Mercredi 16 mai 2018

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 9h15.

Application des lois au 31 mars 2018 - Communication

M. Hervé Maurey, président. - Comme chaque année, il nous appartient de dresser le bilan de l'application des lois suivies par notre commission, qui porte sur les lois adoptées au cours des dix dernières années jusqu'au 30 septembre 2017. Sont comptabilisées, dans ce bilan, les mesures d'application prises jusqu'au 31 mars 2018.

Cette année, le bilan est moins fourni que les années précédentes en raison du faible nombre de lois - 4 - adoptées durant la session 2016-2017, du fait de la longue période de suspension des travaux parlementaires.

Sur ces 4 lois, une est d'ores et déjà totalement applicable, dans la mesure où elle était d'application directe : il s'agit de la loi du 28 décembre 2016 relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Charles de Gaulle.

Les trois autres lois adoptées sont la loi du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils, celle du 26 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne et celle du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public.

Ces lois nécessitaient au total 39 mesures d'application. Au 31 mars 2018, seulement 13 mesures avaient été prises, soit un taux d'application de 33 %, ce qui n'est pas satisfaisant. De plus, seulement 23 % des mesures ont été prises dans les six mois suivant la promulgation, c'est-à-dire dans le délai fixé par le Gouvernement.

Au cours de cette période, trois lois anciennes sont devenues totalement applicables : la loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de participation du public, celle du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire et celle du 2 décembre 2015 relative à diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.

Cette année encore, nous constatons la lenteur de remise des divers rapports demandés au Gouvernement voire l'absence totale de remise. Sur les 57 rapports demandés au Gouvernement depuis le 1er octobre 2007 au titre de dispositions issues de loi suivies par la commission, 29 seulement ont été remis au Parlement, soit à peine plus de la moitié.

Si l'on prend l'exemple particulier de la loi « Biodiversité » promulguée en 2016, cinq des six rapports demandés par le législateur n'ont pas été remis dans le délai imparti.

Cette tendance doit nous inciter à la retenue sur les demandes de rapports, dans la mesure où le Gouvernement reste libre d'établir ces rapports lentement, voire pas du tout. Mieux vaut dans certains cas avoir recours à d'autres procédures, comme les questionnaires budgétaires, qui sont envoyés chaque année, et auxquels le Gouvernement a l'obligation, en application de l'article 49 de la LOLF, de répondre avant le 10 octobre. Il est aussi possible, pour les commissions permanentes, de demander les prérogatives d'une commission d'enquête, qui permet de demander une communication exhaustive de documents et rapports existants au Gouvernement.

Sur le plan qualitatif, j'attire votre attention sur le bon avancement de l'application de la loi Biodiversité lors de la dernière session, qui est désormais applicable à plus de 90 % pour ce qui concerne les décrets. Plusieurs textes importants ont été pris au cours de l'année écoulée : la réforme de la procédure de classement des parcs naturels régionaux est désormais pleinement applicable, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties dans un site Natura 2000 est également applicable et les échéances d'atteinte du bon état écologique et chimique des eaux sont fixées.

Je vous rappelle que cette loi a prévu l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, des dérogations pouvant être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par arrêté, sur la base d'un bilan établi par l'ANSES sur la disponibilité des produits de substitution et une comparaison de leurs avantages et de leurs risques par rapport aux produits contenant des néonicotinoides.

À ce jour, aucun arrêté n'a été pris sur ce fondement. L'ANSES a publié un rapport intermédiaire sur les alternatives à ces produits le 5 mars dernier et une étude relative à l'impact sur la santé humaine des substances néonicotinoides. Cette étude ne met pas en évidence d'effets nocifs pour des usages respectant les conditions d'emploi fixées par les autorisations de mise sur le marché. L'agence recommande toutefois de réduire au maximum l'utilisation du thiaclopride compte tenu des dangers de cette substance. Le rapport final devrait être disponible à la fin du mois de mai. Nous organiserons, le 5 juin, dans la perspective de l'examen au Sénat du projet de loi relatif à l'alimentation, une table ronde en commission sur les produits phytosanitaires, qui permettra d'évoquer en particulier ce sujet.

Dans le domaine des transports, s'agissant de la loi du 24 octobre 2016 sur les drones civils, sur les 13 mesures d'application nécessaires, seuls 3 décrets ont été publiés, ce qui n'est pas satisfaisant.

En revanche, de nombreuses mesures d'application de la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue ont été pris, et cette loi est désormais quasiment totalement applicable (il ne manque que deux décrets d'application sur les 26 mesures réglementaires d'application prévues).

Enfin, en matière d'aménagement du territoire, s'agissant de la loi « Montagne » du 28 décembre 2016, sur les 10 mesures d'application prévues, 6 ont déjà été prises.

Je voudrais cette année en conclusion vous sensibiliser aux propositions de modification constitutionnelle formulées par le groupe de travail présidé par le Président du Sénat Gérard Larcher pour améliorer le contrôle parlementaire de l'application des lois. Parmi ses 40 propositions, le groupe a effet formulé plusieurs recommandations pour renforcer ce contrôle.

Dans l'état actuel du droit, le Conseil d'État a consacré, en tant que principe général du droit, l'obligation de prendre les mesures réglementaires d'application des lois. Saisi par toute personne intéressée, il peut sanctionner la carence de l'exécutif lorsque l'édiction des mesures réglementaires d'application d'une loi a dépassé un délai raisonnable, qui dépend des circonstances (difficultés techniques, changement de Gouvernement...) et oscille entre un et deux ans. Le juge peut enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au Gouvernement de prendre ces mesures dans un délai déterminé.

C'est ce qui vient de se passer sur deux sujets environnementaux très récemment : sur la pollution lumineuse d'abord : dans une décision du 28 mars dernier, le Conseil d'État a enjoint le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot à respecter les dispositions de la loi Grenelle II visant à lutter contre la pollution lumineuse. Il a donné au ministère un délai de neuf mois pour édicter les arrêtés nécessaires, et fixé une astreinte de 500 euros par jour à l'encontre de l'État à l'issue de cette période dans le cas où la décision ne serait pas exécutée. Sur la biodiversité ensuite : dans une décision du 9 mai, le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement d'édicter dans un délai de six mois un décret fixant la liste des habitats naturels à protéger : ce décret aurait dû être pris à l'issue de l'adoption de la loi Grenelle II également ; cette injonction est assortie d'une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Or jusqu'à présent, le Conseil d'État refuse de reconnaître l'intérêt à agir des parlementaires en cette seule qualité, contre le refus du pouvoir réglementaire d'édicter le décret d'application d'une loi.

Le groupe de travail du Sénat a donc proposé deux modifications constitutionnelles : il a proposé d'une part d'inscrire dans la Constitution l'obligation de prendre les mesures réglementaires d'application des lois et d'y consacrer explicitement le rôle du Parlement dans le contrôle de cette application. D'autre part, il a proposé de permettre aux présidents des deux assemblées et à 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil d'État en l'absence de publication des mesures réglementaires d'application d'une loi dans un délai raisonnable.

Ces dispositions me paraissent particulièrement intéressantes, et nous aurons à en rediscuter quand nous examinerons le projet de loi constitutionnelle, en principe au mois de septembre.

Voici les principales remarques qu'appelle cette année le bilan de l'application des lois suivies par notre commission, que vous retrouverez détaillé dans le rapport qui sera prochainement publié sous la signature de notre collègue Valérie Létard, vice-présidente en charge de ce domaine.

Le débat sur la question de l'application des lois aura lieu en séance mardi 5 juin prochain.

Proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis de la proposition de loi n° 466 (2017-2018) relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale et désigne M. Louis-Jean de Nicolaÿ en qualité de rapporteur pour avis.

Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable et désigne M. Pierre Médevielle en qualité de rapporteur pour avis.

Projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique et désigne M. Patrick Chaize en qualité de rapporteur pour avis.

Questions diverses

M. Jean-François Longeot. - S'agissant de la loi ELAN, j'ai entendu qu'y serait inséré un volet sur les gens du voyage. Qu'en est-il ?

M. Hervé Maurey, président. - À ce stade nous n'avons pas d'information.

Mme Françoise Cartron. - J'ai également entendu qu'un député LREM de la Gironde déposerait un amendement sur le trait de côte dans la loi ELAN. Avez-vous plus d'informations ?

M. Hervé Maurey, président. - Non plus.

Mme Nelly Tocqueville. - J'ai eu l'occasion d'échanger sur ce sujet avec le cabinet de Sébastien Lecornu. On m'a confirmé que l'avis du Gouvernement serait négatif, et qu'un travail était en cours à l'Assemblée nationale. J'ai redit que les propriétaires n'étaient plus en mesure d'attendre encore des années. On ne m'a pas donné de perspectives. J'ai donc dit très clairement que nous n'en resterions pas là et que nous étions décidés à faire évoluer ce dossier malgré l'avis négatif du Gouvernement.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous rappelle que nous examinons cette après-midi en séance publique la proposition de loi déposée par Françoise Cartron et le groupe socialiste et républicain sur le recul du trait de côte. Il est souhaitable qu'elle puisse être adoptée à l'unanimité, et je ne peux que vous inviter à être présents dans l'hémicycle et à intervenir pour la soutenir. Je le fais d'autant plus que je serai malheureusement en retard à cette séance car nous terminerons, avec Gérard Cornu, nos auditions avec les syndicats sur le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

Je dois avoir un entretien téléphonique avec Brune Poirson aujourd'hui, mais je pense que ça ne changera pas la situation. Je trouve tout à fait scandaleux que le Sénat soit contraint de voter pour la troisième fois un texte, qui sera vraisemblablement pour la troisième fois enterré, alors que, comme l'a très bien exprimé Mme Tocqueville lors de la présentation de son rapport, il y a derrière tout cela des situations humaines plus que dramatiques.

Sur la loi ELAN, près de 2 500 amendements ont été déposés au stade de la commission à l'Assemblée nationale. En conséquence, de nombreux sujets peuvent être introduits, ce qui confirme que nous aurons un débat assez complet sur le sujet.

M. Michel Vaspart. - Dans le cadre du groupe mer et littoral, nous avons rencontré lundi dernier, sur le recul du trait de côte, le groupe littoral de l'Assemblée nationale. C'est actuellement la députée Sophie Panonacle qui a le dossier en main. Elle est en relation avec les ministres compétents sur ce sujet. Il semblerait qu'elle ait déjà présenté trois ou quatre fois un texte qu'on lui fait refaire.

M. Gérard Cornu. - Sur la loi ELAN, la saisine de la commission porte sur la partie numérique principalement, même si elle peut s'étendre également à certains articles relatifs à l'aménagement du territoire. C'est bien la commission des affaires économiques qui reste saisie au fond.

En ce qui concerne le trait de côte, nous avons voté la proposition de loi de Françoise Cartron à l'unanimité en commission. Je pense que c'est très important pour le Sénat. Le Gouvernement ne peut s'appuyer seulement sur l'Assemblée nationale. On voit bien, sur le projet de loi ferroviaire, que le Gouvernement compte beaucoup sur le Sénat, et il a raison de le faire pour sortir par le haut de la situation actuelle. Mais je ne voudrais pas qu'en même temps, les propositions de loi intelligentes adoptées par le Sénat soient systématiquement refusées pour être laissées à l'Assemblée nationale. Comme le disaient très justement notre président et notre rapporteur, je crois qu'il est très important de faire bloc, et que le Sénat soit unanime sur cette proposition de loi.

Mme Nicole Bonnefoy. - Au sujet de l'application des lois et de la bonne application de la loi Biodiversité en particulier, vous avez parlé des néonicotinoïdes. Je rappelle l'intérêt pour notre commission d'auditionner l'ANSES rapidement, si possible en amont de la loi Alimentation.

Par ailleurs, je souhaite évoquer la situation d'Air France après le départ de Jean-Marc Janaillac, que je regrette personnellement, et la situation difficile dans laquelle se trouve l'entreprise. Il nous faudrait envisager d'auditionner rapidement sa nouvelle présidente, présidente par intérim pendant un an.

M. Hervé Maurey, président. - Sur le premier point, nous allons faire une table ronde sur les produits phytosanitaires le 5 juin.

Sur la question d'Air France, bien sûr nous suivrons ce dossier et procéderons aux auditions nécessaires.

En ce moment, nous sommes particulièrement mobilisés sur la question du ferroviaire. J'en profite pour rappeler que nous auditionnons cette après-midi la ministre des Transports, Élisabeth Borne, et que nous élaborerons le texte de la commission mercredi prochain. Nous aurons un important travail de réécriture. C'est pourquoi la commission se réunira dès 8h30 et éventuellement l'après-midi, de façon à ce que nous ayons un texte le plus abouti possible avant la séance. Nous espérons, et nous le redirons à la ministre cette après-midi, que les amendements que le Gouvernement annonce seront déposés suffisamment en amont pour que nous puissions faire le travail d'examen nécessaire. Comme l'a dit le rapporteur de ce projet de loi M. Cornu, nous aurons au Sénat un rôle important à jouer sur ce texte pour l'améliorer.

La réunion est suspendue à 9h45.

La réunion est ouverte à 10 heures.

Table ronde sur la gestion et le stockage des déchets radioactifs, autour de M. Pierre-Franck Chevet, Président de l'Autorité de sûreté nucléaire, M. Jean-Christophe Niel, Directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, M. Pierre-Marie Abadie, Directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, M. Jean-Claude Delalonde, Président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information, Mme Manon Besnard, chargée d'études à l'agence d'information WISE-Paris

M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes réunis ce matin pour une table ronde consacrée à la gestion et au stockage des déchets radioactifs. Ce sujet majeur recoupe en effet plusieurs compétences de notre commission : la sûreté nucléaire, la prévention des risques, l'économie circulaire ou encore la démocratie environnementale.

La question des déchets radioactifs avait été évoquée par notre commission en mai 2016 lors de l'examen de la proposition de loi d'origine sénatoriale précisant les modalités de création d'une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Définitivement adoptée en juillet 2016, cette loi était nécessaire à la poursuite des travaux du projet Cigéo à Bure.

Toutefois, nous n'avions pas eu jusqu'à présent l'opportunité de faire un point global sur la gestion et le stockage des déchets radioactifs, aussi bien sur la situation actuelle que sur les besoins et les défis à venir. C'est l'objectif de cette table ronde.

Il s'agit également d'une question d'actualité, le Gouvernement ayant annoncé l'organisation d'un débat public national à l'automne prochain sur l'avenir de la gestion des déchets radioactifs. Outre le projet Cigéo, qui est évidemment un élément saillant de ce débat, le projet d'une future piscine centralisée pour stocker certains déchets de l'exploitant EDF est un nouveau sujet important pour la société civile. Par ailleurs, la problématique des déchets radioactifs interagit avec la question du démantèlement de certaines centrales nucléaires, et donc la place du nucléaire dans notre mix énergétique.

Pour échanger sur ces différents sujets, nous avons le plaisir de recevoir ce matin les représentants de plusieurs organismes qui sont directement parties prenantes à la politique de gestion des déchets radioactifs : M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ; M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ; M. Jean-Claude Delalonde, président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) ; Mme Manon Besnard, chargée d'études auprès de l'agence d'information Wise Paris.

Je vous propose que chacun d'entre nous prenne successivement la parole pour une présentation liminaire de 7 minutes dans l'ordre suivant : l'ANDRA, l'ASN, l'IRSN, l'ANCCLI et Wise Paris. Dans un second temps, nous passerons aux questions des membres de la commission.

M. Pierre Abadie, directeur général de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). - L'ANDRA est un établissement public sous la tutelle du ministère de l'écologie. Elle regroupe 650 agents et exerce trois métiers : la recherche et développement, la conduite de projet et l'exploitation de site. Nous avons une compétence sur l'ensemble des déchets radioactifs. Ces compétences nous apportent une certaine légitimité pour faire des recommandations et proposer des solutions proportionnées à la dangerosité des différents déchets.

En revanche, l'ANDRA n'est pas responsable de l'amont, qu'il s'agisse du démantèlement ou du transport. Elle prend seulement les déchets comme stockeur final. Notre budget est de 325 millions d'euros, payé quasi-intégralement selon le principe du pollueur-payeur. La création de cette agence visait à lui conférer une indépendance vis-à-vis des producteurs de déchets. Elle est toutefois sous la tutelle du gouvernement, du Parlement, des autorités de contrôle, à commencer par l'ASN, mais également des DREAL pour les installations classées, et enfin des évaluateurs de toute nature : scientifiques, office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), instances internationales.

Quand on parle de déchets radioactifs, on vise une palette large de déchets que l'on caractérise en fonction de leur niveau d'activité et de la durée de vie de cette dernière. Nous disposons pour certaines de ces catégories déjà de solutions. Pour d'autres, elles sont encore en construction.

