Mercredi 16 mai 2018

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Table ronde « Formation professionnelle »

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, avant de passer au premier point de notre ordre du jour de ce matin, je vous indique que le Gouvernement a déposé deux amendements sur la proposition de loi sur la revalorisation des retraites agricoles qui sera examinée en séance publique cet après-midi à partir de 18 h 30.

Je demanderai donc à notre rapporteur, Dominique Watrin, de bien vouloir nous donner son avis sur ces deux amendements, à l'issue de la table ronde sur la formation professionnelle. Il ne s'agit bien sûr pas de rouvrir un débat sur la proposition de loi, qui a déjà eu lieu au sein de notre commission et qui aura lieu de nouveau en séance publique...

J'en viens maintenant à notre ordre du jour principal.

Après l'audition des responsables de l'Unédic, le 4 avril dernier, de spécialistes de l'assurance chômage, le 16 avril, nous poursuivons donc nos travaux dans la perspective de l'examen du projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 27 avril dernier.

Pour parler du volet « formation professionnelle » de ce texte, nous accueillons les représentants d'un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) interprofessionnel : Mme Céline Schwebel, présidente, de MM. Jean-Philippe Maréchal, vice-président, et Joël Ruiz, directeur général, de l'Agefos-PME ; ainsi qu'un expert en droit de la formation, M. Jean-Marie Luttringer.

M. Bertrand Martinot ne peut être présent ce matin. Son audition est reportée à une date ultérieure. Je demanderai à nos invités de nous présenter les enjeux de cette réforme, alors que le projet de loi va bien au-delà de l'accord national interprofessionnel négocié par les partenaires sociaux. Les compétences sont un enjeu majeur pour notre pays. Pensez-vous que ce texte réponde au besoin de réforme de notre formation professionnelle ?

Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à mes collègues.

M. Jean-Marie Luttringer, expert en droit de la formation. - Monsieur le président, je vous remercie pour cette invitation. Je suis un expert indépendant, consultant en droit et politique de formation, anciennement directeur de la formation et de l'emploi dans une grande entreprise et professeur associé en droit du travail à l'université de Nanterre. Le regard que je porte sur cette réforme est donc principalement juridique.

Il s'agit non pas d'une réforme de tuyauterie, mais d'une réforme s'inscrivant dans le long terme et ayant pour but de bouleverser en profondeur les structures de la formation professionnelle. Il y a les intentions politiques affichées par le Président de la République et le Gouvernement, mais celles-ci doivent dorénavant être inscrites dans le marbre de la loi, ce qui est de votre responsabilité.

Je vous exposerai ma réflexion autour de trois expressions clés : droit universel ; désintermédiation ; investissement immatériel.

Tout d'abord, droit universel. Tout le monde connaît ce concept. Il signifie que toute personne, quel que soit son statut, quelle que soit sa situation, quel que soit le territoire sur lequel elle se trouve puisse disposer d'un droit opposable à un employeur ou à une collectivité publique. Il s'agit d'un droit effectif, c'est-à-dire qu'il existe des ressources pour le faire appliquer, et, le cas échéant, opposable, c'est-à-dire que, si le droit n'est pas respecté, on peut aller en justice. Le dernier droit de ce type qui a été construit était le droit opposable au logement.

Dans l'étude d'impact accompagnant la réforme, il est indiqué que le compte personnel de formation vise à l'universalité, mais il s'agit de savoir comment cette universalité peut s'appliquer concrètement.

D'abord, dans la mention d'un CEP pour tous les actifs occupés, qu'entend-on par actifs occupés ? Il y a évidemment les salariés titulaires d'un contrat de travail, mais un demandeur d'emploi peut aussi être considéré comme un actif occupé. Il y a également les 4 millions de travailleurs non salariés, mais est-ce que le droit opposable a le même sens pour eux ou pour les fonctionnaires ? Il est dit que ce droit s'arrête en principe à la retraite, mais il est dit également que l'abondement d'un compte personnel de formation au titre d'activités bénévoles peut continuer après. S'agissant d'un travailleur indépendant ou d'un d'autoentrepreneur qui continue à travailler après la retraite, que devient son compte ? Est-il fermé ?

Il y a donc une première problématique, liée à la définition même du public concerné par ce droit universel. Le débat parlementaire devra clarifier cette question.

Pour que ce droit universel soit effectif, il faut des ressources, des moyens. Pour les salariés du secteur privé, il y a effectivité à partir du moment où le CPF est alimenté à hauteur de 500 euros par an, le plafond de 5 000 euros étant atteint au bout de 10 ans. Si le salarié utilise régulièrement son CPF, il pourra avoir bénéficié de l'équivalent de 20 000 euros pour une carrière de 40 ans.

La question est de savoir ce que cette ressource permet d'acheter. À l'évidence, elle ne sera pas suffisante. Le Gouvernement table donc sur des abondements, dont certains auront un caractère obligatoire et d'autres un caractère aléatoire. Il me semble qu'il y a un non-dit dans cette construction : très logiquement, on ira vers du co-investissement, c'est-à-dire une contribution beaucoup plus importante des ménages au financement de leur propre formation. Aujourd'hui, en France, cette contribution s'élève à 1,5 milliard d'euros, contre 15 ou 16 milliards en Allemagne. La question est de savoir si cette augmentation de l'effort demandé aux ménages sera compatible avec l'objectif d'égalité d'accès à la formation

En résumé, je dirai que le régime juridique de ce droit universel mérite d'être précisé, mais je trouve l'intention tout à fait louable.

La deuxième expression clé est la désintermédiation. L'objectif stratégique et politique affiché par le Gouvernement et par le Président de la République, à l'occasion de sa campagne, est de diminuer l'intervention des partenaires sociaux dans la gestion du système de la formation professionnelle.

Toute personne disposera d'un compte monétisé géré par la Caisse des dépôts et consignation. Cette « vieille dame » aura donc à gérer environ 40 millions de comptes. Elle assurera une mission de prestation de service de financement, mais également une mission d'information. Si on la met en relation avec France compétences et avec l'Urssaf, on obtient un triangle d'or d'institutions publiques ou parapubliques, qui vont assurer, sous la responsabilité de l'État stratège, la régulation du système. Les partenaires sociaux, par l'intermédiaire notamment des OPCA, sont rétrogradés, si je puis dire, au rang d'opérateurs de compétences qui devront justifier de la pertinence de leurs interventions.

Une nouvelle donne, un nouveau contexte est donc en train de se mettre en place. Mais si l'intermédiation financière est renvoyée à l'État, quid du lien entre le demandeur de de formation et le prestataire de formation ? La formation n'est pas un produit sur étagère que l'on achète. Elle suppose un projet, une réflexion préalable, ce qui pose la question de la fonction d'accompagnement et de conseil, qui sera déterminante. Celle-ci devra donc être pourvue de véritables moyens et confiée à de véritables professionnels, faute de quoi la réforme sera un échec.

Historiquement, le modèle d'intermédiation actuel a été construit en 1971 avec la loi dite Chaban-Delors, dans le cadre du projet de « Nouvelle société ». Un clin d'oeil lui est adressé dans l'exposé des motifs, alors que la philosophie de cette Nouvelle société était justement l'inverse du mouvement qui se prépare. À l'époque, l'enjeu était de donner plus de marges de manoeuvre aux partenaires sociaux ; aujourd'hui, l'État veut reprendre la main. Cela ne signifie pas du tout que le dialogue social et les partenaires sociaux n'ont pas un rôle à jouer, mais ce rôle est délocalisé de la structure nationale interprofessionnelle vers la branche et l'entreprise. C'en est fini de l'exception française en la matière, à condition que le pari de la restructuration des branches réussisse pour passer de 500 champs conventionnels à une cinquantaine ou une centaine, avec une capacité d'action très forte. Le sujet ne concerne pas directement la formation, mais il aura un impact déterminant sur la réussite de la réforme. Si le pari de la « remusculation » des branches n'est pas tenu, il y a un risque d'échec pour la nouvelle régulation de la formation professionnelle que les pouvoirs publics appellent de leurs voeux.

