Jeudi 29 mars 2018

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Échange de vues sur la révision constitutionnelle

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, il m'a paru souhaitable de débattre entre nous des pistes que nous pourrions envisager de porter ensemble dans le cadre des débats à venir sur la révision constitutionnelle.

Les pistes de réflexion dont nous devons décider pourraient tout d'abord concerner l'approfondissement de l'égalité entre femmes et hommes dans la Constitution.

Elles pourraient aussi, si je me réfère aux remarques que vous avez exprimées ces derniers temps, concerner l'avenir institutionnel et juridique de notre délégation, pour renforcer sa visibilité et son ancrage au sein du Sénat.

Le moment venu, nous pourrions peut-être récapituler ces réflexions dans un rapport.

Notre objectif, aujourd'hui, est d'avoir un échange entre nous pour définir les orientations générales de notre contribution au débat. À la fin de cette réunion, nous devrions avoir élaboré ensemble les contours de notre positionnement, sans entrer dans les détails de la mise en oeuvre juridique des orientations que nous allons esquisser ce matin.

La délégation ne peut s'exonérer de cette contribution au débat pour trois raisons.

Tout d'abord, une proposition de loi constitutionnelle a été déposée, le 8 mars 2017, par la présidente de la délégation, qui était alors Chantal Jouanno, pour que l'égalité entre femmes et hommes soit inscrite à l'article premier de la Constitution.

Ensuite, le Haut conseil à l'égalité (HCE), dans sa contribution à la prochaine révision constitutionnelle, recommande l'adoption de cette modification, comme d'ailleurs le Laboratoire de l'égalité : il faut noter que le HCE cite l'origine de cette proposition de loi, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque des initiatives sénatoriales inspirent d'autres auteurs.

Enfin, et c'est probablement la principale raison qui nous conduit à mon avis à participer à ce débat, le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle a tout récemment préconisé la parité au Gouvernement, qui fait partie des 40 propositions ainsi élaborées.

Il nous est donc difficile de ne pas nous inscrire dans le débat sur la révision constitutionnelle.

Dans un premier temps, nous allons parler des modifications de la Constitution qui peuvent approfondir le principe d'égalité femmes-hommes.

Nous devrions tout d'abord recommander que la révision constitutionnelle comprenne, dans l'esprit de notre proposition de loi constitutionnelle, la modification de l'article premier pour y prévoir le principe d'égalité entre femmes et hommes, à côté de l'objectif de parité qui y figure déjà.

Nous devons toutefois nous poser une question à cet égard, comme le suggère le HCE : une telle modification ne mettrait-elle pas en péril des mesures dites d'inégalité compensatrice, comme par exemple les lois sur la parité ? Faut-il donc prévoir dans la Constitution une disposition préservant ces mesures ?

Cela me semblerait étonnant, notamment parce que la modification que nous proposons dans la lignée de la proposition de loi constitutionnelle du 8 mars 2017 est avant tout symbolique, puisque le principe d'égalité entre les hommes et les femmes existe déjà dans le préambule de 1946, et que la jurisprudence du Conseil constitutionnel en a tiré les conséquences. De plus, la Constitution prévoit elle-même, au second alinéa de l'article premier, des mesures favorables à la parité.

On voit mal comment l'égalité devant la loi des femmes et des hommes, au motif qu'elle serait inscrite à l'article premier et non dans le préambule de 1946, rendrait inconstitutionnelles les lois Sauvadet et Copé-Zimmermann, qui résultent elles-mêmes de la Constitution ! On voit mal aussi comment cette modification de l'article premier pourrait mettre en cause, par exemple, la protection des salariées enceintes...

Je vous propose sur ce point de solliciter l'avis de spécialistes.

Qu'en pensez-vous ?

