Mardi 6 novembre 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 - Examen du rapport pour avis

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - D'emblée, je suis dans une disposition plutôt favorable à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, en tout cas à court terme, dans cette période charnière où nous nous trouvons, entre les déficits importants du passé et un avenir qui s'annonce un peu meilleur, sous réserve des hypothèses macro-économiques retenues. La Cour des comptes en doute, mais nous ne sommes pas assurés du pire. Sous réserve des appréciations de fond de la commission des affaires sociales, votre rapporteur pour avis est donc, je le répète, plutôt bien disposé.

Le Gouvernement a revu à la baisse ses ambitions en matière de redressement des comptes publics, celui-ci reposant désormais essentiellement sur la maîtrise des dépenses publiques. Or la sécurité sociale représente environ la moitié de ces dépenses. En retenant les hypothèses d'évolution tendancielle de la dépense publique de la Cour des comptes (1,6 % dont 1,7 % pour la sphère sociale), le respect de la trajectoire de dépense du Gouvernement implique la mise en oeuvre l'an prochain de près de 14 milliards d'euros d'économies, dont la moitié pour la sphère sociale.

La part des économies portées par les administrations de sécurité sociale serait donc en ligne avec leur poids dans la dépense publique. Dans le champ des organismes de sécurité sociale, l'année 2019 marquerait le retour à l'équilibre après 18 années de déficit. L'ensemble des régimes obligatoires de base et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) dégageraient un excédent de 0,4 milliard d'euros, à l'issue d'une consolidation de l'ordre d'un milliard d'euros par rapport à 2018.

Cette consolidation est de plus faible ampleur que les précédentes, puisque le déficit de la sécurité sociale a diminué de 2,2 milliards d'euros en 2017 et de 3,4 milliards d'euros en 2018.

Le régime général est excédentaire depuis 2018. En 2019, cet excédent doublerait pour atteindre 2,5 milliards d'euros. Ce n'est pas irréaliste, mais optimiste.

Je souligne deux points de vigilance. En premier lieu, l'amélioration des soldes ne doit masquer ni la dégradation de la branche vieillesse, qui voit son excédent diminuer, ni le déficit persistant de la branche maladie, qui ne se réduirait que de 400 millions d'euros entre 2018 et 2019.

En second lieu, la réduction des déficits ne repose pas sur une diminution des dépenses, puisqu'en 2018, celles-ci augmentent de 2,4 %, dépassant de 900 millions d'euros le plafond prévu en loi de financement. Le redressement des comptes résulte donc entièrement de la forte progression des recettes, de l'ordre de 3,5 % en 2018. La Cour des comptes le souligne, l'amélioration du solde de la sécurité sociale est avant tout conjoncturelle.

En effet, le recul de l'âge légal de la retraite mis en oeuvre par la réforme de 2010 ayant cessé de produire ses effets, les dépenses de la branche vieillesse devraient fortement augmenter dans les années à venir. De même, les dépenses de la branche maladie, notamment celles des soins de ville, demeurent extrêmement dynamiques.

En 2019, avant les mesures prévues par ce projet, cette hausse des dépenses entrainerait une dégradation de 3 milliards d'euros du solde des régimes de base et du FSV. Le solde tendanciel s'établirait donc à - 3,7 milliards d'euros. Pour ramener à l'équilibre les comptes de la sécurité sociale, le PLFSS prévoit 6,1 milliards d'économies, dont les deux tiers, soit 3,8 milliards d'euros, proviendraient de l'Ondam fixé à 2,5 %. La Cour des comptes a déjà souligné que cet objectif serait « difficile à tenir », puisque certaines mesures reconduisent ou majorent des économies prévues pour 2017 qui n'ont jamais été réalisées et qu'en parallèle les dépenses nouvelles seront très dynamiques, avec notamment la mise en oeuvre du reste à charge « zéro ».

Plus du tiers des économies restantes, soit 2,2 milliards d'euros, résulterait du quasi-gel des prestations sociales sur les deux prochaines années. La commission des affaires sociales devrait se saisir de ce sujet. Ce coup de rabot généralisé permettrait de maitriser artificiellement et temporairement la progression des dépenses d'assurance vieillesse au prix d'une diminution du pouvoir d'achat des familles et des retraités, dénoncée sur tous les bancs. Pour une personne seule percevant une pension de retraite mensuelle de 1 330 euros, la désindexation entraînerait une perte de 192 euros par an.

Cette mesure s'ajoute à la hausse du taux de CSG votée l'an dernier et à laquelle je m'étais vigoureusement opposée. Selon les dernières estimations, près de 7 millions de ménages, représentant un peu plus de 10 millions de retraités, seraient perdants du fait de la hausse de CSG sur les revenus issus de leur pension. Pour le même retraité percevant une pension mensuelle de 1 330 euros, la hausse de la CSG entraînerait une perte de 288 euros par an.

Le Gouvernement, conscient des effets délétères de cette mesure, prévoit, dans ce projet, de l'atténuer, en lissant les effets de la hausse du taux de CSG sur les retraités. Ainsi, seuls les retraités dont le revenu fiscal de référence dépasse le seuil d'assujettissement durant deux années consécutives seront assujettis à la CSG à taux normal. Si cette démarche va dans le bon sens, elle ne devrait concerner que 350 000 foyers, soit seulement 3 % des retraités touchés par la hausse de la CSG. Le redressement des comptes de la sécurité sociale est un objectif louable, qui doit être accompli par le biais de réformes d'envergure, non de coups de rabots ponctuels. Pour l'instant, ce n'est pas ce que nous voyons.

Telle que votée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en réduction de cotisations sociales employeur prévoyait, à compter du 1er janvier 2019, un allègement des cotisations d'assurance maladie et un renforcement des allègements généraux.

Alors que la réduction des cotisations patronales maladie entrera en vigueur au 1er janvier 2019, le Gouvernement a fait le choix de retarder au 1er octobre 2019 le renforcement des allègements généraux portant sur les contributions d'assurance chômage. Ce décalage entraînerait une économie de 2,3 milliards d'euros pour le budget de l'État.

L'entrée en vigueur des allègements généraux rend moins attractifs plusieurs dispositifs spécifiques d'exonérations. Le PLFSS supprime ou modifie un certain nombre de dispositifs, dont celui applicable aux travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE).

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale instaure une exonération totale de cotisations sociales salariales vieillesse sur les heures supplémentaires et complémentaires.

La mesure correspondrait à une exonération de 11,31 points de cotisations, représentant un gain moyen de pouvoir d'achat de 200 euros par an pour les salariés.

Je salue l'adoption de mesures destinées à rendre le travail plus rémunérateur. Je regrette que le dispositif retenu se limite à une désocialisation partielle des heures supplémentaires, alors que la défiscalisation totale des heures supplémentaires a fait la preuve de son efficacité. Attendons le projet de loi de finances (PLF) !

J'en viens à l'avenir des relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Le projet tire les conséquences du rapport de MM. Charpy et Dubertret sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, et esquisse plusieurs pistes quant au devenir des excédents dégagés par la sécurité sociale.

Ces excédents futurs permettraient de résorber définitivement la dette sociale, somme de la dette portée par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et des déficits cumulés du régime général, conservés par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Il y a un débat entre l'ancien directeur de l'Acoss et la Cour des comptes, qui divergent sur l'estimation de la dette résiduelle. En tout cas, l'arbitrage rendu est très clair : 15 milliards d'euros seront transférés.

Le résidu de dette non transféré à la Cades serait amorti par les excédents futurs de la sécurité sociale : c'est assez optimiste, mais il faut y croire ! Les nouvelles relations financières entre l'État et la sécurité sociale s'articuleraient autour du principe de solidarité financière entre les deux sphères. Cela aurait deux conséquences majeures.

En premier lieu, cette solidarité financière impliquerait un partage du coût des allègements de charges entre l'État et la sécurité sociale, du jamais vu ! Ainsi, les baisses de prélèvements obligatoires décidées en lois financières ne donneront pas lieu à compensation, ce qui représente une perte de 2 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2019.

En second lieu, conformément aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, les excédents de la sécurité sociale auraient vocation à être restitués à l'État. Cette restitution serait réalisée dans le cadre d'une réduction progressive de la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale. Ces excédents demeurent très hypothétiques. On entre dans une autre période de financement de la sécurité sociale. S'ils étaient inférieurs à 13,4 milliards d'euros en 2022, les transferts en faveur de l'État se traduiraient par de nouveaux déficits pour la sécurité sociale.

Selon toute vraisemblance, le Gouvernement devra renoncer à l'un de ses objectifs : le partage du coût des allègements généraux avec la sécurité sociale, le transfert d'une partie des excédents dégagés par les régimes obligatoires de base à l'État par la minoration de la fraction de TVA, l'amortissement concomitant de la dette portée par la Cades et de celle détenue par l'Acoss.

Si la courbe d'amortissement progressif de la dette se poursuit, la Cades se retrouvera en 2024 avec une « cagnotte ». Ne soyons pas naïfs, mais regardons la bouteille à moitié pleine ! Souvenons-nous des grands doutes qui ont accompagné la mise en place de la Cades. Nous voyons aujourd'hui que cela ne s'est pas si mal passé ! Que faire ensuite ? Structurer une autre opération d'amortissement de dette ? Une autre solution sera-t-elle trouvée ? La question se posera en 2024...

Sous réserve de l'adoption des amendements que je vais présenter dans un instant, et sous réserve des initiatives que prendra la commission des affaires sociales, je vous propose de donner un avis favorable aux articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 dont la commission des finances s'est saisie.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous remercie pour cet avis sur ce budget considérable, et même supérieur au projet de loi de finances. L'amélioration est due davantage au dynamisme des cotisations qu'à de réelles économies et il demeure des sujets importants, notamment la désindexation des pensions, qui entraîne des conséquences, non seulement sur la sécurité sociale, mais aussi sur le budget. Notre avis ne peut donc qu'être en cohérence avec celui de la commission des affaires sociales. Si la commission des affaires sociales revenait sur la non-indexation des pensions, cela concernerait également celles des fonctionnaires. Par ailleurs, certaines prestations, telles l'aide personnelle au logement, la prime d'activité, l'allocation aux adultes handicapés sont désindexées. Le lien entre ces deux projets de loi financiers implique une coordination avec la commission des affaires sociales.

Je soutiens vos amendements, avec le même regret que celui que vous avez exprimé sur les exonérations de cotisations sociales relatives aux heures supplémentaires : je regrette qu'il faille différer cette mesure, certes couteuse, jusqu'à la fin de l'année, car elle représente un réel gain de pouvoir d'achat. La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires fut l'une des toutes premières mesures du collectif qui a suivi l'alternance et certain ont reconnu après que c'était une erreur.

M. Jean-François Rapin. - Voit-on déjà, dans le PLFSS, des signes précis du plan Santé décliné par le président de la République, au-delà des intrications entre le PLF et le PLFSS ?

M. Roger Karoutchi. - Je suis très sensible, comme tout le monde, aux chiffres qui nous sont annoncés, mais heureusement que l'on ne confond pas l'équilibre financier et la qualité. Faites un tour dans certains hôpitaux en région parisienne ou en province, écoutez Alain Milon parler des services d'urgence...Je veux bien que l'on rééquilibre les comptes des hôpitaux, mais je ne suis pas sûr que les malades y trouvent leur compte !

Quelle est cette société qui, pour arriver à l'équilibre, désindexe les pensions, soigne moins bien les gens, considère que l'essentiel, c'est le solde financier, sans mettre en cause le système même de financement de la santé en France ? C'est une méthode de gouvernement un peu curieuse...

Mme la ministre de la santé a dit qu'elle voulait absolument mettre en place le dossier médical partagé (DMP), une idée d'une dizaine d'années de Philippe Douste-Blazy, abandonnée ensuite, qui représenterait une manière d'être mieux soigné et un gain sur l'équilibre financier. A-t-on une idée réelle de ce gain ?

Mme Fabienne Keller. - Les déficits des hôpitaux publics se sont fortement creusés : ils ont doublé entre 2012 et 2017, il est question d'un milliard d'euros pour tous les établissements de France, et cela serait encore aggravé dans l'année qui vient. Quel lien entre l'amélioration du compte santé et l'aggravation du déficit des structures ? Les moyens nécessaires à leur fonctionnement sont-ils assurés ?

Je soutiens l'analyse d'Alain Joyandet sur la désindexation des pensions. Confirmez-vous qu'aucune action n'est possible pour les pensions de bas niveau, en raison de l'article 40 ?

Dans le plan Borloo du début de l'année, qui n'a finalement pas été annoncé, puis dans le plan pauvreté, figurait une mesure spécifique de tiers payant pour la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). Actuellement, pour accéder à l'emploi, pour les femmes, les familles, on est obligé d'avancer la somme totale de la garde, avec un décalage de l'ordre de deux mois, d'où la faiblesse du recours à ce système, en dépit de la priorité que représente l'accueil du jeune enfant. Cela a-t-il été discuté ?

M. Thierry Carcenac. - Cette présentation montre les liens croissants entre le PLFSS et le budget général, d'où la nécessité d'aborder différemment ce débat à l'avenir. Monsieur le rapporteur pour avis, vous vous êtes déclaré plutôt croyant dans le but à atteindre, l'équilibre ; je suis plutôt dans le doute, quant à 2020. La désindexation montre que l'on finance l'amélioration du pouvoir d'achat de certains par la baisse du pouvoir d'achat d'autres.

Quant aux hôpitaux, en situation de déficit, comment trouver un équilibre alors que leur tarification baisse ? J'aurais un avis plutôt négatif sur ce texte compte tenu de son effet récessif et des autres problèmes posés par les mesures proposées.

M. Jean-Claude Requier. - Je tiens à remercier le rapporteur pour avis pour sa clarté et son optimisme. Il faut en effet se féliciter du retour à l'équilibre, après 18 ans de déficit, ce qui n'est pas rien, même s'il reste des problèmes importants, à l'hôpital en particulier. Mes questions, même si les amendements y répondent en partie, portent sur la compensation pour les TO-DE, la fin du CICE et la CSG. J'écouterai avec intérêt la présentation des amendements. Globalement, j'ai une opinion favorable sur le texte.

Mme Sylvie Vermeillet. - Je me suis intéressée au fonds de réserve pour les retraites, qui alimente la Cades et s'élève à près de 36 milliards d'euros. Ce fonds souverain, géré par la CDC, atteint une performance annuelle de 7,16 %, suffisante pour assurer le remboursement annuel de la Cades, soit 2,5 milliards d'euros d'intérêts. Ce fonds, à l'apurement de la dette gérée par la Cades, peut constituer une enveloppe intéressante à affecter.

On s'est demandé comment le budget pourrait absorber les 35 milliards d'euros de dette de la SNCF. Je me demande si vous avez des pistes sur l'éventuelle affectation de ce fonds.

M. Antoine Lefèvre. - Je partage l'analyse et le commentaire de Roger Karoutchi sur la situation très alarmante des hôpitaux. On continue à leur infliger une sacrée saignée, méthode qui ne fait pas partie des soins modernes...

L'an dernier, les conseils départementaux souhaitaient récupérer l'allocation de rentrée scolaire (ARS) pour les mineurs placés par l'aide sociale à l'enfance, qui continue à être versée aux parents, alors que ceux-ci n'assument aucun frais lié à la rentrée scolaire. A la veille du congrès de l'ADF, avez-vous des éléments sur cette question financière non négligeable ?

M. Éric Bocquet. - Un mémorandum d'information de l'Acoss de mars 2018 porte sur une émission d'euro commercial paper de 40 milliards d'euros, bien notée par les agences Fitch, Moody's, Standard and Poor's. Parmi les banques intervenant dans l'affaire, dealers en anglais, figure comme pilote général ou « arrangeur » du programme, la banque UBS Limited. Connait-on le montant de sa rémunération ? Confier la gestion de la dette de la sécurité sociale à une banque comme celle-là pose un sacré problème éthique.

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - Comment maintenir la qualité des soins avec des hôpitaux en déficit, pour au bout du compte apporter un bénéfice ? C'est la quadrature du cercle. Beaucoup d'entre nous ont été ou sont présidents ou membres de conseils d'administration d'établissements hospitaliers et force est de reconnaître que l'on est « à l'os ». On a fait depuis de nombreuses années des réformes importantes. On nous demande d'augmenter l'activité, puisqu'on est payé au chiffre d'affaires et chaque année, la facturation diminue à qualité des soins constante. Président de mon hôpital départemental depuis 23 ans, je pense que l'on est au bout des économies, d'où l'amélioration des comptes due à cette gestion de plus en plus contrainte. Étant ici à la commission des finances, je me suis efforcé de m'en tenir à l'aspect financier, sans faire de commentaire sur la qualité des soins. J'y suis néanmoins très sensible, tout comme vous, et je m'y serai appesanti si j'étais à la commission des affaires sociales.

Jean-François Rapin, sur le plan Santé, nous n'avons pas beaucoup de données, mais 0,2 point ont été accordés en plus sur l'Ondam, pour commencer à faire face aux conséquences financières de ce plan pour le PLFSS 2019.

Nous ne nous sommes pas saisis de la question du dossier médical partagé. Je ne sais pas quelles économies en sont attendues, mais la mise en place d'un tel monstre informatique peut faire peser des doutes sur la rentabilité immédiate...Nous avons l'expérience, dans nos hôpitaux, des systèmes informatiques, où les gains ne sont pas toujours au rendez-vous, avant une longue période en tout cas.

Fabienne Keller, nous ne nous sommes pas saisis non plus de la PAJE. La désindexation des retraites est un sujet de fond que la commission des affaires sociales devrait traiter. Je ne me suis pas senti en responsabilité pour vous présenter un amendement qui coûterait 3 à 3,5 milliards d'euros...

Thierry Carcenac, pourquoi ne pas être croyant, dans un cadre très laïc ? Tout à fait d'accord sur les rapports entre PLF et PLFSS, il faudrait des passerelles, tant les sujets financiers sont entremêlés, mais nous devons tenir compte de la LOLF : nous sommes encadrés par notre règle.

Sur la tarification, nous ne pourrons pas aller plus loin. Pour l'avenir, je reste droit dans mes bottes. On doit pouvoir trouver la quadrature du cercle entre une qualité des soins pour nos concitoyens et l'équilibre de l'ensemble du système.

Sur les TO-DE, je vais vous proposer un petit amendement. L'Assemblée nationale est allée jusqu'à 1,15 SMIC. Mon amendement propose d'aller jusqu'à 1,25 SMIC, ce qui n'a pas un coût exorbitant. Ce serait plus raisonnable, car la mesure générale de baisse des charges n'est pas compensée par le coefficient de 1,15. Dans certaines régions qui recourent en nombre aux travailleurs saisonniers, j'ai rencontré des professionnels qui m'ont montré qu'à 1,15 SMIC, le compte n'y est pas. La dépense supplémentaire est de l'ordre de 150 euros par travailleur saisonnier, ce qui représente des sommes très importantes pour des entreprises employant beaucoup de saisonniers.

Que faire, Sylvie Vermeillet, de cette « cagnotte » technique qui restera après l'amortissement de la dette ? Pourquoi ne pas contribuer à réduire la dette de l'État ? Ce ne serait pas scandaleux ! On pourrait consolider une nouvelle structure ou reprendre celle qui existe, pour amortir d'autres dettes importantes, comme celle de la SNCF ou d'autres encore. Ne soyons pas béats non plus : n'écartons pas l'hypothèse que nous ayons besoin de cette cagnotte si les prévisions optimistes du Gouvernement ne se réalisaient pas. En tout cas, gardons à l'esprit que nous aurons cela, en 2024, pour faire face à diverses situations.

Antoine Lefèvre, nous avions l'an dernier cosigné un amendement sur l'allocation de rentrée scolaire, auquel le Gouvernement a donné un avis défavorable, ce qui n'empêche pas de recommencer...

Éric Bocquet, a priori, les 15 milliards d'euros transférés de l'Acoss à la Cades laissent un résidu qui ne serait pas une dette mais plutôt un besoin en fonds de roulement (BFR) pour faire face au décalage entre les recettes encaissées et les dépenses sorties. On n'est pas sûr qu'il ne puisse y avoir en plus un peu de dette, d'où, Sylvie Vermeillet, la prudence qui s'impose à ne pas utiliser dans tous les sens cette réserve.

Sur l'UBS, je n'ai pas de commentaires à faire, ni d'éléments sur la rémunération de cette entreprise. Les fonctionnaires que nous avons dans ces caisses d'amortissement de dettes sont de très haut niveau et font un travail remarquable, et remarqué, au niveau mondial, puisque nous avons recours au marché mondial pour financer nos échéances. Nos émissions rencontrent un très grand succès et nous permettent d'emprunter à des taux négatifs : on peut gagner de l'argent en remboursant ainsi notre dette !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce n'est pas forcément pérenne...

M. Yvon Collin. - En effet !

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - Certes, ce n'est pas structurel, mais on peut ainsi, conjoncturellement, récupérer du BFR, en remboursant notre dette, au moyen d'un nouvel emprunt. Nos hauts fonctionnaires, souvent décriés, ont fait, je le répète, un travail remarquable, sous l'autorité des différents ministres qui se sont succédé.

Article 8

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - J'ai présenté l'amendement n°  16 en répondant à la question sur les TO-DE.

M. Éric Bocquet. - Nous votons contre.

L'amendement n°  16 est adopté.

Article 11

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  17 exonère de CSG sur les revenus fonciers les retraités dont le revenu fiscal de référence ne dépasse pas 11 018 euros pour une personne seule, seuil retenu pour la première part du quotient familial, moyennant 2 942 euros pour chaque demi-part supplémentaire.

J'ai rencontré une personne veuve, femme de commerçant depuis cinquante ans, qui perçoit 150 euros de retraite et des revenus fonciers de 600 euros par mois, soit 750 euros par mois pour vivre et on lui envoie, sur les 600 euros de revenus fonciers, une facture de 1 118 euros, soit 18 % de prélèvements sociaux.

Ne pourrait-on pas, ce qui a un faible coût, exonérer les personnes dans cette situation de CSG ?

M. Vincent Delahaye. - Je suis un peu embarrassé, car nous supprimons des niches fiscales et là, on en crée une. Le revenu fiscal de référence, mentionné dans l'exposé des motifs de l'amendement, intègre les revenus fonciers...

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - Bien sûr.

M. Vincent Delahaye. - Oui, mais le revenu fiscal de référence n'est pas visé dans le dispositif de l'amendement, il faudrait le rajouter dans le texte, pour qualifier le seuil de 11 018 euros...

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - Oui, je peux le rectifier en ce sens.

M. Vincent Delahaye. - Je suis enclin à m'abstenir, en raison de la création d'une niche fiscale supplémentaire...

M. Alain Joyandet. - Ce n'est pas une niche pour riches, mais plutôt une niche pour pauvres...

Mme Sylvie Vermeillet. - Le revenu de référence est très bas, je suis d'accord, mais pourquoi exonérer seulement les revenus fonciers ?

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - Parce que la CSG est particulièrement assise sur les revenus fonciers, avec un taux de 9,9 %. Je ne propose pas d'exonérer d'éventuels autres revenus. Cet amendement répond aux cas de personnes qui n'ont pas du tout de retraite mais qui ont un petit bien, telle la maison dont cette veuve a l'usufruit. Le loyer est un remplacement partiel de retraite...

Mme Sylvie Vermeillet. - Cela peut valoir pour d'autres revenus.

M. Alain Joyandet, rapporteur général. - On peut enlever la référence renvoyant aux seuls revenus fonciers.

M. Vincent Éblé, président. - Cette mention ne figure pas dans votre amendement. Peut-être les renvois au code de la sécurité sociale l'y incluent-ils ?

M. Jean Pierre Vogel. - Avec le prélèvement à la source, qu'advient-il des revenus de l'avant-dernière année ?

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - Le revenu de référence est toujours celui de l'avant-dernière année.

M. Vincent Éblé, président. - Vous pourrez en tout état de cause préciser votre amendement en séance.

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - À mon avis, ce ne sera pas nécessaire.

L'amendement n°  17 est adopté.

Article 13

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  18 ouvre aux collectivités territoriales le dispositif simplifié de déclaration et de recouvrement de cotisations et contributions sociales. Il pourrait être utile à nos collectivités de recourir à ce chèque emploi service.

L'amendement n°  18 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les amendements que nous venons d'adopter seront bien évidemment complétés par ceux de la commission des affaires sociales, c'est en ce sens que notre avis peut être favorable.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission a émis un avis favorable aux articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 dont elle s'est saisie.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Santé » - Examen du rapport spécial

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la mission « Santé ». - Les crédits de la mission augmentent de 3,5 %, après la hausse exceptionnelle de 10 % en 2018, pour atteindre 1,423 milliard d'euros. La mission comporte deux programmes. Année après année, le programme 204, qui finance les missions de santé publique de l'État, est raboté, alors que le programme 183, qui correspond à l'aide médicale d'État (AME), c'est-à-dire l'assistance aux immigrés en situation irrégulière, ne cesse d'être abondé, quasiment sans compter. Pourquoi ?

Les crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » sont passés de 635 millions d'euros à 479 millions d'euros entre 2013 et 2019 quand ceux du programme « Protection maladie », naguère de 744 millions d'euros, atteindront 943 millions d'euros en 2019 et sont une hausse de 53 millions d'euros par rapport à 2018.

Entre 2009 et 2017, l'aide de droit commun, qui constitue l'essentiel de l'AME, a vu son coût croître de 47 % et le nombre de ses bénéficiaires, de 46 %. Dans le même temps, on demande chaque année aux quatre opérateurs du programme 204, survivants d'un processus ininterrompu de fusions et de rapprochements, de rogner quelques points de pourcentage sur leurs frais de fonctionnement. Cette année, c'est - 5 %, et - 2,5 % sur les effectifs ! Certes, il n'est pas mauvais de pousser à l'efficience, surtout pour des organismes qui consomment 328 millions d'euros par an...

Cette année, le périmètre de la mission change peu. Cette stabilisation est bienvenue. De plus, la sincérité que nous demandons depuis des années est présente. Enfin, l'évolution des crédits se situe dans l'épure décidée par les lois de programmation.

Mais depuis 2013, après la suppression du ticket modérateur, les crédits des programmes de santé publique ont été diminués de 25 %, et ceux de l'AME ont augmenté de 27 % ! Je salue les efforts de gestion réalisés par les opérateurs. Pour autant, malgré la hausse de 3 % des crédits de la mission, la diminution constante de leur budget a pour résultat que les objectifs ne sont pas atteints. Ainsi, du dépistage du cancer colorectal : le Gouvernement avait fixé pour objectif de dépister 50 % de la population concernée, et on atteint péniblement les 35 % en exécution 2017. Évidemment : les agences qui font la promotion de ce dépistage voient leurs crédits baisser de quelques points de pourcentage chaque année.

J'estime qu'on ne pourra pas continuer ainsi à réduire sans cesse les moyens des opérateurs de la santé publique. Et, tant que nous n'aurons pas réformé en profondeur l'AME, comme l'a proposé Roger Karoutchi en 2015 - et mis en place une gestion sérieuse des flux migratoires - la situation ne s'améliorera pas. Comme l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne, nous devons revenir sur les règles et les limites de notre AME. On pourrait, par exemple, la limiter aux situations d'urgences, aux grossesses et à la santé des enfants et renforcer les actions de pédagogie. J'estime enfin que la suppression du timbre fiscal de 30 euros a été une erreur. La somme ainsi payée par des immigrés en situation irrégulière les sensibilisait au fait que la gratuité n'existe pas. Il est vrai que cela ne rapportait que 5 millions d'euros, mais c'est justement le montant dont on rabote cette année le programme 204 !

Je vous propose deux amendements. Le premier, d'appel, propose comme l'an dernier de réduire les crédits de l'AME de 300 millions d'euros. Son coût serait ainsi ramené à celui que nous connaissions entre 2007 et 2009. Le second propose de remettre en place un ticket modérateur de 30 euros. Sous réserve de leur adoption, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Santé ».

M. Vincent Delahaye. - La mission « Santé » est marquée par la hausse permanente du coût de l'AME, en effet. Voilà des années que nous en parlons, et que nous souhaitons réformer ce programme. J'avais proposé la création d'un groupe de travail au Sénat, associant la commission des finances et celle des affaires sociales, afin d'élaborer des propositions pour encadrer ces dépenses de guichet, sur lesquelles l'État n'a aucune maîtrise. Les propositions du rapporteur vont dans le bon sens, mais un travail sérieux aboutirait à des propositions plus précises : si le Gouvernement ne les mettait pas en oeuvre, nous ne voterions pas les crédits. Une coupe de 300 millions d'euros est plus brutale. Je voterai les amendements du rapporteur et, s'ils ne sont pas adoptés, voterai contre l'adoption des crédits de la mission.

M. Philippe Dallier. - Il y avait fin 2017 une dette de 50 millions d'euros. A-t-elle été absorbée en 2018 ? Les crédits pour 2019 en tiennent-ils compte ? Sinon, cela poserait un problème de sincérité budgétaire.

M. Roger Karoutchi. - Il faudra un jour, au-delà des déclarations incantatoires et des postures idéologiques, se mettre autour d'une table pour réformer l'AME. En 2015, j'avais dit à Mme Touraine que, si nous ne faisions rien en ce sens, les crédits de l'AME exploseraient dans les trois prochaines années, jusqu'à atteindre le milliard d'euros. Elle m'avait répondu avec assurance qu'au contraire, les mesures de maîtrise des dépenses qu'elle mettrait en place contiendraient le coût de ce programme en-deçà de 500 millions d'euros. Beau succès ! Si nous ne rationalisons pas ce dispositif pour maîtriser cette dépense, il finira par être supprimé. Chaque année, le Gouvernement est incapable de prévoir son coût, qui atteint désormais quasiment le milliard d'euros. Je voterai les amendements du rapporteur.

M. Thierry Carcenac. - Cette mission comporte en effet deux programmes, et les crédits enlevés à l'un abondent l'autre. Vous évoquez page 24 la mutualisation entre agences sanitaires, qui devrait être renforcée, et vous indiquez qu'une ordonnance prise en janvier 2017 prévoit un décret en Conseil d'État. Où en sommes-nous ?

Le nombre de bénéficiaires de l'AME a augmenté. La reconstitution d'une dette pose un problème de sincérité budgétaire, certes, sans parler de son effet sur les finances des établissements hospitaliers qui assument la plus grosse part de ce programme - en Guyane, par exemple.

Vous dites qu'il y a des contrôles. Pouvez-vous nous donner des précisions ?

Le fait que le nombre de bénéficiaires de l'AME soit passé de 195 000 à 315 000 doit nous inciter à refuser la baisse de 300 millions d'euros que vous proposez. Je ne voterai pas davantage le rétablissement du timbre fiscal, à l'heure où nous supprimons toutes les petites taxes !

M. Victorin Lurel. - Sur les 315 000 bénéficiaires de l'AME, 30 000 vivent outre-mer, soit 9,2 %. Leur nombre augmente en Guyane. Qu'en est-il à Mayotte, ou à Saint-Martin ? L'État va recentraliser la gestion du RSA à Mayotte et en Guyane. Pour en bénéficier, il faudra désormais quinze ans de présence régulière sur le territoire, et non plus cinq. Tant vaut dire qu'il n'y aura presque plus de RSA servi aux étrangers établis en Guyane. Cela pose un problème de droits de l'Homme ! Nos 750 kilomètres de frontières poreuses - sans parler de celles de Mayotte - ne changent rien au fait que nous avons une Constitution. Nous devons débattre de cette durée de quinze ans, tout comme de l'articulation du RSA avec l'AME, de manière apaisée.

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. - Il serait bon en effet d'effectuer un travail de fond, en rassemblant au maximum, ce qui ne serait pas facile car certains considèrent qu'il ne faut rien changer et que la France, sur ce point, doit dépenser sans compter - ce qui est une opinion parfaitement respectable. Le Gouvernement n'a pas annoncé de remise en cause de l'AME, dont acte. Mais certains parlementaires voudraient agir avant qu'on atteigne les deux milliards d'euros...

En effet, il y a une dette, malgré l'inscription de crédits supplémentaires en loi de finances initiale. Les 50 millions d'euros que vous évoquez résultent d'un manque de 11 millions d'euros, auquel s'est ajouté un déficit de 38 millions d'euros. Pour l'heure, il n'y a pas de solution. Cela aussi devrait nous conduire à débattre d'une réforme de l'AME, car cette dette pose la question de la sincérité des comptes.

Certains hôpitaux assument une grande partie de l'AME, à Marseille, à Paris et dans sa couronne, en Guyane, aussi... La facturation des actes a été réformée et ne se fait pas à la T2A, et l'AME d'urgence, qui coûte environ 60 millions d'euros, fait l'objet d'un paiement forfaitaire. D'où la nécessité de limiter les abus.

Nous n'avons que peu d'information sur les contrôles : nous connaissons leur nombre, mais pas leurs résultats ! Les objectifs en la matière ne concernent pas non plus leurs résultats. Cela en dit long...

Pas de caricatures ! Il n'y a pas des bons d'un côté, qui défendraient de manière irresponsable l'accueil et l'humanité, et des méchants, qui refuseraient de soigner des personnes en détresse. Nous devons promouvoir la fraternité et l'accueil, mais en nous montrant responsables. Sinon, si le coût pour la collectivité nous indiffère, il faudrait ne plus limiter les crédits du programme 204 aussi ! Comment peut-on baisser les crédits de l'agence qui lutte contre le cancer et augmenter ceux de l'AME ?

Nous devons accueillir et bien soigner, tout en préservant les intérêts supérieurs de la Nation.

Quant à Mayotte, je n'ai pas les chiffres, mais je suppose que ce sont les crédits dédiés à la maternité qui dominent.

M. Philippe Dominati. - C'est la première maternité d'Europe !

Article 39

État B

L'amendement n° 1 est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de son amendement.

Article additionnel après l'article 81

L'amendement n° 2 est adopté et devient un article additionnel.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Sécurités » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale », « Sécurité et éducation routières » et CAS « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » et « Sécurité civile » - Examen des rapports spéciaux

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ». - Les crédits de paiement de la mission ont augmenté de 1,62 %, ce qui excède la trajectoire triennale, comme l'an dernier. Les 2 378 ETPT créés constituent la plus forte hausse, sur une année, de celles prévues pendant le quinquennat pour atteindre les 7 500 ETP promis par le Président de la République à la Police nationale et les 2 500 ETPT promis à la Gendarmerie nationale.

La hausse des crédits s'accompagne cependant d'une nouvelle dégradation du rapport entre les dépenses de personnel et les dépenses de fonctionnement et d'investissement. En 2006, les dépenses de personnel représentaient 80 % des crédits et les crédits de fonctionnement et d'investissement, 20 %. Depuis, les sommes affectées aux dépenses de personnel ont crû de 34,53 % tandis que les autres ont diminué de 6,53 %. En cause, les revalorisations générales, et notamment l'application des protocoles d'accord signés en mai 2016, dont la Cour des comptes a estimé qu'ils entraîneraient 200 millions d'euros de dépenses supplémentaires en 2018, et 92 millions d'euros en 2019.

Nous avons fait des comparaisons internationales, qui montrent qu'avec un gendarme ou un policier pour 280 habitants, notre pays est dans une moyenne raisonnable. Cette proportion est d'un effectif de police/gendarmerie pour 273 habitants en Allemagne, d'un pour 427 en Angleterre, d'un pour 220 en Italie et d'un pour 292 en Espagne. Encore ce chiffre ne tient-il pas compte des polices municipales, ni des 7 000 militaires déployés dans le cadre du plan Vigipirate. Ainsi, avec 151 000 policiers et 96 000 gendarmes, nous ne manquons pas d'effectifs.

