Mercredi 13 février 2019

- Présidence de M. Michel Vaspart, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de M. Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de la Fédération française de l'assurance

M. Michel Vaspart, président. - Mes chers collègues, nous reprenons cet après-midi les auditions de notre mission d'information consacrée aux risques climatiques. Je rappelle que cette mission d'information a été créée à la demande du groupe Socialiste et républicain, et que notre collègue Nicole Bonnefoy en est la rapporteure.

L'objectif principal de cette mission est d'identifier et d'analyser les difficultés liées à l'indemnisation des sinistres résultant des aléas naturels de forte intensité, et de proposer des solutions pour y remédier, en tenant compte des effets du changement climatique. Nos réflexions intègrent également des mesures de nature préventive, qui permettent de limiter les conséquences des aléas naturels et donc de maîtriser les besoins d'indemnisation.

Nous recevons aujourd'hui M. Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de la Fédération française de l'assurance (FFA), que je remercie d'avoir accepté d'être entendu par notre mission d'information.

Dès lors que les assurances jouent un rôle important dans la mise en oeuvre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, il nous a paru important d'entendre rapidement votre fédération, qui regroupe les principaux acteurs du secteur de l'assurance. Vous pourrez notamment nous présenter votre point de vue sur le fonctionnement actuel du régime et son avenir, en lien avec le changement climatique. Nous avons également des interrogations sur les conditions d'indemnisation de certains risques et sinistres situés actuellement hors du régime « catnat ».

Sans plus attendre, je vous laisse la parole pour une présentation liminaire avant de passer aux questions de notre rapporteure et des autres membres de la mission.

M. Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de la Fédération française de l'assurance. - Merci M. le président, Mme la rapporteure, mesdames et messieurs. Je vais essayer de présenter la vision des assureurs sur la question de l'indemnisation des dommages causés par les aléas naturels d'une manière générale. Je précise bien que nous nous préoccupons des aléas naturels dans leur ensemble, dans la mesure où seulement une partie de ce sujet est traitée par le régime « catnat ». Or, nous souhaitons adopter une vision globale du problème : si la loi a décidé que le régime « catnat » englobait un certain nombre d'éléments, c'est bien les risques climatiques, d'une manière générale, qui peuvent poser des problèmes dans le monde et en France en particulier.

Je souhaiterais évoquer en premier lieu le périmètre du régime « catnat » - sans trop entrer dans le détail, étant donné que vous avez auditionné la Caisse centrale de réassurance (CCR), spécialiste sur le sujet. Le régime « catnat » est très particulier, peu de pays disposent d'un système comparable à celui dont nous bénéficions en France, hormis peut-être l'Espagne. Ce dispositif se fonde sur un partenariat entre le public et le privé au sein duquel les assureurs jouent leur rôle mais, et c'est là une particularité du régime, l'action des assureurs se situe strictement dans le cadre de la loi : ainsi, le texte qui figure dans les contrats d'assurance couvrant les personnes contre les catastrophes naturelles, de même que le prix ou les modalités d'indemnisation sont fixés par la loi. Les assureurs ne sont donc que le bras armé d'un régime voulu par le législateur.

Par ailleurs, ce régime bénéficie in fine d'une garantie de l'État. En effet, l'assurance a besoin de frontières pour remplir ses fonctions, l'illimité étant impossible à assurer. Par exemple, si une même année se produisent un tremblement de terre à Nice et une inondation centennale de la Seine, toutes les compagnies d'assurance de France seraient ruinées. C'est pourquoi l'État se réserve la possibilité d'intervenir si une année se révèle particulièrement mauvaise ; c'est le sens de cet accord public-privé entre les assureurs et l'État via l'instrument qu'est CCR, réassureur « public » du régime.

Le régime « catnat » couvre les dommages aux biens de toute entreprise, toute collectivité territoriale, ou tout particulier. Il ne s'agit pas d'une assurance obligatoire, mais d'une extension obligatoire aux contrats d'assurance. Dès lors qu'un bien est assuré, il est obligatoirement couvert contre les catastrophes naturelles. A l'inverse, si le propriétaire d'une maison n'est pas assuré, alors il n'est pas couvert contre les catastrophes naturelles. Sur le territoire métropolitain, 99 % des Français et 99 % des entreprises sont couverts contre les catastrophes naturelles, une proportion de 1 % ayant décidé de ne pas s'assurer contre les incendies, les catastrophes naturelles, etc. Il s'agit de la première limite de ce régime : ceux qui ne veulent pas s'assurer ne sont pas couverts contre les dommages liés aux catastrophes naturelles.

Une deuxième limite est que le régime ne couvre pas les récoltes non engrangées des agriculteurs. Nous estimons que c'est un point faible de la protection contre les aléas climatiques en France. La question agricole est exclue du régime, puisqu'elle relève du régime des calamités agricoles.

Enfin, une troisième limite pourrait être l'exclusion des dommages causés par le vent du périmètre de la garantie. Ainsi, les tempêtes Klaus, Lothar et Martin qu'a subi la France ces dernières décennies n'étaient pas couvertes par le régime « catnat » mais par la garantie tempête. Cette dernière est également obligatoire mais ne bénéficie pas de la réassurance de l'État : il s'agit d'un marché totalement libre, entièrement aux mains des assureurs et réassureurs privés. La loi précise cependant que les vents cycloniques dans les territoires d'outre-mer sont couverts par le régime « catnat ».

Si nous devions faire un bilan du régime « catnat », plusieurs points faibles pourraient être relevés.

En premier lieu, dans le secteur agricole, seules 30 % des exploitations sont assurées contre le risque climatique et donc 70 % ne le sont pas. Certes, l'ex-Fonds de calamité agricole - aujourd'hui Fonds national de gestion du risque agricole (FNGRA) - intervient dès lors qu'un agriculteur n'est pas assuré. Néanmoins, ce fonds ne peut intervenir sur les grandes cultures et la viticulture, considérant que dans ces deux cas précis, une assurance est disponible. Le FNGRA intervient en revanche pour les dommages sur les prairies, les arboricultures et les cultures maraichères, dès lors que l'offre d'assurance n'est pas suffisante.

Nous travaillons avec le ministère de l'agriculture pour voir comment développer davantage l'assurance multirisque climat. Il y a là un problème économique, puisque le « business model » des agriculteurs ne leur permet pas de s'assurer. Il existe donc des subventions accordées par les pouvoirs publics pour pouvoir souscrire une prime. L'État verse ainsi 115 millions d'euros, prélevés sur le deuxième pilier de la politique agricole commune. Néanmoins, s'il fallait couvrir l'ensemble de la « ferme France », près de 500 millions d'euros d'aides aux agriculteurs seraient nécessaires. L'enjeu est là : dans quelle proportion l'effort incombe-t-il aux assureurs, d'une part, et aux pouvoirs publics, d'autre part ? Nous en discutons actuellement.