Mme Françoise Laborde. - Cette proposition de loi constitutionnelle, nous sommes un certain nombre, à la délégation, à l'avoir cosignée. C'est une initiative importante pour nous : l'égalité femmes-hommes doit imprégner tous les textes législatifs, y compris lorsqu'elle induit les inégalités compensatrices dont vous avez parlé. Je suis d'accord avec notre présidente, la protection de la maternité ne saurait être affaiblie car on sait que le principe d'égalité n'empêche pas le législateur de régler de façons différentes des situations différentes. C'est précisément le cas pour la maternité !

Mme Laurence Rossignol. - À mon avis, le problème ne se limite pas à l'égalité entre femmes et hommes. Il faut s'assurer que cette rédaction de l'article premier n'empêche pas des mesures de rattrapage au profit, par exemple, des quartiers. Il y a eu des précédents d'invalidations de telles mesures par le Conseil constitutionnel au nom du principe d'égalité, précisément.

En 1982, le Conseil constitutionnel avait ainsi, en se fondant sur le principe d'égalité, déclaré inconstitutionnelle la loi dont Yvette Roudy avait pris l'initiative pour favoriser l'élection de candidates aux élections municipales. Après la révision constitutionnelle de 1999, on a pu déroger au principe d'égalité pour favoriser l'accès des femmes aux mandats. Mais il a fallu que la Constitution le permette explicitement !

Mme Françoise Laborde. - Il y a eu aussi l'épisode des retraites des mères de famille nombreuse... Mais l'opposition aux mesures qui leur étaient favorables est venue de Bruxelles...

Mme Françoise Cartron. - Il est important que nous puissions recueillir l'avis de spécialistes.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous sommes donc d'accord sur ce point.

J'en viens à l'éventuel approfondissement du principe de parité, qui figure au second alinéa de l'article premier de la Constitution. Nous avons plusieurs pistes possibles. Le HCE propose que, au second alinéa de l'article premier, il soit écrit non pas que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux » etc., mais que « la loi garantit ». La délégation reprendra-t-elle cette suggestion ? L'accès imparfait des femmes aux responsabilités tient-il davantage aujourd'hui à des pratiques ou à une insuffisance des normes en la matière ? Ne risque-t-on pas, avec cette modification du second alinéa de l'article premier, d'altérer la portée de la loi face aux lacunes de la parité dans la pratique ? Par ailleurs, il y la question des femmes qui seraient réticentes à se porter candidates à ces élections... Je propose que, sur ce point aussi, nous prenions des avis, mais je vous donne la parole. Qu'en pensez-vous ?

Mme Laurence Rossignol. - Le verbe garantir me va bien !

Mme Françoise Cartron. - À moi aussi !

Mme Dominique Vérien. - Je suis d'accord !

Mme Laurence Rossignol. - Il y a un tel écart entre la parité, dont le principe est inscrit dans la Constitution, et la réalité, que nous ne risquons rien à opérer cette substitution.

Mme Dominique Vérien. - Ce que l'on garantit, ce n'est pas la parité, ce n'est pas qu'il y ait le même nombre de femmes élues que d'hommes, c'est l'accès aux mandats ! Il y une nuance...

Mme Annick Billon, présidente. - C'est vrai.

Mme Laurence Rossignol. - En effet, la loi ne garantit pas l'égalité arithmétique, mais l'égalité de l'accès.

Mme Françoise Laborde. - On oblige la loi à la prévoir.

Mme Dominique Vérien. - On ne peut obliger les gens à nous élire !

Mme Chantal Deseyne. - Ni les gens à être candidats et candidates...

Mme Françoise Cartron. - La parité a pu devenir effective avec les listes paritaires. On pensait que l'on ne trouverait pas de femmes - je pense à la remarque de notre présidente - mais finalement les femmes sont là ! Le verbe favoriser a encouragé une certaine hypocrisie de la part de certains collègues masculins.

Mme Annick Billon, présidente. - Quels peuvent être les effets concrets de cette modification ? Est-ce une démarche symbolique ? Certes, les symboles ont leur importance...

