Mardi 20 novembre 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et informations administratives » - Examen du rapport pour avis

M. Philippe Bas, président. - Nous nous réjouissons du retour de notre collègue Jacques Mézard, que j'avais accueilli il y a peu dans la Manche, où il visitait en tant que ministre de la cohésion des territoires le regroupement pédagogique intercommunal Bourguenolles-La Lande-d'Airou.

Nous débutons ce matin l'examen des rapports pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019, en commençant par celui de M. Jean-Yves Leconte sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et le budget annexe « Publications officielles et informations administratives ».

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Le budget annexe « Publications officielles et informations administratives » est celui de la Direction de l'information légale et administrative (DILA), qui gère notamment le site
www.service-public.fr.

La mission « Direction de l'action du Gouvernement » se décompose en trois programmes : d'abord le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental », qui regroupe les fonctions de stratégie, de prospective et de coordination permettant le soutien au Premier ministre. On retrouve parmi les entités de ce programme le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui comprend en son sein le groupement interministériel de contrôle (GIC) et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), le Secrétariat général des affaires européennes, France Stratégie, la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC).

Deuxième programme de cette mission, le programme 308 « Protection des droits et libertés », qui regroupe les crédits dédiés aux autorités administratives indépendantes parmi lesquelles la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), le Défenseur des droits, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), la Commission du secret de la défense nationale (CSDN), et d'autres autorités administratives indépendantes.

Le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées » regroupe, quant à lui, les crédits de fonctionnement et des crédits immobiliers locatifs. Je laisse de côté ce programme, qui a vocation à rejoindre l'an prochain le programme 307 « Administration territoriale », ce qui sera plus cohérent.

Le budget de la mission s'élevait dans le projet de loi de finances déposé à l'Assemblée nationale à 1,435 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,330 milliard d'euros en crédits de paiement. Cela représentait, à périmètre courant, une diminution de 10,66 % en autorisations d'engagement et de 10,16 % en crédits de paiement. À périmètre constant, les autorisations d'engagement diminuaient de 0,43 % et les crédits de paiement augmentaient de 0,95 % en raison de plusieurs mesures de transferts : d'une part, le transfert à Bercy d'une partie de la structure du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), d'autre part, la suppression du dispositif des loyers budgétaires
- pour 136 millions d'euros en l'espèce -, qui apportait pourtant de la lisibilité et était plus conforme à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

L'Assemblée nationale, le 16 novembre dernier, a adopté en seconde délibération une série d'amendements destinés à financer 236 millions d'euros d'augmentations de crédits : l'un d'eux diminue de 6,49 millions d'euros les crédits de paiement de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », dont 4,3 millions portant sur la coordination du travail gouvernemental, plus de 228 000 euros portant sur les autorités administratives indépendantes et près de 2 millions d'euros sur le programme 333.

Ce budget a été construit avec pour objectif le respect de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, qui fixe le plafond de la mission au titre des crédits de paiement à 1,39 milliard d'euros. Il détermine des priorités financées grâce à des redéploiements en provenance du programme 333, mais aussi de la Direction des services administratifs et financiers (DSAF). Ces priorités sont, pour le programme 129, la sécurité et le numérique et, pour le programme 308, le renforcement des moyens accordés à la CNIL et à la CADA. À mon sens, des améliorations sont aussi souhaitables pour ce qui concerne le budget de la DILA, notamment pour mieux coordonner les publications des préfectures avec les informations publiées sur le site www.service-public.fr.

Sur le programme 129, le SGDSN bénéficie pour 2019 de moyens supplémentaires dans un contexte où la sécurité reste une priorité. L'ANSSI poursuit son développement au rythme de 25 emplois supplémentaires par an, contre 50 auparavant. En 2018, cette agence n'a pas pu pourvoir 17 des 25 postes qui lui étaient alloués faute d'enveloppe budgétaire suffisante, compte tenu des rémunérations pratiquées dans ce secteur. Elle ne peut suivre l'inflation des salaires, et le turnover y est important. C'est très regrettable, car elle est chargée non seulement de la protection des systèmes d'information des opérateurs d'importance vitale, mais aussi des opérateurs essentiels à l'économie et à la société. Elle doit être en mesure, d'une part, de faire face à des crises graves qui affecteraient simultanément plusieurs opérateurs et, d'autre part, de faire de la prévention pour permettre aux opérateurs de se protéger des attaques informatiques. En 2017, l'attaque dirigée contre l'Ukraine a eu un impact sur Saint-Gobain, qui se chiffre à plusieurs millions d'euros. Faire des économies sur l'ANSSI serait donc dangereux. Les 17 postes non pourvus en 2018 sont reportés en 2019 et s'ajoutent aux 25 prévus ; nous ne pouvons que saluer cette décision.

Autre bénéficiaire de moyens supplémentaires : le GIC, qui centralise les demandes d'autorisation de mise en oeuvre des techniques de renseignement. Là encore, on ne peut qu'approuver que le GIC, qui recueille et met à disposition des données brutes destinées aux services de renseignement, ait les moyens de travailler, ce qui constitue une garantie supplémentaire de respect de la loi sur le renseignement.

L'autre priorité est le numérique. Le SGMAP a été supprimé et ne reste dans le programme 129 que la composante DINSIC. Celle-ci est notamment chargée de coordonner les actions des administrations de l'État afin d'améliorer la qualité du service rendu par les systèmes d'information et de communication. Elle est chargée de la mise en oeuvre des opérations de mutualisation des systèmes d'information entre administrations. L'objectif est de permettre une circulation des données entre les ministères, ce qui n'est pas toujours le cas, faute d'harmonisation des systèmes d'information. La DINSIC va bénéficier de financements du Fonds pour la transformation de l'action publique pour un projet de « nuage » pour les données sensibles de l'État et un service de plateforme d'échange de données entre administrations. Enfin, les grands projets informatiques de l'État de plus de 9 millions d'euros sont également soumis à la DINSIC, afin d'éviter les dérives qui ont pu être constatées.

Nous avons aussi entendu en audition des représentants de France Stratégie, ancien Commissariat général au Plan, qui a évolué en une sorte de think tank placé auprès du Premier ministre. Cette mutation n'est toutefois pas aboutie. Aussi aurais-je tendance à recommander de le couper des différents hauts conseils qui lui sont rattachés et de lui donner plus d'indépendance.

Le SGAE, pour sa part, doit faire face à des dépenses de traduction importantes ; je m'interroge sur les moyens alloués en 2019 compte tenu du Brexit qui fera reculer l'usage de l'anglais au sein des institutions européennes. Ce pourrait être en effet l'occasion de mieux défendre l'usage du français et de promouvoir la francophonie.

J'en viens au programme 308. La CNIL bénéficie dans le PLF pour 2019 d'une création nette de 9 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Il s'agit en réalité de 15 postes supplémentaires compensés en partie par la perte de 6 emplois support au titre de la mutualisation. En effet, contrairement à ce qu'affirmait le Secrétaire général du Gouvernement l'an dernier, la mise en oeuvre du règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD), qui substitue des contrôles a posteriori aux autorisations a priori, entraîne un changement d'ampleur dans l'activité : les plaintes ont augmenté de 45 %, 14 000 délégués remplacent les 5 000 correspondants informatiques et liberté... Ce changement d'échelle justifie que des moyens complémentaires soient apportés à la CNIL.

La CADA, petite autorité, obtient un équivalent temps plein travaillé (ETPT) supplémentaire, ce qui permettra de faire face à l'explosion des demandes : de 500 dossiers par agent en 2015, nous sommes passés à 1 100 en 2017. Outre une attente du public en matière d'accès aux documents administratifs, la CADA constate que l'administration tend à ne pas faire droit aux demandes de communication de documents. Malgré des opérations de formation et sensibilisation auprès des administrations, la CADA n'est pas en capacité de respecter le délai réglementaire d'un mois qui lui est imposé pour traiter les demandes. Je souhaite que ce poste supplémentaire lui permette aussi de mettre à jour son site internet, pour assurer un meilleur suivi des décisions qu'elle a rendues et de leur respect par l'administration.

Je veux encore souligner le rôle essentiel, dans un contexte de budget de la justice contraint, du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante de rang constitutionnel, ainsi que celui de la HATVP, dont le périmètre de contrôle s'est élargi et qui doit désormais - pour que ne se reproduise pas le cas de France Médias Monde - relancer les personnes soumises aux obligations déclaratives dont elle assure le respect.

Dernier point d'attention : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cette autorité mène, sous la présidence de Mme Adeline Hazan, le programme de 150 contrôles annuels lancé par son prédécesseur, M. Jean-Marie Delarue, qui a permis la visite de la totalité des établissements pénitentiaires, centres de rétention administrative et centres éducatifs fermés. De nouvelles visites ont lieu pour vérifier que les recommandations sont suivies d'exécution. Mme Hazan s'est engagée à visiter l'ensemble des lieux où sont pratiqués des soins sans consentement avant la fin de son mandat en 2020. Les délais de publication des rapports pourraient toutefois être réduits en adjoignant au CGLPL deux contrôleurs supplémentaires - j'y reviendrai.

Quelques réflexions en conclusion. Le CSA, autorité publique indépendante, est aujourd'hui exposé à un risque juridique lié à l'annulation par le Conseil d'État de l'une de ses décisions. La CNIL pourrait se trouver dans la même situation. Or ces autorités administratives indépendantes n'ont pas les moyens de faire face aux conséquences financières de telles annulations.

Les autorités administratives indépendantes sont aussi soumises aux mécanismes de régulation budgétaire comme la réserve de précaution et sont donc amenées à quémander auprès du SGG afin de pouvoir disposer de la totalité de leur budget. Or il n'y a pas de raison que ces instances, indépendantes pourtant, dépendent de l'exécutif sur leurs crédits de fonctionnement et de personnel. Ne pourrait-on pas voter un budget qui ne soit pas soumis à ces mécanismes ?

La commission des finances a déposé un amendement diminuant de 14 millions d'euros les crédits de cette mission, visant particulièrement ceux de l'ANSSI et des autorités administratives indépendantes. L'Assemblée nationale a adopté, quant à elle, l'amendement du Gouvernement, qui supprime 6,6 millions d'euros de crédits, dont 200 000 aux autorités administratives indépendantes. Je vous propose d'adopter un amendement attribuant l'équivalent de deux postes supplémentaires au CGLPL, pris sur les crédits du CSA, et, compte tenu du vote de l'Assemblée nationale, de défendre en séance publique le principe de la priorité des crédits de l'ANSSI, du GIC et des autorités administratives indépendantes, au niveau proposé initialement par le Gouvernement.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je peine à voir la cohérence de ces actions. Il paraît que la LOLF rend le budget plus compréhensible : or plus je vis, moins je vois clair... Ce n'est certes pas le sujet de ce matin ; un jour, peut-être, y reviendrons-nous.

Je suis d'accord pour défendre l'ANSSI et le GIC, ainsi que pour voter l'amendement du rapporteur. S'agissant des autres autorités indépendantes, je demande à voir ! Ces autorités, qui grossissent et font ce qu'elles veulent dans leur coin, sont bourrées de conseillers d'État qui, eux ou leurs copains, invalident les décisions d'autres conseillers d'État...

Mme Laurence Harribey. - Je voudrais remercier le rapporteur, dont le rapport clarifie nettement les enjeux. Après un accroissement important des moyens de cette mission entre 2014 et 2017, essentiellement lié au renforcement de la cyberdéfense, l'augmentation est plus modérée à périmètre constant. Les principaux bénéficiaires des augmentations sont le SGDSN, la CNCTR et la CSDN : nous soutenons le maintien de la priorité sécurité et défense. Concernant le programme 129, l'augmentation des dépenses de personnel est de nature différente. Concernant le Gouvernement, on constate une augmentation du budget à effectifs stables en raison d'un accroissement des rémunérations. En matière de sécurité et de défense, ce sont les effectifs qui tirent la hausse des crédits, en particulier dans le cas de l'ANSSI. Je rejoins le rapporteur, pour avoir travaillé sur ces questions au sein de la commission des affaires européennes : le rôle de l'ANSSI est fondamental. Et n'oublions pas la réforme de l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information (ENISA), qui renforce les agences nationales pour autant qu'elles aient déjà une capacité de réaction, ce qui est le cas en France, en Allemagne, et dans une moindre mesure en Autriche et en Suède. Le groupe socialiste et républicain suivra la position du rapporteur et défendra le maintien des moyens.

M. Philippe Bas, président. - Je partage votre appréciation très positive sur le rôle de l'ANSSI, qui n'a fait que croître ces dernières années. Je m'en suis mieux rendu compte au sein de la délégation parlementaire au renseignement, lorsque nous avons travaillé sur l'espionnage économique. Les intrusions numériques mettent en péril de grands groupes, qui peuvent de ce fait se trouver paralysés pendant plusieurs jours. C'est l'ANSSI qui les aide à mettre en oeuvre des systèmes de sécurité renforcés pour repousser les attaques, dont le nombre augmente exponentiellement. La rémunération d'ingénieurs de haut niveau par cette institution est un véritable sujet.

Mme Laurence Harribey. - La menace pèse aussi sur les collectivités territoriales : une collectivité est attaquée chaque semaine ! Or, avec le RGPD, elles ont de nouvelles responsabilités comme désigner un responsable des données personnelles . Un travail de fond doit être fait en collaboration avec l'ANSSI.

M. Philippe Bas, président. - Lors de la mise en oeuvre du RGPD en droit interne, nous avions d'ailleurs adopté, grâce à Mme le rapporteur Sophie Joissains, des dispositions destinées à compenser la charge nouvelle pesant sur les collectivités territoriales, auxquelles l'Assemblée nationale s'est hélas opposée. Le sujet aurait pourtant dû être consensuel. Nous sommes là bien dans notre rôle de représentants des collectivités territoriales.

L'amendement de notre rapporteur permettrait donc au CGLPL de recruter deux contrôleurs supplémentaires, au moyen de crédits pris sur le budget du CSA. Je confesse une légère hésitation, due à ma méconnaissance des besoins du CSA.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Je vous propose de défendre le principe selon lequel les AAI ne dépendent pas du SGG pour l'exécution de leur budget. Si le CSA ne subissait pas la réserve de précaution, il pourrait faire face à ses besoins. Je vous propose également de défendre en séance les crédits de l'ANSSI, du GIC et de l'ensemble des autorités administratives indépendantes.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je suis d'accord concernant les crédits de l'ANSSI, du GIC et du CGLPL mais je ne défendrai pas les crédits des autres autorités !

Mme Brigitte Lherbier. - Lorsqu'un organisme tel que le CGLPL a besoin de personnel, le ministère de la justice ne peut-il lui mettre à disposition ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - Nous nous sommes battus jadis pour que les AAI n'aient pas de personnels mis à disposition par les ministères qu'ils sont chargés de contrôler ! Lorsque mise à disposition il y a toutefois, les AAI choisissent elles-mêmes leurs candidats. La LOLF autorise la fongibilité, sous certaines réserves, au sein d'une même mission, mais pas entre deux missions différentes comme la mission « Justice » et la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

M. Philippe Bas, président. - Je suis favorable à la sanctuarisation des crédits de l'ANSSI, dont l'activité relève d'une extrême priorité. Peut-être devrions-nous l'exprimer plus clairement dans notre avis, pour transmission à la commission des finances.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis. - L'ANSSI et le GIC ont notamment des problèmes de locaux : le GIC, pour accueillir les services de renseignement par exemple. Sanctuarisons les crédits de l'ANSSI et du GIC.

M. François Bonhomme. - La CADA fait l'objet d'un nombre croissant de saisines et a rendu un nombre d'avis en hausse de 15 % à 20 % en trois ans. Cela répond à un désir profond de plus grande transparence, et ne concerne plus seulement les marchés publics et les questions d'urbanisme. La demande de transparence allant croissant, il faudra préciser davantage les conditions d'accès aux documents administratifs, tout en régulant un souhait qui doit être contenu. C'est le rôle de cette autorité, dont les moyens ne sont pas au niveau.

La commission adopte l'amendement LOIS.1 présenté par le rapporteur.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et informations administratives ».

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » - Programme « Fonction publique » - Examen du rapport pour avis

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - La fonction publique compte 5,48 millions d'agents, répartis ainsi : 44 % pour l'État, 35 % pour les collectivités territoriales et 21 % pour la fonction publique hospitalière.

L'avis budgétaire « Fonction publique » porte prioritairement sur la fonction publique d'État, dont les plafonds d'emplois sont fixés par le projet de loi de finances.

De manière plus spécifique, le programme 148 intitulé « Fonction publique » concerne les actions interministérielles de gestion des ressources humaines. Piloté par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), il est intégré à la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

Comme chaque année, j'ai souhaité approfondir deux sujets d'actualité : le régime des primes des fonctionnaires et la gestion des emplois de direction dans la fonction publique territoriale.

Concernant les effectifs, je rappelle que le Gouvernement s'est engagé à supprimer 120 000 équivalents temps plein (ETP) pendant le quinquennat, dont 70 000 dans la fonction publique territoriale et 50 000 dans la fonction publique d'État. L'année dernière, j'avais déjà pointé les efforts insuffisants du Gouvernement, puisque seulement 1 660 équivalents temps plein (ETP) ont été supprimés en 2018. J'ai les mêmes réserves pour l'exercice 2019, puisque le projet de loi de finances (PLF) ne prévoit de supprimer que 4 164 ETP. Comme en 2018, ce sont surtout les opérateurs de l'État qui sont mis à contribution, non les ministères.

Deux ans après le début du quinquennat, ces efforts restent insuffisants, au point que l'on peut douter que le Gouvernement atteigne ses objectifs, car il faudrait pour cela supprimer 44 176 ETP d'ici à 2022, soit environ 14 725 ETP par an...

La masse salariale de l'État s'établit à 88,3 milliards d'euros hors pensions dans le PLF pour 2019, soit une hausse de 4,26 % par rapport à 2017. Pour la seule année 2019, la masse salariale progresse de 1,35 milliard d'euros, malgré le gel du point d'indice de la fonction publique. Cette évolution s'explique notamment par l'effet mécanique du glissement vieillesse-technicité (GVT), mais aussi par des choix politiques comme l'accord « Parcours professionnels, carrières et rémunération » (PPCR). La mise en oeuvre de cet accord devait s'étaler sur quatre ans, entre 2016 et 2020, mais le Gouvernement l'a reportée d'un an : l'année 2018 a donc constitué une année blanche et son application a été étendue jusqu'en 2021. Son coût total pour les trois versants de la fonction publique est estimé à 3,75 milliards d'euros.

Cette difficile maîtrise des effectifs et de la masse salariale de l'État s'accompagne d'incertitudes concernant la stratégie du Gouvernement pour moderniser l'action publique.

En octobre 2017, le Gouvernement a installé le Comité action publique 2022 (CAP 22). Le Premier ministre avait fixé un objectif ambitieux : « réfléchir sans totems, sans tabous au rôle de l'État et de la sphère publique dans la France du XXIe siècle, pour repenser les politiques publiques ». Force est de constater que ces ambitions ont été revues à la baisse, tant pour des maladresses de forme que pour des difficultés de fond.

Sur la forme, le Comité action publique 2022 a rendu ses conclusions en juin 2018, avec quatre mois de retard par rapport au calendrier initial. Pire, le Gouvernement n'a pas rendu publics ses travaux, qui ont finalement « fuité » dans la presse en juillet dernier. En outre, ce comité n'a reçu que huit employeurs territoriaux, ce qui paraît assez « léger » pour définir des préconisations plus proches des enjeux des élus locaux.

Sur le fond, le rapport du comité affiche un triple objectif : conforter la qualité du service public, améliorer les conditions de travail des agents et réduire la dépense publique. Ses propositions permettraient « d'améliorer les comptes publics d'une trentaine de milliards d'euros à l'horizon 2022 », sans précision sur les économies ainsi générées.

Au cours de la réunion du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 29 octobre dernier, le Premier ministre a déclaré que le Gouvernement reprendrait entre 60 % et 75 % des propositions du Comité action publique 2022. Il n'a toutefois pas détaillé la liste des préconisations retenues. Si le Gouvernement a annoncé des mesures nouvelles pour moderniser le service public, d'autres ne font que reprendre d'anciens engagements de l'État. Les perspectives de réforme des ministères et secrétariats d'État ont été fixées par les « plans de transformation ministériels ». Ces feuilles de route sont toutefois peu précises et ne comportent aucun élément chiffré ni aucun objectif calendaire.