L'outre-mer constitue le deuxième point faible de notre dispositif. L'année 2017 a été terrible pour ces territoires, avec une triade d'ouragans (Irma, Harvey, Maria) et nos compatriotes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont vécu un véritable désastre. Toute la question est désormais de savoir dans quelles conditions il serait possible de maintenir une présence pérenne des assurances sur les territoires d'outre-mer, sachant qu'une personne sur deux n'y est pas assurée. Notre souhait demeure que de grands assureurs continuent de travailler sur ces territoires, mais nous savons qu'ils sont de moins en moins nombreux et que les évènements de 2017 ne les incitent pas à rester. Par ailleurs, nous devons faire face à des problématiques de logements, avec de nombreuses habitations provisoires ou insalubres et donc difficiles à assurer. Cela devient un vrai problème dès lors qu'un ouragan se présente. Pour rappel, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les dégâts causés assurés s'élèvent à 1 800 millions d'euros. C'est une question sur laquelle nous travaillons avec la CCR. Le noeud du problème, à notre avis, réside dans les politiques de prévention et les normes de construction. Les normes de prévention spécifiques aux aléas que représentent les séismes, le vent et la submersion marine n'ont jamais été véritablement mises sur la table. Nous allons faire des propositions à ce sujet.

Finalement, les assureurs considèrent que le régime « catnat » a permis, dès 1982, de protéger le patrimoine économique et individuel des Français. Néanmoins, compte tenu de la nouvelle donne climatique - nous avons fait une étude en 2015 sur l'impact que pouvait avoir le changement climatique sur l'assurance à l'horizon 2040 - et des retours d'expériences que nous avons sur les grandes inondations récentes - dans les Alpes maritimes, mais aussi dans l'Aude - nous pensons que ce régime a besoin d'être « toiletté ».

Le principe général d'un régime solidaire, universel, couvrant tout le pays, est une bonne solution, permettant à tout le monde d'être couvert, contrairement à d'autres pays voisins. Par exemple, en Allemagne, lors des dernières inondations, une personne sur deux n'était pas assurée ; certaines personnes ayant tout perdu, c'est l'État qui a dû intervenir. Nous savons néanmoins que sous pression et dans l'urgence, l'État ne peut faire son travail de manière optimale.

Si globalement, nous pensons donc qu'il s'agit d'un bon régime, nous estimons que certains éléments pourraient être changés ou actualisés. Par exemple, les frais de relogement des personnes dont la résidence principale a été rendue inhabitable devraient être couverts par le régime. Cela fait partie de l'aide qu'un sinistré attend naturellement de son assureur. Aujourd'hui, les frais de relogement ne sont pas pris en charge même si certains assureurs acceptent de le faire, de manière contractuelle.

J'aimerais également aborder la question de la sécheresse, sujet qui génère beaucoup d'inquiétude de notre côté. La sécheresse est le péril le plus dynamique dans notre pays, avec des conséquences à la fois sur les agriculteurs et les particuliers, par le biais des phénomènes de résilience des maisons individuelles. Ce péril doit donc être traité différemment. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) prévoit que des études de sous-sol sont désormais obligatoires lorsqu'on construit une maison sur une zone argileuse. Cette disposition est susceptible d'exercer une vertu pédagogique vis-à-vis de la personne, mais aussi du constructeur, qui adaptera ainsi les fondations à la nature du sous-sol. Il existe donc des solutions pour lutter contre ce fléau de la sécheresse, mais elles ne figurent dans aucun document technique unifié (DTU) ni aucune réglementation.

Je termine par la question des franchises, sujet sur lequel nous sommes encore en discussion. Il nous semble que la franchise légale de 380 euros pour un particulier et de 10 % du montant des dommages pour les entreprises permet de responsabiliser les personnes. Certes, il est difficile de le dire au moment où arrive le sinistre, mais nous maintenons l'idée qu'il faut conserver une franchise dans le régime « catnat ». C'est d'ailleurs cet aspect qui, lors des débats parlementaires relatifs à la création de ce régime, avait été mis en avant par le législateur. Le système n'est peut-être pas suffisamment lisible, certaines choses peuvent sûrement être ajustées, mais le principe de la franchise semble plutôt bon.

Nous demandons cependant de petits ajustements concernant les commerçants et les artisans. En 2016, lors des grandes inondations, nous avons été confrontés à des boulangeries ou magasins totalement inondés, avec près de 200 000 ou 300 000 euros de réparations. La franchise étant de 10 %, certains petits commerçants assurés n'ont pas pu redémarrer leur activité, parce que ces 30 000 euros de franchise les ont ruinés. Il nous semble donc préférable de plafonner cette franchise à 10 000 euros pour les petits commerces. Nous avons fait une proposition en ce sens.

Pour conclure, je dirais que nous ne souhaitons pas une réforme, mais une actualisation de ce régime qui nous semble être globalement un bon régime, protecteur et équilibré économiquement.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Merci beaucoup. Ce que vous avez dit est extrêmement intéressant et va susciter de nombreuses questions. Je vais être brève. Je suis d'accord avec vous sur le fait que le régime fonctionne plutôt bien dès lors qu'il y a une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Il s'agit d'un régime solidaire universel qui permet de couvrir 99 % des personnes. Peut-être est-il néanmoins possible d'améliorer le système, de manière à le rendre encore plus solidaire. Je pense notamment à la problématique agricole que vous avez évoquée. Serait-il envisageable de créer un dispositif englobant cette problématique, mais aussi celle du vent par exemple, afin de garantir une plus grande solidarité et une meilleure lisibilité du système assurantiel ?

Par ailleurs, la garantie « catnat » a été créée en 1982, date à laquelle les catastrophes naturelles étaient sensiblement différentes. Peut-être faut-il redéfinir aujourd'hui ce qu'est une catastrophe naturelle, en partant du constat que ce qui était considéré comme exceptionnel en 1982 est devenu habituel. Il s'agirait donc d'élargir le socle commun de l'assurance.

