Mardi 15 octobre 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Green Budgeting - Audition de M. Dorian Roucher, inspecteur des finances, de Mmes Sylvie Alexandre, ingénieure générale des ponts, des eaux et forêts, et Florence Tordjman, inspectrice générale de l'administration et du développement durable

M. Vincent Éblé, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour assister à la présentation du rapport « Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale », que le Gouvernement a commandé à l'Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).

Les objectifs de notre pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont de plus en plus ambitieux puisque la France s'est engagée, à la suite notamment de l'accord de Paris de 2015, à les diminuer de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Outre la protection du climat, notre pays s'est également engagé à lutter davantage contre les pollutions, à mieux protéger les milieux naturels ou bien encore à agir en faveur de la préservation de la biodiversité.

Si la prise de conscience écologique de nos concitoyens est de plus en plus forte, les outils traditionnels des politiques publiques, et en particulier le budget de l'État que nous examinons chaque année, ne prennent pour l'heure quasiment pas en compte les impacts des mesures que nous votons sur l'environnement.

C'est pour tenter d'y remédier que l'OCDE promeut « le collaboratif de Paris pour un budget vert », destiné à faire évoluer la présentation des projets de loi de finances des pays membres, de sorte que tant les dépenses que les mesures fiscales fassent systématiquement l'objet d'une évaluation environnementale.

Le rapport qui va nous être présenté aujourd'hui formule des propositions destinées à nourrir une concertation qui devrait aboutir à l'élaboration du premier « budget vert » français dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

Je vous laisse à présent la parole.

Mme Sylvie Alexandre, ingénieure générale des ponts, des eaux et forêts. - Je suis également membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). C'est un très grand honneur pour la mission de vous présenter aujourd'hui son travail. Au préalable, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme Claire Waysand, collègue de l'IGF, co-auteur de ce rapport, qui n'a pas pu se joindre à nous, et je veux mentionner que nous avons reçu l'appui d'un jeune stagiaire Louis Stroeymeyt. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour remercier également les administrations et toutes les organisations que nous avons rencontrées dans le cadre de cette mission.

J'assurerai la présentation de la première partie de cet exposé, puis je donnerai la parole à ma collègue Florence Tordjman et Dorian Roucher interviendra en conclusion.

D'abord, j'exposerai le contexte de cette mission.

La France a pris des engagements environnementaux internationaux, qui ont donné lieu à de très nombreuses stratégies européennes ou nationales, la plus emblématique d'entre elles ayant trait au climat, avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et la neutralité carbone en 2050. Antérieurement, la convention des Nations unies sur la diversité biologique avait été ratifiée en 1994, puis complétée par divers protocoles. D'autres objectifs ont également été fixés en matière d'économie circulaire, de pollution, de gestion des eaux et de protection des espaces naturels, et ils sont tous retracés dans une annexe du rapport.

Dans ce contexte, s'est exprimée la volonté de mieux retracer la contribution des politiques budgétaires et fiscales à la protection de l'environnement.

L'OCDE avait pris l'initiative d'évaluer la « compatibilité des budgets nationaux avec l'accord de Paris ». Pour ce faire, il fallait se doter d'une méthode susceptible de décrire l'impact environnemental des dépenses et des recettes.

De plus, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2019, un rapport a été demandé sur le financement de la transition écologique. Il s'agissait alors de remplacer plusieurs « jaunes » budgétaires et documents transversaux par un seul document de synthèse qui retracerait tous les éléments relatifs à l'ensemble des politiques environnementales.

En outre, la loi relative à l'énergie et au climat prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur « les incidences positives et négatives du projet de loi de finances pour 2020 sur le réchauffement climatique et sur l'atteinte des objectifs de développement durable du programme de développement durable à l'horizon 2030 ».

Ce contexte a justifié cette double commande à l'IGF et au CGEDD.

Pour identifier les recettes et les dépenses du budget de l'État - j'insiste sur ce périmètre - ayant un impact significatif, positif ou négatif, sur l'environnement, la mission a recherché une méthode permettant de rendre compte de la richesse des objectifs environnementaux sans pondération entre ces objectifs - on a toujours tendance à mettre l'accent sur l'objectif climatique - ; de distinguer plusieurs impacts pour une même dépense, une même dépense pouvant être à la fois favorable sur un impact et neutre ou défavorable sur un autre ; de nuancer la cotation en identifiant plusieurs classes, comme des dépenses favorables à court terme, par exemple, mais qui pourraient s'avérer moins favorables, voire défavorables à moyen ou long terme ; et, enfin, d'être transparente sur les choix effectués, notamment sur la situation de référence pour permettre qu'ils soient discutés - c'est peut-être là le point le plus important.

Concernant les recettes, nous nous sommes fondés sur la définition de la taxe environnementale retenue par Eurostat, qui est communément admise, car nous n'avions pas de raison de la remettre en cause : c'est une taxe qui est susceptible d'avoir un effet comportemental, sans écarter l'objectif de rendement. Selon cette définition, la fiscalité environnementale française représentait environ 53 milliards d'euros en 2017, dont 33 milliards entrent dans le champ du projet de loi de finances, le reste incombant à la sécurité sociale et aux collectivités territoriales. Sur le graphique, on constate que la France est un petit peu en dessous du niveau européen, mais elle s'attache à rattraper son retard. La mission a proposé d'ajouter certaines recettes, mais nous pourrons revenir sur ce point lors de vos questions.

Concernant les dépenses, y compris les dépenses fiscales, nous avons évalué les méthodes existantes ou répertoriées.

Premièrement, figurent dans le cadre des recensements issus des données budgétaires françaises le jaune « Protection de la nature et de l'environnement », le jaune « Transition énergétique », le document de politique transversale (DPT) « Lutte contre le changement climatique », tous les documents liés aux obligations vertes de l'État depuis 2017, ainsi que le rapport de la Cour des comptes sur les dépenses fiscales. Deuxièmement, en matière de statistiques publiques, nous avons eu à notre disposition des données qui ont constitué le noyau dur de nos études, même si leur champ est restreint. Troisièmement, nous avons demandé des explications à I4CE - Institute for Climate Economics, l'Institut de l'économie pour le climat -, cofondé par la Caisse des dépôts et consignations et de l'Agence française de développement (AFD), le Think Tank climat. Ce dernier a publié un panorama des financements climat et vient de publier un document sur le budget. Quatrièmement, nous avons regardé ce qui existe au niveau national et au niveau international en matière de finance verte, avec des méthodes développées pour les investisseurs sur les marchés financiers en vue de les attirer vers la finance environnementalo-compatible, si je puis dire. Nous nous sommes notamment intéressés aux discussions en cours portant sur la taxonomie des activités au sein de l'Union européenne pour voir de quelle manière sont classifiés les objectifs environnementaux. Cinquièmement, enfin, nous avons examiné les travaux des organisations internationales, notamment l'OCDE, avec les marqueurs de Rio et les subventions aux énergies fossiles, ainsi que ceux qui sont menés dans certains pays ; je pense au Green Budgeting mis en place en Irlande et au recensement des subventions favorables et défavorables à l'environnement en Italie.

Au final, peu de méthodes embrassent l'ensemble des objectifs environnementaux que nous avions identifiés. Il n'y a pratiquement pas d'exemple de recensement de dépenses défavorables. Peu de méthodes sont applicables aux dépenses de fonctionnement et d'intervention. Il n'existe pas vraiment d'accord sur les finalités de ces méthodes. Enfin, le champ des dépenses fiscales va bien au-delà des seules exonérations sur la fiscalité environnementale.

Notre objectif était de considérer toute la dépense fiscale, qu'elle soit environnementale ou pas.

Pour les dépenses budgétaires, nous devions trouver une méthode qui permette d'envisager l'ensemble des types de dépense, la diversité des objectifs, mais aussi les dépenses défavorables. En nous inspirant en partie de l'obligation verte et en partie du règlement en discussion sur la taxonomie des activités, nous avons identifié six objectifs environnementaux. On peut en discuter, mais il est déjà complexe de cibler très clairement chaque objectif... Ces objectifs sont la lutte contre le changement climatique, l'adaptation au changement climatique, la gestion de la ressource en eau, l'économie circulaire et les déchets, la lutte contre les pollutions de l'air, des sols, les pollutions sonores. Enfin, nous avons regroupé dans un seul axe la question de la biodiversité et, plus généralement, la question de la gestion durable des espaces naturels, agricoles et sylvicoles, ces questions étant intimement liées.

Mme Florence Tordjman, inspectrice générale de l'administration et du développement durable. - Nous avons dû proposer une méthode un peu novatrice, la nouveauté tenant moins aux objectifs environnementaux qu'à la cotation des dépenses à travers une sorte de nutri-score, chaque dépense devant être cotée sur chacun des objectifs environnementaux, car une dépense peut être favorable à l'un et défavorable à un autre.

Trois classes de dépenses peuvent être classées comme favorables : celles ayant comme objectif la production d'un bien ou d'un service environnemental sans aucune interprétation possible, comme les dépenses qui financent les agences de l'eau ou la gestion des forêts domaniales publiques ; à un degré moindre celles qui favorisent indirectement un objectif environnemental sans qu'il soit leur objectif principal, comme les dépenses en faveur des transports publics ; des dépenses qui nous semblent tout aussi favorables, mais qui sont soumises à un effet de temporalité, car liées à des technologies considérées aujourd'hui comme favorables à court terme, mais qui pourraient induire un questionnement à plus long terme, comme le soutien aux biocarburants, qui réduisent les émissions, mais valident aussi le modèle des véhicules thermiques.

La cotation zéro correspond aux dépenses qui n'ont aucun impact en matière d'environnement et celles dont la mission n'a pas été en mesure de déterminer avec exactitude l'impact environnemental. Enfin, nous réservons la cotation -1 aux dépenses qui constituent une atteinte directe à l'environnement ou qui incitent les consommateurs à adopter des comportements négatifs. Mais il n'y a pas de pondération entre ces différents objectifs.

La mission a travaillé sur le budget de l'État, les comptes d'affectation spéciale, les budgets annexes, les dépenses fiscales, les mesures déclassées et les opérateurs de l'État. Mais, dans un souci d'efficacité dans le délai imparti, elle a concentré son analyse détaillée sur les quatre missions « Agriculture », « Écologie, développement et mobilité durables » « Recherche » et « Cohésion des territoires » ainsi que sur la quarantaine d'opérateurs, les dépenses fiscales, les mesures déclassées et les comptes d'affectation spéciale qui leur sont rattachés. Nous avons essayé d'appliquer directement la méthode pour voir si elle était réellement possible à mettre en oeuvre et éventuellement « réplicable ». La mission a également procédé à une première analyse encore très partielle des dépenses transversales des achats de l'État à partir des données issues de la comptabilité publique. Pour le reste, la mission s'en est tenue aux informations disponibles dans les autres documents budgétaires transversaux actuels tels que le jaune budgétaire « Protection de la nature et de l'environnement ».

Ayant travaillé entre avril et début août dernier, nous nous en sommes tenus au budget exécuté en 2019, et, s'agissant des dépenses fiscales, nous avons préféré nous en tenir aux recettes de 2017 pour avoir une vision exhaustive.

Pour mesurer l'impact significatif en matière d'environnement de telle ou telle dépense, nous avions besoin de disposer systématiquement d'un scénario de référence ; la mission s'est parfois heurtée à l'indisponibilité de ressources transparentes et fiables telles que le décret qui définit les véhicules à basse émission permettant de classer aisément les dépenses en faveur de véhicules hybrides ou électriques ou a contrario de véhicules thermiques. Nous avons donc été obligés de poser un certain nombre de conventions pour mener l'exercice. Ainsi, les transferts sociaux aux ménages, la masse salariale ont été, sauf exception, classés comme neutres dans ce premier exercice, mais a contrario les dépenses de masse salariale du programme 217 du ministère de la transition écologique et solidaire, ont été considérées comme favorables à la délivrance d'un service environnemental. Les transferts généraux aux entreprises non ciblés sur les secteurs à forte empreinte, comme le crédit d'impôt recherche, ont été considérés comme neutres, comme l'ont été les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales.

Pour le secteur agricole - pour lequel les montants sont relativement faibles, les dépenses de la politique agricole commune (PAC) étant exclues - les dépenses favorables retenues par la mission visent la réduction des pollutions, les bonnes pratiques agricoles, la gestion durable des forêts. Ont été identifiées comme défavorables les dépenses fiscales liées aux exonérations de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) - celle pour le gazole non routier par exemple -, qui augmentent l'empreinte environnementale.

Sur les transports, nous avons considéré que le scénario de référence était le trafic routier et l'infrastructure routière actuels : nous nous sommes demandé si les différents modes de transport étaient plus ou moins émissifs actuellement que la route en essayant systématiquement de nous reporter à des exercices d'évaluation menés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou par de grands opérateurs comme SNCF-Réseau ; nous en avons conclu rapidement que les soutiens aux modes de transports moins émissifs comme le fluvial ou le ferroviaire étaient plutôt favorables à l'atténuation du changement climatique, mais que les infrastructures nouvelles de transport devaient, quant à elles, être évaluées sur la base d'analyses de cycles de vie, et être plutôt classées négativement au regard des objectifs de préservation de la diversité et de gestion des déchets, puisqu'elles augmentent l'artificialisation des sols et la consommation d'espaces naturels.

M. Gérard Longuet. - Sauver des vies humaines n'est-il pas un objectif environnemental ?

Mme Florence Tordjman. - Sur l'énergie, nous avons retenu que le mix énergétique actuel était la situation de référence. Par simplification, dans ce premier exercice, nous avons considéré que les mesures de soutien aux énergies renouvelables étaient plutôt favorables, et que le soutien au nucléaire - énergie décarbonée - était naturellement considéré comme favorable à la lutte contre le changement climatique, mais défavorable à l'objectif de gestion durable des déchets.

Sur les bâtiments, nous avons considéré que les dépenses de rénovation thermique dans l'ancien étaient très favorables aux objectifs climatiques, mais que certains dispositifs de soutien aux logements neufs pouvaient être, en fonction de leurs effets sur la demande des ménages, classés comme défavorables à la protection des espaces naturels pour la part qui se traduit par une artificialisation des sols.

M. Dorian Roucher, inspecteur des finances. - Notre travail a toutefois comporté des limites. D'abord, la seule analyse du budget ne permet pas de juger de la compatibilité avec les objectifs environnementaux. L'action publique passe en effet par d'autres outils, tels que les outils réglementaires et les financements extrabudgétaires. Nous avons ensuite retenu le champ de l'État, alors que l'atteinte des objectifs nécessite la mobilisation de l'ensemble des acteurs, en particulier des collectivités locales, qui portent l'essentiel de l'investissement public, ou des entreprises. Il s'agit par ailleurs d'un classement technique qui ne préjuge ni de la légitimité ni de l'efficience de la dépense : certaines dépenses défavorables à l'environnement peuvent répondre à un autre objectif de politique publique et l'efficience des dépenses devra être évaluée lors de la phase d'évaluation qui devra comporter des mesures et des études qui n'existent pas aujourd'hui. Enfin, les scénarios de référence dépendent de la technologie disponible et de la situation présente de l'économie française ; ils sont donc amenés à évoluer à long terme : il faudra s'en souvenir lorsque l'on cherchera à comparer les pays ou à regarder les choses sur une longue durée.

Nous ne nous sommes pas contentés de tracer une méthode, nous avons essayé de l'appliquer pour savoir si elle était opérationnelle. Côté recettes, sur la base des chiffres d'Eurostat pour 2017, on peut évaluer à 53 milliards d'euros la fiscalité environnementale, dont 35 milliards correspondant au champ de la loi de finances, soit les taxes environnementales sur le carburant, l'électricité, l'eau ou le gaz.

Côté dépenses, notre méthode nous donne des dépenses favorables et des dépenses défavorables pour chaque objectif environnemental, pris séparément. Pour faciliter la lecture, nous proposons des méthodes d'agrégation qui aboutissent au graphique présenté détaillant la somme des dépenses au moins une fois favorable à un objectif environnemental - 35 milliards d'euros-, dont 30 milliards défavorables à aucun objectif. Environ 20 milliards d'euros de dépenses sont défavorables à l'environnement sans être favorables par ailleurs.

Les dépenses favorables peuvent être ventilées par secteur : 10 milliards d'euros pour la production d'énergie, via le soutien aux énergies renouvelables, puis les transports avec le soutien aux transports moins émissifs que la route, puis 6 milliards d'euros pour la recherche en lien avec l'environnement, et 5 milliards d'euros en faveur de la protection de l'environnement stricto sensu - le coeur vert -, c'est-à-dire les dépenses classées par l'Insee et par le système statistique public comme ayant pour objectif principal la protection de l'environnement ; enfin, environ 3 milliards d'euros correspondant aux bâtiments et 2 milliards d'euros à l'agriculture et à la protection des espaces naturels, notamment via l'Office national des forêts (ONF).

Les dépenses défavorables ventilées par nature démontrent une prédominance des dépenses fiscales qui représentent 15 des 25 milliards d'euros concernés : différentes exonérations de TICPE, mesures déclassées qui concernent l'aérien ou le trafic maritime international, mais aussi, pour 1 milliard d'euros, des exonérations de taxes sur l'électricité pour les sites électro-intensifs et, pour le même montant, des dépenses fiscales favorables à la construction de logements neufs qui créé de l'artificialisation des sols. Viennent ensuite des dépenses relatives à des infrastructures de transport pour un peu moins de 6 milliards d'euros, dont 5 également favorables, puisque consacrés au transport ferroviaire ou aux transports en commun. Il faut compter un peu plus de 1,5 milliard de dépenses au titre de la péréquation tarifaire avec les zones non interconnectées, un peu plus de 1 milliard de dépenses d'achats de l'État, en particulier les dépenses de carburant et environ 400 millions d'euros au titre de la recherche pour le nucléaire, favorable au climat, mais défavorable à la gestion durable des déchets.

Pour terminer, je ferai quelques éléments de propositions.

La méthode de classification que nous proposons devra faire l'objet d'une validation interministérielle et elle devra être présentée de manière détaillée aux différentes parties prenantes. Ce n'est qu'à ces deux conditions que le green budgeting pourra être utilisé comme un outil d'aide à la décision. La mission a constaté un besoin criant en travaux d'évaluation, qui ne pourront se déployer que progressivement. Il apparaît naturel que le Haut Conseil pour le climat, créé par le décret du 14 mai 2019, en soit chargé. Les choix méthodologiques relatifs à l'information statistique environnementale doivent également être débattus et la Commission des comptes et de l'économie de l'environnement pourrait être réactivée et élargie, une fois que la méthode sera validée, et pourra servir deux objectifs principaux : suivre les dépenses favorables et défavorables dans le temps et fournir un cadre d'analyse systématique pour les dépenses nouvelles. La mission propose en effet que cette cotation, ce nutri-score, soit systématiquement précisée pour les mesures nouvelles, en tout cas pour les secteurs les plus émetteurs.

Lorsque nous avons remis le rapport le 25 septembre dernier, Gérald Darmanin et Élisabeth Borne se sont engagés à réunir des groupes de travail...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Diable !

M. Dorian Roucher. - L'objectif est de déterminer une méthode communément admise qui puisse être utilisée pour les Printemps de l'évaluation, avec l'engagement de présenter un budget vert complet et accepté en 2021.

M. Vincent Éblé, président. - Où en sont les autres pays dans ce domaine?? Le green budgeting est-il balbutiant partout ?

Mme Sylvie Alexandre. - L'Irlande a repris à l'identique la classification qu'elle avait utilisée pour ses émissions d'obligations vertes souveraines. Elle a donc exclu les activités controversées ou celles dont l'impact est nuancé. Cela représente un périmètre de 1,6 milliard d'euros sur ses 66 milliards d'euros de budget.

L'Italie ne se prévaut pas d'une démarche de green budgeting, mais elle a adopté une méthode ad hoc constituée par un centre de recherche, Quick Scan. Elle publie un catalogue annuel des subventions ayant un impact environnemental significatif depuis 2016, que l'on retrouve à l'annexe 3 du rapport.

La Commission européenne fait un exercice assez différent. Elle utilise la méthodologie des marqueurs de Rio, issue d'un autre champ, celui du développement, puisqu'elle mesure l'impact des dépenses dans le développement des pays. Son objectif est de consacrer 20 % du budget de l'Union au climat et elle publie des statistiques qui montrent qu'elle le fait plus ou moins. Une dépense constituant une contribution principale est cotée à 100 %, une contribution significative à 40 % et pas d'impact à 0 %. Cette méthode a suscité des réserves dans un rapport de la Cour des comptes européenne en 2016.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le green budgeting est-il autre chose qu'une vaste opération de communication ? Le Gouvernement prend un gros pot de peinture verte et se met à verdir le budget, au lieu d'assurer la traçabilité des recettes à finalité environnementale, comme la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ou les redevances des agences de l'eau qui sont censées financer des travaux évitant la pollution. Dans les deux cas, cela devient des recettes de poche du budget général : les agences de l'eau voient ainsi leur fonds de roulement être prélevé régulièrement et l'on constate ensuite que des travaux nécessaires n'ont pas été entrepris, faute d'argent.

La TGAP augmente de plus en plus, comme la TICPE sous prétexte de financer des politiques environnementales... Quelqu'un, à Bercy, a inventé la fiscalité invisible, qui n'était malheureusement pas indolore : elle augmentait chaque année sans que l'on ait besoin de voter la hausse...

Vous dites que les logements neufs artificialisent les sols, mais on peut aussi dire qu'ils sont en général plus efficaces d'un point de vue énergétique que les anciens. Votre classification intellectuelle me semble finalement toujours un peu subjective. Comment déjà tracer clairement la fiscalité environnementale ?

Deuxième question sur les dépenses fiscales. D'autres pays, comme la Suède et le Danemark, ont une fiscalité environnementale, tout en se préoccupant de la compétitivité de leur économie : ces petits pays, qui possèdent des champions qui exportent, nous disent que la fiscalité environnementale devrait être « autodestructrice », qu'elle n'est là que pour accompagner des transformations, mais à terme ne plus rien rapporter, les consommateurs ayant changé de comportement ; ils nous disent aussi qu'ils l'ont compensée pour les entreprises. Avec vos cotations, j'ai peur que l'on ne supprime par exemple les aides aux électro-intensifs et donc les électro-intensifs eux-mêmes.

Le bien-être, c'est peut-être aussi d'avoir encore un emploi et donc encore de l'industrie en France... Comment concilier tous ces objectifs ?

M. Dorian Roucher. - Notre classification des recettes repose sur le fait qu'elles changent un comportement, quelle que soit leur affectation. Elle n'est pas subjective : lorsqu'on taxe un polluant, on fait changer les comportements par un signal prix. Cela répond à une définition internationale. La France prélève plutôt moins ce type de recettes que les autres pays.

Je comprends que le fait de bien comprendre l'utilisation de cette fiscalité soit un vrai problème pour vous, mais ce n'était pas notre objectif.

Notre classement est technique ; il ne préjuge ni de l'efficience ni de la légitimité de la dépense. Il peut y avoir des dépenses défavorables avec des objectifs légitimes : les achats de carburants par l'État relèvent majoritairement de la défense. Cela pollue de faire voler des avions et de faire naviguer des bateaux, mais il est légitime que la France ait une politique de défense.

Pour le logement neuf, nous avons classé comme défavorable la part - elle est de l'ordre de 20 % - de la dépense en matière d'aide à la construction de logements neufs qui se fait par artificialisation des sols, essentiellement dans les zones détendues, où le taux de vacance est élevé et où il progresse, donc là où l'on déforme la demande des ménages en faveur du logement neuf et en défaveur de la rénovation de l'ancien, ce qui est défavorable à l'environnement. On peut se demander si c'est légitime ou non de le faire, mais ce n'était pas la question qui nous était posée.

De même, notre travail n'incite pas à supprimer toute dépense fiscale défavorable, mais à réfléchir à la façon d'aider les secteurs concernés - car nous vivons dans un monde concurrentiel - autrement que de manière proportionnelle à leur consommation d'énergie. Ce n'est certes pas facile, car nous sommes contraints par le régime des aides d'État...

