Mardi 2 juillet 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Questions diverses

Mme Sophie Primas, présidente. - Cécile Cukierman et Fabien Gay du groupe CRCE m'ont demandé de lancer des travaux sur les graves problèmes de qualité constatés par les associations d'aide aux plus démunis lors des livraisons de steaks hachés acquis par des fonds européens. Selon les informations de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ces livraisons ne poseraient pas de problème sanitaire. Toutefois, dans la mesure où elles visent directement les plus démunis et où elles proviendraient, selon les éléments à notre disposition, d'importations de viande hachée polonaise ne respectant pas les normes minimales requises, il m'a semblé important de réaliser un travail rapide mais exhaustif sur le sujet. C'est pourquoi j'ai répondu favorablement à cette demande.

Une double audition aura lieu demain. Nous entendrons les associations victimes de ces livraisons et les administrations concernées. Je vous propose de formellement nommer M. Fabien Gay rapporteur pour la commission sur le sujet, puisque c'est lui qui en a fait la demande.

La commission désigne M. Fabien Gay rapporteur sur les travaux de la commission des affaires économiques sur la qualité frauduleuse des steaks hachés fournis aux associations caritatives.

Projet de loi relatif à l'énergie et au climat - Audition de M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous accueillons cet après-midi, avec M. Didier Mandelli qui remplace M. Hervé Maurey, ainsi que les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat dont nous aurons à discuter dans les tout prochains jours.

Monsieur le ministre, nos rapporteurs puis nos collègues ici présents vous interrogeront. Je suis très heureuse de vous retrouver sur ce sujet de reprogrammation de nos objectifs de mix énergétique de notre pays. Le Sénat avait dit en son temps son scepticisme quant à la possibilité d'atteindre des objectifs hors de portée et susceptibles d'engendrer le découragement plutôt que l'enthousiasme. Ce projet de loi remet tout en perspective. Nous en sommes très heureux.

Je souhaite tout de même revenir sur les conditions d'examen de ce texte, inconfortables pour le Parlement et le Sénat en particulier. Nous avons l'habitude de travailler dans des délais contraints mais là, ils le sont à l'extrême et il sera très difficile de mener un travail de fond pour définir une stratégie énergétique à l'horizon 2050. Quelques jours ou semaines supplémentaires auraient été bienvenus.

Élaborer les dispositifs grâce auxquels nous nous engagerons résolument dans un modèle de développement plus sobre en carbone tout en préservant et en développant l'emploi et la justice sociale ne se fait pas à la va-vite, au détour d'un amendement, en réaction à l'actualité, à la hausse des prix de l'énergie, ou même à celle des températures.

Or, comme c'était prévisible, la loi d'origine a bien grandi, passant de 5 articles dans le premier avant-projet à 8 dans le texte déposé, puis à 12 après lettre rectificative, puis encore à 46 dans le texte adopté en commission et enfin à 55 dans le texte adopté en séance à l'Assemblée nationale. Nous avons découvert 43 de ces 55 articles vendredi soir or certains abordent des sujets extrêmement importants tels que la rénovation énergétique du bâti. Certains ajouts sont très substantiels. L'un des plus manifestes est celui sur l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh). Introduire cette disposition par voie d'amendement sans étude d'impact est regrettable, d'autant que ses effets structurels seront majeurs sur le marché de l'électricité, sur les prix et sur l'équilibre économique d'EDF.

Nous assistons à une complète inversion de la hiérarchie des normes : on demande au législateur, y compris lorsqu'il est question de fixer des objectifs, ce qui relève quand même du domaine de la loi, d'entériner les choix faits dans un projet de texte réglementaire, en l'occurrence la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). C'est assez étonnant. C'est l'inverse qui devrait prévaloir : la PPE doit appliquer la loi et non le contraire.

On peut espérer que la loi ajoutée dans le texte à l'Assemblée pour fixer, tous les cinq ans, nos priorités d'action en matière d'énergie, redonne toute sa place au Parlement dans le processus. C'est une disposition que nous reprendrons.

Monsieur le ministre, on pourrait imaginer que ce sont de mauvaises manières faites au Parlement. Nous n'irons pas dans ce sens car nous sommes des femmes et des hommes constructifs qui voulons que ce projet de loi aille à son terme et fixe des objectifs atteignables.

J'ai toutefois une dernière requête à vous faire. Nous souhaitons tous une commission mixte paritaire conclusive qui donnerait plus de force à ce projet de loi. Or le délai annoncé paraît peu raisonnable. Il ne nous resterait qu'une seule journée pour nous mettre d'accord sur un texte commun avec l'Assemblée nationale. C'est extrêmement important.

M. Didier Mandelli, président. - Je souhaite excuser le président de la commission de l'aménagement du territoire et de du développement durable, M. Maurey, qui ne peut être parmi nous.

Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat était, au départ, un texte avec peu d'ambitions, puisqu'en dehors de la modification des objectifs de politique énergétique pour tenir compte du projet de PPE, la seule mesure d'importance concernait la fermeture des quatre centrales à charbon encore en fonctionnement au 1er janvier 2022. Il a été renforcé sur plusieurs volets lors de son examen à l'Assemblée nationale.

La véritable programmation de la politique énergétique, qui relève de la PPE, échappe largement au débat parlementaire, alors même que les décisions prises sont décisives, qu'il s'agisse des trajectoires de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité, de la réduction de la consommation énergétique ou du développement des énergies renouvelables.

Je ne peux par ailleurs que regretter, comme la présidente Sophie Primas, le manque de considération du Parlement s'agissant des délais d'examen de ce projet de loi, extrêmement contraints alors même que le nombre d'articles a été multiplié par sept depuis son dépôt - le Gouvernement étant en partie responsable de cette augmentation.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a reçu délégation au fond, sur le texte initial, de l'article 2, portant création du Haut Conseil pour le climat - qui est en fait une consécration dans la loi d'un organisme déjà été mis en place -, et de l'article 4, relatif à l'évaluation environnementale. Elle s'est également saisie pour avis de plusieurs articles.

Le Haut Conseil pour le climat a publié la semaine dernière son premier rapport, qui souligne le décalage entre les objectifs fixés par le cadre national et international et les actions concrètes mises en oeuvre, largement insuffisantes. Quelles suites entendez-vous donner à ce rapport ? Comment comptez-vous faire en sorte d'assurer la compatibilité des lois et grands projets nationaux avec ces objectifs, comme le préconise le Haut Conseil ? Comment comptez-vous améliorer l'évaluation de l'impact des différentes politiques en termes d'émissions de gaz à effet de serre ?

Les élus locaux ne sont que trop peu associés à la définition et à la mise en oeuvre des objectifs fixés au niveau national, alors même que les villes et les territoires ont un rôle central à jouer dans l'action climatique. Avez-vous des propositions pour renforcer la cohérence des actions menées aux différentes échelles ?

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. - Merci. Je ne répondrai pas sur les questions de forme. Nous en avons déjà parlé avec madame la présidente. C'est une gymnastique complexe que de faire entrer l'examen des textes prévus dans l'ordre du jour. Je serais le premier satisfait si nous avions plus de temps pour le travail préparatoire des textes. En l'occurrence, les huit articles que j'ai présentés au conseil des ministres sont connus depuis de nombreuses semaines. Les sujets ne sortent pas de nulle part.

Ce projet de loi répond à une attente citoyenne forte, celle d'une action plus forte et plus rapide sur les enjeux écologiques en général et climatiques en particulier. La semaine de canicule que nous venons de vivre est une manifestation concrète du dérèglement climatique. N'oublions pas non plus les événements de l'automne dernier dans l'Aude, qui ont rappelé que le dérèglement climatique tue dans notre pays. Ce ne sont pas simplement des dégâts ou un inconfort. Ce sont aussi des risques. La pollution de l'air est aggravée, la formation de l'ozone étant directement due à la chaleur. Nous devons faire face à l'urgence mais aussi traiter le problème de fond. C'est l'une des ambitions de ce projet de loi, qui s'inscrit dans une action de longue durée. Depuis deux ans, ce Gouvernement a pris des dispositions, à commencer par la loi mettant fin à l'exploration et à l'exploitation des hydrocarbures. C'est un choix fort. Aujourd'hui chacun le prend pour un acquis simple et facile mais je me souviens des débats extrêmement enflammés, il y a quelques années, sur l'exploitation du gaz de schiste que certains jugeaient utile. Nous avons aussi développé des aides aux ménages, inédites, telles que la prime à la conversion des voitures, le changement des chaudières au fuel, ou des mesures de solidarité comme la hausse du montant du chèque énergie ou l'élargissement de son nombre de bénéficiaires.

La présentation de la PPE a été faite à la fin de l'année dernière. Elle constitue la stratégie française pour l'énergie. C'est vrai que l'on pourrait considérer qu'il est étrange de la présenter avant la loi mais c'est l'application des grands équilibres de la loi de 2015. Nous nous inscrivons dans cette logique. Nous avions dit lors des campagnes présidentielle et législative que ce serait dans le cadre de cette loi que nous agirions. D'autres candidats avaient appelé à son abrogation. En revanche, dès le début du mandat, nous avons dit que l'objectif de 2025 serait modifié, par réalisme, pour tenir compte de ce qui n'a pas été fait au cours du quinquennat précédent.

Le premier objectif de ce projet de loi, et non des moindres, est de fixer dans la loi notre objectif d'émissions de gaz à effet de serre, avec la neutralité carbone comme référence. Les polémiques dont celle-ci a fait l'objet ont été totalement inutiles. Certains ont osé prétendre que c'était une baisse d'ambition, alors que cette dernière est accrue par rapport à la loi de 2015 ! Nous définissons la neutralité carbone plus précisément encore que par le passé en établissant qu'il s'agit d'une division des émissions par 6, et non par 4, d'ici 2050, par rapport à l'année de référence de 1990. Par ailleurs, nous passons d'une baisse de 30 % à une baisse de 40 % de la consommation énergétique primaire d'énergies fossiles d'ici 2030.

Nous fixons, outre les objectifs, des trajectoires, dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la PPE, qui sont les outils de leur déclinaison concrète.

Nous pérennisons par la loi le Haut Conseil pour le climat, installé à la fin de l'année dernière pour qu'il puisse rendre son premier rapport dès le premier semestre, ce qui a été fait - rapport qui montre que ce Haut Conseil est indépendant. Son rôle est de dire l'état de la science en matière de gaz à effet de serre car il est extrêmement important de s'appuyer sur les données scientifiques.

Le deuxième objectif de ce projet de loi est l'adoption définitive de la PPE, qui repose sur les économies d'énergie, pour réduire notre empreinte carbone et nos importations d'énergies fossiles, mais aussi sur le développement des énergies renouvelables et la diversification de nos modes de production d'énergies - et pas seulement de l'électricité. Pour ce qui la concerne, il s'agit de réduire la dépendance française au nucléaire dans sa production en visant un taux de 50 % d'ici 2035.

Le troisième objectif est de renforcer notre capacité afin de rendre irréversible la fermeture des centrales à charbon d'ici 2022. La voie est étroite mais nous l'empruntons pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous prévoyons un accompagnement social et territorial de la fermeture de ces centrales, ce qui n'a jamais été fait par le passé. L'impact de ces centrales sur le climat équivaut à 4 millions de véhicules thermiques - sur un parc automobile de 32 millions.

Le quatrième objectif est de régler des problèmes trop longtemps laissés en suspens. C'est le cas de l'article 4 sur l'autorité environnementale. Il s'agit de mettre fin à une insécurité juridique.

Nos mesures sur les tarifs de l'électricité sont le fruit d'une réflexion. Nous ne repartons pas de zéro quant au mode de calcul des tarifs régulés de l'électricité. Nous nous sommes battus l'an dernier pour défendre le principe d'une régulation des tarifs auprès de l'Union européenne et avons réussi. Nous proposons de modifier un paramètre : celui de l'accès au nucléaire historique. Le volume était plafonné à 100 térawattheures. L'Assemblée nationale a adopté un amendement afin de pouvoir aller jusqu'à 150 térawattheures afin de peser en faveur de la maîtrise des prix de l'électricité. Si cette mesure avait été appliquée, la hausse au 1er juin aurait été de 3 % au lieu de 5,9 %.

Sur les tarifs du gaz, le Parlement a déjà délibéré et voté dans le cadre de la loi Pacte, malheureusement le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions étaient des cavaliers législatifs. Nous les réintroduisons donc.

Nous proposons des dispositifs de lutte contre les fraudes aux certificats d'économies d'énergie (CEE). Beaucoup de parlementaires ont relayé des préoccupations sur cette question.

Enfin les députés ont souhaité enrichir le texte. Évidemment, il en résulte un nombre exponentiel d'articles, mais, en réalité, beaucoup d'articles additionnels sont rédactionnels ou de précision. Certaines dispositions importantes ont été ajoutées à l'Assemblée nationale puisque le pouvoir législatif s'exerce par voie d'amendement. Beaucoup d'entre elles ont été préparées conjointement avec le Gouvernement.

La majorité de l'Assemblée nationale avait une volonté forte de légiférer sur la rénovation énergétique des logements et les passoires thermiques, partagée par des députés de plusieurs groupes d'opposition. Le dispositif s'articule autour d'une première phase d'information et d'incitation d'ici 2023, puis une phase d'obligation de travaux à partir de 2023 puis, à partir de 2028, une phase plus contraignante quant à l'application de cette obligation. Les logements classés F et G sont sept millions en France, pour moitié en locatif.

On trouve par ailleurs des dispositions sur l'information lors de la location ou de la vente de logement, sur l'obligation d'informer sur la facture énergétique et pas simplement la consommation moyenne indiquée dans le diagnostic de performance énergétique, sur l'obligation de réaliser un audit énergétique afin d'évaluer le montant des travaux de rénovation, ainsi que sur l'intégration au décret dit « décence » de la notion de passoire énergétique, pour des logements dépassant largement les classes F et G, soit environ 200 000 biens assimilables à des logements insalubres ou indignes. Les dispositions plus contraignantes pourront être intégrées dans une loi de programmation de l'énergie qui serait votée tous les cinq ans.

Nous avons aussi introduit un article qui crée les conditions d'une vraie filière de l'hydrogène dans notre pays, grâce à des mécanismes de soutien.

Je salue votre volonté d'aboutir à un bon compromis en commission mixte paritaire. Cette volonté est partagée par le Gouvernement dans la mesure où le projet de loi ne serait pas dénaturé mais enrichi. Quant au calendrier, entre le 17 ou le 18 juillet et le 25 juillet, il y a plus d'une journée, me semble-t-il.

Mme Sophie Primas, présidente. - En effet, il y a plus d'une journée mais les services du Sénat doivent écrire le texte issu de nos débats et il y a un week-end au milieu. Il restera donc 24 heures.

Loin de moi la pensée que l'Assemblée nationale doive moins légiférer. Nous aurions simplement aimé avoir les mêmes possibilités au Sénat, or dans les délais qui nous sont impartis, c'est compliqué.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je partage les propos de la présidente. Mener des auditions dans un contexte aussi compliqué, en passant de 8 à plus de 55 articles... J'aurais souhaité que le Sénat ait la même capacité que l'Assemblée nationale d'enrichir ce texte stratégique. Nous n'avons pas attendu, avec les rapporteurs de l'Assemblée, pour nous rencontrer car nous sommes animés de la même volonté.

Les assemblées ont déploré l'absence de débat de fond en amont de la PPE. Inscrire dans la loi qu'elles se prononceront tous les cinq ans sur une loi de programmation est très important.

Mes deux premières questions porteront sur les objectifs de développement des deux filières renouvelables. Tout d'abord, le Gouvernement envisage-t-il de revoir à la hausse les objectifs de développement du biogaz ? Alors que le législateur avait fixé l'objectif de 10 % de gaz renouvelable en 2030, le projet actuel de PPE prévoit des niveaux plus faibles, entre 7 et 10 %, et les conditionne à des baisses de coûts importantes, que tous les acteurs de la filière jugent inatteignables. Ne va-t-on pas détruire la montée en puissance ? Comptez-vous revenir sur ce point et faire en sorte que la PPE respecte effectivement la loi ?

La réforme des garanties d'origine du biogaz risque de déstabiliser toute l'économie de cette filière naissante. Pourquoi le Gouvernement a-t-il ajouté cette réforme dans l'urgence, sans aucune concertation avec la filière, alors que le droit européen offre d'autres possibilités ?

Sur l'éolien en mer, le Premier ministre a annoncé, dans son discours de politique générale du 12 juin, sa volonté de porter le volume des appels d'offres à 1 gigawatt par an. Mais nous ne savons toujours pas comment cette annonce se concrétisera. Allez-vous réviser la PPE et sur quelle période porte l'engagement ?

Sur le volet relatif au bâtiment, pouvez-vous nous préciser le champ et les intentions du Gouvernement dans le cadre de l'habilitation à légiférer par ordonnance pour redéfinir les bâtiments énergivores ?