Pour les déchets les moins dangereux, ceux à très faible activité (TFA), nous avons des solutions de stockage définitif en surface qui s'inspirent des centres de stockage des déchets dangereux. Cela correspond à des déchets qui sont pour l'instant essentiellement des déchets d'exploitation, mais concerneront également les démantèlements.

La deuxième catégorie de déchets est constituée par ceux ayant une activité plus élevée mais une durée de vie courte. On les appelle les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC). Pour l'instant, ils proviennent essentiellement de l'exploitation. Nous les stockons depuis plus de 40 ans dans différents sites, notamment dans un site aujourd'hui fermé dans le département de la Manche et dans un site de l'Aube.

Ensuite, il y a les déchets de haute activité et moyenne activité à vie longue (HA et MA-VL). Leur dangerosité est supérieure et, pour les déchets « moyenne activité », ils ont une durée de vie très longue. Ce sont eux qui ont vocation à être stockés dans Cigéo, en grande profondeur.

Enfin, la dernière catégorie est composée par des déchets de faible activité mais de longue durée de vie. C'est une catégorie regroupant tous les déchets ne pouvant être classifiés ailleurs. Ces déchets ne sont pas très dangereux, mais leur durée de vie longue ne leur permet pas d'être stockés en surface, en raison des phénomènes d'érosion. Pour la plupart, il s'agit de déchets historiques issus de l'histoire nucléaire. Nous n'en produisons plus beaucoup.

D'où proviennent ces déchets ? Ils viennent en grande partie de l'industrie électro-nucléaire, mais pas uniquement. Nous prenons également en charge des déchets provenant de la recherche nucléaire, de la défense, d'industries non électro-nucléaires ou médicales. Dans les faits, nous avons quatre grands clients - EDF, Areva, le CEA et le CERN - et un millier de petits clients qui produisent des quantités de déchets réduites, que nous collectons et pouvons entreposer. En volume, 90 % des déchets sont pris en charge dans les sites de surface ; il s'agit principalement des déchets de très faible activité, et de faible et moyenne activité-vie courte. En revanche, l'essentiel de notre activité est concentré sur les déchets issus du traitement des combustibles usés : ces derniers contiennent 94 % de la radioactivité concentrée dans les déchets. Ce sont ces combustibles usés qui ont vocation à aller dans Cigéo.

Comme indiqué, pour les déchets « faible et moyenne activité - vie courte », un site dans le département de la Manche est actuellement en préfermeture - il n'est plus exploité, il est complètement recouvert, et nous ne disposons plus que de 7 agents sur place. Un autre site à côté de Soulaine à trois quarts d'heure de route de Troyes est en activité. Il se présente sous la forme de casemates en béton dans lesquelles on stocke ces déchets avant de les fermer. À la fin, on les recouvrira d'une couche d'argile. Nous exploitons ce site depuis 1992. Il a une capacité de stockage d'un million de mètres cubes, devant permettre de prendre en compte l'ensemble des déchets produits ou à produire de la filière existante, relevant de cette catégorie.

Nous entreposons les déchets de très faible activité dans le Centre industriel de regroupement d'entreposage et de stockage (CIRES). Le concept est plus simple. Il ressemble à celui utilisé pour le stockage des déchets dangereux, les anciens déchets des centres d'enfouissement technique (CET) de classe 1. Nous avons recours à des alvéoles, auxquelles nous avons rajouté un toit mobile pour protéger des pluies pendant l'exploitation de l'alvéole. La capacité de ce site, de 650 000 m3, est aujourd'hui atteinte à moitié. Nous aurons besoin de capacités supplémentaires pour ce type de déchets. Nous avons tout d'abord un potentiel d'augmentation de capacité du site existant, à surface et impact identique, en améliorant les modes d'exploitation. Cela permettrait de faire passer le volume de stockage possible de 650 000 à 950 000 m3. Nous avons également la perspective de pouvoir ouvrir dans la même zone un deuxième centre. Toutefois, il y a un vrai enjeu d'optimisation de la filière de très faible activité, notamment par des réductions à la source, des réutilisations et, des recyclages de façon à avoir une vraie optimisation environnementale, et ne pas transporter sur des milliers de kilomètres des gravats quasi-propres.

Enfin, je terminerai mon propos sur le projet Cigéo. Il vise les déchets de moyenne et haute activité à vie longue. Les déchets de haute activité issus du retraitement des combustibles usés sont dans des conteneurs de déchets vitrifiés - de type conteneur universel d'Orano. Pour les déchets de moyenne activité-vie longue, il y a une plus grande diversité à la fois du type de déchets et de conditionnement. Ce dernier peut être métallique, vitrifié, utilisant le béton ou le bitume.

Le projet Cigéo est une histoire longue que le Parlement a initiée et accompagnée depuis 25 ans. Cette durée n'est pas due à un retard, mais correspond à une succession de rendez-vous réguliers. Des étapes sont intervenues tous les deux, trois ou cinq ans. Il y a ainsi eu trois lois, deux débats et autant de jalons franchis. De la recherche et de l'identification du site, nous en sommes actuellement aux études de conception et de réalisation. Nous sommes aujourd'hui dans la phase de préparation du dossier de demande d'autorisation, que nous remettrons normalement en 2019 à l'ASN. Nous avons également à côté de Bure un laboratoire, faisant de la recherche et développement et des études technologiques. Aucun déchet n'y est entreposé, et il sera physiquement séparé de Cigéo, si ce dernier est construit.

Enfin, je tiens à rappeler que vous êtes les bienvenus pour visiter tous nos sites.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) . - La gestion des déchets est un sujet fondamentalement de sûreté. L'enjeu principal est la protection des personnes et de l'environnement. C'est à la fois un sujet plus simple techniquement que la sûreté des centrales nucléaires, mais aussi plus complexe car l'on touche à des objets ayant des durées de vie très longues. Régulièrement, des ordres de grandeur de 100 000 ans s'invitent dans les discussions, qui sont hors de portée de nos approches classiques.

C'est un sujet complexe. Il faut ainsi veiller à ouvrir le dialogue avec l'ensemble des parties prenantes. Cela a été fait historiquement, avec l'implication du Parlement, par le vote de trois lois qui forment un tout cohérent et complet. D'ailleurs, les directives européennes dans ce domaine se sont largement inspirées de ce cadre législatif.

La localisation des déchets des matières nucléaires et les conditions de leur stockage font partie des sujets de préoccupations de nos concitoyens. Depuis 2003, à l'initiative de l'ASN, un groupe de travail permanent pluricatégoriel regroupe l'ensemble des parties prenantes : ONG, producteurs de déchets, universitaires, institutions étatiques. Je le préside avec mon homologue du ministère de l'environnement. Il permet d'avancer progressivement sur ces sujets complexes.

Je souhaiterais à présent me concentrer sur deux sujets qui seront à mon sens repris dans le débat sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) que le Gouvernement vient d'annoncer pour septembre. Tout d'abord, en ce qui concerne le projet Cigéo, qui a vocation à accueillir les déchets les plus nocifs, je souhaite rappeler les principes dirigeant le stockage géologique sous-terrain. Ce système est considéré au niveau international comme la solution de référence. En effet, nous sommes en présence d'objets dont la durée de vie et de nocivité est de 100 000 ans. Certes, il y a des alternatives en termes d'entreposage à un instant T, en surface, en piscine, ou à sec. Toutes ces solutions, de court terme, impliquent de recourir à des constructions en acier et béton et nécessitent dès lors un contrôle et un maintien par une entreprise. Or, personne ne peut garantir une solution de contrôle social et technique sur 100 000 ans. C'est la raison pour laquelle, à de tels horizons, on s'en remet à la géologie, pour assurer la sécurité d'un tel stockage. Une autre réflexion sur Cigéo, est de dire que la science aura trouvé des solutions dans 100 ans. C'est un vrai argument ; toutefois, personne ne peut assurer que dans 100 ans, la science aura permis une autre solution. C'est la raison pour laquelle le projet Cigéo - et cela a été inscrit dans la loi de 2016 - est prévu pour être réversible. On doit pouvoir retirer les déchets si une meilleure solution est trouvée. À l'inverse, on ne peut pas s'en remettre uniquement à la recherche, ce qui reviendrait fondamentalement à repousser la responsabilité de trouver une solution aux générations suivantes. Le prochain grand rendez-vous pour Cigéo est la demande d'autorisation en tant que future installation nucléaire. Une étape a été franchie, puisque l'ANDRA nous a remis un dossier d'option de sûreté, décrivant les grandes caractéristiques de sûreté de l'installation. Nous avons rendu un avis public, globalement très positif début 2018, notamment sur la qualité de la couche d'argile, qui est la caractéristique essentielle de sûreté. Nous avons néanmoins émis une réserve sur une catégorie particulière de déchets, les déchets bitumés, sur lesquels il y a encore du travail à faire, avant que l'on puisse autoriser leur descente.

L'autre point important qu'il faudra aborder concerne les déchets très faiblement radioactifs, notamment dans la perspective des démantèlements à venir, bien que l'on ne connaisse pas encore le calendrier. Ces opérations vont engendrer de nombreux déchets, en particulier des bétons et des aciers, qui sont objectivement très faiblement radioactifs. Pour l'instant, la politique générale est de les centraliser dans les sites de l'ANDRA. Une question environnementale se pose. Est-il opportun de transporter ces déchets extrêmement peu radioactifs à travers toute la France, en termes de CO2, de risques liés au transport, et de coût ? Une autre solution pourrait consister à créer des stockages locaux ou régionaux. Cela fait partie des points méritant un débat.

M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - L'IRSN, établissement public, est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Il a cinq ministères de tutelle : les ministères de l'environnement, de la défense, de l'énergie, de la recherche et de la santé. 1 800 personnes y travaillent, pour un budget de l'ordre de 280 millions d'euros. Nous avons plusieurs thèmes de travail : la sûreté nucléaire - tout ce qui a trait aux accidents -, la sécurité - la malveillance -, et la radioprotection - c'est-à-dire la protection de l'environnement et des personnes contre les effets néfastes des rayonnements ionisants. Ce spectre est large. Il couvre à la fois des grandes installations, comme les réacteurs nucléaires, les usines de retraitement, le projet de stockage Cigéo, mais aussi toutes les autres utilisations des rayons ionisants, notamment médicales.

Nous avons une activité d'expertise, essentiellement au profit des pouvoirs publics : l'ASN, l'Autorité de sureté nucléaire de la défense (ASND), les ministères de l'environnement, de la santé, du travail ou des affaires étrangères. L'autorité environnementale nous a saisis il y a quelques temps sur l'évaluation du PNGDMR. Nous rendons 850 avis par an, la plus grande partie - environ 500 - pour l'ASN. Nos avis sont à la fois des avis techniques et des expertises sur la production des déchets et leur gestion sur les sites, mais aussi sur la politique de gestion des exploitants, sur les stockages existants ou en projet, ou encore sur le PNGDMR.

Par ailleurs, nous avons une activité importante de recherche. D'ailleurs, la recherche alimente l'expertise, en répondant aux questions qu'elle soulève ; et inversement, l'expertise alimente la recherche, en mettant en avant les manques de connaissances à combler. La recherche représente 40 % du budget de l'institut. La plupart de nos partenaires sont européens et internationaux : les homologues étrangers de l'IRSN, les organismes de recherche, des laboratoires académiques, mais aussi des industriels, soumis à des règles de déontologie très précises.

L'ISRN gère dans l'Aveyron le site de Tournemire. Il s'agit d'un ancien tunnel ferroviaire que nous avons acquis en 1992. L'argile présent a de fortes similitudes avec celui du laboratoire de Bure. À Fontenay-aux-Roses, notre laboratoire dédié à la recherche en appui expertise fait de la caractérisation des milieux argileux et de la chimie de l'eau. Ces travaux permettent d'alimenter des modélisations qui synthétisent l'ensemble de la connaissance. Pour le stockage en couche géologique profonde, nous utilisons le logiciel Mélodie. Son objectif est de simuler le comportement de stockage sur le long terme et de grands espaces. Nos recherches sont ainsi similaires à celles de l'ANDRA. Elles sont toutefois ciblées et non destinées à la qualification.

La recherche évolue dans le temps. À l'origine, nous nous concentrions sur des questions ayant trait à l'environnement géologique du site. Aujourd'hui, nous nous concentrons sur le scellement des galeries dans lesquelles les colis vont être entreposés. C'est un élément essentiel pour garantir que la radioactivité ne va pas se diffuser plus rapidement que prévu. Un autre sujet est la capacité à suivre et à surveiller les colis lors de la phase d'exploitation qui sera très longue. Or, il n'y a pas d'installation qui a une durée de vie, à la conception, de 100 ans. Nos recherches portent sur la surveillance des alvéoles, par des moyens de radiodiffusion. Nous nous interrogeons notamment sur la capacité de résistance des capteurs dans la durée, par rapport à un environnement qui peut être assez agressif.

Enfin, nous nous inscrivons dans une démarche volontaire d'ouverture à la société. Nous menons ainsi des dialogues de nature pluraliste, dans le cadre de la poursuite de l'exploitation des réacteurs, en relation avec l'ASN, ou encore sur la cuve de l'EPR. C'est aussi une action que nous conduisons avec le comité local d'information et de suivi (CLIS) de Bure, l'ANCCLI, et des citoyens qui ont participé au débat public de 2013. Nous avons l'occasion d'échanger avec la société civile sur l'avancement de nos recherches. En outre, nous avons mis en place un comité pluraliste d'orientation des recherches. Il rassemble des élus, des industriels, des associations, des organisations syndicales, des experts. Son objectif est de nous aider dans les choix de nos programmes de recherche vis-à-vis des enjeux sociétaux.

Enfin, dans le cadre du baromètre des risques que nous faisons tous les ans depuis trente ans, nous constatons clairement que la gestion des déchets radioactifs reste un sujet de priorité pour nos concitoyens.

M. Jean-Claude Delalonde, président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) - La France est le pays le plus nucléarisé par nombre d'habitants au monde. C'est dans ce contexte que les parlementaires ont décidé de favoriser le développement d'une démocratie participative de territoires autour des infrastructures. En 1981, la circulaire Mauroy incitait les départements à créer des instances pluralistes de dialogue et d'information autour des grands équipements énergétiques.

Les commissions locales d'information (CLI) ont vu le jour avec pour principal objet d'informer le public sur la sûreté nucléaire. En 2000, ces structures ont souhaité se faire entendre au niveau national et ont créé l'ANCCLI que je préside. En 2006, la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire et son décret d'application de 2008 ont permis aux CLI et à l'ANCCLI d'avoir une existence légale, et ainsi de renforcer le droit à l'information des citoyens. En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a élargi nos champs de compétence et d'action. L'exemple des CLI et de l'ANCCLI représente un cas unique en Europe d'implication des acteurs locaux sur des questions nucléaires. Ces structures sont composées de quatre collèges : élus ; représentants d'associations de protection de l'environnement ; représentants des organisations syndicales de salariés du nucléaire ; personnes qualifiées et représentants du monde économique. On pourrait penser qu'il est difficile de mettre ces personnes autour d'une même table. Au contraire, les CLI sont un lieu d'écoute, de dialogue et de concertation entre les autorités, les producteurs et les acteurs locaux. L'ANCCLI est surtout un outil de suivi et de vigilance citoyenne, ainsi que d'information des acteurs locaux, dans la perspective d'une préservation de leur patrimoine naturel, social, économique et culturel. Elle favorise la mise en commun des expériences des CLI et porte leur voix au niveau national et international. Elle tisse des liens de partenariats étroits avec les organismes institutionnels : ASN, IRSN, ANDRA ou encore l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). La France compte 35 CLI et toutes sont membres volontairement de notre association. Cette dernière regroupe 3 000 représentants de la société civile, dont 1 500 élus locaux et nationaux. Pour émettre des avis, l'ANCCLI peut se fonder sur ses cinq groupes permanents d'étude - le groupe déchets, le groupe post-accident, le groupe sûreté, le groupe démantèlement, le groupe santé -  et un pôle d'experts.

Lors des débats sur la loi de 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, l'ANCCLI a publié un premier livre blanc sur la gouvernance des déchets radioactifs. Ce document proposait que la loi institue la création d'une commission nationale pluraliste et permanente de suivi de la gestion des matières et des déchets radioactifs. Nous continuons à porter cette proposition. Elle serait constituée de représentants de la société civile concernés par la gestion des matières et déchets radioactifs, d'acteurs locaux, de syndicats, de représentants des jeunes générations, d'experts et de représentants du Parlement.

En 2010, nous avons organisé une table ronde sur l'application de la convention d'Aarhus dans le domaine du nucléaire, convention signée en 1998 par 28 pays européens sur le droit à l'information du public. La France a été le premier pays à la signer. La même année, l'ANCCLI, le CLIS de Bure et l'IRSN ont décidé de lancer un dialogue technique autour des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, avec pour objectif de créer un dialogue durable tout au long du processus. Le débat Cigéo a eu lieu - il a été un demi-échec - mais s'il a été relancé c'est grâce à notre action conjointe avec l'ISRN.

