Mardi 24 octobre 2017

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Projet de loi de finances pour 2018 - Participation de la France au budget de l'Union européenne (article 27) - Examen du rapport spécial

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Nous examinons aujourd'hui la contribution de la France au budget de l'Union européenne. Le projet de loi de finances fournit chaque année une évaluation du prélèvement opéré sur les recettes nationales, afin de financer les programmes européens. Pour 2018, le montant du prélèvement sur recettes européen est estimé à 20,2 milliards d'euros, contre 17,9 milliards d'euros en 2017. À ce montant s'ajoutera environ 1,7 milliard d'euros de droits de douane, versé directement au budget de l'Union, ce qui porte la contribution totale de la France à près de 22 milliards d'euros. Si l'on assimile le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne à une dépense, il s'agirait donc du quatrième poste du budget de l'État. Le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit une forte augmentation du prélèvement sur recettes : celui-ci s'élèverait à 23,3 milliards d'euros en 2019 et 24,1 milliards d'euros en 2020. Il progresserait donc de 35 % entre 2017 et 2020.

Au regard des données fournies par la Commission européenne et la direction du budget, la prévision de prélèvement sur recettes européen pour 2018 semble correctement calibrée. Cette prévision se fonde principalement sur le besoin de financement de l'Union, qui est estimé par la Commission européenne. Il est difficile d'appréhender la justesse de cette évaluation. Cependant, il nous est indiqué que le besoin de financement devrait augmenter d'environ 11 milliards d'euros en crédits de paiement par rapport à 2017. Le projet de budget présenté par la Commission européenne s'établit ainsi à 145 milliards d'euros en paiements, en hausse de 8 % par rapport au précédent budget. Après une phase de démarrage très lente entre 2014 et 2017, les programmes de la politique de cohésion devraient en principe atteindre leur vitesse de croisière en 2018.

Ensuite, les prévisions de ressources en matière de TVA, estimées à 4,4 milliards d'euros, et celles relatives à la contribution de la France au « chèque britannique », évaluée à 1,3 milliard d'euros, sont cohérentes avec les montants constatés les années précédentes.

Nous avons observé une sous-exécution du prélèvement sur recettes de l'ordre de 1 milliard d'euros en 2015 et 2016. En 2017, le montant effectivement reversé à l'Union devrait être inférieur d'environ 800 millions d'euros à la prévision de la loi de finances initiale. D'après les données de la Commission européenne, il ne serait cependant pas prudent d'anticiper une nouvelle sous-exécution en 2018, dans la mesure où une montée en charge des programmes européens est prévisible.

Il faut souligner que les évaluations budgétaires s'inscrivent dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 qui fixe des plafonds de dépenses pour sept ans, plafonds juridiquement contraignants. Le cadre financier a fait l'objet d'une révision en juin 2017, qui n'a pas remis en question les plafonds de dépenses. La révision a néanmoins permis de réaffecter 3,5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires entre 2017 et 2020 en faveur de l'emploi des jeunes, de l'investissement, ou encore pour répondre à la crise migratoire.

Pour résumer, la forte hausse du prélèvement sur recettes européen prévue entre 2018 et 2020 s'explique essentiellement par l'accumulation des demandes de paiement que l'on constate en règle générale en fin de cadre financier, ce qui provoque un effet « boule de neige » sur les contributions nationales.

Deuxièmement, je souhaiterais souligner le caractère préoccupant des retards de mise en oeuvre de la politique de cohésion. Le constat est sans appel : en effet, à la mi-2017, c'est-à-dire à la moitié de la période de programmation 2014-2020, moins de 10 % des crédits d'engagement de la politique de cohésion avaient donné lieu à des paiements.

Ces retards concernent l'ensemble des États membres. Ils s'expliquent par différents facteurs : l'adoption tardive des bases juridiques des différents programmes, la lourdeur des procédures de contrôle et d'audit qui ralentit le processus de désignation des autorités de gestion, ou encore l'extension du dégagement d'office de deux à trois ans, qui a donné davantage de temps aux États membres pour procéder aux paiements.

S'agissant de la France, un facteur supplémentaire tient vraisemblablement au transfert des autorités de gestion des fonds européens aux régions, sans qu'il soit possible d'en mesurer précisément les effets à ce stade. Quoi qu'il en soit, nous accusons un sérieux retard dans la transmission de nos demandes de paiement. Fin 2016, le taux d'exécution des paiements était de 8,2 % en France contre 9,2 % en moyenne dans l'Union européenne. En 2016, seul 1 milliard d'euros a été payé au titre de la politique de cohésion dans notre pays, bien en deçà des 2,7 milliards d'euros constatés en 2015, à la fin de la période de programmation précédente.

C'est d'ailleurs l'une des raisons de la forte dégradation du solde net de la France en 2016. Selon les chiffres de la Commission européenne, notre solde s'établit à - 9,2 milliards d'euros, principalement sous l'effet du faible montant des dépenses exécutées sur notre territoire. La France redevient ainsi le deuxième contributeur net après l'Allemagne et avant le Royaume-Uni.

Les retards de mise en oeuvre de la politique de cohésion sont non seulement dommageables pour les porteurs de projet et les bénéficiaires de fonds européens, mais ils font aussi peser un risque sur la bonne exécution des dernières années de mise en oeuvre du cadre financier 2014-2020. Ainsi, les « restes à liquider » ont atteint le niveau record de 238 milliards d'euros fin 2016 et s'élèveraient à 290 milliards d'euros fin 2020 selon les estimations dont nous disposons. Or ces engagements devront nécessairement donner lieu à des paiements et risquent de préempter fortement le début du prochain cadre financier.

Ceci m'amène à évoquer les défis du prochain cadre financier pluriannuel de l'après 2020. En mai 2018, la Commission européenne présentera une proposition de cadre financier pluriannuel pour la période postérieure à 2020. Cette négociation s'annonce très difficile et dépendra dans une large mesure de l'issue du règlement financier du Brexit.

Or, comme vous le savez, les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sont actuellement dans « l'impasse », pour reprendre les termes de Michel Barnier, négociateur chargé de ce dossier. Le noeud de la discorde est la facture du Brexit, puisque les vingt-sept États membres exigent que le Royaume-Uni honore l'ensemble de ses engagements financiers, y compris une part des restes à liquider évoqués précédemment et les pensions de retraite des fonctionnaires, soit environ 60 milliards à 80 milliards d'euros au total.

Surtout, le départ des Britanniques entraînera une perte nette de recettes de 10 milliards d'euros par an pour le budget de l'Union européenne, alors même que de nouvelles priorités politiques ont émergé ces dernières années : la lutte contre le terrorisme, la gestion des flux migratoires, la défense, qui s'ajoutent aux enjeux liés à la transition environnementale et énergétique.

La réduction des dépenses de la politique agricole commune (PAC) et de la politique de cohésion, qui représentent environ 70 % des dépenses de l'Union, est d'ores et déjà évoquée par la Commission européenne. Il s'agit d'un sujet majeur pour la France qui reste le premier pays bénéficiaire de la PAC en volume. Un autre enjeu important sera d'obtenir la prise en compte de territoires homogènes au regard de leur richesse dans le cadre de la nomenclature des unités territoriales statistiques (NUTS), retenue pour définir la nouvelle politique de cohésion.

S'agissant des recettes, le groupe de haut niveau présidé par Mario Monti a présenté des propositions pour réformer le système de ressources propres de l'Union. Cette réforme doit être l'occasion de faire avancer l'harmonisation fiscale en Europe et de lutter contre la concurrence déloyale entre États membres. Je pense en particulier au projet d'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés et à la proposition de taxation des géants du numérique, les fameux Google, Apple, Facebook ou Microsoft, surnommés GAFA. Pour être mises en oeuvre, ces propositions nécessiteront une volonté politique forte.

Enfin, la perspective avancée par certains pays, dont la France, de créer un budget de la zone euro fera sans doute l'objet de débats de fond lors du prochain cadre financier. Il s'agirait de disposer d'un outil de stabilisation macroéconomique, même si sa pertinence et les modalités de sa mise en oeuvre restent discutées.

Je m'arrête ici car nous aurons l'occasion de débattre plus avant de l'avenir du budget européen en séance publique, le 23 novembre prochain. Ces questions mériteront également des travaux plus approfondis au sein de notre commission et de la commission des affaires européennes dans les prochains mois.

En l'état des données disponibles et compte tenu de l'ajustement qui aura lieu en cours de session budgétaire, je recommande à la commission l'adoption, sans modification, de l'article 27 du projet de loi de finances pour 2018.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce rapport prend cette année une tournure particulière en raison du Brexit. Est-on en mesure aujourd'hui de tirer les conclusions du discours prononcé à Florence par Mme Theresa May sur le montant du versement britannique ?

Ma seconde question porte sur un sujet de préoccupation majeur pour notre commission, la fraude à la TVA. En matière fiscale, les décisions sont prises à l'unanimité des États membres à l'échelon européen. Cela étant, la TVA est également une ressource propre pour l'Union européenne. Dès lors, ne pourrait-on pas envisager que l'Union intervienne directement pour recouvrer les produits de TVA, sans plus attendre l'accord de l'ensemble des États membres ? Il s'agirait d'un levier d'action intéressant pour contourner une règle, celle de l'unanimité, qui ne permet pas d'avancer. Aujourd'hui, les recettes de l'Union s'érodent tout autant que les recettes de ses États.

M. Michel Canevet. - Je suis bien sûr préoccupé par l'évolution du montant de la contribution versée par la France au budget de l'Union, mais aussi par la mise en oeuvre des politiques européennes sur notre territoire. Je pense en particulier à la politique régionale : pour la période 2014-2020, l'État a confié aux régions un certain nombre de compétences, comme la gestion du programme Leader concernant le développement rural ou celle du fonds européen consacré aux affaires maritimes et à la pêche. Or la mise en oeuvre de ces programmes a soulevé beaucoup de difficultés et demandé beaucoup de temps.

Parmi les raisons avancées pour expliquer le retard enregistré, on évoque la volonté de l'État de conserver la maîtrise des logiciels de gestion des aides et le fait que la technologie ferait défaut, ce qui est un comble à l'heure de l'économie numérique.

Faute d'avoir pu consommer les fonds européens à temps, la France ne risque-t-elle pas d'être obligée d'en reverser une partie à l'Union européenne ?

Ma seconde question porte sur la politique en faveur de la mobilité des jeunes : les crédits du programme Erasmus sont-ils en augmentation ou en diminution de 200 millions à 100 millions d'euros ?

M. Sébastien Meurant. - Ma question porte sur la Turquie. Compte tenu des agissements répétés du Président Erdogan, l'Union européenne continuera-t-elle à aider ce pays de la même façon qu'auparavant ? Où en est-on de la demande formulée par l'Allemagne de suspendre les prêts accordés par la Banque européenne d'investissement (BEI) à la Turquie ?

M. Bernard Delcros. - Je souhaiterais connaître les causes du retard de mise en oeuvre de la politique de cohésion en France, ainsi que celles à l'origine de l'importante baisse de consommation des crédits. Comment notre pays se situe-t-il par rapport aux autres États membres dans ce domaine ? Existe-t-il un lien direct entre les difficultés rencontrées en France et le transfert des autorités de gestion des fonds européens aux régions ?

Mme Nathalie Goulet. - Je voudrais connaitre les raisons qui expliquent le retard de versement des crédits de la PAC.

J'aimerais également de plus amples explications sur les dysfonctionnements du logiciel Osiris. Doit-on s'attendre au même type de difficultés qu'avec Louvois et la plateforme nationale des interruptions judiciaires (PNIJ) ? Le montant de ces dysfonctionnements peut en effet se chiffrer à plusieurs millions d'euros !

M. Thierry Carcenac. - Le Royaume-Uni envisagerait d'appliquer des droits de douane après sa sortie de l'Union européenne. Que comptent faire les États membres en réaction à cette décision ?

J'aimerais également évoquer la question de la gestion des fonds européens. Au niveau départemental, j'ai moi-même pu constater que la multiplicité des contrôles, celui de la direction régionale des finances publiques ou celui de la direction du travail, par exemple, pouvait complexifier la gestion des crédits du fonds social européen (FSE). Cette lourdeur pourrait peut-être expliquer la sous-consommation des crédits en France.

M. Pascal Savoldelli. - Je partage l'ensemble des observations du rapporteur spécial, mais je ne suis en revanche en désaccord avec les conclusions qu'il en tire.

En effet, j'approuve totalement le fait que la Nation française contribue à la solidarité européenne. Toutefois, j'observe que le prélèvement sur recettes augmenterait de 35 % entre 2017 et 2020, alors qu'un retard a été pris dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion. Cela signifie que l'effort budgétaire n'est pas suivi des résultats escomptés.

Ce constat me pose d'autant plus problème qu'on évoque une réduction des dépenses de la politique agricole commune et de la politique de cohésion après 2020.

En outre, un flou existe autour du Brexit : celui-ci entrainerait une perte nette de recettes de 10 milliards d'euros par an pour le budget de l'Union. Or notre rapporteur spécial a raison d'appeler notre attention sur le fait que ce montant ne correspondra pas forcément à l'addition finale.

Toutes ces observations m'incitent à ne pas approuver le rapport qui nous est présenté.

M. Julien Bargeton. - La notion de « solde net » est un concept purement budgétaire qui ne permet pas de tenir compte de tous les coûts ou avantages liés à l'appartenance à l'Union européenne, comme la participation au marché unique. En France, ce solde se détériore en raison de la sous-consommation des crédits, en comparaison notamment des autres États membres. Notre commission y gagnerait à se voir communiquer un tableau comparant le taux de consommation des crédits européens dans les différents États membres de l'Union, ainsi qu'une étude ciblée sur les raisons de cette spécificité française.

M. Arnaud Bazin. - On insiste sur l'insuffisance de la consommation des crédits en France tout en évoquant le vaste transfert de gestion des fonds européens aux régions. La réforme régionale a-t-elle joué un rôle de ce point de vue ? A-t-elle contribué à amplifier la sous-consommation des crédits ?

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Pour répondre au rapporteur général, je précise que Theresa May a affirmé à Florence vouloir respecter les engagements du Royaume-Uni. La difficulté, c'est que nous n'avons pas exactement la même définition du respect de ces engagements : le Premier ministre britannique a mentionné le chiffre de 20 milliards d'euros quand les dernières estimations avancées se situent plutôt dans une fourchette de 60 milliards à 80 milliards d'euros. Le sommet de Florence n'a pas permis de faire disparaître cette divergence d'appréciation et de faire en sorte que les points de vue se rapprochent.

Sur la question de la fraude à la TVA, qui est à la fois un enjeu national et européen, je ne dispose pas d'élément de réponse particulier, hormis le fait que, s'agissant d'une ressource propre, toute adaptation au régime applicable à cet impôt et notamment à la lutte contre la fraude nécessite l'unanimité des États membres de l'Union.

Michel Canevet a évoqué la difficile mise en oeuvre des programmes européens et, notamment, du programme Leader. Les causes à l'origine de cette situation sont diverses.

Il y a évidemment la question des dysfonctionnements du logiciel Osiris : ceux-ci expliquent en effet une partie des retards, ce qui est bien entendu inexplicable et injustifiable aux yeux de nos concitoyens qui sont, en définitive, les bénéficiaires de ces programmes.

Les retards de paiement sont également dus à la décision d'étendre d'une année le dégagement d'office. Paradoxalement, le report d'une année de la facilité accordée pour apporter les justificatifs de dépenses et, donc, le report du risque de perdre le bénéfice des aides européennes ont peut être entraîné une moindre consommation des crédits.

S'agissant de la question relative à la mobilité des jeunes, je précise que les crédits ont été majorés de 100 millions d'euros dans le cadre de la révision à mi-parcours.