Mme Christine Lavarde. - Pourquoi l'OCDE n'a-t-elle pas été chef de file pour définir une méthode qui aurait été appliquée de manière uniforme dans tous les pays ? C'est dommage : on ne pourra pas faire de comparaisons entre pays.

La qualité de la donnée s'est-elle améliorée depuis les remarques du rapport de la Cour des comptes, qui notait que Bercy n'arrivait pas à remonter toute l'information, qui était souvent approximative - il n'y a qu'à voir l'écart entre le prévisionnel et le constaté...

Vous avez estimé que la route était neutre pour le carbone, mais très négative pour l'artificialisation des sols. Comment la classez-vous ? Comment concilier cela avec la stratégie bas carbone du Gouvernement et les objectifs de plus long terme du programme 203 «  Infrastructures et services de transport » ?

M. Jean-François Husson. - Bravo pour votre synthèse. Le Gouvernement, qui a perdu sa boussole il y a un an, vous a chargé d'élaborer une méthode. Les sénateurs, qui avaient dénoncé l'absence d'information pendant les débats budgétaires, ont été entendus. N'oublions pas la colère sociale portant la même couleur que le « jaune » budgétaire... Je continue de penser que tous ces sujets méritent une traçabilité.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Qu'il ne faut pas confondre avec l'affectation.

M. Jean-François Husson. - En effet.

En Europe du Nord, nos interlocuteurs nous l'ont dit : pour garder un numéro un mondial, ils ont fait un choix, dans un climat social marqué par le consensus, en défaveur des particuliers, jusqu'à ce que le numéro un soit assez fort pour conserver son leadership.

Plus on parle de transparence, et moins j'y vois clair. Je crois que nos concitoyens pensent la même chose que moi.

I4CE a mené une étude globalement identique à la vôtre. Quels points de divergence et de convergence constatez-vous entre vos deux méthodologies?? Quelles dépenses ont-elles été difficiles à classifier ? Le nucléaire, par exemple, produit une énergie décarbonée, mais suscite des interrogations sur la dangerosité de ses déchets. En témoignent les débats sur cette question.

Vous avez évalué les dépenses de l'État. Mais les collectivités sont au coeur de la transition énergétique. Votre approche pourrait-elle leur être étendue sous la forme d'un document budgétaire ?

Vous avez parlé d'un budget vert d'ici à 2021, issu d'une co-construction avec le Haut Conseil pour le climat créé sur mesure par l'exécutif, puis examiné devant la Convention citoyenne de 150 membres tirés au sort, avant que le Conseil économique, social et environnemental n'en soit saisi (Cese)... Pourtant, des collectivités territoriales dont les présidents sont élus démocratiquement bénéficient de la plus grande confiance des électeurs. De plus, il existe heureusement encore des institutions démocratiques, notamment les deux chambres du Parlement. Quel rôle pourraient-elles tenir avant le vote du premier budget vert ?

M. Victorin Lurel. - Je vous félicite pour cet exercice complexe. Vous évaluez l'impact défavorable à l'environnement des dépenses fiscales à 15,2 milliards d'euros, y compris pour les départements d'outre-mer et la Corse. Vous chiffrez à 1,6 milliard la péréquation tarifaire dans les zones non connectées au réseau métropolitain et vous évoquez les outre-mer et la Corse.

C'est vrai qu'il y a une péréquation tarifaire. Mais vous ne tenez pas compte du différentiel : dans les outre-mer, les carburants sont assujettis à la taxe spéciale de consommation. J'aimerais comprendre pourquoi. Cela fait des années que je demande au Gouvernement de revoir le calcul tel qu'il est fait, en particulier en matière de carburants.

M. Gérard Longuet. - Merci à nos trois intervenants pour leur courage : le chantier auquel ils se sont attelés n'est pas terminé, tant s'en faut ! Qui a défini le cahier des charges conceptuel initial ? Qu'est-ce que l'environnement ? Où s'arrête l'action pour l'environnement ? L'être humain fait-il partie de la biodiversité, et mérite-t-il qu'on agisse pour sauver sa vie ? C'est pour cela que j'ai réagi, lorsque vous avez dit que les infrastructures n'étaient pas très eco-friendly : si elles artificialisent les sols, elles sont en effet aussi le principal facteur de la baisse du nombre d'accidents de la route.

On ne peut pas décréter que la route et l'autoroute sont négatives, sauf à considérer que l'être humain doit être moins protégé que le tétras et la libellule. Aussi, nous avons besoin du cahier des charges qui anime votre recherche. De la même façon, on respecte l'être humain en réduisant le gaspillage de son temps. L'humain n'appartient-il pas à la biodiversité ?

J'en viens à l'artificialisation des sols. Pendant très longtemps, dans notre pays, la surface était insuffisante pour nourrir la population. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, les révolutions agricoles ont répondu aux besoins alimentaires. Pourquoi ? Parce que la totalité des sols est artificielle - on parle de prairies artificielles. Il n'existe plus, en France, de forêt primaire. L'artificialisation des sols correspond à un mode de vie. À moins que l'objectif inscrit dans le cahier des charges soit de revenir au caractère primaire des sols...

Dans votre présentation, vous faites état des recettes issues des actions en faveur de l'environnement. Vous mettez sur le même plan la TICPE, liée à la consommation d'énergies fossiles qui émet du CO2, et la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui vient, elle, de la taxation de la consommation électrique, qui est à 75 % nucléaire et pose des problèmes de déchets, ce qui est différent. TICPE et CSPE ne sont pas de même nature.

Vous classez la consommation d'eau comme défavorable à l'environnement. Or je pense exactement le contraire. L'eau n'a jamais été aussi bien traitée en amont et en aval de son usage. Quand j'étais enfant, une publicité pour le vin citait Pasteur, selon qui le vin était la plus hygiénique des boissons. En effet, au XIXe siècle, l'eau était souvent à l'origine de morts par maladie. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas.

Vous vous êtes lancé dans un exercice comptable sans que nous connaissions le cahier des charges. Clarifions les éléments conceptuels de base.

Enfin, n'oubliez pas que l'être humain appartient à la biodiversité.

M. Philippe Adnot. - Bravo !

M. Michel Canévet. - L'exercice n'est pas facile. Il convient d'en préciser les contours. Est-il destiné à alimenter les études d'impact préalables au projet de loi de finances ? Introduira-t-on des notions plus qualitatives ? Des mesures telles que le certificat d'économies d'énergie ne sont sans doute pas intégrées alors qu'elles participent des politiques publiques.

Il est difficile d'appréhender certains secteurs. Le rapporteur général a évoqué les prélèvements de l'État sur les institutions chargées d'actions sur l'environnement. Il faut tout mettre sur la table.

L'exercice est-il applicable au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ? Y avez-vous travaillé ?

M. Jean Bizet. - La fiscalité environnementale a pour objet d'inciter nos concitoyens à consommer différemment et à adopter un comportement vertueux. Or je n'ai pas trouvé de référence à la digitalisation, aux data centers et au streaming, qui représentent pourtant 4 % des émissions de CO2, soit davantage que celles du secteur aérien. Sans vouloir aucunement freiner la digitalisation de nos comportements, j'adresse un message à Greta Thunberg, qui préfère la voile à l'avion, mais envoie des milliers d'e-mails pour fédérer ses fans.

Mme Florence Tordjman. - Notre premier étonnement a été de constater que l'OCDE n'avait pas préparé de méthode. Elle a lancé cette initiative de comparaison internationale des dépenses favorables à l'environnement en marge du One Planet Summit en 2017. La France et le Mexique ont immédiatement fait part de leur volonté de participer à l'exercice. Les autorités françaises pensaient que l'OCDE avait une méthode à proposer. Or ce n'était pas le cas. Les premières réunions, très exploratoires, au cours desquelles chacun des pays a explicité ses mesures favorables ou défavorables à l'environnement, ont rendu apparent le besoin d'une méthode internationale. La France a indiqué qu'elle ferait l'exercice, et c'est dans ce cadre qu'une commande a été passée aux inspections générales.

Dans la lettre de commande, nous n'avions pas de définition de l'environnement, d'où la latitude que nous avons prise. Nous avons choisi de restreindre notre analyse très détaillée à quatre missions principales, sans prendre en compte le soutien aux ménages, même si les dépenses en faveur de l'environnement de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) figurent dans notre analyse.

Mme Lavarde nous a interrogés sur la qualité de la donnée. Pour mener notre exercice, nous nous sommes fondés sur les documents budgétaires à notre disposition sans remettre en question l'état de la donnée - même si nous avons été étonnés de voir que, sur les niches fiscales, elle était approximative ou manquante. De même, les métriques d'évaluation des émissions de gaz à effet de serre par passager ou tonne transportée sont beaucoup trop anciennes et mériteraient d'être actualisées. Nous appelons les administrations à de nouvelles études pour actualiser ces données.

Mme Sylvie Alexandre. - J'ai pris soin de décrire les objectifs environnementaux. Nous avons joint, dans un même enjeu, biodiversité et gestion durable des espaces naturels, agricoles et forestiers. Il ne s'agit pas d'opposer le développement humain à une nature vierge et intacte. Les objectifs en termes de développement durable reposent sur le social, l'économique et l'environnemental. Nous avons tenté de voir dans quelle mesure une dépense budgétaire ou fiscale de l'État avait un impact sur la durabilité de la gestion par l'homme des espaces. La biodiversité est, quant à elle, parfaitement définie.

Dans notre travail, nous lançons des alertes sur l'évaluation. Le choix entre les différents enjeux et le système de cotation est parfaitement discuté et discutable ; c'est pourquoi nous avons choisi de tout mettre sur la table. Toutefois, dans les documents budgétaires, selon le programme, l'action ou la sous-action, la granularité de la dépense descend à la centaine de milliers d'euros ou alors reste à une hauteur de l'ordre de 100, voire 500 millions d'euros. Il est évident qu'il faudra clarifier les granularités minimales et maximales de la dépense considérée.

Le travail que nous vous présentons n'est qu'une première application d'un type de raisonnement.

L'OCDE n'a pas développé de modèle probablement parce qu'elle n'a pas de budget d'État. Or le budget dépend totalement de l'État, de son fonctionnement, de ses outils. Nous avons cherché à élaborer une méthode qui puisse être déclinée, en définissant des enjeux et en proposant un système de cotation transparent et assez résilient quant à la variabilité des différents types de budgets étatiques.

Enfin, les objectifs sont très nettement en lien avec les engagements environnementaux internationaux, qui sont bien décrits.

M. Dorian Roucher. - Revenons sur la classification du programme 203 relatif aux infrastructures de transports. Chaque dépense est classée selon l'une des six cotations que nous avons définies. La situation de référence est l'état des infrastructures de transports aujourd'hui. L'entretien d'une route existante est donc considéré comme neutre. Tout soutien à un mode de transport moins émissif est favorable au climat ; tout soutien à un mode de transport plus émissif est défavorable au climat. La construction de nouvelles routes est défavorable parce qu'elle crée des opportunités de pollution accrue.

Mme Christine Lavarde. - Cela reste à démontrer !

M. Dorian Roucher. - La construction d'une nouvelle route a une empreinte carbone négative.

M. Gérard Longuet. - La circulation est plus fluide, donc le temps d'usage du véhicule est réduit. On le voit en région parisienne.

M. Dorian Roucher. - Le modèle Modev montre que, si l'on construit une route pour décongestionner, on diminue le coût d'usage de la route. S'il y a moins d'embouteillages, on utilise beaucoup plus sa voiture.

M. Gérard Longuet. - Nous sommes au début du raisonnement sur la planification et la conceptualisation de ces questions.

M. Dorian Roucher. - Nous avons essayé d'évaluer les infrastructures nouvelles sur la base des analyses en cycle de vie. Nous avons noté qu'elles étaient peu nombreuses. Toutefois, nous disposions de certaines analyses assez poussées qui montrent, par exemple, l'impact favorable sur le climat de la création de nouvelles infrastructures ferroviaires. De la même façon, nous avons utilisé les données à notre disposition pour évaluer les effets sur les autres axes tels que la production de déchets. Ainsi, dans son reporting, la Société du Grand Paris a évalué que la création du nouveau métro conduirait à une hausse durable de 20 à 25 % de la production de déchets en Île-de-France.

Concernant l'acquisition de nouveaux véhicules, nous avons utilisé les normes des décrets sur les véhicules à basse émission puisque c'était la référence dont nous disposions.

Sur le cas précis de l'exonération de la TICPE dans les départements d'outre-mer qu'évoque M. Lurel, nous n'avons retenu que l'écart entre la dépense fiscale telle qu'elle est comptabilisée par la direction de la législation fiscale et la taxe spéciale de consommation qui est prélevée dans ces départements, afin de bien noter que la dépense fiscale n'était que la baisse de prix entre la taxation au taux de métropole et la taxation effective pour les ménages et les entreprises dans ces départements. Nous avons également retraité d'autres dépenses fiscales comme celles qui sont relatives au taux super-réduit de rénovation thermique des logements, pour être plus proches de la réalité.

Mme Florence Tordjman. - M. Husson nous a interrogés sur I4CE, anciennement CDC Climat, qui a également travaillé sur le budget vert. Nous avons échangé avec ses membres, dont l'étude s'est concentrée uniquement sur l'objectif climatique et non sur l'ensemble de l'environnement. Ils n'ont pas non plus intégré les opérateurs de l'État dans le périmètre du budget. Leur système de classification n'est pas très différent du nôtre. Le montant des recettes favorables est, dans leur étude, du même ordre que dans la nôtre, soit 53 milliards d'euros dont 10 milliards d'euros sont liés à l'impact sur le climat. Du côté des dépenses, comme ils n'ont pas pris en compte les opérateurs, le montant est plus faible : 23 milliards d'euros, contre 26 à 29 milliards d'euros pour l'objectif climatique dans notre étude. Le montant des niches fiscales est, dans leur étude, supérieur au nôtre, mais ils se sont appuyés sur des chiffres de 2018, alors que nos chiffres datent de 2017. Ils n'ont pas répertorié certaines mesures fiscales que nous faisons apparaître telles que les dépenses déclassées, à savoir des dépenses à hauteur de 4 milliards d'euros pour les seuls transports aérien et maritime, qui ne sont jamais votées par le Parlement. De la même façon, les détaxations en faveur des raffineries pétrolières représentent 300 millions d'euros. Au total, ce sont 4,3 milliards d'euros de dépenses.

Nous soulignons dans notre rapport l'intérêt de mieux valoriser les taxes, ou quasi-taxes, que sont les certificats d'économies d'énergie. Nous avons eu des difficultés à obtenir une bonne approximation et sommes parvenus à une somme comprise entre 1 et 2 milliards d'euros par an. Il sera nécessaire d'approfondir ce point. Nous avons également chiffré les écocontributions, qui sont des contributions en faveur de la gestion des déchets extrêmement significatives et efficaces.

M. Dorian Roucher. - Nous avons attribué une cotation en fonction de chaque objectif. Certaines dépenses sont favorables à un objectif et défavorables à un autre. C'est le cas du nucléaire, favorable dans l'axe climat et défavorable dans l'axe déchets.

M. Gérard Longuet. - Mêler climat et environnement est source de complexité. Comment quantifier les déchets ? Le budget ne comporte pas de dépense concernant les déchets nucléaires.

M. Dorian Roucher. - Les dépenses de gestion des déchets sont favorables à l'environnement. En effet, Eurostat considère que le traitement des déchets est toujours plus avantageux que le non-traitement. Les dépenses de fonctionnement de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), à hauteur de 250 millions d'euros environ, sont classées comme favorables. Il existe également des dépenses dans le programme 181 ainsi que dans la mission « Recherche », relatives au démantèlement des installations du Commissariat à l'énergie atomique (CEA).

Notre question porte sur le soutien à la nouvelle production d'énergie nucléaire. On compare avec le mix actuel, qui n'est pas que nucléaire. Ces dépenses de soutien se trouvent dans le budget général et dans celui des opérateurs. C'est surtout le soutien aux générateurs de deuxième et troisième génération qui sont favorables au climat, mais défavorables en matière de déchets, car ils en créent, l'exception étant Iter. En effet, si ces générateurs n'étaient pas construits, il y aurait moins de déchets.

M. Jean-François Husson. - Globalement, c'est plutôt favorable.

Mme Sylvie Alexandre. - Nous n'avons peut-être pas assez insisté sur la notion de nutri-score. Nous avons opéré programme par programme, action par action, en décomposant les dépenses. Chaque action a été passée au crible de chaque enjeu. Une même dépense peut être favorable sur l'axe de l'atténuation du changement climatique et défavorable sur l'axe de la production de déchets. La cotation, qualitative, suppose progressivement la mise en place d'un arsenal d'évaluation de la dépense au regard d'objectifs environnementaux. Cet arsenal existe dans le ferroviaire, puisque SNCF Réseau a réalisé des analyses de cycle de vie sur les voies nouvelles et les réparations de voies ferroviaires, mais pas dans les secteurs fluviaux et routiers.

Nous avions une mission sur le budget de l'État. Néanmoins, nous disons en filigrane que l'analyse de la seule part étatique de la dépense publique ne suffit pas à vérifier la conformité avec les engagements. Dans le reste du monde, les collectivités territoriales jouent un rôle tout à fait prépondérant. Étant donné les importants transferts de recettes fiscales aux collectivités, il serait positif que l'exercice soit mené à leur niveau, selon une méthodologie cohérente avec celle qui sera in fine retenue.

La caractéristique principale de la définition de l'artificialisation des sols est l'imperméabilisation. Les sols forestiers et agricoles sont gérés par l'homme, mais ils sont peu anthropisés, contrairement à des parkings, des routes ou des trottoirs qui, imperméabilisés, rompent le lien biophysique entre le sol et l'atmosphère. L'eau ruisselle et les échanges gazeux ne sont plus assurés. La différence est fondamentale.

Mme Florence Tordjman. - Nous préconisons que les transferts vers l'Union européenne soient analysés et traités. C'est l'une des limites de notre analyse. Nous avons également indiqué que l'exercice aurait sans doute toute sa légitimité pour ce qui concerne le PLFSS.

Enfin, le crédit d'impôt sur les data centers n'a pas été recensé par la mission en raison de son faible niveau. I4CE ne l'a pas non plus inclus, mais c'est un point d'attention important compte tenu de l'évolution de la société.

M. Vincent Éblé, président. - Nous vous remercions.

La réunion est close à 16 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 16 octobre 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 8 h 40.

Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle - Texte examiné conformément à la procédure de législation en commission (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Vincent Éblé, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner la proposition de loi n° 710 (2018-2019) visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle, présentée par MM. Patrick Kanner, Thierry Carcenac, Claude Raynal, Vincent Éblé et plusieurs de leurs collègues.

M. Sébastien Meurant. - Avant d'entamer notre ordre du jour, permettez-moi de vous communiquer une information importante, en tant que rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». J'ai interrogé le directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), afin de connaître le nombre de personnes nées à l'étranger ayant bénéficié de prestations sociales. Il m'a été répondu que le répertoire national commun de la protection sociale, dont la finalité est de lutter contre la fraude, n'était pas un entrepôt de données. Cela témoigne d'une volonté de cacher les chiffres. Aussi, je sollicite votre aide, monsieur le président.

M. Vincent Éblé, président. - J'entends bien vos propos, mon cher collègue, mais ils n'entrent pas dans le cadre de l'ordre du jour de nos travaux. Nous traiterons cette question ultérieurement.

Nous en revenons à notre ordre du jour.

Conformément aux articles 47 ter à 47 quinquies de notre Règlement, nous examinons la proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle selon la procédure de législation partielle en commission décidée en Conférence des présidents, qui concerne les articles 3, 4, 5, 9 et 10. Les autres articles - les articles 1er, 2, 6, 7 et 8 - et les amendements portant articles additionnels seront examinés dans un second temps selon la procédure ordinaire. Deux liasses distinctes d'amendements ont été prévues à cet effet, sachant que vous pouvez aussi suivre les amendements sur l'application DEMETER.

Je vous rappelle que, dans la procédure de législation en commission (LEC), le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission, la séance plénière étant centrée sur les explications de vote et le vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission. Les articles que nous allons aborder maintenant ne feront donc l'objet que d'un seul vote en séance publique, prévue le 23 octobre prochain. Ils ne pourront pas faire l'objet d'amendements en séance, sauf si le retour à la procédure normale est demandé.

Cette partie de notre réunion est ouverte à tous les sénateurs et au public, et elle est retransmise en direct. Elle se tient en présence du Gouvernement, représenté par M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Je précise également que si tous les sénateurs présents peuvent demander à prendre la parole lors de la discussion, seuls les membres de la commission des finances sont appelés à voter.

Je laisse maintenant la parole à l'auteur de la proposition de loi pour la présenter.

M. Thierry Carcenac, auteur de la proposition de loi. - De nombreux travaux ont été engagés notamment par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) en 2018, dont les conclusions mentionnent la question des donations et celle des successions. Par ailleurs, Terra Nova et France Stratégie ont travaillé sur ce sujet ; M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, s'est exprimé à plusieurs reprises sur ces questions. C'est pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi, qui comporte deux volets.

Tout d'abord, nous constatons que les inégalités socio-économiques s'accroissent, nous fondant sur les observations formulées par l'Observatoire des inégalités, qui précise que les écarts de patrimoine sont plus élevés que ceux des revenus : le 1 % le plus fortuné de notre pays possède 17 % de l'ensemble du patrimoine des ménages et les 10 % les plus riches presque la moitié, selon les statistiques de l'INSEE de 2015. Le patrimoine médian des cadres supérieurs est supérieur à 200 000 euros, alors que celui des ouvriers non qualifiés s'élève à 16 400 euros. L'accumulation engendre une reproduction des inégalités de génération en génération. Il s'agit là des conclusions d'un rapport de juin 2019.

Dès lors, la taxation du patrimoine doit jouer un rôle redistributif plus efficace qu'il ne l'est aujourd'hui. Le récent rapport de notre président et du rapporteur général sur l'évaluation de la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), nous apportent des éléments sur cette analyse. Le président préconise un retour de l'ISF sous forme modernisée, tandis que le rapporteur général propose une réforme de l'IFI par une taxation de la fortune improductive.

Nous abordons ici la question de la taxation sur la transmission. Cette proposition de loi vise à rendre plus juste et plus lisible la fiscalité des successions et des donations par une simplification des droits de succession et un rééquilibrage sur la progressivité du dispositif. De plus, l'allongement de l'espérance de vie a pour conséquence un âge moyen de plus en plus tardif de l'héritage. Une transmission anticipée vers une génération plus jeune pourrait être la solution, comme le mentionne également le Conseil d'orientation des retraites (COR).

Sur le plan sociétal, la structure du foyer a évolué : elle impose une réflexion sur la réserve héréditaire et son adaptation à cette évolution de la société. Enfin, pour obtenir une taxation plus équitable, certains dispositifs pourraient être revus.

Le chapitre Ier intitulé « Favoriser les transmissions intergénérationnelles » comprend trois articles. Le chapitre II, qui compte également trois articles, traite de la mise en oeuvre d'une progressivité plus cohérente des droits de succession. Le chapitre III, qui contient quatre articles, concerne la simplification de l'assiette des droits de succession pour plus de justice fiscale, avec la révision du périmètre, notamment en incluant l'assurance vie et les transmissions d'entreprises. Nous avons sollicité la possibilité d'examiner une partie des articles selon la procédure de législation partielle en commission, une novation, j'en suis conscient, afin de distinguer, d'une part, les grandes orientations à débattre en séance et, d'autre part, les articles plus techniques, qui peuvent être réglés ce matin.

Permettez-moi d'attirer votre attention sur le manque de statistiques pour ce qui concerne certains dispositifs.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Je tiens tout d'abord à saluer le travail réalisé par les auteurs de la proposition de loi, au premier rang desquels mon collègue Thierry Carcenac, même si nous serons naturellement en désaccord sur certaines propositions.

Sans revenir sur les objectifs poursuivis, qui viennent d'être rappelés, je concentrerai mon propos sur la « grille d'analyse » que j'ai retenue, en tant que rapporteur, pour examiner les différents articles et amendements. Celle-ci s'articule en trois axes.

