Mercredi 13 juin 2018

- Présidence de Mme Corine Imbert, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Table ronde autour de Mme Carole Brousse, docteur en anthropologie sociale, M. Jean-Baptiste Gallé, pharmacien et docteur en chimie des substances naturelles et Mme Isabelle Robard, docteur en droit et avocat en droit de la santé

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, vice-président. - Mes chers collègues, notre mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales poursuit ses travaux. Je vous prie de bien vouloir excuser notre présidente Corine Imbert retenue par une obligation dans son département et qui m'a demandé de présider cette table ronde.

Nous accueillons Mme Carole Brousse, docteur en anthropologie sociale, dont la thèse a porté sur l'herboristerie paysanne en France et qui poursuit ses travaux sur ce sujet en abordant le point de vue des usagers. Ces travaux sont conduits avec M. Jean-Baptiste Gallé, pharmacien et docteur en chimie des substances naturelles. Enfin, Mme Isabelle Robard, docteur en droit, avocate en droit de la santé, est également spécialisée sur les questions qui intéressent notre mission.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public, que je salue.

Je cède immédiatement la parole à nos intervenants.

M. Jean-Baptiste Gallé. - Nous sommes ici devant vous pour vous présenter les résultats d'une enquête menée pour évaluer les pratiques et les attentes des consommateurs des produits de l'herboristerie. Ce travail d'analyse a bénéficié du soutien de FranceAgriMer.

Avant de vous présenter ces résultats, permettez-moi de me présenter en quelques mots. Je suis pharmacien et à l'issue de mes études de pharmacie, j'ai poursuivi avec un doctorat en chimie des substances naturelles, en pharmacognosie c'est-à-dire la discipline qui étudie les substances naturelles présentant un intérêt thérapeutique. Actuellement, je termine une formation agricole, plus précisément un Brevet Professionnel de Responsable d'Exploitation Agricole (BPREA), diplôme agricole de niveau IV, spécialisé en production de plantes médicinales au CFPPA (centre de formation professionnelle et de promotion agricole) de Montmorot dans le Jura.

À l'issue de cette formation, j'ai le projet de m'installer comme producteur et transformateur de plantes médicinales. Cependant, malgré mes diplômes de pharmacien et de pharmacognoste, la réglementation actuelle ne me permet pas de vendre d'autres plantes médicinales que les 148 plantes libérées du monopole pharmaceutique et je n'aurai pas non plus le droit de conseiller sur les plantes ou d'indiquer leurs propriétés traditionnellement reconnues et pourtant validées par différents comités d'experts scientifiques, tels que la Commission E en Allemagne, l'HMPC (committee on herbal medicinal products) et l'ESCOP (european scientific cooperative on phytotherapy) au niveau européen.

C'est comme si les compétences et les connaissances acquises et sanctionnées par le diplôme de pharmacien s'évanouissaient une fois passé le seuil de l'officine pharmaceutique ! Pour autant je ne défends pas le fait qu'il faille nécessairement un diplôme de pharmacien pour produire et vendre des plantes médicinales.

À mon avis, le monopole pharmaceutique sur la vente de plantes médicinales a son intérêt pour protéger le consommateur des plantes présentant un réel risque. C'est d'ailleurs ainsi que sont considérées les huiles essentielles, au travers d'une liste négative. À ma connaissance, aucun producteur ne souhaite revenir sur la liste des 15 huiles essentielles du monopole pharmaceutique car elles présentent des risques de neurotoxicité. De la même manière, aucun producteur ne revendique la vente des plantes médicinales appartenant à la liste B de la pharmacopée qui comporte des plantes toxiques dont le risque est plus important que le bénéfice attendu. Il ne serait pas prudent de libérer toutes les plantes de la liste A qui pour certaines présentent aussi des risques élevés, comme par exemple les digitales ou la belladone. Mais d'autres plantes de la liste A comme le bleuet ou le calendula ne nécessitent pas à mon avis, six ans d'études, pour pouvoir être vendu. Néanmoins, une productrice s'est vue forcée, encore la semaine dernière, de retirer ces deux plantes de mélanges qu'elle proposait à la vente car elles font partie du monopole pharmaceutique.

Je pense également qu'il est indispensable pour le consommateur de pouvoir disposer d'informations sur les plantes et les huiles essentielles qu'il achète, à la fois sur leurs propriétés traditionnellement reconnues mais aussi sur les risques potentiels qu'elles représentent en termes de contre-indications et de précautions d'emploi éventuelles.

Nous pourrons revenir sur ces points s'ils suscitent des questions de votre part.

Revenons au point de vue des consommateurs.

Nous ne présenterons ici que les points essentiels de l'enquête et nous tenons à votre disposition un document synthétique réalisé par la Fédération des paysans-herboristes.

Cette enquête a été mise en ligne entre juin 2016 et novembre 2017 et a recueilli au total 1 471 réponses exploitables, ce qui est relativement élevé, étant donné le nombre de questions (79 questions ont été relevées, dont environ la moitié sont des questions ouvertes visant à recueillir des témoignages spontanés des consommateurs de l'herboristerie).

L'objet de cette enquête est de répondre à différentes problématiques : tout d'abord qui sont les consommateurs de plantes médicinales en France ? Quels sont leurs savoirs et leurs pratiques herboristiques ? Comment évaluent-ils les conseils que leur formulent les professionnels de l'herboristerie et que pensent-ils de la qualité des produits qu'ils achètent ? Enfin quelles sont leurs attentes concernant la filière des plantes médicinales ?