À Sébastien Meurant, je répondrai qu'il existe des divergences d'appréciation à l'échelon européen sur la position à adopter vis-à-vis de la Turquie. Il est vrai que l'Allemagne est favorable à une position plus restrictive. Aujourd'hui, la voie choisie est celle de la suspension des crédits et des aides accordés par la BEI.

Julien Bargeton a suggéré de comparer le taux moyen de consommation des crédits destinés à la mise en oeuvre des programmes européens entre États membres. Selon les données dont on dispose, le taux d'exécution des paiements dans l'Union européenne est de 9,2 %, contre 8,2 % en France. Nous sous-consommons donc davantage que la moyenne européenne, même si l'Allemagne se situe à un niveau proche du nôtre.

Pour répondre à Nathalie Goulet, les retards de versement des aides agricoles au niveau national étaient importants les années précédentes, s'agissant en particulier des mesures agro-environnementales. Selon les informations obtenues auprès du ministère du budget, ces retards devraient être soldés d'ici la fin de l'année 2018.

Thierry Carcenac a posé la question des droits de douane et soulevé le problème des délégations de gestion. S'agissant des droits de douane, je ne peux que rappeler la règle qui serait suivie en l'absence d'accords commerciaux, à savoir que l'on appliquerait alors des droits de douane. Quant aux délégations de gestion et aux divers dispositifs d'audit et de contrôle en vigueur, ils pourraient en effet partiellement expliquer le plus grand retard de la France en matière de consommation des crédits. En tout cas, on constate que l'ensemble des bénéficiaires et des gestionnaires se plaignent de cette superposition des contrôles.

Notre collègue Pascal Savoldelli a souligné la forte augmentation de la contribution française de 2017 à 2020. Je rappelle cependant que, en 2017, le montant effectivement reversé à l'Union devrait être inférieur d'environ 790 millions d'euros à la prévision initiale. En outre, l'entrée dans la seconde moitié du programme pluriannuel va pousser à l'accélération de la consommation des crédits. Par conséquent, il ne me semble pas que la contribution française au budget de l'Union soit surévaluée.

Je confirme ma crainte que l'enveloppe allouée à la politique de cohésion mais aussi à la PAC diminue après 2020, afin de tenir compte du retrait d'un contributeur net au budget de l'Union, le Royaume-Uni, et de l'existence d'autres priorités. Il s'agit d'un enjeu important pour notre pays, dans la mesure où la France est l'un des premiers bénéficiaires de ces politiques qui représentent l'essentiel du budget européen.

Enfin, je répondrai à Arnaud Bazin que la délégation des autorités de gestion au niveau régional a très vraisemblablement eu un effet sur le niveau de consommation des crédits, mais que je ne dispose d'aucun élément pour évaluer l'ampleur de cet impact.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter l'article 27 du projet de loi de finances pour 2018.

- Présidence de M. Vincent Éblé, président, puis de M. Yvon Colin, vice-président -

Projet de loi de finances pour 2018 - Audition de M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires

M. Vincent Éblé, président. - Nous entamons avec notre ancien collègue Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, nos auditions sur le projet de loi de finances pour 2018. Monsieur le ministre, bienvenue à la commission des finances. Je souhaite également la bienvenue à nos collègues rapporteurs pour avis des autres commissions : Annie Guillemot, Dominique Estrosi Sassone, Jean-Marie Morisset, Louis-Jean de Nicolaÿ.

Je rappelle qu'une nouvelle mission « Cohésion des territoires » a été créée au sein du budget général, en regroupant à la fois les crédits des précédentes missions « Égalité des territoires et logement » et « Politique des territoires ». Nous pouvons accueillir positivement la réunion de la « Ville » et du « Logement » au sein d'une même mission, puisque nos rapporteurs spéciaux Daniel Raoul, lequel a depuis quitté ses fonctions, et Philippe Dallier en déploraient la séparation depuis 2015.

Monsieur le ministre, vous nous présentez votre budget, marqué notamment par l'incidence de la baisse des crédits consacrés aux contrats de ruralité et l'importante réforme des aides personnelles au logement, qui figure à l'article 52 du projet de loi de finances. Notre commission examinera les crédits de la mission, ainsi que l'article 52, le mercredi 22 novembre.

Je ne doute pas que vous nous parlerez aussi des mesures de fiscalité immobilière qui figurent dans le projet de loi de finances. À l'issue de votre propos liminaire, vous serez interrogé par les rapporteurs spéciaux de votre mission, Philippe Dallier et Bernard Delcros, ainsi que par le rapporteur général, puis par tous les sénateurs qui le souhaiteraient.

M. Jacques Mézard, ministre. - Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec un réel plaisir que je vous retrouve aujourd'hui. Je vais vous exposer en quelques minutes les grandes orientations du budget de la mission « Cohésion des territoires ».

Vous l'avez souligné, monsieur le président, ce ministère est une nouveauté, puisqu'il regroupe à la fois le logement, la politique de la ville et l'aménagement du territoire.

Les crédits de la mission que nous examinons aujourd'hui s'élèvent à 16,5 milliards d'euros dans le projet de loi de finances. Mais au-delà de cette enveloppe, les différentes dépenses fiscales de l'État au profit des acteurs du logement, de l'aménagement et de la politique de la ville s'établissent à près de 18 milliards d'euros : 1,6 milliard d'euros en ce qui concerne l'hébergement d'urgence, 15,3 milliards d'euros pour la politique du logement, 470 millions d'euros pour l'aménagement du territoire et 448 millions d'euros en politique de la ville.

J'en profite pour rappeler que je ne suis pas le ministre des collectivités locales : cette compétence relève en effet du ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, ainsi que de sa ministre déléguée, Jacqueline Gourault.

Alors que l'État consacre chaque année près de deux points de PIB à la politique du logement et que persistent les difficultés que l'on connaît, avec notamment 4 millions de personnes mal-logées, nous avons souhaité réinterroger l'efficacité des politiques engagées en matière d'aides personnelles au logement et de soutien à la construction.

Sur 16,5 milliards d'euros de crédits budgétaires, 13,6 milliards d'euros seront consacrés en 2018 au financement des aides personnelles au logement, lequel comprend, de manière plus globale, des financements de l'État, une participation des employeurs et les aides des collectivités territoriales en faveur de l'accès et du maintien dans leur logement des ménages, ce qui porte la dépense publique d'aide au logement à 16,4 milliards d'euros.

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une réforme des aides personnelles au logement qui doit conduire à réduire la dépense de l'État de 1,7 milliard d'euros en 2018.

Il propose ainsi l'instauration d'une réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le parc social, au bénéfice des locataires les plus fragiles, et une baisse des aides personnalisées au logement (APL) pour les mêmes locataires, l'ensemble étant neutre sur leur pouvoir d'achat. Je pense que j'aurai l'occasion d'y revenir dans nos débats et de vous faire part de mes efforts pour rechercher le dialogue avec les bailleurs sociaux.

Afin d'accompagner les bailleurs dans la mise en oeuvre de cet effort, le Gouvernement a proposé un ensemble de mesures de soutien à la construction de logements sociaux et d'accompagnement des bailleurs les plus fragiles.

Au-delà des dispositions figurant à l'article 52 du projet de loi de finances, à savoir l'institution d'un dispositif de péréquation et l'augmentation du supplément de loyer de solidarité (SLS), c'est plus de 6 milliards d'euros de prêts bonifiés qui sont proposés au secteur. Par ailleurs, le taux du livret A sera figé dans la durée, afin de stabiliser les charges pesant sur les bailleurs sociaux.

La discussion doit continuer au-delà des rapports de force actuels. Personnellement, j'ai tenu à maintenir un dialogue constant avec les bailleurs sociaux et je suis ouvert à des évolutions qui mèneraient à des solutions consensuelles.

D'autres mesures relatives aux aides personnelles au logement figurent dans ce projet de loi de finances, dont la non-application au 1er octobre 2018 de la révision annuelle du barème de calcul des aides personnelles au logement et le gel des loyers dans le parc social pour 2018.

En matière de construction, la stratégie du Gouvernement repose sur plusieurs objectifs que j'aurai l'occasion de présenter plus longuement dans le cadre de la discussion d'un projet de loi sur le logement que je déposerai prochainement.

Ainsi, pour répondre aux besoins des plus fragiles, une nouvelle génération de prêts bonifiés par Action logement dits « prêts de haut de bilan » apporteront des ressources supplémentaires aux organismes de logement social pour un montant total de 2 milliards d'euros.

Le deuxième objectif vise à encourager l'innovation et accompagner les transitions énergétique et numérique : l'Agence nationale de l'habitat pour l'amélioration du parc privé, l'Anah, voit ainsi ses crédits renforcés, et notamment le programme « Habiter mieux » qui sera doté de 1,2 milliard d'euros sur le quinquennat, afin de financer la rénovation de 75 000 passoires thermiques par an dans le parc privé. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) sera également mobilisée dans le cadre du grand plan d'investissement pour accompagner les bailleurs sociaux dans la rénovation de leur parc.

Troisième objectif : créer un choc d'offre et libérer la capacité de faire. C'est ainsi que le Gouvernement propose des amendements qui tendent à réduire l'imposition des plus-values immobilières. Le but est de favoriser les transactions et de limiter l'inflation des prix du foncier, renversant le système actuel qui pousse nos concitoyens à conserver le foncier le plus longtemps possible pour ne plus payer d'impôts dessus.

Dans les zones tendues, le Gouvernement veut ainsi faire baisser très significativement - de 70 % à 85 % -, l'imposition des plus-values sur le foncier cédé d'ici la fin 2020, voire la supprimer dans certains cas.

Le Gouvernement entend également proposer des réponses adaptées aux zones moins tendues en réinvestissant les bourgs-centres et en revitalisant les centres anciens. Nous proposerons un grand plan pour les villes moyennes, dans lequel les politiques du logement et de l'aménagement prendront toute leur place. Pour ce faire, une convention quinquennale avec Action Logement est en cours de finalisation : elle devrait permettre d'investir 1,5 milliard d'euros sur la durée du quinquennat.

Le dispositif « Louer abordable », qui permet la rénovation de logements dégradés et vacants, est maintenu, tout comme l'est l'objectif de rénovation de 50 000 logements d'ici 2019. Là encore, l'Anah prendra toute sa place.

Dans ce cadre, nous nous appuierons sur un partenariat renforcé avec la Caisse des dépôts et consignations, dont le futur directeur général sera très prochainement nommé. Je souhaite une collaboration beaucoup plus étroite avec la CDC, afin d'amplifier nos actions en matière d'aménagement du territoire, de politique de la ville et de soutien aux territoires ruraux.

La convention quinquennale avec Action logement, dont j'ai parlé précédemment, sera également révisée afin d'intégrer ces nouvelles orientations.

Les dispositifs fiscaux « Pinel » et le prêt à taux zéro (PTZ) arrivent à échéance au 31 décembre 2017. Le Gouvernement a pris la décision de les reconduire pour quatre années, tout en faisant en sorte de mieux les orienter vers les secteurs qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les zones tendues pour les dispositifs « Pinel » et PTZ dans le neuf, et les zones moins tendues pour le dispositif PTZ dans l'ancien. Comme le Président de la République l'a indiqué lors du congrès de la Fédération française du bâtiment, le PTZ sera également maintenu pour deux ans en zone détendue dans le neuf. Cette mesure, que j'ai personnellement soutenue, entrera en vigueur sous réserve de son adoption par le Parlement.

En matière d'hébergement et d'accès au logement pour les personnes sans abri ou mal-logées, nous allons changer de paradigme. Le nombre de places d'hébergement a fortement augmenté sous le précédent quinquennat, passant de 82 000 à 122 000. Cet accroissement massif n'a cependant pas permis de répondre efficacement aux besoins des personnes sans domicile. Nous présenterons donc une nouvelle stratégie en la matière, laquelle est d'ailleurs fortement soutenue par les associations. Les moyens dédiés au programme 177 augmenteront de 13 % en 2018, ce qui permettra une stabilisation des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence et d'insertion et une hausse de ceux alloués au logement adapté, pensions de famille et intermédiation locative. J'espère que cela suffira mais nous sommes confrontés chaque année à une situation migratoire tendue et à des dizaines de milliers de nos concitoyens sans abri. Nous augmentons également les crédits d'accompagnement social afin de préparer la transition.

En matière d'aménagement du territoire, ce projet de loi de finances soutient leur développement afin de réduire les fractures territoriales. Dans les zones rurales, nous encouragerons les créations de maisons de service au public (MSAP) et le déploiement des plateformes de mobilité dans chaque département. Afin de lutter contre la désertification médicale, 2 000 maisons de santé pluridisciplinaires supplémentaires sont prévues, soit un doublement de leur nombre d'ici quatre ans et demi.

La couverture numérique du territoire est un enjeu majeur du Gouvernement, avec comme objectif le déploiement de la 4G sur tout le territoire d'ici 2020. J'ai réuni à deux reprises tous les opérateurs en leur fixant des objectifs clairs. Nous leur demandons d'accélérer le déploiement en zone dense et de soutenir les réseaux d'initiative publique qu'ils ne doivent pas mettre en difficulté. Avec le secrétaire d'État chargé de ce dossier, j'ai rappelé aux opérateurs leurs engagements contraignants, faute de quoi il pourrait y avoir des conséquences sur leurs licences.

Le développement des politiques contractuelles avec les collectivités territoriales dans le cadre des contrats de plan État-Régions (CPER) n'est pas remis en cause.

Le programme 112 concerne notamment le volet territorial des CPER, les pactes État-métropoles et les contrats de ruralité. Pour ces derniers, le financement sera désormais assuré par la dotation de soutien à l'investissement local. Avec le ministre de l'intérieur, j'adresserai une instruction aux préfets en début d'année prochaine afin de veiller qu'une part de la dotation soit bien fléchée vers les contrats de ruralité.

Dans le cadre de ce budget, nous travaillons à la simplification et à l'optimisation des instruments de la politique de cohésion des territoires afin de mieux aménager, de mieux urbaniser tout en réduisant les coûts. Pour parvenir à cet objectif, une Agence nationale des territoires sera créée, que je vous présenterai prochainement. Le but n'est pas de construire une usine à gaz mais de proposer des solutions concrètes à nos territoires.

Nous allons également simplifier les règlementations et développer des outils de contractualisation. Nous sommes en train de répertorier les différents contrats existants entre l'État et les collectivités. Nous en avons déjà recensé 1 100, dont le plus grand nombre est du ressort du ministère de la culture. Nous devons simplifier ces relations.

Nous allons également poursuivre la dématérialisation, pour plus d'efficacité et d'économies.

La politique de la ville est prioritaire, au même titre que celle que nous menons en faveur de la ruralité. Je n'entends pas opposer l'une à l'autre. Nous ne remettons pas en cause le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), notamment doté d'un milliard d'euros de crédits budgétaires : nous n'allons pas revenir sur ce qui a été décidé par le précédent Gouvernement.

Peut-être faudra-t-il aussi flécher des crédits sur certains quartiers particulièrement prioritaires, où les tensions sociales et sécuritaires sont vives. J'ai entendu ce qui a été dit lors de la réunion de Grigny. L'éducation restera bien sûr prioritaire, avec la poursuite du dédoublement des classes en réseau d'éducation prioritaire REP +. À la rentrée, 2 500 classes ont été ouvertes. De même, la police de proximité sera développée pour faire face aux problèmes sécuritaires. 430 millions d'euros seront affectés à la politique de la ville, soit un budget identique à celui de 2017.

L'amélioration des conditions de vie dans ces quartiers passe par une mobilisation réelle des politiques de droit commun et par des mesures fiscales spécifiques. Un bilan de l'action menée jusqu'à présent doit également être dressé, sans pour autant stigmatiser ce qui fut fait. Ainsi, le bilan des zones franches urbaines et de certaines exonérations me paraît mitigé.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Concernant les programmes dont j'ai la charge, il y a du bon et du moins bon. Les crédits d'hébergement d'urgence augmentent. Face à la crise actuelle, la question est de savoir si ce sera suffisant. J'espère que l'État ne devra plus réquisitionner des gymnases, comme il l'a fait jusqu'à présent, surtout en Île-de-France. J'approuve également la sécurisation du programme « Habiter mieux » de l'Anah, doté de 110 millions d'euros en 2018.

