Mercredi 13 mars 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 11 h 10.

Audition de M. Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous accueillons avec grand plaisir M. Roger Genet, directeur général de l'Anses. Excusez-nous, monsieur le directeur général, de ne pas nous être arrêtés lors du salon de l'agriculture, mais nous savions que nous aurions le temps de nous parler plus longuement aujourd'hui.

Afin d'éclairer les pouvoirs publics dans leur politique sanitaire, l'Anses évalue les risques scientifiques dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement et du travail. À l'occasion d'un autre mandat, M. Joël Labbé et moi-même étions venus visiter l'Agence et nous avions constaté la qualité et la rigueur de ses équipes. Depuis la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014, l'Anses délivre également les autorisations de mise sur le marché français (AMM) des produits phytopharmaceutiques, fertilisants et biocides utilisant des substances actives autorisées au niveau européen. Elle est également compétente en matière d'évaluation du risque pour les médicaments vétérinaires.

Comme toutes les agences scientifiques, l'Anses se trouve au coeur du débat sur la transparence et l'indépendance de l'expertise scientifique. Mais elle est peut-être davantage concernée tant les débats sont vite passionnés dès lors qu'ils touchent à l'alimentation. Comment est menée concrètement une étude scientifique à l'Anses et quels garde-fous ont été mis en place afin de garantir l'expertise et l'indépendance nécessaires au bon fonctionnement de l'Agence ? Comment les conflits d'intérêt sont-ils gérés ?

Ce climat de défiance à l'égard de nos scientifiques est sans doute alimenté par des revirements de position de l'Anses, parfois à quelques mois d'intervalle. Comment expliquer, par exemple, que votre agence ait autorisé la mise sur le marché de produits à base de métam-sodium avant de suspendre, pour des raisons scientifiques, ces AMM en novembre dernier à la suite de l'intoxication de plusieurs personnes dans le Maine-et-Loire ? Le changement de position de l'Anses sur certains néonicotinoïdes en 2018 suscite les mêmes interrogations.

Enfin, vous nous expliquerez comment les molécules sont homologuées en Europe et comment ensuite cette homologation est délivrée en France par zones géographiques, ce qui implique des distorsions de concurrence et des anomalies dans la commercialisation de certains produits.

M. Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). - Merci pour ces mots de bienvenue. Je suis accompagné de Françoise Weber, directrice générale déléguée en charge du pôle produits règlementés, et de Matthieu Schuler, directeur de l'évaluation des risques.

Nous sommes heureux de venir présenter notre activité et répondre à vos questions. L'Anses est une agence d'expertise scientifique et elle s'appuie sur les connaissances disponibles. Au regard de l'évolution des connaissances, elle réévalue régulièrement ses positions, qu'il s'agisse des nanomatériaux, de l'électro-hypersensibilité, des produits phytosanitaires. Les AMM sont accordées pour une durée définie. À son issue, les industriels doivent déposer leurs dossiers que nous réévaluons à la lumière des données scientifiques dont nous disposons. Nous pouvons donc être amenés à ne plus autoriser ce qui l'était précédemment.

Le métam-sodium était interdit en Europe avant 2012, mais un délai de grâce avait été accordé. Lorsque la presse a évoqué l'intoxication de riverains et d'utilisateurs en Loire-Atlantique, nous étions en train de terminer la réévaluation de ce produit. Nos conclusions ont été publiées alors même que l'interdiction était demandée. Le dossier d'AMM de l'industriel n'était pas recevable et les signaux de phytopharmacovigilance nous ont amenés au retrait immédiat de ce produit.

La loi a interdit les néonicotinoïdes, ce qui nous a amené à retirer les AMM accordées. En 2016 et 2017, nous avons travaillé à une évaluation des produits alternatifs à ces produits. Le rapport, publié en 2018, a donné des bases scientifiques au Gouvernement pour qu'il accorde certaines dérogations. Nous avons également montré les limites économiques de ces alternatives. Le sulfoxaflor, proche des néonicotinoïdes, a été autorisé car il présente beaucoup moins d'inconvénients pour l'environnement et la santé. Notre décision a été suspendue par la justice mais le jugement n'a pas encore été prononcé.