Mme Dominique Vérien. - En « favorisant », on peut se dire que si on n'atteint pas la parité, ce n'est pas si grave. Nous devrions donc aller plus loin.

Mme Laurence Rossignol. - Les modes de scrutin déterminent le respect de ce principe. Regardez ce qu'a permis, dans les départements, le binôme paritaire !

Le mode de scrutin proportionnel encourage la parité ; notre problème demeure le scrutin uninominal. Le meilleur exemple est celui des conseils départementaux qui, à la faveur du passage d'un scrutin uninominal à un scrutin binominal, a fait progresser la proportion de femmes dans les conseils départementaux de 14 à 50 %.

On parle de diminuer le nombre de députés (et de sénateurs) : je trouverais plus judicieux de diviser par deux le nombre de circonscriptions aux élections législatives, avec une solution de type binominale, pour que l'Assemblée nationale soit véritablement paritaire. C'est possible, puisque, je le rappelle, Françoise Gaspard avait imaginé le binôme paritaire pour les élections législatives. Cette formule a finalement été appliquée aux élections aux assemblées départementales, avec succès.

Je suis favorable à l'extension du mode de scrutin des élections départementales aux élections législatives.

Mme Dominique Vérien. - L'Yonne, dont je suis élue, est le seul département à avoir une assemblée non paritaire au profit des femmes. Lors d'élections consécutives à la démission d'un conseiller, nous aurions dû avoir un homme d'élu, mais une femme s'est présentée : on ne pouvait l'en empêcher. Et elle a été élue ! Donc sur ce binôme, nous avons en réalité deux femmes...

Mme Françoise Laborde. - Je regarde les synonymes du verbe favoriser. Je trouve aider, avantager, encourager, soutenir... Vous êtes-vous rendu compte que vous étiez avantagées, soutenues ? Le changement de verbe est donc pertinent !

Mme Annick Billon, présidente. - Je ne suis pas certaine que le verbe garantir permette un meilleur accès des femmes aux exécutifs locaux...

Mme Dominique Vérien. - On observe quand même que de nombreuses collectivités veillent à confier des responsabilités à un nombre accru de femmes !

Mme Annick Billon, présidente. - Il y a donc un consensus sur l'emploi du verbe garantir au second alinéa de l'article premier de la Constitution.

J'en viens à la proposition du groupe de travail du Sénat : êtes-vous favorable à l'inscription dans la Constitution de la parité au Gouvernement ? Il me semble que la délégation ne peut qu'apporter son soutien à cette proposition. Sur le plan formel, il s'agit d'une position de portée générale et non, à ce stade, d'une proposition de rédaction qui s'intègre dans le texte de la Constitution. Qu'en pensez-vous ?

Mme Chantal Deseyne. - Je suis favorable à ce que ce point soit inscrit dans la Constitution. Le principe de parité s'impose aux élections locales : il est logique qu'il s'applique aussi au Gouvernement !

Mme Françoise Laborde. - C'est une proposition très positive.

Mme Françoise Cartron. - Les derniers gouvernements ont appliqué cette règle de manière implicite.

Mme Françoise Laborde. - Mais on ne peut demander au gouvernement d'être paritaire sans s'appliquer cette règle à soi-même...

Mme Chantal Deseyne. - La parité au gouvernement n'est pas une garantie pour les femmes d'être chargées des portefeuilles les plus importants. L'égalité arithmétique ne signifie pas que les fonctions prestigieuses soient confiées aux femmes ministres !

Mme Annick Billon, présidente. - Dans le Gouvernement actuel, une femme est garde des Sceaux.

Mme Laurence Rossignol. - Et une femme est ministre des armées !

M. Marc Laménie. - C'est un sujet important. C'est normal que la parité soit appliquée au Gouvernement. C'est un gage de justice et d'efficacité.

