Mercredi 20 février 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons le rapport de Dominique Estrosi Sassone et du texte de la commission sur la proposition de loi de Bruno Gilles visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Bruno Gilles, sénateur des Bouches-du-Rhône, a déposé cette proposition de loi après le dramatique événement survenu à Marseille en novembre dernier. L'effondrement de plusieurs immeubles de la rue d'Aubagne a en effet coûté la vie à huit personnes et obligé de très nombreuses autres à quitter leur logement. Beaucoup restent à ce jour sans solution de relogement.

Je remercie notre collègue pour la qualité de son travail sur ce sujet important. Même si de précédentes lois se sont attaquées à ce fléau, il reste beaucoup à faire en amont pour simplifier les procédures et favoriser les mesures préventives, en plus des mesures coercitives.

Entre 400 000 et 2,8 millions de logements seraient indignes ou potentiellement indignes. L'écart est important, mais c'est le résultat du mode de calcul et des définitions retenus. En effet, l'habitat indigne est un phénomène difficile à appréhender, qui présente de multiples facettes. Ce n'est pas qu'un phénomène urbain : il touche l'ensemble de notre territoire, y compris la ruralité. Selon l'Insee, plus de 1 million de logements qui présentent au moins trois défauts importants sont situés dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants ou dans l'unité urbaine de Paris, mais 560 000 logements sont situés dans des communes rurales.

Ce phénomène ne concerne pas les seuls locataires puisqu'on trouve aussi, certes dans une moindre proportion, des propriétaires occupants de logements indignes, insalubres ou non décents.

La lutte contre l'habitat indigne est donc l'affaire de tous. L'existence en France, l'une des plus grandes puissances économiques, d'habitats indignes dans ces proportions doit nous interpeller. Ce doit être une priorité nationale.

Nos politiques publiques de lutte contre l'habitat indigne doivent prendre en compte, pour être efficaces, les différents aspects du phénomène pour adapter les réponses en fonction des territoires et des personnes concernées.

L'arsenal législatif de lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil a été renforcé par les trois dernières lois relatives au logement - loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), loi relative à l'égalité et à la citoyenneté et loi portant évolution du logement, de l'aménagement du territoire et du numérique (ELAN). Je ne citerai que quelques-unes de ces mesures : l'instauration du permis de louer, qui soumet à autorisation préalable la mise en location d'un logement situé dans certaines zones comportant une importante proportion d'habitat dégradé ; sur le plan fiscal, une présomption de revenu a été instaurée sous certaines conditions pour les marchands de sommeil ; sur le plan pénal, les sanctions ont été renforcées, et certaines peines complémentaires comme la confiscation des biens ayant servi à l'infraction ont été rendues automatiques.

Nous avons également prévu la confiscation sous certaines conditions des biens du patrimoine des marchands de sommeil, au-delà de ceux qui ont servi à l'infraction.

En matière de polices administratives, la loi ALUR a mis en place un acteur unique pour simplifier le nombre d'acteurs intervenant dans la procédure. Ainsi, le préfet peut transférer aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) délégataires des aides à la pierre ou aux maires ayant un service communal d'hygiène et de santé ses pouvoirs de police en matière d'insalubrité.

En outre, il est prévu le transfert aux présidents des EPCI des prérogatives des maires en matière de police spéciale de l'habitat indigne. Néanmoins, le maire peut s'opposer au transfert dans les six mois de l'élection du président de l'EPCI, ce dernier pouvant à son tour renoncer au transfert de compétence.

Un premier bilan effectué en 2015 a montré que 24 % des présidents d'EPCI exerçaient les compétences des maires en matière de police. Néanmoins, ce chiffre pourrait avoir évolué en raison de la réforme de l'intercommunalité mise en oeuvre avec la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

La loi ELAN a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour préciser les modalités de ce transfert et pour favoriser la création de services intercommunaux mutualisant les moyens matériels et financiers de lutte contre l'habitat indigne et les immeubles dangereux. Nous avions obtenu une mise en oeuvre différée du contenu de l'ordonnance qui devrait entrer en vigueur en 2021.

Malgré les améliorations apportées à ces polices, la réglementation actuelle comprend pas moins de treize polices qui s'appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures diverses. Cette multiplication des polices n'est pas un gage d'efficacité et peut aussi être source de contentieux. Plus de 400 recours gracieux et administratifs en matière de police de l'insalubrité ont été recensés. Il est nécessaire de simplifier ces polices.

La loi ELAN habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour harmoniser et simplifier ces polices administratives dans un délai de dix-huit mois. Le Gouvernement a confié au député Guillaume Vuilletet une mission pour préparer cette réforme. Son rapport devrait être rendu à la fin du mois de mai.

Au regard des événements dramatiques survenus à Marseille, le Gouvernement doit impérativement accélérer ses travaux préparatoires et présenter son ordonnance dans des délais plus courts que ceux prévus par la loi ELAN, d'autant plus qu'il ressort de mes auditions que la réforme des polices mentionnées dans le code de la santé publique serait déjà prête.

Toute modification de la législation, aussi opportune soit-elle, doit, pour être efficace, s'accompagner d'une mobilisation forte et coordonnée des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre de cette politique et d'un déploiement de moyens humains et financiers en adéquation avec les besoins.

La lutte contre l'habitat indigne est l'affaire de tous. Tous les acteurs, collectivités territoriales comme État, doivent se mobiliser pour dépister l'habitat indigne, engager les procédures administratives appropriées et, surtout, assurer le suivi des mesures prescrites.