Enfin, la troisième expression clé est l'investissement immatériel. On dit aux entreprises : vous devez investir, mais dans un domaine immatériel. Le retour sur investissements pour le chef d'entreprise n'est déjà pas évident. Mais on ajoute pour les actifs : vous devrez vous aussi investir pour le développement de votre propre compétence. Il faut donc prévoir une fiscalité incitative pour la contribution des ménages.

Il s'agit aussi de créer de l'appétence pour la formation chez les actifs. À l'époque où j'étais directeur de l'emploi et de la formation à la CDC, on m'avait chargé d'une mission de prospective sur le marché pour l'épargne formation. Nous avions donc créé un groupe de travail en partenariat avec l'OCDE, lequel avait commandé une étude d'opinion à la Sofrès. Il en était ressorti que l'arbitrage des dépenses des ménages s'effectuait le plus souvent au détriment des actions de formation et de développement des qualifications lorsqu'elles étaient mises en concurrence avec les loisirs ou l'équipement. C'est donc un véritable pari culturel que de vouloir changer les mentalités françaises en la matière. Pour ma part, je pense que nous pourrons y arriver sur le long terme si nous nous en donnons les moyens.

Au total, je trouve que les intentions politiques de cette réforme sont assez largement en adéquation avec les évolutions générales de la société, laquelle tend vers la personnalisation et l'individualisation. Les moyens juridiques proposés me paraissent tout à fait pertinents, mais l'économie générale du dispositif repose sur des paris importants qui méritent d'être abordés avec précaution.

Mme Céline Schwebel, présidente de l'AGEFOS-PME. - Nous sommes les représentants d'Agefos-PME, qui est un OPCA voué à devenir un OPCO, c'est-à-dire un opérateur de compétences.

Nous avons aujourd'hui à gérer 338 000 adhérents, parmi lesquels 90 % de TPE. Nous sommes l'opérateur dédié aux TPE-PME ; c'est notre ADN. Nous couvrons un peu plus de 5 millions de salariés et nous avons épaulé 500 000 stagiaires dans leur parcours de formation.

Adhèrent également à notre OPCA 51 branches professionnelles, auxquelles sont attachés une quarantaine d'observatoires, qui seront déterminants dans la mise en oeuvre de la réforme, puisqu'ils devront permettre aux branches d'avoir une vision prospective sur l'évolution des métiers et des compétences. Ils auront aussi, par conséquent, une mission d'alerte sur les compétences et les métiers qui sont amenés à disparaître.

Nous sommes aussi très présents en région, avec plus de 80 délégations composées de conseillers qui épaulent les chefs d'entreprise.

Concernant notre gouvernance nationale, nous avons un conseil d'administration paritaire composé de représentants des cinq syndicats de salariés représentatifs et de la CPME. Cette gouvernance est déclinée au niveau régional avec 13 conseils d'administration.

Enfin, pour en finir avec les chiffres, nous sommes le 1er OPCA de France, tant en nombre d'adhérents que de montant des sommes collectées au titre de l'obligation légale ou de la taxe d'apprentissage.

M. Joël Ruiz, directeur général d'Agefos-PME. -  M. le président nous a demandé si ce texte répondait aux enjeux. Il me semble que la politique de l'emploi est la priorité affichée par la ministre. L'objectif prioritaire du Gouvernement est d'affecter massivement des ressources pour soutenir la politique de l'emploi, et en particulier pour lutter contre le chômage de masse, notamment le chômage des jeunes. Si on n'a pas cet objectif présent à l'esprit, on ne comprend pas la réforme. Accessoirement, il s'agit aussi de soutenir les mutations économiques, dont la transition numérique.

Dès lors que l'enjeu affiché est bien la politique de l'emploi, le Gouvernement considère qu'il relève de la responsabilité première de l'État de prendre en main l'essentiel des ressources pour pouvoir conduire cette politique. Il prend cette responsabilité dans un système qui était jusqu'à présent partagé entre plusieurs acteurs : les régions, les partenaires sociaux et l'État lui-même. D'un système régulé entre ces différents acteurs, on passe à un dispositif où l'État prend la main sur l'essentiel du financement, en laissant un individu autonome gérer son CPF. Si l'on n'a pas à l'esprit cette ambition du Gouvernement, on ne comprend pas la réforme qui s'annonce.

Nous ne sommes pas le Gouvernement, il nous est donc difficile de répondre à la question sur les enjeux de la réforme, puisqu'il est le mieux placé pour le faire. En tout cas, nous avons compris que le premier angle d'attaque de cette réforme est l'insertion des jeunes et la politique d'alternance.

En effet, jusqu'à présent, il existait deux mécanismes principaux en matière d'insertion des jeunes : d'une part, le contrat de professionnalisation, dont on parle très peu et qui a été créé et administrée par les partenaires sociaux - l'Agefos-PME notamment en finance 45 000 par an - et, d'autre part, le contrat d'apprentissage, dont tout le monde parle, dont le mode d'administration est complètement différent et où le régulateur principal est la région.

Le choix fait dans ce projet de loi consiste à rapprocher les deux mécanismes, considérant que le contrat de professionnalisation représente aujourd'hui environ 40 % des flux de jeunes entrant en alternance par an, le contrat d'apprentissage concernant les 60 % restant. Le premier se développe d'une année sur l'autre de façon constante, malgré la crise, et l'autre est globalement stable depuis une dizaine d'années. Ce constat amène donc le Gouvernement à vouloir s'appuyer sur ce qui a fait le succès du contrat de professionnalisation pour l'appliquer au contrat d'apprentissage et donner à ceux des acteurs qui en avaient la charge - en l'occurrence, les branches professionnelles appuyées par les OPCA - un peu plus de responsabilités à ce titre.

Pour Agefos-PME et pour tous les OPCA, demain, l'essentiel de l'activité concernera le soutien aux politiques de branche, l'enregistrement et le financement des contrats en alternance pour les jeunes : contrat d'apprentissage de nouvelle génération et contrat de professionnalisation continué. Si l'on oublie cette ligne d'horizon, on ne comprend pas vraiment l'esprit de cette réforme.

Il y a un deuxième sujet : la mutation économique, dont la transition numérique. Selon Conseil d'orientation de l'emploi, environ 40 % des emplois seraient touchés par cette transition, à une échéance variable selon les secteurs. Il faut donc investir massivement en matière de formation pour pouvoir l'accompagner. Or, même si c'est une intention de la réforme telle que nous la comprenons, l'essentiel des ressources est bien consacré à l'emploi des jeunes et au soutien des demandeurs d'emploi à travers le financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC) et sa déclinaison en régions. En dehors de cette priorité, l'Etat prendra la main, par appels d'offres, dans des domaines qui étaient auparavant partagés entre l'Etat et les partenaires sociaux.

Le financeur que nous sommes n'intervient que peu auprès des grandes entreprises qui ne nous confient pas la gestion de leur plan de formation. En revanche, notre valeur ajoutée est importante s'agissant des TPE-PME qui n'ont pas de spécialiste de la formation à même de les aider à formaliser un projet de formation et à monter un plan de financement.

Il est clair que, du fait de la réallocation de l'essentiel des ressources vers la politique de l'emploi, les entreprises vont être appelées à financer par elles-mêmes leurs besoins de formation. Les ressources dites mutualisées vont donc fortement baisser. Par ailleurs, le Gouvernement fait le pari que l'attribution d'un compte monétisé aux individus aura un effet d'impulsion et les incitera à utiliser ce compte pour partir en formation. On peut partager l'analyse de M. Luttringer sur ce point.

