Mercredi 13 février 2019

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 09 h 40.

Audition conjointe sur les conservatoires, en présence de Mme Sylvie Tarsot-Gillery, directrice générale de la création artistique du ministère de la culture, de MM. Bertrand Munin, sous-directeur de la diffusion artistique et des publics, Maxime Leschiera, président de l'association Conservatoires de France, de Mmes Isabelle Vincent, vice-présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), Martine Mabboux, présidente de la Fédération nationale des associations de parents d'élèves de conservatoires et écoles de musique, de danse et de théâtre (FNAPEC), et Marie-Claude Valette, vice-présidente

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il y a deux ans, la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine clarifiait le cadre juridique applicable aux conservatoires. C'était d'autant plus nécessaire que ces institutions traversaient une grande période d'incertitude liés, d'une part, à l'application non achevée de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui avait prévu de décentraliser les enseignements artistiques aux différents échelons territoriaux et, en particulier, de transférer aux régions l'organisation et le financement des troisièmes cycles professionnalisant des conservatoires, via le transfert des crédits correspondants, et, d'autre part, au fort recul des financements de l'État à partir de 2013. Seules deux régions, le Poitou-Charentes et le Nord-Pas-de-Calais, s'étaient engagées dans la mise en place des cycles d'enseignement professionnel initial (CEPI), en dépit de la réussite, parfaitement reconnue, de ces deux expériences. Je connais bien le sujet pour avoir commis deux rapports consacrés aux enseignements artistiques en 2008 et 2011.

Malgré les nouvelles dispositions introduites par la loi LCAP, la situation ne me paraît pas encore parfaitement stabilisée. Je suis régulièrement sollicitée par les professionnels et les parents d'élèves qui manifestent de l'inquiétude quant à l'avenir de ces établissements.

D'une part, si l'État a repris son implication dans le financement des conservatoires à partir de 2016, il conditionne désormais sa participation à un certain nombre de critères, avec un accent particulier mis sur les questions d'éducation artistique et culturelle. Beaucoup s'interrogent sur la vision que porte le ministère de la culture sur le rôle des conservatoires, avec la confusion récurrente entre « élitisme » et « excellent ». Un nouveau système de classement des conservatoires est aujourd'hui engagé. Jusqu'ici, les conservatoires sont répartis en trois catégories : conservatoires à rayonnement communal et intercommunal (CRC et CRI), conservatoires à rayonnement départemental (CRD) et conservatoires à rayonnement régional (CRR). Nous serions très désireux que vous nous précisiez ce que vous envisagez, car nous constatons que l'attente actuelle alimente la crainte d'un déclassement de la part d'un grand nombre d'entre eux.

D'autre part, aucune région, en dehors de la Normandie, n'aurait, à ma connaissance, demandé à jouer un rôle de chef de file en matière d'enseignement artistique, comme la loi LCAP en a donné la possibilité. La Normandie a conclu une convention avec l'État en novembre 2017 à ce sujet, même s'il faut aussi dire que les choses ont peu avancé du côté du ministère entre le moment où nous avons signé cette convention et celui où vous avez pris vos fonctions.

C'est d'autant plus regrettable que les conservatoires jouent un rôle fondamental sur nos territoires : ce sont à la fois des acteurs majeurs de l'éducation artistique et culturelle, des institutions préparant nos futurs professionnels de la musique, mais aussi de formidables pôles ressources sur lesquels il convient de s'appuyer. N'oublions pas qu'il existe sur les territoires tout un réseau d'écoles de musique que les conservatoires peuvent contribuer à animer.

Notre commission a souhaité engager des travaux sur l'application des différentes lois territoriales. Une mission d'information consacrée aux nouveaux territoires de la culture pourra s'emparer de ces sujets.

Les travaux de notre matinée vont nous donner l'occasion de faire le point sur les différents enjeux relatifs aux conservatoires et d'avoir l'éclairage de nos différents invités sur les attentes des différentes collectivités publiques et des conservatoires eux-mêmes ainsi que de leurs usagers. À cette fin, nous recevons :

- Mme Sylvie Tarsot-Gillery, directrice générale de la création artistique du ministère de la culture, et M. Bertrand Munin, sous-directeur de la diffusion artistique et des publics,

- M. Maxime Leschiera, président de l'association Conservatoires de France,

- Mme Isabelle Vincent, vice-présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC),

- et Mmes Martine Mabboux, présidente de la Fédération nationale des associations de parents d'élèves de conservatoires et écoles de musique, de danse et de théâtre (FNAPEC), et Marie-Claude Valette, vice-présidente.

Mme Sylvie Tarsot-Gillery, directrice générale de la création artistique. - Nous sommes ravis d'avoir la possibilité d'exposer notre vision de la politique des conservatoires et d'échanger avec les parties prenantes.

La politique des conservatoires est partagée et co-construite avec les collectivités territoriales. Les établissements de l'enseignement artistique relèvent de la compétence des collectivités territoriales. L'État s'intéresse néanmoins à cette question de près du fait du maillage territorial exceptionnel qu'il constitue, au même titre que les bibliothèques. Compte tenu de leur proximité avec les territoires et les populations, ils représentent un véritable enjeu en termes de démocratisation. C'est pourquoi le ministère de la culture soutient le réseau des conservatoires et exerce un contrôle pédagogique.

Il est vrai que les textes législatifs ont été appliqués de manière différenciée sur le territoire. Le retrait massif de l'État il y a quelques années s'explique par la direction qui avait été prise d'un transfert de compétences vers les collectivités territoriales. Comme vous l'avez souligné, l'État a ensuite progressivement repris sa participation. Notre volonté est aujourd'hui de préserver le niveau de nos dotations et d'engager un dialogue avec l'ensemble des parties prenantes autours d'une réforme du soutien de l'État aux conservatoires et aux écoles de musique.

La loi LCAP a marqué une étape importante en donnant aux conservatoires un nouveau cadre juridique. Elle leur a permis de délivrer un diplôme national, a ouvert la voie à l'élaboration de schémas régionaux de l'enseignement artistique, qui peuvent contribuer à structurer l'enseignement au niveau territorial, et a enfin prévu une procédure d'agrément pour le troisième cycle professionnalisant. La Normandie est aujourd'hui la seule région à avoir demandé le transfert de compétences. Il serait intéressant de comprendre pourquoi aucune autre région n'a souhaité s'emparer de ces attributions.

Quoi qu'il en soit, les conservatoires constituent véritablement des acteurs majeurs de la vie artistique et culturelle des territoires, comme de la création artistique. D'où l'importance que l'enseignement dispensé par ces établissements soit de qualité, ce qui recouvre à la fois la qualité des enseignements en tant que tel et la diversité des contenus pédagogiques, en particulier des esthétiques enseignées.

Nous avons engagé une réflexion pour faire évoluer le contrôle pédagogique de l'État sur ces établissements. À cette fin, des concertations ont été engagées avec les collectivités territoriales, les représentants des établissements et des enseignants pour réformer la philosophie générale de notre intervention, jusqu'ici fondée sur une logique de classement vertical. L'idée serait de créer un système s'appuyant sur une logique nouvelle, fondée sur la confiance et la co-construction avec les collectivités territoriales. Nous abandonnerions le principe d'un contrôle a priori au profit d'une procédure de suivi, s'appuyant sur un dialogue régulier avec les collectivités afin de nous assurer que le cahier des charges des établissements est respecté et que la qualité des enseignements est garantie. Jusqu'ici, le classement était attribué pour une durée de sept ans. À l'avenir, dans un souci de simplification, il s'agirait d'une certification, qui pourrait être attribuée pour une durée indéterminée, ce qui allègerait les procédures administratives. Cette certification serait donnée après avoir échangé avec les collectivités sur les choix, en particulier pédagogiques, retenus pour l'établissement et leur pertinence au regard des réalités territoriales et des besoins de la population. Pour être certifié, il conviendrait cependant que l'établissement enseigne au minimum deux spécialités, présente des garanties sur le maintien du niveau d'emploi des enseignants et élabore des propositions de parcours différenciés à destination des élèves.

Dans ce cadre, nous souhaiterions que les moyens alloués par l'État aux enseignements artistiques spécialisés se concentrent autour de deux axes prioritaires : l'ancrage territorial, d'une part, qui aurait pour but de valoriser le travail de mise en réseau réalisé par les établissements avec les acteurs de l'enseignement et de la musique sur le territoire - c'est pour cette raison que nous avons déjà commencé à soutenir les conservatoires à rayonnement intercommunal, qui facilite cette logique de mise en réseau - ; et l'innovation pédagogique et la diversité des esthétiques d'autre part.

Les modalités de mise en oeuvre de cette réforme, dont je viens de vous dépeindre les grandes lignes, doivent encore être discutées. La semaine prochaine se tiendra un conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, réuni à la demande de Franck Riester, au cours duquel cette question pourra être abordée. Nous souhaitons engager ensuite une ou deux expérimentations de ce dispositif au niveau régional avec des collectivités volontaire afin d'arrêter les contours d'un dispositif pérenne susceptible d'être généralisé.

Mme Isabelle Vincent, vice-présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC). - La FNCC avait participé, en 2015, à la réflexion autour des conservatoires initiée par le ministère de la culture et avait affirmé à cette occasion quatre positions.

Tout d'abord, le souhait que le soutien financier de l'État ne soit pas lié uniquement au label mais également au projet des conservatoires en prenant en compte la diversité des territoires et des esthétiques proposées. Mais l'État a-t-il le moyen de réaliser une telle évaluation ?

Ensuite, avoir un retour sur les résultats des enquêtes préalables réalisées par les DRAC auprès des conservatoires et des collectivités qui ont servi de matériau à l'élaboration du projet de réforme des conservatoires.

Nous avons par ailleurs fait part de notre interrogation sur le maintien de l'utilisation du mot « conservatoire ».

Enfin, nous considérons que la structuration des critères de labellisation des conservatoires - rayonnement régional, départemental ou communal et intercommunal - est imposée de manière trop homogène et mériterait d'être plus attentive aux variations de situation, aux spécificités des territoires et aux différences des projets politiques.

M. Maxime Leschiera, président de Conservatoires de France. - Notre association regroupe les directrices et directeurs d'établissements d'enseignement artistique.

Depuis l'adoption de la loi de 2004, les conservatoires ont beaucoup fait évoluer leur activité en diversifiant les disciplines, les parcours, les partenariats avec les milieux scolaires, associatifs ou sociaux, et en s'adressant à un public pluriel.

Les établissements d'enseignement artistique constituent aujourd'hui un très beau service public. Toutefois, nous déplorons une trop grande fragilité du financement public, variable selon les territoires, de même qu'une implication inégale des collectivités territoriales, notamment dans l'application de la loi de 2004. Certains départements n'ont ainsi toujours pas établi de schéma départemental de développement des enseignements artistiques. Cela aboutit à une offre hétérogène sur le territoire national.

Nous regrettons également parfois un manque de lisibilité dans l'application qui est faite en région des directives du ministère de la culture. Dans le cadre du Plan chorale, certaines DRAC conditionnement l'octroi des subventions à la mise en oeuvre de projets spécifiquement dédiés au chant choral, ce qui n'est pas le cas dans d'autres régions.

D'autres plans nationaux comme le plan « Tous musiciens d'orchestre » impliquent les conservatoires sans les associer à la réflexion préalable ce qui entraîne des difficultés dans la mise en oeuvre.

Il nous paraîtrait utile de faire évoluer les textes réglementaires relatifs au classement des conservatoires aujourd'hui en partie obsolescente.

Au sein des établissements d'enseignement artistique, l'emploi est fragilisé par les difficultés de financement des établissements et l'absence de concours de la fonction publique pendant plusieurs années. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où un grand nombre de personnels ont un statut précaire de vacataire.

Parmi les défis à venir des conservatoires figure le programme « 100 % EAC » qui vise à généraliser l'éducation artistique et culturelle. Les conservatoires ne pourront pas assurer seuls cet objectif et il conviendra de développer davantage les partenariats. Nous estimons d'ailleurs que le réseau de partenaires devrait faire partie des futurs critères de labellisation. Parallèlement à notre participation au programme « 100 % EAC », nous devrons poursuivre notre mission d'enseignement spécialisé en cursus et de formation des futurs artistes professionnels et amateurs dans des conditions budgétaires que l'on sait limitées. Dans ce contexte, nous devons rester attentifs à la qualité du maillage territorial de l'enseignement artistique qui se caractérise de plus en plus, désormais, par la présence d'une offre riche proposée pour les plus grandes villes, tandis que les zones blanches se multiplient en zone rurale.

Mme Marie-Claude Valette, vice-présidente de la Fédération nationale des associations de parents d'élèves de conservatoires et écoles de musique, de danse et de théâtre (FNAPEC). - Je voudrais insister tout d'abord sur les problèmes liés aux droits d'inscription qui sont différents selon les conservatoires et qui, globalement, augmentent en raison de la baisse des financements publics. Le conservatoire de Nîmes a ainsi multiplié ses tarifs d'inscription par dix d'une année à l'autre. Le résultat de cette politique a été une baisse des inscriptions ainsi que l'interruption de certains apprentissages. La loi est censée prévoir un égal accès à l'éducation artistique et culturelle. Nous voyons sur le terrain que ce n'est pas le cas.

Nous constatons que les demandes d'aide sous critères sociaux diminuent et avons alerté le ministère sur ce sujet. Les raisons de cette diminution pourraient être de deux ordres : une part de la population des élèves passerait une licence d'instruments et demanderait par conséquent une bourse dans les facultés, ou, alors, les élèves inscrits actuellement dans les établissements d'éducation artistique seraient davantage issus de populations aisées. Ce serait là un retour en arrière, et fort dommage alors que beaucoup d'efforts ont été faits pour que les conservatoires s'ouvrent à des nouveaux publics.

La loi LCAP a créé les classes préparatoires mais aucun examen final ne vient sanctionner l'apprentissage. Les élèves ne savent pas s'ils doivent désormais passer un diplôme d'études musicales (DEM) ou aller en classe préparatoire. Il serait bon, je crois, de lever cette incertitude.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous soulignez également l'absence de lisibilité dans l'offre d'enseignements artistiques. Je crois, comme vous, qu'il conviendrait de clarifier cette situation où certaines régions ont choisi d'appliquer la loi de 2004 et où les classes préparatoires proposent un diplôme national d'orientation professionnelle de musique (DNOP) tandis que d'autres ont conservé le système antérieur du diplôme d'études musicales (DEM). Une équivalence peut-elle être envisagée entre ces deux régimes ?