Avec des dépenses de personnel qui représente 87,5 % des crédits de la mission, les crédits de fonctionnement sont insuffisants, et n'augmentent que de 0,88 %. Les crédits d'investissement, eux, baissent de 13,37 % !

Des efforts ont pourtant été faits, comme l'a montré le rapport de la Cour des comptes sur l'équipement des forces de sécurité - le Sénat a aussi constitué une commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure -, pour faire face au terrorisme et à la crise migratoire. Par exemple, pour que les primo-intervenants sur une scène d'attentat soient bien équipés, chaque brigade anti-criminalité dispose maintenant d'une arme lourde et d'une protection assortie.

Mais 0,88 %, vu l'augmentation des effectifs, c'est insuffisant. En tous cas, la Cour des comptes a mis fin à une polémique entre Parlement et Gouvernement sur l'état des équipements dans son rapport de septembre. Elle dénonce aussi le manque de formation : en 2017, seuls 51 % des policiers et gendarmes ont effectué leurs trois séances de tir par an. Quant au vieillissement du parc automobile, la multiplication des plans ne l'a pas enrayé et, sur ce point, le contraste entre les chiffres avancés et la réalité est flagrant : en 2017, sur 3 000 véhicules annoncés, seuls 1 500 sont arrivés sur le terrain. Depuis 2010, le nombre de véhicules achetés ne permet pas de garantir le maintien à niveau de la flotte. Dans la police nationale, un véhicule doit être remplacé après 170 000 kilomètres ou huit ans - niveau que 14 000 véhicules sur 30 000 auront bientôt atteint. Dans la gendarmerie, c'est 121 000 kilomètres ou 7,4 ans. Or, il s'agit d'un outil de travail essentiel pour les forces de sécurité intérieures.

L'état du parc immobilier, aussi, est très préoccupant. Dans la gendarmerie, l'état des logements influe sur le moral des troupes et, dans la police, le délabrement est tel qu'il faudrait des crédits d'investissement de 650 millions d'euros - et de 300 à 400 millions d'euros dans la gendarmerie. Or, le niveau de ces crédits est respectivement de 165 et 100 millions d'euros. Dans la police nationale, 536 bâtiments nécessitent une réhabilitation lourde.

Certaines réorganisations ont mis à mal les dispositifs opérationnels. En particulier, la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, applicable au ministère de la défense et à la gendarmerie nationale depuis le 1er septembre 2016, implique la création de 4 000 ETPT dans la gendarmerie nationale - alors que seuls 2 500 sont prévus pour le quinquennat.

Pour la police nationale, les protocoles de mai 2016, jugées sévèrement par la Cour des comptes, conduisent à l'application aux forces opérationnelles de la vacation forte. Cela améliore le moral des troupes, qui peuvent disposer d'un week-end sur deux, au lieu d'un sur six. Mais c'est une bombe à retardement. Le directeur général de la police nationale (DGPN), qui avait pourtant assisté le ministre dans la préparation de cette réforme, nous a indiqué que son application sur 11 % des effectifs, malgré la création de 433 ETPT, était difficile, et qu'il avait dû décréter un moratoire, dans l'attente d'un rapport de l'IGA et de l'IGF en mars 2019. Selon lui, il faudrait créer 4 160 ETPT et mobiliser 205 millions d'euros supplémentaires pour mettre en oeuvre la vacation forte. On nous dit qu'elle ne serait pas applicable sur le territoire de la Préfecture de police, ce qui inquiète l'élu parisien que je suis. L'expérimentation menée à Boissy-Saint-Léger a été immédiatement abandonnée, et remise sine die.

Le stock d'heures supplémentaires a cru de 18 % en trois ans pour atteindre 21,7 millions. Ce problème ne concerne pas les gendarmes, qui sont sous statut militaire et disposent d'un logement de fonction. C'est une véritable épée de Damoclès, nous a dit le DGPN, sur la capacité opérationnelle de la police nationale, car ces congés sont pris avant le départ à la retraite, ce qui peut priver le service d'un fonctionnaire pendant une année entière sans qu'il soit remplacé.

Les tâches indues, enfin, demeurent constantes. Ainsi, de la garde de 24 préfectures, qui mobilise 150 ETPT, ou de celle des palais de Justice, qui en emploie 450, sans parler des ivresses publiques manifestes ou des pertes de papiers d'identité. En tout, ces tâches mobilisent 5 % des effectifs.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Votre exposé est très clair. Nous sommes bien placés parmi les pays en termes d'effectifs de police/gendarmerie pour mille habitants. Nous connaissons un problème d'organisation et d'équipement. Comme la Cour des comptes l'a noté, l'administration considère souvent qu'un poste budgétaire coûte moins qu'un véhicule. Je suis sidéré de constater, une fois de plus que les policiers et les gendarmes sont sous-équipés face à ceux qu'ils poursuivent. Ce budget n'est pas à la hauteur des enjeux.

M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, programme « Gendarmerie nationale ». - Lors de son audition, le directeur général de la gendarmerie, le général Richard Lizurey, nous a dit que seuls 16 000 des 24 000 véhicules prévus avaient été remplacés entre 2011 et 2017. Un rattrapage s'impose donc. Pourtant, il n'a pu acheter que 1 600 voitures sur les 3 000 prévues cette année. Il y a donc un sacré trou dans la raquette, même s'il existe des reliquats dans les budgets qui ont été gelés.

Autre problème : la réserve dans la gendarmerie. Il a manqué 900 réservistes dans les brigades territoriales cet été, ce qui pose de réels problèmes lors des animations et des festivals prévus car les collectivités ou les associations doivent s'adresser à des sociétés privées pour assurer la sécurité, d'où des coûts supplémentaires. La réserve opérationnelle est absolument indispensable à la gendarmerie pour tourner dans les territoires ruraux.

Les crédits manquent pour former les jeunes dans les écoles de la gendarmerie : nous constatons une lente dégradation par rapport à l'an passé.

Le ministère veut créer une grande direction du numérique. La gendarmerie a été novatrice en ce domaine, en se dotant de tablettes et de smartphones. Or, le risque de dilution dans cette direction est réel.

Au regard de ce budget, je ne suis pas très optimiste pour l'avenir.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, programme « Gendarmerie nationale ». - Le rapport de la commission d'enquête présidée par Michel Boutant et signé par François Grosdidier a démontré les grandes difficultés rencontrées par la gendarmerie. Comme pour les infirmiers à l'hôpital, les heures supplémentaires non payées font partir bien des gendarmes avant l'âge de la retraite.

Pourquoi ne pas prévoir un plan pluriannuel de programmation pour renouveler le matériel de la police et de la gendarmerie, comme cela se fait dans l'armée ?

Le moral de nos forces de l'ordre n'est pas au beau fixe : il serait important que tous les parlementaires, quelles que soient leurs appartenances politiques, se montrent solidaires. Le taux de suicide est le plus élevé de toutes les catégories socio-professionnelles françaises, y compris les agriculteurs.

Nous avons interrogé le général Lizurey sur la directive européenne : au début, il s'est montré assez rassurant, rappelant que le président de la République s'était engagé à ce qu'elle n'ait pas de répercussion dans notre pays. Mais la suite de sa réponse a démontré quand même l'étendue des problèmes : sans même appliquer strictement la directive, il faudrait quand même recruter 4 100 ETP.

M. Philippe Dallier. - Lorsqu'on se compare à nos voisins, les effectifs de nos forces de sécurité semblent assez confortables. Ne faudrait-il pas comparer ces chiffres à ceux de la criminalité ? Quid du temps de travail chez nos voisins ? De même, quel est le pourcentage de policiers sur le terrain par rapport aux effectifs globaux ? Peut-être connaissons-nous aussi un problème de répartition des policiers sur le territoire : à Bondy, nous avons 100 policiers alors qu'en appliquant le ratio national, il devrait y en avoir 303... Ne pourrait-on affiner tous ces chiffres ?

M. Roger Karoutchi. - En 1998, j'ai introduit dans le budget de la région Ile-de-France un chapitre « Sécurité ». Depuis lors, ce chapitre a plutôt prospéré, quelle que soit l'étiquette politique de la majorité en place. Nous avions signé diverses conventions avec le ministère de l'intérieur pour construire des casernes, des commissariats, des antennes de police. Aujourd'hui, nous avons proposé d'acheter des véhicules pour la police nationale mais, pour des raisons qui m'échappent, nous ne parvenons pas à signer de conventions avec l'État. Quel est le problème ?

M. Antoine Lefèvre. - Dispose-t-on d'un état des lieux complet de l'immobilier de la gendarmerie ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Les collectivités doivent-elles continuer à investir dans des casernes alors que les gendarmes semblent souhaiter des logements individuels ? En outre se pose un problème de sécurité : évitons la concentration de gendarmes dans un même lieu.

M. Rémi Féraud. - Comme lors du quinquennat précédent, les effectifs vont continuer à croître, bien que dans des proportions moindres. En revanche, les investissements diminuent, ce qui réduit d'autant l'efficacité de la politique de recrutement. Sans véhicules supplémentaires, impossible de renforcer les contrôles sur le terrain.

Dispose-t-on d'un état des lieux des commissariats ? En tant qu'élu parisien, je suis sidéré par l'état de certains commissariats.

Enfin, la ville de Paris avait proposé de participer à l'achat de véhicules pour les brigades anti-criminalité (BAC). Cette proposition ne semble pas avoir reçu l'assentiment de la préfecture de police de Paris. Pourquoi ?

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - J'ai été surpris cette année par l'absence de statistiques fiables dans le domaine de la coopération internationale. La Cour des comptes est venue nous détailler quatre séries d'équipements après un an et demi d'enquête : elle n'a pu obtenir le coût d'un véhicule, d'une arme, de munitions dans les pays voisins. Je me suis rendu à la direction de la coopération internationale pour demander les raisons de cette rétention d'informations. Il m'a été répondu que ce n'était pas le rôle de cette direction. Je ne sais pas qui au ministère de l'intérieur pourrait nous fournir ces données qui nous permettraient de nous comparer à nos voisins. Nous avons du mal à savoir comment sont organisés les services à l'étranger : le nombre de policiers par patrouilles, les moyens mis à disposition des policiers. Enfin, il faut prendre en compte la part des effectifs opérationnels sur le terrain et la part de ceux qui restent dans les bureaux. Même remarque pour les véhicules : il y a ceux qui vont en opération et ceux réservés au ministère. La comparaison internationale est donc difficile, et n'y figurent ni les militaires, ni les polices municipales.

Concernant les réticences à laisser les collectivités financer des investissements, je me souviens que le général Favier, prédécesseur du général Lizurey, craignait d'être lié à une collectivité lorsque cette dernière construisait une caserne. Il préférait que l'État ordonnance l'investissement du parc immobilier, pour conserver une certaine liberté d'affectation de ses brigades. Avec l'éclosion des polices municipales, la situation a évolué. De même, je note l'utilisation de plus en plus fréquente des véhicules saisis. Des BAC utilisent les voitures mises à disposition par le ministère de la justice. En revanche, je ne vois aucune volonté de faire financer en partie le parc automobile par les collectivités, bien que la Cour des comptes ait signalé que du fait du vieillissement des véhicules, il fallait recourir à de nouvelles méthodes. Le directeur général de la police nationale a rappelé que les voiture ont moins besoin d'être équipées qu'auparavant, du fait du développement des tablettes numériques et de la téléphonie mobile. Comme le font les Anglais, pourquoi ne pas louer la flotte ? À Berlin, les voitures sont changées tous les quatre ans : à Paris, c'est plutôt huit ans. Certes, le statut de la préfecture de police de Paris complique la donne : l'état du parc immobilier et des véhicules est particulièrement préoccupant. En outre, les agents ne pensent qu'à être mutés le plus rapidement possible.

Le plus simple serait d'en revenir aux ratios des autres pays, comme l'Espagne ou la Grande-Bretagne : 80 % du budget est consacré aux frais de personnel et 20 % à l'équipement. En France, nous en sommes à 87,5 % et 12,5 %...

Après les attaques terroristes, nos agents ont été suréquipés : chaque véhicule comprend désormais un fusil d'assaut lourd sécurisé et chaque policier doit être doté de protections, d'un gilet pare-balle et d'un casque lourd. Les voitures deviennent très lourdes et ne peuvent engager de poursuites. Les intervenants sur le terrain réclament des véhicules plus puissants. La BAC de Marseille a été équipée de breaks, mais ils ne pouvaient circuler dans les petites rues... Le moral des agents dépend en grande partie des équipements fournis.

Fin septembre, le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes a évoqué devant nous la paupérisation des forces de police.

Je vais donc vous proposer le rejet des crédits de cette mission. L'an dernier, j'avais proposé un amendement, mais le ministre de l'intérieur l'avait mal interprété.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial du programme 207 « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités » et du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». - En 2017, après trois années consécutives de hausse - une première depuis 45 ans ! - la mortalité routière recule à nouveau. 3 600 tués ont été dénombrés en métropole et dans les départements d'outre-mer, soit 55 décès de moins qu'en 2016. Cette embellie est cependant fragile, malgré les résultats encourageants des neuf premiers mois de 2018. En effet, le nombre d'accidents et de blessés hospitalisés a continué à croître en 2017.

En outre, le nombre de tués par milliard de kilomètres parcourus se situe désormais au niveau de la moyenne européenne mais s'avère toujours nettement supérieur à ceux de plusieurs de nos voisins tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suisse.

Les crédits du programme 207 « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités », qui ne représente que 0,2 % du montant de la mission « Sécurités », augmentent de 3,9 % pour s'établir à 41,4 millions d'euros.

Le point saillant de ce programme concerne le permis de conduire, dont les coûts d'organisation représentent plus de la moitié des crédits de ce programme. La réforme de cet examen, initiée en 2014, s'essouffle : les indicateurs de performance stagnent tandis que l'opération « permis à un euro par jour », qui apparaît de nouveau surbudgétée, connaît un succès mitigé.

L'architecture du compte d'affectation spéciale « Radars » est toujours aussi tarabiscotée. Sur son arborescence, une nouvelle branche vient se greffer en 2019. Elle se dirige vers le Fonds médical pour les établissements de santé publics et privés (FMESSP), qui va recueillir le surplus estimé des amendes engendré par l'abaissement de la vitesse maximale de 90 à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles, sans séparateur central.

Encore une fois, il me paraît hautement souhaitable de simplifier cette architecture peu lisible, ce qu'a d'ailleurs aussi souligné la commission des finances de l'Assemblée nationale lorsqu'elle a examiné cette mission. Il conviendrait donc de fusionner ces deux sections et de supprimer l'enchevêtrement de ces flux croisés qui diffèrent selon les types d'amendes.

L'estimation du produit total des amendes de la police de la circulation et du stationnement n'a jamais été aussi élevée (1 867 millions d'euros). Cette estimation me semble pour le moins prudente : en effet le montant du produit réalisé en 2017 (1 978 millions d'euros) s'est avéré nettement supérieur à l'estimation de la loi de finances initiale pour 2018 (1 848 millions d'euros).

Le produit des amendes forfaitaires (AF) radars - 1 036 millions d'euros - dépasse pour la première fois le produit des autres amendes forfaitaires et des amendes majorées.

Les crédits demandés au titre des quatre programmes du CAS, qui s'élèvent à 1 296 millions d'euros, baissent pour la deuxième année de suite, et diminuent d'environ 3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Ces crédits représentent plus des deux tiers du produit total des amendes de la police de la circulation et du stationnement.

Seul le programme 751 « Structures et dispositifs de sécurité routière » voit ses crédits augmenter de plus de 10 %. Cette hausse est principalement destinée, comme l'an passé, à couvrir le besoin de financement des nouveaux radars. En effet, le comité interministériel de la sécurité routière (CISR) réuni le 9 janvier 2018 n'a pas remis en cause la stratégie arrêtée par le Gouvernement Valls lors du précédent CISR de 2015, à savoir la poursuite de la stratégie de déploiement de nouveaux équipements afin de porter le parc de radars automatiques à 4 700, la modernisation des fonctionnalités des radars (radars vitesse moyennes, discriminants, double face, feux rouges...), l'augmentation de la part des équipements mobiles et déplaçables (radars chantiers, voitures radars) et la multiplication des itinéraires sécurisés par des dispositifs de radars « leurres » afin de renforcer l'imprévisibilité des contrôles.

Or, il s'avère que le plan de déploiement de ces nouveaux équipements prend, semble-t-il, un sérieux retard, ce qui m'interroge sur la nécessité d'augmenter encore les crédits du programme 751. En effet, la réalisation de l'objectif de 4 700 radars, initialement prévue au 31 décembre 2018, est décalée d'un an. Au 1er septembre 2018, le parc compte 34 équipements de moins qu'au 31 décembre 2017 et, surtout, 288 radars de moins que l'objectif fixé par la loi de finances initiale au 31 décembre de cette année.

L'objectif 2019, tel qu'il est présenté, me semble donc difficilement soutenable, du moins sur le plan technique, d'autant plus que la répartition par type d'équipement affichée dans le projet annuel de performances diffère sensiblement de l'existante. Par exemple, le Gouvernement souhaitait implanter 400 radars « tourelles » en 2018, alors qu'au 1er septembre, on en dénombre seulement 10, installés à titre expérimental. Je serais donc étonné que l'objectif de 400 radars « tourelles », qui est de nouveau annoncé pour 2019, soit atteint dans un an. Les crédits prévus pour 2019 me semblent donc trop importants, alors que vraisemblablement, les crédits de 2018 n'auront pas été entièrement consommés.

En outre, bien que je vous propose d'approuver les crédits du compte d'affectation spéciale, je demeure réservé quant à l'efficacité de ce plan de déploiement de nouveaux radars. Son impact positif sur l'accidentalité routière est encore difficile à mesurer, et s'avère très lié au choix des lieux d'implantation de ces équipements.

De même, je porte un jugement très mesuré sur l'abaissement de la vitesse maximale autorisée. Une application moins systématique, davantage ciblée sur les routes les plus accidentogènes, m'aurait semblé préférable.

S'agissant des autres programmes, à la différence de l'an passé, le programme 755 « Désendettement de l'État » (dont je trouve le libellé ambigu dans la mesure où ce programme ne sert pas directement à diminuer la dette) voit sa dotation diminuer de 7 %, à l'instar du programme 754 « Collectivités territoriales », sachant que les communes bénéficient, depuis janvier 2018, de la décentralisation du stationnement payant et du produit du forfait « post-stationnement ».

Pour conclure sur une touche positive, je note que le comité interministériel de janvier 2018 a adopté plusieurs mesures (qui ont d'ailleurs été totalement éclipsées par l'abaissement de la vitesse !) qui vont dans le sens des recommandations du rapport de contrôle de notre collègue Vincent Delahaye de 2017. À titre d'exemple, une carte des radars, qui devrait bientôt intégrer celle de l'accidentalité, est désormais publiée sur internet.

Compte tenu de ces éléments, je vous propose donc d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale. S'agissant de la mission « Sécurités », le programme 207 dont je suis rapporteur ne représente que 0,2 % de ses crédits...

M. Jean-Claude Requier. - Mon intervention ne servira à rien mais elle me permettra d'exprimer mon amertume. En France, il y a assez de radars ! Dans nos communes rurales, les radars ne sont pas placés dans les endroits dangereux mais sur les lignes droites. En arrivant à Aurillac, il y a 15 km sans virages, et des radars... Il faudrait installer les radars là où se produisent les accidents et non pas seulement là où ils piègent les automobilistes. Cette année, ils vont rapporter encore plus qu'avant !

Enfin, je suis farouchement contre la décision sur le 80 km/h qui a été prise sans aucune concertation. A Paris, on voir les choses de loin, mais c'est bien différent quand on est en province. Il aurait fallu laisser le 90 km/h, même pour les routes avec une bande blanche au milieu, sachant que sur les autres routes secondaires, il est difficile de rouler à plus de 80  km/h !

Mme Sylvie Vermeillet. - À combien se monte la baisse de la contribution aux collectivités territoriales ?

Mme Christine Lavarde. - Comment se fait-il que l'opération « permis de conduire à un euro par jour » s'essouffle ? Est-ce parce que des collectivités financent en partie le permis des jeunes en contrepartie de travaux d'intérêt général ?

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. - Le montant de la dotation au programme 754 « Collectivités territoriales » a diminué de 517 millions d'euros, dans la loi de finances initiale pour 2018, à 478 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019. L'an dernier, nous avions déposé un amendement pour réduire la baisse de la contribution aux collectivités territoriales (qui avait déjà diminué de 148 millions d'euros par rapport à la loi de finances précédente) et qui leur sert à réaliser des aménagements destinés à améliorer la sécurité routière. À l'époque, en effet, nous ne savions pas quels seraient les résultats de la décentralisation du stationnement payant. Le ministre nous avait dit que les collectivités s'y retrouveraient largement. C'est effectivement le cas, d'où la nouvelle diminution pour les collectivités qui désormais peuvent fixer librement le tarif des amendes : dans certaines communes, il est passé de 17 à 60 euros.

À cet égard, je voulais souligner que l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF), qui manquait de ressources du fait de l'abandon de l'écotaxe, bénéficie du solde des recettes des amendes forfaitaires, une fois qu'elles ont abondé le programme 751, dans la limite d'un certain plafond. Le montant de la contribution des amendes radars à l'AFITF devrait augmenter de 450 à 500 millions d'euros entre 2018 et 2019, sur un budget total de 2,4  milliards d'euros.

S'agissant du permis de conduire, le Premier ministre a, par décret du 3 août  2018, chargé deux députés de dresser un bilan des réformes mises en oeuvre au cours des trois dernières années et d'envisager des évolutions possibles pour améliorer les dispositifs en place. Cette mission aura notamment pour objet de réfléchir à l'essoufflement du « permis à un euro par jour », sachant qu'avant même la mise en place de cette opération, certaines collectivités prenaient déjà en charge le coût du permis de conduire des jeunes.

Jean-Claude Requier a raison : compte tenu d'une hausse très marquée des contraventions en juillet, mois d'entrée en vigueur de l'abaissement de la vitesse à 80 km/h, la barre des 2 milliards d'euros sera sans doute dépassée cette année. La croissance du produit des amendes de police de la circulation et du stationnement est donc supérieure à celle du PIB...

Vincent Delahaye s'était penché sur l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) que j'ai eu l'occasion de visiter il y a quelques mois. Cet établissement est très bien organisé : l'agence compte moins de 40 salariés et travaille, dans la cadre de marchés publics, avec plusieurs prestataires, parmi lesquels Docapost, société du groupe La Poste. Son fonds de roulement important est dû au fait qu'elle perçoit les versements de l'État selon un rythme trimestriel, ce qui nécessite qu'elle dispose de plusieurs mois de trésorerie.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial sur le programme 161 « Sécurité civile ». - En 2019, les crédits du programme « Sécurité civile » connaissent une baisse de 393,97 millions en autorisations d'engagements (AE) et de 6,86 millions en crédits de paiement (CP) par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 soit une hausse de 1,29 % en CP et une baisse de 46,15 % en AE. Cette baisse de crédits s'explique par la passation, en 2018, d'un marché de remplacement de la flotte de Tracker par six avions multi-rôles Dash 8. Si on neutralise l'impact de cette acquisition dans le projet de loi de finances pour 2018, le programme « Sécurité civile » est en légère augmentation de 1,64 % en AE et en baisse de 4,51 % en CP pour 2019.

Les crédits du programme « Sécurité civile » pour 2019 sont inférieurs à la programmation triennale de près de 10 millions en crédits de paiement. Cette différence s'explique principalement par des économies réalisées à l'occasion de la passation du marché de renouvellement des Tracker.

La situation des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) me semble préoccupante. Leur importance est pourtant capitale ; ils ont réalisé en 2017, près de 4,6 millions d'interventions, soit une croissance de 2 % par rapport à l'année précédente, avec des disparités selon les départements. Leurs interventions ne sont pas toujours de leur ressort. Ainsi, les pompiers transportent les personnes en alcoolémie avancée. Dans certains départements, les secours à personne augmentent de plus de 10 % par an.

Les budgets des SDIS sont de nouveau en légère hausse, de 1,6 % en valeur. Toutefois, leurs dépenses d'investissement ont connu une baisse importante, de près de 20 % entre 2008 et 2017. Cette baisse apparait d'autant plus préoccupante que le soutien de l'État aux investissements structurants des SDIS s'est récemment affaibli. La dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS, dont le financement s'élevait à 25 millions en 2017, n'est dotée que de 10 millions en 2019, comme en 2018. Cette faible dotation est d'autant plus incompréhensible que les crédits prévus par le PLF sont inférieurs à la programmation pluriannuelle.

La moitié de cette dotation est prévue pour financer le projet de système d'information unifié des SDIS et de la sécurité civile « SGA-SGO/NexSIS », qui constitue, à juste titre, un élément clé de la stratégie du ministère de l'intérieur. De l'avis général, son montant est nettement insuffisant. Il me parait indispensable de réévaluer cette dotation dans les années à venir.

Outre un problème de financement, les SDIS vont devoir faire face à une transformation récente du droit européen de nature à remettre en cause le modèle français de secours. À la suite d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 février 2018 relatif à un sapeur-pompier volontaire belge, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail pourrait s'appliquer aux sapeurs-pompiers volontaires français. Le développement et la pérennité du modèle français de distribution des secours, qui repose de façon significative sur les sapeurs-pompiers volontaires, constitue un enjeu majeur pour la sécurité civile : 79 % des sapeurs-pompiers français sont en effet des volontaires, et leur proportion peut aller jusqu'à 90 % dans les départements les moins peuplés. Selon la directive de 2003, la durée maximale de travail hebdomadaire ne peut dépasser 48 heures et le repos journalier de sécurité doit être de 11 heures consécutives. Si cette directive devait s'appliquer, le sapeur-pompier volontaire qui rentrerait chez lui ne pourrait repartir en intervention avant un intervalle de onze heures. De même, parti en intervention la nuit, il ne pourrait reprendre son travail le lendemain. La CJUE a considéré que les sapeurs-pompiers volontaires devaient être traités comme des travailleurs au sens de la directive, que les période de garde devaient être comptabilisées comme du temps de travail et que les périodes d'astreintes pouvaient être exclues du temps de travail dès lors que les contraintes ne sont pas excessives et ne peuvent être assimilées à celles découlant d'un travail.

L'application de la directive aux sapeurs-pompiers volontaires français entraînerait un accroissement de moitié du coût des services d'incendie et de secours, de nature à remettre en cause le modèle français de secours. On parle tout de même de 2,5 milliards d'euros !

La préservation du statut de sapeur-pompier volontaire appelle une initiative forte de la part du Gouvernement français vis-à-vis de la Commission européenne. En outre, pour remplacer un sapeur-pompier volontaire « ancienne génération », il en faut aujourd'hui deux à trois, tout comme pour les médecins libéraux.

Le budget 2018 est marqué par la poursuite du déploiement du système d'alerte et d'information des populations (SAIP), dont les choix stratégiques, fortement contestables, ne sont toujours pas remis en cause. Je vous avais alerté, par le biais de mon rapport d'information, sur le fait que ce projet concentrait près de 80 % des crédits prévus sur le volet « sirènes », alors même que leur impact apparaît beaucoup plus faible que celui de la téléphonie mobile, qui ne bénéficiait pourtant que de 3 % des crédits consommés ou prévus pour ce projet.

Après un an de fonctionnement et à la suite des recommandations formulées dans mon rapport, l'application smartphone, dont j'avais relevé les insuffisances, a fait l'objet d'une évaluation par l'inspection générale de l'administration et a finalement été abandonnée le 29 mai 2018, sans qu'aucun projet de remplacement ne soit prévu. Le volet « téléphonie mobile » aura ainsi coûté 1,6 million d'euros sans faire preuve de la moindre utilité. Il me semble nécessaire de procéder à une réorientation stratégique plus large de ce projet avant que l'affectation des crédits de la phase 2, qui débute en 2020, ne soit effectuée.

M. Arnaud Bazin. - L'arrêt de la CJUE nous met en difficulté, tant pour les pompiers que pour la réserve dans la gendarmerie. Devant le risque colossal que court la sécurité civile, il est souhaitable que le Gouvernement réagisse.

Les 10 millions d'euros de l'État pour les investissements des SDIS sont absolument dérisoires par rapport au montant global dont ils bénéficient.

Dans les départements urbains, le système de sécurité civile est à bout de souffle : 80 % des interventions concernent des secours à personne, en remplacement du sanitaire. Nous avons des véhicules surdimensionnés, trop de personnel, et nous devons transporter dans l'urgence, alors que le plus souvent ce n'est pas nécessaire. Les départements ne pourront pas continuer à augmenter les budgets des SDIS. Nous devons solliciter le ministre de l'intérieur pour adapter les conditions d'intervention des pompiers pour les secours à personne, pour éviter une dégradation des services offerts.

M. Antoine Lefèvre. - Le turn over des sapeurs-pompiers volontaires est important. Dispose-t-on du montant des crédits destinés à leur formation ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Durant les dix-neuf ans où j'ai présidé le SDIS de mon département, j'ai constaté des reports d'intervention du SAMU, notamment pour des transports sanitaires, sur les SDIS, car il y avait pénurie d'ambulanciers privés. Beaucoup de patients déclaraient des douleurs thoraciques pour être rapidement pris en charge, mais une fois les pompiers arrivés, la douleur avait disparu, ce qui permettait d'empêcher une facturation par le SDIS au SAMU. En outre, la population n'a plus accès à la médecine de ville et les résidents de maisons de retraite demandent à être pris en charge. Une réorganisation globale est donc nécessaire.

Je ne sais pas quel est le montant des crédits destinés à la formation : il y a vingt ans, la durée d'engagement des sapeurs-pompiers volontaires était de 17 ou 18 ans. Actuellement, la durée d'engagement approche des dix ans. Des plateformes de formation à distance sont mises en place par des SDIS pour réduire les coûts. Enfin, certaines femmes sapeurs-pompiers volontaires ne sont plus, à leur demande, formées sur les feux, ce qui réduit d'autant les coûts de formation.

Cela dit, les secours à personne doivent être remis à plat. Chacun doit intervenir dans ses propres domaines de compétence.

M. Didier Rambaud. - En tant que conseiller départemental, je suis depuis une dizaine d'années administrateur du SDIS de mon département. Le budget SDIS de l'Isère dépasse 105 millions d'euros. Alors, que dire de la participation de l'État qui se monte à 10 millions d'euros pour tout le territoire ? Ce n'est pas en doublant l'intervention de l'État que l'on va régler le problème... Cela dit, vu de l'Isère, il me semble que l'on a digéré la départementalisation des SDIS, après quelques années de grandes difficultés.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - On peut comparer les 10 millions d'euros aux plus de 4 milliards d'euros de frais de fonctionnement de l'ensemble des SDIS. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir combien l'État encaisse de TVA sur les frais de fonctionnement des SDIS.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Sécurités » et d'adopter, sans modification, les crédits du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Économie » et CCF « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » (et article 85) - Examen du rapport spécial

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie ». - La mission « Économie » porte sur l'ensemble des dispositifs en faveur des entreprises, notamment des PME dans les secteurs de l'artisanat, du commerce et de l'industrie. Elle porte aussi sur les crédits des administrations, autorités administratives indépendantes et opérateurs chargés de la mise en oeuvre de ces politiques, ainsi que ceux de l'Insee et des services économiques du Trésor à l'étranger.

Le budget 2019 est en forte baisse. Les crédits diminuent de 5,2 %, soit 98 millions d'euros, pour s'établir à 1,8 milliard d'euros au total. Il faut distinguer ce qui relève des dispositifs de ce qui relève des acteurs. Les dépenses de fonctionnement baissent de 7 millions d'euros, ce qui est trop peu au regard des marges existant en matière d'immobilier et d'optimisation de la fonction achats.

La plus grande partie de l'effort repose sur les dispositifs qui prennent la forme de crédits d'intervention inscrits sur le programme 134, dont la baisse atteint 18 % en un an, soit 63 millions d'euros. Entre 2014 et 2019, le montant total des dispositifs d'intervention a été considérablement réduit, passant de 235 millions d'euros en 2014 à 65 millions d'euros en 2019, soit une baisse de 73 %.

Cette diminution est considérable. Elle correspond à un mouvement de rationalisation progressive des instruments de soutien de l'État aux TPE/PME, qui sont multiples : aides directes ou indirectes, prêts, garanties, actions collectives de formation, de promotion ou de mutualisation des moyens à l'échelle d'une filière. Ils portent sur des secteurs très divers, allant de la petite industrie aux métiers d'arts, en passant par les commerces de centre-ville, les services à la personne ou encore les jeunes PME innovantes. Le plus souvent, il s'agit d'aides indirectes versées à des intermédiaires.

Certes, il était nécessaire de mettre de l'ordre. L'accumulation progressive de ces dispositifs, leur sédimentation, leur hétérogénéité et leur gestion « en silo » avaient fini par les rendre illisibles et impropres à incarner les priorités politiques d'un Gouvernement, quel qu'il soit. Toutefois, le budget qui nous est soumis appelle quelques réserves.

Premièrement, la « rationalisation » affichée se résume trop souvent à une logique de « rabot » année après année. Or, par définition, un coup de rabot ne fait pas une politique. En fin de compte, les réductions proposées et le statu quo s'exposent aux mêmes critiques : ils ne permettent pas de distinguer entre les dispositifs utiles et les dispositifs qui pourraient être supprimés.

Deuxièmement, la logique sous-jacente, quoique non explicite, est celle d'un désengagement progressif de l'État en matière de soutien aux petites entreprises, aux commerçants, aux artisans. Le message est le suivant : c'est le rôle des collectivités locales, et singulièrement celui des régions depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe). Or, dans un contexte budgétaire contraint pour les collectivités, le maintien de dispositifs ponctuels, et au demeurant très modestes, constitue une forme de soutien complémentaire, et pour ainsi dire de « plan B » lorsqu'il n'existe pas de « plan A » à l'échelon local. Ce n'est pas grand-chose pour l'État, mais c'est beaucoup pour les territoires.

L'exemple le plus significatif est celui du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, le FISAC : après avoir vu sa dotation passer de 78 millions d'euros en 2010 à seulement 16 millions d'euros en 2018, et le nombre d'opérations financées d'environ un millier à seulement 114, le FISAC sera placé en « gestion extinctive » à partir de 2019. En clair, il est supprimé, seuls 6,1 millions étant ouverts en crédits de paiement pour financer le stock d'opérations déjà décidées.

C'est d'abord surprenant : certes, le Gouvernement n'a jamais eu l'intention d'inverser la tendance, mais il présentait encore au début de l'année le FISAC comme un instrument appelé à jouer un rôle important pour la cohésion des territoires. C'est surtout regrettable et incompréhensible : nombre de petits commerces de proximité ont été sauvés grâce au FISAC. À cela, le Gouvernement répond par le programme « Action coeur de ville », lancé début 2018. Mais ce programme, dont les contours sont encore flous, est conçu pour des villes moyennes - 222 communes ont été sélectionnées -, alors que 64 % des subventions accordées par le FISAC le sont pour des opérations rurales. La cible n'est donc pas la même.

La situation est d'autant plus préoccupante que de nombreuses communes rurales ont vu leurs dotations baisser du fait de la recomposition de la carte intercommunale, ce qui limite leur capacité d'intervention. Les fusions ont malheureusement aussi sorti un certain nombre de communes des zones de revitalisation rurale (ZRR), privant ainsi les petites entreprises d'avantages fiscaux.