J'en viens à l'article 52 qui traite des aides personnelles au logement. Vous nous avez fait passer un document intitulé « Présentation de la stratégie logement du Gouvernement ». Mais je me demande où est la stratégie. A la suite de la grave crise que nous avons traversée, les années 2017 et probablement 2018 seront certainement très satisfaisantes en matière de construction de logements. Avec votre politique, ce secteur ne va-t-il pas connaître une nouvelle crise dès 2019 ? En septembre, le Gouvernement a brutalement déclaré vouloir réduire les APL de 1,5 milliard d'euros. On a l'impression que Bercy a décidé unilatéralement cette mesure d'économie. Les bailleurs sociaux vont devoir réduire les loyers pour compenser la baisse de l'APL. L'autofinancement des bailleurs qui s'élève actuellement à 2 milliards d'euros va être amputé de ce milliard et demi. Avec cette réforme, une centaine de bailleurs risqueraient fort de faire faillite et 180 autres n'en seraient pas loin. Les mesures de compensation que vous proposez vont-elles leur permettre d'éviter cette catastrophe annoncée ? Qu'aura-t-on gagné si les bailleurs ne peuvent plus entretenir leur patrimoine ni financer les logements sociaux ?

De plus, ces mesures auront un impact sur la construction de logements sociaux mais aussi sur des opérations privées ou semi-privées. Pour remplacer cette perte d'autofinancement, vous annoncez des mesures de mutualisation. Si certains offices peuvent y parvenir, d'autres ne le pourront pas. Vous annoncez aussi un étalement de la dette. Mais cela reste de la dette ! Quant aux prêts de haut de bilan, ce sont toujours des prêts !

Le monde HLM s'est braqué et certains ont certainement été trop loin. Divers organismes ont ainsi décidé de ne plus signer les ordres de service, ce qui risque de pénaliser les entreprises du bâtiment. Il est temps de remettre tout le monde autour de la table. Votre porte est-elle toujours ouverte ? Ne pourrait-on remplacer l'article 52 par diverses mesures qui pourraient rapporter des recettes fiscales à l'État, comme la TVA sur le logement social, mais aussi instaurer un taux d'effort minimum pour les locataires, mesure que j'avais d'ailleurs proposée il y a deux ans ? Si l'on ne revient pas sur cet article, il aura de très fortes répercussions sur tout le secteur et pas seulement sur celui du logement social.

On nous dit aussi que les bailleurs n'ont qu'à vendre des logements pour trouver des fonds afin de compenser les effets de l'article 52, mais quid de la suppression des aides personnelles au logement permettant l'accession à la propriété, qui assurent justement la solvabilisation des occupants, notamment de logements sociaux, qui souhaiteraient acheter leur bien en vente ? Quelle contradiction !

Enfin, comment comptez-vous trouver les 4 milliards supplémentaires annoncés pour le NPNRU ?

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Le projet de loi de finances prévoit la suppression du PTZ en zone C en 2018 et en zone B2 en 2019. Certes, le Président de la République a finalement annoncé le maintien du PTZ en zone C et B2 pour les deux ans qui viennent. Mais aujourd'hui ces prêts financent 40 % des opérations. Les primo-accédants dans ces zones bénéficieront-ils encore de ce taux ou celui-ci sera-t-il réduit à 20 % ?

Les autorisations d'engagement du programme 112 diminuent de 58 %, en raison de la réduction des sommes allouées aux contrats de ruralité, dotés l'an passé de 212 millions. Ces contrats, créés en 2017, sont d'excellents outils adaptés aux stratégies de développement local dans les territoires ruraux. Je constate que vous avez prévu 44 millions d'euros de crédits de paiement pour répondre aux engagements de 2017. Vous avez dit que les contrats de ruralité rejoindraient désormais la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Pourquoi un tel changement alors même que la mission finance déjà les CPER au niveau régional et les contrats de ville ? N'y perd-on pas en lisibilité de la politique d'aménagement du territoire ? En outre, pour 2018, les contrats de ruralité ne seront plus dotés que de 45 millions d'euros. Ces 45 millions d'euros permettront-ils d'honorer la deuxième année de financement des contrats signés en 2017 et de nouveaux contrats pourront-ils être signés en 2018 ?

Enfin, ces contrats devaient financer de l'ingénierie territoriale pour permettre aux intercommunalités rurales de monter en compétences. Cela sera-t-il encore possible en 2018 ?

Le programme 162 prévoit une baisse importante de l'action « Eau et agriculture  en Bretagne » : les crédits sont divisés par trois alors qu'il s'agit d'un enjeu de santé publique. Comment justifier cette baisse ? Il en va de même pour le Marais poitevin : pourquoi ? Parallèlement, une nouvelle action portant sur le plan littoral en Occitanie est inscrite pour un million en autorisations d'engagement alors que le programme pluriannuel de ce plan se monte à près d'un milliard d'euros.

M. Jacques Mézard, ministre. - J'ai eu l'occasion de lire vos excellents rapports sur toutes ces questions concernant les aides personnelles au logement, monsieur Dallier. Je suis d'ailleurs d'accord avec un certain nombre de vos conclusions.

Bien sûr, j'étudierai avec soin vos propositions sur l'article 52. J'entends aussi la réaction d'un certain nombre de bailleurs sociaux car tous ne sont pas sur les mêmes lignes. Le Président de la République et son Gouvernement veulent une restructuration du secteur, qui ne se fera pas en trois mois, bien entendu. Il existe plus de 730 opérateurs et leur situation financière est extrêmement diverse. Il faudra parvenir à rééquilibrer les choses, je n'ignore pas les conséquences de la réforme. Comme l'ont dit de nombreux travaux du Sénat ou encore récemment la Cour des comptes, des évolutions sont indispensables. J'en suis personnellement convaincu et certains bailleurs sociaux aussi.

Vous avez travaillé sur une évolution du taux d'effort des allocataires, et évoqué aussi dans votre intervention la TVA sur le logement social. Les réflexions du Sénat ne pourront qu'être prises en considération pour améliorer le dispositif. Il n'en reste pas moins que l'effort de l'État en matière de logement n'est pas suffisamment payé de retour et les programmes de campagne de plusieurs candidats à l'élection présidentielle que vous avez soutenus en faisaient aussi mention.

Sur plusieurs millions de logements sociaux, je regrette qu'il n'y ait eu ces dernières années que 7 000 à 8 000 ventes annuelles, soit 0,2 % du parc. Il faut accélérer le mouvement pour accroître l'accession sociale à la propriété, mais aussi pour améliorer les comptes des bailleurs sociaux. Je souhaite que nous atteignions 40 000 ventes par an, tout en respectant les droits des locataires. Cette accession doit être réservée de façon privilégiée à ceux qui logent dans le parc social. Cela ne peut fonctionner qu'avec des ventes en bloc, d'où la nécessité d'une structure porteuse. La vente de quelques appartements dans un immeuble ne peut déboucher que sur des difficultés de copropriété. Mais la vente d'un logement permet, au minimum, d'en construire deux.

La mutualisation est bien sûr indispensable. Évidemment, pour qu'elle ait un sens, elle ne doit pas supprimer toute capacité de financement à l'ensemble des bailleurs sociaux. Je reste partisan du dialogue également sur ce point.

Vous avez salué l'effort que nous faisons en faveur de l'hébergement d'urgence tout en vous demandant s'il sera suffisant. Je me pose la même question. Il n'est pas dans mon intention de critiquer les gouvernements précédents, mais la sous-estimation a été régulière. À un moment ou à un autre, il faut arriver à un rattrapage.

Pour financer le NPNRU, l'État participera à hauteur d'1 milliard d'euros, Action logement devrait s'engager à hauteur de 2 milliards d'euros dans la future convention avec l'État et nous verrons avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) pour les 2 milliards d'euros restants dans le cadre de nos négociations. En tout état de cause, 8 milliards d'euros sont sécurisés, j'espère que nous arriverons aux 10 milliards d'euros. Sur la durée du NPNRU qui s'achèvera en 2031, mettre 1 milliard d'euros signifie qu'on sort 65 millions d'euros par an, ce sont 130 millions d'euros déboursés pour parvenir aux 2 milliards d'euros annoncés. Ce montant est indispensable au regard du nombre de quartiers qui ont été identifiés, dans quasiment tous les départements, pour en bénéficier. Il y a eu une dissociation entre les quartiers prioritaires d'intérêt national et ceux d'intérêt régional, mais au sein même des quartiers d'intérêt national, il faudrait distinguer ceux qui méritent un effort particulier. Dans certains quartiers, on a le sentiment que la République se retire et que d'autres prennent sa place, ce qui n'est pas acceptable. Nos collègues élus locaux sont confrontés à des problèmes sociaux et sécuritaires insolubles. Lorsque j'ai visité les classes dédoublées à Sarcelles, des enseignants m'ont dit que les parents de tous leurs élèves ne parlaient pas français. De même, le jour où la théorie du genre a été exposée dans les médias, leurs classes se sont vidées.

L'orientation donnée par le Président de la République sur le PTZ ne sera pas remise en cause : les deux prochaines années, le PTZ continuera à être délivré dans les zones B2 et C pour le neuf. Nous verrons s'il convient de poursuivre ou non. Le débat sur le taux de 20 % ou de 40 % aura lieu au Parlement. On ne pourra pas dire que les territoires détendus auront été oubliés.

Le Gouvernement a souhaité poursuivre les contrats de ruralité et les engagements pris seront financés. Je ne reviendrai pas sur les débats relatifs à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) mais chaque année, il y a une part des crédits qui remontent des préfectures vers le ministère chargé du budget.

Au niveau des dotations, nos propositions sont raisonnables : globalement, les dotations ne diminuent pas. En dehors des 319 collectivités qui devront faire des efforts, aucune commune ni intercommunalité ne sera impactée. J'ai fait le nécessaire pour que l'on tienne compte des territoires ruraux.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comme vous, nous estimons que les résultats en matière de construction ne sont pas à la hauteur des moyens mobilisés par l'État. Au sein de notre commission, un groupe de travail pluraliste a entendu de nombreux acteurs et il a formulé diverses propositions.

La mesure 21 que vous annoncez dans votre stratégie pour le logement crée un abattement sur l'imposition des plus-values issues de la vente des terrains dans les zones tendues. Le système des plus-values me semble obsolète : au lieu d'accélérer la rotation des terrains et des logements, il incite à la détention longue, d'où ces correctifs qui peuvent créer des effets d'aubaine. Dans quel texte cette mesure figurera-t-elle puisqu'elle n'est pas dans la loi de finances ?

Par ailleurs, j'espère qu'il n'y aura pas de dispositif « Mézard » car tous les ministres ont voulu attacher leur nom à une réforme : à chaque fois, ce fut une nouvelle niche fiscale. Chacun nous expliquait qu'il s'agissait du dispositif miracle qui résoudrait la crise du logement, ce qui ne fut jamais le cas. En outre, les constructions n'ont pas toujours été faites là où les besoins étaient les plus criants. Il s'agit plus de dispositifs de soutien à la construction qu'au logement.

Concernant le « Pinel », allez-vous vous pencher sur les marges des intermédiaires, sujet relevé par notre groupe de travail ? Les prix au mètre carré sont plus élevés lorsqu'il y existe des incitations fiscales. Les spécialistes en défiscalisation prennent en effet leurs marges : ne pourrait-on encadrer leurs commissions ?

Près de 25 % des ménages sont logés dans le parc privé, soit 7 millions de ménages. Dans ce parc, 96 % des bailleurs sont des particuliers. Malheureusement, cette loi de finances ne va pas les choyer, notamment avec l'impôt sur la fortune immobilière et le prélèvement forfaitaire unique.

Le « Borloo ancien » était un dispositif pertinent qui visait à remettre sur le marché des logements à loyer modéré. Dispose-t-on d'un bilan de ce dispositif qui a été réformé l'an dernier ?

M. Jean-Marc Gabouty. - À l'occasion d'une nouvelle loi sur le logement, vous prévoyez de réorienter des dispositifs d'incitation fiscale pour favoriser la construction de logements. Sans mettre en cause les nécessaires efforts sur les zones tendues, prenez garde à ne pas prendre des mesures trop brutales qui pourraient avoir des effets trop négatifs. Ainsi en fut-il avec la modification des tarifs de rachat de l'électricité solaire qui avait provoqué l'effondrement de la filière dans notre pays.

Sans doute faudrait-il maintenir le « Pinel » pour des programmes déjà engagés dans les zones B2 avec agrément pour les permis de construire déposés avant le 31 décembre 2017. Ces programmes sont le plus souvent prêts et il s'agit, pour la plupart, d'opérations à tranches qui risquent d'être inachevées en cas d'arrêt brutal.

M. Jacques Mézard, ministre. - Monsieur le rapporteur général, le dispositif fiscal relatif aux plus-values que vous évoquiez sera présenté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Concernant le « Pinel », il n'existe pas de véritable évaluation et j'ai demandé à en savoir plus car je suis persuadé que certaines constructions auraient eu lieu, même sans incitation. Bien évidemment, les marges des spécialistes de la défiscalisation génèrent un surcoût, d'où l'intérêt de revoir ces dispositifs.

C'est seulement, depuis mai que le dispositif Cosse a effectivement remplacé le « Borloo ancien », ce qui rend l'analyse difficile à réaliser, faute de recul suffisant. Rassurez-vous, je n'entends pas faire voter une loi « Mézard ».

Et non, on ne peut parler de nouvel impôt sur la fortune immobilière puisqu'il existe déjà. Le nom change, et vous pouvez simplement regretter qu'on maintienne cet impôt sur l'immobilier.

Je suis moi-même très attentif à la situation des zones les moins tendues et je me suis battu pour leur obtenir du « PTZ ancien » sur quatre ans et du « PTZ neuf » sur deux ans. Il est vrai aussi qu'il faut encourager la construction et la rénovation dans les zones tendues. Ne faudrait-il d'ailleurs pas procéder à une révision de ces zones ? Le Gouvernement et le Parlement pourront se pencher sur cette délicate question.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. - Rejoignant les propos tenus par Philippe Dallier, je voudrais vous demander si l'article 52 n'allait pas pousser les bailleurs sociaux à ne retenir que les locataires qui perçoivent peu ou pas d'APL ? C'est une orientation à rebours de la volonté du Gouvernement.

Vous dites que les bailleurs sociaux pourront percevoir plus de recettes issues du supplément de loyer de solidarité. Or cette ressource est anecdotique et elle est fléchée pour financer le Fonds national des aides à la pierre (Fnap). Vous évoquez aussi la stabilisation du taux du livret A, mais cela ne présente un intérêt que si les bailleurs sociaux peuvent réhabiliter ou construire.

L'Anah disposera de 110 millions d'euros : cette ressource sera-t-elle pérennisée durant le quinquennat ? N'aurait-il pas été préférable de relever la taxe sur les logements vacants affectée à l'Anah ? Cela éviterait des annulations de crédits en cours d'année budgétaire.

En cours d'année 2017, l'État a réduit sa participation au Fnap. Pour 2018, vous annoncez seulement 50 millions d'euros, contre 200 millions d'euros initialement inscrits en 2017. Les bailleurs sociaux devant financer à hauteur de 375 millions, la composition paritaire du Fnap est-elle encore cohérente face à ce déséquilibre ?

- présidence de M. Yvon Collin, vice-président. -

M. Jacques Mézard, ministre. - Je crois qu'il faut faire confiance, non pas seulement à l'intelligence des territoires, comme l'on aime à dire ici, mais à l'intelligence des bailleurs sociaux. Comme leur nom l'indique, ils ne choisissent pas les locataires les plus fortunés... J'entends toutefois ce que vous dites.