S'agissant du niveau des frais d'inscription, je rappelle que ce sont les villes qui supportent encore à 80 % le budget des conservatoires. Une meilleure répartition entre les différents niveaux de collectivités territoriales devrait être opérée. N'oublions pas que la loi NOTRe a maintenu, à leur demande, la compétence partagée des collectivités territoriales en la matière.

Mme Sylvie Robert. - Après plusieurs années de débat et de réflexion, les acteurs sont en attente d'un cadre institutionnel stabilisé. Les critères de répartition de l'enveloppe annuelle de 21 millions d'euros entre les régions vont-ils évoluer ? Comment les expérimentations envisagées seront-elles conduites ? L'existence d'une tarification sociale sera-t-elle prise en compte dans votre évaluation des établissements ? Comment et par qui les contrôles seront-ils menés ? Les élèves inscrits dans les cycles pré-professionnalisant bénéficient-ils du statut étudiant et des droits afférents ?

M. Bertrand Munin, sous-directeur de la diffusion artistique et des publics. - Les quinze établissements dotés d'un cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI), dans les deux ex-régions du Nord-Pas-de-Calais et de Poitou-Charentes, qui avaient accepté la décentralisation de cette compétence, ont obtenu d'office leur agrément et leurs élèves bénéficient donc du statut étudiant.

Contrairement à ce que nous redoutions, nous n'avons constaté aucune arrivée massive de demandes d'agréments des autres établissements : seuls deux d'entre eux, Paris et Chalon-sur-Saône, ont déposé une telle demande. Cela peut s'expliquer par la méconnaissance de la loi LCAP mais aussi, peut-être, par le travail entrepris de mise en réseau des établissements sur leurs territoires, afin de passer d'une logique de rayonnement à une logique de solidarité entre établissements.

L'existence d'une tarification sociale est un critère obligatoire pour pouvoir prétendre à la subvention de l'État. Il n'est pas optimal mais nous avons conscience qu'il s'agit de la libre administration des collectivités territoriales et que la part de financement de l'État est minime.

Les modalités des futurs contrôles ne sont pas encore tranchées. Nos services ont malheureusement subi une perte de compétences suite à l'arrêt du suivi des conservatoires en 2014 et nous devons donc envisager de former les personnels des services déconcentrés qui seraient chargés de ce contrôle. Par ailleurs, les DRAC ont connu d'importantes réorganisations après à la réforme territoriale de 2015 et les conservatoires relèvent désormais, soit du conseiller création, soit du conseiller de l'action culturelle.

Ces quinze dernières années, les conservatoires ont beaucoup évolué et nous devons tenir compte des nouvelles pratiques qui se sont mises en place, notamment des solidarités qui ont émergé au sein des EPCI. Nous devons aussi veiller à préserver les compétences et les métiers des enseignants, suite au récent rapport du Haut Conseil de la fonction publique territoriale sur le statut des enseignants : je sais qu'il y a des inquiétudes mais notre objectif est bien de conforter l'enseignement artistique spécialisé ainsi que la place et le rôle des conservatoires dans les territoires.

Dans l'enseignement préparant à l'entrée dans le supérieur, les « classes préparatoires » des conservatoires, nous constatons une diminution des demandes de bourses sur critères sociaux (seuls 1,2 million d'euros ont été consommés en 2018 sur une enveloppe budgétaire disponible de 1,5 million d'euros).

Mme Sylvie Robert. - Comment l'expliquez-vous ?

M. Bertrand Munin. - À ce stade, nous le constatons mais notre objectif demeure d'ouvrir plus largement l'accès à l'enseignement artistique spécialisé à tous les citoyens.

Les conservatoires ne peuvent pas toujours accueillir plus, peut-être faudrait-il aussi accueillir autrement, sur d'autres parcours ou à autres classes d'âge.

Nous devons aussi nous poser la question de la formation des enseignants et des professionnels du ministère de la culture.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Et des directeurs d'établissement !

Mme Sylvie Tarsot-Gillery. - L'enveloppe budgétaire destinée aux conservatoires ne devrait plus diminuer. Notre état d'esprit n'est pas de déstabiliser ou de pénaliser les établissements mais de les accompagner dans un esprit de dialogue. Lorsque les établissements rempliront les critères souhaités par le ministère, notre intention sera de maintenir, voire de renforcer si cela est possible, notre soutien.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis rassurée de voir que ces sujets sont aujourd'hui repris. Le Sénat était monté au créneau en 2013, 2014 et 2015 pour dénoncer la situation. Un travail collectif est nécessaire au bénéfice de ces enseignements artistiques.

Mme Sonia de la Provôté. - On constate une demande croissante pour élargir les missions des conservatoires sans toutefois les faire bénéficier de crédits supplémentaires. Il existe donc un risque que leurs missions premières soient délaissées. Comment voyez-vous l'évolution de ces lieux d'excellence dans les territoires et le poids respectif de la musique, de la danse et du théâtre ?

Concernant la certification « cousu main », il faudrait plus de transparence sur les critères afin de pouvoir obtenir une explication rationnelle sur les différences de moyens attribués selon les territoires. Les moyens dont dispose mon territoire sont passés de 400 000 à 50 000 euros ce qui a obligé les collectivités territoriales à accroître leur participation.

L'État est-il prêt à porter ce message ? Ces dépenses pourraient-elles être exclues du plafonnement imposé aux collectivités territoriales afin de faciliter le financement de ces établissements et de lutter contre les disparités.

Mme Catherine Dumas. - Vous avez insisté sur l'égal accès à tous. À Paris, nous avons 17 conservatoires municipaux et un à rayonnement régional. Il existe cependant un tel déséquilibre entre l'offre et la demande que la mairie a mis en place un tirage au sort. C'est une procédure injuste qui écarte de nombreux candidats ayant des dispositions. Les familles ayant des moyens peuvent se tourner vers le privé ce qui n'est pas le cas des autres. Dans le 15ème arrondissement, qui compte 230.000 habitants, il y a 17 places pour 200 demandes. Pouvez-vous nous dire si d'autres municipalités pratiquent le tirage au sort ?

Mme Colette Mélot. - Le développement intercommunal constitue une évolution logique pour les conservatoires. Il permet une offre plus grande et une diversification des enseignements. Toutefois, il y a une difficulté d'ordre financier car c'est la ville-centre qui investit et ses contribuables sont de plus en plus sollicités. Or, il est difficile de faire participer les autres communes. En l'absence de participation de celles-ci, il est possible d'établir des tarifs différenciés. Il est nécessaire de travailler sur ces sujets.

Mme Sylvie Tarsot-Gillery. - L'autonomie des collectivités territoriales est un principe fondamental pour le ministère et il ne saurait être remis en cause. Le ministre de la culture plaide pour développer le dialogue. Celui-ci peut échouer pour des réalités économiques. Il revient alors à l'État de jouer le rôle d'aiguillon pour rechercher des solutions.

La situation de Paris est très singulière. Le tirage au sort constitue un non-choix et donc une non-politique. On peut comprendre, cependant, qu'il est difficile d'étudier dans le détail toutes les demandes mais la situation n'est pas totalement satisfaisante. L'État a pour mission de garantir l'équité sur le territoire.

Le ministère de la culture pousse également l'idée que certaines dépenses culturelles mériteraient d'être exclues du pacte financier établi avec les collectivités territoriales. Mais nous avons des difficultés à nous faire entendre. Il s'agit de petites mesures financières mais qui ont de grands impacts sociaux.

La ville-centre prend des décisions qui ont des conséquences au-delà de son périmètre.

Concernant les missions premières, ce sont les collectivités territoriales qui financent ces établissements et ses missions ne doivent pas être mises en cause. Il y a un socle et l'État est garant que ces missions sont bien financées. Il doit encourager les mutualisations et l'innovation.

M. Bertrand Munin. - Concernant la transparence des critères, c'est un sujet de réflexion dans le cadre de la réforme de la certification des établissements. On souhaite déconnecter la certification des financements. La certification doit assurer le socle premier et l'aide de l'État peut permettre de faire plus ou autrement, par exemple en aidant la coopération avec des établissements non certifiés.

La transparence est souhaitable mais elle est complexe à mettre en oeuvre dans tous les établissements. On a essayé de faire en sorte que les aides soient attribuées au prorata de ce qu'elles étaient avant 2014. Mais on peut se poser la question de savoir si la tarification sociale doit être le seul critère. Ne faut-il pas également prendre en compte le projet d'établissement porté par la collectivité ?

Mme Isabelle Vincent. - Nous sommes d'avis de garder les critères existants y compris la tarification sociale obligatoire, introduite en 2016. Ces quatre critères ont été rédigés en s'appuyant sur des expérimentations qui avaient déjà été mises en place dans nos territoires. Chaque ville est attachée à l'équipement culturel que représente le conservatoire, c'est un élément de cohésion sociale qui représente un choix politique des territoires malgré le coût élevé que ces structures représentent. Ainsi, je ne pense pas que des conservatoires puissent prochainement être fermés. L'accompagnement symbolique des conservatoires par le ministère et le dialogue permanent ayant lieu entre ces structures sont des éléments positifs qu'il faut maintenir.

M. Maxime Leschiera. - Je souhaite apporter une précision concernant la faible demande d'agrément pour l'enseignement préparatoire présentée au ministère. Une logique de réseau s'est aujourd'hui constituée entre les établissements. La question qui se pose aujourd'hui pour les directeurs de conservatoire est celle du risque de fragiliser ce réseau permettant d'obtenir le diplôme d'étude musicale, tandis que l'enseignement préparatoire n'est pas diplômant. Cela explique la prudence d'un certain nombre de territoires concernant cette demande d'agrément.

Nous pensons également que la question du niveau territorial d'intervention selon les missions dévolues aux conservatoires se pose. Le conservatoire a une mission de participation à l'objectif d'initiation aux arts pour les enfants du territoire, il s'agit d'une mission locale pour laquelle la relation entre les collectivités et les conservatoires est centrale.

Ce n'est qu'une fois le jeune sensibilisé à l'art, par exemple au sein de son établissement scolaire, qu'un processus de spécialisation vers une formation de plus haut niveau peut être envisagé. Le nombre de jeunes décidant de se spécialiser étant de plus en plus faible aujourd'hui, le territoire couvert par un conservatoire de ville-centre a tendance à s'élargir. Ce qui pose la question du coût que ces conservatoires de villes-centres doivent assumer et des conséquences de la tarification parfois différenciée entre les jeunes résidant dans cette ville centre et ceux résidant à l'extérieur, la tarification unique n'étant pas appliquée partout. En conséquence, certains jeunes sensibilisés dans des territoires ruraux pourraient renoncer à se spécialiser en ville centre. Face à ce problème, l'intercommunalité peut apporter des réponses.

Mme Annick Billon. - Je voudrais savoir plus précisément ce qui va être mis en place dans les territoires, principalement les territoires ruraux, pour favoriser l'accès de tous aux conservatoires. Je souhaiterais également savoir quelle catégorie de conservatoires est la plus performante parmi les conservatoires à rayonnement communal, départemental et régional. Mme la présidente pourrait-elle nous faire un bilan de la démarche spécifique qui a été mise en place en région Normandie ? L'augmentation des demandes d'inscription en conservatoire a-t-elle été anticipée suite à la mise en place du Pass culture ?

Mme Maryvonne Blondin. - Une évaluation a mis en lumière que les enseignants avaient plusieurs employeurs ; il faut donc prendre en compte cette spécificité. Le jumelage des classes culturelles me paraît être une idée intéressante à mettre en place dans les territoires plus réduits. En ce sens, les partenariats et conventions entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture sont à encourager. Je pense en effet qu'il n'y a pas suffisamment d'engagement de la part du ministère de l'éducation nationale, qui propose des changements, comme le plan chorale, pour lesquels les financements ne suivent pas.

M. Laurent Lafon. - Face à l'impossibilité financière et structurelle des conservatoires à dispenser à la fois une formation diplômante tout en maintenant ou développant les activités de loisir et d'initiation, certaines familles s'orientent vers des structures privées, peu contrôlées. Souvent les familles attendent des structures privées qu'elles puissent fournir une certification au même titre que les conservatoires publics. Cette certification pourrait également permettre à ces établissements de se développer.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je souscris aux propos de ma collègue Catherine Dumas sur le problème posé par la procédure de tirage au sort pour l'accès aux conservatoires parisiens. Des directeurs de conservatoire m'ont fait part de leurs inquiétudes concernant la possibilité que les personnes possédant un diplôme universitaire de musicien intervenant puissent devenir directeurs de conservatoire, pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Mme Céline Brulin. - Le véritable enjeu pour les collectivités territoriales est de parvenir à conjuguer un enseignement de haut niveau et la pratique amateur. Ce n'est pas évident de répondre à ces deux enjeux. Vous nous avez bien expliqué les différentes manières d'accéder à l'enseignement musical et vous avez souligné qu'il existait des alternatives au conservatoire. Je m'interroge sur les conséquences de la réforme en cours des lycées : ne risque-t-on pas de fragiliser l'une des voies d'accès alors même que la continuité fait défaut avec le collège ? Enfin, il faut prendre conscience que la participation parfois demandée aux familles dans le cadre des classes à horaires aménagés peut constituer un frein pour nombre d'entre elles.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Une question manque à nos débats : quel objectif poursuivons-nous ? S'agit-il de considérer la musique au même titre qu'une autre matière, au risque de lui faire perdre sa singularité ? Nous devons être bien conscients du rôle profond de la musique dans nos sociétés, on y apprend à s'écouter, on y apprend aussi le rythme et la mesure. L'audition du ministre de l'éducation nationale au moment de sa nomination m'avait rassuré mais je ne vois pas d'initiatives suivre. 34 millions d'euros ont été débloqués pour le Pass Culture et rien pour la musique. Les conservatoires sont des structures d'apprentissage et d'excellence qui doivent être préservés.