Pour nous, focaliser la compréhension du texte sur le seul compte personnel de formation revient à passer à côté de l'essentiel.

M. Jean-Philippe Maréchal, vice-président de l'Agefos-PME. - En complément, je voudrais rebondir sur la question de savoir si le projet de loi répond aux enjeux. Encore faut-il qu'on soit d'accord sur les enjeux. Historiquement, le financement de la formation professionnelle a toujours été ambigu dans sa définition et dans son objet. Les partenaires sociaux, d'une part, revendiquaient les fonds de la formation professionnelle comme leur « appartenant », ils en disposaient pour organiser et définir une politique de formation, et l'État, d'autre part, considérait que le financement reposait sur une contribution fiscale et que, à ce titre, il lui revenait d'en gérer l'organisation et l'utilisation.

L'enjeu essentiel de cette réforme, de notre point de vue, c'est très clairement que toute la contribution sera désormais clairement organisée et utilisée par l'État, pour une mission qui est essentiellement la lutte contre le chômage et la formation des demandeurs d'emploi. Cela modifie énormément le contenu de la formation professionnelle.

On rend l'individu mais également l'entreprise plus autonomes dans la gestion de leurs besoins de formation. En effet, depuis la réforme de 2014, le plan de formation n'était plus mutualisé pour les entreprises de plus de 300 salariés ; avec cette réforme, ce sont les entreprises de plus de 50 salariés qui se retrouvent sans contribution mutualisée. Il en résulte aussi une évolution du rôle des OPCA que nous sommes.

Quant à l'idée d'une transformation des OPCA en OPCO, ou opérateurs de compétences, elle ne signifie pas une rupture, parce que cette évolution avait déjà été introduite par les réformes précédentes, mais l'OPCA conservait quand même une mission de gestionnaire. A en croire le cabinet de Mme Pénicaud, le Gouvernement ne souhaite plus que ce soit la mission principale d'un OPCA, voire plus du tout ; il ne s'agirait plus que d'une mission d'accompagnement. L'Agefos-PME a, me semble-t-il, réussi à anticiper cette évolution, qui va malgré tout impacter son activité.

Mme Catherine Fournier, rapporteure. - Je reviens tout d'abord sur le compte personnel de formation en euros, et non plus en heures. On a bien compris que vous pensez que c'est un pari. Pouvez-vous nous préciser comment vous ressentez ce pari??

Quel regard portez-vous sur la suppression du système des listes paritaires de formations qui sont éligibles au financement par ce compte personnel ?

En ce qui concerne l'article 5 sur les qualités des actions professionnelles, que pensez-vous de la simplification de la définition de l'action de formation prévue par cet article ?

Que pensez-vous également de la réforme de la gouvernance de la formation professionnelle ?

J'en viens évidemment à la transformation des OPCA en OPCO. Ne pensez-vous pas qu'elle risque de fragiliser la capacité de ces organismes à connaître le besoin de formation des branches, à mieux sensibiliser les entreprises, à mieux capter les besoins du terrain et, évidemment, les mutations nécessaires aux entreprises dans le cadre des formations attendues ?

M. Jean-Marie Luttringer. - Le projet de loi modifie en profondeur la définition de l'action de formation. À l'origine, dans une perspective historique, c'était l'atelier industriel et l'école, c'est-à-dire le stage, avec une unité de temps, de lieu et d'action. La formation ne pouvait avoir lieu qu'en dehors du rapport de travail, dans un lieu protégé.

On est passé du stage à l'action de formation dont la définition est beaucoup plus ouverte. La question est de savoir, aujourd'hui, de quoi la formation est le nom. L'évolution de cette notion d'action de formation pose la question de ce qui se passe en amont de l'action, de ce qui se passe dans le processus pédagogique lui-même et de ce qui se passe en aval. L'ouverture de la définition dans le projet de loi correspond à des évolutions en matière d'ingénierie et de pratiques de formation. Encore faut-il que les choses soient clairement identifiées. La question mérite donc incontestablement d'être approfondie.

En ce qui concerne la gouvernance de la formation, le choix de cette réforme, tel que je le comprends, qui résulte d'ailleurs de la réforme précédente du code du travail, est de donner à l'entreprise une marge d'initiative beaucoup plus grande dans la manière de définir sa stratégie et sa politique de formation. À l'intérieur de l'entreprise, la gouvernance de la formation relève à la fois du nouveau conseil social et économique qui prend la place du comité d'entreprise et d'un renvoi à la négociation collective d'entreprise. Cela pose un vrai problème, puisque, dans la grande majorité des entreprises, les acteurs en capacité de négocier sur ce sujet n'existent pas. Depuis une trentaine d'années, seuls 1 % ou 2 % des accords d'entreprise concernent la formation. Ce n'est donc pas un sujet qui avait pu être appréhendé par la négociation d'entreprise, ce qui ne signifie pas qu'il ne puisse pas y avoir d'autres modalités de dialogue social.

En ce qui concerne la gouvernance externe à l'entreprise, on a évoqué tout à l'heure une reprise en main par l'État. La logique des corps intermédiaires des années 1970 n'est plus tout à fait de mise. La gouvernance est assurée pour l'essentiel par l'État, à travers France Compétences, à travers la Caisse des dépôts et consignations et à travers l'Urssaf en tant que collecteur. La gouvernance par les partenaires sociaux est renvoyée aux branches principalement, ainsi qu'à l'entreprise. La régulation reviendra donc aux branches reconstruites et remusclées, avec des opérateurs techniques à leur disposition, les OPCO.

Enfin, s'agissant du CPF monétisé, on fait le pari que cette formule soit davantage compréhensible par les individus et crée les conditions de la désintermédiation entre l'offre et la demande de formation. Incontestablement, il y a là-aussi un pari sur la capacité donnée aux individus d'acheter de la formation, ce qui renvoie à l'importance de la fonction de conseil en évolution professionnelle, mais aussi - et c'est un non-dit - à l'accroissement de la contribution des ménages au financement de leur propre formation.

Mme Céline Schwebel. - L'Agefos-PME a eu pour fonction jusqu'à présent d'inciter les chefs d'entreprise à amener leurs collaborateurs à se former davantage en fonction des objectifs de l'entreprise. Aujourd'hui, au travers des outils numériques que le Gouvernement prévoit de mettre à disposition, on attend de chacun qu'il consulte les catalogues de formation, s'informe sur les cycles de formation qui sont disponibles, avec le capital dont ils dispose sur son CPF.

Cependant, aujourd'hui, un certain nombre de personnes n'ont pas d'appétit pour la formation, parce qu'elles ont été en rupture avec le système éducatif dans le passé. Ce dispositif high-tech très séduisant suffira-t-il pour leur donner envie de se former, de consulter, envie de voir en quoi consiste, concrètement, le montant de ce CPF ? Comment se trouver des affinités avec des formations qui vont les porter mieux vers le monde du travail ou tout simplement les faire entrer dans le monde du travail ? Je suis désolée d'avoir à réutiliser ce mot, mais cela me paraît un pari très ambitieux. J'ai le sentiment que, pour cette frange de personnes qui n'ont pas aujourd'hui le réflexe de la formation - pour ne pas parler d'appétence -, les laisser en autonomie complète ne permettra pas d'atteindre les objectifs fixés. Dans ce cadre-là, je pense que le Conseil en évaluation professionnelle, le CEP, devrait être un préalable pour les aider à trouver une orientation qui les amène vers des objectifs professionnels. Telles sont les réflexions que m'inspire cette monétisation.