En outre, la fin du FISAC entraînerait ipso facto la fin de dispositif du soutien aux stations-service de proximité, pour lequel nous étions nombreux à nous être mobilisés l'année dernière. Après la suppression du Comité professionnel de distribution des carburants (CPDC), le Gouvernement s'était engagé à inclure les stations-service dans le droit commun du FISAC. Que signifie aujourd'hui cette promesse ? Voilà dix ans, il y avait encore 33 000 stations-service de proximité, contre 5 000 aujourd'hui.

Nous vous proposons donc un amendement n° 1 tendant à rétablir le FISAC, en doublant sa dotation par rapport à l'année dernière, à hauteur de 30 millions d'euros. Sur ce montant, 5 millions d'euros seraient réservés aux stations-service de proximité. Bien entendu, cela ne signifie nullement qu'il ne faille pas faire évoluer les critères du FISAC pour éviter les risques de saupoudrage. Il pourrait être ciblé, par exemple, sur les zones rurales.

J'en viens maintenant aux acteurs. Là aussi, l'effort est important, voire inédit : 264 postes seront supprimés en 2019 sur le périmètre de la mission, dans le cadre d'un « recentrage » sur certaines actions prioritaires. La direction générale des entreprises (DGE) se concentrera sur l'accompagnement des entreprises en difficulté, les filières stratégiques et l'innovation. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) préservera ses missions en matière de sécurité sanitaire. La direction générale du Trésor poursuivra la rationalisation de son réseau à l'étranger, dont les effectifs ont déjà été réduits d'un quart en dix ans.

En fait, il apparaît que le « recentrage » des missions est surtout un « resserrement » des réseaux, notamment dans les territoires avec une suppression importante d'effectifs dans les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). On ne peut que souscrire à la nécessité de mieux cibler les missions de l'État, de supprimer les doublons avec les collectivités et de réaliser des gains d'efficience. Mais, là encore, il semble que la contrainte budgétaire précède la vision stratégique.

La remarque vaut aussi pour les chambres de commerce et d'industrie (CCI). La taxe qui leur est affectée devrait connaître une nouvelle baisse de 100 millions d'euros cette année, après plusieurs diminutions successives, aboutissant à une division par deux de leur ressource fiscale depuis 2012. La « revue » de leurs missions est toujours en cours. Mais elles doivent déjà se préparer à supprimer 2 000 postes et à mettre fin à de nombreuses actions et investissements. À tout le moins pourrait-on reporter la baisse de 100 millions d'euros à l'année prochaine.

Je terminerai par quelques mots sur le plan France Très haut débit. Le programme 343 porte sur la participation de l'État, soit au total 3,3 milliards d'euros, afin d'assurer la couverture de 100 % du territoire d'ici à 2022. Sur le plan budgétaire, il n'y a rien à redire : les crédits sont là, l'échéancier suit son cours, et des crédits de paiement sont pour la première fois prévus en 2019. Sur le terrain, en revanche, les choses sont un peu différentes. Seuls 10 % des locaux situés dans la zone d'initiative publique sont, à ce jour, éligibles à la fibre optique, contre 56 % des locaux de la zone d'initiative privée, plus dense, donc plus rentable. Les causes de ces retards peuvent se trouver à toutes les phases d'un projet : constitution du dossier et sécurisation des financements, instruction par les services de l'État, phase d'études trop longue, pénurie de fibre optique. Surtout, il semble que les collectivités, disposant de moyens limités, ont dû faire face à d'importantes difficultés de pilotage.

Je me limiterai à trois remarques. D'abord, à court terme, la possibilité d'obtenir de la part des opérateurs des engagements contraignants, y compris dans la zone d'initiative publique, doit être saluée. Il faut maintenant surveiller si les promesses sont tenues, et nous avons constaté que les outils manquaient à ce stade.

Ensuite, et toujours à court terme, la priorité doit être accordée à la couverture d'un maximum de locaux, plutôt qu'au déploiement de la technologie la plus performante. Là encore, on peut se féliciter de la création d'un « guichet cohésion numérique » doté de 100 millions d'euros, pour financer des technologies alternatives dans les zones où la fibre optique ne peut pas être déployée. Il conviendra toutefois d'être très vigilant : la subvention de 150 euros par équipement, sous forme de préfinancement de l'abonnement, ne s'accompagne d'aucun engagement des opérateurs à maintenir un tarif attractif au-delà d'un certain délai.

Enfin, il faut dès aujourd'hui se poser la question de l'après-2022 : comment financer la couverture du territoire en 100 % fibre optique, et non pas seulement en 100 % très haut débit ? Il ressort des entretiens que nous avons menés que la date de 2025 est une échéance réaliste. Le regain de l'initiative privée devrait permettre de limiter la participation de l'État à environ un milliard d'euros. Mais selon quelles modalités ? Avec quels objectifs et quelle gouvernance ? Ces questions sont ouvertes, et il faudra très vite y répondre.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial de la mission « Économie ». - Si la mission « Économie » se caractérise par une multitude de dispositifs d'ampleur modeste dont le format tend à se réduire au fil des années, elle porte aussi sur les crédits de certaines politiques bien identifiées, pour des montants significatifs.

La plus importante concerne un dispositif de soutien à l'internationalisation des entreprises, notamment des TPE et des PME, qui ne disposent pas des mêmes moyens que les grands groupes. La France compte 125 000 entreprises exportatrices, contre 360 000 en Allemagne et 200 000 en Italie. Je passe rapidement le volet financier du dispositif : aujourd'hui, l'enjeu n'est pas tant le financement de l'exportation, qui est entre les mains d'un acteur reconnu, Bpifrance, que l'accompagnement à l'exportation. Les PME et les PMI pâtissent d'un manque non pas de financement, mais d'expertise.

Le déficit commercial de la France était de 61,7 milliards d'euros l'année dernière. Les 100 premières entreprises françaises n'ont pas de problèmes, mais les opérations que ces dernières réalisent à l'international ne bénéficient pas à notre pays. Les PME, les ETI et les TPE ont un potentiel méconnu. La politique économique de la France semble déterminée par rapport aux 100 plus grandes entreprises.

Pour accompagner les entreprises à l'export, les moyens des chambres de commerce et d'industrie ne suffisent pas. Pour un territoire comme le nôtre, seulement 400 conseillers pour le commerce extérieur, c'est insuffisant. Les grandes entreprises, elles, ont leur propre service export.

Une grande partie de ce manque a été comblée par la création de Business France, qui rassemble en son sein un certain nombre de compétences, à l'intérieur comme à l'extérieur du territoire. Les objectifs qui avaient été fixés pour la période 2015-2017 ont été atteints. Ce service public à l'exportation constitue donc un dispositif intéressant. À nos yeux, Bpifrance est une banque, tandis que Business France est un véritable cabinet de conseil à l'exportation pour les PME et les PMI.

Paradoxalement, le coeur du problème résidait en France. Nous avons une richesse incroyable d'entreprises commerciales, artisanales, industrielles, agricoles, qui ont des capacités de création reconnues, mais nous n'arrivons pas à les amener à l'international.

Nombre de PME et d'ETI qui exportent passent par des entreprises beaucoup plus grandes ; elles n'ont pas leur propre service export. Si la grande entreprise décide de changer de fournisseur, c'est une perte pour elles, avec des conséquences sociales importantes.

Dans ce contexte, le Gouvernement a lancé au mois de février dernier une vaste réforme du dispositif d'accompagnement des entreprises à l'international. Cette réforme reprend les recommandations formulées par Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, dans un rapport remis au Gouvernement à la fin de l'année 2017. Quelques semaines plus tôt, notre rapport budgétaire était allé dans le même sens. Cette réforme consiste à faire travailler ensemble les CCI, les régions, et tous les acteurs qui peuvent apporter leur contribution, avec Business France comme tête de pont. Les résultats sont bons, mais on peut aller encore plus loin.

Nous avons constaté que les diplômés de nos écoles de commerce ou d'ingénieur partaient à l'étranger ou dans les grandes entreprises, mais ne travaillaient pas pour nos TPE ou PME. Nous proposons donc qu'ils puissent être mis à la disposition de la Team France Export, soit dans le cadre d'un cursus universitaire ou d'un apprentissage, soit sous forme d'un Volontariat international en entreprise (VIE).

Enfin, le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » comporte trois programmes significatifs en 2019.

Le programme 869 a été créé l'année dernière, suite à la décision du Gouvernement de financer le projet de liaison Charles-de-Gaulle Express par un prêt de l'État, et non plus par un emprunt privé, comme le prévoyait le schéma d'origine. Toutes les autorisations d'engagement ont été ouvertes en 2018, à hauteur de 1,7 milliard d'euros. Les premiers décaissements sont prévus pour 2019, avec l'inscription de 275 millions d'euros en crédits de paiement.

Le programme 868 permet à l'État d'accorder des prêts à Bpifrance dans le cadre de son dispositif de soutien à l'exportation en Iran. Nous recommandons de conserver les 100 millions inscrits sur le programme, malgré le contexte actuel.

Le programme 862 porte les crédits du Fonds pour le développement économique et social (FDES), qui permet à l'État d'accorder des prêts à des entreprises rencontrant des difficultés. Il ne s'agit pas de renflouer à perte des entreprises irrémédiablement condamnées. Cela dit, à côté d'une série de prêts d'un montant modeste, entre 100 000 euros et 500 000 euros, deux situations particulières nous interpellent. L'État a prêté 35 millions d'euros à Asco Industries en 2014, et cette somme n'a pas été entièrement remboursée à ce jour. Il est permis d'avoir quelques doutes, quand on connaît les difficultés de l'actionnaire de l'aciérie Ascoval de Saint-Saulve. Surtout, le plus gros bénéficiaire du FDES, de loin, est Presstalis : l'État vient de lui accorder un nouveau prêt de 90 millions d'euros, alors que ni celui de 2012 ni celui de 2015, de 30 millions d'euros, n'ont été remboursés.

L'article 85, rattaché au compte de concours financiers, permet au ministre chargé de l'économie d'accorder des abandons de créance du FDES à hauteur de 10 millions d'euros par une simple décision plutôt que d'avoir à passer par une loi de finances. Nous n'y sommes pas opposés sur le fond : la capacité à agir rapidement est souvent déterminante pour rassurer les repreneurs potentiels. Mais le seuil, 10 millions d'euros, nous semble tout de même important.

Nous vous proposons donc un amendement n° 2, visant, d'une part, à ramener à 5 millions le seuil maximum applicable aux abandons de créance par voie de décision ministérielle et, d'autre part, à préciser que cette limite constitue un montant maximum par entreprise, les autres abandons de créances devant alors être autorisés par une mesure en loi de finances, selon la procédure de droit commun.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je soutiens les amendements qui nous sont proposés, qu'il s'agisse de l'abaissement du seuil à 5 millions d'euros ou du relèvement des crédits du FISAC ; je suppose que l'idée d'affecter 5 millions d'euros aux stations-service plaira à notre collègue Jean-Claude Requier. Je crains en revanche que les problèmes de commerce extérieur de notre pays ne dépassent malheureusement le cadre de la seule mission « Économie ».

M. Arnaud Bazin. - La diminution des ressources des chambres de commerce et d'industrie consacre la fin du modèle français au profit d'un modèle à l'anglo-saxonne. Le ministre de l'économie a indiqué que cela représenterait 100 millions d'euros par an pendant quatre ans, soit 400 millions d'euros au total. Si j'ai bien compris, il y aurait une baisse de cotisation foncière des entreprises, ce qui me paraît à la fois curieux et difficile à mettre en oeuvre. Avez-vous des informations plus précises à cet égard ?

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Nous n'avons pas eu de retour précis pour le moment. Je le rappelle, l'an dernier, le Premier ministre avait dit qu'il n'y aurait plus de nouvelle baisse. Cette année, nous découvrons qu'elle est maintenue, et pour quatre ans... Il me paraît un peu difficile pour les chambres de commerce et d'industrie, à qui on demande par ailleurs de licencier des personnels, de remplir les missions qui leur sont assignées.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial. - Dans nos recommandations, nous demandons un report d'un an de la mesure, pour permettre aux chambres de commerce et d'industrie de procéder à leur restructuration.

Mme Christine Lavarde. - La Poste est aujourd'hui en situation de monopole sur un certain nombre de ses missions, avec une contrainte de service public. Pour autant, dès que certains de ses agents sont en grève - je ne remets évidemment pas en cause le droit de grève, qui est constitutionnel -, ce qui est le cas dans les Hauts-de-Seine depuis plus de sept mois, le courrier n'est plus distribué. Cela a des conséquences très fortes sur la vie des entreprises, notamment des plus petites, qui n'ont pas de code cedex. Il faudrait trouver des solutions pour que le tissu économique ne soit pas pénalisé dans ce type de cas.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial. - Je pense que nous aurons ce débat lors de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La LOLF ne nous permet pas de transférer comme cela des crédits d'une mission du projet de loi de finances à une autre...

L'amendement n° 1, présenté par la rapporteure spéciale, est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption de son amendement. Elle décide également de proposer l'adoption sans modification du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

L'amendement n° 2, présenté par le rapporteur spécial, est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 85 ainsi modifié.

La réunion est close à 18 heures.

Mercredi 7 novembre 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Projet de loi de finances pour 2019 - Examen des principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2019 - Tome I du rapport général

M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons ce matin les principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2019.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous connaissez bien cet exercice autour du tome 1 du projet de loi de finances, qui commence par une présentation du scénario macroéconomique et des principaux équilibres du budget de l'année à venir. Toute une sémantique s'y attache généralement : plausible, atteignable...

Cette année, c'est le mot « crédible » qu'il faut employer pour le scénario macroéconomique.

Depuis le début de l'année, l'économie française croît deux fois moins vite que l'an passé. Ce ralentissement, qui a surpris par son ampleur, tient à la fois à la dégradation du contexte international - avec un ralentissement de la demande adressée à la France et une hausse des prix du pétrole - et à la sous-performance de la consommation des ménages. Le Gouvernement est contraint de revoir à la baisse son scénario de croissance : les nouvelles hypothèses de croissance sont de 1,7 % pour 2018 et 2019, contre respectivement 2,0 % et 1,9 % précédemment. Malgré cette révision importante, l'hypothèse du Gouvernement se situe dans la fourchette haute des estimations disponibles pour 2018, à 0,1 point au-dessus du consensus des économistes. L'enjeu n'est toutefois pas significatif sur le plan budgétaire. À défaut d'être prudent, le scénario de croissance du Gouvernement demeure donc « crédible », ainsi que l'a souligné le Haut Conseil des finances publiques. Les autres hypothèses sous-jacentes à la trajectoire du Gouvernement apparaissent en revanche raisonnables, voire prudentes.

S'agissant de l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB - forte l'an dernier, et donc source de rentrées fiscales importantes -, le Gouvernement maintient sa prévision à 1,1 pour 2018, en cohérence avec les encaissements de recettes observés à ce stade de l'année. Pour 2019, il retient en revanche une élasticité égale à l'unité, ce qui paraît raisonnable après trois années au cours desquelles l'élasticité s'est établie à un niveau supérieur à sa moyenne historique.

S'agissant de la remontée des taux d'intérêt, le Gouvernement table sur une hausse au rythme moyen de 75 points de base par an tout au long du quinquennat. Cette hypothèse apparaît particulièrement prudente, le Consensus forecasts retenant un rythme de remontée des taux deux fois plus lent. À court terme, le scénario retenu apparaît même conservateur, avec par exemple une remontée des taux longs de 60 points de base d'ici la fin de l'année, loin des prévisions des conjoncturistes. Il ne faudrait pas cependant que la prévision de charge d'intérêts constitue une forme de « réserve de budgétisation » cachée qui échapperait au contrôle du Parlement !

Ce scénario reste toutefois entouré de fortes incertitudes. Certes, la prévision économique est un art périlleux. Les économistes, dit le proverbe que je cite souvent, ont été inventés pour que les météorologistes se sentent moins seuls... Vous trouverez dans le rapport une étude rétrospective qui le confirme empiriquement : au cours des 20 dernières années, le Gouvernement, le FMI et les instituts privés de conjoncture se sont ainsi trompés, en moyenne, de 0,9 point sur la croissance française ! Cela permet de relativiser certains de nos débats sur la prévision de croissance...

L'exercice de prévision apparaît cette année particulièrement difficile, dans la mesure où le scénario de croissance est affecté « d'un degré d'incertitude plus fort que les années précédentes », ainsi qu'a tenu à le souligner le Haut Conseil dans son avis. S'agissant de l'environnement international, de nombreux facteurs de risque sont susceptibles de se matérialiser : guerre commerciale avec les États-Unis, remontée brutale du pétrole, Brexit, situation budgétaire italienne... Nous avons tenté, dans le rapport, de modéliser l'impact des différents chocs macroéconomiques.

Sur le plan interne, il existe par ailleurs une incertitude sur la reprise de la consommation des ménages. Après la panne observée au premier semestre, liée aux effets calendaires de la politique fiscale du Gouvernement, le rebond au troisième trimestre a été de 0,5 %, contre 0,7 % escompté par l'Insee. Comme en témoigne l'évolution de l'indicateur de confiance, les ménages ne semblent pas avoir anticipé la hausse de leur pouvoir d'achat au dernier trimestre. Et l'on ne peut exclure que les craintes liées au prélèvement à la source et aux augmentations des prix et de la fiscalité des carburants prolongent leur attentisme...

Aussi, deux scénarios macroéconomiques alternatifs ont été élaborés à partir des estimations les plus optimistes et les plus pessimistes des instituts de conjoncture. Dans le scénario pessimiste, la sensibilité de la trajectoire budgétaire du Gouvernement au scénario retenu apparaît importante : la France se retrouverait ainsi sous la menace de l'ouverture d'une nouvelle procédure pour déficit excessif, et la dette se rapprocherait du seuil de 100 % du PIB.

Le Gouvernement a donc été contraint de revoir à la baisse ses ambitions en matière de redressement des comptes publics par rapport à ce qui était annoncé dans le débat d'orientation des finances publiques. Pour la première fois depuis 2009, le déficit public augmenterait l'an prochain, de 0,2 point de PIB. M. Darmanin arguerait sans doute de l'effet mécanique de la révision du scénario de croissance et du reclassement de la SNCF au sein des administrations publiques, mais il faut aussi faire une place dans l'explication au relâchement de l'effort de maîtrise de la dépense, dont la croissance serait supérieure de 0,2 point à l'objectif initial.

Les comparaisons européennes en la matière sont en outre assez cruelles : certes, le surcoût temporaire lié à la transformation du CICE pèse à hauteur de 0,9 point de PIB sur l'exercice 2019, mais même en neutralisant cette mesure exceptionnelle, la France fait figure d'exception au niveau européen. Hors surcoût lié à la transformation du CICE, le déficit s'élèverait à 1,9 % du PIB en 2019, alors que le reste de la zone euro serait, d'après les prévisions du FMI, pratiquement à l'équilibre. L'effort de redressement des comptes publics prévu par le Gouvernement apparaît d'ailleurs très éloigné des règles budgétaires européennes. M. Moscovici, qui viendra nous rendre visite en décembre, nous expliquera sans doute que les règles ont été mises en place pour éviter que des divergences économiques majeures ne surviennent dans la zone euro...

Vous connaissez malheureusement trop bien l'évolution du ratio d'endettement en France et en Allemagne depuis 2006 : nous étions alors au même niveau ; la dette publique allemande a commencé à baisser en 2011-2012, tandis que la nôtre flirte à présent avec les 100 %. Plus grave : le montant des intérêts payés par la France à ses créanciers sera en 2022 de 31 milliards d'euros supérieur à celui que paiera l'Allemagne : c'est énorme, et c'est une dépense improductive. Songez à tout ce que nous pourrions faire avec 31 milliards d'euros ! C'est davantage que le budget de la recherche et de l'enseignement supérieur. L'Allemagne disposera ainsi, contrairement à la France, de marges de manoeuvre budgétaires.

Aussi modeste soit-il, le redressement des comptes publics prévu par le Gouvernement suppose la mise en oeuvre d'environ 14 milliards d'euros d'économies, compte tenu des baisses de prélèvements obligatoires prévues par ailleurs. Pour ce faire, le Gouvernement revient à des mesures de « bouclage budgétaire » très classiques, qui ne sont pas sans rappeler le précédent quinquennat. D'abord, le rabot sur les pensions et les prestations sociales, pour un rendement de 3,5 milliards d'euros. Ensuite, des « fusils budgétaires à un coup » : le report au mois d'octobre de certains allègements de cotisations sociales prévus pour compenser la disparition du CICE permet ainsi une économie temporaire de 2,3 milliards d'euros, tandis que le renforcement du cinquième acompte ponctionne 1,5 milliard d'euros sur la trésorerie des entreprises. Enfin, des mesures structurelles d'ampleur limitée en matière de logement ou d'emploi, qui s'inscrivent très largement dans la continuité du précédent budget. J'y reviendrai dans l'analyse par sous-secteur.

L'État et ses groupements porteraient ainsi la totalité du besoin de financement des administrations publiques pour la troisième année consécutive. Pour la sphère sociale, l'assurance chômage et les régimes complémentaires de retraite représenteraient 70 % de l'amélioration du solde attendue l'an prochain. Le Gouvernement se repose ainsi sur l'amélioration du contexte macroéconomique et les économies dégagées par les réformes des partenaires sociaux pour assurer le respect de sa trajectoire de redressement des comptes sociaux. Il renonce en revanche aux économies structurelles, puisque l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) croît de 2,5 %, soit une dépense supplémentaire de 400 millions d'euros par rapport à ce qui était initialement prévu.

S'agissant de la sphère locale, se pose tout d'abord la question de l'ampleur du rebond des dépenses d'investissement, porté par le cycle communal électoral. Si le Gouvernement anticipe une hausse des dépenses d'investissement de 4,9 % en 2019 hors Société du Grand Paris, la progression pourrait être plus rapide encore, compte tenu de la chute enregistrée entre 2014 et 2016. Par ailleurs, l'effet de la méthode de la contractualisation sur le besoin de financement de la sphère locale reste incertain, comme l'a récemment rappelé la Cour des comptes. Les premières données d'exécution transmises par le Gouvernement tendent néanmoins à confirmer la pleine détermination des collectivités territoriales à participer à l'effort collectif de redressement des comptes publics. On souhaiterait que l'État en fasse autant et nous allons pouvoir constater que les efforts restent à produire pour une large part...

J'en viens précisément au budget de l'État. Le déficit budgétaire reste ancré à un niveau très préoccupant. En 2018, avec 81,3 milliards d'euros, le déficit s'est aggravé par rapport à 2017, où il était de 67,7 milliards d'euros, même si l'aggravation est un peu moins forte que prévu dans la loi de finances initiale. La reprise de la croissance fin 2017 a ainsi produit ses effets sur les recettes fiscales en 2018. Le solde bénéficie aussi, sur un plan purement comptable, du retard de comptabilisation des droits d'enregistrements qui, à hauteur de 1,5 milliard d'euros, n'avaient pas été pris en compte fin 2017. L'État connaîtra son 45déficit budgétaire consécutif. J'entends encore Jean-Pierre Fourcade nous dire ici même qu'il avait été le ministre du dernier budget à l'équilibre en 1974... Ce sera le plus élevé de tous si l'on excepte les deux années qui ont suivi la crise financière de 2008, avec un niveau prévisionnel de 98,7 milliards d'euros.

Il faut reconnaître que l'aggravation par rapport à 2018 est d'abord due à un effet transitoire, avec la bascule entre le CICE et les cotisations dont j'ai déjà parlé, qui compte pour 20 des 25 milliards d'euros de baisse de prélèvements obligatoires. Il faut aussi compter avec le décalage d'un mois du prélèvement à la source : les encaissements commenceront au mois de février pour les revenus du mois précédent, donc l'impôt sur le revenu ne produira des encaissements que sur onze mois l'an prochain.

En sens inverse, la contribution des participations financières de l'État, l'extinction des dépenses liées au contentieux relatif à la taxe de 3 % sur les dividendes et l'évolution spontanée des recettes fiscales portée par la croissance contribueront positivement au solde.

Vous pouvez constater, sur le graphique, que la charge de la dette a un effet presque imperceptible sur l'évolution du déficit mais cette ligne risque d'être beaucoup plus épaisse dans les années à venir, comme nous venons de le voir.

Le Gouvernement communique sur le fait que le déficit budgétaire, « hors mesures de trésorerie », serait inférieur en 2019 à son niveau de 2018. Même si l'on veut neutraliser les effets transitoires de la double charge représentée en 2019 par l'application du CICE et des allégements de charge qui le remplacent ainsi que du décalage d'un mois du prélèvement à la source, il faut aussi tenir compte de l'augmentation du cinquième acompte d'impôt sur les sociétés et de l'absence de compensation intégrale par l'État des allégements de charge imposés aux administrations de sécurité sociale. On aboutit alors à un déficit budgétaire « à périmètre constant » comparable à celui de 2018. Mais c'est bien le déficit total de 98,7 milliards d'euros qui pèsera sur le besoin de financement de l'État.

S'agissant des recettes, le projet de loi de finances n'apporte pas de réel infléchissement. Les recettes fiscales nettes diminueraient en 2019 parce qu'une fraction de TVA - pour un montant de 32 milliards d'euros - est transférée aux administrations de sécurité sociale afin de compenser les mesures d'allègements de charges. Sans cet effet, les recettes fiscales nettes augmenteraient de 18 milliards d'euros environ, principalement sous l'effet de l'évolution spontanée des recettes liée à la croissance. L'impôt sur le revenu devrait voir son produit baisser de 2,6 milliards d'euros, malgré la croissance économique, en raison du décalage d'un mois du prélèvement à la source ; l'impôt sur les sociétés, lui, progresserait, malgré la poursuite de la baisse de son taux normal ; j'évoquerai le cas spécifique de la TICPE dans un instant ; et j'ai déjà indiqué que la baisse substantielle du produit de la TVA résulte d'un transfert vers la sécurité sociale. Mais aux incertitudes sur le niveau du PIB il faut ajouter celles relatives à l'élasticité de chacune de ces recettes à la croissance du PIB.

J'en viens à la fiscalité écologique. Le projet de loi de finances pour 2019 ne contient pas d'article sur la hausse de la TICPE puisque celle-ci résulte du projet de loi de finances pour 2018, qui rendait plus raide la pente de notre trajectoire carbone. Nous avions alors refusé une hausse pluriannuelle déconnectée du coût de l'énergie. Malheureusement, la conjoncture nous donne raison. La TICPE vise d'une part à assurer la convergence des fiscalités du gasoil et de l'essence ; autrefois celle de l'essence baissait et celle du gazoil augmentait, désormais elles augmentent toutes les deux, l'une plus vite que l'autre. L'augmentation est de 3,7 milliards d'euros en 2018 par rapport à 2017 et elle atteindra 6,5 milliards d'euros en cumulé en 2019. Bref, si les gens manifestent déjà cette année, ils vont adorer l'année prochaine ! Le cumul des prélèvements supplémentaires d'ici à 2022 atteindra 46 milliards d'euros en cinq ans. Cela risque de ne pas être bien accepté.

Le Gouvernement dit assumer cette hausse au nom de la transition énergétique. On peut se réjouir d'un tel signal-prix, et certains acteurs ont les moyens de se reporter vers d'autres modes de transport, mais cette fiscalité dite écologique a essentiellement, disons-le, un objectif de rendement. Interrogée ici même à trois ou quatre reprises sur la part des 37,7 milliards d'euros de TICPE qui sera nouvellement affectée à la transition énergétique, Mme Wargon n'a pas su nous citer d'autres mesures que celles qui existent déjà... Ni l'Agence de financement des infrastructures de transport, ni les collectivités territoriales, ni le compte d'affection spéciale « Transition énergétique » ne percevront de recettes de TICPE supplémentaires : le surplus, qui passe de 13,3 à 17 milliards d'euros, ira intégralement au budget général de l'État. Notre commission n'est pas forcément favorable à la fiscalité affectée, mais il n'est pas honnête de dire que la TICPE aidera les Français en matière de conversion énergétique. Surtout, même au sein du budget de l'État, on ne note pas vraiment de dispositif nouveau ni de renforcement de mesures existantes pour soutenir les actions des ménages et des entreprises en faveur de la transition écologique : pour les principales dépenses fiscales, le CITE est divisé par deux, le coût du taux réduit de TVA à 5,5 % sur les travaux d'amélioration thermique reste contenu à 1,1 milliard d'euros environ. Les dépenses relatives au « chèque énergie » n'augmentent quant à elles que très légèrement...

Les dépenses fiscales baissent légèrement en valeur nominale, à 98,2 milliards d'euros, mais augmentent si on les rapporte au montant total des recettes fiscales nettes. La loi de programmation des finances publiques a fixé une trajectoire de baisse qui ne constitue guère une contrainte, et rien ne montre la volonté de ne pas céder à la tentation des niches fiscales.

La trajectoire de baisse des dépenses est toujours aussi peu perceptible. Un point positif cependant : la budgétisation des différentes missions de l'État est plus sincère. En particulier, le taux de mise en réserve au niveau de chaque programme hors dépenses de personnels, qui s'élevait à 8 % lors des exercices précédents, n'est que de 3 %. Toutefois le Gouvernement augmente considérablement les crédits non répartis, qui atteindront 850 millions d'euros en 2020. Le Gouvernement indique enfin que la réserve de précaution ne devrait pas être entièrement utilisée : nous vérifierons tout cela.

La loi de programmation des finances publiques a défini, je le rappelle, deux nouvelles normes de dépenses : la norme de dépenses « pilotables » recouvre les dépenses sur lesquelles l'État dispose d'une véritable marge de manoeuvre. Sur le quinquennat il est prévu qu'elle diminue de 1 % par an en volume. Or dès 2019 la cible devrait être dépassée de 600 millions d'euros environ. La norme de dépenses « totales » inclut également les prélèvements sur recettes, la charge de la dette, les investissements d'avenir, les pensions et d'autres dépenses qui dépendent moins directement des décisions prises chaque année par l'État. Cette cible devrait être atteinte en 2019, notamment par l'effet d'un prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne à un niveau moins élevé que prévu ; mais les objectifs relatifs à la norme de dépenses totales sont moins ambitieux que ceux qui concernent les dépenses pilotables.

J'en viens aux grandes masses du budget de l'État. Le premier poste est l'éducation nationale, qui représente 73 milliards d'euros. Il est assez frappant de constater que, malgré l'augmentation du budget de la Défense et le niveau historiquement bas des taux d'intérêt depuis plusieurs années, la charge de la dette est presque égale aux crédits de la mission « Défense », qui représente 44 milliards d'euros.

La plus grosse augmentation concerne la mission « Défense », conformément à la loi de programmation militaire. La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » bénéficie quant à elle de la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) à hauteur de plus de 500 millions d'euros et de la prime d'activité pour plus de 700 millions d'euros, ainsi que de la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté. Une dépense n'est toutefois pas intégrée à ce budget, ni à la programmation pluriannuelle : le service national universel, qui coûtera entre 2 et 4 milliards d'euros, et dont nul ne sait quel sera le financement.

Les baisses de dépenses concernent les missions « Travail et emploi » et « Cohésion des territoires » qui ne font pourtant pas partie des missions les plus fortement dotées du budget général. Outre des effets de périmètre, ces baisses correspondent à l'extinction des mesures du plan d'urgence pour l'emploi, en particulier l'aide temporaire à l'embauche dans les PME - en diminution de 1 milliard d'euros - et les contrats aidés - qui représentent une baisse de 850 millions d'euros. La mise en place du versement des aides personnelles au logement contemporain aux revenus devrait également réduire les dépenses d'environ 900 millions d'euros en 2019.

Le Gouvernement annonce une diminution de 4 164 emplois, les principales baisses concernant les ministères de l'action et des comptes publics et de l'éducation nationale. Des emplois sont en revanche créés aux ministères de l'intérieur, de la justice et des armées. Des efforts restent à faire au regard des objectifs annoncés sur le quinquennat. Cette diminution est notable par rapport à la très légère baisse de 1 600 emplois en 2018, mais demeure très insuffisante pour dessiner une véritable de trajectoire de réduction des effectifs de l'État : on ne voit pas comment l'objectif de diminution de 50 000 emplois sur cinq ans pourra être atteint. D'ailleurs, la masse salariale augmente de 1,35 milliard d'euros, soit 1,6 %, par la combinaison des mesures catégorielles, de l'impact du glissement vieillesse technicité et de l'effet des créations d'emploi antérieures. Manquent toujours de vraies réformes de structure de l'État. Le rapport du programme « Action publique 2022 » finira sur une étagère, comme je le craignais, puisque le Gouvernement a déjà refusé de le publier.

J'en viens à la question du pouvoir d'achat, puisque c'est la bannière sous laquelle le Gouvernement le présente - même si je doute que la formule ait pris dans l'opinion.

M. Jérôme Bascher. - Si, mais pas dans le bon sens !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il s'agit d'une préoccupation tout à fait légitime, dans la mesure où le pouvoir d'achat des Français stagne depuis dix ans. Le Gouvernement a ainsi mis en avant le gain de pouvoir d'achat que représenterait la baisse de 6 milliards d'euros des prélèvements obligatoires sur les ménages prévue l'an prochain. Or cette présentation est trompeuse : les deux tiers de cette baisse correspondent à l'effet décalé de la compensation du manque à gagner lié à la hausse de la CSG. De plus, la présentation du Gouvernement ne tient pas compte des effets des mesures décidées par les partenaires sociaux, ni de l'effet des baisses de prestations sociales. Le quasi gel des allocations et des retraites, c'est pourtant bel et bien du pouvoir d'achat en moins ! En tenant compte de ces différents biais, l'OFCE et l'Institut des politiques publiques (IPP) s'accordent sur le fait qu'après une « année blanche » en 2018, les ménages ne bénéficieront que d'un gain de pouvoir d'achat très limité l'an prochain, de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. En réalité, la politique gouvernementale revient pour l'essentiel à transférer du pouvoir d'achat d'une catégorie de ménages à une autre.

L'Assemblée nationale en a demandé une à l'Institut des politiques publiques sur les gagnants et les perdants du budget. Les anciens assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune - mauvais impôt au demeurant - ou les ménages imposés au prélèvement forfaitaire unique sont gagnants. Les perdants sont les retraités, les ménages modestes, et une partie des classes moyennes supérieures.

Mme Wargon a beau nous dire que le prix de l'alimentation baisse, le principal moteur du pouvoir d'achat reste le retour de la croissance. D'autres pays, y compris dans le sud de l'Europe, ont fait le choix de conduire les réformes nécessaires pour y parvenir : c'est plus efficace que les transferts entre les différentes catégories de population.

Nous discuterons mercredi prochain de la loi de finances rectificative qui nous est soumise en milieu de PLF, et des articles du PLF pour 2019, qui prennent parfois d'une main ce qui a été donné d'une autre.

