Jeudi 21 novembre 2019

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Institutions européennes - Audition de M. Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d'investissement

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes particulièrement heureux de recevoir aujourd'hui M. Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI). La BEI est le bras financier de l'Union européenne : son objet est d'emprunter sur les marchés financiers pour financer des projets au sein de l'Union en leur faisant bénéficier des taux réduits que lui offre la qualité de sa signature. La BEI prête aussi bien au secteur public qu'au secteur privé. Elle ne finance jamais plus de la moitié du coût d'un projet, car elle veut mobiliser autour de chaque projet des financements venant d'autres investisseurs privés ou publics. Il s'agit donc d'un outil à fort effet de levier. C'est précisément au sein de la BEI qu'a été institué, en 2015, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) lors du lancement du plan d'investissement pour l'Europe, dit plan Juncker.

Notre commission a suivi de près la mise en oeuvre de ce plan et ses évolutions, et a formulé des observations à plusieurs reprises, en particulier sur l'additionnalité. Une de nos premières interrogations concerne le respect effectif de ce principe : les opérations qui ont bénéficié du plan n'auraient-elles pas trouvé les financements nécessaires sans cela ? La garantie a-t-elle effectivement été appelée ? Pour quelles opérations et pour quels montants ?

La commission des affaires européennes a par ailleurs souhaité que les PME, qui font vivre nos territoires, puissent prendre appui sur le FEIS. Or elles n'auraient bénéficié que de moins de 15 % des interventions du fonds. Comment expliquer cette situation ? Quelles mesures la BEI a-t-elle prises pour améliorer ce taux, alors même que le rôle des PME est crucial pour l'économie européenne ?

La Commission a proposé de poursuivre l'action du FEIS dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, au sein du programme InvestEU, dont MM. Marie et Pellevat sont nos experts. Le montant de la garantie n'est pas encore fixé, mais les objectifs de financement ont fait l'objet d'un accord interinstitutionnel en mars dernier, en particulier la part dédiée aux infrastructures durables. En revanche, dans la mesure où InvestEU regroupe quatorze instruments financiers existants, qui ne sont pas actuellement gérés par la BEI, la question de sa gouvernance a fait l'objet de débats. Le compromis final sur ce point vous paraît-il satisfaisant ? Comment la BEI voit-elle son rôle dans la nouvelle organisation ?

Plus largement, la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a affiché son ambition climatique pour l'Union européenne et appelé à créer une banque européenne du climat, un label que la BEI revendique depuis longtemps. Dans cet élan, le Groupe BEI vient d'annoncer, jeudi dernier, qu'il alignerait l'ensemble de ses activités de financement sur les objectifs de l'accord de Paris à compter de la fin de 2020. La banque cessera de financer les projets énergétiques ayant trait aux combustibles fossiles d'ici la fin de 2021 et augmentera progressivement la part de ses financements consacrée à l'action climatique et à la durabilité environnementale, pour qu'elle atteigne 50 % de ses opérations en 2025, comme le savent bien MM. Leconte et Huré, qui suivent ce dossier pour notre commission.

Ce sont des annonces fortes, qui posent la question de la taxinomie des investissements « verts » : la BEI a-t-elle défini des critères d'éligibilité à cet effet ? La démarche de taxinomie en cours vous paraît-elle prometteuse ? L'accord récent sous présidence finlandaise ouvre la porte à l'adoption, en 2022, d'une taxinomie européenne qui reflèterait les critères dits ESG - environnement, social et gouvernance -, c'est-à-dire plus large que le seul climat. La BEI participe à ces travaux. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les avancées et les points de blocage ? Concrètement, comment et par qui seront identifiés les projets ESG, même lorsqu'ils sont portés par des entités qui ne seraient pas identifiées comme faisant partie de l'économie durable ? Par ailleurs, cette labellisation ESG ne risque-t-elle pas de créer une nouvelle dépendance à des agences de notation étrangères ? Faut-il envisager la création d'une autorité européenne en la matière ?

Au-delà de ce sujet de labellisation, pouvez-vous nous indiquer comment vous envisagez la structuration à terme des opérations de la BEI ?

S'agissant du secteur de l'énergie, la BEI entend appuyer la production d'énergie décentralisée, le stockage énergétique innovant et l'électromobilité, ainsi que l'investissement dans les réseaux électriques essentiels pour les nouvelles sources d'énergie intermittentes comme le solaire ou l'éolien. Pouvez-vous nous en dire plus et nous préciser si vous concevez ces investissements dans une logique de construction d'une filière industrielle européenne solide ? Nous travaillons justement sur la réindustrialisation européenne.

La BEI mettant également l'accent sur la décarbonation de l'énergie, je souhaitais connaître vos intentions s'agissant d'éventuels investissements dans la filière nucléaire. Je comprends que de tels investissements resteraient possibles, mais je souhaiterais vous entendre sur ce point, alors que l'avenir de la filière nucléaire française fait aujourd'hui l'objet de nombreux débats et inquiétudes.

Au-delà de l'énergie, la BEI entend-elle soutenir les autres domaines d'innovation, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle ?