S'agissant des compensations, la situation n'est pas bloquée. On peut certes améliorer les contreparties financières. La contribution du Sénat, sur ce sujet, sera la bienvenue.

J'ai veillé à ce que l'équilibre financier de l'Anah ne soit pas mis en danger. Ce n'était pas évident - les années passées en témoignent. Des engagements ont été pris pour le quinquennat, en matière de politique de la ville et de contrats de ville, mais aussi pour l'Anah puisque le grand plan d'investissement la financera à hauteur de 1,2 milliard d'euros pour le programme « Habiter mieux ». En tant qu'élu local, j'ai mené six opérations programmées d'amélioration de l'habitat successives et un programme d'intérêt général. La lutte contre les passoires thermiques, notamment dans le cadre du « plan Climat », impose de sécuriser ce budget, j'en suis convaincu. Pour ne rien vous cacher, la direction de l'Anah et moi-même avons été inquiets, mais les réponses aux attentes ont fini par être trouvées.

Je vous entends sur le Fnap. Le débat est plus général : le choix de Raymond Barre, dans un contexte différent, de privilégier les aides à la personne aux aides à la pierre doit être revu. Vendre davantage de logements, comme cela se fait dans d'autres pays européens, permettra de financer plus largement le Fnap - à hauteur de 150 millions d'euros pour 15 000 logements. C'est le circuit vertueux que je souhaite instaurer. Mais je suis conscient de la difficulté ponctuelle que cela cause dans le budget pour 2018.

M. Michel Canevet. - Ces sujets sont très importants pour les élus ruraux. Le très haut débit en particulier, revêt une importance majeure pour les territoires périphériques ou enclavés. Beaucoup trop de secteurs restent mal couverts par les réseaux de téléphonie mobile. L'objectif de 2020 devra être tenu pour qu'ils ne restent pas laissés pour compte.

En matière de logement, nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut une réforme. Mais la rapidité des annonces faites par le Gouvernement inquiète élus et bailleurs publics.

Sur mon territoire, l'apport en fonds propres ou quasi-fonds propres que le PTZ permet de dégager est essentiel pour les ménages modestes. Allonger son éligibilité de deux ans est donc une bonne chose.

En Bretagne, il y a dix ans, les bailleurs sociaux mettaient 1 000 à 2 000 euros par logement neuf construit ; aujourd'hui, la baisse de l'intervention publique les contraint à mettre entre 15 000 et 20 000 euros par logement. Si leurs fonds propres et leurs capacités d'autofinancement diminuent, nous pouvons nous inquiéter pour la concrétisation de certaines opérations. En Bretagne, 10 % des logements mis en vente en 2016 ont trouvé preneur et le total des logements mis en vente représentait plus de la moitié de la production de logements neufs de l'année. Les marges de manoeuvre sont donc étroites. La réforme est nécessaire, mais il faut du temps pour qu'elle soit comprise par tous. Il faut aussi que l'on évite un déménagement des populations vers les métropoles et les zones déjà très urbanisées du territoire. Les zones rurales en ont besoin aussi.

M. Jean-Marie Morisset, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Membre d'une société anonyme d'HLM depuis plusieurs années, je veux d'abord vous remercier de nous avoir rassurés sur votre intention de nous écouter.

La budgétisation du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » est beaucoup plus crédible que les années précédentes : il avait fallu lui ajouter 153 millions d'euros au cours de l'année 2014, 225 millions d'euros en 2015 et 238 millions d'euros en 2016... Les sommes budgétées chaque année étaient déjà inférieures aux dépenses constatées en année N-2 en dépit des besoins. Reste que nous ne connaissons pas le niveau des dépenses réalisées au titre de 2017 ; les crédits augmentent de 12 % par rapport à l'enveloppe initiale de 2017, mais une ligne de 122 millions d'euros a déjà été ouverte par décret d'avance cette année.

De plus, les centres d'accueil et d'orientation, dépendant initialement du programme 177, sont passés sur le programme 303 en cours d'année, ce qui fait qu'on ne sait pas trop qui a payé quoi. Bref, nous aimerions être rassurés.

L'objectif est le logement d'abord, dites-vous. Nous sommes d'accord avec vous. Mais tous les ans, vous savez bien qu'il faut gérer l'urgence, et d'ailleurs vous avez prévu 200 millions d'euros supplémentaires cette année. En outre, nous avons encore 42 646 nuitées d'hôtel à payer, alors que nous disons chaque année qu'il faut les réduire...

Plus largement, notre politique d'hébergement impose d'accueillir tout le monde. Le programme 177 concerne ainsi de nombreuses personnes ne faisant l'objet d'aucun dispositif dédié, tels les déboutés du droit d'asile. Selon mes informations, certaines préfectures donnent instruction au Samu social et autres organismes de terrain de ne plus accueillir ces personnes. Que doit-on dire à ces structures ?

Au-delà de la saturation de nos lieux d'hébergement, les services d'orientation sont débordés. Il faut aller faire un tour au 115 de Paris pour comprendre comment les choses se passent au quotidien. Les crédits de veille sociale augmentent de 4 %, mais il faut aussi améliorer l'accueil.

Enfin, où en sont les marchés publics relatifs à la construction de 5 000 places d'accueil ? D'autres seront-ils lancés dans l'année qui vient ?

Mme Sophie Taillé-Polian. - On comprend la volonté de prendre davantage en compte les quartiers en difficulté. Vous avez dit que l'État respecterait ses engagements, mais les crédits de l'action 04 du programme 147, c'est-à-dire le soutien de l'État au financement du nouveau programme de rénovation urbaine, ne s'établit qu'à 15 millions d'euros. Or vous l'avez dit vous-même : il faudrait 65 millions d'euros par an pour atteindre le milliard d'euros ciblé par le programme... L'année dernière, l'amorçage des projets justifiait des engagements aussi faibles ; mais cette année devait être celle de la montée en puissance !

Vous avez reconnu que les décisions brutales prises sur l'APL et le Fnap allaient limiter le niveau de construction, car les réformes structurelles que vous appelez de vos voeux n'auront pas de conséquences immédiates. Comment comprendre que l'État incite les collectivités à respecter leurs obligations en matière de logement social et se désengage lui-même de l'accompagnement des bailleurs ?

La politique de vente de logements pose enfin un certain nombre de questions : sur l'existence d'acheteurs d'une part, le risque de copropriétés dégradées ensuite, enjeu très important sur certains territoires. Qu'y répondez-vous ?

Mme Annie Guillemot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Quel a été l'impact des annulations de crédits décidées en 2017 ? Valérie Létard et moi-même, au cours de notre mission d'évaluation, avons entendu beaucoup d'associations dénoncer l'injustice qu'elles ont subie de ce fait, après avoir reçu de la préfecture l'annonce de leur éligibilité à certaines subventions, mais avant dépôt de leur dossier.

Quel est le montant sanctuarisé des crédits affectés à la politique de la ville ? S'agit-il des crédits de l'action 10 ou des crédits de paiement du programme 147, qui baissent de 16,5 % en raison de la diminution du soutien apporté à la rénovation urbaine ? Cette sanctuarisation implique-t-elle que vous veillerez à ce qu'il n'y ait pas, comme en 2017,  d'annulation de crédits en cours d'exercice ? C'est l'un des principaux problèmes rencontré par les acteurs de terrain.

Vous avez indiqué devant la commission « politique de la ville et cohésion sociale », commune à l'AMF, France urbaine et Ville et banlieue, que vous souhaitiez simplifier les procédures d'instruction des projets de renouvellement urbain, ce que Valérie Létard et moi-même préconisions déjà. Avez-vous demandé à l'Anru - qui, au passage, n'a toujours pas de président - d'agir en ce sens ? Seuls 15 millions d'euros sont prévus pour soutenir le renouvellement urbain en 2018, ce qui est loin de l'engagement du Gouvernement - d'un milliard d'euros - sur la durée du programme. Quand l'État compte-t-il s'engager effectivement dans le financement du NPNRU ? Aucun article du projet de loi de finances ne porte d'ailleurs le financement du NPNRU de 6 à 10 milliards d'euros ; le financement des 4 milliards d'euros supplémentaires serait abouti avec Action logement, mais pas, pour l'instant, avec l'USH...

M. Didier Rambaud. - J'ai été surpris d'entendre le ministre dire que la consommation des crédits de la DETR était mauvaise. En Isère, je n'ai pas cette impression. Si c'est le cas dans certains départements, je propose d'instaurer un bonus-malus, de sorte que les départements qui consomment bien ces crédits soient récompensés, les autres pénalisés...

M. Pascal Savoldelli. - J'apprécie la sincérité de vos propos, monsieur le ministre, sur la restructuration du secteur du logement social. Vous avez insisté sur la vente de logements sociaux. Mais dans le Val-de-Marne, j'ai 600 000 demandeurs de logement, seulement 80 000 attributions et 89 % des personnes éligibles au logement social - quelle que soit la couleur politique du maire. Le transfert du logement locatif vers le privé ne résoudra donc rien ! Vous vantez le dialogue : je vous ai demandé l'autre jour lors des questions d'actualité au Gouvernement quelle était la rente des offices HLM ; je n'attendais pas nécessairement une réponse immédiate, mais à un moment, il va falloir mettre les chiffres sur la table. Pour que le dialogue s'opère, il faut un profond respect pour ses interlocuteurs.

Vous avez évoqué la révision des zones. Nous savons tous qu'elle ne pourra pas se faire immédiatement. Dans les zones les plus tendues, êtes-vous prêt à prendre en charge l'encadrement des loyers, comme la loi vous y autorise ?

Le logement doit faire un effort dans le sens de la transition écologique. Seriez-vous favorable à l'ouverture, aux particuliers comme aux personnes morales que sont les syndics de copropriété ou les organismes HLM, d'un livret d'épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations pour accompagner la transition écologique, en finançant les études et travaux sans alourdir les charges ?

M. Dominique de Legge. - Les dépenses en matière de logement représentent 35 milliards d'euros, pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur des espérances. S'il s'agit de dépenser moins pour faire mieux, je suis d'accord - reste à discuter des moyens à déployer.

Mais ne craignez-vous pas de dissuader ceux qui pourraient être tentés d'investir dans l'immobilier en maintenant un impôt sur la fortune immobilière ?

M. Victorin Lurel. - J'aimerais attirer votre attention sur la situation particulière des outre-mer. Je crains en effet les effets cumulés de la mission « Outre-mer » et de la vôtre, monsieur le ministre. Il était question de réaliser 100 000 logements en dix ans pour 11 territoires ultramarins, soit 10 000 par an et une augmentation de 2 000 logements. Nous en sommes entre 7 800 et 8 000. Mais nous n'en entendons plus parler, et l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques limite les dépenses fiscales à quatre ans et à 28 % des recettes fiscales nettes de l'État. Malgré les engagements pris pour rassurer les investisseurs, les dispositifs fiscaux dans les outre-mer ont été modifiés à seize reprises ! Or leur efficacité est avérée et ils ont même été évalués, puisque le rapport de l'inspection générale des finances a conduit à encadrer les commissions servies aux intermédiaires. Pire : j'ai cru comprendre qu'avec les Assises de l'outre-mer, tout était différé. Diminution de la ligne budgétaire unique, remise en cause de la stabilité fiscale, niches fiscales comprises - qui doivent représenter 14 % des recettes... Il y a là un effet de souffle que nous ne maîtrisons pas. Nous ne sommes pas concernés par la réforme des APL - on pourrait dire que c'est heureux - mais nous participons au Fnap alors qu'il n'intervient pas outre-mer ; l'Anah, elle, n'intervient que très marginalement outre-mer... Bref le dispositif global change, et je crains les conséquences de ce changement sur des territoires très spécifiques. Je compte sur le travail que vous mènerez avec la ministre des outre-mer pour ne pas diminuer en valeur la ligne budgétaire unique.

M. Jacques Mézard, ministre. - Monsieur Canevet, l'objectif de couverture en très haut débit est un engagement prioritaire du Président de la République et du Gouvernement. Nous verrons plus clair d'ici la fin de l'année sur l'état des lieux et sur les négociations avec les opérateurs. Couvrir tout le territoire en 2020 est un défi - moins s'agissant des contraintes à faire peser sur les opérateurs que sur le plan technique. Satellite, 4G... toutes les technologies devront être mobilisées.

Il est certain que la restructuration du secteur du logement prendra du temps, mais si l'on n'engage pas de réforme en début de mandat, il y a peu de chances de parvenir à réformer.

Le dispositif « Pinel » en zone C a été mis en place par le décret du 3 mai 2017. Il n'a concerné que quelques dizaines de logements.

M. Michel Canevet. - Combien ?

M. Jacques Mézard, ministre. - Une vingtaine. La pression n'est donc pas considérable.

Monsieur Morisset, je partage vos vues. Nous courons derrière la réalité depuis des années. J'espère que nous cesserons bientôt de le faire. Les choses sont complexes : certaines structures d'accueil dépendent du ministère de l'intérieur, d'autres de crédits gérés par mon ministère ; je souhaite que nous simplifiions les choses. Cela n'entrave toutefois pas la gestion de l'urgence.

Vous avez raison sur les nuitées hôtelières - environ 34 000 en région parisienne, pour un coût annuel à l'unité de 19 000 euros. Nous pouvons effectivement nous interroger sur la pertinence du dispositif, mais c'est dans l'urgence que nous y recourons chaque année. Je ne fais pas le procès de mes prédécesseurs, car nos concitoyens se moquent de savoir qui est responsable, et le sujet est difficile. Je suis allé, loin des caméras, passer une longue soirée en maraude, avec le Samu social et observer le traitement des appels par des gens compétents et qui font preuve d'une grande générosité ; d'où mon insistance sur le logement d'abord. Certaines personnes bénéficiant de ces nuitées sont en attente de régularisation depuis des années : douze ans pour le plus ancien, tandis que 4 000 sont hébergés à l'hôtel depuis cinq ans ! Je pose la question : sommes-nous bien raisonnables ? Nous avons tous des efforts à réaliser pour améliorer cette situation.

Madame Taillé-Polian, je vous confirme que les crédits de paiement sont sanctuarisés pour la durée du quinquennat pour la politique de la ville. En matière de rénovation urbaine, deux opérations ont été signées à ce stade. Les crédits dédiés aux NPNRU seront ouverts lors du débat parlementaire, en lien avec l'accord global que nous sommes en train de mettre au point avec Action logement, qui sera signé dans les jours qui viennent. J'en parle régulièrement avec le directeur général de l'ANRU, et je n'ai aucune inquiétude à ce sujet. Son nouveau président sera, par ailleurs, nommé bientôt.

Les ventes de logements devront se faire en bloc, pour éviter le mitage. Nous parlons de volumes limités : passer de 8 000 à 40 000 logements vendus par an, cela représenterait toujours moins d'1 % du parc. Il reste compliqué, pour les bailleurs sociaux, de réaliser ces ventes, mais il ne s'agit aucunement d'en faire des tonnes. Passer à 0,6 % ou 0,8 % du parc serait une bonne source de financement et faciliterait l'accession sociale à la propriété.

Madame Guillemot, nous avons tous, en matière de gestion, une certaine ancienneté... Ce n'est pas la première fois que des crédits sont annulés. J'ai dit qu'il n'y aurait pas d'annulations en 2018 pour les crédits de la politique de la ville, ce qui est inédit ! Je ne reviendrai pas sur les pratiques du passé, car cela pourrait nous occuper un long moment. Nous avons fait le nécessaire pour que ces annulations portent sur des mises en réserve, afin de limiter l'impact sur les territoires. Cela a quand même posé quelques problèmes...

Mme Annie Guillemot. - Ah oui !

M. Jacques Mézard, ministre. - Certes, mais j'ai vu lors de mes déplacements un certain nombre de contrats signés par l'État à la fin de la législature précédente, sans le moindre financement correspondant ! Je ne fais le procès de personne et m'efforce d'honorer la signature de l'État, mais de grâce, que chacun porte sa croix !