Sur le plan budgétaire, le programme 148 ne couvre que les actions interministérielles de gestion des ressources humaines. Il comprend trois actions : la formation des fonctionnaires (40 % des crédits du programme), l'action sociale interministérielle (58 % des crédits), et l'appui et l'innovation des ressources humaines (2 % des crédits). Cette année, les fonds consacrés à l'apprentissage ne sont plus centralisés dans le programme 148, mais sont redéployés vers le budget de chaque ministère.

Ce programme appuie et complète les initiatives ministérielles, sans s'y substituer. À titre d'exemple, il ne représente que 15 % des crédits de l'action sociale, dont le financement relève principalement des ministères.

Doté de 206,91 millions d'euros dans le PLF pour 2019, le programme 148 est en baisse de 0,91 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Cette tendance s'explique par les réformes envisagées pour les Instituts régionaux d'administration (IRA) et l'École nationale d'administration (ENA).

Entre 2016 et 2018, le programme 148 intégrait une enveloppe d'environ 30 millions d'euros pour développer l'apprentissage dans la fonction publique de l'État. Si l'objectif initial - atteindre les 10 000 apprentis en 2016 - n'a pas été atteint, les efforts consentis doivent être soulignés : l'État emploie 9 841 apprentis en 2018 contre 740 en 2012.

Dans le PLF pour 2019, les aides pour le recrutement des apprentis ne figurent plus dans le programme 148, mais sont réparties dans les budgets de chaque ministère. La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) n'a pas été en mesure de préciser l'enveloppe consacrée à l'apprentissage pour l'exercice 2019. On perd donc la visibilité concernant les objectifs de l'État, ce que je regrette.

Près de 90 % des crédits de la formation interministérielle sont destinés aux IRA et à l'ENA. La formation interministérielle est dotée de 82,48 millions d'euros dans le PLF pour 2019. Des projets de réforme permettent de dégager une économie de 1,92 million d'euros par rapport à l'exercice 2018.

La subvention pour charges de service public des IRA diminue de 2,70 % pour s'établir à 44,01 millions d'euros, grâce à une réforme de la scolarité qui sera mise en oeuvre en septembre 2019. Chaque année, les IRA accueilleront deux promotions d'élèves, pour un total de 820 étudiants, contre une promotion de 730 étudiants actuellement. La durée de la scolarité passera de douze à six mois ; elle sera suivie d'un stage de six mois, dont le coût sera pris en charge par l'administration d'accueil, et non par le programme 148.

Je me suis rendue dans les locaux strasbourgeois de l'ENA pour mieux apprécier la situation financière de l'école et ses projets de développement. J'ai rencontré le nouveau directeur, M. Patrick Gérard, très dynamique et qui a une grande ambition pour l'école.

Depuis 2013, l'ENA présente un déficit annuel compris entre 3,57 millions et 1,14 million d'euros, sur un budget total d'environ 40 millions d'euros. Pour la seule année 2017, son déficit s'est élevé à 2,84 millions d'euros. Deux facteurs expliquent ces difficultés financières : la réduction de la subvention de l'État et un développement insuffisant des ressources propres de l'ENA.

La subvention pour charges de service public constitue la principale source de financement de l'ENA : elle représente près de 80 % de ses recettes. Depuis 2010, cette subvention a été réduite de 19 %, pour s'établir à 30,17 millions d'euros en 2019. Le budget de l'ENA est particulièrement rigide : la rémunération de ses personnels et étudiants représente 74 % de ses dépenses. Il a donc subi un « effet ciseau », d'autant que l'État lui a confié de nouvelles missions de l'ENA et a augmenté le nombre d'élèves devant être accueillis, sans accroître sa subvention.

Pour compenser, l'ENA a multiplié ses actions de formation continue et de coopération européenne et internationale. Cette stratégie a permis à l'école d'augmenter ses ressources propres, qui atteignent 7,18 millions d'euros en 2018, en augmentation de 18,6 % par rapport à 2013. Elle a toutefois conduit à un éclatement de l'offre de formation de l'ENA et à la multiplication d'actions non rentables ou à faible valeur ajoutée.

L'ENA a financé ses déficits en puisant dans ses réserves. Sa structure financière reste saine, notamment parce que l'école n'a pas recouru à l'emprunt. De même, l'école a réalisé des efforts en matière de gestion en supprimant 42 emplois entre 2009 et 2018 et en réduisant ses dépenses de fonctionnement de 20 % depuis 2012.

Le nouveau directeur de l'ENA porte un plan de transformation pour concilier la maîtrise des dépenses et une stratégie ambitieuse de développement de l'école. Financièrement, l'ENA prévoit de revenir à l'équilibre budgétaire en 2020, sans qu'il soit besoin d'augmenter sa subvention pour charges de service public.

De même, l'ENA ouvrirait une seconde classe préparatoire intégrée (CPI) et un concours ad hoc serait organisé à titre expérimental pour que les scientifiques accèdent à la formation initiale de l'école.

Le programme 148 finance neuf prestations d'action sociale interministérielles, qui tendent à améliorer les conditions de vie des agents en matière de restauration, de logement, de loisirs et de prise en charge de la petite enfance. Dans le PLF pour 2019, les crédits consacrés à ces prestations sont stabilisés à 119,85 millions d'euros.

Le PLF pour 2019 maintient les trois outils d'appui aux ressources humaines du programme 148 pour un montant total de 4,58 millions d'euros : le fonds d'innovation RH, le fonds interministériel d'amélioration des conditions de travail et le fonds des systèmes d'information RH.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148.

Je souhaitais également aborder les primes dans la fonction publique, en particulier le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP). Cet instrument, qui a vocation à se substituer à l'ensemble des primes et indemnités versées aux agents, a trois objectifs : harmoniser et simplifier le régime indemnitaire des agents, rendre le versement des primes plus transparent et valoriser leur engagement individuel et leur manière de servir.

Le RIFSEEP comprend deux composantes : l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) et le complément indemnitaire annuel (CIA).

L'IFSE est fixée selon la nature des fonctions exercées par l'agent. Son montant est réexaminé au moins tous les quatre ans ou lorsque l'agent change de poste.

Le CIA valorise l'engagement professionnel de l'agent et sa manière de servir. Son montant est réexaminé chaque année, après l'entretien d'évaluation. Le CIA est une composante facultative du RIFSEEP : l'employeur décide, ou non, de le mettre en oeuvre en fonction de sa stratégie en matière de ressources humaines. Dans la fonction publique d'État, son montant est plafonné entre 10 % et 15 % du montant total du RIFSEEP ; ce plafond ne s'applique pas à la fonction publique territoriale.

Initialement, le RIFSEEP devait être généralisé dans la fonction publique d'État entre mai 2014 et janvier 2017. Actuellement, il ne couvre que 360 000 agents d'État, soit 23 % de l'effectif total, répartis dans 265 corps ou emplois. En moyenne, ce régime indemnitaire représente une prime annuelle d'un montant de 7 341 euros bruts par agent de l'État, dont 6 741 euros pour l'IFSE et 600 euros pour le CIA.

149 corps ou emplois de l'État sont aujourd'hui exclus du RIFSEEP, dont 55 qui dépendent des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Leur éventuelle entrée dans ce dispositif doit faire l'objet d'un réexamen avant le 31 décembre 2019.

Certaines exclusions se justifient par les spécificités des corps ou emplois concernés : militaires, policiers, surveillants pénitentiaires, douaniers... D'autres sont beaucoup plus étonnantes. Ainsi, plusieurs corps ou emplois de la haute fonction publique conservent un régime indemnitaire spécifique, et souvent plus avantageux : secrétaires généraux de ministère, directeurs d'administration centrale, inspecteurs généraux des finances, ingénieurs des mines... Cette exclusion, de fait, des hauts fonctionnaires de l'État paraît entrer en totale contradiction avec l'objectif d'harmonisation et de transparence du RIFSEEP, ce que l'on peut regretter.

Dans la fonction publique territoriale, le RIFSEEP est en cours de déploiement. À ce jour, 61 % des employeurs territoriaux l'ont mis en oeuvre, après avis de leur comité technique. Parmi eux, 42 % ont inclus un complément indemnitaire annuel (CIA) pour valoriser l'engagement personnel des agents.

De fortes disparités existent toutefois entre les différentes strates de collectivités territoriales. Paradoxalement, les collectivités de petite taille sont les plus engagées dans cette réforme : 81 % des communes de 3 500 à 20 000 habitants ont délibéré sur le RIFSEEP, contre seulement 55 % des communes de plus de 20 000 habitants.

La transposition du RIFSEEP s'avère particulièrement complexe pour les collectivités territoriales et leurs groupements. Les employeurs territoriaux peuvent toutefois s'appuyer sur l'expertise des centres de gestion.

En outre, les collectivités territoriales et leurs groupements sont victimes des retards de l'État : pour entrer dans le RIFSEEP, un cadre d'emplois de la fonction publique territoriale doit attendre l'adhésion du corps équivalent dans la fonction publique de l'État. À titre d'exemple, les ingénieurs territoriaux ne sont toujours pas éligibles au RIFSEEP, les ingénieurs des travaux publics de l'État - corps équivalent - n'y ayant pas encore adhéré. Il en est de même pour les techniciens territoriaux, qui dépendent de l'adhésion des techniciens supérieurs du développement durable.

Cette situation constitue une source d'incompréhension pour les agents territoriaux et de complexité pour les employeurs. M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, a d'ailleurs reconnu que l'État a « encore du travail à accomplir » en cette matière. Il y a urgence à achever le déploiement du RIFSEEP, notamment dans les filières techniques, et de mieux accompagner les employeurs.

Le complément indemnitaire annuel valorise les résultats individuels des agents. Or, de nombreux employeurs publics souhaiteraient également une approche collective, pour valoriser les résultats du service, pas uniquement de ses membres.

Cette approche collective existe depuis la création en 2011 d'une prime d'intéressement à la performance collective (PIPC). Cette prime, qui n'a malheureusement pas été intégrée dans le RIFSEEP, n'est pas suffisamment lisible et son montant reste insuffisant. Dès lors, il me semble nécessaire de compléter le RIFSEEP en y ajoutant la possibilité de valoriser les résultats du service, ce qui fédérerait les agents autour de projets.

Je souhaitais, enfin, aborder les postes de direction de la fonction publique territoriale, aussi appelés « emplois fonctionnels ». On dénombre environ 7 500 emplois fonctionnels, répartis entre les collectivités territoriales et leurs groupements. Ils sont occupés par des fonctionnaires détachés - administrateurs territoriaux, ingénieurs en chef, attachés, ingénieurs - ou, plus marginalement, par des agents contractuels de droit public.

Le système des emplois fonctionnels donne entière satisfaction aux employeurs territoriaux. Le Gouvernement souhaite toutefois remettre en cause son équilibre, en élargissant les possibilités de recourir aux agents contractuels.

Je rappelle, qu'aujourd'hui, deux procédures sont ouvertes pour recruter un agent sur un emploi fonctionnel : soit le recrutement d'un fonctionnaire détaché de son administration d'origine, soit le recrutement direct d'un agent contractuel.

Le recrutement direct est réservé aux emplois fonctionnels les plus sensibles, en fonction de seuils démographiques fixés par la loi. Ainsi, seuls les communes et les EPCI à fiscalité propre de plus de 80 000 habitants peuvent recruter un agent contractuel pour exercer la fonction de directeur général des services (DGS) ou de directeur général des services techniques (DGST). Dans la même logique, le recrutement direct d'un directeur général adjoint (DGA) est réservé aux communes et EPCI à fiscalité propre de plus de 150 000 habitants.

Actuellement, 88,5 % des emplois fonctionnels sont pourvus par des fonctionnaires par la voie du détachement ; seuls 11,5 % sont occupés par des agents contractuels.

Certes, le système des emplois fonctionnels reste complexe, car il combine trois seuils démographiques : le seuil de création du poste pour les collectivités territoriales, le seuil d'accès aux fonctions pour les fonctionnaires et le seuil d'ouverture au recrutement direct pour les agents contractuels.

Des simplifications semblent possibles, sans remettre en cause l'économie générale du dispositif ; le syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) propose ainsi de simplifier les seuils de création des emplois fonctionnels, notamment pour les petites communes.

Lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le Gouvernement et nos collègues députés ont retenu une réforme plus radicale, contre l'avis du Sénat et sans concertation avec les employeurs territoriaux, alors même qu'un projet de loi relatif à la fonction publique est en préparation. Il s'agissait d'ouvrir le recrutement d'agents contractuels pour les emplois fonctionnels des communes et EPCI à fiscalité propre de 40 000 habitants ou plus - contre plus de 80 000 ou de 150 000 habitants actuellement.

Ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel, au motif qu'elles constituaient un « cavalier » législatif.

Après avoir interrogé les syndicats des fonctionnaires territoriaux et le Gouvernement, je reste très réservée sur la multiplication des contrats pour les emplois fonctionnels. Nous en débattrons lors de l'examen du futur projet de loi relatif à la fonction publique.

À ce stade, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148.

M. Philippe Bas, président. - Je souhaite remercier Madame le rapporteur pour ce rapport très approfondi.

M. François Pillet. - Merci de ce rapport sur un sujet technique, avec de nombreux chiffres.

Je vous remercie également d'avoir évoqué le nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires, qui agite beaucoup les comités techniques paritaires dans les collectivités territoriales, notamment sur le sujet de la transparence. Qu'appelle-t-on « transparence » ? Une transparence bilatérale améliorée, entre le supérieur hiérarchique ou le maire et l'agent, dans le cadre de la notation, ou une transparence beaucoup plus générale, demandée par les syndicats, qui souhaitent rendre publiques toutes les primes ? Cette seconde interprétation représenterait une grave difficulté, notamment dans les petites communes.

M. Jérôme Durain. - Merci pour ce rapport, même si le groupe Socialiste et républicain ne partage pas l'ensemble de vos conclusions.

Le programme 148 met en oeuvre la politique de ressources humaines dans la fonction publique de l'État, et doit accompagner les mutations de celle-ci. Certains points sont clairs, comme la réduction des effectifs de la fonction publique, que nous contestons. Moins claires sont les modalités de cette réforme. Le Comité Action publique 2022 a réalisé un travail incertain, qui ne sera pas a priori poursuivi.

Nouveaux sont la multiplication des agents contractuels, la rémunération au mérite, l'encouragement à la mobilité et le dialogue social, avec notamment la fusion de certaines instances.

Sur le fond, le Gouvernement réagit à l'actualité immédiate, en arbitrant, d'un côté, sur les dépenses publiques et les choix fiscaux, et, de l'autre, sur le niveau des services publics, alors que nos concitoyens demandent le maintien de la qualité de ces services.

L'essentiel a été dit sur l'ENA et les IRA. J'attire l'attention de la commission sur l'action sociale du programme 148. Le pouvoir d'achat et les conditions d'exercice des missions sont des sujets épineux.

Enfin, nous sommes très circonspects sur la suppression des crédits du programme 148 dédiés à l'apprentissage, qui est un très mauvais signal.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je souhaite également remercier Madame le rapporteur.

La séparation des crédits interministériels par rapport aux crédits des ministères n'est pas logique, sans compter le cas particulier de la très haute administration.

Limiter la modernisation de la fonction publique à la réduction des effectifs est une vision restrictive des choses.

Je souhaiterais savoir comment évolue la répartition des crédits dévolus aux fonctionnaires titulaires, d'une part, et les crédits alloués aux contractuels, d'autre part. Nous avons l'impression qu'un jeu subtil de vases communicants est en train de se produire...

J'émettrai deux suggestions : pour trouver de l'argent pour l'ENA, surveillons de plus près le remboursement des « pantoufles » lorsque les hauts fonctionnaires partent dans le secteur privé, notamment dans les banques. Actuellement, tout n'est pas comptabilisé, même si des efforts ont été réalisés. À quoi bon fabriquer des « gens d'exception » à l'ENA...

M. Alain Marc. - Êtes-vous ironique ?

M. Pierre-Yves Collombat. - ... pour abonder le vivier de recrutement des chefs d'entreprise du CAC 40 ou des cadres bancaires ? Ce n'est pas la fonction initiale de l'ENA.

La rémunération et les primes des agents doivent être publiques ; actuellement nous ne connaissons pas ce que ces braves gens - dont beaucoup sont à Bercy - gagnent ; or, il ne s'agit pas de secrets d'État ! Si la rapporteur obtenait ces informations, je la féliciterais !

M. Vincent Segouin. - Je suis surpris que l'ENA connaisse autant de déficits budgétaires. Les prévisions financières étaient-elles de cet ordre ? Y a-t-il eu des dérapages lors de l'exécution budgétaire ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - S'agissant du RIFSEEP et de la transparence des primes, les collectivités territoriales et leurs groupements doivent délibérer sur les critères d'attribution, mais il n'y a pas de transparence sur le montant individuel donné à chaque agent ; cela relève de la vie privée.

M. Pierre-Yves Collombat. - Si l'on veut...

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Je déplore, comme notre collègue Jérôme Durain, la suppression des crédits du programme 148 dédiés à l'apprentissage. Ces crédits ont été répartis dans les autres programmes du projet de loi de finances pour 2019, mais on ne sait pas comment ils sont ventilés.

La pantoufle doit être remboursée à l'ENA lorsque l'élève quitte l'école ; mais après l'affectation au sein d'un ministère, cela dépend de chaque ministère.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est évanescent...

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Concernant le déficit de l'ENA, celui-ci est en partie dû à la réduction de la dotation de l'État, alors que ce dernier a demandé à l'école de recruter dix élèves supplémentaires par promotion. L'ENA a puisé dans ses réserves pour combler ses déficits.

M. Vincent Segouin. - L'État n'abondera-t-il pas ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Non. La dotation de l'ENA a même diminué depuis 2013.

L'ENA pourra combler son déficit en 2020, notamment en réduisant la durée de la scolarité.

M. Philippe Bas, président. - La notion de déficit présente des spécificités lorsqu'on l'applique à un établissement public administratif. Il s'agit moins d'une mauvaise gestion de l'ENA que le fait que l'État, pour réduire ses dotations et réaliser des économies, demande aux établissements publics de réduire leur trésorerie sur plusieurs années.

Lorsque les disponibilités de l'ENA seront a minima, l'État ne pourra plus réduire les dotations sans remettre en question l'existence de l'établissement. Il s'agit donc plutôt d'une stratégie financière.

M. Jean-Luc Fichet. - L'ENA a vendu un bâtiment pour abonder ses crédits de fonctionnement ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Non, elle a vendu ce bâtiment au début des années 1990, à la suite de son déménagement à Strasbourg.

M. Jean-Luc Fichet. - Cela reste un appauvrissement, puisqu'une partie de cette vente abonde les crédits de fonctionnement.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Économie » - Programme « Développement des entreprises et régulations » - Examen du rapport pour avis

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Notre commission des lois s'est saisie pour avis des crédits affectés au programme « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie », au titre de ses compétences en matière de droit des entreprises, de simplification de leur environnement juridique, de protection économique et de sécurité des consommateurs, de régulation des marchés et de mise en oeuvre du droit de la concurrence.

Ce programme regroupe l'ensemble des crédits consacrés au soutien aux entreprises, auxquels s'ajoutent d'importantes dépenses fiscales - estimées en 2019 à 28,1 milliards d'euros - ainsi que les crédits destinés aux missions de protection des consommateurs et de régulation concurrentielle des marchés. Il relève du ministre de l'économie et des finances. Sa mise en oeuvre incombe, pour une large part, à la direction générale des entreprises (DGE) et à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en administration centrale comme dans les services déconcentrés, ainsi qu'à l'Autorité de la concurrence.

Le projet de loi de finances pour 2019 prévoyait initialement une diminution très forte des crédits, de 13,16 % pour les autorisations d'engagement et de 7,8 % pour les crédits de paiement, sur un périmètre quasiment inchangé par rapport à 2018. L'Assemblée nationale a ramené cette diminution à 10,9 % pour les autorisations d'engagement et 6,35 % pour les crédits de paiement, dont les montants s'élèveraient respectivement à 914 et 919 millions d'euros en 2019. Cette forte diminution est justifiée par la nécessité de réduire les déficits publics et de réorganiser les services de l'État pour qu'ils interviennent plus efficacement et à un moindre coût. Mon avis est favorable, puisqu'il s'agit de réduire les dépenses publiques, de réorganiser les services de l'État et d'être plus efficace à moindre coût, grâce à des partenariats avec d'autres acteurs.