L'Anses a un spectre d'activités parmi les plus étendus d'Europe. Elle regroupe 1 400 personnes, dont la moitié travaille dans des laboratoires sur la sécurité animale, végétale et alimentaire. Nous détenons 25 % des mandats de référence de l'Union européenne, notamment sur les pathogènes en sécurité des aliments et sur les maladies de troupeau. Nous disposons de neuf laboratoires sur seize sites en France, proches des filières, afin de garantir la sécurité sanitaire de la fourche à la fourchette.

L'Agence traite également de la santé environnementale et de la santé au travail. Elle finance des projets de recherche : depuis onze ans, elle est le bras armé du Gouvernement en finançant le programme national de recherche « Environnement, santé, travail ». Ainsi, 43 programmes de recherche ont été financés à hauteur de 7,3 millions d'euros en 2018. Le ministère de la transition écologique et solidaire a débloqué cette année 2 millions pour soutenir des travaux sur les perturbateurs endocriniens.

L'Anses travaille également sur les expositions auxquelles nous sommes soumis au quotidien, qu'il s'agisse de risques microbiologiques, chimiques ou physiques. Nous disposons de 24 comités permanents d'experts externes, soit 800 à 900 spécialistes. Ces comités produisent des recommandations et l'Agence rédige une conclusion, ce qui représente 200 à 250 avis chaque année dont 85 % ont été sollicités par le Gouvernement. Les 15 % restants proviennent des demandes des syndicats et des ONG qui font partie de notre conseil d'administration. L'Agence est extrêmement ouverte au débat et elle est à l'écoute des parties prenantes. Ses avis ne sont pas contestés car sa méthodologie est totalement transparente. L'indépendance des experts est davantage mise en cause au niveau européen qu'en France, car l'agence n'a jamais fait l'objet d'attaques directes.

L'Agence dispose d'un comité de déontologie depuis 2011, bien avant que la loi de modernisation du système de santé ne l'impose aux agences sanitaires. Toutes les déclarations publiques d'intérêt de nos agents et de nos experts, ainsi que leur appartenance aux groupes de travail, sont en ligne et mises à jour chaque année sur le site du ministère de la santé.

L'Agence procède par appel à candidature pour sélectionner ses experts nommés aux comités d'experts ou au conseil scientifique. Elle sélectionne les personnes en fonction de leur profil mais aussi de leur absence de conflit d'intérêt. Un lien d'intérêts ne fait pas un conflit d'intérêts : il est très difficile de ne pas avoir d'expert qui n'ait pas de liens d'intérêts, mais il existe des liens mineurs et d'autres majeurs. L'Agence peut demander à un expert de se déporter en cas de conflit d'intérêt. En cas de parti pris, elle écarte l'expert qui peut être auditionné, mais qui ne fait pas partie des comités délibérants. Nous avons encore renforcé ce cadre strict compte tenu du climat actuel de défiance.

Pour les dix ans de l'Anses, nous organiserons un grand colloque scientifique avec des experts en sciences humaines et sociales sur l'indépendance de l'expertise en matière de sécurité sanitaire. Nos agences doivent retrouver la confiance de nos concitoyens, que ce soit au niveau français ou européen. Des avis contestés ne permettent pas de mener de politiques publiques consensuelles.

Un exemple : en 2018, nous avons été saisis de la question des terrains de sport synthétiques. Nous avons réuni un groupe d'experts en urgence et nous leur avons demandé de procéder à une revue de la littérature scientifique. Des agences sanitaires aux États-Unis et au Canada avaient déjà publié des articles sur ces terrains. Nous avons identifié les questions qui n'avaient pas été traitées, comme les émanations de produits chimiques dans les terrains fermés. Selon les études dont nous disposions, les risques étaient inexistants, mais nous avons demandé à nos experts de travailler sur les données manquantes afin d'éclairer la décision publique.