Pouvez-vous nous expliquer comment l'interdiction de réviser les loyers et de demander une contribution pour travaux aux locataires pour les logements classés F et G s'articule avec le droit en vigueur ? Ne risque-t-on pas de bloquer les rénovations ? Le rapport du député Nogal comme celui de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) préconisaient d'accompagner et d'assouplir, notamment en prenant l'exemple allemand d'une augmentation jusqu'à 11 % du loyer en cas de rénovation énergétique. Qu'en pensez-vous ? Où est le volet incitatif dans la loi ?

J'en viens à l'Arenh. La Commission européenne, en 2012, a dit qu'elle n'accepterait pas que l'on fixe un prix supérieur aux 42 euros actuels tant qu'une méthode de calcul ne serait pas définie et approuvée par elle. Comment espérez-vous augmenter le prix de l'Arenh sans l'approbation de la Commission sur une telle méthode ? Je rappelle qu'un premier projet de décret lui avait été soumis il y a quelques années et qu'elle l'avait refusé. En l'état actuel du texte, nous sommes certains que le plafond de l'Arenh sera relevé, mais tout indique que le prix n'évoluera pas, alors qu'il n'a pas bougé depuis 2012. N'est-ce pas un jeu de dupes que de laisser croire le contraire ? Qu'aurait-on gagné si la baisse attendue des factures des consommateurs devait aboutir à augmenter la facture des contribuables, en tant qu'actionnaires d'EDF, si d'aventure l'entreprise n'était plus capable de financer tous ses investissements ?

Le texte renforce les moyens de lutter contre les fraudes aux CEE. C'est un bon point mais qui ne suffira sans doute pas. Comme vous le savez, du fait des cibles trop élevées fixées par le Gouvernement, le marché des CEE est aujourd'hui en tension et quand les prix montent, c'est aussi le risque de fraude qui augmente, de même que le coût du dispositif pour les ménages. On ignore bien souvent que les CEE représentent déjà 3 à 4 % des factures. Pour faire baisser la tension, et donc les prix, pourquoi ne voulez-vous pas prolonger d'un an la quatrième période sans augmenter le volume des obligations, comme les organisations de consommateurs et de fournisseurs vous l'ont demandé ? À quoi bon gagner quelques pourcents sur la facture en relevant le plafond de l'Arenh si c'est pour les reperdre du fait de la hausse des CEE, qui aura des effets dès la prochaine révision des tarifs ?

Un autre moyen de lutter contre les fraudes est de renforcer les moyens de l'administration chargée de les contrôler : le pôle national des CEE. Quelque 21 personnes seulement contrôlent 3,5 à 4 milliards d'euros de CEE par an. Ce n'est pas sérieux. Prenez l'engagement, devant nous, de renforcer les moyens humains.

Encore une fois, c'est un sujet ô combien important pour notre économie et pour nos concitoyens.

Mme Pascale Bories, rapporteure. - Comme la présidente de la commission des affaires économiques, je trouve le délai d'examen du projet de loi particulièrement court, eu égard à l'importance du sujet. Si l'urgence climatique nous impose de travailler rapidement, j'espère que les débats ne seront pas bâclés. Des personnes et des filières sont particulièrement concernées.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable est saisie au fond des articles 2 et 4 et d'autres articles additionnels, et pour avis de plusieurs autres articles du projet de loi.

S'agissant des objectifs de politique énergétique que ce projet de loi vient modifier, le rapport du Haut Conseil pour le climat, publié la semaine dernière, pointe les insuffisances de la SNBC, qualifiée d'« isolée et peu opérationnelle ». Que pensez-vous de la proposition du Haut Conseil d'inscrire dans la loi le niveau des budgets carbone afin de rendre la SNBC plus opérationnelle ?

Le projet de loi prévoit la fermeture des centrales à charbon d'ici 2022. Il me semble difficile de voir concrètement en quoi consistera l'accompagnement des salariés concernés, prévu par ordonnance : les salariés garderont-ils leur statut spécifique ? Comment leur apporterez-vous cette garantie ? Que deviendront les sites industriels concernés ? Une mission interministérielle sur la fermeture des centrales à charbon a été menée l'an dernier, mais son rapport n'a fait l'objet d'aucune publication. Comment l'expliquez-vous, alors même qu'une telle décision est loin d'être sans conséquence ?

Les usines thermiques de La Réunion utilisent 38 % de charbon dans leur mix énergétique. Or l'Outre-mer n'apparaît pas dans le texte. Qu'est-il prévu ?

N'y a-t-il pas un problème d'anticipation de la fermeture de ces centrales ? Deux ans et demi est un délai court. EDF a investi récemment plus de 3 millions d'euros pour dépolluer ses sites en s'appuyant sur un horizon de fonctionnement jusqu'en 2025. La décision est, pour eux, brutale. Ne faudrait-il pas en tirer les leçons s'agissant de la fermeture des 14 réacteurs nucléaires, dont le calendrier est précisé dans le projet de PPE ? Je n'ai rien vu à ce sujet. Il faut anticiper la reconversion du personnel dans la filière nucléaire et développer la filière du démantèlement, qui souffre d'un manque de personnel qualifié, notamment en raison d'un défaut d'attrait de la profession.

Le Conseil d'État a souligné que le Haut Conseil pour le climat s'ajoutait à plusieurs organismes consultatifs ayant une vocation voisine dans le secteur de la transition écologique. Aussi, si cette création est justifiée, à raison, par une volonté de créer un organisme indépendant capable de donner un avis sur la politique du Gouvernement, les moyens qui lui sont accordés ne sont pas comparables à ceux du comité pour le changement climatique du Royaume-Uni par exemple. Le Haut Conseil pour le climat aura-t-il les moyens de devenir le point de référence en matière climatique ?

Enfin l'article 4 du projet de loi prévoit la désignation des préfets comme autorité compétente pour examiner au cas par cas si les projets d'aménagements doivent faire l'objet d'une évaluation environnementale. Dans son avis, le Conseil d'État indique qu'il est possible de confier cette tâche à une autorité autre que l'autorité environnementale. Toutefois, il précise que, dans ce cas, cette autorité doit bénéficier d'une « autonomie fonctionnelle par rapport à l'autorité compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d'ouvrage ». Quid des projets sur lesquels le préfet procèdera à la fois à l'examen au cas par cas et à l'autorisation des projets ? N'aurait-il pas été possible de confier l'ensemble de l'examen des projets au cas par cas à l'autorité environnementale, en accroissant l'appui que les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) apportent aux missions régionales d'autorité environnementale ? L'Assemblée nationale a complété cet article pour assurer la validité des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui seraient contestés. Serait-il opportun de procéder à une telle sécurisation pour d'autres plans ou programmes ?

Enfin de nombreux débats ont mis en évidence l'inquiétude des élus et de la population face au développement, parfois anarchique, des éoliennes sur nos territoires. Si le développement des énergies renouvelables est une priorité, il ne doit pas se faire n'importe comment et la question de l'acceptabilité de telles installations par la population se pose. Ne conviendrait-il pas de prévoir un meilleur maillage territorial et de mieux encadrer le développement de ces projets ?

M. François de Rugy, ministre d'État. - Sur l'opportunité d'introduire telle ou telle disposition, je vous remercie de me demander mon avis mais ce sont les parlementaires qui sont souverains quant au dépôt et à l'adoption d'amendements.

Quelques débats ont eu lieu sur le biogaz et l'éolien en mer. Sur le premier, nous travaillons avec la filière pour faire baisser les coûts. Je le revendique. D'un côté on demande que l'on en fasse plus et de l'autre que l'on prélève moins d'impôts et de taxes, or qui dit subventions importantes dit besoins de financements importants. Le compte d'affectation spéciale « transition énergétique » est directement alimenté par la taxe carbone. Il y a un lien direct entre fiscalité écologique et soutien aux énergies renouvelables. Nous avons stoppé la progression de la trajectoire de la taxe carbone mais nous voulons maintenir une trajectoire à la hausse des énergies renouvelables. Nous faisons tout pour qu'elle se fasse avec de moins en moins de subventions. Plus les technologies sont matures, moins elles ont besoin de subventions. Sur le biogaz, aujourd'hui, le coût de production à la sortie des méthaniseurs représente quatre à cinq fois le prix du gaz fossile importé. Soit on compense la différence par des subventions, soit on surtaxe le gaz importé. Quelqu'un a dit un jour qu'il fallait une taxe carbone à 200 euros la tonne pour imposer une équivalence entre biogaz et gaz importé or nous sommes à 45,50 euros la tonne et je n'ai pas entendu grand monde demander 200 euros. Les acteurs de la filière estiment l'effort demandé trop important. Je les entends et je plaide pour augmenter les objectifs et donc les subventions. J'espère être soutenu lors des discussions budgétaires. Parfois, les mêmes trouvent qu'il y a trop de subventions pour les énergies renouvelables et demandent plus de biogaz. Ayons en tête à la fois des ambitions et du réalisme budgétaire.

Nous faisons le même raisonnement pour l'éolien en mer, qui est naissant. L'appel d'offres de Dunkerque est plutôt prometteur pour ce qui est de la baisse des prix. L'éolien flottant viendra compléter l'offre. Il faudra ensuite voir comment décliner l'objectif, rehaussé, d'un gigawatt par an.

Sur le bâtiment, nous affichons un objectif pragmatique de lutte contre les passoires énergétiques. Les règles doivent être plus claires pour que les différents modes de calcul n'aient pas d'effets pervers en retirant artificiellement des logements des classes F et G.

J'en viens aux rapports sur les rénovations. Je ne saurais trop conseiller de s'en inspirer mais vous savez qu'il y a toujours un arbitrage entre les ambitions et la mise en oeuvre, y compris par la contrainte.

Concernant l'Arenh, je ne partage pas votre raisonnement. Il est très clair que la Commission européenne ne nous reprochera pas d'augmenter le volume, au contraire. On ne peut pas entendre des dizaines de questions d'actualité et lire des centaines d'articles de presse selon lesquelles l'augmentation des tarifs de l'électricité est trop élevée et que l'on nous dise qu'il faut augmenter le prix de l'Arenh pour couvrir les coûts. J'entends la revendication d'EDF. Je ne ferme pas la porte. Le Gouvernement mènera la négociation avec la Commission européenne. L'effort sur le volume la facilitera, mais nous aurons en tête le tarif final pour le consommateur. Je me sens souvent un peu seul à tenir un discours de vérité sur les sujets sensibles des prix et des taxes.

Prolonger d'un an les certificats d'économies d'énergie sans augmenter l'obligation conduirait à baisser l'effort d'un tiers. Nous proposons donc de prolonger d'un an tout en maintenant l'effort pour éviter tout mécanisme de spéculation. Les mesures prises ces derniers mois ont d'ailleurs fait baisser les prix des certificats.

Oui, nous renforçons les contrôles. Certains, à l'Assemblée nationale, voulaient tant préciser leur mise en oeuvre qu'ils n'auraient eu aucune efficacité. Nous devons pouvoir surprendre les fraudeurs.

Oui, les budgets de la stratégie nationale bas carbone sont inscrits dans la loi, à l'article 1er bis A. Au-delà des objectifs qu'il est important de fixer clairement, il faut introduire dans la loi les mécanismes concrets pour les atteindre.

L'accompagnement de la fermeture des centrales à charbon fait l'objet d'un débat politique. Certains jugent l'échéance de 2022 trop proche. Une demande de moratoire est portée par plusieurs organisations syndicales dont celle qui est majoritaire. Nous l'avons refusée. La voie est, là encore, étroite entre l'objectif pour le climat et la sécurité des approvisionnements en électricité dont nous sommes les garants.

L'objectif est bien que les salariés soient reclassés aux mêmes conditions dans les mêmes régions. Cela me semble faisable au sein d'EDF. Pour les deux sites de Saint-Avold et Gardanne qui appartiennent au groupe Uniper, la situation est un peu plus complexe. Nous travaillons avec les entreprises. Certains salariés pourront en profiter pour se reconvertir ; ce ne sera pas le même statut mais ce peut être intéressant. Quant à la reconversion des quatre sites industriels, nous travaillons avec les élus locaux car les opportunités sont différentes.

Nous menons déjà une politique de sortie du charbon et du fuel lourd outre-mer et en Corse. Je rappelle que les PPE sont spécifiques à chaque zone d'outre-mer.

Le Haut Conseil pour le climat a déjà été doté de façon importante et nous serons prêts à augmenter les moyens si besoin.

Confier tous les projets à l'autorité environnementale, c'est la noyer sous plus de 3 700 dossiers, dont une myriade de petits projets. Nous prévoyons une procédure de tri car nous estimons qu'environ 10 % des dossiers méritent une étude d'impact. Ce n'est pas parce que les préfets signent une autorisation au nom de l'État qu'ils sont porteurs du projet. Il y a une différence entre celui qui porte le projet et celui qui l'autorise.

Nous pourrons revenir au cours des questions sur les plans de prévention des risques technologiques. Quant à l'éolien, je ne doute pas que nous aurons le débat en séance. Il faut parler franchement : on ne peut pas dire d'un côté que l'on veut développer l'éolien, qui est une technologie mûre dont le coût de production baisse et se rapproche du prix de marché de l'électricité, et d'un autre côté ajouter des règles qui freinent son développement. Je suis le premier partisan d'une juste répartition de l'éolien terrestre sur le territoire. Il y a un grand vide sur le quart Sud-Ouest français. Je l'ai dit aux présidents de région : l'éolien en mer ne dispense pas de l'éolien terrestre. Nous ne sommes pas dans un développement anarchique, il y a beaucoup de règles. Les projets sont très longs à se réaliser, d'ailleurs, car il faut croiser les différents critères - et notamment celui de l'éloignement des habitations. La carte de France des possibilités d'éolien est donc assez réduite. Sur chaque territoire, on peut réfléchir à la manière d'améliorer l'acceptabilité des projets. Par exemple, certaines éoliennes sont plus grandes, plus puissantes, et donc moins nombreuses - mais elles sont plus hautes, et donc plus visibles. Atteindre nos objectifs de production d'énergie renouvelable est un enjeu économique, industriel, énergétique et bien sûr un enjeu écologique - et un enjeu citoyen.

Mme Anne Chain-Larché. - « Mon sentiment est qu'il faut baisser les impôts », a déclaré le Premier ministre il y a quelques semaines. Au premier abord, on ne peut que saluer cet éclair de lucidité, même tardif. Malheureusement, on peut aussi douter de sa sincérité, car certains membres de la majorité parlementaire fourmillent déjà de nouvelles idées de taxes, contre une nouvelle cible : les propriétaires de biens immobiliers. Il y a quelques jours, à l'Assemblée nationale, M. Anthony Cellier, membre du groupe La République en marche et rapporteur de ce texte, a ainsi proposé une mise sous séquestre de 5 % du produit de la vente d'un bien immobilier pour financer la rénovation énergétique du logement concerné. Vous-même, monsieur le ministre, après avoir publiquement soutenu ce dispositif, êtes revenu sur vos propos face à la colère des professionnels de l'immobilier. Le Gouvernement semblerait donc avoir abandonné cette voie. Pourtant, le texte voté par l'Assemblée nationale laisse la porte ouverte à des sanctions, à partir de 2028, sans bien sûr préciser ce qu'il en sera. Si nous partageons votre combat en faveur de la rénovation énergétique, nous refusons de nouvelles taxes, car les Français en sont déjà assommés. Pouvez-vous nous assurer que le Gouvernement s'opposera à toute nouvelle taxe déguisée contre les propriétaires, et ce jusqu'à la fin du mandat ?

M. Jean-Marc Boyer. - Mes deux questions concernent autant l'écologie que l'aménagement du territoire. Récemment, une proposition de loi a été déposée par un député pour supprimer les dessertes aériennes intérieures. Il y a certes des arguments qu'on peut comprendre : libération de CO2, destruction de la couche d'ozone. Mais pour certains de nos territoires, les lignes aériennes interrégionales sont le seul moyen d'éviter un isolement mortifère, faute de dessertes routières et ferroviaires adaptées à notre époque. L'avion n'est pas un caprice réservé aux nantis mais une nécessité vitale pour les départements ruraux, qui hébergent des viviers d'entreprises innovantes et dynamiques, comme à Brest, Chambéry, Limoges, Agen, Caen, Brive, Toulouse, Montpellier, Clermont-Ferrand - autant de villes dont l'aéroport irrigue l'activité économique d'une région.

Oui, il faut changer nos modes de transport pour lutter contre le changement climatique. Pour autant, nous privilégions l'écologie incitative, et non punitive. Ne pensez-vous pas qu'il serait plus judicieux d'aider le secteur aérien à adopter une stratégie bas carbone en développant la recherche sur l'hydrogène et le bio-kérosène ? Quant au train, il n'est pas toujours la meilleure solution : qu'on pense à celui qui a mis douze heures pour relier Paris à Clermont-Ferrand ce week-end, laissant des passagers hagards sous une chaleur étouffante en rase campagne. Comment éviter ce genre de situation désastreuse, monsieur le ministre ? Avec 92 parlementaires, j'ai signé une tribune sur les dessertes aériennes intérieures. Cela nous a valu une multitude de réponses extrêmement agressives. J'ai par exemple lu quelque part : « 93 parlementaires de l'ancien monde, celui où l'on défend le mode de transport le plus nocif pour le climat (...) Retenez leurs noms, conservez ce texte, un jour il y aura des procès pour une action climatique. » Je n'accepte pas du tout ce terrorisme écologique !