Entre 2012 et 2017, l'ANCCLI, le CLIS de Bure et l'IRSN ont organisé sur cinq ans cinq séminaires d'échange et de dialogue. En 2013, nous avons également publié un cahier d'acteur à l'occasion du débat public sur Cigéo. La même année, nous avons publié un deuxième livre blanc sur les éléments de débat sur ce projet.

En 2015, l'ANCCLI a publié un livre blanc sur les enjeux de la réversibilité et de la récupérabilité. En 2017, nous avons participé à l'initiative lancée par l'IRSN d'inclure la société civile dans l'instruction du dossier Cigéo sur les options de sûreté. La même année, nous avons été sollicités par l'ANDRA afin d'alimenter sa réflexion sur la gouvernance de son plan directeur d'exploitation. Quels sont nos constats ?

Les CLI et l'ANCCLI sont directement concernés par toutes les questions relatives aux matières et aux déchets radioactifs quelles que soient leurs origines - industrielles, minières, médicales - et la nature des problèmes soulevés - radioactivité, toxicité, environnement - tout en exerçant en priorité le suivi des déchets liés à leur installation de rattachement.

Dans le cadre de leur mission d'information, les CLI et l'ANCCLI veulent contribuer à l'objectivité, à la qualité et à la pluralité des informations mises à la disposition des citoyens dans le domaine des déchets. Par leurs actions, les CLI et l'ANCCLI entendent jouer un rôle de vigilance citoyenne et vérifient que les déchets sont dûment pris en charge, que les filières existent pour les différents types de déchets, qu'elles prennent en compte les enjeux sociaux, économiques et environnementaux de long terme.

En tant qu'instance nationale représentant les acteurs du territoire, l'ANCCLI se présente comme une partie prenante, sans parti pris. Nous souhaitons créer les conditions d'un débat démocratique qui assurent un suivi de l'information des citoyens. Il revient à notre génération de préparer au mieux une gestion qui nous échappe et qui incombera dans les faits aux générations futures.

L'ANCCLI recommande pour cela l'adoption explicite d'une approche pluri- et transdisciplinaire pour la gouvernance d'un stockage sur le plan technique, mais aussi éthique et sociétal. D'un point de vue éthique, l'ANCCLI recommande d'engager des processus durables évaluant les avantages et inconvénients, sur la base de relations intra-, inter- et transgénérationnelles ; de mettre en place une organisation flexible de gouvernance démocratique, combinant la représentation ainsi que la participation et la délibération des citoyens. Les choix de gestion des déchets ne relèvent pas seulement de solutions techniques compliquées. Il apparaît nécessaire de construire en commun des choix collectifs. La participation à la gouvernance des déchets d'aujourd'hui et de demain doit être reconnue comme neutre et ne signifiant pas une acceptation ni une ratification des politiques ou décisions éventuellement prises après concertation.

Mme Manon Besnard, chargée d'études à l'agence d'information Wise Paris. - Dès sa création en 1983, Wise Paris s'est intéressé à ces questions notamment sur les problèmes de retraitement et de gestion du plutonium. Yves Marignac a été l'un des experts amenés à porter une analyse critique sur la gestion des déchets radioactifs en 2005-2006. Nous somme par ailleurs membres de longue date du PNGMDR. Entre 2007 et 2012, Wise Paris a coordonné le groupe d'experts pluralistes sur la gestion des anciennes mines d'uranium. Plus récemment, nous avons participé au dialogue technique organisé à l'occasion du dossier technique de l'ISRN sur les options de sécurité de Cigéo. Nous contribuons également aux exercices prospectifs de gestion des déchets à haute activité et vie longue. Enfin, nous participons à plusieurs projets européens sur l'implication de la société civile sur ces questions.

Nous souhaitons tout d'abord attirer l'attention sur la distinction structurante qui est faite entre les déchets et les matières valorisables, et les effets pervers qu'elle induit. En France, les combustibles usés ne sont pas considérés comme des déchets. La France a fait le choix du retraitement des combustibles usés. Elle est très isolée. Les principaux clients étrangers de La Hague ont abandonné cette option ou ont choisi, à l'image du Japon, de disposer de leur propre usine. Au final, il ne reste que quelques contrats avec les Pays-Bas, l'Italie et la Belgique. Le combustible envoyé par EDF représente plus de 99 % du stock en attente de retraitement. Seuls la Russie et le Royaume-Uni font encore du retraitement - et dans le cas britannique l'usine devrait fermer en 2018. D'autres petites installations de retraitement existent. La Chine envisage la construction d'une usine de grande taille. Toutefois, la grande majorité des pays disposant de réacteurs privilégient le stockage direct du combustible usé. Ce choix du retraitement n'a pas d'intérêt économique et échappe à tous les débats. Pourtant, il est important, car il conduit à occulter une partie du problème des déchets. En effet, les combustibles usés, l'uranium issu du retraitement et le plutonium, ne sont pas considérés comme des déchets, mais qualifiés de matières valorisables. Il suffit aux exploitants de déclarer que ces matières pourraient être réutilisées pour qu'elles n'entrent pas dans la catégorie des déchets, quand bien même aucun plan ne prévoit réellement leur réutilisation.

Ainsi, après le retraitement, seulement 4 % du combustible usé devenu déchet vitrifié est considéré comme un déchet. Le reste - 95 % d'uranium et 1 % de plutonium - est qualifié de matière valorisable. Or, cet uranium de retraitement n'est plus utilisé aujourd'hui. Le stock approche les 30 000 tonnes. Une partie du plutonium n'est pas non plus réutilisée. Ce stock de plutonium non réutilisé dépasse les 60 tonnes, auxquelles s'ajoutent environ 18 tonnes de plutonium étranger. Une partie est conservée dans plus de 250 tonnes de rebut de fabrication du MOx, inutilisable et dont on ne parle jamais. Du côté des combustibles non retraités, nous avons aujourd'hui 14 000 tonnes de combustibles accumulés, dont 2 000 tonnes de MOx usés sans réelle perspective de retraitement. Enfin, d'autres matières comme l'uranium appauvri sont aussi qualifiées de matières valorisables, sans perspective réelle de valorisation à l'échelle du stock existant, qui dépasse aujourd'hui les 300 000 tonnes. La loi de transition énergétique de 2015 offre à l'ASN le pouvoir de requalifier ces matières en déchets, mais pour le moment cela n'a pas été fait. Pourtant, aujourd'hui, il semble de plus en plus évident qu'une partie de ces matières valorisables ne sera jamais valorisée. Aussi, la réflexion sur la gestion à long terme et le stockage des déchets radioactifs ne peut pas être menée sur des bases solides sans tenir compte de ces matières, pas encore appelées déchets, mais qui constituent de futurs déchets déjà produits.

Dès lors, que faire de ces matières et de ces déchets à long terme ? On a commencé à produire des déchets sans vraiment savoir ce que l'on en ferait. La première solution qui a été mise en oeuvre a été de s'en débarrasser dans les océans. Heureusement cette pratique est aujourd'hui terminée, du moins pour ce qui concerne les déchets solides.

D'autres déchets ont été entreposés sans conditionnement - comme les boues dans les silos de La Hague -, ou avec un conditionnement qui pose aujourd'hui problème dans une perspective de stockage. C'est notamment le cas des dizaines de tonnes de déchets bitumés issus du retraitement.

Aujourd'hui, il existe des installations de stockage uniquement pour des déchets de très faible activité ou les déchets de faible et moyenne activité à vie courte. Pour les déchets à vie longue, ils sont conditionnés et entreposés en attente d'une solution de stockage définitif. L'option envisagée en France pour le stockage définitif est le projet Cigéo. Le stockage géologique des déchets de haute activité à vie longue, qui inclut les combustibles usés pour les pays ne faisant pas de retraitement, est considéré comme la solution de référence pour l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) comme pour l'Union européenne. Certains pays n'ont pas encore défini leur stratégie. D'autres se dirigent vers le stockage géologique. Aucun pays n'a mis en oeuvre d'autres options. Cependant aucun pays ne dispose à l'heure actuelle d'installations de stockage opérationnelles. Il existe deux stockages en profondeur en Allemagne et aux États-Unis, mais ils ne sont pas destinés aux déchets de haute activité. Le premier dans une mine de sel s'avère une catastrophe, le second a connu d'importants problèmes ces dernières années. Peu de pays ont définitivement sélectionné un site pour le stockage ; très peu sont proches d'une mise en exploitation. Les pays les plus avancés sont la Finlande puis la Suède.

Par rapport aux pays qui ne doivent stocker que le combustible usé, le choix du retraitement en France multiplie les catégories de déchets et rend le projet de stockage géologique beaucoup plus complexe. Le projet Cigéo soulève encore de nombreuses questions. J'en aborderai deux qui nécessitent une discussion en amont du décret de création de Cigéo.

La première est la question de l'inventaire. Cigéo est prévu pour stocker les déchets issus du retraitement du parc actuel. Le fait de ne pas considérer certaines matières comme des déchets conduit à ne pas les intégrer à l'inventaire de référence de Cigéo et à n'en intégrer qu'une partie dans l'inventaire de réserve. Ainsi, les matières valorisables qui ne seront probablement pas valorisées, devraient faire partie de l'inventaire de référence. Il faudrait pour cela utiliser la disposition introduite en 2015 sur la requalification des matières en déchets, avant de fixer l'inventaire de Cigéo.

La deuxième question concerne la phase pilote. Tout le monde n'en a pas la même définition. Lors du débat public de 2013, le panel de la conférence de citoyens a conclu qu'il n'y avait pas d'urgence à décider du projet du Cigéo et que l'on avait le temps de mener une expérimentation grandeur réelle. L'ANDRA a repris cette idée sous le terme de « phase pilote ». Toutefois, elle semble plutôt la concevoir comme un début d'exploitation pendant lequel des essais seraient menés, mais sans forcément prévoir une interruption du chantier à l'issue de la phase pilote pour en faire le bilan. La nature et les objectifs de la phase pilote ne sont donc pas actuellement partagés par tous les acteurs.

La sûreté et la sécurité de l'entreposage des matières et déchets radioactifs me semblent constituer des enjeux plus urgents que leur stockage définitif, même s'il faut continuer à travailler sur ce sujet. Comme l'a dit le panel citoyen, il n'y a pas d'urgence pour le stockage puisque les déchets de haute activité n'arriveront pas à Cigéo avant 2070. Se pose alors la question de l'entreposage intermédiaire des colis de déchets actuellement entreposés à La Hague. Aucun débat n'est en cours sur ce sujet. Pourtant, il parait difficilement envisageable de les entreposer dans les installations actuelles jusqu'à cette date.

En ce qui concerne les combustibles usés, les capacités d'entreposage arrivent à saturation. EDF envisage la construction d'une piscine centralisée, prioritairement à destination du MOx. Cela signifie implicitement un désengagement dans le retraitement. Prévue pour durer un siècle, elle représente un choix de gestion qui ne devrait pas être laissé à la seule responsabilité de l'exploitant nucléaire. La piscine centralisée n'est pas la seule option possible pour créer des capacités d'entreposage. Plusieurs piscines pourraient être envisagées régionalement, voire centrale par centrale. Surtout, l'entreposage à sec est une autre possibilité qui présente l'avantage du refroidissement passif, et d'avoir un impact plus faible en cas d'accident. C'est une technique que maitrise Orano, qui vend des conteneurs d'entreposage à sec. Divers pays se tournent vers cette option comme les États-Unis, où la majorité des combustibles sont entreposés sous cette forme. Ces différentes possibilités doivent pouvoir être débattues.

Mme Nelly Tocqueville. - En 2016, j'étais intervenue pour mon groupe qui a voté la proposition de loi visant à créer le site Cigéo. Je terminais mon propos en attirant l'attention sur la nécessité de la transparence vis-à-vis du public, et sur l'indispensable association de celui-ci à toutes les étapes de la création de ce site. Ce matin, lors d'une rencontre avec Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès de Nicolas Hulot, celui-ci a confirmé sa volonté de concertation et de discussion avec les acteurs locaux, la communauté scientifique. On ne peut que s'en féliciter.

Cependant, depuis 2016, des scientifiques se sont exprimés sur ce projet. Je fais référence en particulier au professeur Bernard Laponche, qui qualifie cet enfouissement de « pire des solutions ». Il préconise la solution en subsurface. Or cette solution en subsurface a été choisie depuis longtemps par les États-Unis, dont le promoteur est le champion français du nucléaire Orano, et qui dit garantir « le plus haut niveau de sécurité ». J'aimerais connaître votre avis sur cette affirmation.

Par ailleurs, a été évoquée la question de la surveillance des colis stockés au vu des risques. L'ASN souligne l'existence « d'incertitudes concernant les comportements physico-chimiques et thermiques des colis en stockage ». Confirmez-vous cette appréciation ? Enfin, se pose la question de l'incendie d'un colis qui pourrait remettre en cause la conception même de Cigéo, afin d'éviter une réaction en chaîne. L'ANDRA a fait cette affirmation. Confirmez-vous cette interrogation ?

M. Rémy Pointereau. - Dans mon département, il y a un projet de construction d'une piscine d'entreposage des déchets nucléaires, à la centrale de Belleville-sur-Loire. Pouvez-vous me confirmer l'existence d'un tel projet, pour remédier à la saturation du site de La Hague ? Ce projet de construction fait l'objet d'une controverse depuis le mois de février. C'est une revue spécialisée qui a annoncé cette localisation possible. Je souhaite savoir où en est ce projet.

M. Guillaume Gontard. - En matière de traitement des déchets, a fortiori du nucléaire, le risque zéro n'existe pas. Le risque est au contraire élevé car leur durée de vie est très longue. Je n'ai pas entendu dans vos propos de proposition d'actions sur la réduction des déchets. Vous avez rappelé que nous n'avons pas de solution pour le traitement des déchets actuels. Il faut se poser la question de la réduction des déchets futurs et de l'énergie nucléaire.

En ce qui concerne le projet Cigéo, j'ai plusieurs interrogations, notamment sur le stockage des déchets avant 2070. En outre, comment le transport de ces déchets et leur sécurisation vont-ils être assurés ? Enfin, vous avez évoqué la réversibilité. Comment est-elle possible sur le projet Cigéo, lorsque l'on enfouit des déchets comme cela est prévu ?

M. Ronan Dantec. - L'intérêt du débat sur les déchets nucléaires est qu'il y a un consensus entre nous sur le fait qu'il va falloir les traiter. Cigéo ne va pas permettre de traiter la totalité du problème des déchets français. C'est essentiel de le mettre en tête du débat.

La grande question, que l'on ne traite que par silo, est que l'on n'a pas une vision globale devant intégrer le démantèlement - produisant aussi des déchets. Cela suppose de connaître le rythme du démantèlement. Or, le calendrier évolue très rapidement. Une commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur ce sujet a d'ailleurs dénoncé les contradictions de discours, de dates et de financement. Dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat, plus ancienne, nous avions déjà pointé les contradictions sur les taux d'actualisation et les garanties d'actifs sur le démantèlement par des actions de RTE. Les montages sont très complexes. Aussi, peut-on imaginer d'avoir sur la table une vision complète des choix financiers qui sont liés à chaque choix technique ? Tant que l'on n'a pas cette maquette financière complexe, on n'y arrivera pas. Par exemple, si on va vers l'idée de toucher au minimum aux centrales existantes, peut-être que cela conduira à moins de déchets. Le stockage subsurface pourrait alors avoir plus de légitimité. C'est ce débat global qu'il faut avoir.

M. Alain Fouché. - Je suis un élu du département de la Vienne. Avec M.  Monory, nous avions suivi le dossier de la centrale nucléaire de Civaux et le projet de l'ANDRA d'un centre d'enfouissement de déchets dans le Sud-Vienne. Le dossier de Bure dure depuis 25 ans. Pourquoi aucune solution n'a-t-elle été trouvée ? Or, les sommes dépensées sont importantes. Depuis les années 2000, le dossier de la Vienne est bloqué, alors que selon nos informations, il était techniquement bon. Au total, à combien s'élèvent les coûts pour Bure, mais aussi pour les démarches entreprises dans la Vienne ? Enfin, qu'en est-il du dossier dans notre département ?

M. Jean-Paul Prince. - Je suis un habitant du Loir-et-Cher près de Saint-Laurent-des-Eaux. Sur le site de cette commune sont démantelés deux réacteurs de la filière uranium naturel-graphite-gaz (UNGG). Pour l'instant, des tonnes de graphite y sont enfouies en silos à côté et à l'intérieur de la centrale nucléaire. Ce graphite a vocation à y rester une centaine d'années puisque pour l'instant, on ne sait pas comment l'enlever du coeur du réacteur. J'aimerais donc savoir si ce graphite va rester près de la centrale de Saint-Laurent où deux autres réacteurs sont toujours en fonctionnement, ou si on va l'exporter ailleurs sous forme de déchets.