M. Stéphane Pénet. - Je comprends très bien ce que vous dites sur la complexité du système pour les Français. Quand on explique, par exemple, qu'une tempête n'est pas une catastrophe naturelle, les personnes ont tendance à rester dubitatives. Néanmoins, il faut comprendre que tout ce qui rentre dans le périmètre des catastrophes naturelles engage l'État. Or, l'État a tendance à dire qu'il faut laisser le marché fonctionner seul quand cela est possible. En cela, je ne peux pas lui donner tort. Aujourd'hui, le risque tempête, contrairement au risque d'inondation, à la submersion marine ou à la sécheresse, est extrêmement volatile et aléatoire, donc facilement assurable. Globalement, hormis en outre-mer, le risque tempête n'a pas besoin d'une garantie de l'État pour pouvoir fonctionner correctement. L'assurance et la réassurance de marché sont capables d'assurer ce risque, d'où son exclusion du régime « catnat » qui, je le rappelle, cible les risques non assurables. L'essentiel demeure que la couverture soit obligatoire, afin qu'en cas d'inondation, de tempête, ou de glissement de terrain, la personne soit assurée, quelle que soit la garantie mise en jeu. Je comprends la position de la direction du Trésor, lorsqu'elle souhaite exclure ce qui peut l'être du régime « catnat », dès lors que les Français sont protégés par ailleurs.

Pour ce qui est du régime agricole, la situation est plus compliquée, dans la mesure où des biens non matériels sont impliqués. Si les bâtiments d'agriculteurs et le matériel sont couverts par la garantie « catnat », tel n'est pas le cas des récoltes. Néanmoins, pour les récoltes, la problématique est très différente : il ne s'agit plus de reconstruction mais d'indemnisation, pour permettre à l'agriculteur de redémarrer. L'inclusion des pertes sur récoltes dans le régime « catnat » créerait ainsi des problèmes techniques.

Je comprends donc votre souci de simplification, mais il pose des problèmes techniques ou économiques compliqués à résoudre.

Concernant la redéfinition des catastrophes naturelles, d'après nos chiffres et nos courbes, le niveau d'indemnisation était globalement relativement stable - volatile, certes, mais stable - jusque très récemment. Cependant, depuis une dizaine d'années, nous constatons le franchissement d'un palier quant aux indemnisations versées. Cette évolution n'est pas strictement liée au changement climatique ; elle s'explique également par l'aménagement du territoire et une croissance des richesses plus rapide dans les zones vulnérables. Le même évènement climatique coûte ainsi plus cher qu'auparavant, car il existe une plus forte concentration des richesses en bord de rivière, de mer ou de montagne, qui sont les zones les plus vulnérables de notre pays. Nous constatons donc que seulement 20 à 25 % de l'augmentation du niveau d'indemnisation est liée au changement climatique. Ces chiffres ne sont donc pas encore réellement significatifs. Enfin, la qualification de l'évènement n'est pas fondamentale au regard des enjeux actuels du régime « catnat ». Cette évaluation ne relève pas des assureurs mais d'une commission interministérielle, avec des spécialistes qui, sur la base de statistiques, disent si oui ou non un évènement est une catastrophe naturelle, au regard de la période de retour, de 10, 20 ou 30 ans selon les évènements. De notre côté, nous ne siégeons pas au sein de cette commission ; en revanche, la CCR y siège et en assure le secrétariat.

Mme Gisèle Jourda. - Je ne reviendrai pas sur la problématique du relogement ou de la franchise. En revanche, nous n'avons pas du tout évoqué la vétusté, surtout en matière d'équipement collectif pour les collectivités, comme les écoles ou les bâtiments publics, et pour les particuliers.

Je tenais également à aborder la question des automobiles. Les familles percevant de faibles revenus ont tendance à prendre une couverture minimale pour leur véhicule, en s'assurant uniquement pour le dommage à un tiers. À la suite d'une catastrophe naturelle, ils ne sont donc pas assurés, et si leur véhicule n'est plus récupérable, ils ne peuvent plus travailler ou emmener leurs enfants à l'école.

Enfin, vous avez évoqué les pertes de récolte, mais il existe également des problématiques spécifiques liées par exemple à des cuves déplacées par la catastrophe, dont j'ai compris qu'elles n'étaient pas totalement couvertes par le régime.

Mme Françoise Cartron. - Je voudrais continuer sur ce problème de la viticulture. Nous constatons, à chaque fois que nous avons des aléas climatiques, que très peu de viticulteurs sont assurés. Ils nous opposent le fait que c'est très coûteux, que l'assurance leur parait inaccessible, et sont ainsi confrontés à des pertes de récoltes non assurées. En Gironde, il est parfois proposé à des viticulteurs de s'équiper avec du matériel permettant d'anticiper ou de disperser les phénomènes de grêle, mais c'est également très coûteux. Envisagez-vous de vous intéresser au volet de la prévention, dans les réflexions que vous menez, par exemple concernant la grêle ? Les contrats d'assurance pourraient-ils prévoir un accompagnement en termes de prévention ?

M. Patrick Chaize. - Le système « catnat » fonctionne comme une extension des contrats d'assurance : quid des biens qui ne sont pas assurables ? Je pense au cas concret, vécu dans mon département, d'un arbre qui tombe dans un cimetière et casse plusieurs concessions, sans que rien ne soit assuré. Comment accompagner la collectivité dans ce cas ? C'est un exemple qui pourrait être décliné sur d'autres sujets.

M. Marc Daunis. - Dans mon département, certaines personnes signalent encore des retards sur les indemnisations. Pensez-vous qu'un travail particulier doive être fait là-dessus ? Il y a un écart incompréhensible entre les situations vécues sur le terrain par certaines victimes et les statistiques données, par exemple, lors de l'audition de la CCR : représentation ou réalité ?

Par ailleurs, il y a une évolution du caractère exceptionnel des catastrophes naturelles, certains aléas devenant habituels. Comment pourra être délimité, à l'avenir, le périmètre des catastrophes naturelles ? Si la pluie centennale devient décennale et même annuelle, comment va-t-on pouvoir mesurer et suivre cet évènement ?

Mme Nelly Tocqueville. - Je voudrais évoquer tout d'abord la responsabilité des propriétaires. Si j'adhère à la nécessaire responsabilisation des propriétaires, malgré tout, un grand nombre d'entre eux ont fait construire à une période où une évaluation n'était pas nécessaire, ou se sont portés acquéreurs d'un bien sans connaissance des risques encourus : commet évaluer leur part de responsabilité dans ces cas-là ?

Ma deuxième question porte sur la coopération avec Météo France. Au vu des prévisions, qui indiquent que les risques climatiques doubleraient d'ici 2050, comment envisagez-vous de travailler avec Météo France pour évaluer la progression des biens à assurer ?

M. Jean-François Husson. - Je pense qu'il y a un travail à faire sur les biens non assurables aujourd'hui, pour les particuliers comme pour les entreprises ou les collectivités. Nous avons également un deuxième chantier sur le champ d'application des garanties ; il existe actuellement un certain nombre d'exclusions de garanties. Par exemple dans le cas de coulées de boues, c'est l'État qui va financer la reconstruction d'une route : est-ce que cet exemple vous semble susceptible de rentrer dans une extension de garantie ? Il faut également faire en sorte qu'il n'y ait pas d'anti-sélection et que ce soit accessible au plus grand nombre afin que toute la communauté des assurés puisse y souscrire. Sinon, on se retrouve dans le même cas que pour les calamités agricoles : quand seulement un tiers des agriculteurs s'assure, c'est qu'il existe un problème d'anti-sélection et donc un problème de périmètre des biens assurés par rapport aux risques encourus.