Des trois administrations précitées, seule l'Autorité de la concurrence serait préservée. En effet, les crédits de paiement qui lui sont alloués s'élèveront à 22,6 millions d'euros en 2019, en hausse de 4,55 %, et retrouveront leur niveau de 2017, alors qu'en 2018 ces crédits étaient en baisse de 4,19 %. Ses effectifs seront eux aussi stabilisés, avec un plafond de 197 emplois correspondant également au niveau de 2017.

L'activité de l'année 2017 a été très soutenue pour l'Autorité de la concurrence, avec un record de 236 décisions d'autorisation de concentration, après 230 en 2016. Elle s'est située dans la moyenne en matière de pratiques anticoncurrentielles, avec 27 décisions. Depuis 2016, le faible taux de recours contre ses décisions suggère une meilleure acceptation par les entreprises concernées et des décisions mieux ciblées. Le taux de recours est de plus en plus faible depuis dix ans, passant de près de 34,3 % à 18,5 %.

En application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi « Macron », l'Autorité de la concurrence doit également rendre des avis sur les règles de détermination des tarifs et en matière de liberté d'installation de certaines professions réglementées juridiques et judiciaires. Cette activité consultative est très soutenue depuis 2017 - elle l'a été un peu moins l'année dernière.

Les avis sur la liberté d'installation doivent être rendus au moins tous les deux ans. S'agissant des notaires, l'Autorité de la concurrence avait proposé en 2016 la nomination de 1 650 nouveaux notaires d'ici à 2018. Son avis avait été suivi par le Gouvernement et plus de 36 000 candidatures avaient été enregistrées, exigeant un lourd processus de tirage au sort. À l'issue de ce processus suscitant certaines difficultés, 1 620 nouveaux notaires ont été nommés et 1 666 nouveaux offices créés - certains notaires intervenant dans l'un ou l'autre office. Le retard important qui subsistait l'année dernière a été comblé : à 30 notaires près, tous les offices ont été créés. Dans un deuxième avis en date du 31 juillet dernier, l'Autorité a proposé la nomination de 700 nouveaux notaires d'ici 2020. Le Gouvernement n'a pas encore pris l'arrêté requis, mais ce retard est compréhensible. Par comparaison, il a fallu un an pour prendre l'arrêté du 28 décembre 2017 sur les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, alors que l'avis datait de décembre 2016.

Comme en 2018, la DGCCRF connaîtra, en 2019, une baisse de 2,22 % de ses crédits de paiement et la suppression de 45 emplois, en administration centrale et dans les services déconcentrés. Son plafond d'emplois sera fixé à 2 959.

Pour que cette administration assure pleinement sa mission de contrôle et de protection des consommateurs, il importe de recentrer ses missions et de réorganiser ses services déconcentrés. Elle ne peut assurer le même travail avec des effectifs et un budget en baisse. Le Gouvernement veut une réorganisation structurelle. Compte tenu des choix opérés en matière de réforme de l'organisation territoriale de l'État, cette réorganisation attendue ne pourra se faire qu'au niveau départemental, alors qu'une régionalisation aurait peut-être été plus pertinente.

La direction générale des entreprises (DGE) connaîtra aussi une nouvelle diminution de ses effectifs en 2019, dans des proportions bien plus fortes que les années précédentes. Le plafond d'emplois sera réduit de 1 514 à 1 418. Cette réduction concernera essentiellement les services déconcentrés, et notamment les pôles 3E des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), avec un recentrage de leurs missions sur des services ciblés.

Une telle évolution tire les conséquences du manque de moyens de l'État et de la montée en puissance des régions dans le domaine du développement économique local. À titre personnel, je souscris à une telle démarche - et vous m'aviez suivi l'an dernier : il faut rationaliser le travail des acteurs chargés du soutien aux entreprises et de leur développement.

Je regrette cependant que la réforme des Direccte n'ait donné lieu à aucune concertation préalable avec les régions, méthode témoignant du manque habituel de coordination entre les services de l'État et les régions et les autres acteurs locaux.

Sur le terrain, sous l'effet des contraintes budgétaires, l'articulation entre les différents acteurs s'améliore, notamment entre les régions et les chambres de commerce et d'industrie dans le cadre de la mise en oeuvre - et non plus seulement de la conception - des nouveaux schémas régionaux du développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).

L'année 2019 devrait aussi voir se concrétiser le partenariat « Team France Export »...

M. Pierre-Yves Collombat. - En français dans le texte !

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - ... entre Business France et les chambres de commerce et d'industrie (CCI), associant également les régions. D'après leurs représentants, les chambres des métiers et de l'artisanat n'ont pas le même traitement que les CCI, il apparaît en effet qu'elles ne sont pas toujours des interlocuteurs habituels des régions. La situation est sans doute perfectible dans ce domaine.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations et de ces évolutions positives, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

M. Philippe Bas, président. - La commission y sera également favorable.

M. Jean-Luc Fichet. - Le programme « Développement des entreprises et régulations » regroupe les instruments de soutien aux entreprises, notamment les PME et les entreprises de taille intermédiaire des secteurs de l'industrie, du commerce, de l'artisanat, des services et du tourisme, et représente 60 % des crédits de la mission « Économie ». En 2019, dans le projet de loi de finances tel que déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, les crédits de paiement du programme s'établiraient à 905,5 millions d'euros, en baisse de 76,5 millions d'euros par rapport à 2018, soit 7,8 %. Outre la réduction globale des crédits, le Gouvernement supprime deux actions : le financement des entreprises via la suppression d'une subvention de 40 millions d'euros à BPI France au titre de son activité de garantie et de prêt aux entreprises, soi-disant en raison de l'amélioration du contexte économique, ainsi que la ligne sur le développement du tourisme, en raison d'une « refonte budgétaire ». Ces crédits auraient dû été transférés au Quai d'Orsay : c'est faux. Cette dernière subvention touchait deux associations importantes organisant des vacances pour les enfants défavorisés : Vacances et familles, à hauteur de 100 000 euros, et Vacances ouvertes, pour 40 000 euros.

Par ailleurs, nous regrettons la disparition du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), même si le programme « Action coeur de ville » est censé le compenser pour 222 villes.

Les notaires verront leur nombre augmenter et seront plus efficaces, mais cette réforme ne bénéficie pas au milieu rural, d'autant que ces notaires sont plus intéressés par des activités mercantiles que par le conseil.

Nous nous abstiendrons, voire voterons contre ce programme.

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Les chambres des métiers et de l'artisanat tiennent particulièrement au Fisac, qui est en voie d'extinction. L'Assemblée nationale a rétabli ce fonds à hauteur des crédits prévus en 2018, tandis que la commission des finances du Sénat a porté la dotation du Fisac à 30 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, au-delà du niveau fixé par l'Assemblée nationale. C'est un programme cohérent, soutenu par toutes les chambres consulaires, qui ne comprennent pas pourquoi le Gouvernement crée l'opération « Action coeur de ville », tout en éteignant le Fisac, alors que celle-ci pourrait en faire partie.

M. Jacques Mézard. - Le Fisac n'a rien à voir avec les opérations « Action coeur de ville ». J'ai toujours défendu le maintien du Fisac. Les opérations « Action coeur de ville » regroupent des crédits d'Action logement, de la Caisse des dépôts et consignations, des fonds de l'État émanant de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Maintenir le Fisac serait utile, de même que la prime à l'aménagement du territoire (PAT), même si Bercy a toujours voulu supprimer ces deux dispositifs.

M. Jean-Luc Fichet. - Le programme « Action coeur de ville » est présenté comme une réponse à la dévitalisation des centres-bourgs et des centres-villes. La justification n'est peut-être pas la bonne, mais les territoires ruraux le vivent très mal, d'autant que le Fisac est efficace.

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Tout à fait, ce n'est pas la même chose. Le réseau consulaire ne comprend pas les raisons de l'opération « Action coeur de ville », qui ne concerne que 222 villes moyennes, ni la remise en cause du Fisac, alors que ce fonds concerne la ruralité. J'aurais préféré une politique de revitalisation Coeur de bourg, pour les villes moyennes et les cibles du Fisac.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie ».

La réunion est close à 10 h 45.

Mercredi 21 novembre 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 8 h 40

Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement des juridictions - Désignation des candidats pour faire partie des éventuelles commissions mixtes paritaires

La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Yves Détraigne, Mme Muriel Jourda, MM. Jacques Bigot, Jean-Pierre Sueur et Thani Mohamed Soilihi comme membres titulaires et de Mmes Éliane Assassi, Maryse Carrère, Catherine Di Folco, Marie-Pierre de la Gontrie, MM. Henri Leroy, Hervé Marseille et Mme Catherine Troendlé comme membres suppléants des deux éventuelles commissions mixtes paritaires sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et le projet de loi organique relatif au renforcement des juridictions.

Proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs - Examen des amendements

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article additionnel avant l'article 1er

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Aujourd'hui, le mandat de député ou de sénateur est incompatible avec l'exercice de plus d'un mandat local non exécutif, sauf pour les communes de moins de 1 000 habitants.

L'amendement n°  7 de notre collègue Jacques Mézard vise à supprimer cette incompatibilité pour les suppléants de sénateur ou de député. En effet, certains sont contraints de quitter leur mandat local pour siéger au Parlement, parfois de manière brève.

On comprend la logique mais cet amendement dépasse largement le champ de la proposition de loi organique. En outre, il créerait une inégalité entre les parlementaires et leurs suppléants. Les suppléants siègent parfois plusieurs années au Parlement, notamment en cas de décès du parlementaire ou de cumul des mandats. Avec cet amendement, un suppléant serait mieux traité qu'un parlementaire : il serait totalement exempté de cette incompatibilité. Je demande le retrait de cet amendement ou, à défaut, y serai défavorable.

M. Philippe Bas, président. - Notre collègue Jacques Mézard n'a toutefois pas tort de penser que le régime des incompatibilités adopté il y a quelques années ne donne pas pleine satisfaction.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  7 ou, à défaut, y sera défavorable.

Articles additionnels après l'article 1er

M. Vincent Segouin, rapporteur. - L'amendement n°  1 rect. de notre collègue Henri Cabanel tend à imposer un casier judiciaire vierge pour se présenter aux élections législatives et sénatoriales. Il remplacerait les peines d'inéligibilité qui sont prononcées au cas par cas par le juge. Ce débat existe depuis plusieurs années et nous partageons un objectif commun : garantir la probité de la vie publique.

Le Parlement a toutefois rejeté cet amendement à de nombreuses reprises car il soulève des difficultés sur le plan constitutionnel.

En juillet 2017, la garde des sceaux a clairement rappelé que ce dispositif pouvait être assimilé à une peine automatique. Il est, certes, applicable aux concours de la fonction publique mais le droit fondamental d'exercer un mandat électif va au-delà de la carrière professionnelle.

En outre, la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017 a déjà prévu un mécanisme alternatif, déclaré conforme à la Constitution : elle a créé une peine d'inéligibilité obligatoire pour certains crimes et délits, sauf décision contraire du juge.

Enfin, le dispositif proposé par l'amendement serait moins efficace que le droit en vigueur. En effet, une mention sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire peut être effacée six mois après la condamnation. Certains condamnés pourraient ainsi obtenir la radiation de cette mention et d'autres non, sans que l'on puisse s'assurer de la cohérence de ces décisions.

Je demande le retrait de cet amendement ou, à défaut, y serai défavorable.

M. Philippe Bas président. - Je pense que l'auteur de cet amendement a voulu rappeler l'engagement du Président de la République pendant la campagne présidentielle. Toutefois, le Président de la République a lui-même convenu que cette promesse ne pouvait être tenue sans modifier la Constitution. Pour l'heure, un tel amendement est inconstitutionnel, mais nous pourrions être amenés à revenir sur ce sujet dans les semaines prochaines.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  1 rect. ou, à défaut, y sera défavorable.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - L'amendement n°  4 rect. de notre collègue Alain Joyandet supprime l'incompatibilité entre un mandat parlementaire et la présidence d'un conseil de surveillance d'une entreprise nationale ou d'un établissement public national. L'amendement n°  5 rect. est de repli : il concerne uniquement la présidence du conseil de surveillance d'un établissement public de santé.

Dans une décision du 12 avril 2018, le Conseil constitutionnel a considéré qu'un sénateur ne pouvait pas être vice-président du conseil de surveillance de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.

Les parlementaires peuvent toutefois rester membre du conseil de surveillance, sans en assurer la présidence.

Cette jurisprudence est particulièrement complexe et il y a sans doute des marges de progression. D'une manière générale, un « toilettage » semble nécessaire concernant les incompatibilités. Ces questions pourraient être abordées lors des prochaines réformes institutionnelles. En l'état, elles dépassent le champ de la proposition de loi organique, que la commission propose d'ailleurs de ne pas adopter.

Mme Jacky Deromedi. - Nous sommes particulièrement attachés à ces amendements. La présidence d'un conseil de surveillance est une fonction bénévole, qu'il est important de conserver afin de mieux comprendre le fonctionnement des hôpitaux.

M. Philippe Bas, président. - Sur le fond, je partage l'objectif de ces amendements. Le mandat de président du conseil de surveillance n'implique pas de pouvoir décisionnel ni exécutif, contrairement aux conseils d'administration des hôpitaux. C'est une question qui mérite d'être soulevée.

Néanmoins, le rapporteur a raison. On peut difficilement adopter ces amendements, tout en rejetant in fine la proposition de loi organique.

La commission demande le retrait des amendements nos  4 rect. et 5 rect. ou, à défaut, y sera défavorable.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - L'amendement n°  3 de notre collègue Jean-Pierre Grand concerne le remplacement des conseillers municipaux ressortissants d'un État membre de l'Union européenne autre que la France pour la désignation des délégués sénatoriaux.

Les élus de nationalité étrangère n'ont pas le droit de participer à cette désignation. Aujourd'hui, ils sont remplacés par les premiers candidats non élus au conseil municipal. Notre collègue propose de supprimer le recours à ces candidats non élus, dans un souci de simplification.

Cet amendement se rattache au droit de vote et d'éligibilité des citoyens européens et a donc pour fondement l'article 88-3 de la Constitution. Or, la proposition de loi organique a pour fondement l'article 25 de la Constitution, qui traite notamment du régime des inéligibilités et des incompatibilités applicables aux parlementaires.

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'amendement n° 3 est un « cavalier organique ». Je propose donc de le déclarer irrecevable.

L'amendement n°  3 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Même raisonnement pour l'amendement n°  2 de notre collègue Jean-Pierre Grand.

L'amendement n°  2 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Article 2

M. Vincent Segouin, rapporteur. - L'amendement n°  6 rect. de notre collègue Alain Joyandet est de cohérence avec les amendements nos 4 rect. et 5 rect., dont nous avons demandé le retrait.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  6 rect. ou, à défaut, y sera défavorable.

M. Alain Richard. - Monsieur le Président, je suggère qu'un point soit fait lors d'une prochaine réunion sur le durcissement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de « cavaliers ». Le Conseil constitutionnel examine désormais systématiquement ce point. En outre, l'interprétation sur ce qui se rattache à l'objet initial du texte est beaucoup plus stricte.

M. Philippe Bas, président. - Le Sénat s'efforce d'appliquer les mêmes règles que le Conseil constitutionnel. Il est d'ailleurs beaucoup plus strict que l'Assemblée nationale. J'adhère volontiers à votre proposition cher collègue.

M. Pierre-Yves Collombat. - Si on continue dans cette direction, on gagnerait beaucoup de temps à confier le pouvoir législatif directement au Conseil constitutionnel ! Il faut regarder sur le long terme ce qui est en train de se passer, au détriment de l'initiative parlementaire.

M. Philippe Bas, président. - Cher collègue, je ne suis pas d'accord avec vos propos. Le pouvoir d'amendement du Parlement est large. Mais, il n'est pas dépourvu de sens d'empêcher l'examen d'amendements qui n'ont rien à voir avec le texte en cours de discussion.

Les « cavaliers » ne peuvent pas être examinés avec la même acuité par le rapporteur, qui n'est pas forcément compétent dans ces nouveaux domaines, surtout en l'absence d'audition. Il y a donc un risque que l'examen de ces « cavaliers » ne se fasse pas dans de bonnes conditions.

Lorsque nous sommes dans nos territoires, les élus locaux se plaignent des normes qui se multiplient. Il me paraît utile d'avoir des garde-fous.

La commission adopte les avis suivants sur les amendements déposés sur la proposition de loi organique :

Auteur

Avis de la commission

Article additionnel avant l'article 1er

M. MÉZARD

7

Demande de retrait

Articles additionnels après l'article 1er

M. CABANEL

1 rect.

Demande de retrait

M. JOYANDET

4 rect.

Demande de retrait

M. JOYANDET

5 rect.

Demande de retrait

M. GRAND

3

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat

M. GRAND

2

Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat

Article 2
Conditions d'entrée en vigueur

Auteur

Avis de la commission

M. JOYANDET

6 rect.

Demande de retrait

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'examen de ce rapport pour avis s'inscrit dans le contexte particulier du congrès des maires, devant lequel le Président du Sénat doit s'exprimer ce matin.

Les collectivités territoriales sont priées d'être satisfaites : pour elles, le budget 2019 n'est ni vraiment meilleur, ni vraiment pire que celui de 2018.

Les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales sont même en légère progression de 400 millions d'euros en euros courants, grâce à la reprise de l'investissement local et à la hausse du FCTVA, mais aussi parce que l'on fait payer aux collectivités le prix de la reconstruction de Saint Martin - j'y reviendrai.

Bien sûr, les esprits chagrins relèveront que cette légère hausse en valeur correspond à une baisse d'environ 1 % en volume, compte tenu des prévisions d'inflation.

Ils remarqueront aussi que, dans l'ensemble, les crédits destinés aux territoires sont en nette diminution : ainsi, les sommes consacrées aux contrats aidés baissent de 800 millions d'euros, après 1 milliard d'euros en 2018. En outre, les agences de l'eau, qui ont subi un prélèvement de 500 millions d'euros en 2018 sur leurs ressources, subiront l'an prochain une nouvelle ponction. Il en va de même des offices HLM, qui ont été contraints de compenser la hausse des APL décidée par le Gouvernement pour un coût de 800 millions d'euros en 2018, 800 millions en 2019 et 1,5 milliard en 2020.

Mais, je le répète, les concours financiers de l'État au sens juridique du terme sont à peu près stables.

La mission « Relations avec les collectivités territoriales », comme vous le savez, n'en regroupe qu'une faible partie. L'essentiel des concours financiers de l'État est constitué de prélèvements sur recettes, prévus en première partie de la loi de finances, auxquels il faut désormais ajouter la « TVA des régions ».

La mission regroupe un ensemble assez hétéroclite de dotations de fonctionnement et d'investissement, outre les crédits de la direction générale des collectivités locales (DGCL).

Elle est composée de deux programmes. Le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » rassemble, pour l'essentiel, la dotation générale de décentralisation et des dotations d'investissement.

Je souhaite tout d'abord évoquer la dotation générale de décentralisation ou DGD. Comme vous le savez, les transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales, ainsi que les créations et extensions de compétences locales, ont fait l'objet de compensations financières avant même que le principe en soit inscrit dans la Constitution en 2003. Cette compensation prend principalement la forme du transfert de produits d'impôts nationaux, mais elle passe aussi, subsidiairement, par une dotation : la DGD.

Cette dotation est gelée en valeur depuis 2009, ce qui lui aura fait perdre en onze ans environ 11 % de sa valeur réelle.

On peut s'interroger sur la constitutionnalité de ce gel de la DGD. En effet, les transferts de compétences de l'État sont soumis depuis 2003 à l'exigence d'une compensation financière intégrale : l'État doit transférer aux collectivités bénéficiaires du transfert des ressources équivalentes à celles qu'il consacrait auparavant à l'exercice des mêmes compétences. Dans le commentaire de la décision du 13 janvier 2005 du Conseil constitutionnel, il est écrit que le maintien de ressources équivalentes doit s'apprécier « en euros constants » ce qui implique « une règle d'indexation sur l'érosion monétaire » des compensations financières. Le Conseil constitutionnel n'a jamais eu à se prononcer sur le gel de la DGD, mais ce pourrait bien être le cas un jour...