Après la publication par 60 millions de consommateurs d'éventuels résidus chimiques dans les couches pour bébés, les ministres de la santé et de l'écologie nous ont saisis dans les 48 heures. Il a fallu deux ans à l'Agence pour mener son travail car elle ne pouvait s'appuyer sur aucune étude préalable. Elle a procédé à une évaluation quantitative des risques réels. Contrairement au travail qu'elle avait mené quelques mois auparavant sur les protections intimes féminines, elle a conclu qu'il existait pour les nourrissons des risques d'exposition à des produits chimiques. L'Agence essaye de bien évaluer le niveau de risque pour éviter toute panique et elle propose diverses mesures à prendre. Il s'agit là de la mise en application du principe de précaution qui figure dans notre Constitution.

Notre siège est situé à Maisons-Alfort : 250 personnes travaillent sur les produits phytosanitaires, les matières fertilisantes et les produits biocides qui relèvent de deux réglementations différentes, l'une qui dépend de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour les produits phytopharmaceutiques et l'autre qui dépend de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). À chaque fois que je croise le commissaire européen, je lui rappelle qu'une simplification et qu'une amélioration des procédures d'évaluation sont indispensables.

Le débat sur les produits phytopharmaceutiques est aujourd'hui très politisé. Le choix de société dépasse le rôle de l'Agence. Les substances actives du glyphosate ont été homologuées par l'Allemagne, État membre rapporteur. Ensuite, les 28 États membres ont examiné l'évaluation, ce qui a abouti à la décision de l'EFSA qui a homologué ce produit. Cette évaluation scientifique a ensuite été portée devant le Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADAAA) qui réunit les 28 États membres et qui est décisionnaire à Bruxelles. Lorsque la substance active est homologuée au niveau européen - en 2017 pour le glyphosate - il revient à chaque État membre d'autoriser les préparations qui contiennent la substance active. Début 2016, nous disposions de plus de 300 préparations pour le glyphosate et nous en avons interdit 130 en juillet de la même année. L'AMM des préparations pour les utilisateurs privés est devenue obsolète fin 2018, à la suite de la loi Labbé.

Aujourd'hui, cinquante industriels ont demandé le renouvellement de leurs AMM et l'Anses dispose d'une année pour procéder à ces évaluations qui se font d'ailleurs par zones en Europe. Ces produits sont ensuite autorisés dans chaque pays dans les conditions d'usage recommandé par les industriels.

Nous avons ainsi évalué le métam-sodium en fonction des conditions d'utilisation communiquées par les industriels. Le dossier n'étant pas acceptable en termes de risques sanitaires pour les riverains et pour les utilisateurs, nous l'avons refusé.

Le règlement européen nous amène à réévaluer les AMM en fin de délai d'utilisation mais également lorsque des données scientifiques nouvelles justifient une réévaluation en cours d'autorisation.

M. Jean-Pierre Moga. - Les délais pour statuer sur des AMM relatives aux produits de biocontrôle s'élèvent à six mois et pour les produits phytopharmaceutiques à douze mois. En réalité, ces délais sont souvent beaucoup plus longs. Dans mon département, il a fallu attendre 36 mois pour des produits de biocontrôle.

Que comptez-vous faire pour réduire ces délais afin de répondre aux attentes des entreprises qui ont souvent beaucoup investi pour proposer des solutions alternatives ?