À propos du profil des répondants, l'enquête a été diffusée dans toute la France métropolitaine, nous avons eu des réponses dans quasiment tous les départements, avec une plus forte participation dans le quart sud-est et à l'ouest. On note une plus forte participation féminine, de l'ordre de 80 %, une proportion qui se retrouve également dans le public qui assiste aux cours d'herboristerie ainsi que dans les formations de producteurs de plantes médicinales. La moyenne et la médiane d'âge sont de 45 ans, soit à peu près conformes à la population générale. On note également une forte participation du monde rural, représenté par plus de 60 % des répondants. On remarque que les répondants sont principalement de fidèles usagers puisque deux tiers d'entre eux déclarent utiliser des plantes médicinales depuis plus de 10 ans, bien que l'on observe une recrudescence de l'usage de plantes médicinales, en particulier depuis les années 2000.

En termes de représentation des usagers de l'herboristerie, on observe deux approches pour qualifier les raisons de l'utilisation des plantes médicinales : une approche négative, pour un peu moins de la moitié des répondants, qui traduit une méfiance vis-à-vis du médicament de synthèse ou de l'approche allopathique, une certaine crainte des effets secondaires et enfin des situations d'impasse thérapeutique par le biais de la médecine conventionnelle. En revanche, une plus grande proportion des répondants a une approche que l'on pourrait qualifier de positive et naturelle, lorsque l'utilisation des plantes médicinales s'inscrit dans une tradition familiale, suite aux conseils de professionnels ou parce que ces plantes leur permettent une plus grande autonomie dans la prise en charge thérapeutique. Ils déclarent enfin que l'herboristerie est efficace.

La représentation de l'herboristerie est globalement positive, mais 88 % des informateurs estiment qu'un produit réalisé à partir de plantes médicinales comporte un risque d'utilisation tandis que 90 % des Français perçoivent les médicaments comme des produits actifs présentant certains risques d'après l'Observatoire sociétal du médicament.

S'agissant des pratiques des usagers de l'herboristerie, en utilisation régulière se sont essentiellement les tisanes, qui représentent 80 % des pratiques. Viennent ensuite les huiles essentielles (54 %) et enfin les préparations cutanées sous forme de baume et de crème, à visée soit cosmétique soit thérapeutique. D'autres formes sont davantage préconisées en cas de maladie, c'est le cas des teintures mères et des huiles essentielles. Des formes sont enfin d'utilisation plus rare, tels que les sirops, les poudres, les gélules et les ampoules macérats glycérinés.

Parmi les 300 plantes médicinales les plus utilisées, les plantes alimentaires sont les plus courantes, utilisées soit pour leurs propriétés culinaires, comme le thym, soit pour leurs propriétés aromatiques, comme la verveine, le romarin, la menthe ou la mélisse. Sur les 40 plantes médicinales les plus utilisées sous forme de tisane, on observe qu'un quart sont sous monopole pharmaceutique. Ces plantes sont essentiellement utilisées pour des troubles digestifs, des troubles du sommeil et de l'anxiété et des troubles ORL.

En ce qui concerne les huiles essentielles, on retrouve essentiellement la lavande, l'arbre à thé, le ravinstara, la menthe poivrée et la gaulthérie. Les principales indications sont les affections ORL et les états grippaux, les affections dermatologiques, le stress, l'anxiété et les troubles du sommeil ainsi que les problèmes infectieux.

En termes de connaissances, les usagers de l'herboristerie ne sont pas passifs. Ils ont des connaissances sur les propriétés des plantes, qu'ils vont chercher essentiellement dans les livres, en participant à des formations et auprès de professionnels. Enfin, la transmission familiale ou à travers l'entourage est également relativement importante. Seuls 1 % des répondants disent accorder une confiance totale dans les informations qu'ils trouvent sur internet. On évalue l'indice de confiance à 5 sur 10.

Je passe maintenant la parole à Carole Brousse pour la suite de l'enquête.

Mme Carole Brousse. - Je souhaiterais commencer par faire une comparaison entre l'herboristerie et la boulangerie : la boulangerie c'est à la fois le pain et le blé. L'herboristerie, c'est à la fois la tisane et la plante médicinale. Ces deux entités, la plante et la tisane, le blé et le pain, recouvrent des dimensions techniques, scientifiques mais également patrimoniales et symboliques. Et ces deux entités recouvrent également une filière économique : elle part de la semence pour aller jusqu'au sachet de tisane en herboristerie, de même qu'en boulangerie, elle part du grain de blé pour aller jusqu'au pain.

Je file cette métaphore car quand on s'intéresse plus spécifiquement au métier final, boulanger et herboriste, c'est-à-dire celui qui est au contact des clients, on retrouve des ressemblances. En boulangerie, il y a le boulanger mais également le paysan-boulanger. Le boulanger achète sa farine et fabrique son pain. Le paysan-boulanger cultive son blé, produit sa farine et fabrique son pain. Pour l'herboristerie c'est la même chose : il y a des herboristes qui achètent des plantes et vendent des tisanes et il y a des paysans-herboristes qui cultivent et cueillent leurs plantes et fabriquent et vendent leurs préparations. Les paysans-boulangers comme les paysans-herboristes sont à ce titre des « hommes-filières » puisqu'ils interviennent à toutes les étapes du processus de production.