Mme Annick Billon, présidente. - Il semble en effet difficile de prôner la parité au Gouvernement sans la faire avancer dans une institution comme le Sénat, où la part des femmes progresse, certes, mais où l'accès des sénatrices aux responsabilités peut encore être encouragé. Ne pourrions-nous pas suggérer que le Sénat fasse progresser la parité au sein de son Bureau ? Ce serait un beau signal adressé par le Sénat. Faut-il toutefois le mettre dans la Constitution ? Cela relève-t-il des bonnes pratiques ? À ce stade, on peut s'interroger.

Mme Françoise Cartron. - Les candidatures aux fonctions de vice-président, secrétaire et questeur sont déterminées par les groupes. On ne peut de toute façon assurer la parité au sein de chaque fonction : je pense aux questeurs, qui sont en nombre impair.

Mme Annick Billon, présidente. - L'Assemblée nationale a un Bureau proche de la parité : rien ne s'oppose à ce que le Sénat y parvienne aussi.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Et s'il n'y a pas de candidates au Bureau ?

Mme Annick Billon, présidente. - C'est une question que l'on ne pose pas à l'égard des hommes !

Mme Laurence Rossignol. - Je suis d'accord avec notre présidente : la révision constitutionnelle est l'occasion d'exprimer des propositions. Je suis convaincue que le règlement de notre assemblée peut trouver des solutions aux difficultés pratiques exposées par Françoise Cartron.

Mme Dominique Vérien. - Mais ne risquerait-on pas, avec la parité au bureau, de créer une inégalité de fait ? Nous sommes moins nombreuses...

Mme Annick Billon, présidente. - C'est vrai, mais l'objectif de parité au sein du Bureau a été inséré dans le règlement de l'Assemblée en 2014, à une époque d'ailleurs où la proportion de députées était inférieure à celle qui résulte des dernières élections législatives. Du reste, on peut espérer que cette inégalité ne serait que transitoire et cesserait dès qu'il y aurait autant de sénatrices que de sénateurs. Je rappelle également que, si nous sommes moins nombreuses, c'est aussi en raison de listes dissidentes destinées à contourner l'obligation de parité. Cela contribue à ralentir la féminisation du Sénat. Les choses s'améliorent, toutefois, mais doucement.

Mme Françoise Cartron. - Je persiste à m'interroger sur le fait que la parité des Bureaux des assemblées figure dans la Constitution.

Mme Chantal Deseyne. - On peut être favorable à la parité, mais il faut respecter la liberté des groupes. Attention à ce qui pourrait relever d'une forme d'ingérence dans leurs choix.

Mme Françoise Cartron. - Au groupe socialiste, nos vice-présidents sont élus au sein du groupe.

Mme Chantal Deseyne. - Chez nous aussi !

Mme Françoise Cartron. - Après le dernier renouvellement, nous avons décidé de faire en sorte que sur les trois vice-présidences qui nous étaient attribuées figure au moins une femme. Cela peut être compliqué, donc, de parvenir à la parité dans une telle instance. J'observe du reste que dans le règlement de l'Assemblée nationale, il est dit que l'élection des différents membres du Bureau s'efforce de respecter la parité, pas que celle-ci doit être arithmétiquement réalisée. Cette rédaction me convient.

Mme Dominique Vérien. - Et s'efforcer, ce n'est pas garantir !

Mme Annick Billon, présidente. - J'observe donc que, s'agissant de la parité au Bureau, les avis sont partagés, surtout en ce qui concerne le vecteur juridique, mais aussi en ce qui concerne l'application arithmétique de ce principe. Cela ne nous empêche cependant pas de lancer le débat.

J'en viens au point suivant. À l'heure actuelle, des voix s'élèvent pour faire figurer dans la Constitution le droit à la contraception et à l'avortement. Une telle mesure fait partie des propositions du HCE. Un débat sur le sujet de la « constitutionnalisation du droit à l'IVG » a été inscrit à l'ordre du jour du Sénat, la semaine prochaine, à l'initiative de nos collègues du groupe CRCE. À titre personnel, je suis défavorable à une telle modification de la Constitution. Je comprends que l'actualité internationale suscite une grande émotion dans ce domaine, mais je suis opposée au fait d'introduire la question de l'IVG dans un débat constitutionnel qui s'annonce pour le moins complexe. Qu'en pensez-vous ?