Les collectivités territoriales sont des acteurs de premier plan. Si le manque de volontarisme de certaines collectivités a parfois été dénoncé, il ne faut pas stigmatiser les élus, mais les encourager et les accompagner. Leur action peut certainement être améliorée si l'on simplifie les procédures applicables et si on leur donne les moyens d'agir.

Devant la multiplicité des acteurs et des procédures, la coordination est un élément essentiel de réussite de la lutte contre l'habitat indigne. C'est le rôle du pôle national et des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne.

Il me paraît indispensable que les magistrats soient associés à ces pôles. C'est le sens d'une circulaire qui vient d'être publiée et qui insiste sur la nécessité d'accélérer les procédures judiciaires à l'encontre des propriétaires qui louent des logements indignes. Les procureurs de la République sont également invités à créer des groupes locaux de traitement de la délinquance. Le renforcement des mesures de lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil n'a de sens que si la réponse pénale est rapide et exemplaire.

La lutte contre l'habitat indigne suppose que d'importants moyens tant humains que financiers soient mobilisés. En effet, le coût de cette politique n'est pas négligeable : coût des agents chargés de repérer les logements indignes, coût du relogement des personnes évacuées, coût de l'exécution d'office des travaux, etc. Dans le contexte de contrainte budgétaire, les communes et les EPCI ne sont pas toujours en capacité de déployer de tels moyens humains et financiers. La réforme des polices spéciales de l'habitat doit être l'occasion de repenser le financement de leur mise en oeuvre.

L'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est l'interlocuteur unique en matière de financement, pour les propriétaires comme pour les collectivités territoriales. Chaque année, nous débattons lors de l'examen de la loi de finances du budget de l'ANAH. Le Gouvernement doit être cohérent et lui affecter des moyens à la hauteur des enjeux. Pour les propriétaires, la question du financement du reste à charge demeure prégnante, la suppression de l'APL-accession - que nous avons dénoncée -, qui était aussi utilisée pour la réalisation de travaux, a eu un impact sur le nombre de logements rénovés.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit d'appliquer l'autorisation de diviser aux opérations tendant à diviser le logement, qu'elles nécessitent ou non des travaux, et non aux seules opérations nécessitant des travaux.

À l'article 2, il est proposé d'inverser la logique actuelle du permis de louer en posant le principe selon lequel le silence de la collectivité sur la demande de permis de louer vaut décision de rejet à l'issue d'un délai de deux mois.

L'article 3 prévoit l'information des élus locaux en leur permettant un accès au casier judiciaire des personnes soumettant une déclaration préalable de location, un permis de louer ou un permis de diviser. Cette mesure, que le Sénat avait insérée dans la loi ELAN, a été supprimée en commission mixte paritaire.

L'article 4 créé un nouveau cas soumis à la procédure simplifiée d'expropriation pour les immeubles cumulant les conditions suivantes : l'immeuble a fait l'objet d'un arrêté prévoyant des mesures pour remédier à son insalubrité et d'une interdiction temporaire d'habiter ; le propriétaire n'a pas réalisé les travaux prescrits dans le délai d'un mois à compter de sa mise en demeure de le faire et ne s'est pas libéré de son obligation en concluant un bail à réhabilitation.

Plusieurs mesures doivent permettre d'accélérer les réponses apportées aux situations d'insalubrité et de dangerosité des immeubles. Ainsi, à l'article 5, la durée maximale d'habitation d'un immeuble déclaré irrémédiablement insalubre est réduite d'un an à trois mois. Il est en outre proposé à l'article 6 de raccourcir de trois mois à un mois le délai dans lequel l'agent doit se déplacer pour visiter un logement aux fins d'établir un constat en matière d'insalubrité ou de péril de l'immeuble.

En complément des mesures de lutte contre les marchands de sommeil adoptées dans les lois ALUR et ELAN, les sanctions pour non-respect des règles relatives au permis de louer et à la déclaration de mise en location sont renforcées aux articles 7 et 8.

Enfin, à l'article 9, l'exercice de l'action publique des associations de lutte contre l'habitat indigne est ouvert à trois nouveaux cas.

La démarche initiée par notre collègue Bruno Gilles va dans le bon sens. Chacun d'entre nous ne peut qu'être favorable à ce que des réponses plus rapides et plus efficaces soient apportées dans le traitement de l'habitat insalubre, dangereux et, plus largement, de l'habitat indigne. Certaines dispositions méritent sans doute d'être précisées.

J'ai procédé à plusieurs auditions, notamment des représentants des ministères concernés et des propriétaires, des maires. Il me reste encore quelques personnes à rencontrer : je pense aux représentants de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) ou de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim). Nous irons la semaine prochaine en Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers et à Montfermeil, ainsi qu'à Marseille. Il me semble important de prendre en compte ces déplacements dans notre réflexion.

C'est pourquoi je vous propose de prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés dans la proposition de loi. Je souhaiterais également étudier d'autres dispositifs qui permettraient de simplifier certaines procédures. Ce délai supplémentaire me permettait d'examiner la nécessité et la faisabilité d'autres dispositifs de prévention. Le volet préventif de la lutte contre l'habitat indigne est aussi important que le volet curatif et ne doit pas être oublié dans le débat.

Je vous propose à ce stade, après en avoir discuté avec Bruno Gilles, qui en comprend les raisons, d'adopter une motion tendant à renvoyer la proposition de loi en commission. Cela nous permettra de l'enrichir, et peut-être d'en corriger certaines imperfections.