M. Vincent Segouin. - Nous avions auparavant le fonds de calamité agricole, qui constituait une deuxième petite sécurité sociale, puisqu'il ne disposait jamais des fonds suffisants pour indemniser les risques réels. Il a été transformé en fonds relatif aux aléas climatiques et risques assurables. Est-ce que ces aléas climatiques, sur lequel il y a une vraie réflexion, vont être transformés en catastrophes naturelles ?

Ma deuxième question porte sur les franchises. Quand une personne fait face à un deuxième sinistre, dans le régime « catnat », la franchise est doublée, voir triplée, ce qui pose un vrai problème.

Je voulais également revenir sur le délai de traitement des sinistres : nous sommes souvent dans l'attente des arrêtés, qui sont relativement longs à arriver, surtout quand il ne s'agit pas d'un sinistre sériel mais d'un cas particulier, liés par exemple à la sécheresse ou aux sols argileux.

Enfin, je souhaitais connaître votre sentiment sur l'évolution du risque climatique ? Comment voyez-vous l'avenir ?

M. Daniel Gremillet. - Le dossier agricole, qui est un véritable sujet, peut déteindre sur l'ensemble des autres risques : à quel niveau de compétitivité pourrions-nous être, si on le rendait obligatoire ? Aujourd'hui, le gros problème, c'est que 30 % seulement des agriculteurs sont assurés. Aujourd'hui, la parité du un pour un n'est plus respectée entre financement privé et financement public, puisqu'on est même allés jusqu'à prendre une partie des réserves du fonds des calamités pour le reverser sur le budget général.

Ma deuxième question porte sur le fonctionnement du système, sur cinq années : on enlève la meilleure année et la moins bonne, et si on doit faire face à deux sinistres, le niveau de rendement assurable est tellement bas que cela ne vaut même pas la peine de s'assurer. Il y a un vrai problème de redéfinition de l'assurance.

Ma dernière question concerne les pertes de fonds : par le passé, le fonds du régime des calamités agricoles prenait en compte les situations dans lesquelles la terre végétale était complètement enlevée, mais avec l'évolution des risques, ce phénomène devenant de plus en plus fréquent, nous voyons bien que ce n'est plus adapté.

Mme Évelyne Perrot. - Je voulais vous parler d'urbanisation : dans ma commune nous avons des terres argileuses. Auparavant, les maisons étaient faites en pans en bois, ce qui permettait de faire bouger la structure en cas de sécheresse, alors qu'aujourd'hui les maisons sont en dur, avec des problèmes de fissures. Dans ce contexte, j'ai fait réaliser un plan d'étude des sols dans ma commune, ce qui nous a permis de connaître les veines argileuses et donc de changer complètement l'orientation de construction dans le village pour éviter ces veines. Ne serait-il pas intéressant de demander aux communes de réaliser ce genre d'études ? Certes, certaines terres deviennent ainsi non constructibles, mais ce type de cartographie, qui ne coûte pas très cher, est un facteur de sécurité pour le village.

Mme Pascale Bories. - Au niveau de l'assuré, a été évoquée la multiplicité des risques de catastrophes naturelles. Dans ce contexte, je me posais la question de la possible radiation des assurés, si ces catastrophes ont tendance à se multiplier. Quelle est l'attitude des compagnies d'assurance ? Est-ce que, comme on a pu le dire, au bout de trois sinistres, il y a un risque de radiation pour les assurés concernés ?

Pour rebondir sur le côté préventif, est-ce que les assurances incitent aussi à la prévention, par le biais de partenariat avec les collectivités par exemple ? Le principe des veines argileuses est intéressant : est-ce que vous incitez les particuliers ou les entreprises à s'équiper pour se protéger ? Ont-ils des remises sur leurs cotisations, ou une baisse de franchise, s'ils se sont équipés en respectant les indications des plans de prévention du risque inondation (PPRI) ?

Enfin, à l'étranger, la notion de catastrophes naturelles n'est pas reconnue de la même façon. Vous devez sûrement travailler dans certains pays limitrophes en Europe : y a-t-il des différences d'indemnisation ? Nous avons l'exemple de l'Île Saint-Martin, où selon qu'on se situe sur la partie française ou hollandaise, le système d'indemnisation est différent.

M. Stéphane Pénet. - Je note de nombreuses interrogations sur les faiblesses du régime et les améliorations qui pourraient être apportées.

Très rapidement, sur la question des automobiles : effectivement, environ 15 % des propriétaires de voitures ne s'assurent qu'au strict minimum, uniquement contre les dommages aux tiers. Dans ce cas, il s'agit d'une décision du propriétaire : si mon véhicule est très vieux, je décide de ne pas l'assurer en dommages. La question est de savoir si l'assureur a bien prévenu l'assuré de la situation. Nous insistons sur le rôle de conseil de l'assureur, qui doit prévenir qu'avec ce type d'assurance minimum, le propriétaire ne sera pas couvert en cas de catastrophe naturelle. L'engagement est clair : nous ne faisons que conseiller aux assurés de s'assurer en dommages, pour être couverts sur les catastrophes naturelles.

Sur la vétusté, je rappelle que lorsque des bâtiments sont détruits, nous indemnisons en valeur de reconstruction. Le prix de reconstruction doit être pris en charge par l'assurance et là-dessus, il n'y a pas de vétusté, pas de reste-à-charge. En revanche, il existe un reste-à-charge lorsque, par exemple, les tuiles d'un toit sont soit toutes neuves soit très vieilles, ou lorsque nous sommes confrontés à deux téléviseurs, un neuf et un très vieux : dois-je les indemniser de la même façon ? L'assurance n'est pas supposée enrichir, elle doit remettre la personne dans l'état dans lequel elle était avant l'accident ; c'est un vrai casse-tête de savoir comment s'y prendre. Les assureurs ont décidé, dans un certain nombre de cas, de racheter de la vétusté, notamment pour l'électroménager par exemple ; dans ce cas, on rachète à neuf. Pour le reste, on tient compte de la vétusté. Ça parait difficile, compliqué et injuste, mais il y aurait de l'injustice dans l'autre sens aussi. Par exemple à Saint-Sornin, j'étais allé voir le maire et j'avais discuté avec des sinistrés. Dois-je indemniser de la même façon quelqu'un qui entretient son toit et a investi et quelqu'un dont la toiture n'était pas entretenue et très vétuste ? C'est une question que je pose, parce que j'estime qu'un des sinistrés a fait un effort de prévention et de maintenance et l'autre, non. Notre ligne directrice est la suivante : nous faisons de la valeur à neuf quand les biens le méritent, sinon nous tenons compte de la vétusté au moment de l'indemnisation.