Le programme 119 regroupe aussi d'importantes dotations d'investissement aux collectivités territoriales.

En premier lieu, il réunit trois dotations d'investissement aux communes et à leurs groupements : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Les crédits destinés à ces trois dotations sont stables, mis à part une baisse de 45 millions d'euros de la DSIL, correspondant aux sommes dévolues jusqu'ici aux contrats de ruralité. En deux ans, le montant total de ces dotations aura tout de même baissé de 300 millions d'euros...

En second lieu, le programme comprend la dotation globale d'équipement des départements, qui serait supprimée en 2019 pour être remplacée par un système de subventions : j'y reviendrai. Cette réforme explique à la fois la hausse des autorisations d'engagement et la forte baisse des crédits de paiement.

Le programme 122 « Concours spécifiques et administration » réunit des aides diverses aux collectivités territoriales confrontées à des situations exceptionnelles, les crédits de la DGCL et quelques dotations destinées à plusieurs collectivités ultramarines. Il n'appelle pas de remarques particulières, si ce n'est que le Gouvernement y a inclus un fonds d'aide de 50 millions d'euros pour la reconstruction de Saint-Martin. Cette aide financière est évidemment indispensable. Mais il est pour le moins contestable qu'elle soit prélevée sur l'enveloppe des concours financiers aux collectivités territoriales... L'État manifeste sa solidarité avec l'argent des autres !

J'en viens aux articles rattachés à la mission. Comme vous le savez, la répartition des dotations aux collectivités territoriales relève de la seconde partie de la loi de finances, c'est-à-dire des articles rattachés à la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Cette année, deux sujets méritent de retenir tout particulièrement l'attention de la commission des lois : la répartition des dotations d'investissement et la réforme de la dotation d'intercommunalité, qui est une composante de la dotation globale de fonctionnement.

En ce qui concerne la répartition des dotations d'investissement, les trente dernières années ont été marquées par une lente recentralisation des pouvoirs.

Jusqu'à la fin des années 1970, les recettes réelles d'investissement des collectivités territoriales provenaient pour l'essentiel de subventions attribuées par l'État, soit au niveau déconcentré (par le préfet de département), soit même au niveau central (par les ministères).

Lors des grandes heures de la décentralisation, il apparut nécessaire de donner prise aux élus locaux sur les moyens dont ils disposaient pour investir. Le gouvernement de Raymond Barre, puis celui de Pierre Mauroy proposèrent donc de remplacer la plupart des subventions ministérielles par une dotation globalisée et libre d'emploi : la dotation globale d'équipement (DGE).

Gaston Deferre, ministre de l'intérieur et de la décentralisation du gouvernement Mauroy, écrivait en 1982 : « Dans de nombreux domaines, les communes et les départements ont déjà le pouvoir juridique d'agir, sans disposer de moyens suffisants pour intervenir seuls. Ils sont amenés à solliciter des subventions de l'État dont l'octroi est souvent l'occasion d'exercer une véritable tutelle sur les choix des élus. La décision d'attribution permet parfois d'exercer un réel contrôle d'opportunité et d'obliger les collectivités locales à respecter telle ou telle prescription. ». En lisant ces lignes, on mesure combien les esprits ont changé depuis quarante ans...

M. Pierre-Yves Collombat. - Beaucoup, en effet ...

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - La création de la dotation globale d'équipement des communes et des départements, prévue par le projet de loi « Bonnet » de 1978, puis par la loi du 2 mars 1982, fut enfin concrétisée en 1984.

Le fonctionnement de la DGE était fondé sur un principe simple : la loi fixait la liste des investissements locaux éligibles au soutien de l'État, et un concours financier leur était attribué de plein droit, sur la base d'un taux de concours (obtenu en divisant l'enveloppe de la DGE par le montant total des investissements éligibles). La répartition de la DGE dépendait donc des décisions d'investissement des collectivités, et d'elles seules.

Certes, la DGE des communes connut rapidement des dysfonctionnements. Comme le montant total de la dotation était faible et l'assiette des investissements éligibles très large, le taux de concours de l'État était très bas : 2,2 % en 1984. Pour les petites communes, qui ne se lançaient pas chaque année dans de grands projets d'investissement, ce taux de concours était très insuffisant. Pour les grandes communes, la DGE représentait beaucoup de paperasserie pour pas grand-chose.

C'est pourquoi la DGE des communes connut une longue suite de réformes, avant de disparaître au profit de la DETR en 2011, ce qui marquait le retour à un régime de subventions. Toutefois, on n'avait pas encore tout à fait perdu de vue les principes de la décentralisation, et c'est pourquoi on créa une commission d'élus - la commission DETR dans laquelle plusieurs d'entre nous siégeons - chargée de contrôler la répartition des enveloppes départementales par le préfet.

On ne s'embarrassa pas des mêmes précautions lorsque l'on créa la DSIL, répartie par les préfets de région sans aucun contrôle des élus.

Quant à la DGE des départements, elle a subsisté jusqu'à ce jour malgré plusieurs réformes.

Dès lors qu'une dotation est distribuée sous forme de subventions, l'autorité administrative de l'État dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour décider des attributions, pouvoir qui n'est encadré que par des règles et procédures très peu contraignantes.

Ces décisions sont rendues dans une certaine opacité. En effet, elles n'ont pas à être motivées, puisqu'elles n'entrent pas dans le champ de l'obligation de motivation des décisions administratives individuelles. Ce qui est plus surprenant, s'agissant de la distribution de fonds publics, c'est que les subventions au titre de la DETR et de la DPV ne font l'objet d'aucune publication.

M. Philippe Bas, président. - La réserve parlementaire était plus transparente...

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne la DETR, la commission d'élus chargée de contrôler sa répartition n'exerce que des prérogatives limitées : elle fixe chaque année les catégories d'opérations prioritaires et les taux minimaux et maximaux de subvention. En outre, elle donne un avis sur les projets de subvention supérieurs à 100 000 euros. Mais puisqu'elle n'a pas connaissance de l'ensemble des demandes de subvention adressées à la préfecture, elle n'a pas les moyens d'exercer un véritable contrôle sur les choix d'opportunité du préfet.

Le juge administratif n'exerce sur les décisions de subventionnement qu'un contrôle restreint, qui se rapproche même d'un contrôle minimum. En principe, le juge vérifie que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des opérations à subventionner. Dans les faits, je n'ai trouvé aucune trace d'une décision où le juge ait annulé une décision de subventionnement ou un refus de subvention pour ce motif.

La recentralisation à l'oeuvre dans les modalités de répartition des dotations d'investissement est d'autant plus préoccupante que ces dotations et les autres subventions d'investissement que les collectivités reçoivent de l'État représentent une part croissante des ressources dont elles disposent pour investir.

Au cours des dernières années, le montant des dotations et subventions d'investissement est resté à peu près stable, tandis que celui des dotations de fonctionnement baissait brutalement. Autrement dit, l'État consent à distribuer des subventions aux collectivités, tout en comprimant les marges dont elles disposent pour s'autofinancer. Certes, l'excédent de fonctionnement des collectivités est resté remarquablement stable, grâce à leurs efforts de gestion et à la hausse de la fiscalité locale et des redevances. Il n'en reste pas moins que, parmi les ressources dont les collectivités disposent pour investir, la part de l'épargne nette recule au profit des subventions.

Il m'a semblé à tout le moins nécessaire d'y voir plus clair sur les décisions de subventionnement prises par les préfectures. C'est pourquoi, lors de l'envoi du questionnaire budgétaire, j'ai demandé au Gouvernement que me soit adressée la liste des subventions attribuées au titre de la DETR dans tous les départements français, en 2017 et en 2018. On m'a répondu que l'administration centrale n'en disposait pas. J'ai donc écrit le 22 octobre à tous les préfets de département pour obtenir communication de ces listes, sur le fondement du code des relations entre le public et l'administration. J'ai reçu à ce jour une grosse cinquantaine de réponses, et je tiens à remercier les préfets qui m'ont fait parvenir ces informations en temps utile, sous des formats malheureusement non harmonisés.

M. Philippe Bas, président. - Que vous ayez été contraint d'écrire aux préfets témoigne du manque de respect de l'exécutif vis-à-vis du Parlement...

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Sans doute. Ces documents mériteront d'être analysés de manière plus approfondie. Il m'a déjà été possible d'en tirer quelques enseignements.

En premier lieu, les pratiques sont extrêmement diverses d'un département à l'autre. Certains préfets font le choix de subventionner un très grand nombre de projets, y compris très modestes (jusqu'à 779 projets par département !), tandis que d'autres concentrent les crédits de la DETR sur des projets plus importants. Même entre des départements comparables, les choix peuvent être très différents. En 2017, la subvention moyenne était d'environ 46 000 euros au niveau national, mais selon les départements, cette moyenne s'échelonne entre 18 000 euros et 147 000 euros.

On voit donc que le cadre légal est suffisamment souple pour permettre aux préfets et aux commissions DETR se s'adapter aux besoins locaux. Je ne le remets nullement en cause.

Deuxième enseignement, les plus grosses opérations absorbent une partie importante de la DETR. En moyenne, celles dont le coût est supérieur à 500 000 euros, qui ne représentent que 8 % des opérations subventionnées, récoltent près de la moitié de l'enveloppe, tandis que les projets de moins de 50 000 euros n'en récoltent que 10 %. Le coût moyen des opérations subventionnées s'établit à 150 000 euros, contre 100 000 euros pour l'ancienne réserve parlementaire. On comprend donc que les petites communes rencontrent aujourd'hui des difficultés pour financer des projets de faible ampleur.

Troisième enseignement, l'abaissement de 150 000 euros à 100 000 euros de subvention du seuil au-delà duquel la commission DETR doit être consultée n'a pas engorgé celle-ci, comme on l'a entendu dire l'an dernier. Le nombre de dossier supérieurs au nouveau seuil oscille entre 3 et 57 par département.

En ce qui concerne la DSIL, le Gouvernement a été en mesure de nous fournir l'ensemble des attributions en 2017. Il en ressort que la DSIL est une dotation extrêmement hétérogène, qui finance aussi bien de tout petits projets que des projets de plusieurs centaines de milliers, voire de plusieurs millions d'euros.

Comme vous vous en souvenez, la commission des lois avait proposé l'an dernier que la répartition de la DSIL fût redescendue des préfets de région aux préfets de département, qui connaissent mieux les élus locaux et les besoins du terrain. Le Gouvernement nous avait opposé deux objections : d'une part, la DSIL aurait vocation à financer des projets d'ampleur régionale (alors même qu'il s'agit d'une dotation destinée aux communes et à leurs groupements) ; d'autre part, la définition d'enveloppes régionales permettrait d'opérer une forme de redistribution entre départements riches et pauvres.

Les statistiques que nous avons obtenues montrent que ce dernier argument ne tient guère. L'enveloppe régionale est le plus souvent répartie entre les départements au prorata de leur population. Et lorsque ce n'est pas tout à fait le cas, les écarts ne s'expliquent pas toujours par la richesse respective des départements.

Je vous proposerai donc plusieurs amendements sur ces dotations d'investissement au bloc communal, pour améliorer leur répartition et renforcer le contrôle des élus locaux.

En ce qui concerne la DGE des départements, le projet de loi de finances prévoit de la remplacer par une dotation de soutien à l'investissement départemental, répartie pour l'essentiel sous forme de subventions par les préfets de région. L'Assemblée des départements de France nous a dit ne pas avoir été consultée. Pour ma part, il me semble inconcevable d'accepter une telle réforme, qui constitue un retour en arrière par rapport aux lois de décentralisation, sans aucune concertation préalable. La DGE mérite sans doute d'être réformée, car l'assiette des investissements éligibles est en partie obsolète, mais pas de cette façon !

Le second sujet qui mérite de retenir l'attention de la commission des lois, c'est la réforme de la dotation d'intercommunalité. En effet, parmi les dotations de fonctionnement, la dotation d'intercommunalité a ceci de spécifique qu'elle a une incidence directe sur l'architecture institutionnelle locale. Par son existence même et par ses modalités de répartition, elle constitue une incitation à l'intégration intercommunale.

L'exercice par les EPCI à fiscalité propre des compétences qui leur ont été transférées est, en principe, financé par les ressources fiscales qu'ils perçoivent en lieu et place des communes. En attribuant à ces EPCI une dotation spécifique, l'État assure un surplus de moyens financiers aux territoires où les communes se sont regroupées dans de tels établissements - ce qui est désormais le cas de la quasi-intégralité du territoire national, à l'exception des quelques communes insulaires.

Par ailleurs, les règles de répartition de la dotation d'intercommunalité font la part belle aux territoires les plus intégrés. En effet, cette dotation est actuellement divisée en quatre enveloppes, destinées respectivement aux communautés urbaines et aux métropoles, aux communautés d'agglomération, aux communautés de communes à fiscalité professionnelle unique et aux communautés de communes à fiscalité additionnelle. Le montant de dotation par habitant diffère selon la catégorie juridique d'EPCI à fiscalité propre, au profit des catégories les plus intégrées. En outre, au sein des trois dernières enveloppes, la répartition de la dotation d'intercommunalité s'opère en fonction de la population de chaque établissement, de son potentiel fiscal, mais aussi de son coefficient d'intégration fiscale (CIF). Enfin, les communautés de communes à fiscalité professionnelle unique les plus intégrées bénéficient d'une dotation bonifiée.

Les modalités de répartition actuelles de la dotation d'intercommunalité ont fait l'objet de critiques récurrentes, sur lesquelles je ne m'étendrai pas. Les attributions individuelles ont été extrêmement volatiles au cours des dernières années. La répartition de la dotation pourrait même s'avérer impossible dans un avenir proche, compte tenu de la multiplicité des règles qui la régissent.

Le Gouvernement propose une réforme qui constitue un pas dans la bonne direction, mais qui reste, à mon sens, insuffisante. En particulier, la réforme ne s'attaque pas aux effets pervers du critère du coefficient d'intégration fiscale.

À la suite de la refonte de la carte intercommunale, de nombreux EPCI à fiscalité propre, devenus extrêmement vastes, ont été conduits à restituer des compétences de proximité à leurs communes membres, elles-mêmes parfois renforcées par leur regroupement en communes nouvelles. C'est le cas, par exemple, de la communauté d'agglomération du Grand Annecy - où notre collègue Mathieu Darnaud s'est rendu dans le cadre des travaux de la mission de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale - qui a restitué aux communes l'exercice des compétences relatives à la petite enfance, aux bâtiments scolaires et aux activités périscolaires, au sport, à la culture et à l'action sociale. La restitution de compétences s'étant accompagnée de celles des ressources afférentes, elle a fait baisser le coefficient d'intégration fiscale de la communauté et, par conséquent, sa dotation d'intercommunalité. En un mot, un choix de répartition des compétences guidé par le principe de subsidiarité - principe auquel nous tenons - se traduit par une perte nette de recettes pour le territoire.

Une solution à ce problème structurel pourrait être de fusionner la dotation d'intercommunalité avec la dotation forfaitaire des communes, pour créer une dotation unique des ensembles intercommunaux qui pourrait, elle, être répartie entre les communes et leurs groupements à fiscalité propre en fonction des compétences exercées par chaque échelon.

Pour l'heure, je vous proposerai un amendement visant à ce que, en cas de baisse du coefficient d'intégration fiscale d'un EPCI à fiscalité propre, la somme correspondant à la diminution de dotation d'intercommunalité qui en résulte vienne financer une dotation de consolidation répartie entre les communes membres au prorata de leur population.

Ainsi, les élus locaux pourront ajuster la répartition des compétences au niveau local en fonction des nécessités du terrain, au lieu de se déterminer selon des considérations purement financières.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie pour cet examen très approfondi et cette plongée dans l'histoire du financement par l'État des collectivités territoriales. La grande conquête de la décentralisation a été la création des dotations, en remplacement des subventions. Car une dotation est en principe libre d'emploi. Or, ces dernières années, les dotations ont été gelées ou abaissées, tandis que l'on mettait en place des systèmes de subvention - sans d'ailleurs compenser les pertes de ressources pour les collectivités territoriales. Cela constitue un recul important.

Notre rapporteur fait preuve de mesure. Il ne s'oppose pas à l'adoption des crédits de la mission, même s'ils ne donnent pas satisfaction, mais il nous soumet plusieurs amendements intéressants aux articles rattachés.

L'un des amendements vise à réserver une part de l'enveloppe départementale de la dotation d'équipement des territoires ruraux aux projets des petites communes. La disparition de la réserve parlementaire n'a pas été compensée par la DETR. En moyenne, les subventions attribuées au titre de la réserve parlementaire s'élevaient à 7 000 euros, contre 46 000 euros pour la DETR. Il y a donc aujourd'hui un angle mort dans la répartition des subventions, au détriment des projets des communes les moins peuplées - celles d'ailleurs dont les moyens sont les plus faibles.

Notre collègue propose qu'une partie des crédits soit obligatoirement affectée à ces projets locaux, et je sais que chacun de nous, parlementaires, auront à coeur de les signaler aux préfets. Il nous faudra convaincre nos collègues de la commission des finances de l'utilité de cet amendement. Des échanges sont en cours.

Un deuxième amendement vise à ce que, dans le cas où une communauté de communes restitue des compétences à ses communes membres, conformément au principe de subsidiarité, l'addition des dotations de ces communes et de la communauté ne soit pas inférieure au montant de la dotation existante avant la restitution des compétences. C'est très important dans le contexte actuel.

M. François Bonhomme. - Je remercie le rapporteur pour cet examen très précis. Je souhaite revenir sur les chiffres présentés dans ce rapport. Il est indiqué que la DSIL était de 836 millions d'euros en 2017, et qu'elle serait de 570 millions d'euros en 2019. Cela représente une baisse très sensible. En outre, il semble que les montants effectivement répartis en 2017 se soient montés à 419 millions d'euros seulement. Je souhaite comprendre d'où viennent ces différences.

M. Alain Marc. - La réserve parlementaire était très utile aux associations et aux petites communes, pour mener à bien des projets. Encore récemment, un principal de collège m'a contacté pour une aide financière afin de faire venir une classe à Paris. J'ai été au regret de répondre que la réserve parlementaire n'existait plus. Or les associations ne disposent plus des mêmes moyens. Si je prends l'exemple de l'Aveyron, avec cinq parlementaires, l'enveloppe financière de la réserve parlementaire était de de 750 000 euros. Nous sommes passés à 150 000 euros, avec un appel à candidatures et un régime d'attribution très compliqué. On constate ainsi aujourd'hui un déficit de financement des projets associatifs, ainsi que de ceux des petites communes, que la DETR ne compense pas.

En ce qui concerne la DSIL, c'est le préfet de région qui a la main. Cela pose un problème pour les départements éloignés des chefs-lieux de région, où les projets sont élaborés localement avec l'aide du sous-préfet et du préfet de département. Il y a un certain flou sur l'octroi de cette aide. Il faut, à mon sens, déconcentrer l'attribution de cette dotation, c'est-à-dire transférer le pouvoir de décision du préfet de région au préfet de département et aux sous-préfets, afin qu'ils puissent financer des projets qu'ils connaissent.

M. Jacques Bigot. - Le Sénat est désormais représenté dans les commissions DETR par un ou deux sénateurs. À mon avis, il serait utile de nous réunir et d'échanger sur les pratiques qui ont cours dans chaque département. Cela serait également l'occasion de réfléchir ensemble à des projets de réforme. Il est important de mieux utiliser cette représentation.

M. Philippe Bas, président. - Sur ce sujet, je veux souligner le travail accompli par le rapporteur. Les documents qu'il a obtenus de la part d'une cinquantaine de préfets de département constituent une source d'informations précieuse et un outil de travail dans les dossiers que nous suivons.

M. Didier Marie. - La mission « Relations avec les collectivités territoriales » ne représente qu'une petite partie des dotations de l'État versées aux collectivités locales. Elle doit être replacée dans un contexte plus général. Les maires sont mécontents. Ils l'expriment fortement. L'épisode du hashtag #BalanceTonMaire a marqué les esprits. Or 85 % des communes ont maintenu leur taux d'imposition à la taxe d'habitation, et en 2018, moins de communes ont augmenté leur taux qu'en 2017. Le contexte est très tendu.