Mme Pascale Bories. - Je vous remercie pour l'organisation de cette intéressante table ronde. Je voudrais tout d'abord rebondir sur les propos de mon collègue sur l'importance d'avoir une réflexion plus globale. Je trouve cela intéressant en effet mais ne nous arrêtons pas au démantèlement, parlons aussi de l'objectif de décarbonisation de l'énergie.

En ce qui concerne la durée de vie des déchets, nous avons évoqué 100 000 ans pour les déchets de haute activité. Je sais qu'on parle aussi de la durée de 1 000 ans par rapport à la haute activité. Où en est la recherche sur ce sujet pour permettre peut-être de réduire la durée de vie des déchets de haute activité, afin que leur dangerosité soit effective sur une durée moins longue ?

L'intervenante de l'agence d'information Wise a parlé de plutonium étranger. De quelles quantités parle-t-on et d'où proviennent-elles précisément ?

Concernant les sites de stockage de déchets de très faible activité, j'ai compris qu'il y avait des conditions géologiques importantes. Puisque vous avez évoqué des réflexions en cours, y a-t-il des projets de sites de stockage de ces déchets faiblement actifs, notamment dans la vallée du Rhône, où l'on trouve un certain nombre de sites de production ?

Vous avez également abordé la question de la collecte d'objets radioactifs. Je suis surprise qu'elle s'élève seulement à cent objets radioactifs par an. Même si c'est une activité annexe, quelle communication est faite sur ce sujet ? Est-ce que les syndicats d'ordures ménagères par exemple sont informés de cette collecte pour tous ces petits objets qui sont chez les particuliers ?

M. Jérôme Bignon. - Ma première question concerne les bitumineux qui ont été évoqués comme ayant fait l'objet de réserves pour le projet Cigéo. Quelle quantité cela représente-t-il par rapport à ce qui ne fait pas l'objet de réserves ?

Deuxièmement, les documents qui nous ont été communiqués montrent qu'il y a des durées de stockage différentes suivant la catégorie des produits. Ainsi, on parle de 25, 60 ou même 100 ans. Quand on parle du futur démantèlement de centrales avec du béton et de l'acier faiblement impacté, quelle sera la durée d'activité ?

Troisièmement, notre collègue Rémy Pointereau a évoqué la piscine de Belleville. Il semblerait en effet qu'elle soit déjà localisée. Or, aucun d'entre vous n'a évoqué le problème du débordement du stockage à La Hague qui justifierait cette démarche d'EDF. Est-ce c'est une solution transitoire en attendant Cigéo ou s'agit-il d'un centre de stockage supplémentaire ?

Mon dernier point concerne la démocratie. Dans notre pays, on vit à intervalles réguliers, mais ayant atteint des paroxysmes ces derniers mois, des situations difficiles sur la question de l'acceptabilité de différents projets concernant la société, et ce malgré l'extraordinaire déploiement de bonne volonté accompli par des associations comme celle que préside M. Delalonde. Le vieux principe « pas dans mon jardin » ou « not in my backyard » (NIMBY), est un principe qui perdure et qui est même de plus en plus fort. L'égoïsme prévaut mais en même temps l'inquiétude aussi, ce qui rend les choses très compliquées. Il y a eu une tentative récente de « zadisme » à Bure. Les choses sont-elles, entre guillemets, « sous contrôle » ? Cette difficulté sociétale sur le problème du nucléaire est-elle bien prise en compte ?

J'ajouterai un point qui me concerne personnellement. Je vis sous le vent de la centrale de Penly. Mais la centrale est en Normandie tandis que je vis dans Les Hauts-de-France, autrefois la Picardie. Je suis élu depuis 40 ans dans le secteur de la Bresle, donc sous le vent de Penly, c'est-à-dire à 30 kilomètres de la centrale. Nous sommes donc concernés, avec les vents dominants d'ouest, en cas de problème dans cette centrale. Or, jamais une fois depuis quarante ans que je suis élu, je n'ai été consulté sur ce qui se passe à Penly. On a l'impression que la Bresle est bien plus qu'une frontière administrative ou géographique, comme s'il y avait un mur. Je me pose donc la question du périmètre de la consultation. Cela m'intéresse en tant que citoyen et en tant que responsable politique sur ce secteur. Est-ce que les picards peuvent être considérés comme des citoyens à égalité avec les normands sur le sujet de la contamination par une centrale nucléaire ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je suis sénateur de la Manche et membre de trois commissions locales d'information (CLI). En préambule, je voudrais dire deux choses. La première, c'est que toute activité humaine a un impact sur l'environnement. Deuxièmement, le nucléaire est un sujet sensible et parfois passionnel, tout simplement parce qu'il souffre d'un péché originel : il a d'abord été porté à la connaissance du grand public à travers les atrocités de la bombe d'Hiroshima puis il a été accaparé par les militaires et les scientifiques, qui ne sont pas des grands communicants. D'où la nécessité de passer de la défiance à la confiance. Parmi ces éléments de la confiance, on peut souligner d'ailleurs l'existence de l'ASN, de laboratoires qui sont désormais indépendants de l'exploitant et aussi des CLI.

Je ne souhaite pas entrer dans la polémique car certains propos m'ont heurté, vous m'excuserez Mme Besnard, sur la fin du cycle du combustible. N'oublions pas que le retraitement permet tout de même de récupérer 96 % de matière.

Ma question s'adresse à M. Delalonde. Pensez-vous qu'à l'heure actuelle, les CLI ont les moyens d'assumer leur rôle d'information auprès de la population ? Je constate que les CLI sont un peu en circuit fermé, et ce même si leurs travaux sont publics et s'ils sont relayés par la presse locale qui, en général, fait un très bon travail. On constate néanmoins une désaffiliation des populations au regard de la question du nucléaire, notamment depuis que les plans particuliers d'intervention (PPI) sont passés de 10 à 20 kilomètres. Il y a désormais une population en « zone grise », qui manque d'information. Quel rôle peuvent donc jouer les CLI dans ce cadre et avez-vous les moyens d'assumer vos missions ?

Mme Angèle Préville. - Je remercie tous les intervenants pour leurs présentations synthétiques, voire édifiantes. Je souhaiterais revenir sur plusieurs points.

Tout d'abord, sur la question des déchets nucléaires, je m'interroge sur l'errance que nous avons pu avoir dans le passé, notamment sur les anciennes mines d'uranium dans le Limousin, sur les fûts mis dans l'océan sur le bord de nos côtes - connaît-on leur emplacement ? Ira-t-on les rechercher ? - mais aussi sur les déchets bitumineux. Pour revenir sur le débat démocratique et la transparence, même s'il y a sans doute beaucoup d'initiatives qui sont prises, j'ai pour ma part l'impression qu'il y a un déficit d'informations abyssal auprès du public à ce niveau-là, surtout lorsque l'on voit ce qui se passe lors d'un accident nucléaire. Le premier accident c'était Tchernobyl et c'était la sidération. On aurait pu injecter de l'iode en grande quantité dans la distribution d'eau pour ne pas faire peur à la population ; or cela n'a pas été fait. Je m'interroge aussi sur les populations qui vivent chez nous à proximité des centrales nucléaires, jusque dans les cinquante kilomètres autour, et qui ne sont pas informées et qui ne savent même pas le rôle que pourrait jouer l'iode sur les éléments radioactifs ayant un méfait sur la santé. Que prévoient les plans d'intervention ? Où peut-on avoir l'iode ? J'ai interrogé un pharmacien dans le Lot qui m'a répondu qu'on ne savait pas, que tout était stocké à côté de Toulouse. Or, à 100 kilomètres d'une centrale, un accident pourrait très vite nous atteindre, notamment avec les vents. Cela pose donc problème.

Je voulais aussi revenir sur le plutonium, qui est une matière extrêmement toxique et dangereuse. J'espère que le stockage de cette matière est bien géré. Il est indispensable de mieux informer la population sur ce sujet.

M. Pierre-Franck Chevet. - Certaines questions mériteraient des réponses des producteurs de déchets, qui ne sont pas représentés à cette table.

Je voudrais revenir sur la qualification de Cigéo de « pire solution » par Bernard Laponche. Les projets de subsurface sont effectivement sous la surface mais en proche surface. Une telle installation est évidemment possible à construire. La question est : comment s'assure-t-on que ça tient 100 000 ans ? Le problème, lorsqu'on raisonne à 100 000 ans - et on se doit de raisonner à 100 000 ans -, est qu'aucun béton ni aucun acier ne présente la garantie de tenir aussi longtemps, sauf à imaginer une entreprise capable de garantir qu'elle peut gérer et maintenir une telle installation pendant 100 000 ans. Donc fondamentalement, la « subsurface » est une installation « active » envisageable, mais elle ne répond pas à l'échelle de temps de ces déchets.

Lorsque l'on parle de ces déchets-là, il faut garder en tête que tout est possible en termes d'entreposage intermédiaire provisoire mais si l'on s'oblige - et il le faut - à raisonner à 100 000 ans, on entre dans d'autres types de solutions.

Un mot sur les déchets bitumés. Une partie de ces déchets, notamment celle qui vient du CEA, est historique. Ces déchets ne sont pas hyperactifs mais ont été coulés dans une matrice en bitume pour les contenir. Le problème est que ce bitume est potentiellement combustible et que les déchets qui y ont été mis peuvent aussi avoir encore un potentiel calorifique, de réaction chimique. C'est pour cela que nous avons demandé, suite à l'avis de l'IRSN, à la fois à l'ANDRA mais aussi aux producteurs de ces déchets, de voir comment rendre inertes ces déchets chimiquement et calorifiquement avant leur envoi à Cigéo. Nous avons aussi demandé à l'ANDRA de voir ce qu'il pouvait faire en termes de gestion d'un éventuel incendie au sein d'une installation souterraine. La gestion d'un incendie dans une installation souterraine mérite des analyses approfondies.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué la nouvelle piscine. Il y a effectivement un besoin en raison d'une saturation à La Hague à horizon 2030. Lancer le projet de nouvelles installations d'entreposage une dizaine d'années en amont est cohérent avec les délais de déploiement de telles solutions. Nous avons reçu tout à fait officiellement ce qu'on appelle le dossier d'option de sûreté (DOS), c'est-à-dire les grandes caractéristiques de sûreté de cette nouvelle installation. Un dialogue technique s'est donc engagé avec EDF et l'IRSN. Ils n'ont pas formellement, à ma connaissance, choisi le lieu, même si l'évocation de Belleville est fréquente. C'est à EDF de le confirmer.

Sur le dossier de la Vienne, une autre solution a été évoquée, plutôt basée sur le granit. Il y a certainement beaucoup d'autres raisons que je ne connais pas qui ont pu conduire au choix qui a été fait. Le granit est également étudié à l'étranger comme une solution mais ces deux choix sont très différents en termes techniques et de sûreté. L'avantage de l'argile, c'est qu'il est étanche et relativement flexible, c'est-à-dire qu'il peut s'adapter à des mouvements tout en retrouvant son étanchéité. Le granit est très solide mais peut se fissurer en cas de mouvement. Au plan technique, il y a un choix sur la manière dont l'horizon géologique se comporte sur le long terme. Le choix de l'argile correspondait à une plus grande adaptabilité à des mouvements futurs de terrain.

Sur les réacteurs de première génération uranium naturel-graphite-gaz (UNGG), EDF nous a annoncé que le délai serait plus long que prévu : ils avaient initialement prévu une solution technique de démantèlement en mettant de l'eau dans les réacteurs et en intervenant ensuite rapidement ; or ils se sont aperçus que cette solution-là n'était pas la bonne et qu'il fallait envisager une solution sous air, sans mettre d'eau dans les réacteurs, les obligeant à étudier cette nouvelle option et les conduisant à une chronique qui va jusqu'à 100 ans. Je rappelle que la loi a prévu que le démantèlement doit être « immédiat ». Nous avons donc demandé à EDF de réconcilier ces deux extrêmes entre l'immédiateté et le délai de 100 ans. Si le changement d'orientation technique est compréhensible de leur part, car il y avait en effet des obstacles au démantèlement sous eau, en revanche la chronique proposée est vraiment très longue. Des discussions sont donc en cours pour optimiser le calendrier.

Certains d'entre vous ont évoqué la question de la gestion des accidents. Un travail de fond a été engagé par l'ASN sur la gestion accidentelle mais surtout post-accidentelle. Lorsque vous allez à Fukushima et que vous voyez la zone « morte » de vingt kilomètres autour d'une centrale, cela oblige à se poser des questions. L'ASN a créé un groupe de travail en 2005, avant Fukushima, avec l'ensemble des parties prenantes sur la manière de gérer les situations de crise post-accidentelle. Ce groupe essaye de se poser toutes les questions difficiles au niveau local dans l'hypothèse d'un accident. L'ensemble des autorités de sûreté européennes ont pris une position commune préconisant un élargissement des « cercles de danger », notamment du rayon de référence, de 10 à 20 kilomètres, ce qui a d'ailleurs des implications pour le travail des commissions locales d'information qui doivent élargir leur audience, et qui aura des conséquences aussi sur la distribution préventive d'iode, actuellement distribuée par campagne régulière en raison de la durée de vie limitée de ces comprimés. Chaque campagne de distribution est l'occasion de faire de l'information, même si ce n'est pas parce que l'on fait de l'information qu'on est nécessairement entendu, d'autant plus qu'il y a des gens qui arrivent entre deux campagnes de distribution et qui n'ont donc pas l'information. En outre, il va falloir étendre à court terme cette distribution d'iode autour des centrales nucléaires dans le rayon de 10 à 20 kilomètres puisque cela n'a pas été fait par le passé. Et concernant les zones de 100 kilomètres, les autorités de sûreté européennes ont conjointement jugé qu'il fallait réfléchir à avoir un plan pour étendre des mesures de confinement, d'évacuation, mais aussi de distribution de pastilles d'iode, au-delà des 20 kilomètres et notamment jusqu'à 100 kilomètres, ce qui est cohérent avec la réalité observée à Fukushima. Actuellement une pré-distribution est prévue dans la zone proche, c'est-à-dire 10 et bientôt 20 kilomètres autour des centrales nucléaires, et pour le reste, au-delà de ces 20 kilomètres, il y a des stockages régionaux et il est prévu qu'un certain nombre de compagnies spécialisées dans le transport, notamment de produits pharmaceutiques, approvisionnent les communes concernées.

M. Pierre-Marie Abadie. - Je crois qu'il faut tout d'abord bien avoir en tête que les enjeux de démantèlement concernent des déchets de très faible activité et de faible et moyenne activité. L'essentiel des déchets de démantèlement sont des déchets de très faible activité, pour lesquels on a des capacités et des solutions. Pour les déchets de faible et moyenne activité, nous disposons de la capacité nécessaire. Il y a un sujet de capacité sur les déchets de très faible activité, d'où l'enjeu de réduction à la source, de réutilisation, de recyclage avant mise en stockage ultime. En exploitation, ce n'est pas la stratégie qui a été suivie. La stratégie retenue a été de garantir au maximum qu'aucun déchet ne puisse sortir d'une zone nucléaire, en privilégiant le stockage. Mais au moment du démantèlement, vu les centaines de milliers de tonnes de béton ou de ferraille potentiellement non contaminées ou facilement nettoyables en jeu, la question se pose de savoir si une partie peut être réutilisée ou recyclée. L'enjeu dans ce domaine est simple : quel contrôle pour s'assurer que ce qui sort est propre et quelle traçabilité pour s'assurer que, si malgré les contrôles, il se passe quelque chose, cela ne parte pas n'importe où ? C'est un des enjeux du futur débat sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR).

Vous nous avez interrogés sur d'éventuels projets de construction de centres de stockage décentralisés dans la vallée du Rhône ou ailleurs. Nous n'avons pas de tels projets. En revanche, il est clair qu'il y a une réflexion à avoir de la part des exploitants et notamment du CEA sur le niveau de démantèlement de ses sites et sur ce qu'il fait de ce qui sort de ces démantèlements.

À l'autre bout de la chaîne, il y a les enjeux liés à la durée de vie des centrales, au retraitement, ou encore à la quatrième génération de réacteurs. Cela a effectivement un impact sur l'inventaire de Cigéo.

Cigéo est aujourd'hui conçu sur un inventaire de référence qui suppose le retraitement et la quatrième génération. Mais on voit bien qu'il y a un certain nombre d'incertitudes sur la quatrième génération et sur le maintien du retraitement. Nous avons donc le devoir - et nous devrons fournir ces études au moment du dépôt de la demande d'autorisation de création - d'avoir des études d'adaptabilité, qui montrent que nous sommes capables non seulement de prendre en compte l'inventaire de référence, mais également de nous ajuster le moment venu à l'inventaire de réserve. C'est un devoir que l'on a vis-à-vis de l'ensemble des parties prenantes et des pouvoirs publics qui nous ont confié cette mission de faire la démonstration de notre capacité à nous adapter aux évolutions de la politique énergétique.

