Mercredi 23 janvier 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Jocelyne Guidez, rapporteure sur la proposition de loi n° 167 (2018-2019) visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli.

La commission désigne Mme Florence Lassarade, rapporteure sur la proposition de loi n° 214 (2018-2019) visant à fournir une information aux patientes sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie.

Communications diverses

M. Alain Milon, président. - Je vous informe qu'en complément du programme de travail arrêté par le bureau de notre commission, le rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe va procéder à un travail ponctuel sur les conséquences de la fraude documentaire sur la fraude aux prestations sociales. Il s'agit de faire précisément la lumière sur ce sujet à la suite du débat dont je dois dire que je l'ai peu apprécié, qui s'est instauré en séance publique lors de la discussion générale du texte portant mesures d'urgence économiques et sociales.

Je tiens à rappeler avec solennité que notre commission a compétence pour les affaires sociales, ce qui n'est pas le cas pour la commission des finances ni celle des affaires économiques, dont l'un des membres a demandé la constitution d'un groupe de travail sur la protection de l'enfance. En accord avec les présidents de commissions, je rappelle que nos missions sont constitutionnelles et qu'il n'est pas question que d'autres commissions ou d'autres instances s'occupent de sujets dont traite la commission des affaires sociales.

Notre collègue Jean-Marie Morisset, rapporteur pour avis des crédits de l'hébergement d'urgence, engage quant à lui un travail de contrôle sur le financement de cette politique. Guillaume Arnell travaillera avec lui ce dossier.

Audition de Mme Catherine Geindre, présidente de la conférence des directeurs généraux de CHU, sur le rapport « Le CHU de demain »

M. Alain Milon, président. - Nous accueillons ce matin Mme Catherine Geindre, présidente de la conférence des directeurs généraux de CHU pour la présentation du rapport demandé par le Gouvernement sur « Le CHU de demain ».

Mme Geindre, que j'ai plaisir à retrouver pour cette audition, est accompagnée de Mme Véronique Anatole-Touzet, vice-présidente de la conférence, directrice générale du CHU de Rennes, de M. Philippe Vigouroux, vice-président, directeur général du CHU de Bordeaux et de M. Frédéric Boiron, vice-président, directeur général du CHRU de Lille.

Notre commission a demandé à la Cour des comptes une enquête sur le rôle des CHU dans le système de santé. Cette enquête a été remise en deux volets. Le premier, en janvier 2018, est consacré au rôle des CHU dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale. Le second, remis en décembre dernier, quelques jours avant le vôtre, porte sur l'organisation des soins.

Les propositions des rapports convergent assez largement pour ce qui concerne la recherche et la nécessité d'une coopération accrue entre les CHU et l'université. Elles sont en revanche assez différentes sur la place des CHU dans l'organisation des soins et je m'interroge plus particulièrement sur deux d'entre elles qui sont le fait d'ajouter aux missions actuelles des CHU une mission de prévention et leur intervention dans la labellisation des structures de soins de ville. J'aimerais que vous reveniez plus particulièrement sur ces propositions.

Mme Catherine Geindre, présidente de la conférence des directeurs généraux de CHU. - Je vous remercie pour votre invitation et pour l'intérêt que vous portez à notre rapport sur le CHU de demain.

Je suis accompagnée de trois des quatre vice-présidents de la conférence des directeurs généraux de CHU que je préside aujourd'hui. Permettez-moi de vous dire comment nous avons travaillé dans le cadre de la commande qui nous a été passée et les enseignements que nous en tirons, en écho aux deux rapports que la Cour des comptes vous a remis.

Les CHU viennent de fêter leurs 60 ans. C'est l'âge de la maturité et des bilans, mais c'est aussi l'opportunité de définir les priorités de demain. C'est le sens de la mission confiée conjointement aux six conférences du monde hospitalo-universitaire, à savoir la conférence des présidents d'universités, la conférence des directeurs généraux de CHU, la conférence des présidents de CME-CHU, les conférences des doyens de médecine, de pharmacie et d'odontologie, par la ministre de la solidarité et de la santé et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Cet exercice conjoint était totalement inédit : tout en tenant compte de sensibilités et des prismes différents, il nous a permis de partager le constat qu'il ne fallait pas remettre en cause le modèle des CHU, mais l'adapter. En effet, les ordonnances de 1958 ont posé les bases d'un hôpital universitaire qui a transformé la santé en France et fait rentrer la médecine française dans l'ère moderne. Ce modèle a incontestablement, en introduisant l'enseignement et la recherche dans l'enceinte de l'hôpital, permis d'améliorer considérablement le service rendu à la population en faisant évoluer la médecine française vers l'excellence. Les CHU demeurent aujourd'hui des lieux d'expertise et de référence, un creuset de formation, des locomotives de recherche et d'innovation, des animateurs de la coordination territoriale au sein de leur région d'attraction. Les CHU sont souvent les premiers employeurs de la région, les premiers acteurs économiques, les premiers offreurs de soins, parfois d'importants propriétaires immobiliers, et donc des acteurs incontournables de la vie de la cité et de la métropole.

Ce modèle a été suffisamment robuste pour absorber les évolutions majeures qui ont percuté le monde de la santé depuis plusieurs décennies et auxquelles les CHU n'ont pas échappé : ainsi en est-il des besoins de santé qui ont très fortement évolué depuis la guerre ; des évolutions, voire des révolutions technologiques et scientifiques qui ont profondément modifié les modes de prise en charge et augmenté les besoins de financements structurels dans un contexte macro-économique de plus en plus contraint ; des évolutions sociales et sociétales très profondes, qui font évoluer le niveau d'exigence et d'acceptabilité entre les contraintes des missions de service public, les aspirations à un équilibre entre vie personnelle et professionnelle, mais aussi les besoins et les attentes spécifiques des patients.

De nombreuses réformes sont venues modifier l'organisation de l'hôpital, son environnement, sa gouvernance, son financement, les relations territoriales, sans modifier ni le rôle de pivot du système de santé, ni les missions spécifiques qui sont confiées au CHU, sauf peut-être pour les étendre, sans toujours que les 55 grandes lois qui ont présidé à ces changements aient été marquées par la continuité et la cohérence

Ces évolutions ont nécessité une capacité d'adaptation majeure, avec un sentiment de pression toujours plus forte. Elles ont provoqué une crise de valeurs, d'identité, une forme de désenchantement des professionnels, illustrant ainsi la place de l'hôpital public en tant que miroir de la société, de ses richesses mais aussi de ses limites. Les valeurs qui le sous-tendent sont le reflet de celles qui fondent notre pacte social : humanisme, égalité, solidarité. Ces valeurs sont percutées par des contraintes de performance parfois incompatibles avec cet idéal.

Les CHU n'ont pas échappé à ces contradictions ni aux tensions qu'elles ont générées.

