Mercredi 4 mars 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Proposition de loi relative aux Français établis hors de France - Examen du rapport pour avis

M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons le rapport pour avis de M. Jérôme Bascher sur la proposition de loi relative aux Français établis hors de France, déposée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues. Les articles 23 à 30 nous ont été délégués au fond par la commission des lois. Je salue la présence de Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois et cosignataire de la proposition de loi.

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - Cette proposition de loi ne porte pas principalement sur la fiscalité, qui ne fait l'objet que de huit articles. Je vous exposerai le « demi-maquis » que constitue le code fiscal pour les Français de l'étranger, ou plutôt pour les contribuables non-résidents.

En effet, nous ne disposons pas de bases fiables nous indiquant qui sont les Français de l'étranger. Nous savons fiscalement qui sont les contribuables non-résidents payant des impôts en France, mais sans distinction de nationalité. C'est la même chose pour les résidents. Ce n'est donc pas étonnant, monsieur Bocquet, que l'on ne connaisse pas le nombre de contribuables exilés pour des raisons fiscales... De qui parle-t-on alors ?

En 2018, il y avait 223 674 foyers fiscaux non-résidents, imposés à hauteur de 1,3 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). L'absence de données alimente l'image d'Épinal selon laquelle les Français de l'étranger seraient majoritairement des grosses fortunes exilées en Belgique... Mais cela va du serveur au broker à Londres ! Ces Français n'ont pas le même patrimoine, pas le même revenu, pas la même imposition !

C'est un demi-maquis, car la fiscalité appliquée aux non-résidents est extrêmement complexe pour les particuliers. La direction des impôts des non-résidents (DINR), direction de Bercy, est obligée de répondre presque individuellement à chaque contribuable... Lorsque l'impôt est aussi inintelligible, est-il conforme à la Constitution ?

Les non-résidents ont beaucoup de mal à trouver des interlocuteurs. La DINR, composée de 385 personnes, recrute environ 20 personnes supplémentaires chaque année pour faire face à cette complexité. Il est intéressant de voir que Bercy élabore des règles fiscales complexes pour embaucher du personnel afin de les expliquer...

Un même foyer fiscal peut en outre avoir des revenus de source française et des revenus de source étrangère, par exemple un contribuable peut avoir un conjoint gagnant un salaire dans le pays de résidence. La France s'enorgueillit d'avoir le plus de conventions fiscales au monde. Mais comment comprendre ce que l'on doit payer ici ou là ? Selon la directrice de la DINR, tout nouvel agent des impôts recruté à la DINR met entre six mois et un an pour comprendre ce système. Comment nos concitoyens peuvent-ils alors s'y retrouver ?

Chaque entreprise envoyant nos compatriotes à l'étranger devrait leur fournir la convention fiscale avec une note d'explication - même si, certes, cela ne relève pas de la loi. Les grands groupes ont souvent des avocats spécialisés, mais cette mesure serait aussi très utile dans les PME. La déclaration 2042-C pour la retenue à la source des Français de l'étranger est un document de huit pages, incompréhensible. C'est soi-disant comme pour les résidents, mais tout est différent selon la situation du conjoint, l'origine des revenus... On se croirait dans l'émission Jeux sans frontières, avec Guy Lux qui explique et Gennaro Olivieri qui arbitre... C'est un peu comme cela la fiscalité des Français de l'étranger : on n'y comprend rien, et la DINR doit tout expliquer.

J'en viens à l'examen des articles 23 à 30. Je vous propose des amendements, en liaison avec les auteurs de la proposition de loi, pour sécuriser les dispositifs proposés. Certains articles étaient en effet des articles d'appel, pour montrer à quel point les Français de l'étranger sont maltraités - et le sont encore - par notre code fiscal.

J'ai souhaité examiner les dispositions fiscales proposées avec trois exigences : premièrement, prendre la mesure de la situation particulière des non-résidents, soumis à une obligation fiscale limitée sur leurs revenus de source française et contribuant à l'impôt national sans bénéficier des contreparties - ; deuxièmement, sécuriser juridiquement l'extension de certains dispositifs fiscaux aux non-résidents ; et, troisièmement, garantir une égalité de traitement en particulier entre résidents et non-résidents.

Le sujet majeur de la proposition de loi, ce sont les articles 29 et 30 qui portent sur l'impôt sur le revenu. La réforme adoptée en loi de finances - contre l'avis du Sénat - porte fortement préjudice aux citoyens non-résidents. Lors de l'examen des projets de loi de finances (PLF) pour 2019 et 2020, notre commission avait considéré que la réforme de l'impôt sur le revenu des non-résidents était, pour une large part, injuste, avec des conséquences mal anticipées. J'en veux pour preuve que la réforme a été reportée d'un an !

L'article 29 abroge la réforme de la retenue à la source spécifique sur les traitements, salaires, pensions et rentes viagères à titre gratuit des non-résidents. En 2020 s'applique l'ancien système. En 2021 s'appliquera le nouveau système approuvé par l'Assemblée nationale, sur proposition du Gouvernement. Pour un même revenu, un retraité percevant une pension de 50 000 euros et des revenus fonciers de 10 000 euros aurait payé, en 2020, un impôt de 5 643 euros. Ce sera 14 104 euros en 2021. Ce triplement d'impôt n'est pas anodin, c'est à la limite de la spoliation - d'où la décision du Gouvernement de proposer un moratoire...

L'article 30 abroge l'instauration d'un taux minimum de retenue à la source de 30 % sur les revenus annuels supérieurs à la limite supérieure de la seconde tranche du barème de l'impôt sur le revenu. Passer de 20 à 30 % d'imposition double le montant de l'impôt... Nous avions retenu, lors de l'examen du PLF, le retour au taux de 20 %, qui est proposé à nouveau dans cette proposition de loi. Je soutiens pleinement cette disposition, même si elle rapporte moins : la hausse du taux à 30 % ne répondait qu'à un objectif budgétaire, pour compenser l'exonération de cotisation sociale généralisée (CSG) et de contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) pour les non-résidents domiciliés dans un État membre de l'Union européenne. Ce taux minimum s'applique à tous les non-résidents, même à ceux qui résident hors de l'Union européenne : ce n'est pas juste.

Cette proposition de loi soulève quelques difficultés, notamment constitutionnelles. J'ai donc proposé des améliorations, en liaison, là encore, avec ses auteurs.

L'article 23 exonère d'imposition les plus-values de cession des biens ayant constitué la résidence principale des non-résidents jusqu'à leur départ. Tel qu'il était proposé, le dispositif risquait de s'appliquer à tous les non-résidents et potentiellement à ceux ayant plusieurs résidences. Ce n'est pas l'esprit du texte, qui conteste le paiement d'une plus-value sur la résidence principale lorsqu'une personne est mutée à l'étranger - ce qui n'est pas le cas lorsqu'un résident est muté en France ; c'était alors une injustice. Mais le texte avait du mal à faire la différence entre la résidence principale et d'éventuelles résidences secondaires. Je vous propose donc d'étendre à 24 mois calendaires le délai pendant lequel les anciens résidents peuvent bénéficier de l'exonération sur les plus-values issues de la cession de leur ancienne résidence principale, contre un délai compris aujourd'hui entre un an et deux ans.

L'article 25 étend aux non-résidents le crédit d'impôt relatif aux intérêts d'emprunt supportés pour l'acquisition ou la construction d'une habitation principale. Cette mesure, instaurée par Nicolas Sarkozy en 2007, a été abrogée en 2011. Elle n'avait pas été ouverte aux contribuables non-résidents. Il y avait là une injustice. Toutefois, cette mesure n'ayant plus aujourd'hui d'effets pour les résidents, je propose de supprimer cet article, par souci d'égalité.

L'article 27 étend aux non-résidents, pour l'établissement de l'IFI, le bénéfice de l'abattement de 30 % sur la résidence principale. Or cette disposition pose une difficulté constitutionnelle et serait difficilement applicable. J'ai donc proposé de reprendre l'amendement de M. de Montgolfier, adopté par le Sénat dans le cadre du PLF pour 2020, visant à instaurer une règle de minimis pour exclure de l'assiette de l'IFI les participations des non-résidents inférieures à 1 % des droits de vote et du capital de la société.

L'article 28 étend aux non-résidents le bénéfice de l'exonération de taxe d'habitation au titre de leur ancienne résidence principale ou du logement qu'ils s'engagent à occuper comme résidence principale pendant trois ans à leur retour. Cet article comporte, lui aussi, un risque d'inconstitutionnalité au regard du principe d'égalité devant l'impôt. C'est pour cette raison que je propose plutôt d'étendre aux non-résidents ayant été obligés de quitter la France pour des raisons professionnelles le dégrèvement de la majoration de la taxe d'habitation applicable à certaines résidences secondaires. C'est le cas pour les Français mutés hors de l'Hexagone, par exemple en outre-mer. Cette règle s'appliquerait aux résidents obligés de s'expatrier. Sinon, leur résidence devenant une résidence secondaire, ils subissent une majoration de leur taxe d'habitation sur les résidences secondaires dans certaines villes.

Je partage totalement un autre constat des auteurs de la proposition de loi : actuellement, un contribuable non résident n'est pas éligible à l'article 200 du code général des impôts (CGI), à savoir les réductions d'impôts pour dons aux oeuvres. Aux États-Unis, c'est tout le principe de la charity : donner pour être moins prélevé. Actuellement, un expatrié qui paie des impôts en France, n'a pas de réduction d'impôts pour les dons qu'il ferait à la Croix-Rouge française.

L'article 24 étend ainsi aux non-résidents la réduction d'impôt pour dons et versements aux oeuvres listées à l'article 200 du CGI. J'y suis totalement favorable à condition que ces dons ne soient pas de nature à permettre aux non-résidents d'obtenir un avantage fiscal dans leur pays de résidence. C'est un choix logique.

L'article 26 étend aux non-résidents le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui certes va prochainement se transformer en prime. Il est extraordinaire que les non-résidents n'en bénéficient pas, alors que les travaux fournissent le même avantage pour la planète ! Toutefois, j'ai souhaité limiter le bénéfice de ce crédit d'impôt à la dernière résidence principale occupée par le contribuable non résident, afin de ne pas créer d'inégalités entre résidents et non-résidents ; et je propose également de supprimer l'ouverture du CITE aux dépenses engagées pour le logement que les non-résidents s'engagent à occuper pendant trois ans à leur retour. La constatation de cette occupation serait difficilement applicable.

Je ne suis certes pas un spécialiste de la fiscalité des Français de l'étranger, qui touche tous les impôts. Elle n'en demeure pas moins extrêmement complexe.

Enfin, en application du vade-mecum portant sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, notre commission pourrait proposer à la commission des lois de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi les dispositions fiscales relatives à l'imposition sur le revenu des non-résidents ainsi que l'application, pour ce qui concerne ces derniers, de la taxe d'habitation et de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois. - Ce texte est très important pour les 2,5 millions d'expatriés. Il s'inspire directement des remontées de terrain que nous recevons en tant que parlementaires. Son objectif est clair : apporter des solutions concrètes aux difficultés rencontrées par les Français de l'étranger.

Je souhaite remercier Jérôme Bascher pour son écoute et son travail sur ce sujet d'une grande complexité. Il a recherché des solutions de compromis pour chaque article, après avoir auditionné les associations représentant les Français de l'étranger.

La commission des finances est très attentive à la situation de nos compatriotes expatriés, comme le démontre son rapport d'information sur l'enseignement français à l'étranger. Nous pourrons d'ailleurs évoquer ce sujet dans des travaux ultérieurs, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) demandant de nouvelles capacités d'investissement pour pouvoir doubler le nombre d'élèves accueillis d'ici à 2030.

Les questions fiscales constituent un enjeu majeur pour la communauté française à l'étranger, avec trois principaux sujets de préoccupation.

En premier lieu, nos compatriotes s'inquiètent particulièrement des réformes de l'impôt sur le revenu, avec la création d'une nouvelle tranche d'imposition à 30 % et la suppression, à compter du 1er janvier 2021, du caractère libératoire de la retenue à la source. Je remercie votre commission d'avoir déjà alerté le Gouvernement sur ce sujet, notamment lors du dernier projet de loi de finances.

En deuxième lieu, les Français de l'étranger ne bénéficient d'aucune réduction d'impôt lorsqu'ils font un don aux associations. Cela représente une difficulté pour les dons individuels, mais également pour les événements caritatifs, comme l'organisation d'un téléthon au sein des communautés françaises.

En dernier lieu, nous devons trouver des solutions concernant l'imposition de la dernière résidence, en France, des expatriés.

Au moment de leur départ, seuls 15 % des expatriés envisagent de rester plus de vingt ans dans leur pays d'accueil. Nous devons donc les encourager à garder un bien en France, notamment pour maintenir leurs liens avec la communauté nationale.

En l'état du droit, leur domicile est assimilé à une résidence secondaire. Les Français de l'étranger doivent donc s'acquitter de la « surtaxe » de 20 % mise en place par certaines communes et ne seront pas concernés par la suppression progressive de la taxe d'habitation.

Ces difficultés concernent également le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), auquel les expatriés ne peuvent pas prétendre.

Je renouvelle mes remerciements pour le travail constructif de votre rapporteur, qui permettra de mener à bien l'examen de ce texte jusqu'à la séance publique du 31 mars.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Dans ce long texte de 31 articles, la commission des finances s'est saisie des articles fiscaux. Cette proposition de loi est bienvenue : le régime issu de l'article 13 de la loi de finances pour 2019 pénalise les Français de l'étranger. Ce ne sont pas nécessairement de riches expatriés, ce sont aussi de modestes retraités qui vont voir leur taux d'imposition fortement augmenter... Je soutiens en particulier les articles 29 et 30 de la proposition de loi, ce dernier reprenant d'ailleurs ce que nous avions proposé lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2019 et pour 2020, en supprimant l'augmentation du taux minimum d'imposition.

La réforme de la fiscalité des Français de l'étranger a été mal préparée. Ce n'est pas une simplification, mais une catastrophe pour ces contribuables. Cette proposition de loi rétablit de l'équité entre contribuables. Parmi les Français de l'étranger, il y a un éventail considérable de situations. C'est pourquoi je vous invite à soutenir les articles de la proposition de loi et les propositions du rapporteur.

Mme Nathalie Goulet. - Simplifier le régime des Français de l'étranger est bienvenu. Ces derniers sont-ils obligés de s'inscrire dans les consulats ? Je soutiens un dispositif qui nous apporterait plus de précisions sur nos compatriotes, notamment pour ce qui concerne le titre IV de la proposition de loi, relatif aux prestations sociales.

M. Philippe Dallier. - Sur les plus-values concernant la cession de la résidence principale, nous avons trouvé un compromis en généralisant à deux ans le délai pendant lequel une opération est possible. Qu'est-ce qui empêche, pour la dernière résidence principale avant le départ à l'étranger, qu'il y ait une exonération totale des plus-values au moment de la vente ? L'expatrié ne sait pas toujours quand il va vendre.