Mme Annie Guillemot. - Nous suivrons la position de la rapporteure. Il faut en effet prendre en compte la suppression de l'APL-accession, la baisse des crédits aux offices d'HLM, les moyens consacrés aux réhabilitations, etc. En outre, le problème de l'habitat insalubre s'inscrit aussi plus généralement dans le contexte de crise du logement.

Il y a des marchands de sommeil, mais il se trouve aussi des propriétaires - de bonne foi - qui n'ont pas les moyens d'engager les réparations nécessaires. Trois associations que nous avons auditionnées nous ont dit que le renforcement de notre arsenal législatif avait conduit les marchands de sommeil à exercer une pression accrue sur leurs victimes pour faire respecter la loi du silence. Il y a même des tribunaux qui ont ordonné l'expulsion de locataires pour loyer impayé, alors que celui-ci était en réalité réglé en espèces !

Il y a des trous dans la raquette ! Récemment, un tribunal a jugé une affaire dans laquelle une famille payait à la fois l'hôtel et le loyer de son logement : ce n'est pas parce que le maire prend un arrêté visant à désigner un expert judiciaire que le bail est suspendu. Les associations demandent la création d'un arrêté de protection des personnes. Mais le maire ne peut être responsable de tout. Lorsqu'il y a un arrêté de péril imminent, il doit reloger les personnes concernées. En revanche, il faut attendre trois à quatre mois la nomination d'un expert par le tribunal, puis jusqu'à six mois la production du rapport d'expertise. L'arrêté du maire demandant une expertise ne pourrait-il pas suspendre le bail ?

Mme Cécile Cukierman. - Cette proposition de loi concerne tous les territoires et tous les types de logements. Prenons le temps d'examiner les réponses qu'il convient d'apporter à ces problématiques : votons, effectivement, le renvoi en commission, avec l'accord de l'auteur de ce texte. N'oublions pas que cet accord est indispensable, pour ce texte, mais aussi pour tous les autres...

Le maire est responsable, certes, mais l'État aussi.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il s'agit d'un problème majeur, que l'on ne résoudra que par une action déterminée dans la durée, prenant en compte à la fois les aspects juridique, financier et humain. Notre pays a beaucoup construit après-guerre et, aujourd'hui, le parc de logements est vieillissant. Les investissements n'ont pas toujours été au rendez-vous.

En 2002, lorsque j'étais ministre, l'État a signé avec la ville de Marseille un plan de résorption de l'habitat insalubre, et les immeubles qui se sont effondrés récemment y étaient prioritaires. Des financements étaient prévus, des comités de suivi nommés, mais aucune administration responsable n'avait été désignée. Nous avons depuis amélioré nos dispositifs juridiques mais nous devons dire quelles sont les structures opérationnelles. Pourquoi ne pas s'inspirer des exemples de Tourcoing et de Roubaix ? Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les services d'hygiène municipale ont été créés dans les grandes villes pour que cette question soit suivie sur le long terme.

Certains maires redoutent les problèmes qu'implique l'exigence de relogement, notamment lorsque le parc social comporte peu de logements disponibles. Ils attendent donc le dernier moment pour agir. Notre texte devrait définir des stratégies de relogement pour régler cette question. C'est toute la difficulté à Marseille aujourd'hui.

Le pôle départemental ne me semble pas suffisamment opérationnel. Nous devrons proposer d'autres dispositions pour désigner les instances compétentes.

M. Marc Daunis. - Lors de l'audition des représentants de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), je suis intervenu sur la notion de gouvernance qui doit être clarifiée. Pour l'instant, les responsabilités et les compétences sont bien trop diverses, et donc inefficaces. Le renvoi en commission devra nous permettre de travailler d'ici juin sur le pilotage opérationnel.

Mme Valérie Létard. - Nous devons prendre le temps d'approfondir ce sujet extrêmement compliqué, qui touche à la fois au local et au national et qui consomme beaucoup d'ingénierie.

À Roubaix, nous avons constaté que l'aide de l'échelon supérieur était indispensable, pour éviter à la commune de se trouver en difficulté dans la gestion de ces dossiers. Parfois, un fonctionnaire travaille une semaine entière pour parvenir à reloger une famille !

Les opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) ne sont pas récentes et, à chaque fois, c'est un vrai casse-tête. Nous sommes obligés de construire des outils complexes. Sur la base des expériences positives, nous pourrions présenter des propositions constructives. Si la commune a un rôle déterminant à jouer, elle ne doit pas être la seule à agir. Peut-être l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) doit-il plus s'investir.

Souvent, les personnes qui occupent des logements dégradés n'ont même plus accès au logement social : ce sont les plus fragiles, et elles ont souvent besoin de logements adaptés.

Dans les plans de vente de logements sociaux, prévus dans la loi ELAN, la vente d'un logement à un particulier lui interdit de bénéficier de l'aide de l'ANAH pendant les cinq années suivantes, alors qu'il s'agit souvent de logements qui n'ont pas été rénovés. Il va falloir revenir sur cette disposition.

M. Bernard Buis. - L'habitat indigne est effectivement l'affaire de tous. Nous devons prendre le temps de la réflexion.

Dans les petites communes, il est toujours difficile au maire de prendre un arrêté de péril imminent, car se pose immédiatement le problème du relogement. Les services de l'État doivent accompagner les communes mais ces dernières, souvent, ignorent à qui s'adresser. En matière de relogement, il faut travailler sur un périmètre plus vaste que celui de la commune. Les EPCI pourraient également proposer des logements.