Premièrement, toutes les initiatives augmentant les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) me paraissent devoir être écartées. En effet, la France se place juste derrière la Belgique dans le classement des pays de l'OCDE qui imposent le plus les successions et les donations, de nombreux voisins ayant même complètement renoncé à taxer les transmissions à titre gratuit. Ainsi, le poids des DMTG dans la richesse nationale a triplé depuis 1965 et atteint désormais 0,6 % du PIB, contre 0,14 % en moyenne dans les pays de l'OCDE.

Dans un contexte de concurrence fiscale accrue, il n'est donc pas envisageable de renforcer la fiscalité des successions et donations, et ce y compris en rabotant les « niches fiscales » telles que le pacte Dutreil, qui ne sont que le corollaire indispensable à ce haut niveau global de taxation. C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer les articles 4, 5, 7, 8 et 9.

Deuxièmement, les propositions trop coûteuses du point de vue des finances publiques me semblent également devoir être écartées.

Alors que l'examen du projet de loi de finances approche, nous ne pouvons pas reprocher au Gouvernement de ne faire aucun effort en matière de redressement des comptes publics et adopter dans le même temps des amendements dont le coût se chiffrerait en milliards d'euros. C'est notamment pour cette raison que je vous proposerai une réécriture globale de l'article 6, afin d'adopter un aménagement beaucoup plus ciblé.

Troisièmement, je concentrerai mes propositions sur l'objectif d'encourager la circulation anticipée du capital vers les jeunes générations, qui me paraît prioritaire.

Dans un contexte de forte hausse des prix des logements et d'allongement de la durée des études, je suis convaincu que la solidarité familiale entre les générations peut jouer un rôle décisif pour aider les jeunes à financer leurs études et se constituer un premier apport pour devenir propriétaire. L'héritage survient malheureusement trop tardivement pour jouer ce rôle : l'âge moyen auquel on hérite a ainsi reculé de huit ans depuis 1980 pour atteindre désormais cinquante ans. Par conséquent, il me paraît indispensable d'encourager les donations vers les petits-enfants.

C'est dans cet objectif que je défendrai des amendements aux articles 1er et 2 de la proposition de loi, qui visent à porter de 31 865 euros à 70 000 euros l'abattement sur les donations vers les petits-enfants et à raccourcir le délai de rappel fiscal pour les donations vers les moins de quarante ans. Je m'inscris sur ces deux articles dans la lignée des auteurs de la proposition de loi.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. - Je le dis d'emblée, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi, mais je tiens à en remercier les auteurs, à la fois pour le travail réalisé, mais aussi pour avoir réveillé en moi les débats d'il y a un peu plus de dix ans, au cours desquels nous nous interrogions collectivement sur le niveau de richesse : la richesse commençait pour certains à partir de 4 000 euros par mois...

En lisant ce texte, j'ai le sentiment d'un décalage entre l'exposé des motifs, expliquant que l'objectif est de faciliter la circulation intergénérationnelle du patrimoine et la justice fiscale, et les dispositifs proposés par la proposition de loi.

Je constate également un décalage entre nous sur la conception des patrimoines moyens ou modestes, et je reviendrai sur un certain nombre de chiffres. Le patrimoine médian des Français s'établit à 113 900 euros. Moins de 25 % des successions feront l'objet d'une taxation malgré les chiffres annoncés par le rapporteur, et qui sont confirmés par le Gouvernement.

Avec cette proposition de loi, nous pourrions considérer comme ménages modestes des grands-parents en mesure de donner 150 000 euros en numéraire à chacun de leurs petits-enfants tous les dix ans et de compléter ce don de 150 000 euros supplémentaires pour peu qu'il ne s'agisse pas de numéraire. En réalité, avec l'augmentation considérable des abattements que prévoit la proposition de loi et la diminution du délai de recharge en passant de quinze à dix ans, ce texte rendrait possible la donation en franchise de droits de patrimoines de plusieurs centaines de milliers d'euros par petit-enfant : 450 000 euros par petit-enfant et par grand-parent, tous les dix ans, pour être précis. Je ne crois pas que cette cible soit véritablement celle que l'on qualifierait de ménages modestes ou moyens.

Le Gouvernement n'est pas fermé au principe de mieux prendre en compte la solidarité intergénérationnelle. Mais nous souhaitons privilégier les ménages moyens et non pas les ménages visés par cette proposition de loi.

Je profite de cette occasion pour dire que nous sommes attachés à maintenir un équilibre dans la taxation des transmissions. Depuis leur instauration au lendemain de la Révolution française, les droits sur les successions et donations ont été conçus comme un instrument de redistribution pour éviter la concentration du patrimoine ; ils sont devenus progressifs à compter de 1901 et les DMTG sont construits sur la prise en compte du couple défunt héritier ou donateur-donataire, en favorisant les liens de parenté. Ils relèvent d'un barème progressif applicable après divers abattements ou exonérations favorables aux transmissions familiales. Du fait de la limitation des donations antérieures à quinze ans, cela permet une transmission anticipée pour réduire les droits dus en faisant jouer tous les quinze ans le même abattement. Il en résulte que le régime actuel des donations et successions aboutit déjà à une franchise d'impôt pour la grande majorité des transmissions en ligne directe dans la mesure où elles bénéficient d'un abattement de 100 000 euros. Au-delà de cet abattement s'applique le barème progressif d'imposition. Ainsi, pour un couple avec deux enfants, il est aujourd'hui possible d'effectuer une donation de 400 000 euros, sans payer de droits à hauteur de 100 000 euros pour chacun des parents et pour chacun des deux enfants. Cette donation est à mettre en perspective avec le patrimoine médian net des Français, estimé par l'INSEE à un peu moins de 114 000 euros, comme je l'ai déjà relevé.

Or la proposition de loi reviendrait sur cet équilibre sous couvert de vouloir favoriser les transmissions intergénérationnelles. Permettez-moi de prendre quelques cas précis si ce texte était adopté.

Dans le cas d'une donation entre grands-parents et petits-enfants, rien n'empêcherait chaque grand-parent de transmettre à chaque petit-enfant jusqu'à 450 000 euros en franchise totale d'impôts, contre 64 000 euros actuellement. Si ce grand-parent a quatre petits-enfants, il pourrait ainsi transmettre jusqu'à 1,8 million d'euros en franchise d'impôt, et ce tous les dix ans, contre quinze ans aujourd'hui. Actuellement, si le donateur est âgé de moins de quatre-vingts ans, il peut bénéficier d'un abattement de 31 865 euros par grand-parent et par petit-enfant âgé de plus de dix-huit ans ; s'il s'agit d'une donation en numéraire, il pourra en plus bénéficier d'une exonération à la même hauteur toujours par grand-parent et par petit-enfant : chaque grand-parent peut donc donner jusqu'à ses quatre-vingts ans à chacun de ses petits-enfants majeurs 63 730 euros tous les quinze ans en franchise totale de droits. Si la proposition était adoptée, l'abattement et l'exonération seraient portés à 150 000 euros et les grands-parents entreraient aussi dans le champ de l'application de l'abattement général que vous proposez également de porter à 150 000 euros.

Vous souhaitez aussi favoriser certaines transmissions en ligne indirecte en faveur des neveux ou nièces, en faisant passer les abattements de 64 000 à 400 000 euros. Aujourd'hui, un couple ayant quatre neveux et nièces peut leur transmettre jusqu'à 63 700 euros en franchise de droits ; la proposition de loi leur permettrait de transmettre jusqu'à 400 000 euros en franchise totale. Si telle est votre conception des petits patrimoines, ce n'est pas celle du Gouvernement.

J'en viens maintenant au barème des tarifs de DMTG sur les transmissions en ligne directe que vous proposez de revoir, en allégeant ce tarif jusqu'à 300 000 euros de part nette taxable par bénéficiaire et en l'alourdissant au-delà.

Prenons cette fois l'exemple d'une donation d'un parent âgé de moins de quatre-vingts ans ayant deux enfants majeurs et qui souhaite leur transmettre 800 000 euros au total, partiellement en numéraire. Avec votre proposition de loi, les DMTG passeraient de 104 000 euros environ à 24 000 euros. Aujourd'hui, il leur en coûterait au total 103 642 euros de DMTG, contre 23 499 euros, avec les dispositions prévues dans ce texte, du fait de l'exonération de 150 000 euros par part et de l'abattement d'un même montant par part et du barème allégé pour les 100 000 euros par part restant taxables.

Pour terminer, permettez-moi de revenir sur cinq points particuliers de la proposition de loi.

L'article 3 prévoit de modifier le mécanisme de réserve héréditaire et la quotité disponible prévue par l'article 913 du code civil. Vous proposez de porter la quotité disponible aux deux tiers des biens pour une personne n'ayant qu'un enfant et à la moitié des biens si elle a deux enfants, un tiers si elle a trois enfants ou plus. La réserve héréditaire passerait ainsi de la moitié au tiers des biens pour un seul enfant héritier, des deux tiers à la moitié des biens pour deux enfants et des trois quarts aux deux tiers pour trois enfants. Or il se trouve que la garde des sceaux réunit actuellement un groupe de travail interministériel sur la justification de la réserve héréditaire et l'adéquation de ces modalités au regard des évolutions juridiques et sociétales. Il nous semble plus sage d'attendre la fin de ces travaux avant de modifier ce droit. Le Gouvernement est donc défavorable à l'article 3.

Je ne reviendrai pas sur l'article 4, qui modifie le barème des tarifs, car je vous ai montré que la mesure prévue entraînerait un allégement considérable des droits dus pour les très gros patrimoines.

S'agissant de l'article 5, il modifie en profondeur la logique de l'imposition en ce qu'il prévoit d'ajouter à une succession le montant de toutes les successions antérieures dont l'héritier a été bénéficiaire pour faire appliquer le barème progressif des DMTG. Contrairement à ce qui est prévu pour les donations antérieures, aucun délai de recharge ne serait prévu, ce qui aboutirait à un renchérissement de l'imposition pour certains héritiers ou légataires. Vous avez cité l'organisme Terra Nova comme source d'inspiration de votre proposition, mais vous n'avez pas mentionné le fait que les auteurs de cette étude soulignaient le caractère extrêmement peu acceptable socialement d'une telle disposition.

Quant à l'article 9, il prévoit de supprimer purement et simplement un certain nombre d'exonérations partielles de DMTG en faveur notamment des bois et forêts, des terres situées dans des zones de protection de l'environnement ou des terres rurales données à bail, alors que ces exonérations sont aujourd'hui subordonnées à un certain nombre de conditions pour les bois et forêts et les aires protégées et à des conditions strictes de gestion durable. Supprimer ces exonérations reviendrait à envoyer un très mauvais signal à la ruralité et irait à l'encontre de la préservation de l'environnement. C'est pourquoi nous soutiendrons les amendements de suppression de cet article.

Le Gouvernement sera défavorable à l'article 10 qui, contrairement aux autres dispositions de la proposition de loi, prévoit non pas de supprimer, mais d'élargir une dépense fiscale applicable aujourd'hui à Mayotte, en l'appliquant à l'ensemble des départements d'outre-mer concernant les immeubles et droits immobiliers lors de la première transmission postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférant, sous réserve que ceux-ci aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2025. Cette disposition nous paraît inopportune.

Concernant les articles qui seront examinés selon la procédure législative ordinaire, je m'arrêterai un instant sur l'article 8, qui prévoit une diminution considérable de l'exonération partielle en faveur de la transmission d'entreprise. Le pacte Dutreil est, à nos yeux, le principal dispositif permettant d'assurer la pérennité de nos entreprises en cas de transmission à titre gratuit. Nous avons eu cette discussion à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019. Nous ne souhaitons pas remettre en cause cet outil d'attractivité et de maintien du patrimoine des entreprises dans la famille, et en France.

Enfin, je veux appeler votre attention sur l'impact considérable des dispositions prévues à l'article 7, s'il était adopté : supprimer le régime favorable applicable aux primes versées sur les contrats d'assurance vie avant l'âge de soixante-dix ans conduirait à un renchérissement de la fiscalité des successions. Cela affecterait évidemment l'attractivité du secteur financier et de la Place de Paris, alors que nous parlons là de 1 700 milliards d'euros d'encours à la fin de l'année 2018.

Vous l'avez compris, nous considérons que l'objectif poursuivi et exposé par les auteurs de la proposition de loi dans sa présentation générale n'est pas atteint, la cible étant même ratée, sauf à ce que nous ayons un désaccord sur la définition des ménages moyens et modestes.

Permettez-moi une note de malice. Il est parfois expliqué que la suppression de la taxe d'habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés serait une mesure visant à privilégier les plus riches. Après avoir lu et pris connaissance des dispositions que vous proposez en matière de donations et successions, je ne doute pas que vous soutiendrez le Gouvernement pour ce qui concerne la suppression totale de la taxe d'habitation dans les prochains jours...

Au total, le Gouvernement est défavorable à l'intégralité des dispositions de la proposition de loi.

M. Claude Nougein. - Je souhaite évoquer l'article 8 concernant la transmission des entreprises, car il remet en cause l'avenir et la prospérité de la majorité des entreprises françaises, voire la société dans laquelle nous souhaitons vivre. Vous proposez de réduire l'abattement de 75 % à 25 % lors des successions ou donations pour les dirigeants d'entreprise. Par là même, vous condamnez à mort toutes les entreprises familiales détenues par des Français, à la grande joie, j'imagine, des multinationales étrangères, qui pourront acheter à vil prix nos fleurons de l'économie française.

En effet, si cet article a peu d'impact sur les très petites entreprises (TPE) ou petites PME, qui sont souvent faiblement valorisées, il a, en revanche, un impact considérable sur les grosses PME ou les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Je le rappelle, 5 000 ETI emploient 7,5 millions de salariés. Lors des successions, l'entreprise est valorisée par l'administration fiscale en tenant compte des plus-values latentes, et non pas uniquement du capital investi dix ou vingt ans auparavant.

Prenons l'exemple d'une ETI dynamique qui distribue peu - ce qui est souvent le cas des entreprises familiales -, mais investit beaucoup. Je prendrai l'exemple d'une ETI valorisée à hauteur de 100 millions d'euros le jour de la succession. Dans le cadre du pacte Dutreil, en gardant six ans les actions, il faudra verser 11 millions d'euros. Ce sera difficile, mais pas impossible en ayant recours à des emprunts et à des distributions de dividendes. Avec votre proposition de loi, il faudra payer 35 millions d'euros, ce qui est impossible. La seule solution sera de vendre. Vous avez écrit que la vente était une bonne chose : favoriser la reprise d'activité par des héritiers serait, selon vous, dommageable à l'activité économique. Mais telles ne sont pas les conclusions de nombreux rapports, dont celui de M. Tordjman : dans le cadre des transmissions familiales, le taux de survie à trois ans d'ETI est de 100 %.

Un rapport d'information dont je fus co-auteur en 2017, au nom de la délégation aux entreprises, prouve le contraire. Il a donné lieu au dépôt d'une proposition de loi, dont notre collègue Christine Lavarde fut rapporteur, et qui a été adoptée par le Sénat en 2018 à une très large majorité. Elle visait à porter l'abattement, en cas de transmission, à 90 %, en échange de l'allongement de la durée de détention des actions.

En tant qu'élu d'un département rural, j'ai connu plusieurs cas où d'importantes entreprises familiales ont dû être vendues à la succession. Le scénario est toujours le même : on délocalise d'abord le siège social, puis les bureaux administratifs, puis l'informatique ; on ne travaille plus avec les acteurs locaux, ni avec les banques locales et les transporteurs locaux. Au bout de quelques années, on ferme l'entreprise.

M. Gérard Longuet. - Absolument.

M. Claude Nougein. - Vous indiquez que le dispositif Dutreil est réalisé « au détriment des finances publiques » ; vous oubliez de prendre en compte le coût exorbitant pour les finances publiques des fermetures d'entreprises qui découleront des mesures que vous proposez, avec des coûts sociaux, économiques et fiscaux largement supérieurs au manque de recettes fiscales évoqué.

Enfin, je veux dire à mon éminent collègue et ami Thierry Carcenac que, au bout du bout, les impôts vous rattrapent toujours. La plupart des pays européens ont choisi une exonération des droits totale ou plus importante encore que celle qui existe aujourd'hui en France. D'ailleurs, pourquoi étaler l'application de cette réforme sur dix ans si elle est bonne pour l'économie ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette proposition de loi a le mérite de poser la question de la transmission des patrimoines, alors même que l'espérance de vie augmente et que l'on hérite de plus en plus tard, à cinquante ans. Le dispositif visant à favoriser la rotation des patrimoines doit être encouragé. C'est la raison pour laquelle le Sénat avait adopté des dispositifs visant notamment à encourager la transmission aux petits-enfants - un amendement du rapporteur Jean Pierre Vogel va d'ailleurs reprendre cette proposition.

Telle qu'elle est rédigée, cette proposition de loi présente trois inconvénients.

Premièrement, les dégâts sur l'économie seraient absolument considérables. Les dispositions proposées sur le pacte Dutreil vont à l'encontre de toutes les mesures prises en faveur de la transmission des entreprises. La faiblesse de la France tient - c'est une réalité - à la faiblesse du capitalisme familial et à l'absence d'ETI.

Deuxièmement, la proposition de loi relève considérablement les taux d'imposition sur les transmissions. Avec le président Éblé, nous venons de produire un rapport en commun, même si les conclusions sont différentes. Il s'avère que l'impôt sur la fortune est en vigueur en Suisse, en Norvège et en Espagne, mais ces trois pays n'appliquent pas ou peu les droits de succession : 0,2 % en pourcentage de PIB, contre 0,6 % en France. L'imposition de la France est trois fois supérieure à celle de nos voisins. Nous cumulons une imposition sur la fortune, certes immobilière, et une imposition sur le capital qui est relativement élevée.

Troisièmement, on peut encourager la transmission accélérée des patrimoines, la circulation anticipée du capital, mais le dispositif proposé rate sa cible. Je rejoins les propos du ministre, par le biais de différentes combinaisons, ce sont 450 000 euros par grand-parent et par petit-enfant qui pourraient faire l'objet d'une donation sans franchise d'impôt.

Aussi, je ne souscris pas à cette proposition de loi et serai attentif aux amendements de mon collègue rapporteur.

M. Alain Houpert. - À entendre le ministre, j'ai l'impression d'entendre Pierre Proudhon : « La propriété, c'est le vol. » Ne l'oublions pas, un patrimoine familial a déjà été soumis à l'impôt. Se pose en France un problème de compétitivité quant à la propriété. Il est difficile d'être propriétaire en France. Notre collègue a parlé de la transmission des entreprises ; le ministre a parlé de la ruralité. Mais, dans mon département, par exemple, les héritiers sont obligés de vendre les vignes dont ils héritent. À qui vendent-ils ? À des propriétaires étrangers !

Je préfère un patrimoine familial français à un patrimoine français acheté par des fonds de pension, qui, eux, ne paieront pas l'impôt sur la fortune, ni l'impôt sur les successions.

M. Roger Karoutchi. - J'avais déposé voilà deux ans une proposition de loi qui était censée faciliter les transmissions et abaisser les droits de succession. Il faut prévoir un principe simple pour faciliter les transmissions. Tout le monde dit que le système fiscal français est sinon confiscatoire, du moins extrêmement lourd. Mais chaque fois que l'on essaie de trouver une solution, c'est pour renforcer encore le prélèvement fiscal.

Lorsque vous accumulez de l'épargne au cours de votre vie - les générations antérieures le faisaient sans se poser de questions -, vous payez toute votre vie les impôts sur le revenu, les impôts sur votre patrimoine et, à la fin, on vous explique que, donation en ligne directe ou pas, il faudra encore payer lourdement des impôts. Je veux que bien que l'on raisonne au nom de l'égalité. Mais est-ce que cela a encore un sens d'affirmer que l'on veut favoriser l'épargne et l'entreprenariat si c'est pour fiscaliser lourdement, l'État profitant au bout du bout d'une grande part de ce que vous allez transmettre ?

J'avais proposé de faciliter les transmissions sans accroître les droits afférents et de baisser les droits de succession, une position d'ailleurs retenue par la plupart des pays voisins de la France. Ces mesures ont évidemment un coût, monsieur le secrétaire d'État, mais vous trouverez des marges de manoeuvre si vous baissez la dépense publique...

M. Vincent Delahaye. - Je partage la conclusion de mon collègue Karoutchi : on pourrait trouver des marges de manoeuvre en diminuant un peu plus la dépense publique, car on n'a rien fait jusqu'à présent : on s'est simplement contenté de limiter sa progression.

Je remercie nos collègues socialistes de porter à notre réflexion la question des droits de succession. La France est l'un des pays qui imposent le plus les successions. Or, comme cela a été souligné, la constitution du patrimoine a déjà subi pas mal de prélèvements en amont.

Le rapporteur a dit que l'on ne voulait ni réduire excessivement nos recettes, ni alourdir les droits de succession, des principes que l'on peut partager. Cela étant, il conviendrait d'apporter un peu de souplesse dans les dispositifs en vigueur, en tenant compte de la composition des familles actuelles, notamment en ce qui concerne la réserve héréditaire. Sur ce point, je n'adhère pas à l'amendement de suppression du rapporteur.

Concernant les donations, il faut revenir à des délais plus courts pour faire en sorte que le patrimoine circule un peu plus. Sur le pacte Dutreil, nous avions proposé l'an dernier un amendement prévoyant un abattement de 100 %, avec la contrainte de conserver les actions pendant une dizaine d'années. Cette mesure semble aller dans le bon sens. Aussi, nous ne partageons absolument pas la proposition d'alourdir les droits de transmission des entreprises. Cela reviendrait à leur envoyer un très mauvais signal.

M. Alain Joyandet. - On a absolument besoin des entreprises familiales. Il me paraît indispensable de faciliter la transmission de celles-ci, même si des progrès ont déjà été réalisés. Aujourd'hui, la transmission familiale est beaucoup plus aisée qu'il y a vingt ans. Je remercie nos collègues de remettre la question de la fiscalité des transmissions sur la table, et je les remercie de la qualité de leur travail, mais je veux insister sur le besoin de stabilité. Le mieux est l'ennemi du bien. Les experts-comptables et les commissaires aux comptes expliquent que la législation actuelle en la matière est plutôt satisfaisante en France. Nos entreprises doivent avoir de la visibilité pour développer des stratégies à cinq ou dix ans. S'il fallait faire encore quelque chose, j'opterais à titre personnel pour une augmentation du taux de l'exonération Dutreil, même avec la contrepartie d'allonger la durée de détention des actions.

M. Éric Bocquet. - Décidément, la commission des finances aborde très souvent des sujets de fond, et c'est très bien ainsi. La semaine dernière, nous parlions des résultats positifs escomptés avec la suppression de l'ISF ; l'excellent rapport qui nous a été présenté semblait nuancer largement les estimations initiales. Aujourd'hui, nous parlons de fiscalité, de justice fiscale, de patrimoine. Sur ces sujets de fond, il est normal que se dégagent des clivages importants.

M. le secrétaire d'État nous objecte que les propositions formulées seraient en décalage avec l'objectif annoncé. On peut peut-être partager certains aspects, mais vous êtes, vous aussi, me semble-t-il, un peu en décalage avec le pays. Le Grand débat a eu lieu, et je pensais que le Président de la République avait compris certaines choses. Mais cela ne semble pas être le cas à vous écouter et à lire les mesures contenues dans le projet de loi de finances.

On peut évidemment réduire la dépense publique : on peut demander aux enseignants, aux infirmiers, aux pompiers ou à la police de continuer leurs efforts pour réduire la dépense publique. Mais, à mon avis, ce n'est vraiment pas la solution. Thierry Carcenac démontre bien que les patrimoines ont gonflé. Ce n'est pas une question de jalousie ni de frustration. Vous le savez, comme l'affirmait Tocqueville, les Français ont la passion de l'égalité : il ne nous faut donc pas perdre de vue cette dimension forte dans notre République.