Le Gouvernement, en présentant ce projet de budget, insiste sur trois piliers : la stabilité des concours de l'État aux collectivités, l'augmentation des dotations d'investissement et l'amélioration de la péréquation. Permettez-moi de ne pas être totalement en phase avec cette présentation.

Si la dotation globale de fonctionnement reste stable en euros courants, il faut tenir compte de l'inflation, qui pèse plus encore sur le « panier du maire » que sur les dépenses des ménages. Le Gouvernement prévoit une inflation de 1,4 % en 2019, elle devrait être de 2,2 % cette année, le panier du maire renchérit de 2,5 %. En outre, il faut mettre l'évolution des dotations en parallèle avec la baisse d'autres crédits destinés aux territoires : emplois aidés, sport, logement, moyens des agences de l'eau, etc.

En ce qui concerne l'investissement, plusieurs remarques doivent être faites. Pour ce qui est de la DETR, le nombre d'établissements publics de coopération intercommunale éligibles va augmenter en raison de l'introduction d'un critère de densité. Or le montant de l'enveloppe ne change pas. Il y aura donc moins de crédits pour chacun. En ce qui concerne la DSIL, on nous explique que la baisse à 570 millions d'euros s'explique par l'arrivée à terme des contrats de ruralité. Or les besoins de la ruralité n'ont pas disparu pour autant. Je pense qu'il conviendrait de maintenir l'effort consenti les années précédentes. De même, le nombre de communes éligibles à la dotation politique de la ville va augmenter, entraînant ainsi une baisse pour celles qui sont éligibles, car l'enveloppe globale ne varie pas. Enfin, la dotation de soutien à l'investissement départemental, qui remplacerait la DGE, serait attribuée à plus de 75 % par une procédure d'appel à projets. On passe ainsi d'une dotation à un système de subventions. Les départements perdent leur liberté.

Enfin, on nous annonce une hausse de la péréquation. C'est l'inverse qui se passe : les variables d'ajustement diminuent, ce qui se traduit par une nouvelle baisse des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle. Nous étions un certain nombre l'année dernière à nous battre pour les extraire des variables d'ajustement - sans y parvenir. Dans un certain nombre de départements industriels qui bénéficiaient d'une taxe professionnelle élevée, cela représente un manque à gagner important pour les communes.

Il n'y a pas eu d'augmentation du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) depuis trois ans. Certes, le FPIC a des défauts, mais il a permis de resserrer les écarts entre établissements publics de coopération intercommunale. Il n'y a pas non plus de contribution de communes ayant une DGF négative à la péréquation. Les communes riches - 400 d'entre elles - sont exclues de la contribution à la solidarité.

Enfin, si les dotations de solidarité urbaine (DSU) et de solidarité rurale (DSR) augmentent, c'est dans des proportions moindres que les années précédentes.

La dotation d'intercommunalité augmenterait de 30 millions d'euros, mais cette hausse serait intégralement supportée par les collectivités locales. L'État n'y apporte pas son obole, alors que le comité des finances locales a demandé, à l'unanimité, que la moitié de cette augmentation soit prise en charge par l'État. Ainsi, ce sont les plus pauvres qui vont payer pour les EPCI redevenus éligibles à cette dotation. Enfin, on doit s'interroger sur les distinctions existantes entre les métropoles et les autres intercommunalités, au regard du coefficient d'intégration fiscale. Les métropoles sont ici les grandes gagnantes. Or, ce ne sont pas nécessairement les établissements publics de coopération intercommunale les plus pauvres...

Le Gouvernement a annoncé, début 2019, une réforme de la fiscalité locale. Il faudra être vigilant car beaucoup de points nous inquiètent. Nous devrons demander toutes les simulations nécessaires.

Dans l'attente des amendements que nous déposerons, nous avons une position réservée sur les crédits de cette mission.

M. Pierre-Yves Collombat. - Notre collègue a bien retracé l'évolution historique de la décentralisation. Celle imaginée par Gaston Defferre n'est pas la même que celle que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agissait de confier plus de pouvoirs aux élus pour dynamiser les communes et l'économie. Aujourd'hui, l'objectif est uniquement de faire des économies. On essaye de récupérer un peu d'argent à droite et à gauche.

On ne peut pas examiner cette mission seule. Il faut la situer dans l'ensemble des concours financiers de l'État aux collectivités locales. L'escroquerie reste la même. Certaines « dotations » n'en sont pas. Je prends un seul exemple : le FCTVA, qui est la seule « dotation » augmentant de manière significative. Or le FCTVA n'est pas une dotation à proprement parler, mais n'est que le reflet des investissements des collectivités territoriales.

La fin de la réserve parlementaire n'a pas seulement représenté une perte de pouvoir, mais aussi une diminution des aides allouées aux projets des collectivités et aux associations. L'ancienne réserve parlementaire cumulée de l'Assemblée nationale et du Sénat s'élevait à 150 millions d'euros environ, alors que les dotations de remplacement s'élèvent à 50 millions d'euros.

En outre, on joue sur la différence entre euros constants et euros courants. C'est fatiguant. D'une année sur l'autre, on rabote un peu par ici, un peu par là.

Ainsi, il ne faut pas s'étonner si un certain désespoir s'exprime chez les élus locaux.

Nous sommes également en train de voir les effets pervers de la loi NOTRe. Les intercommunalités, qui devaient en principe se concentrer sur de grandes compétences comme le transport ou les grands équipements, se retrouvent pénalisées lorsqu'elles laissent aux communes l'exercice des compétences de proximité. Nous avions alerté sur ce point avec notre collègue Mathieu Darnaud.

Mme Brigitte Lherbier. - Les parlementaires qui ne sont pas membres de la commission DETR de leur département ont-ils à être informés de ses réunions et à connaître l'emploi des fonds ? Depuis mon élection au Sénat, je n'ai reçu aucune information de la part du préfet.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je souscris à ce qu'a dit Didier Marie sur l'intercommunalité. Il est paradoxal que les dotations soient réparties en fonction de l'importance des intercommunalités, plutôt qu'en fonction de la richesse ou de la pauvreté relative. Les métropoles récupèrent une grande partie des dotations. Or il existe de grandes intercommunalités avec beaucoup de ressources, et de petites intercommunalités avec des ressources plus faibles.

Je suis intéressé par l'amendement de notre rapporteur relatif à la DETR. Ceux d'entre nous qui y siégeons savent combien c'est pénible : le préfet décide de tout. Il n'est pas satisfaisant que, dans les faits, les parlementaires ne soient pas associés aux décisions, car tout est préparé à l'avance.

Parmi les arguments avancés pour supprimer la réserve parlementaire, il y avait l'accusation de favoritisme. On reprochait aux parlementaires de proposer des subventions au ministère de l'intérieur et aux préfets, et on comparait cette pratique à de la corruption ou du favoritisme. C'est absurde, car ces aides étaient publiques. Jamais un maire ne m'a critiqué pour avoir donné à une commune plutôt qu'à une autre. Si nous avions fait preuve de favoritisme envers l'un ou l'autre, cela ne serait pas passé inaperçu.

Il y a toujours quelqu'un qui attribue les subventions, et ce rôle peut appartenir aux élus aussi bien qu'aux préfets. Un conseil départemental ou un conseil régional attribue bien des subventions à telle ou telle association, à tel ou tel club sportif. Il n'y a pas de solution plus démocratique dans la République française que de confier l'attribution des subventions publiques aux élus de la République. La fin de la réserve parlementaire constitue un préjudice pour beaucoup de petites communes.

M. Philippe Bas, président. - J'ai l'impression qu'il y a un consensus dans notre commission sur l'amendement visant à réserver une partie de la DETR au financement des projets des petites communes. Si tous nos groupes soutiennent cet amendement, il a des chances d'aboutir. Il faut souligner que cela n'entraîne aucune charge nouvelle pour l'État.

M. Marc-Philippe Daubresse. - Les amendements de notre rapporteur vont dans le bon sens. Lorsque l'on va à la commission DETR, on se rend compte que tout est arrangé à l'avance. L'intérêt d'un débat avec les représentants des élus est donc nul.

Les concours de fonctionnement depuis 2010 ont diminué de 25 %, les concours d'investissement de 20 à 25 %. La dernière réforme de la péréquation date de 2005 et concernait la DSU. Petit à petit, les grandes intercommunalités mangent tout cru les communes, asphyxiées non seulement par la baisse de leur dotation forfaitaire, mais aussi par le biais de la péréquation.

J'ai rencontré hier M. Darmanin. Il m'a parlé de deux projets de loi concernant les collectivités territoriales, qui doivent être examinés début 2019. Le premier consisterait à mettre fin, à titre expérimental, à la séparation entre l'ordonnateur et le comptable. Ce serait une révolution, qui mettrait à bas l'équilibre historique fondé sur la confiance et le contrôle. Aujourd'hui, les percepteurs-trésoriers sont responsables de leur gestion sur leurs deniers personnels. Or, avec ce projet de loi, on nous annonce que l'on pourrait, à titre expérimental, supprimer les comptes de gestion et avoir des comptes uniques établis par le maire, avec une certification. Quel impact cela peut-il avoir sur le contrôle des élus locaux et le rôle des chambres régionales des comptes ? Le deuxième projet de loi concernerait les finances locales. Selon les derniers échos, la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties serait transférée aux communes. Ainsi, le lien fiscal ne serait plus fondé sur la domiciliation, mais sur la propriété.

M. Jean Louis Masson. - Je souhaite revenir sur la réserve parlementaire. Je partage le point de vue de M. Sueur sur l'intérêt de ce système, et l'intérêt qu'il y aurait à le rétablir. En revanche, je ne partage pas tout à fait son analyse. La réserve parlementaire posait deux problèmes. D'abord, son opacité qui, par le passé, était scandaleuse : certains s'auto-attribuaient un ou deux millions d'euros de réserve parlementaire, tandis que d'autres parlementaires n'en bénéficiaient pas. Chacun voit bien ce dont je veux parler. Le Parlement dans son ensemble a eu le tort de tolérer ce genre de situation, où quelques petits seigneurs se servaient au détriment de l'équité la plus élémentaire. J'ai rencontré des parlementaires, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, qui m'ont indiqué avoir découvert l'existence de la réserve parlementaire plusieurs années après leur élection ! Cela a été très difficile de faire en sorte que chaque parlementaire ait plus ou moins la même dotation à répartir. Et, dans les faits, elle transitait par les partis politiques, qui faisaient leurs petites magouilles. Je souhaite un rétablissement de la réserve parlementaire, mais avec une totale transparence et une totale équité, ce qui n'était pas le cas.

Deuxième problème : il y a eu dans certains départements des détournements de fonds publics. Des enquêtes judiciaires sont en cours. Si tout le monde avait été clair et propre, nous n'en serions peut-être pas là.

M. Philippe Bas, président. - Ce que propose notre collègue rapporteur n'est en aucun cas le rétablissement de la réserve parlementaire. On peut discuter de la manière dont elle était organisée. Moi qui suis un parlementaire relativement récent, je n'ai connu qu'un mode de fonctionnement transparent. Mais je sais bien que cela n'a pas toujours été le cas.

Quoi qu'il en soit, notre collègue Loïc Hervé se borne à proposer qu'au sein des crédits de la DETR, une fraction soit réservée au financement des petits projets de communes rurales. Ces projets sont souvent en dessous des écrans radars des sous-préfets et des préfets. Il faut réussir à les drainer pour maintenir la qualité d'équipement de nos communes, affectées par la disparition des crédits de la réserve parlementaire. Le pouvoir de décision serait laissé au préfet. Cela n'empêchera pas les parlementaires, qui sont au contact régulier des maires des communes rurales de leur département, d'appuyer leurs demandes.

Mme Nathalie Delattre. - Je trouve dommage que nous n'allions pas jusqu'au bout de la démarche. Le rétablissement de la réserve parlementaire serait bienvenu. Pour répondre à notre collègue Jean Louis Masson, les pratiques qu'il décrit ont pu avoir cours par le passé. Mais la réserve avait été réformée, et la publication des subventions attribuées et de leur objet avait été rendue obligatoire. Tous les maires que j'ai pu rencontrer en Gironde étaient très satisfaits du dispositif. Les parlementaires, de façon très équilibrée, donnaient des crédits à l'ensemble des communes du département pour des projets qui leur tenaient à coeur. Ce qui est proposé ne répond pas vraiment à la demande des maires. La réserve parlementaire était un dispositif souple, très simple, auquel on pouvait recourir au fil des mois. Le problème de la DETR et de la DSIL est qu'il faut remplir un dossier en trois semaines, car le préfet, après vous avoir indiqué les priorités de l'année, vous demande de le rendre très rapidement. En outre, il n'y a qu'une seule session : vous présentez une demande en janvier et obtenez la réponse en octobre. Dans ces conditions, certains dossiers ne sont pas complets, et les projets doivent être reportés. Le préfet a beaucoup de mal, pour la DETR notamment, à stabiliser le montant des crédits consommés : certains dossiers sont présentés sans être finalisés, ce qui oblige à réallouer des crédits. Les communes auraient besoin d'un système plus souple.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Je me félicite qu'un certain consensus s'exprime au sein de notre commission.

Cher François Bonhomme, vous trouverez dans le rapport des informations circonstanciées sur la DSIL. Elle a été créée en 2016 sous l'appellation de Fonds de soutien à l'investissement local, renouvelée en 2017 et pérennisée en 2018. Elle serait dotée en 2019 de 570 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de 45 millions d'euros correspondant aux sommes allouées jusqu'ici aux contrats de ruralité. Cela s'ajoute à une baisse très sensible de 221 millions d'euros en 2018, qui était masquée dans le précédent projet de loi de finances par d'importants changements de périmètre. Les crédits de paiement passeraient néanmoins de 413 millions d'euros en 2018 à 503 millions en 2019, pour couvrir les engagements passés.

Le but d'un des amendements que je propose est de faire « descendre » la répartition de la plus grande partie de la DSIL de la préfecture de région à la préfecture de département. Cela répond aussi à un besoin de simplification : on observe aujourd'hui des allers-retours, qui vont du préfet de région au préfet de département, puis du préfet de département au sous-préfet d'arrondissement, puis en sens inverse : c'est épuisant et cela ralentit considérablement l'attribution des crédits. Mon amendement répond à un impératif de bonne gestion et de bonne gouvernance de l'octroi des fonds. Je ne sais pas si en tant que parlementaires, vous êtes souvent en lien avec votre préfet de région. À titre personnel, je ne le suis jamais. En revanche, j'ai un contact quasi quotidien avec le préfet du département.

La proposition de Jacques Bigot est excellente. Il serait utile de prendre l'attache de nos collègues qui siègent dans les commissions DETR pour poursuivre notre réflexion.

Je tiens à remercier Didier Marie d'avoir été présent à plusieurs auditions préparatoires à ce rapport, comme François Bonhomme du reste. Le vrai sujet auquel il faudra rapidement s'intéresser est celui de la réforme de la fiscalité locale. Nous examinons aujourd'hui un budget de transition. Le vrai sujet est devant nous et les informations que nous a fournies Marc-Philippe Daubresse sont intéressantes à cet égard.

J'ai beaucoup de points d'accord avec Pierre-Yves Collombat. Il faudra nous efforcer de convaincre nos collègues dans l'hémicycle.

Pour répondre à Brigitte Lherbier, l'article L. 2334-37 du code général des collectivités territoriales impose au préfet de département de communiquer à l'ensemble des parlementaires élus dans le département la note explicative de synthèse adressée aux membres de la commission DETR avant toute réunion. La loi est claire. La plupart des informations sont d'ailleurs communicables. Un préfet devrait répondre séance tenante à un parlementaire qui les lui demande, qu'il s'agisse de documents préparatoires ou de décisions.

Je partage les réflexions de Jean-Pierre Sueur sur le caractère injuste de la répartition de la dotation d'intercommunalité, notamment en ce qui concerne les métropoles. Pour ce qui est de la DETR, je réitère mes propos. Si la commission des lois était d'accord avec mes amendements, il faudrait ensuite les faire adopter en séance, puis convaincre l'Assemblée nationale.

Il ne s'agit en aucun cas de rétablir la réserve parlementaire, mais de donner aux préfets un objectif consistant à financer des projets de petite taille - qui ne sont pas forcément des petits projets, mais peuvent être vitaux pour nos communes rurales. Les parlementaires pourraient utilement signaler ces derniers, en profitant du contact qu'ils ont avec les maires. Quant à la DSIL, il convient d'accélérer et de simplifier la procédure d'attribution. Toutes les informations que la commission a pu réunir en préparation de ce rapport sont très utiles pour analyser les usages locaux, et pour voir quelles améliorations nous pourrions proposer.

M. Philippe Bas, président. - Je vous propose de suivre notre rapporteur, en donnant un avis favorable à l'adoption des crédits, sous réserve de l'adoption des amendements qu'il propose.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je suis d'accord avec l'esprit de ce rapport, mais pas avec les crédits.

M. Philippe Bas, président. - Cher collègue, si les crédits étaient rejetés, il n'y aurait pas lieu d'examiner les articles relatifs à leur répartition...

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités locales ».

Article 79

M. Philippe Bas, président. - L'amendement LOIS.1 permet, lorsqu'un EPCI à fiscalité propre restitue des compétences aux communes, que le total des dotations attribuées à l'EPCI et aux communes ne diminue pas.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - C'est une garantie pour l'application du principe de subsidiarité.

L'amendement LOIS.1 est adopté.

M. Philippe Bas, président. - L'amendement LOIS.2 vise à reporter à 2026 l'intégration du produit des redevances d'eau potable et d'assainissement dans les bases de calcul du coefficient d'intégration fiscale des communautés de communes. Ce report se justifie, puisque les communes membres de telles communautés pourront s'opposer au transfert de ces compétences jusqu'en 2026.

L'amendement LOIS.2 est adopté.

Article 81

M. Philippe Bas, président. - L'amendement LOIS.3 vise à étendre la compétence de la commission DETR à la DSIL.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Elle prendrait le nom de commission départementale des investissements locaux.

L'amendement LOIS.3 est adopté.

M. Philippe Bas, président. - L'amendement LOIS.4 a pour objet de flécher une partie de la DETR en direction des communes rurales. Je signalerai que l'unanimité s'est faite sur ces amendements.

L'amendement LOIS.4 est adopté.

M. Philippe Bas, président. - L'amendement LOIS.5 met en place une fongibilité de crédits...

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Il introduit en effet une souplesse dans la répartition de la DGE des départements, mais surtout il supprime le projet de réforme du Gouvernement.

L'amendement LOIS.5 est adopté.

M. Philippe Bas, président. - L'amendement LOIS.6 est un amendement de repli.

L'amendement LOIS.6 est adopté.

Article 81 bis

M. Philippe Bas, président. - Enfin, notre rapporteur présente un amendement LOIS.7.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Par le biais d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale, on a vu apparaître un article visant à rendre éligibles à la DETR les EPCI à fiscalité propre qui franchissent les seuils de population actuels, mais sont considérés comme sous-denses. Cet ajout me laisse perplexe. La commission des lois ne dispose pas d'informations suffisantes pour soutenir une telle disposition. En l'attente d'informations plus précises, je propose de supprimer cet article additionnel.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Pouvez-vous nous expliquer ce que cela va changer pour les outre-mer ? Je vois qu'elles sont explicitement mentionnées dans l'exposé des motifs. Un sort particulier est fait à Mayotte, qui est pourtant un département d'outre-mer...

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Il s'agit là des seuils de population actuellement applicables, qui sont plus élevés en outre-mer qu'en métropole. J'ignore ce que l'article 81 bis changerait pour les outre-mer, c'est aux députés qu'il faudrait poser la question. Nous ne disposons pas d'informations suffisantes, et c'est justement la raison pour laquelle je vous soumets cet amendement de suppression.

L'amendement LOIS.7 est adopté.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis

- Présidence de M. François Pillet, vice-président -

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - L'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2019 intervient à un moment clef pour les outre-mer.

Ce budget doit permettre de donner une traduction concrète aux orientations définies dans le « Livre Bleu Outre-mer », élaboré dans le prolongement des Assises des outre-mer. Il vise, selon l'objectif exprimé par le Président de la République, à donner aux territoires ultra-marins les moyens de leur développement.