Le capital de la BEI est détenu par les États membres et ses quatre premiers actionnaires sont, à égalité, l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni. En cas de Brexit, le capital de la BEI sera-t-il réduit ? Les autres États rachèteront-ils les parts du Royaume-Uni ? Ceci aura-t-il un impact sur les capacités de financement de la BEI, alors que la Commission européenne a évalué les besoins d'investissements additionnels pour atteindre la neutralité carbone en 2050 entre 175 et 290 milliards d'euros par an entre 2020 et 2050.

Je souhaiterais enfin que vous évoquiez l'action de la BEI hors des frontières de l'Union européenne, particulièrement vers l'Est et le Sud, pour répondre aux défis de l'élargissement et des migrations. Quel bilan tirer notamment du partenariat établi avec la Banque de développement du Conseil de l'Europe ? Il y a une interaction avec la nouvelle approche française de l'élargissement vers les Balkans, qui frappent à la porte, mais se trouvent déjà sous influence chinoise, turque ou russe. La Chine apporte des fonds mais n'impose guère de contrepartie environnementale ou en matière de marchés publics.

M. Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI). - Créée par le traité de Rome, la BEI fait partie de la famille des institutions, telles que la Commission européenne ou la Cour de justice de l'Union européenne, qui datent de 1957. On craignait à l'époque que le formidable développement économique qui serait rendu possible par la Communauté économique européenne ne laisse des problèmes d'intégration aux marges de l'Europe - on pensait surtout au Mezzogiorno. Notre siège est à Luxembourg et la BEI est assez centralisée, contrairement à d'autres institutions multilatérales. Nous sommes une banque, essentiellement, d'ingénieurs. Pour nous financer, nous empruntons sur les marchés, et nous prêtons. D'où l'importance de notre notation d'émetteur au triple A, qui nous permet d'emprunter et de prêter peu cher, puisque notre vocation n'est pas de faire du profit mais de faire bénéficier les projets que nous finançons des bonnes conditions de financement qui sont rendues possibles par notre notation.

Nous ne sommes pas une banque de réseau, nous n'avons pas de guichets. Nous finançons soit des banques, publiques ou privées, qui elles-mêmes répondent à nos priorités, soit des entreprises en direct, soit des fonds, qui eux-mêmes financent des entreprises. Ces financements prennent la forme de prêts ou de garanties.

Nous avons quatre priorités, définies par les autorités européennes : les infrastructures, la lutte contre le changement climatique, le financement des PME et le soutien à l'innovation. Nous les poursuivons à peu près à parts égales.

Nous finançons chaque année entre 60 et 70 milliards d'euros de projets. Environ 10 % du total sont situés en France, pour 7,2 milliards d'euros l'an dernier - ce qui est un peu supérieur à la moyenne, à cause du Brexit, qui a réduit le nombre de projets financés - correspondant à une centaine d'opérations. Cette année, nous financerons entre 7 et 8 milliards d'euros de projets en France. Nous y mettons un accent particulier sur le financement de l'innovation et de la lutte contre les effets du changement climatique. Nous avons beaucoup financé des infrastructures de type tramway, TGV, matériel roulant... Nous avons par exemple financé, dans l'Artois-Gohelle, un bus à haut niveau de service reliant les différentes villes. Nous finançons beaucoup de projets avec les banques publiques françaises que sont la Caisse des dépôts et consignations (CDC), la Banque des territoires et BpiFrance. Notre concours permet à la CDC de prêter à des collectivités territoriales de plus petite taille : nous lui avons ainsi prêté 2 milliards d'euros en 2016.

Nous avons aussi développé depuis quelques années le financement du logement social en France. Ainsi, l'an dernier, nous avons financé une entreprise, Canopée, qui regroupe des offices de la région Hauts-de-France, notamment dans la Somme, l'Aisne et l'Oise. Nous essayons aussi de travailler avec les régions pour les faire profiter de l'effet de levier que les financements de la BEI peuvent donner et pour favoriser un certain nombre de priorités territoriales. Nous avons ainsi financé des projets qui visent à développer le soutien aux PME, notamment en Normandie ou à la Réunion, ou des projets pour le développement de l'agriculture, notamment en Nouvelle-Aquitaine. Au niveau national, une grande initiative pour financer les jeunes agriculteurs a été annoncée par le Président de la République au Salon de l'agriculture : nous la soutenons. Nous avons financé aussi des projets dans le secteur du tourisme en région Occitanie. L'idée est toujours de transformer une partie des fonds structurels régionaux ou des enveloppes budgétaires nationales en instruments financiers qui permettent d'avoir un effet de levier encore plus important, pour financer plus d'entreprises ou d'agriculteurs.

Le plan Juncker résulte du constat qu'en Europe, au moment où Jean-Claude Juncker a pris la présidence de la Commission européenne, il y avait un gros déficit d'investissement, qui résultait non d'un problème de liquidités mais d'une difficulté pour les institutions financières à prendre plus de risques : l'investissement, c'est un risque. L'idée a été de faire bénéficier la BEI d'un fonds de garantie européen, pris sur le budget européen. Cela nous permet de prendre plus de risques sans mettre en péril notre notation AAA, et de faire venir sur des projets des institutions financières qui ne se seraient pas risquées sinon.

L'additionalité est un sujet que nous que nous regardons de très près : il est important de montrer que nous finançons des projets sur lesquels on a besoin du financement d'une institution publique. Sur les projets du plan Juncker, un comité d'investissement, composé d'experts, est chargé de dire si les projets que nous proposons sont ou non éligibles à la garantie européenne.