En ce qui concerne la viticulture, je reviens sur le problème de la grêle. Oui, la grêle pose un véritable problème dans notre pays, et nous n'en parlons pas assez à mon avis. Il y a peu d'études sur l'évolution de la grêle dans notre pays, et sur la violence des évènements. Il est vrai qu'aujourd'hui, sur l'assurance récolte, que ce soit en grêle, en sécheresse ou en excès d'eau, les assureurs perdent beaucoup d'argent - à tel point que cela nous inquiète parce que certains assureurs se retirent. Il y a un prix pour ce risque ; la question est donc de savoir comment le financer. Il faut bien comprendre que nous ne sommes que le baromètre d'un risque à travers le prix de l'assurance. Aujourd'hui, la grêle, mais aussi la sécheresse, sont deux périls pour lesquels l'agriculture doit s'adapter, soit en tenant compte dans les prix de vente du risque climat, soit en adaptant les cultures. Si je ne crois pas à la prévention contre la grêle, je crois à la protection, à travers par exemple les filets anti-grêle. Je sais néanmoins que c'est coûteux.

Concernant le retard sur les interventions dans les Alpes-maritimes, nous suivons au sein de la FFA les abaques en matière d'indemnisation. Il y a toujours un écart entre nos chiffres et la réalité mais bien évidemment, lorsqu'il y a des retards, cela se voit davantage que lorsque les délais sont respectés. Nous sommes très focalisés sur les efforts permettant d'accélérer les processus d'indemnisation, ce qui passe premièrement par l'accélération des processus d'expertise, deuxièmement par la capacité locale en matière d'ouvriers du bâtiment pour pouvoir réparer, car parfois les couvreurs sont débordés, et troisièmement par le règlement des litiges, quand l'assuré n'a pas accepté la proposition de l'assureur. Nous respectons les droits des assurés, mais ces litiges retardent le processus. Dans les Alpes-Maritimes, nous considérons que tous les dossiers non litigieux ont été réglés. Nous surveillons les mêmes abaques sur l'Aude, Irma et maintenant les gilets jaunes.

Sur les biens non assurables, le principe est de dire que les infrastructures qui appartiennent à l'État ou aux collectivités locales, de même que les ouvrages d'art, ne sont pas assurables et assurés. L'État et les collectivités sont leurs propres assureurs. Si ces collectivités veulent s'assurer, qu'elles le fassent : nous les assurerons. Certaines communes décident aujourd'hui d'assurer les biens communaux. Il est possible de souscrire une assurance pour un cimetière, mais souvent le choix est fait de ne pas s'assurer. Nous respectons cette liberté.

En ce qui concerne les terres argileuses, je partage votre avis. Il existe un outil efficace, à savoir le plan de prévention du risque sécheresse, qui consiste à tenir compte dans le plan local d'urbanisme (PLU) et les permis de construire de la réelle cartographie du sous-sol. Désormais, les données du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) permettent d'avoir une vision relativement macroéconomique des zones vulnérables, mais elles ne sont pas suffisamment fines pour permettre de déterminer s'il faut construire ou non à tel endroit. C'est ce que prévoient les plans de prévention des risques sécheresse mais il n'y en a malheureusement pas assez. Cela relève de la responsabilité de la commune, lui permettant de bénéficier de l'aide du fonds Barnier ou d'autres dispositifs.

Sur la responsabilité des propriétaires, lorsqu'il y a un plan de prévention postérieur à la construction, doit-on en vouloir aux propriétaires qui avaient construit avant que l'on ne constate la réalité des risques ? Nous aimerions que le fonds Barnier, véritable pivot du financement de la prévention contre les aléas naturels dans notre pays, soit davantage orienté vers des problématiques individuelles, telle une maison inhabitable ou dont le terrain doit être rendu à la nature, nécessitant l'expropriation de la personne dans des conditions correctes. Nous aimerions que le fonds Barnier puisse davantage orienter son activité vers ce « pick and choose », cette politique très ponctuelle d'expropriation ou de protection à travers des matériaux qui permettent d'absorber ou de faire passer l'eau sans dégâts apparents. La question des politiques générales de prévention contre les aléas naturels, à notre avis, relève davantage d'une politique publique que d'un fonds. Je rappelle que le fonds Barnier est alimenté non par des taxes mais par les contributions des assurés. Pour nous, son action doit donc être directement liée aux intérêts des assurés à travers le régime d'assurance des catastrophes naturelles.

M. Michel Vaspart, président. - Le fonds Barnier a été prélevé systématiquement par tous les gouvernements et maintenant, en plus, est plafonné. Nous nous sommes battus ici pour que l'indemnisation pour l'immeuble du Signal puisse être opérée par le fonds Barnier ; il nous a été répondu qu'il s'agissait d'un risque prévisible, parce que c'est de l'érosion et donc que la logique diffère. Nous sommes néanmoins plusieurs à penser de cette façon.

M. Stéphane Pénet. - Nous demandons à ce qu'il y ait une évolution dans la gouvernance du fonds qui, pour être clair, est une caisse d'enregistrement de ce que décide le ministère de l'environnement. Nous aimerions une gouvernance plus collective et nous souhaiterions pouvoir faire des propositions en matière de financement, d'expropriation ou d'indemnisation. Nous sommes sur le terrain, nous voyons ce qui se passe, les biens qu'on indemnise pour la troisième ou la quatrième fois. Nous pensons pouvoir apporter quelque chose à l'action du fonds Barnier.

Sur la radiation des assurés : pour rappel, la garantie « catnat » est une extension obligatoire, les assureurs sont tenus d'assurer les biens autant de fois que nécessaire, tant que le bien n'est pas en infraction. Un assureur a le droit de refuser un risque, mais dès lors qu'un assuré est confronté à deux ou trois refus d'assurance à cause de son exposition, il peut saisir un organisme - le Bureau central de tarification - qui imposera le risque à un assureur. Le même dispositif existe dans le domaine automobile ou en matière de construction. Néanmoins, il existe une liberté totale de souscrire et de radier pour l'assureur ; c'est un principe général auquel nous tenons beaucoup, car cela permet de garantir l'intérêt de la communauté des assurés. Par ailleurs, il est rare, aujourd'hui, de ne pas trouver un assureur. Si vous n'êtes plus assuré en habitation, par votre assureur, parce qu'il a indemnisé quatre sinistres de suite, vous n'aurez aucun mal à trouver un autre assureur, parce qu'il y a suffisamment de concurrence dans notre pays.