La fiscalité liée à la transmission reste aujourd'hui très inférieure à celle de la détention et des revenus du patrimoine, c'est une réalité. Nous partageons totalement les objectifs énoncés dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, mais nous avons quelques doutes sur les moyens de résorber les inégalités.

Au demeurant, une réforme de cette nature devrait s'inscrire dans un cadre beaucoup plus large : pourquoi pas un grand débat national ? La fiscalité du patrimoine concerne plus de la moitié, voire les deux tiers de la population française, à des échelles différentes bien sûr : les patrimoines les plus importants sont détenus par le 1 % du plus haut de la pyramide, une tendance qui ne fait que s'accroître au fil des décennies.

Ce texte a fait l'impasse sur la jeunesse, qui souffre également de fortes inégalités. Il serait peut-être souhaitable de réfléchir à la création d'un fonds, qui serait alimenté par une taxation des plus gros patrimoines, quitte à alléger celle des petits patrimoines. Il s'agirait de financer une dotation patrimoniale en début de carrière pour lancer les jeunes, y compris dans la création d'entreprise.

M. Jean-Marc Gabouty. - Cette proposition de loi, qui porte à la fois sur le capital et les successions, est motivée par le souhait de réformer l'IFI : certains veulent le renforcer, tandis que d'autres veulent le supprimer complètement. Il faudra faire le bilan pour y apporter des ajustements.

Ce texte a le mérite de procéder à quelques adaptations à la société - je pense aux articles 1er et 2. Une exonération des DMTG tous les dix ans est de nature à nous conduire à nous adapter aux évolutions de la société, qui sont incontestables : le délai de renouvellement des générations s'est allongé. On devenait grand-parent à quarante ans il y a quelques décennies, contre soixante-dix aujourd'hui.

M. Jean-François Husson. - Cela dépend des régions...

M. Jean-Marc Gabouty. - Certes, mais c'est le cas en moyenne. L'âge de soixante ans est standard. J'appelle donc à une adaptation objective à la société.

L'article 1er est intéressant, avec les successions en faveur des neveux. Mais, pour le reste, le texte, même s'il a de bonnes intentions, organise, en taxant plus le patrimoine productif, l'appauvrissement de notre économie, ainsi que l'a fort bien démontré Claude Nougein, et encourage, ce qui peut être paradoxal pour ses auteurs, l'orientation des capitaux familiaux vers des investissements spéculatifs qui permettent de réaliser des plus-values plus rapides. La valeur capitalistique d'une entreprise ou d'une propriété forestière peut être fragile et son rendement tout à fait aléatoire. Par exemple, une propriété forestière est inassurable au titre de l'incendie. Un arbre comme le sapin de Douglas arrive à maturité au bout de quarante-cinq ou cinquante ans. Quelqu'un qui investit aujourd'hui dans une propriété forestière le fait non pas pour ses enfants, mais pour ses petits-enfants lorsqu'ils seront à la retraite. Si on n'encourage pas la transmission de tels biens, soit la forêt régressera, ce qui ne répond pas à la vision écologique que nous devons avoir pour notre société, soit les principales forêts passeront sous capitaux étrangers, à l'instar de ce qui se passe aujourd'hui pour le foncier. De plus, dans une entreprise, le rendement est aléatoire.

L'autre difficulté d'une succession tient à la question de l'éparpillement des biens. Certains ayants droit peuvent ne pas souhaiter conserver une participation pour réaliser autre chose. Si l'on renforce l'imposition et si celui qui sera intéressé par la succession doit en plus indemniser les ayants droit non intéressés, celui-ci n'aura d'autre solution que de vendre.

En dépit du pacte Dutreil, qui apporte quelques réponses, la succession est toujours une question difficile, et il ne faut surtout pas accentuer la taxation.

M. Gérard Longuet. - Je veux remercier notre collègue Thierry Carcenac, qui nous permet d'ouvrir un débat politique. Nous n'allons pas refaire l'histoire politique de notre pays depuis deux siècles, depuis la mise en place de la République, m'attachant plutôt aux questions démographiques actuelles.

La propriété individuelle est un facteur de liberté à l'égard de l'État, de la puissance politique, de l'organisation collective. Je souscris totalement à l'analyse de mon excellent collègue Roger Karoutchi : on aimerait être quitte avec l'État et ne pas vivre en permanence sous la menace d'une reprise lorsque l'on a payé ses impôts sur le revenu, qui sont progressifs, les impôts sur les successions, qui le sont tout autant, les impôts sur les plus-values... à un moment, il faut que l'État cesse d'exercer cette menace ; en témoigne le débat sur l'IFI et feu l'ISF.

Concernant la transmission d'entreprises, je n'ai rien à ajouter à la démonstration de Claude Nougein, qui était absolument remarquable. Sur la famille, notre collègue Thierry Carcenac ouvre un débat intéressant sur la quotité disponible : elle est plus ouverte dans certains pays. Aussi, nous aurions sans doute intérêt à réfléchir sur ce point parce que la famille évolue, les comportements des foyers se modifient. Le droit des personnes que l'on choisit est parfaitement légitime. Mais ce sont là des clivages politiques.

Sur la démographie, il y a des faits objectifs. Notre rapporteur général a évoqué le fait que l'on hérite plus tard ; d'où la nécessité de sauter une génération pour mettre le pied à l'étrier à la nouvelle génération. Mais je tiens à attirer l'attention sur un point : vivre plus vieux coûte plus cher. C'est la raison pour laquelle nous devons réfléchir à cette question. Le patrimoine médian de nos compatriotes est certes honorable, mais si l'on veut rester chez soi durant les dernières années de sa vie sans vouloir faire peser la charge sur ses enfants, qui sont d'ailleurs âgés, ni sur ses petits-enfants, qui sont souvent éloignés pour des raisons diverses et variées, il faut en avoir les moyens financiers. D'ailleurs, les banquiers le disent avec beaucoup d'humour, les gens donnent assez facilement jusqu'à soixante-dix ans, mais ensuite, ils gardent tout, car ils sont inquiets.

M. Bernard Delcros. - Cette proposition de loi ne peut pas être votée en l'état, mais il faut faciliter la solidarité intergénérationnelle et fluidifier les transmissions. Sur l'article 9, il s'agit d'une fausse bonne idée. Ne pénalisons pas la transmission des forêts et leur gestion durable, car nous en avons besoin pour capter le CO2 ; or elles sont déjà menacées par le réchauffement climatique comme on a pu le voir dans certaines régions l'été dernier. Il s'agit d'un enjeu d'intérêt général qui va au-delà du simple enjeu financier.

M. Marc Laménie. - Je tiens à remercier les auteurs de la proposition de loi, car ils nous permettent d'aborder d'importantes questions de société. Monsieur le ministre, l'administration fiscale dispose-t-elle de moyens humains suffisants pour accompagner les redevables des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) ?

M. Thierry Carcenac - Vous trouverez dans notre exposé des motifs un argumentaire complet pour chacun des articles de la proposition de loi. Pour répondre cependant à ceux qui soulignent un soi-disant décalage entre nos propositions et l'objectif que nous poursuivons, je rappelle que nous proposons un élargissement de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit, en nous appuyant sur les travaux portant sur la taxation du capital d'économistes de renom tels que Thomas Piketty. Il nous a toutefois manqué des éléments de calcul et de statistiques, comme souvent dans nos travaux de commission.

Permettez-moi de remercier tous mes collègues qui sont intervenus dans ce débat très intéressant.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Les échanges que nous venons d'avoir montrent bien le décalage entre votre dispositif et vos objectifs. Vos propositions aboutissent à exonérer d'impôt 900 000 euros transmis par un couple de grands-parents à un petit-enfant tous les dix ans : il ne me semble pas qu'il s'agisse là de patrimoines de classes populaires ! Le Gouvernement est en désaccord avec cette proposition de loi. Mon intervention liminaire a peut-être été un peu brutale ; je voudrais préciser que le Gouvernement est ouvert à une réflexion sur la réserve héréditaire ; des échanges en ce sens pourront se poursuivre au sein du groupe de travail interministériel.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION PARTIELLE EN COMMISSION

M. Vincent Éblé, président. - Je vous propose maintenant de passer à l'examen des articles. Les articles 3, 4, 5, 9 et 10 sont examinés selon la procédure de la législation en commission (LEC).

Article 3

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'article 3 propose de modifier la réserve héréditaire. Il me semble que ce débat relève davantage de la protection de la famille que de la justice fiscale. Alors que des réflexions relatives à l'évolution de cette réserve sont menées par le Gouvernement, une telle modification à l'occasion de l'examen de dispositions fiscale ne me parait pas opportune à ce stade, après avoir échangé avec la commission des lois sur ce sujet. C'est pourquoi mon amendement COM-30 propose la suppression de l'article 3.

M. Jean-Marc Gabouty. - Mon amendement COM-15 rectifié est identique à celui du rapporteur. Je regrette que l'article 3 soit examiné en LEC : il pose des questions de fond qui auraient nécessité un examen plus large. L'objectif de mon amendement de suppression est d'éviter l'éparpillement du capital dans le cas de fins de vie difficiles.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est favorable à ces deux amendements.

M. Claude Raynal. - Je regrette ces deux amendements de suppression. La question de la réserve héréditaire doit être soulevée. C'est un débat qui dépasse le Sénat et il est dommage qu'il soit balayé d'un revers de la main. Le Sénat devrait prendre position, travailler une solution nuancée et équilibrée, et ne pas se laisser dicter son tempo par le Gouvernement.

M. Vincent Delahaye. - Je partage totalement l'avis de mon collègue Claude Raynal. Je découvre l'existence de ce groupe de travail interministériel. L'objectif de cette proposition de loi est de donner plus de liberté aux acteurs et j'y souscris. Il serait dommage de supprimer cet article sans en discuter. Je voterai donc contre les deux amendements de suppression.

Mme Jocelyne Guidez. - Je partage l'avis de mes collègues : nous avons besoin de plus de souplesse, en particulier en faveur du conjoint survivant dans les couples modestes.

M. Pascal Savoldelli. - Je suis étonné de cette demande de suppression de l'article 3 : veut-on une société de rentiers ou une société où l'esprit d'entreprendre et la valeur travail ont tout leur sens ? Le Sénat doit être en prise directe avec la société et ses contradictions : le développement des familles monoparentales et le besoin des jeunes générations de se protéger par la propriété. Ce projet est un projet d'appel. Sachez que seulement 12,8 % des transmissions concernent un capital supérieur à 100 000 euros. Sachons de quoi nous parlons.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous n'avons guère d'autre choix que de suivre le rapporteur, car nous examinons l'article 3 en procédure LEC, en accord avec les auteurs de la proposition de loi. Or cet article va bien au-delà d'une simple question fiscale, il bouleverserait le code civil et nécessiterait probablement de nombreuses mesures de coordination. La commission des lois devrait aussi pouvoir s'exprimer. Or elle ne le peut pas, car nous sommes en LEC. Un débat de fond n'est pas possible dans ces conditions.

M. Gérard Longuet. - Je suis convaincu par l'argumentaire de notre rapporteur général. Je sens que le besoin de débat est total.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Ce domaine relève de la compétence de la commission des lois, qui ne peut s'exprimer compte tenu de la procédure de LEC. Je maintiens mon amendement de suppression.

Les amendements COM-30 et COM-15 rectifié sont adoptés ; les amendements COM-11 rectifié et COM-13 rectifié ter deviennent sans objet.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'article 4 renforce la progressivité du barème des droits de mutation à titre gratuit. Son adoption se traduirait par une hausse significative du taux de taxation effectif pour certains contribuables - jusqu'à + 4,6 points -, alors même que la France est déjà le pays de l'OCDE où les droits de mutation à titre gratuit sont les plus élevés - 0,6 % du PIB -, juste après la Belgique - 0,7 % du PIB. Mon amendement COM-31 supprime cet article.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est favorable à tous les amendements de suppression.

L'amendement COM-31 est adopté ; les amendements COM-23 rectifié, COM-2 rectifié ter et COM-12 rectifié deviennent sans objet.

L'article 4 est supprimé.

Article 5

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'article 5 vise à intégrer dans la part nette taxable l'ensemble des successions antérieures dont un ayant droit aurait bénéficié au cours de sa vie. Il devrait se traduire par une hausse significative des droits sur certaines successions, alors que la France applique déjà une fiscalité élevée sur celles-ci. Ces dispositions constituent un élément de complexité administrative supplémentaire dans la mesure où l'historique complet des successions reçues devrait être établi, ce qui serait de nature à ralentir le règlement des successions. Mon amendement COM-32 propose de supprimer cet article, à l'instar des amendements COM-3 rectifié bis, COM-17 rectifié et COM-24,qui lui sont identiques.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est favorable à ces amendements.

Les amendements COM-32, COM-3 rectifié bis, COM-17 rectifié et COM-24 sont adoptés.

L'article 5 est supprimé.

Article 9

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur- L'article 9 supprime, entre autres, l'ensemble des exonérations de DMTG relatives aux bois et forêts. Les propriétaires de bois et forêts s'engagent pourtant à appliquer, pendant trente ans, aux bois et forêts concernés l'une des garanties de gestion durable prévue par le code forestier. Cet article risque en outre de conduire à des ventes de bois par anticipation et à la parcellisation des biens forestiers. Mon amendement COM-35, à l'instar des amendements identiques COM-8 rectifié et COM-16 rectifié qui lui sont identiques, propose de supprimer l'article 9.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Avis favorable.

Les amendements COM-35, COM-8 rectifié et COM-16 rectifié sont adoptés.

L'article 9 est supprimé.

Article 10

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'article 10 étend à l'ensemble de l'outre-mer l'exonération temporaire de DMTG des immeubles et droits immobiliers applicable à Mayotte. Je ne mésestime pas les difficultés foncières rencontrées dans ces territoires ultramarins. Toutefois, leur situation ne me paraît pas aussi critique qu'à Mayotte. En outre, l'extension proposée risque de fragiliser l'exonération existante sur le plan constitutionnel. En effet, la prolongation d'un dispositif de même nature applicable en Corse a été censurée à deux reprises par le Conseil constitutionnel au motif qu'il méconnaissait le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques. Mon amendement COM-36 supprime donc cet article.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. - Favorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

M. Claude Raynal. - La LEC ne me semble pas très adaptée à notre proposition de loi. C'est une proposition de loi d'appel, qui doit inciter le Sénat à débattre et à prendre position. Nous reviendrons en séance sur ces sujets, car ils sont importants.

M. Roger Karoutchi. - La LEC a été mise en place progressivement pour des textes précis, limités, voire techniques. Je n'ai pas bien compris qu'elle soit appliquée à cette proposition de loi.

M. Vincent Éblé, président. - Le choix de cette procédure est effectué par la Conférence des présidents, en l'absence de veto d'un président de groupe. J'attire votre attention sur le fait que les articles examinés en LEC ne donneront plus lieu à débat en séance publique, sauf dans le cadre de la discussion générale.

M. Vincent Capo-Canellas. - L'intervention de Claude Raynal s'adresse donc à son propre groupe...

L'amendement COM-36 est adopté.

L'article 10 est supprimé.

M. Vincent Éblé, président. - Nous allons maintenant revenir à la procédure ordinaire sur les articles 1er, 2, 6, 7 et 8, qui ne concerne que les sénateurs membres de la commission. La retransmission audiovisuelle s'interrompt et il me reste à remercier M. le secrétaire d'État de sa présence.

Les articles de la proposition de loi examinés selon la procédure de législation en commission sont adoptés dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État, est raccompagné à la porte de la salle.

Mmes et MM. les sénateurs non membres de la commission des finances sont invités à quitter la salle de réunion.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle

Article 3
Modification des parts respectives de la réserve héréditaire
et de la quotité disponible

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

30

Adopté

M. GABOUTY

15 rect.

Adopté

M. CADIC

11 rect.

Satisfait ou sans objet

Mme GUIDEZ

13 rect. ter

Satisfait ou sans objet

Article 4
Révision des barèmes des droits de mutation à titre gratuit

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

31

Adopté

M. CAPUS

23 rect.

Satisfait ou sans objet

Mme PROCACCIA

2 rect. ter

Satisfait ou sans objet

M. DELAHAYE

12 rect.

Satisfait ou sans objet

Article 5
Intégration dans la part nette taxable de l'héritier de l'intégralité
des successions perçues

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

32

Adopté

Mme PROCACCIA

3 rect. bis

Adopté

M. GABOUTY

17 rect.

Adopté

M. CAPUS

24

Adopté

Article 9
Suppression de diverses exonérations de droits de mutation à titre gratuit

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

35

Adopté

M. PANUNZI

8 rect.

Adopté

M. GABOUTY

16 rect.

Adopté

Article 10
Extension à l'ensemble des collectivités territoriales régies par l'article 73 de la Constitution du régime dérogatoire existant à Mayotte
en matière de droits de mutation à titre gratuit

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

36

Adopté

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 9 h 55, est reprise à 10 heures.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE ORDINAIRE

Article 1er

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Le cumul des trois aménagements prévus à l'article 1er porterait à 450 000 euros par petit-enfant et par grand-parent le montant susceptible d'être donné en franchise d'impôt. Mon amendement COM-37 prévoit que, lorsque le légataire n'a pas de descendance en ligne directe, l'abattement dont bénéficient ses neveux et nièces est porté de 7 967 à 50 000 euros. Il porte également l'abattement applicable aux donations aux petits-enfants de 31 865 à 70 000 euros.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est un excellent amendement, qui reprend l'une de mes préconisations dans le rapport de 2017 consacré à la rente immobilière. Il est par ailleurs beaucoup moins coûteux que le dispositif proposé par les auteurs de la proposition de loi. Je voterai cet amendement.

M. Roger Karoutchi. - Je vais également voter cet amendement, mais je tiens à souligner que la cellule familiale a changé et les modes de transmission avec elle. Nous restons dans un raisonnement encore trop cloisonné et limité à la seule famille.

M. Thierry Carcenac. - Je me réjouis que l'article 1er ne soit pas supprimé et que le rapporteur partage en partie notre point de vue. Je voudrais revenir sur l'article 3 pour préciser qu'il ne remet pas en cause l'ensemble du code civil ! Mon groupe s'abstiendra sur cet amendement.

L'amendement COM-37 est adopté ; l'amendement COM-1 rectifié bis devient sans objet.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Dans le cas où le donataire est âgé de moins de 40 ans au jour de la transmission, l'article 2 réduit à dix ans plusieurs délais : le délai de rappel des donations antérieures dans le cadre des successions, le délai de reprise entre deux donations à titre gratuit et le délai de rechargement du bénéfice de l'exonération de 31 865 euros pour les dons de sommes d'argent. Mon amendement COM-29 procède à des corrections rédactionnelles et intègre, par cohérence, dans le champ de l'article 2, les donations-partages et les transmissions de parts de groupements fonciers agricoles, de groupements agricoles fonciers et de biens ruraux donnés à bail à long terme ou à bail cessible, qui se trouveraient exclues si elles n'étaient pas mentionnées.

L'amendement COM-29 est adopté ; les amendements COM-5 rectifié et COM-22 deviennent sans objet.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 2

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-28 de M. Savary, qui vise à réduire la double imposition des successions rapprochées et en ligne directe.

M. Philippe Adnot. - Pourriez-vous être plus explicite ? Cet amendement me paraît très convenable.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - La rédaction du dispositif est malheureusement assez complexe. Le dispositif pourrait être coûteux pour les finances publiques.

M. Philippe Adnot. - Je considère pour ma part qu'il permet de résoudre des situations heureusement rares, mais souvent destructrices. Je voterai cet amendement.

M. Jean-François Husson. - J'entends les réserves du rapporteur, mais je partage l'avis de mon collègue Philippe Adnot. Il faut une juste imposition face parfois à l'injustice de la vie et des décès familiaux.

M. Roger Karoutchi. - Je suis du même avis. La double imposition est inacceptable, et cet amendement est une mesure de justice.

M. Jacques Genest. - Je soutiens moi aussi cet amendement. Ces cas n'arrivent pas souvent, heureusement, donc le coût devrait être modéré.

M. Thierry Carcenac. - Petite question de procédure : peut-on adopter des articles additionnels dans une proposition de loi ?

M. Vincent Éblé, président. - Oui, mais à condition que l'amendement portant article additionnel présente un lien, même indirect, avec le texte en discussion, puisque nous sommes en première lecture.

M. Jean-Marc Gabouty. - La rédaction de cet amendement n'est peut-être pas aboutie, mais une nouvelle rédaction pourrait nous être proposée d'ici la séance publique. Il me semble cependant que nous devrions voter une telle disposition, pour des raisons évidentes de justice.

M. Vincent Éblé, président. - Si nous n'adoptons pas cet amendement en commission, il pourra bien évidemment être redéposé en séance publique par son auteur.

M. Philippe Adnot. - Adoptons-le dès maintenant !

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Il faudra améliorer la rédaction avec l'auteur d'ici la séance publique.

L'amendement COM-28 est adopté et devient l'article 2 bis.

Article 6

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur- L'article 6 propose de porter à 150 000 euros l'abattement applicable aux donations et successions en ligne directe. C'est une mesure intéressante, mais son coût pour l'État, supérieur à 1 milliard d'euros, est rédhibitoire. Avec l'amendement COM-38, je propose un aménagement plus ciblé consistant à porter de 20 % à 30 % l'abattement sur la résidence principale occupée du défunt. Cela permettrait en outre d'aligner ce taux sur celui applicable dans le cadre de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'existence de deux taux distincts est en effet une anomalie. Je salue le bon sens de cet amendement.

M. Roger Karoutchi. - Mes amendements COM-20 rectifié ter et COM-21 rectifié ter sont des amendements de provocation, destinés au débat en séance publique. Les droits de succession sont tellement lourds que je propose des abattements considérables ! Par ailleurs, je ne comprends pas qu'ils soient réservés aux héritiers en ligne directe.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je me rallie à l'amendement du rapporteur, mais ne faisons pas l'économie d'une réflexion sur l'évolution de la démographie et des structures familiales.

M. Vincent Delahaye. - L'une des propositions fiscales du groupe Union centriste du Sénat est relative à l'abattement sur la résidence principale. Sur ces sujets, nous manquons souvent de données, nous prenons donc des positions à l'aveugle. La valeur moyenne d'une résidence principale en France est d'environ 300 000 euros : pourquoi ne pas instaurer un abattement en valeur afin d'éviter, dans le cas de petites successions, d'avoir à céder le bien, dont la valeur sentimentale est parfois élevée, pour payer les droits? Je m'abstiendrai sur l'amendement du rapporteur.

M. Thierry Carcenac. - Dans mon département, une résidence principale avec terrain vaut à peu près 150 000 euros, d'où notre proposition pour le montant de l'abattement. L'alignement sur l'IFI proposé par le rapporteur va dans le bon sens. Mon groupe s'abstiendra sur l'amendement du rapporteur.

M. Philippe Adnot. - Le pourcentage proposé par le rapporteur est-il assorti d'un plafond ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Non.

M. Jean-Marc Gabouty. - L'alignement sur l'IFI est une bonne chose. Mais je propose d'ajouter un plafonnement, car l'abattement peut concerner des sommes considérables et conduire à des spéculations pour faire échapper une partie du patrimoine à l'impôt.

L'amendement COM-38 est adopté ; les amendements COM-20 rectifié ter, COM-21 rectifié ter et COM-4 rectifié bis deviennent sans objet.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 7

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'article 7 intègre l'assurance vie dans l'actif successoral. Or, la fiscalité avantageuse dont bénéfice l'assurance vie est la contrepartie, pour l'épargnant, de l'immobilisation de son patrimoine sur une longue période. En outre, des dispositions existent pour limiter les abus. D'une part, les primes versées après les soixante-dix ans du titulaire du contrat sont soumises aux droits de succession pour la fraction qui excède 30 500 euros. D'autre part, la jurisprudence permet de limiter le versement de primes manifestement excessives qui s'apparente à de l'optimisation fiscale. Enfin, l'intégration de l'assurance vie dans l'assiette des droits de succession se traduirait par une hausse significative de l'impôt pour un certain nombre de successions. C'est pourquoi je propose, avec l'amendement COM-33, de supprimer cet article, à l'instar des amendements COM-6 rectifié et COM-18 rectifié, qui sont identiques.