M. Roger Karoutchi. - Certains responsables de l'OCDE, que j'ai rencontrés, sont revenus sur leur optimisme : ils parlent désormais de 1,4 % ou 1,5 % de croissance pour la France en 2018, et autour de 1,5 % en 2019. Bref, de mois en mois ou de trimestre en trimestre, les prévisions sont de plus en plus négatives. À ce rythme, on nous annoncera bientôt des gels de crédits, avant même qu'ils soient votés ! Je ne crois pas du tout à la hausse du prix du pétrole malgré la crise actuelle, car les pays de l'OPEP ont décidé d'augmenter massivement leur production. Cessons d'ailleurs d'incriminer le marché du pétrole : le problème de la France, c'est le manque absolu de confiance des investisseurs internationaux à son égard. Tant que l'État ne restaurera pas son crédit, la croissance ne reviendra pas. On nous avait dit il y a un an, en plein Brexit, que les investisseurs allaient se battre pour entrer chez nous : ils se battent peut-être, mais pas pour cette raison ! Faut-il continuer à se dire que 1,6 % ou 1,7 % de croissance, ce n'est pas si mal ? Nous pourrions aussi être à zéro, certes, mais tout de même, à ce niveau, on sait pourtant bien qu'on ne crée pas d'emplois ! Nos voisins, eux, ont une certaine continuité dans leur politique économique, ou mènent une franche politique d'attractivité fiscale, ou ont su restaurer la confiance. À défaut de les imiter, nous n'aurons que des miettes.

M. Claude Raynal. - Je veux vous féliciter, monsieur le rapporteur général, pour cette présentation annuelle, toujours très bien faite, et dont la continuité formelle d'une année sur l'autre permet de s'y retrouver aisément.

Je vous trouve très modéré dans l'analyse des hypothèses... En somme, vous n'avez rien à dire sur ce chapitre ! Vous avez certes eu du mal à vous remettre du PLF pour 2017, dont vous jugiez les hypothèses impossibles et inatteignables - je rappelle que l'objectif du Gouvernement était 1,5 %, que vous prédisiez 1,2 %, et que l'on a fait 2,2 % : ce fut une claque ! C'est peut-être pourquoi, depuis deux ans, vous ne vous risquez plus à faire le moindre commentaire.

Un point me chagrine toujours : vous insistez systématiquement sur le redressement des comptes publics, mais jamais sur le moyen de faire entrer des recettes. Or l'an dernier, nous avons perdu définitivement au moins 5 milliards d'euros, du fait des réformes de la fiscalité du patrimoine, peut-être davantage compte tenu des effets à retardement du prélèvement forfaitaire unique. Avant d'en trouver de nouvelles, il est souhaitable de ne pas se priver de recettes, surtout lorsque l'on ne va pas très bien... En outre, et sans vouloir faire du mauvais Éric Bocquet - qui est toujours remarquable -, il serait bon de faire apparaître quelque part, en pointillés le cas échéant, les 70 ou 75 milliards d'euros de fraude fiscale qui nous manquent. Pour le faire, il faudrait renforcer les systèmes de contrôle fiscaux, ce que vous pourriez d'ailleurs proposer. Créer dans ces services des postes de fonctionnaires serait non pas une charge mais l'assurance de recettes futures ! Sait-on seulement quel est le niveau de fraude fiscale en Allemagne et dans les autres pays voisins ? Voilà un sujet qu'il serait intéressant d'expertiser et qui rééquilibrerait le débat.

Sur le budget du pouvoir d'achat, votre démonstration est pertinente.

Mme Christine Lavarde. - Je ne m'explique pas le décalage de trésorerie d'un mois s'agissant du prélèvement à la source. Le mois de janvier 2019 sera pourtant prélevé.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Certes, mais l'impôt du mois de janvier 2019 ne sera reversé à l'État qu'au mois de février. De même, l'État ne percevra qu'au mois de janvier 2020 l'impôt sur le revenu prélevé en décembre 2019. Dès lors, les recettes fiscales de l'année 2019 seront amputées d'un mois en comptabilité budgétaire.

M. Jacques Genest. - La fiscalité écologique me semble plutôt constituer un moyen d'augmenter les recettes du budget général. En outre, les dispositifs destinés à la transition énergétique, peu motivants, n'apparaissent pas des plus efficaces. Le diesel fait l'objet de virulentes critiques ; pourtant, il ne pollue pas davantage que l'essence. Le ministre de la transition écologique a récemment annoncé devant notre commission une subvention de 30 % sur le changement des cuves à mazout - il me semble qu'il s'agit plutôt des chaudières - mais je ne suis pas certain que cette mesure modifie la consommation des Français. Soyons, par ailleurs, réalistes : les véhicules électriques, coûteux, ne sont pas idéalement adaptés aux déplacements dans les zones rurales. Nous avons installé, au prix d'un effort important, une centaine de bornes en Ardèche, mais leur utilisation demeure rare. Du reste, le développement du véhicule électrique nécessite une production d'électricité à un niveau que seul offre actuellement l'industrie nucléaire, qui ne plaît guère à l'opinion publique. Nous avons également installé des éoliennes et cherchons à développer les équipements photovoltaïques, mais nous nous heurtons aux complications générées par l'État et par la commission de régulation de l'énergie (CRE). Alors que le Gouvernement augmente la taxation des carburants, il supprime les aides aux territoires pour les énergies positives, qui constituaient pourtant un instrument efficace de développement des énergies renouvelables. Quel sera enfin le coût des mesures de compensation, qui nécessiteront des contrôles ? Les collectivités territoriales ne doivent pas payer pour les erreurs de l'État !

M. Pascal Savoldelli. - Le projet de loi de finances pour 2019 s'inscrit dans la continuité du précédent. Nous évoquons fréquemment le problème de la dette publique, mais trop rarement celui de la dette privée des ménages et des entreprises à laquelle, pourtant, l'État est confronté. Lorsque les crédits à la consommation explosent ou que les entreprises rencontrent des problèmes de solvabilité, l'État rachète en partie des dettes contractées. Notre commission devrait, il me semble, mieux appréhender les conséquences de la dette privée. Auprès de qui l'État se finance-t-il ? Selon qu'il s'agisse des marchés ou de la banque centrale, les résultats peuvent varier.

Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) axera sa contribution sur les recettes de l'État, dont la logique, en réalité, ne fonctionne pas. À titre d'illustration, la suppression de l'impôt sur la fortune (ISF) n'a entraîné que 0,1 % d'investissements nouveaux dans les petites et moyennes entreprises au regard de leur valeur patrimoniale. La politique fiscale doit être jugée sur ses effets réels... De même, l'allègement de 50 milliards d'euros de cotisations sociales ne semble nullement provoquer une croissance de la consommation des ménages. Si nous voulons éviter tout excès de populisme, il faut expliquer aux Français le fonctionnement et l'utilisation de la TICPE : 7,2 milliards d'euros servent au financement de mesures destinées à la transition énergétique pour les ménages et les entreprises, 12,3 milliards d'euros bénéficient aux collectivités territoriales - l'enveloppe est stable, alors que leurs charges augmentent - et 17 milliards d'euros sont versés au budget de l'État et, partant, participent au financement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et des allègements de cotisations sociales. Ayons un débat contradictoire public, signe d'une démocratie vivante, au lieu d'attiser la colère populaire.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je partage l'analyse de Roger Karoutchi : malgré une croissance de 1,5 %, l'attractivité de la France demeure en berne et son positionnement recule dans les classements internationaux. Le fossé se creuse par rapport aux pays qui se sont réformés en profondeur ou qui, comme l'Allemagne, ont conservé une industrie puissante.

Claude Raynal, notre commission s'intéresse au sujet de la fraude fiscale, mais je reste prudent en matière d'estimation. Comme j'ai pu le constater en rencontrant certains services fiscaux dans le cadre de mes travaux sur la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, le phénomène concerne principalement la TVA, dont le rendement annuel s'élève à 180 milliards d'euros. Hélas, la volonté du Gouvernement de lutter contre la fraude à la TVA n'apparaît pas toujours évidente ; il n'est que de voir le sort de certains amendements que nous présentons, même si nous sommes parvenus à avancer sur la responsabilité solidaire des plateformes en ligne par exemple. Notre groupe de suivi sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales a entendu des représentants de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Direction générale des finances publiques (Dgfip), qui n'ont pas nécessairement fait preuve d'un grand enthousiasme pour faire évoluer les choses s'agissant des arbitrages sur dividendes.

Je partage l'analyse de Jacques Genest : l'augmentation de la fiscalité énergétique - 46 milliards d'euros d'ici 2022 - bénéficiera principalement au budget de l'État. La part réservée au compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » - achat d'énergies renouvelables et dette d'EDF - apparaît stable. Cela étant, certaines dépenses à finalité écologique sont prises en charge par le budget général de l'État, à l'instar du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), dont le coût diminue, compte tenu de son recentrage, pour s'établir à 880 millions d'euros en 2019, ou le « chèque énergie ». En réalité, les dépenses relatives à la transition énergétique tendent à stagner voire à diminuer et la fiscalité dite écologique augmente, surtout pour financer les dépenses du budget général : la présentation du Gouvernement n'est guère honnête, d'autant que le signal prix ne fonctionne que si les Français disposent des moyens de changer de véhicule.

M. Éric Bocquet. - Comment expliquer que les milliardaires français aient vu leurs revenus croître de 30 % l'an passé ? Selon les chiffres publiés par le Gouvernement pour le déficit de l'année 2018, il apparaît que 4,5 milliards d'euros ressortent de l'annulation de la taxe sur les dividendes. Parallèlement, la France est devenue championne de la distribution de dividendes... Votre constat, excellent, manque hélas d'une vision prospective. Si d'aventure le poste de ministre de l'économie et des finances vous était confié, quelles seraient les trois mesures que vous prendriez en priorité ?

M. Jérôme Bascher. - À la lecture de votre rapport, il apparait que le déficit de l'État ne cesse de croître sur la période 2017-2019, plus encore si le déficit issu des organismes divers d'administration centrale, qui en constituent un démembrement, y est adjoint. De même, alors que les différentes branches de la sécurité sociale tendent vers l'équilibre, les hôpitaux, pilotés par les agences régionales de santé (ARS), affichent des déficits abyssaux. Les collectivités territoriales, souvent critiquées pour leur gestion, apparaissent, quant à elles, à l'équilibre.

La notion de norme de dépenses pilotables m'intrigue quelque peu. Les pensions de retraite ne seraient-elles pas pilotables ? Il s'agit davantage, à mon sens, de dépenses que l'État ne souhaite pas piloter... Quoi qu'il en soit, en 2018, il n'a pas respecté cette norme. L'annonce d'un déficit pour l'année 2018 amélioré d'1,3 milliard d'euros s'entend-elle par rapport à la loi de finances pour 2019 ou par rapport à la loi de finances initiale ?

M. Jean-François Rapin. - Le développement des véhicules électriques présente des difficultés dont nous avons tous fait l'analyse dans nos territoires. Ces véhicules sont en général acquis pour une durée de trois ans. A l'heure du renouvellement, les aides qui ont permis le premier achat ne peuvent plus être sollicitées. Dès lors, le parc pourrait s'en trouver réduit dans les prochaines années, d'autant que ces véhicules, coûteux, ne sont pas adaptés à tous les usages, notamment en milieu rural. Nous devrions, à mon sens, centrer notre réflexion sur le second véhicule des familles.

M. Claude Nougein. - D'aucuns affirment que les recettes fiscales diminuent lorsqu'est réduit le taux d'imposition. Je crois l'inverse ! Prenez la diminution progressive du taux de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %, annoncée sous la présidence de Jacques Chirac mais tout juste mise à exécution alors que la même mesure a été appliquée en quinze jours aux États-Unis : le premier palier - un taux de 28 % en 2019 - devrait entraîner une croissance de 23 % des recettes de l'impôt. De la même manière, le prélèvement forfaitaire de 34 % sur les dividendes va certainement conduire à une augmentation des recettes de l'impôt sur le revenu au titre des dividendes car les entreprises rapatrieront en France certains dividendes.

M. Jean-Claude Requier. - La présentation du rapporteur général était claire, complète et pédagogique ; je l'en remercie. Je suis, pour ma part, effaré de constater l'ampleur du déficit budgétaire de l'État - 100 milliards d'euros en 2019. Il faudrait en afficher le montant sur la façade de Bercy ! Selon vous, le prélèvement à la source permettra-t-il d'améliorer le recouvrement de l'impôt sur le revenu ?

M. Arnaud Bazin. - Disposez-vous d'éléments précis sur les recettes par taxation des sociétés d'autoroutes, qui semblent diminuer en 2019 alors que l'activité économique desdites sociétés apparaît florissante ?

M. Didier Rambaud. - Je suis surpris par la véhémence du débat sur la TICPE depuis une quinzaine de jours. Je rappelle qu'en matière budgétaire, la règle applicable est celle de la non affectation des taxes. N'oublions pas le caractère comportemental de la politique fiscale, à l'instar de celle appliquée au tabac. Notre commission a-t-elle prévu de travailler prochainement sur les dépenses énergétiques ?

M. Gérard Longuet. - Le niveau de la TICPE et son évolution sont absolument terrifiants ! Les sommes atteintes sont considérables ! La volonté politique en la matière apparaît difficilement compréhensible : le débat sur la transition énergétique s'établit sur le registre de l'incantation sans prendre en considération les conditions de vie de nos concitoyens. La révolte politique semble inévitable, compte tenu du nombre élevé d'automobilistes et de la conscience qu'ont les Français du caractère exemplaire de leur pays en matière d'émissions de carbone. En outre, des niches demeurent préservées : le kérosène des avions, par exemple, n'est pas soumis à la TICPE - peut-être pour préserver la compétitivité de la France dans la perspective de la privatisation d'ADP ? Qu'en est-il, dans ce cadre, de la SNCF, alors que de nombreux trains régionaux roulent au gasoil ?

La solution électrique ne peut être universelle et fait, par ailleurs, la fortune des fabricants chinois de batteries. Les incantations du Gouvernement ne changeront rien à l'absence d'industrie européenne dans ce secteur. Du reste, si des industriels s'établissaient dans nos territoires, ils risqueraient fort de ne pas survivre à la compétitivité chinoise, comme ce fut le cas dans l'industrie photovoltaïque. La meilleure solution consisterait, à mon sens, à rajeunir le parc thermique car les véhicules consomment de moins en moins de carburant. Hélas, la brutalité du Gouvernement pour parvenir à ses fins méconnaît la réalité et nos concitoyens qui roulent le plus ne profitent pas des aides allouées au rajeunissement du parc automobile. En Allemagne, que jouxte ma région, la société est bien moins punitive envers les automobilistes... Notre commission devrait effectivement se pencher sur la politique de transition énergétique, afin de la rendre plus respectueuse des réalités économiques et sociologiques. Nos concitoyens ne peuvent tous se déplacer en trottinette sur les trottoirs des métropoles !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Plusieurs collègues ont évoqué la problématique de la fiscalité énergétique. Effectivement, Didier Rambaud, la règle habituelle est celle de la non affectation des taxes, mais je vous rappelle que l'argument a été utilisé par le Gouvernement, souvenez-vous de l'audition de Mme Wargon... En outre, les dépenses liées à la transition énergétique diminuent globalement : la TVA à 5,5 % sur les travaux d'habitation demeure dans une enveloppe stable, le CITE recule à 880 millions d'euros en 2019, la prime à la conversion progresse mais c'est un dispositif autofinancé par le malus et seul augmente le montant dévolu au chèque énergie. Certes, le signal prix peut être entendu, mais seulement par les Français qui en ont les moyens ! Les véhicules les plus propres sont si coûteux... En l'absence d'alternative crédible proposée à nos concitoyens, la révolte gronde, et je ne vois guère comment l'augmentation de la TICPE prévue d'ici 2022 pourrait s'avérer supportable. Les alternatives au gasoil non routier sont, par exemple, souvent inexistantes : il n'y a ni tractopelle ni goudronneuse électrique. Nos entreprises vont donc perdre en compétitivité et la construction de routes deviendra plus coûteuse pour les collectivités territoriales. Il serait effectivement intéressant de réaliser une étude sur la politique de transition énergétique.

Je partage l'analyse de Jean-François Rapin et de Gérard Longuet sur les véhicules électriques, d'autant qu'après avoir incité pendant des années les Français à rouler au diesel, le revirement paraît brutal ! Le sujet est différent pour les avions car la convention de Chicago interdit depuis 1944 la taxation du kérosène sur les vols internationaux. Quant aux vols intérieurs, une telle taxation serait dommageable, notamment pour les destinations difficilement accessibles en train. Il m'est arrivé de payer plus cher un billet en vol intérieur que pour Tokyo ! La SNCF échappera, comme les agriculteurs, à la suppression de la niche sur le gasoil.

Dans votre hypothèse, Éric Bocquet, je commencerais par revenir sur la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, parfois déresponsabilisante, pour inciter les administrations à réaliser des économies ; je supprimerais les doublons s'agissant des missions de l'État par rapport à ce qui a été transféré, notamment dans les domaines du social, du tourisme et des routes ; je privilégierai enfin l'emploi dans les services publics de terrain au détriment des effectifs des administrations centrales.

Effectivement, Claude Nougein, selon la courbe de Laffer, le rendement de l'impôt diminue au-delà d'un certain taux. Figurez-vous que j'ai rencontré Arthur Laffer il y a quelques années : il considérait que la France représentait le laboratoire d'application parfait de sa théorie. De fait, lorsque la déclaration au forfait applicable pour la rémunération des employés à domicile a été supprimée, les recettes ont diminué, certains ayant adapté leurs comportements.

S'agissant de la taxe sur les sociétés d'autoroutes, Arnaud Bazin, il me semble que c'est son affectation qui est modifiée en 2019 davantage que son rendement. Les dépenses non pilotables ont été contenues normalement, tandis qu'en matière de dépenses pilotables, la norme a été dépassée de 600 millions d'euros.

M. Yvon Collin. - S'agissant de la dotation intercommunale, la commission a-t-elle reçu les simulations promises ? Qu'en est-il, par ailleurs, du chantier de la contractualisation avec les grandes collectivités territoriales aux fins de limiter leurs dépenses ? Elles ont déjà réalisé des efforts importants dans ce domaine. Enfin, quel est l'état du débat sur le déficit structurel ?

M. Philippe Adnot. - Je n'ai rien lu dans votre rapport sur le déficit du commerce extérieur de la France. Cela signifie-t-il qu'il n'a guère de conséquences sur le déficit de l'État ?

M. Bernard Delcros. - Certes, il peut sembler louable de vouloir changer les comportements automobiles des Français, mais sans solution alternative crédible, l'augmentation de la TICPE ne conduit qu'à creuser les inégalités sociales et territoriales.

Dans quelle mesure la croissance des recettes de l'impôt sur les sociétés en 2019, après un recul en 2018, peut-elle être liée au passage du CICE aux allègements de cotisations sociales ?

M. Jean-François Husson. - Après la détérioration de 2018 et alors que les prélèvements obligatoires atteignent des sommets, le solde budgétaire prévisionnel de 2019 m'inquiète. La question des taxes affectées n'est pas si manichéenne, comme l'a montré un récent rapport, mais, en tout état de cause, le Gouvernement a lui-même fait le lien entre la TICPE et les dépenses énergétiques. Hélas, même si les élus portent un message raisonnable sur le sujet, ils sont débordés par les réseaux sociaux. Je soutiens, comme beaucoup de Français, la transition énergétique, mais la rupture imposée me semble trop brutale et violente, pour nos concitoyens comme pour nos industries. Les conséquences sur le climat ne doivent pas être confondues avec la pollution. Le diesel, par exemple, est, pour le climat, meilleur que l'essence et, pour les plus récents modèles de véhicules, moins nocif pour la santé. Par ailleurs, le transport maritime, pour la régulation duquel aucune action n'est engagée, pollue bien davantage que les automobiles, notamment dans des zones fragiles comme l'Arctique. Le risque d'un cataclysme politique existe à l'occasion des prochaines élections européennes. L'Europe devrait se saisir du sujet et le Sénat, dans sa grande sagesse, entamer un dialogue sur la fiscalité énergétique avec le Gouvernement.

M. Emmanuel Capus. - Cela a été dit, mais il faut le rappeler, la hausse de la TICPE ne date pas du gouvernement actuel, mais découle d'abord des engagements pris par la France dans le cadre de la COP 21. C'est dans ce contexte général qu'il faut clairement expliquer aux gens que cette augmentation n'est pas une mesure de transition énergétique ; elle vise d'abord à modifier les modes de transport et de consommation.

Si nous sommes tous favorables à la transition écologique et énergétique, il est vrai que les mesures liées à cette transition posent la question de leur acceptabilité, d'autant que les personnes concernées ne peuvent pas toujours se tourner en pratique vers une solution alternative - c'est par exemple le cas dans le secteur des travaux publics ou pour le chauffage en milieu rural. Quand il n'existe pas d'alternative, taxer davantage ne peut pas, par définition, modifier les comportements.

Les décideurs publics doivent absolument prendre en compte cette question de l'acceptabilité. Sinon, une bonne mesure risque d'être rejetée massivement. La gronde qui monte peut être violente et nous amener au-delà de ce qui est souhaitable en termes de politique publique. C'est pourquoi nous devons mesurer nos critiques.

Qui plus est, je rappelle que les efforts qui sont demandés aux Français et qui ont des conséquences importantes dans leur vie quotidienne ne représentent que 0,9 % des émissions de carbone dans le monde, soit un niveau marginal pour la planète ! Cela renforce le caractère difficilement acceptable d'une telle mesure.

M. Philippe Dominati. - Comme cela est indiqué dans le document de présentation du rapporteur général, les intérêts de la dette sont le troisième poste de dépenses dans le budget de l'État, le déficit atteint un niveau record et les prélèvements obligatoires comme les dépenses publiques sont toujours aussi élevés. On entend parfois dire que ce gouvernement est libéral, voire ultralibéral ; en fait, il n'y a aucune rupture par rapport au quinquennat précédent ! Nous sommes toujours dans une tendance sociale-démocrate.

La France reste le pays, en particulier en Europe, où les citoyens sont les plus imposés, l'État le plus dépensier, les contraintes et normes les plus fortes. Le Premier ministre parle de réforme de l'État, mais on ne voit rien dans le projet de loi de finances à ce titre, ni dans votre intervention, monsieur le rapporteur général. J'ai l'impression que l'interventionnisme étatique est un acquis dans notre société, ce qui n'est pas satisfaisant. Quelles sont les solutions réellement différentes, qu'une majorité de droite pourrait mettre en place ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le rapport écrit contient évidemment des développements plus conséquents sur plusieurs sujets qui ont été évoqués.

J'y regrette notamment l'abandon de la réforme de l'État : aucune des pistes du Comité « Action publique 2022 » n'a été véritablement explorée à ce stade ! De telles réformes ne peuvent fonctionner que s'il existe une réelle appropriation politique du processus, ce qui fut le cas dans tous les pays qui avaient un niveau de dépenses très élevé et qui ont réussi à moderniser l'État - je pense à l'Allemagne, au Canada ou à la Suède. En France, ces sujets restent malheureusement à un niveau technocratique.

La première question que nous devons nous poser est celle du périmètre des missions de l'État - il ne doit pas s'occuper de tout ! Certaines missions sont très bien assurées par d'autres acteurs, par exemple les collectivités territoriales. Il existe une forme de contradiction : l'État est omnipotent, alors que les Français ont le sentiment que le service public est de moins en moins présent et efficace ! Je rappelle que la France bat deux records cette année : le niveau des dépenses publiques - premier pays au sein de l'OCDE - et celui des prélèvements obligatoires - premier pays au sein de l'Union européenne. Or je ne suis pas certain que les Français aient l'impression que le service public est mieux rendu qu'il y a dix ans ! Les administrations centrales ont grossi, tandis que la présence de l'État sur le terrain se réduit.

Par ailleurs, 228 collectivités locales ont signé une convention avec l'État et, parmi celles qui étaient concernées par ce dispositif, une centaine ne l'a pas fait. Selon les indications qui nous ont été fournies, l'objectif de maîtrise de la dépense de fonctionnement devrait être atteint en 2018, voire dépassé.

Philippe Adnot, il est vrai que le commerce extérieur est un facteur important de croissance et que nous connaissons un différentiel important avec l'Allemagne sur ce sujet. Le Brexit ne devrait pas améliorer les choses, puisque le Royaume-Uni constitue aujourd'hui notre premier excédent commercial.

En ce qui concerne la fiscalité énergétique, le sujet est en effet dangereux. Il est vrai que la France a pris des engagements, mais ils ne peuvent pas être complètement décorrélés des cours du pétrole, dont l'évolution est évidemment impossible à prévoir sur le moyen terme. Or le Gouvernement nous a demandé de voter des évolutions sur cinq ans !

En outre, comme cela a été dit, il n'existe pas toujours d'alternative au pétrole ; dans cette situation, augmenter la TICPE ne constitue qu'une taxation supplémentaire pour les secteurs économiques ou les personnes concernés. Je pense moi aussi aux travaux publics ou à la question du chauffage en zone rurale.

Bernard Delcros, l'impôt sur les sociétés devrait connaître un surcroît de recettes d'environ deux milliards d'euros du fait de la transformation du CICE en baisse de charges et de 1,5 milliard d'euros du fait du cinquième acompte.

La commission donne acte au rapporteur général de sa communication.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 82 et 83) - Examen du rapport spécial

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l'État en faveur des personnes les plus fragiles, est dotée de 21,1 milliards d'euros de crédits de paiement en 2019. Ces crédits progressent de 7,5 % par rapport à 2018, soit une augmentation de près de 1,5 milliard d'euros.

Cette augmentation est principalement due au dynamisme des dépenses d'intervention, qui représentent 93 % des crédits de la mission, mais s'explique également par les revalorisations, dites exceptionnelles, de la prime d'activité et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) : pour la prime d'activité, cela correspond à une augmentation de 20 euros par mois du montant forfaitaire à partir d'octobre 2018, puis à la création d'un bonus individuel de 20 euros à compter d'octobre 2019 ; pour l'AAH, il s'agit d'une hausse de 41 euros par mois à partir du 1er décembre 2018, puis de 40 euros en 2019 pour porter son montant à taux plein à 900 euros.

Par ailleurs, dans une moindre mesure, la hausse des crédits de la mission est également liée à des mesures positives de transferts et de périmètre.

L'augmentation des crédits de la mission, qui comprend la revalorisation de la prime d'activité et de l'AAH que nous saluons, masque néanmoins, comme lors du précédent projet de loi de finances, des réformes paramétriques qui viennent minorer, voire neutraliser dans certains cas, les revalorisations annoncées.

En effet, parallèlement aux revalorisations annoncées, sont prévues ou ont déjà été mises en oeuvre les mesures suivantes.

S'agissant de la prime d'activité, l'abattement portant sur les revenus d'activité pris en compte a été réduit de 62 % à 61 %, conformément à un décret d'octobre dernier. Ainsi, d'après nos simulations, sur les 20 euros de revalorisation forfaitaire annoncés, une personne au SMIC sans enfant gagnerait seulement 8 euros ! Autre réforme paramétrique : l'exclusion des bénéficiaires de rentes AT-MP et de pensions d'invalidité de la prime d'activité, dont Arnaud Bazin vous reparlera plus tard. Enfin, deuxième mesure, la suppression de la revalorisation annuelle du 1er avril pour 2019 et 2020 de la prime et de son bonus, indexés jusque-là sur l'inflation.

En ce qui concerne l'AAH, plusieurs réformes de paramètres sont prévues ou ont déjà été mises en oeuvre. Le rapprochement des règles de prise en compte des revenus d'un couple, dont un des membres perçoit l'AAH, sur celles d'un couple au RSA a déjà débuté avec la publication d'un décret, fin octobre, qui abaisse le plafond de ressources à 1,89. Ce plafond sera abaissé à 1,81 en 2019. L'article 83 rattaché à la mission contient une autre mesure qui atténue la revalorisation annoncée  dont Arnaud Bazin vous explicitera les détails : il s'agit de la suppression d'un des deux compléments de l'AAH, le complément de ressources, qui atteint aujourd'hui un montant de 179 euros par mois. Dernière mesure paramétrique, la revalorisation annuelle de l'AAH, comme celle de la prime d'activité, qui ne sera plus indexée sur l'inflation : elle sera nulle en 2019 et limitée à 0,3 % en 2020.

Ainsi, il y a certes un effort budgétaire d'ensemble, que nous reconnaissons, mais il doit être nuancé par l'impact de toutes ces mesures paramétriques, qui ne semblent d'ailleurs pas vraiment maitrisées par le Gouvernement.

Outre le fond, c'est aussi la méthode qui est critiquable : le Gouvernement a su communiquer abondamment sur ces coups de pouce, en oubliant d'évoquer les nombreux coups de ciseaux qui seront autant de mauvaises surprises pour les bénéficiaires...

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Au-delà de la question des revalorisations et des mesures paramétriques, la mise en oeuvre du budget de la mission est entourée, en 2019, d'un certain nombre d'incertitudes.

En ce qui concerne le financement des mineurs non accompagnés, l'aide exceptionnelle aux départements pour la prise en charge partielle des dépenses d'aide sociale à l'enfance est reconduite, mais l'incertitude demeure sur son montant. En effet, il semblerait que le niveau des dépenses prises en charge par l'État diminuera de 30 % à 15 %, mais le Gouvernement n'est malheureusement pas en mesure de nous le confirmer... Cela est d'autant plus regrettable qu'une enveloppe est bien budgétée pour 2019. Sur ce sujet, qui relève à notre sens de la politique nationale d'immigration, nous estimons que l'État doit prendre ses responsabilités, en assumant les dépenses d'évaluation et de mise à l'abri et en augmentant l'aide versée aux départements pour les dépenses d'aide sociale à l'enfance.

Un autre sujet nous semble entouré d'incertitudes : le plan pauvreté. Nous ne pouvons que saluer les objectifs de cette stratégie et le travail mené par le délégué interministériel, que nous avons reçu en audition. Néanmoins, la majorité des crédits inscrits sur la mission repose sur une contractualisation avec les départements. La mise en oeuvre de ce plan semble ainsi, en l'état actuel des choses, compromise et conditionnée au résultat des négociations en cours.

Dernier sujet sur lequel le Gouvernement n'est pas capable de nous apporter de précisions pour le moment : la suppression de la prise en compte, en tant que revenus professionnels, des rentes AT-MP et des pensions d'invalidité dans le calcul du droit à la prime d'activité. Cette mesure avait été adoptée en loi de finances initiale pour 2018, contre l'avis de notre commission des finances, pour une application au 1er janvier 2018. Elle n'a finalement été appliquée que temporairement et avec retard, au 1er juin 2018. Le Gouvernement a ensuite « fait machine arrière », en suspendant l'application de la mesure au vu de ses conséquences, dommageables, sur les bénéficiaires - conséquences que nous avions pointées lors de l'examen de la dernière loi de finances. Des pertes ont ainsi été constatées chez les bénéficiaires, majoritairement des familles monoparentales, s'échelonnant entre 60 et 200 euros par mois. On ne peut que regretter la mise en oeuvre chaotique de cette mesure, qui n'a fait l'objet d'aucune publicité auprès des bénéficiaires, que ce soit sur la suppression de ce droit ou, ensuite, sur le versement du rappel. Comme nous l'a rapporté la représentante de l'Association des paralysés de France (APF) France Handicap en audition, les bénéficiaires s'en sont aperçus en consultant leur compte bancaire le 5 du mois...

Sur ce sujet, il semblerait qu'un amendement gouvernemental qui viserait à instaurer un régime transitoire soit en préparation. Nous serons attentifs au débat sur cette mission qui se tiendra demain matin en séance publique à l'Assemblée nationale, mais nous souhaitons rappeler ici notre opposition de principe à cette mesure.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - S'agissant du programme 137 relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, ses crédits sont stables à l'euro près, ce qui masque des situations contrastées. Ainsi, les crédits liés à la lutte contre la prostitution diminuent ; bien que cette diminution soit moins importante que celle de l'année dernière, nous tenions à rappeler que le maintien de financements aux associations est essentiel, puisque d'elles dépend la mise en oeuvre de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et des parcours d'accompagnement de sortie de la prostitution.

Enfin, s'agissant du programme 124, qui porte l'ensemble des crédits de soutien des politiques des ministères sociaux et la contribution de l'État au fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), ses crédits diminuent de près de 2,5 %. Les ministères sociaux, faisant partie des ministères non prioritaires, sont ainsi touchés significativement depuis plusieurs années par des mesures d'économie budgétaire. La réduction du schéma d'emplois et la rationalisation des « fonctions support » se poursuivent. Toutefois, ce processus de rationalisation semble avoir atteint ses limites et des réflexions s'engagent dorénavant sur les modifications de périmètre des directions et opérateurs de ces ministères.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Au vu de l'ensemble de ces observations, je vous propose, malgré les insuffisances que nous venons de pointer, d'adopter les crédits de la mission, que nous proposons cependant de modifier par l'adoption d'un amendement de suppression de l'article 83 rattaché. S'agissant des mesures paramétriques que nous déplorons, elles constituent pour la plupart des mesures de nature réglementaire, qui ne relèvent donc pas du législateur.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Pour ma part, je ne suis pas favorable à l'adoption des crédits de la mission, mais je soutiendrai l'amendement visant à maintenir l'existence du complément de ressources.

Nous en venons maintenant à l'examen des deux articles rattachés à la mission. L'article 82 vise à créer une seconde bonification intégrée au calcul de la prime d'activité, dont nous avons parlé précédemment. Elle sera versée à chaque travailleur membre d'un foyer dont les revenus professionnels sont supérieurs à 0,5 SMIC. Son montant maximal sera atteint à 1 SMIC, puis décroîtra ensuite. Le montant maximal de la bonification s'élèvera à 20 euros au 1er août 2019, puis sera revalorisé chaque année par tranche de 20 euros jusqu'à atteindre 60 euros au 1er août 2021. Cette mesure ayant pour finalité l'incitation au maintien ou à la reprise d'activité des travailleurs modestes, nous vous proposons d'adopter cet article sans modification.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Pour illustrer le caractère ambivalent des mesures prises par le Gouvernement, nous avons inséré dans notre rapport un tableau qui récapitule les montants en question. S'agissant de la prime d'activité, les mesures « positives » pour les bénéficiaires ont un coût, pour l'État, de 795 millions d'euros tandis que les mesures « négatives » prises permettent de générer une économie estimée à 474 millions d'euros.

S'agissant maintenant de l'article 83, il vise, d'une part, à supprimer le complément de ressources pour les bénéficiaires de l'AAH et de l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) et, d'autre part, à instaurer un régime transitoire pour les bénéficiaires ayant des droits ouverts à ce complément avant le 1er novembre 2019, qui continueront de le percevoir pendant dix ans.

Le complément de ressources constitue, avec la majoration pour la vie autonome, les deux compléments, non cumulables, de l'AAH. Sont éligibles à ces aides les personnes handicapées qui ont un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %. Le complément de ressources, d'un montant de 179 euros par mois, bénéficie à 67 000 personnes et la majoration pour la vie autonome, qui s'élève à 104 euros mensuels, à près de 150 000 personnes.

Le Gouvernement justifie la suppression du complément de ressources par le manque de lisibilité et de simplicité du dispositif dû à la coexistence de ces deux dispositifs aux modalités d'attribution proches.

Nous considérons que cet argument est infondé pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, ce complément de ressources constitue une avancée permise par la loi du 11 février 2005, qui avait mis en place une garantie de ressources pour les personnes les plus sévèrement handicapées.

Ensuite, bien que ces deux compléments à l'AAH aient des similarités, ils disposent aussi de caractéristiques propres : le complément de ressources a pour objectif de compenser l'absence durable de revenus d'activité des personnes qui sont dans l'incapacité de travailler et, pour en bénéficier, les allocataires doivent présenter une capacité de travail inférieure à 5 %. La majoration pour la vie autonome permet, quant à elle, de favoriser l'accès à un logement autonome. Pour en bénéficier, les allocataires doivent ainsi percevoir une aide personnelle au logement.