M. Rémi Féraud. - La fiscalité des Français de l'étranger est un sujet complexe : preuve en est le report d'un an de la réforme, qui aurait des implications très lourdes, même si, sur le principe, le passage à une imposition progressive ne me choque pas du tout.

Sur le logement, les articles de la proposition de loi posent deux problèmes : il y a un problème d'égalité, car les expatriés et les personnes changeant de région en France peuvent être dans des situations assez différentes. Ensuite, nous ne pouvons pas voter des dispositions aggravant la crise du logement dans les grandes agglomérations, en maintenant des logements vides durant l'expatriation ; ce n'est pas raisonnable. Cela pose aussi un problème d'égalité de considérer comme une résidence principale ce qui n'en est pas une... C'est peut-être même anticonstitutionnel.

Enfin, quel est le coût, pour les finances publiques, de cette proposition de loi, article par article ? Je suis surpris que vous n'en parliez pas.

M. Marc Laménie. - Le nombre de compatriotes à l'étranger est difficile à mesurer. Le système actuel de réductions d'impôts pour les dons aux oeuvres est inéquitable, puisque seuls les résidents sont concernés. Pourriez-vous donner davantage d'explications sur l'article 24 ? Peut-on mesurer le coût de cette dépense fiscale supplémentaire ?

M. Vincent Delahaye. - J'aimerais également avoir un chiffrage de la proposition de loi. Qu'est-ce qui justifie le fait d'avoir un dispositif particulier pour les non-résidents ? On peut le concevoir pour la résidence principale, mais pour le reste, le régime est très compliqué et nécessite une direction spécifique avec près de 385 agents... Ne pourrait-on pas prévoir une transition vers le régime général pour les Français choisissant d'aller à l'étranger ?

Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Plus de 1,7 million de Français sont inscrits sur le registre des Français de l'étranger. Il n'y a aucune obligation de s'inscrire dans les consulats.

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - Le régime d'exonération de plus-value de cession immobilière est déjà plus favorable aux non-résidents qu'aux résidents, pour lequel il est de douze mois. Peut-être faut-il aussi l'étendre pour les résidents. Selon la loi fiscale actuelle, l'expatrié peut bénéficier de l'exonération jusqu'au 31 décembre de l'année suivant son expatriation, soit de un à deux ans après le départ. C'est pourquoi je propose vingt-quatre mois calendaires.

Un autre dispositif est plus favorable aux non-résidents : au-delà de cette période, ils peuvent bénéficier de 150 000 euros d'abattement sur les plus-values de cession immobilière. Ils ont donc un autre dispositif au cas où.

Mes amendements visent à simplifier le dispositif, pour une égalité de traitement entre les résidents et les non-résidents. Bien évidemment, notre objectif n'est pas de maintenir des logements vides dans des zones tendues.

L'administration fiscale n'a pas les données nous permettant d'estimer le coût de cette proposition de loi. On ne peut donc pas non plus chiffrer pour les non-résidents les dons aux oeuvres, d'autant plus qu'on ne peut pas mesurer l'effet d'incitation de l'ouverture de cette réduction d'impôt. Il faudrait reprendre les chiffres lors de l'augmentation de l'exonération d'impôts à 66 % par l'amendement « Coluche » pour dons aux oeuvres pour avoir une idée de l'effet incitatif d'une telle mesure.

Vincent Delahaye, je suis tout à fait d'accord pour aller vers une harmonisation, jusqu'à un certain point. Quelle est en effet la justification d'une imposition différente ? Lorsqu'un expatrié habite, par exemple, au Maroc, il ne bénéficie pas des routes nationales françaises ni de l'éducation en France. Or pour les expatriés français, l'éducation coûte cher.

La DINR nous a expliqué que la répartition des revenus des non-résidents était similaire à celle des résidents. Cassons l'image selon laquelle les expatriés seraient des gens aisés !

M. Alain Joyandet. - Où en sommes-nous du projet de gratuité de l'éducation proposé par Nicolas Sarkozy ?

Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - La gratuité promise par Nicolas Sarkozy n'a été mise en oeuvre que durant un an, pour les classes de troisième. En moyenne, les expatriés paient 5 000 euros par an pour scolariser leurs enfants dans les écoles françaises, et ce coût peut aller jusqu'à 10 000 euros par an. De fait, de nombreux expatriés ne peuvent pas scolariser leurs enfants dans les écoles françaises.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 23 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-19 allonge le délai pour l'exonération sur les plus-values de cession immobilière à vingt-quatre mois calendaires.

L'amendement COM-19 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 23 ainsi modifié.

Article 24 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-20 encadre l'extension de la réduction d'impôt au titre des dons aux associations, pour qu'il n'y ait pas double bénéfice à l'étranger et en France.

L'amendement COM-20 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 24 ainsi modifié.

Article 25 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-21 supprime l'article 25 sur le crédit d'impôt relatif aux intérêts d'emprunt supportés pour l'acquisition ou la construction d'une habitation principale.

L'amendement COM-21 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois de supprimer l'article 25.

Article 26 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-22 encadre l'extension du CITE.

L'amendement COM-22 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 26 ainsi modifié.

Article 27 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-23 réécrit totalement l'article 27, et simplifie les règles d'assiette de l'IFI pour les participations immobilières des non-résidents. Il avait déjà été voté par le Sénat en projet de loi de finances.

M. Vincent Delahaye. - Qu'est-ce qui justifie une distinction avec les résidents ?

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - Ils doivent connaître toute la composition des fonds dans lesquels ils ont investi, c'est très compliqué. En réalité, la solution que je propose a une portée limitée.

L'amendement COM-23 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 27 ainsi modifié.

Article 28 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-24 étend le dégrèvement de majoration de taxe d'habitation sur certaines résidences secondaires, comme pour les résidents mutés.

L'amendement COM-24 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 28 ainsi modifié.

Article 29 (délégué)

M. Jérôme Bascher, rapporteur pour avis. - L'amendement de coordination COM-25 améliore techniquement l'article 29 abrogeant la réforme du régime de retenue à la source.

L'amendement COM-25 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 29 ainsi modifié.

Article 30 (délégué)

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 30 sans modification.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 23 à 30 de la proposition de loi dans la rédaction proposée à la commission des lois. Elle approuve le périmètre proposé à la commission des lois pour l'application de l'article 45 de la Constitution.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie. La commission des lois se réunit ce jour à 10 h 30 pour l'examen au fond de cette proposition de loi.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TITRE V : DISPOSITIONS FISCALES

Chapitre premier : Résidence principale

Exonération d'imposition des plus-values de cession pour les biens
ayant constitué la résidence principale d'anciens résidents français

Article 23
Exonération d'imposition des plus-values de cession pour les biens
ayant constitué la résidence principale d'anciens résidents français

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

19

Allongement du délai pour l'exonération sur les plus-values de cession immobilière

Adopté

Article 24
Extension de la réduction d'impôt pour dons et versements aux oeuvres aux non-résidents

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

20

Encadrement de l'extension de la réduction d'impôt au titre des dons aux associations

Adopté

Article 25
Crédit d'impôt relatif aux intérêts d'emprunt supportés
pour l'acquisition ou la construction d'une habitation principale

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

21

Suppression de l'article

Adopté

Article 26
Ouverture du bénéfice du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) aux Français non-résidents

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

22

Encadrement de l'extension du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE)

Adopté

Article 27
Mise en place, dans le cadre de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), d'un abattement de 30 % au bénéfice des non-résidents sur les immeubles ayant constitué leur résidence principale ou que ceux-ci s'engagent à occuper à ce titre lors de leur retour en France

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

23

Simplification des règles d'assiette de l'impôt sur le fortune immobilière (IFI) pour les participations immobilières des non-résidents

Adopté

Article 28
Création d'une exonération de plein droit de taxe d'habitation pour les Français non-résidents

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

24

Extension du dégrèvement de majoration de taxe d'habitation sur certaines résidences secondaires

Adopté

Chapitre II : Retenue à la source

Article 29
Abrogation de la réforme du régime de retenue à la source applicable aux revenus de source française des non-résidents

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BASCHER

25

Amélioration technique de l'article abrogeant la réforme du régime de retenue à la source

Adopté

Chapitre III : Taux minimum d'imposition

Article 30
Abaissement du taux minimal d'imposition des non-résidents de 30 % à 20 % pour les revenus excédant la limite supérieure de la deuxième tranche du barème de l'impôt sur le revenu

Organismes extraparlementaires - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Comme vous le savez, le nouvel article 9 bis du Règlement du Sénat prévoit que « les sénateurs désignés pour siéger dans les organismes extérieurs au Parlement [OEP] présentent, avant chaque renouvellement du Sénat, à la commission compétente, une communication sur leur activité au sein de ces organismes ».

Cet exercice est nouveau et, plutôt que de multiplier les communications individuelles avant le renouvellement de septembre prochain, il m'a semblé plus opportun d'établir une synthèse des expériences des membres de notre commission qui siègent dans les OEP, expériences qui, à quelques exceptions près, courent depuis le dernier renouvellement sénatorial de 2017.

J'ai ainsi sollicité les 32 collègues concernés, afin qu'ils me fassent part de leurs observations sur l'activité du ou des organismes au sein desquels ils siègent, la fréquence de leurs réunions, et les enseignements qu'ils peuvent en tirer, en particulier sur la pertinence de la représentation du Sénat en leur sein.

Je remercie vivement toutes celles et ceux d'entre vous qui se sont prêtés à l'exercice et qui ont apporté des contributions détaillées sur leur participation à ces OEP. Elles seront particulièrement utiles dès lors que nous aurons à aborder le devenir ou la réorganisation de ces OEP. Certains d'entre vous m'ont répondu que leur mandat au sein de l'OEP était trop récent pour en tirer des conclusions, je pense à Claude Nougein pour le Comité de surveillance des investissements d'avenir ou à Rémi Féraud pour le Conseil d'administration du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou désignés à l'été dernier. Bien évidemment un certain recul est nécessaire pour apprécier le fonctionnement des OEP et des compléments pourront être apportés ultérieurement devant notre commission s'ils le souhaitent. De plus, ceux d'entre vous qui n'auraient pas eu le temps de faire part de leurs observations par écrit alors même qu'ils bénéficient d'une expérience au sein d'un OEP ou qui souhaiteraient compléter mes propos pourront bien entendu prendre la parole à l'issue de mon intervention et ainsi étayer cette première synthèse qui ne se veut pas exhaustive.

En préambule, je vous rappelle que la présence des sénateurs et des députés au sein d'un OEP a été revue en profondeur par la loi du 3 août 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination.

Cette loi a notamment supprimé la représentation de parlementaires au sein d'organismes dont l'existence était prévue par décret et non par la loi. Dès lors, la présence des parlementaires au sein des OEP a été resserrée, dans un souci d'efficacité et de compatibilité avec les fonctions parlementaires. Par ailleurs, l'essentiel des nominations des sénateurs dans les OEP relèvent désormais du Président du Sénat.

Pour l'heure, des membres de la commission des finances sont présents dans 32 des 175 OEP. D'après vos réponses, ces organismes se réunissent à un rythme extrêmement variable, de 1 à 20 fois par an, et requièrent des degrés d'implication également très différents suivant les missions de l'OEP considéré. Mais quelle que soit la nature de ces OEP, je note l'assiduité générale des membres de notre commission, assiduité qui peut néanmoins être compromise lorsque les réunions des organismes ont lieu le mercredi matin. Les OEP s'alignent pourtant sur une tendance générale d'organisation des réunions la journée du jeudi. Ce jour ne semble toutefois pas non plus idéal -, mais en existe-t-il un ? -, mais, surtout, la durée importante de certaines réunions, allant jusqu'à une demi-journée, s'avère difficilement compatible avec l'agenda d'un parlementaire. Pour certains OEP, comme la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, notre collègue Claude Raynal souligne même que le rythme de travail obligerait, s'il était totalement respecté, à mettre de côté une partie significative du travail de parlementaire, et il regrette que cette responsabilité ne soit pas prise en compte dans l'activité parlementaire.

J'en viens maintenant à la synthèse de vos contributions.

Vos observations présentent majoritairement un bilan satisfaisant et mettent souvent en avant les avantages réciproques de la présence des parlementaires au sein des organismes concernés, avec cependant quelques points d'attention.

Les OEP tirent en effet bénéfice de la présence d'un sénateur à plus d'un titre.

En premier lieu, les OEP à dimension « régionale », tels que les comités de bassin ou les comités de massif, peuvent bénéficier du rôle de relais entre l'échelon local et l'échelon national que jouent les parlementaires. Ce rôle serait par ailleurs particulièrement bien exercé par un sénateur, en sa qualité de « représentant des territoires » et d'élu d'une circonscription plus grande que celle des députés, comme le font observer nos collègues Sylvie Vermeillet et Jean-François Husson qui siègent respectivement au Comité de massif du Jura et au Comité de bassin Rhin-Meuse, et qui en soulignent le grand intérêt.

La présence des parlementaires dans certains OEP à dimension nationale est également stratégique, et directement en lien avec le rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales. On peut citer évidemment le Comité des finances locales (CFL), ainsi que le relèvent nos collègues Charles Guené, Claude Raynal qui en sont des membres actifs. Il s'agit pour Claude Raynal d'un lieu d'échanges riches et souvent d'avis utiles sur le régime de financement des collectivités locales. Charles Guené estime qu'il constitue une véritable « antichambre » aux travaux du Parlement, tout en relevant des perspectives d'amélioration de son fonctionnement interne.

La commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, dans laquelle siègent nos collègues Jérôme Bascher et Claude Raynal, est également un OEP d'une grande importance. Comme le rappelle Jérôme Bascher, elle était dotée jusqu'à présent de pouvoirs essentiellement consultatifs, mais elle dispose désormais, suite à la loi dite Pacte, d'un pouvoir délibératif sur les grandes décisions relatives à la gouvernance de la Caisse. Cette gouvernance a également été modernisée en vue d'améliorer ses actions en faveur des territoires. Pour Jérôme Bascher, les sénateurs, fins connaisseurs des territoires, sont aujourd'hui essentiels dans le fonctionnement d'un conseil de surveillance désormais renforcé. Il y a d'ailleurs exercé à plusieurs reprises des fonctions de rapporteur. Claude Raynal regrette néanmoins que la représentation de notre commission des finances au sein de la commission de surveillance soit bientôt divisée par deux, à la suite de l'adoption de la loi « PACTE » compte tenu de l'importance des enjeux financiers portés par la Caisse des dépôts. Comme vous le savez, il était nécessaire de permettre, par parallélisme avec l'Assemblée nationale, à un représentant de la commission des affaires économiques d'y siéger. La nomination du directeur général reste soumise à l'avis des commissions chargées des finances des deux assemblées au titre de l'article 13 de notre Constitution.