M. Jacques Genest. - La finalité dérogatoire de l'assurance vie a été beaucoup réduite ces dernières années. Il faut laisser des marges de manoeuvre. Je suis en accord avec le rapporteur.

M. Jean-Marc Gabouty. - Le produit de l'assurance vie, c'est la partie mobilisable de la succession qui permet de payer les droits, cela doit rester ainsi.

M. Thierry Carcenac. - Les articles 7 et 8 de notre proposition de loi sont la contrepartie de la hausse de l'abattement. Seuls la France, l'Italie et les États-Unis exonèrent l'assurance vie de droits de mutation, tous les autres pays l'intègrent dans l'actif successoral.

Les amendements COM-33, COM-6 rectifié et COM-18 rectifié sont adoptés.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'article 8 réduit le taux de l'exonération dite « Dutreil » pour la transmission d'entreprises. Nous avons eu ce débat tout à l'heure : en tant qu'expert-comptable toujours en exercice, j'estime que cet article pourrait provoquer de graves dégâts dans les transmissions d'entreprises. Mon amendement COM-34 propose donc de supprimer l'article, à l'instar des amendements COM-7 rectifié, COM-14 rectifié bis, COM-19 rectifié, COM-25 et COM-26 rectifié bis, qui lui sont identiques.

M. Thierry Carcenac. - Vous trouverez dans notre exposé des motifs notre argumentaire, qui s'appuie sur les travaux de Didier Migaud lorsqu'il était rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale et de France Stratégie en 2017. Nous voterons contre cet amendement.

Les amendements COM-34, COM-7 rectifié, COM-14 rectifié bis, COM-19 rectifié, COM-25 et COM-26 rectifié bis sont adoptés.

L'article 8 est supprimé.

Articles additionnels après l'article 8

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-27, qui conduit à imposer à l'IFI des biens aujourd'hui exonérés. Cet amendement propose en effet deux types d'exonérations : une exonération de droits de mutation à titre gratuit pour les successions et donations des immeubles à usage agricole, les parts de groupements forestiers agricoles et de groupements fonciers ruraux, sous certaines conditions ; une exonération à hauteur de 90 % de l'IFI pour les propriétaires qui s'engagent pendant 18 ans à affecter leur foncier à une activité agricole. Or, certains biens donnés à bail à long terme ou à bail cessible sont aujourd'hui totalement exonérés d'IFI.

L'amendement COM-27 n'est pas adopté.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - L'amendement COM-10 rectifié invite le Gouvernement à modifier un décret portant réforme de la publicité foncière pour en assouplir les dispositions dans le cas où il s'agit de titres de propriété reconstitués sur le fondement de dérogations prévues pour les immeubles situés en Corse. Je propose à la commission de déclarer cet amendement contraire à l'article 45 de la Constitution, car il ne me paraît présenter aucun lien, même indirect, avec la proposition de loi qui concerne les dispositions fiscales relatives aux mutations à titre gratuit. En effet, il invite le Gouvernement à prévoir des dérogations en matière de publicité foncière et non à modifier la fiscalité applicable aux successions et donations. Il s'agit, par ailleurs, d'une injonction faite au Gouvernement dans l'exercice de son pouvoir réglementaire, ce qui constitue un autre motif d'irrecevabilité. Mon avis est le même pour l'amendement COM-9.

Les amendements COM-10 rectifié et COM-9 rectifié sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Vincent Capo-Canellas. - Il me semblait que la tradition voulait qu'aucune modification de la PPL ne soit adoptée en commission. Or, des amendements de suppression ont été adoptés. Quelle version de la proposition de loi sera-t-elle examinée en séance publique ?

M. Thierry Carcenac. - Pour les articles hors LEC, nous redéposerons des amendements en séance.

M. Claude Raynal. - L'important, c'est que nous ayons un débat en séance publique. La tradition veut que la proposition de loi initiale soit débattue en séance publique et que notre commission ne donne qu'un avis.

M. Vincent Éblé, président. - Avec l'accord du groupe socialiste et républicain, notre commission a modifié le texte, et c'est le texte adopté par notre commission qui sera examiné en séance publique.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur. - C'est la première fois que nous examinons une proposition de loi émanant d'un groupe d'opposition à la fois en LEC et en procédure ordinaire. Deux solutions étaient possibles : soit, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, la commission modifie la proposition de loi - c'est ce que nous avons choisi de faire, en accord avec Thierry Carcenac - ; soit, dans le cas contraire, elle peut être amenée à rejeter la proposition de loi dans son ensemble, ce qui entraînerait un retour à la procédure d'examen habituelle des articles pourtant examinés en LEC. En l'état, en tenant compte des modifications apportées par la commission, j'émets un avis favorable à la proposition de loi.

M. Thierry Carcenac. - Tout à fait. C'est pourquoi nous redéposerons nos propositions par voie d'amendement en séance publique pour les articles supprimés hors LEC.

M. Roger Karoutchi. - Je vais rédiger une note à l'attention de notre président Gérard Larcher afin de l'alerter sur les dysfonctionnements de la LEC appliquée à ce type de texte, avec une partie examinée en LEC et une autre examinée hors-LEC... Nous allons perdre du temps et gagner en complexité !

M. Jean Pierre Vogel. - Les articles examinés en LEC tout à l'heure ne pourront donc pas être examinés à nouveau en séance publique.

M. Jean-Marc Gabouty. - Des amendements portant articles additionnels pourront-ils être déposés en séance publique ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Oui, à condition qu'ils soient en lien avec le texte et qu'ils ne remettent pas en cause des dispositions déjà examinées en LEC.

M. Vincent Éblé, président. - Enfin, compte tenu de la proposition de périmètre émise par le rapporteur et des décisions d'irrecevabilité prononcées par la commission, vous recevrez un courrier électronique récapitulant ce périmètre et la liste des amendements déclarés irrecevables.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er
Allègement de la fiscalité sur les transmissions
au bénéfice des petits-enfants, neveux et nièces

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

37

Adopté

Mme PROCACCIA

1 rect. bis

Satisfait ou sans objet

Article 2
Réduction du délai de rappel fiscal des donations antérieures, et du délai requis entre deux dons familiaux de sommes d'argent pour bénéficier d'une exonération de droits de mutation à titre gratuit

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

29

Adopté

M. CAPUS

22

Satisfait ou sans objet

M. PANUNZI

5 rect.

Satisfait ou sans objet

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. SAVARY

28

Adopté

Article 6
Augmentation de l'abattement général existant en matière de droits de mutation à titre gratuit

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

38

Adopté

M. KAROUTCHI

20 rect. ter

Satisfait ou sans objet

M. KAROUTCHI

21 rect. ter

Satisfait ou sans objet

Mme PROCACCIA

4 rect. bis

Satisfait ou sans objet

Article 7
Modification du régime fiscal appliqué aux transmissions de sommes issues de contrats d'assurance vie

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

33

Adopté

M. PANUNZI

6 rect.

Adopté

M. GABOUTY

18 rect.

Adopté

Article 8
Abaissement du taux de l'exonération partielle de droits de mutation
à titre gratuit applicable dans le cadre du « pacte Dutreil »

Auteur

Sort de l'amendement

M. VOGEL, rapporteur

34

Adopté

M. PANUNZI

7 rect.

Adopté

Mme LAMURE

14 rect. bis

Adopté

M. GABOUTY

19 rect.

Adopté

M. CAPUS

25

Adopté

Mme Catherine FOURNIER

26 rect. bis

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 8

Auteur

Sort de l'amendement

Mme Nathalie DELATTRE

27

Rejeté

M. PANUNZI

10 rect.

Irrecevable (48-3)

M. PANUNZI

9 rect.

Irrecevable (48-3)

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Contrôle budgétaire - Suites données aux rapports sur la modernisation de la navigation aérienne et sur la compétitivité du transport aérien - Communication

M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons maintenant une communication de notre rapporteur spécial Vincent Capo-Canellas sur les suites données à deux de ses rapports consacrés respectivement à la modernisation de la navigation aérienne et à la compétitivité du transport aérien.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Au début de l'année, la commission des finances m'a confié la réalisation d'un contrôle budgétaire sur les redevances aéroportuaires et leur régulation. J'ai appris depuis que la Cour des comptes travaillait sur le même sujet et il m'a semblé plus opportun d'attendre les résultats de son enquête. J'ai donc décidé de me pencher sur les suites qui ont été données à deux rapports que j'ai présentés à la commission et qui restent malheureusement d'actualité : le rapport « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe » publié en juin 2018 et celui sur « L'action de l'État en faveur de la compétitivité du transport aérien » examiné par la commission en octobre 2016 et qui se basait sur une enquête réalisée par la Cour des comptes dans le cadre de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Permettez-moi de vous rappeler deux faits d'actualité récente : la panne dont a été victime le système de transmission de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) dans la nuit du 31 août au 1er septembre, engendrant d'importants retards et abîmant encore un peu plus l'image de la France ; et la mise en liquidation judiciaire des compagnies Aigle Azur et XL Airways, avec la perte de 1 700 emplois - pour lesquels la mobilisation n'a pas été comparable à celle d'une fermeture d'usine sur un territoire ...

Mon rapport de juin 2018 sur le contrôle aérien avait mis en lumière de nombreux dysfonctionnements au sein de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA). Le nombre de vols contrôlés par la DSNA s'est accru de 3,8 % au premier semestre 2019 par rapport à la même période en 2018. Cette hausse du trafic se traduit par un déficit des capacités offertes aux compagnies aériennes qui entraîne de nombreux retards. La France était, à elle seule, responsable en 2017 de 33 % des retards dus au contrôle aérien en Europe, alors qu'elle ne gère que 20 % du trafic. Ces retards représentent une perte annuelle de 300 millions d'euros pour les compagnies aériennes, soit l'équivalent de près du quart des redevances qu'elles versent à la DSNA.

J'ajoute qu'un contrôle aérien peu performant conduit généralement à allonger les routes qu'empruntent les avions, provoquant des émissions de CO2 supplémentaires. Comme le nouveau président d'Airbus nous l'a confirmé, un contrôle aérien plus efficace au niveau européen permettrait de diminuer jusqu'à 10 % les émissions.

Or, les systèmes de la navigation aérienne qu'utilise la DSNA sont désormais obsolètes et leurs coûts de maintenance sont de plus en plus élevés - environ 135 millions d'euros par an.

Pour résoudre ces difficultés, qui contribuent à faire d'elle un « facteur bloquant », pour la mise en oeuvre du Ciel unique européen, comme l'a souligné l'organisme Eurocontrol, la DSNA doit renouveler ses systèmes de la navigation aérienne.

Six grands programmes sont actuellement en cours de développement pour un coût total estimé à plus de 2,1 milliards d'euros. La date de mise en service du programme 4-Flight, le principal d'entre eux, est sans cesse repoussée et son coût est passé en quelques années de 500 à 850 millions d'euros. Nous avons rencontré les dirigeants de Thalès et les services de la DSNA pour faire le point sur ce programme qui a donné lieu à une négociation difficile.

J'avais également insisté pour que la gestion opérationnelle des programmes de modernisation de la DSNA soit professionnalisée et que l'organisation de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) qui les pilote soit revue en profondeur. Le directeur de la DTI, s'étant peut-être senti visé, a depuis démissionné, bien que je n'aie nullement mis en cause les personnes mais me sois seulement interrogé sur la structure.

À la suite de mon rapport, la ministre chargé des transports a commandé au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) un rapport d'inspection confidentiel qui a conforté mes recommandations.

Depuis, des changements sont intervenus. La DSNA a tout d'abord finalisé en novembre 2018 la signature d'un avenant avec Thalès sur le programme 4-Flight portant sur le complément de développement, le partage des surcoûts et les premières mises en service opérationnelles. Il a ensuite été décidé de renforcer la gouvernance de ce programme en mettant en place des revues générales techniques périodiques placées sous la supervision d'un Comité de surveillance externe constitué de deux membres du CGEDD, d'une ingénieure générale de l'armement de la direction générale de l'armement (DGA) et du directeur exécutif du programme SESAR (Single European Sky Air Traffic Management Research) en charge des innovations technologiques. Une fonction de délégué aux grands programmes a en outre été créée et placée directement auprès du directeur de la DSNA.

Enfin, un nouveau directeur a été nommé au mois de mars dernier à la tête de la DTI avec un profil différent - venu d'Orange et de la direction générale des finances publiques - et une vision renouvelée du secteur et des modes d'action. Il a été chargé de réorganiser la DTI pour améliorer la maîtrise des grands programmes en coûts et en délais, la rendre plus réactive et plus à l'écoute des besoins des contrôleurs aériens et pour développer une nouvelle culture visant à utiliser plus souvent des composants sur étagère et non plus à développer des produits trop spécifiques à l'origine de coûts de développement, d'évolution et de maintenance trop importants.

Au total, j'ai l'impression que notre commission a été entendue sur plusieurs points et qu'une prise de conscience est en train de s'opérer à la tête de la DSNA : sera-t-elle à la hauteur ? Il faudra que le Parlement reste très vigilant, car, à ce stade, rien ne garantit que les nouveaux systèmes seront livrés dans les temps et sans nouveaux surcoûts.

S'agissant de l'organisation du travail des contrôleurs aériens et de leurs effectifs, j'avais préconisé de pérenniser le rythme de travail de 7 vacations par cycle de 12 jours mis en place dans le cadre du protocole social 2016-2019 de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et qui a permis de gagner jusqu'à 15 % de productivité dans certains centres en route de la navigation aérienne. Les discussions autour du protocole social 2020-2024 de la DGAC qui vont débuter très prochainement constituent donc un enjeu très important.

J'avais émis l'idée d'augmenter de façon mesurée le nombre de recrutements d'élèves contrôleurs aériens. J'ai, semble-t-il, été entendu puisque 45 élèves contrôleurs supplémentaires par an devraient intégrer l'École nationale de l'aviation civile (ENAC) à compter de 2020. Comme il faut cinq ans pour les former, l'effet de cette mesure se fera véritablement sentir à compter de 2025. Je précise que le schéma d'emploi de la DGAC sera maintenu à 0 en 2020, ce qui impliquera donc de réduire les effectifs ailleurs.

Dernier point particulièrement sensible : la question de l'application de la loi Diard du 19 mars 2012 aux contrôleurs aériens pour limiter les effets de leurs grèves. Je vous rappelle que de 2004 à 2016, 67 % des jours de grève du contrôle aérien en Europe se sont produits en France, causant 96 % des retards enregistrés sur cette période. C'est un sujet difficile, qu'il faudra traiter dans le cadre du dialogue social.

S'agissant de mon rapport sur l'action de l'État en faveur de la compétitivité du transport aérien, sa thématique est particulièrement actuelle avec la faillite de deux compagnies aériennes importantes et les débats que nous aurons prochainement, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), sur l'opportunité de créer de nouvelles taxes sur le transport aérien.

Les causes de la liquidation judiciaire d'Aigle Azur et XL Airways sont complexes et multiples : c'est tout d'abord une concurrence exacerbée, notamment celle des low cost sur le moyen-courrier, mais également celle des compagnies du Golfe ou de Norwegian Airways sur le long courrier ; mais aussi une capitalisation trop faible, des structures actionnariales vulnérables, une taille critique insuffisante, un positionnement stratégique sur des marchés de niche, etc. Pour autant, nous devons également nous interroger sur le cadre fiscal et social qui est celui des compagnies aériennes françaises.

Le Parlement s'est penché à plusieurs reprises sur cette question, comme en témoignent le rapport de notre ancien collègue Bruno Le Roux remis en novembre 2014 ainsi que celui qu'avait présenté la Cour des comptes devant notre commission des finances en octobre 2016. Les compagnies aériennes doivent s'acquitter d'une taxation spécifique constituée de la taxe d'aéroport - 1 milliard d'euros en 2019 - qui finance la sûreté aéroportuaire ; de la taxe de l'aviation civile - 437 millions d'euros en 2019 - qui finance les activités régaliennes de la DGAC ; de la taxe de solidarité sur les billets d'avion - 218 millions d'euros en 2019 - affectée au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) à hauteur de 210 millions d'euros ; de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) - 49 millions d'euros en 2019 - affectée au financement des travaux de réduction des nuisances sonores.

Le Sénat a cherché ces dernières années à alléger le poids de cette fiscalité spécifique en votant plusieurs mesures telles que l'exonération à 100 % de la taxe de l'aviation civile pour les passagers en correspondance depuis le 1er janvier 2016, ce qui représentait une perte de recettes pour l'État de 63,5 millions d'euros ; l'affectation depuis le 1er janvier 2016 de l'intégralité du produit de la taxe de l'aviation civile au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) en contrepartie d'une diminution de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) à Paris-Charles de Gaulle et à Paris-Orly, ce qui représentait un gain de 14 millions d'euros pour les compagnies françaises ; et l'affectation des excédents de la taxe de solidarité au BACEA à compter du 1er janvier 2017.

Les Assises nationales du transport aérien annoncées par le Gouvernement constituent un mystère pour moi : elles ont accouché d'une souris et rien n'a changé.

Les hypothèses auxquelles nous avions abouti mentionnaient notamment une baisse significative des taux de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, mesure que notre rapporteur général porte au Sénat depuis plusieurs années déjà ; un retrait des taxes aéronautiques de l'assiette taxable à la TVA sur les billets d'avion infra-métropolitains ; une augmentation de l'abattement dont bénéficie le trafic en correspondance sur la taxe d'aéroport ; et des modifications de l'assiette de cette même taxe d'aéroport.

Des réflexions avaient également été menées sur la question des charges sociales, qui représentent une part importante du différentiel avec les compagnies étrangères. Nous avions notamment évoqué une éventuelle mise en place d'un dispositif de shipping pour les vols internationaux sur le modèle du transport maritime.

Lors de la clôture des Assises nationales du transport aérien, seules quelques mesures en deçà des attentes ont été annoncées. Il s'agissait en particulier de la prise en charge par Aéroports de Paris de 6 % de ses dépenses de sûreté, allégeant d'autant la charge de la taxe d'aéroport pesant sur les compagnies qui utilisent ses plateformes, mais également du relèvement à 65 % du plafond de l'abattement de la taxe d'aéroport pour le trafic en correspondance.

Alors même que les assises, bien que décevantes, avaient permis de dégager un consensus très net en faveur d'un allégement, ou à tout le moins d'une modération de la charge fiscale et sociale pesant sur les compagnies aériennes, le contexte de ces derniers mois est venu tout remettre en cause.

Le transport aérien a été en particulier l'objet d'attaques très vives sur le plan environnemental, alors qu'il représente entre 2 et 3 % des émissions de CO2 au niveau mondial. La transition écologique est un vrai sujet. Le pavillon français doit y trouver sa place. Nous ne pouvons pas tous prendre le bateau pour aller à New York, comme Greta Thunberg, dans le sillage du mouvement suédois de flyskam (honte de prendre l'avion). Il a également été pris à partie sur le plan social et stigmatisé comme le mode de transport des riches lors de la crise des « gilets jaunes », qui a conduit à la remise en cause de la taxe carbone à l'automne 2018. Le low cost a pourtant permis de faire baisser le prix des billets.

Dans les deux cas, le transport aérien s'est vu reprocher les exonérations de taxe intérieure à la consommation sur le kérosène prévues au niveau international par la convention de Chicago de 1944.

Sous forte pression, mais surtout désireux de boucler le financement du plan d'investissement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) annoncé dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), le Gouvernement a fait volte-face et a annoncé le 9 juillet dernier la création d'une nouvelle « écocontribution » sur le transport aérien.

Dans les faits, cette nouvelle taxe prévue à l'article 20 du projet de loi de finances pour 2020 s'est transformée en une simple augmentation des tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d'avion qui représentera 1,50 euro par passager à destination de la France ou de l'Europe et 3 euros pour le reste du monde (9 euros et 18 euros en classe affaires). Cette hausse de la taxe, censée rapporter 230 millions d'euros à l'Afitf dans une pure logique de rendement, lui permettra de financer des modes de transports peu émetteurs de CO2 tels que le ferroviaire ou le fluvial, mais également la régénération des routes nationales, objectif éminemment louable en termes d'aménagement du territoire, mais plus contestable sur le plan environnemental.

Si je ne veux nullement préempter les débats que nous aurons lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances, je ne peux que constater que cette taxe, dépourvue de tout réel caractère incitatif, vient une nouvelle fois pénaliser le pavillon français alors même que nous voyons bien que nos compagnies sont mortelles.

Pour favoriser la nécessaire transition énergétique du transport aérien, il serait plus pertinent de soutenir la recherche aéronautique en faveur de moteurs plus économes en énergie et utilisant des biocarburants, ou, à plus long terme, de l'hydrogène.

Les compagnies aériennes sont soumises au système mondial de compensation des émissions de CO2 de l'aviation (Corsia) mis en oeuvre par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui vient s'ajouter à l'Emissions Trading System (ETS) européen. Le dispositif Corsia a pour ambition de maintenir dans les années à venir les émissions nettes de CO2 du transport aérien mondial au même niveau qu'en 2020, en dépit de la forte croissance du trafic, grâce à un système de compensations, et de parvenir à une réduction de moitié des émissions d'ici 2050.

Les compagnies aériennes ont besoin d'argent pour investir et renouveler leurs flottes afin de se procurer des avions plus récents et moins polluants. Alors que l'âge moyen des avions que possèdent les compagnies françaises est de quinze ans, ce n'est sûrement pas en les taxant sans cesse davantage qu'elles pourront acheter de nouveaux aéronefs moins émetteurs de CO2. Les nouveaux appareils consomment entre 15 et 25 % de kérosène de moins que ceux de la génération précédente. C'est une voie d'avenir.

Enfin, le transport aérien étant par définition l'un des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, toute mise en place de nouveaux prélèvements doit avant tout être recherchée dans un cadre international, ou à tout le moins européen, de sorte que les compagnies françaises ne se voient pas lestées de nouveaux handicaps dans une compétition déjà très rude. Si une taxation du kérosène devait être mise en place au niveau européen, il faudrait veiller à supprimer une partie des taxes prévues au niveau national, et en particulier la nouvelle « écocontribution », sur le modèle de la taxation nationale des GAFA destinée à être remplacée par un cadre fiscal multilatéral.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie Vincent Capo-Canellas pour cette communication. Il y a effectivement un paradoxe à instaurer une nouvelle taxation sur le transport aérien alors que deux compagnies viennent de faire faillite. Les acteurs de l'aéronautique se sont très certainement engagés dans un mouvement de réduction de leurs émissions. L'amélioration de la fluidité du transport aérien est une première voie en ce sens, liée à l'efficacité du contrôle aérien. La modernisation des flottes en est une autre, puisque le nouvel Airbus ne consomme que 2,5 litres par passager aux 100 kilomètres. Cependant, ce n'est pas en aggravant les comptes d'Air France qu'on permettra à la compagnie de moderniser sa flotte. Enfin, la recherche pourra dégager des alternatives, comme le biocarburant, l'hydrogène ou la propulsion électrique. Dans ce domaine, la France a trop peu de moyens. Elle garde un avantage dans l'industrie aéronautique, mais il faut investir. Affecter le produit de cette nouvelle « écocontribution » au rétablissement de l'équilibre de l'Afitf, c'est faire de l'aérien un bouc émissaire. Pourquoi dans ce cas ne pas l'affecter à la recherche de nouveaux modes de propulsion ?

M. Jean-Claude Requier. - Il n'y a rien d'étonnant à ce que Vincent Capo-Canellas, ancien maire du Bourget, soit notre spécialiste du transport aérien. Les contrôleurs aériens effectuent sept vacations en douze jours. Combien de temps dure chacune d'elles ?

Le trafic aérien augmente, mais pas les investissements. Comment l'absorber ?

Mme Josiane Costes a produit un rapport sur le transport aérien régional, dans le cadre d'une récente mission d'information. À une journaliste parisienne qui lui demandait pourquoi elle ne prenait pas le train pour venir d'Aurillac à Paris, elle a simplement répondu que le voyage en train prenait six à sept heures contre une heure quinze en avion.