Il y a bien sûr de nombreuses différences entre la boulangerie et l'herboristerie et je reviens sur une en particulier. Je n'ai pas de chiffres, mais je pense qu'il y a en France clairement moins de paysans-boulangers que de boulangers. Or, ce n'est pas nécessairement la même chose pour l'herboristerie. Sur l'ensemble du territoire français, il y aurait entre 700 et 800 paysans-herboristes. À titre d'exemple, à proximité immédiate de ma commune de Corrèze, il y a 5 paysans-herboristes mais aucune boutique d'herboristerie.

Pour autant, les herboristes et les paysans-herboristes ne doivent pas être opposés puisqu'ils exercent leur métier en complémentarité. Si les consommateurs urbains s'adressent surtout à des herboristeries, les consommateurs installés en milieu ruraux s'adressent davantage aux paysans-herboristes. Mais les paysans-herboristes vendent également leurs plantes à des consommateurs urbains. Comme nous allons le voir en détaillant les résultats de l'enquête, les consommateurs cherchent à acheter des plantes médicinales issues de l'agriculture biologique, mais également des plantes locales, cultivées sur leur terroir.

La thèse que j'ai consacrée aux paysans-herboristes m'a permis de détailler la matérialité de leur mode de production : leur rapport à la règlementation et leur engagement pour l'herboristerie. Surtout, elle m'a amenée à appréhender l'étendue de leurs savoirs. En effet, les paysans-herboristes disposent pour la plupart de diplômes agricoles, ils ont donc suivi des formations professionnelles consacrées à la production de plantes médicinales. Ils sont également nombreux à suivre les enseignements par correspondance dispensés par les écoles privées d'herboristerie.

Mais surtout, la formation du paysan-herboriste est une auto-formation au long cours. Avant de s'installer dans leurs activités, les producteurs suivent de nombreux stages chez des paysans-herboristes déjà installés. Ils y apprennent des techniques, ils expérimentent, testent, pratiquent, goûtent les plantes. Une fois installés sur leur propre ferme, ce goût pour le savoir ne les quitte pas. Ils se constituent d'impressionnantes bibliothèques, fréquentent des lieux de savoirs comme le musée ethnologique de Salagon, situé dans les Alpes-de-Haute-Provence, dispensent leurs connaissances dans le cadre d'ateliers qu'ils organisent pour leur clientèle. Certains écrivent des livres, recueillent des témoignages d'usages populaires et beaucoup reçoivent à leur tour sur leur ferme de nombreux stagiaires.

Le deuxième enseignement qui ressort de ma recherche doctorale porte sur l'attachement des paysans-herboristes au monde végétal. Les plantes sont loin d'être considérées comme des outils de travail. Elles sont chéries et choyées. Cela se traduit par des produits herboristiques très qualitatifs et par une attention particulière portée aux questions environnementales. Les paysans-herboristes que j'ai rencontrés travaillent tous dans les conditions de l'agroécologie. Lorsqu'ils cueillent leurs plantes à l'état sauvage, ils prêtent une attention particulière à la gestion de la ressource. Ce rapport particulier au végétal interpelle les consommateurs car ce discours les reconnecte à leur santé, à leur environnement.

Je vais donc reprendre l'analyse des résultats de l'enquête qu'a commencé à vous présenter Jean-Baptiste Gallé.

Comme je vous le disais, les consommateurs sont très attentifs à la qualité des plantes médicinales qu'ils achètent. L'enquête montre que le critère qui détermine le plus leur achat de plantes médicinales porte sur les conditions de culture et de cueillette des plantes. Les informateurs souhaitent consommer des plantes produites dans les conditions de l'agriculture écologique. A contrario, le prix est le critère le moins mentionné par les répondants à l'enquête, donc a priori le moins déterminant dans leur choix de consommation.

Pour identifier les caractéristiques écologiques des préparations herboristiques qu'ils achètent, les consommateurs utilisent et valorisent les labels comme le logo AB, mais aussi les marques privées comme la marque Simples, la marque Nature et Progrès ou encore la marque Demeter.

La moitié des informateurs affirment également que c'est le contact direct avec un producteur qui a le plus d'influence sur leur choix de consommation. Cela montre qu'ils sont en attente et valorisent les circuits courts.

D'ailleurs une large majorité de répondants, près des trois quarts de l'échantillon, affirme utiliser préférentiellement des plantes locales. Cette préférence est en partie motivée par un argument écologique : l'impact énergétique des plantes achetées localement serait moindre que celui des plantes exotiques. En plus de l'argument écologique, les répondants estiment également qu'il y aurait suffisamment de diversité floristique sous nos latitudes pour fournir un panel de plantes médicinales intéressant l'herboristerie.

Les consommateurs sont en attente de conseils concernant les usages des préparations qu'ils achètent. En effet, la grande majorité des informateurs estime qu'un produit réalisé à partir de plantes médicinales comporte un risque d'utilisation. L'enquête a permis de montrer quels sont ces risques pressentis par les consommateurs. Différents types de risques ont été évoqués : le premier porte sur un mauvais dosage. Le deuxième implique l'utilisation de plantes toxiques, allergisantes ou contre-indiquées dans certaines situations, comme une grossesse par exemple. Le troisième risque porte sur les confusions entre les plantes ou entre leur usage. Enfin un dernier risque est relatif à la mauvaise qualité des plantes ou aux mauvaises conditions de préparation des remèdes à base de plantes.