D'autres de nos collègues soulignent tout l'intérêt de la représentation sénatoriale dans certains OEP au regard des missions qu'ils exercent, qu'il s'agisse de Dominique de Legge concernant la commission du secret de la défense nationale « qui collabore à la défense des intérêts supérieurs du pays », de Bernard Lalande pour le Comité de surveillance des investissements d'avenir « organisme actif et dynamique qui joue un rôle de contrôle, d'évaluation et de prospective » ou de Roger Karoutchi concernant l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Il estime que la présence du Parlement, et notamment du Sénat (en lien avec les collectivités locales souvent sollicitées) est un apport pour l'OFII qui fait passer des messages, et pour notre Haute Assemblée, ainsi mieux éclairée sur les enjeux et les moyens consacrés à l'accueil des migrants.

Plusieurs d'entre vous soulignent que la présence de parlementaires, souvent de différentes sensibilités politiques, conforte également la légitimité des décisions et des orientations prises par les OEP, comme cela a pu être observé pour la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations ou pour le comité de surveillance des investissements d'avenir.

Les sénateurs voient également de nombreux intérêts à siéger dans ces organismes pour leur travail parlementaire.

Roger Karoutchi considère ainsi que son mandat au Conseil d'administration de l'OFII lui a permis de mieux faire valoir les recommandations issues de ses rapports et ainsi de les faire appliquer.

Vous êtes également plusieurs à indiquer que votre mandat vous donne accès à des documents stratégiques, ce qui contribue, d'une part, à renforcer la mission de contrôle de l'action du Gouvernement dévolue aux parlementaires, et d'autre part, à suivre plus aisément l'application des dispositions votées.

Enfin, les OEP sont vus comme des lieux d'échanges privilégiés en amont de l'examen de projets de loi, d'après vos retours, et particulièrement ceux des sénateurs membres d'un organisme en lien avec leur mission de rapporteur spécial, tel que Thierry Carcenac, rapporteur spécial des crédits du CAS « Gestion du patrimoine l'immobilier de l'État », et membre du Conseil de l'immobilier de l'État (CIE).

Ce dernier note à cet égard - et sans le déplorer - que sa présence au sein de ce Conseil lui permet d'obtenir « des documents de première main » alors que les réponses au questionnaire budgétaire sur le patrimoine immobilier de l'État sont moins détaillées. Notre collègue Christine Lavarde qui siège au sein du même OEP, confirme la réception de cette documentation, mais est quant à elle réservée sur le complément d'expertise apporté par la présence des parlementaires au sein de cet organisme, faute de temps pour étudier les documents en amont. Elle déplore que l'État ne dispose pas d'une doctrine unique pour le suivi de son immobilier.

Le fait que les membres des OEP puissent recevoir des informations plus complètes que celles dont disposent les rapporteurs spéciaux interroge en tout état de cause sur un possible contournement des missions de contrôle du Parlement, puisqu'elle rend compte d'un traitement inéquitable eu égard aux informations auxquelles un sénateur peut avoir accès selon qu'il soit membre d'un OEP ou rapporteur spécial.

Le compte rendu de Jean-François Husson vient accréditer cette idée, s'agissant de deux organismes au sein desquels il siège - le Conseil national de la transition écologique (CNTE) et le Conseil national de l'air (CNA). Il regrette ainsi que le CNTE soit privilégié dans l'examen de plusieurs textes échappant à l'autorisation parlementaire telle que la programmation pluriannuelle de l'énergie ou la stratégie nationale bas-carbone.

Quant au Conseil national de l'air, la pertinence de son existence est interrogée, aussi est-il proposé par notre collègue Jean-François Husson d'envisager sa fusion avec un « CNTE aux missions élargies, dans un souci de rationalisation administrative ». Par ailleurs, l'utilité de la participation de parlementaires au Conseil national de l'air lui semble loin d'être avérée, et il lui semblerait préférable de recourir aux missions de contrôle propres au Parlement pour suivre les questions relatives à la pollution de l'air.

Antoine Lefèvre s'est également montré perplexe quant au rôle du Conseil de surveillance de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui se réunit une seule fois par an pour émettre un avis sur le rapport annuel d'activité de la CADES. La participation de parlementaires à ce conseil de surveillance n'apporterait pas, selon lui, de réelle plus-value.

Enfin, Philippe Adnot a estimé inutile sa présence au sein du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), dont il n'est plus membre depuis juillet 2019.

Mais pour savoir si la présence du Sénat au sein d'un OEP est utile ou non, encore faut-il avoir eu l'occasion d'y siéger.

Certains collègues m'ont ainsi alerté sur l'absence de réunion de deux OEP, alors qu'ils en sont membres depuis deux ans. Sophie Taillé-Polian et Michel Canevet regrettent ainsi vivement que le Comité national d'orientation de BPI-Groupe ne se soit jamais réuni. Christine Lavarde s'étonne aussi de n'avoir jamais été convoquée par le Conseil d'administration du Fonds pour le développement de l'intermodalité dans les transports.

Pour ces deux organismes, des explications devraient être apportées rapidement aux sénateurs qui en sont membres, à défaut de quoi leur maintien devrait être interrogé.

Mme Christine Lavarde. - À mon initiative, un amendement supprimant le conseil d'administration du fonds pour le développement de l'intermodalité dans les transports a été adopté en commission sur le projet de loi accélération et simplification de l'action publique hier soir !

M. Vincent Éblé, président. - Enfin, une de nos collègues attire notre vigilance sur le devenir d'un OEP. Il s'agit de Sylvie Vermeillet au sujet de la transformation du Conseil d'orientation des retraites (COR), telle qu'elle est prévue par l'article 56 du projet de loi instituant un système universel de retraite - ou tentant à l'instituer ! Les missions d'étude et de concertation du COR seraient alors confiées à un nouveau « comité d'expertise indépendant des retraites ». Sylvie Vermeillet observe que cela « viderait le COR de sa substance, et il ne servirait alors plus qu'à formuler des recommandations ». Elle plaide ainsi pour conserver le COR en l'état.

Je vous remercie pour votre attention et je laisse celles et ceux d'entre vous qui souhaiteraient ajouter des éléments intervenir pour compléter cette intervention.

M. Roger Karoutchi. - Je siège donc au conseil d'administration de l'OFII et je dois dire en premier lieu que les collègues de l'Assemblée nationale ne sont pas très assidus, alors que la représentation parlementaire y est très utile. Par exemple, à l'occasion d'un débat sur l'apprentissage de la langue française, je m'étais exprimé pour augmenter la durée maximale des cours, fixée à 200 heures - c'était ridicule ! L'OFII a ainsi proposé que cette durée passe à 400 heures et le Gouvernement l'a suivi, lors de la discussion du projet loi « asile et immigration ». Je regrette en revanche qu'il ne soit pas allé jusqu'à introduire l'examen final dans la loi. Mais j'ai remarqué que de nombreux thèmes débattus à l'OFII, qu'il s'agisse de l'apprentissage du français, du contrôle médical à l'entrée, du changement de l'apprentissage et de l'instruction civique, ont un aboutissement lorsque nous légiférons.

Les débats y sont d'autant plus riches que la position du Gouvernement n'est jamais uniforme, entre les représentants du ministère de l'intérieur - à l'initiative de plusieurs propositions, et ceux du ministère de l'économie et des finances ou d'autres ministères - généralement très hostiles à ces propositions car elles sont coûteuses. L'avis de la représentation parlementaire permet de dépasser ces clivages et d'arrêter une position.

M. Alain Joyandet. - Je confirme également que la représentation du Sénat dans les OEP est en général très utile. Mais un tri mérite d'être fait parmi les organismes en question.

Pour ma part, sans avoir vraiment été consulté au préalable, j'ai été nommé dans le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie fin 2017. Je suppose que cette nomination a été effectuée en lien avec ma qualité de rapporteur pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et je l'ai donc acceptée. Cependant, je n'y ai jamais été convoqué dans les 6 mois suivant ma nomination. Je me suis manifesté auprès du Haut conseil qui a reconnu avoir omis de m'envoyer les convocations.

Depuis, j'ai été associé aux réunions du Haut conseil, et je me suis alors aperçu qu'un tel mandat était difficilement compatible avec les fonctions d'un parlementaires. En effet, les réunions ont lieu systématiquement le jeudi, et durent une demi-journée. L'investissement demandé était tel que j'ai préféré renoncer à ce mandat au Haut conseil. Dans le passé, j'ai pu représenter le Sénat dans d'autres organismes, dans un cadre qui me semblait davantage compatible avec notre mandat parlementaire. Je crois donc qu'un nettoyage doit être fait dans ces différents organismes, pour conserver ceux où la présence du Sénat est vraiment utile, et pour revoir le mode de nomination. Cela dit, je ne remets aucunement en cause l'utilité du Haut conseil, mais y siéger revient clairement à occuper un second mandat très prenant.

Cette situation est assez paradoxale, car, dans le même temps, il ne nous est plus possible d'occuper d'autres fonctions que j'estimais plus en phase avec le mandat parlementaire. J'étais notamment président du conseil de surveillance de l'hôpital de mon département pendant 23 ans. J'ai occupé ces fonctions de façon bénévole et avec passion. Comme de nombreux autres collègues, j'ai été contraint d'en démissionner l'an dernier car il a été considéré que ce mandat était incompatible avec celui d'un parlementaire. Je n'en comprends toujours pas les motifs. J'ai été très peiné de quitter ce conseil de surveillance, cela m'a empêché de poursuivre un grand nombre d'initiatives pour l'hôpital public dans un département rural. Les cinq ou six conseils d'administration auxquels j'étais tenu d'assister étaient tout à fait compatibles avec la charge de travail d'un parlementaire, et je trouvais qu'il y avait de vraies liaisons entre ce mandat et les fonctions de législateur.

Cela me paraît d'autant plus incohérent que les présidents de département, chargés de fixer les tarifs dans les EHPAD, peuvent toujours cumuler leur mandat avec les fonctions de président du conseil de surveillance de l'hôpital public, tandis que, nous parlementaires, nous ne cumulons plus notre mandat avec des fonctions exécutives locales.

M. Jean Bizet. - Je suis désolé de n'avoir pas répondu à temps à votre questionnaire, cela ne saurait tarder. L'exercice sera pourtant très facile, car le bilan de ma présence au sein du Conseil supérieur de l'aviation civile est nul. Cela fait trois ans que j'y ai été nommé et je n'y ai jamais été convoqué. Cette structure me paraît toutefois intéressante, et Vincent Capo-Canellas nous le confirmera sans doute, mais malgré mes relances auprès d'elle, je n'ai rien pu en tirer.

M. Vincent Capo-Canellas. - En effet, le secrétaire d'État chargé des transports m'a indiqué qu'il souhaitait réactiver le Conseil supérieur de l'aviation civile pour lui assigner une mission précise. Cela vous paraîtra sans doute un peu ironique, mais il souhaite que le Conseil se charge de suivre les assises des transports aériens. Les dernières assises devaient déboucher sur des demandes d'amélioration de la compétitivité du secteur, mais c'est tout le contraire qui s'est produit. Le Conseil pourrait sans doute se réunir pour tirer d'abord un bilan de ces assises, puis de le mettre en oeuvre. Le Gouvernement y réfléchit sérieusement, et le ministère des transports s'est vraiment emparé du sujet, avec le souhait qu'il redécolle ...

M. Jérôme Bascher. - J'ai sans doute des éléments de réponses à donner à mes collègues qui se plaignent à juste titre que le Comité national d'orientation de BPI Groupe ne se soit jamais réuni. En réalité, les orientations de la BPI ne sont pas débattues devant ce comité, mais à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts. Avec Claude Raynal, nous auditionnons chaque semaine les filiales de la Caisse des dépôts - elles sont très nombreuses - dont la BPI. Tous les grands investissements de la BPI passent devant la commission de surveillance dont je suis membre. Cet après-midi encore, j'assisterai à une réunion sur ces grands investissements. À ce sujet, je tiens à souligner l'attention qui doit être apportée aux risques de délits d'initié, puisqu'on travaille sur des entreprises cotées, avec des volatilités extrêmement importantes, et sur des entreprises de plus en plus nombreuses par ailleurs. La Caisse des dépôts est en effet devenue tentaculaire, avec la multiplication récente de ses activités. Albéric de Montgolfier soulignait également la semaine dernière, à l'occasion de l'avis sur la nomination de personnalités qualifiées à la commission de surveillance par le Président du Sénat, qu'il était de plus en plus difficile de trouver des personnalités qui ne soient pas en situation de possible conflit d'intérêts.

M. Didier Rambaud. - Je remercie notre président pour cette communication qui était très intéressante, ainsi que les remarques de mes collègues, mais je regrette qu'elle arrive sans doute un peu trop tard. En effet, depuis hier soir, nous examinons le projet de loi dit « ASAP », qui a pour objet de simplifier l'action publique et de supprimer un certain nombre de commissions. Ce travail que vous venez de présenter aurait pu abonder le projet de loi et se concrétiser par des propositions d'amendements. Ceci dit, on a bien remarqué hier soir qu'il n'était pas si aisé de supprimer certaines instances, dès lors que des lobbies concernés s'activent pour réclamer leur maintien.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie de ces observations qui seront en tout état de cause utiles pour nos prochains travaux.

Nomination d'un rapporteur

La commission désigne M. Michel Canevet rapporteur sur la proposition de loi n° 339 (2019-2020) visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires.

Audition de M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque Postale

M. Vincent Éblé, président. - Nous accueillons ce matin Rémy Weber, président du directoire de La Banque Postale, pour évoquer notamment l'une des quatre missions de service public confiées par la loi au groupe La Poste : l'accessibilité bancaire. Ce sera également l'occasion d'envisager les perspectives qu'offre le rapprochement avec CNP Assurances, qui sera concrétisé aujourd'hui même.

La mission d'accessibilité bancaire s'exerce par le biais du Livret A, en permettant d'ouvrir un livret et de l'utiliser comme support de bancarisation afin d'effectuer gratuitement des opérations de dépôt et de retrait. Elle s'appuie pour cela sur le maillage territorial du groupe et se traduit par un fort recours aux services de guichet.

En 2017, à l'occasion de la remise du rapport de la Cour des comptes que notre commission avait demandé en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, la présidente Michèle André avait souligné l'enjeu d'une « réforme incontournable » de cette mission en 2020. En effet, la compensation versée par l'État à La Banque Postale au titre de cette mission fait l'objet d'un encadrement européen au titre des aides d'État, couvert jusqu'à la fin de l'année. Les conditions d'exercice et de compensation doivent à nouveau être négociées avec la Commission européenne pour les années 2021 à 2026.