M. Martial Bourquin. - Le réel problème, c'est le relogement qui, parfois, ne peut intervenir immédiatement dans les zones tendues. En outre, les logements indignes se trouvent souvent en centre-ville, qui parfois n'a pas été réhabilité depuis un demi-siècle. Je suis étonné des statistiques de l'Insee données par notre rapporteur sur les grandes métropoles. Certaines villes moyennes rencontrent de graves problèmes. Ce qui est arrivé à Marseille peut se produire ailleurs.

La répression est certes indispensable, mais il faut aussi trouver des moyens supplémentaires pour que l'ANAH intervienne efficacement.

N'oublions pas que si les EPCI sont responsables des programmes locaux de l'habitat (PLH), les maires sont les premiers à détecter les habitats indignes.

M. Joël Labbé. - Ce qui me frappe c'est qu'un tiers des logements indignes se trouvent en zone rurale. C'est sidérant. Nous allons devoir simplifier les procédures. En outre, il faudra bien que l'on s'interroge sur les moyens à consacrer à la lutte contre ce fléau : où trouver l'argent ?

Même si le sujet est tabou ces derniers temps, il faudra bien instaurer une fiscalité carbone, mais à la condition qu'elle soit juste et lisible. Nous serions bien inspirés de la flécher vers la rénovation des logements : cela entraînerait des créations d'emplois et garantirait une meilleure qualité de vie pour des milliers de familles. Enfin, l'Europe ne devrait pas comptabiliser ces investissements dans le montant de la dette nationale.

M. Laurent Duplomb. - Quid des logements indignes en milieu rural occupés par leurs propriétaires ? Les maires des zones rurales connaissent tous des personnes riches qui vivent dans des maisons insalubres. C'est la liberté des personnes de vivre ainsi. Comment le maire peut-il intervenir dans ces cas-là ?

En milieu rural, on dépense beaucoup d'argent à des choses superflues alors qu'on pourrait utiliser cet argent pour améliorer l'habitat, notamment via l'ANAH. Il faudrait pouvoir contraindre les propriétaires qui possèdent des biens à en vendre une partie pour rénover leur patrimoine. Réservons les aides à ceux qui n'ont réellement pas les moyens de rénover leur logement.

Mme Catherine Conconne. - Il y a environ cinq ans, un député martiniquais a fait voter une importante loi sur l'habitat insalubre et indigne en outre-mer. Pourquoi ne pas s'en inspirer ?

M. François Calvet. - Les dispositifs prévus pour rendre plus efficients les permis de louer vont dans le bon sens. C'est une démarche préventive.

Les aides au logement versés par les caisses d'allocations familiales (CAF) et par la mutualité sociale agricole (MSA) assurent, bien souvent, la rentabilité des logements indignes ! Les propriétaires minimisent le risque locatif en calant le niveau des loyers sur celui des aides au logement et ils exigent le versement direct de ces aides. Comment concilier l'attribution de ces aides et les politiques de rénovation de logement ?

Mme Anne-Marie Bertrand. - Élue des Bouches-du-Rhône, j'ai partagé le drame des Marseillais : 8 morts et 1 600 personnes à reloger... Les familles vivent dans des hôtels depuis des mois. Le montage technique et la stratégie de relogement sont les deux points essentiels sur lesquels nous devons apporter des réponses.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes évidemment solidaires des habitants des Bouches-du-Rhône.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La France est le pays où l'immobilier est le plus taxé. Nous devons réfléchir sur la fiscalité : quel peut-être le business model de la rénovation et de l'investissement pour faire reculer le nombre de logements insalubres ? Comment accompagner et même favoriser l'investissement dans la rénovation des logements ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Nous aurons à nouveau ce débat en commission puis en séance au mois de juin prochain, une fois la proposition de loi réinscrite à l'ordre du jour.

Tout d'abord, nous sommes confrontés à la multiplicité des définitions de la dégradation de l'habitat : on parle d'indignité, de non décence, d'insalubrité. Un habitat peut cumuler plusieurs handicaps, ce qui multiplie les procédures si le logement est qualifié d'insalubre et de non décence, par exemple. Les procédures, mais aussi les pouvoirs dévolus aux préfets, aux maires, aux tribunaux d'instance, ne sont pas les mêmes. Nous devrons simplifier les définitions de la dégradation de l'habitat et les procédures afférentes.

Le volet administratif devra également être simplifié pour être plus efficace. Il faudrait désigner un acteur référent unique, un pilote, qui puisse mieux accompagner les maires et les propriétaires.

Nous avons également pointé les manques de moyens humains et financiers. Si l'on veut laisser le pouvoir au maire, qui est l'acteur de proximité le mieux à même d'identifier les logements indignes, il faut lui donner les moyens de l'exercer. Or les ressources humaines manquent, même dans les grandes villes dotées de services communaux d'hygiène et de santé (SCHS). Il s'écoule parfois de longs mois avant qu'un agent communal ait le temps de se déplacer pour constater l'état indigne d'un habitat. Les moyens d'intervention de l'ANAH devront également être revus.

Les propriétaires occupants peuvent être impécunieux : dans ce cas, ils ont accès à des aides, attribuées en fonction des ressources, mais qui souvent ne sont pas d'un montant suffisant.

M. Laurent Duplomb. - Certains propriétaires ont beaucoup de patrimoine, mais peu de ressources.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - C'est vrai, mais les aides sont calculées en fonction des ressources.

Aujourd'hui, la CAF peut conserver les APL pour obliger les propriétaires à réaliser les travaux nécessaires.