Le CHU constitue un modèle d'excellence qui a fait ses preuves, un lieu d'expertise, de savoir-faire, d'apprentissage, mais qui aujourd'hui présente des zones de fragilité qui ont été relevées dans les deux rapports de la Cour des Comptes. Ce modèle doit donc s'adapter pour maintenir cette exigence d'excellence en anticipant les enjeux de demain.

Les propositions du rapport sont construites autour de cinq axes thématiques, dont je vais maintenant développer les principales idées.

Le premier axe, indispensable pour faire évoluer favorablement le modèle, propose de renforcer le U du CHU en confortant les liens entre l'hôpital et l'enseignement supérieur. Il convient de favoriser les synergies, notamment par une représentation croisée des gouvernances entre les CHU et l'université pour garantir la cohérence stratégique hospitalo-universitaire.

Le deuxième axe, au coeur de la stratégie de transformation du système de santé, pose le principe d'une responsabilité territoriale conjointe entre le CHU et l'université. Le CHU doit être le pivot de son territoire, il doit continuer à investir sa mission de soins de proximité en lien avec les autres acteurs y compris le médico-social ; il doit assurer les soins de recours, développer l'innovation, diffuser les bonnes pratiques, participer avec l'université à l'organisation de la formation des professionnels sur le territoire, et s'inclure dans une organisation de la recherche en santé.

Loin d'être une fragilité, contrairement à ce que dit la Cour des comptes, cette coexistence de missions de soins de proximité et de recours, de formation et de recherche au lit du patient ou autour de plateaux techniques très innovants, tirent les CHU vers l'excellence tout en assurant dans les métropoles dans lesquelles ils sont implantés, de manière quasi-exclusive, la permanence des soins dans toutes les spécialités.

Les CHU devront être les moteurs d'une indispensable transformation systémique pour redonner du sens aux politiques publiques en organisant une réponse globale, incluant la prévention, à partir des besoins des patients, sur des logiques de parcours de santé autour de quatre niveaux de gradation.

Cette nécessaire compétence d'organisation territoriale des soins, soulignée par la Cour des comptes, nécessite une structuration en réseau des CHU, régionale ou inter-régionale, privilégiant la complémentarité, sur un mode résolument collaboratif, adapté aux spécificités des territoires et des régions concernés. Nous sommes tous les quatre des directeurs généraux avec une certaine expérience : nous estimons nécessaire une certaine liberté d'adaptation des territoires et des régimes.

Le troisième axe, celui des ressources humaines, propose de rénover l'exercice et les carrières en CHU pour répondre aux défis de l'attractivité, redonner confiance aux professionnels et développer une synergie des attentions en prenant soin des professionnels pour prendre soin des patients.

Le quatrième axe est consacré aux enjeux de la transformation des études de santé et promeut une responsabilité conjointe entre l'université et le CHU dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique territoriale de formation en intégrant de nouveaux besoins, de nouveaux outils, de nouveaux lieux et de nouveaux modes d'exercice.

Le cinquième axe affirme le rôle moteur des CHU et des universités dans le développement de l'innovation et de la recherche biomédicale mondiale. Il propose de réorganiser la recherche et de développer l'innovation à partir de stratégies partagées, tant au niveau de chaque site universitaire qu'au niveau inter-régional, sous l'égide d'une gouvernance nationale revisitée.

S'agissant enfin des problèmes de financement, nous partageons l'analyse de la Cour des comptes sur l'insuffisance d'autofinancement et la décroissance des investissements qui en découle au sein des CHU. Le rapport ne consacre pas un chapitre spécifique à cette question, mais il souligne la nécessité de financer à leur juste niveau les missions spécifiques des CHU et en particulier l'ultra recours et les prises en charge complexes, et il renouvèle la proposition faite il y a deux ans aux assises hospitalo-universitaires de Toulouse, de sanctuariser une enveloppe dédiée à la recherche et à l'innovation, financée par l'assurance maladie hors Ondam.

Voici donc quels sont les principaux constats et propositions que nous formulons conjointement. De cette expérience commune, nous conservons la fierté d'avoir démontré la capacité collective de nos conférences à poser les bases d'une stratégie commune pour le CHU de demain, la volonté partagée de poursuivre nos réflexions, et d'avoir amorcé ce travail ensemble qui ne doit être que le point de départ d'une démarche consolidée et approfondie, élargie dorénavant à d'autres acteurs conformément aux annonces faites par les deux ministres, lors de la remise de ce rapport à l'occasion des assises de Poitiers.

Je terminerai par cet aphorisme d'Henry Ford en 1934 : « Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite ».

Mme Catherine Deroche. - Je vous félicite pour la qualité de votre rapport. Sur la forme, un glossaire n'aurait pas été inutile, du fait de la profusion des acronymes.

Je m'inquiète des obstacles au rôle territorial des CHU que vous relevez dans ce rapport : lourdeur des groupements hospitaliers de territoires (GHT), absence de coordination des projets médicaux avec la médecine de ville. Vous dressez le constat d'une dilution des responsabilités sur le territoire. La mise en place des GHT a-t-elle eu un impact sur l'organisation territoriale des soins ? Le positionnement des CHU en leur sein vous parait-il adapté ? La prochaine loi santé devra-t-elle revenir sur ces points ? Quelles coopérations existent par ailleurs avec le secteur privé ?

Vous relevez l'insuffisance des connexions avec les acteurs des villes. Quels sont les principaux obstacles ? Qu'attendez-vous du développement des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou de la réforme du statut de praticien hospitalier ?

La Cour des comptes a préconisé la structuration des CHU en réseau, au grand dam de notre collègue Savary, mais vous êtes sur la même ligne. Comment envisagez-vous ces réseaux pour éviter de créer une strate supplémentaire ?

La Cour des comptes a également noté le retrait de certains CHU dans le domaine de la gestion de la qualité. Lors du PLFSS, nous avons vu que l'expérience des patients avait vocation à prendre une part de plus en plus importante dans le financement des établissements de santé. Comment les CHU prennent-ils en compte cet enjeu et quels sont les freins ? La Cour propose une évaluation coordonnée par la Haute Autorité de santé (HAS) et par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) : qu'en pensez-vous ?

Enfin, vous avez évoqué la sanctuarisation de l'enveloppe dédié à la recherche et à l'innovation. Les critères d'allocation des dotations Merri (missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation) doivent-ils être modifiés ?

Mme Brigitte Micouleau. - En tant que sénatrice de la Haute-Garonne, je suis particulièrement attentive à la situation du CHU de Toulouse, avec ses sites de Purpan et de Rangueil qui se trouvent dans une situation paradoxale : en août 2018, Le Point a classé le CHU de Toulouse comme meilleur hôpital de France et pourtant il subit la profonde crise que traverse l'hôpital public : manque de moyens, personnel débordé, divers dysfonctionnements internes...