M. Jean-Pierre Moga. - La semaine passée, la température a atteint des niveaux record. La vente des climatiseurs aussi. Il en ira de même à chaque pic de température. Or, si un climatiseur procure une sensation de rafraîchissement dans un espace réduit, il produit plus de chaleur que de froid et, dans certains quartiers, les climatiseurs sont responsables d'une augmentation de la température pouvant aller jusqu'à 2 degrés - ce qui est considérable quand on est au-delà des 40 degrés. Monsieur le ministre, vous avez su prendre des mesures pour limiter le nombre de voitures diesel. Qu'allez-vous faire pour arrêter la prolifération de ces appareils et inciter nos concitoyens à aller vers des solutions plus vertueuses et moins pénalisante pour le climat ? Comme ma collègue, je n'aime pas les taxes, mais si vous augmentez le prix des climatiseurs pour reverser cette augmentation à un fonds pour la rénovation et l'isolation des logements dits passoires, je vous soutiendrai !

Mme Angèle Préville. - Nous soutenons votre politique énergétique et climatique ambitieuse, mais je souhaite vous interroger sur les fermetures de centrales à charbon et de centrales nucléaires. Notre électricité est déjà très fortement décarbonée. Ces centrales, avec de grosses machines tournantes, permettent le maintien du réseau. Les centrales à charbon, finalement, ne correspondent qu'à 1 % de l'électricité produite, et nous en avons très peu. Leur fermeture est donc surtout de l'affichage, et nous aurions pu les maintenir dans la mesure où, comme nous fermons les centrales nucléaires, nous allons construire des centrales au gaz, pour disposer de ces fortes machines tournantes qui permettent de maintenir les réseaux, puisque ces centrales ne répondent qu'à des pics de consommation. Si nous remplaçons les centrales à charbon par des centrales au gaz, quel est le gain en termes d'émission de CO2 ?

Les centrales nucléaires sont vieillissantes. Elles sont soumises à l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Plutôt que de passer de 2025 à 2035, n'aurait-il pas mieux valu attendre, pour chaque centrale, que l'ASN prescrive la fermeture ? Cela aurait été plus acceptable pour la population.

L'hydroélectricité est une électricité décarbonée, garante d'indépendance, disponible immédiatement, sécurisée et qui a des vertus développées au cours des décennies, notamment pour le soutien au débit d'étiage et la gestion des crues. Sur le bien commun qu'est l'eau, l'ouverture à la concurrence et le problème des petites installations, qu'allez- vous faire pour développer ce qui permettra une transition énergétique responsable ?

Mme Sylviane Noël. - La première source d'électricité renouvelable en France est l'énergie hydraulique. Ce secteur et ses installations sont la propriété historique de l'État, qui en délègue l'exploitation à des acteurs comme EDF, qui en détient 80 %. D'ici quatre ans, 150 de ces contrats arriveront à échéance, et la réglementation européenne imposera une mise en concurrence. La France, qui détient le second parc en termes de volume, est très réticente à cette obligation, malgré de nombreuses mises en demeure. Au-delà de l'aspect énergétique, les centrales hydrauliques jouent un rôle majeur pour les territoires et leur développement, à plusieurs titres : soutien d'étiage à l'irrigation, pêche, tourisme, refroidissement des réacteurs nucléaires, prévention des risques d'inondation... Les 400 barrages exploités à 80 % par EDF jouent un rôle majeur qui dépasse largement le cadre énergétique. D'où l'inquiétude légitime des élus locaux et des populations. Il conviendrait de considérer ce secteur comme un service public et non comme un service marchand soumis à concurrence. L'ouverture à la concurrence risque d'aboutir à un morcellement du secteur et à une multiplication d'acteurs qui ne viseront que la rentabilité et fourniront donc un moindre service au consommateur. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Mme Nelly Tocqueville. - Le logement a été au coeur des débats lors de l'examen du projet de loi, car il est considéré comme un responsable majeur des émissions de gaz à effet de serre. Près de la moitié du parc locatif, classé F et G, entre dans la catégorie des passoires thermiques. Il y a donc urgence. Pour y répondre, le Premier ministre a évoqué dans son discours de politique générale la suppression du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), transformé en « une aide massive » : pouvez-vous préciser en quoi consiste cette aide massive ?

Des dispositions sont qualifiées par certains de dures. Ainsi, de l'interdiction de louer - puis de la sanction au moment de la session avec la consignation de 5 % du prix du bien - tant que les travaux ne seraient pas exécutés. Pour mémoire, les lois fondatrices Grenelle 1 et Grenelle 2, ou l'installation du Plan bâtiment Grenelle avaient déjà posé les bases d'une réflexion en mentionnant cette urgence. Elles n'ont pas eu les effets escomptés. Les mesures que vous envisagez ne risquent-elles pas, elles aussi, de décevoir dans leur application ? Comment seront-elles financées ? Pouvez-vous nous expliquer les orientations mentionnées par le Premier ministre pour relever ce défi, lorsqu'il affirme de façon sibylline qu'il faut « raisonner au-delà des normes et des obligations, même si elles sont nécessaires » ?

M. Daniel Laurent. - Notre collègue a dénoncé l'anarchie du positionnement de l'éolien sur notre territoire. Un projet d'implantation d'une trentaine d'éoliennes sur la rive droite de l'estuaire de la Gironde fait l'objet d'une vive opposition des élus et des acteurs concernés, au vu des conséquences sur les paysages et les sites remarquables de nos départements très touristiques.

Le développement de l'éolien terrestre, qui participe au mix énergétique, doit se faire dans un souci d'excellence environnementale et en tenant compte des conséquences sur les populations et sur la compétitivité des prix pour nos concitoyens. Quelle est la position du Gouvernement sur la concentration des projets dans certains territoires ? Cela conduit à un mitage des paysages et risque d'impacter des écosystèmes. Dans le cas de l'estuaire de la Gironde, notamment, nous avons besoin d'une réponse. Nous avons la chance d'avoir un patrimoine et des paysages extraordinaires : nous n'avons pas le droit de faire n'importe quoi !

Des projets de centrales photovoltaïques au sol dans des sites dégradés sont toujours bloqués en raison de la loi « littoral ». Ils ont pourtant un fort potentiel solaire, identifié dans le cadre du plan climat-air-énergie territorial, et permettraient, dans de nombreux départements, de réhabiliter des sites, comme des anciennes carrières ou des anciens stockages d'ordures ménagères. Sur l'île d'Oléron, par exemple, ces projets représentent 3 gigawatts de production électrique par an, soit 10 % de l'objectif « territoire à énergie positive » à l'horizon 2030. Vous avez indiqué à l'Assemblée nationale être favorable à une évolution qui ne détricoterait pas la loi littoral. Nous avions adopté un amendement en ce sens à la proposition de loi de développement durable des territoires littoraux. Serez-vous favorable à notre rédaction, qui modifiait le code de l'urbanisme pour permettre l'autorisation de centrales solaires au sol sur des sites dégradés définis par décrets en dehors des espaces proches du rivage ?

M. Jean-François Longeot. - Le dernier rapport de l'Organisation internationale du travail s'alarme des conséquences économiques du réchauffement climatique et développe la notion de stress thermique. Dans certains secteurs d'activités, le réchauffement climatique entraînera une perte de productivité équivalente, d'ici 2030, à 80 millions d'emplois. Si l'impact se concentrera majoritairement en Asie du Sud et en Afrique de l'Ouest, l'Europe ne sera pas épargnée. À l'échelle mondiale, les pertes économiques représenteraient quelque 2 400 milliards de dollars, avec une exposition accrue pour l'agriculture et la construction. Comment anticiper les conséquences de ce phénomène en France ? Le rapport évoque des pistes, comme la création d'infrastructures adéquates et de meilleurs systèmes d'alerte précoce lors des épisodes de canicule. Quelles en seraient les déclinaisons en France ?

Comme chaque année, les périodes de canicule sont aussi celles des pics de pollution, néfastes pour la santé de nos concitoyens. L'une des solutions préconisées dans les divers plans adoptés en France est de diminuer le prix du transport public afin de réduire la circulation automobile. La gratuité est-elle une solution pertinente pour contribuer à réduire la circulation automobile et protéger la santé nos concitoyens ? D'autres mesures limitent la circulation de véhicules anciens. Ainsi, dans le Grand Paris, depuis le 1er juillet, les véhicules immatriculés avant le 1er janvier 1997, pour l'essence, et le 1er janvier 2001 pour le diesel, ne devront plus circuler.

M. Laurent Duplomb. - Pourquoi avoir diminué de moitié les aides au changement des fenêtres - le projet de loi de finances de l'année dernière les a fait passer de 30 % à 15 %, pour 16 000 euros de travaux - alors que vous voulez lutter contre les passoires thermiques ?

À l'article 6 bis du texte que nous nous apprêtons à examiner, vous envisagez une dérogation dans la bande des 100 mètres le long des autoroutes pour poser des panneaux photovoltaïques au sol. Il est paradoxal de vouloir conserver les emprises agricoles et la biodiversité tout en donnant la possibilité de construire des panneaux photovoltaïques au sol, alors que ceux-ci seraient bien mieux sur le toit des exploitations agricoles ou des usines, où ils permettraient de rattraper les écarts de compétitivité que votre Gouvernement n'arrive pas à régler !

Il y a peu de choses sur les méthaniseurs dans ce texte. Vous dites vouloir baisser les coûts. Votre prédécesseur l'a déjà fait, grâce à la réduction de 40 % sur les coûts de raccordement. Résultat : pour un raccordement Enedis de 500 mètres, nous avons reçu une facture de 80 000 euros. Absurde ! Je pense qu'Enedis surévalue les coûts pour aller chercher une partie de ces 40 %.

Allez-vous lutter contre le dogme de l'organisme français responsable de la biodiversité, qui ne veut pas de la petite hydroélectricité ? La France dispose pourtant de 40 000 sites non utilisés, qui datent pour la plupart de Louis XIV ou de Louis XV.

M. Alain Fouché. - Nul ne doute de votre volonté d'aboutir. La Terre n'a jamais été autant en danger, comme le montre l'excellent rapport de MM. Dantec et Roux.

Sur le nucléaire, je comprends votre volonté, mais la méthode m'inquiète un peu. Vous envisagez de fermer 14 réacteurs sur 58 d'ici 2035. La centrale de Fessenheim, qui doit fermer en 2020, produit 12 milliards de kilowattheures chaque année. Les centrales à charbon, qui fermeront en 2022, produisent jusqu'à 5 milliards de kilowattheures. Techniquement, financièrement du point de vue de l'emploi, ces fermetures paraissent très difficiles à effectuer - sans parler du coût du démantèlement. Et par quoi allons-nous remplacer ces milliards de kilowattheures ? L'Allemagne rouvre des centrales à charbon. Ce ne sont pas les éoliennes ou les panneaux solaires qui feront l'affaire... Et nous ne devons pas laisser se produire des pénuries d'électricité.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le texte initial ne traitait pas de l'habitat, mais les débats ont fait émerger nombre de dispositions importantes sur ce sujet : définition de la notion de logement décent, interdiction de la révision des loyers, et surtout cette idée contre-contreproductive, aveugle et brutale - heureusement abandonnée - de mettre sous séquestre 5 % du prix de vente d'un bien, lorsque ce bien ne correspond pas aux normes, qui visait encore une fois à pénaliser les propriétaires, à les embêter et, de nouveau, à les surtaxer, comme le fait le Gouvernement depuis plus de deux ans. Avez-vous évalué l'impact de ces mesures ?

L'article 3 bis introduit dans la définition du logement décent un seuil maximal de consommation énergétique défini par décret. On peut adhérer à ce principe, mais l'absence de toute étude d'impact nous inquiète. Quel sera ce seuil maximal ? Combien de logements tiendront cet objectif ? Cela concernera-t-il uniquement le parc privé, ou également le parc social ? Les bailleurs sociaux ne peuvent plus continuer à tout faire, c'est-à-dire à la fois produire du logement et mener des opérations lourdes de réhabilitation thermique.

L'article 3 octies donne à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) le pouvoir d'accéder aux diagnostics de performance énergétique et aux données des caisses d'allocations familiales. À l'Assemblée nationale, vous avez relevé que cela était susceptible de poser un certain nombre de problèmes en termes de protection et d'accès aux données personnelles. Êtes-vous en mesure de nous rassurer ?

M. Joël Bigot. - Sur les passoires énergétiques, le texte est loin de satisfaire aux exigences de l'urgence climatique. Je pense notamment à la question de la précarité énergétique. Quand on connaît la quantité d'énergie qu'il faut pour chauffer des logements, il y a là un levier pour éviter le gaspillage. Nous sommes encore loin de la transition pour l'économie verte, qui prévoyait de rénover sept millions de passoires d'ici 2025. Il est vrai qu'un pays comme la Suède a mis vingt ans à rénover complètement son parc de logements. Le service public de l'amélioration de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) est là, justement, pour accompagner les ménages vers des solutions financières et techniques adaptées aux besoins de travaux et de rénovation. N'est-il pas temps de mettre les bouchées doubles ? Où en êtes-vous ? Le SPPEH offre une information fiable et indépendante au consommateur. De nombreux acteurs indélicats proposent de rénover des logements, ce qui induit parfois des actes de grivèlerie et développe le scepticisme chez nos concitoyens, au risque de compromettre l'opération. Avec les indices de sous-consommation ou de surconsommation qu'on peut constater chez les particuliers, on pourrait dresser une cartographie précise et un tableau de bord, qui permettraient de suivre efficacement la rénovation énergétique. Quelles mesures comptez-vous prendre pour clarifier les procédures et les financements ?

M. Serge Babary. - En matière d'éolien, l'acceptation sociale des projets fait parfois problème. On affirme souvent que l'intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers. Il se trouve justement que, pour certains territoires, l'intérêt général est la préservation des paysages, qui sont un capital touristique très précieux. Y a-t-il des procédures pour faire reconnaître cette vérité ?

M. Guillaume Chevrollier. - La question du climat est au coeur de l'actualité. La semaine dernière, je recevais des jeunes de mon département mobilisés sur les questions climatiques, et il y a beaucoup d'attentes de nos concitoyens, sur la réduction de la consommation énergétique et sur une meilleure prise en compte de la biodiversité. Ce texte est un plan climat de plus, avec son objectif de révision de la stratégie nationale bas carbone et de réduction des émissions. Nous y sommes tous favorables. La rénovation thermique des logements est un chantier majeur, qui requiert un cadre juridique stable et clair. Vous allez transformer le CITE en prime : quel sera l'impact ?

L'énergie nucléaire est faiblement émettrice en CO2. Pour atteindre notre objectif de décarbonation en 2050, nous aurons besoin d'une filière nucléaire forte. Avez-vous un calendrier pour le renouvellement du parc nucléaire français ? Quelle est la place de la recherche scientifique dans l'élaboration de ce texte ? Comment l'associer davantage à la transition énergétique ?

M. Jean-Claude Tissot. - J'avais interrogé le 24 octobre 2017 votre prédécesseur, M. Nicolas Hulot, sur la réforme du code minier. J'attends toujours la réponse. Aucune réforme d'envergure du code minier n'a eu lieu depuis, malgré la publication de quelques décrets, dont aucun ne traite directement de la gestion après l'exploitation minière. En 2018, le décret pris pour l'application de l'article L. 132 du code minier aux concessions de mines d'hydrocarbures traite, dans son article 2, de la reconversion et de l'exploitation vers d'autres usages du site, permettant d'autres usages du sous-sol, et notamment l'exploitation de la géothermie ou d'autres activités économiques, en particulier l'implantation d'installations de production d'énergie renouvelable. Les trois décrets principaux traitent respectivement des concessions de mines d'hydrocarbures, des substances de la mer ou de l'exploitation outremer et de la zone économique exclusive, et enfin de diverses dispositions en matière de géothermie et d'obligation d'assurance. De plus, l'article 67 de la loi pour un État au service d'une société de confiance habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois, toute mesure relevant du domaine de la loi en vue de réformer les dispositions du code minier relatives à l'octroi et à la prolongation des titres permettant l'exploration et l'exploitation de l'énergie géothermique. Rien ne semble être applicable directement au cas des gisements, les problèmes environnementaux voyant le jour après une exploitation minière. Quelles propositions prévoyez-vous de nous faire sur ce point ?

Des surfaces agricoles pourraient disparaître sur le plateau du Larzac en raison d'un projet photovoltaïque. Qu'en pensez-vous ?

Mme Martine Filleul. - L'État continue à financer des projets liés aux énergies fossiles à l'étranger, via des garanties d'export. Mme Batho avait réussi à faire voter en commission un amendement interdisant ces garanties à l'export pour les énergies fossiles. Malheureusement, c'est un rapport qui a remplacé cet amendement, et ce rapport ne semble pas avoir été écrit. Pourtant, il serait de bon aloi que le Gouvernement prenne des dispositions pour mettre fin à ces garanties, qui représentent plus de 1,4 milliard d'euros depuis 2015, d'après les Amis de la Terre.