Les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2019 sont répartis, comme les années précédentes, en deux programmes respectivement consacrés à l'emploi outre-mer et aux conditions de vie outre-mer. Ils s'élèvent à 2,57 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 2,49 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse respectivement de 22,5 % et de 20,52 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018.

Cette forte hausse s'explique toutefois par des mesures de périmètre : à périmètre constant, les crédits sont stables. Je souhaite détailler ces mesures de périmètre, qui impliquent des évolutions fiscales d'ampleur.

La TVA non perçue récupérable est supprimée par l'article 5 du projet de loi de finances pour 2019, tandis que le plafonnement de la réduction d'impôt sur le revenu dans les départements d'outre-mer et collectivités régis par l'article 73 de la Constitution est réduit par l'article 4. Les sommes correspondant aux économies ainsi réalisées sont budgétisées au sein des crédits de la mission, ce qui permet des dépenses plus ciblées et efficaces.

S'y ajoute une réforme des exonérations de cotisations patronales prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019. Cette réforme, rendue nécessaire par la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au niveau national, permet une clarification bienvenue des exonérations de cotisations patronales dans les territoires ultra-marins. Alors que le texte de l'Assemblée nationale concentrait les exonérations sur les bas salaires, l'examen au Sénat a permis un relèvement des seuils de deux à trois SMIC, ce qui me paraît nécessaire au vu des problématiques d'attractivité sur les postes d'encadrement auxquelles font face nos territoires.

Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent cependant qu'un dixième de l'effort financier total de l'État en faveur des territoires ultramarins. Cet effort comporte un volet budgétaire, avec des crédits d'un montant total de 18,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 18,41 milliards d'euros en crédits de paiement, répartis sur 88 programmes relevant de 31 missions budgétaires, et un volet fiscal, avec des dépenses fiscales d'un montant estimé à 4,3 milliards d'euros pour 2019.

Au total, le PLF pour 2018 consacre plus de 23 milliards d'euros en autorisations d'engagement et plus de 22 milliards d'euros en crédits de paiement aux territoires ultramarins, en hausse respectivement de 7,6 % et de 4,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018.

Cette forte augmentation témoigne de la prise de conscience par l'État, à la suite des Assises des outre-mer, de la nécessité d'apporter des réponses aux difficultés spécifiques auxquelles sont confrontés nos territoires ultra-marins.

Ces éléments me conduisent à vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

J'en viens maintenant au sujet transversal que j'ai souhaité aborder cette année : la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer.

Ce thème est en lien avec l'avis que notre collègue Alain Marc nous présentera tout à l'heure sur le programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

Comme le disait Albert Camus, « une société se juge à l'état de ses prisons ». En dépit d'améliorations récentes et en cours, la condition pénitentiaire dans les outre-mer reste globalement déplorable et présente des spécificités qui sont insuffisamment prises en compte.

Les personnes détenues dans les outre-mer souffrent, comme en métropole, de la promiscuité provoquée par le surencombrement d'un grand nombre d'établissements pénitentiaires, et de difficultés d'accès aux soins, faute de structures médicales adaptées et de personnels de santé en nombre suffisant. À titre d'exemple, il n'existe pas d'unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) ni d'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) dans les outre-mer.

Les personnes détenues dans nos territoires souffrent également d'un relatif isolement tenant, d'une part, aux lieux d'implantation des établissements pénitentiaires, qui les éloignent de leurs proches, d'autre part, à la forte proportion d'étrangers, particulièrement en Guyane et à Mayotte. Cette proportion s'établit ainsi à 52 % dans le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en Guyane, alors que la moyenne nationale est de 18 %.

Les détenus souffrent enfin d'un profond désoeuvrement, faute d'accès au travail, à la formation ou à d'autres activités. Alors que la moyenne de trois heures d'activité journalière par personne détenue en métropole est considérée comme largement insuffisante, les détenus ultra-marins n'ont accès qu'à deux heures d'activité hebdomadaire, soit un quart d'heure par jour !

En conséquence, la violence y est omniprésente, tant entre détenus qu'à l'égard des personnels pénitentiaires. Cela a été fortement signalé au cours de mes auditions, en particulier par les surveillants pénitentiaires.

Au vu de ces difficultés, il me semble indispensable de mettre un oeuvre une politique ambitieuse pour les établissements pénitentiaires ultramarins, en poursuivant trois objectifs.

Le premier objectif est de mieux prendre en compte les spécificités des outre-mer. Pour y parvenir, il me semble indispensable de transformer la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer en direction interrégionale, à l'instar des services en charge du territoire métropolitain, avec des moyens humains et financiers renforcés. Il s'agit d'une demande unanime des personnes entendues en audition, y compris des services de l'État.

Le deuxième objectif est de réduire la surpopulation carcérale, ce qui nécessite la construction de nouvelles places de prison - les outre-mer n'ont pas été oubliées par le Gouvernement dans le plan de construction des 15 000 nouvelles places -, le renforcement des alternatives à l'incarcération et le développement des conventions internationales bilatérales. Ces conventions doivent permettre de trouver des solutions à la présence importante de détenus étrangers en situation irrégulière, en particulier en Guyane et à Mayotte.

Le troisième objectif est de favoriser la réinsertion des détenus. En amont, il faut identifier les freins spécifiques aux territoires ultramarins : les tissus associatifs et économiques sont modestes, ce qui rend plus difficile la mise en oeuvre des projets de sortie. La prise en charge psychiatrique déficiente ne permet pas d'obtenir les expertises nécessaires à un aménagement de peine.

Mieux préparer la sortie de prison implique donc un renforcement des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) dans les territoires ultramarins. Je salue sur ce point les évolutions récentes qui vont permettre la mise en place de SPIP sur les territoires de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, qui en étaient jusque-là dépourvus.

Enfin, mieux préparer la réinsertion nécessite de prendre en compte les spécificités locales. J'appuie le développement des travaux d'intérêt général (TIG) en milieu coutumier car ils permettent une bonne association entre les services de l'État et les autorités coutumières en Nouvelle-Calédonie. Ils pourraient également être mis en oeuvre en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, ainsi qu'à Mayotte et en Guyane.

Enfin, il importe de nouer un dialogue avec nos compatriotes des territoires ultramarins et de faire oeuvre de pédagogie pour favoriser une meilleure acceptation de la prison et lutter contre la fameuse loi d'airain dénoncée par notre ancien collègue Robert Badinter : en raison de leurs conditions de vie souvent difficiles, nombre de nos concitoyens ultramarins éprouvent en effet le sentiment délétère, exacerbé lorsque la population carcérale comprend un grand nombre d'étrangers, selon lequel les personnes détenues auraient un sort plus enviable que le leur.

M. François Pillet, président. - Je souhaite remercier le rapporteur pour la clarté de son exposé et pour les propositions formulées.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je remercie le rapporteur d'avoir abordé la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer. J'en ai visité plusieurs dans le cadre des travaux de notre commission.

La situation du centre pénitentiaire « Camp Est » de Nouméa me semble particulièrement préoccupante. Les conditions de détention y sont déplorables. Je m'interroge également sur la répartition des détenus dans les cellules, qui peut créer des tensions entre les kanaks et les caldoches.

Je respecte les autorités coutumières de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, que j'ai d'ailleurs rencontrées lors de mes déplacements. Toutefois, est-il justifié de leur confier la gestion des travaux d'intérêt général ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Les difficultés rencontrées dans les établissements pénitentiaires de Mayotte et de Guyane renvoient à la question, plus générale, des migrations depuis les pays limitrophes.

Il est urgent d'apporter des solutions concrètes à la problématique migratoire. L'aspect pénitentiaire n'est que la partie émergée de l'iceberg !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Comme l'a souligné notre collègue Jean-Pierre Sueur, la situation de l'établissement pénitentiaire de Nouméa est particulièrement préoccupante. Je précise toutefois que cet établissement a récemment fait l'objet de travaux de rénovation et qu'il est prévu de construire une nouvelle prison à Koné.

En pratique, les travaux d'intérêt général en milieu coutumier existent déjà en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit donc de leur donner un cadre juridique renforcé, sur la base d'une convention à laquelle l'État sera partie. Je souhaite que ce dispositif serve de modèle pour d'autres territoires ultramarins.

Je rejoins également notre collègue Pierre-Yves Collombat : la détention des étrangers représente une difficulté majeure pour le système carcéral ultramarin.

Je m'interroge d'ailleurs sur l'efficacité et le caractère dissuasif des peines exécutées dans les prisons françaises. À Mayotte, les passeurs de kwassa-kwassa purgent leur peine puis renouent avec leurs activités délictueuses. Leur incarcération n'a aucun impact sur leur comportement...

Mon avis budgétaire permettra d'interpeller le Gouvernement sur cette situation. Personnellement, je souhaiterais que l'exécution des peines soit plus dissuasive. Il faudrait par exemple conclure des conventions bilatérales avec les pays d'origine pour qu'une partie des peines soit purgée dans leurs établissements pénitentiaires.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

M. Jean-Pierre Sueur. - Les  ministres français et comorien des affaires étrangères ont récemment publié un communiqué indiquant qu'ils travaillaient à la signature d'un « document-cadre » entre les deux pays.

Il s'agit d'un sujet majeur, sur lequel notre commission a beaucoup travaillé. Il me semblerait opportun d'interroger le Gouvernement sur l'avancée de ces négociations. La signature d'un accord entre la France et les Comores serait un acte historique. Ce serait également un signe d'espoir pour mieux gérer la question migratoire.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Merci, cher collègue, de rappeler cette avancée diplomatique. Les Comores reviennent à la table des négociations, ce qui est positif : ils ont acté la signature d'une déclaration diplomatique avec la France.

Restons très prudents à ce stade. Des négociations sont prévues pour définir le contenu de conventions bilatérales. Il nous reste encore énormément de travail.

M. Lana Tetuanui. - Je soutiens l'adoption des crédits dédiés aux outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2019 et remercie mon collègue de Mayotte pour son rapport.

Je veux toutefois alerter la commission concernant les différences qui peuvent exister entre les départements d'outre-mer, qui reçoivent des aides comparables aux départements de métropole, et les collectivités d'outre-mer comme la Polynésie française, où la situation est plus difficile.

Plus globalement, je rejette fermement tout discours qui laisserait penser que « les outre-mer coûtent trop chers à la France ». C'est totalement faux, notamment parce que les outre-mer contribuent à son rayonnement international.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Justice » - Programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » - Examen du rapport pour avis

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Le rapport pour avis que je vous présente porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2019, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire » ; le programme 101 « Accès au droit et à la justice » ; le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».

Les crédits de la mission « Justice » progressent de 4,5 % (hors dépenses de pensions) par rapport à la loi de finances pour 2018, pour atteindre un montant total de 7,29 milliards d'euros en crédits de paiement, identique à celui prévu par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice mais avec une ventilation différente de celle retenue par le Sénat.

La trajectoire d'augmentation des crédits de la mission « Justice » engagée par le Gouvernement sur l'ensemble de la période 2018-2022 (+ 23,5 %) est toutefois bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat (+ 33,8 %). Les crédits de paiement des quatre programmes augmenteraient quant à eux de 2,29 % en 2019 par rapport à 2018, et leurs autorisations d'engagement de 2,94 %.

Je regrette à cet égard que le budget consacré aux juridictions judiciaires soit celui qui augmente le plus faiblement (+ 0,87 % en crédits de paiement), à périmètre constant entre 2018 et 2019, parmi tous les programmes de la mission « Justice ».

J'ai toutefois relevé plusieurs mesures positives prévues par le projet de loi de finances pour 2019. En premier lieu, le schéma de création d'emplois est plus ambitieux que l'année dernière. Il prévoit en effet la création nette de 192 postes dans les juridictions judiciaires, dont 100 de magistrats et 182 de greffiers, grâce au redéploiement de postes de catégorie C. C'est 30 % de plus qu'en loi de finances initiale pour 2018, où seulement 148 créations nettes d'emplois étaient prévues.

En deuxième lieu, le comblement des vacances de postes des magistrats est bien engagé. Le nombre de postes vacants a baissé de façon très significative en 2018 : on ne compte plus que 252 vacances de postes, à périmètre constant, contre 417 une année auparavant, ce qui correspond à un taux de vacance d'emplois de 3,12 % au 1er octobre 2018. Le ministère de la justice bénéficie largement cette année des affectations de magistrats recrutés les années précédentes, puisqu'ils n'entrent en juridiction qu'au terme des 31 mois de formation à l'École nationale de la magistrature.

En troisième lieu, l'effort consacré à l'immobilier judiciaire est important, puisque les crédits de paiement en matière d'investissement progressent de 8,5 % par rapport à 2018, pour atteindre 215,11 millions d'euros. Les autorisations d'engagement augmentent aussi notablement (+ 211 %), ce qui s'explique par le lancement d'un nouveau programme pluriannuel de rénovation et de construction d'immobilier judiciaire, évalué à 450 millions d'euros par la garde des sceaux. Ce programme est très attendu car les locaux de maintes juridictions sont en piètre état, comme notre commission des lois l'avait relevé dans le rapport de la mission d'information sur le redressement de la justice présenté par notre président, Philippe Bas. Nombre d'entre nous avaient par ailleurs pu s'en rendre compte par eux-mêmes.

En quatrième et dernier lieu, les crédits en faveur de l'informatique et du numérique augmentent de 20 % entre 2018 et 2019, pour atteindre 229 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une augmentation de près de 43 % en deux ans. Ces crédits permettront notamment de financer 80 créations nettes d'emplois, dont des postes d'ingénieurs en informatique qui manquaient jusqu'alors cruellement au ministère de la justice, afin de poursuivre la mise en oeuvre du « Programme de transformation numérique ».

Ces mesures doivent toutefois être accueillies avec prudence, en particulier en matière de transformation numérique, car le rattrapage à accomplir représente un immense chantier. Ainsi, il faudra veiller à ne pas reproduire certains errements du passé, lorsque le coût des projets avait été largement sous-estimé et leur mise en oeuvre chaotique. À cet égard, le projet de « Procédure pénale numérique », lancé avec le ministère de l'intérieur pour permettre à terme une dématérialisation complète de la chaîne pénale (du service d'enquête à l'exécution de la peine), sera expérimenté dans les juridictions d'Amiens et de Blois à compter de mars 2019, et constituera un test important pour le ministère de la justice. En effet, ce dernier a connu beaucoup de déboires en la matière.

De surcroît, ces mesures ne peuvent pas occulter une situation qui demeure fragile dans les juridictions. Ainsi, les délais de traitement des affaires continuent de s'accroître, tant en matière civile que pénale. En matière civile, ils sont passés de 7,5 mois en 2007 à 11,8 mois en 2017 devant les tribunaux de grande instance et de 12,7 mois à 14,7 mois devant les cours d'appel. En matière pénale, la situation est toujours aussi alarmante avec un délai de traitement moyen de 40,6 mois d'une affaire criminelle, pouvant aller jusqu'à un total de 62,6 mois en incluant la procédure d'appel.

Les tribunaux de grande instance vont en outre devoir absorber, à compter du 1er janvier 2019, le contentieux social actuellement traité par les tribunaux des affaires sociales et les tribunaux du contentieux et de l'incapacité (constitution des pôles sociaux au sein des TGI). Le stock des affaires restant à traiter s'élève à plus de 200 000, ce à quoi s'ajoutera un flux annuel de 150 000 affaires nouvelles.

De même, les frais de justice demeurent une source d'inquiétude. Même s'ils font l'objet d'une meilleure budgétisation, leur augmentation est constante. 505 millions d'euros ont été budgétés en 2019, pour 495,5 millions d'euros de dépenses constatées en 2017. En plus de cette enveloppe, sont dues les charges à payer au titre de l'année 2018 pour plus de 58 millions d'euros (en augmentation de 36 % sur une année), et les dettes qui n'ont fait l'objet d'aucun engagement juridique mais n'en sont pas moins dues, dont le montant atteint désormais 108,6 millions d'euros. On le voit, le pilotage des frais de justice est loin d'être effectif et ce ne sont pas encore les économies liées à la mise en service de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) qui pourront y répondre à court terme. 50 millions d'euros d'économies étaient attendus, le ministère n'en a constaté que 26 millions d'euros à ce jour.

Je regrette aussi la diminution du budget de fonctionnement des juridictions de 2,8 % : le ministère indique que cela résulte de la rationalisation des baux en région parisienne, mais il eût été préférable, à mon sens, de redéployer ces économies au bénéfice du budget de fonctionnement courant des juridictions, car celui-ci est ressenti le plus directement au quotidien par les personnels de justice.

Enfin, je suis très déçu par l'absence de réforme de l'aide juridictionnelle. Le système est à bout de souffle. Une nouvelle fois, le Gouvernement n'a prévu aucune mesure pour y remédier, alors que le Sénat a quant à lui proposé le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique en première instance, modulable de 20 à 50 euros, et l'obligation de consultation préalable d'un avocat avant toute demande d'aide juridictionnelle. Ces mesures sont indispensables car cette aide concerne près d'un million de personnes et le filtre permettant d'apprécier la recevabilité de la requête, prévu par la loi, déjà ancienne, du 10  juillet 1991, n'est jamais mis en oeuvre.

J'ai souhaité, cette année, faire un focus particulier sur le nouveau tribunal de grande instance de Paris. Nous nous sommes rendus sur place avec notre collègue Brigitte Lherbier, et avons pu échanger avec les représentants des organisations syndicales et les chefs de la juridiction. Le bilan est globalement positif, notamment s'agissant des conditions de travail et d'accueil du justiciable, même si des améliorations doivent pouvoir être apportées : sans être exhaustif, j'évoquerai le problème de la desserte en transports en commun et de l'accès du tribunal, qui semble le plus préoccupant, tant pour les personnels que pour les justiciables. Des solutions sont prévues mais il y a du retard.

Des interrogations se posent surtout concernant la gestion du bâtiment qui fait l'objet, comme vous le savez, d'un contrat de partenariat public-privé (PPP). J'ai entendu les magistrats de la Cour des comptes qui ont rédigé le rapport public thématique publié du mois de décembre 2017 sur la politique immobilière du ministère de la justice. Ils m'ont fait part de plusieurs inconvénients résultant du recours à un contrat de partenariat public-privé : notamment le coût élevé des travaux modificatifs, l'adaptation aux évolutions législatives et réglementaires (lorsqu'est par exemple mise en oeuvre une réforme de l'organisation judiciaire qui a un impact sur les locaux), et l'asymétrie d'information entre personnes publique et privée, qui exige que la première se dote de compétences techniques et juridiques de haut niveau pour assurer le suivi du contrat, en lien avec des entreprises d'une taille importante et dotées de services juridiques solides et expérimentés dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. Deux difficultés semblent se poser à ce stade : d'une part, le circuit de décision entre le TGI, la mission de suivi du partenariat public-privé du ministère et la société prestataire semble très lourd et complexe ; d'autre part, les chefs de juridiction n'ont pas connaissance des obligations contractuelles du partenaire privé ce qui peut poser d'évidentes difficultés de gestion. Enfin, je ne peux que constater l'effet d'éviction budgétaire du partenariat public-privé du TGI de Paris sur les budgets de fonctionnement et d'investissement des juridictions judiciaires. C'est un constat que notre commission des lois avait déjà fait dans le rapport de notre collègue Jean-Pierre Sueur et de notre ancien collègue Hugues Portelli sur les contrats de partenariat public-privé. Le partenariat public-privé du TGI de Paris représente pour 2019 à lui seul 24 % du budget total d'investissement de l'ensemble des juridictions judiciaires.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est Bouygues qui est content.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Les magistrats ne se plaignent pas de leurs conditions de travail, ils sont dans un tribunal qui répond à leurs attentes même si, comme je l'ai indiqué, la situation est perfectible sur certains points.