Le 10 décembre dernier, le comité consultatif du secteur financier a rendu un avis favorable au maintien du dispositif actuel.

Néanmoins, la question de l'actualisation des conditions d'exercice de cette mission reste posée : si l'accessibilité bancaire se fonde sur le Livret A, elle s'exerce en pratique par un recours élevé aux services de guichet, dont la diminution risque de correspondre à de nouvelles formes d'exclusions bancaires, liées notamment à l'utilisation croissante du numérique.

Le sujet rejoint en effet des thèmes connexes, que nous suivons de près : je pense à l'accessibilité bancaire ou encore à l'accès aux espèces.

Je vous cède sans plus tarder la parole pour un rapide propos liminaire afin de mieux appréhender la réalité de la mission de service de public que votre entreprise assure.

M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque postale. - Avant d'aborder la question de la mission d'accessibilité bancaire, je souhaiterais commencer par le fait de la journée. Le 4 mars 2020 restera comme la deuxième date la plus importante de La Banque Postale depuis sa création, puisque le rapprochement avec CNP Assurances va être concrétisé dans les prochaines heures. Le groupe de bancassurances qui en résultera représentera, sur la base des chiffres de 2019, un ensemble de 9,2 milliards d'euros de produit net bancaire et de produit net d'assurances cumulés et de 1,4 milliard d'euros de résultat net part du groupe. Nous souhaitons en faire un outil de banque et d'assurances citoyennes, dans la lignée de notre mission d'accessibilité bancaire. C'est dans cet esprit que nous avons engagé la démarche de devenir une entreprise à mission.

La mission d'accessibilité bancaire est essentielle pour La Banque Postale. Nous parlons d'environ 1,5 million de clients se trouvant dans une situation de pré-bancarisation, soit presque 5 millions de personnes en prenant en compte les familles. Cette clientèle comprend à la fois des demandeurs d'asile, des sans domicile fixe, des personnes en situation de grande pauvreté, des personnes âgées. Près de la moitié d'entre eux n'ont pas de compte bancaire, et ceux qui en ont un ne l'utilisent pas comme compte courant mais recourent au Livret A pour faire certaines opérations et, surtout, pour être entourés par des personnes qui, dans les bureaux de poste, prennent en charge leurs demandes et leurs difficultés. C'est cette clientèle-là qui occupe à plus de 50 % nos agences : elle maîtrise mal le français et n'utilise pas ou mal les nouvelles technologies. Par exemple, à chaque fois qu'un demandeur d'asile change de logement, ce sont quinze à vingt minutes à prendre pour opérer les changements dans les logiciels informatiques de la banque. Les jours de prestation sociale, nos agences sont confrontées à la misère de notre pays : les gens s'y pressent dès huit heures du matin et peuvent compter sur les agents qui s'occupent d'eux. Nous avons ainsi plus de 500 traducteurs et accompagnants dans environ 800 agences, essentiellement dans les zones périurbaines. Nous avons mis en place un dispositif d'appui avec trente téléopérateurs qui cherchent des solutions pour régler les problèmes auxquels ces personnes sont confrontées. Nous sommes les seuls à proposer cet ensemble de services au titre de la mission d'accessibilité bancaire. Nous avons besoin de continuer de le faire. Une partie de cette clientèle quitte certes la pré-bancarisation du Livret A au profit d'une réelle bancarisation, mais d'autres personnes les remplacent et le nombre total de ne change guère.

Au titre du Livret A, les prestations offertes sont certes limitées mais elles sont suffisantes pour procéder à des opérations de base, comme le versement des prestations sociales, des pensions des agents publics, la délivrance de chèques de banque, une carte de retrait. Dans les discussions qui vont démarrer avec la Commission européenne, une extension de l'offre pourrait être mise sur la table ; il est encore trop tôt pour le dire. Certains organismes, par exemple, souhaitent que l'offre évolue vers une carte prépayée.

Il ne faut pas confondre le million et demi de clientèle relevant de cette mission avec la clientèle financièrement fragile, qui représente environ 3,4 millions de personnes selon la Banque de France, dont environ 1,6 million de clients à La Banque Postale. Il y a des concurrents qui opèrent pour la clientèle en situation de fragilité financière, ce qui n'est pas le cas pour la clientèle en pré-bancarisation. La Banque Postale est donc à la fois la seule banque à accompagner les personnes en pré-bancarisation et la première banque pour la clientèle financièrement fragile. En 2019, sur les 3,4 millions de personnes considérées comme financièrement fragiles, plus d'un million a bénéficié du plafonnement à 25 euros des frais d'incidents bancaires auquel la profession s'est engagée en décembre 2018, dont 600 000 sont clients de La Banque Postale.

Si l'on ajoute, au-delà de la compensation versée par l'État, le coût supporté par La Banque Postale au titre de la mission d'accessibilité bancaire aux coûts liés à la surreprésentation de la clientèle fragile parmi les clients de notre établissement, cela représente environ 250 millions à 300 millions d'euros de résultat en moins, soit entre 5 et 6 points de coefficient d'exploitation. C'est ce qui explique la différence de coefficient d'exploitation avec les autres grandes banques de détail en France.

La dimension de relation humaine est centrale dans l'exercice de la mission d'accessibilité bancaire. Nous cherchons à accompagner l'ensemble de nos clients pour éviter la double peine de l'exclusion numérique et de l'exclusion bancaire. Pour cela, nous avons mis en place un dispositif de diagnostic des compétences numériques minimales. Dans certains bureaux de poste en quartier prioritaire de la ville, près de la moitié des personnes ayant fait ce test est capable de s'en sortir et un cinquième éprouve des difficultés sans être complètement exclue des usages numériques. C'est précisément ces personnes que nos agents accompagnent pour les habituer à ces utilisations. Pour le tiers restant, nous avons conclu des accords avec nos partenaires - dont Emmaüs connect - pour des formations au numérique. En dépit de toutes nos démarches, il demeure indispensable pour cette clientèle d'avoir une porte ouverte et de pouvoir échanger directement avec un agent.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous avez largement insisté sur les publics fragiles, notamment les migrants. Mais les principaux besoins des travailleurs immigrés ne concernent-ils pas les transferts vers l'étranger ? Or, sur ce segment de marché, il y a des frais extrêmement élevés - d'où peut-être la tentation d'aller vers des acteurs alternatifs beaucoup plus risqués. Pourriez-vous proposer une offre adaptée à ce public spécifique ?

La mission d'accessibilité bancaire recourt au Livret A comme support de bancarisation. Pouvez-vous être plus précis sur les possibilités de paiement dont on dispose dans ce cadre ? Alors que de nombreuses opérations ne peuvent plus aujourd'hui être réalisées en espèces - je pense notamment au paiement des créances publiques -, est-ce que ces moyens de paiement sont suffisants ?

À cet égard, pourriez-vous nous indiquer où en sont les appels d'offres de la direction générale des finances publiques (DGFiP) concernant les créances publiques ? Si votre réseau l'emportait, est-ce que l'ensemble des points de contact de La Poste seraient susceptibles d'accueillir les contribuables souhaitant s'acquitter de leurs créances ? La question de la couverture du réseau est cruciale en la matière.

M. Vincent Éblé, président. - Je souhaiterais également revenir sur la difficile question des publics bancaires fragiles.

Depuis la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, les banques doivent proposer l'offre spécifique à leurs clients en situation de fragilité bancaire, regroupant une gamme de produits et services bancaires de base à tarif modéré. Pourtant, cette offre demeure peu souscrite et de nombreuses personnes préfèrent recourir au Livret A comme support de bancarisation. Comment l'expliquer ? Le contenu de l'offre spécifique est-il adéquat ? Comment répondre aux besoins des personnes en situation de fragilité bancaire ?

Le mois dernier, le Gouvernement a fait le choix de baisser le taux du Livret A à 0,5 %. Pour les personnes aux revenus modestes, le Livret d'épargne populaire (LEP) offre une rémunération supérieure, s'élevant à 1 %. Pourtant, force est de constater qu'il demeure peu souscrit, puisque le nombre de livrets a diminué chaque année depuis 2009 - à l'exception de 2015. Une disposition permettant d'éviter au contribuable de justifier de son éligibilité est prévue dans le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique discuté en ce moment au Sénat. Les contraintes de la procédure actuelle de vérification des revenus vous semblent-elles la seule raison expliquant la faible diffusion du LEP ? Comment proposez-vous ce produit d'épargne à votre clientèle dans votre réseau ?

Enfin, l'article 80 de loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 » prévoit un fléchage des encours du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) aux acteurs de l'économie sociale et solidaire. Pourtant, plus de trois ans après, le décret prévu pour déterminer les modalités de cette affectation n'est toujours pas intervenu. Faut-il y voir le signe de la complexité du dispositif, de la réticence des acteurs bancaires ou d'un blocage du côté de Bercy ?

M. Rémy Weber, président du directoire de La Banque postale. - S'agissant tout d'abord des transferts vers l'étranger, nous avons arrêté l'offre de mandats postaux en espèces il y a deux ans, après un contrôle sévère et une forte amende. Je précise que les problèmes de filtrage ne concernaient pas les clients de la Banque Postale. Tout le monde peut entrer dans un bureau de poste ! C'est un changement culturel majeur qui nous est imposé. Nous avons uniquement conservé un rôle d'agent, sans responsabilité juridique, pour proposer les prestations de Western Union. Cela offre une solution de repli à nos clients mais permettez-moi de ne pas me prononcer sur leur tarification, qui ne dépend pas de nous.

S'agissant des opérations qui peuvent être réalisées par le recours au Livret A, un élargissement pourrait être discuté. Il nous faudra pour cela revenir devant vous. Par exemple, il y a des cantines où l'on ne peut plus payer en liquide. Une des pistes faisant l'objet d'un fort soutien des associations serait d'autoriser des cartes prépayées.

Sur la question de l'appel d'offres de la DGFiP, nous pensons avoir des chances sérieuses - sinon nous n'aurions pas candidaté. On a défini un parc de bureaux de poste de façon à répondre aux besoins des clients mais il ne couvre bien évidemment pas la totalité du réseau. Je pourrai vous en dire davantage lorsque nous aurons les résultats de l'appel d'offres.

Le plafonnement décidé fin 2018 pour les frais d'incidents bancaires fixé à 25 euros par mois et à 250 euros par an pour la clientèle fragile mais relevant des offres classiques n'a pas été sans impact sur la montée en puissance du dispositif. Malgré cela, les banques dans leur ensemble - et La Banque Postale plus particulièrement - ont évidemment réalisé les efforts demandés. Nous avons même été au-delà, avec 40 % de hausse de l'encours sur l'offre spécifique entre 2017 et 2019. Nous avons désormais 410 000 contrats d'offre spécifique sur les 3,3 millions de clients fragiles. Un effort important a été fait, même si la base de départ était faible. Mais l'arbitrage n'est pas si évident pour les clients, qui peuvent considérer qu'il y a des avantages à rester dans le cadre des offres classiques, avec un plafonnement qui finalement n'est pas si éloigné.

Pour le Livret A, nous sommes dans une situation très spécifique. Plus de la moitié de nos Livrets A ont un encours annuel moyen inférieur à 150 euros. C'est une différence énorme par rapport à nos concurrents. Nous sommes là au coeur de la mission d'accessibilité bancaire - et cela emporte naturellement des coûts spécifiques.

Concernant la clientèle fragile, nous avons ajouté un critère alternatif sur le niveau de compte courant créditeur moyen mensuel, qui s'ajoute aux critères classiques. Il a été fixé au niveau du seuil de pauvreté. Cela nous a permis de cibler 1,6 million de clients, ce qui est très élevé. C'est notamment pour cela que nous représentons la moitié de la clientèle fragile identifiée. C'est quelque chose que tout le monde n'a pas à l'esprit.

Nous avons 16 % de parts de marché en termes d'encours pour le LEP. Nous essayons naturellement de développer cette offre. Dans les bureaux de poste, nos agents sont d'abord au service du client, et non de la rentabilité. Mais force est de constater que la culture du Livret A reste forte.

Sur le fléchage des encours du livret de développement durable et solidaire, je suis moins à l'aise pour répondre, car il me semble que vous avez déjà apporté l'essentiel des éléments de compréhension. Je les reprends bien volontiers à mon compte.

M. Michel Canevet. - J'ai deux sujets de préoccupation. Tout d'abord, se pose la question du réseau. Un nombre de plus en plus élevé de bureaux de poste ferment ou réduisent significativement leur amplitude horaire. À ce sujet, je souhaiterais vous interroger également sur la stratégie de La Banque postale en matière de distributeurs automatiques de billets : des orientations ont-elles été définies sur le sujet ?

Mon second sujet de préoccupation concerne la proposition de loi déposée par le groupe socialiste et républicain tendant à plafonner les frais bancaires et dont je viens d'être nommé rapporteur. On constate en effet que malgré les dispositions qui ont été prises récemment, un écart subsiste entre la théorie et la pratique. L'Union nationale des associations familiales et la revue consumériste 60 millions de consommateurs ont mené des enquêtes mystère sur les publics les plus fragiles. Au sein du panel retenu en juin et juillet 2019, 79 % du public avait un niveau de frais supérieur aux seuils qui ont été indiqués et 9 % n'avait absolument aucune offre bancaire. Il apparaît quand même que la masse globale des frais liée aux incidents et irrégularités sur le compte est considérable. Peut-être s'agit-il d'un élément de contexte pour l'ensemble des institutions bancaires en période de taux bas... Quelles sont les pratiques de La Banque postale en la matière ?

M. Antoine Lefèvre. - Je souhaiterais tout d'abord vous interroger sur la décision prise récemment par La Banque Postale d'encadrer davantage les dépôts de liquidités. Quel a été l'élément déclencheur de cette décision ? Est-elle liée à l'amende de 50 millions d'euros prononcée par l'ACPR à l'encontre de votre établissement ? En deuxième lieu, je tiens à confirmer et à souligner le rôle important d'écoute et le professionnalisme des agents de La Banque Postale, à l'égard de publics que peu d'organismes sont susceptibles d'accueillir. Ma dernière remarque, un peu plus anecdotique, concerne la banque en ligne que vous avez lancée il y a quelques mois sous le nom de Ma French Bank. Pourquoi ce choix d'un intitulé en anglais plutôt qu'un nom français ? Est-ce plus parlant pour vos clients, notamment jeunes ? Quel est précisément le public visé par cette banque en ligne ?

Mme Nathalie Goulet. - En mai dernier, j'ai été chargée par le Premier ministre d'une mission sur la fraude sociale avec Carole Grandjean. Dans ce cadre, nous avons auditionné, le 24 juillet, deux représentants de La Banque Postale. Je tiens à affirmer qu'il n'a jamais été question de considérer la fraude sociale comme une fraude de pauvres, et encore moins d'exclure les versements sur un Livret A. Nous savons pertinemment que l'existence du Livret A et son maniement facilité sont protecteurs pour les populations les précaires. Dans le cadre cette mission, nous avions simplement demandé, pour réduire les risques de fraudes, que les versements soient effectués via des comptes domiciliés en France.