Votre politique a besoin de relais dans les collectivités territoriales pour susciter une appropriation par les citoyens des dispositions nécessaires à prendre pour les économies d'énergie. Or les collectivités territoriales sont contraintes budgétairement, et cela limite l'efficacité de vos politiques. Avez-vous prévu quelque chose en la matière ?

Mme Nicole Duranton. - Je soutiens l'objectif de réduction de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030. En même temps, nous nous apprêtons à remettre 80 camions par jour sur l'autoroute, car le train des primeurs, qui chaque jour transporte par wagons frigorifiques les fruits et légumes d'Occitanie, risque de disparaître. Quelle solution allez-vous proposer pour éviter ce non-sens ?

Mon département, l'Ariège, est le cinquième département français en termes de production hydroélectrique. Mais il est quasiment impossible de faire aboutir des projets de petite hydroélectricité, car les demandes des services de l'État croissent sans limite ! L'instruction en tiroirs est décourageante, et prend des années. Nous avons des porteurs de projets, mais rien n'aboutit. Inscrire les choses dans la loi est bien, mais il serait beaucoup mieux d'agir sur les territoires.

M. Claude Bérit-Débat. - L'acceptabilité de l'éolien terrestre doit l'emporter sur les avantages économiques qui seront développés par les entreprises vis-à-vis des collectivités locales. Certains départements n'ont pas d'éoliennes car ils préfèrent défendre leur patrimoine. Il est très bienvenu de développer des méthaniseurs qui permettent à des agriculteurs de toucher des revenus complémentaires. Pour l'instant, nous sommes dans l'impasse. Enfin, il est aberrant que des moulins qui existent depuis des centaines d'années ne puissent pas fonctionner parce que, au nom de la continuité écologique, on demande d'araser les barrages !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous ne réussirons pas la transition énergétique si nous n'adossons pas nos politiques à des politiques de recherche et à des politiques industrielles. Les Français sont prêts à faire des efforts, mais à condition que cela crée du développement économique et que cela permette le développement de filières nationales. Or ces filières ne tomberont pas du ciel s'il n'y a pas une volonté publique de les accompagner ou de les soutenir. On peut toujours demander des taxes supplémentaires, faire des grandes promesses pour 2050 : cela ne marchera pas, et il n'y aura pas d'adhésion collective si les efforts ne sont pas compensés par des avantages. De plus, l'État doit être exemplaire. Où sont les engagements en termes d'investissements publics, sur le fret ferroviaire, pour les bâtiments publics, pour que la flotte des véhicules publics n'utilise plus de carburants fossiles ? Ce serait bon pour la crédibilité de l'écologie, qui n'est ni populaire ni porteuse de créations d'emplois, et génère des crispations.

Sur le logement, nous n'avons aucune étude d'impact. Cela ne fonctionnera pas, faute d'outils financiers. Les passoires thermiques sociales sont exonérées, et on n'impose rien au bâtiment, fut-il un peu ancien, qui coûte 9 000 à 10 000 euros le mètre carré, alors que les propriétaires ont les moyens d'investir pour améliorer leur patrimoine.

M. Éric Gold. - La rénovation des logements énergivores, souvent occupés par des ménages fragiles, voire précaires, a du mal à décoller. Plusieurs freins sont identifiés. D'abord, le coût des travaux, qui reste à la charge des ménages. Il y a aussi le labyrinthe administratif des subventions : trouver des fonds pour rénover sa maison relève souvent du parcours du combattant pour un néophyte, parce qu'il est très difficile de décrypter l'ensemble des dispositifs existants : aides de l'Anah, chèques énergie, combles à 1 euro, éco-prêts, certificats d'énergie, chaudières à 1 euro... Pour susciter un effet levier sur les dossiers de rénovation thermique, un développement d'ingénierie pour accompagner les porteurs de projets est-il envisageable ?

Mme Patricia Morhet-Richaud. - La simplification des normes techniques et des règlements environnementaux est nécessaire pour atteindre rapidement les objectifs ambitieux du mix énergétique français. Si le niveau de la consommation d'électricité finale est stable, les effets d'efficacité énergétique compensant les nouveaux usages, comme le véhicule électrique ou le développement de la production d'hydrogène par électrolyse, il faudra produire massivement une électricité renouvelable pour atteindre l'objectif. Cependant, les porteurs de projets se heurtent à des freins réglementaires relevant du code de l'environnement, auxquels s'ajoute la frilosité des gestionnaires de réseaux de distribution qui ont sécurisé au fil des années les conditions d'accès au réseau par une succession d'exigences qui font la norme. Cette dérive sécuritaire engendre des coûts de raccordement représentant 30 % du coût total d'une installation photovoltaïque raccordée en basse tension. Pourquoi ne pas créer un forfait incitatif et symbolique de raccordement pour toutes les installations de production inférieures à 36 kilowattheures ?

Pour favoriser les initiatives sur la gamme de puissance d'injections comprises entre 100 et 500 kilowatts-crête, pourquoi ne pas déplacer le seuil haut du tarif d'achat garanti à 100 kilowatts-crête ? Cela permettrait aux investisseurs comme aux collectivités de développer plus de projets en occupant tout le territoire national et d'alléger la procédure par rapport aux appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie. En effet, trop de projets se réalisent sur cette gamme de puissance, du fait des coûts d'étude et des incertitudes liées aux conditions d'éligibilité des appels d'offres.

M. Guillaume Gontard. - Face à l'urgence climatique, il y a urgence à agir et à diminuer notre consommation d'énergie. Or nous sommes très en retard en matière de qualité thermique des bâtiments. Pourtant, ce texte ne comporte aucun objectif clair. Rien sur les constructions neuves, notamment : on parle encore de RT 2012, de RT 2020, alors qu'on devrait fixer un vrai objectif de construction passive ou même positive, comme nous savons déjà le faire. Toujours pas de véritable obligation pour les propriétaires de passoires thermiques, non plus, et pas d'objectif de qualité : voulons-nous aller vers le E, a minima ? La vraie taxe pèse sur les locataires de ces bâtiments...

Les plateformes de rénovation thermique sur les territoires, mises en place grâce aux plans Territoire à énergie positive (Tepos) ou Territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV), ne sont plus financées. C'était pourtant un bon moyen de lutter contre la complexité administrative.

Les bailleurs sociaux sont nombreux à renoncer à des programmes de rénovation. Pensez-vous que l'on puisse mettre en oeuvre la transition énergétique sur les territoires sans moyens financiers supplémentaires ?

M. Marc Daunis. - Historiquement, la France a eu dans certains domaines une avance technologique - c'est le cas pour le solaire - qui a été suivie par un creux, faute d'investissements suffisants et de promotion. J'ai le sentiment que, sur l'hydrogène, nous commettons la même erreur. Notre recherche était en avance, et l'hydrogène est souvent oublié dans la réflexion de fond sur l'énergie. J'ai noté avec satisfaction que vous parliez de la structuration de la filière hydrogène. Ne faudrait-il pas une action beaucoup plus lisible et incitative dans ce domaine ?

M. François de Rugy, ministre d'État. - À l'idée qu'il y aurait des nouvelles taxes, ou des taxes cachées, sur l'immobilier, je répondrai que c'est cette majorité, ce Gouvernement - et contre beaucoup d'opposition - qui supprime totalement la taxe d'habitation, l'une des deux plus grosses taxes sur l'immobilier - et qui ne pèse pas seulement sur les locataires mais aussi sur les propriétaires occupants. Il n'y a jamais eu un tel mouvement d'allégement des taxes sur le logement. Et il n'y a pas de taxe supplémentaire sur les biens immobiliers. Plusieurs outils ont été évoqués. Si l'interdiction à la location des passoires thermiques suscite des réactions violemment contrastées, la consignation lors des ventes se fait déjà, par exemple pour payer la mise aux normes de l'assainissement. En Loire-Atlantique, beaucoup de logements sont au service public de l'assainissement non collectif, et leurs propriétaires prévoient une consignation pour être protégés. Cet outil n'a pas été assez travaillé et n'a pas abouti - et n'aboutira pas pendant ce mandat. Mais ce n'est pas une taxe ! Quand on met de l'argent de côté au bénéfice d'un acquéreur pour faire des travaux, ce n'est pas une taxe qui va dans les caisses de l'État, ou des collectivités territoriales. Les mots ont un sens... Nous pourrons débattre de la meilleure façon d'orienter le marché de l'immobilier pour financer les travaux de rénovation énergétique, car il y a autant de situations que de types de logement.

La suppression des lignes aériennes intérieures ne fait pas partie de la politique de notre Gouvernement, et a été soutenue par des députés d'opposition à l'Assemblée nationale. J'ai joué le mauvais rôle : il paraît tellement simple de dire aux Français qu'on a trouvé la cause du dérèglement climatique avec les lignes aériennes... Elles ne représentent que 1 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, pourtant. Bien sûr, il faut une contribution du transport aérien, car les Français n'acceptent pas qu'il y ait des secteurs qui ne contribuent pas à la lutte contre le dérèglement climatique. Mais interdire les lignes aériennes, je laisse cela à d'autres forces politiques ! Quant au procès pour inaction climatique, bienvenue au club ! Des associations traduisent l'État en justice. Là encore, il faut que les mots gardent un sens...

Contre les taxes, sauf sur les climatiseurs ! C'est un sujet, en effet. Bien sûr, nous voulons que les Français soient protégés contre la canicule. Cela ne passera sans doute pas par une taxe, plutôt par des normes. Si elle avait des climatiseurs efficaces, l'Inde atteindrait ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Nous cherchons des réductions de gaz à effet de serre partout. Notre production d'électricité est déjà très décarbonée, ce qui est une force par rapport à d'autres pays. Mais comme l'a dit la présidente du Haut Conseil pour le climat, cela nous oblige à jouer, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, sur des paramètres qui touchent directement au comportement des Français : outre l'industrie, le logement, les transports et, surtout, la voiture. Nos voisins peuvent se contenter de fermer massivement des centrales à charbon. Les Allemands, enfin, ont adopté un plan de sortie du charbon, et il faut souhaiter que les Polonais et d'autres fassent de même.

Nous ne remplaçons pas les centrales à charbon par des centrales à gaz. Je comprends les salariés de Saint-Avold, qui souhaiteraient que nous remplacions la tranche charbon que nous fermons par une tranche gaz supplémentaire. Mais notre politique n'est pas d'augmenter, même par le gaz, les émissions de gaz à effet de serre. Nous n'aurons qu'une centrale, en Bretagne, si le projet va à son terme, car il suscite de nombreux recours. Il est vrai qu'il existe des personnes qui sont à la fois contre l'ouverture de la centrale EPR de Flamanville, et qui veulent qu'on la ferme avant même que le chantier soit fini, qui sont pour la fermeture de la centrale à charbon de Cordemais, et me soupçonnent ne pas vouloir la fermer, et qui sont contre la centrale à gaz de Landivisiau ! Je ne sais pas comment ils organisent la sécurité d'approvisionnement en électricité de la Bretagne...

Attendre l'avis de l'ASN pour fermer des centrales nucléaires ? Non, ce serait se mettre en faiblesse, puisque celle-ci ne prendra jamais la décision de fermer : elle donnera un avis sur la sécurité et sur les investissements à faire.

Sur l'hydroélectricité, il faudra sans doute faire une loi spécifique. Il y a deux possibilités. La première est de procéder au renouvellement des concessions quand elles arrivent à échéance. C'est la France qui a décidé de construire des barrages, et ceux-ci sont dans le patrimoine public : pas de faux débats, ils ne seront ni privatisés ni vendus à des Chinois. Ces barrages sont concédés, selon le modèle français, inventé par notre pays - et pas par l'Union européenne. Ce que dit l'Europe, c'est que les renouvellements de concession doivent être soumis à la concurrence, et qu'EDF jouit d'une position dominante. Les barrages ne sont certes pas dans un établissement public. C'est l'inverse : ils sont concédés à des sociétés qui ont toutes un statut privé - EDF est une société anonyme cotée en bourse. Certains sont possédés par des exploitants privés. L'autre possibilité, que l'Union européenne ne nous impose aucunement, serait de créer une société totalement publique, qui pourrait gérer ad vitam aeternam des barrages, sans renouvellement concurrentiel des concessions. EDF n'étant pas une société publique, il faudrait que cette activité soit séparée des autres activités électriques.

La transformation du CITE en prime sera réalisée en deux fois, en 2020 et 2021, pour que les ménages reçoivent l'argent au moment où ils font les travaux et non pas un an et demi après, comme c'est le cas avec le crédit d'impôt.

J'ai reçu le rapport de MM. Dantec et Roux. Il y a énormément de travail à faire pour s'adapter.

Nous aurons le débat sur la fermeture des centrales nucléaires lors de la discussion de la programmation pluriannuelle de l'énergie. Nous considérons que notre politique est équilibrée. On nous accuse de faire la sortie du nucléaire - ou de ne pas la faire ! Nous revendiquons une position équilibrée, où le nucléaire garde une place prépondérante - 50 % d'ici 2035 - pour la production d'électricité.

Ce sont les bailleurs sociaux qui font le plus pour la rénovation des logements, et ce n'est pas dans leur parc qu'il reste le plus de passoires thermiques. Ils avaient prévu 3 milliards d'euros d'investissement sur une ligne de crédit de la Caisse des dépôts : nous l'avons portée à 4 milliards d'euros. Il y a donc dans ce domaine des progrès, au bénéfice des locataires.

Il y a un vrai travail à faire avec les collectivités locales puisque ce qui a été voté en 2015 n'est toujours pas effectif, monsieur Bigot.

Sur l'éolien comme ailleurs, l'intérêt général s'oppose parfois aux intérêts particuliers. Nous devons travailler pour accroître l'acceptabilité.

Nous avons un organisme de recherche, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui traite l'ensemble des sujets. Par exemple, il est extrêmement offensif sur l'hydrogène.

La réforme du code minier n'est pas l'objet de cette loi, mais j'ai été mandaté par le Conseil de défense écologique pour la conduire.

Le développement de la production d'électricité par le photovoltaïque au sol ne doit pas se faire au détriment des espaces agricoles ni des espaces naturels sensibles. Cela pose des limites et il m'arrive de refuser des projets soutenus par des collectivités locales. Sur les bords d'autoroute, il s'agit surtout de talus...

Je me suis exprimé à l'Assemblée nationale sur les projets touchant aux énergies fossiles à l'étranger. Soyons concrets : on ne peut pas mettre dans le même sac le charbon, le fioul et le gaz. Nous pourrons nous passer des trois - y compris outre-mer. Dans certains pays, passer du charbon au gaz est déjà un progrès. Si des entreprises françaises qui y contribuent font l'objet d'une garantie à l'export, cela n'a rien de condamnable. On peut tout supprimer, mais il ne faudra pas aller pleurer sur Belfort, où l'on fabrique des turbines à gaz.

Les relais dans les collectivités locales sont en effet nécessaires. Nous allons travailler avec les associations d'élus sur les meilleures contractualisations. Cela dit, il n'y pas de trésor caché. J'avais ouvert un débat sur la trajectoire de la taxe carbone. Déjà, 12 milliards d'euros vont aux collectivités locales, fléchés sur la transition écologique.

Le train de Rungis est un sujet connexe. On se retrouve à régler les problèmes qui se sont accumulés depuis des années et qu'on a laissé pourrir. Nous cherchons des solutions concrètes, y compris en faisant une délégation de service public ou avec un autre opérateur, si la SNCF n'est pas capable de proposer une autre solution que l'augmentation de 30 % du prix. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Ce n'est pas le Gouvernement qui organise les trains, qui les conduit, qui veille à ce qu'ils soient bien entretenus...

Sur le petit hydroélectrique, il ne faut pas se payer de mots. Si on peut le faire sans créer de nouveaux conflits, on le fait. Mais il y a les fédérations de pêcheurs... Je viens de rendre les décisions sur une douzaine d'appel d'offres : les prix vont de 100 à 110 euros le mégawattheure d'électricité, soit deux fois le prix du marché. Ce n'est pas une production d'électricité bon marché.

Oui, la méthanisation doit être adossée à l'agriculture. D'ailleurs, il serait bon que les budgets agricoles y contribuent, et pas simplement le budget de l'énergie.

Je ne peux pas laisser dire que notre politique n'est assortie d'aucune politique industrielle ou de recherche. Il suffit de regarder les crédits de recherche du CEA pour développer de nouvelles filières comme l'hydrogène, ou les crédits et subventions d'investissement que nous sommes prêts à mettre sur la table. Nous voudrions notamment que les batteries soient produites en Europe plutôt qu'en Chine.