Oui, les programmes de l'Anru sont devenus trop compliqués ; j'en ai parlé avec son directeur général, qui en est d'accord. Dès qu'un nouveau président aura été nommé, nous en parlerons en conseil d'administration, car la complexité est chronophage et empêche de répondre aux besoins des collectivités territoriales.

Monsieur Rambaud, votre idée sur la DETR a déjà été émise mais n'a jamais été acceptée par Bercy... Je vous confirme qu'une part certaine des crédits de cette dotation n'est pas utilisée. Il faut dire aussi que leur forte augmentation les années précédentes et le retard pris par certaines opérations conduiront à leur consommation dans les années à venir. Nous avons fait le maximum pour maintenir l'ensemble de ces dotations - qui ne relèvent pas de mon ministère - au niveau le plus élevé possible, ce qui n'était pas évident : la DETR est maintenu à 1 milliard d'euros, la dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements à 660 millions d'euros. C'est plutôt une bonne nouvelle pour les collectivités.

Monsieur Savoldelli, nous ne sommes pas d'accord sur tout, c'est le débat démocratique... Nous connaissons l'historique de l'encadrement des loyers : rendu obligatoire pour 22 communes, puis limité sous le gouvernement Valls, son application dans le seul ressort de Paris et Lille a été contestée. J'ai décidé de faire appel au nom de l'État de la décision mettant à mal l'encadrement des loyers à Lille - conformément aux souhaits de la maire de Lille, avec qui je me suis entretenu. Nous n'avons pas le recul nécessaire sur le dispositif pour prendre une décision d'extension. Il n'est en tout cas pas prévu de le menacer non plus.

L'idée de créer un nouveau livret d'épargne de transition énergétique ne me choque pas.

Monsieur de Legge, si j'étais taquin, je m'étonnerais que les contempteurs de l'ISF nous reprochent de le transformer en impôt sur la fortune immobilière. Que ne l'avez-vous supprimé lorsque vous étiez dans la majorité ! Avec une telle mesure, nous avons le privilège d'être critiqués par ceux qui considèrent qu'il ne fallait pas toucher à l'ISF et par ceux qui estiment qu'il fallait tout supprimer... Mais c'est une situation à laquelle je suis habitué !

Monsieur Lurel, la ministre des outre-mer et moi-même sommes convenus de nous concerter sur les questions de logement. Je sais les difficultés particulières de ces territoires, à Mayotte ou en Guyane notamment. Les spécificités des outre-mer justifient en tout cas un traitement particulier.

M. Yvon Collin, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre. C'est toujours un plaisir de vous revoir dans ces murs.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.

Mercredi 25 octobre 2017

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 8 heures.

Projet de loi de finances pour 2018 - Finances locales - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur

M. Vincent Éblé, président. - Après l'audition hier de Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur le projet de loi de finances pour 2018.

Nous accueillons aujourd'hui notre ancienne collègue Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, Gérard Collomb, pour évoquer les dispositions relatives aux finances locales contenues dans le projet de loi de finances pour 2018 mais aussi dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Comme je vous l'indiquais hier, Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, que nous avions également convié, nous a informés qu'il ne pouvait être avec nous ce matin.

Le projet de loi de programmation des finances publiques, que nous examinerons mardi prochain en commission, contient d'importantes dispositions en matière de finances locales et les éléments de précision que vous allez nous apporter seront précieux.

Par ailleurs, l'ancienne rapporteure de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » est bien placée pour savoir que les sénateurs sont par nature particulièrement attentifs aux dispositions des lois de finances relatives aux finances locales, et la réforme de la taxe d'habitation constituera à n'en pas douter un moment important de notre débat budgétaire.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Le Gouvernement a fait le choix d'une politique en rupture avec les années précédentes : il ne réduira pas unilatéralement les concours de l'État aux collectivités territoriales, comme cela avait été le cas lors du précédent quinquennat, à hauteur de 10 milliards d'euros, ainsi que vous vous en souvenez. Ce choix se traduit par un contrat de mandature, dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, lancée ici même par le Président de la République en juillet dernier, et qui se réunira à nouveau le 14 décembre prochain.

À périmètre constant, les concours financiers de l'État augmenteront, en 2018, de près de 300 millions d'euros par rapport à l'année précédente. Pour la première fois depuis quatre ans, la DGF, la dotation globale de fonctionnement, reste stable, à périmètre constant, et connaît même une légère augmentation, de 0,4 %, soit 95 millions d'euros.

Parallèlement, les collectivités territoriales devront contribuer au redressement des finances publiques : un effort de réduction de leurs dépenses et de leur endettement leur sera demandé, à hauteur de 13 milliards d'euros sur le quinquennat, soit 16 % de l'effort global, auquel l'État contribue pour 30 % et les organismes de sécurité sociale pour 50 %, chacun est associé à cet effort en fonction de sa part dans la dépense publique.

L'article 10 de la loi de programmation des finances publiques prévoit ainsi une progression des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales par rapport à leur évolution tendancielle de 1,2 % par an en valeur, contre 2,5 % entre 2009 et 2014, correspondant à un effort de 2,6 milliards d'euros par an. Il s'agit, du même coup, de privilégier l'autofinancement des investissements, et de réduire le recours à l'emprunt.

Trois mécanismes sont prévus pour assurer le respect de la trajectoire. En premier lieu, la contractualisation entre l'État et les plus grandes collectivités territoriales - régions, départements, communes de plus de 50 000 habitants et intercommunalités de plus de 150 000 habitants, soit 319 collectivités territoriales représentant 65 % de la dépense publique locale.

Interviendra, en deuxième lieu, un mécanisme de correction dont les modalités seront déterminées par la loi, à l'issue d'un dialogue entre l'État et les collectivités territoriales au sein de la Conférence nationale des territoires.

Enfin, la règle d'or sera renforcée par l'article 24, qui introduit un plafond d'endettement fondé sur un ratio entre dette et capacité d'autofinancement.

Tels sont les grands principes de la loi de programmation des finances publiques. Conformément à la méthode définie dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, des travaux seront conduits, sous la présidence conjointe d'Alain Richard et Dominique Bur, par une mission associant élus locaux, personnalités qualifiées et hauts fonctionnaires. Il s'agit de débattre des moyens de régulation de la dépense locale au cas où les objectifs venaient à ne pas être tenus. Ces travaux s'articuleront avec ceux du Comité des finances locales, le CFL. Un rapport d'étape est prévu fin novembre et les conclusions seront rendues en avril, afin d'ouvrir les travaux du CFL en vue du projet de loi de finances pour 2019. Il sera naturellement rendu compte régulièrement au CFL de l'avancée des travaux de la mission.

Les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales traduisent des priorités claires, et notamment la volonté de soutenir l'investissement local. Le niveau atteint, en 2017, par les subventions d'investissement aux collectivités locales de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » est consolidé. Ces crédits correspondent à différentes dotations : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation politique de la ville (DPV). Celles-ci atteindront, en 2018, 1,8 milliard d'euros, soit une augmentation de 5,5 % à structure constante.

Le Gouvernement a choisi de consolider, dans la durée, la priorité donnée au soutien à l'investissement. C'est ainsi que la DSIL voit son existence pérennisée dans la loi. Le Gouvernement précédent avait fait le choix de la créer en compensation des ponctions effectuées sur la DGF. Non seulement nous ne touchons plus à la DGF, mais nous pérennisons l'enveloppe DSIL.

Aucune règle ou seuil d'éligibilité ne seront fixés pour bénéficier de ces crédits d'investissement, qui sont ouverts à toutes les collectivités territoriales, y compris les plus petites. C'est ouvrir une voie de financement importante à la ruralité.

Le Gouvernement tient aussi les engagements pris à l'occasion de la suppression de la réserve parlementaire et de la réserve ministérielle. Les fonds concernés ont été réinjectés dans les dotations aux investissements locaux, ouvertes à toutes les collectivités territoriales, sans restriction.

Enfin, pour accompagner la transformation des territoires, un certain nombre de politiques vont être renforcées. Tout d'abord, une part importante des moyens sera mobilisée en faveur des contrats de ruralité pilotés par les préfets, via un abondement de 45 millions d'euros en autorisation d'engagement de la DSIL. Ici encore, aucun seuil minimal d'éligibilité ne sera instauré. En deuxième lieu, la politique d'appui à la dynamique métropolitaine sera poursuivie, dans la continuité des opérations conclues avec les préfets, de même que les opérations s'inscrivant dans le cadre du grand plan d'investissement visant à transformer les territoires, telles que la rénovation thermique des bâtiments publics, les actions en faveur des mobilités durables ou celles qui contribuent à la modernisation de l'action publique. Enfin, pour répondre au besoin renforcé d'accompagnement des collectivités territoriales les plus modestes, qui demandent à être soutenues dans le montage des projets, des dépenses de fonctionnement pourront être éligibles à ces subventions, à hauteur de 10 % du total. Cette avancée bénéficiera à des opérations complexes, s'inscrivant dans un cadre contractuel et appelant une ingénierie particulière.

Nous avons également souhaité créer un nouveau fonds de modernisation destiné à appuyer financièrement les collectivités territoriales dans les réformes structurelles qu'elles engagent, par exemple pour la mutualisation de services ou la numérisation d'une procédure. Ce fonds, qui verra le jour en 2018 au sein de la DSIL, sera doté de 50 millions d'euros.

Après plusieurs mois de concertation avec les associations représentatives des collectivités territoriales, le projet de loi de finances pour 2018 introduit une réforme structurelle du fonds de compensation de la TVA, le FCTVA. Il s'agit, au lieu d'examiner l'éligibilité de chaque dépense, d'automatiser le processus. La réforme, qui s'attachera à rester financièrement neutre, fera gagner en efficience et allègera substantiellement les charges administratives des collectivités territoriales. La hausse mécanique du FCTVA pour 2018 est, par ailleurs, estimée à 88 millions d'euros.

Une autre mesure d'accompagnement concerne les communes nouvelles. Le régime d'incitation, qui expirait au 31 décembre 2016, sera reconduit jusqu'en 2019. Les communes dont le nombre d'habitant est supérieur à 1 000 et inférieur à 10 000 bénéficieront, lorsqu'elles décident de fusionner, d'un bonus de DGF de 5 % et d'une garantie de stabilité de cette dotation, tant pour sa part forfaitaire que de péréquation, durant trois ans. Je précise qu'il n'y aura pas de discontinuité et que les fusions intervenues dans l'intervalle seront prises en compte.

Enfin, pour accompagner les mairies dans la délivrance des cartes nationales d'identité, la dotation pour titres sécurisés sera doublée, et portée à 40 millions d'euros.

J'en viens au financement des conseils régionaux. Les régions se sont vu transférer, par la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), des compétences nouvelles, notamment dans le domaine du développement économique. Le Gouvernement précédent avait prévu un certain nombre d'engagements financiers pour les accompagner. En premier lieu, donner aux régions une ressource nouvelle, en l'occurrence de la TVA. L'engagement est tenu puisque le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la transformation de la DGF des régions en une ressource dynamique, sous forme d'une quote-part des recettes de TVA. Cette recette nouvelle, dont la croissance est estimée à 100 millions d'euros en 2018, sera garantie aux régions. Sa croissance devrait être de 700 millions d'euros d'ici à 2022. De même, le précédent Gouvernement avait pris l'engagement d'abonder un fonds exceptionnel de soutien à la prise de compétence économique par les régions à hauteur de 450 millions d'euros ; 200 millions d'euros avaient été prévus dans le budget 2017. Restent donc 250 millions d'euros à verser en 2018. L'engagement est là aussi tenu, puisque les crédits correspondants sont inscrits au projet de loi de finances pour 2018. Toutefois, ces crédits ne seront pas intégrés en base à la nouvelle TVA - ce qui a donné lieu à débat. Si la consolidation de ce dispositif exceptionnel n'a pas été retenue, c'est par souci d'équité : une telle option aurait conduit à devoir rechercher des ressources ailleurs, en réduisant à due concurrence les « variables d'ajustement » dont bénéficient les autres collectivités territoriales.

Le Gouvernement a également souhaité renforcer les mécanismes de solidarité, en continuant à faire progresser la péréquation en faveur des collectivités territoriales les plus fragiles au regard des critères de ressources et de charges. Les composantes péréquatrices de la DGF seront ainsi abondées, en 2018, de 190 millions d'euros. C'est marquer un choix clair en faveur d'une solidarité destinée à réduire les fractures territoriales. La répartition de cette augmentation se fera au travers de la DSU, la dotation de solidarité urbaine des communes, pour 90 millions d'euros, de la DSR, la dotation de solidarité rurale, pour 90 millions d'euros également, et des dotations de péréquation des départements, pour 10 millions d'euros.

Le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, est maintenu à un milliard d'euros afin de garantir la prévisibilité des ressources et des charges ainsi que l'ambition de la péréquation horizontale au sein du bloc communal.

Enfin, les fonds de péréquation de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, tant pour les régions que pour les départements, seront réformés, ainsi que le requiert le changement d'affectation, en 2017, de 25 points de CVAE des départements vers les régions. À défaut, ce changement d'affectation aurait entraîné, pour le fonds de péréquation des régions, des évolutions imprévisibles et un alourdissement important et injustifié des charges des collectivités territoriales les plus dynamiques, comme l'Île-de-France ou l'Auvergne-Rhône-Alpes. Pour le fonds de péréquation des départements, il aurait conduit à une moindre contribution de certaines collectivités territoriales très favorisées ; les mécanismes de plafonnement limitant les prélèvements seront donc revus à la hausse pour ne pas reporter une part des prélèvements sur des collectivités territoriales moins riches.

Un mot, pour finir, sur la réforme de la taxe d'habitation, qui suscite des interrogations parmi les élus locaux, pour préciser que la réforme s'étalera sur trois ans. Il s'agira d'un dégrèvement, l'État se substituant au contribuable « exonéré ». La substitution sera de 30 % la première année, 65 % la deuxième et 100 % la troisième. L'opération sera blanche pour les collectivités territoriales concernées.

Cette décision du Président de la République s'appuie sur le constat qu'une inégalité croissante frappe cette taxe, du fait de la non revalorisation des valeurs cadastrales depuis 1970, ce dont nous sommes tous responsables.

Au-delà, la succession des réformes de la fiscalité locale, à commencer par celle de la taxe professionnelle, en 2010, appelle à une révision d'ensemble de la fiscalité locale : cette réforme de la taxe d'habitation ne saurait se comprendre hors d'une telle démarche. La Conférence nationale des territoires devra s'y atteler.

M. Vincent Éblé, président. - Le projet de loi de programmation des finances publiques propose que les économies des collectivités territoriales sur leurs dépenses de fonctionnement soient consacrées à leur désendettement plutôt qu'au financement de leurs investissements. N'est-ce pas contradictoire avec l'intention du Gouvernement de continuer à soutenir l'investissement local ? J'ajoute que la dette des collectivités territoriales, qui ne se financent pas uniquement par l'emprunt, mais aussi par un prélèvement sur les sections de fonctionnement, est relativement vertueuse, au regard de la dette de l'État, qui vient en permanence combler des dépenses de fonctionnement.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous savez, Madame la ministre, que notre commission des finances a toujours privilégié une approche pragmatique. Nous ne sommes pas opposés par principe à une évolution de la norme de dépenses des collectivités territoriales, ce que dans notre jargon nous appelons l'Odedel, l'objectif d'évolution de la dépense locale. Il est normal que les collectivités territoriales participent à l'effort de redressement des comptes publics. J'estime aussi, pour ma part, qu'aller vers une logique de contractualisation, qui peut être vertueuse et incitative, est plus sain que s'en tenir à la logique du rabot appliqué uniformément aux collectivités territoriales, à l'aune de ce qu'elles pèsent dans la dépense publique. Sachant, cependant, que la contractualisation ne s'appliquera qu'à 319 collectivités territoriales, pouvez-vous me confirmer que les autres, c'est-à-dire la grande masse d'entre elles, seront bien soumises à des objectifs d'évolution des dépenses ?