L'axe trois du rapport affirme la place des acteurs de santé et le sens de leur métier. Quelles est votre vision stratégique sur les réelles avancées qui permettraient de renforcer l'innovation en santé pour repenser les métiers de l'hôpital ? Comment pallier le manque de personnel et de matériel adapté ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Merci pour ce rapport.

Dans le Pas-de-Calais, nous manquons cruellement de professionnels de santé.

Le CHU n'a pas assez de moyens ni de formateurs. Que préconisez-vous pour former plus de médecins ? Pensez-vous qu'augmenter le nombre de postes au concours résoudra le problème ?

Les écarts se creusent entre les 30 CHU : quelles solutions pour y remédier ?

Vous préconisez d'instaurer un nouveau modèle de financement avec le déplafonnement de l'enveloppe des actes d'activité hors nomenclature. Quelle est l'utilité d'une telle proposition ? Les dépassements d'honoraires ne risquent-ils pas de se multiplier ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Votre rapport préconise la restructuration totale des GHT et des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST).

Le département de la Sarthe n'a pas de CHU, d'où une perte d'attractivité de ce territoire auprès des professionnels de santé. Comment la restructuration que vous prévoyez permettra-t-elle de rendre ces territoires plus attirants ? L'IGAS faisait mention de divers facteurs négatifs, comme un temps de trajet supérieur à 45 minutes entre établissements fusionnés, des bassins de vie trop différents, la mauvaise santé financière d'un établissement, l'absence de complémentarité des activités, l'opposition du corps médical...

La cohabitation avec les établissements de santé privés est difficile.

La création d'EPST n'est-elle pas motivée par la volonté de réaliser des économies ? Le patient n'en sera-t-il pas pénalisé ?

Mme Martine Berthet. - Dans l'attente que la suppression du numerus clausus porte ses fruits, que préconisez-vous ? Dans les zones frontalières, on note une fuite des professionnels de santé vers des établissements étrangers. En outre, la pénurie d'urgentistes est de plus en plus problématique, notamment dans les territoires de montagne.

Mme Véronique Anatole-Touzet, vice-présidente de la conférence, directrice générale du CHU de Rennes. - Diverses questions ont trait au rôle des CHU dans les territoires. Vous avez souligné les problématiques liées à la mise en place des GHT et à la démographie médicale.

Notre rapport rappelle que la réforme des GHT et l'implication des CHU dans cette mise en place a permis des avancées notables, grâce à une stratégie d'alliances renforcées entre les CHU et les établissements de leur territoire de proximité infra-régionale. Nous avons mis en place un véritable projet médical et de soins partagés. Il a fallu dresser un diagnostic de la carence et des difficultés d'accès aux soins afin de présenter des propositions pour mieux organiser les filières de soins dans les territoires, définir des actions concrètes pour fidéliser davantage de médecins dans les centres hospitaliers de proximité et mieux organiser le parcours gradué des patients.

En Ille-et-Vilaine, nous comptons dix établissements : nous avons déployé 57 postes de praticiens en temps partagé à la fois sur le territoire de proximité mais aussi sur les autres établissements comme Vannes, Lorient, Saint-Malo, ce qui permet de fidéliser des médecins spécialistes de qualité dans les territoires.

La coopération avec le secteur privé existe : les CHU se sont impliqués pour mieux travailler avec la médecine de ville et les établissements privés, grâce aux conventions de coopération ou des groupements de coopération sanitaire avec les établissements privés à but non lucratif notamment. Mais Rennes a aussi conclu des coopérations avec des établissements à but lucratif, notamment pour les urgences. Cela dit, nos missions restent de nature différente même si les cliniques contribuent aux missions de proximité, surtout dans les métropoles.

Nous avons des missions particulières liées à nos activités de recours, aux spécificités de l'ultra-spécialisation de nos services et à notre rôle de formation, d'innovation et de recherche. Nous devons continuer à renforcer ces liens et ces coopérations en organisant les filières de soin en lien avec nos partenaires de ville et les établissements privés. En outre, nous sommes souvent le premier et le seul recours en matière de permanence des soins.

La mise en place des CPTS sera un atout considérable pour le système de santé afin de contourner la multiplicité des interlocuteurs. Nous dialoguerons avec un interlocuteur privilégié, représentatif de l'ensemble des médecins et paramédicaux de ville dans un territoire de 20 à 100 000 habitants. Ainsi, nous répondrons mieux aux enjeux sanitaires sur les territoires.

Les réseaux de CHU sont un enjeu fondamental. Nous avons mis en place des coopérations entre CHU à l'échelle des régions ou des inter-régions. Dans le Grand-Ouest, nous avons créé un groupement nommé HUGO, qui a été cité par la Cour des comptes. À Lyon, à Lille, à Bordeaux, il existe déjà des coopérations entre CHU, même si les modèles sont différents d'un territoire à l'autre, ce qui est bien normal puisque la situation n'est pas la même à Rennes, à Lyon, à Lille ou à Bordeaux. Nous souhaitons rendre ces réseaux de CHU obligatoires afin de renforcer les complémentarités, avec des compétences socle confiées à ces réseaux : ainsi en serait-il de la coordination sur les activités de recours comme la chirurgie cardiaque, la neurochirurgie, les greffes, mais aussi la formation et la recherche.

Mme Catherine Geindre. - Ces réseaux vont permettre de mettre en commun nos forces entre CHU pour toutes les spécialités sous tension. Dans la région Rhône-Alpes, il va y avoir une mise en commun de nos capacités de formation pour répondre aux tensions démographiques.

Mme Véronique Anatole-Touzet. - Vous vous demandez comment les CHU peuvent concilier leurs rôles intra et inter-régional. Ces deux missions sont nécessaires : au niveau territorial, le CHU doit fidéliser les professionnels, notamment sur les territoires fragiles, mais aussi à un niveau plus large du fait de son rôle de recours et de formation. En outre, de nombreux CHU jouent un rôle international. Les réseaux de CHU sont une réponse à la proposition d'une éventuelle suppression de CHU. Pour nous, même les petits CHU jouent un rôle en matière de formation et les réseaux de CHU permettront de mieux organiser la réponse hospitalo-universitaire car un certain nombre de petits CHU ne peuvent y parvenir à eux seuls.

Nous avons été sollicités par l'hôpital de Laval pour soutenir le nord Mayenne : une des réponses réside dans la structuration de réseaux de CHU. Ainsi, nous apportons une solution aux CHU d'Angers et de Nantes. Même le CHU de Rennes, qui n'est pas dans la région Pays-de-Loire, est sollicité compte tenu de la difficulté pour le CHU d'Angers d'assurer un soutien. En structurant cette complémentarité, nous répondrons aux enjeux majeurs de pénurie médicale dans un certain nombre de spécialités.

Mme Catherine Geindre. - D'où l'importance de conforter les collaborations entre les établissements membres du GHT et leur CHU de rattachement. La gestion prévisionnelle des emplois se construit à cette occasion.