La France est le premier pays bénéficiaire du plan Juncker, en raison de la très forte mobilisation de l'institution, mais aussi des acteurs français, qui ont présenté des projets que le conseil d'administration a considérés comme particulièrement intéressants. Nous avons ainsi financé un certain nombre de projets dans le domaine de l'industrie. Je pense notamment à plusieurs fournisseurs de l'industrie aéronautique : Daher, Latécoère, Figeac Aero... Nous avons aussi financé des entreprises dans le secteur de l'agriculture, notamment des coopératives agricoles, comme Les Maîtres laitiers du Cotentin ou Sill Entreprises en Bretagne. Nous avons enfin financé un certain nombre de projets pour essayer de trouver des solutions au problème du manque de fonds propres des petites entreprises qui croissent très vite et sont très innovantes. Ainsi, dans le secteur de la santé, il y a des petites entreprises spécialisées sur certains types de cancers, ou une entreprise comme Carmat, qui travaille sur le coeur artificiel, ou encore Medincell, qui fait de la recherche sur le diabète. Nous avons financé ces entreprises en leur faisant des prêts leur permettant de continuer à faire leurs recherches tout en commençant la phase d'industrialisation ou de commercialisation de leur produit. Nous avons également aidé des entreprises dans l'intelligence artificielle. Il s'agit de projets allant de 10 à 50 millions d'euros.

L'accent a été mis sur les PME, qui constituent le principal secteur ayant bénéficié du plan Juncker en Europe, avec à peu près 30 % des financements. Le deuxième secteur est celui de la recherche et de l'innovation, avec 26 %.

L'objectif initial avait été de réunir 315 milliards d'euros pour la période 2015-2018, soit à peu près 100 milliards d'euros par an. Vu le succès, on a étendu cet instrument jusqu'à fin 2020, pour mobiliser en tout 500 milliards d'euros d'investissements. Nous en sommes à 440 milliards d'euros, c'est-à-dire que nous sommes un peu en avance. Nous devrions atteindre les 500 milliards d'euros sans difficulté fin 2020.

La France est le principal pays bénéficiaire, en termes quantitatifs, du plan Juncker, mais si l'on regarde les volumes en fonction du PIB, les principaux pays bénéficiaires sont la Grèce et la Lituanie. Parmi ceux qui suivent, aucun pays de l'ouest de l'Europe : il y a surtout des pays du sud de l'Europe, notamment le Portugal et l'Espagne, et des pays de l'est de l'Europe, notamment les nouveaux pays membres de l'Union européenne.

Le Brexit nous a beaucoup préoccupés. Le Royaume-Uni est le premier actionnaire de la BEI, à égalité avec la France, l'Allemagne et l'Italie, à hauteur de 16,5 % du capital. Les statuts disent très clairement que, le jour où un pays sort de l'Union européenne, il sort de la BEI.

M. André Gattolin. - Voilà qui est plus clair que l'article 50 !

M. Ambroise Fayolle. - Il y a donc eu une négociation, à laquelle nous avons participé, mais menée par les équipes de Michel Barnier. Le Royaume-Uni a environ 40 milliards d'euros de capital, dont l'essentiel correspond à un engagement du pays à honorer un appel à financement qui émanerait de la BEI en cas de catastrophe, ce qui est important pour notre notation. Une règle statutaire fait que nos financements dépendent du capital que nous avons : nous pouvons financer 2,5 fois le montant de ce capital. Par conséquent, si les 40 milliards d'euros britanniques n'étaient pas remplacés, nous perdrions une capacité de financement de 100 milliards d'euros. Nous avons donc discuté avec les États membres jusqu'au milieu de l'année dernière, et les Vingt-Sept se sont engagés à remplacer cette somme. En France, la loi de finances pour 2019 en tient compte : cela représente un engagement potentiel de 8 milliards d'euros. Quant à la partie qui avait été payée par le Royaume-Uni, elle sera remboursée s'il y a un accord, par étapes, sur une dizaine d'années : il s'agit de 3,5 milliards d'euros ; nous avons les moyens de le faire sans difficulté. Le Royaume-Uni était un pays très important d'opérations. Nous y avons financé beaucoup de projets en matière d'énergies renouvelables et de logement social, car ce pays n'a pas de Caisse des dépôts, même s'il est en train de créer une institution de développement, qui devrait répondre à cette préoccupation.

M. André Gattolin. - En effet.

M. Ambroise Fayolle. - Désormais, notre montant d'opérations au Royaume-Uni est extrêmement limité, et correspond à peu près à ce que nous faisons dans d'autres pays européens qui ne sont pas membres de l'Union européenne, comme la Suisse ou la Norvège. En tous cas, si le Royaume-Uni sort de l'Union européenne, cela n'aura pas de conséquences sur notre activité dans d'autres pays européens.

Un deuxième enjeu est constitué par les décisions prises la semaine dernière en faveur du climat. Notre conseil d'administration a décidé de sortir du financement des énergies fossiles à compter de la fin 2021. Il s'agit pour l'essentiel de projets d'infrastructures de gaz, qui représentent des montants relativement limités - quelques milliards d'euros par an -, mais sur des projets qui sont souvent visibles parce que ce sont des projets européens, par exemple, le corridor Sud entre l'Azerbaïdjan, la Turquie, la Grèce et l'Italie. À partir de la fin 2021, nous ne financerons plus de projets d'énergies fossiles.