Enfin, nous avons une demande particulière concernant la réactualisation du régime « catnat ». Elle ne va peut-être pas vous plaire. Nous sommes partisans du maintien de la solidarité au sein du régime, avec le même tarif pour tout le monde, dans les mêmes conditions. Mais dans le cas des grandes entreprises, de plus de 20 millions d'euros, nous demandons une liberté de fixation des franchises, car nous estimons que ces entreprises ont les moyens d'agir sur leur propre prévention. Nous souhaitons pouvoir entrer en discussion avec ces entreprises avec le genre de raisonnement suivant : « Si vous ne remontez pas tout votre système informatique au premier étage, je fixe une franchise plus élevée, sinon je baisse le montant de la franchise ». Il me semble que c'est un débat sain que nous pouvons avoir avec de grandes entreprises.

Nous souhaiterions également pouvoir fixer librement les franchises pour les collectivités territoriales, quelle que soit leur taille, parce que nous estimons qu'elles ont les moyens de protéger leurs biens, et qu'elles doivent faire preuve d'une certaine exemplarité en matière de prévention. Nous demandons donc à bénéficier d'une liberté de fixation des franchises pour les grandes entreprises et les collectivités territoriales. Pour ce qui est des particuliers, je vais prendre un exemple clair : pour une prime habitation équivalant à 220 euros, la part « catnat » représente 20 euros. Est-ce que le fait de faire payer 30 ou 50 euros au lieu de 20 euros par an aura une incidence sur le comportement de la personne assurée ? Je ne le pense pas.

Par ailleurs, la prévention contre les aléas naturels est davantage une question collective qu'individuelle, renvoyant aux permis de construire et aux plans de prévention plutôt qu'à l'attitude personnelle d'un habitant. Un particulier propriétaire d'une maison dans une zone inondable ne peut pas réellement agir, si ce n'est en partant. Il nous semble donc que cette idée de moduler le tarif auprès des particuliers pour les inciter à se protéger n'aura pas d'incidence, sauf pour les collectivités territoriales et les grandes entreprises.

M. Michel Vaspart, président. - Il me reste à vous remercier chaleureusement, vous ainsi que toute votre équipe. Nous souhaitons que vous puissiez nous transmettre des réponses par écrit si vous n'avez pu répondre à toutes les questions.

Audition de M. Jean Merlet-Bonnan, avocat associé du cabinet Exème Action

M. Michel Vaspart, président. - Nous avons le plaisir de recevoir maître Jean Merlet-Bonnan, avocat associé du cabinet Exème Action, que je remercie de sa présence, ainsi que son collaborateur.

M. Jean Merlet-Bonnan, avocat associé du cabinet Exème Action. - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de donner la parole à un praticien confronté au problème du refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à propos duquel collectivités et particuliers sinistrés nous saisissent. Ce refus est en effet pour eux soit illégal, soit incompréhensible, soit manifestement erroné - ou en tout cas mal expliqué. L'objectif de l'avocat est de comprendre les raisons de ce refus et d'en expliquer éventuellement la légalité.

Avant de traiter des catastrophes naturelles, je travaillais pour ma part sur les admissions post-bac (APB), sujet qui peut paraître assez éloigné des catastrophes naturelles. Il s'agit néanmoins des mêmes problématiques législatives et réglementaires. En effet, comme pour APB, la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle n'est encadrée par aucun texte réglementaire, la décision de l'administration relevant d'un pouvoir presque discrétionnaire. Les administrés, étudiants ou sinistrés, se voient opposer une décision sans explication, prise de manière totalement opaque.

Commençons par l'étude du droit existant. Celui-ci est issu de la loi de 1982, qui a constitué une grande avancée dans le domaine des catastrophes naturelles. À l'époque, le législateur a souhaité éviter que le sinistré se retrouve seul face à son assurance, qui pouvait très facilement refuser de reconnaître l'état de catastrophe naturelle. L'assurance avait les moyens d'attendre un procès et une expertise judiciaire, le sinistré ayant parfois peu de possibilités de contestation.

Le législateur, sur la base du préambule de 1946, a souhaité fonder cette loi sur le principe de solidarité nationale et d'égalité de tous les Français devant les charges résultant de ces calamités nationales. La loi de 1982 a donné lieu à différents articles dans le code des assurances, dont l'article L. 125-1, qui prévoit que sont pris en charge au titre des catastrophes naturelles les dommages matériels directs susceptibles de mettre la garantie en oeuvre. Ces préjudices doivent revêtir un caractère non assurable et être causés par un événement naturel anormal. Ceci peut être une source de discussions, plus avec l'assureur qu'avec éventuellement l'administration, qui décide ou non de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

Or, l'État n'a jamais pris de texte d'application à ce sujet. L'article de loi reste assez général : « L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones, les périodes où s'est située la catastrophe, ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci, couverte par la garantie, visée au premier alinéa de cet article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'État dans le département, assortie d'une motivation. L'arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes ». C'est cette problématique de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle par l'administration qui nous occupe aujourd'hui.

Si aucun texte réglementaire n'a été pris, l'administration, ayant horreur du vide, a émis des circulaires. La première remonte à 1984. Elle est publiée encore aujourd'hui sur « Circulaires.gouv.fr » et reste donc en vigueur. Une circulaire de 1998 est venue préciser le régime de 1984. La circulaire de 2014, qui n'a pas vraiment modifié la situation, a créé une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle d'urgence pour certaines situations particulières et a précisé, dans une annexe, les documents techniques demandés aux différents services de l'État pour pouvoir compléter le dossier.

C'est le seul droit existant aujourd'hui. En pratique, le sinistré qui constate un dommage pouvant manifestement relever de l'état de catastrophe naturelle en fait part à son assureur. Parfois, c'est l'assureur lui-même qui invite l'assuré à faire cette déclaration. Celle-ci, selon les textes, est à effectuer auprès de la commune, qui crée alors un dossier qu'elle transmet au préfet. Le préfet doit lui aussi constituer un dossier assez complet selon les circulaires de 1984 et de 1998, lequel comporte son appréciation, des articles de presse, des rapports des services du département, l'ensemble des éléments transmis par la commune, ainsi que les enquêtes nécessaires. Le préfet, selon la circulaire, a donc un rôle instructeur.

Sur la base de ce dossier, le préfet peut faire un premier tri extrêmement limité, se basant uniquement sur les garanties de catastrophe naturelle. Il exclut donc tout ce qui relèverait d'une autre garantie - calamités agricoles, garantie décennale. Très souvent, le préfet transmet l'ensemble des dossiers à l'État. Nous avons cependant constaté un décalage entre la théorie et la pratique.