J'en viens à la problématique du relogement : le drame de la rue d'Aubagne à Marseille s'est produit début novembre. D'autres immeubles ont, depuis, été évacués. Au 25 janvier 2019, 735 ménages, soit 1 644 personnes, devaient être relogés ; trois mois après, seuls 103 ménages, soit 196 personnes, l'ont été. Cela montre combien le relogement est difficile dans les zones tendues. Ces personnes à reloger s'ajoutent à tous les demandeurs en attente de logement social. Ceux qui sont logés à l'hôtel doivent quitter celui-ci tous les matins sans savoir où ils vont être accueillis pour la nuit suivante. Enfin, les offres de relogement ne correspondent pas toujours aux attentes des habitants : la rue d'Aubagne est au centre de Marseille et les offres peuvent se trouver dans la périphérie de la ville, alors que les enfants vont à l'école en plein centre-ville.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ces premiers échanges démontrent l'importance du sujet et notre volonté d'aller plus loin. Nous irons à Montfermeil, à Aubervilliers et à Marseille pour mieux comprendre les dispositifs en place et voir comment les améliorer.

Je vous propose de voter la motion de renvoi en commission et donc de ne pas adopter le texte.

La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi. En conséquence, l'ensemble des amendements deviennent sans objet et la proposition de loi n'est pas adoptée.

Proposition de loi pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en venons à l'examen de la proposition de loi pour la protection des activités agricoles et des cultures marines dans les zones littorales.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - La proposition de loi de Jimmy Pahun, député du Morbihan, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Je voudrais ici saluer la qualité du travail tant de l'auteur que de la commission. Ce texte évoque la protection des activités agricoles et des cultures marines dans les zones littorales, mais, ne nous y trompons pas : il ne concerne qu'un seul dispositif : le renforcement de l'efficacité du droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) dans les communes littorales. La proposition de loi porte donc assez mal son nom, car son champ est en réalité très restreint. Je vous proposerai un amendement sur ce point.

Le périmètre très circonscrit de ce texte ne manque pas d'étonner alors que, depuis près d'un an, est annoncée à grands renforts d'annonces médiatiques une loi sur le foncier agricole. Nous l'attendons avec une certaine impatience ! Ce sujet très spécifique aurait pu être débattu dans ce cadre. Ainsi, l'examen à marche forcée de cette proposition de loi traitant d'un seul sujet lié au foncier agricole, alors même que le calendrier législatif est particulièrement chargé, semble annoncer un report sine die de l'examen de cette loi foncière, ce que je regrette. Je n'estime pas qu'il faille appeler à un changement radical des protections accordées aujourd'hui aux exploitations agricoles. Certaines problématiques spécifiques mériteraient cependant d'être traitées rapidement. Je pense à la protection des activités agricoles françaises face aux investissements étrangers de plus en plus fréquents. La censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle a bloqué la réflexion sur le sujet.

Cette loi foncière devrait être un moment important pour se poser une question essentielle : qu'est-ce qu'est un agriculteur au XXIème siècle ?

J'en viens au contenu de la proposition de loi. Les communes littorales sont soumises à une pression foncière qui se renforce chaque année. Elles sont en effet 2,4 fois plus peuplées que la moyenne métropolitaine. Le déséquilibre entre une offre rare et une demande forte provoque une explosion des prix : ils ont été multipliés par près de 2,5 entre 1997 et 2010 alors que la moyenne nationale a été multipliée par 1,5 sur la même période. Aujourd'hui, le prix de vente d'un bâtiment à usage agricole à un non professionnel peut y être jusqu'à dix fois supérieur au prix de vente à un professionnel. Pour un exploitant agricole ou un conchyliculteur arrivant à la retraite, une cession foncière à un non professionnel est parfois la seule solution. C'est une rétribution du travail de toute une vie à sa juste valeur. Les choix de ces agriculteurs, nous les comprenons. Toutefois, chaque cession est irréversible et contribue à faire disparaître une activité agricole de nos littoraux au profit de résidences, le plus souvent secondaires.

Or les activités agricoles et conchylicoles sont nécessaires à la survie de nos espaces littoraux. Elles font partie de la fierté de ces terroirs. Elles en constituent une partie de leur identité et de leur écosystème. Comment imaginer Arcachon sans ses huîtres vertes ou le bassin de Thau sans ses huîtres au léger goût de noisette ? Et je ne parle pas des huîtres de Marennes d'Oléron chères à Daniel Laurent !

Les activités agricoles de ces communes littorales permettent aussi le maintien d'une activité économique durable toute l'année, sans lien avec le cycle touristique. C'est un point essentiel pour nos communes littorales. Elles entretiennent également la faune et la flore si particulières de nos régions côtières, participent à la qualité des eaux et du biotope, le tout au profit de l'environnement.

L'objectif est donc d'arriver au plus juste équilibre entre la préservation des activités littorales, la nécessaire valorisation du travail des agriculteurs et le développement du tourisme.

La proposition de loi traite des contournements aux dispositions législatives déjà en vigueur. Depuis 2014, le droit de préemption des Safer s'applique lors des ventes de biens situés principalement dans des zones agricoles ou naturelles ayant fait l'objet de l'exercice d'une activité agricole dans les cinq années précédentes. Il s'agit principalement de préserver les activités agricoles. Or, compte tenu du prix du foncier dans les zones littorales, on peut facilement, notamment en Bretagne, attendre cinq ans sans utiliser le bâtiment, pour échapper ensuite au droit de préemption des Safer. Les articles 1er et 2 visent à lutter contre ce contournement, en prenant en considération l'utilisation des bâtiments au cours des vingt années précédant la vente.