En conclusion mes chers collègues, je constate, dans ce projet de loi de finances pour 2019, la poursuite de l'effort budgétaire engagé depuis plusieurs années par les gouvernements successifs en faveur de la mission « Justice ». J'estime toutefois que le redressement de la justice n'en est qu'à ses débuts, et espère que le Gouvernement reverra ses ambitions à la hausse pour l'ensemble de la trajectoire jusqu'en 2022, en faisant sienne la programmation retenue par le Sénat. Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, cher collègue, de ce rapport extrêmement fouillé. La commission des lois travaille depuis de nombreuses années sur la justice. Notre collègue Yves Détraigne avait été rapporteur, dès 2016, du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Nous avons ensuite mis en place une mission pluraliste pour aboutir au rapport d'information intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! et publié en avril 2017. Nous avons, après cela, adopté dès le mois d'octobre 2017 une proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice et une proposition de loi organique pour le redressement de la justice. Le Gouvernement, pour sa part, a pris son temps. Il a présenté en avril dernier son projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, assorti d'un projet de loi organique comprenant essentiellement des mesures de coordination, et a eu le bon goût de les déposer au Sénat.

Nous avons considéré que l'effort pour la justice était réel mais qu'il était insuffisant pour procéder au rattrapage qui nous semblait nécessaire eu égard aux conditions de vétusté d'un certain nombre de tribunaux et de prisons, et à la situation de sous-effectif de certaines juridictions judiciaires dont le fonctionnement est mis en péril par le manque de moyens et l'accroissement constant du nombre d'affaires nouvelles à traiter. 2,4 millions d'affaires civiles par an, 1,2 million d'affaires pénales : tel est le volume d'activité de la justice française ; ce qui implique qu'elle soit souvent embolisée.

Notre rapporteur propose un avis favorable mais celui-ci doit nécessairement être assorti de réserves. Même si les chiffres font apparaître un réel progrès, je fais ici allusion à l'augmentation de 4,5 % des crédits de paiement de la mission « Justice », deux mises en garde s'imposent. La première est que la trajectoire pluriannuelle de mise à niveau du fonctionnement de la justice reste insuffisante, d'autant plus que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui est censée être une loi quinquennale, ne rentrera en vigueur probablement qu'en 2019 et n'aura devant elle que trois années d'exécution. La seconde est que, même si nous ne sommes pas tous d'accord sur la nécessité de construire de nouvelles places de prison, force est de constater que l'engagement du président de la République d'atteindre 15 000 places supplémentaires d'ici 2022 ne sera pas tenu. Compte tenu des contraintes matérielles et budgétaires, si, à la fin du quinquennat, nous atteignons 2 130 places créées, ce sera bien le maximum. Il ne faut pas se méprendre, après avoir modifié substantiellement les projets de loi de Mme Belloubet, nous ne sommes pas soudainement tombés d'accord avec la politique conduite par ce gouvernement en matière de justice !

C'est bien le sens de l'avis que nous a proposé notre collègue Yves Détraigne et je tenais à souligner mon approbation de son rapport mais aussi des fortes réserves qu'il comprend.

Mme Brigitte Lherbier. - Effectivement, c'est extrêmement intéressant, de vous entendre Monsieur le rapporteur. Comme le président, j'émets toutefois quelques réserves. En particulier, je tiens à remarquer la centralisation excessive de notre justice, la concentration des pouvoirs au niveau du ministère. Tout doit passer par le ministère. Bien sûr, il faut rénover le patrimoine immobilier de notre justice, souvent très vétuste, mais à Lille, par exemple, nous sommes inquiets, à cause de la construction d'un nouveau tribunal de grande instance, sur le modèle de celui de Paris, un immeuble de très grande hauteur qui demandera une organisation énorme, non sans risques. Nos tribunaux de grande instance sont aussi inquiets par rapport à la création des « pôles sociaux » car ils n'ont pas été informés des modalités de mise en oeuvre de cette réforme et risquent de devoir s'y confronter du jour au lendemain.

M. Jacques Bigot.  - Oui, merci à Yves Détraigne pour ce rapport et à son travail de suivi de la justice qu'il accomplit depuis plusieurs années. Je dois dire qu'il fait presque mieux que la garde des sceaux, ou du moins avec une plus grande constance ! Je partage le point de vue du président, c'est-à-dire que je vois difficilement comment nous pourrions émettre un avis défavorable, puisque globalement des efforts sont faits, mais de fortes réserves sont effectivement nécessaires.

Les inquiétudes sont les mêmes que celles que nous avions révélées lors de l'examen du projet de réforme qui est actuellement examiné à l'Assemblée nationale, mais pas du tout dans le même esprit que ce que nous avions proposé ici au Sénat. En premier lieu, je m'attacherai à la baisse des crédits de fonctionnement des juridictions. Je donne un exemple : il est question de fusionner des juridictions, tribunal d'instance et tribunal de grande instance, ou même des cours d'appel à plus long terme sans supprimer des lieux de juridiction, donc les besoins relatifs à l'entretien et la gestion des locaux en réalité demeureront, alors qu'une partie des crédits est supprimée. Ensuite, sur l'aide juridictionnelle, la ministre a dit qu'il y avait un travail en cours, soit, mais pour l'instant aucune mesure concrète n'est proposée. Cela devient urgent. Sur l'informatique, le nombre de créations d'emploi est essentiel, y compris auprès des juridictions, parce qu'on a bien vu que la manière de concevoir les outils informatiques à la Chancellerie est catastrophique depuis des années.

Il faudrait être attentif, sur ce point, à ce qu'il n'y ait pas d'argent inutilement dépensé. Sur le partenariat public-privé du TGI de Paris, il faut bien avoir conscience que si la personne publique ne se structure pas en interne, avec des personnes capables de suivre directement les relations avec le partenaire privé depuis le TGI, alors ça ne fonctionne pas. Il faudrait qu'auprès du président et du procureur il y ait un service administratif dédié, mais ceci n'est pas tout à fait dans l'esprit de la réforme qui renforce la centralisation de la gestion sur ce plan, ce qui n'est pas nécessairement sain, puisque le service de suivi du partenariat public-privé n'est pas rattaché au TGI directement mais au secrétariat général de la Chancellerie.

Donc, oui, toutes ces réserves il faut les exprimer et regretter que la garde des sceaux, sur le projet de réforme, ne nous ait pas suivis du tout.

M. Philippe Bas, président. - Je donne la parole à notre collègue François-Noël Buffet qui, avec Yves Détraigne, est rapporteur du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et du projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions et qui, à ce titre, a oeuvré afin de relever les ambitions de cette réforme et d'en équilibrer la vision générale.

M. François-Noël Buffet. - Je relève un paradoxe. Optiquement nous avons une augmentation des crédits mais nous sommes en désaccord avec la politique qu'ils servent. Nous avons la chance Monsieur le président, depuis votre rapport d'information sur le redressement de la justice en date du 4 avril 2017 qui fut un travail transpartisan, que la position du Sénat soit claire en matière de justice. Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice voté dans cette enceinte a été complété par des dispositions à la hauteur de nos valeurs : fermeté, préservation des libertés, accès au juge et fusion des juridictions tout en maintenant les lieux de justice. Tout cela a été balayé par la commission des lois de l'Assemblée nationale. En séance, la position sera sûrement la même, à l'initiative des députés du groupe La République en Marche, mais aussi du Gouvernement, qui avait d'ores et déjà souhaité supprimer tous les apports du Sénat. Je n'ai pas la même vision de la justice que le Gouvernement, ce serait donc exotique de voter les crédits de cette mission, c'est ma position. Je le regrette car il y a des avancées mais la stratégie de fond pose difficulté. Si nous votons les crédits, il faut assortir notre vote de très fortes réserves. Ma position en séance sera donc peut-être différente de celle de la commission.

M. Philippe Bas, président. - Il y a de la part de l'Assemblée nationale un véritable mépris à l'égard du travail du Sénat. On peut craindre que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation et du projet de loi organique n'aboutissent pas.

M. Jacques Bigot. - Je comprends la position de François-Noël Buffet sur un vote des crédits, mêmes avec des réserves, alors que nous avons le sentiment d'un sentiment de mépris total et m'interroge. Nous avons cherché des points de consensus dans notre rapport d'information or ils ont été écartés d'office. Je suis tenté de marquer le coup politiquement face à un tel mépris. Faut-il prendre le risque de donner un avis favorable aux crédits dans le projet de loi de finances pour 2019 et ensuite d'échouer lors de la commission mixte paritaire chargée d'examiner le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ? Je demande d'ailleurs à nos collègues de La République En Marche qui ont voté la loi de programmation au Sénat quelle sera leur position face à leurs collègues de l'Assemblée nationale qui sont en train de tout détricoter ?

M. Philippe Bas, président. - Nous ne pouvons qu'approuver ou rejeter les crédits. Je pense qu'il faut s'en tenir à la proposition du rapporteur d'adopter les crédits en émettant des réserves car si l'augmentation des crédits permet d'atteindre le niveau que le Sénat a fixé dans la loi de programmation, nous ne sommes pas d'accord sur la répartition. Je vous propose d'adopter les crédits en l'assortissant des réserves qui se sont exprimées.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Justice » - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis

Mme Maryse Carrère, rapporteure pour avis. - Je vous présente ce matin les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » prévus dans le projet de loi de finances pour 2019. Depuis ma nomination, le 7 novembre dernier, j'ai procédé à une série d'auditions et j'ai visité un centre éducatif fermé (CEF) afin de rencontrer des professionnels exerçant ce métier exigeant.

Le budget de la PJJ est modeste comparé à celui des autres programmes de la mission « Justice » : il devrait atteindre, l'an prochain, 875 millions d'euros en crédits de paiement et 903 millions en autorisations d'engagement. Dans un contexte de hausse globale du budget de la justice, le budget de la PJJ s'inscrit lui aussi en augmentation : il progresse de 2,8 % en crédits de paiement, ce qui correspond à 24 millions d'euros supplémentaires, et de près de 4 % en autorisations d'engagement, soit 34,5 millions d'euros. Cet accroissement s'explique tout d'abord par la hausse des dépenses de personnel, qui absorbent 60 % des crédits : il est prévu de créer l'an prochain 51 emplois à la PJJ, principalement des éducateurs, mais aussi 17 emplois de psychologues et d'assistantes sociales, afin de favoriser un travail pluridisciplinaire. En conséquence, le plafond d'emplois sera porté à 9 156 postes en équivalent temps plein. Cette augmentation des crédits permettra aussi de financer la revalorisation statutaire dont vont bénéficier les éducateurs de la PJJ en 2019, qui vont passer de la catégorie B à la catégorie A à compter du 1er février 2019 ; ils bénéficieront de la grille indiciaire applicable aux corps de la fonction publique de l'État à caractère socio-éducatif.

Je précise qu'un amendement du Gouvernement adopté à l'Assemblée nationale est venu majorer les crédits d'un peu plus de 100 000 euros, afin de financer la revalorisation des frais de mission des agents de la fonction publique (frais d'hôtel et indemnités kilométriques). Cette revalorisation intéresse surtout les éducateurs de milieu ouvert, qui se déplacent beaucoup. Ces différentes mesures témoignent de la volonté du ministère de la justice d'apporter une plus grande reconnaissance aux éducateurs de la PJJ, même si les besoins restent considérables.

L'activité de la PJJ demeure soutenue : elle a mis en oeuvre, en 2017, un peu plus de 215 000 mesures civiles et pénales, pour un total de 140 000 jeunes concernés. L'activité pénale est largement dominante dans cet ensemble puisqu'elle représente 83 % de ces mesures. Je vous rappelle que la PJJ a recentré son activité sur le pénal depuis 2007, la protection de l'enfance en danger relevant de la compétence des conseils départementaux. Toutefois, elle garde la possibilité d'intervenir lorsqu'un jeune a déjà fait l'objet de mesures pénales et qu'il paraît opportun de les prolonger par des mesures civiles, de manière à éviter une rupture dans le parcours d'insertion qui a été entamé. L'augmentation des effectifs de la PJJ depuis quelques années a permis d'améliorer les conditions de prise en charge : alors que la cible de la PJJ est que chaque éducateur suive 25 jeunes, le taux moyen constaté en 2017 était légèrement inférieur : 24,7 jeunes par éducateur.

Un point sur lequel la PJJ conserve une marge de progression, cependant, est celui du délai de mise en oeuvre des mesures décidées par le juge des enfants : ce délai peut facilement atteindre six à huit mois, pour partie en raison de délais inhérents à la surcharge de travail des greffes dans les tribunaux, et pour partie en raison des délais propres à la PJJ. Ces délais sont plus élevés dans certains territoires, la Seine-Saint-Denis par exemple. Il n'est pas rare qu'il s'écoule dix-huit mois entre le jour de l'audience et la prise en charge concrète par un éducateur, ce qui est une durée considérable dans la vie d'un adolescent. L'activité de la PJJ est également marquée ces dernières années par l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés. Au 1er octobre, on dénombrait 835 mineurs incarcérés, alors qu'ils n'étaient que 715 au début de l'année 2016. La commission nationale consultative des droits de l'homme s'est inquiétée de cette évolution dans un avis rendu en mars 2018, parlant d'une « banalisation de l'enfermement ». Au Sénat, la question de l'enfermement des mineurs a été étudiée par la mission d'information présidée par notre collègue Catherine Troendlé, dont le rapporteur était Michel Amiel. Elle a souligné la part prépondérante de la détention provisoire, qui est à l'origine des trois quarts des incarcérations, ainsi que la part croissante des mineurs non accompagnés (MNA) parmi les jeunes incarcérés, surtout dans les grandes métropoles.

Parmi les priorités de la PJJ pour 2019, figure en premier lieu le programme de construction de nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui absorbe une part importante des marges de manoeuvre budgétaires. Comme vous le savez, le Gouvernement souhaite l'ouverture de vingt nouveaux CEF d'ici à la fin du quinquennat : quinze dans le secteur associatif et cinq dans le secteur public. Le budget 2019 est le premier à allouer des crédits à ce programme de construction : 1,8 million d'euros sont prévus pour commencer les opérations nécessaires à l'ouverture de deux centres dans le secteur public et 2,3 millions pour faciliter le lancement de cinq CEF associatifs, les associations ayant vocation à compléter leur financement par l'emprunt. Je précise qu'aucune ouverture n'est prévue l'an prochain : les nouveaux CEF n'ouvriront pas avant 2021 compte tenu du délai de construction, puis du délai de recrutement et de formation des professionnels.

Dans la conception de ce programme, le Gouvernement tire les conséquences d'erreurs qui ont pu être commises par le passé : les nouveaux CEF seront construits à proximité de bassins d'emplois et de population importants, de manière à faciliter le recrutement du personnel et l'établissement de partenariats avec les acteurs de l'insertion et de l'emploi. Il n'en reste pas moins que les interrogations soulevées par Josiane Costes l'an dernier demeurent d'actualité. On peut d'abord s'interroger sur l'ampleur des besoins : alors que les 52 CEF aujourd'hui en activité sont loin d'être saturés, est-il nécessaire d'augmenter de près de 40 % le nombre de places disponibles ? Ensuite, compte tenu du coût de fonctionnement très élevé de ces structures, on peut craindre que les moyens importants qui devront leur être consacrés ne pénalisent le développement des foyers traditionnels ou le recrutement de familles d'accueil par exemple. Enfin, la PJJ n'a toujours pas réalisé l'étude de cohorte qui serait nécessaire pour évaluer l'impact d'un placement en CEF sur le devenir du jeune et le comparer avec les autres formes de prise en charge. Il conviendra donc de suivre avec attention ce programme de construction afin de s'assurer qu'il répond effectivement aux besoins de la justice des mineurs et de vérifier qu'il n'est pas mis en oeuvre au détriment des autres dispositifs de la PJJ.

Outre la construction des nouveaux CEF, le projet de budget doit permettre de réaliser des travaux d'entretien et de rénovation des bâtiments de la PJJ, qui sont souvent dégradés faute d'investissements suffisants au cours des dernières années. Au total, 12,8 millions d'euros de crédits seront affectés à ces travaux.

On observe également une augmentation de 9 millions d'euros des crédits destinés au secteur associatif habilité. Ces moyens supplémentaires doivent lui permettre de réaliser un plus grand nombre de mesures d'investigation. Cela permettra au secteur public de la PJJ de libérer des moyens qui seront consacrés à la prévention de la radicalisation et au suivi des jeunes de retour de la zone irako-syrienne. Je précise que le secteur public de la PJJ dispose, jusqu'à présent, d'un monopole pour la mise en oeuvre des actions en lien avec la radicalisation.

Enfin, le projet de budget permettra de financer la mise en oeuvre des mesures législatives prévues par le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, que nous avons examiné en octobre dernier. Deux mesures sont prévues : la création d'un placement séquentiel en CEF et l'expérimentation d'une mesure éducative d'accueil de jour.

Le placement séquentiel consiste à organiser l'accueil du jeune, dans la dernière phase de son placement, dans d'autres structures (un foyer traditionnel, une famille d'accueil ou un hébergement autonome en appartement par exemple). L'objectif est de ménager une transition entre la fin du placement en CEF et le retour du jeune à l'extérieur et de préparer au mieux la sortie, afin d'éviter une « sortie sèche ». Le projet de budget prévoit d'affecter 670 000 euros au financement de cet accueil extérieur.

L'expérimentation de la mesure éducative d'accueil de jour est prévue pour trois ans et donnera lieu à un rapport d'évaluation. Elle sera mise en oeuvre par redéploiement de moyens au sein de la PJJ. Il s'agit de prendre en charge des jeunes pendant la journée, dans une perspective d'insertion sociale, scolaire et professionnelle. Conçue comme une solution intermédiaire entre le suivi en milieu ouvert et le placement, cette mesure vise à remobiliser le jeune autour d'un projet éducatif pour l'aider à s'insérer dans les dispositifs de droit commun.

Pour terminer sur une note plus prospective, le ministère de la justice a mis en place, au mois de juin, un groupe de travail chargé de réfléchir à une réécriture de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Modifiée à 40 reprises, cette ordonnance a perdu en cohérence et en lisibilité au fil du temps, de sorte qu'une refonte est demandée par les professionnels de la justice des mineurs. Ce groupe de travail réunit des professionnels et des parlementaires - Catherine Troendlé et Michel Amiel pour le Sénat. Il devrait remettre un rapport à la garde des sceaux en mars 2019, qui pourrait être le prélude à une réforme dont la représentation nationale pourrait être saisie dans le courant de l'année prochaine. Il reste à s'assurer que cette réforme ira effectivement à son terme, de précédents projets n'ayant pas abouti faute de volonté politique d'avancer sur ce sujet.

En conclusion, je vous propose un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

Mme Brigitte Lherbier. - J'ai quelques critiques à émettre concernant le fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse. J'ai participé à des cellules de veille, où ils apparaissaient très en retrait : on ressentait une certaine méfiance de leur part. C'était la même chose à l'école : ils semblaient avoir pour consigne d'écouter beaucoup et de parler peu. C'est dommageable, et c'est peut-être à cause de cela que l'enfermement des jeunes augmente. Pour ce qui est de Paris, lorsque j'ai interrogé le président du tribunal de grande instance sur la PJJ, il a indiqué que l'on pouvait nettement faire mieux.

Le fait que les enfants à problème restent à l'aide sociale à l'enfance (ASE), au lieu d'être pris en charge par la PJJ, constitue un motif d'interrogation. C'est probablement lié au fait que ce ne sont pas les mêmes payeurs, mais c'est une difficulté pour les prendre en charge le plus tôt possible.

M. Jacques Bigot. - Concernant les CEF, à l'origine ce sont des associations qui géraient les foyers d'accueil qui ont suggéré leur création, la PJJ étant plutôt réservée sur ce sujet. La mise en place des nouveaux CEF est prévue pour 2021, ce qui ne correspond pas à la date initialement annoncée par Mme la garde des sceaux, à savoir 2019. Je ne suis pas sûr que les besoins d'investissement immobilier soient aussi importants que le ministère l'anticipe. Ces centres créés répondent-ils à une attente réelle ? Des lieux existants, des foyers associatifs, pourraient s'adapter pour fonctionner en CEF. On sait qu'il y a parfois une rivalité entre la PJJ et le secteur associatif, or il y a une vraie complémentarité à rechercher entre les deux.

Mme Catherine Troendlé. - Dans le cadre de notre travail au sein de la mission d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés, nous avons fait, avec notre collègue Michel Amiel, un point sur les CEF. Nous avons constaté qu'ils pouvaient être des réponses adaptées à certaines situations, mais leur coût est très important et les résultats obtenus parfois décevants - de nombreux jeunes récidivent. Je rappelle que le coût d'un hébergement en CEF est de 660 euros par jour et par jeune. Nous avons mis en garde la ministre concernant le projet de créer un grand nombre de nouveaux CEF, et proposé de mettre davantage de moyens sur les dispositifs de prévention et sur la prise en charge précoce des jeunes délinquants.