Lorsque le préfet a constitué son dossier, il le transmet au ministère de l'intérieur. Pour certaines catastrophes, comme la sécheresse, le ministère demande communication d'un rapport national de Météo-France. Le ministère, en théorie, transmet l'ensemble du dossier pour avis à la commission interministérielle créée par la circulaire de 1984. Cet avis est consultatif et ne lie pas l'autorité administrative. Le ministère prend un arrêté interministériel et procède à sa publication. Le préfet doit alors le notifier à chacune des communes, accompagné d'une motivation.

Dès lors, le sinistré dispose d'un délai de dix jours pour déposer une nouvelle déclaration auprès de son assurance. Dans la pratique, l'assurance accepte parfois que ce délai soit dépassé, dans la mesure où cela ne lui cause pas de préjudice particulier.

Nous avons cependant pu constater que les particuliers ou les collectivités étaient parfois fondés à critiquer le système mis en place. Plusieurs difficultés apparaissent en effet. Tout d'abord, le sinistré qui constate un désordre sur sa maison ne sait pas toujours qu'il s'agit d'une catastrophe naturelle. Il n'a pas toujours le réflexe d'effectuer cette déclaration auprès de sa commune. Très souvent, c'est le maire lui-même qui prend les devants en publiant un article dans un bulletin municipal ou un journal local pour réclamer des déclarations. C'est là la première difficulté.

Le maire fait face à un deuxième problème. C'est en effet lui qui doit remplir un formulaire Cerfa qui permet de solliciter du ministère la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Il peut se heurter à plusieurs difficultés. En premier lieu, le Cerfa lui demande une date. Pour une inondation, la chose est très simple. Pour une sécheresse, la chose est beaucoup plus difficile à établir. Le maire ne reçoit pour ce faire aucune aide des services.

Météo-France établit bien un rapport à ce sujet, mais nous n'avons jamais pu recueillir de position franche et précise sur les conséquences de ces dates. La question pourrait être posée par votre mission aux différents services pour connaître leur impact réel.

Aujourd'hui, les maires qui se heurtent à un refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ne savent pas toujours si ce refus résulte de mauvaises dates ou d'un mauvais dossier. En réalité, on constate que le refus porte sur l'ensemble des dates, notamment en matière de sécheresse, ce qui suggère que la date de départ a une importance limitée.

Or, le texte du code des assurances prévoit bien que la catastrophe naturelle ne peut être reconnue que dans un délai de dix-huit mois à compter du début de l'événement climatique. Un maire qui saisirait le ministère de l'intérieur après ce délai de dix-huit mois, malgré le fait qu'il ait obtenu des demandes, ne peut que se voir refuser la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Ses administrés peuvent alors se retourner contre lui pour cause de demande tardive. On n'en a pas d'exemple, mais c'est un risque. Nous avons pu constater que les maires n'étaient pas du tout informés de ces difficultés.

Aujourd'hui, ce qu'on demande concrètement aux maires, c'est de transmettre le Cerfa au préfet. Ce Cerfa, en fonction des différents types de catastrophes naturelles, a un rôle différent, contrairement aux circulaires de 1984, 1988 et 2014, qui donnent aux préfets un rôle instructeur. Ainsi, s'agissant d'une inondation, le préfet récupère les rapports de ses services internes, un rapport géologique, un rapport local de Météo-France, le Cerfa, et transmet ses éléments au ministère, sans autre étude complémentaire.

Pour la sécheresse, on a constaté que le préfet se contentait de transmettre le Cerfa sans autre analyse. Les seules études techniques sont effectuées au niveau national, sauf lorsque la commune demande pour la première fois la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et n'a jamais fait l'objet d'une étude géotechnique pour déterminer si le terrain comporte des argiles pouvant donner lieu à un tel événement.

Le dossier est ensuite transmis par le préfet au ministère, qui le complète avec, dans le cas de la sécheresse, le rapport de Météo-France ou, pour d'autres catastrophes naturelles, d'autres rapports techniques. Le ministère saisit alors la commission interministérielle pour avis.

En fait, les informations dont nous disposons indiquent que le ministère se contente de transmettre un tableau rempli préalablement contenant, en matière de sécheresse notamment, les critères définis par la commission interministérielle, avec des indications de Météo-France. La demande comporte également l'avis du ministère, alors que la commission interministérielle est saisie pour rendre un avis préalable. Encore plus surprenant, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui délivre cet avis, préside aussi la commission interministérielle. On marche quelque peu sur la tête !

Aussi le rapport de Météo-France en matière de sécheresse qui est transmis à cette commission interministérielle n'est-il qu'un simple rapport de quatre à cinq pages couvrant toute la France, qui se contente de publier trois à quatre cartes où Météo-France indique les zones en état de catastrophe naturelle.

Selon les textes, la commission devrait normalement étudier un dossier complet et non un simple tableau comportant des avis. Non seulement les informations sont incomplètes, mais l'on a en outre constaté que l'avis de la commission interministérielle était rendu après une seule séance de travail d'une demi-journée, alors qu'elle est censée étudier 800 à 900 dossiers !

La composition de cette commission prévue par la circulaire de 1984, qui n'a jamais été confirmée par aucun texte réglementaire, donne d'ailleurs lieu à quelques difficultés. On y compte, de manière assez logique, les ministères de l'intérieur, des finances, des comptes publics, de l'outre-mer, de l'environnement, mais aussi les membres de la Caisse centrale de réassurance, dont on ne voit pas pourquoi ils devraient se prononcer sur l'existence ou non d'un aléa climatique. Il pourrait être intéressant de les interroger sur leur rôle dans cette instance...

Autre problématique : quels sont les critères étudiés dans cette commission ? Le seul document que nous possédions aujourd'hui nous indique que c'est la commission interministérielle qui fixe les critères d'études de l'événement climatique anormal. C'est donc la commission interministérielle créée par une circulaire de 1984 qui rend un avis sur des critères qu'elle a elle-même posés, dans une composition qui pose question, ces critères étant repris semble-t-il textuellement par le ministère.

Lorsque l'arrêté interministériel est notifié, la commune reçoit une motivation succincte ou technique du préfet. La motivation est prévue par les textes, mais son absence n'a aucune conséquence légale.

Les communes, comme les sinistrés, ont la possibilité de contester l'arrêté. Le juge administratif effectue un contrôle poussé à ce sujet, vérifiant la procédure suivie, si la commission interministérielle a été composée régulièrement, conformément à la circulaire. Il contrôle aussi si l'appréciation retenue par le ministère est conforme aux données météorologiques, même si la commune n'est pas en mesure de produire des données de Météo-France.