La grande majorité des informateurs, 94 %, considèrent toutefois que la tisane présente peu de risques, même lorsqu'elle est employée dans le cadre d'une pratique d'automédication.

Les usagers de l'herboristerie s'adressent à différents professionnels pour acheter des préparations à base de plantes médicinales, mais ils perçoivent des différences de qualités dans les produits distribués par ces professionnels. Pour la moitié des usagers de l'herboristerie, ce sont les herboristes et les paysans-herboristes qui sont perçus comme vendant les plantes de meilleure qualité. Viennent ensuite les vendeurs en boutique diététique, les pharmaciens, les vendeurs sur internet et en dernier les grandes surfaces.

Les plantes vendues par les pharmaciens recueillent donc la préférence d'une très faible part des usagers de l'herboristerie : seulement 6,2 % des informateurs pensent que ce sont les pharmaciens qui distribuent les plantes de meilleure qualité.

Cela montre bien que les usagers de l'herboristerie ont conscience des limites de la situation actuelle et qu'ils souhaitent la voir évoluer. Ils sont en effet plus de 88 % à estimer que le réseau des pharmacies d'officine n'est pas suffisant pour assurer la délivrance des plantes médicinales simples ou transformées.

La solution qu'ils envisagent semble impliquer le rétablissement d'un diplôme d'herboriste : 91 % des informateurs souhaitent en effet sa recréation. Différents arguments ont été évoqués par les informateurs pour justifier ce positionnement. Tout d'abord, certains sont favorables à la création d'un diplôme d'herboriste qui impliquerait la création de nouveaux lieux de vente, de façon à combler un manque. D'autres affirment que le rétablissement d'un diplôme d'herboriste devrait permettre de légaliser l'exercice d'un métier qui existe déjà et qui n'a jamais cessé d'exister. Enfin deux autres arguments ont été évoqués : le premier consiste à dire que le diplôme d'herboriste devrait permettre d'encadrer les pratiques des professionnels et d'éviter les dérives ce qui permettrait donc de rassurer les consommateurs. Le dernier argument se positionne surtout en faveur de la création d'une formation publique, donc gratuite, d'herboriste.

Une question de notre enquête portait sur la règlementation que les informateurs souhaiteraient voir appliquer sur les produits de l'herboristerie. Plus de la moitié des interrogés estiment que les plantes médicinales ne devraient pas faire l'objet d'une règlementation identique à celle utilisée pour homologuer les médicaments.

Un des arguments avancés pour justifier cette position consiste à dire que cette réglementation est trop lourde et trop coûteuse pour les petites structures que sont les herboristeries. Un autre argument porte sur les protocoles de validation scientifique qu'implique cette règlementation. En effet, une part importante des informateurs pensent que les indications des plantes n'ont pas besoin d'avoir été prouvées scientifiquement pour être fiables. Ils estiment que le savoir traditionnel suffit à garantir leur efficacité, puisqu'ils comportent des traditions d'usage qui ont été validées par la pratique.

En définitive, l'enquête a permis de constater que les informateurs ont une connaissance assez fine de la filière et des attentes claires concernant la réhabilitation du métier d'herboriste.

Tout d'abord, il apparaît que les informateurs sont en recherche de plantes cultivées et cueillies de façon agroécologique et veulent acheter préférentiellement des espèces propres à leur terroir. L'enquête a également permis de constater que les usagers de l'herboristerie sont peu nombreux à acheter leurs plantes médicinales en pharmacie, notamment parce que la qualité des plantes fournies en officine ne semble pas correspondre à leurs attentes.

Les informateurs préfèrent acheter leurs plantes médicinales chez les herboristes de comptoir ou auprès des paysans-herboristes. Les enquêtés connaissent en effet ces deux métiers et en donnent des définitions réalistes. En plus de la différence principale qu'ils notent, et qui porte sur l'approvisionnement en plantes, les informateurs distinguent également les savoirs de ces deux herboristes. Le paysan-herboriste est décrit comme un fin connaisseur de son terroir et des plantes qu'ils récoltent tandis que l'herboriste de comptoir est décrit comme disposant avant tout de connaissances scientifiques, plus exhaustives peut être, sur un plus grand nombre de plantes.

Pour finir, je souhaiterais revenir sur deux chiffres déjà cités mais qui me semblent particulièrement parlants : 88,2 % des enquêtés estiment que le réseau des pharmacies d'officine n'est pas suffisant pour assurer la délivrance des plantes médicinales simples ou transformées, et 91 % des informateurs sont favorables au rétablissement d'un diplôme et donc d'un statut d'herboriste.

Mme Isabelle Robard. - Je suis très heureuse de participer aujourd'hui à ce débat qui me tient à coeur car ma mère a tenu pendant 25 ans un magasin d'alimentation qui avait un petit département d'herboristerie, dans le respect strict de la loi, avec des plantes non mélangées entre elles. C'est un sujet de coeur, lié à mon enfance, mais également un sujet que je suis depuis plus de 20 ans et qui m'amène à des réflexions car mes activités sont multiples : je suis sur le terrain du contentieux mais mon cheval de bataille est aussi la prévention juridique. Je pense qu'un mauvais compromis vaut mieux qu'un mauvais procès. J'essaie également d'apporter ma contribution modeste vis-à-vis des ministères. J'enseigne enfin le droit pharmaceutique et la réglementation des produits frontières en faculté de pharmacie et de droit.