M. Éric Bocquet. - À qui incombe l'engagement des investissements financiers pour la remise à niveau du matériel ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Où en est sont la recherche et l'innovation françaises dans l'amélioration de notre compétitivité aéronautique ? Au Salon du Bourget, on nous a présenté des prototypes de petits avions électriques silencieux et propres. Peut-on envisager de les utiliser ?

M. Victorin Lurel. - Roissy est géré en quotas de bruit ; Orly serait géré en mouvements d'avions, limités à 250 000 par an. Pourquoi cette différence ? N'est-ce pas condamner Orly à recevoir les avions les plus bruyants et les plus consommateurs en carburants fossiles ? Orly dessert les outre-mer. Cette distinction date d'un vieux décret de 1994 qui n'a jamais été revu.

M. Antoine Lefèvre. - Lors de la clôture des assises du transport aérien, la ministre de la transition écologique a redit l'engagement de la France dans la filière des biocarburants. Où en est-on ? L' « écocontribution » est-elle incitative ou seulement punitive ?

M. Yvon Collin. - Les sinistres subis par XL Airways et Aigle Azur laissent à penser qu'il y aurait quelques aventuriers qui partiraient à la légère dans le secteur du transport aérien. Comment sont gérées ces entreprises ? Quelles suites seront données pour indemniser les milliers de clients restés sur le carreau ? Ne faudrait-il pas durcir le cadre dans lequel évoluent les compagnies aériennes pour éviter que de telles catastrophes se reproduisent ?

M. Thierry Carcenac. - Certaines compagnies assurent des correspondances. Par exemple, si l'on veut aller de Toulouse à Nice, il faut passer par Paris ou par Lyon, ce qui alourdit le coût du trajet. Idem quand on part à l'étranger. Faire un déplacement en train de Bordeaux à Roissy prend beaucoup de temps. Comment se justifie, dans ces conditions, le choix de créer une « éco-contribution » ?

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Je remercie le rapporteur général d'avoir rappelé une réalité, à savoir que le nouvel Airbus ne consomme que 2,5 litres par passager aux 100 kilomètres. On gagnerait à ne pas hystériser le débat public. Nous avons la chance d'avoir depuis quelques semaines un secrétaire d'État chargé des transports qui connaît son sujet. Espérons qu'il aura assez de liberté pour corriger le cap. Certains États investissent dans des compagnies en considérant qu'elles représentent un outil régalien assurant leur présence dans le monde. Le rapporteur général suggère que la nouvelle contribution serve à la recherche de nouveaux modes de propulsion. J'y souscris. Jean-Claude Requier a souligné un petit miracle : le trafic aérien, bien que croissant, se déroule plutôt bien. Sans doute est-ce grâce à Eurocontrol qui a écarté le trafic pour éviter la thrombose des centres. Mais cet allongement des routes est négatif d'un point de vue environnemental. Les contrôleurs aériens travaillent 1 420 heures par an. Des temps de repos sont prévus durant leurs vacations et une souplesse est possible pour qu'ils s'adaptent à la réalité du trafic.

Vous avez mentionné le rapport de Mme Costes. La mission d'information sur les transports aériens a présenté ses conclusions la semaine dernière. La desserte de certains territoires comme Aurillac ne peut se faire que par l'avion. Supprimer la ligne Paris-Aurillac mettrait en très grande difficulté l'activité de toute la région. Les élus le savent.

Éric Bocquet, pourquoi les matériels de la DSNA ne sont-ils pas à jour ? Sans doute est-ce dû à des défaillances de management. La DSNA s'est appuyée sur notre rapport pour redresser le cap en changeant ses méthodes de travail. L'échéance est à dix-huit mois. Des relais de revues de projets sont prévus. Le Parlement jouera tout son rôle.

Sylvie Vermeillet, on sait incorporer du biocarburant. Une étude de Safran fait état d'un avion qui a volé à 100 % avec du biocarburant. Il reste à organiser une filière écologique, sans recours à l'huile de palme, et pas trop coûteuse. Le président d'Airbus rappelait encore récemment qu'il fallait que l'énergie primaire soit décarbonée. La transition ne pourra se faire qu'à vingt ans. On ne peut pas envisager de remplacer un A320 par un avion électrique. Cependant, on fera peut-être le trajet entre Aurillac et Paris en avion électrique, qui sait ?

La différence entre Orly et Charles-de-Gaulle a été renforcée dans la loi Pacte. Aéroports de Paris souhaite maintenir le niveau de bruit à ce qu'il était en 2012 à l'aéroport Charles-de-Gaulle, sans l'augmenter malgré la hausse de la capacité de l'aéroport. L'aéroport d'Orly est-il vraiment condamné à recevoir les avions qui font le plus de bruit ? Pas forcément, d'autant qu'on modernise les avions.

Antoine Lefèvre, l' « écocontribution » est effectivement punitive. Yvon Collin, il y a eu un temps où la France était pionnière en matière de techniques aéronautiques. Nous avons aussi besoin d'entrepreneurs pionniers, à l'image de Laurent Magnin, le patron de XL Airways. En matière de management, nul n'est à l'abri d'erreurs. Le secrétaire d'État chargé des transports a mobilisé des dispositifs de soutien et de compensation pour les clients de XL Airways et d'Aigle Azur.

Thierry Carcenac, vous avez raison. J'habite au Bourget. Pour aller à Bordeaux, je prends plus facilement l'avion à Charles-de-Gaulle que le train à la gare Montparnasse. Pour aller à Singapour depuis Bordeaux ou Toulouse, il faut aussi passer par Paris. La France a une position historique forte en matière d'aéronautique depuis les frères Montgolfier. Elle possède des industries puissantes. Il faut faire la transition écologique, mais ne détruisons pas nos compagnies.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Je salue la présence des deux rapporteurs pour avis de la commission de la culture, MM. Jean-Jacques Lozach et Jacques-Bernard Magner.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Commençons le « marathon budgétaire » qui s'ouvre devant nous par l'examen des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Depuis plusieurs années, la mission est marquée par le dynamisme de quelques dispositifs emblématiques qui la composent : en cinq ans, ses crédits auront été multipliés par deux.

La présentation proposée pour 2020 ne déroge pas à la règle, puisque les crédits sont proposés en hausse de 11 % à périmètre constant par rapport à 2019. Ils s'élèvent à près de 1,3 milliard d'euros. Ces crédits servent à financer un ensemble hétérogène de politiques, éclatées entre le ministère des sports et le ministère de l'éducation nationale.

Je commencerai ma présentation par une considération strictement budgétaire. Pour notre commission, un élément doit retenir notre attention : les crédits proposés excèdent de 3 % le plafond fixé par le budget triennal. Souvenez-vous, l'an dernier, je vous avais alertés sur l'incohérence du triennal actualisé pour tenir compte de l'attribution des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 à la France.

Cette analyse se confirme en 2020 : l'ensemble des objectifs que le Gouvernement se fixe ne pouvait être poursuivi sans dépasser le plafond fixé. Ces objectifs, à savoir le développement des pratiques sportives, les politiques de l'engagement de la jeunesse ou encore la préparation des Olympiades, doivent être soutenus. Pour autant, la question de la sincérité budgétaire se pose, car ils étaient déjà connus lors du vote de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques.

J'en arrive désormais aux points marquants pour 2020. Les dépenses de la mission sont fortement concentrées sur quelques dispositifs, dont le service civique pour 40 %. C'est pourquoi, je souhaiterais concentrer mon propos en vous faisant part des trois nouveautés qui marquent l'année 2020.

La première concerne la mise en place de la nouvelle gouvernance du sport. Le Centre national pour le développement du sport (CNDS) disparaît, absorbé par l'Agence nationale du sport, un groupement d'intérêt public créé au printemps dernier. Cette nouvelle structure procède d'une réalité et d'un objectif. La réalité, c'est que les collectivités territoriales constituent le premier financeur public du sport en France. L'objectif, c'est d'agréger les différents acteurs pour améliorer la cohérence du soutien au sport. Il est donc prévu que l'agence nationale du sport se décline dans chaque territoire par des conférences régionales du sport et des conférences des financeurs. Cette étape devrait s'enclencher en 2020. L'agence doit intervenir à la fois pour soutenir les pratiques sportives, par des subventions à l'équipement, et la haute performance. Sur le plan budgétaire, sa création se traduit par le versement d'une dotation unique de 137,6 millions d'euros et du produit des taxes affectées précédemment au CNDS pour un montant identique de 146,4 millions d'euros.

C'est donc une année de transition qui s'ouvre, pour laquelle des questions demeurent. Je pense en particulier à l'avenir de la gestion des conseillers techniques sportifs (CTS), dont la rémunération est désormais intégrée au sein du programme 219. La phase de concertation lancée au printemps dernier doit aboutir très prochainement par la remise d'un rapport sur la base duquel le Gouvernement devrait décider au début de l'année prochaine de l'évolution de leur statut. Un transfert vers les fédérations de ces fonctionnaires d'État est envisagé, ce qui suscite un accueil très différent selon les fédérations sportives. Nous le savons très bien : la question cruciale sera celle de la dotation versée en compensation aux fédérations et de son évolution dans le temps. J'y serai donc vigilent, mais il est dommage que les décisions soient reportées après la discussion budgétaire.

La deuxième nouveauté concerne un dispositif emblématique : le service national universel (SNU). Une ligne budgétaire est créée en 2020 et dotée de 30 millions d'euros, ce qui correspond à un objectif de 20 000 jeunes. Une préfiguration a eu lieu en juin dernier dans treize départements pilotes, dont la Creuse, pour 2 000 volontaires. Les résultats sont encourageants, mais ils ne présagent en rien des difficultés qu'un déploiement à grande échelle entraînera. C'est pourtant une généralisation à vitesse grand' V qui est souhaitée par le Président de la République, avec un objectif de 150 000 jeunes en 2021 et 400 000 jeunes en 2022. De nombreuses questions d'organisation demeurent, pour assurer le déplacement et l'hébergement collectif de ces jeunes. Surtout, l'équation budgétaire demeure à ce stade non résolue : le coût moyen par jeune est espéré à 1 500 euros, pour une classe d'âge de 800 000 jeunes chaque année. Cela représente donc 1,2 milliard d'euros par an minimum en rythme de croisière - presque le montant des crédits de l'ensemble de la mission pour 2020.

Ces questions devront être traitées : dans l'attente, il est pour le moins regrettable qu'aucune réponse aux questions budgétaires adressées au Gouvernement pour le programme 163 « Jeunesse et vie associative » ne m'ait été adressée.

Le troisième élément marquant concerne les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. L'effort budgétaire devient réel en 2020, avec près de 130 millions d'euros de dépenses prévues. Il s'agit d'une année charnière pour la construction des infrastructures, car les premiers travaux seront financés. Les dépenses augmenteront encore au cours des prochaines années, pour atteindre un pic à plus de 230 millions d'euros par an entre 2021 et 2023.

Je m'inquiète de la rhétorique du Gouvernement consistant à parler de « budget des sports », comme lors du débat d'orientation des finances publiques ayant donné lieu à une répartition des crédits par ministère. Certes, l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 donne une impulsion incroyable au sport français. Les infrastructures rénovées ou construites sont pensées dans le temps long, conformément à la priorité donnée à « l'héritage » des Jeux. Pour autant, soyons clairs : l'essentiel des infrastructures concerne le territoire francilien.

Le Président de la République s'était engagé à ce que l'organisation de la compétition ne s'opère pas au détriment du soutien au sport pour tous. Or, depuis l'attribution en septembre 2017, j'observe un tassement de plus de 10 % des crédits dédiés au sport. Il importe d'enrayer cette dynamique pour que les Olympiades demeurent une chance pour tous les Français, dans tous les territoires.

De façon plus générale, compte tenu des besoins de financement élevés constatés sur la mission pour les prochaines années - estimés à 800 millions d'euros d'ici à 2022 -, je m'associe au Président de la commission des finances pour regretter que la trajectoire pluriannuelle n'ait pas été actualisée.

Avant de conclure, j'aimerais élargir mon propos au-delà des simples crédits budgétaires. La mission retrace également les différentes incitations fiscales à la générosité des Français, pour un montant de plus de 2,7 milliards d'euros l'an dernier. Un climat d'incertitude ronge le monde associatif : en 2018, les dons qu'elles reçoivent ont reculé de 4,2 % après plusieurs années de progression continue.

À cet égard, il faut se réjouir de la mise en oeuvre effective du compte d'engagement citoyen en 2020. Ce dispositif vise à reconnaître et valoriser l'engagement des bénévoles à travers l'octroi d'heures de formation citoyenne ou professionnelle ; 11,5 millions d'euros y sont consacrés en 2020.

Il n'en demeure pas moins qu'une nouvelle impulsion est nécessaire pour conforter un tissu associatif plus que jamais indispensable à notre société. Les 25 millions d'euros distribués par le fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) ne suffisent pas. Ce montant est inférieur de moitié au soutien apporté par l'ancienne dotation d'action parlementaire. C'est pourquoi je soutiens la proposition de lui affecter les avoirs des comptes inactifs des associations. Seule une initiative du Gouvernement en loi de finances pourrait y procéder : j'interrogerai le ministre sur ce point.

En conclusion, la situation de la mission reflète une double réalité. Pour 2020, les crédits proposés correspondent aux objectifs fixés par le Gouvernement, ce que je soutiens. Les questions en suspens concernent l'après 2020 : il faudra attendre la prochaine trajectoire pluriannuelle annoncée pour le printemps pour y répondre. D'ici là, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Mon propos ne concerne que le programme 219 « Sport » et est un peu prématuré : les auditions ont débuté hier, nous recevrons la ministre le 20 novembre. L'augmentation du budget des sports est plus anecdotique qu'historique. Après deux années de baisse incompréhensible, il repart à la hausse grâce à la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo), qui passe de 65 millions à 129 millions d'euros. Le changement de gouvernance est un élément clef, puisque l'on passe d'une cogestion à une responsabilité partagée avec quatre partenaires. L'année 2020 sera à nouveau une année de transition, et les représentants de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) critiquent déjà la répartition unilatérale opérée par l'État, avec un tiers des moyens de l'agence réservé au sport de haut niveau et deux tiers au développement des pratiques. Le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) avait demandé 350 millions à 400 millions d'euros pour répondre aux objectifs olympiques fixés : on est loin du compte. Le budget de l'Agence nationale du sport s'élève à 284 millions d'euros. Les manques concernent le sport santé et le sport entreprise. La question du déplafonnement des trois taxes affectées au CNDS reste ouverte. Les mises des paris sportifs en ligne, en accroissement considérable, pourraient être davantage exploitées. Des incertitudes demeurent sur la déclinaison concrète de l'Agence nationale du sport.

Des inquiétudes s'expriment dans les clubs et les collectivités sur l'impact de la baisse des contrats aidés de 310 000 à 120 000 sur deux ans. La question des CTS parasite le débat budgétaire. On avait annoncé le transfert hors du giron de l'État de 1 600 d'entre eux, soit la moitié des effectifs du ministère des sports.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Sur les 660 millions d'euros budgétés dans le programme 163 « Jeunesse et vie associative », pas moins de 508 millions vont au service civique, auxquels il faut ajouter les 30 millions d'euros pour le SNU. Lorsque l'idée du SNU a été lancée, nous nous inquiétions des charges d'investissement nécessaires pour accueillir 800 000 jeunes. Le service civique est largement aussi utile que le SNU et il ne faudrait pas rogner sur son budget. Il devait accueillir 300 000 jeunes pour un coût individuel de 5 000 euros par an. Cet objectif a été abandonné.

Le rapporteur a rappelé la perte sèche de 27 millions d'euros sur la réserve parlementaire. Nous déposerons à nouveau un amendement pour mobiliser les comptes inactifs des associations. La suppression des emplois aidés fragilise les associations et les collectivités. Enfin, il faut signaler l'impact négatif des réformes fiscales sur les dons auprès des fondations qui ont diminué de moitié.

M. Dominique de Legge. - En 2020, le SNU doit accueillir près de 20 000 jeunes pour un coût global de 30 millions d'euros, soit 1 500 euros par jeune. Êtes-vous certain de cette estimation ? Comment a-t-elle été calculée ? Les ministères dont le concours sera sollicité seront-ils remboursés ? Le ministère de la Défense, en particulier, sera largement mis à contribution. Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions d'hébergement de ces jeunes ? Il serait illusoire de vouloir les loger dans les anciens casernements de la défense, totalement insalubres.

M. Antoine Lefèvre. - Je partage les inquiétudes du rapporteur spécial sur le tassement des crédits affectés aux pratiques amateurs. Les fédérations nous interpellent à ce sujet. Y a-t-il des différences entre les pratiques ? Ou bien la toise est-elle la même pour tous ?

M. Bernard Delcros. - Les associations font vivre les territoires. Les emplois aidés accompagnaient leur développement. Après deux ans, comment évaluer l'utilisation du fonds de développement de la vie associative (FDVA) ? Constate-t-on des différences entre les départements ? Est-il fléché vers l'ensemble des associations ou bien ne bénéficie-t-il qu'aux plus importantes ?

M. Roger Karoutchi. - On a choisi Paris pour accueillir les Olympiades de 2024 parce qu'après plusieurs tentatives infructueuses l'Île-de-France a fini par obtenir des équipements importants. On a pris beaucoup de retard dans le financement des études concernant les équipements qui restent à réaliser. Serons-nous opérationnels en 2024 ? La région Île-de-France réduit son intervention sur les Jeux olympiques et paralympiques en 2020, car on ne lui demande toujours pas de s'engager financièrement. Sera-t-on dans les temps ?

M. Yvon Collin. - Le monde du sport est paradoxal. Certains voient ruisseler les dollars par millions. Comment les clubs amateurs, qui sont le vivier et le terreau traditionnel du sport, pourraient-ils profiter de ce ruissellement d'argent ? Un sportif qui gagne 100 000 euros par jour, cela peut choquer.

M. Jérôme Bascher. - Pour prolonger la question de Roger Karoutchi, le retard pris résulte-t-il d'un trop grand nombre de normes et de contraintes ? Y a-t-il des crédits fléchés pour les bases arrière des sites olympiques ?

M. Marc Laménie. - L'engagement des bénévoles est essentiel dans les territoires. La réserve parlementaire avait le mérite d'aider les petites associations. Une réglementation est-elle prévue pour les crédits concernant le fonds de développement de la vie associative qui sont gérés par les préfets ? Les élus sont-ils associés à la validation de ces crédits ?

M. Jean-François Husson. - Pas du tout !

M. Marc Laménie. - C'est inquiétant. Les Ardennes sont un département pilote pour la mise en place du SNU. Affecter les crédits sur le programme 163 n'est pas forcément judicieux. Pourquoi ne pas les affecter sur la mission « Défense » ou « Enseignement scolaire » ? On éviterait ainsi de ponctionner le programme 163.

M. Didier Rambaud. - Croire que la réserve parlementaire était une source de financement du mouvement sportif est une erreur, c'était surtout un facteur d'inégalité entre les clubs

M. Vincent Éblé, président. - C'était quand même dans le budget des clubs !

M. Didier Rambaud. - Quand deux clubs jouent dans la même division, l'un peut bénéficier de la réserve parlementaire, alors que l'autre n'en bénéficie pas. Méfions-nous de l'expression « sport amateur », trop floue. Il vaut mieux distinguer sport de compétition et sport de masse.

La taxe sur les droits de retransmission télévisuelle permet une redistribution efficace au bénéfice du sport de masse. Est-il prévu d'en revoir le montant ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative estime à 1 500 euros le coût de la prise en charge d'un jeune au titre du SNU, en se fondant sur l'expérimentation et sur des économies d'échelle. La montée en charge prévue vise à atteindre, à terme et pour un dispositif rendu obligatoire, les 800 000 jeunes d'une classe d'âge. Le rapport du groupe de travail présidé par le général Menaouine en 2018 a estimé le coût des investissements nécessaires pour l'hébergement notamment à 1,75 milliard d'euros. Le bleu budgétaire indique que certains ministères pourraient être amenés à participer au financement du SNU. On imagine bien que ceux de la Défense et de l'Éducation nationale seront concernés.

Lors des auditions, il nous a été assuré que nous étions dans les délais pour les Jeux olympiques et paralympiques. Rien ne nous dit que nous serons en retard. La trajectoire budgétaire de Solidéo est conforme aux prévisions que le directeur général avait présentées à la commission des finances, lors de son audition. Le seul retard constaté pour l'instant concerne le Cluster des médias. Au Stade de France, les conventions de stade devraient être signées rapidement. Le projet de mise en conformité du stade avance dans le respect des délais. Quant aux bases arrière, beaucoup de départements se sont proposés pour accueillir des résidences de préparation aux Olympiades. Le comité d'organisation des Jeux olympiques (COJO) avait prévu une enveloppe pour cela. Les appels à projets devraient être bientôt publiés.

L'administration ne nous a pas transmis d'information département par département sur la répartition du fonds de développement de la vie associative - aucune réponse n'ayant été transmise ! Pas moins de 12 200 dossiers ont été déposés pour un montant moyen de 2 900 euros. Les associations concernées sont plutôt de petites associations. Parmi les bénéficiaires, 84 % n'ont aucune autre source de financement public.

Pour ce qui est du « ruissellement » vers le sport amateur, des mécanismes s'appliquent déjà. Pour le football, en cas de transfert d'un joueur, une clause prévoit qu'un pourcentage du montant du transfert est reversé au club formateur. La redistribution des droits audiovisuels participe aussi au ruissellement. Les financements sont plus importants dès lors qu'il s'agit d'une discipline olympique. D'où la levée de boucliers pour défendre le karaté menacé d'être retiré de la liste des disciplines olympiques.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport spécial

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - L'an dernier, la mission « Anciens combattants » n'offrait que peu de motifs de satisfaction ; cette année elle présente beaucoup de raisons d'inquiétude.

La mission regroupe trois programmes avec des enjeux financiers très inégaux. Le programme 167, principalement consacré au financement de la « Journée Défense et citoyenneté » et des actions de mémoire, représente 29,4 millions d'euros, en repli de 12,8 %. Le programme 158 finance différentes indemnités accordées aux victimes d'actes de barbarie et de persécution commis pendant l'Occupation : 93,5 millions d'euros sont ouverts, soit une baisse de 11,7 %. Le programme 169 regroupe la majeure partie des crédits de la mission avec 2 milliards d'euros pour financer les témoignages de reconnaissance de la Nation envers ses anciens combattants. La baisse des dotations atteint 5,8 %. Au total, la mission extériorise une forte baisse des crédits avec plus de 142 millions d'euros, qui font suite aux 150 millions d'euros d'économies prévus en 2019. La mission participe au redressement des finances publiques du pays, tant attendu par ailleurs, mais pas à celui du moral des anciens combattants.

Le programme 167 est principalement consacré à la journée « Défense et citoyenneté », dont le bilan est contrasté. Son coût n'est pas mineur : 150 millions d'euros dont seule une maigre partie est inscrite au budget de la mission. Il devrait s'alourdir, les indemnités de frais de transport versées aux appelés n'étant pas à la hauteur des coûts exposés par ces derniers, surtout dans les zones rurales. Cela explique peut-être un problème d'absentéisme. Sur le fond, la question devrait être revue au regard de la mise en place hésitante d'un service national universel (SNU) obligatoire. Les formules d'accueil des jeunes prises en charge par le ministère des armées tendent à se multiplier sans grande cohérence, avec des offres quasi-expérimentales, comme le service militaire volontaire, qui apparaissent assez coûteuses et peu extensibles. Tout ceci méritera d'être revisité dans le contexte de l'extension du SNU.

Quant à la politique de la mémoire, on revient à l'étiage, une fois conclues les commémorations de la Grande Guerre. Il est regrettable que les actions de mémoire soient, à ce point, dépendantes de commémorations exceptionnelles. Par ailleurs, on doit déplorer que les investissements de fond tardent à être mis en oeuvre.