Une garantie importante est cependant apportée aux propriétaires quant au prix. En temps normal, la Safer peut demander une révision du prix si elle considère qu'il est excessif. Dans ce texte, si le changement de destination a été réalisé lors des vingt dernières années en toute légalité, la Safer pourra préempter le bâtiment mais devra payer le prix exigé par le vendeur. En revanche, si le changement de destination n'a pas été réalisé légalement, la Safer pourra demander une révision du prix. Si le vendeur refuse cette offre révisée, il pourra retirer son bien de la vente ou demander au juge de trancher sur « le juste prix ». Cette sécurité me semble nécessaire et renforce la constitutionnalité du dispositif au regard du respect de droit de propriété. L'article 1er précise en outre que si la Safer préempte un bien dont le dernier usage a été conchylicole, elle le cède en priorité à un candidat s'engageant à poursuivre cette activité.

Cette proposition de loi a été utilement modifiée en commission et en séance publique à l'Assemblée nationale. Nous devons préserver ces modifications. Aujourd'hui, les Safer peuvent vérifier si, cinq ans avant la vente, le bâtiment avait une vocation agricole. Le texte dont nous sommes saisis porte ce délai à vingt ans alors que dans la proposition de loi initiale, il était illimité. En outre, les Safer pouvaient baisser le prix dans toutes les transactions, y compris lorsque les changements de destination étaient parfaitement légaux. La rédaction actuelle apparaît bien plus équilibrée et respectueuse du droit de propriété.

L'article 3 étendait également ce droit de préemption spécifique des Safer aux communes de montagne. Cet article a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale. Certes, la pression foncière s'exerce aussi dans les communes de montagne, mais les problématiques sont différentes. La loi « Montagne » ne peut être comparée à la loi « Littoral » : l'économie locale, la législation, les équilibres en présence sont différents. Modifier l'une ne doit pas entraîner la modification de l'autre.

Je propose donc de conserver la rédaction de l'Assemblée nationale pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le délai commun de cinq ans avant l'aliénation continuera de s'appliquer dans ces communes de montagne. De plus, selon les représentants des élus de la montagne, aucune remontée de l'Association nationale des élus de montagne (Anem) ni de la Fédération nationale des Safer (FNSAFER) n'a démontré l'insuffisance du délai de cinq années. Lors de l'examen de l'acte II de la loi « Montagne », en 2016, le droit de préemption des Safer spécifique aux communes de montagne a été modifié. Or, lorsque nous avons examiné cet article qui nous avait été délégué au fond, nous n'y avons pas apporté de modification. Conservons par conséquent cette rédaction et voyons les conséquences du délai de vingt ans dans les communes littorales.

Enfin, la proposition de loi contenait au départ un article 4 permettant l'implantation d'annexes nécessaires aux activités conchylicoles en discontinuité de l'urbanisation. La loi ELAN l'ayant permis il y a quelques mois, cet article a été supprimé.

Ce texte m'apparaît donc équilibré et il répond à un véritable enjeu foncier dans les communes littorales. Les atteintes au droit de propriété, que le Conseil constitutionnel regardera avec attention, me paraissent limitées. D'une part, les Safer sont très encadrées dans leur action : elles sont agréées par l'État, n'exercent leur droit de préemption qu'avec l'accord de leur conseil d'administration et après avis des deux commissaires du Gouvernement - issus du ministère des finances et du ministère de l'agriculture - qui contrôlent que cette utilisation réponde aux objectifs strictement définis dans la loi.

D'autre part, le délai de vingt ans apparaît suffisamment dissuasif sans l'être trop. Les manoeuvres pour échapper au droit de préemption des Safer dans les communes littorales ne sont pas acceptables. Pour un propriétaire, attendre vingt ans, cela n'est pas la même chose que d'attendre cinq ans. Enfin, le mécanisme de révision de prix réservé aux changements de destination illégaux non sanctionnés apparaît juste et approprié.

Toutefois, il y a un trou dans la raquette : la proposition de loi serait réservée aux seuls bâtiments agricoles et aux bâtiments affectés aux cultures marines dans les communes littorales. Elle ne concernerait donc pas les bâtiments salicoles qui sont soumis à la même pression foncière. Cela provient d'une anomalie dénoncée par tous les groupes politiques du Parlement : en droit, les activités salicoles ne sont pas reconnues comme agricoles dans notre pays. Nous proposons de réparer cela.

De manière indirecte, cette reconnaissance permettrait aux activités salicoles de bénéficier du régime des calamités agricoles et de l'exonération de la taxe sur le foncier bâti. Elle permettrait également aux saliculteurs concernés de pouvoir se constituer en organisations de producteurs reconnues. Le Gouvernement, par la voix du ministre chargé de l'agriculture, s'est engagé à l'Assemblée nationale en ce sens : « Je suis favorable à la reconnaissance de la production de sel issu des marais salants comme une activité agricole ». Si tout le monde est d'accord, pourquoi attendre ? Je vous proposerai donc un amendement en ce sens. En outre, l'engagement du Gouvernement en séance nous prémunit d'une irrecevabilité au titre de l'article 40.