Mme Françoise Laborde. - Je suis, moi aussi, réservée sur ce point.

Mme Laurence Rossignol. - Moi également.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je partage vos réserves.

Mme Claudine Kauffmann. - Je n'y suis pas non plus favorable.

Mme Laurence Rossignol. - Nous pouvons estimer que si le droit à l'IVG était remis en cause dans notre pays, la Constitution le serait aussi, alors...

Mme Chantal Deseyne. - Cette recommandation n'a pas sa place dans la Constitution, n'est-ce pas?

Mme Annick Billon, présidente. - Je considère donc que nous sommes d'accord.

Passons aux modifications terminologiques proposées notamment par le HCE, qui suggère :

- de remplacer le mot fraternité, dans la devise républicaine, par les termes de solidarité ou adelphité, jugés moins « sexués » ;

- d'insérer des éléments de mixité dans la dénomination de certaines fonctions (« ambassadeurs et ambassadrices » par exemple) ;

- de remplacer « droits de l'homme » par « droits humains ».

À ce sujet, on peut penser que la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen fait, elle aussi, partie de notre héritage historique. De toute façon, quand la Constitution s'y réfère, on ne peut en modifier l'intitulé !

Il faut que nous en débattions, mais il ne me semble pas que nous puissions être unanimes en faveur d'une modification de la devise républicaine et de la remise en cause du principe de fraternité, qui se confond avec l'histoire de la République. Une telle initiative ne pourrait que déplacer le débat juridique, qui doit rester celui de la révision constitutionnelle, vers des désaccords très lourds.

J'ajoute que le sacrifice du colonel Beltrame, mort pour avoir sauvé la vie d'une femme, a prouvé, si c'était nécessaire, que la fraternité n'exclut pas les femmes...

Mme Laurence Rossignol. - C'est un débat compliqué dans notre pays, qui est le pays de la Déclaration des droits de l'Homme, mais pas pour autant celui des droits de l'Homme.

La Déclaration des droits de l'Homme n'est pas une déclaration des droits humains mais une déclaration des droits du mâle, car aussi bien dans son élaboration que dans sa mise en oeuvre, il n'y aucune prise en compte de la citoyenneté des femmes.

Les anglo-saxons usent de l'expression « human rights » sans l'ambiguïté que notre langue donne au mot homme qui peut tantôt désigner le mâle ou l'être humain.

Si conserver le talisman historique qu'est la déclaration des droits de l'Homme en l'état ne me choque pas, je le suis en revanche du refus de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) de se dénommer Commission consultative des droits humains.

Mme Maryvonne Blondin. - J'abonde dans le sens des propos de Laurence Rossignol, les droits humains m'apparaissent en effet essentiels.

Il est vrai que le mot homme peut prêter à confusion selon le sens que l'on veut lui donner avec un h minuscule ou majuscule ; en témoigne une information radiophonique de ce matin qui annonçait la découverte d'un nouvel organe chez l'homme, le mésentère : il a cependant fallu qu'une journaliste demande si la femme en était aussi dotée pour que le doute soit levé sur sa présence chez tout être humain !

Mme Françoise Laborde. - Je n'approuve pas un changement de la devise républicaine.

Si l'exemple de Maryvonne Blondin est très illustratif, je considère que la déclaration des droits de l'Homme fait partie de notre histoire et qu'elle est intangible.

Mme Annick Billon, présidente. - Je crois que nous sommes unanimes sur la question de la devise républicaine, moyennant le souci exprimé par Laurence Rossignol de recourir de préférence, dans le langage, à l'expression « droits humains » plutôt que « droits de l'Homme ».