J'ai trois questions. La première concerne les effets de la loi Eckert sur les comptes en déshérence. Lors de la première année d'application, il nous a été indiqué que le nombre de comptes fermés ou transférés aurait été très important. Nous attendions des chiffres mais n'en avons toujours pas eu. La deuxième question concerne les opérations atypiques. Tracfin a noté qu'eu égard à la souplesse des opérations offertes par La Banque Postale, le réseau pouvait être utilisé pour un certain nombre de fraudes, notamment au travers de versement de prestations sociales vers des comptes inactifs. Peut-on mettre en place un mécanisme signalant les comptes immobiles qui reçoivent des prestations ? Enfin, ma dernière question concerne l'effet sur La Banque Postale du développement des banques en ligne, telle que la banque de Carrefour ou du compte Nickel et, qui posent un certain nombre de problèmes et qui expliquent sans doute le choix de lancer Ma French Bank.

M. Patrice Joly. - Ma question concerne la stratégie de La Banque Postale en matière de réseau. Quelles sont les stratégies de déploiement et de maintien des points de contact ? Quels sont les niveaux d'offre de services proposés en fonction des différents niveaux de points de contact, tant à destination des particuliers que des collectivités locales et suite à la réorganisation du réseau des finances publiques ?

M. Bernard Delcros. - Ma question rejoint certaines questions qui ont déjà été posées. Vous avez souligné l'importance des missions qui sont assurées en direction des publics fragiles : comment envisagez-vous le maintien du niveau et de la qualité du service dans un contexte de diminution du nombre de bureaux de poste et de nouvelles fermetures programmées ? Les agences postales communales, dont les agents ne sont pas des agents de La Poste, assurent-elles selon vous le même niveau de service à ces publics ?

M. Philippe Dominati. - Je suis venu avec intérêt à cette audition. La question est en effet de savoir si l'État en a pour son argent dans la convention qui vous lie à lui pour lutter contre la précarité de certains de nos concitoyens. Nous avons en effet reçu le témoignage de certains dysfonctionnements de La Banque Postale, nous conduisant à nous interroger sur le point de savoir s'il s'agit bien du bon support pour assurer cette mission dans nos territoires.

Je souhaiterais aborder deux sujets complémentaires. Tout d'abord, votre slogan publicitaire « la banque citoyenne » ne semble pas s'être illustré en matière de démocratie, s'agissant du financement des candidatures aux différentes élections. Alors que même les candidats ayant pignon sur rue et clients de longue date de votre établissement doivent recourir à la procédure du droit au compte, qu'en est-il des candidats marginaux, jeunes ou sans patrimoine ? Votre établissement semble déficient sur ce point. Deuxièmement, je m'interroge sur l'intérêt stratégique du rachat éventuel de HSBC par La Banque Postale. S'agit-il de prendre un établissement complémentaire pour permettre de faire des économies d'échelle ? En tout état de cause, le profil de la banque HSBC semble peu compatible avec l'exercice de votre mission en direction des petits comptes et des petits Livrets A... On comprend mal dans ce contexte votre besoin de solliciter des financements de l'État.

M. Jean-François Husson. - Mon propos rejoint celui de mon collègue Philippe Dominati. Je m'interroge sur cette politique du « grand écart », que vous nous avez exposé ce matin en nous expliquant que la Banque postale devenait un grand groupe bancaire public qui entend poursuivre sa croissance. Comme vous le savez, je ne me suis pas opposé radicalement à cette évolution lors des travaux sur la loi PACTE. Cette politique du « en même temps » ne manque toutefois pas de m'interroger. Je crains en particulier que votre établissement ne perde aujourd'hui de son intérêt pour les Français. S'agissant en effet de la problématique de l'accès bancaire des publics fragiles, la réorganisation du réseau a entraîné une réduction du nombre de bureaux, à l'instar de l'ensemble du réseau bancaire. Cette tendance correspond certes à l'évolution des comportements de consommation des services bancaires. Le constat reste inquiétant pour certaines populations fragiles, et particulièrement celles résidant dans les territoires peu denses. Quel est le bon niveau de service pour le réseau bancaire en général et pour La Banque Postale en particulier, au regard de la convention qui vous lie à l'État ?

Un autre sujet de préoccupation concerne l'accès aux espèces. Le sujet est grave et La Banque Postale a une responsabilité singulière en la matière. Dès qu'un opérateur, certes privé, mais assurant ce qui constitue un service au public, quitte un territoire, les fractures de notre pays s'agrandissent. Nous devons veiller à une couverture d'accès aux espèces sur l'ensemble du territoire. Un travail est mené en ce sens par la Banque de France et la Fédération bancaire française. Ce maillage doit avant tout être assuré par les banques elles-mêmes, qui disposent de l'expertise en matière d'accès aux espèces, notamment pour assurer la sécurité physique des personnels et des usagers. Ainsi, pouvez-vous formuler votre souhait que La Banque Postale soit en première ligne et un partenaire dans cette démarche?

M. Charles Guené. - Vous avez développé dans votre présentation la question de l'accessibilité sociale de La Banque Postale. Je souhaiterais, à la suite de plusieurs collègues, revenir sur la question de l'accessibilité géographique, au travers de deux points. Tout d'abord, la répartition et le maillage des distributeurs automatiques de billets (DAB) nous semblent un sujet central. Le Sénat a voté une proposition de loi en la matière. Un maillage fin est nécessaire. J'ai personnellement pu constater que cette question entretient en réalité un rapport étroit avec la présence sur le territoire des points Poste : il arrive, dans certains territoires, qu'on ne fasse pas évoluer un point Poste par crainte de « perdre » son DAB, qui ne serait par exemple pas aux normes. Il faut progresser vers une optimisation des points poste. Le second point que je souhaiterais aborder concerne la politique de La Banque Postale s'agissant de l'objectif des dix-sept mille points de contact. En particulier, de quelle manière allez-vous aborder l'arrivée des maisons de services au public « nouvelle formule » ? Je pense que La Banque Postale aura un rôle à jouer concernant les opérations en espèces et pourrait donc être inclue dans ces structures, ce d'autant plus que les trésoreries ne recevront plus les régies financières.

M. Thierry Carcenac. - Je vous remercie pour votre présentation sur la situation des personnes les plus en difficulté car, si votre établissement n'était pas là, je me demande comment cela se passerait.

Les dix-sept mille points de contact évoluent : il y a certes des bureaux, mais également des agences postales et des relais-commerçants. Les problèmes d'accès aux espèces sont importants et il convient de pouvoir maintenir cet accès, même s'il est impossible de créer des DAB partout.

Au-delà de ces points de présence, ma question concerne les maisons de services au public et leur transformation en maisons France service. Dans le cadre de ces transformations, comment vous situez-vous par rapport à votre clientèle la plus en difficulté ? Ce n'est en effet pas dans ce type de structure qu'une personne pourra souscrire à un crédit à la consommation.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder concerne certaines transformations de l'État. Nous avons déjà évoqué le cas des trésoreries et nous connaissons les évolutions qui ont affecté les préfectures en matière de délivrance de cartes grises. Vous avez mis en place un service payant qui s'est substitué à un service gratuit : savez-vous ce qu'un tel changement peut représenter pour les personnes les plus en difficulté ?

M. Rémy Weber. - Je vous remercie pour vos nombreuses questions. Tout d'abord, je me permets de rappeler que l'objet de cette réunion concernait la mission d'accessibilité bancaire et non le groupe La Poste et son avenir, sujet sur lequel j'aurais par ailleurs beaucoup de choses à dire. Je vais aborder un certain nombre de sujets concernant le groupe La Poste, qui touchent moins à La Banque Postale, mais je vais pour autant essayer de répondre à toutes vos questions.

S'agissant de la problématique du réseau, des DAB et des guichets automatiques bancaires (GAB), vous avez pu constater que La Banque Postale avait agrandi son réseau ces dernières années en nombre de DAB. Nous avons décidé que le canal des DAB et des GAB restera extrêmement important pour nous pour une période encore longue. En conséquence, nous allons essayer d'améliorer le plus possible ces DAB d'un point de vue technologique. Nous allons essayer de les rendre plus intelligents afin qu'ils puissent délivrer davantage de prestations, tout en maintenant la dimension du parc actuel. Si nous devions supprimer des DAB, cela concernerait des endroits dans lesquels leur concentration est trop importante par rapport aux besoins.

S'agissant d'installations supplémentaires, des discussions peuvent avoir lieu et leur issue n'est pas systématiquement négative, même si je rappelle qu'il s'agit d'une activité qu'il faut assumer dans ses comptes en ce qu'elle n'est pas rentable - elle peut l'être pour ceux qui proposent un service global qui inclue notamment les transports de fonds.

Au final, ce qu'il nous faut c'est une infrastructure, que celle-ci soit mutualisée, externalisée, repensée ou enrichie. Ce sont des sujets que nous devrons aborder et qui sont encore devant nous. En revanche, notre responsabilité collective - et nous ne sommes pas les seuls dans l'affaire - c'est de faire en sorte que nous ayons un parc qui soit suffisant pour les décennies qui viennent où les espèces continueront de jouer un rôle important.

Nous avons augmenté les plafonds de retrait en espèces de trois cent cinquante euros à cinq cents euros pour les agences postales communales. Les agents n'étant pas des banquiers, il s'agit d'un sujet qu'il faut gérer avec responsabilité. Notre dispositif couvre le territoire. Il n'est certes pas strictement le même à tous les endroits, mais nous sommes bien dans notre responsabilité de banque publique.

Par ailleurs, si le réseau est en cours de modernisation, il conservera au moins dix-sept mille implantations. Le groupe La Poste veut rester dans son dimensionnement de présence et je dois dire que le nouveau groupe qui se constitue avec la Caisse des dépôts comme actionnaire principal du groupe La Poste, chargée de la mission spécifique de se battre contre la fracture territoriale, est un élément extrêmement important dans ce nouveau dispositif.

La banque relationnelle doit exister sur le territoire aussi. Nous devons à cet égard jouer avec des outils modernes, dans lesquels nous avons énormément investis pour être en capacité d'apporter des réponses, même dans les endroits où il n'y a pas un commercial bancaire expert en matière de crédit à la consommation ou en matière de patrimoine. D'une manière ou d'une autre, il faudra que nous trouvions des solutions, non pas par la présence de personnels supplémentaires, car cela ne serait pas soutenable, mais grâce aux nouvelles technologies.

Nous devons imaginer que, même dans un bureau de Poste France service, nous puissions avoir un lien avec un commercial à distance qui soit en mesure de traiter un dossier. Dorénavant, ces derniers sont d'ailleurs entièrement dématérialisés à La Banque Postale. Nous avons à la fois besoin de femmes et d'hommes sur le terrain et de technologies beaucoup plus avancées. Nous avons ainsi investi près de deux milliards d'euros dans les outils de demain ces cinq dernières années. Ces outils nous permettront de garder des liens dans la relation humaine.

Le plafonnement des frais bancaires nous a coûté soixante-dix millions d'euros en 2019. Nous représentons tout de même près de la moitié de la clientèle financièrement fragile, soit un 1,6 million de clients sur les 3,4 millions de clients en situation de fragilité financière. Je me permets d'insister sur ce point-là.

Évidemment, nous devons être extrêmement attentifs à la question des espèces. La réglementation a changé et nous devons nous adapter. La réglementation est de plus en plus précise, bloquante, contraignante par rapport à ce qui était hier un monde beaucoup plus ouvert, beaucoup plus pratique. Nous avons été en dysfonctionnement, mais il faut souligner la difficulté que représente le fait de devoir dire non à un client quand vous êtes dans un bureau de poste exposé et que le client est dans une logique d'incivilité croissante. J'aimerais que l'on se mette de temps à temps à la place des agents au guichet. Les décisions que nous avons récemment prises sur les dépôts d'espèces témoignent de notre volonté de respecter la réglementation. Toutefois, il s'agit d'une culture nouvelle de conformité et de connaissance clientèle qui représente un changement considérable à l'échelle du groupe.

Concernant Ma French Bank, pourquoi ce nom ? Il s'agit d'abord d'une opération de start-up française qui a fait un démarrage extraordinaire. Nous sommes aujourd'hui à plus de cent-cinquante mille clients actifs qui ont déposé de l'argent sur cette banque. Nous touchons une clientèle jeune et le choix du nom a été fait en conséquence. Il s'avère que c'est un succès colossal et il faut s'en réjouir. Nous avons investi plus de cent millions d'euros dans ce projet. Alors que La Banque Postale a une clientèle vieillissante et que les jeunes ne vont plus spontanément dans les bureaux de poste, nous sommes en train d'essayer d'inverser la tendance. Nous avons un programme pour essayer d'atteindre un million deux-cent mille clients d'ici 2025. Nous faisons face à une véritable démocratisation de la néo-banque, de la banque digitale complète. Pratiquement cent-cinquante nationalités sont clientes et nous avons des clients qui utilisent, pour une partie non négligeable, cette banque comme leur banque principale. Parmi ces clients, vous avez des jeunes mais aussi une partie de la clientèle très peu aisée. Nous sommes donc bien dans notre responsabilité. Ces clients sont venus pour la prestation au coût de deux euros par mois. Nous sommes très contents du nom puisque c'est celui qui nous a permis d'aller au rythme où nous sommes allés.

M. Vincent Éblé, président. - La « Banque à papa » n'aurait pas été un nom aussi efficace...

M. Rémy Weber. - Madame Goulet, s'agissant de la fraude sociale, je ne dispose pas des éléments chiffrés, mais je ne manquerai pas de revenir vers vous. Malgré tout, la fraude est relativement résiduelle à l'échelle de l'ensemble de notre activité.

En 2019, nous avons de bons résultats en termes de financement des collectivités territoriales. Sept ans après le démarrage de cette activité, notre part de marché s'élève à 28 % environ, avec plus de cinq milliards de crédits accordés aux collectivités territoriales et 500 millions de crédits aux hôpitaux publics, pour lesquels nous sommes la première banque. Nous avons installé des centres d'affaires partout sur le territoire pour traiter leurs demandes de financement. La moitié du nombre de nos crédits à destination des collectivités territoriales bénéficie à des communes de moins de cinq mille habitants, ce qui montre que notre offre de crédits répond à un réel besoin.

Concernant les fermetures de bureaux de poste, le directeur général du groupe La Poste, Philippe Wahl, a indiqué qu'il était dans une dynamique de transformation du réseau, mais aussi de maintien de points de contact sur tout le territoire, il faut nécessairement trouver un équilibre entre les deux. Les maisons de services au public ont été le précurseur de ces évolutions, qui seront demain prolongées par les maisons France service, en partenariat avec la Caisse des dépôts et des consignations.