Je tiens tout d'abord à féliciter le Sénat pour cette initiative car je pense que c'est un sujet sensible, qui a fait l'objet récurrent de questions parlementaires mais qui n'a jamais eu le temps d'être posé.

Je ne suis pas étonnée que le Sénat se mobilise sur le sujet, puisque la commission des affaires sociales m'avait déjà apporté son soutien sur un projet antérieur, visant à faire intégrer la pharmacopée ultramarine au code de la santé publique.

L'automédication est en augmentation constante, les français aspirent de plus en plus au confort, ils s'instruisent sur internet, dans les livres et dans les ouvrages. Le marché de l'automédication, comprenant les dispositifs médicaux et les compléments alimentaires, s'élève à 1,57 million d'euros, d'après les chiffres fournis par l'Afipa, l'association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable. On note également que 64 % des compléments alimentaires sont à base de plantes, d'après les chiffres fournis par le syndicat national des compléments alimentaires, le Synadiet.

On voit qu'il y a des enjeux économiques et éthiques, autour de la protection environnementale, ainsi que des enjeux juridiques. Il y a pour moi plusieurs problématiques.

Je vais commencer par l'outre-mer. Depuis l'arrêté du 24 juin 2014 qui fixe la liste des plantes pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires, si je veux aujourd'hui faire entrer un complément alimentaire à base de banane dans la variété musa acuminata, ça ne sera pas possible. Lorsque cet arrêté a été pris, l'outre-mer a encore été oublié : les plantes ultramarines n'ont pas été intégrées de façon suffisante.

Une autre problématique concerne les allégations. Le droit pharmaceutique classique nous dit, en vertu du code de la santé publique, que l'on ne peut pas apposer une allégation ni à titre préventif ni à titre curatif sur un produit quel qu'il soit. Le règlement européen 1924/2006 est venu créer un statut pour les allégations de santé afin de faire le tri dans les abus. Il y a effectivement besoin d'un cadre. Mais je ne pense pas que la réponse donnée, à travers l'utilisation du terme « consommateur moyennement avisé » dans le droit de l'union européen, soit la bonne et que le consommateur doive être privé d'information. Il y a une réflexion à mener sur ce sujet, et celle-ci est déjà engagée par la DGCCRF. J'ai l'occasion d'entretenir des contacts avec ce service, notamment avec M. Guillaume Cousyn, qui porte la voix de la France en Europe sur le sujet de la validation des allégations au niveau européen. Le droit actuel n'a pas intégré la notion d'usage traditionnel de la plante. Le débat consiste à permettre au consommateur d'accéder à cette information, au lieu d'aller la chercher sur internet ou dans un livre. Le consommateur a également envie d'être responsabilisé et proactif dans l'utilisation des plantes et dans la gestion de sa santé et de son bien-être.

Il y a aujourd'hui un statu quo pour les allégations autorisées concernant les plantes, c'est-à-dire qu'il y a une liste provisoire mais non validée. Cela implique que nous n'avons pas le droit d'apposer une allégation sur les plantes. Les sanctions peuvent aller de la simple contravention, de 3ème classe, c'est-à-dire 1 500 euros maximum d'amende, jusqu'à la peine pour cause de publicité trompeuse, qui va jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende au titre du code de la consommation.

La France doit renouer avec la tradition herboristique et se donner les moyens d'adapter le système juridique à la demande des consommateurs. La création d'emplois, loin de venir concurrencer les pharmaciens d'officine, va également venir compléter leur action. Il n'y a pas de concurrence, il y a à mon avis complémentarité.

Nous avons été capables de créer des statuts juridiques intermédiaires entre l'aliment brut et le médicament, nous avons été capables de créer le produit diététique, le complément alimentaire. Mais nous n'avons pas accompagné ce phénomène de création de catégories juridiques intermédiaires entre l'aliment et le médicament par des professionnels intermédiaires entre le pharmacien d'officine et la grande surface. C'est la réflexion que j'appelle aujourd'hui à mener.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Vous pratiquez vos métiers avec passion et je note également une certaine part de poésie dans vos propos.

Trois niveaux de métiers sont souvent évoqués : les paysans-herboristes, les commerçants-herboristes et les pharmaciens-herboristes. Faut-il évoluer vers la reconnaissance de ces trois métiers ? Le cas échéant, comment voyez-vous la structuration de cette profession si elle était mise en place et l'articulation entre ces métiers ?

Concernant la vente directe, quelles évolutions législatives et règlementaires seraient nécessaires pour sécuriser à la fois les producteurs et les consommateurs ?

Enfin pensez-vous qu'il faille encadrer la vente sur internet ?

Mme Carole Brousse. - Paysans-herboristes, pharmaciens et négociants sont bien trois professions différentes, avec des compétences et des connaissances propres. À titre d'exemple, le premier a des connaissances agricoles qui ne sont pas nécessairement requises pour exercer les autres métiers, mais la définition précise des compétences de chacun d'eux serait un travail complexe, tant ils travaillent en complémentarité.

M. Jean-Baptiste Gallé. - Sur cette question des métiers et des compétences, je me demande s'il ne faudrait pas que l'ordre des pharmaciens reconnaisse à part entière le métier de pharmacien-herboriste, parallèlement à la mise en place d'une formation complémentaire adaptée. A l'heure actuelle, les connaissances en phytothérapie intégrées dans le cursus de pharmacie ne sont pas suffisantes. Preuve en est le nombre de pharmaciens qui complètent leur formation initiale par des diplômes universitaires spécialisés ou des formations dans des écoles d'herboristerie.