M. Michel Raison. - Avez-vous la possibilité de vous autosaisir de certaines affirmations péremptoires qui circulent sur les chaînes d'information ? Je pense notamment aux conclusions d'un laboratoire allemand financé par des associations écologistes qui prétend que nos urines contiennent toutes des quantités importantes de glyphosate.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Il y a un an, vous avez affirmé au Sénat que le glyphosate n'était pas cancérigène. Néanmoins, l'Anses va diligenter une nouvelle étude pour trancher la controverse sur la dangerosité de ce produit. Disposez-vous d'informations pour justifier ce nouveau rapport ?

Mme Élisabeth Lamure. - Mettez-vous plus de temps pour accorder des AMM que vos homologues européens ? Les industriels souhaiteraient pouvoir continuer à dialoguer avec vos services pendant l'instruction de leur AMM, mais cela semble impossible. Est-ce le cas ? En outre, avez-vous mené des études sur les compteurs Linky ?

M. Serge Babary. - En mai 2018, vous rappeliez qu'il fallait mettre à la disposition des professionnels des alternatives chimiques et non chimiques au glyphosate, et vous estimiez que les solutions possibles avaient tendance à fortement se réduire, notamment pour le biocontrôle, puisqu'il n'y avait que 40 produits disponibles en 2017 et que vous n'aviez enregistré que 17 demandes d'AMM en 2018. De plus, vous disiez que les dossiers de demande pour le biocontrôle étaient souvent incomplets, ce qui ne permettait pas à vos experts de se prononcer sur leur innocuité. Vos remarques sont-elles toujours d'actualité ?

M. Jean-Claude Tissot. - Les ministres de l'écologie et de l'agriculture ont mis en place en début d'année un groupe de travail sur les insectes pollinisateurs. Ce dossier est plus qu'urgent car des milliers de ruches disparaissent chaque année : votre analyse scientifique est attendue avec impatience pour prendre les mesures qui s'imposent.

M. Daniel Dubois. - Contrairement à l'Anses, l'Agence européenne s'est inquiétée des éventuels effets cancérigènes du glyphosate. Or l'Europe a autorisé sa vente pour les cinq prochaines années, alors que la France n'accorde que trois ans. Comment sortir des débats stériles et faire en sorte que l'avis des scientifiques s'impose ?

M. Daniel Gremillet. - Comment faire en sorte que vos avis ne soient pas mis en cause, d'autant que nous légiférons en nous appuyant sur votre expertise scientifique ?

Je regrette le temps que prend l'Anses pour permettre l'émergence d'alternatives aux produits chimiques. Enfin, comment allez-vous faire respecter la loi EGalim qui assure à nos concitoyens la qualité des importations de denrées alimentaires qu'ils consomment en imposant que ces produits respectent les normes européennes ?

Mme Françoise Férat. - Selon les scientifiques et les professionnels, les normes européennes relatives aux biotechnologies végétales sont imprécises. Ainsi, la directive européenne sur les OGM élude cette question. Quelle est la position de l'Anses ?

M. Roland Courteau. - Quelle est la corrélation entre l'alimentation et le déclin cognitif ? Existe-t-il des enquêtes nutritionnelles ? Un rapport de votre Agence indique qu'une alimentation de type méditerranéen - poissons, légumes, fruits et vin - réduirait ce risque. Le confirmez-vous ?

Les antimicrobiens pour traiter les maladies transmissibles entre les animaux et les humains perdent de leur efficacité : que préconisez-vous ?

M. Yves Bouloux. - Selon des scientifiques allemands et chypriotes, les particules fines seraient responsables de 8,8 millions de morts en 2015. Que pense l'Anses de cette étude ?

M. Martial Bourquin. - Le tribunal de Lyon a mis en cause le Roundup 360 qui, selon lui, porte atteinte à l'environnement et nuit gravement à la santé. Parallèlement, des tribunaux américains ont condamné à de lourdes indemnités Bayer-Monsanto. Quelle est votre réaction ?

Le métam-sodium, que vous avez évoqué, a provoqué de graves intoxications alimentaires.