M. Maxime Leschiera. - Je tiens à indiquer que le rôle des conservatoires ne se limite pas à la musique mais peut également s'étendre à la danse ou encore au théâtre. Ils sont en mesure d'exercer ces missions sur le territoire, notamment grâce à un corps enseignant très impliqué et de très haut niveau, sous réserve qu'on leur en donne les moyens. L'éducation nationale est un partenaire indispensable sans lequel rien ne peut se faire ; une collaboration avec les collectivités territoriales est donc indispensable. Je partage, enfin, vos craintes quant à l'impact de la réforme du lycée.

Mme Sylvie Tarsot-Gillery. - Les conservatoires doivent bel et bien concilier l'excellence avec une éventuelle finalité professionnelle et la pratique amateur. Cela n'est, à mon sens, pas incompatible comme le montre l'exemple de l'Allemagne. La relation entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture est complexe, ce dernier devant sans cesse inciter l'éducation nationale à promouvoir la pratique musicale. Je confirme, enfin, que le Pass Culture est totalement ouvert aux conservatoires.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je tiens, en réponse à Mme Billon, à évoquer l'exemple de la Normandie. Comment assurer l'enseignement de la musique sur des territoires vastes et avec des familles qui ne disposent pas toujours de moyens financiers importants ? Je regrette, à ce propos, que la loi de 2004 n'ait pas été appliquée. À l'époque, le transfert des techniciens de l'éducation nationale (TOS) ne s'était pas accompagné d'une formation et d'une information des élus qui ont pu se trouver démunis. Les expérimentations menées ont été des succès, chaque collectivité étant intervenue à son niveau pour assurer un bon maillage territorial et répondre aux besoins des plus jeunes. La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine de 2016 a incité les régions à prendre cette responsabilité aux termes de débats nourris. Les régions doivent donc travailler à un schéma régional en lien avec les DRAC. Il existe néanmoins de grandes disparités entre les départements et entre les territoires. La Normandie a choisi de s'intéresser en priorité à cette question et on ne peut qu'espérer que les autres régions s'en saisissent également. Le Sénat a instauré une commission culture au sein de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) pour responsabiliser les différents acteurs. L'association des régions de France (ARF) va, je vous l'annonce, traiter prochainement de cette question.

Mme Dominique Vérien. - Il appartient aux collectivités territoriales de s'entendre pour assurer un maillage efficace au niveau des territoires. Mon expérience dans l'Yonne m'a bien montré toute la complexité d'une telle organisation et je crois profondément qu'il nous faudrait étudier la question d'une forme de péréquation qui permettrait d'intervenir en complément de l'éducation nationale. Le système doit être pensé au profit des enfants sans oublier de faciliter la pratique des enseignants souvent dispersés entre plusieurs lieux d'exercice pour différents employeurs.

Mme Maryvonne Blondin. - Je réitère les interrogations sur les conditions de travail des enseignants.

M. Maxime Leschiera. - Cette préoccupation est commune à tous les territoires qui sont organisés soit en petites structures autonomes, soit avec un centre disposant de plusieurs implantations. Il faut concilier la nécessité de rapprocher l'éducation musicale des territoires avec les conditions de travail des enseignants.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Dans les territoires ruraux, cette question dépend prioritairement de l'appétence des élus qui n'ont pas encore tous biens intégré cette problématique. Je souligne enfin que, si selon les échanges que je peux avoir régulièrement, les conservatoires sont ouverts à un élargissement de leur champs d'action, il doit être accompagné financièrement, ce qui n'a, par exemple, pas été le cas pour le plan chorale.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 55.

Jeudi 14 février 2019

- Présidence de M. Jacques Grosperrin, vice-président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition conjointe sur la lutte contre le dopage - Mme Valérie Fourneyron, présidente de l'Autorité de contrôle indépendante, Agence mondiale antidopage ; et de MM. Alain Calmat, président de la commission médicale, Comité national olympique et sportif français ; Skander Karaa, conseiller spécial de la ministre des sports ; Antoine Marcelaud, directeur des affaires juridiques et institutionnelles et Damien Ressiot, directeur des contrôles, Agence française de lutte contre le dopage

M. Jacques Grosperrin, vice-président. - Je vous prie d'excuser la présidente de notre commission, retenue par le conseil d'administration de France Télévisions. Cette table ronde est organisée pour faire le bilan de la commission d'enquête de 2013 sur la lutte contre le dopage, dont Jean-Jacques Lozach était le rapporteur. Je remercie de leur présence nos invités, Mme Valérie Fourneyron, présidente de l'Autorité de contrôle indépendante de l'Agence mondiale antidopage (AMA), M. Skander Karaa, conseiller spécial de la ministre des sports, accompagné de M. Michel Lafon, chef du bureau de la protection du public, de la promotion de la santé et de la lutte contre le dopage au ministère des sports, M. Alain Calmat, président de la commission médicale du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), MM. Antoine Marcelaud, directeur des affaires juridiques et institutionnelles, et Damien Ressiot, directeur des contrôles de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).

M. Jean-Jacques Lozach. - Je suis heureux que nous fassions le point sur la lutte contre le dopage, près de six ans après la publication de notre rapport.

En 2013, après les révélations de l'affaire Armstrong, les enjeux identifiés étaient multiples : l'équité sportive, c'est-à-dire l'égalité des chances face à la performance sportive, la santé publique, avec le recours à des produits de plus en plus dangereux, l'enjeu économique et médiatique (la fortune d'Armstrong est estimée à 100 millions de dollars, le marché international du dopage sportif à 10 milliards d'euros), l'enjeu judiciaire avec le trafic de produits illicites, l'égalité de traitement à l'intérieur des disciplines ou entre pays, notamment en termes de sanctions, ou encore l'utilisation efficace de l'argent, public ou privé, dans la lutte antidopage.

Notre commission d'enquête avait abouti à soixante propositions ; il me semble important que nos échanges permettent d'identifier les avancées majeures et les principaux obstacles qui restent à franchir. La synthèse du rapport de la commission vous a été distribuée. Vous y retrouverez les principales propositions regroupées en sept piliers : connaître, prévenir, contrôler, analyser, sanctionner, pénaliser et coopérer.

Mon sentiment, c'est que la lutte contre le dopage n'a pas été hissée au rang d'objectif prioritaire de nos politiques publiques. Certes, c'est une politique qui fonctionne, mais la reconnaissance d'une culpabilité collective n'a pas eu lieu. Le soupçon n'a cessé de s'étendre à de nouvelles disciplines et pratiques, et les dérives des fédérations russes ne sont pas rassurantes sur les agissements dans d'autres pays.

Heureusement, des progrès ont été réalisés, qui améliorent l'action de l'AFLD : la procédure de reconnaissance de culpabilité, la commission des sanctions indépendante, le futur laboratoire de Saclay, le Plan national de prévention du dopage et des conduites dopantes 2015-2017.

Nous avions pointé les difficultés auxquelles la lutte antidopage était confrontée : la loi du silence, l'internationalisation des trafics, la livraison par Internet, les pressions politiques et la complicité institutionnelle, les difficultés de détection par exemple de l'autotransfusion sanguine, l'apparition de nouveaux produits individualisés, l'audiovisuel peu motivé pour des campagnes d'information, la formation des sportifs de haut niveau. Avons-nous surmonté tout ou partie de ces difficultés ?

Certains chantiers ont avancé sans nécessairement aboutir, notamment la prévention qui constituait une de nos préconisations majeures. La commission d'enquête avait souhaité que 1'AFLD retrouve une compétence en matière de prévention. Mme la présidente de l'Agence évoquait dernièrement son action en matière d'information et d'éducation des sportifs et de leurs encadrants sur les dangers du dopage et leurs droits et devoirs. Il me semble que la prévention est encore dispersée entre différents acteurs, ce qui ne constitue pas un gage d'efficacité.

Un second chantier concernait les modalités de contrôle ne reposant pas sur des analyses biologiques, les preuves non objectives. Nous savons tous qu'il est difficile de confondre les contrevenants et que les enquêtes doivent croiser les éléments de preuve. Avons-nous pu sérieusement progresser dans ce domaine ?

Voilà, pour commencer ce débat, quelques points d'interrogation. Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur le transfert des activités de contrôle des conseillers interrégionaux antidopage (Cirad) à l'AFLD.

Mme Valérie Fourneyron, présidente de l'Autorité de contrôle indépendante de l'Agence mondiale antidopage. - En 2013, j'avais été auditionnée comme membre de l'AMA, où je représentais le continent européen. Aujourd'hui, je préside l'Autorité de contrôle indépendante, ou International Testing Agency, qui est une fondation indépendante. L'AMA joue un rôle majeur de définition des règles communes à tous : athlètes, fédérations internationales, pays, laboratoires, médecins contrôleurs, etc. L'agence que je préside depuis 2018 réalise les contrôles antidopage. Dès 2015, le mouvement olympique s'est demandé comment confier le contrôle antidopage à une structure indépendante du mouvement sportif et des États, afin d'éviter tout conflit d'intérêts. Or la lutte antidopage, de plus en plus complexe, nécessite une très large expertise scientifique, de recherche et d'évaluation des risques, dont les fédérations n'ont généralement pas les moyens.

À la suite de l'affaire russe, un groupe constitué de représentants des États, du mouvement sportif et des agences nationales a préfiguré l'outil qu'est devenue l'Autorité de contrôle indépendante. Cette fondation suisse, dont le capital a été apporté par le CIO, comprend un conseil d'administration dont les cinq membres sont nommés selon un processus indépendant, et surtout une direction opérationnelle, composée aujourd'hui de 25 personnes de 16 nationalités différentes, avec l'objectif ambitieux que tous les athlètes soient traités de la même façon. Le département des tests réalise le planning des contrôles antidopage en compétition et hors compétition, sur la base d'une évaluation des risques combinant plusieurs paramètres. Un département scientifique médical réalise des recherches en matière de contrôle antidopage. Nous comptons également un département juridique et un département support.

Aujourd'hui, quarante fédérations internationales et une grande partie des organisateurs d'événements sportifs internationaux nous ont confié en totalité ou en partie leur programme antidopage. Ce n'est pas une obligation, même si certaines fédérations sont incitées à nous rejoindre du fait de leur histoire, comme récemment le biathlon. Nous sommes au service du mouvement sportif, des agences nationales, comme ce sera le cas avec l'AFLD au moment des JO de Paris, avec tout un travail essentiel de partage, de collaboration, d'expérience.

Ma première mission ne fut pas la plus facile, puisqu'il s'agissait d'accompagner le CIO pour déterminer quels athlètes russes pouvaient concourir à PyeongChang sous drapeau neutre, nous conduisant à écarter les athlètes russes médaillés à Sotchi.

M. Alain Calmat, président de la commission médicale du Comité national olympique et sportif français. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais également été auditionné par votre commission d'enquête et, cinq ans après, beaucoup de choses ont changé. Où en sommes-nous au plan de l'action antidopage du CNOSF et plus particulièrement de la commission médicale ?

Le CNOSF joue un rôle de prévention, de connaissance, de coopération essentiel puisque nous sommes au centre du mouvement sportif, notamment au moment des JO. Ces missions se sont améliorées récemment grâce à une collaboration étroite avec l'AFLD et le ministère. Le colloque annuel pour un sport sans dopage se tiendra le 29 mars prochain. Des actions ont été menées aussi au niveau de la formation des sportifs - je pense au système de localisation. La coopération progresse avec le ministère, l'AFLD et le mouvement sportif, et il faut s'en féliciter.

Le CNOSF a créé une commission des athlètes de haut niveau. Il a réalisé une fiche pratique destinée à informer les sportifs et les fédérations en six points sur la lutte antidopage.

La création de l'autorité de contrôle indépendante que vient de présenter Mme Fourneyron nous rassure, le CNOSF étant chargé d'assurer la santé des athlètes. Au plan international, ceux-ci doivent savoir qu'une certaine éthique est appliquée. Ils sont ainsi moins incités au dopage. Nous cherchons à développer la santé et l'éthique du résultat. Or nous sommes préoccupés par les nouvelles façons de se doper. Je pense à l'intersexualité liée au taux de testostérone chez certaines femmes, au fameux chromosome de l'hyperhémoglobine, au dopage génétique qui pourrait advenir par la modification aisée de quelques nucléotides... Les commissions médicales doivent être très attentives à ces évolutions.

La sensibilisation générale à la lutte contre le dopage est également essentielle, surtout en période préolympique, et les messages doivent être délivrés par des spécialistes crédibles, au-delà du simple marketing.

M. Skander Karaa, conseiller spécial de la ministre des sports. - Je me réjouis de participer à cette table ronde. La commission d'enquête de 2013 a réalisé un travail colossal sur la question du dopage et formulé soixante propositions dont certaines, et non des moindres, ont trouvé une traduction dans le système français, en lien avec les exigences de l'AMA.

Je rappellerai d'abord les enjeux actuels de la lutte contre le dopage et le souhait de la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, de poursuivre une politique ambitieuse et volontariste en la matière. La France s'attache à respecter ses engagements internationaux, en l'occurrence la convention internationale de l'Unesco. Dans le contexte des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, de l'accueil de certains grands événements sportifs internationaux, notre pays doit être en mesure d'adopter les mesures liées au code mondial antidopage. Au plan international, la gouvernance de l'AMA a évolué et l'Autorité de contrôle indépendante a été créée. La France participe activement à différents travaux des organisations internationales, à l'Unesco, au Conseil de l'Europe et au sein de l'Union européenne. L'intensification de la présence française au plan international sera l'un des défis des prochaines années.

Au plan national, notre ministre a fait de la lutte contre les dérives du sport un axe fort de son action politique. La lutte contre le dopage en est un élément essentiel, avec des enjeux sportifs et sanitaires pour les sportifs, professionnels et amateurs. Cette politique ministérielle est portée avec ambition, en lien étroit avec l'ensemble des partenaires concernés, en particulier l'AFLD, dont le travail est reconnu au plan international, le CNOSF, le comité paralympique et plus largement le mouvement sportif, qui organisent un colloque de référence chaque année.