Pour l'herboriste-négociant, le contrôle de la qualité et la traçabilité de la plante sont des composantes essentielles du métier, qui ne sont pas les mêmes que celles qui pèsent sur le paysan-herboriste qui maîtrise l'ensemble de la chaine de production.

Concernant les évolutions réglementaires et législatives, il me semble que la liste des 148 plantes autorisées hors monopole est insuffisante. En sont par exemple exclus le bluet, le calendula, la feuille de noisetier ou la racine de pissenlit, alors que ce sont des plantes présentant une sécurité d'emploi, utilisées sous la forme de plantes sèches en tisanes.

On trouve en effet sur Internet des sites de vente douteux mais difficiles à contrôler car ils disparaissent aussi vite qu'ils réapparaissent sur la toile.

Mme Isabelle Robard. - Je plaide depuis longtemps pour la création de ces trois métiers autour de l'herboristerie, que j'envisage pour ma part moins de façon pyramidale que juxtaposée, les pharmaciens coexistant avec des herboristes de boutique, tel Michel Pierre.

Je suis d'accord avec l'idée qu'il faille renforcer la formation des pharmaciens pour ceux qui désirent également se positionner en tant qu'herboristes.

Par ailleurs, on pourrait tout à fait, comme pour les ostéopathes dont la profession a été reconnue hors du champ des professionnels de santé, mettre en place un titre professionnel de paysan-herboriste, délivré sur la base d'un référentiel métier, et dont l'utilisation abusive serait sanctionnée. Ce titre serait gage de transparence mais aussi de qualité pour le consommateur.

Mme Marie-Pierre Monier. - Comme l'a relevé notre rapporteur, je sens chez vous cette passion autour de la plante et la richesse de vos savoirs. Mme Robard, pourriez-vous nous préciser les conséquences de l'interdiction pour les paysans-herboristes de mentionner des allégations de santé ?

Mme Isabelle Robard. - Il y a quelques années, un paysan qui vendait un sachet de plantes sur un marché pouvait encore mentionner les usages traditionnels de la plante concernée. Aujourd'hui, même cette mention est devenue impossible, puisqu'une réglementation européenne a dressé une liste d'allégations autorisées, en dehors desquelles on est dans l'illégalité. Un simple guide d'utilisation qui serait disposé sur la table de vente tomberait sous le coup de cette interdiction.

Mme Marie-Pierre Monier. - Mme Brousse et M. Gallé, j'ai lu avec un grand intérêt les résultats de votre enquête, qui montrent notamment l'augmentation de la consommation de plantes. Une enquête similaire antérieure existe-t-elle ?

Mme Carole Brousse. - L'enquête publiée en 2016 sur le site de la Fédération des paysans-herboristes a repris les questions formulées par le collectif Populus, dont les résultats avaient été publiés en 2006. Nous commençons donc un travail de comparaison entre les matériaux collectés en 2016 et ceux recueillis 10 ans auparavant.

M. Pierre Médevielle. - En tant que pharmacien, laissez-moi vous dire mon étonnement que le réseau des pharmacies d'officine soit jugé insuffisant, alors que celui-ci repose sur un maillage territorial exemplaire.

Quant à la formation des pharmaciens, que vous estimez incomplète, il me semble également que le cursus permet d'acquérir une base solide en biologie végétale, en pharmacologie ou encore en toxicologie et propose parallèlement des diplômes universitaires spécialisés en aromathérapie, en phytothérapie ou en mycologie.

Je suis donc inquiet que la création d'un diplôme d'herboriste, en tant que tel, nivelle la formation par le bas et encourage les pratiques abusives qui fleurissent ici et là.

L'analogie que vous avez-vous-même proposé avec le métier d'ostéopathe est intéressante : comment faire le tri entre les médecins-ostéopathes, les kinésithérapeutes-ostéopathes et les ostéopathes diplômés des écoles d'ostéopathie ? Ne va-t-on pas se retrouver dans la même confusion en matière d'herboristerie ?

Mme Isabelle Robard. - De fait, le marché de la plante est aujourd'hui un phénomène incontournable. Il faut accompagner ce phénomène pour le cadrer. Les paysans-herboristes ne sont pas une menace pour les pharmacies, d'autant que leur champ d'activité est local et géographiquement restreint.

En Guadeloupe, le Docteur Henry Joseph, docteur en pharmacie et en pharmacognosie, avec lequel j'ai des échanges réguliers, reconnait que la formation de pharmacien, en particulier s'agissant de la botanique, peut-être insuffisante, et que ces lacunes peuvent entrainer des erreurs de délivrance aux usagers.

L'analogie avec les ostéopathes est porteuse d'enseignements : alors que la reconnaissance de leur profession dans la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé de mars 2002 avait suscité des craintes, une enquête du Docteur Rougement a prouvé depuis que la plupart des accidents d'ostéopathie sont d'abord le fait de médecins. La coexistence entre médecins et ostéopathes est, d'ailleurs, tout à fait entrée dans les moeurs. De même les paysans-herboristes et les pharmaciens échangent régulièrement entre eux avec beaucoup de courtoisie et de respect.