Enfin, le nombre de bénéficiaires, 67 000 personnes, ne peut être considéré comme constitutif d'un surcroît de travail pour les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, qui gèrent plus de 4 millions de demandes par an et traitent automatiquement et simultanément les demandes de complément de ressources et d'AAH.

Ainsi, la suppression du complément de ressources priverait, « au mieux », ses bénéficiaires de 75 euros par mois, s'ils sont éligibles à la majoration pour la vie autonome, et « au pire » de 179 euros mensuels, s'ils sont, par exemple, logés à titre gratuit, ne pouvant donc pas bénéficier de la majoration pour la vie autonome.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons un amendement de suppression de l'article 83 rattaché à la mission.

M. Vincent Éblé, président. - Je salue la présence du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité du rapport d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, dont je rejoins tout à fait les conclusions.

Voilà plusieurs années que la prime d'activité s'est installée dans le paysage des prestations sociales et que les chiffres suffisent à justifier son maintien. L'interrogation que j'avais soulevée il y a deux ans reste pourtant entière : la prime d'activité relève-t-elle d'un minimum social stricto sensu, visant à lutter contre la pauvreté, ou est-ce un instrument d'incitation financière de retour à l'emploi ? J'avais conclu l'an dernier que la prime d'activité remplissait davantage sa mission de soutien au pouvoir d'achat, dans les cas où le foyer bénéficiaire n'a pas d'enfant à charge, et ce au détriment de l'incitation financière de retour à l'emploi. Inversement, les foyers qui bénéficient déjà d'allègements fiscaux et de majorations liées aux enfants dont ils ont la charge se trouvent davantage incités à la recherche d'un emploi plus rémunérateur par la prime d'activité.

Selon la composition du foyer, le même dispositif, parce qu'il a été insuffisamment pensé en complémentarité avec les instruments de la politique familiale, peut donc avoir des effets radicalement différents, sans que le Gouvernement ne juge pour autant utile d'en redéfinir les principes.

En ce qui concerne l'AAH, nous avons été très nombreux l'an dernier à alerter sur le danger des mesures paramétriques annoncées par le Gouvernement. Même si l'administration nous assure qu'elles ne concerneront que les nouveaux entrants dans le dispositif et qu'a fortiori les droits acquis se maintiendront, nous restons tout de même vigilants quant aux impacts de la baisse du coefficient multiplicateur du plafond pour les couples, ainsi qu'au sujet de l'abrogation du complément de ressources. J'approuve donc l'amendement de suppression de l'article 83 présenté par les rapporteurs spéciaux.

Da façon plus générale, ce rapprochement progressif des conditions d'attribution de l'AAH de celles du droit commun pose de nombreuses questions quant à sa nature. Bien que les associations considèrent l'AAH comme une mesure de compensation d'un éloignement du marché du travail en raison d'un handicap, les pouvoirs publics préfèrent la maintenir dans le champ de la solidarité nationale.

Ainsi, l'importante augmentation des crédits de l'AAH n'est pas cohérente avec le principe d'une société plus inclusive, qui veut que, même dans le milieu ordinaire de travail, les personnes handicapées aient leur place. C'est là un chantier décisif auquel nous devons continuer de travailler.

Par ailleurs, je ne peux que regretter, comme vous, les incertitudes concernant le financement des dispositifs relatifs aux mineurs non accompagnés.

Enfin, la commission des affaires sociales a fait le choix de faire une analyse approfondie des annonces gouvernementales relatives au plan de lutte contre la pauvreté. Accoutumés en la matière aux mesures isolées et ponctuelles, mal diffusées et sans impact profond, nous nous montrerons attentifs à ce que cet outil ait des effets réels. L'annonce d'un revenu universel d'activité, d'un service public de l'insertion et d'un accès plus simple et plus rapide pour les bénéficiaires méritera particulièrement que nous nous y penchions.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Ce rapport met clairement en évidence le décalage qui existe entre les annonces et la réalité ! Alors que le Gouvernement met en avant des augmentations de la prime d'activité et de l'AAH, il prend en fait d'autres décisions qui sont contestables en termes de redistribution. J'hésite entre deux expressions : poudre aux yeux ou trompe-l'oeil ! Il en est de même pour le plan pauvreté, ainsi que pour le programme relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, dont les crédits baissent nettement, alors que le Gouvernement entend faire de ce sujet une grande cause nationale. Que de contradictions !

Par conséquent, le groupe socialiste soutiendra la proposition des rapporteurs spéciaux de supprimer l'article 83 rattaché à la mission et sera défavorable à l'adoption des crédits.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission, ainsi que de l'article 82 rattaché à la mission.

L'amendement de suppression de l'article 83 est adopté à l'unanimité. La commission décide donc de proposer au Sénat de supprimer cet article.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - La mission « Administration générale et territoriale de l'État » comporte trois programmes assez indépendants les uns des autres. Les crédits s'élèvent à 2,8 milliards d'euros, répartis entre le programme 307 qui finance les missions du réseau préfectoral avec 1,7 milliard d'euros, le programme 216 qui est une sorte de fourre-tout pour 975 millions d'euros et un programme auquel nous sommes évidemment attachés, le programme 232, qui finance la vie politique et mobilise 207 millions d'euros.

Les dotations progressent, mais le budget est globalement sans grande évolution. L'augmentation est due aux scrutins programmés en 2019, en particulier les élections européennes, qui coûteront 111 millions d'euros. Hors élections, les crédits sont stabilisés en niveau.

Ce résultat, qui confirme que cette mission n'est pas prioritaire au sens de l'ancienne loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, peut apparaître un peu paradoxal au vu de la réduction des emplois subie par une mission qui est, avant tout, une mission de personnel. Les schémas d'emplois prolongent une forte diminution engagée depuis la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE). Le ministère de l'intérieur recourt de plus en plus à des contractuels, qui sont plus flexibles et surtout moins coûteux, mais les mesures catégorielles contrebalancent une partie des économies réalisées sur le volume d'emplois, il en va de même du glissement vieillesse-technicité, le GVT.

Dernière observation liminaire, l'information budgétaire est particulièrement défectueuse. Je relève que le projet annuel de performances ne permet plus d'identifier la destination finale des crédits, alors que la mission est largement une mission « réservoir », qui alimente des politiques publiques relevant d'autres missions.

Par ailleurs, la structure budgétaire doit être modernisée. Elle ne rend pas assez compte de deux grandes missions confiées aux services : l'accueil des étrangers et la délivrance des titres sécurisés. Il me paraît souhaitable de mieux identifier les moyens dévolus à l'accueil des étrangers, qui sont aujourd'hui noyés dans une action qui les confond avec les moyens mis en oeuvre pour délivrer des permis de conduire ou des cartes grises. À tout le moins, les moyens correspondants devraient être retracés dans une action spéciale et faire l'objet d'un document de politique transversale.

Je préconise également que la délivrance des titres sécurisés soit retracée dans un compte d'affectation spéciale qui permettrait de mieux percevoir les enjeux financiers. Aujourd'hui, du fait des modalités de financement - beaucoup de taxes affectées, un peu de crédits budgétaires et le recours à un opérateur -, ce sujet manque de clarté.

J'en viens à quelques observations plus fondamentales. La programmation budgétaire du programme 307 d'administration territoriale confirme le lent retrait de l'administration préfectorale des territoires. Cette administration a perdu plus de 11 % de ses personnels depuis dix ans, évolution qui fait écho à la chute spectaculaire des emplois déployés par l'État dans ses services déconcentrés, du moins dans les services sur lesquels les préfets exercent un certain pilotage. Le budget pour 2019 prolonge cette tendance. Elle n'est sans doute pas sans lien avec le sentiment qui se répand d'un abandon de certains territoires par l'État, non plus qu'avec le constat, vérifié année après année, des difficultés persistantes à atteindre les objectifs fixés par un programme de performances, pourtant peu exigeant et peu éclairant. Le contrôle de légalité, malgré son rétrécissement, fournit une illustration, parmi d'autres, des sous-performances manifestes. Cela ne peut être que préoccupant, alors même qu'il s'agit d'une mission constitutionnelle des préfets et d'une mission utile à certaines collectivités territoriales.

Mais, au-delà de la maquette de performances, ce sont bien les missions du réseau préfectoral qui sont en cause. Pour traiter le problème, le précédent gouvernement avait lancé un plan Préfectures nouvelle génération, le PPNG, à la dénomination quelque peu emphatique au vu des ambitions. Il s'agissait d'ajouter aux suppressions d'emplois de la période précédente 1 300 suppressions d'emplois de plus en trois ans, de 2016 à 2018, et de mettre en oeuvre quelques priorités autour de l'idée générale d'une présence stratégique de l'État dans les territoires par redéploiement d'emplois : le contrôle de légalité et le conseil aux collectivités territoriales, la coordination des politiques gouvernementales et la lutte contre la fraude documentaire.

Le PPNG entendait s'appuyer sur les gains de productivité réalisés grâce au numérique dans l'activité de délivrance des titres. J'y reviendrai. Les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu. Les problèmes rencontrés dans le cadre de la dématérialisation de la délivrance des titres sécurisés ont obligé à conserver plus d'emplois que prévu dans cette mission. Surtout, le PPNG avait fait l'impasse sur les tensions exercées sur la société française par les graves problèmes de sécurité qu'elle subit et par les flux migratoires.

Le bilan de tout cela aujourd'hui, c'est que, si les suppressions d'emplois ont été effectuées, le renforcement des missions prioritaires a dû être révisé à la baisse, si bien qu'il faudra attendre pour que se concrétise le projet, quelque peu rhétorique jusque-là, d'un État stratège. Entretemps, ce qui se poursuit, c'est l'étiolement du réseau préfectoral à l'échelon infrarégional, dans les départements et arrondissements : 58 sous-préfectures avaient au plus dix équivalents temps plein en 2017, elles seront 76 en 2018.

Il existe donc une certaine perplexité quant à la plus-value apportée en pratique par l'administration générale de l'État dans les territoires. Si, dans les périodes de crise, chacun sent bien que l'État conserve son rôle régalien, pour les affaires plus courantes, la perception est moins favorable.

Il faut donc en revenir à ce que pourraient être les termes d'un débat de fond, qui doit envisager la capacité de l'État à assurer les missions qu'il entend mettre en oeuvre au niveau des territoires et, partant, porter sur son organisation territoriale.

À cet égard, il semble que nous soyons au pied d'un mur, dont les contours doivent être clarifiés. Les préfets de région ont reçu l'instruction d'élaborer des schémas territoriaux de réorganisation des services. Les résultats de cette revue ne sont pas connus. Ceux sur lesquels avait débouché la réorganisation de l'échelon régional, objet d'un renforcement très discutable, avaient été peu probants.

Le projet de budget pour 2019 comporte une innovation peu apparente, mais qui appelle une certaine attention. Il s'agit du transfert des emplois d'administration centrale du programme 307 vers le programme 216 de gestion générale des moyens. Ce transfert est présenté comme la préfiguration d'une évolution, qui verrait la fusion du programme avec le programme 333 rattaché aux services du Premier ministre. Rappelons également la recommandation du Comité action publique 2022 de construire un corps d'administrateurs territoriaux de l'État.

Tout cela fleure bon le renforcement de la déconcentration administrative. Je n'y suis pas opposé et j'entends que la mutualisation, mais aussi la mobilité géographique et fonctionnelle, pourraient en sortir améliorées.

Cependant, ces délices de gestionnaires ont leurs limites. Il y a lieu d'attendre des réformes moins optiques. La clarification de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales doit être reprise afin d'éliminer les doublons. Une meilleure articulation des forces d'administration des territoires intégrant la diversité des capacités déployées au niveau des collectivités territoriales s'impose aussi. Il faut revenir à un État animateur de l'aménagement du territoire.

Quelques mots sur la délivrance des titres sécurisés, qui est au coeur des remaniements mis en oeuvre. La numérisation s'est traduite par la fermeture de la plupart des mairies comme points d'accès au système et elle a connu, cette année, un accident industriel avec les cartes grises acheminées avec un délai moyen supérieur à 35 jours pour celles, peu nombreuses en proportion, qui passent encore par le système géré par l'État. Les problèmes rencontrés sont allés si loin que le Défenseur des droits s'est ému de la situation. L'État prélève beaucoup d'argent à travers cette activité. Il importe d'améliorer la situation au plus vite et d'être en mesure d'offrir aux Français qui ne disposent pas d'un accès facile au numérique des solutions alternatives plus classiques.

Le Défenseur des droits a également beaucoup critiqué les conditions d'accueil des étrangers. Je trouve, dans le renforcement significatif des emplois destinés à traiter les dossiers, un point de relative satisfaction. Il était grand temps d'adapter les effectifs aux flux de demandes, en particulier au regard des problèmes de traitement des dossiers de mineurs non accompagnés. Un premier pas est franchi.

J'en viens au programme 232, qui finance l'organisation des élections et notre infrastructure de financement de la vie politique.

Je relève que le budget pour 2019 enregistre les effets de la non-dématérialisation de la propagande électorale pour les élections européennes. Elle a un coût élevé. On peut dire que c'est le coût de la démocratie. On peut également penser que le Gouvernement n'a pas prévu les expérimentations auxquelles le scrutin européen aurait pu se prêter.

L'enveloppe des subventions aux partis politiques reste inchangée, comme d'habitude. En revanche, sa répartition appelle deux remarques. Sa sensibilité aux résultats des élections nationales est extrême et sans nuance. Le parti socialiste perd 75 % de sa subvention et En Marche est subitement enrichi de 22 millions d'euros. D'autres modalités de répartition pourraient être envisagées. La subvention ne sera pas versée en totalité : 2,5 millions d'euros sont retranchés au titre de la parité. Je suggère que le Gouvernement réfléchisse à les consacrer à la politique en faveur des droits des femmes.

Enfin, je suis en train de conclure un rapport sur les crédits destinés au financement de la vie politique et je m'interroge sur les moyens réservés à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. L'apurement des élections de 2017 a pris un certain temps, au point que les subventions versées aux partis ont été reportées. Par ailleurs, certains événements montrent que si l'on ne souhaite pas judiciariser certaines élections, la commission doit être en mesure d'assurer son rôle administratif en amont. Je l'avais dit au président de cette commission, lorsque je l'avais auditionné.

Quelques observations pour conclure sur les frais généraux du ministère de l'intérieur. Des arbitrages peu satisfaisants doivent être signalés ; je pense au renforcement des personnels d'administration centrale dans un contexte de réduction des effectifs locaux, à la baisse des moyens d'un fonds interministériel de prévention de la délinquance, par ailleurs sollicité par de nouveaux objectifs, et au maintien des ressources du conseil national des activités privées de sécurité.

Enfin, il convient d'appeler à une meilleure maîtrise opérationnelle de certains processus, qu'il s'agisse de la gestion immobilière, de la conduite des projets informatiques, de la maîtrise de la fonction juridique - les dépenses de contentieux restent trop élevées - ou encore des besoins liés à certains transferts d'activité. Je pense en particulier à la commission du contentieux du stationnement payant, qui risque de réserver bien des surprises au vu des flux de litiges.

Malgré les zones d'ombre et les remarques que je viens de formuler, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

M. Roger Karoutchi. - On pourrait considérer que la diminution du personnel dans les sous-préfectures correspond au transfert de compétences vers les collectivités territoriales. Pourtant, l'État maintient des postes sur des sujets qui sont censés être transférés ! Je pense par exemple au tourisme. Dans le même temps, il existe un sentiment de sous-administration étatique en zone rurale et la présence de l'État devrait y être plus forte.

Parallèlement, est-ce que tous les départements, par exemple en Île-de-France, ont besoin d'autant de sous-préfectures ? Ne serait-il pas intéressant de différencier la présence de l'État selon la nature du territoire, zone rurale ou métropole ? Sincèrement, les sous-préfectures servent peu dans les métropoles. Évidemment, l'État n'est pas très enclin à une évolution de ce type, parce qu'il devrait redéployer des emplois de hauts fonctionnaires, en particulier d'énarques...

M. Philippe Dominati. - Roger Karoutchi m'enlève les mots de la bouche... Je vois, dans les documents qui nous ont été distribués, que 127 préfets et 111 sous-préfets n'exercent pas leurs fonctions dans le réseau, ce qui peut tout de même poser certaines questions...

Je voudrais surtout intervenir sur la question du financement de la vie politique en France. Il reste le monopole des grands partis, est très peu redistribué au niveau territorial - c'est au bon vouloir des partis... - et ne tient pas compte des initiatives individuelles ou locales. Comment faire évoluer ce système ? Comment améliorer le taux de reversement des financements vers le niveau local ?

L'an passé, j'avais déposé un amendement pour permettre de reverser au budget général de l'État la part de financement décidée par un parlementaire, lorsque celui-ci ne se retrouve pas dans l'un des onze partis officiels. Le ministre de l'intérieur semblait intéresser par cette proposition. Qu'en est-il ?

M. Jean-Claude Requier. - J'attire l'attention du rapporteur spécial sur les grandes difficultés rencontrées par les Français pour obtenir une carte grise. C'est tellement compliqué que certaines officines se font payer pour cela.

En ce qui concerne les cartes d'identité, l'État a décidé de prolonger leur validité au-delà de la date initialement prévue et qui est inscrite dessus. Cela pose des problèmes pour les gens qui voyagent en Europe, car les autorités de ces pays ne sont évidemment pas au courant de cette mesure.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suis moi-même choqué par la prolifération des sociétés privées qui facturent des prestations pour réaliser des démarches administratives, en utilisant des sigles officiels, voire le drapeau tricolore. Ce phénomène révèle la défaillance du service public. Le calcul de la taxe de séjour est si compliqué que certaines collectivités font appel à de telles entreprises, ce qui est tout de même aberrant. Parfois, c'est l'administration elle-même qui utilise des numéros surtaxés !

M. Éric Jeansannetas. - Les préfets de région ont reçu une lettre de cadrage pour qu'ils proposent des modifications d'organisation dans le but affiché de retrouver de la proximité. Cela pose un certain nombre de questions, par exemple sur le contrôle de légalité ou sur les liens avec les élus. Je rejoins l'intervention de Roger Karoutchi, pleine de sagesse, en faveur d'une différenciation de l'organisation de l'État selon les territoires.

Je m'interroge sur la mise en place du plan « préfectures nouvelle génération », parce que, au moins dans les départements ruraux, le nombre des agents n'est plus à la hauteur des ambitions. Comment mettre ce plan en oeuvre dans ce contexte - 200 nouveaux postes vont être supprimés en 2019 ?

Même si je suis favorable à la dématérialisation, le bug des cartes grises a eu des incidences terribles. Dans la Creuse où la population est vieillissante, on parle d' « illettrisme numérique ». Cette mission de service public prévoit-elle un accompagnement des personnes les plus fragiles ? La fracture numérique est une réalité à laquelle nous devons faire face, notamment dans les zones rurales et périurbaines.

M. Jérôme Bascher. - J'ai attentivement écouté le président de la République lors du Congrès de Versailles, en juillet dernier. J'ai été surpris de l'entendre dire qu'il ne voulait plus baisser les effectifs de l'État sur le terrain, rompant ainsi avec une vieille habitude. Monsieur le rapporteur spécial, pouvez-vous confirmer la mise en adéquation de cette promesse avec ce budget ?

Le ministère de l'Intérieur a-t-il un schéma directeur de sa carte territoriale ? Ou, pour reprendre la question de M. Karoutchi, aura-t-on une nouvelle carte des sous-préfectures ?

M. Emmanuel Capus. - Je n'ai pas interprété le discours de Versailles de la même manière que Jérôme Bascher. Sur les 120 000 suppressions de postes annoncées par le président Macron, on en prévoit 50 000 sur le champ de l'État. Le programme de François Fillon était encore plus drastique. Ces dernières années, on a créé un certain nombre de doublons, puisqu'il y a eu transfert des compétences aux collectivités territoriales. Dans quels secteurs pourrait-on supprimer des postes ? On a eu plutôt eu tendance à les conserver, ces dernières années, ce qui se justifiait notamment dans les zones rurales. Cependant, si l'on veut préserver les services publics dans les zones rurales, où peut-on faire des économies ?

Mme Christine Lavarde. - Les lettrés du numérique ont vu avec satisfaction qu'un certain nombre de démarches administratives pouvaient désormais s'effectuer en ligne. Les illettrés du numérique, expression que je n'aime pas plus que cela, ne se trouvent pas tous en zone rurale, mais aussi dans certaines zones urbaines denses. La rationalisation de l'État et la baisse de la dépense publique justifient la fermeture de certains points de proximité, de sorte que les préfectures et les agences seront à terme remplacées par les maisons de services au public (MSAP). A-t-on développé des formations adéquates pour que les fonctionnaires jusque-là spécialisés sur des missions précises, comme l'accueil ou l'orientation dans un service, puissent devenir des agents polyvalents, capables d'aider les gens à effectuer leurs démarches en ligne ?

Quand une démarche administrative est réalisable de manière numérique, vérifie-t-on qu'une alternative est possible ? Pour une demande de naturalisation, la prise de rendez-vous doit obligatoirement s'effectuer en ligne, et les rendez-vous sont distillés au compte-goutte, à un horaire aléatoire. Je ne suis pas certaine que les demandeurs aient la possibilité de rester connectés toute la matinée et plusieurs jours durant pour avoir la chance d'obtenir un rendez-vous.

M. Thierry Carcenac. - Le rapport Cap 2022 indique clairement que certains des services pourraient devenir payants pour nos concitoyens, comme l'obtention d'une carte grise pour laquelle La Poste demande 30 euros. Les personnes taxées d'illettrisme numérique ou d'illectronisme pourraient se retrouver en difficulté.

L'État privilégie la mise en oeuvre des MSAP en apportant une subvention par l'intermédiaire des sous-préfets. Cependant, y a-t-il eu une coordination des MSAP ? L'article 3 du projet de loi de finances précise qu'il pourrait y avoir des conventions avec les MSAP pour qu'elles informent le public, notamment sur le prélèvement à la source. C'est du moins l'objet d'un amendement qui a été voté tout à l'heure à l'Assemblée nationale.

M. Jacques Genest, rapporteur. - Toutes les remarques vont dans le sens de mon rapport. Les sous-préfectures ont un rôle à jouer en milieu rural, mais à condition qu'elles en aient les moyens. Parfois, elles peuvent fonctionner avec sept ou huit personnes. Cela dépend beaucoup de la personnalité du sous-préfet.

Les doublons de compétences ont été le grand raté de la décentralisation. On a créé des services relevant des départements et des régions sans jamais oser supprimer les services de l'État. À cela s'ajoutent les agences que l'on a créées en nombre, qui coûtent très cher et servent peu. Qu'il s'agisse des agences de bassin ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la politique pourrait être gérée directement par les services de l'État, plutôt que par des fonctionnaires détachés.

Le transfert des services au privé est inquiétant. Il n'y a qu'à voir les reportages télévisés sur la privatisation du système des PV de stationnement : le nombre de contestations est effrayant. Le contrat des nouveaux agents fixe un objectif chiffré. Ce n'est pas admissible.

Philippe Dominati, peut-être 20 % des préfets n'exercent-ils pas leurs fonctions dans la préfectorale. Pour ce qui est du financement des partis politiques, la méthode est trop brutale et devrait être lissée, car elle a des répercussions sur des hommes et des femmes et ne tient pas compte de la représentation locale des partis.

Quant à la délivrance des cartes d'identité et des passeports, ma petite commune a eu la chance d'obtenir la compétence, et cela fonctionne très bien. Les gens sont contents de venir, car il y a moins d'attente qu'ailleurs. En revanche pour les cartes grises, c'est une catastrophe. Tout le monde se plaint des retards. On nous dit que c'est parce qu'il y a beaucoup trop d'opérateurs mais aussi des problèmes d'instrumentation.

Les cartes d'identité françaises sont désormais valables quinze ans. Cependant, certains pays comme l'Angleterre ne les reconnaissent pas comme documents de voyage. Il faut pouvoir fournir une attestation de voyage ou bien utiliser un passeport.

L'idée des maisons de service au public peut être intéressante. Il y a trente ans, dans ma commune, j'avais créé un poste d'écrivain public avec une petite subvention. Cela a bien fonctionné grâce à la personnalité de celui qui occupait le poste. Cependant, en ce qui concerne les MSAP, encore faut-il que ceux qui habitent dans les campagnes aient le moyen de s'y rendre. Le système ne sera probant qu'à condition d'avoir des gens qualifiés.

Il n'y a pas que les illettrés de l'internet. Il y a aussi ceux qui n'ont pas l'internet. En Ardèche, nous venons de faire une conférence de presse pour protester contre l'absence des opérations de très haut débit. Les cinq parlementaires se sont mobilisés, toutes tendances confondues. Des communes entières n'ont pas l'internet et ne sont pas raccordées au réseau de téléphonie mobile. Le territoire n'est pas suffisamment couvert. Les MSAP ont leur rôle à jouer, notamment pour ceux qui n'ont pas l'internet.

Il faut aussi développer des solutions alternatives ; la voie du papier n'est pas honteuse.

Je suis contre l'idée de faire payer des interventions de l'administration. La Caisse des dépôts et consignations doit bientôt prendre une part importante dans le capital de La Poste. Je resterai vigilant, car si le réseau postal tient encore, c'est parce que l'Association des maires de France avait signé une convention avantageuse avec La Poste.

M. Jean-Claude Requier. - Exactement.

M. Jacques Genest, rapporteur. - Nous sommes tous conscients qu'il y a un malaise dans l'organisation de l'administration de l'État, même dans les territoires plus urbains.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Article 71 bis (nouveau)

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Cet article introduit en première lecture par l'Assemblée nationale demande un rapport. Il pourrait sans doute être utile qu'il précise les modifications des conditions juridiques des emplois mobilisés par le ministère de l'Intérieur, à la suite de la mise en oeuvre du Plan Préfectures nouvelle génération. Il serait souhaitable que le rapport aborde les conditions dans lesquelles la compensation aux communes accueillant des stations de recueil de données a été mise en oeuvre. Enfin les résultats acquis du fait de la réorientation de certains emplois méritent d'être exposés. Je vous propose de l'indiquer au ministre lors de l'examen de l'article.

M. Vincent Éblé, président. - Au-delà du fond, les demandes de rapport sont toujours accueillies avec circonspection dans notre commission.

M. Éric Jeansannetas. - C'est le travail du rapporteur spécial que de faire ce rapport.

L'article 71 bis (nouveau) n'est pas adopté.

La réunion est close à 12 h 20.

- Présidence de Mme Fabienne Keller, vice-présidente, puis de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Action extérieure de l'État » - Examen du rapport spécial

Mme Fabienne Keller, vice-présidente. - Outre celle de nos rapporteurs spéciaux, je salue la présence de plusieurs rapporteurs pour avis, de la commission de la culture, de l'éducation et de la formation et de la commission des affaires étrangères et de la défense.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - La mission « Action extérieure de l'État », dont les crédits s'élèvent à près de 2,9 milliards d'euros, a déjà réalisé des efforts budgétaires conséquents. Si d'autres missions en avaient fait autant, la situation du budget de l'État serait bien meilleure... En autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, la baisse prévue pour 2019 est d'environ 4,3 % par rapport à 2018, à périmètre courant. Il n'en va pas de même à périmètre constant, où la baisse est d'environ 2 %.

Les efforts ont été nombreux depuis dix ans : la mission a perdu 12 % de ses effectifs, passant de 13 502 à 11 520 équivalents temps plein travaillé (ETPT) de 2007 à 2017. Toutefois, dans cet intervalle, la masse salariale a progressé de 23 %...

M. Jérôme Bascher. - Et voilà !

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Et cela continue, en raison du glissement vieillesse-technicité, de certaines revalorisations et de la hausse des indemnités de résidence à l'étranger (IRE), en raison de l'inflation mondiale.

Après l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) cette année, nous avons prévu avec Rémi Féraud de nous pencher l'an prochain sur les dépenses de personnel du ministère, dans le cadre de nos travaux de contrôle. Les effectifs d'un certain nombre d'ambassades pourraient faire l'objet d'une rationalisation, en particulier dans les plus grands postes.

Le Gouvernement a demandé une baisse de 10 % de la masse salariale des ministères et opérateurs de l'État à l'étranger d'ici 2022. On peut s'interroger sur la crédibilité de cet objectif. Les ambassadeurs doivent remettre leurs propositions de réduction d'effectifs d'ici mi-novembre au ministère.

La politique immobilière est un élément important du budget de la mission, les travaux de sécurisation devant être financés, à terme, par la vente des biens immobiliers. En devenant affectataire de l'ensemble des biens de l'État à l'étranger, le ministère récupère un patrimoine de 215 bâtiments dont la valeur est estimée à 80 millions d'euros environ, et qui est essentiellement composé de logements de fonction. Il sera financé par des avances du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », pour un montant de 100 millions d'euros versé sur deux ans, qui devront être remboursées par le produit de futures cessions.

La baisse du budget est liée à la réduction de notre participation aux contributions internationales, ainsi que de notre contribution aux opérations de maintien de la paix, puisque notre part dans le PIB mondial baisse. Il y aura moins d'opérations de maintien de la paix en 2019 qu'en 2018.

Pour le programme 105, la présidence du G7 est organisée l'an prochain à Biarritz, pour un coût évalué à 36,4 millions d'euros, dont 24,4 millions d'euros en 2019. À titre de comparaison, le G8 organisé à Deauville en 2011 a coûté 31,3 millions d'euros, soit un coût actualisé de 33,2 millions d'euros en tenant compte de l'inflation.

Je vous présenterai quelques amendements pour réduire certaines dépenses liées à ces sommets et des dépenses protocolaires qui augmentent de 10 millions d'euros environ, par rapport à 2018. Un amendement concerne Atout France et un autre la soulte gérée par l'AEFE pour les bourses.

Pour ma part, je proposerai d'adopter les crédits de la mission.

M. Rémi Féraud, rapporteur pour avis. - Les programmes 151 et 185 portent respectivement sur l'administration consulaire et les Français de l'étranger, d'une part, ainsi que sur la diplomatie culturelle et d'influence et l'enseignement français à l'étranger, d'autre part. Après plusieurs années de baisse, la stabilité réelle de ces crédits, proposée par le Gouvernement, doit être soulignée.

L'Institut Français se verra attribuer deux millions d'euros supplémentaires, à la suite des annonces du Président de la République sur le « plan langue française » de mars dernier. Les subventions des autres opérateurs seront reconduites à moyen constants, tout comme leurs emplois. Atout France voit sa subvention maintenue, ce qui est justifié, au regard de l'objectif de 100 millions de touristes étrangers d'ici 2020, souhaité par le Gouvernement. Même si la loi NOTRe de 2015 a prévu de donner aux régions la compétence tourisme, je ne partage pas la proposition de Vincent Delahaye de baisser la subvention à cet organisme, car c'est, au-delà de l'aspect budgétaire, une remise en cause de notre politique touristique, qui relève d'un débat de fond.

La diminution des crédits de l'AEFE de 14,7 millions d'euros est liée aux nouvelles modalités des dépenses de sécurisation ; la réalité est une stabilité des crédits conforme à la promesse du président de la République, avec tout de même une augmentation des frais de scolarité de 23,5 % depuis 2012 et la suppression de 166 postes de détachés en 2019. Ces difficultés budgétaires se heurtent à l'objectif de doublement du nombre d'élèves scolarisés dans le réseau d'ici 2030.

Le budget des bourses scolaires est évalué dans le PLF 2019 à 105 millions d'euros, contre 110 millions en 2018 : cette diminution est contraire aux engagements du Président de la République, mais nos auditions ont montré que la consommation de ces crédits en 2018 devrait atteindre, au maximum, 102 millions d'euros. Le barème actuel n'ayant pas été revu à la baisse, les 105 millions d'euros inscrits au budget seront suffisants pour satisfaire la demande de bourses.

Je ne partage pas l'amendement de Vincent Delahaye qui vise à reprendre la soulte, d'autant que celle-ci est destinée à faire face à des risques de change, favorables ces dernières années, qui peuvent devenir défavorables dans les prochaines années. Je suggère de ne pas aller au-delà de la réduction de crédits proposée par le Gouvernement.

Enfin, pour les réseaux culturels composés des alliances françaises locales et des Instituts Français, on peut noter le maintien des subventions et du personnel expatrié. Le Gouvernement a travaillé à la résorption du conflit entre la Fondation Alliance française et l'Alliance de Paris, en impliquant l'Institut Français, afin de mutualiser les moyens immobiliers à Paris, sans remettre en cause l'indépendance des réseaux sur le terrain, ce qui va dans le bon sens.

Il est trop tôt pour dresser un bilan du mécanisme de remplacement de la réserve parlementaire. Nos collègues représentant les Français de l'étranger étaient très attentifs à cette question. Le Gouvernement a mis en place un dispositif nommé « STAFE » (fonds de soutien du tissu associatif des Français à l'étranger) doté d'un budget de 2 millions d'euros en 2018, reconduit en 2019. Il semble que la distribution des crédits en 2018 se déroule tout à fait convenablement, notamment pour financer des projets éducatifs. Nous pourrons en juger l'an prochain, en espérant que l'ensemble des crédits pour 2019 pourront être consommés, parce que la campagne d'examen des demandes de subventions commencera plus tôt.

L'administration consulaire mène plusieurs chantiers de modernisation, sources d'économies et d'efficacité. Nous nous sommes beaucoup interrogés, avec Vincent Delahaye, pour savoir pourquoi la délivrance des documents d'identité était plus rapide pour les Français de l'étranger que sur le territoire national. Cela tient à une dématérialisation menée tout à fait convenablement.

Le budget pour l'organisation des élections européennes, de 3,5 millions d'euros, correspond à celui de 2014, ce qui ne doit pas poser de difficultés, pas davantage que la mise en place future du vote électronique. Les crédits supplémentaires, destinés à la sécurisation du vote, de 250 000 euros, sont maîtrisés.

Pour ma part, je préconise un vote d'abstention sur l'ensemble des crédits de la mission. La rapporteure à l'Assemblée nationale a déclaré et écrit que le « pronostic vital » était « engagé », pour le ministère des affaires étrangères. La forte réduction des emplois du ministère, inscrite dans la loi de programmation des finances publiques, est appelée à se poursuivre. Ce rythme n'est pas totalement calé avec la volonté d'avoir de grandes ambitions diplomatiques et une vocation universelle. Nous attendons encore des propositions de l'ensemble des ambassadeurs pour réduire les emplois dans leurs postes.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Sur le budget, je partage les constats et les craintes des rapporteurs spéciaux. Je suis frappé du décalage entre les ambitions, notamment celles du « plan langue française » et plurilinguisme annoncé par le Président de la République à l'Institut Français le 30 mars dernier, et les moyens mis pour réaliser ces ambitions : un budget étale, des diminutions de personnel.

Sur le rapprochement Institut français - Fondation Alliance française, j'ai mené, avec mes collègues André Vallini et Robert del Picchia, un cycle d'auditions. Le rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française cache en réalité une « dévitalisation » de la Fondation : elle sera probablement réduite à 6 ETP d'ici la fin 2019 ; les délégués régionaux disparaissent ; il est également question de la disparition des directeurs expatriés ; les « synergies » annoncées en étant sur le même site seront limitées compte tenu des très faibles effectifs et des compétences résiduelles de la Fondation.

Des problèmes demeurent entre les deux partenaires. Quand on les auditionne séparément, on se rend compte d'un manque criant de dialogue, voire de confiance. Une convention devrait être signée mais aucune négociation n'a démarré entre eux. Il est dommage que l'Institut Français n'ait pas récupéré les compétences de la Fondation.