Aujourd'hui nous prenons les déchets issus du retraitement mais nous avons déjà démontré depuis 2005-2006 - et nous aurons des études plus approfondies d'adaptabilité - que nous sommes capables de nous passer de la quatrième génération et donc de prendre les combustibles MOX usés et, s'il n'y a plus de retraitement, de descendre les combustibles usés.

Venons-en à Cigéo. Il y a des questions de principe tout d'abord, puis de choix de roches et enfin, de réalisation des études de conception, notamment pour la sûreté en exploitation. Je ne reviens pas sur ce que Pierre-Franck Chevet a expliqué sur les enjeux de stockage, entreposage et séparation et les options sur la séparation et la transmutation, qui étaient au coeur du débat de 2006, l'objectif étant de chercher une solution qui assure une sûreté à très long terme, donc une sûreté in fine passive. En effet sur le très long terme, on ne peut pas faire le pari de s'appuyer sur le suivi, sur le très long terme, ou sur des sociétés qui peuvent à un moment disparaître.

Cela ne signifie pas que l'on fait de l'oubli ou de la perte de mémoire une fin en soi. Nous faisons juste le constat que, même avec les meilleurs efforts du monde, un jour nous perdons la mémoire et le contrôle sociétal.

Venons-en aux questions de subsurface et aux développements du professeur Laponche avec qui j'ai d'ailleurs eu l'occasion de débattre encore tout récemment dans la presse.

Ce que l'on appelle l'entreposage subsurface ne change rien pour les principes de l'option envisagée pour le très long terme. Cela a même plutôt tendance à compliquer les choses.

Cela ne change rien sur les principes parce que « subsurface » veut dire « juste sous la surface », et n'apporte donc pas une solution à très long terme contre les risques d'intrusion et d'érosion. En revanche, l'option subsurface a un peu les défauts des deux solutions. C'est du souterrain, donc on retrouve les mêmes défauts que dans la solution Cigéo, et en même temps ça n'apporte pas de solution à très long terme.

Disant cela, je n'épuise pas la question des entreposages de subsurface, des entreposages semi-enterrés, blindés, etc. Et quand Orano développe des solutions d'entreposage aux Etats-Unis, ce n'est pas parce que les Etats-Unis ont retenu l'entreposage subsurface comme solution à très long terme, c'est juste parce qu'ils n'ont pas encore de solution complètement implémentée de stockage profond et qu'ils sont obligés d'avoir des entreposages robustes.

Lorsque l'on parle de piscine centralisée en France, c'est aussi dans une logique de robustesse de l'entreposage. D'ailleurs, la piscine en question est partiellement enterrée, partiellement bétonnée justement pour des raisons de sûreté. Mais c'est dans une logique d'entreposage ; cela n'apporte pas une réponse de très long terme.

Vous noterez d'ailleurs que depuis le début de ma réponse, je fais l'effort de ne pas prononcer le mot « solution ». En effet, lorsque j'ai été auditionné il y a quatre ans, pour prendre la direction générale de l'Andra, un sénateur m'a à l'époque interpellé en disant que ce n'était pas une solution. J'avais d'abord été un peu surpris. Et en fait, oui, dans le fond ce n'est pas une solution car je n'ai pas fait disparaître les déchets. On essaye juste de trouver la meilleure option qui apporte une sûreté passive à très long terme et qui ne dépende pas de la société.

Si l'on retient l'option du stockage profond, il faut alors envisager différentes roches d'accueil. Quatre sites avaient été étudiés pour Cigéo : deux sites dans l'argile dans le Nord, qui ont fusionné pour devenir le site dit de Meuse-Haute-Marne, un site dans le Gard, qui présentait des difficultés sismiques, et un site dans le granit. Le granit a donné lieu à l'époque à de très longs débats, y compris sur le plan technique. Je ne vais pas vous dire que le granit n'est pas possible puisque la Suède et la Finlande retiennent ce choix. Mais comme le granit peut être fracturé, cela implique deux choses. La première chose, c'est que la première et principale barrière n'est pas la roche mais le conteneur. Ils mettent les combustibles dans un conteneur en cuivre de trois mètres de long, qui doit faire un mètre et demi de diamètre et qui comporte près de 7 centimètres de cuivre. La barrière de protection est donc ce conteneur en cuivre. Si on a un doute sur ce conteneur, tout le modèle s'effondre. La deuxième chose que cela implique, c'est qu'au fur et à mesure que l'on construit, dès que l'on trouve une faille dans le granit, il faut aller construire ailleurs. Cela nécessite donc un énorme volume de granit. Nos amis suédois et finlandais n'avaient pas le choix car ils n'ont pas d'argile. Nous avons, nous, la chance d'avoir de l'argile qui apporte lui-même la protection et qui ne nécessite pas, comme barrière principale, une barrière ouvragée. En outre, l'argile n'a pas les mêmes difficultés de fracturation que le granit.

Ce n'est pas du tout la même chose de traiter 4 réacteurs en Finlande ou une douzaine de réacteurs en Suède et de traiter 58 réacteurs en France. Si on avait dû choisir le granit, il aurait fallu des volumes de granit et des volumes de cuivre absolument colossaux pour réussir à répondre au besoin de traiter l'ensemble des déchets de haute activité du parc français.

On entre ensuite dans la question de la conception détaillée. Sur la question des coûts, jusqu'à maintenant on estime que le centre de Meuse-Haute-Marne, avec les laboratoires et les équipements, a coûté environ 1,5 milliard d'euros. Je vous invite à venir voir ce site. C'est un objet scientifique en soi pour Cigéo mais c'est aussi un projet qui a mobilisé de nombreuses disciplines scientifiques avec l'ensemble du tissu scientifique national et international. On a beaucoup parlé dans la presse de 30 à 35 milliards d'euros et du coût objectif à 25 milliards d'euros. Ces milliards-là correspondent à l'ensemble des dépenses qu'il faudrait de 2014 jusqu'à la fin des temps pour construire, exploiter, maintenir, rénover et fermer. C'est une manière particulière de calculer les coûts qui prend en compte l'ensemble des coûts. C'est comme si, pour calculer le coût du viaduc de Millau on prenait le coût non seulement de la construction mais aussi de son exploitation pendant 150 ans. Ce n'est pas à moi de m'exprimer sur l'équilibre des actifs dédiés car c'est fondamentalement la responsabilité de l'administration.

Je peux en revanche mettre en perspective ces 25 milliards d'euros, qui peuvent être un peu impressionnants, et que l'on compare d'ailleurs souvent avec le coût du grand carénage ou celui de Hinkley Point. On compare là des choses qui ne sont pas comparables. Car l'ensemble des coûts est rapporté sur 150 ans alors qu'Hinkley Point recouvre le coût de la construction de deux réacteurs à un moment observé et que le grand carénage représente une dizaine d'années d'investissements pour la remise à niveau des centrales. Sur la même période à peu près que le grand carénage ou que la construction d'Hinkley Point par EDF, de notre côté, ce que nous appelons la tranche une ou la phase pré-industrielle pilote représente environ 4 milliards d'euros d'investissement et 6 à 7 milliards en exploitation. Ce n'est donc pas pharaonique au regard de la taille du parc nucléaire.

M. Ronan Dantec. - Sur ce point précis, avez-vous une comparaison sur 150 ans entre le coût du subsurface, qui n'est pas un stockage de long terme, et celui de Cigéo ? Nous aurions besoin de ces comparatifs.

M. Pierre-Marie Abadie - Je ne l'ai pas. À la fin, le résultat n'est pas le même, en effet. Sur la question du temps, il faut laisser de la place à la recherche, tout en étant réaliste sur le temps très long qu'elle suppose. L'EPR est une technologie développée dans les années 1990. L'ordre de grandeur de la recherche dans le nucléaire est le demi-siècle. Le projet doit pouvoir s'adapter aux innovations, sans que l'on puisse s'attendre à ce qu'il soit opérationnel avant une cinquantaine d'années. En 2006, la technologie Cigéo a été lancée, mais sur le très long terme. Or, aujourd'hui, personne ne serait capable de dire où l'on en sera d'ici quarante ou cinquante ans. Cela change radicalement le regard que l'on peut avoir sur l'arbitrage de 2006. Je dirais même que cela le conforte : aujourd'hui, il ne serait pas raisonnable de faire le pari de la recherche pour une filière qui, potentiellement, n'a plus d'avenir. Je vous renvoie à la notion de développement progressif. La première tranche que nous allons construire correspond aux installations de surface, puis viendront quatre alvéoles de moyenne activité sur vingt-six, puis dix-neuf alvéoles de haute activité d'un quartier pilote, sur un millier que nous aurons à construire à la fin. C'est ce qui va être fait d'ici les années 2030 à 2040. La moitié du quartier de moyenne activité aura été remplie d'ici les années 2050-2060 et on ne commencera à utiliser les quartiers de haute activité que d'ici les années 2070-2080. Ce développement progressif nous donne une capacité d'adaptabilité, de flexibilité, d'intégration de l'innovation. Cela suppose également de le jalonner, en disant ce que l'on décide au début et ce que l'on décide ultérieurement. S'agissant de la phase industrielle pilote, celle-ci est restée un concept flou. Finalement, la première tranche ne sera pas très longue, elle permettra de valider les concepts, mais également d'acquérir de l'information supplémentaire. À son issue, nous aurons des éléments supplémentaires pour pouvoir ajuster le dispositif.

Sur la question des « ZAD », depuis environ deux ans, on a vu arriver de nouvelles formes d'opposition de ce type, dont les activistes ne sont pas nombreux mais très actifs, et franchissent peu à peu de nouvelles lignes rouges. Certains ont commis des exactions contre le territoire et les populations. Le Gouvernement y a mis fin en déployant des forces de l'ordre et un escadron de gardes mobiles sur le territoire, permettant d'assurer l'ordre public. Les territoires concernés attendent reconnaissance, considération et soutien. Pour notre part, nous avons déployé une stratégie et des actions de concertation très larges, qui vont des questions de sûreté aux enjeux locaux du projet. Le dernier niveau, dans le jalonnement du projet, est sa gouvernance.

Sur la collecte d'objets perdus, nous faisons de la communication en nous assurant que les pompiers en soient informés et puissent nous les renvoyer. Les centres de stockage sont informés et sensibilisés, ainsi que les maires. Il existe des filières de collecte et des campagnes de récupération de paratonnerres.

M. Jean-Christophe Niel. - Concernant Cigéo, je précise que cette installation est inhabituelle, à la fois par les durées de vie envisagées, une fois que le stockage sera fermé, mais aussi en exploitation. L'installation doit durer plus de cent ans. L'ANDRA a remis un dossier d'option de sûreté dans le cadre d'un processus en cours. L'objectif de la démarche est de prévenir la remontée de la radioactivité à la surface. Ce dossier comprenait le concept du stockage, précisait quel était l'inventaire attendu dans ce stockage et quels étaient les objectifs de sûreté, pour la sûreté en exploitation et la sûreté en fermeture. Notre position, rendue publique en juin, est de constater qu'à ce stade du projet, celui-ci présente une maturité technique satisfaisante et que beaucoup de progrès dans la conception et l'acquisition des connaissances ont été réalisés. Nous avons noté toutefois quelques points sensibles dans les démonstrations de sûreté, notamment celui qui a trait aux déchets bitumés et sur lequel nous avons considéré que le concept à ce stade ne présentait pas de garanties suffisantes vis-à-vis du risque d'incendie. Concernant la subsurface, en tant qu'organisme chargé de l'évaluation de la sureté, l'IRSN se pose les trois questions suivantes : quel est le risque d'érosion, quel est le risque d'intrusion, et quel est le niveau d'obsolescence des technologies ?

Sur la piscine centralisée, nous avons chaque année un peu moins de combustible retraité que de combustible qui arrive dans la piscine de la Hague. Ces piscines seront donc saturées à un moment donné. On considère d'ici une dizaine d'années. Dans les années 1990, l'ASN avait demandé aux opérateurs de travailler ensemble sur les flux et les stocks de matières et de déchets radioactifs, pour s'assurer qu'il n'y aurait pas de goulots d'étranglement À l'occasion de cet examen, le risque de saturation des piscines de la Hague avait été identifié. Dans le cas du PNGDR, il avait été demandé à EDF de transmettre des options techniques pour de nouvelles capacités d'entreposage. Le DOS de la piscine « centralisée » répond à cette demande. Aujourd'hui, les hypothèses existantes prévoient une capacité un peu moindre que celle de la Hague, de l'ordre d'une vingtaine de milliers d'assemblages. Les questions de sûreté à se poser sur cette installation sont de trois types : la protection contre les agressions, les problématiques liées à Fukushima, et le niveau de séisme à prendre en compte.

Sur la question de la maîtrise de la présence de l'eau dans la piscine, l'eau de la piscine a deux objectifs : refroidir le combustible et assurer une protection radiologique. Se posent des questions telles que la quantité nécessaire de bassins pour garantir un niveau de sûreté, la question du positionnement des tuyauteries, et la qualité du liner (pot métallique) des piscines. Un dernier enjeu très important est la surveillance des assemblages pendant la durée d'exploitation. Sur ce projet de piscine centralisée, nous avons engagé un dialogue pluraliste avec l'ANCCLI.

Concernant les réacteurs UNGG, nous avons aujourd'hui des empilements de graphite très volumineux. Dans un premier temps, EDF avait souhaité intervenir sous eau -l'eau permettant de limiter la radioactivité- avant de se confronter à une difficulté technique : la fuite et le risque de diminution de la visibilité de l'opération dans l'eau. Aujourd'hui, EDF n'a pas de solution technique, ce qui soulève deux questions : d'une part, celle du comportement de ces installations dans la durée et, d'autre part, la question de l'exutoire pour ses graphites. Du point de vue de l'IRSN, l'une des pistes à explorer, serait de s'interroger sur l'utilisation éventuelle de capacité de stockage existante ou en projet avancé comme Cigéo.

S'agissant de l'entreposage à sec, celui-ci se fait dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis. Il présente deux sujets sur lesquels nous devons travailler : la capacité à contrôler l'état des assemblages combustibles dans les conteneurs, et l'utilisation de combustibles MOx.

Enfin, s'agissant de l'inventaire, celui-ci doit être précis du point de vue de la sûreté. Il est important, à la fois du point de vue technique, mais aussi en termes de crédibilité du processus, pour assurer un stockage conçu pour une enveloppe bien définie de contenu.

M. Jean-Claude Delalonde - Je vais essayer d'apporter une réponse aux questions concernant l'acceptabilité et le risque de « zadisme », au problème des moyens dont disposent les CLI pour remplir leur mission, et au déficit d'information du public. Il est important de rappeler que l'une des missions essentielles des CLI est de relayer l'information auprès du grand public, et de permettre au citoyen de se forger sa propre opinion sur la sûreté nucléaire, sachant que la composition des CLI change grosso modo tous les cinq ans, à l'occasion des élections. Or, beaucoup, d'élus dans les CLI ne connaissent pas bien ces questions et ont un effort énorme à accomplir, rapidement, pour se mettre au niveau. Nous nous demandons comment faire monter en compétence ce public sur le long terme, avec un renouvellement permanent, et quels moyens utiliser.

Les CLI interrogent les exploitants : EDF, Areva, le CEA, l'ASN, IRSN. Nous devons effectuer des analyses, des contre-expertises, surveiller l'environnement et participer à des inspections. Notre rôle est de diffuser largement nos travaux auprès de la population locale et nationale. Pour réaliser tout ce travail, nous disposons de moyens limités. Une simple expertise représente un coût de l'ordre de 15 000 euros. La réalisation d'un site Internet coûte 10 000 euros. Pour faire fonctionner correctement les CLI, en sus des 3 000 bénévoles, nous aurions besoin d'un minimum de secrétariat et de moyens pour nous réunir dans des salles.

Les 35 CLI et l'ANCCLI représentent 3,7 équivalents temps plein, dont trois emplois à temps plein, trois emplois à mi-temps, ainsi que quatre heures à un jour par semaine de salariés payés par les conseils départementaux. Avec ces moyens-là, souvent mis à disposition par les conseils départementaux, comment peut-on fonctionner correctement, en permanence, et donner de l'information au public dans un rayon de dix kilomètres ? Aujourd'hui, le budget annuel de l'ANCCLI et des CLI, dispensé sous le contrôle et l'autorité du président de l'ASN, est d'un million d'euros, auxquels s'ajoutent, en faisant le cumul de ce que les conseils départementaux donnent, un peu moins de 500 000 euros. Il m'est difficile d'entendre dire que la loi de 2006 est applicable.