M. Pierre Médevielle. - Selon quel critère vous basez-vous pour dire que les pharmaciens auraient une formation botaniste insuffisante ou pour dire que les médecins ont une formation insuffisante en ostéopathie, alors même que certains ont une spécialisation très poussée en rhumatologie ?

Mme Isabelle Robard. - En 2011, les conditions de formation des médecins et des ostéopathes ont été renforcées. Le besoin de remise à niveau est permanent.

Mme Angèle Préville. - Merci pour vos exposés clairs et précis. Face à l'appétence de nos concitoyens pour les plantes, notre désir est de faire avancer les choses.

S'agissant de la liste des 148 plantes autorisées à la vente dont vous préconisez l'extension, avez-vous déjà établi un projet de liste complémentaire et celle-ci serait-elle compatible avec la règlementation européenne ?

Concernant les allégations, dont je comprends que leur formulation peut faire basculer le produit vendu dans la catégorie des médicaments, n'y a-t-il pas une distinction à opérer entre l'indication thérapeutique, qui serait proscrite, et l'indication purement informative, selon laquelle telle plante « favoriserait » tel ou tel effet bénéfique ?

M. Maurice Antiste. - Les plantes ultra-marines, en particulier celles de Guadeloupe et de Martinique, font-elles partie de votre matière de recherche ? Par ailleurs, une partie de vos études est-elle réservée aux plantes toxiques et aux contrepoisons ? Dans les outre-mer, on dit que pousse toujours, à côté du dangereux mancenillier, un bel olivier...

M. Pierre Louault. - On sait aujourd'hui qu'à côté des compléments alimentaires et des plantes à tisane coexistent des plantes qu'on peut qualifier de médicinales et qui, à forte dose, deviennent des poisons : n'y a-t-il pas besoin aujourd'hui d'établir un véritable classement des plantes ? J'ai la chance d'avoir pu récupérer trois registres d'herboristes, de 1885 à 1960. Y figurent de véritables prescriptions médicales faites de mélanges de plantes. L'herboriste soignait à cette époque-là ! Si on veut progresser dans la consommation des plantes et démontrer leur efficacité, il me semble que l'établissement d'un protocole plus strict pour les plantes véritablement médicinales participerait à sécuriser leur usage.

Entre le savoir du paysan-herboriste et la prescription médicale d'une plante, visant par exemple à réduire le taux du fer dans le sang, on ne peut envisager le même protocole. Nous avons tous intérêt à réduire l'obscurantisme dans cette matière, me semble-t-il.

M. Raymond Vall. - Je voudrais revenir sur le métier de paysan-herboriste : pouvez-vous préciser le niveau de connaissance requis ? On constate d'un côté un déficit de production significatif et de l'autre un intérêt croissant des jeunes pour la production de plantes médicinales. La problématique est bien de savoir comment conforter dans les territoires des productions de qualité, alors que 80 % des plantes sont importées actuellement. La question du contrôle des plantes médicinales se pose également, sachant que pour les grandes cultures cette procédure présente un coût très important. Par ailleurs, si les exigences sont trop élevées en termes de formation, ne va-t-on pas décourager des jeunes qui souhaiteraient se lancer dans la production de plantes ? Enfin, comment pourrait-on obtenir un agrément plus scientifique, et reconnu par tous, des vertus des plantes ?

M. Bernard Delcros. - Je m'associe aux questions posées précédemment. Il existe un intérêt croissant de la part de nos concitoyens pour l'herboristerie, en réaction notamment aux dérives de la société de consommation. Il y a de véritables enjeux de santé publique, de filière, d'aménagement du territoire et de société autour de ce sujet. Nous n'apporterons pas de réponse pertinente en prenant des positions défensives : il nous faut au contraire accompagner ce développement pour le sécuriser. Il importe donc de prendre en compte les attentes qui s'expriment et ce qui se passe sur le terrain.

M. Jean-Baptiste Gallé. - Concernant l'insuffisance du réseau de vente de plantes sèches, j'ai profité d'être arrivé en avance pour visiter plusieurs pharmacies du quartier à la recherche de bleuet : sur douze officines, une seule en avait à disposition, les autres m'ont soit proposé d'en commander, soit m'ont renvoyé vers une herboristerie. Il faut donc considérer que la plupart des pharmacies n'ont pas de stock de plantes sèches - même si la situation n'est peut-être pas la même en plein centre de Paris que dans une zone rurale. Mme Alix Courivaud, chef du pôle marchés à la direction marchés études et prospective de FranceAgriMer, avait indiqué lors de son audition que 110 tonnes de plantes sèches pour tisanes étaient vendues en moyenne chaque année dans les pharmacies, ce qui représente 5 kilogrammes par officine. Certains pharmaciens développent fortement cet aspect, mais en termes de volume cela représente quand même trente fois moins que les grandes et moyennes surfaces.

La formation pharmaceutique est en effet solide dans différentes disciplines - la galénique, la toxicologie, etc. Il faut bien distinguer la pharmacognosie - l'étude de la substance active isolée - et la phytothérapie, qui porte plus sur une approche globale du soin par les plantes. À Strasbourg par exemple, une trentaine d'heures de cours de phytothérapie est dispensée sur l'ensemble du cursus, une vingtaine d'heures d'aromathérapie et une quinzaine d'heures de conseil officinal. Cette formation apparaît insuffisante pour un pharmacien souhaitant se spécialiser en phytothérapie. Il existe toutefois la possibilité de compléter ce socle de connaissances grâce à un diplôme universitaire spécialisé en phyto-aromathérapie.