Nos collectivités territoriales forment un ensemble hétéroclite, aux caractéristiques très différentes. Dans certaines d'entre elles, le dynamisme des dépenses peut être largement contraint ; je pense par exemple aux dépenses sociales pour les départements, ou à l'évolution démographique. D'où l'idée de ne pas appliquer uniformément l'objectif de 1,2 %, qui sera, si j'ai bien compris, modulé. Cependant, Gérald Darmanin a indiqué à l'Assemblée nationale que les collectivités territoriales qui refuseront la contractualisation se verront appliquer d'office un objectif de 1,2 %. Je vois mal, à ce compte, quel serait l'intérêt d'une collectivité territoriale à s'engager, dans le cas où la contractualisation aboutirait à un effort plus important.

Quel sera, enfin, le point de départ de la contractualisation ? Toutes les analyses le montrent, nous sommes dans une période de ralentissement de la dépense publique, y compris en matière d'investissement. Il ne faudrait pas qu'une collectivité territoriale qui a fait des efforts de maîtrise de son endettement, de sa masse salariale, qui s'est efforcée de rationaliser ses circuits de financement, se trouve pénalisée. Si l'on ne veut pas que la contractualisation devienne une prime au mauvais élève, il faut prendre en compte les efforts du passé.

Si donc je salue le choix d'un mécanisme novateur, vous voyez qu'il n'en reste pas moins des interrogations.

M. Charles Guené, rapporteur spécial des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Vous avez évoqué la question de la DSIL. Ma première inquiétude porte sur la part qui remplacerait la réserve parlementaire.

Les 92 millions d'euros que représentait, en 2017, cette dotation, seront en partie compensés par une enveloppe de 50 millions d'euros au sein de la DSIL. Mais à y regarder de plus près, on s'aperçoit que ces crédits seront réservés aux communes et intercommunalités s'engageant à maîtriser leurs dépenses de fonctionnement sur la base d'un projet de modernisation, dans le cadre d'un contrat conclu avec le représentant de l'État dans la région, précisant la date à laquelle seront atteints les objectifs de maîtrise de la dépense. Comment garantir que les communes rurales, qui ont besoin de ces dotations pour boucler leur budget, auront accès à ce dispositif ?

Certes, le mécanisme de la contractualisation est plus intelligent qu'un rabot appliqué sans discernement, mais nous avons besoin de clarifications : les lignes directrices des contrats seront, de ce que j'en comprends, validées par les parlementaires, mais comment ? Puisque cette validation ne pourra intervenir que dans la loi de finances pour 2019, faut-il comprendre qu'il y aura une année « sans filet » ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le projet de loi de programmation des finances publiques vise, Monsieur le Président, à inciter les collectivités territoriales à développer leur capacité à autofinancer leurs investissements, ce qui aura pour effet de limiter leur recours à l'emprunt, donc leur endettement. Sans oublier qu'améliorer le solde des administrations publiques locales contribue à réduire l'endettement de la France.

Les objectifs du projet de loi de programmation des finances publiques s'appliquent bien à toutes les collectivités territoriales, monsieur le rapporteur général. La signature de contrats avec 319 collectivités est le moyen d'affirmer, pour les plus grandes d'entre elles, un engagement qui aura été très ouvertement discuté, y compris dans ses mécanismes de régulation, lesquels seront examinés dans le cadre de la mission confiée à Dominique Bur et Alain Richard. C'est, au fond, une démarche commune entre l'État et les collectivités locales.

La règle d'or en matière de gouvernance des finances publiques permet aujourd'hui de contrôler l'équilibre budgétaire annuel des collectivités territoriales. Cette règle, qui veut que la section de fonctionnement soit à l'équilibre et l'emprunt uniquement destiné à financer les dépenses d'investissement, est reconnue pour son efficacité, mais le Gouvernement souhaite renforcer la transparence et la responsabilité financières et c'est pourquoi un article du projet de loi de programmation des finances publiques introduit une nouvelle règle prudentielle, qui permettra de mesurer la soutenabilité financière du recours à l'emprunt. Le ratio de l'encours de la dette sur l'épargne brute permet également de mesurer l'autofinancement dégagé par les collectivités territoriales sur leur section de fonctionnement, et de s'assurer de leur effort de maîtrise de ces dépenses, en cohérence avec les objectifs d'économie que poursuit la loi de programmation des finances publiques.

Les crédits de la réserve parlementaire, sur lesquels m'interroge Charles Guené, ont été intégralement redéployés dans les dispositifs de soutien à l'investissement. Ils sont venus abonder les politiques contractuelles en faveur de la ruralité et le nouveau fonds de modernisation que j'ai évoqué. Rien n'interdit, au-delà, de financer les opérations auparavant soutenues par la réserve par les dotations de droit commun, que ce soit la DSIL ou la DETR, la dotation d'équipement des territoires ruraux. Dans le département de la Creuse, par exemple, la moitié des subventions allouées en 2017 au titre de la DETR étaient d'un niveau inférieur à 8 000 euros. Ce montant correspond au montant moyen des actions financées par la réserve parlementaire. De même, 77 % des crédits de la DSIL étaient alloués, en 2016, à des communes de moins de 10 000 habitants, et 43 % à des communes de moins de 2 000 habitants.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Mais les critères d'attribution de ces dotations ne sont pas les mêmes.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je viens de vous montrer que ces crédits de droit commun peuvent être utilisés pour les petites communes qui bénéficiaient de la réserve. J'ajoute que quatre parlementaires siégeront, dans chaque département, au sein de la commission départementale de la DETR, deux députés et deux sénateurs.

Le préfet devra adresser une note à l'ensemble des parlementaires pour les informer de la destination des subventions accordées dans le cadre de la DETR et de la DSIL. Quant au nombre de parlementaires appelés à siéger à la commission départementale, il a été décidé en 2017, sous le précédent Gouvernement. Il est clair que cela ne pose pas problème pour les petits départements, mais je constate que pour les plus grands, cela commence à soulever débat.

Je comprends votre souci de voir clarifier le mécanisme de contractualisation, mais tel est bien l'objectif de la mission confiée à Dominique Bur et Alain Richard.

M. Thierry Carcenac. - Dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022, deux articles m'interpellent. L'article 10, tout d'abord, prévoit une limitation à 1,2 % de la progression des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. Je relève, au passage, que la mission confiée à Dominique Bur et Alain Richard n'est pas sans antécédents. Le rapport de Gilles Carrez et Michel Thénault, soumis au Comité des finances locales en mai 2010, apportait déjà beaucoup d'éléments sur le sujet. J'aimerais des précisions sur la manière dont sera décliné l'objectif de 1,2 %, sachant qu'au sein de l'Odedel, il existe des dispositifs distincts pour le bloc communal, les départements et les régions. Si l'on prend 2016 pour point de départ, comment prendre en compte les dépenses de masse salariale qu'a entraîné, en 2017, le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) et les conséquences, pour les départements, des primes venant compenser l'augmentation de la CSG ?

Quant à l'article 13, il fixe, à périmètre constant, le plafond des concours financiers de l'État aux collectivités locales. Mais l'introduction de la ressource TVA - dont vous avez rappelé le dynamisme - au bénéfice des régions, pourrait avoir des conséquences pour le bloc communal et les départements. Qu'est-il envisagé au cas où cette ressource progresserait plus que prévu ?

M. Philippe Dallier. - J'aimerais des précisions sur les communes concernées par le mécanisme de contractualisation. On me dit qu'en Seine-Saint-Denis, elles seraient au nombre de dix. Or, au vu de la population municipale 2017, j'en compte douze. Quelle sera l'année de référence ?

J'en viens au cas de la métropole du Grand Paris. On nous dit que les établissements publics territoriaux, grandes intercommunalités de quelque 400 000 habitants, ne seraient pas concernés. Je rappelle que ces établissements publics connaissent des situations très différentes ; certains, qui existent depuis longtemps sont très intégrés, tandis que d'autres viennent de se créer. Pouvez-vous confirmer que ni les uns ni les autres ne seront concernés ?

Les contrats seront-ils annuels ou pluriannuels ? Votre objectif est le désendettement et la reconstitution de capacités d'autofinancement, mais alors que nous sommes au mitan des mandats municipaux, une période où beaucoup de projets vont se concrétiser, je concevrai mal que l'on s'en tienne à un examen annuel. Question subsidiaire : jugera-t-on du respect du contrat année par année ou au bout de la période ? Et dans ce dernier cas, comment vous assurer que les 13 milliards d'euros d'économies seront bien au rendez-vous ? Quant aux collectivités territoriales non soumises à contrat, seront-elles exemptées de pénalités si les collectivités territoriales sous contrat sortaient des rails ?

A-t-on définitivement abandonné, enfin, l'idée d'une réforme de la DGF et des dotations de péréquation ? Ce serait regrettable, car sans avoir abouti, faute de considérer ces dotations dans leur ensemble, nous y avions néanmoins travaillé, avec l'Assemblée nationale.

M. Philippe Adnot. - Je partage les inquiétudes du rapporteur général. L'expérience nous a montré que les plus mauvais gestionnaires sont bien souvent récompensés. J'en veux pour preuve la manière dont ont été attribués aux départements les 200 millions d'euros du fonds d'urgence. Si l'on n'intègre pas un principe de comparaison et un critère de charges par habitant, on continuera de récompenser les plus dispendieux.

Substituer, pour la taxe d'habitation, un contribuable national au contribuable local aura le même effet : ceux qui ont eu la main lourde sur les impôts locaux vont se trouver favorisés, tandis que les plus vertueux ne seront pas récompensés. On supprime, de surcroît, le lien entre la taxe et la compréhension, par le contribuable, des efforts qui lui sont demandés. C'est pourquoi j'aurais préféré un système d'abattement général, qui laisse chacun à ses choix, et ses responsabilités.

J'ai mal compris, madame la ministre, vos propos sur le FCTVA. Depuis toujours, l'administration tend à considérer que récupérer la TVA sur les investissements réalisés n'était pas un droit, et entend assimiler le FCTVA à une dotation. Il me semble que la forfaitisation que vous avez évoquée va dans ce sens, et le transforme, de fait, en une dotation, toujours susceptible d'être remise en cause.

Autre sujet d'interrogation : continuer de donner plus à des communes qui fusionnent, au prix d'une ponction sur les autres, puisqu'il s'agit d'une enveloppe fermée, me semble d'autant plus paradoxal que la fusion est théoriquement faite pour entraîner des économies... Voilà bien une exception française !

Vous avez dit, enfin, que le FPIC serait maintenu. Ce fonds est pourtant d'une totale injustice, puisque le coefficient par habitant retenu passe du simple au double selon qu'ils sont urbains ou ruraux. Résultat, dans mon département, la totalité des communes rurales sont prélevées, à la différence des communes urbaines.

M. Jean Pierre Vogel. - La fraction bourg-centre de la DSR profite aux communes chefs-lieux de canton et à celles dont la population représente plus de 15 % de la population totale du canton concerné. Or, avec la récente réforme territoriale, qui a divisé par deux le nombre de cantons, certaines communes ont perdu la qualité de chef-lieu, et d'autres n'atteignent plus le seuil de 15 %. Qu'en sera-t-il pour elles en 2018 ? Continueront-elles de bénéficier, au moins partiellement, de la fraction bourg-centre ?

L'Éducation nationale a demandé à l'ensemble des communes, par circulaire, quel sera leur choix à la rentrée scolaire 2018 s'agissant de la mise en oeuvre des nouveaux rythmes scolaires. Mais pour se prononcer, les communes ont besoin de savoir de quel soutien elles pourront disposer pour l'organisation des activités périscolaires. Qu'en est-il du fonds de soutien aux activités périscolaire ? J'ai compris que des crédits ont été inscrits pour la période allant du 1er janvier au 30 juin, mais quid des mois de septembre à décembre 2018 ?

Mme Nathalie Goulet. - Si l'on veut maîtriser les dépenses des collectivités locales, on ne pourra pas se passer d'un travail sur la réforme de la fonction publique territoriale. On ne peut demander un effort aux collectivités territoriales si elles ne peuvent maîtriser leur masse salariale.

Deuxième observation : vu le souci de transparence qui marque ce mandat et les efforts demandés aux élus, ne pensez-vous pas que l'on pourrait rendre obligatoire la motivation de tout refus de DETR ?

M. Bernard Delcros. - En faisant le choix d'une légère augmentation de la DGF et du maintien de la DETR à son niveau de 2017, ce Gouvernement a entendu préserver les capacités d'investissement des collectivités territoriales, qui portent l'activité et l'emploi dans nos territoires. Pour programmer leurs investissements, les collectivités territoriales ont besoin, au-delà, de visibilité : ne pourrait-on imaginer un contrat de stabilisation de ces dotations pour les trois années à venir ?

Les contrats de ruralité, mis en place en 2017, ont bénéficié de 212 millions d'euros en autorisations d'engagement. En 2018, la dotation, désormais portée par la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sera de 45 millions d'euros. Ces autorisations sont-elles seulement prévues pour engager les crédits de deuxième année des contrats déjà signés ou de nouveaux contrats pourraient-ils en bénéficier ?

À partir du 1er janvier 2018, pour que les intercommunalités puissent continuer de bénéficier de la DGF bonifiée, elles devront, aux termes de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, disposer de neuf compétences sur douze. Parmi ces douze compétences, celle de la politique de la ville ne concernant pas les communes rurales, la règle serait donc de neuf compétences sur onze. Cela crée une vraie difficulté pour ces collectivités territoriales, notamment celles qui, ayant fusionné, ont passé beaucoup de temps, tout au long de l'année 2017, à orchestrer la fusion. Ne pourrait-on, pour leur laisser le temps d'organiser leurs compétences dans de bonnes conditions, soit envisager un report d'un an de cette disposition, soit considérer que la règle, pour les territoires ruraux, sera de huit compétences sur onze ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - L'Odedel, Thierry Carcenac, se décline, bien évidemment, par niveau de collectivité. Pour 2018, il est prévu une progression limitée à 1,1 % pour le bloc communal, à 1,4 % pour les départements, et à 1,2 % pour les régions. S'agissant de votre deuxième question, je solliciterai Gérald Darmanin, pour que vous soit adressée une réponse écrite.

S'agissant du plafond des concours de l'État, le Premier ministre s'est engagé à ce que la progression spontanée de la TVA affectée aux régions ne soit pas gagée sur les autres ressources des collectivités territoriales. Autrement dit, une hausse des ressources de la TVA n'entraînera pas la baisse des ressources des autres collectivités territoriales.

Je reviens vers Charles Guené, qui m'avait interrogé sur le rôle des parlementaires au sein de la Conférence nationale des territoires. Les objectifs des contrats sont définis dans la loi, ainsi que leur périmètre, qui en porte le nombre à 319. Les parlementaires pourront donc se prononcer sur l'un et l'autre sujet. Les contrats pourront être conclus dès 2018, il n'y aura donc pas d'année blanche. S'agissant des mécanismes de régulation, je ne puis vous en dire plus, à ce stade, puisque les discussions sont en cours.

Le FCTVA, Philippe Adnot, n'est en rien modifié. Il continuera de refléter les investissements des collectivités territoriales, et ne changera pas de nature. Ce qui est envisagé n'est autre chose qu'une technique d'automatisation : les règles d'éligibilité ne changeront pas.

Je comprends votre souci de voir récompensées les collectivités territoriales vertueuses. Dans la contractualisation, il en sera tenu compte.

Les établissements publics territoriaux seront-ils soumis à la règle d'or renforcée, me demande Philippe Dallier. Sachant que le projet de loi vise les EPCI à fiscalité propre, ils ne sont pas, a priori, concernés, à la différence de la métropole.