Mme Chantal Deseyne. - Formulé sous forme de boutade, imagineriez-vous de substituer à notre devise républicaine, celle-ci : « Liberté, égalité, adelphité » ? Cette modification de notre devise ne serait pas comprise.

Mme Laurence Rossignol. - On ne doit certes pas réécrire l'histoire ni la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, mais il faut user de l'expression « droits humains » quand on parle des droits de l'Homme. Il est faux d'avancer que l'élaboration de la déclaration des droits de l'Homme témoignait d'une compréhension générique du genre humain, d'autant qu'elle a été rédigée alors que n'étaient pas considérés comme doués de raison les fous, les femmes, les enfants et les réprouvés !

Mme Maryvonne Blondin. - L'ONU utilise l'expression « human rights » ou droits humains. En anglais, il n'y a pas l'ambiguïté qui existe en français.

Mme Annick Billon, présidente. - J'en viens au second temps de notre échange sur l'avenir institutionnel de notre délégation.

Notre délégation a été constituée en novembre 1999. Elle aura donc, comme celle de l'Assemblée nationale, 19 ans en novembre prochain.

Les deux délégations, de l'Assemblée nationale comme du Sénat, peuvent s'enorgueillir d'un véritable actif, tant dans le domaine législatif que pour favoriser la visibilité des thématiques concernant les droits des femmes et l'égalité.

Les délégations ont incontestablement acquis au fil du temps une place importante dans le paysage institutionnel des droits des femmes et de l'égalité.

Si notre délégation, et il faut s'en féliciter, a toujours pu bénéficier dans ses diverses initiatives du soutien de la présidence du Sénat, elle pourrait toutefois gagner encore en visibilité au sein de l'institution : il lui manque à certains égards un ancrage institutionnel fort.

Il demeure difficile en effet pour notre délégation de s'inscrire dans le débat législatif. Ce constat n'est d'ailleurs pas propre à notre délégation.

Quels leviers privilégier pour favoriser cette évolution, à condition toutefois que la délégation de l'Assemblée nationale soit d'accord ? Faut-il aller dans le sens de la transformation de notre délégation en commission ? Qu'en pensez-vous ?

À mon avis, la formule d'une commission permanente nous donnerait certes de la visibilité et garantirait notre participation au débat législatif et, en général, à la séance publique, ce qui actuellement n'est pas systématique. Mais cette hypothèse comporterait le risque d'un « entre soi » par rapport à la richesse que permet la double appartenance à une commission permanente et à la délégation. Il faut donc à mon avis écarter cette idée.

En revanche, ne pourrions-nous pas travailler à une commission qui serait sur le modèle de la commission des Affaires européennes ? Cette solution présente des avantages :

- elle favorise une plus grande visibilité pour les délégations au sein du Parlement (notamment par l'accès à la Conférence des présidents, où siègent les présidents des commissions aux affaires européennes) ;

- elle est compatible avec l'appartenance à l'une des commissions permanentes.

Elle est par ailleurs cohérente avec la logique de la « grande cause du quinquennat ».

Les commissions des Affaires européennes ont des compétences liées à l'examen des projets d'actes législatifs européens inscrits à l'article 88-4 de la Constitution.Sur quelles missions spécifiques les nouvelles commissions des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes devraient-elles être assises ? On pourrait envisager qu'elles soient saisies pour donner leur avis sur tous les textes législatifs et propositions de résolution européennes ayant des incidences sur les droits des femmes. Leurs missions comprendraient aussi nos compétences actuelles en matière de contrôle et d'évaluation des politiques publiques dans le domaine des droits des femmes.

Parallèlement, nous pourrions envisager de proposer de modifier la loi organique du 15 avril 2009 pour y intégrer les études d'impact des projets de loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces études d'impact, à l'heure actuelle, relèvent d'une circulaire. Il est préférable de les consolider juridiquement. Ce point renforcerait l'ancrage de la future commission dans l'activité législative du Sénat.