M. Didier Marie. - Y compris le gaz ?

M. Ambroise Fayolle. - Oui. Le climat est le seul secteur de l'institution où nous ayons un objectif fixé par nos actionnaires, qui est d'avoir chaque année au moins 25 % de notre activité consacrée à la lutte contre les effets du changement climatique. Nous avons décidé que, d'ici à 2025, cette part passerait à 50 %. Cela implique un changement d'échelle en termes de financement de projets dans les énergies renouvelables, dans l'efficacité énergétique, dans l'innovation en faveur du climat, par exemple avec la Fondation Gates, sur des technologies de rupture. Nous devons aussi développer ce type de projets dans les pays qui sont encore plus dépendants du gaz que la France, comme la Pologne et les pays d'Europe de l'Est.

Par ailleurs, nous avons un engagement quantitatif sur la décennie 2021-2030 de financer des projets qui permettront de faire venir des investisseurs pour atteindre un total de 1 000 milliards d'euros en faveur du changement climatique. Pour atteindre 100 milliards d'euros par an, comme nous avons un effet de levier de trois à quatre, il faudra donc que la BEI consacre au climat à peu près 30 milliards d'euros par an, soit 50 % du montant annuel de ses activités, contre 15 milliards d'euros actuellement. C'est un changement important pour l'institution. Il a été approuvé à une très large majorité : plus de 90 % des actionnaires.

M. André Gattolin. - Il serait intéressant de savoir qui ne l'a pas approuvé...

M. Ambroise Fayolle. - Vous pouvez sans doute le trouver dans la presse. La BEI peut financer des projets nucléaires. Cela contribue à l'objectif de décarbonation de l'économie. Dans les faits, nous en finançons assez peu. Pour l'essentiel, il s'agit de projets destinés à améliorer la sécurité nucléaire : j'en ai vu un en Finlande et un en Slovaquie. Il n'y a pas de financement de nouvelles centrales. Au sein de l'institution, les positions sont très tranchées sur ce sujet. Le départ du Royaume-Uni ne nous aidera pas à en financer de nouveaux.

On ne sait pas encore bien comment fonctionnera le successeur du plan Juncker, InvestEU.

M. Jean Bizet, président. - La gouvernance n'est pas encore claire.

M. Ambroise Fayolle. - En effet. L'objectif est de simplifier. Il y a trop d'instruments communautaires mis en place par la Commission européenne et la BEI : pour l'innovation, pour le climat, pour l'investissement, etc. Le montant total envisagé est d'environ 600 milliards d'euros entre 2021 et 2027. Nous travaillons sur la gouvernance de ces outils avec la Commission européenne dans l'idée de les fusionner et d'améliorer la visibilité de la BEI. La BEI mettra en oeuvre près des trois quarts de ces instruments financiers, et les banques publiques nationales auront accès aux financements de la Commission européenne. L'élection d'un nouveau Parlement européen et l'arrivée d'une nouvelle Commission européenne devront être prises en compte.

La taxinomie, aussi, est en cours d'élaboration. Il s'agit de clarifier les instruments en faveur de la lutte contre le changement climatique. L'économie circulaire, par exemple, n'est pas considérée comme relevant de la lutte contre le changement climatique. Nous essayons donc de passer de « climat » à « climat et environnement ». Un groupe d'experts va rendre un rapport, et le Conseil, la Commission et le Parlement européen verront quelle suite lui donner.

Notre activité à l'extérieur de l'Union européenne représente à peu près 10 % de nos financements, soit 7 milliards d'euros, dont l'essentiel va à l'Afrique : 3,3 milliards d'euros l'an dernier. Nous visons des projets en faveur du climat ou des projets qui visent à favoriser le développement des petites entreprises, pour améliorer la capacité des économies à absorber les flux de population qui arrivent chaque année sur les territoires. Nous finançons aussi des projets dans les Balkans ou en Ukraine, avec des mandats émanant de la Commission européenne ou des États membres.

Nous ne sommes pas forcément très connus, ni suffisamment visibles, alors que nous finançons des projets qui améliorent la vie quotidienne des Européens et la compétitivité de leurs entreprises. Nous sommes toujours heureux d'aller sur le terrain. Merci pour votre invitation à venir présenter nos travaux devant vous.

M. Jean Bizet, président. - Cette invitation a été lancée il y a déjà longtemps. Votre visibilité doit être accrue, en effet. Votre investissement dans la coopérative des Maîtres laitiers du Cotentin a eu un très bel effet sur une grande partie du département de la Manche.

M. Jean-François Rapin. - Pour vos investissements hors de l'Union européenne, les conditions de prêt et de caution sont-elles les mêmes que pour les pays de l'Union européenne ? Avec le Brexit, quid de ce que vous avez prêté ou cautionné au Royaume-Uni ?

