelle justifie une réponse exceptionnelle, mais mon groupe estime que cette réponse, si elle était pérennisée, ferait basculer le financement de l'UE dans un modèle très différent ; et cela ne pourra être mis en oeuvre qu'après un débat élargi et approfondi sur l'Europe que nous voulons. Nous serons attentifs aux décisions du Conseil européen dans les jours à venir, en espérant que le Parlement sera amené à se prononcer dessus.

Je suis surpris que la distribution des crédits potentiellement accessibles se fasse sur le modèle des fonds de cohésion : c'est en décalage avec ce que l'on peut attendre d'un plan de relance. Enfin, les régions seront forcées de dépenser les crédits à 60 % en autorisations d'engagement dans les deux années à venir, avec des crédits de paiement remboursés à hauteur de 20 % seulement. Cela pourrait engendrer des décalages de trésorerie importants.

Mme Mireille Jouve. - Dans le passé, face aux grandes crises, l'UE était frappée d'attentisme. Cette fois-ci, elle a répondu rapidement pour limiter l'impact économique et social de l'épidémie, avec le plan de relance de 750 milliards d'euros, des rachats massifs de titres, le feu vert donné aux aides d'État et l'assouplissement du pacte de stabilité. Cela va dans le bon sens et c'était nécessaire, alors que le recul du PIB dans la zone euro est estimé à 8,7 % pour 2020. À ces mesures conjoncturelles, les autorités européennes ont coutume d'ajouter l'effet attendu des politiques traditionnelles inscrites dans le CFP. Il semble que la répartition des crédits entre les différentes politiques de l'UE conserve l'équilibre discuté depuis plusieurs mois.

Le cadre financier dévoilé le 27 mai dernier par la Commission repose sur un budget de 1 100 milliards d'euros, fruit d'un compromis. Le groupe RDSE aurait préféré la proposition de mai 2018, qui fixait le budget à 1 279 milliards d'euros. Cela aurait évité quelques décisions qui suscitent des réserves, notamment la baisse des moyens consacrés à la PAC et au développement rural. Je citerai aussi le Fonds européen de défense abondé de 8 milliards, alors que la première proposition était de 13 milliards d'euros. C'est insuffisant au regard des enjeux stratégiques.

Le RDSE souscrit à l'ambition d'une économie plus verte portée par le prochain CFP, tout en se demandant comment les aides d'urgence serviront cet objectif. La création d'un nouveau programme de l'Union européenne pour la santé est intéressante, mais il faut des précisions.

Sans mutualiser les dettes, l'initiative franco-allemande instaure une solidarité plus que souhaitable entre les pays et évitera une spéculation sur la dette des pays les plus fragilisés par la crise sanitaire. Mais quelle sera la gouvernance de cet instrument ? Quelle sera la répartition entre les dons et les prêts ? Comment seront définies les clés de distribution ?

Il conviendra de construire un instrument temporaire de relance en incluant les États membres dits frugaux : nous ne gagnerions rien à une Europe divisée par des écarts de croissance trop importants.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Il y a un consensus croissant sur l'importance de développer nos outils face à la désinformation. C'est d'autant plus important qu'il y a des impacts sur la santé publique. La France soutient pleinement ces efforts : le Président de la République a proposé la création d'une agence européenne de la démocratie pour nous préserver des ingérences extérieures dans les processus politiques ou les périodes de crise. Le Parlement européen est mobilisé sur la circulation de contenus dangereux sur les réseaux sociaux, notamment les contenus terroristes. Dans une époque de réseaux sociaux parfois envahissants, veillons à ne pas mettre en danger la vie des citoyens.

L'ambassadeur chinois a été convoqué plusieurs fois par Jean-Yves Le Drian pour des clarifications. Nous sommes très vigilants sur ce sujet.

Que signifie se préparer à l'échec des pourparlers avec les Britanniques ? Il y a deux semaines, je vous demandais une habilitation pour traiter tous les sujets non couverts par l'accord de retrait entre l'UE et le Royaume-Uni, qui serait le seul accord liant les deux entités en cas d'absence d'accord commercial. Nous avons évoqué ensemble la circulation des personnes et des marchandises, les droits des citoyens, la protection des assurés et des épargnants. Un accord commercial sans tarif ni quotas, qui est l'objectif des Britanniques, ce n'est pas une situation sans contrôles. La nature et l'intensité des contrôles dépendent de l'accord commercial. Mais il faut faire comprendre aux entreprises que, même en cas d'accord, la situation sera différente, notamment les procédures de contrôle aux frontières - car la sortie de marchandises du marché intérieur implique le rétablissement de contrôles.

Michel Barnier l'a répété, et la France le soutient pleinement sur ce point : sur le protocole nord-irlandais, nous ne pouvons pas imaginer de nouveaux accords si les précédents ne sont pas pleinement appliqués. La Commission européenne devra être en mesure d'observer sur le terrain que les engagements pris sont tenus.

Même vigilance sur les droits des citoyens européens au Royaume-Uni, et bien sûr sur ceux des expatriés britanniques dans l'UE. Les engagements pris relèvent du droit international. La confiance se gagne avec des actes concrets.

La date de l'élargissement dépend des pays engagés dans le processus. Dans la nouvelle méthodologie des négociations d'adhésion, un pays qui engage les réformes rapidement a plus vite accès aux bénéfices des politiques européennes. Avec 13 milliards d'euros consacrés à l'instrument de préadhésion dans le budget européen, nous avons des moyens importants. D'autres outils budgétaires peuvent être mobilisés en faveur de ces pays : nous l'avons fait au cours de la crise sanitaire. La date de l'élargissement dépend donc du rythme des réformes sur le terrain et de l'engagement concret des pays concernés. La convergence se place sur les terrains économique, juridique, universitaire... C'est un match qui se joue à deux.