S'agissant des règles qui régiront les contrats, la mission de MM. Richard et Bur a précisément pour mission de les préciser. Le Gouvernement souhaite encourager une logique partenariale, pour des économies efficaces.

Je vous sais sensible au statut de la métropole du Grand Paris. Des réflexions sont en cours, et une conférence se réunira en fin d'année. Je crois que tout le monde souhaite une réforme, mais les positions divergent sur son contenu. La pérennisation ou non des établissements publics territoriaux fait partie de la réflexion. Plusieurs scenarii sont à l'étude et votre contribution à la réflexion, souvent mentionnée, y a sa part.

La DSR bourg-centre, Jean Pierre Vogel, a été maintenue aux anciens chefs-lieux de canton et continuera de l'être.

M. Jean Pierre Vogel. - Et pour les communes qui représentaient 15 % de la population des anciens cantons ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Oui.

J'entends votre souci, Philippe Adnot, lorsque vous déplorez, au sujet de la taxe d'habitation, la disparition du lien entre le contribuable et sa collectivité. Mais reconnaissons que la taxe d'habitation n'est guère lisible pour le contribuable : il lui est difficile de comprendre les taux applicables... Sans compter qu'une grande partie des contribuables sont déjà exonérés. Il est vrai qu'une réforme d'ensemble de la fiscalité locale serait bienvenue. Souvenons-nous que lors de la réforme de la taxe professionnelle, on a, là aussi, réparti la ressource entre différents niveaux de collectivités territoriales. Il est temps, sans doute, de remettre les choses à plat, pour recréer le lien avec le contribuable, grâce à une fiscalité spécifique à chaque niveau de collectivité. Il existe des pistes, que je vous encourage à alimenter, y compris dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, qui connaîtra une déclinaison dans les départements.

Motiver les refus de DETR ? Je reconnais bien là, Nathalie Goulet, votre pugnacité. Mais cela supposerait un travail considérable. En revanche, il serait bon de rétablir, au sein de la commission départementale, une relation plus participative entre les élus et le préfet. Car il me semble que les choses se sont un peu détériorées au fil des ans, depuis l'époque que j'ai connue, où l'on définissait clairement les grandes lignes à retenir dans les attributions.

Les charges de personnel pesant sur les collectivités territoriales ? Certes, mais il a bien fallu remédier à la paupérisation qui touchait les personnels de catégorie C. J'ajoute que toute la charge n'est pas imputable aux règles touchant aux rémunérations, elle l'est également à un défaut de mutualisation, voire à un effectif excessif au regard du nombre d'habitants.

Bernard Delcros s'inquiète de la prévisibilité nécessaire pour les projets d'investissements. Les dotations seront stabilisées, c'est l'objet du pacte de mandature. Si les circonstances économiques s'améliorent, on pourrait même envisager leur augmentation. La dotation sera de 45 millions d'euros pour les contrats de ruralité. Et la DSIL pourra contribuer, au-delà, si les nouveaux dossiers ne sont pas trop nombreux.

En ce qui concerne la DGF bonifiée, le Gouvernement réfléchit à une adaptation à la ruralité de la règle des neuf compétences sur douze. C'est une question clairement identifiée, et qui avait également été soulevée au sujet du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement.

M. Vincent Éblé, président. - Quid du fonds de soutien aux activités périscolaire, dont s'inquiétait Jean Pierre Vogel ? Les communes doivent effectuer un choix. Elles ont besoin de savoir.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il sera pérennisé pour la rentrée 2018.

M. Éric Bocquet. - Quelques remarques sur la philosophie générale qui sous-tend votre propos. Vous nous dites, Madame la ministre, qu'il s'agit de réguler la dépense locale. Est-ce à dire qu'elle ne le serait pas ? Que les élus locaux seraient, en quelque sorte, irresponsables ? Chacun sait, pourtant, qu'ils sont sous le contrôle direct et quotidien des habitants de leur collectivité territoriale, sous celui du comptable du Trésor, de la préfecture, de la chambre régionale des comptes !

Vous voulez vous assurer de la soutenabilité de la dette ? Celle des collectivités territoriales représente 8 % à 9 % de la dette globale du pays, depuis trente ans. Cette dette est maîtrisée ; elle sert à financer l'investissement, et non le fonctionnement - la différence est saisissante avec la dette de l'État. Le désendettement des collectivités territoriales a commencé, dans les communes, dans les départements. La note de conjoncture de la Banque postale, d'excellente qualité, nous apporte quelques éléments chiffrés. Entre 2016 et 2017, les intérêts de la dette sont passés de 5,1 milliards à 4,5 milliards d'euros. Et l'on annonce une baisse de 6,2 % en 2017.

Quant à l'investissement, il est en chute libre. Les dépenses d'investissement, sur les mêmes années, passent de 53 milliards d'euros à 49 milliards d'euros. Nous sommes pris dans un cercle vicieux : moins d'investissement, moins de commande publique, moins de croissance, moins, in fine, de recette fiscales - je pense à la TVA, en particulier, qui représente 50 % de nos recettes. C'est là une logique suicidaire. Je conteste votre démarche pour poser, au rebours, la question de la soutenabilité de la baisse des dotations aux collectivités territoriales. Les élus disent qu'ils ont atteint l'os. Chacun se demande où cela va s'arrêter. Quand donc, au lieu de considérer les collectivités territoriales, dans une logique de court terme, comme une variable d'ajustement budgétaire, verra-t-on en elles un levier de croissance à long terme ?

M. Vincent Delahaye. - La fin du cumul des mandats m'inquiète pour les parlementaires. Je ne souhaite pas que le Comité des finances locales, que vous avez évoqué à plusieurs reprises, soit le seul interlocuteur du Gouvernement sur les questions touchant aux finances et à la fiscalité locales. De quelle façon le Sénat sera-t-il associé à ces réflexions ?

La dotation d'action parlementaire, qui était pourtant devenue totalement transparente, a été supprimée. La DSIL le sera-t-elle ? Les préfets seront-ils soumis aux obligations de transparence qui s'imposaient aux parlementaires ? De quelle façon seront désignés les parlementaires appelés à siéger dans les commissions, et auront-ils voix au chapitre dans les attributions ? J'observe pour l'heure qu'en Île-de-France, c'est le fait du prince qui prévaut. Il ne faudrait pas que cela dure.

Quand y verra-t-on plus clair sur la contractualisation ? Comme l'a dit le rapporteur général, quel intérêt à contractualiser si l'effort à fournir est plus important ? Les budgets locaux, dans les 319 collectivités concernées, sont en phase de bouclage : il est impératif que nous y voyions plus clair.

M. Jean-François Rapin. - Outre le transfert de la délivrance des cartes nationales d'identité, il est un autre acte qui, dans les deux dernières années, a été transféré aux communes, je veux parler des PACS, les pactes civils de solidarité. De nombreuses communes dotées d'un tribunal voient arriver des dossiers à stocker et à traiter. Bénéficieront-elles d'une compensation, au même titre que pour la carte d'identité ?

Mme Fabienne Keller. - Comme mes collègues, la question de l'équité dans le cadre de la contractualisation me préoccupe. Des dépenses de fonctionnement importantes peuvent s'expliquer, par exemple, par une politique culturelle ou d'accueil de la petite enfance dynamiques tout autant que par une gestion manquant d'efficacité. Quels critères seront pris en compte ?

Les orientations budgétaires de nos collectivités territoriales devront bientôt être chiffrées, pour les trois prochaines années. Quelle sera la référence retenue pour les 1,2 % ? Sera-ce le compte administratif 2016 ou 2017 ? On ne connaîtra le résultat de 2018 qu'au milieu de l'année suivante : à quel moment faudra-t-il le prendre en compte ? Dans le budget rectificatif de la même année ou celui de l'année suivante ? Il y a là un phénomène assez redoutable de décalage dans le temps : comment le prévoir ? Pourriez-vous, à titre d'exemple, nous fournir une illustration pour une commune de 20 000 habitants ? Nous avons besoin de savoir quels éléments comptables seront retenus, à quel moment, et comment seront pris en compte, par souci d'équité, les efforts déjà réalisés.

M. Michel Canevet. - Dans un contexte de nécessaire réduction des déficits publics, je me réjouis du maintien des concours de l'État aux collectivités territoriales, un choix qui tranche singulièrement avec ce que l'on a observé ces dernières années. Je vous remercie également, Madame la ministre, d'être intervenue au Congrès national des maires en faveur de la préservation du dispositif de prêt à taux zéro dans les zones rurales, essentiel au maintien de la population.

L'augmentation de la CSG prévue dans le projet de loi de finances pour 2018 aura un impact plus fort sur les collectivités territoriales que sur les entreprises : une compensation est-elle prévue ?

L'évolution du taux de la taxe d'habitation a, via les règles de liaison des taux, une incidence sur ceux de la taxe sur le foncier non-bâti et de la cotisation foncière des entreprises. Cet élément a-t-il été pris en compte ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Ce sont les présidents des deux chambres du Parlement, Vincent Delahaye, qui désigneront les parlementaires appelés à siéger dans les commissions départementales pour la répartition de la DSIL.

M. Vincent Delahaye. - A quelle date ?

M. Jean-François Husson. - La date du 1er avril a été reportée au 1er janvier.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Nous rappellerons aux préfets, bien évidemment, qu'ils doivent informer les parlementaires.

M. Vincent Delahaye. - Et la contractualisation ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le plus rapidement possible, dès 2018.

Le PACS, Jean-François Rapin, ne peut pas faire l'objet de compensation puisque c'est une compétence que remplissent les maires comme officiers de l'État civil, comme ils le font déjà pour les mariages.

M. Jean-François Rapin. - Mais cela représente une charge énorme pour les communes qui accueillent un tribunal sur leur territoire.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je sais que la question a donné lieu, ici même, à débat, mais elle a été tranchée par le Conseil constitutionnel.

J'ai entendu votre propos, Éric Bocquet, mais je ne puis vous laisser dire que les dotations diminuent. J'ai pris soin, dans mon propos liminaire, de souligner qu'elles ne baissent pas, voire qu'elles augmentent.

La CSG, Michel Canevet, sera intégralement compensée aux collectivités territoriales, grâce à une enveloppe de 500 millions d'euros. Je rappelle également que nous entendons rétablir le jour de carence et que l'application du protocole « PPCR » sera reportée.

J'en viens à la question de la liaison des taux. Je rappelle que sur la taxe d'habitation, les collectivités territoriales conservent un pouvoir de fixation : le dégrèvement n'aura pas d'impact. Il reste que cette question de la liaison peut se poser. C'est pour limiter le poids de la fiscalité économique qu'a été créé le lien, à l'époque, entre l'impôt dit « ménages » et l'impôt sur les entreprises. On peut dès lors se demander, avec l'évolution de la fiscalité locale, si ce lien a vocation à perdurer.

Fabienne Keller, enfin, pose des questions précises auxquelles je ne puis apporter dès à présent réponse, puisque le mécanisme de la contractualisation est en cours de négociation. Mais peut-être Gérald Darmanin, que je solliciterai, pourra-t-il en dire un peu plus.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 9 h 35.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 9 h 45.

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission s'élèvent environ à 1,4 milliard d'euros, dont 80 % pour le programme 303 « Immigration et asile » et le reste pour le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Ces questions devraient être au coeur du débat démocratique car nous devons sortir de l'aveuglement et faire preuve de cohérence. On peut bien s'apitoyer sur l'assassinat de deux jeunes filles à Marseille, ou allumer des bougies à Nice, la réalité est que les auteurs de ces actes n'auraient pas dû se trouver en France, il aurait fallu les expulser. Or les crédits de lutte contre l'immigration irrégulière - action 03 - passent de 89 millions d'euros à 82 millions d'euros, soit une baisse de 7 %. Où est la cohérence ? Le 15 octobre sur TF1, le Président de la République déclarait être favorable à l'expulsion de « tout étranger en situation irrégulière qui [commet] un acte délictueux ». Fort bien, mais comment ? Il est urgent de revenir sur la loi du 31 décembre 2012 qui a supprimé le délit de séjour irrégulier, et d'arrêter les postures bien-pensantes, jusqu'au sommet de l'État : nous avons tout de même eu un Premier ministre qui a déclaré en octobre 2015 qu'il ne fallait pas trier entre les migrants, avant de reconnaître en novembre 2015 que des terroristes s'étaient glissés parmi ceux-ci !

J'appelle de mes voeux une évolution législative significative au premier semestre 2018 afin de garantir le droit d'asile tout en maîtrisant - enfin - l'immigration. Un arrêt de la Cour de cassation, du 24 septembre dernier, estime illégale la détention d'un demandeur d'asile en procédure Dublin. Le président Gérard Larcher a déclaré que notre priorité était de retisser les liens qui font une nation. Ceux-ci sont très distendus...

Comment pouvons-nous voter ce budget dès lors que nous ne disposons d'aucune donnée sur les flux et les stocks ? L'évolution de la demande d'asile n'est pas évaluée. Pourtant, nous l'avons vu exploser depuis quelques années, et notre voisin a décidé unilatéralement d'accueillir un million de personnes.

Il faut aussi évoquer les filières d'immigration : le trafic d'êtres humains rapporte davantage que celui de la drogue ou des armes. Un sénateur de Guyane a parlé dans l'hémicycle de génocide de substitution. À Mayotte, 75 % des naissances sont le fait de parents en situation irrégulière. Comment intégrer ces flux alors que les budgets baissent et que nos exigences sont moindres que celles existant en Allemagne, par exemple ? La volonté d'intégration n'est pas à la hauteur des besoins.

L'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est de 360 euros pour une personne seule non hébergée. Sans aller chercher au bout du monde, le salaire minimal en Roumanie est de 320 euros... Nous attirons l'immigration clandestine ! L'accueil est une tradition française, mais accepter ce que nous acceptons depuis des années revient à menacer la cohésion de la nation. Un ancien ministre parlait des Molenbeeck qui se développent chez nous. Notre non-politique en matière d'immigration est inquiétante. Il est urgent de dire la vérité sur ce sujet. Jacques Mézard expliquait récemment qu'à Sarcelles, il a visité une école où aucun parent ne parlait français. Et dire qu'on ne cesse de fermer des écoles dans nos territoires ruraux... Dramatique.

À l'article 56, je vous propose un amendement visant à réduire de deux à un an le report de l'entrée en vigueur du contrat d'intégration républicaine à Mayotte. Je vous propose également une adoption sans modification de l'article 57, qui vise à limiter la durée de versement de l'ADA aux seules personnes ayant le statut de demandeur d'asile, et non plus aux déboutés qui peuvent aujourd'hui en bénéficier le mois suivant le rejet définitif de leur demande.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Les crédits affectés à la mission croissent de 10,44 % en autorisations d'engagements et de 26 % en crédits de paiement. Des efforts importants ont été consentis pour l'asile - autorisations d'engagements en hausse de 11,25 % - afin de tenir compte de la crise du Levant. L'ADA coûtera 318 millions d'euros cette année, ce qui semble une prévision plus sincère que l'an dernier. Malgré un effort sur l'hébergement d'urgence, les montants restent considérables.

Le délai moyen d'instruction des demandes d'asile reste trop élevé : 449 jours en 2017, pour un objectif de 209 jours, et 228 jours en procédure accélérée pour un objectif de 178 jours. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a essayé de gérer au mieux l'afflux important que nous avons connu, sachant que la loi de 2015 ajoute des contraintes. Et 61 % des demandeurs d'asile en procédure Dublin sont réellement hébergés en centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). Le problème de fond reste : quid de la gestion des déboutés ? Ils représentaient 53 600 personnes en 2016, qui alimentent l'immigration irrégulière ; or les crédits dédiés baissent de 7 %. Il faut donner des moyens aux services et négocier des accords de réadmission. L'assignation à résidence est inefficace, puisqu'elle n'aboutit à une reconduite à la frontière que dans 2 % des cas. La faiblesse de ce budget est sans conteste cette baisse de 7 %.