M. Philippe Vigouroux, vice-président, directeur général du CHU de Bordeaux. - Nous demandons la sanctuarisation de l'enveloppe budgétaire consacrée à la recherche et à l'innovation.

La recherche en santé se déploie depuis les ordinateurs des universités ou les paillasses des instituts de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) jusqu'aux lits des malades, dans ce qu'on appelle la recherche clinique. Actuellement, on met beaucoup en valeur le translationnel, c'est-à-dire ce dialogue fécond entre la recherche fondamentale et la recherche clinique.

Les CHU sont impliqués dans les différents types de recherche, mais surtout en matière de recherche clinique, ce qui permet de penser les médicaments, les dispositifs médicaux et les pratiques de demain.

Dans ce progrès en marche, les CHU ont un rôle majeur et la recherche clinique implique que soient revus les critères d'allocation des crédits. Le mode de financement de la recherche clinique au lit du malade n'est pas de nature à favoriser son développement : nous constatons une baisse des financements au fil des ans, notamment pour les CHU. Pour financer les missions enseignement-recherche-innovation, une enveloppe nationale est fixée annuellement. Celle-ci n'évolue pas, si ce n'est ponctuellement à la baisse, alors qu'elle est partagée entre un nombre croissant d'établissements : CHU, mais aussi centres de lutte contre le cancer, centres hospitaliers - acteurs apparus assez récemment dans le domaine de la recherche et que nous aidons car c'est un facteur d'attractivité pour les jeunes médecins. La recherche des CHU est financée par une part fixe et une part modulable. La part fixe est devenue modulable : alors même qu'il faut un financement stable pour structurer la recherche et organiser l'aide aux chercheurs, cette enveloppe tend à se réduire. Dans un CHU comme Bordeaux, 300 personnes, sur les 14 000 ETP, sont au service quotidien des chercheurs cliniciens pour les aider à développer leurs travaux. Le montant de l'enveloppe est fixé en fonction de nombreux indicateurs : publications dans les revues internationales de rang A ou de rang B, nombre de patients associés aux recherches cliniques, obligation du CHU en matière d'enseignement, etc. Or l'enveloppe globale est fixe ou en diminution et partagée entre un nombre croissant d'acteurs. Parmi ceux-ci, ce sont les CHU qui ont le plus perdu depuis cinq ans, alors qu'ils publient de plus en plus, qu'ils incluent de plus en plus de patients et que leur recherche est très dynamique. Il convient de revoir les critères d'allocation, avec une part fixe, un nombre d'indicateurs réduit, car cette multiplicité nuit à la clarté des critères de financement, et un meilleur contrôle au niveau central. A l'heure actuelle, en effet, des établissements privés à but lucratif se regroupent de façon totalement artificielle pour demander des financements pour des recherches inexistantes. Ils les obtiennent car ils embauchent des médecins hospitaliers publics qui viennent de partir en retraite ce qui permet à ces établissements de tirer le bénéfice des dernières publications de ces jeunes retraités. En échange, ces établissements leur reversent une part des financements obtenus... Nous nous en sommes émus auprès du ministère de la santé, car il s'agit d'un détournement du financement de la recherche.

Un mot sur le financement de l'innovation, qui est une mission essentielle des CHU. Les grandes inventions de demain s'y font et les premières expérimentations de méthodes éprouvées scientifiquement s'y déploient. Ainsi, en 2015, cinq publications internationales ont montré qu'en cas d'accident vasculaire cérébral thrombotique, une alternative à la méthode habituelle - envoi par voie veineuse d'un produit pour dissoudre le caillot - pouvait être utilisée : un cathéter guidé jusque dans le cerveau pour aspirer ou broyer le thrombus ; instantanément, le patient retrouve ses fonctionnalités si le geste est réalisé dans les sept ou huit heures qui suivent le malaise. Avant 2015, ces malades étaient durablement hémiplégiques ou aphasiques. Cette thrombectomie est un réel progrès, mais a coûté à mon CHU un million d'euros en 2015, car l'assurance maladie n'a pas pris en charge ce nouvel acte, puisqu'il n'existait pas de tarif. Même chose en 2016 alors que nous sommes passés à 250 interventions cette année-là ; et en 2017. Enfin, en avril 2018, le tarif a été publié. À compter de cette date, les grands centres hospitaliers et privés se sont mis à faire des thrombectomies. Désormais, tout citoyen a accès à une technique extraordinaire qui a été financée par les CHU sur leurs propres fonds. Je pourrais multiplier les exemples d'innovations qui ne sont pas remboursées pendant des délais assez longs par l'assurance maladie. Il faudrait qu'un mécanisme de financement transitoire des innovations soit mis en place. La loi devrait reconnaître le rôle des CHU en matière d'innovation et prévoir des mécanismes de financement dès lors que des publications scientifiques attestent la validité de ces nouvelles techniques. En outre, derrière ces innovations émergent de nouveaux métiers ; les CHU sont les premiers à former ces personnes. Je pense ainsi aux conseillers en génétique qui interviennent auprès des patients atteints de cancers ou de maladies rares. Nous avons également de plus en plus souvent recours à des plateaux de génomique pour analyser le génome et affiner les traitements. Encore faut-il qu'il y ait des conseillers en génétique, des ingénieurs en data-science pour traiter les bases de données.

Comme nous dirigeons des services publics, nous devons mettre à disposition des patients le plus vite possible les grandes innovations. Encore faut-il prévoir leur financement.

M. Frédéric Boiron, vice-président, directeur général du CHU de Lille. - J'ai plaisir également à vous retrouver après nos aventures dans les communautés hospitalières de territoire dans l'Oise notamment.

Nos métiers nous permettent d'exercer dans plusieurs types d'établissements et plusieurs régions. Vous connaissez l'intérêt de l'approche locale. Nous devons pouvoir adapter au plus près du terrain les grandes politiques nationales. Nous sommes engagés dans le service public : nous devons mettre en oeuvre la politique nationale mais nous devons aussi gérer des établissements qui ont un ancrage local.

Vous nous avez interrogés sur les ressources humaines : les médecins, les sages-femmes, les infirmiers, les soignants, les personnels hospitaliers ont, comme nous tous, une vie personnelle et ils sont de plus en plus attirés par les grands centres urbains. Les praticiens et les soignants qui travaillent dans d'autres établissements à distance du CHU résident dans la métropole. Bien souvent, le lien avec le CHU est un des éléments d'attractivité. Nous devons donc adapter notre organisation à cette réalité et c'est ce que nous faisons avec les réseaux de CHU.

Ainsi, le CHU que je dirigeais avait les missions de soins mais n'avait pas toujours la possibilité de conserver un enseignant hospitalo-universitaire dans une spécialité. Dans ce cas, il convient de trouver un partenariat avec un autre CHU.

M. Alain Milon, président. - Quand il s'agit d'un partenariat entre Lyon et Saint-Etienne, cela va, mais c'est sans doute plus compliqué entre Toulouse et Montpellier, plus éloignés...