Monsieur Leconte, nous avons besoin d'un plan de relance européen pour éviter la fragmentation du marché intérieur. Les États ont un taux de chômage, un endettement, un PIB très hétérogènes. L'assouplissement des aides d'État risque d'aggraver cette fragmentation.

La Turquie, la Libye, le Sahel, la situation en Israël ont-ils été oubliés ? Nous avons toutes les semaines, en conseil des ministres, des échanges sur ce qui se passe en dehors de nos frontières. Nous avons également travaillé au sein du Conseil de sécurité de l'ONU sur ces différentes crises auxquelles se surajoute la crise sanitaire. Sur la Libye, le groupe dit 5+5 a fait une déclaration très forte voici quelques jours en faveur de la reprise des efforts diplomatiques, notamment sur la question des eaux territoriales. Jean-Yves Le Drian a récemment échangé avec les Égyptiens sur le sujet. En Israël, nous suivons avec beaucoup d'inquiétude un processus d'annexion qui serait une violation très grave du droit international. Nous sommes très clairs sur ce point.

La diplomatie française est totalement mobilisée sur ces crises, même si cette mobilisation n'est pas visible du grand public. J'ajoute qu'au-delà du multilatéralisme, nous employons aussi la fermeté, comme l'a montré la récente neutralisation du leader d'Al-Qaida au Maghreb islamique.

Monsieur Gattolin, il reste beaucoup de paramétrages à effectuer dans l'accord mais nous avons des lignes rouges : les subventions, des investissements massifs, un budget qui doit être à la hauteur du plan de relance. Comme vous l'avez dit, le combat pour les ressources propres est fondamental si nous voulons éviter un financement de ce plan par le rehaussement des contributions nationales.

Bruno Le Maire a déjà annoncé plusieurs fois que nous demanderions la suspension du pacte de stabilité en 2021. Nous l'avons vu en 2009 : un rétablissement trop précoce vient à contretemps. Par cohérence, si nous voulons une relance cohérente et européenne, il faut que ce qui a prévalu en 2020 prévale aussi en 2021.

Pour convaincre les États frugaux, il faut quitter le plan dogmatique, théorique et moral. C'est ce que je m'apprête à faire ce soir en Autriche et lundi aux Pays-Bas. Leurs syndicats et entreprises sont favorables à ce plan de relance, pour des raisons pragmatiques : ils ont des clients et des fournisseurs dans les autres pays. L'Autriche ne va pas bien si l'Italie ne va pas bien. Dans les conditions actuelles, un système de prêts reviendrait à demander aux pays endettés de trouver par eux-mêmes les moyens d'une relance qui ne peut fonctionner à l'échelle nationale. Notre marché intérieur, c'est un espace économique de 400 millions d'habitants. Soit nous prenons conscience de cette réalité pour en faire une force, soit l'interdépendance devient une fragilité.

L'évaluation de ce que représentera la contribution de la France entre 2021 et 2027 est très complexe, avec de très nombreux paramètres : inflation, flexibilités internes au budget européen, réponses administratives, ressource TVA, frais de collecte de douane, année de mise en oeuvre du mécanisme d'inclusion carbone, etc. Nous avons établi des scénarios en fonction de chaque paramètre. Cependant, je tiens à dire que la logique du juste retour et de la comptabilité à l'euro près n'est pas conforme à ce qu'est l'Europe. Je tiens à vous rassurer sur la PAC. Nous avons beaucoup travaillé à la défendre, avec votre soutien et votre engagement constants. Moi-même et l'ensemble du Gouvernement y sommes très attachés : c'est un pilier de notre souveraineté et de notre crédibilité. Aucun pays au monde ne peut imaginer être une puissance s'il importe sa nourriture.

Je tiens également à souligner que l'enveloppe totale de la PAC est en augmentation de 4 % en euros courants par rapport à 2014 : + 3 % sur les paiements directs, et + 6 % sur le Feader. Pour la France, l'augmentation est de 5 %. L'enjeu est de maintenir ce niveau, avec une vigilance particulière sur le premier pilier. Plus largement, une réflexion est nécessaire sur l'efficacité de ces aides, pour que les agriculteurs les perçoivent comme un soutien à l'investissement et à la transition. C'est pourquoi une réforme des instruments de la PAC est en cours de préparation.

M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie. Vous savez combien le Sénat est attentif à l'évolution de la PAC, et sur ce sujet nous n'avons pas la même calculatrice... Nous sommes particulièrement préoccupés par les fuites organisées à dessein par les autorités européennes sur le Green Deal, notamment en matière d'utilisation de produits phytosanitaires. Il est évident que nous devons nous engager davantage dans le verdissement, mais il convient aussi que les 27 États membres se mettent d'accord sur la définition du verdissement, et que l'on tienne compte des progrès déjà réalisés par la France en la matière. Les compteurs doivent être remis à zéro, parce qu'au fil du temps ont émergé des distorsions de concurrence aujourd'hui inacceptables.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - C'est exactement la position qu'a portée Didier Guillaume la semaine dernière au Conseil agriculture et pêche. Je tiens au mot « commune » dans « politique agricole commune ». Elle doit être un champ de cohérence et non de distorsion. Les ambitions du verdissement doivent être évaluées à l'échelle européenne, en prenant en compte le point de départ de chacun pour ne pas imposer d'efforts supplémentaires à ceux qui ont déjà beaucoup fait. Il convient également de privilégier certaines modalités de production et appliquer cette préférence aux biens que nous importons. La position française me semble cohérente avec vos exigences. La transition ne doit pas être synonyme de distorsion et de concurrence intérieure.

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes en phase, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 55.