Dernière observation : aujourd'hui, engager des personnes ayant un niveau de qualification 4 ou 5 dans un processus de formation représente un coût limité. Mais, pour s'orienter vers d'autres cycles de formation présentant une valeur ajoutée professionnelle plus élevée, le montant du CPF ne sera pas suffisant. Inciter l'ensemble de la population à abonder un capital formation suppose un changement de culture. Je ne doute pas que, pour les générations à venir, la réponse soit tout à fait favorable, mais une partie de la population n'a pas aujourd'hui ce réflexe et n'en aura peut-être pas les moyens, surtout parmi les plus défavorisés. Le pari est réellement très ambitieux.

M. Joël Ruiz. - Le CPF a, dans la réalité, entre deux ans et demi et trois ans de vie. Cela ne représente rien en termes d'appropriation du dispositif par toute la population. Or on le réforme à nouveau.

Actuellement, le dispositif consiste en un compte de droits en heures, qui ressemble un peu au compte épargne-temps. On lui substitue un mécanisme où l'on aura de l'argent. C'est un pari dans la mesure où le nouveau système présente l'avantage d'être plus facile à comprendre - j'aurai 2 000 euros plutôt qu'un nombre d'heures d'un droit rechargeable -, mais aussi l'inconvénient d'un effet de thésaurisation - j'ai 2 000 euros que je n'utiliserai que le jour où j'en aurai besoin. Or le mécanisme n'est pas conçu ainsi : ce système se recharge par l'ancienneté. La thésaurisation est donc un effet pervers et indirect qui n'est pas souhaité. L'objectif est quand même que les gens utilisent ce compte pour augmenter leurs compétences. Le CEP et l'accompagnement seront donc essentiels.

L'analyse des données disponibles sur le compte personnel de formation montre que l'essentiel du compte est utilisé lorsqu'il y a rupture du contrat de travail. Il faudrait, selon moi, renforcer dans le texte la possibilité de co-investir ou d'abonder le CPF. Si la branche ou l'employeur peut ainsi encourager le salarié à s'engager dans un cycle de formation, cela aura un effet déclencheur. En revanche, si l'on considère que c'est aux personnes de se débrouiller seules, celles qui ont déjà réfléchi à leur parcours professionnel le feront, mais pas les moins qualifiées ou celles qui n'ont pas de visibilité en termes d'orientation. Il faut donc renforcer la possibilité d'abonder et permettre, par exemple, de « croiser » les abondements pour donner une impulsion à ce dispositif, en priorité, notamment, sur les niveaux 5 et 4.

M. Jean-Philippe Maréchal. - La financiarisation du CPF se traduit directement par une baisse du droit à formation, il faut quand même le mesurer : 150 heures à un prix moyen de 35 euros - à l'Agefos-PME, le plafond est fixé à 50 euros - représentent 5 250 euros ; or, à terme, le maximum sera fixé à 5 000 euros. Si on traduit les 150 heures acquises au taux de 14,28 euros prévu, on arrive à 2 142 euros. C'est donc une baisse du droit très importante qui résulte de cette monétisation.

Je ne reviendrai pas sur l'individualisation, mais il y a un point sur lequel je voudrais mettre l'accent : la rupture avec la logique de co-construction. En renvoyant à la personne l'achat de l'acte de formation, alors que la formation ne réussit que si elle bénéficie à l'entreprise et à l'individu, on casse cette stratégie de co-construction qu'il va falloir, de notre point de vue, redynamiser par des politiques de branches. Aujourd'hui, celles-ci ne sont pas gravées dans le marbre, elles dépendront de la bonne volonté et du rapport de forces existant dans chaque branche.

Vous avez aussi évoqué la suppression des listes. Pour mon organisation, la CGT, c'était un point important. La suppression des listes a été une de nos revendications depuis la réforme de 2014 : ce système était aberrant, parce qu'il reposait sur l'exclusion. Comment créer un droit, si la première règle mise en oeuvre consiste à exclure l'accès à telle ou telle formation ? Nous avons toujours défendu l'idée qu'il faut, dans le cadre de cette stratégie de co-construction, une stratégie d'abondement. Puisque l'on sait très bien que, avec 150 heures, on ne peut pas accéder à une formation, il faut qu'on incite à y aller avec des abondements. On peut donc s'interroger sur l'objectif visé par la suppression des listes. A priori, nous sommes forcément d'accord ; malheureusement, en supprimant les listes, on déstructure aussi tous les diplômes et toutes les actions de formation, avec la mise en place des blocs de compétences, avec la mise en avant de ce qu'on appelle « l'inventaire », qui est une liste non plus de diplômes qui amènent à une qualification, mais de certifications qui amènent à des compétences. Il y a là un débat de fond qui me semble essentiel dans l'orientation politique de cette réforme.

Dernier point, la définition de l'action de formation. On ne peut qu'être satisfait de l'élargissement des processus pédagogique pris en compte dans le cadre d'une action de formation. Sur ce point, il y a unanimité. Mais se pose un autre problème : dans la nouvelle définition, on passe à un objectif de formation qui est exclusivement professionnel. En 1971, on parlait d'éducation permanente. Aujourd'hui, on passe à « un parcours pédagogique permettant d'atteindre un objectif professionnel » : une action qui ne répondrait pas cet à objectif ne serait pas considérée comme une action de formation. Je pense que c'est un vrai recul pour la société.

M. Dominique Watrin. - Personne ne conteste l'importance stratégique de la formation professionnelle. Si l'appétence des salariés en la matière est à encourager, se pose une autre question, peu abordée, celle de la reconnaissance par l'entreprise, en termes de niveau de salaires, des qualifications, certifications et diplômes ainsi acquis.

Il a été question de la nécessité d'abondement par les salariés eux-mêmes, mais il est tout aussi important de prendre en compte les efforts des autres parties prenantes. La CGT a alerté sur la baisse des droits dans le cadre de la conversion du compte en heures en compte en euros. Le volet de la formation incluant la reconversion serait doté d'une enveloppe globale de 1,7 milliard à 1,8 milliard d'euros. Soyons clairs : cela induit-il plus ou moins de moyens et de droits pour les salariés ? On peut faire tous les discours qu'on veut sur la liberté de choisir son avenir professionnel, si les moyens sont en diminution, on n'aura pas avancé.

En tant que membre du groupe communiste, je me dois de souligner le caractère tout de même très libéral du projet de loi. Finalement, est-il souhaitable que l'État se désengage totalement de la formation des chômeurs et en reporte la responsabilité sur les régions ? Sur le fond, peut-on réduire la notion de formation professionnelle à celle d'employabilité ? Les bouleversements observés, notamment dans le numérique, induisent la nécessité d'une élévation générale du niveau de formation de tous les salariés, pas seulement de ceux qui perdent leur emploi ou sont en situation de précarité.

M. Yves Daudigny. - La réforme envisagée contribue à dessiner ce que l'on pourrait appeler une « société des individus », avec le smartphone comme outil obligatoire pour entrer en contact avec tout service public ou tout dispositif social ; les droits deviendraient universels, ce qui ne serait pas une mauvaise chose. Mais n'est-il pas contradictoire de promouvoir cette société des individus tout en souhaitant assigner un certain nombre de priorités à la formation, notamment des jeunes, pour lutter contre le chômage et favoriser l'adaptation de la société aux nouvelles technologies ? Comment conjuguer prise de décision individuelle et priorités collectives ?

Cette réforme dessine également un effacement des organismes intermédiaires, donc des organisations syndicales en matière sociale. N'y a-t-il pas, là aussi, contradiction entre la perte de compétences des organisations syndicales et le rôle que d'autres réformes veulent leur faire jouer dans le cadre d'un dialogue social renforcé ?

Par ailleurs, les régions seront-elles encore présentes dans les nouveaux dispositifs de formation professionnelle ? Si oui, de quelle manière ?