Sur la liste des 148 plantes libérées, il s'agit bien d'une règlementation française.

En ce qui concerne les allégations nutritionnelles ou de santé qui s'appliquent aux compléments alimentaires, elles ne doivent pas parler de maladie ni d'actions pharmacologiques, mais seulement physiologiques. S'agissant de la place des plantes ultramarines et tropicales dans les études de pharmacie, la plupart des plantes étudiées durant le cursus sont hexagonales ou européennes.

La toxicologie constitue un socle à part entière des études de pharmacie ; les contrepoisons sous forme de plantes ne font en revanche pas partie du champ.

Des comités d'expert ont statué sur les propriétés traditionnellement reconnues des plantes médicinales et des corpus de référence sont disponibles, comme les travaux de la Commission E en Allemagne, avec une indication des posologies pour chaque plante.

Sur la question du niveau de connaissances du paysan-herboriste, il pourrait être envisagé de créer, à la suite du brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole, un certificat de spécialité afin de maîtriser les propriétés des plantes, sans bien sûr empiéter sur le terrain de la pharmacie. Chaque métier disposerait ainsi d'un champ d'application bien défini, en permettant de maintenir une bonne sécurité d'emploi des plantes. Pour un paysan-herboriste, la traçabilité est assurée du fait qu'il s'agit de sa propre production. De surcroît, la plupart des paysans-herboristes travaillent en vente directe ou avec un seul intermédiaire.

Mme Carole Brousse. - Je suis anthropologue et c'est à ce titre que j'interviens ici. L'idée d'un classement négatif des plantes me paraît intéressante, sous forme d'une liste regroupant toutes les plantes toxiques interdites à la vente, comme c'est déjà le cas pour les huiles essentielles. Il a été question d'obscurantisme, ce qui me donne l'occasion de dire que l'anthropologie n'est pas moins scientifique que la biochimie ou la pharmacognosie. Au sein de l'anthropologie, il existe un champ qui s'appelle l'ethnobotanique et dont l'objet est l'étude des relations entre les hommes et les plantes. Les ethnobotanistes se sont particulièrement attachés à relever les traditions d'usage des plantes médicinales. Ces matériaux, recueillis selon un protocole rigoureux, ne sont pas moins scientifiques que des études biochimiques sur les propriétés des plantes. Si les gens utilisent depuis des centaines d'années du tilleul pour s'endormir, c'est en raison de sa non-toxicité et de sa capacité à favoriser le sommeil. On peut donc utiliser ces matériaux pour réfléchir à quels devraient être les savoirs de l'herboriste.

M. Pierre Louault. - En tant qu'anthropologue, vous connaissez parfaitement toute l'influence des croyances sur l'équilibre des gens. Dans la relation avec les plantes, il y a une part de qualité spécifique de la plante, mais aussi une relation de l'homme à la plante.

Mme Carole Brousse. - Vous avez raison et cet attachement au végétal ne nuit d'ailleurs pas à son potentiel thérapeutique.

M. Pierre Louault. - Tous les gens n'ont pas la même foi cependant, mais attendent un résultat identique !

Mme Isabelle Robard. - En ce qui concerne les outre-mer, un travail remarquable d'ethnobotanique et d'ethnopharmacologie est effectué depuis plus de trente ans dans le cadre du programme Tramil qui regroupe 200 chercheurs issus de pratiquement tous les continents. Ces travaux aboutissent à la publication d'une pharmacopée caribéenne et procèdent à un classement des plantes en trois catégories : « Rec » pour les plantes recommandées, identifiées à partir d'un sondage des usagers et de la synthèse des références bibliographiques au niveau mondial ; « Tox » pour celles possiblement toxiques ; enfin, « Inv » pour celles sur lesquelles des investigations sont en cours à défaut d'information.

Cette méthodologie remarquable s'est mise en place sans aucun moyen financier, grâce au concours de chercheurs bénévoles auxquels je tiens à rendre hommage. Elle apporte une somme de connaissances. Nous avons beaucoup à apprendre des outre-mer, qui peuvent montrer l'exemple sur un sujet comme celui-ci.

Le débat qui s'engage au sein de votre mission d'information est important et ne doit plus être occulté. Nous pouvons demain réunir suffisamment de données pour prétendre élargir la liste de 148 plantes sans aucun danger.

Pour les paysans-herboristes, il n'est pas question de venir concurrencer les pharmaciens. Il est important de distinguer la vente de plantes à des professionnels et celle aux consommateurs directs. Je ne pense pas que mettre en place une formation de paysan-herboriste risquerait de dissuader des jeunes de s'installer. Un cadre doit être fixé.

J'attire enfin votre attention sur l'accord de Nagoya relatif à la protection de la biodiversité. Nous avons des comptes à rendre aux générations futures. C'est également un enjeu de santé publique. Je pense que les paysans-herboristes pourraient devenir les gardiens de notre patrimoine végétal. Une méthode de travail doit aujourd'hui être définie pour établir un référentiel de formation des paysans-herboristes.

M. Joël Labbé, rapporteur. - Merci à tous pour vos interventions passionnées et passionnantes. Je retiens vos propos sur les outre-mer, dont il nous faudra entendre des acteurs dans le cadre de notre mission.

La réunion est close à 17 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.