La question des locaux est loin d'être réglée, en raison du fort impact financier, tant pour l'Institut Français, qui devra payer une année supplémentaire de bail dans ses locaux actuels, que pour la Fondation, qui devra financer des travaux coûteux.

Il faut un nouvel état d'esprit des ambassades et de l'Institut Français pour travailler avec le réseau des alliances françaises sans froisser les susceptibilités locales, ce qui est loin d'être le cas sur le terrain, et en faisant bien remonter les besoins du réseau des alliances.

M. Bernard Cazeau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - L'augmentation apparente des crédits de la masse salariale, de 10 millions d'euros, que vous avez soulignée, monsieur le rapporteur spécial, correspond à un effet de périmètre, en raison d'un transfert de 387 emplois des autres ministères. La diminution des crédits hors masse salariale est forte : 74 millions d'euros. La diminution de 9,73 % des contributions à la sécurité internationale est notable, de même que le transfert de 100 millions d'euros sur deux ans de dépenses d'investissement pour la sécurisation des implantations à l'étranger, correspondant effectivement à une avance.

Les moyens du réseau diplomatique sont soumis à de très fortes pressions, avec une baisse de 24 % en masse salariale. Sur le G7, je vous laisse la possibilité de votre amendement. Je crois néanmoins que les crédits correspondent à des prévisions normales.

Sur Atout France, votre amendement va faire du bruit. Il n'est pas judicieux de diminuer les crédits de ce secteur très rentable pour notre pays.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - Lorsque je vais présenter ma part du programme 105 à la commission des affaires étrangères, je vais quand même proposer que nous votions ce budget, tout en exprimant deux regrets très forts. Le premier, sur la masse salariale, surtout que le ministère des affaires étrangères a beaucoup donné depuis plusieurs années. Une fois de plus, au moment où l'Angleterre et l'Allemagne ont augmenté le nombre de fonctionnaires des affaires étrangères, on continue à diminuer notre présence. Ce n'est pas un bon signe.

Ma deuxième inquiétude porte sur le problème immobilier. Nous avons là aussi beaucoup auditionné. Comment va-t-on faire ? On cite un patrimoine qui n'existe plus. On a vendu tous les bijoux de la famille. On récupère des logements de fonctionnaires de l'éducation nationale sans aucun intérêt et surévalués, bref on n'a plus d'argent pour faire les travaux nécessaires.

Les fonctionnaires des ambassades sont inquiets. Quelle est la place de la France dans le monde ? Quelle place voulons-nous ? Nous sommes passés au deuxième rang l'an dernier, les États-Unis étant les plus présents sur l'ensemble de la planète. Les Chinois nous ont à présent dépassés. Nous sommes talonnés par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, qui a recréé des postes d'ambassadeurs. C'est le maintien de notre siège permanent au conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU) qui est en jeu. Je ne manquerai pas de le rappeler tout en rappelant que nous allons voter ce budget. La petite concertation avec votre rapporteur spécial a montré que nous sommes sur la même longueur d'ondes et je crois que nous avons raison.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il n'y a pas de contradiction entre l'objectif de maîtrise des dépenses publiques et l'objectif de maintien du réseau. Le ministère des affaires étrangères est l'un de ceux où l'administration centrale est la plus importante, plus de 4 000 personnes. Ne peut-on faire là un effort, tout en maintenant un réseau qui mérite en effet d'être maintenu ?

Ne peut-on multiplier les expériences de mutualisation des services consulaires avec les pays européens proches, l'Allemagne ou l'Italie par exemple ? Cette piste a été légèrement utilisée. Elle me paraît bonne pour les petits postes.

Le maintien du réseau est au coeur de nos préoccupations, mais l'administration centrale peut faire un effort de rationalisation.

M. Robert del Picchia, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - À la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Grand, sur le programme 151, nous a expliqué que nous n'étions qu'à moitié satisfaits, notamment en raison de l'évolution du budget des bourses. Il manque aussi un certain nombre d'ETP. Les avis étaient partagés au sein de la commission sur ce programme.

Quant au programme 185, nous sommes plutôt d'avis favorable, à confirmer, une partie de notre commission n'ayant pas pris part au vote.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Sur la masse salariale, l'objectif de baisse est de 10 % d'ici 2022. On ne sait pas comment l'atteindre. En 2019, une hausse de 5,3 % des dépenses de personnel est prévue à périmètre courant, en passant de 925 millions d'euros à 974 millions d'euros. La mutualisation des fonctions support n'explique que 11 millions d'euros de cette hausse. Le reste s'explique essentiellement par une surexécution en 2018.

Nous étudierons la masse salariale et le personnel, en effet, notamment celui de l'administration centrale. Quant au réseau, il s'agit de le maintenir, mais de regarder aussi les rationalisations. Nous en avons discuté avec le directeur des ressources humaines, qui a été ambassadeur et a évoqué des mutualisations possibles, entre réseaux ministériels, des postes de développement économique avec d'autres postes.

Je ne suis pas convaincu qu'il faille rester au même niveau partout. On peut mutualiser en interne, mais aussi avec des pays étrangers. Le nombre d'expériences, une petite dizaine, est limité dans ce domaine. Nos compatriotes à l'étranger sont souvent plus exigeants qu'on ne pourrait l'être en France. Le niveau de service est parfois supérieur à celui de la métropole.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Nous connaissons moins que vous le dossier de la Fondation Alliance française et de l'Alliance française de Paris. La proposition qui a été faite correspond aux préconisations du rapport de Pierre Vimont, notamment pour préserver l'autonomie des réseaux, et nous paraît raisonnable.

Il faudrait peut-être mettre davantage de moyens budgétaires, mais ce serait un autre choix.

Sur les programmes 185 et 151, je suis d'accord avec Robert del Picchia, le budget est tout à fait honorable et stable, et c'est la première année depuis longtemps que c'est le cas.

La mutualisation des services consulaires pose une vraie difficulté liée à la souveraineté nationale. Il n'y a pas encore de visa européen. Une source d'économies paraît possible, pour le réseau consulaire. Il y a dans de grandes villes d'Europe, qui ne sont pas des capitales, des postes qui n'ont de consulats que le nom, à Cracovie, Édimbourg, et quelques villes allemandes, qui font en réalité un travail d'influence culturelle, tout à fait important. Il reste encore une part de rationalisation à faire.

M. Roger Karoutchi. - Quand j'étais ambassadeur, il y sept-huit ans, toutes les réunions, toutes les discussions, prouvaient qu'on était à l'os. Il n'y a pas d'argent ! Dans l'hémicycle, et ailleurs, nous prônons l'augmentation des crédits de la défense, le renforcement de notre position internationale, qui compte dans la compétitivité et l'on veut encore diminuer, réduire ! L'attractivité touristique de la France, de Paris, de l'Île-de-France, c'est essentiel. Je ne voterai pas tout ce qui pourrait l'affaiblir. Le signal n'est pas bon. Cela suffit ! On est membre du Conseil de sécurité, et l'on se comporte comme une nation de deuxième ordre.

J'ai fait une tournée de nos lycées et de nos centres à l'étranger, ils ne pleurent pas misère, mais enfin ! Quand on voit le budget des Américains, des Chinois, et que, pour nous, l'on se bat pour arracher un poste...La francophonie est en mauvais état, on n'est pas à la hauteur. J'y reviendrai comme rapporteur spécial, mais pourquoi réduire encore les crédits d'Arte, de France médias monde ? Et il n'y a pas un centime du Quai d'Orsay ! On veut une voix qui porte sans mettre un sou et l'on s'étonne que les autres nous passent devant ! On pourra ensuite pleurer la gloire perdue de la France.

M. Jérôme Bascher. - Je remercie Rémi Féraud qui a répondu par avance à une première question sur les réorganisations ou rationalisations possibles de la partie consulaire. Je suis un peu surpris que l'on choisisse d'augmenter ces crédits plutôt que ceux consacrés à l'influence française et je rejoins là-dessus une partie des propos de Roger Karoutchi. Il faut en effet soutenir TV5 Monde et différents médias.

Cependant, sur Atout France, je voterai l'amendement de Vincent Delahaye, car je ne crois pas qu'Atout France fasse venir aujourd'hui plus ou moins de touristes en France. Allons-nous dans tel ou tel pays en fonction de telle ou telle agence nationale de promotion du tourisme dans ce pays ? Il me semble que l'histoire de la France, notre culture, nos produits, font plus pour le tourisme que tel ou tel poste d'Atout France.

Sur le G7, je suis d'autant plus tenté de voter l'amendement de Vincent Delahaye, que l'Élysée, dont je rapporterai bientôt les crédits, m'a fait savoir qu'il prendrait tout à sa charge. Était-ce déjà le cas pour le G8 ? J'étais assez étonné de constater que les dépenses pour aller à Biarritz étaient censées être les mêmes que pour un sommet au Canada ou aux États-Unis...

- Présidence M. Vincent Éblé, président. -

M. Yvon Collin. - Je m'associe aux propos de Roger Karoutchi. Partout où il se déplace, le président de la République dit vouloir doubler le nombre d'étudiants du lycée français dans l'année qui suit sa visite. Je partage cette ambition. En Inde, l'ambassade de France m'a confirmé que l'objectif serait atteint. Mais cela aura-t-il une répercussion financière pour la France ?

M. Philippe Dallier. - Il nous suffit de voyager un peu dans le cadre de nos missions pour constater l'importance de l'Alliance française, des instituts et de nos postes consulaires. En Argentine, où j'étais il y a peu pour l'Union interparlementaire, il y a eu jusqu'à 154 alliances. Il en reste une cinquantaine, y compris à Ushuaïa, qui fonctionnent essentiellement sur la base du volontariat, grâce à des gens très motivés. Ces alliances vivent grâce aux cours de français. L'institut français de Buenos Aires, lui, n'en dispense pas pour ne pas leur faire de concurrence - animé par 6 ETP, il peut se le permettre. S'il faut toutefois faire des économies au niveau national, a-t-on besoin de les chercher dans ces domaines, au risque de décourager ceux qui défendent la langue française à l'étranger ? Je ne vois pas quelles économies autres que des bouts de chandelles généreraient un rapprochement des alliances et des instituts français, et je crains même qu'un tel rapprochement ait un coût net en termes d'influence culturelle, c'est-à-dire, au bout du compte, d'influence économique. Ce secteur a suffisamment donné dans le passé : arrêtons là, ou bien assumons de vouloir réduire la représentation de la France à l'étranger.

M. Thierry Carcenac. - Si j'ai bien compris, les biens de l'État à l'étranger seront affectés en totalité au ministère en 2019. Simultanément, on prélève près de 100 millions d'euros sur le CAS « immobilier de l'État » pour financer les besoins, en escomptant des cessions. Mais a-t-on une idée de ce que représente l'immobilier de l'État, notamment à l'étranger ? Des bijoux de famille ont été cédés et des services - du Trésor par exemple - ont été mutualisés : diminuer le nombre de fonctionnaires peut-il avoir un impact sur les mètres carrés utilisés ?

M. Bernard Lalande. - La France n'est pas qu'un hexagone de 1000 kilomètres du nord au sud et de l'est à l'ouest, mais une puissance politique et économique mondiale de premier ordre. Parce que nous avons trop longtemps cru qu'il suffisait de faire état de sa qualité de Français pour croire que le monde était à nos pieds, nous perdons chaque jour un peu de notre superbe. Avec un déficit de 67 milliards d'euros de notre commerce extérieur, nous ne pouvons que nous inquiéter de la course aux économies sur ce levier essentiel qu'est l'action extérieure de l'État. La diplomatie culturelle et d'influence du programme 185 et, dans une autre mesure, les éléments du programme 151, apparaissent insuffisants. Quand on veut un État stratège, on doit se doter d'une vision spatiale plutôt que de découper en morceaux des politiques complémentaires. Les agents qui oeuvrent dans tous les pays où la France est présente ne sont-ils pas aussi des ambassadeurs de notre diplomatie économique ? Nous nous abstiendrons, car ce budget est insuffisant, et ne voterons pas les amendements du rapporteur spécial.

Mme Fabienne Keller. - J'étais en mars à N'Djamena, où le mauvais état du lycée français m'a frappée. Nous avons en outre appris sur place que les logements utilisés par les enseignants avaient été vendus. Or c'était, dans un pays à risque comme le Tchad, un élément de sécurité autant que de commodité. Au passage, la valeur de ces biens était ridicule... Procède-t-on différemment selon les types de pays ? Par exemple, avons-nous une politique spécifique dans les pays naturellement francophones où la communauté française et le rayonnement de la culture française est plus stratégique ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Une réponse d'ensemble d'abord sur le poids de la France dans le monde. Je partage votre sentiment. Le ministère peine à nous donner une vision stratégique. Le poids historique de notre présence dans le monde est fort, mais la structure est restée longtemps inchangée, alors que l'on peut s'interroger sur la logique du poids relatif de certaines implantations - nous avons par exemple toujours 160 personnes dans le superbe palais Farnèse. Si nous avions une vision stratégique, je serais disposé à suivre les propositions de rationalisation à tel ou tel endroit. Mais ce n'est pas notre réseau diplomatique qui a empêché la dégringolade de notre puissance économique dans le monde. Si notre budget est en légère diminution, c'est parce que nous pesons relativement moins lourd. Nous pouvons en la matière conserver de l'ambition, à condition de déployer une vraie vision stratégique et de réorienter nos moyens selon les continents et les enjeux stratégiques. Les contributions internationales et les opérations de maintien de la paix diminuent de façon importante dans le budget pour 2019.

La valeur de nos biens à l'étranger est environ de 4 milliards d'euros. Mais dans ces 4 milliards, il y a un peu de tout : de nombreuses propriétés, tels des cimetières au Liban, ne sont pas valorisables. Les ventes de biens diminuent fortement d'année en année, et ne rapportent plus que 30 millions d'euros par an. Il ne sert à rien de tout vendre, certaines propriétés doivent être conservées.

Les amendements que j'ai déposés proposent des diminutions très faibles de dépenses, de l'ordre de 3 ou 5 millions d'euros. Voyez le cas d'Atout France : je ne suis pas contre le tourisme, qui est bien sûr une force pour la France, mais dès lors que cette agence emploie 350 personnes, il faut à tout le moins une évaluation de son action. Aurait-on moins de touristes si Atout France employait moins d'agents, ou même si elle n'existait pas ? J'en doute. Des organismes de sondage pourraient très bien demander à nos touristes si l'agence a joué dans leur décision de nous rendre visite, ce serait bien le minimum. L'amendement n° 4 n'est cependant qu'un amendement d'appel.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Fabienne Keller, je ne connais pas la situation particulière du lycée de N'Djamena ; je pense que les bâtiments dont vous parlez n'appartiennent pas au ministère des affaires étrangères mais à l'AEFE ou à l'établissement relevant de l'AEFE au Tchad. Un budget spécifique est consacré à la sécurisation des bâtiments dans les pays à risques, même s'ils appartiennent à l'AEFE. Il se peut cependant que ses difficultés financières aient retardé les travaux nécessaires. Reste que nous manquons d'une vision stratégique sur le développement de l'enseignement du français à l'étranger.

Yvon Collin, la subvention de Campus France ne double pas, elle reste stable. Le nombre d'étudiants étrangers en France augmente légèrement pour approcher des 343 000. Considérer les choses pays par pays n'est pas forcément pertinent : le nombre d'étudiants indiens en France, qu'il est effectivement question de doubler, n'est actuellement que de 5 000 : 10 000 étudiants indiens, cela reste peu dans le total des étudiants étrangers. Le coût induit de cet objectif est également faible sur la mission dont nous discutons ; il est plus lourd sur le budget de l'enseignement supérieur, puisqu'une année d'études supérieure coûte en moyenne 11 500 euros.

Je rejoins Vincent Delahaye sur Atout France : il faudrait une évaluation de l'action menée. Mais on ne peut tirer de conséquences avant qu'elle ait eu lieu ! Il y avait un consensus pour renforcer l'attractivité de notre pays après les attentats de 2015, et le nombre de touristes a effectivement augmenté depuis, mais personne ne sait pour l'heure corréler cette hausse à l'action d'Atout France.

M. Claude Raynal. - Les touristes chinois qui viennent dans notre pays ne connaissent peut-être pas Atout France, mais les tours opérateurs qui les y conduisent, oui ! J'ai moi-même observé le travail d'Atout France pour les informer : on ne peut donc pas dire que son action est nulle.

M. Ladislas Poniatowski. - Il existe huit ambassades mutualisées avec l'Allemagne qui fonctionnent bien, car nos intérêts convergent. Nous avons donc fait des économies en termes de bâtiments et de personnel. Une autre, mutualisée avec l'Espagne, fonctionne aussi. Faut-il aller plus loin ? Oui, mais pas à n'importe quelles conditions. Pour la première fois, la France n'est pas maître d'ouvrage de la nouvelle ambassade mutualisée avec l'Allemagne en cours de construction à Khartoum ; or les Allemands n'ont pas les mêmes standards que nous, en sorte que l'ambassade coûtera 50 % de plus que les autres ambassades mutualisées...

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - L'amendement n° 1 propose une diminution de 3,2 millions d'euros du budget affecté à l'organisation du G7, pour l'établir au niveau du budget du G8 de 2011 augmenté de l'inflation, soit 33,2 millions d'euros.

L'amendement n° 1 est adopté.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Les dépenses protocolaires augmentent pour atteindre 17,6 millions d'euros. Or ce poste comprend les 3,1 millions d'euros de dépenses relatives à l'organisation de la réunion ministérielle « Affaires étrangères » dans le cadre de la présidence française du G7. L'amendement n° 2 supprime ces crédits, qui devraient figurer dans le budget affecté à l'organisation de l'événement.

L'amendement n° 2 est adopté.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - L'amendement n° 3 concerne la soulte estimée à 15 millions d'euros environ, dédiés aux bourses scolaires de l'AEFE. Or la somme prévue correspond a priori aux besoins. Aussi pouvons-nous ne laisser que 5 millions d'euros pour couvrir d'éventuels risques de change, et retirer le reste.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Alors que le président de la République respecte à peu près l'engagement de stabiliser le budget des bourses, il ne serait pas opportun que le Sénat le diminue.

M. Jérôme Bascher. - N'a-t-on pas plutôt intérêt à en discuter dans le cadre de la loi de finances rectificative ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Cela semble plus adapté en effet.

L'amendement n° 3 est retiré.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Voilà des années qu'Atout France existe et que son action ne fait pas l'objet d'une nouvelle évaluation. Il serait temps, surtout que l'on a transféré la compétence tourisme aux régions, et que les ressources propres d'Atout France ne cessent de diminuer. C'est l'objet de l'amendement n° 4, d'appel certes, qui diminue de 5 millions d'euros le budget de l'agence.

M. Claude Raynal. - Le tourisme n'est pas une compétence de la région, c'est une compétence partagée par tout le monde, presque trop même puisque les communes, départements, les régions et l'État y contribuent ! L'idée de la loi NOTRe était de laisser de la souplesse... Mieux vaudrait aussi en discuter dans le cadre de la loi de finances rectificative.

L'amendement n° 4 n'est pas adopté.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Je reste favorable à l'adoption des crédits de cette mission.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Je m'abstiens toujours.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de la France », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Aide publique au développement » (et article 72) et CCF « Prêts à des États étrangers » - Compte rendu de déplacement dans le cadre du contrôle budgétaire sur le système multilatéral de l'aide publique au développement - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons à présent le rapport conjoint des rapporteurs spéciaux Yvon Collin et Jean-Claude Requier sur la mission « Aide publique au développement » et le compte de concours financier « Prêts à des États étrangers ». Ils en profiteront pour nous livrer le compte rendu de leur déplacement à Washington et à New-York dans le cadre du contrôle budgétaire sur le système multilatéral de l'aide publique au développement. Je salue la présence parmi nous de nos collègues rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Pérol-Dumont.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Nous allons vous présenter successivement les crédits de la mission pour 2019, puis un compte rendu de notre déplacement à New-York et Washington en juin dernier.

L'exercice 2019 constitue une année charnière pour notre politique d'aide publique au développement (APD) : les décisions prises cette année détermineront si notre pays respectera l'objectif posé par le président de la République d'une aide représentant 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022. En effet, étant donné le décalage entre l'engagement des crédits et leur décaissement, qui dépend de la mise en oeuvre concrète des projets, le niveau de l'APD de la France en 2022 dépend en grande partie du niveau des engagements de 2019. C'est donc à l'aune de cet objectif que nous avons analysé la présente mission, en nous demandant si les moyens engagés nous placent sur la bonne trajectoire, en attendant la loi de programmation qui devrait être discutée en 2019 et qui détaillera les moyens consacrés à cette politique dans les années à venir.

M. Jean-Claude Requier. - Un mot d'abord sur l'évolution de l'effort financier en faveur du développement. Les circuits de financement de l'aide publique au développement connaissent cette année des évolutions significatives : d'une part, la part de taxe sur les transactions financières (TTF) affectée au développement est rebudgétisée, d'autre part, une ressource importante qu'accordait l'État à l'AFD sous forme de prêt est remplacée par des crédits budgétaires supplémentaires, à la suite de sa requalification comptable par Eurostat et l'Insee. Je ne rentre pas dans les détails techniques que vous retrouverez dans le rapport, mais je souligne que la comparaison des crédits 2018 et 2019, à périmètre courant, n'a pas de sens.

J'ajoute que la rebudgétisation de la TTF a été fortement critiquée par certaines organisations non gouvernementales (ONG) et peut-être avez-vous été sollicités pour signer des pétitions. Nous ne partageons pas cette vision qui se focalise sur l'outil financier - la TTF - plutôt que sur le niveau global des ressources.

En définitive, nous vous présentons l'évolution à périmètre constant des crédits, qui montre un effort substantiel, en autorisations d'engagements du moins. Au total, les autorisations d'engagement (AE) augmentent de 1,4 milliard d'euros par rapport à 2018. L'effort est moindre en crédits de paiement (CP), qui augmentent de 127 millions d'euros sur l'ensemble de la mission. Il est normal de constater un écart significatif entre les AE et les CP, étant donné le temps de mise en oeuvre des projets, et le plus important est de pouvoir engager de nouveaux projets dès 2019. Mais concrètement, une grande partie de l'effort financier est en fait reporté aux années ultérieures.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - La France est toujours distancée par ses voisins. Cet effort financier est d'autant plus utile que nous ne respectons toujours pas nos engagements internationaux. Notre aide a fortement progressé - de 15 % en 2017 - et atteint 0,43 % de notre RNB, mais nous restons distancés par l'Allemagne et le Royaume-Uni, dont l'aide représente respectivement le double et 60 % de plus que la nôtre. Cet écart s'explique notamment par le niveau des dons bilatéraux, trois fois supérieurs chez nos voisins.

Il nous semble cependant que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre l'objectif, bien que le budget 2019 n'apporte pas toutes les réponses attendues. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) a défini en février dernier une trajectoire en pourcentage du RNB, mais sans la traduire budgétairement. Notre APD devrait augmenter en 2022 de 5 milliards d'euros par rapport à 2017, sans que cela signifie qu'il faille réaliser un effort financier de cet ordre, compte tenu de l'effet de levier des prêts.

Malgré nos demandes, nous n'avons pas obtenu plus de précisions sur le montant des crédits budgétaires qui seront nécessaires. Cette trajectoire sera définie - ou du moins il faudra y veiller - dans la future loi de programmation de l'aide publique au développement, qui devrait être examinée au Parlement au premier semestre 2019. Nous avons pu obtenir tout de même des éléments sur la montée en charge des engagements de l'AFD - nous y reviendrons dans un instant.

Malgré certains points à préciser, nous constatons suffisamment d'éléments positifs, qui nous permettent d'accorder une confiance vigilante au Gouvernement, et de considérer que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre l'objectif. En effet, ce budget traduit une hausse inédite des moyens financiers. En outre, nous observons un engagement personnel du président de la République sur ce sujet, qu'il aborde régulièrement lors de ses déplacements et qui s'est illustré dans la création d'un « Conseil du développement » qu'il préside directement. Dix ans après le départ de Jacques Chirac, nous avons à nouveau un président passionné par le développement et conscient de son importance.

M. Jean-Claude Requier. - J'en viens aux moyens dont disposera l'AFD en 2019, qui vont considérablement augmenter.

S'agissant des dons, elle disposera de près d'un milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement. En crédits de paiement, en revanche, l'augmentation n'est que de 68 millions d'euros. On observe à nouveau ce décalage entre AE et CP qui confirme que le gros de l'effort financier est à venir. Ce milliard d'AE supplémentaires sera décaissé sur 13 années.

Concernant les prêts, l'AFD bénéficiera de 500 millions d'euros supplémentaires de crédits de bonification, qui devraient lui permettre d'accorder 1,5 milliard d'engagements supplémentaires.

Par ailleurs, l'augmentation de l'activité de l'agence remet à l'ordre du jour un sujet régulièrement abordé devant cette commission : le niveau des fonds propres de l'agence.

Comme vous le savez, l'AFD est une société de financement soumise au respect des ratios prudentiels qui peuvent l'empêcher de prêter à certains États où son exposition a déjà atteint la limite. C'est le cas par exemple au Maroc, en Colombie ou au Brésil.

Plusieurs mesures sont envisagées. D'une part, l'État accorderait une garantie explicite à l'AFD sur certaines contreparties souveraines afin qu'elle ne soit plus bloquée, cela dès 2019. Un amendement en ce sens pourrait être présenté dans les jours qui viennent. D'autre part, à compter de 2020, il faudra envisager un renforcement de ses fonds propres.

Enfin, une des conditions essentielles de l'atteinte de l'objectif réside dans la capacité de l'AFD à absorber cette hausse de son activité. D'après les informations que nous avons recueillies, pour respecter l'objectif de 0,55 % en 2022, il faudra, à cette date, que les engagements de l'agence s'élèvent à 17,6 milliards d'euros, soit une multiplication par deux en six ans. Demander à un opérateur de multiplier par deux son activité en aussi peu de temps n'est pas anodin...

Une dernière remarque, qui fera le lien avec l'article rattaché et le rapport de contrôle que nous vous présenterons dans un instant.

Le budget 2019 met l'accent sur la hausse de notre aide bilatérale, à travers les ressources de l'AFD. En effet, le Cicid a décidé que l'aide bilatérale bénéficiera des deux tiers de l'augmentation des crédits d'ici à 2022. Cette priorité est logique, dans la mesure où l'aide bilatérale est plus longue à mettre en oeuvre. Nous soulignons cependant la nécessité de ne pas négliger notre aide multilatérale, dans un monde où le multilatéralisme est fortement contesté.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous invitons à proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - L'article 72 autorise à souscrire à l'augmentation de capital de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et de la Société financière internationale. Ces deux institutions multilatérales appartiennent au groupe Banque mondiale. La première intervient auprès des pays à revenu intermédiaire et dans des pays plus pauvres, à condition qu'ils soient solvables ; la seconde intervient pour sa part dans les pays en développement, mais exclusivement auprès du secteur privé.

Cette souscription correspond à un coût total de 464 millions d'euros en AE, retracées sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », et de 93 millions d'euros en CP par an entre 2019 et 2023.

Nous vous proposons d'adopter cet article, dans la mesure où l'augmentation de capital s'accompagne d'évolutions au sein de la Banque mondiale conformes aux souhaits de la France, y compris en ce qui concerne sa gestion, et qu'il permettra de maintenir la place de notre pays au sein de l'actionnariat de cette institution.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - On ne peut que se féliciter des engagements du Président de la République sur les trois points suivants : augmenter les moyens de l'APD ; réorienter la politique d'aide vers l'Afrique ; rendre plus efficaces les actions. De même, on peut se féliciter de l'idée de mettre en place un conseil de développement. Reste à savoir si la trajectoire sera respectée.

La Cour des comptes s'est intéressée à l'AFD sur les années 2010 à 2015 : la future loi de programmation, qui devrait être examinée en 2019 et sur laquelle la commission des affaires étrangères a longuement débattu, devra être l'occasion d'approfondir les points de vigilance que soulèvent les magistrats dans leur rapport.

Par ailleurs, les conclusions du rapport remis par le député Hervé Berville au Président de la République vont dans le sens de certaines remarques formulées par la Cour des comptes. Par exemple, celui-ci rappelle qu'une organisation non gouvernementale (ONG) classe la France au 35e rang sur 42 en matière de transparence de l'aide.

Nous espérons que nous obtiendrons de la part de l'AFD des précisions. Par ailleurs, on peut s'interroger sur la volonté d'augmenter l'aide au développement alors même que le budget consacré à la francophonie baisse, même si ces crédits ne sont pas retracés par la présente mission.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - Je souscris aux remarques de Jean-Pierre Vial. J'ajoute qu'il faut redonner toute sa place au politique et que l'AFD doit rester un outil au service de la politique gouvernementale. Les agences ne doivent pas se substituer à cette ligne, sous la surveillance du Parlement. Le Président de la République a d'ailleurs appelé, à Versailles, les parlementaires à exercer leur contrôle, qui doit être accru. La culture d'évaluation n'est pas assez prégnante si l'on établit des comparaisons avec d'autres pays.

Enfin, si certains groupes, dont le mien, se sont abstenus sur ces crédits, c'est en raison des incertitudes qui pèsent sur la TTF.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je proteste contre l'écrêtement de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, la fameuse taxe Chirac, plafonnée à 210 millions d'euros, le surplus allant au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BA CEA). Si le reliquat ne bénéficie pas au développement, cela veut dire que les passagers paient trop cher leurs billets d'avion ! Les billets d'avion supportent déjà un nombre considérable de taxes. Ce n'est pas la taxe en elle-même qui me choque et encore moins l'affectation de son produit ; ce qui me choque, c'est son écrêtement. Soit on la diminue, soit on donne plus à l'aide au développement !

Par ailleurs, la Chine fait-elle toujours partie des bénéficiaires de prêts français ? Je ne suis pas certain qu'elle en ait vraiment besoin.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - L'AFD gagne de l'argent sur ses prêts à la Chine.

M. Jérôme Bascher. - Les agences comme l'AFD ont eu leur raison d'être à un moment donné ; or elles deviennent des agences autonomes. Lorsque Brice Hortefeux est devenu ministre de l'immigration, de l'identité nationale et du codéveloppement, il avait insisté pour rattacher à son ministère l'aide au développement afin de faire porter les efforts sur les pays d'émigration vers la France - une immigration subie. C'est à cela qu'il faut revenir. Cessons de prêter à l'Argentine, au Brésil : la Banque mondiale ou la BIRD le font très bien. Recentrons nos aides là où elles sont utiles.

M. Roger Karoutchi. - En effet, si on engage une autre politique migratoire, si on lance un plan Marshall pour l'Afrique, alors il faut donne des signes sur ce que serait ce plan, idéalement européen.

J'ai interpellé à plusieurs reprises le ministère sur le positionnement de l'AFD, sans avoir obtenu de réponse. En particulier, avec le député La République En Marche (LREM) Adrien Morenas, suppléant de Brune Poirson, nous avons demandé pourquoi l'agence soutenait l'université d'été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens, qui s'est tenue à Grenoble, avec le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Je ne suis pas convaincu que cela fasse partie de sa mission d'aide au développement. Nous n'avons pas eu de réponse. Davantage de crédits, d'accord, mais pour le développement.

M. Philippe Adnot. - Les aides sont-elles dispensées en toute innocence ou, comme les autres pays, en attend-on un retour ?

M. Philippe Dallier. - Je m'associe aux propos de Roger Karoutchi : le BDS promeut illégalement le boycott d'Israël en France.

Gérard Larcher recevait ce matin le nouveau président du Sénat de la Côte-d'Ivoire - ils ont notamment parlé de l'aide au développement. Celui-ci regrettait un manque de coordination avec les actions menées par les collectivités locales au titre de l'aide décentralisée et par l'Union européenne et soulignait qu'on pourrait gagner en efficacité en ciblant mieux nos interventions.

M. Pascal Savoldelli. - Je m'exprime en particulier avec mon expérience de président d'une fondation et, jusque récemment, de président d'une société d'aménagement.

J'entends les griefs et les questions. Je partage celles qui sont relatives aux évaluations. Toutefois, il faut relativiser. L'AFD permet de construire à l'étranger de vrais partenariats entre le public et le privé. Certaines critiques sont probablement fondées, mais former des ingénieurs et des techniciens dans le domaine de l'eau dans un pays qui ne dispose pas de ressources en eaux douces, par exemple les Comores, c'est utile. De même, intervenir au Mali n'est pas sans conséquence pour un département qui compte une très forte communauté malienne. Au-delà de l'exercice comptable, il faut aussi avoir à l'esprit la cohésion dans nos territoires et l'image de la France à l'étranger.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Les rapporteurs spéciaux de cette mission ne siègent plus au conseil d'administration de l'AFD de manière à mieux exercer leur mission de contrôle.

J'indique au rapporteur général que l'AFD intervient dans certains pays aux conditions du marché, à savoir sans un euro de l'État. Par exemple, en Amérique du Sud, elle gagne 25 millions d'euros par an qu'elle peut réinvestir ailleurs.

Jérôme Bascher et Roger Karoutchi, recentrer notre aide sur les pays d'émigration n'est pas forcément nécessaire puisque les investissements dans les pays émergents ne modifient en rien notre capacité à intervenir dans les pays les plus pauvres.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - J'ajoute que l'AFD est placée sous le contrôle du Gouvernement. C'est un très bel outil de diplomatie d'influence dans les pays dans lesquels elle intervient, mais trop méconnu, comme le montrent les critiques entendues autour de cette table.

Chaque année, on nous demande ce qu'on va faire en Chine ou en Amérique du Sud, sachant que, par esprit gaullien, il faudrait n'intervenir qu'en Afrique. Je rappelle que c'est toujours le cas puisque la quasi-totalité des 17 pays prioritaires, qui bénéficient de dons en raison de leur incapacité à rembourser les emprunts, se situent sur ce continent. Dans les autres pays, nous vendons de l'ingénierie et faisons indirectement la promotion de nos entreprises. Certes, les aides sont déliées, conformément aux règles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais nous ne sommes pas naïfs. Ainsi, c'est une entreprise française qui a réalisé le métro-câble de Medellin, en Colombie, l'AFD étant à l'origine du projet. Dans ce pays, l'Agence se finance entièrement par le bénéfice qu'elle retire des prêts qu'elle y consent.

Comme l'a dit Jean-Pierre Vial, il faut rester vigilant. C'est ainsi que nous essayons de contrôler chaque année une ou deux agences de l'AFD. Nous constatons bien souvent qu'elles mènent des actions efficaces et innovantes, donnant une bonne image de notre pays.

En ce qui concerne l'université d'été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens de Grenoble, je n'ai pas d'information.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - La coordination des acteurs est un vrai sujet, même si elle existe au niveau européen. Mais elle peut être améliorée. Chaque État ayant tendance à tirer la couverture, nous sommes parfois en concurrence.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières, sa part consacrée au développement est rebudgétisée. Mais au final, le compte y est, puisque l'effort cette année est plus important que l'année dernière.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement », de l'article 72 rattaché à la mission et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Nous complétons la présentation des crédits budgétaires pour 2019 par un compte rendu de notre déplacement de juin dernier à New York et à Washington, dans le cadre de notre contrôle sur le système multilatéral de l'aide publique au développement. La destination de ce déplacement peut surprendre, s'agissant d'aide publique au développement, mais elle nous semblait pertinente pour appréhender l'aide multilatérale française et pour comprendre les grandes évolutions de la politique d'aide publique au développement.