M. Philippe Bonnecarrère. - Quel est votre cadre d'investissement en Suisse et en Norvège ? Ces investissements entrent-ils dans le champ des multiples accords entre l'Union européenne et la Suisse ou dans le régime spécifique qui conduit la Norvège à ne pas être membre de l'Union européenne ? L'ensemble des pays de l'Union européenne contribuent à la solidité financière de la BEI, et donc à sa capacité de financement. La Suisse et la Norvège y contribuent-elles également ? Si oui, comment ? Dans les projets qui sont supportés la CDC, quelle plus-value apportez-vous ? La CDC aussi bénéficie d'une notation AAA. Pourquoi lui avoir prêté 2 milliards d'euros ? Traditionnellement, la BEI est un grand financeur des infrastructures, qui représentent un quart de vos investissements et vous donnent une visibilité à l'échelle européenne. Notre pays sait-il encore réaliser des routes, des canaux, des aéroports ? Le fait-il beaucoup plus lentement que les autres ?

M. Didier Marie. - La BEI a pris une part prépondérante dans le financement des projets d'investissement dans l'Union européenne. Vu la faiblesse des capacités financières de l'Union européenne, la logique de prêt est en train de se substituer à la logique de financement direct. Il faudra en discuter. La Cour des comptes européenne a manifesté un certain scepticisme quant à votre capacité à faire émerger des projets qui n'auraient pas pu se financer sur les marchés traditionnels. Pouvez-vous nous démontrer que vous avez effectivement permis l'émergence de projets qui ne se seraient pas réalisés autrement ?

Ma deuxième question porte sur le verdissement de la BEI. Comment serez-vous associés à la définition des orientations du Green Deal ? Vous nous avez indiqué que 50 % des financements à venir seraient dédiés au climat. Pouvez-vous nous préciser l'articulation qui pourrait exister en la matière entre la Commission européenne et la BEI ?

Ma troisième question concerne le Brexit. Vous avez indiqué que les 27 États membres combleraient les 40 milliards d'euros correspondant à l'engagement du Royaume-Uni dans la BEI. Il me semble qu'il a aussi été question d'ouvrir une réflexion sur les statuts de la BEI pour éviter que les trois grands pays restants, à savoir l'Allemagne, l'Italie et la France, qui détiendraient près de 50 % du capital, soient les seuls à pouvoir mener la barque. La modification des statuts de la BEI est-elle en projet ?

M. Ambroise Fayolle. - Nous finançons les projets au taux du marché. Il n'existe pas de bonification d'intérêt ou d'avantage particulier autre que la possibilité d'emprunter à de très bonnes conditions financières. Notre objet social n'est pas de maximiser le profit, mais de faire bénéficier les projets que nous finançons de ces bonnes conditions financières. Cela vaut aussi pour les projets conduits à l'extérieur de l'Union européenne.

La Suisse et la Norvège sont souvent liées à l'Union européenne parce qu'elles participent à certains accords, notamment au dispositif en faveur de l'innovation InnovFin. Nous avons financé le Centre européen pour la recherche nucléaire, le CERN, qui se situe à cheval entre la Suisse et la France et qui avait besoin d'un prêt pour moderniser ses installations de recherche. Les projets que nous sommes amenés à financer en Suisse et en Norvège sont souvent transfrontaliers. Ils sont rares et les montants peu élevés.

Bien évidemment, la Caisse des dépôts se finance par elle-même. Elle n'a pas besoin du plan Juncker, qui permet de financer des projets présentant un niveau de risque plus élevé que ceux que nous finançons d'habitude. En revanche, nous pouvons permettre à la Caisse des dépôts de développer plus rapidement des projets de volume plus important. Par exemple, nous avons financé des projets avec CDC Habitat, qui ont permis d'accélérer la mise en place d'un certain nombre de projets de construction ou de rénovation de logements sociaux ou intermédiaires.

Nous restons un acteur important pour les projets d'infrastructures, mais notre rôle évolue un peu : nous essayons désormais de favoriser la mobilité pour aider les territoires. Dans cet esprit, nous finançons un certain nombre de bus à haut niveau de service - il en existe, par exemple, à Metz. Nous nous efforçons de relier ces financements à d'autres priorités, comme la priorité climatique.

Je signerai, demain, un projet de rénovation de collèges avec le département de la Seine-Maritime. Nous avons demandé qu'une part importante du financement de la BEI soit consacrée à l'efficacité énergétique des collèges concernés. Nous allons également signer très prochainement un projet de rénovation thermique d'un certain nombre de corons du territoire minier du Pas-de-Calais - c'est le projet « Maisons et cités ». L'efficacité énergétique est, là aussi, une composante très importante du projet.

Dans l'ensemble, le rapport de la Cour des comptes européennes dresse un bilan positif de la mise en place du plan Juncker. En France, 184 projets ont été financés à ce titre. On peut, pour chacun, se demander si le financement de la BEI était véritablement nécessaire. C'est une question que, pour notre part, nous nous posons en amont. Au reste, c'est un comité d'experts indépendants qui se prononce sur l'octroi de la garantie européenne. Nous ne faisons que lui soumettre des projets. Le respect du principe d'additionnalité est une préoccupation constante de notre conseil d'administration. Il nous permet de montrer que notre intervention est nécessaire.

M. Didier Marie. - La garantie a-t-elle joué sur certains projets ?

M. Ambroise Fayolle. - Aujourd'hui, nous en avons très peu d'exemples. Cela tient au fait que nous finançons des investissements longs. Cela dit, il y aura forcément des situations dans lesquelles les projets ne se dérouleront pas comme prévu !