De nombreux produits textiles sont importés, notamment de Chine, et ils ne répondent à aucune des normes en vigueur dans notre pays ; je pense en particulier aux nanoparticules. N'est-ce pas un réel problème ?

Enfin, comment interdire un produit quand des milliers d'emplois sont en jeu ? Au Sénat, plusieurs conférences sur l'absence de nocivité du diesel ont eu lieu jusqu'à ce que l'on découvre que l'organisateur était payé par un grand groupe. Difficile de résister aux lobbies...

M. Marc Daunis. - Comment accepter qu'il y ait des années de recherches lorsque l'urgence est là ? Comment choisissez-vous les études prioritaires parmi toutes celles à mener ? Comment hiérarchisez-vous vos choix ? La lenteur des AMM posent de réels problèmes aux industriels.

M. Joël Labbé. - Étant donné la recrudescence des maladies environnementales et la chute vertigineuse de la biodiversité, je comprends les difficultés de l'Anses.

J'ai travaillé avec Jean-Marc Bonmatin en 2012 sur les abeilles : sa lutte a abouti à l'interdiction des néonicotinoïdes. Mais le sulfoxaflor est arrivé et il a un fort impact sur la biodiversité.

Vous avez besoin de temps pour mener des études sur des cohortes, mais ne pourriez-vous pas réduire les délais lorsqu'il s'agit de préparations naturelles peu préoccupantes ou de biostimulants ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Quel a été l'impact de l'étude de l'Anses sur la dangerosité de certains produits inclus dans les couches pour bébés ? L'Agence n'a cité aucune marque : pourquoi ? Le Gouvernement avait donné quinze jours aux fabricants pour modifier la composition de leurs couches et plusieurs industriels se sont engagés à faire figurer la liste de tous les composants sur les emballages : allez-vous procéder à de nouveaux contrôles ?

Les recommandations de l'Anses sur la protection des abeilles remontent à 2014 et elle va rendre une nouvelle étude. Peut-on connaître la date de sa publication ?

M. Alain Chatillon. - Les compléments alimentaires se multiplient, surtout en Europe du Nord : 25 % des produits vendus dans les pharmacies allemandes relèvent de la prévention, ce qui ne coûte rien à l'État ou à la protection sociale. Quand allons-nous suivre cet exemple ? En France, nous avons enfin compris que ce n'étaient pas les médecins qui coûtaient cher, d'où la suppression du numerus clausus, mais les produits, soit un différentiel de 15 milliards avec notre voisin.

Quelles sont vos relations avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ? Comment améliorer la prévention ?

M. Alain Duran. - La détection de glyphosate dans les urines est partie de mon département, l'Ariège. Aujourd'hui, 55 départements s'adonnent à ces analyses et plus de 700 personnes y ont participé. Le ministre de l'agriculture a d'ailleurs estimé inquiétante la présence de ce produit dans les urines de nos compatriotes. L'Anses pourrait-elle graduer les éventuels risques ?

Mme Anne-Marie Bertrand. - Comme l'a rappelé un député, les sciences ont de moins en moins de succès auprès des jeunes générations alors que nous nous inquiétons de plus en plus pour notre environnement et notre alimentation. De plus, de nombreuses fake news se réfèrent à de prétendues études scientifiques. Pourriez-vous mener un travail de pédagogie auprès de nos concitoyens afin qu'ils puissent mieux se repérer et dénoncer les fausses informations ?

M. Henri Cabanel. - L'Anses nous aide à prendre nos décisions.

Quelles sont vos relations avec les agences des autres pays et notamment avec l'agence européenne ? Si les décisions étaient harmonisées, nous retrouverions la confiance de nos concitoyens. Ainsi, l'Anses est défavorable à l'utilisation des eaux d'épuration pour l'irrigation agricole, alors que l'Italie et l'Espagne le font. Comment expliquer à nos agriculteurs cette différence de traitement ?