M. Frédéric Boiron. - En effet, c'est plus ou moins facile selon les territoires. C'est justement pour cela qu'il faut tenir compte des spécificités territoriales et des cultures. En même temps, on peut organiser en inter-CHU des politiques de recrutement des hospitalo-universitaires, en développant une gestion pluriannuelle des emplois et des compétences. On peut le faire au niveau des GHT. La dernière réforme de la santé a rendu la coopération au sein de GHT obligatoire. Nous prônons la même chose avec les réseaux de CHU. Il faut que le législateur précise les obligations et laisse ensuite les acteurs s'organiser localement. Les GHT doivent mener des politiques de recrutement coordonnées. Les CHU doivent aussi pouvoir le faire, non dans une logique hégémonique mais en partenariat, dans la zone dont ils ont la responsabilité vis-à-vis des GHT, souvent la subdivision. Les politiques de recrutement et d'attractivité ne doivent plus être isolées. Elles doivent être coordonnées entre les établissements et réalisées en lien avec le grand établissement de la zone. Un de nos souhaits est que l'on précise dans les textes que les politiques de recrutement médical ne doivent plus être traitées localement, sinon on prend un risque relatif au niveau des compétences et un risque de surenchère salariale. Dans la santé, il y a aussi un mercato !

Vous évoquiez les régions frontalières. Il faut aussi parler des différences entre le public et le privé. Le public dispose de trop peu d'outils pour répondre aux aspirations de rémunération des jeunes praticiens. Il y a une demande forte de meilleures conditions de travail, d'un temps consacré à la recherche accru et d'une meilleure rémunération. On constate une grande diversité des pratiques. La santé est aussi un marché. Répondre à ces attentes constitue un enjeu pour maintenir les équipes médicales. Il y a des pratiques de débauchages, même si l'argent n'est pas le seul sujet : il faut prendre en compte aussi le management, le fonctionnement des équipes, l'association à la recherche, le hiatus entre les hospitalo-universitaires et les hospitaliers. Nous faisons des propositions pour renforcer l'attractivité, renforcer la reconnaissance de l'implication en enseignement et en recherche des médecins qui ne sont pas hospitalo-universitaires. Nous croyons aussi au CHU hors les murs : le CHU n'est pas un bastion ; il doit pouvoir délivrer des labels, valider des compétences. On pourrait intéresser des médecins d'établissements non universitaires à une coopération plus forte avec le CHU.

Il importe aussi que le statut de praticien hospitalier évolue pour donner des marges d'adaptation localement, de manière encadrée, avec des règles de décision et d'évaluation collégiales, pour pouvoir ajuster les conditions d'exercice à partir d'un socle statutaire commun, pour les métiers en tension. Par exemple, au CHU de Lille, sur un effectif théorique de 100 postes d'anesthésistes-réanimateurs, 20 postes sont vacants à cause de départs vers des établissements de la région qui ont proposé des rémunérations supérieures. En respectant la loi, le CHU ne peut proposer des salaires plus élevés. Il conviendrait de donner la possibilité aux établissements, sous certaines conditions et avec certaines garanties, d'améliorer la rémunération de certaines spécialités en tension, dans l'intérêt du service public. On peut le faire avec les postes de praticien-clinicien, mais ils vont disparaître.

Enfin, un mot sur la qualité. Les CHU, disons-le, n'ont pas pris le train de la certification en même temps que les hôpitaux généraux ou les cliniques, non par manque d'intérêt mais parce qu'ils sont déjà soumis aux critères d'évaluation hospitalo-universitaires : le niveau de référencement médical, la contribution à la recherche ou la qualité de l'enseignement, etc. Les CHU ont désormais pris le train de la qualité. Tous ont désormais un directeur de la qualité. On compte environ 150 ingénieurs qualité dans les CHU de France. Mais on ne peut envisager de la même manière la certification de l'hôpital de Provins, qui compte 400 lits dont 200 aigus, et la certification du CHU de Lille qui compte 3 000 lits, tous aigus. La certification des CHU réclame une approche spécifique : vu leur taille et la complexité de leurs missions, on trouvera toujours des défauts, des facteurs négatifs. L'idéal serait de jumeler les évaluations réalisées par le HCERES et la HAS. Cela renforcerait l'implication des praticiens hospitalo-universitaires, qui portent moins d'attention aux visites HAS.

Mme Catherine Geindre. - Les parcours et les flux sont complexes. C'est souvent dans les interfaces que se posent les problèmes de qualité.

M. Bernard Jomier. - Votre rapport m'a beaucoup intéressé, notamment la partie concernant l'offre de soins qui répond à la Cour des comptes. Cette dernière posait la question de la spécificité des CHU dans l'offre de soins, notamment une hétérogénéité très importante en matière de soins de recours : ils représentent moins de 1 % de l'activité au CHU de Lille, par exemple, quand cinq CHU concentrent la moitié de l'activité de recours sur le territoire. Dans les CHU, le taux de séjours sévères s'élève à 11 % en moyenne, soit moins que dans les hôpitaux, dont le taux s'élève à 13 %. Vous dîtes que les CHU sont les pivots du système de santé. Je ne le crois pas. Chacun revendique ce rôle : généralistes, hôpitaux de proximité, etc. Le vrai pivot c'est le patient autour de qui le parcours de soins doit s'organiser. Il n'en demeure pas moins que le CHU est un acteur de premier plan qui a de multiples rôles à jouer. Cette conception qui n'est pas bottom-up vous conduit à considérer les liens avec la médecine de ville comme des « opportunités à saisir », ou à proposer la labellisation des professionnels de santé. Mais votre propos semblait plus nuancé que votre rapport.

Vous n'évoquez pas le rôle des Instituts hospitalo-universitaires (IHU), créés en 2008, qui ont vocation à associer les CHU, les organismes de recherche publics comme l'Inserm, la recherche privée, les patients, et parfois les collectivités territoriales. Les modèles d'IHU varient. Ils ont des résultats différents. Quelle leçon tirez-vous des IHU dix ans après leur création ? Faut-il développer ce modèle ? La place des collectivités territoriales doit-elle être accrue ? A Paris, les collectivités territoriales ne sont représentées que dans l'un des deux IHU présents dans la capitale.

Mme Florence Lassarade. - Je veux revenir sur le rayonnement du CHU dans sa région. À une époque, les services hospitalo-universitaires étaient décentralisés. Ainsi, autour du CHU de Bordeaux, des villes comme Langon ou Libourne abritaient des services hospitalo-universitaires. Or, à l'heure où les professeurs arrivent en fin de carrière, ces hôpitaux périclitent du fait de l'absence de label CHU. Le statut de praticien partagé serait une solution parfaite pour ces établissements à 30 kilomètres du CHU mais, en fait, on n'arrive pas à partager les praticiens. La gouvernance de ces hôpitaux n'est pas du même niveau que celle des CHU. Anciens hospitalo-universitaires, nous pourrions former des étudiants mais nous sommes confrontés à un marasme dans la gouvernance. Il n'y a plus de complémentarité de territoire. J'ai eu une lueur d'espoir récemment lors d'une visite d'une maternité en voyant des étudiants en médecine pour la première fois depuis longtemps, ce qui laisse espérer qu'ils s'installeront localement après leurs études. Comment appréhendez-vous la question de la formation ?