En effet, nous voyons souvent l'aide publique au développement au travers de sa composante bilatérale, notamment celle des concours financiers accordés par l'AFD à des pays en développement. N'oublions pas cependant que l'aide transitant par des organisations multilatérales représente plus de 40 % de notre APD totale. En excluant l'aide transitant par l'Union européenne, 80 % de cette aide multilatérale transite par des organisations sises à New York ou à Washington.

Par ailleurs, ces organisations mènent des réflexions sur l'avenir de la politique d'aide publique au développement (APD) qui dépassent le cadre de l'aide multilatérale et qui peuvent inspirer notre politique bilatérale.

Enfin, nous avons profité de notre présence dans la capitale des États-Unis pour nous intéresser également aux évolutions de l'aide américaine, un an et demi après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Je commencerai par dresser un tableau succinct de l'aide multilatérale, sans trop entrer dans le détail des chiffres, qui figurent dans le rapport d'information ayant vocation à être publié. L'aide multilatérale représente, globalement, plus d'un quart de l'APD totale et bénéficie à plus de deux cents agences multilatérales. Plus précisément, cette aide passe, pour l'essentiel, par l'Organisation des Nations unies et ses différents fonds et comités, par l'Union européenne, au travers de son budget propre et du Fonds européen de développement, et enfin par le groupe Banque mondiale et les différentes banques régionales de développement.

La part de l'aide multilatérale dans l'aide de chaque pays est très variable. Elle ne dépasse pas 20 % aux États-Unis, en Allemagne et au Japon. Au Royaume-Uni et en France, cette part est comprise entre un tiers et 40 %. Ces chiffres illustrent un rapport différent aux institutions multilatérales. L'un des grands avantages des institutions multilatérales est que leur aide est particulièrement concentrée sur les pays les moins avancés (PMA), où il est plus difficile d'intervenir. Ainsi, en 2013, ces pays bénéficiaient de 45 % de l'aide multilatérale ; en comparaison, cette part n'est que de 29 % pour l'aide totale de la France - si l'on examinait uniquement notre aide bilatérale, cette part serait bien entendu encore plus faible.

Enfin, l'aide multilatérale française s'élevait en 2017 à 4,8 milliards de dollars ; elle est constituée pour plus de la moitié par l'aide communautaire. Le groupe Banque mondiale et les banques régionales de développement représentent 20 % de cette aide et les contributions au système onusien environ 15 %.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - L'aide multilatérale est traditionnellement à la fois moins connue et plus critiquée que l'aide bilatérale, y compris par les parlementaires. En effet, elle offre, sur le terrain, moins de visibilité à la France et, si nous participons à la prise de décision, nous ne la maîtrisons pas totalement, si bien que les financements accordés peuvent ne pas correspondre à nos priorités. Toutefois, nous sommes revenus convaincus de l'importance de cet outil, qu'il ne faudra pas négliger dans le mouvement actuel d'augmentation de notre aide.

Le hasard du calendrier nous a menés aux États-Unis au moment où avait lieu le G7 au Canada, que certains ont qualifié de « G6 + 1 » tant l'unilatéralisme américain s'y est illustré. Cette crise du multilatéralisme a été omniprésente dans nos entretiens. Les institutions multilatérales mises en place après la Seconde Guerre mondiale sont de plus en plus contestées, tant par des États qui l'ont toujours fait - la Russie, la Chine - que, désormais, par les États-Unis, qui les ont pourtant largement mises en place.

Les Américains se placent en retrait : ils ont ainsi déjà supprimé plusieurs contributions importantes, par exemple au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Parfois, ils s'opposent même directement à nos valeurs où à nos intérêts. Il est ainsi devenu extrêmement difficile de parler d'environnement ou de commerce international avec eux. Dans ce contexte, on observe également que la Chine essaie d'occuper le vide laissé par les Américains, en particulier sur les financements relatifs au climat. Il en résulte une attente particulière à l'égard de la France : nous pouvons devenir les champions du multilatéralisme.

Cela dit, il est difficile de répondre à cette attente sans moyens financiers. Notre siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, notre expertise en matière de maintien de la paix, la francophonie et le succès de la COP 21 sont autant d'atouts pour la France, mais le niveau de nos contributions volontaires est parfois ridiculement bas.

Nous sommes ainsi le trente-sixième contributeur au PNUD, pour ce qui concerne les contributions volontaires. De façon générale, nous sommes souvent classés entre la dixième et la vingtième place, quand nos voisins Britanniques se situent autour de la cinquième place. De même, à la Banque mondiale, nous sommes largement distancés par le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon ou encore les pays nordiques en matière de contributions volontaires.

Une stratégie efficace consiste à investir massivement sur quelques fonds. C'est par exemple le cas sur le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la France est le deuxième contributeur après les États-Unis. Néanmoins, si nous voulons être les champions du multilatéralisme, il nous faut accroître ces moyens, et sachez que la hausse annoncée de notre APD est très attendue à New York et à Washington.

J'ajoute qu'il ne faut pas sous-estimer notre capacité à défendre nos intérêts dans le système multilatéral et en particulier à promouvoir nos priorités sectorielles. Par exemple, avant la COP 21, la France a obtenu que 30 % des financements de la Banque mondiale soient consacrés à des sujets climatiques, ce qui a facilité la négociation du volet financier des accords de Paris.

De même, les institutions multilatérales peuvent venir renforcer notre aide bilatérale : par exemple, le Fonds vert pour le climat a annoncé, voilà quelques jours, qu'il contribuerait à hauteur de 280 millions de dollars à un programme de l'AFD.

En définitive, nous considérons que l'état actuel du monde nous donne encore plus de responsabilités dans la défense du système multilatéral dans son ensemble, et donc également dans la défense des institutions de développement. Cette responsabilité implique un effort financier, qui pourra être mis en oeuvre dans les années qui viennent. Le projet de loi de finances pour 2019 met l'accent sur la hausse de l'aide bilatérale, mais il ne faudra pas oublier cette deuxième jambe de notre politique de solidarité.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Quelques mots également sur la mise en oeuvre du programme d'Addis-Abeba, souvent abordé au cours de nos entretiens. Ce programme constitue un nouveau cadre conceptuel pour le financement du développement. Il invite notamment à prendre en compte l'ensemble des flux financiers, et non pas seulement l'aide publique au développement. L'enjeu financier est en effet trop important - plusieurs milliers de milliards de dollars - pour que l'APD suffise.

Il faut donc mobiliser les investissements privés et étudier la façon dont l'aide publique peut les faciliter. De même, il est nécessaire d'aider les pays en développement à mobiliser leurs ressources internes et notamment à utiliser le levier fiscal. Cette philosophie se retrouve par exemple dans le recours aux mécanismes innovants - obligations vertes, obligations vaccinations, ou encore taxes dédiées au développement. De même, la combinaison entre aide publique et investissements privés, et l'association de prêts et de dons vont dans ce sens. La Banque mondiale a par exemple mis en place des obligations « ODD », pour objectifs de développement durable, qui ont permis de lever 165 millions d'euros auprès d'investisseurs privés.

Enfin, nous vous présentons quelques éléments sur l'aide américaine. Les États-Unis sont le premier pays donneur en valeur absolue, mais ils sont seulement au vingt-deuxième rang en pourcentage du revenu national brut. Cette aide passe notamment par l'agence US-AID, qui travaille sous la supervision du président, du département d'État et du Conseil de sécurité nationale.

Un point nous a particulièrement intéressés : le Congrès exerce un rôle central dans le contrôle et la définition de la politique américaine d'aide publique au développement. Ainsi, le président Donald Trump annonçait pour le budget 2018 une diminution de 30 % des crédits du département d'État et les ressources de l'agence US-AID auraient diminué de 13 milliards de dollars. Ces projets de coupes budgétaires ont été sensiblement modifiés par le Congrès, grâce au consensus bipartisan qui existe depuis trente ans sur ce sujet : l'aide publique au développement est vue comme un élément clef du soft power américain.

Malgré tout, nos interlocuteurs ont pointé le fait que les États-Unis voulaient parvenir à une relation « plus équilibrée » avec les organisations internationales ; en d'autres termes, ils ne veulent plus être les principaux bailleurs des différents fonds internationaux, et souhaitent que d'autres pays jouent un rôle accru, c'est-à-dire paient davantage. Cela nous ramène à notre premier point sur la crise du multilatéralisme.

Néanmoins, pour conclure cette intervention sur une note positive, nous soulignons le fait que les États-Unis ont accepté l'augmentation de capital de la Banque mondiale : cela constitue le principal geste du président Trump envers le système multilatéral.

La commission donne acte à MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Projet de loi de finances pour 2019 - Missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Crédits non répartis », « Action et transformation publiques » et CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Nous examinons trois missions et le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Nous avons inclus dans notre rapport des éléments relatifs à la gestion italienne du patrimoine immobilier de l'État.

La mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » est la principale mission du pôle économique et financier de l'État. L'administration fiscale - la direction générale des finances publiques (DGFiP) -, et l'administration des douanes - la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) - représentent les trois quarts cet ensemble.

La suppression du mécanisme des « loyers budgétaires », dont je reparlerai, fait mécaniquement baisser, par un changement de périmètre, le montant des crédits de la mission par rapport à l'année dernière. Après correction, il apparaît que ceux-ci diminuent seulement de 0,7 %, pour s'établir à 10,7 milliards d'euros. La quasi-totalité de l'effort est en réalité portée par les dépenses de personnel, qui reculent de 59 millions d'euros - il est vrai qu'elles représentent plus de 80 % des crédits de la mission. Pour le reste, et malgré quelques gains d'efficience çà et là, les dépenses de fonctionnement courant semblent désespérément rigides.

Au sein de cet ensemble, la DGFiP représente les trois quarts des crédits et les quatre cinquièmes des effectifs. Le budget qui nous est présenté a quelque chose de paradoxal : il ressemble à s'y méprendre aux précédents, et pourtant, il porte en lui les prémices d'une restructuration d'ampleur inédite depuis au moins dix ans, c'est-à-dire depuis la fusion de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique en 2008.

En quoi ce budget ressemble-t-il aux précédents ? D'abord, parce qu'il est avant tout construit sur une trajectoire de suppressions de postes, dont tout le reste est censé découler, si tout va bien. Ainsi, 2 130 postes seront supprimés en 2019, soit un rythme comparable à celui des dernières années, exception faite des années 2017 et 2018, au cours desquelles 500 postes avaient été « préservés » dans le cadre de la préparation du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Cette année encore, Bercy est le principal contributeur aux réductions d'effectifs dans la fonction publique d'État, juste devant le ministère de l'éducation nationale et très loin devant tous les autres.

Parce qu'il ressemble aux précédents, ce budget présente aussi les mêmes défauts. J'en citerai trois.

Premier défaut, la navigation à vue dans la réorganisation territoriale. Il ne s'agit pas de mettre en doute sa nécessité - la DGFiP doit adapter sa présence aux réalités économiques, démographiques et technologiques -, ni de sous-estimer l'effort accompli - 890 services comptaient moins de cinq agents en 2012 et ils ne sont plus que 506 aujourd'hui, et sur les 42 services qui ne comptaient qu'un seul agent en 2012, il n'en reste plus que 6. Au total, 782 fusions de trésoreries et services des impôts ont eu lieu entre 2012 et 2018.

Toutefois, ce chantier est mené de façon opportuniste, au gré des départs en retraite et des mutations individuelles, sans stratégie d'ensemble et sans concertation. En pratique, chaque directeur régional est prié chaque année de « rendre » un certain nombre de postes pour atteindre le schéma d'emplois. Il ne serait pourtant pas compliqué d'introduire un peu de visibilité pluriannuelle, au moins pour les structures importantes telles que les trésoreries hospitalières.

Deuxième problème, la pression croissante au sein des services. En dix ans, les effectifs de la DGFiP ont diminué de 16 %, mais le nombre d'entreprises redevables de l'impôt sur les sociétés (IS) a augmenté de 50 %, les personnes accueillies dans les services de proximité de 40 %, et les opérations de publicité foncière de 13 %, avec des délais de publication considérables, parfois au-delà de 120 jours.

On peut certes y voir une capacité - bien réelle - à faire mieux avec moins, notamment grâce à la dématérialisation, mais vient un moment où, à missions inchangées, les agents ne sont plus en mesure de faire leur travail correctement. En outre, cela ne tient pas compte de l'arrivée du prélèvement à la source, de la suppression de la taxe d'habitation, du passage au prélèvement forfaitaire unique (PFU) et à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) ou encore de la révision des valeurs locatives. Le Gouvernement semble pour l'instant faire preuve d'une inquiétante légèreté, ou à tout le moins, d'un sérieux manque de transparence, face à ces échéances - des élections professionnelles auront lieu en décembre, ce qui explique sans doute beaucoup de choses.

Dernier motif d'inquiétude : la baisse continue des résultats du contrôle fiscal, qui n'est sans doute que la traduction de ce que je viens de le dire. On a notifié 13 milliards d'euros de droits et de pénalités en 2017, contre 14 milliards d'euros en 2016 et 16 milliards d'euros en 2015, et encore ce chiffre est-il gonflé par quelques grandes affaires et la dernière année du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR). En outre, on ne recouvre que 65 % de ces sommes, avec de fortes disparités selon les impôts. La création de nouveaux outils ne doit pas nous exonérer d'une réflexion profonde sur les difficultés du contrôle fiscal, sur ses effectifs et sur ses moyens, alors que le Gouvernement a fait de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales sa priorité.

Voilà pourquoi le budget 2019 de la DGFiP ressemble aux précédents. Mais on ne saurait s'en tenir à cet horizon annuel : de fait, il s'agit d'un budget de transition, prélude à un bouleversement inédit des missions et de l'organisation de notre administration fiscale, qui devrait avoir lieu au cours des prochaines années.

Le rapport du Comité Action publique 2022 a donné le cap : généralisation des procédures dématérialisées, intensification du recours au datamining, qui a pour l'instant moins d'existence sur le terrain que dans la communication du Gouvernement, et surtout création à l'horizon de 2022 d'une agence unique du recouvrement regroupant les missions de la DGFiP, de la douane, de l'Union de recouvrement pour la sécurité sociale et les allocations familiales (URSSAF) et de nombreux autres organismes.

Bien évidemment, si ces réformes sont menées à bien, leur impact sur l'organisation de la DGFiP sera sans commune mesure avec les réformes des dernières années. Le ministre de l'action et des comptes publics l'a d'ailleurs assumé dans son discours du 11 juillet dernier devant les cadres du ministère auquel j'avais assisté : de nombreux postes seront supprimés, et de nombreuses implantations seront fermées, dans une logique de séparation entre l'accueil physique (front office) et la gestion des dossiers (back office).

Ces perspectives ne trouvent certes aucune traduction budgétaire dans ce projet de loi de finances, mais elles sont bien réelles. Je souhaite dire ici que, dans ces conditions, le pilotage à vue par le rabot ne sera plus possible. Il faudra de la visibilité, c'est-à-dire une stratégie pluriannuelle transparente et concertée avec les territoires. Il faudra de la logique : comment justifier que 61 % des EPCI dépendent aujourd'hui encore de plusieurs trésoreries ? Enfin, il faudra mutualiser : la DGFiP n'est aujourd'hui présente que dans 250 maisons de services au public (MSAP) sur 1 200, c'est trop peu.

Enfin, je veux dire un mot des systèmes d'information, clef-de-voûte des réformes structurelles qui s'annoncent. Les treize grands projets rattachés à la mission représentent un quart du coût total des grands projets de l'État, soit 608 millions d'euros. Leur retard est assez faible - 18 % par rapport à la prévision initiale -, ce qui s'explique en grande partie par le lancement récent de plusieurs d'entre eux, mais leur dérapage budgétaire est très préoccupant, avec un surcoût global de 95 %, contre seulement 31 % pour l'ensemble des grands projets de l'État. Faut-il rappeler le précédent fâcheux de l'Opérateur national de paye (ONP) et ses 346 millions d'euros dépensés en pure perte, pour mettre en garde contre les erreurs de conception et la faiblesse du pilotage ? Les projets SIRHIUS (ressources humaines) et PAYSAGE (paye), qui totalisent à eux seuls dix-huit années de développement et 106 millions d'euros de surcoût, en sont directement issus.

Il semble pourtant que les différentes administrations de Bercy n'aient pas pris la mesure de la tâche qui s'annonce. Le budget informatique de la DGFiP a été divisé par dix en dix ans - les responsables de CAP 22 affirmaient devant nous que les banques investissent beaucoup plus dans l'informatique que l'État -, et 80 % des dépenses d'investissement de la DGFiP vont à la maintenance d'applications obsolètes, dont certaines, pourtant au coeur de l'administration fiscale, datent des années 1980. Il y a une dizaine de ruptures applicatives dans la chaîne du contrôle fiscal.

Pour un projet aussi ambitieux que celui de l'agence du recouvrement, rien ne pourra se faire sans rendre les systèmes interopérables et évolutifs. Peut-être faudra-t-il même tout recommencer à zéro ou presque, tant les 200 traitements de données et les 50 téléservices de la DGFiP et de la DGDDI sont hétérogènes, sédimentés et « défendus » par les services qui les ont conçus et qui les utilisent. Nous ne sommes qu'au début de ce chantier. Le PLF prévoit déjà quelques transferts de recouvrement des douanes vers la DGFiP.

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Comme depuis trois ans, la direction générale des douanes et droits indirects fait exception au sein de la mission : ses crédits et ses effectifs augmentent. Ils s'établissent à 1,6 milliard d'euros pour 2019, en hausse de 2,6 %.

La douane se prépare en effet au Brexit : quelle que soit l'issue des négociations - accord ou non -, beaucoup de choses changeront le 31 mars prochain. Dans ce contexte, 350 postes supplémentaires seront créés en 2019 au titre du Brexit, ce qui se traduit par 250 créations nettes compte tenu des 100 suppressions au titre de la modernisation de la douane, chantier structurel et de long terme. Ces nouveaux postes viennent s'ajouter aux créations de postes précédentes : 285 équivalents temps plein (ETP) en 2016, 250 ETP en 2017 et 200 ETP en 2018. C'est un changement de taille pour une administration qui voyait, depuis le traité de Maastricht, ses effectifs diminuer.

Toutes les missions de la douane seront affectées par le Brexit, du contrôle des voyageurs et des marchandises aux missions fiscales, notamment lors de la détaxe. Les effectifs seront affectés en priorité aux grandes frontières que nous avons avec le Royaume-Uni, à Calais, à Dunkerque et dans les autres ports de la Manche, à la Gare du Nord et dans les aéroports parisiens, mais d'autres parties du territoire sont aussi concernées. Les formalités douanières devront ainsi être rétablies dans les aéroports du Sud-Ouest de la France, qui accueillent chaque année par vol direct des millions de Britanniques.

La deuxième grande priorité assignée à la douane pour l'année 2019 est le soutien aux buralistes et la lutte contre la contrebande de tabac, deux actions d'autant plus nécessaires que le Gouvernement a décidé de porter progressivement le prix du paquet de cigarettes à 10 euros. Le nouveau protocole 2018-2021 signé en février avec les buralistes se traduit par l'inscription de 111 millions d'euros de crédits d'intervention sur le programme 302, en forte hausse par rapport à l'année dernière. Le protocole crée notamment un fonds de transformation pour aider les buralistes à développer de nouveaux services de proximité. Ce fonds est doté de 26 millions d'euros en 2019, avec un effet moindre sur le solde, car cela est financé par une contribution des fournisseurs, les fabricants de tabac.

Je souhaite signaler le rôle des buralistes dans nos territoires, où ils sont parfois les derniers commerçants. À cet égard, l'article 63 du projet de loi de finances, qui permettra à l'administration fiscale de confier à des partenaires l'encaissement des espèces avec un objectif « zéro numéraire » en 2022, pourrait être l'occasion pour les buralistes de diversifier leurs activités, par exemple dans le cadre d'un partenariat avec La Poste.

Le pendant nécessaire à cette politique est une action résolue contre la contrebande. La douane travaille à la mise en place d'un système de traçabilité indépendant des fabricants, ce qui représente une grande avancée.

Cela m'amène, plus généralement, à l'action de la DGDDI en matière de lutte contre les trafics. Les résultats sont bons, quoique très variables d'une année sur l'autre. Toutefois, avec le prisme de la commission des finances, on ne peut que regretter que les indicateurs de performance reposent tous sur des seuils permettant de définir les « dossiers à enjeu » : 2 800 euros pour les cigarettes de contrebande, 1 000 euros pour les stupéfiants, 150 articles pour les contrefaçons, 3 500 euros en matière fiscale etc. Bien sûr, cela incite les douaniers à se concentrer sur les fraudes les plus graves. Toutefois, cette méthode ne paraît pas adaptée à l'un des grands défis actuels de la douane : l'essor du e-commerce, caractérisé par une multitude de petits envois représentant chacun un faible risque ou enjeu, mais dont l'ensemble est très important. À cet égard, une coopération plus étroite avec les plateformes s'impose.

La dernière caractéristique du budget 2019 de la douane est le quasi-achèvement du programme de renouvellement de ses moyens opérationnels. Sa flotte aérienne est maintenant au complet : trois des sept nouveaux avions Beechcraft sont déjà opérationnels, et les autres le seront bientôt. En ce qui concerne le renouvellement des hélicoptères, la douane a finalement fait le choix de louer trois d'entre eux, dont deux aux Antilles. À court terme, cela libère la douane des coûts de maintenance. Le choix de la location explique en partie la forte baisse de 29 % des dépenses d'investissement.

Telles sont les perspectives de l'année à venir. Cela dit, la douane est, comme la DGFiP, engagée dans une transformation de long terme de son organisation et de ses missions. Les progrès de la dématérialisation et de l'exploitation des données, la mise en oeuvre du nouveau code des douanes de l'Union et du « droit à l'erreur », et surtout la mise en place de l'agence du recouvrement auront des conséquences majeures qui appellent plusieurs remarques.

Tout d'abord, si les transformations seront importantes, elles ne devraient pas pour autant avoir l'ampleur de celles de la DGFiP, ne serait-ce que parce que la douane est une administration plus petite, avec environ 17 000 agents, répartis principalement dans les 168 bureaux de douane et les 210 brigades terrestres et qu'elle a une forte dimension opérationnelle. Quelque 44  fusions ont eu lieu depuis 2015, selon un plan stratégique qui devrait s'achever en 2020, avec deux ans de retard. On compte encore 35 bureaux ou brigades avec moins de cinq agents.

Ensuite, les remarques de Thierry Carcenac au sujet de la DGFiP s'appliquent pleinement à la douane : il faudra demain davantage de prévisibilité et de concertation au niveau des territoires. Par ailleurs, la « déconcentration de proximité » voulue par Gérald Darmanin pourrait vite se heurter à la limite du stock de services « déconcentrables ». Le service des ressources humaines de la douane est déjà installé à Bordeaux, celui des finances à Lyon, les écoles des douanes à Tourcoing et à La Rochelle.

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - J'en viens aux crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Dans la mesure où vous trouverez l'essentiel des informations dans notre rapport, je concentrerai mon propos sur un préalable et deux points essentiels.

Le préalable porte sur la suppression des loyers budgétaires à partir de 2019. La question de l'avenir des loyers budgétaires était en suspens depuis deux ans. Plusieurs critiques étaient adressées à cet outil historique de la politique immobilière de l'État, concernant notamment les lourdeurs de leur gestion. Leur objectif était d'inciter les ministères à rationaliser leurs emprises immobilières.

Nous défendions l'idée d'une remise à plat des loyers budgétaires afin de les conforter, dans la mesure où ils permettent aux ministères d'intégrer le coût de la fonction immobilière.

Un choix différent a été fait cet été par le Gouvernement. J'appelle toutefois votre attention sur deux éléments : d'une part, les documents budgétaires intègrent la suppression des loyers budgétaires comme une mesure de périmètre, ce qui réduit artificiellement les crédits portés par les missions ; d'autre part, aucun dispositif alternatif n'est proposé pour inciter les ministères à la rationalisation de leurs emprises immobilières - le taux d'occupation effectif est, avec 14 mètre carrés ou 15 mètres carrés par agent, supérieur à la norme fixée à 12 mètres carrés. Nous serons donc attentifs à la façon dont la Direction de l'immobilier de l'État procédera.

Le compte d'affectation spéciale regroupe 7,5 % des crédits immobiliers ; le reste est réparti dans quarante-quatre programmes, avec près de 9 800 agents. Cela recèle un grand flou.

En 2016, la Direction de l'immobilier de l'État a été créée pour remplacer France Domaine, et elle a été rattachée à la DGFiP.

Cependant, les moyens humains et budgétaires sont éclatés, et l'architecture de la politique immobilière de l'État nous semble baroque. Cet éclatement des moyens est même renforcé avec la création du programme 348 « Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multioccupants », qui représente près de 900 millions d'euros en autorisations d'engagement.

Parallèlement, la rationalisation des emprises immobilières peine à se répercuter dans la maquette de performance. Le ratio présentant le nombre de mètres carrés par poste de travail demeure au-dessus des objectifs ; au Royaume-Uni, ce ratio atteint 8 mètres carrés par agent. La lisibilité et l'efficacité de la politique immobilière de l'État ne sont donc pas au rendez-vous.

Plus encore, sa soutenabilité n'est pas assurée, avec un déficit de 73 millions d'euros. Il importe donc de faire évoluer les produits du compte vers des recettes pérennes, car on faisait fonctionner le CAS avec les cessions immobilières, qui s'essoufflent, surtout avec la décote Duflot. La nouvelle directrice de la Direction de l'immobilier de l'État souhaite faire évoluer les pratiques vers la signature de baux emphytéotiques.

Nous avons étudié comment d'autres pays procèdent en la matière, notamment l'Italie. Dans ce pays, une société à capitaux publics, l'Invimit, reçoit ainsi des biens immobiliers dont l'État n'a plus l'utilité, afin de procéder à leur valorisation en les mettant en location. Ce modèle nous paraît intéressant, dans la mesure où il procure à l'État des revenus récurrents et assure la soutenabilité de la politique immobilière de l'État.

Un changement semble s'opérer en France, puisque la possibilité de procéder à la location à grande échelle des biens inutiles est envisagée. La semaine dernière, à l'occasion de la présentation des axes de la réforme de l'État, le Premier ministre a annoncé la création future de foncières publiques. Or il en existait déjà une, la SOVAFIM. Elle était critiquable mais elle avait le mérite d'exister.

La SOVAFIM avait ainsi une filiale chargée de gérer l'immobilier pénitentiaire, et qui a permis de rénover d'anciennes prisons de centre-ville. La Garde des sceaux souhaite créer 7 000 places de prison avec 1,7 milliard d'euros ; sans système financier de ce type, on ne pourra pas les financer.

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - J'aborde désormais la mission « Action et transformation publiques ». Les enjeux budgétaires sont d'une moins grande envergure, mais cette mission revêt une importance politique cruciale puisqu'elle constitue un vecteur budgétaire du processus Action publique 2022.

Il s'agit d'une mission nouvelle, créée par la loi de finances pour 2018, et non pérenne, puisqu'elle a vocation à s'éteindre en 2022. Alors que les montants inscrits l'an dernier étaient anecdotiques, l'exercice 2019 consacre sa montée en charge, avec 310 millions d'euros en crédits de paiement et 1,2 milliard d'euros en autorisations d'engagement. La mission comprend deux facettes : la première porte sur la politique immobilière de l'État, avec le programme de rénovation des cités administratives ;  la seconde porte sur le politique de transformation de l'action publique, avec deux fonds.

L'essentiel des crédits prévus cette année porte sur le premier volet. Il est en effet proposé d'inscrire la quasi-intégralité des crédits prévus, avec 900 millions d'euros d'autorisations d'engagement dès 2019. L'objectif est de sélectionner les projets retenus au cours du premier semestre afin de permettre leur réalisation d'ici à 2022.

Ce programme répond à un besoin réel - nous connaissons bien l'état des cités administratives de nos territoires. Toutefois, nous appelons votre attention sur deux éléments : d'une part, tous les projets ne pourront pas être financés, et l'anticipation du calendrier ne doit pas conduire à précipiter la sélection des dossiers au détriment de leur qualité ; d'autre part, un lien direct est opéré avec la réforme des services déconcentrés de l'État, dans une perspective de rationalisation et de mutualisation.

Ce lien désormais explicite entre politique immobilière et réforme de l'action publique est confirmé avec les deux autres programmes de la mission. Ils retracent chacun les crédits budgétaires à destination de deux fonds, le Fonds pour la transformation de l'action publique et le Fonds pour l'accompagnement des agents de la fonction publique.

Le Fonds pour la transformation de l'action publique vise à accompagner les réformes, en soutenant les coûts initiaux devant permettre de réaliser des économies structurelles à moyen terme. Il fonctionne sous forme d'appels à projets, dont le premier au cours du premier semestre a retenu dix-sept projets dans des domaines variés.

Le Fonds pour l'accompagnement interministériel ressources humaines est une création de ce projet de loi de finances. Il s'agit même d'une surprise, car il ne figurait pas dans la maquette budgétaire soumise à l'occasion du débat d'orientation des finances publiques en juillet dernier. Aucune information ne nous a été communiquée ; des éléments ont cependant été apportés par le Premier ministre lundi 29 octobre dernier. Il s'agit en réalité du fonds devant accompagner la réduction de 50 000 postes de fonctionnaires d'État d'ici à 2022.

C'est d'ailleurs l'écueil principal de ces deux programmes : plus qu'un réel vecteur de la transformation publique, il s'agit en pratique d'une incarnation d'Action publique 2022 devant légitimer les économies attendues de ce processus.

En attendant que ces économies se matérialisent, il est proposé un montant de 160 millions d'euros en crédits de paiement au titre du Fonds pour la transformation de l'action publique et de 50 millions d'euros en crédits de paiement au titre du Fonds pour l'accompagnement interministériel ressources humaines.

Je conclus par quelques remarques sur la mission « Crédits non répartis ». Il s'agit de la mission la moins dotée du budget général pour 2019, avec 204 millions d'euros en crédits de paiement et 504 millions d'euros en autorisations d'engagement. L'essentiel des crédits devant être répartis au moment du vote de la loi de finances, en vertu du principe de spécialité budgétaire, il est normal que le niveau de crédits soit minime pour cette mission particulière. Ses deux programmes sont destinés à couvrir des dépenses qui sont ensuite réparties en cours de gestion dans les différentes missions.

Je relève un léger écart de 79 millions d'euros entre les crédits demandés pour 2019 et la programmation triennale, correspondant à la budgétisation du programme 551, « Provision relative aux rémunérations publiques ». Ce programme retrace des dépenses de personnel dont l'absence de répartition est généralement justifiée, dans l'attente de la tenue des négociations salariales dans la fonction publique. Pourtant, cette année, le rendez-vous salarial a déjà eu lieu, deux mois et demi avant le dépôt du projet de loi de finances.

Je m'étonne donc du maintien de 70 millions d'euros inscrits sur ce programme, qui financeront l'an prochain la revalorisation de trois rémunérations : la monétisation des jours épargnés sur un compte épargne-temps, les frais de nuitée et l'indemnité kilométrique.

Par ailleurs, le Gouvernement a inscrit une mesure de transfert de 9 millions d'euros vers le programme 551, à partir de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ». Ce montant correspond au versement du forfait mobilité durable pour la fonction publique d'État. Là-encore, je m'interroge sur l'opportunité de ce transfert, qui aurait pu se réaliser en cours de gestion, comme le permet la LOLF.

La dotation du programme 552, « Dépenses accidentelles et imprévisibles », est strictement égale à celle de 2018, avec 124 millions d'euros. Ce montant, inscrit à titre conventionnel, reste cependant plus élevé que par le passé, afin d'absorber partiellement la baisse du taux de mise en réserve des crédits par mission de 8 % à 3 %, qui s'applique à partir de 2018. Il faudra donc attendre l'examen du prochain projet de loi de règlement pour vérifier que le montant des crédits n'est pas surévalué.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les constantes sont là. La douane, qui a déjà des difficultés à recouvrer la TVA, fait face à des volumes qui ont considérablement augmenté avec un personnel stable. Nous l'avions constaté lors d'un déplacement à Roissy en 2013 avec Philippe Dallier. Nous y sommes retourné cette année, et les volumes avaient encore augmenté. Cela pose la question de l'informatisation. Je suis très étonné de cette division par dix des crédits d'informatique à la DGFiP.

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Je vous le confirme.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pourtant, beaucoup de tâches sont encore faites manuellement, je pense par exemple à la publicité foncière ou à la redevance d'archéologie préventive.

Nous sommes à la veille de bouleversements considérables. Bercy semble avoir un plan secret ; s'agit-il de la suppression du réseau, le recouvrement étant fait par les entreprises ou des opérateurs ? On ne pourrait plus se rendre dans une trésorerie sans rendez-vous. L'impôt n'est pas simplifié mais on a une diminution du service public. Je le regrette. On laisse les citoyens seuls face à leurs questions...

Quant à l'immobilier de l'État, il n'existe malheureusement pas de politique en la matière, l'exemple caricatural étant le cas de l'Imprimerie nationale. C'est très coûteux. Le ministère affiche des objectifs de réduction, au détriment du service. Je préférerais que cela passe par une meilleure productivité et que le service public continue d'exister.

M. Philippe Dallier. - La date annoncée de 2022 pour l'agence du recouvrement est-elle contrainte ou peut-elle être décalée ? Je vois mal comment on pourrait être prêt dans moins de 3 ans.

Par ailleurs, Claude Nougein parlait des débitants de tabac et de l'augmentation du prix du paquet de cigarettes. Les douanes ont-elles l'intention de lutter davantage contre la fraude, y compris en plein Paris ?

M. Éric Jeansannetas. - Ma question concerne la réorganisation du réseau de la DGFiP, notamment en zone rurale. On se bat pour installer la fibre optique en zone rurale, afin de permettre l'installation d'entreprises et d'administrations sur le territoire.

Or ce n'est pas le chemin qui semble emprunté ; au contraire, on privilégie la concentration dans les agglomérations plus peuplées - on transfère de Limoges à Bordeaux, de Guéret à Limoges, des petites villes à Guéret. Les maires que nous représentons ont un fort sentiment d'abandon, alors que l'État a les outils pour aménager le territoire. Mais s'il y a un plan secret de fermeture du réseau, tout cela ne sert à rien...

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Philippe Dallier, il y a peu de contrôles des douanes à Paris, c'est plutôt la police qui se charge de ces contrôles. Des mesures sont tout de même prises. Un accord a été signé avec Andorre. En effet, la consommation de tabac rapportée à la population de cette principauté est de trois ou quatre paquets par jour par habitant, bébés compris...

Il s'agit maintenant de faire évoluer le métier de débitant de tabac. Des aides publiques ont été mises en place. La Française des Jeux aide aussi : les meubles, loués jusqu'à présent, seront gratuits. Le « cash back » permettra aux débitants de tabac de servir aussi de banques, dans les bourgs où il n'y a plus de distributeurs et où ils sont parfois les derniers commerçants.

Les débitants de tabac viennent souvent me voir ; ils sont très actifs, bien organisés et ouverts, mais inquiets et on les comprend.

En Creuse, comme en Corrèze, on nous explique qu'il faut une seule trésorerie par communauté de communes. On va dans cette direction.

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Y a-t-il un plan caché ? Je ne le sais pas. Cela pourrait représenter 30 000 emplois en moins, sur 100 000...Le ministre, devant les directeurs, le 11 juillet, a signalé qu'il y aurait des conséquences sur l'organisation territoriale. Il a été demandé aux préfets de région et de département de faire des propositions de déconcentration de services, afin de voir de quelle façon on peut maintenir dans le monde rural certains services. Nous avons reçu un courrier pour nous en informer.