Aujourd'hui, avec les moyens dont nous disposons, si l'on veut faire un bulletin d'information dans un rayon de 10 kilomètres, nous avons 1,2 million de personnes à informer. Faute de moyens complémentaires, je ne sais pas comment une CLI va pouvoir jouer son rôle d'information sur le nouveau rayon de 20 kilomètres. Prenons par exemple la CLI du Bugey qui va passer de 150 000 à 1,6 million d'habitants à informer. On peut s'attendre à ce qu'il n'y ait plus du tout d'information. Sur la question des pastilles, je précise qu'aujourd'hui, dans un rayon de dix à vingt kilomètres, les maires ne sont pas du tout informés qu'ils auront la responsabilité de distribuer des pastilles d'iode. Ils ignoreront où sont les stocks et où ils pourront s'en procurer. Donc, pour répondre à vos questions, nous ne sommes pas tout à fait satisfaits de la communication, mais compte tenu des moyens dont nous disposons, nous faisons le mieux possible. En sept ans, nous avons produit six livres blancs, que nous avons diffusés notamment aux parlementaires. Or, la population n'est pas bien informée. Nous souhaiterions arriver à organiser des réunions avec davantage de public. Or, pour organiser une réunion publique, nous avons besoin de personnels pour la convoquer, l'animer, faire appel à des journalistes. À moins que le maire vous procure une salle gratuitement, cela représente un coût de 6 000 à 7 000 euros.

Le nucléaire est un sujet tabou, ce qui est une erreur. Comment faire monter en compétence sur le sujet du nucléaire, donner la bonne information, lutter contre la désinformation et les extrêmes qui se développent avec de nouveaux comportements et qui font que la population est en situation de ne plus avoir confiance ? La France est le seul pays en Europe, voire au monde, qui a des CLI et une structure nationale associant toutes les parties prenantes, afin de reconnaître la diversité des opinions. En développant cet outil, nous arriverons à faire taire les extrêmes qui veulent agir pour tout détruire. Nous avons donc besoin de moyens supplémentaires.

Mme Manon Besnard. - Sur la question du plutonium étranger, on a toujours du mal à obtenir des chiffres précis. La majorité du plutonium étranger est située à La Hague et c'est pour la quasi-totalité du plutonium japonais, ainsi que quelques faibles quantités de plutonium belge, italien et néerlandais. Il s'agit de plutonium issu du retraitement des combustibles.

M. Pierre-Marie Abadie. - Qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le fait qu'il y a une obligation de retour et que, dans les sites de stockage français, on ne stocke que des déchets français. Les seuls déchets étrangers que nous recevons sur les sites de surface sont les déchets de la principauté monégasque.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Ces déchets ultimes ont-ils vocation à retourner dans leur pays d'origine ?

M. Pierre-Marie Abadie. - Absolument.

Mme Manon Besnard. - Sur le retraitement, je confirme enfin que le retraitement permet de retirer 96 % de la matière. Sur ces 96 %, on trouve 95 % d'uranium et 1 % de plutonium. Les 95 % d'uranium ne sont pas réutilisés. On les entrepose ensuite, sans rien en faire. On parle beaucoup de la capacité d'entreposage de la piscine centralisée que prévoit EDF, or il existe aussi une demande de l'ASN, dans le cadre des quatrièmes visites décennales, de baisser l'inventaire des combustibles dans les piscines actuelles d'EDF, celles-ci étant considérées comme ayant un niveau de sûreté qui ne pourra pas atteindre le niveau des piscines de nouvelle génération. Il y a aussi un enjeu de sûreté. La piscine prévue par EDF permettra-t-elle de baisser l'inventaire des combustibles ? Ou faudra-t-il une autre pollution ? Que fait-on ensuite de cette piscine ? Pour l'instant, EDF envisage plutôt d'y mettre du MOx. Mais nous n'avons pas encore de réponse. Ne serait-il pas judicieux de le considérer dans l'inventaire de référence et non pas de réserve ?

Enfin, sur la question de la piscine, a été évoquée la question de la transparence. Un dialogue technique a été engagé par l'IRSN avec la société civile, comme cela avait été fait pour Cigéo. De notre point de vue, c'est une très bonne chose, même si nous regrettons qu'EDF ne se prête pas vraiment au jeu. En effet, contrairement à l'ANDRA qui avait publié son dossier d'option de sûreté pour ces dialogues techniques, EDF refuse de publier son dossier d'option de sûreté. Du coup, nous avons très peu d'informations. Le fait de ne pas savoir si la piscine sera Belleville n'est qu'une partie du problème. Plus globalement, nous avons beaucoup de mal à obtenir des informations de la part d'EDF sur ce projet. C'est d'autant plus dommage que c'est une piscine qui devrait être d'une capacité proche de celle de La Hague et qui devrait durer, d'après EDF, environ un siècle. On pourrait s'attendre à ce qu'il y ait un peu plus de transparence dans le débat autour de ce projet.

M. Michel Vaspart, vice-président. - Nous avons également noté que s'il y a une augmentation des périmètres, il faudra peut-être aussi qu'il y ait une augmentation des moyens pour l'ANCCLI et les CLI. Il faudra donc que le ministère des finances accepte d'augmenter sa participation, pour que vous puissiez remplir votre rôle. Je remercie l'ensemble de nos invités à cette table ronde.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 10.

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, sur le projet de loi « Nouveau pacte ferroviaire »

M. Hervé Maurey, président. - Je suis très heureux de vous accueillir pour la présentation du projet de loi « Nouveau pacte ferroviaire », que notre commission examinera mercredi 23 mai, avant la discussion en séance publique qui commence le 29 mai. Malheureusement, la proposition de loi déposée par Louis Nègre et moi-même sur l'ouverture du ferroviaire à la concurrence n'a pas prospéré à l'Assemblée nationale, le Gouvernement lui préférant un projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance, en introduisant au fil des débats des dispositifs législatifs « durs ». Certes, la méthode permet au Parlement de mieux en débattre, mais ces dispositifs, introduits par voie d'amendements, n'ont pas été examinés par le Conseil d'État en amont et n'ont pas fait l'objet d'une étude d'impact. Les députés se sont plaints d'avoir été saisis très tardivement de vos propositions. Nous espérons les recevoir assez en amont...

Nous vous accueillons néanmoins dans un esprit positif : au-delà de la majorité sénatoriale, il se dégage un large soutien à votre détermination à réformer la SNCF. Nous sommes convaincus que les points de vue se rapprocheront pour une adoption dans les meilleures conditions.

Le Sénat aura des attentes sur certains points. La question de l'aménagement du territoire nous préoccupe particulièrement : évitons que l'ouverture à la concurrence ne se fasse au détriment des territoires en dégradant la qualité des dessertes. Notre assemblée est également très attentive au volet social.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. - Je suis très heureuse de reprendre avec vous les débats riches et constructifs que nous avons entamés lors de l'examen de votre proposition de loi. Nous partageons la même ambition : une politique des transports au service d'une société mobile, capable de s'adapter aux défis et de se rassembler autour d'objectifs et de valeurs communs, qui garantit une mobilité réelle de tous les citoyens et dans tout le territoire.

Les Assises nationales de la mobilité ont permis de dresser un état des lieux partagé, rigoureux et salué par les associations d'élus. À l'aune de ce travail, le Gouvernement s'est assigné une triple exigence dans laquelle s'inscrivent ce projet de loi et le projet de loi d'orientation des mobilités que je présenterai avant l'été. Exigence d'efficacité d'abord, pour remettre en état notre système de transport menacé par un sous-investissement chronique et insuffisamment préparé à intégrer les innovations ; exigence de justice sociale et territoriale, pour qu'aucun de nos concitoyens ne soit entravé et assigné à résidence ; exigence environnementale, avec la ferme volonté d'accélérer la transition vers une mobilité durable, plus sobre et plus propre.

Cela nécessite de tirer parti des nouvelles mobilités propres, partagées, connectées et autonomes, articulées avec un transport ferroviaire performant qui reste la colonne vertébrale de nos mobilités.

Un constat est partagé par tous, concitoyens et clients du fret ferroviaire : la dégradation de la qualité du service rendu, malgré l'engagement des cheminots, la dégradation des infrastructures liée au sous-investissement, et la dette qui menace le système ferroviaire.

Nous refusant à rester spectateurs de cet essoufflement, nous proposons à la nation un nouveau pacte pour bâtir le rail du XXIe siècle.

Comment réinventer notre politique ferroviaire pour la mettre au service de cette société mobile ? D'abord en demeurant fidèle à la grande histoire de la SNCF, faite de 80 ans d'engagement individuel et de prouesses collectives, qui a redessiné la géographie de notre pays en assurant le maillage de notre territoire ; ensuite, en lui permettant d'incarner une valeur fondamentale du service public : l'adaptabilité, pour prendre en compte les besoins des usagers ; enfin, en lui donnant les moyens d'accomplir les évolutions qui la projetteront dans le futur. Le pacte ferroviaire que nous proposons se résume ainsi à une ambition : augmenter et améliorer l'offre, pour mieux répondre aux besoins de nos concitoyens, de nos territoires et de nos entreprises.

Répondant à une inquiétude que certains d'entre vous ont exprimée lors de l'examen de la proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence, je dis clairement que les petites lignes n'en sont pas à mes yeux : elles demeurent essentielles au lien territorial et social, ainsi qu'au développement du fret. L'État restera aux côtés des collectivités pour l'entretien de ce maillage. C'est un engagement fort, inscrit dans le marbre : 1,5 milliard d'euros seront attribués à ces lignes dans le cadre des contrats de plan. Le modèle retenu par le Gouvernement confortera la desserte des territoires par les TGV, qui ne se limite pas aux métropoles, puisqu'elle irrigue plus de 230 villes. C'est un objectif fort de la politique de mobilités que je porte.

Ce pacte repose sur un double engagement de l'État et de la SNCF. L'État s'engage en mobilisant des ressources sans précédent pour rattraper le retard d'investissement : 36 milliards d'euros, soit l'équivalent de 10 millions d'euros par jour pendant dix ans. Nous devons même aller au-delà, comme l'a indiqué le Premier ministre le 7 mai. Jamais la puissance publique n'aura consenti semblable effort. C'est le prix du rattrapage du passé, de la remise à niveau du réseau dès aujourd'hui et de l'excellence pour demain. Ce ne sont pas des chiffres abstraits, mais des améliorations concrètes du quotidien, pour que nous concitoyens bénéficient d'un réseau plus sûr et d'un service plus fiable et ponctuel.

Deuxième engagement pris par le Président de la République, la reprise progressive de la dette ferroviaire à partir de 2020, pour qu'à partir de 2022 la SNCF soit en mesure de financer ses investissements sans augmenter sa dette. Celle-ci s'élève à 46 milliards d'euros pour SNCF Réseau, pour 1,6 milliard d'intérêts annuels. Le montant des efforts supplémentaires pour la remise à niveau du réseau et les modalités de la reprise de la dette seront présentés dans les prochains jours, comme le Premier ministre l'a indiqué le 7 mai.

Il est légitime de demander à la SNCF et aux cheminots de contribuer à cet effort de redressement. Cela passera d'abord par une profonde réforme industrielle et managériale. Les dirigeants de la SNCF m'ont présenté le 15 mars leur programme de travail. Un nouveau projet d'entreprise devrait aboutir à l'été, avec pour objectif de mieux répondre aux attentes des clients, de proposer un cadre social motivant, et de mettre en oeuvre un fonctionnement plus souple, efficace, décloisonné et décentralisé.

Le Gouvernement a laissé toute sa place à la concertation, proposant au mois de février de grands axes, depuis précisés dans le texte de l'Assemblée nationale. Le premier est la transformation de l'entité, en passant de trois SNCF à une seule entreprise pleinement intégrée, dotée du statut que nos prédécesseurs lui ont donné en 1937 : celui d'une société nationale à capitaux publics. Ce changement sera le gage d'une plus grande responsabilisation. Le statut de la SNCF sera le meilleur rempart contre le risque de désendettement.

Dans le texte qui vous sera présenté, la SNCF reste une société publique à 100 %. La loi empêche toute cession de titre : l'intégralité des capitaux seront détenus par l'État. C'est la formule la plus protectrice, puisqu'elle empêche toute augmentation de capital souscrite par un autre opérateur.

Cela étant, consciente de la portée des symboles et puisque la répétition a des vertus pédagogiques, je suis favorable à l'inscription du caractère incessible du capital dans la loi, pour la SNCF ainsi que pour SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Observons enfin que le domaine public ferroviaire est par nature inaliénable. Nous sommes donc loin de la privatisation agitée par certains.

Enfin je me félicite que les députés aient voté la réunification de l'ensemble des gares au sein de SNCF Réseau, mettant fin à une situation ubuesque dans laquelle Gares & Connexions, au sein de SNCF Mobilités, gère les bâtiments et certaines installations, les quais, souterrains et certaines verrières relevant de SNCF Réseau... Cette réunification est un gage d'efficacité. Il y aura, demain, un vrai chef de gare.

Deuxième axe, l'ouverture à la concurrence, qui n'est pas une contrainte imposée de l'extérieur mais un choix validé lors du précédent quinquennat, demandé par les régions et assumé par ce gouvernement. C'est une opportunité pour la SNCF d'offrir plus de services à moindre coût. C'est aussi l'occasion de redynamiser certaines des « petites » lignes que nous évoquions, grâce à des modes d'exploitation plus innovants.

Le Gouvernement a souhaité une ouverture à la concurrence progressive et protectrice. Progressive, en permettant aux régions de l'engager au rythme qu'elles souhaitent et sur le périmètre qu'elles auront défini. Protectrice parce que des garanties importantes ont été inscrites dans le texte. En cas de transfert, les cheminots conserveront l'essentiel des garanties liées à leur statut, et bénéficieront même d'une portabilité de leurs droits en cas de mobilité volontaire vers un autre exploitant.

Au regard des principes de cohérence et d'équité, la question du recrutement au statut dans un monde ouvert à la concurrence se posait naturellement. Je connais l'attachement des cheminots à leur entreprise et aux valeurs du service public. C'est pourquoi les évolutions ne concerneront que les nouveaux recrutés à compter du 1er janvier 2020, qui bénéficieront d'un socle de droit commun à tous les salariés du secteur dans le cadre de la convention collective qui sera conclue avant cette date.

La loi garantira que tous les opérateurs assurant des services conventionnés relèveront de la convention collective du transport ferroviaire. Les négociations au sein de la branche constituent donc un enjeu fondamental, et l'État s'engage à ce qu'elles aboutissent dans les délais. Je recevrai l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et les présidents de la SNCF vendredi pour faire le point sur l'agenda social qu'ils devront présenter au Gouvernement à la fin de la semaine prochaine.

Sans remettre en cause les principes structurants de la réforme, ce texte gagnerait à être enrichi et précisé par votre assemblée sur certains points. Votre proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence prévoyait la possibilité pour les autorités organisatrices de reprendre la propriété des matériels roulants et des ateliers nécessaires à l'organisation des services. Dans la même logique, la loi pourra permettre de préciser que les autorités définissent, sur proposition de la SNCF, le périmètre des transferts - donnant ainsi aux régions, plus de 35 ans après les premières lois de décentralisation, les outils d'une autorité organisatrice de plein exercice ainsi que la maîtrise du périmètre et du rythme d'ouverture à la concurrence.

Le renforcement du rôle du Haut comité du système de transport ferroviaire est indispensable pour faire vivre ce lieu de dialogue ; il pourrait notamment se prononcer sur les orientations stratégiques et établir un bilan annuel de l'ouverture à la concurrence. Il convient que la loi consacre un véritable État stratège, en lui donnant en particulier la possibilité de s'appuyer sur le Comité des opérateurs du réseau pour mieux coordonner les acteurs.

Il convient aussi de renforcer la place des collectivités et des usagers, premiers intéressés au bon fonctionnement des gares, dans leur gouvernance. Je propose ainsi de préciser dans la loi que les missions de gestion des gares, d'ores et déjà réunifiées par les députés, soient concentrées dans une filiale de SNCF Réseau.

Enfin, sans attendre les ordonnances, l'organisation des missions « système » exercées jusqu'ici par l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de tête pour le compte de l'ensemble du secteur ferroviaire mérite d'être précisée. Le mieux est de confier la gestion de crise à SNCF Réseau et celle des enjeux de sûreté - avec la Suge (surveillance générale) - à la structure de tête ; et de mettre en place une instance de coordination de l'ensemble des acteurs du système en matière de sécurité, SNCF Réseau conservant ses fonctions régaliennes dans ce domaine.

Enfin, certaines dispositions ont été plus particulièrement discutées avec deux organisations syndicales qui ont accepté de s'inscrire dans une démarche constructive, dans l'intérêt des cheminots. Je les en remercie.

Deux séries de dispositions issues de ces échanges pourraient être intégrées au texte. La première série vise à maintenir l'unité sociale du groupe dans le cadre de sa nouvelle organisation. Des garanties communes à l'ensemble des cheminots, du droit à la mobilité interne à l'accès aux colonies de vacances, existent aujourd'hui. La définition d'un « périmètre ferroviaire unifié » correspondant aux activités exercées par les trois EPIC permettra ainsi la continuité de l'application du statut aux salariés actuels relevant de ce périmètre ; l'application de la convention collective du transport ferroviaire ; une représentativité syndicale consolidée au niveau du groupe ; l'organisation du dialogue social autour d'un principe de décentralisation des négociations à mettre en place par accord collectif ; et enfin le maintien d'institutions représentatives du personnel à travers un « comité du périmètre ferroviaire unifié » notamment chargé de la gestion des activités sociales et culturelles. Je ne peux qu'être favorable au maintien de cette unité sociale à laquelle les cheminots sont particulièrement attachés, d'autant qu'elle ne fait pas obstacle aux différents principes de la réforme.