M. Roger Genet. - Même si nos avis ne font pas toujours l'unanimité, la méthodologie, l'indépendance, la transparence et l'expertise de l'Anses n'ont jamais été remises en cause depuis que je suis à la tête de l'Agence. Elle a été créée en 2010, mais elle découle de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) qui avaient été respectivement créées en 1998 et 2002. Notre expertise est collégiale et pluridisciplinaire, ce qui change tout, car les expertises individuelles donnent souvent lieu à des contestations. Le Gouvernement nous a demandé d'inclure dans le champ de nos compétences l'expertise préalable sur les maladies professionnelles avant leur inscription sur le tableau des maladies professionnelles. Nous avons réuni notre groupe de travail hier pour la première fois : ces 25 experts apporteront leurs connaissances de façon collégiale et contradictoire. C'est là toute la différence. Cette année, nous avons trois nouvelles missions : les maladies professionnelles, les vecteurs et le tabac, ce qui inclut le vapotage. Pour ce dernier, nous examinons l'ensemble des composants chimiques de ces produits, soit plus de 10 000 substances déclarées au-dessus du seuil de 0,5 %. Si les risques du goudron et de la nicotine sont parfaitement connus, nous nous efforçons de comprendre les effets à long terme de ces milliers de produits chimiques sur les usagers.

Nos études présentent les estimations des risques environnementaux liées aux expositions multiples auxquelles nous sommes soumis. Les produits respirés, l'alimentation mais aussi les conditions de vie concourent à la réduction de l'espérance de vie. Il est difficile d'établir des liens de causalité entre un facteur unique et une pathologie. L'Anses travaille sur la poly-exposition en matière de santé publique. Elle fait de même pour les abeilles : disposant des connaissances sur de multiples facteurs, elle fait le moins mauvais choix lorsqu'elle autorise un insecticide.

Notre objectif est de trouver des substituts aux produits chimiques et de diminuer les facteurs de risque. Nous devons réduire les expositions à ce qui est strictement nécessaire en tenant compte du développement souhaitable des activités économiques et humaines et de la préservation de la santé.

Il est exceptionnel qu'une étude scientifique vienne bouleverser les connaissances. En revanche, ces travaux permettent de réévaluer et d'affiner les risques.

Nous devons séparer le rôle de l'évaluateur du risque de celui du gestionnaire du risque. Mise à part notre rôle dans les AMM, nous ne sommes pas gestionnaire de risques : nous adressons des recommandations aux pouvoirs publics. La mise en oeuvre des politiques dépend des ministères et du Parlement. Certaines des questions que vous m'avez posées ne sont pas de notre ressort.

Nous avons rappelé cette année notre étude de 2015 sur les cancers de la peau dus aux cabines de bronzage : les pouvoirs publics connaissent le risque mais d'autres facteurs interviennent pour différer les décisions à prendre. Il en va de même pour le tabac pour lequel le risque est parfaitement connu ; pourtant les cigarettes sont toujours en vente. Le rôle de l'Anses est de qualifier le risque et son impact.

Nous travaillons beaucoup sur la méthodologie de l'expertise, à savoir comment graduer les preuves et les risques. Il reste toujours une marge d'incertitude et c'est au décideur public de décider s'il autorise ou s'il interdit : parfois, cela peut se révéler inconfortable pour lui. On passe ainsi d'une approche probabiliste à une décision déterministe.

Lorsque nous rédigeons un avis, nous l'adressons à nos cinq ministères de tutelle qui disposent de quinze jours pour se préparer à sa publication.

Concernant l'avis sur les couches pour bébés, les ministres ont très vite alerté les industriels et ils leur ont donné quinze jours pour donner leur plan d'action. Une note des autorités françaises à la Commission européenne est en cours de rédaction pour demander une normalisation et un encadrement réglementaire au niveau de l'Europe, mais il faut que les tests soient normalisés à l'OCDE.