M. Martin Lévrier. - Puisque l'Agefos-PME compte 5 millions de salariés adhérents et en accompagne 500 000 par an au titre de la formation, on pourrait dire qu'il faut dix ans pour former 100 % des salariés. Le vrai débat, c'est de savoir combien de personnes sont formées dans l'entreprise et qui en profite réellement. Une baisse des ressources sur la formation a été évoquée. Selon moi, il n'y a pas de baisse, ce sont les montants qui s'équilibrent. J'ai bien compris que, dans les 500 000 formations dispensées, n'étaient inclus ni les contrats de professionnalisation ni les contrats d'apprentissage.

Sur la monétisation et le besoin de financement, l'un des objectifs de la réforme du code du travail est de pousser à la négociation dans l'entreprise, dont la formation sera l'un des éléments importants. Peut-on lier les deux sujets pour inclure la logique d'abondement dans la négociation ?

Mme Patricia Schillinger. - Les spécificités propres à l'Alsace en matière d'apprentissage, de formation et de financement, qui la rapprochent beaucoup plus de l'Allemagne, pourraient-elles être exportables dans le reste de la France ?

M. Joël Ruiz. - Les co-financements de l'Agefos-PME touchent environ 10 % de nos ressortissants. La réalité du taux de départ en formation est bien supérieure car nombre de formations sont intégralement financées par l'employeur lui-même ; notamment dans les grandes entreprises.

Dans le secteur privé, le taux de départ en formation, dans les très petites entreprises de moins de 10 salariés, oscille entre 12 % et 13 %. Dans les entreprises entre 10 et 50-100 salariés, il atteint 25 %. Il faut aller au-delà de 350 salariés, voire de 1 000, pour arriver à 50 % des effectifs partant en formation. Ces données agrégées cachent des disparités majeures. Pour une entreprise du numérique qui n'investirait pas dans la formation de ses collaborateurs, c'est la mort assurée. L'Agefos-PME a accompagné massivement en priorité les entreprises de moins de 100 salariés. D'après les mesures d'évaluation de l'impact des fonds mutualisés effectuées par le Céreq, cela a permis le doublement du taux de départ en formation.

Si j'ai effectivement évoqué une baisse des ressources, je précise qu'il s'agit d'une réallocation des ressources vers la priorité qu'est la lutte contre le chômage. Quand on réalloue, on enlève à certains pour donner à d'autres. C'est pour cela que j'insiste sur le fait qu'oublier l'ambition première du texte c'est passer à côté de sa logique générale.

La question de la monétisation est à relier à d'autres interrogations sur la « société des individus » et l'éventuelle contradiction susceptible d'être soulevée entre certaines des priorités affichées. Ne mélangeons-pas tout. La formation est un mot-valise qui cache des réalités différentes, pour lesquelles, à l'étranger, il existe souvent des termes spécifiques. En français, parce que l'on ne parle que de « formation professionnelle continue », on oublie les finalités. Dès lors que la formation concerne l'« entraînement professionnel », cela renvoie à la situation de travail et à l'entreprise. S'il s'agit d'« éducation professionnelle », avec une finalité diplômante, qualifiante, certifiante, cela devient un sujet de co-investissement et d'accompagnement. C'est de ce point de vue que se pose la question de la mutualisation des ressources au regard de l'objectif de hausse du niveau de qualification.

Le compte personnel de formation « nouvelle génération » a vocation à cofinancer, non pas l'« entraînement professionnel », mais des formations qui conduisent à une certification, donc inéluctablement plus chères. Puisqu'il est question de droits individuels, d'individus qui portent eux-mêmes leurs compétences, donc leurs certifications professionnelles, encore faut-il qu'ils sachent vers quoi ils se dirigent. D'où l'importance de l'accompagnement et des priorités affichées à ce titre. Je ne vois pas en quoi il y aurait une contradiction dans le texte : il y a bien une priorité absolue, un objectif premier, l'emploi, puis des objectifs seconds.

Quant aux régions, elles ont un rôle important à jouer, sur la politique de l'emploi justement : c'est là qu'elles sont attendues, de concert avec Pôle emploi et les pouvoirs publics. Ayons à l'esprit que le PIC est le deuxième levier majeur utilisé dans le cadre de la réforme. Il va concentrer, dès cette année, énormément de ressources. Les régions sont donc non pas exclues du système, mais réorientées sur la politique de l'emploi prioritairement, avec Pôle emploi, et elles interviennent toujours en appui pour les investissements en faveur des CFA. C'est sur le financement de l'apprentissage et le mécanisme de régulation qu'il y a eu un transfert de compétences vers l'État, via les missions de péréquation assignées à l'agence France Compétences, et vers les branches professionnelles pour la fixation des critères de prise en charge et des certifications.

Dans le précédent mécanisme, les régions, les partenaires sociaux et l'État avaient une capacité d'intervenir sur l'ensemble de l'éventail des dispositifs et se concertaient. L'une des conséquences de la réforme, c'est de confier à chacun une responsabilité, un domaine, mais sans possibilité de se concerter sur les autres sujets. Chaque dispositif doit avoir son responsable, et donc son financeur principal.

M. Jean-Marie Luttringer. - L'employabilité, dans le cadre de la formation, renvoie à la responsabilité de l'entreprise. Les ordonnances portant réforme du code du travail ont très largement fixé le paysage et la réforme envisagée ne vient que se greffer sur ce dispositif sans pour autant le modifier sur le fond. Deux problématiques sont importantes : la gestion individuelle et la gestion collective des compétences dans l'entreprise. Je ne m'appesantirai pas sur la sémantique du mot « compétences » par rapport à celui de « qualifications ».

S'agissant de la gestion individuelle des compétences, si on fait le lien entre les ordonnances et la réforme qui nous est proposée, il y a un principe structurant de la loi qui est maintenu : l'employeur a l'obligation d'offrir au salarié une formation d'adaptation au poste de travail et de veiller à sa capacité à occuper un emploi. Cette formulation était dans la loi, elle y figure bien évidemment toujours. Lorsque le salarié quitte son emploi, il doit pouvoir être employable ailleurs. Le projet de loi précise même que le temps de formation est, par principe, un temps de travail effectif. Il y a donc une adéquation entre formation et temps de travail effectif, consolidée dans le texte.

La question porte davantage sur ce que signifie l'obligation de veiller à la capacité à occuper un emploi : s'agit-il du même emploi ou d'un autre ? Et que signifie « veiller » ? La réponse apportée dans la loi, c'est que « veiller » renvoie à un droit de procédure, relatif, d'une part, à l'entretien professionnel, maintenu dans la loi, d'autre part, au bilan de parcours au terme de six années. Si l'employeur n'a pas respecté un certain nombre d'obligations portant notamment sur la formation et la tenue d'entretiens professionnels, il devra verser un abondement supplémentaire au salarié. Voilà un mécanisme fondamental sur la question de l'employabilité.

Il me paraît important de faire en sorte que l'obligation générique d'employabilité soit clairement réaffirmée. À cet égard, ce que je vais dire ne plaira pas à mes amis de l'Agefos-PME : il est totalement anormal que l'obligation de tenir un entretien professionnel n'existe que pour les entreprises de plus de 50 salariés. J'étais moi-même patron d'une petite entreprise et je discutais évidemment avec mes collaborateurs de leurs perspectives professionnelles. Pour l'Agefos-PME, tout au moins pour la CPME, le dialogue social dans nos petites entreprises s'entend avec les salariés eux-mêmes, pas avec les syndicats. Chiche ! Faisons en sorte que soit clairement inscrite dans la loi l'obligation d'entretien professionnel avec le salarié dans toutes les entreprises. La disposition adoptée à l'époque fut le résultat d'un lobbying réussi de la CPME.