Vous m'avez également interrogé sur le financement de la vie politique, nous avons une politique centralisée pour toutes les ouvertures de comptes spécifiques. Si nous finançons des personnes, nous ne finançons pas les partis.

Pour la question relative à HSBC, beaucoup d'éléments sur le sujet du rachat ont été publiés dans la presse. Ce qui est certain, c'est que la politique de La Banque Postale à destination de la clientèle la plus fragile est très peu génératrice de produit net bancaire supplémentaire. Sur ce segment de clientèle, nous démarrons l'année avec un déficit de 300 millions d'euros. Notre objectif est donc de rattraper ce déficit en allant chercher des segments de clientèle rentables. Dans un contexte de taux bas, nous avons malgré tout réussi. Si on ne fait pas l'une de ces activités, on ne peut pas faire les deux. Pour HSBC France, si les paramètres ne nous conviennent pas, nous n'irons pas plus loin. Ce que nous cherchons c'est une rentabilité du marché des particuliers que nous ne pouvons pas trouver sur le marché de la clientèle fragile, et procéder ainsi n'est pas un paradoxe. Nous devons également chercher de nouveaux développements à l'international, notamment avec CNP Assurances, ainsi qu'une diversification des métiers, comme avec l'assurance dommage. Sur ce dernier point, c'est la raison pour laquelle nous sommes en train de procéder au rachat des 35 % que Groupama détient dans notre compagnie d'assurance IARD. Nous cherchons de la rentabilité complémentaire, à un moment où les taux d'intérêt sont vraiment bas.

Monsieur Husson, concernant l'idée du « cash » pour tous, je pense vous avoir répondu, en vous donnant des éléments sur ce que nous sommes en train d'étendre sur l'ensemble du territoire, en offrant la possibilité de détenir davantage de liquidités, tout en assurant la sécurité pour nos collaborateurs, et j'ai mentionné également notre réseau de DAB. Nous ne sommes pas seuls sur le sujet : il s'agit d'activités d'infrastructures qui sont souvent déficitaires, mais indispensables. C'est très facile de proposer une carte bancaire gratuite, quand vous n'êtes pas vous-même financeur d'un réseau de DAB. C'est plus difficile quand vous investissez lourdement dans la modernisation du réseau. Nous serons un acteur positif, engagé, pour garantir un accès aux liquidités sur l'ensemble du territoire. Nous ne sommes pas les plus présents sur l'ensemble du territoire, mais nous sommes la deuxième banque, après le Crédit Agricole. Avec le déploiement des agences postales communales nous sommes dans une logique de distribution de paiement par carte, en s'appuyant sur les commerces de proximité. Nous jouerons notre rôle : pas au-delà, pas moins.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie.

La réunion est close à 12 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Vincent Éblé, président, puis de M. Charles Guené, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Arrêt et démantèlement des installations nucléaires civiles - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

M. Vincent Éblé, président. - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur l'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires.

La fermeture du premier réacteur de la centrale de Fessenheim, le 22 février dernier, a marqué l'actualité récente. Ces fermetures vont se multiplier ces prochaines années, en particulier au cours des années 2030 à 2050. En effet, la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat prévoit de porter la part du nucléaire dans notre mix électrique à 50 % d'ici à 2035 et le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) propose d'arrêter quatorze réacteurs nucléaires d'ici à 2035 pour se conformer à cet objectif.

C'est pourquoi notre commission des finances a souhaité demander à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur l'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires afin de tirer les enseignements de l'expérience de la fermeture de la centrale de Fessenheim et d'anticiper les coûts de ces opérations futures.

Nous recevons Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions des travaux menés. Pour nous éclairer sur le sujet, sont également présents aujourd'hui MM. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat du ministère de la transition écologique et solidaire, et Sylvain Granger, directeur des projets de déconstruction et déchets du groupe EDF.

Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Notre enquête a porté sur l'ensemble des installations nucléaires : à la fois les réacteurs, mais aussi les installations associées, y compris quelques installations gérées par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Ce rapport aborde des questions sensibles, à la fois dans le contexte de la fermeture de la centrale de Fessenheim, mais aussi au regard de l'impact sur la situation financière des exploitants de tout changement de réglementation ou de doctrine. La Cour a donc veillé dans ce rapport à respecter le secret des affaires, qui est protégé par la loi.

La phase d'instruction, très dense, s'est déroulée entre avril et octobre 2019, avec de nombreuses rencontres et visites sur le terrain. La phase de contradiction s'est déroulée entre novembre 2019 et janvier 2020 et a impliqué EDF, le CEA, la direction générale de l'énergie et du climat, la direction générale de la prévention des risques, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et Réseau de transport d'électricité (RTE), à sa demande.

La France est dotée d'installations nucléaires de deux générations différentes. Toutes les installations nucléaires ont vocation à être arrêtées un jour. Celles de la première génération ont été arrêtées du fait de leur exploitant - sauf dans le cas de Superphénix. En revanche, l'arrêt des installations nucléaires de la deuxième génération est prévu par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui plafonne la puissance installée à 63,2 GW et prévoit la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production française d'électricité à une date qui a été reporté à 2035 par la loi relative à l'énergie et au climat.

Sur les 126 installations nucléaires de base que comptait la France au 31 décembre 2018, 36 sont arrêtées et en cours de démantèlement et 33 sont totalement démantelées et déclassées. Le démantèlement des installations de la première génération s'étendra jusqu'à la fin du siècle et celui des installations de la deuxième génération pourrait aller au-delà.

La Cour a fait huit principaux constats.

Le premier de ces constats est que la fermeture de Fessenheim est issue d'un processus de décision chaotique : depuis la promesse de fermeture par le président de la République en 2012, au fil des déclarations et des actes réglementaires, une certaine confusion a été entretenue sur les responsabilités respectives de l'État et d'EDF. Ce processus a finalement débouché en septembre 2019 sur la signature du protocole d'indemnisation et l'envoi, par EDF, de la déclaration d'arrêt.

Le deuxième constat est que la fermeture de Fessenheim est coûteuse pour l'État. Le protocole reste très imprécis et la Cour recommande donc que soient précisées ses modalités d'application par voie d'avenant. Le protocole reste en outre très favorable à EDF. Il prévoit en effet deux postes d'indemnisation. L'indemnité initiale couvre le coût d'anticipation des dépenses liées à la fermeture. Elle s'élève à 370 millions d'euros, mais son taux d'actualisation particulièrement élevé entraînerait, en cas de paiement échelonné jusqu'en 2024, un surcoût de 73 millions d'euros. C'est pourquoi la Cour recommande de verser à EDF dès 2020 l'intégralité de l'indemnité initiale. L'indemnisation sur les bénéfices manqués est essentiellement fonction de l'évolution des prix de l'électricité jusqu'en 2041 ; or aucun prix plafond n'a été fixé pour limiter le risque pour l'État. Enfin, l'État va devoir soutenir financièrement les collectivités territoriales concernées par des pertes de recettes fiscales ; les collectivités territoriales concernées considèrent que la question des versements au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) n'est pas résolue ; la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales s'est engagée à rouvrir ce dossier sensible.

Le troisième constat est que la trajectoire des fermetures des centrales existantes doit être anticipée. Notre parc de centrales nucléaires a été construit, pour l'essentiel, sur une courte durée d'une quinzaine d'années. Une durée de fonctionnement identique de tous les réacteurs conduirait à concentrer dans le temps tous les démantèlements et donc à un effet « falaise ». Un tel scénario ne serait pas soutenable et une trajectoire intermédiaire doit donc être définie. La PPE n'est prescriptive que jusqu'en 2028, or les enjeux vont bien au-delà. En outre, tout écart d'anticipation entre l'État et l'exploitant comporte un risque d'indemnisation comme on l'a vu avec Fessenheim. Il faut donc des documents de planification comportant des délais de prévenance suffisants. C'est pourquoi la Cour recommande de porter à quinze ans le volet relatif au mix électrique de la PPE et de renforcer corrélativement la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Par ailleurs, la chronique des arrêts détermine le rythme des démantèlements, qui a lui-même des incidences sur la gestion des déchets et le cycle amont du combustible. La Cour recommande donc une meilleure articulation entre la PPE, le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et une stratégie de démantèlement à dix ans.

Le quatrième constat est que les démantèlements en cours enregistrent des augmentations de coûts. Les exploitants ont en effet des obligations : le démantèlement immédiat « dans des délais aussi courts que possible » et « dans des conditions économiques acceptables » et l'assainissement complet - c'est-à-dire une totale remise en état qui permet le déclassement des zones nucléaires. Les exploitants ont aussi des contraintes tant techniques - liées à la complexité des opérations et à un faible retour d'expérience - que financières - la dotation annuelle du CEA est de 740 millions d'euros, EDF et Orano doivent provisionner les charges de démantèlement. En conséquence, les exploitants ont enregistré de très fortes augmentations des devis - un quasi-doublement entre 2013 et 2018. La Cour regrette qu'il n'existe aucun indicateur de performance qui permette de suivre la réalisation financière de ces opérations ; elle recommande donc d'établir des indicateurs de réalisation et de performance pour l'action 15 du programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » relative aux projets d'assainissement et de démantèlement du CEA.

Le cinquième constat est que les stratégies de démantèlement des exploitants font apparaître des démarches d'assainissement variables et un allongement des délais. En effet, les exploitants limitent leur engagement et privilégient des scénarios de réutilisation industrielle du site : l'assainissement n'est alors plus complet, mais simplement poussé. On constate également un allongement des délais - + 66 ans en moyenne pour EDF pour les réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG) - qui conduit à alourdir le devis des opérations en raison des coûts supplémentaires induits d'entretien, de surveillance et d'exploitation - + 1,1 milliard d'euros pour le CEA par exemple. C'est pourquoi la Cour recommande de prendre davantage en compte, pour chaque réacteur UNGG, l'obligation de démantèlement « dans des délais aussi courts que possible », comme le prévoit le code de l'environnement.

Le sixième constat est que l'encadrement et le suivi réglementaire des démantèlements pourraient être plus efficaces. Les procédures administratives engendrent des délais souvent supérieurs à trois ans et la Cour recommande donc de simplifier la préparation et le contenu des décrets de démantèlement ainsi que de doter l'ASN d'un pouvoir de décision accru pour leur mise en oeuvre. Les autorités administratives semblent parfois en difficulté pour apprécier les arbitrages proposés par les exploitants. L'arbitrage politique doit être porté par la direction générale de l'énergie et du climat comme chef de file. Par ailleurs, on observe que la réduction sensible de la taxe sur les installations nucléaires de base à l'arrêt ou en cours de démantèlement, votée par le Parlement en 2017, n'incite plus les opérateurs à démanteler au plus vite les installations arrêtées.

Le septième constat est que l'évaluation des charges futures pourrait gagner en prudence et en exhaustivité. On ne part pas de rien : le montant des charges évalué par les trois exploitants s'établit à 46,4 milliards d'euros fin 2018, en hausse de 8,4 milliards d'euros par rapport à 2013, à périmètre constant. La loi prévoit qu'ils procèdent à ces évaluations sur un principe de prudence. La Cour recommande d'obtenir des exploitants qu'ils prennent mieux en compte les incertitudes et les aléas dans les évaluations de charges futures et dans leur financement. En outre, le périmètre des charges de long terme devrait être progressivement étendu aux dépenses de post-exploitation ou aux dépenses dites de période. Mais le coût de ce changement de périmètre est estimé à plus de 7 milliards d'euros pour EDF et 1 milliard d'euros pour Orano, c'est pourquoi un provisionnement progressif ou avec un délai particulier pourrait être envisagé.

Le huitième constat est que la sécurisation du financement mériterait d'être ajustée. La loi prévoit que les provisions actualisées des charges futures doivent être couvertes par la constitution d'actifs dédiés dont la valeur de réalisation doit au moins être égale à celle des provisions. De plus, ces provisions doivent obligatoirement être affectées à leur objet. La Cour recommande de faire porter l'encadrement réglementaire du taux d'actualisation utilisé pour le calcul des provisions des exploitations nucléaires sur le taux réel plutôt que sur le taux nominal. Les ministres compétents ont annoncé aux exploitants le passage en 2020 à un plafonnement du taux réel sur la base d'une référence moins sensible à la conjoncture : c'est une bonne chose. Nous avions également relevé que les provisions pour charges futures non liées à l'exploitation devaient être intégralement couvertes par des actifs dédiés avec un délai de retour à 100 % sur trois ans en cas de dépréciation de ces actifs - alors que les exploitants souhaitaient au moins cinq ans. La Cour suggère la mise à l'étude de critères complémentaires d'analyse des risques et d'adossement actif-passif : or les provisions pour charges futures du CEA qui ne sont pas couvertes par des actifs dédiés devront être supportées par les générations futures...

Je tiens à remercier l'équipe de contrôle présente à mes côtés aujourd'hui. Nous nous félicitons que certaines de nos recommandations soient a priori retenues par le Gouvernement et formons le voeu que ce rapport puisse contribuer à l'information de nos concitoyens si vous décidiez de le rendre public.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie, madame la présidente, d'autant que vous avez été aussi succincte que possible, pour un sujet qui nécessite de la concentration, compte tenu de sa technicité.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Je commencerai par remercier la Cour des comptes pour sa présentation et, plus généralement, pour son enquête qui apporte un éclairage intéressant et des analyses précises sur la question de l'arrêt et du démantèlement des installations nucléaires, dont l'impact sur les finances publiques va aller croissant dans les décennies à venir.

Ce rapport intervient au bon moment, puisque la fermeture du premier réacteur de la centrale de Fessenheim a eu lieu le 22 février dernier, le deuxième réacteur devant fermer ses portes au mois de juin. Il s'agit là de la première fermeture d'une installation nucléaire de deuxième génération. Cette fermeture, dois-je le rappeler, résulte non pas de considérations techniques, mais d'une décision politique prise lors du quinquennat précédent et confirmée par le Gouvernement actuel.

Comme l'a rappelé la présidente de la Cour des comptes, cette fermeture imposée par l'État à EDF a donné lieu à la signature d'un protocole d'indemnisation le 27 septembre 2019.

Mais la Cour estime dans son rapport - je la cite - que ce protocole est « trop imprécis pour éviter un risque de divergences d'appréciation », qu'il présente « des risques financiers pour l'État » et que « les paramètres d'indemnisation sont globalement défavorables à l'État ». Sur ce sujet, je poserai trois questions aux représentants de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et d'EDF.

D'abord, pouvez-vous revenir sur la négociation de ce protocole d'indemnisation ?

Ensuite, que répondez-vous aux critiques de la Cour des comptes sur ce protocole ?