Mme Françoise Laborde, présidente. - Dans mes interventions extérieures au Sénat, j'énonce systématiquement l'intégralité de la dénomination de notre délégation : délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.

Les membres de notre délégation partagent aussi une convivialité et des convictions communes qui leur permettent de défendre les conclusions adoptées par la délégation sans être contraints par leur appartenance politique, faculté que ne permettrait pas une commission permanente.

Je ne suis pas non plus favorable à une transformation de notre délégation en commission permanente car, comme le disait notre présidente, la double appartenance est utile aux réflexions sur les droits des femmes, qui concernent tout le champ des politiques publiques et tout le spectre de l'activité législative. C'est une discipline transversale qu'il serait regrettable d'isoler.

En revanche, je ne suis pas opposée à une transformation en une commission fonctionnant selon les règles de la commission des Affaires européennes, dont les membres sont issus des commissions permanentes et apportent la richesse de l'éclairage des travaux auxquels ils participent dans ce cadre.

Mme Laurence Rossignol. - Je suis aussi opposée à une transformation de notre délégation en commission permanente, mais j'adhère à l'idée d'une commission à l'image de la commission des Affaires européennes.

Une telle modification ne sera cependant pas facile à faire adopter ; il faudra s'attendre à affronter des résistances, comme celles qui se sont exprimées en 2008 lors de la création dans la loi constitutionnelle des commissions chargées des affaires européennes.

Mme Françoise Cartron. - Je voudrais signaler que nous pourrions également invoquer le précédent de la commission pour le contrôle de l'application des lois, créée à l'époque de la présidence de Jean-Pierre Bel. Cette commission avait également un regard transversal, puisqu'elle traitait de l'application des lois dans son ensemble, en englobant le champ de compétences de toutes les commissions permanentes.

M. Marc Laménie. - Il me semblerait normal que la délégation aux droits des femmes, de par la transversalité de son champ de compétences, puisse évoluer dans le sens que vous proposez, en s'inspirant par exemple de la commission des Affaires européennes. Cela serait d'autant plus logique qu'elle existe depuis bientôt vingt ans. Une telle évolution permettrait à sa présidente d'avoir une place à la Conférence des présidents. Il est important que la délégation puisse faire entendre sa voix en séance publique sur les textes qui concernent les droits des femmes et l'égalité. Je pense par exemple à la proposition de loi sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs que nous avons examinée mardi. Nous avons tous regretté à cette occasion que la présidente de la délégation ne dispose que d'un temps de parole très limité dans la discussion générale.

Mme Annick Billon, présidente. - Effectivement, bénéficier d'une visibilité en séance publique sur les textes concernant notre champ de compétences permettrait de gagner en efficacité.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Au-delà de la question du changement de statut de la délégation, je pense que nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur une évolution de son intitulé. Je proposerais par exemple de parler de commission de l'égalité. L'enjeu de la visibilité est essentiel.

Mme Annick Billon, présidente. - Il faudrait en effet consacrer un temps de débat au sujet de notre nom, indépendamment de la question de notre statut. Je propose que nous organisions un échange informel dédié à cette question : qu'est-ce que cela signifie pour nous d'être membre de la délégation ? Quels messages voulons-nous adresser à nos collègues ? Réfléchissons-y.

Mme Laurence Rossignol. - C'est un vrai débat et je souscris à l'idée d'organiser une réunion spécifique pour en discuter entre nous.

En ce qui me concerne, j'estime que la proposition centrale qui émerge de nos échanges est celle de l'évolution de la délégation vers une commission. Pour le reste, nous sommes plutôt dans l'ordre du symbole. Nous devons porter cette revendication, qui aura d'autant plus de poids si nos collègues de l'Assemblée s'en emparent aussi.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous propose de clarifier quelques points avant de nous séparer.