M. René-Paul Savary. - Sur les réseaux de CHU, je suis un peu dubitatif. Les GHT fonctionnent car ils sont à l'échelle d'un territoire ou des bassins de vie. La coopération de CHU en réseaux au sein des grandes régions est plus délicate. La région Grand-Est va de Reims à Strasbourg : comment faire travailler ensemble les deux CHU séparés de 300 kilomètres ? C'est difficile même avec le TGV... C'est pourquoi je suis préoccupé quand je vous entends proposer une obligation de mise en réseau. L'important, c'est la proximité. Les injonctions venant de Paris, cela ne marche pas. Pourtant, on continue à vouloir faire des grands machins ! Mieux vaut coller aux territoires.

En ce qui concerne le numerus clausus, depuis vingt ans on nous répète qu'on ne peut pas former plus de médecins. Pourtant la Roumanie, pays de 20 millions d'habitants, forme plus de médecins que nous, qui viennent d'ailleurs travailler en France...

M. Milon n'a pas encore parlé de l'investissement immobilier dans les CHU, sujet qui lui est cher. Ne serait-il pas judicieux de reproduire le modèle en vigueur pour les lycées ou les collèges en confiant le financement des investissements qui ne relèvent pas du sanitaire ou du social aux collectivités territoriales ?

Enfin, 80 % de vos activités sont des activités de soins courants ; seuls 20 % sont des soins spécialisés relevant du niveau d'un CHU. De même, la majorité de vos lits relève du médico-social, non des soins lourds. Ne faudrait-il pas séparer tout cela dans la tarification ?

M. Alain Milon, président. - M. Savary fait allusion à un rapport sur le financement des établissements de santé que j'ai rédigé avec M. Jacky Le Menn en 2012.

Mme Véronique Guillotin. - Les champs d'action territoriaux des CHU sont vastes. Je vois d'un bon oeil la volonté de faire sortir le CHU de ses murs pour renforcer les territoires, soutenir la politique de ressources humaines. Mais les difficultés de recrutement ne concernent pas que les médecins, elles touchent aussi les infirmiers et les infirmières. Leur formation a été universitarisée. Quel sera le lien entre l'université et les régions pour rendre ces métiers plus attractifs ? Pourquoi ces métiers sont-ils si délaissés ?

Dans certains territoires éloignés des centres de recherche et de formation, le terreau de professionnels de santé est très réduit. On peine ainsi à trouver des médecins maîtres de stage lorsque l'on veut créer des maisons de santé pluri-professionnelles. Les généralistes sont déjà surchargés. Pourquoi ne pas développer le e-learning pour attirer les jeunes dans ces territoires ? Les critères pour les maîtres de stage sont très stricts. L'âge, d'abord. On devrait faire en sorte qu'ils puissent partir de manière progressive et non brutalement pour nous aider à recruter. Il y a aussi le nombre d'actes : au-delà d'un certain nombre d'actes, on ne peut pas être maître de stage. Il importe de réfléchir à ce sujet pour préparer l'avenir.

J'en viens aux zones frontalières. Je suis élue de Meurthe-et-Moselle, dans une région qui cumule toutes les difficultés en termes d'attractivité : il n'y a ni la mer, ni le soleil, ni la montagne. Le concours national classant nous pénalise. La régionalisation du concours d'internat ne serait-elle pas une solution ? En outre, on est à proximité de la Suisse, de l'Allemagne ou du Luxembourg, où les salaires sont beaucoup plus élevés. Le CHU n'a pas les moyens, seul, de résoudre les difficultés. C'est un enjeu territorial. Il convient à l'État de mener des coopérations transfrontalières, d'autoriser éventuellement des dérogations sur les salaires. L'écart salarial est de 40 % avec le Luxembourg. La moitié des infirmières que l'on forme part au Luxembourg. Je ne vois pas comment on pourra faire sans coopération ni moyens accrus. J'ai aussi été alertée sur les tarifs dérisoires des astreintes pour réaliser des thrombectomies au CHU de Nancy. Demain, on risque de manquer de professionnels pour les pratiquer. Enfin, les étudiants ont beaucoup de difficultés à suivre le double cursus médecine-science, dès le deuxième cycle. C'est un enjeu pour la recherche. Quels sont les freins ?

- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -

Mme Corinne Imbert. - Le rôle fondamental des CHU dans la formation et l'innovation est reconnu et n'est pas contestable. Un mécanisme de financement de l'innovation est nécessaire. Merci pour votre intervention sur les problèmes de ressources humaines et la nécessité d'adapter les critères de la certification des hôpitaux en fonction de leur taille. Chacun est d'accord avec ces préconisations de bon sens. Je partage aussi l'inquiétude de M. Savary sur la création de « gros machins » et l'exigence de proximité. J'ai du mal à comprendre l'axe 2 intitulé du rapport intitulé « CHU et universités, co-animateurs de la santé dans les territoires ». Je trouve cette partie un peu trop conceptuelle. Vous évoquez de nouvelles relations avec la médecine de ville, les autres acteurs de la santé et du médico-social. Si c'est pour mettre le patient au coeur, anticiper la sortie d'un hôpital situé à 200 kilomètres, c'est bien. Si c'est pour contraindre davantage les professionnels de santé qui ont déjà la tête dans le guidon dans les territoires ruraux, je ne sais pas si la proposition est pertinente. Pourriez-vous nous expliquer votre proposition 2.3 et nous donner des cas concrets ?

M. Yves Daudigny. - J'ai lu les réactions dans la presse à votre rapport. Un article sur Internet évoque la crainte d'un CHU de demain trop hospitalo-centré. Certains syndicats de jeunes médecins ou d'infirmiers sont dubitatifs ou hostiles. Les syndicats étudiants aimeraient notamment que la formation sorte des CHU, pour rendre compte de la multiplicité des modes d'exercice. « L'organisation de ces formations doit se faire en lien avec les territoires », expliquent-ils. Centres hospitaliers locaux, maisons de santé et cabinets de libéraux ont vocation à devenir des lieux de formation reconnus. C'est un point que beaucoup de sénateurs soutiennent. Qu'en pensez-vous ? Le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), Jean-Paul Ortiz, regrette que la médecine de ville n'ait pas été invitée aux assises hospitalo-universitaires.