Sur le fond, cette politique de lutte contre le dopage repose sur une organisation fondée sur trois axes. Le premier, la prévention, c'est connaître, prévenir, c'est-à-dire mieux sensibiliser pour faire changer les comportements. Le deuxième, la dissuasion, c'est une analyse irréprochable, un contrôle antidopage renforcé, inopiné. Le troisième, la répression, c'est pénaliser avec des sanctions fermes et une lutte contre les trafics qui relève des missions de l'Agence mais aussi de l'État, avec en particulier l'action de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) et des Cirad.

J'en viens au bilan de ces dernières années au ministère des sports. Concernant la prévention, la dissuasion et la répression, il est possible de résumer la stratégie du ministère en trois moyens d'intervention : la réglementation, le financement et la prévention.

Le troisième code mondial antidopage de 2015 a été transposé en France en deux temps, en 2015-2016 puis en 2018-2019, à la suite d'un audit ayant révélé des points de non-conformité, dans les deux cas par voie d'ordonnances. Une ordonnance de juillet 2018 a créé la commission des sanctions au sein de l'AFLD, maintenant distincte de l'organe de poursuites. Le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 19 décembre 2018 sera présenté en conseil des ministres le 6 mars prochain et le décret d'application est en cours d'examen au Conseil d'État. Ces transpositions sont le fruit d'un travail fructueux entre tous les acteurs. Il a fallu trouver un équilibre, avec le Conseil d'État, entre les spécificités du code mondial, d'inspiration anglo-saxonne, et notre ordre juridique institutionnel. C'est un beau cas d'école.

Sur le fond, il y a eu beaucoup d'avancées significatives en matière de contrôles et de sanctions. Les marges de manoeuvre et l'indépendance de l'Agence ont été renforcées, avec certaines possibilités de contrôles à l'étranger, l'extension du champ des compétitions, l'élargissement des contrôles de jour et l'introduction de contrôles de nuit s'appuyant sur le code mondial antidopage évoquant un contrôle en tout lieu et à tout moment. Le dispositif est encadré, puisque des soupçons graves et concordants de risque de pratiques dopantes sont nécessaires pour enclencher ce type de contrôle. L'accord du sportif est requis et, en cas de refus, l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) est prévue.

Les Cirad évoluent, sous l'autorité du directeur de l'Agence, avec en filigrane une évolution administrative pour ses agents. Michel Lafon pourra vous apporter des éclaircissements sur ce point.

L'indépendance du pouvoir de sanction s'est accrue avec la fin de la compétence disciplinaire des fédérations au profit de l'Agence, la simplification et la célérité des procédures, l'uniformisation des sanctions et l'élimination des conflits d'intérêts. À mon sens, les fédérations doivent rester associées à la procédure de sanction, car elles ont un rôle important à jouer en matière de prévention. Je ne reviens pas sur l'indépendance de l'AFLD. Enfin, la compétence du tribunal arbitral du sport (TAS) a été actée pour les manifestations internationales et les sportifs de niveau international, en vue d'harmoniser les sanctions au niveau mondial, à la demande de l'AMA. La répression des sportifs et de leur entourage a été renforcée avec l'association interdite, l'aide substantielle, le plaider-coupable... L'enjeu est maintenant de rendre accessible cette transposition du code mondial aux premiers intéressés que sont les sportifs.

Le soutien financier de l'État a été renforcé au niveau national et international. La France a financé l'AMA à hauteur de 750 000 euros en 2018. La subvention de l'AFLD a augmenté pour atteindre 9,59 millions d'euros au titre de 2019. Surtout, le laboratoire déménagera sur le campus d'Orsay et sera opérationnel en 2023 pour la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. L'objectif est de disposer d'un laboratoire de pointe développant des activités de recherche et de coopération internationale. Le ministère a souhaité que le choix du site relève d'un processus transparent et d'une évaluation des candidatures par des experts indépendants, selon des critères objectifs.

Deux plans nationaux de prévention du dopage se sont succédé depuis 2013, en s'inspirant du rapport. En 2015-2017, je citerai l'action à l'égard des jeunes à l'école, une campagne d'information destinée aux pharmaciens sur la prise accidentelle de médicaments ou les compléments alimentaires avec l'élaboration d'une norme Afnor qui pourrait être portée au niveau européen en 2020, des études confiées à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), etc. J'ajoute la réforme des antennes médicales de prévention du dopage (AMPD) en 2017.

Un nouveau plan de prévention est en préparation pour les années 2019-2024 ; l'un de ses enjeux sera la meilleure coordination des actions de prévention entre l'ensemble des acteurs. Il sera piloté par le ministère et confiera un rôle accru de l'AFLD concernant les sportifs de haut niveau, et je salue à cet égard la création d'un comité des sportifs. Les fédérations auront aussi un rôle extrêmement fort à jouer, avec des référents intégrité. Le guide de l'intégrité élaboré récemment par le comité olympique constituera également un outil très utile.

Je conclurai en citant une phrase du rapport de 2013 : « le fait de parler de dopage ne nuit pas au sport, mais contribue au contraire, à moyen et à long terme, à lui redonner ses lettres de noblesse. Ne pas en parler, c'est souvent ne rien faire. » C'est cette philosophie qui doit aujourd'hui nous guider pour porter une action collective en matière de lutte contre le dopage.

M. Antoine Marcelaud, directeur des affaires juridiques et institutionnelles de l'Agence française de lutte contre le dopage. - Bon nombre des soixante propositions du rapport de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage de 2013 ont été suivies d'effet, notamment en matière d'exercice du pouvoir disciplinaire, de contrôle antidopage et de prévention.

L'AFLD, dont l'action au plan national s'inscrit pleinement dans le concert international de la lutte contre le dopage, s'est attachée au cours des deux dernières années à renforcer l'efficacité de la procédure antidopage. Elle s'est impliquée dans l'élimination des conflits d'intérêts réels ou apparents dans l'exercice du pouvoir disciplinaire antidopage. Outre la suppression de la compétence disciplinaire des fédérations sportives, une commission des sanctions a été créée au sein de l'AFLD pour séparer la poursuite du jugement. Cette commission fonctionne depuis le 1er septembre 2018 ; elle a tenu dix réunions et examiné plus de soixante-dix affaires. Ce mouvement de limitation des conflits d'intérêts s'est amplifié à l'international avec la création de l'International Testing Agency.

Par ailleurs, conformément aux préconisations de la commission d'enquête, l'ordonnance de 2015 avait déjà porté à quatre ans la durée des interdictions, aggravant les barèmes de sanctions pour les manquements les plus graves.

Elle a intégré dans notre droit la possibilité pour un sportif repenti d'apporter une aide substantielle, en participant à la découverte d'autres violations des règles antidopage, avec pour contrepartie un aménagement de sa sanction et un sursis à exécution de la durée d'interdiction. De plus, l'association interdite, issue du code mondial antidopage, interdit aux sportifs de recourir aux services professionnels de personnes qui ont fait l'objet d'une sanction pour violation des règles antidopage.

La récente ordonnance du 19 décembre 2018 a aussi introduit dans le code du sport plusieurs mécanismes qui renforcent le volet répressif de la lutte antidopage : elle a notamment ouvert la possibilité pour un sportif de renoncer à l'audience disciplinaire, selon un mécanisme inspiré de la composition administrative telle qu'elle s'exerce pour l'Autorité des marchés financiers. Cette procédure permet de gagner en rapidité dans l'intérêt de tous, y compris celui du sportif qui sera fixé plus rapidement sur son sort et dont la sanction s'exécutera dans des délais courts, de sorte qu'il pourra réintégrer d'autant plus vite la compétition. Cette procédure qui se combinera avec des modalités de réduction ou d'aménagement des sanctions, a aussi un intérêt économique, puisqu'elle devrait réduire les frais de représentation du sportif devant la commission des sanctions. Elle limitera également le nombre d'affaires qui seront présentées, ce qui réduira mécaniquement les délais de traitement des dossiers, améliorant globalement l'efficacité du processus disciplinaire. Enfin, elle réduira l'incertitude des contentieux.

L'ordonnance du 19 décembre a introduit la possibilité du recours au Tribunal arbitral du sport, avec pour objectif l'harmonisation des sanctions à l'international. Enfin, la réforme des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques doit aussi participer à cette homogénéité, en permettant aux sportifs de haut niveau de pouvoir recourir à des traitements médicaux, selon les mêmes règles pour tous. Les sportifs de haut niveau national et international continueront de pouvoir bénéficier d'une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques et, bien sûr, d'une autorisation rétroactive dans les cas prévus par le code du sport et le code mondial antidopage. Les sportifs de niveau international auront toujours accès à une autorisation d'usage préalable rétroactive. La raison médicale, exception française qui permettait à tout sportif de faire valoir un dossier médical devant la commission des sanctions est supprimée au profit de ces deux mécanismes.

La plupart de ces évolutions découlent de l'audit de conformité auquel l'AFLD a été soumise en mai dernier, et qui répondait au standard récemment adopté pour la mise en conformité des signataires de l'AMA. Les règles de l'AMA étant d'abord conçues pour les sportifs de haut niveau, l'AFLD a davantage orienté vers eux son programme annuel des contrôles pour 2019, même si 30 % restent dirigés vers le sport amateur. Cette évolution devrait renforcer le caractère dissuasif de la lutte contre le dopage tout en développant la prévention, en cohérence avec le plan de prévention du ministère des Sports qui s'adresse à un public plus large.

Les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 constituent un objectif primordial pour le système antidopage français, dans la mesure où ils devraient contribuer au rayonnement du laboratoire français. Comme l'indiquait M. Castex lors de sa récente audition par votre commission, l'un des indicateurs de la réussite de ces Jeux sera le nombre de médailles qui auront été remportées par nos sportifs, et il incombe à l'AFLD d'accompagner cette génération d'athlètes en leur assurant une éducation antidopage performante et en leur inculquant la culture du sport propre, seule à même de garantir la sincérité de leurs performances. Par conséquent, l'AFLD s'est dotée en 2018 d'un département « Communication et prévention », qui sera chargé de mettre en oeuvre la procédure définie par le collège de l'agence. Ce département active d'ores et déjà ses réseaux. Ses initiatives seront soutenues par le comité des sportifs de l'AFLD, organe consultatif récemment créé. L'AFLD a déjà pris contact avec la future Agence du sport pour la sensibiliser aux enjeux de la prévention. Enfin, l'agence doit prévoir la construction d'un dispositif de contrôle aux dimensions de l'événement des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, ce qui implique le recrutement de préleveurs et d'escortes et le renforcement de leur formation.

M. Michel Savin. - Madame Fourneyron, n'y a-t-il pas un risque à ce que l'Agence de contrôle internationale soit financée par ses propres clients, à savoir les fédérations ou les organisateurs ? L'AFLD devrait voir ses prérogatives augmenter, puisqu'elle sera dotée d'un pouvoir de sanctions. Comment s'organisent les autres pays ? Y a-t-il des agences qui fonctionnent sur notre modèle ? Le ministère a-t-il obtenu des résultats concrets dans la lutte contre les sites de produits anabolisants ? Combien d'entre eux ont été fermés ? Quelles sanctions ont été prises ? Enfin, le rapport préconisait d'établir une procédure de validation des calendriers sportifs par le ministère des Sports. Dans certains sports, comme le rugby, un calendrier de compétitions surchargé peut inciter à la prise de produits anabolisants. Le ministère a-t-il pu faire des recommandations à ce sujet, malgré les lourds enjeux extra-sportifs que constituent entre autres les droits télévisuels ?

M. Claude Kern. - L'AFLD a connu une évolution positive avec la mise en place de cette commission des sanctions indépendante, et la séparation des fonctions de poursuite et de jugement dans les affaires de dopage. L'an dernier, une partie des préleveurs a mené une fronde en raison d'une baisse de revenus liée à la nouvelle grille tarifaire. Qu'en est-il désormais ? Comment l'agence fait-elle face aux innovations ingénieuses qui fleurissent en matière de dopage ? Enfin, la décision de réintégrer la Russie dans l'AMA me semble précipitée et incompréhensible. Ce manque de transparence ne porte-t-il pas atteinte à la crédibilité de l'AMA ?

Mme Mireille Jouve. - Une équipe du CNRS, en collaboration avec des médecins de l'Association internationale des fédérations d'athlètes, a développé un outil numérique capable de détecter un éventuel usage de substance illicite par un sportif. Cette découverte a été saluée par un trophée de l'INPI. Grâce à ce modèle informatique, il serait possible de repérer, avant même l'ouverture d'une enquête, les athlètes dont les performances ont évolué de façon anormale. On utiliserait pour cela des banques de données recensant plusieurs années de résultats de compétitions internationales. Qu'en pensez-vous ? Une des principales carences de la lutte antidopage réside dans les nombreuses zones grises qui subsistent, certaines régions du globe échappant encore complètement à la lutte antidopage, ce qui est source d'inégalités. Pourriez-vous nous dresser un rapide état des lieux ?

Mme Valérie Fourneyron. - Monsieur Savin, l'Autorité de contrôle indépendante dépend d'une agence à but non lucratif, ce qui signifie que chacun des organisateurs d'événements paie le coût réel du contrôle de son programme. Il leur appartient de respecter leurs obligations en tant que signataires du code mondial antidopage et d'y mettre les moyens en interne, même s'ils ont délégué leur programme à notre structure. Nous veillons cependant à améliorer la rentabilité de nos contrôles et à en amoindrir les coûts en travaillant simultanément avec plusieurs fédérations, dès que nous en avons l'occasion. Enfin, l'équilibre financier de l'agence devrait être atteint au bout de trois à cinq ans. Les frais de création pour les locaux ou l'équipement ont été pris en charge par une subvention du CIO, grâce à une enveloppe réservée résultant de la déclaration du 5 décembre 2017.

Toutes nos agences nationales doivent pouvoir bénéficier des services de préleveurs toujours mieux formés. Elles doivent les valoriser à l'occasion de grandes compétitions comme la Coupe du monde de rugby ou les Jeux olympiques et les inciter à toujours plus de qualité. Dans les compétitions internationales, nous avons besoin d'un pool de contrôleurs capables de parler plusieurs langues. En valorisant ainsi le pays d'où ils viennent, ils transmettront un héritage et inciteront chacun à participer à la lutte antidopage. Le sujet est majeur. Les préleveurs doivent être mis en valeur, leur rémunération et la prise en charge de leurs déplacements améliorées.