La deuxième série de dispositions concerne l'ouverture à la concurrence et plus précisément les transferts de personnels. Il y aura nécessairement une part de transfert obligatoire, indispensable pour garantir la continuité du service public. C'est au demeurant la règle qui s'applique usuellement dans le transport urbain. Néanmoins, je suis attentive à la prise en compte des spécificités liées à l'attribution des premiers contrats, dans un système qui se met en place. Trois dispositions discutées avec les organisations syndicales pourraient ainsi enrichir le texte : le renforcement de la priorité au volontariat en l'élargissant à l'ensemble de la région, la proposition d'une offre alternative de reclassement à chacun des salariés qui consacre moins de la moitié de son temps de travail aux services transférés, et l'ouverture, pour une période transitoire, d'un droit d'option individuel permettant à un cheminot revenant à la SNCF de choisir entre le nouveau cadre contractuel et le statut.

Il est aussi apparu utile, dans les discussions avec les partenaires sociaux, de  préciser que les allocations seront bien prises en compte dans le calcul du maintien de la garantie de la rémunération.

Je suis convaincue que les débats que nous reprenons aujourd'hui seront à nouveau riches, constructifs, à la hauteur des enjeux de cette réforme. Soyez assurés de ma détermination et de ma disponibilité.

M. Hervé Maurey, président. - Merci de confirmer que le texte sera complété et enrichi au Sénat, ce qui ne peut que nous réjouir ! Nous déplorons souvent le peu d'attention du Gouvernement pour notre assemblée...

M. Gérard Cornu, rapporteur. - Je suis très favorable aux lignes directrices de votre projet de loi : ouverture à la concurrence, fin du statut, transformation de la SNCF en société anonyme.

Nous apprécions aussi votre volonté de travailler avec le Sénat. Souhaitons qu'elle se communique à certains de vos collègues du Gouvernement ! Nous sommes frustrés de voir que notre travail ne prospère pas toujours, faute de volonté gouvernementale. Je vous sais gré de travailler en coopération avec notre assemblée.

Vous n'avez pas évoqué le fret ferroviaire. Sera-t-il géré par une filiale du groupe de tête ? Les autres opérateurs potentiels s'inquiètent de l'indépendance de SNCF Réseau, qui pourrait être amené à favoriser SNCF Mobilités.

Vous avez répondu aux interrogations sur Gares & Connexions. Certains ici jugent dangereux d'en faire une filiale de SNCF Réseau, compte tenu de l'endettement de cette unité, préférant un rattachement au groupe de tête. Pouvez-vous nous rassurer sur la volonté du Gouvernement de réduire la dette de SNCF Réseau, et nous donner des indications sur votre calendrier ?

Enfin, quel rôle le Gouvernement jouera-t-il s'agissant de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) ? L'article 6 du projet de loi d'habilitation, très général, ne nous éclaire pas sur ce point.

Sur la question des personnels et les sujets sociaux, nous souhaitons en sortir par le haut. Le Sénat apportera sa contribution. Ce ne sont pas les syndicats qui font la loi, cette mission incombe au Parlement, mais le Sénat doit tenir compte des attentes qui s'expriment.

Notre position est constructive, mais l'aménagement du territoire est pour nous une préoccupation importante et ne se résume pas à une régulation par les prix.

M. Hervé Maurey, président. - Je reviens sur la question de la dette. Nous attendons les annonces du Premier ministre, qui, malheureusement, interviendront après cette réunion et nous comprenons, madame la Ministre, que vous ne puissiez pas nous répondre.

Sur l'aménagement du territoire, nous ne sommes pas convaincus que le dispositif que vous proposez soit suffisant. En effet, une desserte TGV sur six serait fragile économiquement après modulation des péages ; il y a de quoi être inquiet. L'Assemblée nationale a adopté un dispositif flou : les régions et l'État pourraient conventionner avec SNCF Mobilités. L'État ne va-t-il pas se défausser sur les régions, comme cela est arrivé parfois ? Comment tout cela sera-t-il financé ? Il est curieux que l'Assemblée nationale ait prévu que les régions pourraient conventionner sous réserve que cela ne concurrence pas une ligne commerciale.

Sur les questions relatives à l'aménagement du territoire, il reste beaucoup d'imprécisions, voire d'ambiguïtés.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je partage vos préoccupations sur les enjeux d'aménagement du territoire.

Je souhaite revenir sur l'organisation qui prévaut en matière de desserte de TGV.

Aujourd'hui, la péréquation entre les dessertes rentables et celles qui le sont moins se fait au sein de l'activité TGV. Il est proposé que, demain, elle se fasse par les péages. Ainsi, le péage Paris-Chambéry serait moins élevé que celui de Paris-Lyon, dans la mesure où le segment Paris-Lyon est plus rentable. C'est l'esprit du texte voté à l'Assemblée nationale, ce qui est conforme aux textes européens. C'est la philosophie du dispositif que nous voulons mettre en place. Sur cette question, les discussions sont engagées avec l'Arafer, qui doit émettre un avis conforme sur les propositions de péage de SNCF Réseau.

On dit que deux tiers des dessertes sont non rentables. En réalité, sur deux tiers des dessertes, la rentabilité n'est pas jugée suffisante par la SNCF. Par conséquent, il y a beaucoup plus de dessertes rentables, à condition qu'on n'attende pas une rémunération des capitaux investis trop haute. Je suis confiante sur le levier que cela représenterait.

Le texte voté à l'Assemblée nationale prévoit la possibilité de conventionner des dessertes qui ne seraient pas soutenables par elles-mêmes ; et ce serait essentiellement l'État. Aujourd'hui, deux régions, Hauts-de-France et Bretagne, conventionnent déjà des dessertes TGV sur leurs territoires. La région Bretagne a fait le choix d'avoir plus de liaison TGV qui continuent au-delà de Rennes. C'est ce type de conventionnement et de choix que nous voulons maintenir et promouvoir.

S'agissant de la dette, quelle est la logique du Gouvernement ? Cela fait des décennies que l'on tourne autour de ce sujet. Le Président de la République a indiqué qu'il y aurait une reprise progressive de la dette à partir de 2020, au moment où se mettra en place la nouvelle organisation. Le Premier ministre a précisé qu'il s'agirait d'une part substantielle de la dette.

Le travail en cours avec la SNCF consiste à définir une trajectoire financière durablement équilibrée et soutenable. Personne ne comprendrait que l'État reprenne une dette qui serait amenée à se reconstituer. Cela suppose des efforts de la part de l'entreprise, un programme d'investissements de remise à niveau du réseau plus important que celui qui était prévu dans le contrat entre l'État et SNCF Réseau. Le montant de la dette sera défini de telle sorte que, en 2022, cette trajectoire soit soutenable.

J'en viens à l'aménagement du territoire. Certains à l'Assemblée nationale font semblant de croire que les lignes les moins fréquentées seraient fragilisées par l'ouverture à la concurrence au motif qu'elles ne seraient pas rentables. Je rappelle qu'il s'agit d'une délégation de service public : l'ouverture à la concurrence ne peut donc constituer une menace.

Pour augmenter la fréquentation des lignes, il faut par exemple procéder à des coordinations d'horaires ou à des rabattements. Il s'agit là aussi d'un enjeu important de la loi d'orientation des mobilités.

Le fret ferroviaire, en particulier le fret SNCF, constitue un enjeu important. Comme l'a annoncé le Premier ministre le 16 avril dernier, je travaille à un plan de relance du fret ferroviaire. Certes, le mouvement actuel fragilise beaucoup le fret ferroviaire et peut conduire à détourner durablement ses clients. Aujourd'hui, seul un train sur trois circule les jours de grève et la situation est très difficile pour les entreprises dépendantes du fret ferroviaire.

Le plan de relance du fret ferroviaire passera par des enjeux d'investissements, notamment la rénovation du réseau, et par des enjeux d'infrastructures. Par rapport à nos voisins, notamment les pays du nord de l'Europe, notre réseau est en étoile, avec des noeuds très encombrés. Ainsi, pendant les heures de pointe, aucun train de fret ne circule. Ne faut-il pas réserver des sillons, y compris aux heures de pointe, pour les faire passer ?

Il faut revenir sur les trajectoires de péage inscrites dans le contrat entre l'État et SNCF Réseau. C'est dans le cadre d'un contexte économique clarifié que la SNCF devra réfléchir à l'avenir de son activité fret, par une recapitalisation et une filialisation. La réflexion doit se poursuivre.

Les garanties d'indépendance de SNCF Réseau constituent également un enjeu majeur. Le Premier ministre a évoqué le système allemand dans lequel des textes ont fixé les règles et les garanties d'indépendance. Les échanges avec la Deutsche Bahn ont permis de bien comprendre comment garantir cette indépendance. Ce sont de telles dispositions que nous serons appelés à inscrire dans la loi, sous le contrôle de l'Arafer.

La discussion à l'Assemblée nationale a permis de repréciser les enjeux relatifs à l'Arafer. Il n'est pas question de revenir sur l'avis conforme que l'autorité doit émettre et la présence d'un régulateur indépendant est encore plus essentielle demain qu'aujourd'hui pour que l'État ou SNCF ne soient pas suspectés d'augmenter les péages pour freiner l'arrivée de la concurrence.

Nous souhaitons travailler sur la cohérence entre l'attente des opérateurs qui veulent avoir une vision pluriannuelle des péages et le contrat entre l'État et SNCF Réseau. Il faut une meilleure coordination entre l'association de l'Arafer à ces contrats pluriannuels et les avis qu'elle doit donner annuellement, pour ne pas se retrouver dans l'impasse de 2018.

S'agissant de Gares et Connexions, nous allons vers un assainissement par la reprise de la dette. Toutefois, les besoins d'investissements de cette entité ne rentreront pas dans la règle d'or de SNCF Réseau et ne doivent pas être bridés par les règles qui pourraient s'imposer à SNCF Réseau.

M. Jean-François Longeot. - Je veux insister sur le maillage du territoire et la question des lignes rentables et des lignes non rentables. Madame la Ministre, vous nous avez donné un certain nombre de réponses, mais une crainte se fait jour. Dans le cadre de la mise en concurrence, pourquoi ne pas associer à une ligne rentable une ligne non rentable ? Si nous ne procédons pas ainsi, soit SNCF Mobilités seule récupérera les lignes non rentables et le déficit continuera de se creuser, soit il faudra fermer ces lignes.

M. Guillaume Gontard. - Lundi, la presse s'est fait l'écho des échanges de votre cabinet avec la direction de la SNCF sur la cessibilité des titres de la future société anonyme. Les craintes d'une privatisation de la SNCF sont légitimement relancées et, pour rassurer, vous avez parlé d'un amendement déposé par le Gouvernement sur l'incessibilité de ces titres. Cela rassure peu. Rien n'oblige le Gouvernement à transformer l'EPIC SNCF en société anonyme ; l'ouverture à la concurrence demandée par Bruxelles ne l'exige pas.

Je peine à comprendre la position du Gouvernement. Si SNCF a vocation à rester 100 % public, autant conserver son statut d'EPIC. Sa transformation en SA n'a qu'un seul intérêt, l'ouverture de son capital : on peut ensuite créer de nouveaux titres et, ainsi, faire entrer d'autres acteurs privés au capital, jusqu'à ce que l'État devienne minoritaire et que la SNCF devienne une société privée. Les précédents France Telecom et La Poste l'attestent.

M. Olivier Jacquin. - Les débats ont pour vertu de faire évoluer les positions des uns et des autres ; à ce titre, le galop d'essai qu'a constitué la proposition de loi déposée par MM. Maurey et Nègre en est l'illustration : le texte proposé reprend toutes les dispositions permises par le droit européen. Madame la Ministre, vous avez vous-même progressé, passant d'une logique d'ordonnances stricte à un système hybride, voire un jour peut-être à un projet de loi ordinaire.

Je le répète, il manque une étude d'impact, notamment sur la question de la modulation des péages. Vous avez pris l'exemple de Paris-Chambéry et de Paris-Lyon. Qui fera ce travail de détermination des segments ? Ce jeu se fera-t-il à somme nulle pour SNCF Réseau ? Les péages vont-ils augmenter pour les lignes rentables ? Qui compensera cet exercice ?

On nous a annoncé une fin stricte du statut des cheminots. Nous espérons qu'une convention collective des transports ferroviaires aboutisse. Le délai proposé est extrêmement court pour une convention collective de ce type. Le chantier est ouvert depuis 2016 et n'est pas encore achevé. Madame la Ministre, selon vous, combien de temps faut-il pour y parvenir sans recourir à la manière forte ?

Pour les différentes entités de SNCF, vous avez parlé de la nécessité d'une réforme industrielle et managériale. Le directeur de SNCF Réseau évoque un effort de 1,3 milliard d'euros de fonctionnement, ce qui représente un effort de 20 %. Existe-t-il une recette miracle pour produire de tels effets ?

Beaucoup évoquent le modèle allemand. Je reviens d'une visite en Allemagne et je précise aux fans de l'ouverture à la concurrence que les libéraux allemands contestent ce modèle et que de très nombreuses obstructions à la concurrence apparaissent.

M. Michel Vaspart. - Notre commission s'intéresse aux territoires. Or rien n'est dit sur les lignes les moins fréquentées et sur le traumatisme provoqué par le rapport Spinetta dans les territoires, à un moment presque inopportun d'ailleurs.

Je reviens à mon tour sur la possibilité de ne pas trouver d'opérateurs pour les petites lignes. Cela risque de mettre la SNCF en difficulté, ou alors il faudra faire appel à davantage de financements régionaux.

La rénovation des lignes est aussi source d'inquiétude. Certaines lignes ont été fléchées et les moyens financiers sont mis. Pour autant, ces fonds seront-ils bien affectés à la rénovation de ces lignes ? Je vous ai écrit à ce propos, madame la Ministre : je n'ai toujours pas de réponse, ce qui entretient l'ambiguïté et l'inquiétude. Des réponses claires à des questions précises sont indispensables pour retrouver la société de confiance que vous appelez de vos voeux.

M. Ronan Dantec. - Il faut mieux associer les usagers et nous déposerons des amendements en ce sens.

Qu'allons-nous demander aux régions ? Ne pouvons-nous pas être enfin clairs sur ce sujet ? Comment être sûr que l'État ne tolérera pas que les régions paient de manière différente ? Notre réseau est en étoile. Par conséquent, selon les régions, les coûts et les besoins ne sont pas les mêmes. Il en est de même de leurs capacités fiscales et de leurs richesses. Le rapport Spinetta ouvrait sur un certain nombre de péréquations. Comment l'État voit-il sa participation ou les modalités de péréquation pour que les régions restent égales devant le reste à payer ? Sans un système de ce type, on continuera de « désaménager » le territoire. Il est important que l'État affirme qu'il assurera la solidarité entre les régions.

Autre point, le statut des cheminots. L'État sera obligé de négocier une convention collective ambitieuse, qui ne sera pas forcément très différente du socle du statut actuel... Qu'est-ce qui pose autant problème dans le statut ? Les identités sociales sont essentielles dans un pays anxiogène. Le statut comporte à la fois des avantages et l'identité sociale. Certes, le débat est tranché. Actuellement, les cheminots sont en grève, sans vision à court terme de leur convention collective. Comment arrêter une grève dans une telle incertitude ? En négociant des éléments clefs dans le cadre du statut, la négociation aurait pu aboutir...

Mme Angèle Préville. - Je renchéris, qu'est-ce qui pose problème dans le statut : les salaires, la progression de carrière, les soins, les avantages ?

Nous connaissons les causes de la dette mais personne n'évoque les responsabilités. On ne nous parle que de rentabilité. Où est la notion de service public ?

Quelle vision du ferroviaire voulons-nous : un transport de masse ou un aménagement équilibré du territoire ? Les petites lignes dépendent des régions, qui font d'énormes efforts pour une meilleure mobilité et poursuivent des objectifs sociaux et écologiques. Ainsi, la région Occitanie propose des trains à un euro...

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je rejoins les propos de M. Dantec sur les relations entre la SNCF et les conseils régionaux. Que se passera-t-il si une région leader refuse de payer dans le cas d'une ligne traversant trois régions ? On risque d'attendre les travaux longtemps, à moins que SNCF Réseau les prenne totalement en charge. Il faut établir une clef de répartition entre les régions dans les contrats de plan État-région (CPER).