Mme Catherine Geindre. - Notre rapport n'est pas une réponse à la Cour des comptes. Il s'agit d'une commande passée par les ministres de la santé et de la recherche il y a plus d'un an. Sa publication a été concomitante du rapport de la Cour des comptes. C'est pourquoi on n'y trouve pas de réponses ni d'éléments contradictoires. Notre rapport se veut un questionnement sur l'évolution des CHU. C'est, comme l'ont souligné les ministres à l'issue des Assises, à la fois un constat et un point de départ pour engager le débat avec d'autres acteurs, comme les collectivités territoriales, la médecine de ville, etc. C'est ce qui explique que les représentants de la médecine de ville ne sont pas invités aux Assises hospitalo-universitaires qui sont un moment de réflexion propre aux acteurs hospitalo-universitaires.

Je donnerai aussi une réponse moins politiquement correcte : lorsque l'on compare notre système de santé, on a souvent l'impression que l'herbe est plus verte ailleurs. Mais lorsque l'on regarde la situation à l'aune de tous les critères, il faut relativiser. Les comparaisons ne sont pas toujours fiables. Il faut rappeler aussi qu'en France cohabitent un système public et un système privé. Ce n'est le cas nulle part ailleurs. Il est facile de mettre en avant tel ou tel élément des systèmes anglo-saxons, mais c'est oublier que nos modèles diffèrent. Notre système se distingue par sa capacité à couvrir l'ensemble des besoins et à garantir l'égalité d'accès. Nous acceptons aussi en France, à compétence et responsabilité égales, des écarts de rémunération de un à cinq, financés par l'assurance maladie. C'est un sujet tabou en France. On parle d'attractivité du métier, celle-ci est due à de multiples facteurs. En matière de rémunération, des éléments statutaires nous empêchent de nous ajuster mais il faut aussi poser la question des écarts de rémunération.

Mme Véronique Anatole-Touzet. - Sur le volet consacré aux territoires, nous n'avons pas voulu être conceptuels mais au contraire concrets. À travers le rôle pivot du CHU, nous ne voulons pas un CHU hégémonique, centralisateur, qui concentre l'offre de soins, en étant isolé des autres acteurs de santé et de la médecine de ville. Simplement, le CHU joue un rôle pivot en matière de formation, d'innovation, de recherche. Notre vocation est bien de porter ces missions hors les murs. Concrètement, nous avons ainsi universitarisé une maison de santé à Fougères en mettant à sa disposition des assistants universitaires, ce qui demain, grâce à l'encadrement des maîtres de stage de la faculté de médecine de Rennes, facilitera l'installation des médecins dans cette ville, évitant la concentration dans les métropoles. Les CHU ont un rôle spécifique à jouer en matière formation, d'innovation et de recherche et c'est bien ce que nous visons avec les CHU hors les murs et la labellisation des maisons de santé. Nous souhaitons associer davantage la médecine de ville et tous les acteurs du territoire à ces missions. Notre vision du CHU n'est donc pas celle d'un CHU hégémonique, mais celle d'un organe qui irrigue les territoires, facilite la diffusion des compétences et des innovations.

Dans la région Grand-Est, la concurrence avec le Luxembourg est un sujet majeur. Pour les infirmières, nous avons travaillé avec le Luxembourg. Les établissements de la région essaient de trouver des solutions et s'efforcent de renforcer leurs liens, même si ce n'est pas toujours évident. Nous avons soutenu l'hôpital de Briey pour conserver des médecins dans un territoire en grande difficulté. Les infirmières qui partent, attirées par une meilleure rémunération en début de carrière, reviennent souvent au bout de huit à dix ans, car les conditions de travail sont plus intéressantes dans de grands établissements comme le CHR de Metz-Thionville en raison de la diversité des pathologies, du travail en équipe, de la mission de formation en lien avec le CHU de Nancy. On peut travailler sur certains éléments d'attractivité dans les territoires, mais les CHU n'y arriveront pas seuls. L'attractivité pose aussi la question de l'environnement global de la ville, de la région. Les collectivités territoriales ont leur rôle à jouer, au même titre que l'État dans ses relations avec nos voisins. La problématique, en tout cas, est complexe.

M. Philippe Vigouroux. - Les IHU ont été créés dans le cadre du programme des investissements d'avenir. On en compte six en France. Il s'agit de structures de recherche de niveau international très thématisées. Ces centres de recherche sont aussi des centres d'enseignement et de soins : seul l'IHU de Bordeaux n'a pas de mission de soins. Or, il ressort des évaluations, de la Cour des comptes notamment, qu'il s'agit, de ce fait, d'un des IHU les plus performants. Un IHU a vocation à rassembler des scientifiques du monde entier autour de chercheurs hospitalo-universitaires. Certains les assimilent à des CHU ultra-thématisés et de petite taille, avec au maximum une cinquantaine de lits pour les soins. L'IHU de Bordeaux se concentre sur la perturbation du fonctionnement électrique du coeur qui est à l'origine de 350 000 morts subites chaque année en Europe.

Quel bilan en tirer ? Sur le plan de l'organisation, confier les soins, pour lesquels il faut des infirmières et des soignants, à des instituts de recherche scientifique n'a pas fait la preuve de son efficacité. En outre, sur le plan financier, les IHU ne parviendront pas à l'autonomie financière en 2019, en dépit des objectifs avancés. Ils n'ont réussi que partiellement à dégager des moyens par le biais des contrats avec des industriels. Leur finalité était pourtant de créer de la valeur pour diffuser le progrès médical. Enfin, leur conseil d'administration réunit le CHU, l'université, le CNRS, l'Inria, des industriels, et la région qui a participé au financement initial, et qui est la seule collectivité territoriale représentée.

M. Frédéric Boiron. - Au CHU de Lille, un chirurgien cardio-vasculaire hospitalo-universitaire fait des transplantations cardiaques, développe de nouvelles techniques (comme les TAVI), développe de l'innovation de haut niveau prise en charge par l'établissement, mais assure aussi des gardes. L'un d'eux m'a confié avoir passé son week-end à faire des reprises d'endocardites sur des patients envoyés par d'autres établissements proches. Or, ce praticien de réputation internationale a le même tarif de garde qu'un autre praticien moins spécialisé. S'il répondait à la proposition que lui a adressée un groupe anglo-saxon, il n'aurait plus à faire de gardes, tout en ayant les mêmes moyens à sa disposition pour poursuivre ses recherches, avec un salaire beaucoup plus élevé. En France, la même caisse d'assurance maladie finance de manière identique des situations très différentes. C'est un choix de société. Mais on entretient des différences de traitement spectaculaires. Un jeune praticien d'imagerie spécialisé dans mon CHU, s'il passait dans le privé, n'aurait ainsi plus à faire des gardes, tout en ayant un salaire triple pour quatre jours de travail, sans changer de région.