Je ne ferai pas de commentaires sur la décision de l'AMA concernant la Russie. J'ai quitté l'agence en 2016 et ma seule responsabilité a été de décider quels athlètes russes pouvaient participer aux Jeux olympiques de Pyongyang sous drapeau neutre. Quoi qu'il en soit, nous n'aurions pas pu mettre à plat le dopage institutionnel comme nous l'avons fait à Pyongyang si le département « Intelligence et investigations » de l'AMA n'avait pas été créé. La commission de conformité a également joué un rôle essentiel. L'AMA a enclenché une procédure de révision du code mondial antidopage qui sera votée en novembre prochain et entrera en vigueur au 1er janvier 2021.

Madame Jouve, la recherche est primordiale. Nous favorisons le développement de groupes communs qui travaillent sur une approche scientifique plus qualitative, fondée sur le partage des données. Nous travaillons aussi sur de nouvelles méthodes de prélèvement comme la goutte de sang au bout du doigt.

Les zones grises existent effectivement. La France consacre beaucoup de moyens à la lutte antidopage, les pays européens aussi ; mais il existe un seul laboratoire en Afrique. Faut-il exiger le même niveau de moyens publics dans des nations dont les conditions sont plus précaires que les nôtres ? Je n'en suis pas certaine. Tout est question d'organisation.

M. Alain Calmat. - Le mouvement sportif se félicite du transfert des sanctions à l'AFLD. On évite ainsi les conflits d'intérêts tout en favorisant l'égalité entre les fédérations. En matière de calendrier, le rugby en prend plein la tête, excusez-moi du terme...

M. Michel Savin. - On pourrait aussi parler du basket.

M. Alain Calmat. - Il ne faudrait pas se tromper de sujet. C'est moins le calendrier surchargé qui est en cause que la nature même de ce sport, qui doit évoluer et qui a d'ailleurs commencé à le faire. Malheureusement, la France n'est pas la seule nation aux commandes. Cependant, les Néozélandais souhaitent eux aussi transformer les règles du rugby pour éviter des gestes dont les conséquences peuvent être graves pour la santé des joueurs. On parle beaucoup de la commotion cérébrale, en ce moment. Des travaux sont en cours, des rapports, des colloques où interviennent des spécialistes. La recherche porte sur l'ensemble des sports dits à risque. Il faudrait élargir cela à l'ensemble des risques physiques induits par le sport.

Les possibilités se développent aussi en matière de prévention dite secondaire et tertiaire : des gens qui souffrent d'un handicap ou d'une maladie chronique peuvent désormais pratiquer une activité sportive. Toutes les fédérations ont l'obligation de se doter d'un comité sport-santé en charge de déterminer les améliorations techniques à apporter pour que la santé des sportifs ne soit pas mise en danger. L'enjeu est beaucoup plus large que la compétition ; il s'agit du sport dans son acception la plus large.

Enfin, Madame Jouve, le passeport sanguin des sportifs remplit les mêmes fonctions que l'appareil que vous mentionnez. Il montre l'évolution des éléments sanguins du sportif à partir d'une simple prise de sang.

M. Michel Lafon, chef du bureau de lutte contre le dopage au ministère des Sports. - La mise en place des conseillers interrégionaux antidopage (Cirad) date de mai 2014. L'activité est montée en puissance en 2015 et s'est concrétisée sur le terrain à partir de 2016. Toutes les régions disposent d'une commission régionale de lutte contre les trafics et la moitié d'entre elles ont construit des plans d'action pour lutter contre le trafic de substances. La mise en place a donc été assez rapide. En trois ans, des liens se sont noués avec les douanes et les parquets. En 2017, on a recensé 40 réunions opérationnelles avec les ministères de la justice et de l'intérieur pour mener des opérations, et 45 opérations menées sur le terrain. Entre 2016 et 2017, le nombre de sollicitations auprès des parquets au nom de l'article 40 a augmenté de 17 à 23, dont 14 ont été suivis par les parquets. Pas moins de 48 saisies de produits ont été réalisées en 2017. L'activité se construit autour d'un réseau territorial de plus en plus efficace.

Il n'en reste pas moins que les Cirad se heurtent à des difficultés. Ce sont des agents de l'État, placés au niveau des services régionaux, pour mener une double activité, consistant d'une part à diligenter les contrôles en matière de lutte contre le dopage sous la responsabilité fonctionnelle du département des contrôles de l'AFLD, d'autre part à lutter contre les trafics.

Les Cirad estiment qu'ils ont besoin d'une liaison avec les contrôleurs pour pouvoir mener des opérations de terrain. D'où leur opposition à l'évolution de la politique de contrôle imposée par l'AMA avec un ciblage à 70 % sur le sport de haut niveau, alors que les trafics se développent surtout dans les salles de remise en forme ou bien dans le cadre de pratiques un peu périphériques.

Enfin, à la suite de son audit, et dans un souci d'indépendance, l'AMA a exigé que les agents qui diligentent les contrôles soient placés sous l'autorité hiérarchique de l'AFLD. Ces dispositions doivent être mises en oeuvre au 1er mars 2019, ce qui laisse peu de temps. Le transfert se fera en deux étapes, avec un objectif d'évolution du nombre d'ETP de l'AFLD à 4 dans le projet de loi de finances pour 2020, et la mise à disposition de Cirad auprès de l'AFLD à titre gracieux par la direction des ressources humaines des ministères sociaux, en 2019. L'AFLD sera sollicitée, dès demain, sur le contenu de la convention et sur la lettre de mission type proposée aux agents qui seront chargés de diligenter les contrôles. Il nous restera à solliciter individuellement chacun des Cirad pour leur expliquer l'intérêt du dispositif de transition qui leur permettra de poursuivre leur activité jusqu'à la fin de 2019, dans l'attente de nouveaux dispositifs. Un courrier a déjà été adressé à tous les directeurs régionaux pour les sensibiliser à cette période de transition.

M. Skander Karaa. - Monsieur Savin, la loi fait déjà le lien entre la santé des sportifs et le calendrier des compétitions, puisqu'elle exige des fédérations qu'elles veillent à ne pas mettre la santé de leurs adhérents en danger par des programmes d'entraînement ou de compétitions trop intensifs. Ce fondement légal responsabilise les fédérations. Je crois qu'en la matière le dialogue sera plus efficace que de faire valider par le ministère un calendrier qui relève de l'autonomie des fédérations sportives. Tout est question d'équilibre.

Récemment, des actions fortes ont été menées dans le monde du rugby. Elles trouveront leur aboutissement dans un symposium qui se tiendra fin mars à Paris, avec pour sujet les accidents et les commotions cérébrales qui se produisent dans le rugby. La ministre souhaite accompagner les acteurs pour faire évoluer les règles du jeu, mais aussi les catégories, la formation et le contrôle. Le ministère travaille sur un plan « Commotion cérébrale » qui devrait associer des sociétés savantes et des acteurs du monde sportif.

M. Antoine Marcelaud. - Le code mondial antidopage a vocation à s'appliquer sur l'ensemble de la planète, avec les mêmes règles pour tous. L'AMA s'est dotée, en avril 2018, d'un standard pour la conformité, de sorte que l'ensemble des signataires doivent proposer la renonciation à l'audience ou composition administrative en France, et doivent utiliser les mêmes barèmes de sanctions. Le système est donc a priori harmonieux, même si tous les pays n'ont pas encore fait l'objet d'un audit.

Des études ont été récemment médiatisées qui proposent de nouvelles méthodes statistiques pour prédire des résultats sportifs anormaux. Ces indicateurs ne sont pas encore reconnus comme étant des méthodes de détection du dopage, et ils ne font pas partie de l'arsenal de détection. En revanche, si les tricheurs innovent, la détection sait aussi le faire : le passeport biologique a fait ses preuves auprès de fédérations internationales. Même s'il n'y a pas de cas avéré, la possibilité d'un dopage génétique existe et l'AMA est prête à relever le défi. La science progresse aussi sur les fenêtres de détection des pratiques avec les micro doses, plus difficilement détectables.

M. Damien Ressiot, directeur des contrôles de l'AFLD. - Les préleveurs sont les premières personnes qui représentent l'agence sur le terrain, au contact des sportifs. Nous avons effectivement revu le barème des vacations pour atténuer les effets de seuil. Nous avons aussi mis en place un nouveau logiciel pour l'organisation de nos contrôles. La situation est apaisée et notre système de prélèvements fonctionne parfaitement.

L'agence a toujours souhaité professionnaliser l'acte du prélèvement, car il détermine toute la solidité de procédure. D'où nos efforts en matière de formation et d'évaluation des préleveurs. Nous travaillons pour l'instant avec 210 préleveurs. Le rapport préconise que nous gagnions en qualité en diminuant leur nombre. Nous avons élargi le spectre des compétences pour les profils des personnes qui pourraient faire des prélèvements en y incorporant notamment des anciens officiers de police judiciaire ou des professionnels de santé. Ces gens qui interviennent sur le terrain nous rapportent des informations essentielles.

Notre objectif prioritaire reste Paris 2024. Nous devons former du personnel compétent dans cette optique. Nous allons envoyer des préleveurs aux Jeux olympiques de Tokyo l'été prochain, à la demande du comité d'organisation japonais, pour leur donner une expérience en matière olympique. Enfin, nous avons mis en place des statuts professionnels avec trois préleveurs qui travaillent à plein temps pour l'agence.

La situation des Cirad s'annonce complexe pour l'année 2019 qui sera de transition, avant que l'agence puisse engager des préleveurs qui monteront des opérations de contrôle. Nous allons essayer de tenir les objectifs de notre plan annuel des contrôles. Un certain nombre de Cirad ont déjà pris des engagements professionnels face à l'incertitude de leur métier. Nous trouverons une solution.

Les calendriers fédéraux jouent un rôle très important dans notre stratégie de ciblage des contrôles. Nous n'avons aucune qualité pour les valider, mais ils nous fournissent des données essentielles en matière de temps, de charge de travail ou de récupération. Nous nous référons, pour chaque sport, au standard de l'AMA, afin d'identifier les périodes propices aux contrôles. Par exemple, nous savons exactement à quel moment de leur entraînement les rugbymen sont les plus exposés à la tentation de prendre des produits exogènes, et c'est à ce moment-là que nous programmons des contrôles inopinés.

Nous siégeons dans les commissions de lutte contre les trafics. Le phénomène est très important. Il s'agit de déterminer la qualité des personnes impliquées et de savoir si elles répondent à l'identité du sportif, telle qu'elle est définie par le code du sport. La législation qui existe en France est un atout considérable, notamment dans la perspective des compétitions internationales à venir. Beaucoup de fonctionnaires dans différentes administrations sont d'ores et déjà sensibilisés à la problématique de l'antidopage. Ils connaissent les produits et sont formés. C'est un atout dont il faudra user. Je rappelle que parmi les grandes compétitions à venir, il y a aussi la Coupe du monde féminine de football qui aura lieu très prochainement en France et qui constitue un événement majeur.

Un volet physiologique était initialement prévu dans le cadre du passeport de l'athlète. Il n'a pas encore vu le jour, et il reste encore beaucoup de travail à faire. Quoi qu'il en soit, nous avons la volonté de suivre les performances des athlètes de très haut niveau, de les noter et de souligner les incohérences majeures afin d'intervenir le plus rapidement possible.

Enfin, sur le développement d'un axe d'investigation dans notre département des contrôles, je vous informe que mon adjoint est un officier de gendarmerie détaché. Je peux aussi m'appuyer sur un policier mis à disposition par la police nationale. Fort de son expertise d'investigation, il s'occupe des contrôles inopinés. Ce sera l'un des chantiers majeurs à venir du département des contrôles.

M. Jean-Jacques Lozach. - Ces dernières années, notre commission a été très attentive à la dimension éthique des pratiques sportives et à la lutte contre toutes les dérives du sport, dont le dopage. Nous sommes dans une période où l'on parle beaucoup de nouvelle gouvernance. Nous ne sommes pas directement impliqués dans cette réorganisation, puisqu'un simple décret du Conseil d'État a suffi pour supprimer le CNDS et pour créer l'Agence nationale du sport. Cependant, nous souhaiterions que, dans cette période, la dimension éthique puisse devenir l'axe fort d'une prochaine loi sans que les problèmes d'organisation créent de retard.

Certains sujets ont perdu de leur intensité au fil des ans, notamment la géolocalisation des sportifs de haut niveau et le système Adams présentés comme des atteintes aux libertés individuelles et en particulier à liberté de circulation. Autre sujet, le recours aux compléments alimentaires qui créait une peur panique chez certains présidents de fédération. Vincent Collet, l'entraîneur et sélectionneur de l'équipe de France de basket-ball était justement inquiet de la situation des basketteurs évoluant en NBA. Grâce à la norme Afnor, il semble que nous ayons sérieusement progressé en la matière. Il est désormais beaucoup plus difficile de passer entre les mailles du filet.

Enfin, notre objectif était de mettre en place un suivi et une sorte d'évaluation. Je pense que nous y sommes largement parvenus grâce à vos interventions et à votre implication collective. Je tenais à vous en remercier très chaleureusement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 25.

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Décision rendue par le Défenseur des droits sur le fonctionnement de Parcoursup - Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le ministre, en votre qualité de Défenseur des droits, vous avez rendu une décision, le 18 janvier 2019, relative à ce que nous appelons, peut-être par facilité, les « algorithmes locaux » de Parcoursup.

Permettez-moi, avant de vous céder la parole pour que vous nous précisiez le contenu de votre décision et les recommandations que vous avez faites à la ministre Frédérique Vidal, de rappeler les principaux éléments de débat à l'attention de tous nos collègues.

Dans les formations ayant reçu un faible nombre de candidatures via Parcoursup, les dossiers ont été regardés un à un et classés manuellement les uns par rapport aux autres, conformément aux engagements de la ministre d'assurer un traitement humain des dossiers.

Néanmoins, dans la plupart des formations, compte tenu du grand nombre de candidatures reçues - chaque candidat pouvait faire jusqu'à 10 voeux et 20 sous-voeux non hiérarchisés -, les équipes pédagogiques ont eu recours soit à des tableurs Excel de leur facture, soit à l'outil d'aide à la décision mis à leur disposition par le ministère pour établir un pré-classement des dossiers.