La coopération avec la Commission européenne est un élément important de notre ADN. C'est également vrai pour ce qui concerne les projets verts. Lorsqu'elle a présenté le Green Deal devant le Parlement européen, Ursula von der Leyen a déclaré qu'elle souhaitait une banque du climat pour permettre la mise en oeuvre d'un certain nombre de projets verts. Les ressources de la Commission européenne et celles de la BEI doivent se combiner pour avoir un maximum d'impact sur le climat.

L'essentiel des discussions sur le Brexit a porté sur le fait que les 27 autres actionnaires prendraient la place du Royaume-Uni. Les parts d'actionnariat reflètent en partie des choix politiques historiques : ainsi, le fait que la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni aient la même part dans le capital est un choix politique. Dans le cadre des discussions, un certain nombre de pays ont estimé que leur part dans le capital de l'institution était très inférieure à ce qu'était leur part dans les institutions européennes. C'est en particulier le cas de la Pologne. En conséquence, l'accord négocié avec les actionnaires de la BEI prévoit que, le jour où le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne, la part de la Pologne dans le capital de la BEI augmentera. Cette montée dans l'institution impliquera un apport de capitaux frais. Il y aura donc à la fois une augmentation de capital général pour l'ensemble des pays et une augmentation de capital sélective pour la Pologne et, à un moindre degré, pour la Roumanie. Nous y voyons une marque de reconnaissance de la part des pays de l'est de l'Europe, où nous devons aussi continuer notre action.

Le niveau d'infrastructures est-il satisfaisant en Europe ? Chaque année, nous réalisons une enquête sur l'investissement dans l'ensemble des pays européens. Nous interrogeons un panel de chefs d'entreprise dans chacun des pays sur leur vision du climat et des perspectives d'investissement. La dernière étude a montré deux choses intéressantes. En France, une proportion importante des chefs d'entreprise estiment que les infrastructures de transport ne constituent pas un obstacle à l'investissement. Leur satisfaction, sur ce point, est largement supérieure à la moyenne européenne. En outre, la part des chefs d'entreprise de notre pays qui considèrent que la réglementation du marché du travail est un frein à l'investissement a beaucoup baissé : elle rejoint désormais la moyenne européenne, alors qu'elle en était encore très éloignée en 2015. C'est une évolution importante. En revanche, environ 80 % des chefs d'entreprise européens considèrent que la difficulté à trouver du personnel qualifié constitue un frein majeur à l'investissement et donc à la croissance.

M. Jean Bizet, président. - Pour compléter la question de Didier Marie, le Royaume-Uni a souhaité rester au capital de la BEI, indépendamment des obstacles statutaires ?

M. Ambroise Fayolle. - Non. De toute manière, il n'y aurait jamais eu d'unanimité pour modifier les statuts en ce sens.

M. Benoît Huré. - Quelle est la durée des prêts accordés par la BEI pour les projets qui s'inscrivent dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Les mobilités durables sont difficiles à mettre en oeuvre dans les territoires ruraux, où les problèmes se posent avec le plus d'acuité. Peut-on envisager un accompagnement de la BEI sur des programmes assez substantiels en milieu rural ?

Quand vous intervenez dans les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, essayez-vous de favoriser tel ou tel type d'investissements pour faciliter leur intégration ?

Nous souhaitons que l'Europe se dote d'un plan massif de soutien au développement des pays dont sont originaires les migrants. La BEI est-elle sollicitée à cette fin et disposée à répondre à de telles demandes ?

Concernant votre déficit de notoriété, notre commission des affaires européennes ne pourrait-elle pas profiter de l'annonce d'un nouveau plan pour concevoir et diffuser largement une note sur la BEI ? Si la notoriété de la BEI était plus forte, le populisme anti-européen le serait sans doute beaucoup moins !

M. Jean Bizet, président. - J'avais déjà prévu de récupérer des plaquettes d'information auprès de nos interlocuteurs de la BEI. Nous pourrions y adjoindre une note que nous diffuserions à l'ensemble de nos collègues.

M. Philippe Bonnecarrère. - L'échéancier du nouveau programme InvestEU est-il calé sur le nouveau cadre financier pluriannuel ou est-il autonome ? Faudra-t-il attendre, pour son lancement, que les 28 États membres se soient entendus sur la nouvelle programmation budgétaire ?

Mme Gisèle Jourda. - Ma question porte sur les financements à destination des pays en contrat d'association avec l'Europe. Je pense à la politique de voisinage, et notamment au partenariat oriental, qui me tient particulièrement à coeur.

En Géorgie comme en Ukraine, nous avons pu constater que les porteurs de projets rencontraient des difficultés pour connaître les différents dispositifs et répondre aux normes demandées par l'Europe, y compris pour des projets de développement de zones industrielles ou d'infrastructures routières.

Pouvez-vous nous faire un point sur les demandes de financement de projets que la BEI a reçues de ces pays ?

M. Jean-Yves Leconte. - La BEI peut-elle véritablement accroître sa notoriété ? Étant déjà très engagée dans le plan Juncker, que peut-elle faire de plus ?

La taxinomie est un sujet majeur. Est-ce, pour vous, un sujet d'experts ou un sujet politique ? Est-ce quelque chose qui devra évoluer avec le temps ? Pensez-vous qu'il faille réviser les critères d'appréciation des banques pour tenir compte de leurs investissements éventuels au profit de projets verts ? Doit-on fixer une règle une fois pour toutes ou faudra-t-il permettre des évolutions en fonction des connaissances ou des moyens ?