Par ailleurs, il est prévu qu'à partir de 2020 soit rendue obligatoire une révision générale des compétences et des qualifications au bout de six années, pour vérifier que l'employeur a bien respecté l'obligation d'entretien professionnel et que le salarié a bénéficié soit d'une évolution professionnelle, soit d'une formation. La formulation proposée est relativement ambiguë. Il faudrait la clarifier pour éviter qu'une personne ne soit « remise sur le marché » en ayant perdu toute capacité à se développer à l'extérieur. Cela renvoie à la question du système d'indemnisation du chômage et à l'externalisation de la responsabilité.

J'en viens à la gestion collective des compétences. Dans l'entreprise, elle renvoie au dialogue social, à la consultation du comité social et économique nouvellement institué, ainsi qu'à de possibles négociations d'entreprise. Sur ce dernier point, il ne faut pas se faire d'illusions : j'ai contribué pendant de nombreuses années au bilan de la négociation collective publiée par le ministère du travail ; la négociation sur la formation dans l'entreprise, sur les 40 000 accords d'entreprise signés chaque année, représente de l'ordre de 1 % ou 2 %. Dans le cadre des compétences données au comité social et économique, il conviendrait que la procédure d'entretien professionnel et le bilan de compétences fassent l'objet non pas d'une information statistique mais d'une approche beaucoup plus qualitative.

Si la question de l'employabilité est une réalité juridique, si le droit existant est plutôt satisfaisant, il reste amendable.

Mme Céline Schwebel. - En tant que représentante, vous l'aurez compris, de la CPME, je voudrais clarifier sa position sur cette disposition imposant un entretien professionnel formalisé pour les entreprises de plus de 50 salariés. La CPME s'est battue non pas pour permettre aux chefs d'entreprise de ne pas procéder à ces entretiens, mais pour éviter de les soumettre à d'éventuelles pénalités. C'est l'intérêt des entrepreneurs et des salariés que de pouvoir procéder régulièrement à ces entretiens.

M. Jean-Philippe Maréchal. - Si pareille disposition ne plaisait pas à une partie de la CPME, l'autre partie la soutenait, et je parle, vous l'aurez également compris, au nom de l'ensemble du collège salarié.

Cela a été dit, la baisse des moyens porte sur la formation des salariés en activité, pas sur l'enveloppe globale, déjà fortement réduite en 2014 mais constante depuis. En 2014, c'est un peu moins de 2,5 milliards d'euros qui ont été transférés de la formation des salariés en activité à celle des demandeurs d'emploi. Avec la réforme envisagée, c'est encore 1,5 milliard d'euros qui seront transférés. En deux réformes, on en est à 4 milliards d'euros, sur les 13 milliards dépensées par les entreprises en matière de formation. Cela peut s'entendre au regard des priorités affichées. Il n'empêche, si l'on veut conserver des entreprises compétitives, il faut des formations.

Sur la monétisation du compte personnel de formation, je mentionnerai un effet induit, d'ores et déjà mesurable. Les salariés considèrent comme acquis qu'ils vont pouvoir, avec leur smartphone, acheter la formation de leur choix. Le fait qu'elle soit qualifiante, certifiante ou autre leur échappe, il faut être du sérail pour en comprendre les spécificités. Aujourd'hui, le prix moyen d'une journée de formation varie entre 800 et 1 000 euros ; autrement dit, il faut cumuler deux années de droits pour accéder à une journée de formation. On peut mesurer les frustrations qui vont en découler.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Les formations sont trop chères. C'est tout le problème !

M. Jean-Philippe Maréchal. - J'allais y venir. Pour des formations plus longues, jusqu'à 150 heures, les tarifs peuvent descendre à 4 000 ou 5 000 euros en moyenne. Si le dispositif peut être rationalisé, il va tout de même susciter des frustrations terribles. Si on achète une formation comme on achète un autre produit, on va créer de l'appétence, pour le coup, mais qui ne sera satisfaite.

M. Daniel Chasseing. - Actuellement, 1,5 million de jeunes entre 16 à 25 ans sont sans emploi ; nous avons 6 % d'apprentis contre 17 % en Allemagne et un défaut de formation énorme, les entreprises étant souvent dans l'incapacité de trouver ces compétences dont elles ont besoin. Les intervenants ont dit que seulement 2 % des accords étaient en rapport avec la formation : cela peut effectivement faire l'objet d'une négociation.

Il ne faut pas non plus infantiliser les salariés : la plupart savent comment ils veulent se former. Ces formations proposées avec un accompagnement et un complément de l'entreprise ne seront-elles pas plus utiles pour l'entreprise, donc pour l'emploi ?

Mme Corinne Féret. - Le sens même de la réforme, c'est la transformation des OPCA en OPCO. Qu'en sera-t-il des actions de l'Agefos-PME quand vous serez conseiller et accompagnant, et non plus collecteur ? Allez-vous devoir vous réorganiser ?

Que pensez-vous du principe de la contribution unique prévu dans cette réforme ? Gagnera-t-on en efficacité et en simplicité ?

Enfin, je rappelle que le coeur de métier des régions, notamment, c'est la formation des salariés et des demandeurs d'emploi. Les discussions ont été vives entre les régions et le Gouvernement sur ce projet de loi. C'est essentiellement sur le volet apprentissage que les choses vont être redéfinies. Or l'apprentissage, c'est une voie de formation qui est proposée soit par les chambres consulaires, soit par le secteur public, y compris via l'éducation nationale. Les régions investissent beaucoup notamment dans les centres de formation des apprentis. Il faut leur permettre de préserver ce rôle important sur les territoires et ce rôle d'aménagement du territoire. Il me semble essentiel, quand c'est possible, de proposer une offre de formation, y compris dans les équipements techniques, sur l'ensemble d'un territoire régional. Il a été dit que, demain, chacun aura sa place, son rôle et que tout sera plus clair. Mais qui fait quoi ? Il faut de la cohérence parmi tous les intervenants dans le domaine de la formation et avoir une vision plus large et globale. Jusqu'à présent se retrouvaient au sein de différentes instances régionales tous ceux qui intervenaient dans le domaine de la formation (formation professionnelle, formation tout au long de la vie, etc.).

Mme Pascale Gruny. - Je m'inquiète moi aussi pour les régions et les territoires, qui ont la connaissance des besoins. Vous avez dit que chacun agirait dans son domaine avec son propre financement. Qui coordonnera le tout, si la région, qui s'occupe de l'emploi, et ceux qui seront chargés de la formation ne se parlent pas régulièrement ?

Sur l'autonomie des salariés, vous dites que le CPF est assez récent. Avant, il y avait le DIF, mais cela n'a pas changé grand-chose. Si les cadres ont la volonté de se former, ont une vision sur leur plan de carrière, les ouvriers ou les employés, eux, souvent ne veulent pas aller en formation, gardant le souvenir d'échecs à l'école et préférant être au travail, pour ne pas changer leurs habitudes. En plus, il faudra désormais abonder : on en demande beaucoup aux salariés !

Je comprends qu'on mette la main sur cette manne de la formation des demandeurs d'emploi, car il faut résorber le chômage. En revanche, qui va vérifier que cet argent sera bien dépensé, pour des formations qualifiantes en lien avec les besoins des territoires ? On occupe les demandeurs d'emploi dans des formations, mais à la sortie, il n'y a pas d'emploi !

À une époque, les organismes de formation devaient être agréés. Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Il faut contrôler l'utilisation de ces fonds. Je suis inquiète quand vous dites que c'est un « pari » : pour moi, la formation, ce n'est pas la Française des jeux, c'est un investissement pour les entreprises, pour les salariés, pour leur emploi d'aujourd'hui et de demain.

M. Olivier Henno. - Le chômage structurel français s'explique pour partie par le déficit de formation d'un certain nombre de personnes, en particulier les allocataires du RSA.