L'éolien en mer ou offshore flottant est une filière industrielle française qu'on soutient, notamment par des appels d'offres à des prix très au-dessus du marché. L'usine à Saint-Nazaire de General Electric prouve que, si cette entreprise est en difficulté à certains endroits, elle peut se développer dans l'éolien. General Electric embauche à Cherbourg, tout comme Siemens au Havre, pour fabriquer des éoliennes. Et de nombreux sous-traitants et entreprises de métallurgie se sont diversifiés dans ce secteur, notamment dans les régions traditionnellement industrielles que sont la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais, où il n'y a pas que des soutiens pour l'éolien.

Sur la méthanisation, ce sont des entreprises françaises qui fabriquent les machines. La filière bois et forêts doit aussi faire partie du débat. Quant à l'hydrogène, nous ne faisons pas que de l'affichage : nous nous donnons les moyens d'apporter un soutien public à la filière, car l'hydrogène vert coûte deux à trois fois plus cher que l'hydrogène noir. En matière de batteries, on n'a jamais autant investi dans les infrastructures ferroviaires : 75 % des investissements publics sont dans le ferroviaire ! On le voit partout dans le Grand Paris, qui consiste en transports en commun, en tramways, en métros et en RER.

Nous partageons votre avis sur les freins à la rénovation énergétique, monsieur Gold, et nous procédons à des simplifications. Il faut aussi des aides adaptées aux différentes situations, mais le barème doit être clair, stable et connu - mais modulé en fonction des revenus.

Un député d'un groupe minoritaire à l'Assemblée nationale, mais majoritaire au Sénat, m'a fait des reproches sur les frais de raccordement, disant que c'était une façon de cacher les coûts du renouvelable. Nous assumons de mutualiser les coûts, tant sur l'électricité que sur le gaz, pour contribuer au bon fonctionnement global de nos réseaux et de l'approvisionnement.

Oui, il y a urgence à agir. Je ne peux pas laisser dire qu'on ne fait rien sur les constructions neuves ! Nous révisons la réglementation thermique 2012 afin de la transformer en une réglementation environnementale 2020 plus globale, qui intégrera l'empreinte carbone de la construction - ce qui obligera à sortir du tout-béton - et sera effective en 2020.

C'est moi qui ai rétabli l'aide aux fenêtres, qui avait été purement et simplement supprimée. Les professionnels du bâtiment et les artisans nous ont indiqué que, pour certains, c'était important. L'aide est moins importante qu'avant, car ce n'est pas le geste le plus efficace, ni celui qui produit le plus d'économies d'énergie ; mais c'est un geste d'économie d'énergie, et beaucoup de Français entrent dans les travaux par ce biais.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. Nous aurons des débats intéressants dans l'hémicycle !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Qualité frauduleuse des steaks hachés fournis aux associations caritatives - Audition de MM. Jacques Bailet, président du réseau des Banques alimentaires, Olivier Grinon, membre du bureau national du Secours populaire français, Patrice Blanc, président des Restos du Coeur, et Mme Anne Bideau, directrice des activités bénévoles et de l'engagement de la Croix-Rouge française

Mme Sophie Primas, présidente. - Le 7 juin dernier, nous apprenions que des steaks hachés présentant de graves problèmes de qualité avaient été livrés dans le cadre d'un marché public financé par le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) aux quatre associations caritatives chargées de la distribution de ces produits.

Si l'enquête menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a pu « écarter tout risque sanitaire concernant ces steaks hachés », elle a constaté une très mauvaise qualité de ces produits, notamment un excès de gras, une mauvaise qualité des tissus et des défauts dans la composition du produit.

Victimes de cette livraison, les associations caritatives ont signalé les anomalies et interrompu la distribution de ces denrées. Leur vigilance et leur réactivité doivent être saluées.

L'enquête aurait en outre révélé que les steaks hachés concernés, acquis par FranceAgriMer dans le cadre d'un marché public avec une société française, ont été fabriqués, après externalisations successives, par un industriel polonais.

Outre le caractère immoral de cette affaire, notamment en ce qu'elle concerne les citoyens les plus démunis, elle fait apparaître, une nouvelle fois, un problème de conformité des importations alimentaires aux normes minimales requises en France. C'est pourquoi j'ai répondu favorablement à la demande de M. Fabien Gay et du groupe CRCE de faire toute la lumière sur cette affaire.

Notre rôle n'est pas d'empiéter sur la mission de la justice. Je rappelle qu'une enquête de la DGCCRF est en cours. Elle pourrait conclure, selon les éléments transmis à ce stade, à des soupçons pour tromperie en bande organisée, délit pénal susceptible d'être puni de sept ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende aux termes de l'article L. 454-3 du code de la consommation.

Notre mission n'est pas de faire de notre assemblée un tribunal mais bien d'avoir une vision exhaustive des faits, d'analyser et de valoriser ce qui a fonctionné dans le mécanisme d'alerte et, bien sûr, de repérer les principaux dysfonctionnements dans le but de proposer des correctifs. Notre objectif commun doit être d'éviter que ces faits se reproduisent à l'avenir.

Dans cette optique, nous recevons aujourd'hui les associations victimes de cette fraude puis, dans un second temps, les administrations concernées. Je remercie les quatre organismes habilités à distribuer des denrées du FEAD d'avoir accepté notre invitation. Nous entendrons M. Jacques Bailet, président du réseau des Banques alimentaires, M. Olivier Grinon, membre du bureau national du Secours populaire français, M. Patrice Blanc, président des Restos du Coeur, et Mme Anne Bideau, directrice des activités bénévoles et de l'engagement de la Croix-Rouge française.

Après nous avoir rappelé les faits dont vous avez été, entre autres, les victimes, pourriez-vous nous faire part des difficultés auxquelles vous avez été confrontés en raison de la qualité des denrées alimentaires livrées ? Plus généralement, quels sont les points forts et les dysfonctionnements que vous constatez en pratique dans la distribution des denrées du FEAD et quelles pistes suggérez-vous de suivre pour améliorer les procédures ?

M. Jacques Bailet, président du réseau des Banques alimentaires. - Le FEAD est très important pour les Banques alimentaires car il représente 25 % de nos approvisionnements et apporte de la diversité nutritionnelle. Comme nous n'achetons aucune denrée, nous trouvons grâce au FEAD des denrées que nous ne trouvons pas ailleurs telles que des protéines animales. Les personnes qui subissent la précarité alimentaire mangent de façon déséquilibrée. Nous distribuons seulement 8 % de protéines animales et le FEAD nous aide à atteindre notre cible de 12 %.

Cet événement grave a concerné, pour les Banques alimentaires, 480 tonnes de viande, soit 9 millions de steaks.

Les associations ont été à la manoeuvre et un peu seules. Nous avons, collectivement, été à l'origine de l'alerte. Avec la Croix-Rouge, nous avons pris l'initiative, sur nos fonds propres, de faire réaliser des analyses. Nous avons ensuite alerté l'administration centrale qui nous a répondu : « Ni la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ni FranceAgriMer ne possèdent de compétences en matière sanitaire, aussi nous ne pouvons donner aucune consigne concernant la distribution. » En résumé : « Débrouillez-vous ! » Nous avons arrêté la distribution proprio motu, sans directive claire de nos tutelles.

Nous sommes seuls vis-à-vis du fournisseur. Quelque 340 tonnes sont stockées en chambre froide, ce qui a un coût. Une fois encore, on nous dit de gérer directement les relations avec le fournisseur et de lui transmettre les factures dont nous souhaitons le remboursement. Ce n'est pas normal.

Depuis plusieurs années - notre rapport d'exécution du FEAD de 2017 le montre très clairement -, les Banques alimentaires alertent leurs tutelles sur le fait qu'elles ont toujours affaire aux mêmes traders, que l'on ne voit pas apparaître de processus clair de certification, d'assurance qualité, de politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ni de traçabilité. Nous les avons alertées cinq fois. La réponse est : « Circulez, il n'y a rien à voir ». Si ! In fine, ce sont les gens en grande précarité qui sont victimes. Mes propos sont teintés d'indignation car la situation était prévisible.

M. Olivier Grinon, membre du bureau national du Secours populaire français. - Merci de nous donner la parole. Cet échange est important.

Quelques éléments de contexte : le Secours populaire, créé en 1945, rassemble plus de 80 000 bénévoles qui agissent dans l'esprit des droits de l'Homme. Nous sommes une association généraliste qui assure plusieurs types de soutien : aide alimentaire et matérielle, accès aux droits, à la santé, au logement, aux vacances et aux pratiques culturelles et sportives. Nous accueillons plus de trois millions de personnes en France. Ce chiffre est le reflet de notre action mais c'est surtout le reflet d'une aggravation constante de la pauvreté dans notre pays et ce, depuis plusieurs décennies. Notre association, décentralisée, compte 96 fédérations et plus de 660 comités locaux. Nous sommes un mouvement d'éducation populaire ; notre approche est pensée comme un projet d'émancipation qui redonne confiance en soi et goût d'agir. Nous refusons toute forme d'assistanat. C'est l'une des conditions de la réussite d'une relation constructive avec les personnes que nous aidons. Nous sommes une association de collectage, indépendante, qui favorise le développement des solidarités.

En matière alimentaire, nous avons aidé plus d'1,8 million de personnes en 2018, en augmentation de près de 52 % depuis 2008. Nous distribuons 62 500 tonnes de produits alimentaires. Le FEAD représente 35 % de nos approvisionnements. Le reste provient de l'industrie agroalimentaire, des enseignes de distribution, du monde agricole et des collectes. La distribution s'effectue en libre-service. Nous essayons de faire très attention à l'équilibre nutritionnel, qui est une préoccupation constante car les personnes aidées sont souvent malnutries.

L'aide alimentaire s'inscrit dans un projet plus global. C'est la porte d'entrée vers d'autres domaines comme les vacances et l'accès aux droits. À ce titre, le FEAD est irremplaçable. Il faut le préserver à tout prix. Or il est gravement menacé dans les années qui viennent. Nous en sommes très préoccupés et souhaitons que toutes les mesures utiles soient prises pour préserver une aide alimentaire de qualité et que ce type de fraude ne se reproduise pas.

M. Patrice Blanc, président des Restos du Coeur. - Je m'associe totalement aux remarques des représentants des autres associations. Plus de cinq millions de personnes, en France, sont susceptibles d'avoir accès à l'aide alimentaire. C'est une population extrêmement importante et très sensible, ce qui rend d'autant plus scandaleux ce qui vient de se passer.

Le FEAD représente 25 % des produits alimentaires distribués par les Restos du Coeur. C'est un outil indispensable à l'équilibre nutritionnel qui apporte des garanties dans l'approvisionnement des denrées pour les associations que nous sommes car la récupération du gaspillage alimentaire, qui est une autre source importante pour nous, est plus aléatoire.

Nous avons réagi de façon coordonnée avec les autres associations dès que nous avons constaté le phénomène. Aux Restos du Coeur, 230 tonnes de steaks hachés sont stockées à ce stade dans nos frigos, à nos frais. Nous ne savons pas encore combien de temps nous allons devoir les garder. Nous avons déposé plainte. Le fournisseur demandera des contre-expertises. Le processus risque donc d'être long. Nous avons en outre dû acheter 300 000 euros de steaks de remplacement.

Le point fort du FEAD est la gamme de produits proposés. Certaines critiques soulignent que le FEAD offre une gamme plus vaste en France que dans d'autres pays, mais l'équilibre nutritionnel nécessite une diversité de produits.

Vous m'avez interrogé sur les améliorations possibles. Il faut être bien plus précis dans les termes des appels d'offres et prévoir des clauses de qualité et des actions possibles en cas de défaut de celle-ci. Nous sommes manifestement face à un cas de fraude puisque les premiers lots étaient de qualité tout à fait correcte, comme pour endormir la vigilance. Il nous paraît important de passer des marchés pluriannuels pour pouvoir assurer un suivi et réagir de manière plus importante.

Il est scandaleux de faire à nouveau appel au même fournisseur. Je comprends que ce soit le cas de la société française Voldis, mais il est probable qu'elle traitera avec le même sous-traitant polonais, qui est déjà connu pour une affaire sanitaire de steaks à la salmonelle survenue il y a quelques années. On marche sur la tête.

Mme Anne Bideau, directrice des activités bénévoles et de l'engagement de la Croix-Rouge française. - J'abonde dans le sens de mes confrères.

La Croix-Rouge française est un acteur associatif de l'économie sociale et solidaire avec plus de 600 établissements du secteur sanitaire, social et médico-social. S'y ajoutent les activités menées par 60 000 bénévoles, dans les domaines de l'urgence, du secourisme, de l'éducation populaire et de l'action sociale, soit une quarantaine d'activités différentes parmi lesquelles l'aide alimentaire.

Nous gérons un plus petit volume de denrées que nos collègues. Nous avons la spécificité de recevoir directement au niveau national les denrées issues du FEAD pour sept départements, alors que dans tous les autres départements de métropole, nous les recevons via la Banque alimentaire avec qui nous avons une excellente collaboration.

Je ne peux que me joindre au sentiment de solitude exprimé par M. Bailet. Nous avons été assez seuls, ce qui a créé beaucoup de confusion parmi les bénévoles. Ce laps de temps regrettable a mis à mal notre relation de confiance avec les personnes que nous accompagnons au quotidien. Il faudra les rassurer. L'image de l'aide alimentaire a été écornée - l'aide européenne en particulier -, alors même que nous discutons des prochains budgets de l'Union européenne. Cette affaire a provoqué des difficultés internes, financières ou logistiques. Nous sommes en cours de dépôt de plainte.

Le FEAD nous apporte une diversité de produits, ce qui est très important pour assurer l'équilibre nutritionnel, même si je regrette que la gamme ait diminué ces dernières années afin, probablement, de réduire la charge de travail de FranceAgriMer. Le FEAD apporte aussi de la prévisibilité. Avec les dons des grandes surfaces, la ramasse ou les collectes, on ne sait pas ce qu'on va recevoir, alors qu'avec le FEAD le calendrier est connu à l'avance, sur un an. Il apporte 20 % de nos ressources qui sont complétées par des dons, des achats et ce que l'on ramasse, c'est-à-dire le produit de la lutte contre le gaspillage.

En revanche nous rencontrons des difficultés dans l'exécution du dispositif. Le dialogue est correct mais pourrait être approfondi. Nous qui sommes des experts pourrions être entendus quant à la façon dont les achats sont effectués.

Pour lutter contre les fraudes, il faut prévoir des clauses plus précises et donner plus de place aux critères de qualité. Sur beaucoup de produits, seul le critère de prix est pris en compte. Il faudrait mener plus de contrôles dès réception des livraisons ainsi que des tests gustatifs sur l'intégralité des produits, même non transformés.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je remercie la présidente d'avoir accepté cette série d'auditions.

Nous sommes parlementaires mais aussi élus locaux et nous connaissons votre travail sur le terrain et le saluons. Nous menons cette série d'auditions, non pour nous dresser en tribunal parlementaire, mais pour mieux comprendre et surtout émettre des propositions afin que cela n'arrive plus. Vous êtes, avec les bénéficiaires de l'aide, les principales victimes de cette affaire.

Le lien de confiance devra être recréé. Quels débats avez-vous eus avec les bénéficiaires ? Cette affaire, révoltante, a touché un million de personnes. Quel est le climat au sein des équipes ? Comment gérez-vous la pénurie ? Vous possédez encore les stocks mais ne les distribuez plus.

Pourriez-vous être associés à FranceAgriMer pour rédiger le cahier des charges ?

Comment les contrôles s'effectuent-ils aujourd'hui ? Les jugez-vous trop légers ?

Vous dites que vous vous êtes retrouvés seuls lorsque le problème est survenu. Combien de temps s'est écoulé entre les premières alertes et le retrait des steaks ? Chaque association s'est-elle débrouillée seule ? Quels process préconisez-vous ?

M. Laurent Duplomb. - Il n'y aura pas d'ambiguïté dans mes propos : les associations caritatives françaises sont irréprochables dans cette affaire. En revanche, j'ai publié un rapport il y a quinze jours qui montre que notre agriculture perd des parts de marché pendant que tous les jours, nous ouvrons davantage la porte aux importations. L'exemple dont nous parlons aujourd'hui est ce que nous constaterons de plus en plus dans les années à venir.

Quand on cloue au pilori notre modèle agricole et qu'on lui réclame sans arrêt de monter en gamme, on divise de facto les Français entre ceux qui ont les moyens d'avoir une alimentation hyper qualitative et ceux qui ne les ont pas et dont la seule possibilité sera de consommer des produits étrangers.

Il est consacré, tous les ans, seulement 10 millions d'euros - soit une semaine de recettes du loto - au contrôle des produits importés. Contraindre sans arrêt nos agriculteurs avec plus de normes sans se donner les moyens de contrôler que les produits importés, c'est accepter de faire entrer chez nous des produits qui ne correspondent ni à nos standards, ni à nos normes et qui concurrencent les produits français de façon totalement déloyale.

M. Bernard Buis. - Avez-vous ressenti de la défiance vis-à-vis de vos organisations ? Avez-vous constaté le départ de vos bénéficiaires et si tel est le cas, comment les récupérerez-vous ? Quels sont les contrôles actuels lors des livraisons ? Comment vérifiez-vous que le cahier des charges établi est bien exécuté ? J'étais gestionnaire dans un collège. Nous avions des cahiers des charges précis, des fiches pour chaque denrée livrée et le magasinier vérifiait que toute la livraison était conforme à ce qui avait été prévu, quitte à refuser des marchandises. Avez-vous assez de personnels pour faire de même ?