Entretemps, les industriels ont procédé à des analyses complémentaires, mais nous n'étions pas d'accord avec leurs méthodes puisqu'ils utilisaient de l'eau physiologique salée alors que l'urine comprend des détergents bien plus corrosifs. Ainsi, quand on a mis au point nos tests plus représentatifs, on a décelé des choses que les industriels ne voyaient pas - ou ne semblaient pas voir.

Notre étude n'a pas porté sur les marques. En revanche, nous avons analysé les couches de 23 marques pour disposer d'un panel suffisant entre celles qui étaient chères, celles qui ne l'étaient pas et celles qui revendiquaient d'être bio. Nous ne disposons pas d'échantillons statistiques pour affirmer que telle marque est meilleure que telle autre et comme nous n'avons pas testé toutes les marques, nous ne voudrions pas que le consommateur estime qu'une marque qui ne figure pas dans notre étude est meilleure que les autres. De façon générale, nous n'avons pas trouvé de marque qui était meilleure que les autres sur les produits que nous avons examinés. Désormais, la DGCCRF qui a mobilisé le service commun des laboratoires va procéder à des contrôles lots par lots et ces résultats seront publiés.

Nous avons publié deux avis sur les compteurs Linky en 2016 qui concluaient à leur innocuité pour la santé. Je pense en revanche que nous avons été saisis trop tardivement, et les multiples rumeurs expliquent sans doute la défiance actuelle du public.

L'Anses n'est pas chargée des nouvelles technologies du végétal car il existe un Haut conseil des biotechnologies. Nous allons néanmoins publier prochainement un avis sur les variétés tolérantes aux herbicides.

Vous m'avez interrogé sur les délais de publication des AMM. En 2016, un rapport de la Commission européenne indiquait que nos délais étaient de 2,3 années alors que le seuil maximal était de 18 mois. Depuis que les AMM nous ont été transférées en 2015, nous avons renforcé nos directions sans dégrader l'évaluation scientifique. Quand nous réévaluons un produit, ce dernier reste sur le marché. Très souvent, les industriels nous amènent des données nouvelles en cours d'évaluation, d'où des retards à la prise de décision, ce qui n'est pas pour déplaire à certains groupes. À l'avenir, la politique de l'Agence sera plus rigoureuse face aux jeux parfois pervers des industriels. Le dossier de pré-soumission a été amélioré et les pétitionnaires savent désormais exactement quels sont les documents qu'ils doivent fournir. Dorénavant, tant que le dossier ne sera pas complet, il ne sera pas enregistré : vous verrez que les délais de l'Agence vont brusquement se réduire.

Reste que nous devons nous améliorer, notamment sur la traçabilité des délais. Chaque coordonnateur, qui doit recueillir l'avis de sept experts, traite 200 dossiers. Imaginez le nombre de coups de téléphone qu'il reçoit quotidiennement des pétitionnaires qui veulent des informations !

À l'occasion de la journée du biocontrôle du 29 janvier, nous avons rappelé que cette thématique avait été notre priorité de 2018, année au cours de laquelle nous avons délivré 53 AMM, contre 45 en 2017. Nous avons eu 39 dépôts de demandes alors qu'il y en avait eu 59 en 2017. Nous constatons très peu d'innovations dans le biocontrôle, d'autant que nombre de produits couvrent les mêmes usages. En outre, nous enregistrons de moins en moins de demandes. Aujourd'hui, 95 demandes sont en cours d'instruction alors que nous en avions 120 en 2017. Dans deux ou trois ans, nous serons à flux tendu. L'Agence a mis parfois 38 mois pour se prononcer sur certains produits car elle avait accepté le dépôt de la demande alors que la substance active n'était pas encore homologuée par l'Europe.