Les commissions d'examen des voeux ont ainsi pu sélectionner les notes des matières qu'elles souhaitaient retenir et y appliquer des pondérations. Elles ont pu également redresser les notes des candidats en fonction du lycée d'origine, afin de rendre comparables entre elles les notes d'un lycée à l'autre. Une fois cette pré-liste de candidats établie, les commissions d'examen des voeux n'ont plus eu qu'à départager les éventuels ex aequo et réintégrer les dossiers atypiques.

Rares sont les formations qui ont fait connaître les critères qu'elles avaient retenus pour établir le classement des dossiers, et certains élus, syndicats ou candidats, ont pu s'émouvoir de ne pas avoir eu connaissance a priori de ces critères. Seuls étaient obligatoirement portés à la connaissance du public les « attendus », nationaux et éventuellement locaux, de chaque formation.

Je rappelle que, dans le cas général, la loi prévoit que « sous réserve des secrets protégés [...], les administrations [...] publient en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l'accomplissement de leurs missions lorsqu'ils fondent des décisions individuelles ». En outre, les principales caractéristiques de la mise en oeuvre des algorithmes doivent être communiquées à l'intéressé s'il en fait la demande.

Mais la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) a prévu des dispositions spécifiques s'agissant des décisions individuelles de Parcoursup : « afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l'examen des candidatures [...] les obligations (de communication) sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ». Les candidats de Parcoursup n'ont donc accès qu'à une information individuelle ex post, la loi ayant écarté l'obligation de publication en ligne préalable.

C'est l'application de ces dispositions spécifiques à Parcoursup que je vous propose aujourd'hui d'examiner, à la lumière de votre décision et peut-être aussi de celle du tout récent jugement du Tribunal administratif de Guadeloupe, qui a enjoint à l'Université des Antilles de rendre publics les algorithmes utilisés pour le classement des candidats.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Je suis heureux que votre commission ait souhaité m'entendre à la suite de la décision que j'ai prise le 18 janvier dernier. En réalité, j'ai rendu deux décisions ce jour-là : celle que vous avez mentionnée, et une autre, dont on a moins parlé mais qui n'est pas moins importante, relative à la prise en compte de la situation des étudiants porteurs de handicap dans la procédure de Parcoursup.

Je me suis en effet rendu compte que des dispositions spécifiques n'avaient pas été prises pour les candidats porteurs de handicap, ce qui allait les désavantager. Seulement cinq académies sur trente proposaient un accompagnement spécifique. La loi ORE a instauré un dispositif pour améliorer et harmoniser les pratiques au niveau national, avec le nouvel article 612-3 du code de l'éducation. Une instruction du 28 mars 2018 a prévu la mise en place, dans chaque académie, d'une équipe d'accompagnement dédiée et pluridisciplinaire. Ces mesures étaient extrêmement tardives, laissant en suspens de nombreuses questions qui m'ont poussé à m'autosaisir.

Les candidats en situation de handicap avaient été informés, au préalable, de la possibilité de faire figurer dans leur dossier tous les éléments qu'ils jugeraient utiles pour expliquer les particularités liées à leur scolarité et à leur projet de formation, ou à apporter des informations factuelles sur les caractéristiques de leur handicap. La mention de ces éléments pouvait constituer un désavantage. Certains candidats ont pu hésiter à faire état de leur handicap et des besoins d'aménagement en découlant, de peur de voir leur candidature écartée.

C'est la raison pour laquelle j'ai recommandé à la ministre de prévoir des mesures appropriées afin de garantir aux personnes handicapées un accès sans discrimination à l'enseignement supérieur. À cette fin, je lui ai demandé de prendre des dispositions pour assurer la mise en oeuvre effective des mesures d'accompagnement, pour veiller à ce que les candidats en situation de handicap ne soient pas pénalisés lors de l'évaluation de leur candidature en raison de leur parcours atypique et, enfin, pour examiner la possibilité de mettre en place, dans chaque académie, un dispositif d'affectation prioritaire de ces candidats sans qu'il leur soit imposé d'attendre la fin de la procédure d'affectation.

Le ministère a été très attentif à ces questions. Les choses se sont faites dans la précipitation pour la procédure de 2018 ; néanmoins, des progrès ont été constatés : un dispositif d'accompagnement a été mis en place en amont et la possibilité de procéder en aval à un réexamen du dossier a été ouverte si le candidat n'a reçu aucune affectation.

Cependant, et votre commission doit y être attentive, le dispositif ne prévoit pas de procédure spécifique pour prendre en compte les particularités des parcours des candidats découlant de leur situation de handicap pendant la phase principale d'examen des candidatures, ce qui constitue en quelque sorte un désavantage. J'y insiste, le Parlement devrait se saisir de cette question, car la politique de la France, c'est l'inclusion, de la maternelle jusqu'aux grandes écoles et à l'université.

J'en viens à la décision principale du 18 janvier dernier. Nous avons été saisis par Pierre Ouzoulias, par Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, ainsi que par un collectif d'associations et de syndicats, dont l'UNEF, sur l'absence de transparence de la procédure d'affectation et sur le caractère potentiellement discriminatoire de certains critères utilisés pour sélectionner les candidats. À l'issue de notre instruction, nous avons étendu le périmètre de nos recommandations aux bacheliers technologiques et professionnels.

La principale question portait sur la transparence de l'information. Je rappelle que les attendus sont soit nationaux, c'est-à-dire communs à l'ensemble des formations pour chaque filière, soit locaux, c'est-à-dire propres à chaque formation et définis par les commissions d'examen des voeux dans les établissements d'enseignement supérieur. Ces établissements accèdent aux informations relatives aux candidats disponibles sur Parcoursup. Ils peuvent exporter ces données dans leur propre système d'information. Pour opérer le classement des candidatures reçues, ils ont recours soit à un algorithme pour effectuer au moins un pré-tri soit à l'outil d'aide à la décision de Parcoursup, en le paramétrant en fonction de leurs besoins propres ou en l'utilisant tel quel. C'est ce qu'on a appelé, selon une expression juridiquement impropre, les « algorithmes locaux ».

Les attendus nationaux et locaux sont publiés sur la plateforme Parcoursup ; l'algorithme national a été rendu public par le ministère en 2018, ce qui est un grand progrès en matière de transparence, mais qui ne permet pas de connaître précisément la manière dont les dossiers sont évalués et traités. Les algorithmes locaux et les procédés de traitement des dossiers par les commissions locales d'examen des voeux ne sont pas publics. Les candidats peuvent cependant obtenir la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures, ainsi que des motifs pédagogiques justifiant la décision, mais ce uniquement a posteriori, aux termes de l'article L. 612-3 du code de l'éducation. Ces dispositions ont été prises pour protéger le secret de la délibération des jurys.

Il existe donc un conflit d'interprétation entre, d'une part, la loi de 2016 pour une République numérique, qui assure la transparence, et la loi ORE de 2018, qui prévoit une dérogation dans le cas que je viens de citer. Les reproches relatifs à Parcoursup portent sur ce manque de transparence dans la manière dont les dossiers sont évalués, notamment s'agissant des attendus.

Nos recommandations sont donc de veiller à ce que les attendus locaux soient définis de manière suffisamment précise et de prendre les mesures législatives et réglementaires nécessaires afin de rendre publiques toutes les informations relatives au traitement, y compris algorithmique, et à l'évaluation des dossiers des candidats par les commissions locales en amont du processus d'affectation, pour assurer la transparence de la procédure et permettre aux candidats d'effectuer leurs choix en toute connaissance de cause.

À nos yeux, la publication de ces informations ne porte pas atteinte à la souveraineté du jury et au secret de ses délibérations, car elle dévoile non pas le contenu de l'appréciation portée sur chaque candidature, mais uniquement les critères pris en compte et la manière de les appliquer.

Les associations et syndicats ont saisi les universités afin d'obtenir la communication des procédés algorithmiques. Le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision implicite de refus du président de l'université des Antilles de transmettre ces éléments, en estimant que cette demande ne porte pas atteinte au secret des délibérations. L'Université s'est pourvue en cassation, en s'appuyant sur la dérogation prévue par la loi ORE. La décision attendue du Conseil d'État fera certainement jurisprudence pour l'ensemble des cas encore pendants devant les tribunaux.

Autre problème : l'existence ou non, de critères potentiellement discriminatoires, ce qui me conduit à évoquer le secteur géographique, les élèves boursiers et les bacheliers technologiques et professionnels.

Votre collègue Laurent Lafon s'est vu confier une mission par la ministre sur le premier point. La question de la mobilité des étudiants est particulièrement prégnante en Île-de-France. On ne dispose pas aujourd'hui d'éléments attestant d'une amélioration effective de la situation en matière de mobilité de la périphérie vers le centre de Paris après la première année de Parcoursup.

La ministre a décidé, le 16 janvier dernier, de permettre aux candidats de la région académique d'Île-de-France, c'est-à-dire des trois académies, de postuler à toutes les formations non sélectives universitaires indépendamment de leur département d'origine.

Nous avons recommandé, dans notre décision, de veiller à ce que les obstacles géographiques et sociaux n'entravent pas la mobilité des étudiants. Celle-ci ne doit pas être que formelle : il faut des logements, des transports, des aides financières pour la rendre effective. Elle ne doit pas non plus avoir d'effet contreproductif, c'est-à-dire conduire à la concentration des meilleurs étudiants dans les établissements les plus réputés. Il faut donc conserver la possibilité pour chaque candidat d'être affecté dans une formation proposée dans son académie de résidence, afin d'éviter de détourner de manière systématique les meilleurs étudiants des établissements les moins réputés.

Une autre de nos recommandations porte sur le pourcentage minimal de boursiers. Parcoursup prévoit l'instauration d'un tel pourcentage minimal dans les formations publiques sélectives et dans les formations publiques non sélectives en tension, dans le but de favoriser la mixité sociale. Selon le ministère, le nombre de candidats boursiers ayant accepté une proposition en phase principale lors de la première année de Parcoursup est en hausse de plus de 20 % par rapport aux résultats d'admission post-bac (APB) à la rentrée de 2017. Toutefois, des établissements très demandés ont pu fixer des taux de boursiers très faibles.

Il faut s'assurer que la fixation de ces taux minimaux contribue effectivement à l'objectif de mixité sociale, en évitant la concentration des boursiers dans certaines formations ou établissements. Les taux doivent être fixés de manière harmonisée sur l'ensemble du territoire et pour l'ensemble des formations.

J'en viens aux bacheliers technologiques et professionnels, qui reçoivent moins de propositions, sont confrontés à une plus grande attente et font l'objet de davantage de refus. En dépit des efforts réels du ministère, ils ont moins de chance d'accéder à l'enseignement supérieur dans une filière de leur choix, ce qui explique le nombre d'abandons. Il faut leur offrir un accompagnement accru.

Plusieurs de nos recommandations sont à portée préventive. Lors de notre instruction, nous n'avons pas caractérisé de situations de discrimination, mais nous avons relevé des indices selon lesquels de telles situations pourraient survenir. Il faut corriger la procédure pour éviter que cela n'arrive.

Le ministère a annoncé des modifications destinées à limiter le temps d'attente des candidats et à accompagner davantage les candidats en situation de handicap - je pense au référent handicap dans chaque formation et à la fiche de liaison pour faire part des besoins spécifiques.

Nous surveillons la mise en oeuvre du deuxième exercice de Parcoursup, tout comme le fait votre commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le Défenseur, pour votre exposé complet et très utile. Nous suivons l'application de la loi et mesurons que les débats ayant présidé à la création de Parcoursup ont été très rapides. L'absence de deuxième lecture ne nous a pas permis d'approfondir certains sujets. Nous ne votons malheureusement plus que des lois en urgence...

M. Jacques Toubon. - Il était urgent de mettre fin à APB !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur des crédits de l'enseignement supérieur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation sur ce sujet qui nous passionne.

S'agissant des candidats porteurs de handicap, lors de mes auditions sur le budget, nous avions relevé qu'un certain nombre d'entre eux ne souhaitaient pas signaler leur handicap, par peur d'être discriminé ou de ne pas recevoir un accueil adéquat dans les universités.

M. Jacques Toubon. - La question est plus générale : elle porte sur le traitement des discriminations. La lutte contre les discriminations, qui consiste à empêcher qu'une différence entraîne une inégalité, finit par constituer une injonction paradoxale. Comment mettre en place une politique d'inclusion pour les personnes porteuses de handicap si la structure - école, entreprise - qui les accueille ne procède pas aux adaptations nécessaires ? C'est la problématique des aménagements raisonnables.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - S'agissant de la publication des critères de classement des candidatures, le Sénat avait proposé deux dispositifs : s'en tenir au droit commun ou publier les différents critères tout en garantissant le secret des délibérations. Doit-on s'en tenir à un pré-tri, qui aboutit à un classement que les établissements devraient respecter ? Je n'y suis pas favorable : il doit y avoir une part d'humain dans toute sélection. Dans les bulletins scolaires, on distingue une partie chiffrée et une partie non chiffrée : les enseignants - nous sommes nombreux à l'être ici - savent lire entre les lignes...

S'agissant de la prise en compte du lycée d'origine, il s'agit d'une question très largement parisienne. Dans nos départements, les classes préparatoires privilégient, par exemple, des candidats venant du département, afin de donner en quelque sorte un « bonus » à de futurs bacheliers qui auront tendance à aller dans une classe préparatoire ou une université de proximité.

L'humain et les critères particuliers locaux doivent être préservés.

M. Laurent Lafon. - Merci de vos explications précises. Vous avez fait référence à la mission qui m'a été confiée, laquelle ne porte que sur l'Île-de-France. Les problèmes de Parcoursup, comme les délais d'attente, concernent presque exclusivement cette région. Il en est de même s'agissant des questions de mobilité : cela s'explique par la concentration des établissements, notamment universitaires, à Paris. La capitale a plus de places en licence et en établissement supérieur en général qu'elle ne produit de bacheliers, alors que la situation est inverse dans les deux académies de banlieue.