Sur les 13 milliards d'euros de la formation des entreprises, 4 milliards ont été transférés vers la formation et des chômeurs. Concernant le plan d'investissement compétences, les salariés seront dotés d'un CPF, ce qui ne sera pas le cas d'autres tranches de population : cela ne risque-t-il pas d'accroître encore le fossé entre ces personnes ? Comment faciliter dans le cadre de cette loi l'accès à la formation des allocataires du RSA ? Comment impliquer aussi les départements ?

M. Michel Forissier. - Ma question vient en continuité de l'intervention de notre collègue Watrin sur le niveau des titres et des diplômes.

Les personnes qui s'orientent vers la voie professionnelle le font souvent par défaut, ce qui est un problème global de société. Se pose alors le problème de l'orientation et de la mise à niveau des fondamentaux essentiels, entre 14 et 16 ans. Cela nécessite, plutôt qu'une réforme de la formation professionnelle, une réforme de l'éducation nationale.

Dans les années 70, mes salariés titulaires d'un CAP savaient travailler. Aujourd'hui, il faut commencer par leur apprendre le métier. Ensuite, en ce qui concerne la formation continue, une personne ne maîtrisant pas les fondamentaux qui lui permettent de se réorienter doit être accompagnée ; or la loi n'est pas suffisamment complète sur ces aspects. Quitte à prendre la main, que l'État apporte des financements. Le compte financier n'y est pas.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La loi Chaban-Delors de 1971 était un sacré pari : la formation professionnelle était une réalité plutôt dans les grandes entreprises que dans les petites. Ce pari a été gagné, mais des désordres se sont installés au fil du temps, et l'objet du projet de loi est de remettre les choses en ordre en accordant la priorité évidemment à ceux qui sont les plus éloignés aujourd'hui de l'emploi. C'est ce que soulignait d'ailleurs Gérard Larcher dans son premier rapport, soulignant que 10 % des fonds allaient aux demandeurs d'emploi, alors qu'il en faudrait 30 %. Le Gouvernement fixe cet objectif à 15 % dans un premier temps : il faudrait même aller au-delà.

Il va falloir aussi équilibrer les comptes, alors que l'argent public est rare. Peut-être faut-il regarder les dépenses de formation, dont certaines sont exagérées, avec une multiplicité d'organismes. Pour quelle efficacité ? Cette remise en ordre doit conduire aussi à une remise en question du coût de la formation.

M. Joël Ruiz. - Les organismes de formation sont-ils trop nombreux ? Le texte prévoit une obligation de certification des organismes qui recevront des fonds issus du compte personnel formation et des contrats d'alternance. L'objectif annoncé de ce mécanisme de certification par tierce partie est de réguler l'offre de formation par la qualité. Un décret pris à la suite de la précédente réforme prévoyait déjà des obligations de référencement.

S'agissant de l'évolution du rôle des OPCA de financeurs de la formation professionnelle vers un rôle de conseil, notre activité de collecte était déjà très saisonnière et très restreinte : l'essentiel du temps, nous financions des projets de formation et accompagnions les branches et les entreprises adhérentes. Le texte prévoit que nous allions plus loin, en renforçant notre ingénierie d'assistance sur les certifications, sur la détermination des prises en charge pour l'emploi des jeunes, sur les observatoires prospectifs des métiers pour mieux anticiper les mutations. Le texte prévoit aussi que nous soyons très présents dans les territoires, condition pour être agréé comme organisme opérateur de compétences pour accompagner sur le terrain les CFA et les entreprises.

Dès lors que le texte donne comme priorité absolue aux opérateurs de compétences l'alternance, l'apprentissage, les contrats de professionnalisation, la bataille de l'emploi se gagne sur le terrain, dans les territoires, et pas de façon stratosphérique. Cette présence sur le terrain doit donc être renforcée, nécessitant une réorganisation. Demain, la politique de l'emploi mobilisera 60 % des ressources de l'Agefos, contre 30 % aujourd'hui. Cela passera par une réallocation des ressources et des moyens, une mise à niveau de nos collaborateurs, l'ouverture de chantiers sur les GPEC territoriales et de branche.

C'est le Gouvernement qui a dit que chacun aurait un rôle plus clair. Si nous nous ignorons les uns et les autres, il n'y aura pas d'effet levier sur nos politiques. Il faut nous coordonner. Le texte dit que ce rôle revient à France Compétences au niveau central. Au niveau territorial, il y a probablement un angle mort ; or c'est là qu'on va gagner la bataille de l'emploi.

La maîtrise des fondamentaux est essentielle. Le compte y est-il ? Il est essentiel que les opérateurs de compétences puissent continuer à financer des préparations opérationnelles à l'emploi. Or la contribution unique alternance ne le prévoit plus : c'est là aussi un angle mort du texte. Il faudrait, avec les régions et avec Pôle emploi, pouvoir monter des opérations conjointes, ce que nous faisons déjà actuellement. Ne pas pouvoir le faire dans les territoires serait une erreur. Après se pose aussi la question de l'équilibre des ressources : on ne pourra pas tout financer.

Sur la question de l'alternance et du chômage de masse des jeunes, l'ambition des opérateurs de compétences est d'augmenter le nombre d'alternants en 2 ou 3 ans. Pour y arriver, il faut améliorer l'orientation des jeunes et accompagner les entreprises qui n'arrivent pas à trouver les compétences nécessaires. Le financement des contrats ne suffit pas : il faut aborder la question de l'orientation professionnelle des jeunes.

Un autre angle mort du texte, c'est la contribution additionnelle, l'ex-barème. Nous ne pouvons plus mutualiser les fonds disponibles pour financer des forums et des opérations d'aide à l'orientation sur le terrain. Il faudrait au contraire qu'on en fasse un peu plus.

Les organismes de formation qui rentreront dans ce mécanisme auront l'obligation de rendre publics le taux de réussite aux qualifications diplômantes et le taux d'insertion. Idem pour les lycées professionnels et pour l'ensemble des opérateurs de formation. C'est important pour les familles d'être informées.

Enfin, attention à ne pas oublier les territoires.

M. Jean-Marie Luttringer. - Concernant les demandeurs d'emploi, le projet de loi contient une disposition que j'approuve pleinement : que le refus par un demandeur d'emploi d'une formation n'est pas assimilable au refus d'un travail raisonnable. Jusqu'à présent, un tel refus pouvait entraîner la suppression des allocations, ce qui est contradictoire avec l'idée même de formation. Je rappelle le théorème de Bertrand Schwartz : on ne forme pas une personne ; elle se forme si elle y trouve un intérêt. Cette disposition permettra de sortir la formation pour demandeurs d'emploi d'une approche punitive, d'une approche parking, d'une approche négative. La question, c'est celle de l'aide au choix, celle de la fonction d'accompagnement, celle de l'utilisation du compte personnel de formation.

Le CPF est un droit universel : il concerne donc les salariés, mais aussi les travailleurs non salariés, les travailleurs indépendants. On compte 28 millions de salariés, 4 millions de travailleurs non salariés, 3 millions de demandeurs d'emploi et 5 millions de fonctionnaires. L'un des fondamentaux de la politique du Président de la République et du Premier ministre, c'est de libérer l'initiative, de créer de l'appétence pour l'entreprise, de développer les microentreprises, etc. Or aujourd'hui il existe sept fonds d'assurance formation des travailleurs non salariés, gérés non pas paritairement, mais par les organisations professionnelles sur le principe de mutualisation des ressources. Les contributions sont relativement modestes. Le projet de loi prévoit que les travailleurs indépendants, les professions libérales, les chefs d'entreprise, etc. auront un compte personnel, la Caisse des Dépôts étant chargée de la collecte. Or leur contribution n'est pas de nature fiscale : c'est une contribution, qui relève du droit privé.