Enfin, vous paraît-il nécessaire d'en préciser par avenant les modalités d'application ?

Je m'inquiète également pour l'indemnisation financière des territoires concernés par la fermeture de Fessenheim, en particulier sur la question de l'accompagnement des collectivités territoriales qui vont subir des pertes fiscales.

Pouvez-vous nous rappeler comment ces collectivités territoriales vont être soutenues financièrement par l'État ?

Comment résoudre la question des versements au FNGIR évoquée par la Cour des comptes ?

Alors que d'autres centrales vont être fermées à l'avenir, le rapport de la Cour des comptes montre bien qu'il est essentiel d'anticiper très précisément et le plus en amont possible les réacteurs concernés pour limiter l'impact de ces fermetures.

Leurs conséquences économiques, sociales, fiscales, sont en effet très lourdes pour les territoires et représentent également un coût important pour les finances publiques, puisque l'État devra à chaque fois indemniser EDF, dès lors que ces fermetures résulteront de décisions politiques et non techniques, et les collectivités territoriales concernées.

Or, le Gouvernement est à ce stade bien en peine de définir une stratégie claire et robuste pour l'avenir du nucléaire qui permette de réduire sa part dans le mix énergétique sans pour autant mettre en danger l'approvisionnement en électricité de notre pays.

Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) propose d'arrêter 14 réacteurs nucléaires d'ici à 2035 pour porter à 50 % la part du nucléaire dans notre mix électrique à cette date.

Je note en premier lieu qu'atteindre un tel objectif impliquerait que le développement des énergies renouvelables électriques soit suffisamment dynamique à cette échéance, ce qui est loin d'être acquis.

Mais je constate surtout que le projet de PPE ne va pas au-delà de 2029, alors que l'essentiel des fermetures de centrales est envisagé entre 2029 et 2035, ce qui prive, de facto, les acteurs concernés de visibilité.

Il existe également des discordances entre la PPE, qui envisage la fermeture de certaines centrales, dès 2025 ou 2027, ce qui nécessiterait une indemnisation par l'État, et la stratégie industrielle présentée par EDF à son conseil d'administration du 29 mars 2018, qui prévoit la fermeture de deux réacteurs par an en moyenne à partir de 2029. Il y a là de nombreuses incertitudes qu'il conviendrait de lever.

Je souscris donc à la proposition de la Cour des comptes, selon laquelle la durée de la programmation pluriannuelle de l'énergie devrait être portée à 15 ans, et beaucoup mieux s'articuler avec les autres outils de planification énergétique existants, comme la stratégie nationale bas carbone.

Je me permets d'ajouter, comme je l'ai déjà fait à de nombreuses reprises par le passé - en vain jusqu'à présent -, que le Parlement devrait être associé de beaucoup plus près à l'élaboration de la PPE, voire même que celle-ci devrait faire l'objet d'une loi de programmation pluriannuelle de l'énergie. Je renouvelle ce souhait que je transforme en voeux, si cela peut en faciliter sa réalisation.

En ce qui concerne les coûts et les délais de démantèlement des installations nucléaires, la Cour des comptes estime que les stratégies de démantèlement retenues par le CEA, Orano et EDF, tendent à générer de fortes hausses des coûts de ces opérations. Dans le cas d'EDF, il s'agit notamment du choix de passer d'une technique de démantèlement dite « sous eau » à une technique dite « sous air » qui fait augmenter significativement la facture finale. La Cour évoque également la lourdeur des procédures administratives, qui tendent à rallonger à l'excès les opérations de démantèlement, ce qui, là encore, a un fort impact en termes de coûts.

Alors que la Cour propose de simplifier la préparation et le contenu des décrets de démantèlement ou encore de mieux prendre en compte l'obligation de démantèlement dans « des délais aussi courts que possible », je souhaiterais savoir de façon très concrète et opérationnelle comment la DGEC et EDF comptent procéder pour réduire les coûts et les délais de démantèlement des installations nucléaires.

J'en viens à la dernière partie du rapport de la Cour des comptes, qui concerne les charges futures de démantèlement.

La Cour considère que les évaluations de ces charges présentées par les exploitants, dont EDF, prennent insuffisamment en compte les incertitudes et les aléas susceptibles de survenir.

La DGEC partage-t-elle ce point de vue et compte-t-elle faire évoluer ses exigences vis-à-vis des exploitants ?

La Cour des comptes estime également que certaines dépenses inéluctables provoquées par l'arrêt définitif des installations nucléaires devraient être inclues dans ces évaluations et faire l'objet d'un provisionnement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il s'agit notamment du coût des opérations de préparation au démantèlement, des dépenses de post-exploitation, des impôts et des taxes.

Alors que le périmètre des charges à prendre en compte est défini par un arrêté du 21 mars 2007, la DGEC compte-t-elle faire évoluer ce texte dans le sens des préconisations de la Cour des comptes ?

M. Sylvain Granger, directeur des projets déconstruction-déchets du groupe EDF. - Concernant les questions relatives au protocole d'indemnisation de Fessenheim, le processus de négociation a été qualifié de chaotique par la Cour des comptes. Je rappellerai ce qu'il en a été au sein d'EDF.

Le conseil d'administration d'EDF a examiné le projet de protocole d'indemnisation à chaque étape du processus, notamment le 6 avril 2017, après la modification d'un premier projet, pour tenir compte des observations de la Commission européenne - qui a d'ailleurs conclu qu'il ne s'agissait pas d'une aide d'État. Le conseil d'administration a bien évidemment approuvé le projet final, le 20 septembre 2019, en tenant compte des nouvelles modifications provenant de la consultation, lancée par la ministre de la transition écologique et solidaire, du comité ministériel des transactions, prévue par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

En application des dispositions légales et des principes de bonne gouvernance, lorsque le conseil d'administration a eu à se prononcer sur ce protocole, le représentant de l'État, nommé par décret, n'a pas pris part au vote, et les autres administrateurs, nommés en assemblée générale sur proposition de l'État, se sont abstenus.

Par ailleurs, pour éclairer ses décisions, le conseil d'administration a pris soin de constituer un groupe de travail d'administrateurs indépendants, en charge de suivre les discussions entre EDF et l'État et d'examiner les termes et les conditions du protocole d'indemnisation, avant sa délibération en conseil.

Globalement, il me semble que du point de vue de la gouvernance du groupe EDF, et de la préservation de ses intérêts, les choses ont été effectuées dans les règles.

S'agissant de l'appréciation du résultat, nous considérons que l'équilibre raisonnable qui devait être trouvé entre les différentes parties a été obtenu. Le résultat de la négociation conduit à un protocole équilibré, fondé, non pas sur des indemnisations forfaitaires a priori, qui auraient pu léser l'une ou l'autre des parties, mais sur le préjudice réel subi - un élément extrêmement fort de ce protocole.

La première phase d'indemnisation est fondée sur l'anticipation des coûts générés par la décision de l'État, qui correspondent à une indemnité de 370 millions d'euros. Seuls les mécanismes de la seconde phase sont fixés ; ils font notamment référence aux prix futurs de l'électricité. Plutôt que de les extrapoler, a priori, nous avons mis en place un groupe de travail qui a pour vocation de suivre et de décliner le protocole pour cette seconde partie de l'indemnisation potentielle.

La Cour propose de préciser ces mécanismes de suivi et de mise en oeuvre par voie d'avenant. Toute précision est bonne à prendre à partir du moment où elle contribue à ce que l'exécution du protocole se fasse dans les meilleures conditions.

L'extension de la PPE à quinze ans fait sens. Il s'agit d'une industrie de temps long, et les industriels, l'État et les territoires ont besoin de visibilité. Il serait donc tout à fait souhaitable que l'ensemble des stratégies - PPE, stratégie bas carbone et Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) - soient instruites de manière cohérente et simultanée.

Par ailleurs, la Cour a présenté une augmentation du coût du démantèlement - de manière un peu brutale - de 4,5 milliards d'euros sur la période 2013-2018, concernant EDF, ainsi qu'un allongement des délais extrêmement significatifs. Ces évolutions sont justifiées par le changement de stratégie industrielle qui sera utilisée pour le démantèlement des réacteurs au graphite, qui constituent l'essentiel des réacteurs dits de première génération - nous avons six réacteurs au graphite à démanteler sur les neuf réacteurs en cours de démantèlement à EDF.

En effet, à l'issue des études que nous avons réalisées en 2015, il s'est avéré que la stratégie initiale, fondée sur une reprise de notre savoir-faire pour les réacteurs à eau pressurisée - qui constitue la technique du parc actuel - n'était pas faisable. Cette étude a été « challengée » par un groupe d'experts indépendants et un rapport Informatique Réseaux Systèmes Multimédias (IRSM) aboutit aux mêmes conclusions. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) approuvant ce changement de stratégie, nous pouvons dire qu'il existe un consensus de l'ensemble des parties prenantes.

Certes, la nouvelle stratégie conduit à développer des technologies spécifiques, qui engendreront des coûts financiers supplémentaires. Mais nous devons garder en tête que nous disposons de six réacteurs au graphite en France, contre 40 en Grande-Bretagne. Et que nous sommes les premiers à nous attaquer à ce genre de démantèlement dans le monde. Alors, même si l'investissement sera un peu plus important, il sera très bénéfique pour la France, qui pourra ainsi valoriser sa nouvelle stratégie sur un marché du démantèlement qui, à l'échelle européenne, est en forte croissance.

Concernant les marges pour risques et incertitudes, cette question est matière à jugement et il est important de bénéficier d'avis d'experts indépendants et contradictoires. Je me référerai, pour ce qui concerne le parc en cours de fonctionnement, à l'audit indépendant commandité en 2014 et qui a rendu ses conclusions en 2016. Dans celles-ci, il était indiqué que nos provisions étaient, globalement, d'un bon niveau et que les marges pour risques et incertitudes que nous introduisons étaient tout à fait raisonnables. Il nous était simplement demandé de les expliciter davantage, ce que nous avons fait dès 2016, lors d'une évolution de nos traductions comptables.

Pour ce qui concerne le périmètre de provisionnement, je rappellerai que le système de sécurisation financière dans lequel nous nous inscrivons nous oblige, d'une part, à évaluer avec prudence, et avec toutes les marges possibles et raisonnables, nos charges futures de démantèlement, et, d'autre part, à établir des provisions en utilisant un taux d'actualisation lui aussi prudent. En 2019, le taux d'actualisation était de 3,7 %, sachant que la rentabilité de nos actifs dédiés est, depuis 2004, de quelque 6 %. Enfin, au 31 décembre 2019, le taux de couverture des provisions était de 105,5 %. Nous sommes donc aujourd'hui surcouverts par rapport à nos obligations.

Concernant le périmètre de provisionnement, nous appliquons les règles et l'arrêté de 2007, ainsi que les règles comptables qui nous imposent de provisionner les charges nécessaires pour éteindre nos obligations relatives au démantèlement.

Ce périmètre peut-il être étendu à des charges de période - charges qui ne se provisionnent pas ? Le raisonnement économique sous-jacent fondé sur des flux de recettes et de dépenses pourrait être pertinent si notre société détenait un seul réacteur nucléaire et allait fermer. Cependant, à l'échelle d'EDF, ce raisonnement n'est pas justifié.

Si jamais une telle évolution était envisagée, il conviendrait d'effectuer une étude d'impact sur d'autres entreprises - y compris dans d'autres secteurs industriels -, car beaucoup d'entre elles pourraient se retrouver dans une situation comparable à EDF, du point de vue strictement économique et financier.

M. Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire. - Le protocole d'indemnisation de Fessenheim a été adopté par la gouvernance d'EDF, dans le cadre du respect des gouvernances d'État, dont les lois récentes impliquent un avis du comité ministériel des transactions, au-delà d'un certain montant. Un protocole a été notifié deux fois à la Commission européenne, la première fois en 2007, pour vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une aide d'État.

Nous n'avons ni le souhait ni l'intention de revenir sur l'économie générale du protocole. En revanche, comme cela a été proposé par la Cour des comptes, un certain nombre de modalités d'application nécessitent encore des précisions.

De même, nous partageons l'idée de solder une fois pour toutes l'indemnité. Évidemment l'annualité budgétaire nécessitera de trouver une solution différente de celle qui est inscrite aujourd'hui dans les trajectoires.

Le FNGIR est un problème identifié. Il s'agit d'une problématique générale concernant la fermeture des sites industriels. Par ce mécanisme, les collectivités, alors favorisées par des recettes importantes, se retrouvent à verser des taxes, alors même que la source est en train de disparaître. Le cas Fessenheim révèle donc une problématique plus globale, sur laquelle nous travaillons, en lien avec le ministère de la Cohésion des territoires. Nous espérons que cette question sera réglée dans le projet de loi de finances pour 2021.

Pour l'accompagnement des collectivités, un protocole a été mis en oeuvre qui mobilise à la fois des moyens supplémentaires déjà identifiés et un certain nombre de projets financés par des moyens de droit commun. Cela n'épuise pas l'ensemble de ce qui doit être fait, et notamment la recherche de projets industriels et la création d'emplois. L'un des projets que l'État accompagnerait est le Technocentre de valorisation de déchets très faiblement radioactifs, même si son accompagnement n'est pas inscrit dans le protocole. Nous avons déjà des échanges importants avec EDF sur l'économie générale de ce que pourrait être ce projet - dans le respect des aides d'État.

La PPE est prévue pour une période de dix ans. Sur le volet électrique, et en particulier nucléaire, ses projections des besoins de consommation et d'évolution du parc, avec la contrainte d'une part du nucléaire de 50 % en 2035, donnent une indication assez ferme, avec quatorze fermetures prévues, dont une bonne part après 2028, puisqu'on a compris qu'il serait impossible et inopportun de respecter la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, qui prescrivait 50 % en 2025.

À l'initiative des parlementaires, lors du vote de la loi énergie-climat, des amendements ont été adoptés, prévoyant que la prochaine PPE et la prochaine stratégie nationale bas-carbone soient encadrées par une loi revue tous les cinq ans. Une loi quinquennale prédéterminera donc, plus largement encore que ce qui est déjà prévu dans le code de l'énergie, le contenu de la PPE. Nous allons bien vers une association plus forte du Parlement - à compter de la prochaine PPE. La conclusion que donnait l'État suite au débat public sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs était qu'il avait bien l'intention de prendre en compte dans le plan les implications de la stratégie globale de la PPE. D'ailleurs, un article du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) que vous avez voté porte à cinq ans la périodicité du plan national de gestion des déchets et des ressources. Les différents aspects doivent être articulés entre eux.