Le programme 169, qui concentre l'essentiel des crédits, passe pour la première fois sous la barre des 2 milliards d'euros de crédits d'intervention. Les ressources prévues pour financer les pensions militaires d'invalidité, la retraite du combattant et quelques autres interventions se réduisent de plus de 6 %. C'est une réduction plus forte que celle des populations appelées à bénéficier de ces allocations. L'an dernier, le Sénat s'était félicité de l'attribution, hélas très tardive, de la carte du combattant aux militaires présents en Algérie en 1962 et 1964. Cette année, la seule mesure d'extension des droits concerne les conjoints survivants des anciens combattants grands invalides. Son impact sera fort limité : 461 bénéficiaires pour 600 000 euros. Cette initiative n'est pas à la hauteur de la problématique de la prise en charge des anciens combattants atteints par l'invalidité. La question de l'accompagnement de la dépendance n'est pas réservée aux anciens combattants, mais elle se pose à ces derniers non moins qu'au reste de la population. Quelques mesures spécifiques sont prévues, qui ne me semblent pas de nature à répondre aux graves problèmes rencontrés du fait de l'inadéquation de l'offre de soins et de l'absence d'accompagnement adapté des aidants. Le Gouvernement devrait s'attacher au plus vite à définir une politique en ce domaine, ce qui passe par une évaluation de l'existant et des besoins que j'appelle de mes voeux.

Le budget pour 2020 s'accommode d'une non-revalorisation des droits de sorte que, si les facteurs démographiques jouent sur la budgétisation, la baisse de la valeur réelle des allocations y contribue également. C'est le résultat du quasi-gel de la valeur du point de pension militaire d'invalidité dans le cadre du mécanisme dit « rapport constant ». Ce dernier se traduit par une sous-indexation des allocations et ainsi, par une perte de leur valeur réelle. Je vois là un sérieux problème que le Gouvernement serait bien inspiré de surmonter. Les titulaires d'allocations sont souvent âgés et confrontés à des besoins particuliers. Ils méritent davantage de reconnaissance. Alors même que du fait des évolutions démographiques, la mission dégage spontanément des économies importantes, la sous-indexation des allocations aux anciens combattants a quelque chose de mesquin et semble injuste. Elle réserve aux anciens combattants un sort moins favorable qu'aux retraités et l'on ne peut pas dire que le « rapport constant » soit un mécanisme pertinent. Incidemment, je relève qu'il conviendra d'être très vigilant sur les effets pour les anciens combattants de la réforme des retraites en cours d'élaboration, puisque le calibrage des prestations financées par la mission n'est pas sans lien avec le sort général réservé aux militaires.

Deux opérateurs sont rattachés au programme 169 : l'ONAC-VG et l'Institution nationale des invalides. Le destin de l'ONAC-VG pose problème. Le Gouvernement en a décidé une sorte de restructuration dont les prolongements sont encore incertains. Ils paraissent peu compatibles avec l'engagement de maintenir une administration de proximité. Pour le budget pour 2020, le Gouvernement recourt très largement à la débudgétisation par des ponctions massives de la trésorerie de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), qui lui permettent de réduire de 15 % la subvention pour charges de service public. Ce n'est pas de bonne méthode.

Enfin, s'agissant du programme 158, destiné à la politique de réparation aux victimes d'actes antisémites et d'actes de barbarie, la budgétisation me semble poser de sérieux problèmes. L'an dernier le Sénat a souhaité que l'indemnisation des orphelins victimes d'actes de barbarie soit étendue à des populations qui en sont exclues. Le budget pour 2020 ne le permet pas. Quant aux préjudices liés aux spoliations antisémites, je ne retrouve pas dans le budget l'élan que nous avons souhaité voir imprimer à la politique de réparation, tandis que le grave sujet de principe que représentent les 26 millions d'euros de parts réservées demeure pendant, faute de moyens pour lui apporter des solutions.

Compte tenu de la date précoce de notre réunion, la commission des finances de l'Assemblée nationale devant examiner la mission dans une semaine, je vous propose de réserver notre vote sur une mission qui devrait mieux prendre en compte les ambitions qu'elle porte.

M. Antoine Lefèvre. - En juillet, la Cour des comptes a suggéré que la France était trop généreuse envers ses anciens combattants. Elle a remis en cause le dispositif de retraite mutualiste qui fonctionne par capitalisation. Il serait scandaleux de trouver là des pistes d'économies. En savez-vous plus ?

Mme Christine Lavarde. - Où en est-on du programme de fermeture des maisons de retraite de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre ? Vous aviez mentionné le sujet, l'an dernier, dans votre propos liminaire.

M. Jean-Claude Requier. - Certains souhaiteraient déplafonner le nombre de médailles militaires.

M. Vincent Éblé, président. - Les récipiendaires susceptibles de recevoir une médaille sont de moins en moins nombreux, mais il faudrait distribuer plus de médailles ?

M. Jean-Claude Requier. - Certains ont été décorés de l'ordre national du Mérite et souhaiteraient la médaille militaire. Pour la médaille militaire, on donne 4,50 euros par an. Idem pour la Légion d'honneur et le Mérite. Ne faudrait-il pas supprimer ces pensions qui n'en sont pas ? Elles coûtent cher à verser et rapportent peu à ceux qui les touchent.

M. Jérôme Bascher. - Le rapport sur la commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) fait apparaître que le stock des spoliations continue d'augmenter. Pourquoi ? A-t-on espoir qu'il diminue un jour ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - À l'heure où nous examinons cette mission, je souhaite avoir une pensée pour tous les bénévoles qui oeuvrent dans les associations. Antoine Lefèvre, les dépenses fiscales qui bénéficient au monde des anciens combattants suscitent des débats qui nourrissent des inquiétudes. Elles sont la manifestation d'une nécessaire reconnaissance envers ceux qui se sont battus pour notre pays. La retraite mutualiste des anciens combattants n'est pas remise en cause.

Christine Lavarde, l'ONACVG gérait des maisons de retraite dans un passé récent. Ce n'est plus sa vocation. Certains de ces établissements se sont transformés en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et ont été repris par des associations. Jean-Claude Requier, le contingent de médailles militaires est souvent évoqué dans les sections de médaillés militaires de nos assemblées régionales ou départementales. La médaille militaire est un signe fort de reconnaissance, juste après la Légion d'honneur. Certaines personnes très âgées décèdent parfois avant d'avoir pu recevoir leur médaille. Le contingent est effectivement très réduit. Les médailles comme la Légion d'honneur ou l'ordre national du Mérite sont sous l'autorité de tel ou tel ministre.

Jérôme Bascher, merci de rappeler notre rapport sur la CIVS. Un grand nombre d'objets spoliés n'a toujours pas donné lieu aux recherches qui conviendraient. Les restitutions d'aujourd'hui sont le reflet de notre inertie passée. L'idée de clore cette mission ce serait renoncer à des devoirs qui, de plus, correspondent à nos engagements internationaux. Les moyens humains de la CIVS restent trop limités.

La commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

La réunion est close à 12 h 30.

La réunion est ouverte à 17 h 00.

Rapport relatif à la fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique - Audition de M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires

M. Vincent Éblé, président. - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Didier Migaud en tant que président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Le CPO a publié, en septembre dernier, un rapport intitulé «  la fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique ». Cette audition revêt pour notre commission une importance particulière à la veille de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, d'autant plus que, dans une période récente, les enjeux de la fiscalité environnementale ont changé d'échelle. Comme vous le savez, mes chers collègues, le Sénat a été à l'initiative du gel de la taxe carbone adopté en loi de finances pour 2019, au cours d'un mouvement social d'ampleur. Un certain nombre de nos concitoyens ont vu dans l'augmentation des prix des carburants et des taxes associées une atteinte à leur pouvoir d'achat, en l'absence d'alternative pour leurs déplacements, notamment en zone rurale, avec un fort sentiment d'inéquité fiscale.

Des solutions restent cependant à trouver pour répondre aux objectifs de notre pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre : la France s'est engagée à les diminuer de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Le premier rapport du Haut Conseil pour le climat, publié en juin dernier, souligne que notre rythme de réduction des émissions est actuellement deux fois trop lent pour nous permettre d'atteindre ces objectifs. Le rapport du CPO formule plusieurs propositions sur l'avenir de cette taxe carbone, mais également sur le recours à d'autres instruments comme la réglementation ou les subventions.

M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires. - C'est avec grand plaisir que je viens devant votre commission en ma qualité de président du CPO afin de vous présenter le rapport que nous avons récemment publié sur la fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique.

Pour cette présentation, je suis accompagné de M. Patrick Lefas, président de chambre, de Mme Catherine Périn, conseiller maître qui était secrétaire générale du CPO à la date de publication du rapport, de M. Antoine Fouilleron, conseiller référendaire et de M. Florian Bosser, auditeur, rapporteurs généraux.

Ce rapport s'appuie sur cinq rapports particuliers thématiques qui ont permis d'étayer nos analyses : le premier dresse le panorama de la fiscalité environnementale ; le deuxième analyse le cadre et les contraintes juridiques ; le troisième présente les expériences étrangères et procède à des comparaisons internationales ; enfin, deux rapports particuliers établis par une équipe de rapporteurs émanant de la direction générale du Trésor, de la Cour des comptes, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et du ministère de la transition écologique et solidaire, analysent les effets macro-économiques et micro-économiques de la fiscalité du carbone. Ces rapports sont disponibles en ligne, ils n'engagent pas le CPO, mais peuvent contribuer à la bonne compréhension de notre rapport.

Après un premier rapport du Conseil des impôts publié en 2005, le CPO a souhaité revenir sur le thème de la fiscalité environnementale en 2019. En quinze ans, cette fiscalité a profondément évolué et les enjeux qui sont liés sont devenus plus aigus, tant au regard de sa contribution à l'atteinte des objectifs environnementaux que de son acceptabilité par les contribuables.

Les membres du CPO ont fait le choix de ce thème en septembre 2018, avant que ne débute la contestation de la hausse de la composante carbone prévue en 2019. La loi de finances pour 2018 avait retenu un quasi-doublement de la valeur de la tonne de carbone entre 2018 et 2022 pour atteindre 86,20 euros en 2022. Cette augmentation a été gelée en loi de finances pour 2019. Constatant que les ambitions environnementales, en particulier climatiques, de la France sont de plus en plus hautes, le CPO a souhaité apprécier la pertinence de l'instrument fiscal pour les atteindre. Cette question est d'une grande actualité tant budgétaire qu'économique et internationale ; elle est aussi d'une grande sensibilité dans le débat public. Pour conduire cette réflexion, nous nous sommes appuyés sur des travaux de simulation inédits des effets macroéconomiques de la fiscalité énergétique, en particulier de la fiscalité carbone, sur les ménages et les entreprises, et des effets microéconomiques sur les ménages. Nous avons mobilisé à cet effet des modèles conçus respectivement par l'ADEME et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et par le Commissariat général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). C'est la première fois que le CPO mène ses propres travaux de simulation à partir de modèles de l'administration et il a ainsi pu, en toute indépendance, maîtriser l'ensemble des scénarios et paramètres de calcul et tester les orientations qu'il suggère.

Nous avons porté une attention toute particulière à la question du consentement à l'impôt et aux conditions d'acceptation de l'impôt. Le thème de la fiscalité environnementale et de la fiscalité carbone a suscité, ces derniers mois, de nombreux débats, souvent passionnés ; et je ne doute pas que la fiscalité carbone fera encore l'objet de nombreux débats au Parlement, naturellement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, mais également dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat dont les travaux vont bientôt débuter. L'ambition du rapport du CPO est de contribuer, dans le cadre et les limites des missions qui sont les siennes, à éclairer de manière indépendante le débat public et citoyen et les décideurs publics et privés sur la question de l'avenir de la fiscalité environnementale face au défi climatique.

Je dresserai tout d'abord le panorama de la fiscalité environnementale, en mettant l'accent sur la fiscalité énergétique. La fiscalité environnementale est généralement définie comme l'ensemble des mesures fiscales ayant un impact sur l'environnement. Cette définition est celle de la comptabilité nationale, elle est utilisée pour les comparaisons internationales et ne se limite pas aux seuls instruments ayant une vocation comportementale directe. En 2018, selon cette définition, la fiscalité environnementale comportait 46 instruments fiscaux dont le rendement s'élevait à 56 milliards d'euros, soit 2,4 % du PIB et 4,9 % des prélèvements obligatoires. Cet ensemble agrège des dispositifs fiscaux hétérogènes dont la finalité environnementale n'est pas toujours explicite. En intégrant les dépenses fiscales environnementales et certains autres instruments fiscaux, l'enjeu fiscal lié à l'environnement peut être évalué à 87 milliards d'euros, soit 3,7 points de PIB. La France a longtemps été en deçà de la moyenne européenne ; avec le développement de la composante carbone introduite dans la fiscalité sur les énergies fossiles en 2014, la France se situe désormais dans la moyenne européenne.

La fiscalité sur l'énergie représente 83 % de la fiscalité environnementale. En son sein, la fiscalité sur les énergies fossiles pèse 34 milliards d'euros, dont 32 milliards pour la seule taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Le CP0 a choisi de centrer ses travaux sur la fiscalité sur les énergies fossiles, notamment sur la fiscalité du carbone. Ces dernières concentrent en effet les principaux enjeux budgétaires, mais aussi de politique publique climatique et d'acceptabilité pour les contribuables. C'est également la fiscalité du carbone qui a connu la gestation la plus difficile puisqu'elle n'a pu être créée qu'en 2014, après les tentatives avortées de 2000 et de 2009 censurées par le Conseil constitutionnel.

Si la fiscalité énergétique a été construite historiquement dans une optique de rendement, ses finalités ont évolué depuis deux décennies pour intégrer des objectifs environnementaux et comportementaux. Le renforcement continu des objectifs climatiques de la France a en effet conduit à mobiliser de façon croissante la fiscalité pour inciter les agents économiques à modifier leurs comportements de production ou de consommation. Or, depuis la signature du protocole de Kyoto en 1997, les négociations climatiques internationales ont visé à réduire les émissions de gaz à effet de serre au moyen notamment d'une meilleure tarification du carbone ; la France a beaucoup oeuvré pour l'adoption de l'accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015.

Au niveau européen, les paquets Énergie et Climat ont fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % en 2030 par rapport à 1990. Au niveau national, la France a transposé dans la loi les engagements qu'elle a pris aux niveaux international et européen : la loi du 17 août 2015 de transition énergétique pour la croissance verte fixe en droit interne l'objectif ambitieux de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport à 1990 et de division par quatre de celles-ci en 2050. Ces objectifs viennent d'être renforcés dans le cadre du projet de loi relatif à l'énergie et au climat, avec l'ambition d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon de 2050. Or l'atteinte de ces objectifs suppose d'accélérer le rythme de réduction des émissions dans les années à venir, comme le rappelait, en juin dernier, le premier rapport du Haut Conseil pour le climat : le rythme actuel est deux fois trop faible au regard des cibles retenues.

Pour y parvenir, les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments. Le système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre pour les plus gros émetteurs permet de donner un prix au carbone ; il s'applique dans trente et un pays de l'Espace économique européen ; n'étant pas un instrument fiscal, il ne relevait pas du champ d'analyse du CPO. L'autre grand instrument complémentaire du marché de quotas, c'est la fiscalité carbone.

Le rapport du CPO constate en premier lieu que la fiscalité carbone est un instrument efficace en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les simulations qui ont été conduites confirment les conclusions des travaux académiques et les résultats des comparaisons internationales. Ainsi, en fonction des hypothèses retenues, la reprise d'une trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone permettrait de réduire les émissions carbonées de 5 à 18 % en 2030 par rapport à 2019. Cependant, si la fiscalité carbone est efficace pour réduire les émissions sur le territoire national, elle a aussi pour effet de stimuler les importations de produits carbonés et des fuites de carbone par la perte de compétitivité-prix des entreprises françaises sur le marché national. Ainsi, la baisse de l'empreinte carbone de la France serait beaucoup moins forte du fait des importations : il est donc essentiel de ne pas limiter l'analyse des effets de la fiscalité carbone aux seules émissions sur le territoire national, mais d'envisager aussi ses conséquences sur notre balance commerciale et nos importations de produits.

En deuxième lieu, le rapport constate que les effets macro-économiques de l'augmentation de la fiscalité carbone sont limités, de l'ordre de quelques dixièmes de points de PIB. Ils peuvent être positifs en fonction des modalités de réutilisation des recettes supplémentaires collectées, soit par la baisse d'autres prélèvements obligatoires, soit par le financement de mécanismes de compensation. Toutefois, les simulations montrent aussi que la fiscalité carbone peut avoir pour effet de dégrader légèrement la balance commerciale.

En troisième lieu, le rapport constate que les effets de la fiscalité carbone pour les ménages sont hétérogènes. Contrairement aux idées reçues, la facture énergétique des ménages est globalement stable sur longue période et sa variation ne s'explique que très peu par la fiscalité : à titre d'exemple, la part des taxes dans le prix à la pompe du gazole était de 72 % en 1995 et de 59 % aujourd'hui ; pour l'essence sans plomb 95, la part des taxes est passée de 80 % en 1995 à 63 % aujourd'hui.

Le CPO a cherché à mener une analyse approfondie des impacts de la fiscalité carbone sur les ménages. Plusieurs types de situations sont apparues : d'abord en fonction du niveau de consommation de produits énergétiques fossiles, qui résulte essentiellement de la diversité des pratiques de déplacement en voiture particulière ; ensuite, le poids de la fiscalité carbone varie selon la localisation des ménages, avec une grande hétérogénéité territoriale entre les communes rurales et les très grandes agglomérations ; enfin, à l'instar d'autres impôts indirects comme la TVA, la fiscalité carbone est une imposition régressive : les 20 % de ménages les plus modestes consacrent 7,2 % de leurs revenus à la fiscalité énergétique contre 2,1 % pour les 20 % de ménages les plus aisés. Le croisement de l'approche par les revenus avec celle de l'hétérogénéité territoriale met donc en lumière une plus grande vulnérabilité des ménages modestes habitant en zone rurale ou dans les unités urbaines de taille moyenne - jusqu'à 200 000 habitants.

Concernant les entreprises, une partie de leurs émissions est soumise au marché européen de quotas, ce qui explique partiellement le fait qu'elles ne s'acquittent que de 36 % du produit de la fiscalité sur les énergies fossiles, alors qu'elles sont responsables de 61 % des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, certains secteurs bénéficient de dispositifs d'exemption, d'exonération, de taux réduits ou de remboursement ; la combinaison de l'ensemble de ces paramètres aboutit à un niveau de tarification effective très hétérogène, aussi bien par secteur d'activité que par type d'énergie fossile consommée.

En quatrième lieu, le CPO a constaté que les marges budgétaires potentiellement dégagées par la fiscalité carbone étaient limitées. Si la fiscalité carbone est efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle l'est tout autant pour éroder sa propre assiette à tarifs constants ; c'est-à-dire qu'en maintenant le gel de la composante carbone à son niveau de 2019, le produit de la fiscalité sur les énergies fossiles pourrait s'affaisser de 9 milliards d'euros d'ici à 2030 par rapport à 2019 ; seule une augmentation de la composante carbone pourrait stabiliser, voire augmenter le rendement de la fiscalité énergétique fossile à l'horizon de 2030.

Je voudrais désormais évoquer les principales conclusions et orientations du rapport. La fiscalité carbone est un instrument inséré dans un jeu d'opportunités et de contraintes dont le maniement est complexe. Avec le gel de la trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone en loi de finances pour 2019, la France a suspendu le principal outil qu'elle avait retenu contre les émissions de gaz à effet de serre en dehors du système européen d'échange de quotas d'émissions. Ce gel ne s'est pourtant pas traduit par une limitation des ambitions environnementales. Au contraire, les objectifs déjà contraignants de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 sont en passe d'être renforcés avec l'ambition d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Si l'on veut atteindre cette cible, cela suppose de mobiliser l'ensemble des instruments de politique environnementale : le marché, les normes, les subventions, mais aussi la fiscalité, tout en tirant les enseignements de la contestation de l'automne 2018 en termes d'acceptabilité.

En s'inscrivant dans cette logique, le rapport formule huit orientations autour de trois axes.

Tout d'abord, la reprise d'une trajectoire d'augmentation de la fiscalité carbone paraît inéluctable pour espérer atteindre les objectifs que la France s'est assignés - sinon il faut remettre en cause les objectifs. Deux trajectoires de progression des tarifs de la fiscalité carbone ont été testées : une trajectoire modérée, reprenant l'objectif fixé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 100 euros la tonne de CO2 en 2030, qui permettrait une baisse des émissions modeste de 5 % en 2030, par rapport à 2019. Cette trajectoire modérée serait à peine supérieure à l'effet d'une indexation des tarifs de fiscalité énergétique fossile sur l'inflation et n'aurait donc pas d'impact réel sur le pouvoir d'achat des ménages. Une trajectoire plus ambitieuse alignée sur la valeur de l'action pour le climat de 250 euros la tonne de CO2 en 2030, telle que calculée dans le rapport de la commission présidée par Alain Quinet en 2019, permettrait une baisse des émissions de 18 % en 2030, par rapport à 2019, avec un surcoût moyen de 56 euros par an et par ménage. Mais l'analyse de l'impact de la hausse de la fiscalité carbone sur les ménages ne peut se résumer à la hausse de la facture énergétique moyenne, tant est grande l'hétérogénéité des effets de cette hausse selon les revenus, la localisation des ménages et leurs pratiques de déplacements.

Le choix de trajectoire de fiscalité carbone doit s'apprécier au regard des effets prévisibles sur les ménages, comme sur les entreprises, en tenant compte également des contraintes d'une économie ouverte. Au-delà de la trajectoire d'augmentation du tarif de la fiscalité carbone, le CPO propose aussi d'en élargir l'assiette par la remise en cause progressive des dépenses fiscales qui affectent son efficacité. À la seule TICPE sont attachées aujourd'hui 23 dépenses fiscales majoritairement défavorables à l'environnement dont le coût, de 5,8 milliards d'euros en 2018, est en forte croissance. En y ajoutant les exonérations dont bénéficient notamment le transport aérien et le secteur maritime, ce sont 26 mesures dérogatoires représentant plus de 10 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales. Or certaines dépenses fiscales présentent un taux de soutien sectoriel dépassant largement la valeur de la tonne de carbone et font bien plus que compenser le coût des émissions de CO2. C'est en particulier le cas pour le transport aérien et pour le gazole, sous condition d'emploi.

La réforme des dépenses fiscales pourrait suivre les orientations suivantes : supprimer les tarifs de remboursement de TICPE en faveur du transport routier de marchandises, qui représentent de l'ordre de 1,1 milliard d'euros, qui amènent à exonérer totalement ce secteur de toute fiscalité carbone, alors même qu'il est un émetteur important de gaz à effet de serre ; inclure une composante carbone pour les secteurs économiques faisant l'objet d'une exonération - transport aérien international, transport maritime international et national, transport fluvial, pêche - ; faire converger certains taux réduits sur le gazole non routier sur les tarifs de droit commun. Nous notons que le Gouvernement a retenu quelques-unes de ces orientations dans le projet de loi de finances pour 2020.

Le CPO propose ensuite de distinguer, voire de dissocier, la taxe carbone des taxes sur les énergies fossiles, comme la TICPE. Cela permettrait d'en faire un instrument distinct du socle de fiscalité énergétique, qui doit garder sa vocation de rendement et pouvoir bénéficier d'une évolution différenciée. Cette dissociation aurait l'avantage d'établir un lien plus clair entre l'objectif environnemental de la fiscalité carbone et l'instrument retenu pour l'atteindre. Plus largement, la fiscalité carbone gagnerait à être mieux articulée avec les autres instruments de politique environnementale, notamment fiscaux, dans le cadre d'une stratégie d'ensemble. La couverture de plusieurs coûts environnementaux, notamment dans le domaine des transports pourrait en effet gagner à davantage mobiliser des instruments fiscaux complémentaires. C'est le cas notamment des externalités liées à l'usage de la route, avec la taxe kilométrique nationale sur les poids lourds, la révision des modalités de calcul de la taxe sur les certificats d'immatriculation, la révision du barème kilométrique de l'impôt sur le revenu ou encore celles engendrées par la pollution atmosphérique, la convergence de la fiscalité du gazole vers l'essence.