Bien évidemment, dans les contentieux que nous avons engagés, l'État se garde bien de transmettre toutes les données de Météo-France, se contentant de communiquer le rapport qui a servi à la commission interministérielle. Les collectivités ont donc très peu de possibilités pour se défendre, sauf à lancer une expertise judiciaire ou à obtenir des éléments d'informations supplémentaires.

Enfin, un arrêt du tribunal administratif de Melun laissait entrevoir la possibilité de contester ces arrêtés interministériels, mais le Conseil d'État, en 2018, dans deux arrêts dont le dernier a été rendu en août, a fermé la porte à ces contentieux au motif que personne n'a jamais contesté la méthode utilisée.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Vos remarques sont extrêmement éloquentes, voire inquiétantes. Quelles sont vos recommandations et vos préconisations pour changer le système ?

M. Jean Merlet-Bonnan. - Les recours contre les arrêtés interministériels refusant de reconnaître les catastrophes naturelles existent, mais les communes baissent les bras en se disant que la jurisprudence leur sera défavorable quoiqu'il arrive, en tout cas en l'absence d'éléments techniques supplémentaires ou d'expertises judiciaires.

Trois améliorations sont selon moi possibles.

La première consiste bien évidemment à encadrer l'action de l'administration. Nous disposons aujourd'hui uniquement d'un texte législatif large, qui laisse tout champ d'action à l'administration. Ce point est tout à fait d'actualité depuis la réponse du Conseil d'État à un recours de plusieurs communes qui avaient saisi le ministère de l'intérieur en lui demandant de définir des critères dans le cadre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles figurant à l'article L. 125-1. Le Conseil d'État a considéré que le caractère général des dispositions définissant les effets des catastrophes naturelles comme des dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel ne rend pas lesdites dispositions inapplicables. Dès lors, le Premier ministre n'est pas tenu de prendre un décret pour préciser les critères permettant de caractériser l'intensité anormale d'un agent naturel, le législateur ne l'ayant pas prévu.

Le Conseil d'État estime donc que les communes n'ont pas à réclamer un texte réglementaire, dans la mesure où le législateur ne l'a pas prévu dans la loi. C'est presque un appel à légiférer que vous lancent les communes et le Conseil d'État !

Ceci permettrait d'améliorer le ressenti des sinistrés qui ne sont pas toujours fondés à réclamer l'état de catastrophe naturelle, mais ne comprennent pas comment leur dossier a été traité. L'arrêté de catastrophe naturelle a un statut très particulier, le Conseil d'État considérant qu'il ne s'agit pas d'un texte réglementaire classique. Même si c'est un arrêté interministériel, sa valeur juridique un peu particulière relève des tribaux administratifs en premier ressort

Prenons donc acte de cette nature particulière pour obliger l'administration à motiver plus précisément cette décision, certaines juridictions administratives considérant qu'il n'y a pas matière à motiver ces arrêtés dans la mesure où ce n'est pas un acte individuel. D'autres estiment cependant le contraire. Ceci pourrait être l'occasion de trancher en expliquant que cet arrêté interministériel doit être motivé sous peine d'illégalité, voire notifié à la commune avec le rapport de Météo-France ou l'ensemble des rapports techniques - comme le BRGM pour des mouvements de terrain ou des inondations. Ce n'est qu'à compter de cette notification, voire d'une publication de cette motivation en préfecture, que les délais de recours pourraient courir. Cela permettrait également d'améliorer l'information des sinistrés.

Enfin, appliquer strictement les circulaires permettrait de les encadrer et de les soumettre au contrôle du juge administratif. Une enquête sur le terrain pourrait en outre améliorer le système.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le département des Alpes-Maritimes a connu des inondations importantes à l'automne 2018. Les arrêtés sont tombés. Un certain nombre de communes ont été classées en état de catastrophe naturelle, contrairement à d'autres, situées à l'est du département. Les collections du musée Jean Cocteau de Menton ont ainsi été complètement dévastées sans que la commune ait été déclarée en état de catastrophe naturelle.

Il en va de même pour trois communes, dont les maires ne comprennent pas la décision. Je ne suis pas sûre qu'ils aillent jusqu'à intenter des recours, mais les critères semblent bel et bien subjectifs.

M. Marc Daunis. - Ne risque-t-on pas de nous répondre qu'on est dans le domaine réglementaire et non pas législatif ? Il ne faudrait pas se retrouver devant une porte qui risque de se clore.

Par ailleurs, la question des délais est souvent fondamentale. Je pense qu'il faut regarder attentivement si le fait d'alourdir le traitement administratif ne risque pas de se retourner contre les sinistrés. Que l'exécutif puisse enclencher une réponse rapide en cas de catastrophe naturelle mérite aussi d'être apprécié. On peut, en voulant consolider la démarche, l'alourdir, la rendre coûteuse et la voir se retourner contre les intérêts des sinistrés eux-mêmes. Comment border la situation ?

M. Jean Merlet-Bonnan. - Le point que vous soulevez concerne les critères qui sont utilisés aujourd'hui. L'un de ceux-ci réside dans l'anormalité de l'événement climatique et sa qualification. On se retrouve avec des communes sinistrées pour lesquelles l'état de catastrophe naturelle n'a pas été reconnu du fait de la notion de récurrence.

Cela signifie, en schématisant, que si les faits se reproduisent tous les dix ans, il ne s'agit plus d'un aléa, mais d'une situation régulière. La question va se poser de plus en plus avec le réchauffement climatique. C'est une première difficulté.

La deuxième difficulté, en matière de sécheresse, c'est que le calcul de la moyenne hydrique se fait sur une période allant de 1957 à 2010, incluant les périodes de catastrophe naturelle. Un événement qui aurait pu être reconnu il y a cinq ans ne le sera donc pas deux ans après. Ces critères mériteraient d'être précisés.

Il est important que le législateur force le pouvoir réglementaire à prendre un décret précisant les critères applicables et que ces derniers soient stables, car les critères utilisés en matière de sécheresse, par exemple, ont évolué presque cinq fois en neuf ans.

Aller jusqu'au bout de la logique peut certes complexifier le système, mais on constate dans la pratique que la commission interministérielle ne sert à rien. Ne suffirait-il pas simplement, en fonction des critères prévus, que le ministère rende un avis en fonction des rapports techniques ? Pourquoi ne pas décentraliser cette décision au niveau du préfet, même si celui-ci risque de subir des pressions de la part des sinistrés ou des collectivités ? Ces points pourraient être étudiés.

M. Michel Vaspart, président. - Je vous remercie chaleureusement pour votre participation. Nous attendons votre réponse écrite pour creuser le sujet.

La réunion est close à 16 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.