Une partie de la réponse a été apportée par la ministre, à la suite des premières recommandations que j'ai formulées, lesquelles correspondaient à un amendement débattu au Sénat. Notre assemblée devrait être davantage écoutée...

La régionalisation ne résout pas tout. Elle est liée à la question des élèves boursiers. Les notes n'ont pas la même signification d'un lycée à l'autre. Comment les responsables des établissements d'enseignement supérieur peuvent-ils analyser des dossiers à partir de données qui ne sont pas identiques ?

Je suis d'accord avec vous : à la lecture des chiffres - même si j'ai quelques doutes sur la fiabilité de certains d'entre eux ! -, il est difficile de faire apparaître des éléments de ségrégation. Il s'agit plus de soupçons que d'une réalité.

Pour éviter toute ségrégation, deux systèmes sont envisageables : l'anonymisation des noms ou des lycées, ou un système plus classique d'augmentation significative, et uniformisée sur l'ensemble des formations, du nombre d'élèves boursiers. Je penche pour la seconde solution.

La combinaison entre la régionalisation et un accroissement du taux de boursiers dans les formations non sélectives nous fera faire un grand pas dans la lutte contre les discriminations en Île-de-France.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour cette audition indispensable. En vous écoutant, monsieur le Défenseur, j'ai pris conscience de l'importance de notre commission sénatoriale dans la gestion du dispositif de Parcoursup. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises : Sophie Joissains, en tant que rapporteure de la loi relative à la protection des données personnelles, avait identifié le problème juridique et le Sénat avait voté, à l'unanimité, un amendement. Avec notre tradition de travail consensuel, l'unanimité nous fait approcher d'une forme de vérité !

J'ai un immense regret : au titre de l'article 24 de la Constitution, qui me donne le droit d'exercer un contrôle des politiques publiques, j'ai demandé, sans succès, à la ministre de me transmettre des pièces que vous avez, pour votre part, obtenues. Je suis passé par la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), qui m'a donné raison sur le fond, mais m'a renvoyé vers les universités. J'ai formulé 20 demandes : 4 universités ont refusé de transmettre ces documents au motif qu'ils étaient couverts par le secret des délibérations ; 16 ne m'ont même pas répondu. Je vous ai donc saisi, et vous êtes aussi devenu le défenseur des droits du Parlement ! Nous sommes obligés de passer par votre entremise pour exercer nos droits... Vous avez, selon la loi, la possibilité d'exiger des pièces de l'administration, en saisissant le cas échéant le juge des référés de l'ordre administratif. À un moment où nous réfléchissons à la réforme de la Constitution et au renforcement des droits du Parlement, je constate que vous êtes mieux armé que nous pour contrôler les politiques publiques !

Notre commission est très attachée à la défense des libertés individuelles. Quelle est la conformité de la dérogation ouverte par la loi ORE avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), promulgué ultérieurement ? Même les pré-classements automatisés ne seraient peut-être pas conformes à ce règlement.

La ministre a demandé aux établissements de respecter un certain nombre de règles, mais le ministère est incapable de faire respecter certaines instructions. Comment obtenir qu'un cadre national soit imposé aux établissements ?

M. Jacques Toubon. - Jusqu'où aller dans la transparence ? Je maintiens ce que j'ai écrit dans ma décision : « la publication de ces informations ne porte pas atteinte au principe de souveraineté du jury et du secret des délibérations, étant donné qu'elle ne vise pas à dévoiler le contenu de l'appréciation portée sur chaque candidature mais uniquement les critères pris en compte dans cette appréciation ainsi que leur méthode d'application. Il est donc recommandé de rendre publiques ces informations ». On ne supprime pas le degré d'intime conviction - comme dans tous les carnets scolaires...

J'ai souhaité traiter, en plus des requêtes qui m'ont été présentées, la question de la mention du lycée d'origine. Une université parisienne a sincèrement reconnu que ses commissions ont établi un paramétrage fixe valorisant tous les lycées parisiens, croyant que leur établissement devait répondre aux exigences académiques limitant le hors-secteur. Selon nous, le critère du lycée d'origine ne peut être pris en compte, ni accessoirement ni systématiquement, pour rejeter des candidatures provenant de lycées moins réputés. Nous nous appuyons ainsi sur la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, à laquelle fut ajouté en 2014 un nouveau critère de discrimination, le lieu de résidence, sur un amendement déposé par Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis. Grâce à la carte scolaire, hors dérogation ou dans le cas d'un lycée professionnel, les élèves sont affectés dans le lycée général ou technologique de secteur ; on peut donc avoir une idée de l'adresse personnelle avec le lycée de l'élève, ce qui risquerait de donner lieu à une pratique discriminatoire. Nous recommandons donc de ne pas préciser le lycée d'origine. L'anonymisation du lieu de résidence permettrait d'éliminer le plus gros risque. L'interdiction de prendre en compte le lycée d'origine par les commissions doit être examinée dans le cadre de cette réflexion. Le ministère doit publier une instruction sur ce sujet.

La seule façon de bien prendre en compte les boursiers, c'est d'avoir des taux élevés et harmonisés.

La question sur le RGPD est intéressante. Nous essayons de maintenir un front étanche entre le champ d'exercice de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et celui du Défenseur des droits, car cela ne relève pas du coeur de nos compétences ; si chacun fait son travail, il sera mieux fait. Sans vouloir me défausser, vous devriez interroger la CNIL. Savoir s'il y a des contradictions entre les dispositions du RGPD adoptées après la loi ORE et la loi ORE elle-même serait un sujet intéressant pour la nouvelle présidente de la CNIL.

Mme Sylvie Robert. - La CNIL a déjà rendu un avis, mais une nouvelle saisine de la CNIL pourrait être justifiée. Je remercie M. Toubon de ses précisions sur le secret des délibérations et sur les nombreuses confusions relatives aux algorithmes locaux ou « maison ». Alors que nous demandions de la transparence, la ministre refusait en arguant du secret des délibérations. Nous verrons en fonction de la réponse que vous apportera la ministre, d'ici à un mois je suppose...

M. Jacques Toubon. - On doit nous répondre dans les deux mois, mais certains ministres sont très diligents - comme Mme Vidal - d'autres moins...

Mme Sylvie Robert. - À mon sens, il n'y a pas de contradiction majeure avec le RGPD, mais la CNIL peut émettre des recommandations supplémentaires pour rendre plus transparents les algorithmes.

M. Jacques Toubon. - Il y a une nouvelle CNIL...

Mme Sylvie Robert. - Elle a été installée ce matin.

M. Jacques Toubon. - Cela vaudrait la peine de la saisir.

Mme Sylvie Robert. - L'algorithme national est pondéré par certains critères et, dans les attendus demandés par les universités, certaines pièces étonnantes sont parfois demandées, qui pourraient donner lieu à des discriminations. Certains jeunes ne sont pas capables d'écrire un CV à 18 ans, ni de fournir une liste de personnalités, et n'ont pas le brevet d'aptitudes aux fonctions d'animateur (BAFA) ...

M. Jacques Toubon. - Deux aspects sont à prendre en compte : d'une part, l'opportunité opérationnelle. Certains éléments sont utiles au choix de la commission, mais la limite juridique n'est pas facile à déterminer. D'autre part, selon la manière dont nous l'interprétons, certains éléments, au regard de la loi de 2008 et des directives communautaires, sont susceptibles de créer une discrimination indirecte au détriment de telle ou telle personne. Si nous étions saisis de cette question, nous l'examinerions ainsi. Au-delà de l'opportunité, existe-t-il un aspect juridique de ce sujet ? Je ne peux répondre in abstracto, mais nous pourrions le faire en pratique.

Mme Laure Darcos. - Même si tout est perfectible, je ne sais pas si nous atteindrons un jour la Vérité, monsieur Ouzoulias ! La première année de Parcoursup ne s'est pas si mal déroulée, selon mon expérience de maman utilisatrice...

Il existe une autre forme de discrimination : les chefs d'établissement ne sont pas assez sensibilisés aux observations faites par les professeurs sur la fiche-avenir pour Parcoursup, qui ressemblent parfois à celles d'un bulletin de notes, alors que le professeur est là pour valoriser la candidature de l'élève. J'ai ainsi vu des élèves qui avaient d'excellentes notes, mais de très mauvaises observations, car ils étaient dans le collimateur du professeur. En cas de telles remarques négatives, l'élève n'est-il pas alors systématiquement classé dans une colonne négative ?

M. Jacques Toubon. - L'algorithme digère uniquement ce qu'on lui fournit...

Mme Laure Darcos. - Il peut y avoir des colonnes plus ou moins positives ou négatives en fonction des notes mais aussi des observations ! Le CV est une bonne chose mais il ne valorise pas suffisamment l'engagement des jeunes, par exemple en tant que délégué de classe. Il faudrait prendre en compte ces petits « plus ».

Attention à ce que la réforme du lycée n'aboutisse pas à faire pression sur les élèves pour choisir telle ou telle spécialité. Réfléchissons à la corrélation entre la réforme du lycée et Parcoursup.

M. Jacques Toubon. - Je suis tout à fait d'accord. Rédiger une lettre de motivation peut désavantager certains enfants qui n'en ont jamais entendu parler...

Mme Laure Darcos. - Ce sont les parents qui l'écrivent !

M. Jacques Toubon. - On observe ce problème en classe de troisième pour le stage d'observation... La réforme du lycée prévoit un grand oral, ou d'autres aspects incontestablement très créatifs, mais cela interpelle si l'on souhaite une égalité rigoureuse.

Cet avis du Défenseur des droits sur Parcoursup, contrairement à d'autres, est modéré et ne vise pas à clouer le dispositif au pilori. Nous n'avons pas constaté de système de discrimination général, bien au contraire. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain, et poursuivons les améliorations !

Les attendus doivent être enrichis, notamment de paramètres positifs. Transmettre des informations non individuelles n'est pas briser le secret des délibérations, qui ne s'y oppose pas. Le Conseil d'État tranchera.

- Présidence de M. Jacques Grosperrin, vice-président -

Mme Colette Mélot. - Contrairement au système APB, Parcoursup réussit-il à bien intégrer, sans discrimination, les étudiants n'ayant pas eu de réponse pour leur première année et ayant dû faire une année sabbatique, ou bien ceux ayant échoué en première année ?

M. Jacques Toubon. - Nous n'avons pas été saisis d'une telle demande. Je suppose que le système a dû bien fonctionner.

Mme Colette Mélot. - Avec APB, ces étudiants avaient beaucoup de mal à être réintégrés dans le système.

M. Jacques Toubon. - En dehors du taux d'abandon de certaines catégories d'étudiants, provenant notamment de lycées technologiques et professionnels, nous avons l'impression que Parcoursup a traité presque toutes les demandes et qu'il n'y a pas d'étudiant laissé au bord du chemin ; mais cela reste à vérifier.

M. Jacques Grosperrin, président. - Merci pour ces réponses très précises. Si le Sénat avait été mieux écouté, nous n'en serions probablement pas là.

M. Jacques Toubon. - Je reste à votre disposition ainsi qu'à celle de l'ensemble du Sénat. Monsieur Lafon, nous pourrons vous donner tous les éléments dont nous disposons. Voilà l'illustration de la co-construction ou de la démocratie participative !

Audition de MM. Guillaume Gellé, président de la commission de la formation et de l'insertion professionnelle, et Philippe Raimbault, président de la commission juridique de la Conférence des présidents d'université

M. Jacques Grosperrin, président. - M. Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), n'ayant pu venir aujourd'hui, nous accueillons MM. Guillaume Gellé, président de l'université Reims Champagne-Ardenne et de la commission de la formation et de l'insertion professionnelle de la CPU et Philippe Raimbault, président de l'université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées et de la commission juridique de la CPU.

Le Défenseur des droits vient de nous détailler sa décision rendue le 18 janvier dernier au sujet des algorithmes locaux de Parcoursup. Il nous a également présenté ses recommandations à la ministre Frédérique Vidal. Un tout récent jugement du tribunal administratif de Guadeloupe a enjoint à l'université des Antilles de rendre publics les algorithmes utilisés par l'outil d'aide à la décision.

Dans ce contexte, il nous a semblé important d'entendre la CPU afin de savoir précisément comment ont fonctionné les commissions d'examen des voeux dans vos établissements, quels outils ont-elles utilisés, dans quelle proportion ont-elles eu recours à des pré-classements au moins partiellement automatisés, et quel a été le travail du jury à partir de ces pré-classements.

M. Guillaume Gellé, président de la commission de la formation et de l'insertion professionnelle de la Conférence des présidents d'université. - Je vous prie d'excuser M. Roussel qui a été retenu dans son établissement. Je vous remercie de votre invitation, au nom des 130 établissements publics d'enseignement que représente la CPU. Ce moment est important, car vous avez enrichi les débats sur l'accès des bacheliers à Parcoursup ; je salue également le travail de votre commission et de son rapporteur, M. Grosperrin, sur la loi ORE. Le Sénat joue un rôle particulier d'établissement de la loi et de contrôle des politiques, de par son exigence constante sur la qualité des textes et le suivi de leur application. Le 16 janvier dernier, le Sénat a aussi organisé un débat sur le bilan et l'évaluation de Parcoursup, un an après la mise en place du système.

La rentrée 2018 a été marquée par la poursuite d'une augmentation soutenue des effectifs étudiants. Effet de l'arrivée des enfants du baby-boom de l'an 2000, en octobre 2018, 288 000 étudiants supplémentaires étaient inscrits en première année de licence, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2017, grâce aussi à une augmentation des capacités d'accueil. Cela correspond chaque année à l'ouverture d'une université supplémentaire de la taille de celle de Nantes.

Dans ce contexte, Parcoursup a été mis en place, notamment après un appel de la communauté universitaire à arrêter la sélection par tirage au sort et à stopper l'échec en premier cycle, grâce à la prise en compte de davantage d'éléments dans l'orientation.

Un travail d'envergure a été réalisé, dans des délais contraints, par le personnel enseignant, administratif et technique des universités, avec l'instauration de nouveaux processus. Je salue le travail incroyable et la réactivité de nos collègues. Nous avons défini les attendus nationaux et locaux, élaboré des parcours personnalisés « Oui, si... » et construit le système de commissions d'examen des voeux. Cela nous a permis de reformaliser certains fondamentaux au regard des candidatures.