Par ailleurs, l'articulation avec le marché européen de quotas demeure perfectible en termes de cohérence de l'assiette et de niveau de tarification du carbone. Au-delà de la conception de la taxe, les enjeux d'acceptabilité doivent faire l'objet d'une attention renouvelée. La reprise d'une trajectoire de taxe carbone ne peut faire l'économie d'une meilleure prise en compte de son acceptabilité par nos concitoyens. Au vu des difficultés récentes, plusieurs mesures pourraient permettre aux pouvoirs publics de retrouver une forme d'acceptabilité et d'envisager le développement de la fiscalité carbone. L'acceptabilité de la taxe pourrait être facilitée par la clarté des objectifs qui lui sont assignés, ainsi que par la stabilité et la visibilité de la trajectoire, même s'il faut être conscient que ce cadre d'action peut bien évidemment être perturbé par la variation des prix de marché des énergies fossiles. L'évolution du prix du baril de pétrole en est l'illustration. De plus, la transparence dans l'utilisation des recettes contribuerait à renforcer l'acceptabilité de la taxe sans qu'il y ait nécessairement d'affectation juridique. Enfin, la mise en place d'un mécanisme de compensation, qu'il soit pérenne ou transitoire, forfaitaire ou ciblé, pourrait également favoriser le consentement à la fiscalité carbone tout en modérant les effets sur les ménages les plus affectés. Le CPO a évalué les effets de plusieurs natures de dispositifs de compensation en fonction du revenu, du lieu de résidence et de la mobilité des ménages. Ces simulations figurent d'ailleurs dans le rapport.

L'opportunité de la mise en place et la nature de telles compensations doivent toutefois dépendre du niveau de trajectoire retenu. Il conviendrait en outre de veiller à ne pas subventionner l'usage des énergies fossiles contraires à l'effet recherché par la fiscalité carbone.

Enfin, des actions devraient être engagées au niveau européen et international, pour éviter que la France n'agisse seule. Par définition, la pollution climatique est un enjeu qui dépasse le cadre national. Il importe d'agir au niveau international et européen pour inciter les partenaires de la France à agir dans la même direction. Le CPO propose ainsi de soutenir les initiatives de révision du cadre européen relatif à la fiscalité énergétique, en particulier de la directive du 27 octobre 2003, afin d'y intégrer davantage les préoccupations environnementales et de mieux prendre en compte les objectifs climatiques de l'Union européenne. De plus, des dispositifs de protection commerciale gagneraient à être développés afin d'éviter que les politiques environnementales européennes ne pénalisent les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale. Pour y parvenir, le CPO propose de soutenir les initiatives qui mettent en oeuvre un droit de douane uniforme sur les importations de pays non coopératifs en matière de politique climatique.

Enfin, le CPO propose de revenir sur les exemptions européennes dont bénéficient les secteurs du transport aérien et maritime. Ces modes de transport bénéficient aujourd'hui d'un régime dérogatoire qui n'est justifié ni par des motifs économiques ni par des motifs environnementaux. Il paraît nécessaire d'agir au niveau européen et de renforcer les engagements pris par ces deux secteurs au niveau mondial.

Le Conseil des prélèvements obligatoires s'est efforcé de formuler des propositions d'orientation qu'il a voulues réalistes, concrètes, pragmatiques.

M. Vincent Éblé, président. - Merci, monsieur le président.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voudrais féliciter le président du Conseil des prélèvements obligatoires. Là, nous sommes davantage dans le concret qu'avec le « green budgeting » du gouvernement.

Le 18 octobre 2018, j'étais dans le bureau du Premier ministre pour parler de la loi de finances. Nous avions quasi exclusivement parlé du début du mouvement des « gilets jaunes » et j'avais reçu des réponses technocratiques du type : « Le signal prix est le meilleur moyen de faire changer les comportements. » On a vu ! Toute la difficulté vient de ce que les constats n'ont pas été faits. Je regrette que le rapport du CPO n'ait pas été publié un an plus tôt. Si certains de vos constats avaient été partagés par le Gouvernement il y a un an, nous aurions sans doute évité ce que nous avons connu.

Je reviens sur quelques-uns de ces constats.

Historiquement en France, la fiscalité écologique a été conçue dans une logique de rendement. La hausse de la TICPE pluriannuelle avait été conçue comme une fiscalité de rendement pour équilibrer le budget de l'État, et non pour la transition énergétique.

Le CPO souligne aussi que la fiscalité énergétique pèse davantage sur les ménages ruraux et périurbains en raison de l'importance de leurs déplacements routiers. Évidemment, cela entraîne de très grandes inégalités. Vous soulignez l'hétérogénéité de l'impact de la hausse en fonction des revenus, de la localisation et des pratiques de déplacements des ménages.

Ces constats sont partagés.

Nous ne sommes pas contre une fiscalité énergétique ni contre la taxe carbone, mais le problème est la manière dont elle a été conçue, c'est-à-dire comme un rendement sans tenir compte de l'hétérogénéité des situations et sans compensation.

Monsieur le président, vous dites, à la proposition n° 4 : en fonction de la trajectoire retenue de la fiscalité carbone, des mécanismes de compensation en direction des ménages les plus affectés, notamment les ménages modestes, devront être associés, de manière à favoriser l'acceptation de la fiscalité carbone et l'adaptation des comportements. C'est exactement ce que le Sénat avait dit. Le signal prix est compréhensible sur un plan intellectuel si l'on dispose de 5 000 euros de revenus nets : on pourra acheter un véhicule hybride ou électrique. Mais si l'on gagne 1 200 euros par mois et que l'on habite en milieu ou dans une zone périphérique, comment changer son comportement sans compensation ? Avez-vous trouvé des exemples étrangers d'augmentation de la fiscalité adossée à un mécanisme d'accompagnement la rendant acceptable ?

On ne peut que partager votre objectif de transparence de l'utilisation des recettes de la fiscalité sur le carbone. On ne reproche pas à cette fiscalité qu'elle ne soit pas affectée, mais que la transparence fasse défaut. Il y a eu ambiguïté sur la hausse de la TICPE qui allait au budget général, de même que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) déchets.

Une de vos recommandations rejoint les sujets abordés lors de la communication de Vincent Capo-Canellas de ce matin sur la compétitivité du transport aérien. La proposition n° 8 promeut en effet la suppression de l'exemption de fiscalité de carburant des transports internationaux aériens. Il existe trois moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre : améliorer la fluidité du trafic ; accélérer le renouvellement de la flotte ; soutenir la recherche pour promouvoir l'avion électrique ou d'autres modes de propulsion. Dans le projet de loi de finances, la taxe sur le transport aérien n'est pas du tout affectée à la transition énergétique, mais à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour rembourser les pertes liées aux radars. Est-ce typiquement le bon signal pour vous ? Est-ce que cette suppression de l'exemption de fiscalité, c'est juste pour donner un signal prix ? Quelles alternatives pour le transport aérien ? Cela doit-il accompagner un mouvement ?

M. Jean-François Husson. - Merci de votre exposé. Nous assistons à des auditions qui entrent un peu dans le concret. Ce qui me préoccupe, c'est que nous continuons de parler de fiscalité écologique alors qu'il y a une urgence climatique.

J'avais alerté le gouvernement Philippe, lors de la présentation de son premier budget, sur l'écotaxe. Celle-ci avait fait l'objet d'un accord quasi unanime dans les deux chambres du Parlement. Peu importe, elle a été supprimée, avec une forme de brutalité, ce qui a envoyé un signal ravageur à l'opinion publique. Cette prime à la grogne, au rejet, au refus sans explication s'est accompagnée de doubles dépenses, ce qui a été un autre signal ravageur.

La révolte des ronds-points a concerné une minorité de Français, environ 300 000, mais une partie non négligeable de nos concitoyens, au début, s'y est retrouvée. Comment voulez-vous faire, aujourd'hui, en parlant taxes et impôts alors que l'on a évoqué le ras-le-bol fiscal sous le mandat précédent et que le Premier ministre actuel a dit qu'il n'y aurait ni taxe ni impôt nouveau ? C'est objectivement très compliqué. On demande de faire des acrobaties dans un contexte d'exaspération fiscale.

N'y a-t-il pas un risque à montrer que l'on continue à raisonner en vase clos comme si l'on n'entendait pas les sévères contestations des Français ?

Je suis lucide, mais pas suicidaire. Il faut rebattre les cartes, modifier le périmètre de nos réflexions et chercher des solutions hors de la fiscalité. Je ne participerai jamais au concours Lépine de la fiscalité verte. Je nous invite à étudier les approches normatives, à mobiliser des moyens nouveaux, notamment par la finance verte, en entrant dans des dynamiques de solutions nouvelles qui auront un effet d'entraînement bien plus fort pour les Français en les plaçant à égalité sur la ligne de départ.

Sur l'empreinte carbone, les importations posent problème. Le carbone importé n'est pas taxé or il représente 750 millions de tonnes, contre 450 millions de tonnes pour les émissions nationales. L'homme de la rue dit : « Vous marchez sur la tête ! Vous nous taxez alors que l'effort est d'abord à conduire ailleurs ». Cela consoliderait la relation positive entre les nations et l'Union européenne.

Je ne reviens pas sur la régressivité de la fiscalité écologique. Néanmoins, rappelons que les pourcentages sont importants, 20 % de 1 300 euros, ce n'est pas pareil que 2 % de 7 000 euros - c'est une lapalissade. Les efforts ne sont pas à conduire de la même manière. Là aussi, laissons l'éventail des possibilités ouvert. On a besoin de gros investissements dans le monde économique comme chez les particuliers.

Il faut faire une distinction entre les taxes énergétiques et la composante carbone. Comment vous y prendriez-vous ? Quelles solutions nouvelles ?

Ne donnons pas le sentiment de klaxonner alors que l'on est déjà dans le mur.

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci de votre exposé. Je me réjouis de notre communion de pensée avec le rapporteur général et l'une de vos propositions. Nous avons évoqué ce matin la compétitivité du transport aérien et sa transition environnementale.

Le projet d'écotaxe de l'aérien contenu dans le projet de loi de finances est en réalité une augmentation de la taxe de solidarité, donc un projet de taxe de rendement pure sans effet incitatif ni environnemental réel. Je ne sais si vous pouvez le commenter.

Je trouve votre proposition n° 8 plus réaliste. Vous dites qu'il faut promouvoir la suppression de l'exemption de fiscalité des carburants des transports internationaux aériens au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et effectivement, elle est le bon échelon pour éviter les distorsions de concurrence. Taxer dans un seul pays ou dans l'Union européenne est compliqué. Autorisez-moi un peu de malice : quel niveau de taxe applique-t-on ? Dans certains pays, le transport aérien est plus robuste qu'en France. Chez nous, l'effet d'une telle taxe pourrait être malheureusement définitif. Il faut donc réfléchir dans le cadre de l'OACI et au niveau européen.

Plus de compensations et plus d'efforts, cela suppose l'émergence d'une réglementation mondiale. L'effort demandé aux constructeurs pour un meilleur rendement énergétique et une moindre consommation devra être encadré pour que les avions français ne soient pas moins polluants, mais plus chers, et donc pas concurrentiels face à des avions américains ou chinois plus polluants, mais moins chers. Il y aurait distorsion de concurrence.

Comment peut-on promouvoir ces hypothèses et convaincre le Gouvernement de traiter le sujet comme vous le proposez ?

M. Gérard Longuet. - Je vous remercie à mon tour pour votre communication, qui a le mérite de la clarté. Vous avez choisi, pour conduire votre réflexion sur la fiscalité environnementale, le thème de l'urgence climatique, ce qui donne plus de cohérence à votre démonstration.

L'ennemi, c'est le CO2. La fiscalité carbone doit donc être dissuasive. Le Gouvernement devrait se demander s'il ne faut pas une fiscalité simple et irrémédiablement dissuasive. Si nous voulons engager notre pays tout entier contre le CO2, sur tous les fronts et dans tous les domaines, il faut être absolument certain que des procédés qui sont aujourd'hui nécessairement plus coûteux deviendront économiquement viables, sans aucun aléa. Le premier facteur d'aléa, dans l'investissement industriel, c'est la décision politique, qui vient accélérer ou reporter telle ou telle décision. Une fiscalité qui conduirait nos compatriotes à avoir une attitude différente ne peut être qu'une fiscalité de dissuasion.

Quand il est question de fiscalité environnementale dédiée, non plus à la dissuasion, mais au soutien de divers projets, on entre dans un domaine extraordinairement précaire, incertain et aléatoire. Outre l'écotaxe, on peut évoquer la politique en faveur de l'énergie photovoltaïque, de l'énergie éolienne, qui n'est tout de même pas illimitée, ou encore des différents usages de la biomasse, qui requièrent des équipements extrêmement lourds et à l'utilité économique parfois discutable.

Les pouvoirs publics sont partagés entre une attitude dissuasive, assortie d'un correctif social, et la volonté de devenir eux-mêmes techniciens. Il faut plutôt laisser à l'investisseur, quel qu'il soit, le soin de choisir ! Je choisis donc la dissuasion plutôt que le soutien, car c'est plus clair : on pose une règle, et tous s'adaptent.

La dimension internationale de l'enjeu est indéniable. Vous suggérez qu'on peut progresser à l'échelon européen. Il s'agit de pays de cultures à peu près comparables : ils se tiennent par la barbichette, ils sont amenés à converger, quoi qu'ils en pensent. Le choix allemand d'abandonner l'énergie nucléaire au profit d'énergies fossiles est évidemment contre-productif, mais on peut discuter.

Tel n'est pas le cas hors de l'Union européenne. Une bonne partie de l'amélioration de notre empreinte carbone est liée aux délocalisations industrielles, avec leur lot de fermetures d'usines et de chômage. On importe : cela soulage à court terme l'industriel français, qui se fait commerçant, mais en fin de compte on perd des emplois tout en continuant de diffuser du CO2 dans l'atmosphère, depuis l'étranger.

Certes, on peut taxer les produits d'industries émettrices à l'importation, l'Union européenne peut adopter une attitude commune envers les importations en provenance de pays non coopérants, mais quand on voit la difficulté à mettre en place une politique commerciale européenne, cela me semble être une illusion. Il conviendrait de clarifier ce que doit être une fiscalité aux frontières de l'Union européenne.

Alors, comment juguler le risque de l'empreinte qui croît, des importations qui augmentent et des délocalisations industrielles ?

Par ailleurs, vous incluez au sein de la fiscalité environnementale la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Cette fiscalité a pourtant un effet absolument contraire ! Elle taxe l'électricité, dont le mode de production, entre le nucléaire et les énergies renouvelables, est à plus de 85 % neutre du point de vue du CO2. On pénalise une énergie qui devrait gagner des parts de marché, notamment pour le chauffage, au détriment de systèmes émetteurs de CO2.

M. Thierry Carcenac. - Je souhaite revenir sur les produits fiscaux réalisés sur les énergies fossiles. Votre rapport est très précis sur la répartition du bénéfice du rendement de la fiscalité énergétique fossile. Il apparaît que seuls 22 % de ce rendement sont affectés au compte d'affectation spéciale « Transition énergétique », même si les collectivités territoriales peuvent aussi en faire des utilisations à vocation de transition énergétique. On voit donc bien que l'utilisation de cette fiscalité peut poser problème, car elle manque de transparence. Certains de nos concitoyens considèrent qu'ils contribuent déjà, au travers de cette fiscalité, à l'amélioration de l'environnement. Cela pose un vrai problème d'acceptabilité, que vous avez souligné. Par ailleurs, la diminution du recours aux énergies fossiles, que nous souhaitons tous, aura pour effet la baisse du rendement de cette fiscalité.

Présidence de M. Jean-François Husson, vice-président

M. Didier Migaud. - Nous sommes tout à fait conscients que le sujet est d'une sensibilité extrême. La question posée aux responsables politiques est la suivante : comment atteindrez-vous les objectifs que vous vous fixez vous-mêmes par rapport à cette urgence climatique ? Il faut pouvoir utiliser l'ensemble des outils permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Toutes les études montrent que la fiscalité carbone est un instrument efficace, aux côtés de la norme, ou encore des subventions. En tout cas, sans modification de la fiscalité, les objectifs déjà définis ne seront pas atteints, sans même parler des objectifs encore plus ambitieux que vous allez bientôt définir.

Certaines données ne sont pas intuitives pour l'ensemble des Français. Le poids des taxes a diminué : ce n'est pas du tout le cas dans l'esprit de nos concitoyens ! L'évolution du prix du pétrole en fonction de l'environnement international complique évidemment encore cette perception. De fait, la France se situe dans la moyenne européenne pour ce qui est de la fiscalité environnementale, après avoir longtemps été en deçà de cette moyenne.

Le sujet de l'acceptabilité est donc essentiel, et ce d'autant plus après les échecs politiques et juridiques que nous avons connus. L'écotaxe a été un formidable gâchis, que la Cour a pu mesurer. Non seulement son échec a eu un coût important, mais il a été transféré sur les automobilistes, ce qui a encore accentué ce sentiment d'aggravation de la taxation parmi les ménages affectés. On estime à 56 euros le coût moyen par ménage si la tonne de carbone est taxée à hauteur de 100 euros, mais il y a une très grande hétérogénéité des ménages en fonction de leurs revenus, et surtout de leur localisation et des moyens de transport qui leur sont accessibles. D'où les compensations qui doivent accompagner la trajectoire fiscale.

Il y a un besoin de lisibilité, de visibilité et de transparence. Tous les pays qui ont mieux réussi que d'autres dans ce domaine remplissent ces conditions, et la trajectoire qu'ils ont retenue a été progressive. La France s'est engagée dans cette voie plus tard que les autres...

M. Gérard Longuet. - Peut-être parce qu'on émettait moins !

M. Didier Migaud. - L'augmentation a donc été plus brutale. Certes, nous sommes mieux placés que beaucoup d'autres pays. Nous mettons en avant l'accompagnement nécessaire, nous prévoyons diverses compensations tout en évitant de mettre en place des usines à gaz ! Si l'on complique la compréhension de la fiscalité, l'objectif ne sera pas atteint. Il faut passer par des mécanismes plus simples, tels que les chèques énergie ; il est en tout cas impératif de ne pas compliquer la mise en place de ces dispositifs.

Quant à la transparence, nous proposons de dissocier la taxe carbone des diverses taxes sur l'énergie qui sont essentiellement des taxes de rendement. Ainsi, on pourrait contribuer à la compréhension de ces mesures et à leur acceptabilité. Une telle dissociation a été mise en place dans certains pays. On peut aussi accroître la transparence de l'utilisation du produit de cette fiscalité. La transparence doit bien être distinguée de l'affectation.

M. Jean-François Husson, président. - Oui, nous parlons de traçabilité.

M. Didier Migaud. - Effectivement. L'État pourrait établir un compte de la fiscalité carbone. Cela clarifierait les choses aux yeux des citoyens. Quant à remplacer la taxation par de la norme, celle-ci a aussi un coût.

M. Gérard Longuet. - Évidemment !

M. Didier Migaud. - Mais ce coût est caché et n'apparaît pas aussi clairement que la taxe. Il semble difficile de se dispenser d'utiliser l'outil fiscal.

Comment l'Europe peut-elle peser par rapport à d'autres parties du monde moins sensible à ce sujet ? Nous pourrions envisager un droit de douane uniforme avec les pays non coopératifs dans ce domaine, mais cela nécessite un accord unanime des pays membres de l'Union européenne. Concernant l'exonération de taxe du trafic maritime et aérien, les choses évoluent au niveau européen : les propositions de rééquilibrage rencontrent moins de blocages qu'il y a quelques années. Il faut donc continuer nos efforts dans ce sens.

M. Patrick Lefas, président de chambre honoraire à la Cour des comptes. - Le projet de loi énergie et climat fixe la neutralité carbone en 2050. Vous avez approuvé la stratégie bas carbone qui comprend la programmation pluriannuelle et les budgets carbone. Tout cela crée une obligation de réduction des émissions de 1,9 % et dès 2025 de 3,3 %. Il y a un trend de baisse, mais entre 2015 et 2018, nous avons dépassé le budget carbone de 78 millions de tonnes, ce qui crée un écart avec nos engagements.

La problématique de l'empreinte carbone doit aussi être prise en compte : elle représente en effet 1,7 fois les émissions nationales, et est en hausse de 7 % entre 1995 et 2017, la part importée passant de 10,5 tonnes à 11,2 tonnes de CO2 par habitant. C'est une des difficultés de toute politique fiscale.

La compétitivité des entreprises est évidemment importante et les quotas carbone peuvent être utiles dans ce domaine. Mais les prix sont aujourd'hui très loin du point d'équilibre. Cela doit être traité au niveau européen. La directive de 2018 en cours de transposition devrait réduire le champ. Pour les entreprises, ce qui est important, c'est la lisibilité. La taxation du carbone est clairement plus importante dans le secteur des transports que dans l'industrie, mais c'est surtout à cause de la TICPE socle, qui a été créée dans une optique de rendement et n'engage donc aucun arbitrage pour les entreprises. L'enjeu est de savoir comment faire changer cela, ce que de toute manière la directive Eurovignette nous oblige à faire. L'utilisation du GPS permet maintenant, comme le font la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche, de mettre en place une taxe kilométrique, quitte à supprimer la taxe à l'essieu, qui pénalise le transport routier national par rapport aux transporteurs étrangers.

Le transport aérien a fait des efforts : la hausse du nombre de passagers est très supérieure a la hausse de leurs émissions.

M. Didier Migaud. - Et il le fait savoir !

M. Patrick Lefas. - Les choses évoluent dans ce domaine. Les Pays-Bas ont exposé des projets de taxation. L'organisation de l'aviation civile internationale (OACI) se réveille avec le programme Corsia qui pourrait démarrer en 2023, mais les Américains s'y opposent...

Les Français ne comprennent pas que le transport aérien soit exonéré de taxe carbone, et que les produits importés de pays lointains en avion en profitent, comme les haricots du Kenya ou les divers produits chinois.

Il y a peut-être un chemin qui consisterait à rouvrir la directive européenne de 2011, abandonnée, car plusieurs pays s'y étaient opposés. Cela permettrait d'asseoir au niveau européen la disjonction entre taxation carbone et accises énergétiques et de poser la question essentielle d'une taxation à l'import sur les produits venant de pays non coopératifs, c'est à dire n'ayant pas mis en place de signal prix sur l'émission de gaz soit par la taxation soit par un système de quotas.

Les compensations doivent être faites au sein de chaque secteur. C'est ce qu'ont fait les Suédois. L'argent récolté par la taxation du secteur aérien, par exemple, devrait aider le secteur à s'adapter.

Un signal prix fixé sur une longue durée permet aux industriels de revoir les processus de production. Cela ne se fait pas en un jour. Pour les ménages, plusieurs options sont sur la table, mais il faut bien avoir à l'esprit que la taxation actuelle est une fiscalité régressive en fonction des revenus qui pénalise les revenus modestes ainsi que les populations rurales ou périurbaines. La facture énergétique est certes en moyenne de 3 000 euros, mais elle peut varier en réalité de 1 200 à 5 000 euros !

Les mécanismes qui permettraient de la compenser sont sur la table : selon les revenus, en cumulant revenus et localisation, en tenant compte de la mobilité. Nous pensons à une compensation forfaitaire, mais suffisamment longue pour atteindre les ménages les plus modestes qui ne peuvent pas arbitrer facilement une décision d'investissement de changement de voiture par exemple ou de changement de chaudière.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Au moins, vos propositions sont réalistes.

M. Jean-François Husson, président. - Nous avons compris que, de toute façon, ce serait douloureux.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Regardez la page 11 de la synthèse ; la Suède a commencé dès les années 1990 les efforts que nous voulions faire en trois ans.

M. Jean-François Husson, président. - Les Suédois ont fait de la moyenne montagne alors que nous voulons nous attaquer directement au Tourmalet !

Je retiens que l'habitat est un chantier majeur. Il y a des propriétaires modestes et beaucoup de locataires modestes. Faire de la rénovation thermique dans le locatif peut être un allègement puissant de la facture énergétique.

Je vous remercie.

La réunion est close à 18 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.