On veut à la fois développer l'activité et l'initiative privée, mais on traite les non salariés comme des salariés en situation de subordination qu'il faut protéger. C'est incohérent.

Le compte personnel de formation peut financer pour partie la procédure de validation des acquis de l'expérience (VAE), laquelle permet de déboucher sur une qualification reconnue sans passer par l'étape institution de formation. Or comme le souligne un rapport récent de Terra Nova, il faut libérer la VAE, qui connaît des blocages administratifs parce qu'on ne reconnaît pas à parité d'estime la compétence acquise par le travail et les compétences acquises par des formations académiques. Il faut créer les conditions d'une libération de la VAE comme modalité d'acquisition d'un titre, d'un diplôme et d'une certification grâce au compte formation.

La question de fond du développement de l'apprentissage et de la formation en alternance est d'ordre culturel, c'est la question de la parité d'estime entre la formation générale académique et les formations professionnelles en alternance. Dans Les 400 coups, de François Truffaut, tourné dans les années cinquante, la mère d'Antoine, qui a été placé par le juge pour enfants en maison de redressement, lui dit qu'il rejoindra les enfants de troupe ou, à défaut, entrera en apprentissage. De même, un PDG d'une entreprise du CAC 40 répondait récemment que ses enfants n'étaient pas allés en apprentissage parce qu'ils étaient brillants. Le projet de loi sur l'alternance et l'apprentissage aborde cette question culturelle de l'apprentissage à travers des mécanismes juridiques, financiers, mais pas à la hauteur des enjeux.

Mme Céline Schwebel. - Je précise que l'Agefos ne considère absolument pas que certains aspects de ce projet de loi constituent un pari. Ce mot, employé par le directeur de cabinet de Mme Pénicaud, à l'occasion d'une réunion rassemblant l'ensemble des présidents des OPCA, nous a profondément choqués. Notre volonté, c'est que ce projet de loi aboutisse au résultat escompté, à savoir permettre aux jeunes de trouver des emplois, permettre aux salariés d'évoluer dans leurs compétences. Nous allons déployer tous nos efforts pour y parvenir.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.

Proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les Outre-mer - Examen des amendements de séance

M. Alain Milon, président. - La proposition de loi visant à revaloriser les retraites agricoles a été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale en février 2017, soit quelques semaines avant les élections présidentielles. Le gouvernement de l'époque aurait pu utiliser la procédure de l'irrecevabilité financière fixée à l'article 40 de notre Constitution pour s'opposer à ce texte d'initiative parlementaire et qui crée une charge publique. Il ne l'a toutefois pas fait, sans doute en raison de la proximité avec cette échéance électorale. Lors du premier examen de ce texte par le Sénat au mois de mars dernier, le Gouvernement a déposé un amendement visant à repousser de deux ans sa date d'entrée en vigueur et a demandé l'application de la procédure du vote bloqué. Je rappelle au passage que le secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, qui a défendu cet amendement et le vote bloqué, appartenait au groupe socialiste à l'Assemblée nationale qui l'avait voté un an auparavant...

La ministre Agnès Buzyn a prévenu le rapporteur de notre commission la semaine dernière de son souhait de déposer deux nouveaux amendements portant articles additionnels avant l'article 1er et de lever la demande de vote bloqué. Ces deux amendements ont été déposés ce matin. Si nous devions toutefois les adopter, cela entraînerait le vote d'un texte non conforme ce qui remettrait ce dernier dans la navette et l'enverrait en réalité dans les oubliettes ! Cependant, si nous devions ne pas les adopter, la ministre maintiendrait le vote bloqué. Cela signifie que, quoi qu'il arrive, les retraites agricoles n'augmenteront pas !

M. Dominique Watrin. - Cette proposition de loi entend porter la pension minimale de retraite pour les chefs d'exploitation de 75 à 85 % du SMIC. La dépense de 350 millions d'euros ainsi créée est plus que couverte par la création d'une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières prévue à l'article 2 de cette même proposition.

Une autre disposition de ce texte permet d'élargir l'accès au dispositif actuel de retraite minimale de 75 % à tous les exploitants agricoles des outre-mer, le niveau moyen de leurs pensions étant encore plus faibles que dans l'hexagone. Enfin, l'article 4 permet d'accélérer la mise en place de l'assurance vieillesse complémentaire pour tous les salariés agricoles dans les outre-mer qui ne sont pas encore couverts, aussi surprenant que cela puisse paraître.

L'amendement n°  4 proposé par le Gouvernement a pour objet de revaloriser de 5 % la pension minimale de référence, la PMR, qui est le minimum contributif du régime des non-salariés agricoles, pour les seuls conjoints-collaborateurs et aidants familiaux au 1er janvier 2020. Cela signifie que le plafond de pension fixé aujourd'hui à 546 euros par mois augmenterait de 27 euros pour les assurés collaborateurs ayant effectué l'intégralité de leur carrière au sein du régime des non salariés agricoles.

D'après les estimations fournies par le Gouvernement, le coût de cette mesure s'élève à 30 millions d'euros par an.

L'amendement n°  5 assouplit les conditions d'éligibilité aux points gratuits du régime complémentaire obligatoire (RCO) des chefs d'exploitation pour les pensionnés actuels reconnus travailleurs inaptes ou handicapés et ayant liquidé leur pension depuis 1997.

Ces assurés ne peuvent actuellement bénéficier des points gratuits du RCO, c'est-à-dire de droits acquis au titre de périodes travaillées avant la création du RCO en 2003 donc sans cotisations, que s'ils remplissent une double condition :

- avoir cotisé 17,5 ans au régime des non salariés agricoles ;

- et avoir obtenu leur taux plein c'est-à-dire avoir une carrière complète. Or, bien souvent, la situation d'inaptitude ou de handicap empêche ces travailleurs de remplir la condition du taux plein.

Cet amendement lève cette dernière et aligne les règles d'éligibilité aux « points gratuits » du RCO, donc pour les périodes travaillées avant la création du régime en 2003, sur celles prévalant pour les personnes ayant liquidé leur pension avant 1997.

Face à l'opposition unanime du Sénat lors de la séance publique du 7 mars dernier contre la méthode du vote bloqué, le Gouvernement semble faire un pas. Il est toutefois très limité et pas à la hauteur de l'urgence sociale, d'autant que la hausse de la PMR est renvoyée en 2020.

Par ailleurs, l'adoption de ces amendements remet en cause la position de notre commission qui est d'adopter ce texte conforme pour une application rapide en réponse à cette urgence.

En tant que rapporteur et sur la base de nos échanges précédents en commission et lors de notre séance publique du 7 mars, je ne peux que vous proposer d'émettre un avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  4 et 5.

AMENDEMENTS DE SÉANCE

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 4
Extension des régimes de retraite complémentaire aux salariés agricoles ultra-marins

Le Gouvernement

4

Revalorisation de 5 % de la pension minimale de référence des collaborateurs d'exploitation.

Défavorable

Article 5
Compensation financière des organismes de sécurité sociale

Le Gouvernement

5

Elargissement de l'accès à la retraite complémentaire obligatoire pour les assurés reconnus inaptes ou travailleurs handicapés ayant liquidé leur pension avant 1997.

Défavorable

Nominations de rapporteurs et demande de saisine pour avis

La commission nomme en qualité de rapporteurs Mme Catherine Fournier, M. Michel Forissier et Mme Frédérique Puissat, sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, sous réserve de sa transmission (AN n° 904, XVe législature), et M. Daniel Chasseing sur la proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque.

Enfin, la commission décide de se saisir pour avis de la proposition de loi visant à moderniser la transmission d'entreprise. Elle procède à la désignation de Mme Pascale Gruny.

La réunion est close à 11 h 25.