Parallèlement, la capacité d'accueil a augmenté en 10 ans de près de 40 %... On veut faire du front office ! L'Assemblée nationale a adopté un amendement à l'article 3 du projet de loi de finances qui établit des conventions avec la MSAP pour accompagner les citoyens dans le cadre du prélèvement à la source.

Les trésoreries rurales posent aussi le problème des mutations. On sera désormais affecté à l'échelle d'un département. Il sera intéressant de faire venir le ministre pour répondre à nos questions sur la réorganisation comme il l'avait proposé. Après les élections de décembre, on pourra peut-être aller un peu plus loin. Le personnel est un peu dérouté.

J'en viens au contrôle fiscal. Il a tendance à diminuer, alors qu'on veut faire du datamining. Il y a là un vrai sujet. L'objectif est de 20 % de la programmation fin 2019 et de 50 % à terme. On veut en même temps orienter l'activité des services vers le conseil aux entreprises. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une vraie volonté de lutte contre l'évasion fiscale... À suivre !

Article 39 - État B

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - L'amendement n°1 a été adopté par notre commission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 et par le Sénat l'an dernier. Il réduit les crédits du programme 156 de 2,2 milliards d'euros. Cette économie résulte d'un alignement du temps de travail dans la fonction publique sur le temps de travail des autres Français, soit 37 heures et demie...

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Le groupe socialiste vote contre cet amendement et les deux suivants.

L'amendement n° 1 est adopté.

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - L'amendement n° 2 a été adopté par le Sénat lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2015, 2016 et 2018. Il porte le délai de carence dans la fonction publique d'État de un à trois jours. L'économie supplémentaire qui en résultera s'élèvera à 216 millions d'euros.

L'amendement n° 2 est adopté.

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Je m'abstiens pour le vote sur les crédits des missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits, ainsi modifiés, de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines.

Article additionnel après l'article 77

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Il s'agit, par l'amendement n° 3, de généraliser la règle de trois jours de carence pour tous. Il tire les conséquences de l'amendement n° 2.

L'amendement n° 3 portant article additionnel après l'article 3 est adopté.

Enfin, les crédits de la mission « Crédits non répartis », les crédits de la mission « Action et transformation publiques » et les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » sont adoptés sans modification.

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Je voudrais faire une dernière observation après ce vote. Le Sénat n'est plus représenté au conseil de l'immobilier de l'État, depuis le renouvellement du Sénat. J'ai adressé une lettre au Président Gérard Larcher à ce sujet.

La réunion est close à 17 h 30.

Jeudi 8 novembre 2018

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport spécial

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » n'offre guère de motifs de satisfaction.

Elle regroupe trois programmes aux enjeux financiers très inégaux : le programme 167 est consacré au financement de la journée défense et citoyenneté, la JDC, et à celui des actions de mémoire pour 33,8 millions d'euros ; le programme 158 finance à hauteur de 106 millions d'euros différentes indemnités accordées aux victimes d'actes de barbarie et de persécution commis pendant l'Occupation ; enfin, le programme 169 regroupe la majeure partie des crédits - 2,1 milliards d'euros - destinés à financer les témoignages de reconnaissance de la Nation envers ses anciens combattants.

Cette mission compte deux grands opérateurs de l'État : l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ONAC-VG, et l'Institution nationale des Invalides, INI.

Elle se caractérise par une forte baisse des crédits avec plus de 150 millions d'euros d'économies.

En ce qui concerne le programme 167, je relève que le bilan de la JDC peut faire l'objet d'appréciations contrastées. D'un côté, les jeunes expriment une certaine satisfaction, et, au-delà, on peut évidemment considérer qu'elle a le mérite d'assurer un lien entre les armées et la population française. De l'autre, son coût n'étant pas négligeable, de l'ordre de 150 millions d'euros, on peut se demander quelle est sa valeur ajoutée. Au demeurant, la perspective d'un service universel obligatoire a été confirmée, après quelques hésitations, ce qui équivaut à une sorte de réponse. Par ailleurs, il est regrettable que la JDC, qui est une obligation, soit encore insuffisamment respectée et que l'identification des jeunes décrocheurs à ce moment-là, opportunité rare, reste trop souvent sans prolongement.

En ce qui concerne la politique de la mémoire, la réduction des crédits est excessive. Certes, nous sommes sur le point d'achever la plus grande partie des commémorations de la Grande Guerre, ce qui justifie des économies, mais nous sommes bien au-delà de cela, d'autant que la mission reprend l'organisation du défilé du 14 juillet auparavant à la charge du ministère de la culture.

Deux motifs de satisfaction. Jusqu'à présent, le souvenir du centenaire s'est globalement bien déroulé grâce à un choix d'éviter le spectaculaire pour des manifestations dignes et participatives. Ensuite, le monument aux soldats morts en OPEX devrait enfin voir le jour après des péripéties invraisemblables... Il ne restera cependant plus grand-chose pour les autres manifestations et pour le nécessaire programme de rénovation des sépultures. Il faudra donc compter sur le dévouement des bénévoles, anciens combattants et autres.

Or le moins que l'on puisse en dire est que le budget pour 2019 ne témoigne pas aux anciens combattants la reconnaissance qui leur est due.

Il y a certes deux mesures dont nous pouvons nous féliciter : l'amélioration de la situation réservée aux harkis et l'attribution de la carte du combattant aux militaires demeurés en Algérie après le 2 juillet 1962. Cette dernière mesure a été constamment portée par le Sénat et est, enfin, mise en oeuvre. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Il est vrai qu'elle implique un certain coût. À terme, elle pourrait profiter à près de 50 000 personnes pour une charge totale de plus de 60 millions d'euros, dont 30 millions d'euros au titre des avantages fiscaux et sociaux.

Pour le reste, qui concerne la quasi-totalité des anciens combattants, nous avions eu un débat, l'an dernier, sur la revalorisation des pensions militaires d'invalidité, des prestations qui leur sont liées et de la retraite du combattant. Le budget pour 2019 n'applique aucune revalorisation, en se contentant de faire jouer une indexation, le « rapport constant », qui implique une progression de la valeur du point d'indice de la pension militaire d'invalidité de 0,7 %. C'est très inférieur à l'inflation envisagée ! C'est plus que pour les pensions de retraite, mais les allocations portées par la mission sont d'une tout autre nature et je ne suis pas certain que nous soyons nombreux ici à approuver la politique des retraites mise en oeuvre par le Gouvernement...

Je ne peux pas approuver ce choix, d'autant que les économies spontanées atteignent, du fait des évolutions démographiques, une masse considérable. Sans doute conscient des critiques auxquelles il s'exposerait, le ministère a proposé de retenir la perspective d'instituer une commission tripartite afin de suivre ces questions de revalorisation. En l'état, je ne peux pas souscrire à une initiative, dont nous ne connaissons pas les détails et dont il semble que la mise en oeuvre soit, au demeurant, repoussée.

Cette proposition est l'une des rares que la revue des dispositifs de reconnaissance de la Nation pour ses anciens combattants a conduit à envisager. La plupart des dossiers que nous avons à connaître lors des débats budgétaires ont reçu un avis défavorable. Je ne peux qu'en prendre acte et je regrette, par exemple, que le sujet des « harkis blancs » paraisse ne pas devoir prospérer. Il en va de même de l'effort qui pourrait être consacré à soutenir les aidants des grands invalides ou participants aux opérations intérieures contre les actes de terrorisme commis sur le territoire français et leurs victimes.

Ce ne sont pas de bons signaux ! Dans ces conditions, il est indispensable que l'ONAC-VG, qui est appelé à combler les trous du filet de protection, soit à même d'accomplir cette mission, en plus des tâches de gestion qu'il assume au bénéfice de ses nombreux ressortissants. Or, s'il faut espérer que la revalorisation des tarifs des médecins chargés de l'examen des dossiers de révision des pensions d'invalidité permette de diminuer les délais actuels, qui sont insupportables, on peut s'alarmer des effets de la réduction des moyens de l'ONAC-VG.

Un exemple parmi d'autres : de l'aveu même du ministère, les ressources déployées pour traiter les demandes correspondant aux dispositions adoptées pour améliorer le statut des opérations extérieures (OPEX), ne permettent pas à l'Office de faire face. Les demandes sont traitées avec beaucoup de retard. Dans ces conditions, nous pouvons nourrir quelques inquiétudes sur le sort de l'extension de la carte du combattant...

Un mot de l'Institution nationale des Invalides, qui est lancée dans un projet, dont il faut se féliciter, qui la verra participer mieux encore à l'offre globale de soins. Cependant, les conditions de financement de ce projet de 50 millions d'euros suscitent une certaine perplexité. Le ministère de la santé n'y concourt pas et la trésorerie de l'établissement devra être largement mobilisée. Or ses recettes propres sont en berne.

Je termine par le programme 158. J'ai récemment présenté un rapport sur la commission d'indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS ; j'alertais sur les effets désastreux susceptibles de découler de la suppression de cette commission, un temps envisagée. J'en appelais, par ailleurs, à prendre une trentaine de mesures afin de constituer une « CIVS augmentée ». Je relève avec satisfaction que le Premier ministre a écarté la perspective de cette suppression, qui était inconsidérée et qu'il fallait conjurer. Par lettre, il m'a fait part de son souhait d'assurer à la CIVS les moyens d'assurer ses missions qui ont été renforcées dans un décret du 10 octobre dernier. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Le budget pour 2019, qui multiplie par deux les crédits nécessaires à l'indemnisation des spoliations, témoigne que, contrairement à un discours lénifiant, la dette de réparation demeure très forte. Hélas, sur les éléments nécessaires au renforcement des missions de la CIVS, la programmation budgétaire va à rebours de ce qu'il conviendrait de mettre en place. Je forme des voeux pour que très vite cette évolution soit corrigée, mais en l'état, le programme 158 ne réunit pas les conditions de la relance que nous avons souhaitée et que le Premier ministre a très opportunément décidé de mettre en oeuvre.

Mme Christine Lavarde. - L'an passé, nous avons adopté un amendement prorogeant le délai laissé à l'ONAC-VG pour fusionner les maisons de retraite qu'il gère avec d'autres acteurs du secteur. Quel est l'état d'avancement de ce dossier ? Comment se déroulent ces fusions ?

M. Philippe Dallier. - Le rapport de Marc Laménie est relativement critique sur la JDC, ce qui m'apparaît assez justifié. Comment est-il possible de faire passer autant de messages, sur des sujets aussi différents - la laïcité, les dons d'organes, la sécurité sociale, la sécurité routière... -, en une seule journée ?

Il semble que le ministère entende améliorer l'efficacité du dispositif grâce à l'utilisation des outils numériques, mais notre rapporteur spécial craint des surcoûts importants. Pourquoi pensez-vous que l'utilisation de moyens numériques entraînera de tels surcoûts ?

Par ailleurs, on ne peut que s'étonner que le ministère engage une réforme de la JDC, alors même que se profile la mise en place du service national universel, le SNU... Certes, les coûts relatifs de ces deux dispositifs n'ont rien à voir : 150 millions d'euros pour la JDC, peut-être quelques milliards pour le SNU ! Enfin, je remarque que le coût de ce nouveau service national n'est aucunement inscrit dans la programmation financière pluriannuelle. Je ne sais pas où les moyens pourront être trouvés pour son financement...

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Il est vrai que l'ONAC-VG a abandonné la gestion de certaines maisons de retraite, qui ont été reprises par d'autres acteurs. Cela correspond en partie à la redéfinition des missions de l'Office, qui doit mieux aider le monde combattant et développer son rôle social. Je vérifierai cette question avec la directrice générale de l'établissement. En tout état de cause, je suis très attaché au maintien d'une présence de l'ONAC-VG dans chaque département, car il a un rôle important d'information et de distribution d'aides.

Sur la JDC, je vous renvoie notamment au récent rapport que la Cour des comptes a réalisé à la demande de notre commission. J'ai assisté à l'une de ces journées et il est vrai que son programme est particulièrement chargé, surtout si l'on y intègre pleinement le volet éducation nationale. Le coût de la JDC est partagé entre les missions « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et « Défense ». Comme l'indique Philippe Dallier, nous devrons être attentifs à la manière dont la JDC s'articule avec le futur service national universel, mais nous ne disposons pas d'informations à ce stade. Enfin, je souhaite rappeler que la JDC présente aussi un intérêt important, celui de susciter des vocations pour les métiers de la défense.

M. Vincent Éblé. - Quel avis proposez-vous en ce qui concerne l'adoption des crédits de la mission ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Sans conviction, je propose un avis favorable...

Enfin, je propose d'adopter sans modification l'article 73 rattaché à la mission, qui revalorise l'allocation de reconnaissance et l'allocation viagère des conjoints survivants d'anciens membres des formations supplétives.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Elle décide en outre de proposer d'adopter sans modification l'article 73 rattaché à la mission.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Défense » - Examen du rapport spécial

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le budget 2019 constitue la première année de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025, adoptée il y a quelques mois. Force est de constater que le montant des crédits de paiement, hors pensions, inscrits dans ce budget, 37,9 milliards d'euros, en hausse de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2018, est conforme à la trajectoire fixée dans la LPM, dont je ne détaillerai pas ici les limites. Souvenons-nous simplement que l'effort prévu entre 2019 et 2023, qui est réel, est inégalement réparti, la marche la plus importante ne devant être gravie qu'en 2023, soit au début du prochain quinquennat et de la prochaine mandature !

Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir, l'effort prévu pour 2019 est bel et bien au rendez-vous et l'augmentation des crédits est importante. Dès lors, ce budget est-il réellement « à hauteur d'homme », selon l'expression utilisée par la ministre ?

S'agissant des effectifs, les engagements sont tenus, avec la création de 450 emplois. La répartition de ces postes est également conforme aux dispositions de la LPM, la majorité d'entre eux étant consacrée au renseignement et à la cyberdéfense.

Face à l'enjeu de fidélisation du personnel et d'attractivité des métiers de la défense, plusieurs réponses sont apportées dans ce budget.

Des mesures de revalorisation salariale seront prises avec notamment la création d'une prime de lien au service, destinée à renforcer l'attractivité de certains métiers tels que celui de praticien du service de santé des armées, ou encore la reprise du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations.

Si la question salariale est évidemment clé - 53 % des militaires estiment que leur engagement n'est pas suffisamment rémunéré -, elle ne constitue cependant pas l'unique réponse aux enjeux que je viens d'évoquer.

À cet égard, je ne peux que me féliciter de la montée en puissance du plan famille, lancé en octobre 2017 et qui sera doté de 57 millions d'euros en 2019 contre 22,5 millions d'euros en 2018. Ce plan, qui comporte 46 actions dans les domaines de l'hébergement, de la mobilité ou encore dans le champ du social, a suscité une véritable attente auprès des militaires. Il convient par conséquent que ses crédits soient effectivement sanctuarisés et que toutes les mesures puissent être menées à leur terme.

J'ajoute qu'alors que le plan famille fait de la question de l'amélioration des conditions de vie de nos militaires une priorité, il me semblerait paradoxal de poursuivre le projet de cession du Val-de-Grâce, dernière emprise parisienne à accueillir des militaires, qui contraindrait le ministère à héberger ses soldats hors de Paris, ce qui pose un enjeu majeur en termes de sécurité et de transport.

Les mesures que je viens de vous présenter, qui sont évidemment bienvenues, sont-elles suffisantes ? Probablement pas, si j'en crois l'incapacité du ministère à consommer l'intégralité de ses crédits de personnel. La sous-exécution des crédits du titre 2 devrait atteindre 155 millions d'euros en 2018. Cette situation préoccupante s'explique à la fois par un taux de non-renouvellement des contrats élevé et par une difficulté du ministère à recruter dans certains métiers.

Dans le rapport sur le parc immobilier des armées que j'ai établi en 2017, je faisais le constat d'une dégradation progressive de l'état des infrastructures de la défense et, en particulier, de celles du quotidien dédiées à l'hébergement, à la restauration ou à l'entraînement, la priorité étant accordée à l'accompagnement des grands programmes d'armement.

En 2019, les crédits consacrés à la maintenance progresseront de 7 % en autorisations d'engagement (AE) et de 12 % en crédits de paiement (CP) et les dépenses en faveur des logements et des établissements sociaux et médico-sociaux atteindront plus de 76 millions d'euros en AE et près de 74 millions d'euros en CP.

Sur la durée de la programmation, 13,5 milliards d'euros devraient être consacrés aux infrastructures. C'est un effort significatif. Pour autant, le ministère des armées estime à 1,5 milliard d'euros les besoins non satisfaits. Ce sujet constitue donc un point de vigilance auquel nous devrons être attentifs dans les années à venir.

S'agissant de l'entretien programmé des matériels, là encore, une hausse des crédits est prévue en 2019. En particulier, les AE progresseront de plus de 4,6 milliards d'euros par rapport à 2018 afin de permettre, notamment dans le cadre de la réforme mise en oeuvre cette année du maintien en condition opérationnelle aéronautique, la passation de contrats pluriannuels globaux. Cet effort mettra cependant du temps avant de porter ses fruits.

Enfin, ce budget permet-il de préparer l'avenir ? Il m'est difficile de me prononcer sur la conformité du calendrier de commandes et de livraisons par rapport aux objectifs de la LPM, dans la mesure où elle ne fixait que des objectifs finaux, sans les décliner par année... Pour autant, au cours des auditions que j'ai menées, il m'a été indiqué que les commandes et livraisons prévues en 2019 devraient répondre aux besoins de nos forces.

Au total, le budget qui nous est présenté m'apparaît plutôt positif et conforme aux engagements pris. Néanmoins, cette entrée en LPM est hypothéquée par la fin de gestion 2018, qui, pour reprendre expression de l'un de mes interlocuteurs, en constitue l'antichambre.

Or le projet de loi de finances rectificative pour 2018 déposé hier à l'Assemblée nationale est pour le moins inquiétant. Sur un montant total de surcoûts des opérations extérieures et intérieures s'élevant à près de 1,4 milliard d'euros, les restes à financer atteignent 580 millions d'euros et, à l'exception d'un montant de 40 millions d'euros de remboursements en provenance de l'ONU, il est prévu que l'intégralité de ce surcoût soit financée sous enveloppe par le ministère des armées. Ce serait la première fois depuis plusieurs années que le ministère devrait prendre en charge seul, sans solidarité interministérielle, ce surcoût, alors même que l'actuelle LPM fixe un principe très clair de répartition entre les différentes missions du budget de l'État.

Le projet de loi de finances rectificative prévoit ainsi une ouverture de plus de 400 millions d'euros sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » entièrement gagée par des annulations sur les autres programmes de la mission. En particulier, le programme 146 « Équipement des forces » sera fortement mis à contribution, à hauteur de 319 millions d'euros. Le reste sera financé par le titre 2, en lien avec les difficultés de recrutement que j'évoquais tout à l'heure.

En 2017-2018, nous avons déjà connu un épisode de ce type : on nous avait dit que l'annulation de crédits de 850 millions d'euros décidée en 2017 serait compensée en 2018.

À cet instant, trois scénarios se présentent à nous. Si les 250 millions d'euros encore gelés étaient in fine annulés, la bonne application de la LPM serait compromise. En effet, le manque à gagner atteindrait plus de 800 millions d'euros, ce qui remettrait fondamentalement en cause la parole donnée et la possibilité de respecter la LPM votée par le Parlement. Dans ce cas-là, je serais amené à vous proposer de rejeter les crédits de la mission. Si les crédits encore en réserve devaient être dégelés, nous limiterions les « dégâts », mais l'effort prévu par le budget 2019 serait amoindri. Dans cette hypothèse, je vous proposerais l'abstention. Enfin, si par extraordinaire une ouverture de crédits à venir, voire une minoration du montant de l'annulation, devait intervenir dès le stade de l'examen du projet de loi de finances rectificative, ma position pourrait être appelée à évoluer.

Devant ces incertitudes, je vous propose de différer notre vote sur les crédits de la mission « Défense » jusqu'à la réunion d'examen définitif des missions. Nous avons besoin de davantage d'informations et de garanties.

M. Roger Karoutchi. - Vous estimez, s'agissant du Val-de-Grâce, que le ministère des armées aurait intérêt à ne pas céder le site. La partie hospitalière est néanmoins déjà fermée et les autorités renvoient les patients vers d'autres hôpitaux militaires. Le Val-de-Grâce n'est désormais plus qu'un immeuble fantôme dont seuls les bâtiments de l'arrière sont encore occupés. Il semblerait, en outre, que des acheteurs potentiels se soient déjà manifestés et qu'un accord soit en cours avec la Ville de Paris pour ériger un nouveau quartier. Vous semble-t-il, dans ses conditions, encore possible de revenir en arrière ?

M. Éric Bocquet. - Vous nous avez présenté, en juillet dernier, un rapport édifiant sur les hélicoptères : sur 467 appareils, 300 étaient, dans mon souvenir, immobilisés pour défaut de maintenance. Dans le présent projet de loi de finances, les crédits de maintenance bénéficient d'une augmentation significative ; l'effort vous semble-t-il suffisant ? Par ailleurs, 7,1 milliards d'euros devraient être consacrés à l'achat de nouveaux matériels. Pourriez-vous nous préciser le détail des achats prévus et les fournisseurs concernés ?

M. Jérôme Bascher. - Le projet de loi de finances rectificative présenté hier en conseil des ministres prévoit-il une annulation de crédits pour le ministère des armées ?

M. Marc Laménie. - Le logiciel de paie Louvois a connu d'innombrables dysfonctionnements ayant entraîné, selon les estimations les plus pessimistes, des surcoûts à hauteur de 300 millions d'euros. À combien, selon les éléments dont vous disposez, s'élèvent précisément ces surcoûts ? Quels sont, par ailleurs, les moyens humains consacrés à l'opération Sentinelle pour la protection des lieux publics et quel est le coût du dispositif ? Enfin, les contrats de redynamisation des sites de défense, destinés à accompagner la suppression de casernes et de régiments, sont-ils toujours d'actualité ?

M. Thierry Carcenac. - Vos observations relatives à la politique immobilière du ministère des armées, particulièrement intéressantes, nous amènent à réfléchir à la gestion immobilière de l'État dans son ensemble. Dans le rapport spécial que j'ai eu l'honneur de vous présenter hier, j'ai rappelé que l'application des dispositions de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dite Duflot, entraînerait de considérables coûts de décote - de l'ordre de 4 232 euros par mètre carré - dans le cadre de la vente des bâtiments sis dans l'îlot Saint-Germain. N'existe-t-il pas d'autres moyens de construire des logements sociaux que de brader le patrimoine de l'État à des coûts prohibitifs ? Veillons à ne pas reproduire la même erreur au Val-de-Grâce. D'autres pays ont choisi des options différentes : en Grande-Bretagne, par exemple, des baux emphytéotiques ont été conclus sur des sites prestigieux pour permettre à la fois de financer leur rénovation et de bénéficier des loyers versés. Enfin, dans la perspective de la création prochaine d'un service national universel, serait-il envisageable de loger les jeunes dans certaines casernes ?

M. Antoine Lefèvre. - Vous nous aviez livré, l'an passé, un récit alarmant de l'état de la base navale de Toulon, victime, notamment, de problèmes de plomberie. La situation s'est-elle, à votre connaissance, améliorée ? Quel budget a été, le cas échéant, consacré aux travaux de maintenance ? Je partage votre analyse : il convient d'attendre des précisions du Gouvernement pour voter sur les crédits de la présente mission. Le Président de la République a récemment évoqué la création d'une armée européenne. Quels financements pourraient y être alloués ? S'agissant enfin du service national universel, avez-vous connaissance d'un calendrier de mise en oeuvre et de modalités de financement ?

M. Philippe Dallier. - Je m'interroge également sur la création du service national universel, dont la première cohorte est annoncée en 2019. Quel sera le coût du dispositif et comment sera-t-il financé ? J'approuve votre décision de réserver notre vote sur les crédits de la mission « Défense » dans l'attente de plus amples informations. Je ne puis toutefois imaginer que le Gouvernement renonce à sa promesse d'une meilleure sincérité du financement des OPEX, comme l'évoque votre premier scénario.

M. Vincent Éblé, président. - Il ferait alors preuve d'une indéniable duplicité !

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Pour répondre à Roger Karoutchi, de nombreux militaires sont stationnés à Paris dans le cadre de l'opération Sentinelle. Pour les loger, des travaux sont réalisés dans des casernes de banlieue. Mais il leur est conseillé de ne pas prendre les transports en commun. Dès lors, au Fort de l'Est par exemple, ils peuvent difficilement sortir de leur baraquement. Il me semble donc préférable de conserver des capacités d'hébergement intra-muros.

À Éric Bocquet, je répondrai que l'augmentation annoncée des crédits destinés à la maintenance laisse espérer des améliorations, d'autant, même si un changement de structure ne suffit pas, que la réforme du maintien en condition opérationnelle (MCO) intervenue cette année en confiera la responsabilité à une direction placée sous l'autorité directe du chef d'état-major des armées. Alors que la maintenance d'un hélicoptère fait l'objet de multiples contrats applicables aux différentes pièces, un chef de file unique assurera leur cohérence. Cette amélioration, néanmoins, ne sera tangible qu'à compter de 2021 ou de 2022, à la condition supplémentaire que les matériels ne fassent pas l'objet d'une utilisation intensive et permanente. La liste des nouveaux équipements figure, par ailleurs, dans mon rapport, elle semble conforme aux annonces et satisfait les militaires.

J'indique à Jérôme Bascher qu'outre 155 millions d'euros sur le titre 2 d'économies de constatation, 320 millions d'euros sont annulés sur le programme 146 « Équipement des forces ». Dans la mesure où des autorisations d'engagement sont également supprimées, certains investissements s'en trouveront décalés.

Pour répondre à Marc Laménie, dans la perspective du remplacement du logiciel Louvois, le nouveau dispositif Source Solde sera prochainement testé dans la marine. Le fiasco de Louvois a effectivement entraîné des coûts faramineux. Récemment, l'État a ainsi renoncé à demander un trop perçu de 95 millions d'euros. L'opération Sentinelle mobilise actuellement 7 000 soldats, pour une mise à disposition maximum de 10 000 hommes. Le coût des missions intérieures s'établit à 150 millions d'euros. Quant à l'accompagnement de la fermeture des casernes, les programmes prévus se poursuivent.

Je partage l'analyse de Thierry Carcenac, sur les dérives du dispositif Duflot : il n'est pas possible de financer une politique du logement et des dépenses d'équipement des forces armées sur les mêmes crédits. Un amendement a été adopté sur la LPM, afin de réserver la décote dite Duflot lorsque le projet prévoit de réserver des logements sociaux pour les armées : j'y suis favorable. En matière d'immobilier, le ministère des armées fait figure d'exception, car il continue à percevoir des crédits au titre du paiement les loyers budgétaires, afin d'assurer le respect des engagements de la LPM.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le service national universel. Je puis vous confirmer qu'aucun crédit n'est inscrit dans le budget 2019 à ce titre. Nous verrons l'année prochaine si d'aventure la première cohorte est effectivement lancée... Quant à l'hébergement de ces jeunes dans les casernes, je rappelle que nous rencontrons déjà des difficultés pour loger les militaires affectés aux opérations intérieures. En outre, les besoins en hébergement des jeunes du service national universel pourraient ne pas se trouver en adéquation avec les casernes disponibles.

Pour répondre à Antoine Lefèvre, la plomberie à Toulon fuit toujours, mais des crédits sont inscrits pour des travaux électriques en 2019.

Soyons prudents s'agissant de la création d'une armée européenne. Les États membres de l'Union européenne suivent des règles différentes pour l'engagement de leur armée : seules la France et la Grande-Bretagne peuvent agir sur la décision unilatérale du chef de l'État sans accord préalable du Parlement - la situation diffère ailleurs, notamment en Allemagne - et disposent de forces de projection, même si certains pays européens peuvent être amenés à accompagner logistiquement des OPEX. Certes, quelques initiatives industrielles, concernant en particulier l'avion et le char du futur, ont été engagées, mais la solidarité demeure fragile : la Belgique, récemment, a choisi d'acquérir des avions américains. La question est hautement politique et devrait faire l'objet d'un débat au printemps 2019. Même si les mentalités évoluent en faveur d'une meilleure coopération, n'oublions pas que de nombreux États membres estiment que leur sécurité dépend avant tout de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

M. Vincent Éblé, président. - Le rapporteur spécial nous propose donc de réserver le vote sur les crédits de la mission « Défense » dans l'attente que les incertitudes qu'il a relevées soient levées par le Gouvernement.

La commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Défense ».

Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique, la gouvernance au sein de l'Union européenne, prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) - Compte rendu

M. Vincent Éblé, président. - Une délégation de notre commission - le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, Sylvie Vermeillet, Jérôme Bascher, Patrice Joly et moi-même - a assisté à Vienne, les 17 et 18 septembre derniers, à la conférence interparlementaire semestrielle, plus communément appelée « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union européenne, dont l'objectif est principalement de permettre aux parlements nationaux d'exercer un contrôle sur la mise en oeuvre des règles de gouvernance budgétaire. Le Parlement européen et le Parlement autrichien avaient inscrit le cadre budgétaire de l'Union européenne, l'éducation et l'innovation comme moteurs de la compétitivité, la lutte contre l'évasion fiscale et l'impact du numérique sur le marché de l'emploi à l'ordre du jour.

La première session portant sur le cadre budgétaire de l'Union européenne était quelque peu redondante avec la conférence de février dernier à Bruxelles, qui avait déjà permis d'échanger sur l'avenir de l'Union économique et monétaire (UEM) et sur la pertinence du semestre européen. La majorité des interventions ont appelé à un renforcement de la coordination des politiques budgétaires des États membres et ont salué les propositions de réformes institutionnelles de la Commission européenne développées dans sa feuille de route en décembre 2017 et lors de la présentation du prochain cadre financier pluriannuel. La transformation du mécanisme européen de stabilité (MES) en Fonds monétaire européen (FME) a été jugée comme étant une évolution institutionnelle favorable permettant de s'affranchir du Fonds monétaire international (FMI). Le FME pourrait intervenir, comme le MES, en cas de difficultés financières d'un État membre de la zone euro. Il assurerait, en outre, la fonction de filet de sécurité du fonds de résolution unique, le deuxième pilier de l'union bancaire. L'objectif d'achever l'union bancaire a, par ailleurs, été rappelé par le Portugal, les Pays-Bas et la Grèce, mais le refus de certains États membres, notamment l'Allemagne, d'installer un système européen de garantie des dépôts, qui constitue le troisième et dernier pilier de l'union bancaire, n'a pas été évoqué.

Les propositions de la Commission européenne visant à créer deux instruments budgétaires communs aux États membres ont été favorablement accueillis. Alors qu'initialement ces instruments n'avaient été envisagés qu'à destination des États membres de la zone euro, ses propositions sur le prochain cadre financier pluriannuel prévoient qu'ils puissent bénéficier à l'ensemble de l'Union européenne. Cette nouvelle capacité budgétaire serait composée de deux volets : un programme d'appui pour accompagner le financement des réformes recommandées dans le cadre du semestre européen et un mécanisme européen de stabilisation des investissements visant à soutenir le niveau de l'investissement public.

Les échanges ont mis en lumière deux aspects de la coordination budgétaire qui gagneraient à être améliorés. D'une part, plusieurs intervenants ont dénoncé les fragilités du semestre européen. Le député Othmas Karas, membre du parti populaire européen, a souligné qu'entre 2012 et 2017 près de la moitié des recommandations formulées dans le cadre du semestre européen n'avaient pas été mises en oeuvre par les États membres. Il a suggéré que la conférence interparlementaire dite « article 13 » soit davantage associée à la formulation et au suivi des recommandations. D'autre part, une divergence entre les représentants des parlements nationaux est apparue quant aux flexibilités dans l'application des règles du pacte de stabilité et de croissance. Plusieurs interventions, notamment néerlandaise, ont appelé à une application plus stricte des règles budgétaires, qui prévoient que le déficit public d'un État membre ne peut être supérieur à 3 % de son PIB et sa dette publique à plus de 60 %. Le vice-président du comité budgétaire autrichien, Gottfried Haber, a, au contraire, défendu la marge de manoeuvre de chaque État membre, rappelant que la stricte application des règles budgétaires pouvait conduire à des politiques contra-cycliques, politiquement délicates à l'approche des élections européennes.

La deuxième session portait sur l'éducation, l'investissement et l'innovation en tant que moteurs de la compétitivité européenne, à l'aune des propositions de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel. Le programme « Horizon Europe » devrait comprendre une enveloppe de 100 milliards d'euros pour la période 2021-2027 et rassembler les instruments de financement en faveur de la recherche et de l'innovation. Le fonds « InvestEU » prendra le relai du plan Juncker à partir de 2021 avec la banque européenne d'investissement (BEI) comme principal partenaire financier. Plusieurs parlementaires ont toutefois regretté la diminution proposée des crédits alloués à la politique de cohésion, qui constitue le deuxième budget de l'Union européenne après la politique agricole commune et contribue à la réduction des inégalités infrarégionales.

La troisième session, consacrée à la lutte contre l'évasion fiscale, a été introduite par le discours de Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, qui a dressé le bilan des initiatives de la Commission européenne en matière de transparence fiscale, notamment avec l'adoption de la directive ATAD. Il s'est montré optimiste sur les perspectives d'adoption d'une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS), en dépit de plusieurs interventions déplorant le peu d'avancées récentes en la matière. S'agissant de la fiscalité du numérique, il s'est déclaré confiant sur la perspective d'un accord prochain sur la taxe à 3 % sur le chiffre d'affaires de certaines activités numériques. Hélas, la France, face aux réticences de l'Allemagne, se trouve contrainte, désormais, de plaider pour un délai supplémentaire.

Notre rapporteur général l'a interrogé sur le traitement de la fraude à la TVA pour le commerce en ligne, rappelant les dispositions introduites par le Sénat lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude : le principe de la responsabilité solidaire des plateformes en ligne et le dispositif de « paiement scindé » de la TVA. Patrice Joly a souligné que les propositions de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel ne retiennent pas la fiscalité du numérique comme nouvelle ressource pour le budget européen. Si ces deux interventions ont été appuyées par plusieurs représentants de parlements nationaux, nous pouvons regretter qu'elles n'aient pas encore donné lieu à des réponses précises de la Commission européenne.

M. Vincent Delahaye. - Ce n'est guère étonnant !

M. Vincent Éblé, président. - Les derniers échanges ont enfin concerné la numérisation et son impact sur l'emploi. Il a été rappelé que la numérisation du marché du travail contribuait à développer des formes atypiques d'emploi, pour lesquelles la protection sociale devait être adaptée. Plusieurs interventions ont salué les propositions de la Commission européenne d'augmenter les crédits alloués au Fonds social européen et à l'Initiative pour l'emploi des jeunes dans le prochain cadre financier pluriannuel, tout en déplorant que son interventionnisme en matière sociale demeure moindre qu'en matière économique ou de droit de la concurrence.

Pour conclure, je souhaite rappeler les interrogations déjà exprimées par notre commission quant à la portée réelle de cette conférence. L'organisation des débats ne permet pas un échange interactif entre les représentants des parlements nationaux et les sujets à l'ordre du jour sont hélas trop vastes pour aboutir à des prises de position sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne. L'organisation d'ateliers plus restreints ou l'obligation d'adopter des conclusions permettrait de valoriser davantage les échanges.

Mme Sylvie Vermeillet. - J'ai, pour ma part, été extrêmement déçue par l'intervention de Pierre Moscovici.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie de votre attention.

La réunion est close à 10 h 45.