Les décrets de démantèlement sont préparés par l'ASN sur la base des demandes des exploitants. Nos collègues de la direction générale de la prévention des risques et de l'ASN travaillent à une optimisation des procédures, ce qui permettrait de raccourcir les délais. Cela dit, un décret de démantèlement, ce n'est pas un petit arrêté sur une petite installation ! Il faut donc trouver le bon équilibre. De même, sur la réduction des coûts et des déchets, il faut tenir compte de la réalité. Les charges de long terme sont couvertes par des actifs provisionnés, et il y a un processus régulier d'audits. Ainsi, l'audit dit Dampierre analysait les coûts de démantèlement de réacteurs à eau pressurisée ; pour Orano, nous avons audité le coût du démantèlement de l'usine Eurodif Georges Besse 1 ; et pour le CEA, un audit est en cours sur le coût de démantèlement des réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG). Nous attendons les résultats pour la fin 2020. Chaque année, nous menons un ou deux audits, pour rediscuter avec les exploitants des marges. Bref, nous veillons à ce que notre processus soit robuste et contradictoire.

En cohérence avec les recommandations de la Cour des comptes, nous faisons évoluer les taux d'actualisation des formules pour qu'ils soient plus stables et plus prévisibles. Nous les basons donc sur les taux réels et non plus sur un taux additionnel à une inflation difficile à prévoir. Nous développons aussi la possibilité, lorsque nous sommes en sous-couverture, ce qui a parfois été le cas, de revenir sous cinq ans, avec un encadrement évidemment. Nous essayons enfin d'aboutir, avant la fin de l'année, à une évolution de l'arrêté qui fait la liste de ce qui doit être couvert.

Mme Nathalie Goulet. - Ce qui m'importe, c'est la compensation pour les collectivités locales. Vous renvoyez à la loi de finances pour 2021. Avez-vous déjà commencé les évaluations, notamment pour le FNGIR, pour les collectivités concernées ? Imaginez-vous une compensation triennale, malgré l'annualité des lois de finances ? Il serait bon de garantir ces compensations sur la durée, afin de donner de la visibilité aux collectivités territoriales. Le cas de Fessenheim n'est pas isolé : chaque fois qu'il y a des ruptures économiques sur des territoires, il y a des problèmes de compensation. Le rapport de la Cour des comptes montre de tels errements liés à la fermeture de Fessenheim qu'on peut comprendre que les collectivités territoriales voisines soient très affectées. Pouvez-vous nous donner des garanties sur les indemnisations qui figureraient dans la loi de finances pour 2021 ?

M. Roger Karoutchi. - Je poserai plus simplement la question de l'opportunité. Franchement, était-ce le moment de fermer Fessenheim ? Le monde est en crise, les finances publiques sont en crise, nous ne savons pas par quoi remplacer le nucléaire - certainement pas par les modes nouveaux, en tous cas. Nous allons donc importer des énergies fossiles pour compenser. Le rapport de la Cour des comptes établit qu'entre l'indemnisation, les pertes subies, le fait que l'État va devoir soutenir les territoires, le coût est faramineux. On nous annonce de surcroît un plan de fermeture des centrales sur quinze ans, et la Cour se demande ouvertement si c'est soutenable. Le Gouvernement répond que oui. Mais, dans la mesure où l'on fait une réforme des retraites sur 25 ans, on pourrait prévoir pour les centrales nucléaires un délai plus long que quinze ans. Dans les quinze ans qui viennent, l'État a-t-il réellement les moyens de réaliser ce plan dans des conditions financières acceptables pour les collectivités et pour l'équilibre énergétique de la France ? Est-ce bien raisonnable d'avancer ainsi, les yeux fermés ?

M. Jean Bizet. - Je suis d'accord avec Roger Karoutchi, mais il s'agit là véritablement d'une décision politique, arrachée par nos très chers amis écologistes. Je sais que l'amour n'a pas de prix, mais là, cela va tout de même coûter très cher ! C'est une faute économique profonde : au-delà du coût précisé par la Cour des comptes, cela va fragiliser notre compétitivité. L'un des rares avantages de la France était de disposer d'un coût de l'énergie relativement bas, grâce à la filière nucléaire.

Puis, quelle image donnons-nous aux pays qui sont en train de se tourner vers l'énergie nucléaire, quand nous lui tournons le dos ? C'est aussi une grosse faute environnementale, qui nous conduira à émettre dans l'atmosphère dix millions de tonnes de CO2 supplémentaires. Et nos amis allemands, qu'on adore par ailleurs, mais qui achètent avec une certaine hypocrisie l'énergie nucléaire française, vont être obligés de construire des centrales de production à base de charbon - au moment où l'Europe s'engage dans un Green Deal ! Comment assurer à l'horizon 2050 la neutralité carbone ? Avez-vous véritablement anticipé la trajectoire des besoins, croissants, en électricité, en tenant compte de la transition énergétique à opérer, notamment dans la filière automobile ?

M. Antoine Lefèvre. - Sur le recyclage, nous votons des lois organisant l'économie circulaire. Dans le nucléaire, cela pose un certain nombre de difficultés. EDF revendique sa responsabilité sociale et environnementale sur ces questions de recyclage, mais il y a des limites puisque, pour les déchets radioactifs, il n'y a pas de recyclage possible. Quelle est la stratégie pour le stockage ?

M. Thierry Carcenac. - Le rapport de la Cour est très intéressant, notamment sur la fermeture de Fessenheim, dont il dit qu'elle est issue d'un processus de décision chaotique. Cette fermeture était adossée à la mise en oeuvre de l'EPR de Flamanville, sans cesse reportée. La page 105 montre que les coûts de démantèlement dans d'autres pays, comme les États-Unis, sont très différents de ceux rapportés par EDF. Que faut-il en penser ? Les coûts sont toujours prévus en fonction de la situation à un moment donné. Mais, en matière environnementale, on ajoute toujours des éléments supplémentaires, qui ont des conséquences de charges très importantes. Ce risque a-t-il été pris en compte ? Sur la fiscalité des collectivités locales et leur compensation, on évoque l'ancienne taxe professionnelle, avec le FNGIR et la CVAE. On nous dit aussi que les impôts de production pourraient être concernés, à terme. Pouvez-vous nous apporter des précisions ? Nous devons avoir une vision beaucoup plus longue : une loi de programmation ne serait pas inintéressante.

M. Michel Canevet. - Je salue le travail d'analyse et de recommandations que la Cour vient d'accomplir. Le rapport pointe la nécessité d'une anticipation des problèmes sur ce sujet, et appelle à une simplification des procédures. Il évoque aussi l'importance d'une vision à long terme. Cela m'inquiète, car nous avons déjà fixé des objectifs, en particulier celui de produire 40 % d'énergie d'origine renouvelable en 2035. Or, il est rigoureusement impossible que nous atteignions cet objectif. Il suffit de prendre le dossier des éoliennes en mer, pour lesquelles des décisions ont été prises en 2012 et 2014 : il ne se passe absolument rien dans notre pays, où aucune éolienne offshore n'a est implantée. Il y a des difficultés administratives sur tous les dossiers. Les calendriers évoqués pour le nucléaire sont-ils réellement tenables ?

M. Gérard Longuet. - Comme Roger Karoutchi, je considère que le plafonnement de la production nucléaire est une absurdité économique, industrielle et scientifique. Mais je ne vais pas rouvrir le débat...

M. Vincent Éblé, président. - Trop tard !

M. Gérard Longuet. - Sur un plan plus technique, je voudrais savoir si nos interlocuteurs ont une idée des conditions dans lesquelles pourrait intervenir la fixation par le Gouvernement d'un seuil de libération pour les métaux contaminés, qui partout en Europe sont réutilisés, sauf en France. Vous avez évoqué Fessenheim et la possibilité de reconvertir partiellement les actifs sur ce site en leur proposant de participer à une sorte de centre expérimental et démonstratif de démantèlement. Ce projet a tout son sens s'il revêt un caractère franco-allemand. Mais, si les Allemands considéraient que le démantèlement de leurs centrales relève de la politique locale, la localisation à Fessenheim serait géographiquement très déséquilibrée par rapport au centre de gravité des 58 réacteurs existants.

Enfin, une décision récente du Conseil constitutionnel a condamné la production en France de produits chimiques interdits dans notre pays mais exportés dans d'autres pays, où ils sont autorisés. Cette décision peut-elle viser l'exportation d'électricité ? Certaines de nos centrales travaillent pour l'exportation. Le plafonnement, en France, de la part du nucléaire dans le mix énergétique, entraîne-t-il le plafonnement de l'exportation vers la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, la Suisse, voire l'Angleterre ?

M. Charles Guené. - Je souhaite nous recentrer sur la problématique du manque à gagner des collectivités locales dans cette opération. Le FNGIR n'a rien à voir dans l'affaire et, en réalité, cela aurait été pire si l'on avait encore eu la taxe professionnelle, puisque la perte aurait été beaucoup plus grande. Il y a un manque à gagner, comme partout ailleurs, lorsqu'une entreprise s'en va. Le véritable sujet est de savoir qui va payer. L'État ? Ou la différence va-t-elle être prise sur les variables d'ajustement de la DGF, comme d'habitude ?

M. Vincent Éblé, président. - Madame la présidente, j'observe que ce que nous appelons des questions, dans ce tour de table, a surtout été l'expression d'opinions parfois assez peu techniques et plutôt politiques - et c'est bien normal pour les parlementaires que nous sommes. Ce n'est pas tant la Cour, qui a produit le rapport extrêmement éclairant que vous nous avez commenté, qui peut répondre à ces interpellations, que les représentants de l'État. Il faudrait, dans l'idéal, une autorité politique, mais nous avons des fonctionnaires de haut niveau, et des représentants de l'entreprise EDF pour nous éclairer.

M. Sylvain Granger. - Plusieurs questions tournent autour du recyclage et du projet de Technocentre à Fessenheim. Le démantèlement d'une centrale avec réacteur à eau pressurisée de 1000 mégawatts produit à peu près trois fois plus de déchets radioactifs que son exploitation pendant 40 à 50 ans. Cela dit, la majeure partie de ces déchets radioactifs sont des déchets de très faible activité, qui sont en quelque sorte faiblement radioactifs, puisqu'il s'agit de tubes, de morceaux de circuits qui ont été contaminés en surface par des produits de corrosion radioactifs, sans que les matériaux de base soient, eux, radioactifs. Il existe des procédés qui permettent de gratter, d'enlever, de faire de la fusion de métaux, ce qui permet de retrouver le matériau initial sans radioactivité. Nous utilisons ces technologies dans une usine que nous avons en Suède. En Europe, ce genre de procédés est courant. À l'issue, une mesure est faite sur les lingots issus du procédé de fusion. Si la mesure montre que le lingot n'a plus de radioactivité, il peut être recyclé dans l'industrie conventionnelle.

La seule difficulté est que nous sommes tous radioactifs ! On ne mesurera jamais zéro. Il faut donc un seuil, suffisamment bas par rapport à la radioactivité naturelle, et qui permette de dire raisonnablement qu'on est à zéro. Il s'agit du seuil de libération. Ce processus nécessite des investissements, qu'on évalue aux alentours de 300 millions d'euros. Nous souhaitons implanter un tel projet en France, ce qui requiert un rapprochement de la réglementation française et de la réglementation européenne, afin de permettre une introduction au moins partielle des seuils de libération. Le recyclage des déchets radioactifs est donc possible, à condition d'obtenir les seuils de libération. Il y a eu un débat public, dont les conclusions ouvrent la voie à une évolution réglementaire. C'est la base du projet du Technocentre, dont l'implantation n'est pas complètement décidée, mais qui pourrait prendre place parmi les mesures d'accompagnement de Fessenheim, surtout qu'il s'agit d'un projet franco-allemand.

M. Laurent Michel. - La ministre de la transition écologique et solidaire et le président de l'ASN ont publié il y a deux semaines les suites que l'État comptait donner au débat public sur le plan national de gestion en matière déchets radioactifs, et un certain nombre de processus vont être lancés, dont une évolution de la réglementation. L'idée n'est pas de le permettre de manière générique, en dessous d'un seuil, mais de valoriser certains déchets sur la base de projets ciblés.

Sur les compensations aux collectivités, il y a plusieurs sujets. Il y a d'une part la compensation quand une recette s'arrête. Le dispositif prévoit une compensation totale pendant les trois années qui suivent l'arrêt. Il y a ensuite un dispositif décroissant pendant sept ans. Pour le FNGIR, il s'agit de contrer cet effet pervers inattendu. Une compensation des ressources perdues a déjà été mise en place dans la loi de finances pour 2019. Reste à la finaliser.

L'évolution du mix électrique relève en effet d'une décision politique. Nos projections sont que nous pourrons atteindre environ 40 % d'énergie électrique renouvelable d'ici 2040. D'importants projets d'éolien en mer devraient, à partir de 2022, entrer en service.

- Présidence de M. Charles Guené, vice-président -

M. Laurent Michel. - La décision du Conseil constitutionnel est importante, en effet. Elle reconnaît la capacité d'une limitation exceptionnelle à la liberté d'entreprendre, au cas par cas. Mais quand l'électricité traverse une frontière, c'est le même électron... Nous exportons notre mix du jour, nucléaire et autres, mais c'est toujours de l'électricité. Si certains pays considèrent que telle production d'énergie est trop dangereuse, nous n'intervenons aucunement. Bref, je ne pense pas qu'on puisse déduire de la décision du Conseil constitutionnel la contraposée que vous évoquiez.

Mme Annie Podeur. - Merci de l'intérêt que vous portez à ce rapport. La Cour a été sollicitée par vos soins, et nous avons conduit un travail de contrôle a posteriori. En effet, il n'appartient pas à la Cour de se positionner sur des choix politiques : nous nous contentons d'examiner la manière dont ils ont été gérés, d'analyser leurs conséquences et de recenser les risques. Nous sommes bien conscients que ces travaux sont au coeur de choix politiques extrêmement importants pour le secteur nucléaire, pour le pays et pour les générations futures, sur lesquelles nous devons veiller à ne pas faire peser trop de charges.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Dans le fonctionnement de nos institutions, quand on donne à chacun la possibilité d'exercer son pouvoir de contrôle, d'évaluation, d'appréciation, cela donne de la vitalité au débat. La Cour des comptes, en particulier, fournit des éléments d'objectivité, ce qui remet de la raison dans le débat, qui est évidemment politique, et ne doit pas se cantonner aux aspects techniques. Ainsi pouvons-nous porter une appréciation sur les choix qui sont devant nous, et qui concernent à la fois l'économie et l'écologie. L'écologie ne doit pas être décorrélée des autres considérations. J'avais par exemple présidé une commission d'enquête sur la pollution de l'air. Pour mettre les enjeux écologiques au coeur de la société et de nos projets, il faut aussi y mettre de la raison et des appréciations économiques.

M. Charles Guené, président. - Merci à tous.

À l'issue de ce débat, en application de l'article 58-2 de la LOLF, la commission autorise la publication du rapport en annexe à un rapport d'information de M. Jean-François Husson.

La réunion est close à 18 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.