Enfin, que fait la BEI pour l'éducation en Europe et hors d'Europe ?

M. André Gattolin. - J'ai le sentiment que la BEI est en train d'occuper la place de la grande banque européenne du climat dont il a été beaucoup question lors de la campagne pour les élections européennes. On a un peu l'impression que le Green Deal est un plan Juncker dont l'application reposera sur les instruments qui fonctionnent actuellement, comme la BEI. Quoi qu'il en soit, il ne semble pas que l'on s'oriente vers la création d'une entité autonome sur ces sujets. Pouvez-vous me répondre sur ce point ?

Concernant le « BEIxit », les statuts de la BEI sont très clairs : en cas de retrait, il faudra bien rembourser d'une manière ou d'une autre le capital apporté par le Royaume-Uni. Or on peut se demander si le Parlement britannique va voter la contribution nationale au budget de l'Union européenne pour l'année prochaine. Peut-on envisager une fongibilité dans l'hypothèse, qui n'est pas improbable, où le Royaume-Uni ne paierait pas sa contribution ? Il y a là un instrument de négociation dans le rapport de forces qui pourrait s'instaurer.

L'Union européenne ne vérifie pas toujours l'usage pur et parfait des subventions émanant du budget européen : il faut vraiment des excès extraordinaires pour qu'elle mène l'enquête ! On se souvient que la Pologne a construit des autoroutes avec l'argent des fonds structurels qui lui avait été accordé pour se doter de voies ferrées... Sur cette question de l'accountability, comme disent nos amis britanniques, la BEI dispose-t-elle d'une instance de vérification sur l'utilisation des fonds ? Comment allez-vous vérifier l'exécution des projets réalisés sur la base des financements accordés au titre de l'action climatique ?

M. Ambroise Fayolle. - S'agissant du Brexit, nous sommes partis de l'accord avec le Royaume-Uni qui a été négocié par Michel Barnier et entériné par les États membres. La situation est simple : cet accord prévoit un remboursement, étalé dans le temps, de la contribution payée à la BEI par ce pays. Cet accord fait d'ailleurs débat dans la presse britannique, qui le considère comme étant trop favorable à l'Europe. Bien évidemment, la question se reposera en cas de Bexit sans accord.

La BEI est une banque d'ingénieurs. Les ingénieurs aiment vérifier, ex ante, qu'un projet répond aux caractéristiques de l'éligibilité. Ils aiment aussi exercer un suivi attentif des projets. Ce suivi sera évidemment encore plus important quand la BEI deviendra une banque du climat, parce que nous aurons besoin de pouvoir nous assurer et de pouvoir démontrer que les investissements que nous aurons financés répondent bien aux objectifs climatiques européens.

C'est, d'ailleurs, l'un des objectifs de la taxinomie. Il s'agit d'un sujet d'experts, qui sera validé par le pouvoir politique. Le référentiel aura vocation à évoluer dans le temps. Il ne sera jamais gravé dans le marbre. Ces trois dimensions sont importantes.

Nous pensons que nous avons maintenant les bases pour devenir la banque du climat. Cet enjeu est tellement important pour l'Europe que nous devons y consacrer à la fois notre énergie et nos financements. Au demeurant, cela ne veut pas dire que nous ne ferons que cela, puisque, pour 50 % des projets que nous financerons, il s'agira toujours de soutenir les PME ou l'innovation.

La durée de nos prêts dans le domaine du climat dépend beaucoup de ce que l'on finance. En général, la durée des prêts que nous consentons aux entreprises est de cinq à dix ans. Dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, l'un des gros projets que nous sommes en train de financer est la construction, en Suède, d'une usine de batteries électriques, Northvolt. Nous finançons également les projets de recherche visant à préparer la prochaine génération de batteries, en espérant que la compétitivité européenne sera alors mieux affirmée dans ce domaine et que l'on recourra moins aux terres rares. C'est l'un des objectifs que nous cherchons à atteindre dans le soutien que nous apportons à la recherche en faveur des énergies vertes.

La réalisation des projets que nous finançons dans le domaine de l'efficacité énergétique est très longue - tellement longue, du reste, que nous en finançons assez peu.

Les institutions financières financent assez facilement la rénovation thermique des appartements et des maisons au moment de leur achat. Il est beaucoup plus compliqué d'obtenir un financement pour une rénovation thermique indépendamment d'un achat, les travaux effectués n'étant rentables que sur la longue durée. La BEI a financé, en France, un certain nombre de sociétés régionales de tiers-financement. Ces sociétés ont pour objet exclusif de financer la rénovation thermique des logements des particuliers. Leur bilan est extrêmement positif, non seulement parce qu'elles ont réussi à toucher un public qui n'a pas forcément facilement accès aux réseaux bancaires classiques, mais aussi parce que les économies d'énergie permettent de rembourser 70 % du prêt. On a pu le constater notamment en Picardie.

La mobilité rurale est un enjeu très important. La BEI doit également travailler sur ce sujet dans le cadre de la mise en place de sa nouvelle politique en faveur du climat. Nous devons essayer d'identifier les bons outils et les caractéristiques des financements que nous pouvons apporter.