Alors que le Parlement est accusé de ne pas travailler assez vite, cette proposition de loi ciblée nous donne l'occasion de démontrer que nous pouvons voter la loi rapidement. Si nous adoptons ce texte conforme, hormis l'amendement sur les marais salants, nous pourrions répondre à la demande des conchyliculteurs avant l'été. Cela suppose une concertation sur le sujet, quitte à ne pas aborder d'autres sujets, même s'ils sont importants. Si nous modifions le périmètre du texte, le risque serait d'allonger la durée de la navette parlementaire, ce qui reporterait, en pratique, sine die l'adoption de la proposition de loi. Les conchyliculteurs et les producteurs agricoles du littoral attendent ce texte : il ne faut pas les décevoir.

J'ai rencontré le rapporteur de l'Assemblée nationale, auteur de la proposition de loi : il est possible de faire aboutir ce texte s'il n'est pas trop modifié. En outre, il y a une certaine urgence. J'ai déjà été alerté par la Safer de Bretagne de l'augmentation anormale des mises en vente de bâtiments n'ayant plus d'activités agricoles depuis plus de cinq ans dans les communes littorales depuis l'adoption de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. Ce phénomène tend à démontrer que les comportements non coopératifs ne sont pas si isolés. Je vous propose donc de conserver la rédaction de l'Assemblée nationale sur les quatre premiers articles, qui ont été adoptés à l'unanimité des groupes politiques. Si ces articles étaient adoptés conformes par le Sénat, ils ne seraient plus examinés par l'Assemblée. Je vous proposerai un amendement ouvrant le droit de préemption des Safer aux bâtiments salicoles. Ce serait la seule mesure de fond qui resterait en discussion à l'Assemblée. Enfin, je présenterai un amendement sur le titre de la proposition de loi, comme je l'ai dit.

Tant les conchyliculteurs, les agriculteurs littoraux que les saliculteurs salueront le fait que le Parlement fasse son travail, comme d'habitude, bien et rapidement. Les activités agricoles et conchylicoles sont nécessaires à la survie de nos espaces littoraux. Elles font l'identité et la fierté de ces terroirs. Il nous revient de les protéger.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour ce rapport : l'efficacité est au centre de vos préoccupations.

M. Henri Cabanel. - Nous devons aller vite pour répondre aux attentes de la profession. Merci d'avoir mentionné l'excellence des huîtres de l'étang de Thau, mais la situation est préoccupante : la moyenne d'âge des professionnels est relativement élevée et les repreneurs se font rares.

Je suis favorable à une augmentation des pouvoirs des Safer : encore faut-il que leurs moyens financiers suivent, surtout en cas d'absence de repreneur. Certes, elles peuvent conventionner avec les collectivités ou avec les établissements publics fonciers (EPF), mais la question reste posée.

En outre, nous assistons à une multiplication des cabanes en dehors des locaux d'exploitation. Pour détourner la loi, des donations fictives sont effectuées car elles ne passent pas par des déclarations d'intention d'aliéner (DIA). À l'occasion d'un héritage, d'une succession ou d'une donation, ne pourrions-nous pas imposer aux notaires une obligation d'informer les Safer pour qu'elles aient un droit de regard sur l'opération en cours ?

M. Laurent Duplomb. - En zone littorale, les Safer devront réaffecter en priorité les biens préemptés aux seules activités conchylicoles ou agricoles. Dans la Manche, en cas de Brexit « dur », 200 navires rencontreront d'immenses difficultés financières en raison de l'interdiction de pêcher dans les eaux anglaises. Une alternative serait de développer les fermes aquacoles or il n'y aurait plus suffisamment de place dans la Manche, d'où un développement des fermes plus important dans les terres qu'au bord de mer. Pourquoi dès lors ne pas autoriser les Safer à transformer les propriétés conchylicoles en fermes aquacoles ? J'ai déposé un amendement en ce sens, mais je le retirerai s'il met en péril l'adoption du texte. Néanmoins, si l'on inclut les marais salants, pourquoi ne pas mentionner les fermes aquacoles ?

M. Joël Labbé. - Les Safer sont des outils extraordinaires. La profession conchylicole a perdu 21 % de ses concessions depuis 2001. Les prix sont démesurés et l'on constate des changements d'affectation.

Une grande loi foncière est absolument nécessaire, même s'il faut prendre garde à un risque d'inconstitutionnalité. Nous attendons que le Gouvernement avance sur le sujet.

Je comprends la volonté du rapporteur de ne pas toucher à ce qui a été fait, tout en étendant le texte à la saliculture. Je me demande néanmoins si je ne vais pas déposer un amendement sur l'étiquetage des huîtres, puisqu'il s'agit de conchyliculture...

M. Jean-Claude Tissot. - Nous rencontrons le même problème en montagne ou en zone périurbaine : le foncier agricole est menacé par la spéculation immobilière. Il devient urgent de voter une loi foncière, sinon la réduction de la surface agricole s'aggravera. Il faudra aussi se pencher sur une réforme fiscale.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous appelons tous à une réforme foncière, d'autant plus que la disparition de terres agricoles s'accélère à nouveau, après une accalmie.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Le dossier du foncier n'est effectivement pas propre au littoral. Il concerne l'ensemble du territoire. Il y a bien deux axes. Celui du foncier, bien sûr. Mais autre axe à creuser : qu'est-ce qu'un agriculteur aujourd'hui ? Ce serait une belle question à poser au niveau européen car être agriculteur en Allemagne ou aux Pays-Bas n'a rien à voir avec le métier exercé en France - et pourtant il y a bien une politique agricole commune.