En premier lieu, je suggère de mandater le secrétariat pour prendre contact avec des spécialistes afin de vérifier les points de droit que nous avons évoqués tout à l'heure.

Ensuite, il faudra prévoir d'informer le président Larcher du souhait de la délégation de s'inscrire dans le débat constitutionnel, le cas échéant par des amendements au projet de loi constitutionnelle cosignés par des membres de la délégation. Je propose que nous lui transmettions préalablement le compte-rendu de cet échange de vues.

Je suggère également de prendre contact avec mon homologue de l'Assemblée nationale pour que les deux délégations se concertent.

Enfin, êtes-vous d'accord pour que, si notre participation au débat constitutionnel prend la forme d'un rapport d'information, ce soit moi qui le porte ? Nous confirmerons officiellement ce point de procédure le moment venu.

Mme Laurence Rossignol. - Il me semble important que nous relayions aussi ces propositions dans nos groupes respectifs, pour qu'elles puissent y être appuyées.

Mme Annick Billon, présidente. - Vous avez raison, chère collègue.

Je vous propose, le moment venu, de publier un communiqué de presse annonçant le fait que la délégation va s'inscrire dans le débat constitutionnel à travers différentes propositions. Qu'en pensez-vous ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Pourquoi ne pas faire une tribune ? Il me semble que cela aurait plus de poids, car cela permettrait de parler du fond, mais aussi d'associer des sénateurs et sénatrices qui ne sont pas forcément membres de la délégation.

Mme Annick Billon, présidente. - Je trouve que c'est une excellente idée. Toutefois, ce serait peut-être prématuré. Il me paraît préférable de rencontrer tout d'abord le président Larcher.

Mme Françoise Laborde. - Je suis d'accord.

Mme Laurence Rossignol. - Le moment venu, nous pourrions également prendre attache avec la Garde des Sceaux et la Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. L'idéal serait que le projet de loi constitutionnelle intègre la disposition transformant la délégation en commission.

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, notre réunion touche à sa fin. Avant de nous séparer, je voudrais remercier Laure Darcos de m'avoir suppléée au cours de la réunion du 22 mars. Je voudrais également vous remercier tous et toutes pour le succès de la journée du 8 mars. Je n'ai entendu que d'excellents retours de la part des participants.

Enfin, je voudrais vous dire un mot sur le déplacement que j'ai fait à la session de mars 2018 de la commission de la condition de la femme de l'ONU (CSW) pour présenter notre rapport sur les agricultrices, dans le cadre de l'Union interparlementaire (UIP). J'étais accompagnée de notre collègue députée Sophie Errante. J'ai bénéficié d'un temps de parole de cinq minutes, ce qui était inespéré dans une telle instance... La présentation de notre rapport a été très appréciée ; j'ai eu l'occasion de distribuer les exemplaires de notre rapport que j'avais apportés avec moi, et je sais que le secrétariat a été approché pour envoyer le lien vers tous les documents qui s'y rapportent, y compris le compte-rendu du débat en séance publique du 20 février 2018.

Un mot sur l'agence ONU femmes, qui est la seule agence de l'ONU créée au XXIe siècle. Les droits des femmes sont devenus un sujet majeur à l'ONU. Il y a une prise de conscience de la condition de la femme dans le monde et du fait que les femmes seront les principales victimes du réchauffement climatique. Être femme, pauvre, en milieu rural n'ouvre pratiquement aucune perspective pour sortir de sa condition. D'où, entre autres sujets, l'importance de l'éducation.

De ce séjour à New-York, je retiendrai que la parole de la France reste pour l'instant très écoutée, mais que les moyens budgétaires ne suivent pas, ce qui pourrait finir par porter atteinte à la crédibilité de notre pays. La communication ne doit pas être l'alpha et l'oméga, il faut aussi du concret. Il y a ainsi un énorme décalage entre notre contribution au budget d'ONU femmes et celles, bien supérieures, d'autres pays donateurs, notamment la Suède.