Nos investissements évoluent dans le temps. Il y a une vingtaine d'années, on avait besoin de la BEI pour financer des projets d'éoliennes. Aujourd'hui, pour le financement des éoliennes terrestres, on se passe de nous dans la plupart des cas. Cela montre que nous avons rempli notre rôle. En revanche, on nous soumet de plus de plus de projets d'éoliennes offshore, pour lesquels les financements sont assez importants. Étant beaucoup plus risqués, les projets d'éoliennes offshore flottantes nécessitent un soutien de la BEI. Cela renvoie au débat sur l'additionnalité : sommes-nous bien mobilisés sur les projets pour lesquels on a vraiment besoin de nous ?

Concernant la politique de voisinage, nous avons accompagné de nombreux projets d'infrastructures, mais aussi des projets en matière agricole, notamment en Ukraine et, récemment, en Moldavie. Nous soutenons des projets de nature à favoriser la croissance économique. Les règles d'éligibilité sont les mêmes que pour les pays de l'Union européenne.

La question sur la connaissance des dispositifs est tout à fait pertinente, y compris à l'intérieur de l'Union européenne. Comme la Commission européenne, nous devons progresser pour que nos instruments soient plus simples et mieux connus, de manière à ce qu'ils soient plus utilisés. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le pays qui a le plus bénéficié du plan Juncker, compte tenu de la taille de son économie, est la Grèce. C'est aussi parce que nous y avons envoyé une équipe qui a rencontré les porteurs de projets pour leur expliquer nos règles de présentation.

Comment pouvons-nous accompagner des projets visant à améliorer l'efficacité énergétique dans les nouveaux États membres de l'Europe de l'Est ? C'est l'un des grands enjeux de la période actuelle. C'est aussi un enjeu pour la réussite de la banque du climat.

M. Jean Bizet, président. - Je suis très inquiet de l'évolution des débats sur le cadre financier pluriannuel. Sur le volet agricole, une baisse de 25 % du deuxième pilier est annoncée. Vous l'avez anticipée, par la politique mise en place en Nouvelle-Aquitaine, que nous allons également appliquer en Normandie. Des glissements entre le deuxième et le premier pilier font que ce volet risque d'être très largement fragilisé, avec une augmentation des participations nationales de plus de 10 %. Dans certaines régions plus agricoles que d'autres, l'action de la BEI sera bienvenue.

Quel est le ticket d'entrée pour les PME ?

Vous consacrez presque 7 % de vos financements à l'Afrique. Il devrait y avoir une montée en puissance. Le discours sur l'état de l'Union prononcé par le président Juncker annonce la mise en place d'un grand plan Marshall pour l'Afrique. Ce continent est l'objet de toutes les influences et convoitises, russes ou chinoises. Il faut y être présents, avec une puissance de feu considérable. Avez-vous anticipé ce grand plan Marshall ? Si l'Europe n'agit pas, elle sera, plus que d'autres, touchée par la vague migratoire que l'on voit poindre à l'horizon de trois décennies : partenariat oriental, très bien, mais il ne faut pas négliger le partenariat méditerranéen !

La BEI n'est pas assez connue, alors qu'elle aide au développement économique de tant de régions.

M. Ambroise Fayolle. - Les régions qui le souhaitent peuvent transformer une partie de leurs fonds structurels en instruments financiers, c'est-à-dire des garanties à premières pertes. Nous pouvons leur offrir une garantie pour qu'elles obtiennent des financements plus importants de la part des institutions financières qui sont parties prenantes à cet accord. Des appels d'offres sont lancés par les régions pour annoncer aux différentes banques spécialisées dans le domaine de l'agriculture qu'il y a un projet de développement de financements à l'agriculture de tel ou tel type : circuits courts, agriculture biologique... La région demande ainsi quelles conditions ces banques sont prêtes à consentir. On constate que les volumes et les conditions proposées par les institutions financières qui se disent prêtes à participer à ce type de dispositif sont extrêmement encourageants.

Nous mettons en place un instrument de même type utilisant des ressources budgétaires et des garanties importantes de la BEI pour aider au financement des jeunes agriculteurs. Le succès est bien au-delà de ce qu'on espérait. Si la garantie n'est pas appelée, ces instruments peuvent être réutilisés pour la prochaine étape de financement des entreprises agricoles.

M. Jean Bizet, président. - Cela me paraît très pertinent, surtout au vu de l'évolution prévisible de la ligne budgétaire correspondant à la politique agricole commune.

M. Ambroise Fayolle. - Nous ne sommes pas une banque de réseau, et nous financerons donc les PME principalement par deux outils : en passant par les institutions financières des différents États membres, pour qu'elles prêtent aux PME, selon leurs propres règles, ou bien en finançant des fonds d'investissement qui prennent des participations dans des PME. Pour nos financements directs à une entreprise, le montant minimum est de l'ordre de 7,5 millions d'euros, correspondant à un besoin d'investissement de 15 millions d'euros. C'est intéressant pour les entreprises en très forte croissance.

Sur l'Afrique, vous avez parfaitement raison, monsieur le président. C'est un sujet qui concerne aussi l'autonomie stratégique de l'Union européenne. Nous souhaitons une montée en puissance des financements en la matière.

M. Jean Bizet, président. - Alors que M. Juncker termine son périple européen, le plan qui porte son nom restera à son crédit comme un excellent exemple des actions que peut conduire l'Union européenne.

La réunion est close à 10 h 20.