Lors des États généraux de l'alimentation, nous avions suggéré que les structures régionales d'accompagnement de transfert de biotechnologies qui assistent les jeunes entreprises puissent aussi les aider à rédiger les dossiers d'AMM, comme elles le font pour le médicament. D'ici peu, nous allons mettre en place des équipes spécialement dédiées au biocontrôle et elles seront accompagnées d'un comité d'experts.

Nous avons rendu un avis sur les abeilles le 5 février : les ministères de l'agriculture et de l'écologie vont réunir les parties prenantes car il leur revient de modifier l'arrêté pour améliorer la santé des abeilles.

J'en termine par le glyphosate. À la suite des États généraux de l'alimentation, le Gouvernement nous a commandé des études pour réduire l'incertitude sur la cancérogénicité de ce produit. Un groupe d'expert a été réuni en urgence pour analyser toute la littérature : il est apparu que les données sur la génotoxicité avaient besoin d'être affinées. Nous allons prochainement lancer un appel à candidature afin de disposer d'études d'ici deux ans afin de décider en toute connaissance de cause lors de la nouvelle homologation du glyphosate. Je ne sais néanmoins pas si ces études permettront de réduire l'incertitude des experts.

Avec l'INRA, nous travaillons également sur les alternatives non chimiques au glyphosate. Si leur impact économique se révèle acceptable, nous ne délivrerons pas les AMM pour les usages vignes, grandes cultures et arboricultures du glyphosate.

J'ai publié un communiqué de presse après la décision du tribunal administratif de Lyon pour contester très vigoureusement les attendus du juge, qui mettait en cause l'Agence comme si elle n'avait pas pris en compte les données scientifiques disponibles. Aujourd'hui, les AMM pour le glyphosate sont délivrées conformément à la réglementation et ne présentent pas pour les usages que nous avons autorisés en Europe et en France d'inconvénients pour la santé et l'environnement. En revanche, les conditions d'utilisation dans d'autres pays sont très différentes des nôtres.

Il ne nous appartient pas de rectifier sans cesse les informations délivrées par les médias. En outre, une procédure pénale pourrait être engagée à mon encontre du fait de la délivrance des AMM pour le glyphosate. Lors du salon de l'agriculture, j'ai participé à une table ronde sur Europe 1 au cours de laquelle j'ai rappelé l'état des connaissances actuelles. J'entends dire que la concentration de glyphosate pourrait s'élever à 3 microgrammes par litre d'urine, soit une consommation quotidienne de 30 à 60 microgrammes pour une personne pesant 60 kilogrammes. Or la dose journalière admissible, qui est cent fois inférieure au seuil de toxicité, est de 900 microgrammes par litre d'eau, ce qui signifie que l'on pourrait consommer jusqu'à 18 000 microgrammes de glyphosate par jour. Certes, il faut savoir pourquoi on se retrouve avec du glyphosate dans les urines mais, le résultat de ces analyses, sur le plan sanitaire, c'est plutôt rassurant.

Mme Sophie Primas, présidente. - Conclusion surprenante ! Merci pour cette audition intéressante.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de résolution européenne sur la réforme de la politique agricole commune (PAC)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous devons adopter formellement la proposition de résolution européenne sur l'avenir de la PAC. Avec la commission des affaires européennes, nous avons examiné jeudi 14 février une proposition de résolution de notre groupe de travail commun sur la politique agricole commune. Nous avons adopté le texte à l'unanimité, mais notre Règlement prévoit que seule la commission des affaires européennes a adopté le texte, ensuite envoyé à la commission des affaires économiques.

Parmi les quatre rapporteurs du groupe de travail, deux sont membres de notre commission : MM. Franck Montaugé et Daniel Gremillet. Je vous propose de les confirmer comme rapporteurs.

La commission désigne MM. Franck Montaugé et Daniel Gremillet rapporteurs sur la proposition de résolution.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le débat ayant déjà eu lieu, je vous propose de confirmer notre vote du 14 février.

La proposition de résolution européenne est adoptée sans modification.

La réunion est close à 12h40.