Mme Cécile Cukierman. - Il était important de vous entendre car, au-delà de ce scandale, il y a plusieurs urgences. Vous avez tous évoqué le sentiment de solitude que vous avez éprouvé face à cette situation et les difficultés liées au cahier des charges et à ses dérives.

Les bénéficiaires ont-ils exprimé de la défiance ou modifié leur régime alimentaire ? L'objectif du FEAD est d'apporter un équilibre alimentaire aux bénéficiaires. Cette affaire ne va-t-elle pas tout fragiliser ?

Tout cela nous amène à revoir le rapport entre l'agriculture et l'alimentation afin de ne pas exclure davantage à l'avenir. Je suis d'accord avec les propos de Laurent Duplomb : certains bénéficieront de produits de qualité recueillant tous les labels possibles et les autres n'auront que les restes de ce qu'il y a à manger sur la planète.

M. Daniel Gremillet. - Je rends hommage au travail réalisé au quotidien par les associations. L'aide alimentaire dont nous parlons est financée par le contribuable. Elle est complètement distincte des dons alimentaires des entreprises locales aux associations. Nous sommes dans l'Union européenne mais tout le monde n'a pas les mêmes règles de mise sur le marché. Imaginez-vous une déclinaison par État membre des règles européennes ou non ?

L'affaire jette indirectement le discrédit sur l'alimentation française. Il y a une faille. Il faut mettre en place un contrôle de qualité avant même la distribution des lots. Comment mieux sécuriser cette dernière ?

Mme Anne-Marie Bertrand. - Merci aux associations qui s'occupent des plus fragiles. La ministre Agnès Pannier-Runacher a déclaré au micro de RTL qu'il était hors de question que ce type d'attitude se reproduise. Des services, des règles existent. J'en déduis alors qu'il faut vous attribuer plus de moyens. En avez-vous reçus entre-temps ? Quelles procédures ont été mises en place pour que de tels faits ne puissent plus se reproduire ? Comme mes collègues, je plaide pour que nous privilégiions l'alimentation française.

M. Jacques Bailet. - Pour notre part, nous ne distribuons pas directement les aliments.

La chronologie est la suivante : le 21 février, nous avons été alertés par la banque de Lannion, dans les Côtes-d'Armor, elle-même alertée par des bénéficiaires ; après avoir procédé à des analyses, nous avons alerté le 19 mars la DGCS, puis communiqué les résultats des analyses le 25 mars et, le 5 avril, nous avons reçu une réponse qui nous informait que la DGCS n'était pas compétente. Quelques jours plus tard, le 9 avril, nous avons pris sur nous d'interrompre la distribution, ce qui n'a pas été une décision facile. Certaines associations n'ont pas compris, d'autres ont cru au contraire qu'il y avait un très grave problème de santé. Il eut été normal que l'administration donne une directive claire et ne laisse pas chacun adopter sa propre politique. Face au fournisseur, nous sommes livrés à nous-mêmes, dans un rapport de force. Alors que nous n'avons pas de lien contractuel avec lui, on nous dit de lui envoyer les factures.

Le FEAD représente 85 millions d'euros annuels pour la France, dont 85 % financés par l'Union européenne et 15 % par l'État français.

Des pistes sont esquissées dans le rapport d'exécution du FEAD de 2017. Elles sont simples : contrôle qualité, assurance qualité, politique de RSE et bilan carbone sont autant de critères qui pourraient être inscrits dans le cahier des charges européen afin de monter en gamme. Le critère du bilan carbone favoriserait les producteurs français.

M. Olivier Grinon. - Les personnes aidées ont une relation de confiance avec nous, tissée au fur et à mesure des distributions. Il a fallu parler, échanger. Cette affaire est d'autant plus dommageable que nous avons constaté une augmentation de la qualité des produits du FEAD au fil du temps, surtout grâce à leur diversité. Avec la politique agricole commune, nous avions quatre à six produits. Avec le FEAD, nous en avons près d'une trentaine.

Pour revenir au cas d'espèce, nous avons probablement affaire à une fraude manifeste.

Mme Sophie Primas, présidente. - Une suspicion de fraude ! Nous ne sommes pas un tribunal.

M. Olivier Grinon. - Nous sommes des spécialistes de l'aide aux personnes. Le contrôle ne fait pas partie de nos compétences. Nous préférons le laisser aux structures de l'État. Le FEAD implique une gestion administrative très lourde pour les associations qui doivent rendre compte au kilogramme près sur des volumes de plusieurs tonnes, ce qui est très contraignant. Il ne faudrait pas que nous pâtissions d'une charge accrue des contrôles.

M. Patrice Blanc. - Les équipes de nos quatre associations communiquent ensemble au quotidien sur le dossier du FEAD. Dès les premières alertes des personnes accueillies aux Restos du Coeur, nous avons contacté la Croix-Rouge, les Banques alimentaires et le Secours populaire. Les démarches ont été faites de façon très coordonnée.

Tout de suite, nous avons diligenté des premières analyses pour vérifier qu'il n'y avait pas de problème sanitaire. Nous avons été rassurés sur ce point et n'avons pas déclenché une alerte générale qui aurait paniqué bien davantage les personnes accueillies. Nous avons ensuite pu proposer d'autres protéines que la viande et avons acheté en direct d'autres steaks hachés, bien plus chers.

Lorsque les produits arrivent dans nos entrepôts départementaux, ils font l'objet d'un contrôle de conformité par le responsable de l'entrepôt. Comme nous recevons des palettes entières de produits surgelés, le responsable ne vérifie pas chaque lot. Il est donc possible que nous commencions à stocker des produits non conformes. Lors de la distribution dans les différents centres, nous effectuons à nouveau un contrôle. C'est à ce moment-là que nous avons constaté un problème de couleurs anormales.

Nous n'avons pas constaté de défiance nouvelle de la part des personnes accueillies. En revanche, nous avons perçu de l'étonnement et du mécontentement.

Mme Anne Bideau. - Je rejoins les propos de mes collègues. La relation contractuelle avec les fournisseurs est du ressort de l'État. C'est sa responsabilité de mener les contrôles. Nous aimerions qu'ils soient plus rapides, dès la livraison des produits et non quelques mois plus tard. Nous contrôlons, à la réception, la quantité de produits, leur surgélation, la conformité de l'emballage, nous vérifions qu'il correspond à la fiche produit, mais nous n'analysons pas le produit lui-même.

Nous avons cofinancé certaines analyses, donc la chronologie est similaire. En revanche, nos calendriers de livraisons étant un peu décalés par rapport à ceux des autres associations, nous avons reçu les alertes avant la distribution des produits dans les départements gérés au niveau national.

La relation avec les bénéficiaires n'a pas été altérée car nous travaillons sur d'autres sujets. Méfiance et colère se sont exprimées vis-à-vis du système, des injustices de la société et non vis-à-vis de nos associations, où le dialogue et l'accompagnement sont constants.

M. Michel Raison. - À quel moment êtes-vous mis au courant du prix d'achat ? Un prix anormalement bas peut représenter un indice.

Faisons très attention à ne pas mélanger deux thèmes : la montée en qualité, que tout le monde souhaite, et la fraude.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quel est le coût du steak pour vous ? Avez-vous constaté une diminution du prix ou une stabilité ? Aujourd'hui, quel est le poids de vos associations dans la distribution alimentaire aux plus démunis ? Existe-t-il une coordination de l'ensemble des associations de ce secteur, petites ou grandes ? Entre la DGCS, la DGCCRF et FranceAgriMer, je perçois un triangle des Bermudes qui empêche de gérer de manière optimale toute crise.

M. Jacques Bailet. - Il y a 4,8 millions de personnes concernées par l'aide alimentaire. Les Banques alimentaires sont un outil de mutualisation pour 5 400 associations s'occupant directement de près de 2 millions de bénéficiaires. Il existe, à côté, trois têtes de réseaux intégrés, de l'amont jusqu'à la distribution.

Nous connaissons le prix ex post. On attribue à chaque tête de réseau un budget et ensuite on établit une liste suivant le prix des denrées dont certaines ont des cours mondiaux. On sait, à l'issue des appels d'offres, combien on a obtenu de lait, d'huile, de farine, etc.

Nous n'avons pas vu de modification sensible du prix du steak depuis deux ans. Il est de 3,50 euros le kilo.

Mme Sophie Primas, présidente. - On peut imaginer que vous-mêmes êtes sensibles aux prix et qu'il y a un équilibre à trouver entre le prix et la quantité.

M. Jacques Bailet. - Honnêtement non, la qualité n'est pas négociable.

M. Patrice Blanc. - C'est ex post que nous constatons le prix, qui n'a pas beaucoup varié par rapport aux années précédentes. Nous avons acheté des steaks de remplacement à un peu plus de 4 euros le kilo, donc au-delà du prix de l'appel d'offres. La différence peut paraître faible mais nous raisonnons sur des centaines de tonnes.

Mme Anne Bideau. - Le prix n'a pas varié par rapport aux années précédentes où nous n'avions pas de problème de qualité. Nous ne sommes pas en mesure de juger des origines du prix et n'avons pas de méfiance spécifique.

M. Olivier Grinon. - Les associations n'achètent pas les produits. Les prix sont indicatifs. Nous sommes en relation avec FranceAgriMer qui est propriétaire des produits jusqu'à ce qu'ils nous les donnent.

En tant qu'association, un prix bas nous permet de distribuer une plus grande quantité de produits avec la même somme d'argent. Ce n'est pas une mauvaise nouvelle.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le FEAD a été mis en danger et il faudra se battre pour le conserver. Ne lui jetons pas l'opprobre. Mais il y a une contradiction. On veut à la fois un grand volume et de la qualité. Ne faut-il garder que l'indication de prix ? Souhaitez-vous être associés à l'élaboration du cahier des charges ?

Comment gérez-vous la pénurie ? J'imagine qu'aucun fonds n'a été débloqué.

M. Alain Duran. - Vous avez été obligés d'assurer le remplacement des produits. Le stockage des 340 tonnes restantes vous coûte. Aurez-vous des difficultés financières ? Comment imaginez-vous la suite ?

M. Jacques Bailet. - S'agissant de la pénurie, chaque réseau a des réponses différentes. Nous n'achetons aucune denrée, donc la pénurie subsiste : nous n'avons pas de produit de remplacement sinon les autres protéines animales.

On écoute nos suggestions. Mais nous n'avons pas la capacité de piloter des marchés publics européens de ce montant.

Quant aux finances, non seulement nous n'avons reçu aucun fonds mais nous déboursons tous les mois des frais de stockage. Entre ces derniers et les frais de gestion, nous avons déboursé 150 000 euros. S'y ajoutent les 141 000 euros de frais occasionnés par les 45  tonnes de nourriture du FEAD pour 2019 qui nous arriveront en plus à partir du 15 juillet.

M. Patrice Blanc. - Je confirme ces propos. Les Restos du Coeur s'en sont sortis en dépensant de l'argent. Actuellement nous risquons le sur-stockage puisque nous allons bientôt recevoir les stocks pour 2019, or nous conservons encore les steaks qui font l'objet d'une suspicion de fraude.

Mme Anne Bideau. - Nos associations souhaitent être associées à la réflexion sur le cahier des charges, lequel, outre le critère de prix des produits, doit considérer leur qualité en incluant une dimension de développement social. Nos recommandations gagneraient à être entendues.

M. Olivier Grinon. - S'agissant du sur-stockage, il convient de rappeler que la conservation des produits surgelés coûte près de 50 % de plus que celle des produits secs.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions pour votre témoignage et pour l'action que vous menez sur nos territoires au bénéfice des plus démunis. Vous avons entendu vos demandes et vos propositions, que nous pourrons relayer auprès des services de l'État.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Qualité frauduleuse des steaks hachés fournis aux associations caritatives - Audition de Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, M. Jean-Philippe Vinquant, directeur général de la cohésion sociale, Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous recevons maintenant Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dont les services ont réalisé une enquête sur les faits incriminés, M. Jean-Philippe Vinquant, directeur général de la cohésion sociale, l'autorité de gestion du FEAD en France, et Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer, opérateur chargé de l'achat des denrées alimentaires financées par le FEAD et livrées à des organisations partenaires habilitées au niveau national. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation afin de faire la lumière sur les faits ayant mené à la distribution de denrées alimentaires financées par le FEAD aux personnes les plus démunies, alors que ces produits ne répondaient pas à la qualité minimale requise.

Notre rôle n'est pas d'empiéter sur les enquêtes en cours ni de faire de notre assemblée un tribunal. Nous souhaitons, en tant que parlementaires, disposer d'une vision exhaustive des faits afin de repérer les principaux dysfonctionnements qui ont mené à cette situation. Que l'entreprise attributaire du marché public en question ait fraudé constitue un élément que la justice appréciera le cas échéant ; il n'est pas de notre ressort de nous saisir du sujet. En revanche, que les administrations concernées n'aient pas pu détecter les anomalies plus en amont est une question qu'il nous paraît légitime de poser.

Par conséquent, quelle est votre appréciation des faits ayant mené à la distribution d'une quantité trop importante de steaks hachés de faible qualité aux citoyens les plus démunis ? Comment sont organisés les contrôles ? Quels dysfonctionnements ont été constatés ? Quelles leçons en tirez-vous pour améliorer les procédures à venir ?

Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. - La DGCCRF compte environ 3 000 agents, dont près de 2 500 enquêteurs répartis sur l'ensemble du territoire. Elle dispose également d'un réseau de laboratoires, partagé avec la direction générale des douanes et des droits indirects, pour réaliser les analyses nécessaires aux enquêtes.

La DGCCRF assure le fonctionnement loyal des marchés, au bénéfice des consommateurs et des entreprises vertueuses. Elle mène à cet effet une triple mission de régulation concurrentielle des marchés, de protection économique des consommateurs et de protection sanitaire. Elle traque les fraudes économiques qui faussent le jeu de la concurrence et font donc encourir des risques aux consommateurs. Ses enquêtes récentes ont porté par exemple sur la composition des couches pour bébés, la francisation de kiwis italiens et de miels étrangers, les négociations impliquant la grande distribution et ses fournisseurs et le démarchage à domicile dans le secteur de l'énergie.

S'agissant de l'affaire des steaks hachés, nous avons été prévenus d'une suspicion de fraude portant sur la composition des produits le 28 mars par la DGCS, laquelle avait été alertée par des associations qui avaient observé sur des steaks des taches brunes suspectes. Un laboratoire mandaté par une association avait, en outre, constaté la non-conformité des produits analysés. Le jour-même, notre service national d'enquête, dédié aux affaires les plus importantes comme Lactalis ou la viande de cheval, a lancé une investigation portant sur deux volets : la mise en lumière d'une éventuelle tromperie sur la qualité des produits et l'identification des entreprises concernées. Entre le 11 et le 20 avril, une trentaine de prélèvements ont été effectués dans les banques alimentaires et analysés par notre laboratoire de Montpellier selon un triple test : la quantité de graisse contenue dans le produit, le rapport entre le collagène et les protéines dans la composition et les composants présents dans les tissus. Les premiers résultats ont été portés à notre connaissance le 13 mai, montrant une non-conformité majeure des échantillons par rapport au cahier des charges. La composition des prélèvements faisait notamment état d'un réemploi de viandes transformées et de la présence de produits interdits comme l'amidon dans des proportions qui ne pouvaient être qualifiées de fortuites. Le 16 mai, nous avons réalisé de nouveaux prélèvements auprès d'autres associations, portant leur nombre à 42, à des fins de vérification. Les résultats complémentaires reçus le 3 juin ont confirmé les manquements à la réglementation et au cahier des charges. Tous les prélèvements effectués se sont donc révélés non conformes.

Parallèlement, les entreprises responsables au regard du marché passé ont été recherchées. Il est apparu que la société Voldis, attributaire du marché, s'approvisionnait auprès d'un industriel polonais et ne jouait qu'un rôle de courtier, dans la mesure où un transporteur assurait le lien entre le fabriquant polonais et les associations bénéficiaires. Aucun contrôle des produits n'a donc été réalisé par Voldis. Les 6 et 7 mai, puis à nouveau le 15 mai, sa gérante et son comptable ont été entendus. Le gérant de l'entreprise ayant servi d'intermédiaire entre Voldis et l'industriel polonais a également été auditionné les 6 et 7 mai. L'affaire pourrait relever de la tromperie en bande organisée, un délit passible de sept ans de prison et de 750 000 euros d'amende.

Le 5 juin, nous avons saisi notre homologue polonais via le réseau Food Fraud et informé la Commission européenne. Une enquête est en cours en Pologne. Les résultats de nos investigations ont été rendus publics le 7 juin, dans un souci de transparence, principe essentiel pour la confiance des consommateurs vis-à-vis de l'action publique. Le travail d'enquête de la DGCCRF n'est pas entièrement terminé : un procès-verbal est en cours de rédaction pour être transmis à la justice. Par ailleurs, son champ a été étendu aux autres clients français de l'industriel polonais : entre le 24 mai et le 25 juin, une dizaine d'entreprises a été entendue et des prélèvements de produits effectués.