Le portage par les Safer n'est pas un problème propre au littoral. Les collectivités locales voient cependant leur action d'un meilleur oeil qu'auparavant. Souvent les surfaces préemptées le sont au profit des collectivités. Les relations se sont bien améliorées. Il y a donc lieu de se réjouir de disposer de ces deux outils formidables que sont les établissements publics fonciers (EPF) et la Safer.

Vous soulevez le problème des donations. La Safer ne peut pas préempter s'il y a une installation sur le terrain. De même, la donation est libre et cela ne concerne pas uniquement les donations directes aux enfants. Mais ce n'est pas parce que vous êtes héritier que vous n'avez pas l'obligation de respecter des contraintes liées à l'exploitation. C'est d'ailleurs parfois mal vécu...

L'alinéa 3 de l'article 1er précise bien les choses : la Safer cède le bien « en priorité à un candidat s'engageant à poursuivre une activité conchylicole ». Puisqu'il ne s'agit que d'une priorité, elle peut donc aussi le céder à un candidat à l'exploitation d'une ferme aquacole. Il y a par exemple des changements de destination entre céréales et élevage laitier lorsqu'une Safer préempte une terre agricole aujourd'hui.

Pendant vingt ans, la Safer aura le droit de préempter une cabane qui aurait changé de destination. C'est violent, et j'espère que ce ne sera pas jugé incompatible avec le droit de propriété. Le dispositif a été atténué, puisque la première rédaction prévoyait un droit illimité dans le temps. Je ne suis donc pas inquiet. Les nouvelles activités maritimes pourront être exploitées. C'est le comité technique qui décide de la réattribution.

M. Laurent Duplomb. - Le titre de la loi...

Mme Sophie Primas, présidente. - ... que nous allons modifier....

M. Laurent Duplomb. - ...vise la « protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale ». Or le texte prévoit une réaffectation en priorité à la conchyliculture. Il aurait été préférable d'ajouter : « et aux cultures marines ».

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Le problème concerne avant tout la conchyliculture. Il faut appeler un chat un chat. On ne parle pas d'écloseries !

M. Michel Raison. - C'est comme s'il y avait une coquille dans le texte !

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Aucune des nombreuses personnes auditionnées n'a fait de remarque sur ce point. Cette proposition de loi renforce l'objet de la Safer en faisant passer son délai de préemption de cinq à vingt ans.

M. Joël Labbé. - Nous parlons de conchyliculture et d'ostréiculture car le problème vient de là : il y a des chantiers qui sont détournés. Mais cela n'empêche pas qu'il y ait de la demande pour la reprise des petits chantiers - en Bretagne en tout cas. La logique défendue par le rapporteur me convient.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je confirme qu'en Bretagne, cette activité est dynamique. Ce n'est pas rien, car elle impose d'être sur place 365 jours par an. Les chiffres que nous a donnés la Safer sur les nouvelles installations sont intéressants, même si d'autres régions ne bénéficient pas de la même dynamique, comme le rappelle Monsieur Cabanel.

Monsieur Duplomb, si nous voulons répondre à l'attente des producteurs, il nous faut un vote conforme. Je vous propose de retirer votre amendement, quitte à le redéposer en séance, ce qui permettra au ministre chargé de l'agriculture de s'engager sur des recommandations aux commissaires agricoles membres des comités techniques des Safer afin de favoriser les fermes aquacoles. Je ne suis pas trop inquiet sur ce point.

Monsieur Labbé, je propose un amendement sur l'intitulé du texte, de manière à le recentrer sur les questions foncières. Il est certain que la spéculation existe ailleurs, mais ici, nous devons nous en tenir au littoral.

M. Pierre Louault. - Nous devons voter conforme. Mais cela ne doit pas nous empêcher d'introduire un débat général sur la protection des activités agricoles, car la question foncière n'est que l'un des aspects de ces activités.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement COM-4 rectifié bis est retiré.

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3 (supprimé)

L'article 3 demeure supprimé.

Article 3 bis

L'article 3 bis est adopté sans modification.

Article 4 (supprimé)

L'article 4 demeure supprimé.

Article additionnel après l'article 4 (supprimé)

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement COM-5 étend la proposition de loi à la saliculture, à la demande des saliculteurs des marais salants. Il s'agit de leur donner un statut, car cette activité est aujourd'hui à cheval entre le régime des carrières et celui de l'agriculture.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous faisons cela en créant un nouvel article, qui sera donc le seul en discussion à l'Assemblée nationale si le texte en restait là.

M. Laurent Duplomb. - Il aurait fallu ajouter les cultures marines !

L'amendement COM-5 est adopté et devient article additionnel.

Intitulé de la proposition de loi

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'amendement COM-6 clarifie le titre du texte.

L'amendement COM-6 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à nos deux rapporteurs. Le Sénat a montré ce matin qu'il était vif et toujours à l'écoute des préoccupations locales.

Les avis de la commission sur les amendements de commission sont repris dans le tableau ci-après :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. DUPLOMB

4 rect. bis

Prévoir qu'à défaut de conchyliculteurs, les bâtiments anciennement conchylicoles préemptés par une SAFER, reviennent, en priorité, à des exploitants de cultures marines

Retiré

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 3 (Supprimé)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 3 bis (nouveau)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) après Article 4 (Supprimé)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. GREMILLET, rapporteur

5

Extension du droit de préemption étendu des SAFER aux bâtiments salicoles (marais salants) par la reconnaissance de la saliculture comme activité agricole

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. GREMILLET, rapporteur

6

Modification de l'intitulé

Adopté

La réunion est close à 10 h 50.