Parcoursup a eu des effets positifs. Il engage les étudiants et les équipes pédagogiques dans une démarche de responsabilisation pour élaborer un parcours de formation à l'université. Parcoursup demande aux lycéens de réfléchir à leur avenir et au personnel de l'université de s'interroger sur un meilleur accompagnement des lycéens dans leur parcours de réussite. Ce dialogue n'avait jamais eu lieu au niveau des licences générales, à la différence des instituts universitaires de technologie (IUT). Pour la première fois, les enseignants-chercheurs ont accès au dossier des élèves. Grâce à cela, nous avons réussi à mobiliser les équipes. Dans quelques années, nous verrons probablement les effets de ce dispositif : c'est un processus d'orientation qui s'anticipe et qui devrait garantir une plus grande réactivité. Des rencontres ont été organisées sous la tutelle des recteurs pour aider au remplissage des fiches-avenir, ou montrer comment la commission d'examen des voeux devait procéder, restaurant le dialogue entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur.

À la différence d'APB, cette mobilisation a laissé une part déterminante à l'intervention humaine à tous les stades, notamment à celui de la commission d'examen des voeux. Pour la CPU et l'ensemble de nos collègues, il était urgent de travailler sur l'orientation, la cohérence des parcours et la réussite universitaire. Tel est le rôle de la commission d'examen des voeux puis de l'aménagement des parcours « Oui, si... »

Dans mon université de Reims, plus de soixante commissions d'examen ont mobilisé au minimum quatre à cinq personnes chacune, et ont fait l'objet de procès-verbaux. Pour l'entrée en licence de psychologie, 1 500 candidatures ont été examinées durant deux jours pleins. Les jurys ne se sont pas seulement appuyés sur les résultats quantitatifs, mais aussi sur les lettres de motivation pour classer les candidatures dans les filières en tension. En outre, les licences qui n'ont pas de problème de capacité d'accueil ont aussi étudié en détail les dossiers. Cet effet positif vaut pour toutes les filières et établissements.

Bien sûr, Parcoursup ne pouvait être parfait dès la première année et des améliorations doivent être apportées. La CPU a été entendue sur la hiérarchisation des voeux et le raccourcissement du calendrier, pour moins stresser les élèves. Nous prônons aussi l'affichage du rang des derniers admis afin de montrer que le processus se déroule, prend du temps, mais que chaque élève garde ses chances d'accès.

Les questions en cours d'examen - à des phases différentes - sont l'anonymisation des dossiers, la transparence sur la mobilité inter-académique, et les quotas réservés aux étudiants boursiers. Actuellement, Parcoursup interclasse, au niveau national, des candidats pour répondre aux critères de mobilité inter-académique ou de quotas de boursiers.

M. Philippe Raimbault, président de la commission juridique de la Conférence des présidents d'université. - Avec Parcoursup, nous disposons d'un encadrement législatif et réglementaire. Un pas important a été franchi. L'encadrement est national, avec la communication du code source de l'algorithme, mais aussi local. La CPU considère que la phase locale renvoie à des commissions de classement qui correspondent à des dispositifs où interviennent les instances des universités - comme le conseil d'administration ou le conseil académique - pour définir les attendus, les capacités d'accueil ou formaliser les commissions notamment. Il n'y a jamais eu de fonctionnement entièrement automatisé. Nous rejetons donc le terme d'algorithme, qui renverrait à une procédure totalement informatisée, ce qui n'est jamais le cas. La CNIL a rappelé qu'il n'y a pas nécessairement d'algorithme à ce moment-là - ce qui correspond à la pratique. Selon elle, ce dispositif ne pose pas de problème au regard du RGPD en l'absence d'automaticité complète.

Selon l'article L. 612-3 du code de l'éducation, « les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ». Cette information, a posteriori et non a priori, préserve deux principes : le secret des délibérations et la souveraineté du jury, celle-ci étant indispensable pour faire éventuellement évoluer les critères en urgence afin de répondre à un afflux massif de candidats. Ces deux principes essentiels justifient l'exception au principe général de communication de l'algorithme lorsqu'il fonde une décision individuelle. Le Conseil constitutionnel, saisi d'un recours, a validé le dispositif, qui ne méconnaît pas le droit d'égal accès à l'instruction.

La CNIL et la CADA ont rappelé l'importance du secret des délibérations d'un jury, tandis que le Défenseur des droits a estimé qu'il faudrait plus de transparence sur les critères utilisés. Mais selon nous, cela nuirait aux deux principes que j'ai rappelés. L'entrée dans le supérieur répond à un processus mixte, rassemblant l'algorithme national et les délibérations du jury.

La décision du tribunal administratif de Guadeloupe est la seule jurisprudence dont nous disposons à ce jour. Elle n'a pas été prise après le recours d'un étudiant - il y en a très peu - mais sur un requérant d'habitude, l'UNEF. Nous attendons d'autres jurisprudences, car il n'est pas rare, dans une première série de décisions, que les premières jurisprudences soient contradictoires. Le Conseil d'État a été saisi en cassation du jugement du tribunal administratif de Guadeloupe. Professeur de droit, il me semble que cette décision est fragile, car elle s'appuie sur le fait que l'exception mentionnée à l'article L. 612-3 du code de l'éducation ne s'appliquerait pas aux tiers. On reviendrait alors au principe général de l'article L. 311-3 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes duquel lorsqu'une décision individuelle est fondée sur un algorithme, celui-ci doit être publié et communiqué à l'intéressé. Or la CADA a tiré des conclusions exactement contraires à la décision du tribunal administratif... J'espère que le Conseil d'État clarifiera cette jurisprudence.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous sommes globalement d'accord sur de nombreux sujets, comme la souveraineté du jury d'admission dans l'enseignement supérieur. Une décision d'affectation fondée uniquement sur un algorithme serait une offense à la faculté de jugement des enseignants. Certains critères sont chiffrés, d'autres non, comme les appréciations. Doit-on pondérer chacun des critères ? Professeur de mathématiques, je sais que les professeurs ont parfois des appréciations plus subjectives - acceptons ce fait.

Je ne suis pas favorable à la lettre de motivation. Nous n'avons aucune assurance que ce soit le lycéen qui l'écrive. Au mieux, c'est son entourage familial ; au pire, il va payer une entreprise pour le faire. Apporter à ces lettres un crédit important est contraire à ce que veulent les enseignants - et ils sont nombreux dans notre commission. Je suis également modérément favorable à la mention d'autres activités en dehors du lycée.

À votre connaissance, certaines universités attendent-elles des jugements du même type que celui du tribunal de Guadeloupe ?

L'anonymisation du lycée d'origine est un sujet réel dans la région parisienne. Mais certains établissements ont noué une relation de confiance avec des universités ou des classes préparatoires, et donnent à leurs élèves des bonus dans leur classement. Il serait dommage de se priver de cela. Si certains établissements n'ont aucun souci pour remplir leurs classes, d'autres peinent à le faire. Par ce biais, ils parviennent à attirer des lycéens qui sinon se seraient autocensurés et n'auraient jamais demandé une place, par exemple en classe préparatoire.

M. Laurent Lafon. - Parmi les éléments positifs, vous citez le lien entre les équipes pédagogiques du secondaire et du supérieur. Parcoursup a été mis en place dans un délai court, pendant lequel ce lien n'a pas toujours été suffisamment assuré. Envisagez-vous d'améliorer cela cette année, et de quelle manière ?

Que pensez-vous de l'anonymisation du nom et du lycée d'origine ? La répartition sociale et territoriale est très marquée en Île-de-France. La prise en compte ou non du lycée d'origine peut être interprétée comme un élément de discrimination supplémentaire.

Lors de la campagne 2018, la prise en compte de quotas de boursiers a été prise en compte de façon très disparate selon les universités et les filières, avec des taux allant de 2 % à 50 %, par la duplication de ce qui avait été réalisé les années précédentes. Faut-il augmenter ces taux et les uniformiser sur l'ensemble des universités et des filières ?

M. Pierre Ouzoulias. - Mieux vaut échanger de vive voix que de traiter ce problème devant les tribunaux. Je crois à la vertu d'un dialogue transparent. Nous avons reçu le Défenseur des droits, qui a rendu un avis circonstancié. La CADA a rendu plusieurs avis, même si vous n'en citez qu'un seul, et le Comité éthique et scientifique de Parcoursup a publié un rapport, qui est un élément fondamental d'appréciation du dispositif.

Nous devons clairement dissocier les deux étapes fondamentales de l'analyse du dossier. D'une part, les « algorithmes locaux » - l'expression est malheureuse et je peux la retirer si vous le souhaitez - établissent un pré-classement, une pré-analyse en fonction d'une grille prenant en compte différents critères. Selon le Comité éthique et scientifique de Parcoursup, « la tâche ne pouvait être entièrement manuelle au vu du nombre de dossiers », pour établir le classement le plus approprié en fonction des voeux des élèves et de leur adéquation à la formation. Au vu de la totalité des dossiers, de telles procédures ont concerné 23,4 % des formations en général, mais 56,5 % des entrées en licence et 47 % des entrées en IUT. Nous aurions préféré que ce soit la ministre qui nous transmette ces chiffres plutôt que le Comité...

Que ce soit le Comité, le Défenseur des droits ou la CADA dans certains de ses avis, tout le monde demande plus de publicité sur les critères de pré-classement. Bien entendu, la décision du jury est souveraine.

Je dispose de l'algorithme de la seule université de Pau : le BAFA vaut 15 points - c'est important que les candidats le sachent - et les filières se voient attribuer des coefficients : la philosophie, par exemple, a un coefficient 4. Il s'agit d'un problème non pas juridique, mais de transparence par rapport aux dossiers des étudiants. Je sais très bien comment les commissions ont fait leur travail - nous n'allons pas revenir sur les difficultés. Mais je veux obtenir une garantie de publicité de ces critères, qui serait de nature à renforcer l'adhésion à Parcoursup. Tout est clair, hormis une petite partie opaque, une sorte de boîte noire. La réaction des usagers est donc de croire qu'on leur cache des choses. Cette publicité est importante pour la pérennité de la plateforme.

Mme Sylvie Robert. - Certaines formations ont exigé des candidats la transmission de pièces potentiellement discriminantes, par exemple un curriculum vitae ou encore un brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur ou d'animatrice (BAFA). La CPU a-t-elle pu faire des recommandations à ses membres afin d'assurer une harmonisation des pièces demandées ?

M. Guillaume Gellée. - La CPU est très attachée au principe d'autonomie des établissements et n'a donc pas vocation à être prescriptive à l'égard de ses membres. Les établissements ont pu traiter leurs attendus de manière très diverse : certains se sont contentés des attendus nationaux, d'autres ont souhaité les compléter par des attendus locaux pour tout ou partie de leurs formations.

Mme Sylvie Robert. - Mais la CPU a une vision d'ensemble sur le territoire et peut faire des recommandations aux universités ! Sur la hausse des droits d'inscription à l'université des étudiants extra-communautaires, la CPU a bien parlé d'une seule voix !

M. Guillaume Gellée. - La CPU peut effectivement adopter des positions communes en assemblée plénière. Elle ne s'est cependant pas prononcée sur la question des attendus locaux et il est encore trop tôt pour établir un bilan complet de Parcoursup. Néanmoins, elle participe au comité de suivi de la plateforme.

S'agissant de l'anonymisation des dossiers des candidats, la CPU n'y est pas hostile, sur aucun des champs envisagés. Les représentants des classes préparatoires aux grandes écoles ont plus de réserves, notamment au regard du lycée d'origine. La ministre devrait annoncer sa décision dans les prochains jours.

S'agissant du lien entre les équipes du scolaire et du supérieur, Parcoursup a permis un très fort et bénéfique rapprochement.

S'agissant de la réforme du lycée, la CPU a signé la Charte Horizon2021 afin de garantir aux lycéens que leur choix de spécialités ne sera pas un obstacle à leur orientation au sein de l'enseignement supérieur. Il s'agit d'un engagement de la CPU qui recommande à ses membres de s'y conformer.

S'agissant des taux de boursiers, la CPU est favorable à l'instauration de taux planchers. Quant aux taux extra-académiques, la CPU estime qu'il s'agit d'une innovation intéressante, les universités ont conscience d'avoir un rôle à jouer à la fois dans l'aménagement du territoire et dans l'accompagnement de la mobilité étudiante.

Sachez que, même lorsque les filières étaient en tension, certaines universités ont choisi d'accueillir tous les candidats en augmentant leurs capacités d'accueil.

Certaines formations ont classé manuellement les dossiers. D'autres ont utilisé l'outil d'aide à la décision, qui était déjà la disposition des établissements sur la plateforme APB.

Publier en amont les critères de pré-classement ce serait aussi brider excessivement la liberté des jurys : leur composition et leur appréciation peuvent changer d'une année sur l'autre !

M. Philippe Raimbault. - A ce jour, nous avons connaissance de deux autres recours similaires, l'un au Havre, l'autre en Corse. Mais l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) a engagé une démarche auprès de tous les établissements donc d'autres recours pourraient encore être déposés. En revanche, nous n'avons pas trace de contentieux engagés par des candidats eux-mêmes.

Ce lien renforcé entre le scolaire et le supérieur nous a permis d'être beaucoup plus efficaces et opérationnels sur un certain nombre d'appels à projets dans le cadre du PIA3 ou de la réforme du lycée par exemple. C'est un exemple d'effets bénéfiques collatéraux de Parcoursup !

La publication en amont des critères de pré-classement n'est pas souhaitable car ces critères peuvent évoluer d'une année sur l'autre mais aussi car elle risquerait d'encourager des conduites stratégiques (reposant sur la bonne connaissance sociale ou des moyens financiers) dont les effets sociaux ne sont pas souhaitables.

M. Pierre Ouzoulias. - La circulaire ministérielle sur la mise en oeuvre de Parcoursup était très claire : dans un objectif de transparence, elle demandait à toutes les formations d'expliciter les critères qu'elles avaient retenus. C'est l'application, à la lettre, de cette circulaire que le Défenseur des droits appelle de ses voeux dans sa décision.

La réunion est close à 18 h 55.