La réaction des associations a, dans l'affaire qui nous préoccupe, été remarquable : elles ont rapidement alerté les pouvoirs publics et fait cesser la distribution des denrées douteuses.

M. Jean-Philippe Vinquant, directeur général de la cohésion sociale. - La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a pour mission historique la définition et la mise en oeuvre des politiques de solidarité, à laquelle a progressivement été adjointe la gestion de l'aide alimentaire autrefois rattachée au ministère de l'agriculture. Ainsi, depuis 2015, est-elle gestionnaire national du FEAD. Depuis les États généraux de l'alimentation, l'aide alimentaire est considérée comme un instrument de lutte contre la précarité alimentaire, politique dont les principes ont été codifiés par la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Pour mener à bien sa mission de gestion du FEAD, la DGCS s'appuie sur les dispositifs créés par le ministère de l'agriculture pour la gestion du Programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) et dispose d'un directeur de projet et de cinq collaborateurs. Selon le règlement FEAD, adopté en 2014, l'autorité nationale de gestion doit rendre compte à l'État membre dont elle dépend et aux autorités européennes de la traçabilité des crédits, constitués à 85 % de fonds européens et à 15 % de deniers nationaux. La DGCS veille également à l'application du droit communautaire de la concurrence et du droit national des marchés publics.

La France, comme une majorité d'États membres, a choisi, avec le soutien des associations concernées, une politique d'aide alimentaire fondée sur l'achat de denrées plutôt que sur la distribution de coupons individuels. Le FEAD distribue les mêmes volumes de nourriture que le PEAD, pour un nombre de bénéficiaires stable à environ 4,5 millions de personnes. Une politique d'achat nécessite un recours aux marchés publics. Notre rôle consiste à garantir la qualité de l'achat public, dans le respect du principe de non-discrimination entre bénéficiaires de l'aide alimentaire - de qualité - des denrées fournies. D'autres dispositifs, notamment les minima sociaux, concourent à la lutte contre la précarité alimentaire, mais nous ne contrôlons alors pas la qualité des produits ainsi acquis. Nous disposons de divers instruments pour assurer notre mission, notamment un guide de procédure. Notre objectif vise à concilier l'efficacité des outils de l'aide alimentaire et l'accès des bénéficiaires à une diversité de produits.

Nous échangeons avec les associations et FranceAgriMer pour établir la liste des denrées et faire en sorte que les produits soient bien décrits dans les fiches techniques servant de base au cahier des charges afin de pouvoir suivre ensuite les denrées livrées par les fournisseurs, leurs qualités gustatives, mais aussi leur aspect visuel. Le dispositif d'aide alimentaire ne doit pas être discriminant pour les bénéficiaires.

Cependant, il n'est pas toujours facile de décrire précisément certains produits, les normes techniques, qui sont définies la plupart du temps par les organisations professionnelles, n'étant pas toujours existantes. Or des normes précises et claires sont nécessaires pour contrôler les marchés. À titre d'exemple, il faut pouvoir s'assurer qu'un lot de café devant être composé de 50 % d'Arabica et de 50 % de Robusta ne contient pas 100 % de Robusta, moins cher et gustativement moins agréable. Nous effectuons des tests gustatifs sur les échantillons livrés par les candidats avant l'attribution des marchés afin de nous assurer que leurs produits sont conformes aux fiches techniques et qu'ils présentent les qualités gustatives attendues par les consommateurs.

J'en viens aux achats en très grands volumes de produits, cette politique étant très efficace en termes de coûts. Nous savons ainsi que nous pouvons acheter du lait en grande quantité, les analyses que nous avons effectuées montrant que le lait livré est standard, qu'il est identique à celui qu'on trouve en grande distribution. Nous l'achetons à moitié prix sur certains marchés. Pour trouver des fournisseurs capables de livrer de très grandes quantités, nous passons par des marchés publics. Pour la viande, ce sont des courtiers qui répondent aux appels d'offres car ils ont la capacité de mobiliser différents fournisseurs. D'autres secteurs passent par des courtiers : c'est le cas de la grande distribution et de la restauration collective. Le courtage n'est pas l'apanage du FEAD.

Il faut ensuite être très vigilant concernant la société attributaire du marché car elle va évidemment s'appuyer sur des sous-traitants pour assurer les volumes globaux. C'est un point de vigilance, d'autant que nous savons que certains pays de l'Union européenne arrivent à fournir de la viande à des prix plus faibles que ceux de la production nationale. Nous avons essayé de prévoir des clauses favorisant les productions nationales car nous pensons que nous avons une meilleure chaîne de contrôles vétérinaires et sanitaires de l'élevage, de l'abattage et de la transformation, mais c'est impossible au regard des règles concurrentielles et du droit européen. Seule une clause du type bilan carbone est possible, mais ses résultats sont limités au final.

Comme Virginie Beaumeunier, je pense que les mécanismes de vigilance et de signalement dans l'affaire des steaks hachés ont fonctionné très tôt puisque la première alerte date de novembre 2018, les associations des Côtes-d'Armor ayant informé le service déconcentré de la direction générale de la cohésion sociale et du ministère de l'agriculture, la direction départementale de la protection des populations, que les produits livrés n'étaient pas conformes d'un point de vue visuel et peut-être pas satisfaisants en termes de qualités gustatives. Les lots non conformes ont été repris par le fournisseur et remplacés. La sécurité du bénéficiaire de l'aide alimentaire n'était alors pas menacée, le problème étant visuel, les steaks étaient brunis du fait d'un problème de thermoscellage.

Ensuite, à compter du début du mois de février 2019, de nombreuses alertes nous nous sont parvenues, les associations ayant saisi les autorités locales de l'État compétentes, les directions départementales de la cohésion sociale. Un doute est alors apparu sur la conformité de la composition des steaks hachés au cahier des charges, ces steaks ne devant contenir que 15 % de matières grasses. Les alertes à l'échelon local d'abord, national ensuite, nous ont conduits à saisir le ministère de l'agriculture et la DGCCRF d'une présomption de tromperie sur la composition des steaks hachés.

Mme Christine Avelin, directrice générale de FranceAgriMer. - Beaucoup a déjà été dit par mes deux collègues.

Je tiens tout d'abord à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de donner la parole à FranceAgriMer, qui a été mis en cause par certains médias, ce qui n'est jamais très agréable. Je tiens également à dire à quel point, en tant que directrice de l'établissement, je suis particulièrement consternée qu'une telle affaire ait pu se produire sur des produits destinés aux populations les plus vulnérables. Mes équipes, qui travaillent avec beaucoup d'application et de conscience professionnelle, en ont été également particulièrement choquées et affectées.

La participation de FranceAgriMer, qui est un établissement agricole, à un dispositif à vocation sociale est le fruit de l'histoire. Nous gérions auparavant les programmes d'aide aux plus démunis financés par le budget de la politique agricole commune. En 2014, l'origine des fonds budgétaires européens a été modifiée et la politique organisant la distribution de l'aide aux plus démunis a changé de base juridique. Nous avons assuré la continuité entre les deux programmes et mis en place dans l'urgence les nouvelles dispositions applicables au FEAD, ce qui explique en très grande partie les difficultés de gestion survenues en 2016, lesquelles ont toutes été corrigées, en parfaite concertation avec l'autorité de gestion, pour répondre aux attentes de la Commission européenne.

FranceAgriMer joue un double rôle dans le dispositif du FEAD. Il est à la fois gestionnaire de la mesure - c'est lui qui vérifie et prépare les appels de fonds auprès de la Commission européenne - et organisme bénéficiaire. Dans ce cadre, il est chargé de la passation des marchés publics d'achats des produits alimentaires pour le compte des associations caritatives, du suivi de l'exécution de ces marchés et du paiement des fournisseurs, au fur et à mesure des livraisons aux organisations caritatives.

Ce marché n'est pas seulement un marché de fourniture de denrées alimentaires. C'est aussi un marché de fourniture de logistique. Comme cela a été très bien dit, les produits sont livrés dans les entrepôts des associations caritatives, qui sont très nombreux. L'ensemble des produits achetés par FranceAgriMer avec les crédits du FEAD et les crédits nationaux sont livrés dans 350 points de livraison, ce qui représente pratiquement 17 000 livraisons en une année. Dans l'affaire des steaks hachés, les livraisons étaient effectuées dans 80 entrepôts, à raison de 7 livraisons par an dans chacun d'entre eux, soit un total de 560 livraisons. La plupart des entreprises ayant répondu à l'appel d'offres étaient donc à la fois capables de fournir des denrées alimentaires et d'assurer les livraisons, ce qui explique la nature des entreprises choisies.

Dans l'affaire qui nous réunit aujourd'hui, FranceAgriMer était chargé d'élaborer le cahier des charges de l'appel d'offres, dont le niveau d'exigence était assez élevé pour les steaks hachés, de choisir l'attributaire, en l'occurrence la société Voldis, puis de s'assurer de l'exécution de ce marché en vérifiant les autocontrôles sanitaires exigés. La société Voldis les a transmis, ils ne présentaient aucune anomalie. FranceAgriMer a réalisé les prélèvements dans les entrepôts des organisations caritatives, qui ont été transmis au laboratoire travaillant pour notre compte, là aussi dans le cadre d'un marché public. Le résultat des analyses nous a été remis il y a quarante-huit heures.

Dès les premières alertes, nous avons suspendu les paiements à la société Voldis, par mesure de précaution, sachant que nous n'avions alors pas réellement de base juridique pour le faire, puis entamé une procédure contradictoire afin de permettre à la société de se défendre, comme dans toutes les affaires. Nous avons également choisi dès cette date de mettre en place le régime de sanctions prévu dans le cahier des charges, soit une pénalité représentant 5 % de la valeur des marchandises livrées.

Dans cette affaire, il y a une suspicion de fraude assez lourde et organisée. La justice tranchera. Sans vouloir défausser FranceAgriMer de toutes ses responsabilités, je pense qu'aucune procédure d'appel d'offres n'aurait pu nous en prémunir. Les procédures de marchés publics sont faites pour garantir l'équité d'accès aux marchés et pour garantir le bon usage des fonds publics mis en oeuvre. L'offre de Voldis était bien conforme au cahier des charges. Elle prévoyait la fourniture de steaks 100 % muscle, 100 % boeuf, avec un taux de matières grasses n'excédant pas 15 %, soit typiquement le genre de produits que nous trouvons, vous et moi, dans nos supermarchés. Quant au fournisseur polonais, qui figurait dans l'offre que nous avons retenue, il présentait sur le papier toutes les garanties sanitaires et commerciales nécessaires.

Pour en terminer sur le dispositif de contrôle, une partie des vérifications est effectivement déléguée aux associations. Ce sont elles qui doivent effectuer un premier contrôle visuel lorsqu'elles reçoivent les produits. Elles peuvent également faire des dégustations et procéder à des analyses si elles le souhaitent. À mon sens, ce processus a fonctionné. Dès que les associations ont fait part des doutes qu'elles avaient sur les produits, FranceAgriMer, les services chargés des contrôles sanitaires, la direction générale du ministère de l'agriculture et la DGCCRF se sont mis en ordre de marche. Cela étant, le processus est certainement perfectible. Nous allons tirer tous les enseignements de cette affaire pour le perfectionner, tout en préservant la fluidité de l'approvisionnement des associations caritatives. Il ne faut pas en effet perdre de vue que l'objectif est que les produits arrivent en temps et en heure aux associations caritatives afin qu'elles puissent les distribuer aux bénéficiaires de l'aide alimentaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je le redis, nous ne sommes pas un tribunal, nous ne recherchons pas les responsabilités des uns et des autres, nous cherchons à trouver les moyens d'améliorer le système.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Il ne nous appartient pas de chercher les responsabilités, mais il est clair qu'il y a eu une défaillance quelque part. Nous devons comprendre comment elle a pu se produire afin d'être en mesure de faire des propositions pour que cela n'arrive plus.

Madame Avelin, il a beaucoup été dit dans la presse que seul le prix était mis en avant dans le cahier des charges. Vous nous avez dit que vous pourriez revenir dessus. Les associations mettent en avant le critère de la qualité. Où placez-vous la barre à cet égard ?

J'ai étudié la liste des attributaires des marchés publics et constaté qu'elle contenait un nombre important de négociants. Est-il normal qu'une entreprise n'ayant jamais produit de steaks hachés remporte un marché financé par des fonds européens ? On marche sur la tête ! Même si la multiplication des intermédiaires tient la route juridiquement, ne pouvons-nous pas faire autrement ?

Les associations nous ont dit qu'elles s'étaient retrouvées seules face à cette tromperie ou à cette fraude. Comment accompagnez-vous les associations en cas de risques sanitaires ou de fraude ?

Monsieur Vinquant, vous n'avez pas évoqué la question des contrôles. J'ai lu dans la presse qu'ils étaient effectués par le laboratoire d'analyse Mérieux NutriSciences, pour environ 300 000 euros, payés par des fonds européens. Confirmez-vous cette information ? C'est dommage que les résultats des contrôles vous parviennent si tard.

À mon sens, les contrôles ne peuvent pas reposer sur les associations, même si elles peuvent évidemment effectuer un contrôle visuel, car elles ne sont pas agréées pour effectuer des contrôles sanitaires. Ce rôle ne revient-il pas au laboratoire que vous avez diligenté ou à la DGCCRF ?

Que fait aujourd'hui l'autorité que vous êtes pour pallier la pénurie de viande dont nous ont parlé les associations ? Les associations et les bénéficiaires ne sont pas responsables de ce qui leur arrive. Or le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter en France.

M. Daniel Gremillet. - Je vous remercie, mesdames, monsieur, de vos interventions.

Je ne comprends pas qu'on ait pu livrer aux Restos du Coeur ou au Secours populaire des produits n'ayant pas été préalablement contrôlés par l'entreprise qui avait sous-traité à une entreprise polonaise. Vous savez mieux que moi que la législation a changé : c'est le distributeur qui a la responsabilité du produit qu'il distribue. L'entreprise en question était donc bien responsable de la sécurité du produit qu'elle distribuait.

Par ailleurs, je ne peux pas entendre dire que les organisations caritatives sont responsables des contrôles. On ne peut pas demander aux Restos du Coeur de faire les analyses préalables. Dès lors, quel processus de sécurité peut-on mettre en place dans ces circuits non commerciaux ?

M. Laurent Duplomb. - Cet exemple me fait réfléchir. Nous touchons le fond et nous payons le prix de notre bêtise depuis des années ! On ne cesse de crucifier notre modèle agricole dans tous les médias et on achète des produits à l'autre bout de l'Europe, et bientôt, avec les accords du Mercosur, à l'autre bout du monde.

Par ailleurs, alors qu'on ne cesse d'imposer aux entrepreneurs de notre pays des normes, des réglementations et des contrôles, on achète des produits à des entreprises étrangères qui ne respectent ni les normes sanitaires ni les normes de production, et on s'étonne du résultat ! Arrêtons de nous tirer une balle dans le pied, de dire qu'on n'est pas bons et qu'il faut acheter les produits ailleurs.

Aujourd'hui, un Français consomme plus d'un jour par semaine des produits totalement importés. La France ne consacrant que 10 millions d'euros au contrôle des produits importés, sans doute un quart d'entre eux ne sont pas conformes à nos normes.

Redonnons envie à nos agriculteurs et à nos entrepreneurs de produire français, comme ils ont toujours su le faire, en cessant de les critiquer sans arrêt. Je vous garantis que le résultat sera bien meilleur !

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de cette intervention politique, qui n'appellera pas de réponse des représentants des trois administrations représentées ici, mais qui a le mérite d'être claire.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci beaucoup, mesdames, monsieur, pour vos éclairages.

Monsieur Vinquant, vous avez évoqué au début de votre intervention la refondation du système de l'aide alimentaire prévu dans la loi Égalim. Or cette loi prévoit également une meilleure rémunération de nos agriculteurs et de nos producteurs et met en avant les circuits courts. Il faudrait que nous soyons un peu plus cohérents !

Pourriez-vous nous dire quels sont les critères qui ont conduit à retenir la procédure des marchés publics plutôt que l'aide individuelle ? En tant qu'élue locale, j'observe ces associations travailler au quotidien et je pense que, dans certains cas, cela ne poserait pas de problèmes si elles s'approvisionnaient à la boucherie locale.

Madame Avelin, quel contrôle du sous-traitant est prévu dans votre schéma ? C'est bien évidemment celui qui commande qui contrôle.

Enfin, madame Beaumeunier, quelles sont les capacités de contrôle de la DGCCRF ? Si la fraude se développe, c'est à mon sens parce qu'il n'y a pas suffisamment de contrôles impromptus. Combien d'agents sont en capacité de réaliser de tels contrôles ?