M. Jean-Pierre Sueur. - Concernant la philosophie de la prévention, je connais des éducateurs, qui font un travail admirable en CEF, qui sont très à l'écoute. Mais j'ai pu constater que les jeunes ne se restructurent que dans un milieu où ils rencontrent une certaine exigence, où des projets leur sont proposés. L'encadrement des jeunes par l'apprentissage, le travail, les horaires joue un rôle essentiel, c'est cela qui motive les jeunes, qui leur donne confiance en eux.

Mme Maryse Carrère, rapporteure pou avis. - Notre collègue Brigitte Lherbier a raison d'insister sur les partenariats avec les acteurs locaux même si, comme je l'ai indiqué, la PJJ s'est recentrée ces dernières années sur le pénal. Si la délinquance juvénile est globalement stable, on constate parfois des actes très violents qui appellent une réponse forte.

À Jacques Bigot, je voudrais dire que les services de la PJJ comme les associations ne souhaitent pas la transformation de foyers traditionnels en CEF ; ils veulent ouvrir de nouvelles structures sans fermer de foyers existants. Je partage votre point de vue sur l'importance de la complémentarité entre la PJJ et le secteur associatif, qui peut d'ailleurs être vecteur d'innovations. Les dotations financières au secteur associatif ont été très contraintes ces dernières années, et il a aujourd'hui un peu plus d'oxygène. Nous n'avons pas réussi à savoir si la création des prochains CEF correspondait à un réel besoin et surtout s'ils étaient répartis en fonction des besoins des territoires. Le délai d'ouverture des nouveaux CEF est souvent lié à des problématiques foncières ou à des négociations avec les élus.

Je partage les préoccupations de Catherine Troendlé sur l'importance de la prévention. Mais nous avons clairement eu, au fil des auditions, l'impression qu'on est de plus en plus sur une stratégie de l'enfermement. Il est dommage de ne pas privilégier d'autres dispositifs, en milieu ouvert notamment, qui seraient parfois plus adaptés. Cela dit, lors de la visite du CEF de Saint-Brice-sous-Forêt, nous avons rencontré peu de jeunes, car plusieurs participaient à un camp de plein air et d'autres étaient en stage dans une entreprise. Ces centres ne sont donc pas si « fermés » que cela. Nous avons aussi constaté l'engagement et l'implication du personnel, même si les conditions de travail souvent difficiles entraînent un turn over important.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - Le programme « Administration pénitentiaire » représente 41,41 % des crédits de la mission « Justice », soit 3,75 milliards d'euros de crédits de paiement en 2019. Ces derniers augmentent de + 5,75 %, soit 203 millions d'euros supplémentaires. Les autorisations d'engagement diminuent en revanche de 151,57 millions d'euros et de 4,36 % pour s'établir à 3,325 milliards d'euros.

Presque la moitié de la hausse des crédits de paiement s'explique par l'augmentation des crédits consacrés aux dépenses de personnel. C'est bien normal après le mouvement de janvier dernier qui a démontré le malaise des surveillants en situation de sous-effectif chronique. Le plafond d'autorisation d'emplois pour 2019 est relevé à 41 514 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit une hausse de 3,2 % par rapport à l'année dernière. Cette évolution permet la création de 959 postes.

Je ne reviens pas sur l'absence d'attractivité des postes de surveillants pénitentiaires : lorsque l'on a un candidat pour une place, c'est déjà exceptionnellement bien.

L'augmentation globale des crédits du programme ne doit pas occulter des baisses préoccupantes au sein du budget. Ainsi, les dépenses relatives à la formation professionnelle des détenus diminuent de près de 10 % par rapport à la loi de finances pour 2018 : seulement 14,6 millions d'euros y seraient consacrés en 2019.

Les dépenses d'intervention en matière de politiques d'insertion en faveur des personnes placées sous main de justice diminuent également de plus de 30 % : seulement 8,6 millions d'euros seraient consacrés en 2019 au développement des activités culturelles et sportives des personnes détenues.

Le budget consacré à l'administration pénitentiaire augmente mais ses missions et le nombre de personnes prises en charge augmentent également. Au 1er avril 2018, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) suivaient 165 388 personnes en milieu ouvert, soit 3 % de plus qu'en 2016.

L'essentiel des mesures suivies par les SPIP étaient des mesures post-sentencielles notamment des mesures de sursis avec mise à l'épreuve ou des mesures de travail d'intérêt général.

Si le nombre de personnes suivies en milieu ouvert augmente, le nombre de personnes placées sous écrou continue également de croître à un rythme très soutenu : + 3,5 % au 1er octobre 2018 par rapport au 1er octobre 2017. Au 1er octobre 2018, un nouveau record a été atteint : 81 884 personnes étaient placées sous écrou, dont 70 714 étaient détenues, soit + 3,1 % par rapport au 1er octobre 2017. Parmi les 70 714 personnes détenues, 20 915 étaient prévenues et 49 799 étaient condamnées.

Dans ce contexte de hausse continue du nombre de personnes prises en charge, en détention comme en milieu ouvert, l'augmentation des crédits prévue pour 2019 apparaît insuffisante. La situation demeure extrêmement préoccupante dans les établissements pénitentiaires en raison d'un parc immobilier à la fois sous-dimensionné pour la population carcérale et insuffisamment entretenu. La surpopulation carcérale soumet les chefs d'établissement à des choix cornéliens : ils sont conduits à incarcérer dans des cellules individuelles de 9 m², deux, trois, voire quatre personnes qui ne partagent ni la même tranche d'âge, ni la même confession religieuse, ni la même situation psychologique, ni la même situation pénale (prévenu ou condamné), ni la même catégorie d'infraction à l'origine de leur incarcération. On peut trouver dans une même cellule des auteurs de délits routiers et de crimes sexuels.

Cette surpopulation carcérale entraîne naturellement une concurrence entre détenus pour accéder aux activités ou au travail. Si les détenus souhaitent très majoritairement accéder au travail, seulement 28,6 % de la population carcérale a pu travailler, ce qui est vraiment peu, sur les quatre premiers mois de 2018. Seuls 24 % des détenus majeurs ont pu être scolarisés en 2017.

En moyenne, les détenus n'ont que 3 heures et 46 minutes d'activités par jour. Ces « activités » incluent le travail, la formation professionnelle, l'enseignement, les activités éducatives, culturelles, socioculturelles, sportives et physiques.

Les détenus sont également en concurrence pour accéder aux douches. Seulement 30 % des cellules du parc pénitentiaire hexagonal sont équipées d'une douche. Ainsi, la majorité des détenus ne peut se doucher que deux à trois fois par semaine : à chaque fois, cela entraîne un mouvement qui consomme du temps de surveillant. Ces mouvements génèrent des tensions entre ceux qui ont le droit d'aller prendre une douche et les autres.

Outre des conditions d'hygiène insuffisante, la promiscuité est génératrice de violence, qui peut être exercée par les détenus contre eux-mêmes (automutilation, suicide) ou contre les autres. Ainsi, le nombre d'incidents dont sont victimes les personnes détenues de la part de leurs codétenus a augmenté de 8,85 % entre 2017 et 2018.

109 suicides sont à déplorer sur les neuf premiers mois de l'année 2018.

Les mauvaises conditions de détention des détenus compliquent considérablement le travail des surveillants qui sont confrontés à ces situations, particulièrement dans un contexte de sous-effectif chronique. Plus de 7 % des postes de surveillants sont actuellement vacants.

Après cette présentation générale, j'aimerais m'attarder sur trois sujets de préoccupation qui me paraissent importants.

Tout d'abord, j'ai été très surpris de la carence des outils statistiques de l'administration pénitentiaire : il n'existe aucune véritable évaluation des politiques publiques en matière pénale et carcérale.

En premier lieu, il y a un déficit de connaissance de la population pénale : qui est condamné ? Quelle est sa situation sociale et familiale ? On ne dispose d'aucune donnée récente et fiable sur le niveau de santé des personnes détenues, sur leurs addictions éventuelles ou la part des troubles psychologiques, même si elle est évaluée a priori à 40 % en détention.

En second lieu, aucune évaluation n'est réalisée sur l'efficacité des politiques conduites. Il n'y a aucun véritable indicateur de performance concernant l'administration pénitentiaire. Par exemple, certains détenus suivent un programme de prévention de la radicalisation violente. Dans le projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances, a été créé un indicateur qui mesure l'évolution du taux de détenus radicalisés ayant participé à ce programme ; c'est intéressant mais c'est un indicateur d'activité, pas de performance. Ce qu'il faudrait, c'est évaluer l'efficacité de ces programmes de prévention, l'impact qu'ils ont sur les détenus. Or, au fur et à mesure de nos investigations, ces problématiques se sont avérées complexes : il faudrait passer des années à établir un outil d'évaluation indépendant, externe et pertinent. Aujourd'hui, nous travaillons sur la base d'éléments statistiques fournis au fil de l'eau, et sans données de long terme, ce qui n'est pas très satisfaisant.

Ensuite, deuxième sujet de préoccupation, les services pénitentiaires d'insertion et de probation vont avoir énormément de difficultés à mettre en oeuvre la réforme de la justice.

D'une part, parce que contrairement aux annonces du Gouvernement, il n'y aura pas 8 000 détenus en moins. Cette projection est irréaliste alors que nombre de mesures du projet de loi vont conduire à davantage d'incarcérations, notamment en détention provisoire.

D'autre part, parce que le projet de loi veut augmenter le nombre de mesures suivies en milieu ouvert mais n'augmente les effectifs des SPIP que dans deux à trois ans au mieux. En effet, il faut compter le temps de recrutement et de formation - deux ans - des conseillers pénitentiaires et d'insertion (CPIP).

Enfin le dernier sujet de préoccupation concerne le plan des 15 000 nouvelles places de prison. Contrairement aux engagements du Président de la République, seulement 7 000 nouvelles places de prison seront créées par le Gouvernement d'ici 2022.

Sur les 7 006 places effectivement prévues pour être livrées avant 2022, 30,4 %, soit 2 130 places, ne concerneront pas des maisons d'arrêt ou des établissements pour peines, mais seront des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), soit des centres à sécurité allégée.

La quasi-intégralité des places, hors SAS, annoncées pour 2022 relève en réalité de la livraison d'autres programmes, principalement le programme « 63 500 » lancé en 2011 et le programme « 3 200 » lancé en 2014. Ainsi, 92,6 % des places annoncées pour la création de maisons d'arrêt ou de centres pénitentiaires en 2022 relèvent des programmes précédents, soit 4 516 places sur 4 876 prévues.

Ainsi, par exemple le Gouvernement inclut dans son plan la livraison des 734 places de la maison d'arrêt Paris - La Santé, projet lancé en 2014.

Surtout, le plan 15 000 places ne permettra pas de mettre en oeuvre d'ici 2022 le droit à l'encellulement individuel, pourtant voté en 1875. Afin d'atteindre un taux de 80 % d'encellulement individuel d'ici 2022, il faudrait construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles d'ici 2022, selon les hypothèses d'évolution de la population carcérale.

L'administration pénitentiaire ne croit pas non plus à une réduction du nombre de détenus. Dans le PAP pour 2019, les prévisions de l'indicateur du nombre de détenus par cellule sont en augmentation : 1,42 en 2020 au lieu de 1,33 en 2017. Ces prévisions pessimistes apparaissent cohérentes avec la projection de la population pénale et démontrent l'incapacité du programme actuel de 7 000 places à résorber de manière significative la surpopulation carcérale.

J'ai pu constater lors de ma récente visite à Paris - La Santé avec certains de mes collègues que l'ensemble des cellules individuelles de 9 m² ont d'ores et déjà été « doublées », avec des lits superposés, afin d'accueillir deux personnes par cellule dès la réouverture de l'établissement en janvier 2019.

Enfin, je m'interroge sur la pertinence de ne créer que des maisons d'arrêt et non des établissements pour peines alors que l'ensemble des directeurs que j'ai rencontrés souhaitent un programme axé sur les établissements pour peines. Il est temps de revenir aux fondamentaux : les condamnés, même pour des courtes peines, doivent être incarcérés dans des établissements pour peines. Seuls ces établissements permettent aux détenus de s'inscrire dans un parcours de réinsertion et permettent de lutter contre la récidive.

Même si je constate, dans ce projet de loi de finances pour 2019, une poursuite de l'effort budgétaire en faveur de l'administration pénitentiaire, ce budget est insuffisant pour répondre au malaise des surveillants, pour permettre la bonne application de la réforme de la justice et pour incarcérer dans des conditions décentes.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

M. François Grosdidier. - Je partage l'avis du rapporteur. Le budget de la justice, plus encore que celui alloué à la sécurité, n'est pas à la hauteur. Le Gouvernement souligne que ces deux budgets sont en augmentation, et c'est exact, mais ils ont été tellement sous-dimensionnés pendant longtemps que ce budget n'opère pas le rattrapage qui aurait été nécessaire. Les effectifs de la justice sont insuffisants : rapporté au nombre d'habitants, le nombre de magistrats et de greffiers est très en deçà de ce que font des États comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni. On ne peut pas se contenter d'une hausse aussi faible que celle proposée par ce budget.

S'agissant des créations de places en établissements pénitentiaires, à l'évidence le Président de la République sera très loin de son engagement de 15 000 nouvelles places. Là non plus, l'investissement massif qui serait nécessaire n'est pas au rendez-vous. Même en favorisant les mesures alternatives à l'emprisonnement et les peines de substitution, les incarcérations vont augmenter. Ce budget est donc insuffisant pour réduire le malaise des surveillants pénitentiaires, au moins aussi présent que chez les forces de sécurité intérieure. Il manque une véritable police pénitentiaire pour créer le lien avec les détenus et faire retomber les tensions qui partout existent. Les surveillants pénitentiaires ne sont pas armés psychologiquement et professionnellement pour affronter une telle situation. Les prisons constituent la première zone de non droit en France, plus encore que les quartiers. L'augmentation globale du budget cette année ne doit pas masquer le fait que la justice n'est pas la priorité nationale qu'elle devrait être. Je reconnais toutefois que ce problème n'est pas récent et que tous les gouvernements, de droite comme de gauche, y compris ceux que, sur ces bancs, nous avons soutenus, n'ont pas accordé à la justice les moyens nécessaires.

M. Jacques Bigot. - Je comprends tout à fait les raisons qui conduisent notre rapporteur à émettre cet avis défavorable mais je ne voudrais pas que cette position soit mal interprétée. Il est vrai qu'on ne retrouve pas la déclinaison budgétaire des dispositions pénales et pénitentiaires adoptées à l'initiative du Gouvernement. Où sont les moyens en faveur des peines alternatives et des mesures privatives de liberté à domicile ? Où sont les moyens supplémentaires destinés à l'insertion de ceux qui achèvent leur peine ? Comme sur la justice judiciaire, je suis très sceptique s'agissant de ce budget. Mais je tiens à souligner qu'il faut faire attention au signal que l'on donnerait si on émettait un avis négatif. Cette nuance sur l'avis à émettre n'enlève rien toutefois aux insuffisances de ce budget. Pour recruter des SPIP par exemple, trois ans, c'est-à-dire une année pour recruter et deux années de formation, ne suffisent pas. En Allemagne, les formations des personnels d'insertion et de probation sont assurées par des spécialistes en criminologie. Le temps de mettre en place une telle formation, on aura largement dépassé les trois ans, alors qu'on a déjà beaucoup attendu.

M. Philippe Bas, président. - Je voudrais souligner toute la cohérence qu'il y a à émettre des réserves d'ensemble sur le budget de la justice. Ce n'est pas parce que nous émettons un avis favorable sur les crédits alloués à certains programmes que nous devons le faire pour tous les programmes de la mission, puisque nous avons choisi d'émettre des avis sur les programmes et pas sur la mission dans son ensemble, même si cette dernière constitue l'unité de vote des crédits. Or, se manifestent sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire » des insuffisances, plus encore que sur les autres programmes de la mission « Justice », aussi bien en matière d'incarcération que de mesures alternatives. Ce qui importe en la matière, c'est la préparation de la sortie. Sur ce sujet, le compte n'y est pas dans le budget présenté. En Allemagne, la quasi-totalité des détenus travaille. Nos conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, qu'ils accompagnent les détenus en fin de parcours ou les anciens détenus, sont en nombre insuffisant. Nous sommes parvenus à faire augmenter les crédits, au global, mais le budget de l'administration pénitentiaire demeure très insuffisant.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je tiens à remercier notre rapporteur pour le caractère concret de ses observations. Il a évoqué 3 heures et 46 minutes d'activité quotidienne par détenu, mais comme il l'a souligné, c'est un total qui inclut la formation, le sport, etc. Au final, les détenus consacrent très peu de temps au travail. Ce n'est pas satisfaisant dans une optique de réinsertion.

Par ailleurs, le fait qu'il y ait dans la même cellule des détenus condamnés et d'autres effectuant une détention provisoire n'est pas acceptable : ne pourrait-on pas interdire cette cohabitation qui apparait délétère ? Il est difficile pour un prévenu, qui sera potentiellement acquitté, de se comparer à une personne condamnée.

Enfin, s'agissant de la position à adopter sur les crédits alloués au programme, je partage le point de vue de Jacques Bigot. On peut certes voter en faveur du budget des programmes « Justice judiciaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse » et contre le budget « Administration pénitentiaire », mais par cohérence, je m'abstiendrai. Voter autrement risque d'apparaitre incohérent.

M. Philippe Bas, président. - Notre travail est différent de celui de la commission des finances puisque nous décomposons la mission « Justice » en programmes et il nous appartient de donner un avis sur chacun d'entre eux. Nous accepterons, comme la commission des finances, de voter les crédits de la mission dans son ensemble, mais nous donnerons un avis défavorable sur les crédits de ce programme car, en matière de politique pénale, le compte n'y est pas.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - L'article 717 du code de procédure pénale permet, à titre exceptionnel, de maintenir des condamnés dans des maisons d'arrêt. En théorie, cela doit être dans un quartier distinct : en pratique, ce n'est pas le cas. Surtout, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit d'assouplir les règles d'affectation des prévenus dans des établissements pour peines et vice-versa. Or, je pense qu'il est assez grave que des prévenus puissent être détenus au sein d'établissements pour peines.

Alors que nous souhaitons la mise en oeuvre du principe d'encellulement individuel, nous constatons que les cellules individuelles de la maison d'arrêt de
Paris - La Santé, qui doit rouvrir en janvier 2019, ont d'ores et déjà été aménagées avec des lits superposés pour accueillir deux détenus.

L'analyse en détail des 7 000 places qui seront livrées d'ici 2022 révèlent un certain décalage entre les annonces qui ont été faites et la réalité. Comme il existe des amendements d'appel, il peut aussi exister des avis défavorables d'appel pour ramener à la raison et rappeler au nouveau monde que les annonces doivent correspondre à une certaine réalité. Or, la réalité du terrain, au contact des directeurs et des surveillants pénitentiaires, ne correspond pas aux annonces. Nous appelons à plus de réalisme afin que les Français ne soient pas trompés et c'est en cela que nous émettons un avis défavorable.

En outre, je pense qu'une bonne politique pénitentiaire et pénale ne peut être atteinte sans instruments d'évaluation convenables et qu'il est nécessaire que l'on prenne le temps de mener ces études. Des statisticiens pourraient travailler sur ces questions. Nous pourrions ainsi construire une politique intéressante, en rupture avec celle, au « fil de l'eau » jusqu'ici pratiquée.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je pense que certains domaines ne se prêtent que difficilement à cette analyse, comme la déradicalisation, par exemple. Des systèmes de déradicalisation se sont traduits par de véritables fiascos. Je pense qu'il est difficile d'évaluer le degré de radicalisation d'un individu après qu'il a suivi un processus en ce sens pendant un certain nombre d'années. Certains individus semblaient l'être et ont tragiquement montré qu'ils ne l'étaient pas.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - Je partage votre analyse sur cette problématique, mais d'autres évaluations seraient possibles, en matière de réitération notamment, afin de mettre en place des politiques plus efficaces.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

La réunion est close à 12 h 05.