Les riverains des lignes à grande vitesse (LGV) se plaignent du bruit. Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, il faudrait faire un effort sur le « bruit ressenti » - je cite votre ministre de tutelle - et le bruit normé. Les trains italiens à grande vitesse, moins chers, roulent à moins de 280 kilomètres par heure, et font un bruit acceptable par tous. Prenons enfin en compte ce problème.

M. Michel Dagbert. - Le Conseil d'orientation des infrastructures avait mis en évidence l'urgence d'intervenir sur les noeuds ferroviaires, même si nous souhaitons ouvrir des sillons pour le fret.

Je parlerais de notre dette - la SNCF est encore une entreprise publique - plutôt que de dette de la SNCF. Il y a des petites lignes, il n'y a pas de petits élus mais sans doute des élus plus influents que d'autres, ayant réussi à faire passer des LGV sur leur territoire. Mais certaines de ces lignes ne rencontrent pas le succès promis. Il y a une dette mais aussi une « dette grise » selon le journal Le Monde, qui découlerait de l'exploitation de certaines lignes mais pour lesquelles le tarif de péage a été surestimé. Par exemple, la fréquence de passage du contournement Nîmes-Montpellier a été un peu surestimée : elle s'élève actuellement à 40 % des prévisions. Le Gouvernement souhaite qu'en cas de reprise de la dette - dont les contours seront annoncés par le Premier ministre - elle ne se reconstitue pas à horizon 2022.

Mme Nelly Tocqueville. - Le fret ferroviaire a été détaché de SNCF Mobilités pour devenir une entité distincte, alors que le Gouvernement insiste sur l'unification du groupe. Comment expliquer la filialisation du fret, et comment peut-il s'insérer dans le système alors qu'il y a besoin de synergies avec le trafic de voyageurs ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - L'ouverture à la concurrence est une des conséquences de l'Acte unique européen de 1986, dont les effets se feront sentir jusqu'en 2019. Cette ouverture est encadrée par le recours au règlement portant sur les obligations de service public (OSP) des transports qui doit être utilisé avec une grande agilité. Or le calendrier est très différent entre l'Île-de-France et les autres régions. Certes, la RATP et Île-de-France Mobilités ont une ingénierie performante leur permettant d'ouvrir des lignes RER en 2039 mais d'autres régions doivent s'approprier des compétences nouvelles et lancer des appels d'offre ou travailler en interrégional. Vont-elles bénéficier d'un accompagnement méthodologique ou seront-elles condamnées à recourir à des cabinets privés, loin d'être impartiaux ?

Mme Fabienne Keller. - Merci de m'avoir conviée à votre réunion. Je salue l'engagement et l'énergie de la ministre pour faire aboutir la réforme, notamment sa récente annonce d'une garantie complémentaire sur le caractère public de la SNCF. Nous avons deux réseaux ferrés extraordinaires : le réseau classique et le réseau TGV, avec des technologies remarquables. Comme M. Cornu, j'essaie d'être constructive.

Pouvez-vous nous donner des informations sur le calendrier de négociation de la convention collective - même si cela dépend des partenaires sociaux ?

J'habite à Strasbourg et utilise régulièrement les chemins de fer allemands. En Allemagne, les salariés de la Deutsche Bahn exercent plusieurs métiers différents. Cette souplesse est source d'efficacité.

Vous le savez, nous sommes attachés à l'aménagement du territoire. Ne faut-il pas travailler avec notre commission du développement durable sur la classification des lignes ? Certaines lignes très fréquentées sont mal classées car le classement de l'Union internationale des chemins de fer (UIC) s'effectue en fonction du poids. Les voyageurs ne pèsent pas assez lourd ! Ne faudrait-il pas d'autres critères, comme le nombre de voyageurs actuels et celui envisagé entre deux territoires qu'on souhaite relier, par exemple dans des zones touristiques ? Certaines lignes risquent d'être abandonnées sur des bases infondées.

Je suis très attachée à la desserte fine des villes moyennes par les TGV- vous en signaliez 230. Les métropoles, en contrepartie de leur participation financière, pouvaient bénéficier de cette desserte fine - même si ce n'était parfois que trois trains par jour.

Pouvez-vous nous rassurer et nous préciser quelles techniques permettront de maintenir ces dessertes - par exemple le prix des sillons ?

Les gares doivent-elles être conservées par la SNCF ? Il faut investir dans ces lieux à haut potentiel, qui brassent beaucoup de monde, où la propreté et la sécurité sont fondamentales. Ce sont de nouveaux lieux de vie dans les centres-villes. Faisons preuve de volontarisme.

M. Hervé Maurey, président. - Je précise que le chiffre que je mentionnais d'une ligne sur six en difficulté économique, qui provient du Gouvernement, s'entend bien après la modulation due aux péages - actuellement une sur deux est en difficulté.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Monsieur Dantec, il y a deux types de services. Nous ne reviendrons pas sur la décentralisation des services conventionnés : il y a des conventions entre les régions et la SNCF, avec des dotations dont le montant tient compte des différences entre les territoires. Lors de la décentralisation des TER, la dotation pour la région Limousin couvrait 90% des coûts car les voyageurs n'en payaient que 10%. Les régions sont autorités régulatrices des TER ; elles assurent les dessertes sur leur territoire. Nous ne reviendrons pas sur la dotation des régions décidée lors de la décentralisation expérimentée en 1997 et généralisée en 2000 avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain. Hors Ile-de-France, les régions reçoivent 3 milliards d'euros de crédits de fonctionnement pour conventionner ces services. Cette dotation répond aux besoins.

Actuellement, les régions signent un contrat global ; demain, elles définiront des lots prenant en compte une partie des transports régionaux. Trouveront-elles des opérateurs pour répondre aux appels d'offre ? Cela dépend de la manière dont elles définiront leurs lots, comme c'est le cas pour toute délégation de service publique : il faut définir des lots intéressants. En général, l'entreprise qui gagne répond au meilleur rapport qualité-prix. C'est la région qui définit ensuite le prix des dessertes. Actuellement, les régions ont un contrat unique avec la SNCF. Demain, elles définiront leurs contrats selon leur propre calendrier. Chaque région doit avancer à son rythme - et elles veulent toutes le faire progressivement. Elles n'ont pas fait part d'une difficulté à disposer de moyens d'ingénierie, et ont des ressources.

Les services non conventionnés ne recouvrent plus que les TGV, car les trains d'équilibre du territoire - anciens Intercités - font l'objet d'une convention avec l'État qui verse des compensations.

M. Ronan Dantec. - Nous savons qu'il existe des conventions. Mais dans le cadre de la réforme et du retour à l'équilibre financier de la SNCF, pour un même niveau de service demain, les régions ne devront-elles pas payer davantage ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Soit on a un point de vue idéologique, soit on regarde autour de soi : l'ouverture à la concurrence fait arriver de nouveaux opérateurs proposant de nouvelles organisations - c'est stimulant pour l'opérateur historique - et avec des services qui ne coûtent pas plus cher. C'est pour cela que les régions demandent l'ouverture à la concurrence : avec les mêmes montants, elles feront plus de service public.

Pour faire fonctionner le service public ferroviaire, il y a également un enjeu de réseau. Le classement UIC de 7 à 9 est technique et crée de la confusion. Il regroupe des lignes totalement différentes : des grandes lignes périphériques à la ville de Strasbourg, les trains Nantes-Bordeaux ou Paris-Granville, utiles en termes d'aménagement du territoire, mais aussi des lignes plus petites. Il ne tient pas compte des enjeux et comprend aussi des lignes uniquement de fret, indispensables car rassemblant 20 à 30% du trafic de fret ferroviaire. C'est un très mauvais classement.

L'Assemblée nationale a voté le principe d'un rapport sur l'état du réseau et les coûts de remise en état. Nous avons besoin d'un diagnostic dans chacune des régions pour éviter le cas des contrats de plan 2015-2020 dans lesquels les besoins de financement pour les rénovations de lignes étaient insuffisamment pris en compte ; il est compliqué de faire face à des surprises après la signature du contrat... Or certaines petites lignes hors contrats de plan sont fragilisées et nécessitent d'être rénovées immédiatement. Demandons à SNCF Réseau d'établir un diagnostic pour que l'État et les régions proposent une stratégie sereinement - et non le couteau sous la gorge, comme pour la ligne Limoges-Angoulême. J'en ai débattu ce matin avec Hervé Morin, président de l'Association des régions de France. L'État continuera à accompagner les régions dans les contrats de plan.

Monsieur de Nicolaÿ, en cas de lignes partagées entre plusieurs régions, il faut investir dans les contrats de plan, mais l'État ne peut se substituer aux régions, ni leur demander de prendre des lignes qui ne les intéressent pas. Demain comme aujourd'hui, les investissements sur les TER se discuteront dans les contrats de plan. C'est un enjeu d'aménagement du territoire, et notamment dans les 230 villes.

La loi veut établir cette péréquation grâce aux péages. Si besoin, il y aura un conventionnement - nous y avons réfléchi avec l'Arafer. En Italie, l'ouverture à la concurrence de la ligne Milan-Rome-Naples a entraîné la mise en place d'un dispositif incitant à la multiplication des arrêts, ce qui est positif pour l'aménagement du territoire.

Monsieur Gontard, je comprends que nous n'arriverons jamais à vous rassurer. Nous avons écrit dans la loi que l'État détient toujours les titres de la SNCF. Nous sommes prêts à écrire aussi que ces titres sont incessibles. L'organisation en trois EPIC ne forme pas une société. Il est préférable de revenir au statut qu'avait la SNCF entre 1937 et 1982, comme nos voisins allemands et italiens.

M. Guillaume Gontard. - ... avec une augmentation du capital par l'État ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Quelle augmentation de capital ?

M. Guillaume Gontard. - Passer en société anonyme pose un problème de capital.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - L'État va devoir reprendre la dette de la SNCF - c'est prévu dans le projet de loi voté par l'Assemblée nationale : le capital est intégralement détenu par l'État. S'il y a une augmentation de capital, elle sera abondée par l'État. C'est une garantie forte et protectrice. On peut aussi écrire que les titres sont incessibles, cela revient à dire deux fois la même chose...

L'objectif est que la convention collective soit complétée sur tous les chapitres essentiels avant la fin de l'année 2019. Cet objectif est partagé par l'UTP, et l'État s'engagera pour qu'il soit atteint. On ne part pas de rien : de nombreux accords ont déjà été signés, et certains chapitres très importants ont déjà été abordés, comme par exemple les critères de désignation des agents transférés, les classifications, les rémunérations ou les parcours professionnels. Les cheminots, qui ont un parcours professionnel dans le cadre de la SNCF, ont vocation à avoir demain un parcours professionnel dans le cadre de la branche. Les conducteurs de TER, par exemple, souhaitent pouvoir devenir conducteurs de TGV. Un certain nombre de garanties figurent déjà dans le texte adopté à l'Assemblée, et je proposerai d'en ajouter d'autres car nous souhaitons que les cheminots, les agents, les salariés aient des parcours professionnels fluides, ce qui implique une discussion au sein de la branche. Les organisations syndicales sont aussi attachées à la sécurisation des parcours professionnels, et je veillerai à ce que ce thème-là soit aussi traité par la branche : l'UTP doit préparer sous huit jours un document d'orientation assorti d'un calendrier. Nous nous impliquerons pour que cette négociation collective avance.

M. Michel Vaspart. - Et la rénovation ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Certes, les contrats de plans n'ont pas été exécutés à un rythme foudroyant ces dernières années... Le Gouvernement est conscient de l'importance de leur respect pour la crédibilité de la parole publique, et la loi de programmation des infrastructures sécurisera la trajectoire de financement. Les engagements pris devront être honorés.

Qu'est-ce qui pose problème dans le statut ? M. Martinez a posé la question dans ces termes. Nous sommes dans une évolution, dont je suis consciente qu'elle peut interpeller les cheminots, mais qu'ont connue tous les autres secteurs. Cette entreprise était en situation de monopole et a eu à construire les protections pour ses salariés. C'est cela, le statut, qui tient lieu à la fois de convention collective et d'accord d'entreprise. Mais ce monde va être ouvert à la concurrence - a commencé à s'ouvrir à la concurrence. Des entreprises vont y employer des cheminots qui font le même métier, à la SNCF et dans d'autres entreprises. Dans tous les secteurs, les protections ont été portées au niveau de la branche - c'est la convention collective - et chaque entreprise peut avoir son accord d'entreprise.

Ainsi, la SNCF travaille sur son futur cadre contractuel. C'est l'évolution normale, qui a eu lieu par exemple à la Poste, qui emploie à la fois des fonctionnaires et des agents à la convention collective avec un certain nombre de droits communs, et des modalités différentes. C'est une évolution logique dans un secteur qui s'ouvre à la concurrence.

Je ne vais pas faire la liste de tout ce qui soulève des questions dans le statut. Les conditions d'embauche, par exemple, ne reconnaissent pas l'expérience professionnelle acquise ailleurs. Les descriptions des métiers sont très fines...

M. Ronan Dantec. - Trop, sans doute.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Et les règles d'évolution sont très automatiques. Il appartiendra à la branche et aux partenaires sociaux de définir ces règles. Les partenaires de la branche souhaitent que cela permette une forme d'adaptabilité à des situations différentes. L'idée n'est donc pas de recopier dans la branche les règles du statut actuel mais de trouver un cadre valable pour tout le monde, qui donne la possibilité d'adapter des organisations à des contextes différents. C'est cela, le travail qui est en cours, et l'État sera très attentif à ce qu'il se termine dans les délais.

La question de la dette n'est pas si simple. Oui, l'État y a sa part, mais on ne peut pas dire que les lignes à grande vitesse sont seules à l'origine des 46 milliards d'euros de dette actuelle. Certes, 20 milliards d'euros de dettes avaient été transférés à RFF, qui étaient clairement identifiés comme étant la dette des lignes à grande vitesse. En 2010, la dette était passée à 27 milliards d'euros. Entre 2010 et 2016, elle a augmenté de 15 milliards d'euros, dont seulement un quart est imputable à des lignes à grande vitesse.

Il faut aussi travailler sur l'évolution des coûts. Entre 2010 et 2016, le coût d'entretien et d'exploitation du réseau a augmenté de 30 %. Il y a peut-être de bonnes raisons, mais cela mérite tout de même qu'on se pose des questions. Si l'État reprend la dette, c'est l'ensemble des Français qui s'engageront. Notre exigence est que chaque euro dépensé le soit au mieux et avec le maximum d'intérêt pour la collectivité. C'est bien le but de cette réforme : il ne s'agit pas de faire des économies, puisque il est déjà prévu de mettre plus d'argent qu'on n'en a jamais mis !

Le bruit est un problème vraiment important, qu'il faudra traiter sur les deux lignes à grande vitesse concernées. Je ne dispose pas encore des mesures, mais on peut supposer que sur la ligne Sud Europe - Atlantique comme sur Bretagne - Pays de Loire, les entreprises ont respecté les textes réglementaires, fondés sur un bruit moyen. C'est un calcul théorique intéressant, mais les riverains n'entendent pas un bruit moyen... Il y a manifestement une gêne non négligeable, qu'il va falloir se donner les moyens de réduire.

Nous n'oublierons pas la dette grise, qui concerne d'abord l'insuffisance d'entretien. Nous retenons les montants de régénération demandés par les experts.

Il faudra en effet assurer une bonne coordination entre les circulations de fret et de voyageurs. C'est au sein du comité des partenaires du réseau que se font les choix des priorités d'attribution des sillons. C'est un outil majeur du coût de la politique des transports, et l'État n'y siège pas ! Je souhaite que mon ministère s'investisse davantage dans la définition de ces règles.

Nous devons garantir que l'investissement dans les gares ne sera pas bridé ni noyé dans un montant global d'investissement qui sera très important. Les Assises de la mobilité ont bien montré combien la gare est un élément essentiel du transport ferroviaire, en termes d'intermodalité comme d'aménagement et de développement urbain. C'est dans cet esprit qu'il faut réfléchir à une gouvernance associant la région, les entreprises gestionnaires, la SNCF ainsi que les collectivités.

M. Hervé Maurey, président. - L'inquiétude des régions porte aussi sur le conventionnement. Sera-ce l'État ? Les régions ? Jusqu'où celles-ci devront-elles financer ? C'est une source d'inquiétude.

M. Ronan Dantec. - C'est le sujet central. Je ne suis pas contre l'ouverture à la concurrence et viens d'une ville où il y a une concurrence organisée dans le service public de l'eau à l'échelle de Nantes-Métropole : une partie est en service public, avec des statuts de fonctionnaires de collectivités territoriales, et d'autres lots sont dans le privé, et l'on constate une émulation entre les deux. On peut donc garder un statut et ouvrir à la concurrence. Pour les lignes TER assez fréquentées, on va trouver moins cher. Pour les très petites lignes du centre de la France, je ne suis pas sûr qu'on trouvera moins cher... Il faut sécuriser tout cela.

M. Hervé Maurey, président. - Vous déposerez des amendements et nous aurons le débat en séance.

La réunion est close à 18 h 45.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.