La rémunération n'est pas le seul facteur de motivation. Quand un CHU fait 15 à 20 % de recours, c'est en fait beaucoup plus que lorsqu'un établissement plus petit en fait 30 % car nous avons à assurer l'ensemble des missions ; le recours nous permet de rester attractifs pour certains praticiens. Enfin, le lien avec l'industrie n'est pas un sujet tabou. On développe souvent des zones d'entreprises comme Eurasanté à Lille, zone de pépinières d'entreprises directement liées aux innovations réalisées dans les établissements.

M. Philippe Vigouroux. - Un mot sur la présence d'hospitalo-universitaires à Langon ou Libourne. De telles implantations ne sont pas durables. Elles sont liées aux choix de certaines personnalités qui ont souhaité s'installer dans telle ou telle ville. Cela n'est pas durable car un praticien a besoin d'un environnement offrant des infrastructures de recherche ou une proximité avec le CNRS, l'Inserm, ou des animaleries pour faire des expériences de recherche translationnelle. En revanche, le CHU a pour mission, à l'égard des établissements du GHT au sein de sa subdivision universitaire, d'assurer les soins de recours, les missions d'enseignement et de recherche. Il doit aider les praticiens de ces établissements à faire de la recherche. Il faut être entouré pour faire de la recherche et de l'enseignement.

Mme Véronique Anatole-Touzet. - Un mot sur la spécificité des CHU. La Cour des comptes a souligné les différences des taux de recours. Elle met en exergue des aspects quantitatifs, non qualitatifs. La spécificité de l'activité des CHU ne s'apprécie pas seulement en fonction de critères quantitatifs mais aussi en fonction des conditions d'exercice, à travers l'exigence de permanence des soins ou la diversité des pathologies que nous prenons en charge, bien plus élevée que dans les autres hôpitaux ou les cliniques. La mission d'enseignement est aussi peu reconnue : le temps consacré à l'encadrement des internes ou des étudiants est peu valorisé.

La labellisation n'a pas vocation à donner au CHU un rôle hégémonique dans les territoires, ni à en faire la seule autorité qui décide de tout. En revanche, le CHU a vocation, pour les propositions hospitalo-universitaires, c'est-à-dire la formation et l'encadrement des étudiants - dans les maisons de santé, pour les généralistes, ou les centres hospitaliers, pour les médecins spécialistes -, à s'assurer, avec les facultés de médecine, que les critères d'agrément des disciplines répondent à des critères de qualité, en matière d'encadrement, de prise en charge des soins, ou d'interface avec le CHU. Pour fidéliser les médecins dans les maisons de santé ou dans les hôpitaux, nous voulons - c'est le CHU hors les murs - qu'ils participent à des missions universitaires, en étant rattachés à une équipe hospitalière. C'est pourquoi on défend les postes partagés. Nous voulons les intégrer dans les équipes du CHU, leur permettre de participer à des missions de formation, au CHU ou dans leur hôpital d'exercice, en encadrant des internes ou des étudiants, et de participer à des essais cliniques. Ainsi, en Bretagne, nous avons mis en place un réseau de recherche qui irrigue aussi bien l'hôpital de Pontivy, que ceux de Vannes, Saint-Malo ou les hôpitaux de proximité de Rennes. C'est bien dans cet esprit d'ouverture que nos propositions s'inscrivent.

Vous avez évoqué la situation complexe du Grand-Est. Mais il est aussi inconcevable que les CHU ne travaillent pas ensemble pour développer des complémentarités sur l'ensemble de la région afin de répondre aux enjeux hospitalo-universitaires de leur territoire et de satisfaire aux orientations du plan régional de santé. C'est dans cet esprit que nous avons proposé la mise en place de réseaux, sans modèle imposé, selon des logiques adaptées aux territoires. Nous souhaitons une gouvernance très souple pour mieux répondre aux besoins de santé des territoires.

Mme Catherine Geindre. - Je veux revenir sur les craintes liées à la construction d'un «  grand machin ». Le diagnostic du Président de la République à l'occasion de la présentation du plan « Ma santé 2022 » est très largement partagé par l'ensemble des acteurs de la santé. Notre système a besoin d'une évolution systémique. On ne peut réduire les évolutions à une énième réforme de l'hôpital. C'est bien l'ensemble du système et la place de chacun dans le système de santé qu'il faut questionner. Non, le CHU n'a pas vocation à être hégémonique ni à être l'alpha et l'oméga du système. La réponse doit être organisée au niveau territorial, en associant l'ensemble des acteurs, à partir des besoins identifiés et spécifiques de la population sur un territoire donnée. Chaque acteur aura sa place dans ce cadre. Aujourd'hui, on commence déjà à expérimenter des financements au parcours pour certaines pathologies chroniques, comme le diabète ou l'insuffisance rénale. L'idée est bien d'identifier les besoins, de voir comment y répondre en répartissant les rôles. Sans des CHU forts, l'organisation de l'offre de santé ne sera pas à la hauteur des besoins et des attentes. Les CHU doivent évoluer, ce qui dépend aussi de la qualité des solutions que l'on pourra apporter demain.

M. Philippe Vigouroux. - En tant que directeurs généraux de CHU, nous sommes très favorables au double cursus médecine-science ; la recherche est une des caractéristiques des CHU. Les doyens y sont aussi très favorables. Les étudiants qui veulent suivre un double cursus sont très désavantagés. Ils sont freinés dans leur évolution. Beaucoup sont découragés par l'ampleur des exigences. Ils doivent publier beaucoup plus par exemple. Les doyens y sont sensibles.

M. Frédéric Boiron. - Un mot sur l'investissement. C'est un de nos sujets quotidiens. Un CHU est fondé sur l'addition d'institutions académiques qui fonctionnent en symbiose. L'investissement, c'est la possibilité d'innover. Mais on le finance souvent sans disposer de crédits. L'immobilier est une dimension majeure. Nos marges dans la tarification ne permettent que de financer l'investissement de renouvellement, mais non les gros investissements.

Mme Catherine Geindre. - Nous plaidons plutôt pour un plan de soutien à l'investissement car notre capacité d'autofinancement ne nous permet pas de financer des grands investissements. Il existe plusieurs manières de les financer, comme la participation des collectivités territoriales.

M. Gérard Dériot, président. - En complément des financements de l'État ! Il s'agit de trouver des moyens supplémentaires.

M. Frédéric Boiron. - Il existe déjà des partenariats entre région, État et CHU pour financer des équipements.

M. Gérard Dériot, président. - En effet, les régions soutiennent déjà l'investissement.

Mme Catherine Geindre. - Nous avons tous en tête des projets cofinancés par des collectivités territoriales. Actuellement, l'État impose des critères drastiques, notamment de santé ou d'orthodoxie financière, qui sont très difficiles à atteindre, mais qui conditionnent l'accès aux financements. Cependant, si l'on se basait uniquement sur la vétusté des équipements ou de nos bâtiments, on aurait besoin d'investissements plus importants.

M. Gérard Dériot, président. - Je vous remercie. Nous attendons maintenant de savoir ce qui figurera dans la loi.

La réunion est close à 11 h 45.