M. Pierre Louault. - L'État français, pour protéger le consommateur, impose des normes de production à nos agriculteurs. Comment peut-on faire des appels d'offres sans imposer les mêmes obligations : cette différence de traitement, alors qu'il s'agit de garantir la sécurité des consommateurs situés sur notre territoire me parait incompréhensible et inacceptable.

M. Alain Duran. - Dans l'attente des résultats de l'enquête et d'éventuelles poursuites judiciaires, je note que la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a évoqué un possible réseau de fraude organisée. Face à cette situation, des mesures immédiates de suspension sont-elles envisagées à l'encontre de l'entreprise titulaire du marché ainsi qu'à ses fournisseurs ou à ses intermédiaires ? Vous avez parlé d'une interruption des paiements et de l'application de pénalités mais l'entreprise Voldis reste-t-elle titulaire du marché et continue-t-elle de s'approvisionner auprès de son fournisseur polonais ?

Mme Sophie Primas, présidente. - J'insiste sur l'importance des contrôles. La volumétrie des marchés portant sur la viande hachée est très importante. Y a-t-il, sur ces marchés très sensibles, des contrôles systématiques et préventifs ? Ma seconde question concerne le prix de ces produits qui sont vendus à 7,5 euros le kilo dans la grande distribution alors que le marché ici en cause porte sur des steaks hachés à un coût deux fois moindre.

Mme Christine Avelin. - On entend parfois affirmer que les offres sont sélectionnées sur le seul critère du prix. Bien entendu, tel n'est pas le cas : l'essentiel porte sur le respect des prescriptions figurant dans le cahier des charges. Le prix n'intervient comme critère déterminant que dans un second temps, pour choisir un fournisseur parmi ceux qui satisfont les conditions de base - je rappelle d'ailleurs que nous sommes comptables des deniers publics.

S'agissant du prix des produits en cause - qui varient entre 3,5 et 3,8 euros selon les lots et les conditions de livraison - ils, peuvent difficilement être comparés au prix de vente au détail. Pour mieux situer la différence de prix que vous évoquez, il faut prendre en compte les volumes et nous parlons ici d'un marché dont le montant total est de 5 millions d'euros. Les achats ont été effectués à des prix du même ordre de grandeur que les années précédentes. Il n'y avait donc aucune alerte particulière sur ce paramètre. Les années précédentes les fabricants étaient français et non pas polonais mais le prix était le même.

En ce qui concerne les achats effectués avec l'aide du Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD), dont le montant total représente 80 millions d'euros, nous pouvons vous indiquer la provenance de l'ensemble des produits : en 2018, ils étaient à 81 % d'origine française, à 17 % en provenance de l'Union européenne. Les fabricants français sont donc très majoritaires avec seulement 2 % de produits importés de pays tiers à l'Union européenne.

S'agissant des contrôles, et d'abord de leur coût : le marché qui nous lie au laboratoire Mérieux représente environ 250 000 euros pour cinq ans et donc 50 000 euros par an, en moyenne. Pour répondre à votre question sur le caractère tardif du résultat de ces contrôles, je vais vous rappeler l'ensemble du mécanisme. Pour l'aspect sanitaire, nous exigeons du fournisseur qu'il nous adresse, avant les livraisons, les autocontrôles sanitaires qui ont été réalisés. En revanche, jusqu'à présent, nous n'exigions pas que les autocontrôles de composition nous soient transmis préalablement : ils devaient cependant être tenus à notre disposition et, effectivement, nous ne les avions pas vérifiés. Les contrôles sanitaires qui nous ont été transmis ne nous ont pas alertés et d'ailleurs, les contrôles effectués par la DGAL n'ont pas mis en évidence de problème sanitaire : la difficulté porte donc sur l'aspect qualitatif, qui est bien entendu important pour le consommateur.

Par la suite, lorsque les produits sont livrés, ce sont les associations caritatives qui, par convention, sont chargées du contrôle visuel et gustatif. Ce choix a été fait au départ et deux options étaient alors envisageables : on aurait pu imaginer, comme dans certains autres pays, des livraisons regroupées dans quelques entrepôts où auraient été réalisés les contrôles sanitaires et de composition. Cependant, les organisations caritatives souhaitent répartir les produits selon les besoins et ont donc préféré des livraisons au plus près des bénéficiaires. La solution retenue, en concertation avec les associations, a ainsi privilégié les livraisons très disséminées sur le territoire avec, en contrepartie, une responsabilité des associations pour vérifier les qualités gustatives des produits.

Je suis assez étonnée que les associations aient pu vous dire qu'elles s'étaient retrouvées seules face aux difficultés car dès qu'elles ont alerté France Agrimer ou la DGCS, il leur a été conseillé de s'adresser aux organismes officiels de contrôle et de protection du consommateur, c'est-à-dire la DGAL et la DGCCRF, ce qu'elles ont fait. La chaîne telle qu'elle existe a donc fonctionné. Elle est cependant perfectible et, au titre des améliorations envisageables, nous pourrions demander la transmission obligatoire des autocontrôles sur la composition des produits. Nous pourrions aussi réaliser les contrôles en entrepôt de façon plus précoce et les transmettre plus rapidement à nos laboratoires. Nous allons examiner ces diverses options avec l'autorité de gestion - la DGCS - et les associations caritatives en veillant à ne pas mettre en marche une « usine à gaz » qui ralentirait les livraisons.

Par ailleurs, je précise que lorsque l'offre est présentée, le soumissionnaire doit indiquer qui sont ses sous-traitants et nous vérifions que ceux-ci bénéficient des agréments nécessaires. Il n'y avait donc pas, pour l'entreprise Voldis, de possibilité de changer de fournisseur sans s'exposer à des sanctions. Enfin, nous ne contrôlons pas à 100 % les fabricants, nous avons un plan de contrôle dans lequel ne figurait pas le fournisseur polonais en cause.

J'ajoute que les résultats des contrôles que nous avons reçus le 1er juillet ont, sans surprise, indiqué que les produits incriminés étaient non conformes.

Mme Virginie Beaumeunier. - La DGCCRF ne contrôle pas uniquement les produits fabriqués en France puisqu'elle vérifie aussi les produits à la distribution. Je précise également que la DGCCRF, avec les agents dont elle dispose, n'effectue quasiment que des contrôles impromptus sur la base d'un ciblage et d'analyses de risque. Dans le cadre de notre plan de transformation, nous nous efforçons de progresser dans l'exploitation des données pour perfectionner le ciblage des enquêtes et nous développons une application de signalement par les consommateurs.

Je signale également que la France porte, au niveau européen, la volonté de renforcer la lutte contre les fraudes alimentaires ainsi que les atteintes à la protection des consommateurs. Vous savez que le réseau « Food Fraud », créé à la suite de la crise de la viande de cheval, permet de signaler à nos homologues les fraudes suspectées et le ministre Bruno Le Maire soutient la proposition de mettre en place une « task force » européenne pour renforcer la lutte contre les fraudes transnationales : cette initiative bénéficie d'un écho favorable chez plusieurs de nos partenaires et constitue une de nos priorités pour le nouveau mandat de la commission européenne.

M. Jean-Philippe Vinquant. - Nous travaillons quotidiennement avec les quatre réseaux nationaux agrées au titre du FEAD et nous avons une relation de très bonne qualité avec les associations. Celles-ci sont, à juste titre, très vigilantes et exigeantes sur le niveau de réactivité de la chaine de contrôle publique.

Je m'inscris en faux contre l'affirmation selon laquelle les associations n'auraient pas une capacité de réaction et d'action plus rapide que celle des pouvoirs publics afin d'améliorer la prévention des risques pesant sur le consommateur. Les Restos du Coeur ont, par exemple, pu diligenter des analyses sur les produits dès le mois de mars : elles ont les moyens et le droit de faire tester des échantillons par le laboratoire de leur choix pour s'assurer de l'absence de problème sur la santé ou la sécurité des consommateurs. Dans l'histoire du FEAD, nous avons connu, sur ce même marché particulièrement sensible des steaks hachés, des cas de contaminations accidentelles de lots à la salmonelle et nous avons mis en oeuvre, avec les associations, des contrôles et des procédures de retrait du marché.

Pour en revenir au cas d'espèce, les associations nous ont alertés et nous avons réagi avec les directions départementales ainsi que nos collègues de la DGAL qui ont validé les tests réalisés à la demande des Restos du coeur en confirmant qu'il ne s'agit pas d'un problème sanitaire mais de composition et de qualité des produits. Les associations obtiennent donc parfois des analyses plus rapidement que les pouvoirs publics. Une autre inquiétude porte sur le stockage et les conditions de remplacement des produits : lorsque les entrepôts sont remplis de denrées impropres à la consommation qui doivent être reprises et détruites par un fournisseur, la crainte exprimée par les associations est que le même titulaire du marché ou que le même fournisseur livre, en remplacement, des produits non-conformes. Je fais observer que si le titulaire du marché a été trompé par son fournisseur, il est difficile d'imaginer la réitération du manquement pour lequel des sanctions ont été prises et des poursuites engagées. Ce processus amène à réfléchir à des pistes d'amélioration : si la réglementation applicable aux marchés publics de grande ampleur le permet, il faudrait pouvoir imposer par avenant la possibilité pour le titulaire du marché de changer de prestataire ou de fournisseur.

Mme Sophie Primas, présidente. - Dans nos communes, nous pratiquons cette possibilité de changement d'un fournisseur défaillant.

M. Jean-Philippe Vinquant. - Certes mais l'encadrement des marchés du FEAD fait l'objet d'une vigilance européenne très contraignante, même si nous préférerions parfois appliquer des règles plus souples.

S'agissant de la réflexion sur les modalités alternatives d'utilisation des crédits européens d'aide alimentaire, je rappelle que lorsque nous avons été désignés en juillet 2015 comme autorité de gestion, nous étions d'ores et déjà contraints par la décision de l'Union européenne de juillet 2014 d'appliquer le mécanisme du fonds structurel : il ne nous est donc pas possible de nous extraire des règles prévues par le FEAD, même si elles paraissent trop rigides.

Néanmoins, tous les principes qui ont guidé la concentration du FEAD sur l'aide alimentaire - et non pas, comme en Allemagne, sur l'accompagnement social des personnes en situation d'exclusion - ont été concertés et validés par les associations. Par la suite, une fois connus les montants alloués à la France, et afin d'éviter une baisse du volume de denrées par rapport au programme précédent, le choix a été fait de procéder à des achats en gros que les associations ont préféré ne pas assumer elles-mêmes : FranceAgrimer achète donc pour le compte des associations. La Fédération française des banques alimentaires (FFBA) a un rôle comparable d'achat groupé en utilisant les fonds du mécénat et les dons défiscalisés du public pour fournir les banques alimentaires locales.

La Cour des comptes et le Parlement, qui se sont penchés sur la politique d'aide alimentaire, ont préconisé une réflexion sur la dissociation des marchés publics entre la fourniture des denrées et la logistique : en effet, certains producteurs ne se sentent pas en capacité de maitriser à la fois la fabrication des produits et l'acheminement, ce qui les exclut de facto des appels d'offres.

Je vous assure que, conformément à la loi Egalim, nous sommes alignés sur la préférence pour la proximité, la coopération avec les filières locales et le rachat local de produits invendus : nous appliquons cette méthode avec les 18 millions d'euros de crédits consacrés à l'aide alimentaire nationale lesquels financent des associations non habilitées à recevoir des aides du FEAD. Cette somme s'ajoute aux 13 millions d'euros que la France apporte aux 75 millions d'euros de crédits européens pour le FEAD. Nous finançons également des épiceries sociales et solidaires avec d'autres crédits publics mais il ne nous est pas possible, dans ce secteur, de recourir au financement du FEAD qui impose un principe de gratuité totale et, par suite, un compartimentage des différentes formes d'aides. Nous avons également récompensé des projets locaux et solidaires dans le cadre du programme national de l'alimentation avec des crédits nationaux.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Mon sentiment personnel est que vous ouvrez le parapluie en indiquant que les associations peuvent procéder à des contrôles - ce qu'elles ont d'ailleurs fait précocement. Je pose néanmoins la question : qui paye ? Est-ce bien aux associations de contrôler les produits alors que c'est l'administration qui passe les marchés publics ? Par ailleurs je voudrais savoir quelle est la proportion de produits contrôlés ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Ma question porte d'une part sur la qualité des autocontrôles : visiblement, ils ont été, dans le cas qui nous occupe ici, frauduleux. Ces contrôles sont-ils indépendants ou réalisés par l'entreprise qui porte une appréciation sur ses propres productions. Peut-on chercher des améliorations sur ce plan ?

D'autre part, l'idée d'une liste des produits sensibles qui pourraient faire l'objet de contrôles systématiques peut-elle être mise en application ?

M. Jean-Philippe Vinquant - Les associations demandent effectivement plus de réactivité. Cependant, on ne peut pas imaginer un système dans lequel l'organisme qui reçoit des produits ne procède à aucun contrôle ou n'ait aucun rôle d'alerte. Tous les responsables de supermarchés ou d'hypermarchés ainsi que les gestionnaires de cantine contrôlent les produits qui leur sont livrés. Aucun processus de contrôle qualité ne peut s'abstraire du repérage de la défectuosité des produits par celui qui les reçoit au niveau le plus fin.

Nous observons les pratiques des opérateurs privés et dialoguons avec, en particulier, de grands distributeurs de produits surgelés qui ont multiplié les vérifications après l'affaire Spanghero : je souligne que leur ratio entre les dépenses de contrôle et d'achat des denrées est bien supérieur à celui de l'aide alimentaire que nous distribuons. Peut-être faut-il s'interroger à ce sujet et augmenter les crédits d'assistance technique ou alloués à France Agrimer pour financer un accroissement des contrôles. Certaines entreprises font des tests ADN sur les produits, ce qui permet une plus grande précision. En tout état de cause, un contrôle de qualité efficace repose nécessairement sur l'ensemble des acteurs et il n'est pas envisageable que les associations n'y participent pas et ne puissent pas diligenter des tests.

Mme Christine Avelin. - Les contrôles en entreprises représentent 60 % des volumes qui nous sont livrés : ces investigations sont faites sur la base d'analyses de risques mais, en l'occurrence, le fournisseur polonais y a échappé cette année. Dans les entrepôts des associations, nous faisons des prélèvements sur la totalité des lots en essayant de couvrir l'ensemble des livraisons. Les tests ADN sont bien prévus dans la liste de nos analyses pour la viande. S'agissant des autocontrôles d'hygiène sanitaire, les méthodes de prélèvements et d'analyses sont précisées dans le cahier des charges : elles doivent être appliquées par des laboratoires accrédités. En revanche, pour les autocontrôles de composition, des marges de progrès pour les futurs appels d'offres existent puisqu'il n'y a pas, à l'heure actuelle, d'encadrement prévu sur le type d'analyses requises, ni sur les points à vérifier, ni sur les méthodes à appliquer. En matière sanitaire, nous sommes donc au plus haut niveau d'exigence et cette affaire montre la nécessité, à l'avenir, de rehausser le niveau d'exigence pour la qualité des produits.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Votre réponse m'a surpris : on ne peut pas comparer les associations et les collectivités car ce sont ces dernières qui passent les marchés. Les associations exercent leur devoir de vigilance, avec toutes les difficultés que cela comporte, mais il faudrait aussi que l'administration reconnaisse les responsabilités qui lui incombent. Il y a donc « un trou dans la raquette » puisque les contrôles que vous avez quantifiés ont échoué. Je souligne le retard inexplicable de l'administration par rapport à l'action des associations.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je suggère au niveau des appels d'offres d'intégrer le coût global environnemental en termes de logistique, pour favoriser les circuits courts.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il me reste à remercier les intervenants ainsi que leurs collaborateurs pour les réponses très complètes apportées à nos questions. Vous l'avez compris, des interrogations subsistent sur les contrôles et cette affaire soulève le problème plus général des choix pour notre modèle agricole, ce qui dépasse le sujet de notre audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

Mme Sophie Primas, présidente. - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a souhaité se saisir pour avis du projet de loi relatif à l'énergie et au climat. Avec l'accord du rapporteur Daniel Gremillet, je vous propose de déléguer au fond 9 articles qui relèvent de sa compétence.

Ces articles portent sur :

- les missions de l'Ademe en matière de lutte contre le réchauffement climatique ;

- les effets du projet de loi de finances pour 2020 sur la lutte contre le réchauffement climatique ;

- le Haut Conseil pour le climat et la prise en compte de ses avis dans les SRADDET ;

- l'évaluation environnementale ;

- les mesures relatives à l'autorisation des installations classées pour la protection de l'environnement et aux dérogations aux plans de prévention des risques technologiques en faveur de projets d'énergies renouvelable ;

- la simplification du contentieux des énergies marines renouvelables ;

- et l'évaluation des PCAET et des SRADDET.

La répartition proposée, qui figure dans le document qui vous a été distribué, a aussi recueilli l'accord de Pascale Bories, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Nos collègues du développement durable devront se réunir avant nous, de façon à ce que nous puissions nous en remettre, par principe, à leur position sur les articles délégués au fond et, le cas échéant, intégrer leurs amendements dans le texte de la commission que nous adopterons.

La réunion est close à 19 h 35.