M. Roger Karoutchi. - Je salue en notre rapporteur spécial la fougue de la jeunesse, qui donne à ses propos un aspect carré. De fait, les questions budgétaires renvoient à la politique suivie. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur s'engagent en faveur d'une politique de reconduite automatique à la frontière. Très bien, mais si le budget affecté à cette politique diminue, cela n'a aucun sens.

Notre politique de droit d'asile est parfaitement légitime, mais elle est détournée de son objet. Le nombre de demandes, qui atteignait les 40 000 en 2012, va dépasser 100 000 cette année. Cela signifie que la moitié des demandes correspondent à de l'immigration économique. Or notre système déboute, mais ne reconduit pas, faute d'un financement adéquat. D'ailleurs, les crédits de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont aussi dérisoires. Bref, nous ne manifestons pas la fermeté nécessaire, et ne faisons pas les efforts d'intégration requis intégration. Depuis six ans, notre politique ne tient pas la route. Je crains que le texte annoncé en 2018 - le quatrième en cinq ans - ne soit purement déclamatoire et ne fasse de la France un pays sans politique migratoire, sans politique d'asile, sans politique d'intégration : trois fois « sans », qui font zéro !

M. Rémi Féraud. - Sans partager le point de vue politique du rapporteur spécial, j'observe que nous partons d'une budgétisation insuffisante. Je salue l'augmentation des crédits pour l'intégration et le doublement de la capacité d'hébergement. Cela dit, certains moyens ne sont pas inscrits dans le budget, qu'il s'agisse des crédits de l'Ofpra - qui ne suffiront certes pas à réduire le délai d'instruction à 60 jours - ou de l'engagement du Président de la République qu'il n'y ait plus personne à la rue fin 2017. Il y a des incohérences : davantage d'expulsions, cela impose un plus grand nombre de places en centre de rétention.

M. Marc Laménie. - Ces questions nous interpellent fortement. La baisse de 7 % me laisse perplexe : 82 millions d'euros, c'est peu, surtout sur un total de 1,3 milliard d'euros ! Combien faudrait-il pour bien faire ? Et combien d'agents ?

M. Bernard Lalande. - Les propos du rapporteur spécial me surprennent. Un être humain mérite le respect, et l'immigration et l'asile ne doivent pas être envisagés comme des stocks à traiter. Nous observons un flux beaucoup plus important, qui s'accroîtra encore, ce qui nous incite à mettre en oeuvre un véritable politique de reconnaissance des populations et d'asile. À cet égard, ce budget est insuffisant. Nous sommes donc très critiques sur les crédits de cette mission.

Mme Nathalie Goulet. - Notre politique d'asile, c'est l'honneur de la France. Et il est déplacé de lier immigration et terrorisme. Pour la reconduite à la frontière, nous manquons de moyens. Le problème est souvent d'identifier la nationalité des intéressés. Je m'abstiendrai, pour contester le manque de moyens alloués à cette mission, pourtant essentielle, et dans un contexte préoccupant.

M. Gérard Longuet. - Je salue la tonalité du propos de notre rapporteur. Elle peut déranger, mais elle a le mérite de présenter avec énergie un problème d'ampleur. J'imagine que l'État s'est intéressé à la professionnalisation des réseaux de passeurs. De fait, l'immigration massive à laquelle nous sommes confrontés n'a souvent pas le caractère spontané qu'on lui prête. Pour avoir vu la population refluer devant l'avance des Khmers rouges, je sais ce qu'est un déplacement massif de population pour faits de guerre. Or, dans notre cas, les migrants traversent des milliers de kilomètres, franchissent des frontières, bénéficient de soutiens logistiques - dans des conditions scandaleuses. Tout cela révèle une organisation. L'État peut-il la mettre au jour ? Les organisateurs sont sans doute poussés par l'appât du gain, et soutenus par certains pays. L'immigration n'est pas une fatalité, et ne survient pas par génération spontanée. À Mayotte et en Guyane, nous ne faisons rien. Ailleurs, l'opinion sent l'État désarmé dans son analyse, alors que celle-ci est un préalable indispensable à l'action politique.

Que coûte la reconduite à la frontière des déboutés ?

M. Julien Bargeton. - Je remercie Roger Karoutchi et François-Noël Buffet d'avoir tenu des propos apaisés et d'être restés dans des considérations budgétaires. Je suis surpris par la tonalité générale du débat sur les crédits de cette mission, puisque les autorisations de programme augmentent de 10,5 % et les crédits de paiement de 26 %, ce qui ne doit pas être le cas de beaucoup de missions. Les critiques restent nombreuses, alors que des orateurs de toutes les sensibilités ont souligné la sincérité des inscriptions, en particulier concernant l'allocation pour l'ADA et l'hébergement d'urgence.

En ce qui concerne l'Ofii, je suis également surpris par les critiques, puisque ses crédits passent de 160 millions d'euros en 2017 à 180 millions d'euros en 2018, après avoir baissé de quelques millions d'euros entre 2016 et 2017. On peut toujours estimer cette augmentation insuffisante, mais elle mérite d'être soulignée quand la tendance générale est à la limitation de la dépense publique.

La lutte contre l'immigration illégale et les reconduites à la frontière méritent effectivement une attention particulière, puisque leurs crédits baissent de 7 %. Compte tenu de la consommation réelle des crédits, la baisse n'est que de 2,9 %, puisque les crédits n'ont pas été consommés en 2016. Par ailleurs, l'action « Soutien » augmente beaucoup, de même que d'autres actions, ce qui mérite d'être examiné de plus près.

Compte tenu de ces éléments, Didier Rambaud et moi-même voterons les crédits de cette mission.

M. Philippe Dallier. - On peut saluer un effort accru de sincérité budgétaire, mais il n'est pas possible d'en conclure que les crédits sont au niveau des besoins. On ne peut pas en même temps se plaindre des difficultés rencontrées sur le terrain et constater chaque année que les crédits sont insuffisants.

En aval, on relève un problème lié à la baisse du budget consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière, mais il y a surtout un problème en amont. Nous ne nous sommes pas préparés à l'arrivée massive de migrants - si la France avait connu ce qu'a connu l'Allemagne, je ne sais pas comment elle aurait fait face à la situation. Ainsi, cet été, en Île-de-France, pour vider le camp de La Chapelle, on s'est précipité pour réquisitionner les gymnases dans les communes, solution peu adaptée aux besoins des migrants et qui crée de graves difficultés aux collectivités locales. Or, à l'occasion de ces réquisitions, l'État engage des dépenses : il mandate des associations, rembourse les frais engagés aux collectivités locales. Combien coûte cette impréparation, par rapport à ce qu'aurait coûté un plan établi à l'avance, permettant un accueil respectant la dignité des demandeurs d'asile en attente de traitement de leur dossier ? Je ne sais pas si ce coût est évalué, mais je serais curieux de le connaître. Ces opérations très médiatisées donnent le sentiment que les problèmes sont traités, alors que la situation sur le terrain ne s'améliore pas. Des dépenses sont donc engagées sans grande efficacité, et j'aimerais qu'elles puissent être identifiées dans ce budget.

Mme Fabienne Keller. - Je voudrais apporter un témoignage. Élue de Strasbourg, j'ai pu observer l'accueil d'un flux important de migrants organisé sur l'autre rive du Rhin. Il est vrai que les Allemands avaient déjà une expérience, puisqu'ils avaient accueilli beaucoup de réfugiés d'Europe orientale d'ascendance allemande après la chute du Mur. Il serait intéressant de procéder à une analyse des procédures bien structurées mises en place par nos voisins, qu'il s'agisse des cours de langue, de l'intégration, mais aussi de la gestion de la reconduite à la frontière.

Comme l'a indiqué Gérard Longuet, il faut s'attaquer à l'amont, au problème des passeurs, mais le sujet me semble devoir être traité au niveau européen, qu'il s'agisse de la gestion de Schengen, des accords de réadmission signés avec les pays d'origine, des procédures internationales de lutte contre les trafics. Cela mériterait un travail de fond.

Je relève l'effort réalisé pour raccourcir les délais de traitement des demandes d'asile. Sur le terrain, nous observons que la durée de la procédure initiale et de la procédure de recours rend très difficile humainement la reconduite des familles à la frontière.

M. Bernard Delcros. - Ce sujet extrêmement complexe exige de nous la plus grande objectivité et un grand sens des responsabilités. La France doit être à la hauteur de son histoire dans le traitement de ces enjeux.

Comme l'ont dit plusieurs collègues, il est nécessaire de structurer de manière solide la politique d'asile et d'intégration et, du coup, de calibrer les moyens qui doivent lui être consacrés dans la durée. Je constate l'augmentation importante des crédits de la mission, même s'ils ne sont peut-être pas encore tout à fait suffisants, et je voterai donc en faveur de leur adoption.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je note avec satisfaction que l'on sort d'une sous-budgétisation chronique. Néanmoins, nous restons dans la gestion de l'urgence, contrairement à l'Allemagne dont la politique a été rappelée. La politique d'intégration reste largement à construire, c'est pourquoi je partage certaines réticences qui ont été exprimées. Il ne s'agit pas simplement d'afficher des moyens budgétaires, mais de savoir quelle politique d'intégration nous voulons, quel traitement nous réservons aux déboutés du droit d'asile.

En ce qui concerne l'hébergement des demandeurs d'asile, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, a acheté l'année dernière 62 hôtels Formule 1. Dispose-t-on déjà d'une évaluation de ces acquisitions et sait-on si elles ont permis une amélioration des conditions d'hébergement des demandeurs d'asile ? Il me semble que les préfectures recourent souvent à des hôtels tenus par des marchands de sommeil, aux conditions de sécurité catastrophiques, avec des drames à la clé - au moins, les Formule 1 respectent les normes de sécurité.

M. Philippe Dallier. - Cette opération de rachat d'hôtels relève également des programmes liés au logement dont je suis rapporteur spécial. Elle vise à réduire le nombre de nuitées hôtelières, mais n'a pas pour vocation principale l'accueil des personnes en attente d'une décision sur leur demande d'asile.

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. - Dans le domaine budgétaire, la difficulté consiste à avoir une vision d'ensemble. L'intervention de Philippe Dallier nous prouve que la gestion des demandeurs d'asile bascule parfois vers d'autres missions. Hier, nous examinions les crédits relatifs à la contribution de la France au budget de l'Union européenne : on y trouvait 68 millions d'euros destinés à la Turquie pour l'aider dans la gestion des réfugiés. Or cette somme n'est pas recensée dans la mission. « Gouverner, c'est prévoir » : pour cela, il faut bien parvenir à chiffrer le coût d'une politique. On voit bien les limites de « l'Europe qui protège », que beaucoup parmi nous appellent de leurs voeux...

L'immigration est entre les mains de passeurs sur notre territoire, nous le savons ; elle a un impact sur l'ensemble de la société française et sur tous les budgets de la nation : il me semble donc urgent d'avoir une vision globale.

Dans son édition du 24 octobre, Le Figaro indiquait que sur près de 3 000 étrangers retenus à Coquelles, 42 seulement ont été éloignés dans un pays hors d'Europe. Il ne faut donc pas se payer de mots.

Vous aurez compris que je vous propose de ne pas adopter les crédits de cette mission.

M. Vincent Éblé, président. - Nous devons voter sur les crédits de la mission, mais aussi sur les articles 56 et 57 qui lui sont rattachés. J'ajoute que vous avez déposé un amendement à l'article 56.

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. - En résumé, je vous propose de voter contre l'adoption des crédits de la mission. Je propose par ailleurs l'adoption conforme de l'article 57. Quant à l'article 56, relatif à Mayotte, j'ai déposé un amendement tendant à faire appliquer à compter du 1er janvier 2019 le contrat d'intégration républicaine, qui s'appliquerait alors pour 6 000 primo-arrivants supplémentaires, selon les estimations, soit une anticipation d'un an.

M. Bernard Lalande. - Nous reconnaissons l'effort budgétaire réalisé, même s'il est insuffisant par rapport aux besoins. Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra sur l'adoption des crédits et sur celle des articles 56 et 57.

M. Roger Karoutchi. - Le coût moyen de reconduite à la frontière était estimé en 2016 à 4 200 euros par personne ; pour 30 000 à 40 000 déboutés du droit d'asile, cela représente un total supérieur à 100 millions d'euros, alors que les crédits ne sont que de 10 millions d'euros. Il y a donc un problème de cohérence.

Par ailleurs, je suis d'accord avec le rapporteur sur la situation à Mayotte, même si je trouve un peu optimiste la limitation du nombre de migrants annuels à 6 000. Je voterai contre les crédits et je suivrai le rapporteur sur l'amendement et sur les articles.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

La commission adopte l'amendement n° 1 du rapporteur spécial et décide de proposer au Sénat l'adoption de l'article 56 ainsi modifié et de l'article 57.

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Je ne tiendrai pas de meeting ici. Je fais partie des sénateurs et sénatrices qui ne font partie ni de la majorité présidentielle ni de la majorité sénatoriale. Je me limiterai à une approche strictement budgétaire.

La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application des dispositions fiscales prévoyant des dégrèvements d'impôts, des remboursements ou des restitutions de crédits d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission soient évaluatifs ; en d'autres termes, ils ne constituent pas un plafond, contrairement à ceux des autres missions budgétaires.

La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux, que je vous présenterai successivement, après avoir dit quelques mots sur l'ensemble de la mission.

Pour 2018, les crédits demandés au titre de la présente mission s'élèvent à 115,2 milliards d'euros, montant le plus important depuis que cette mission existe, ce qui en fait la première mission du budget de l'État. Ses crédits augmentent de 7 milliards d'euros, soit une hausse de 6 % par rapport à l'évaluation de 2017 révisée.

Cette hausse significative s'explique notamment par l'augmentation des dépenses au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de l'impôt sur le revenu et, s'agissant des impôts locaux, par la mise en place de la première tranche du dégrèvement de taxe d'habitation annoncée par le Président de la République pendant la campagne, qui fera l'objet d'un rapporteur particulier de notre rapporteur général.

Au total, en 2018, les remboursements et dégrèvements devraient représenter 28,5 % des recettes fiscales brutes. Ce taux a augmenté de 5 points depuis 2013, traduisant une politique fiscale qui repose de façon importante et croissante sur des mécanismes de réduction fiscale, qui grèvent en contrepartie les dépenses budgétaires. La diminution de la taxe d'habitation ne peut laisser ignorer que d'autres mesures prises auparavant diminuent fortement les recettes de l'État et des collectivités territoriales. Enfin, le dispositif de mesure de la performance de la mission demeure inadéquat et manque d'ambition. Ainsi, la cible de certains indicateurs est systématiquement fixée à un niveau inférieur à celui de la réalisation des années précédentes.

En ce qui concerne les impôts d'État, les remboursements et dégrèvements sont en grande partie la conséquence de la mécanique de l'impôt, puisqu'il s'agit des restitutions d'excédents de versement d'acomptes d'impôt sur les sociétés et des remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Pourtant, la part des remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques au sein du programme a progressé de façon constante depuis 2013, à la faveur de la montée en puissance du CICE, alors que le niveau global des crédits d'impôt avait diminué de 2010 à 2013 en raison de la réduction des niches fiscales.

Les remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques continuent de bénéficier en majeure partie aux entreprises à hauteur de 80 %. Cette réduction massive de l'imposition des entreprises, déjà soulignée les années précédentes par notre ancienne collègue Marie-France Beaufils, continue d'interroger sur les finalités de la politique fiscale, alors même que ses effets semblent incertains.

Le CICE pèse sur les dépenses de la mission à deux titres : lorsque l'imputation de la créance correspondante entraîne une restitution d'un excédent de versement d'acompte de l'impôt sur les sociétés et, bien évidemment, en cas de restitution immédiate de la créance.

La montée en puissance progressive du dispositif se traduit dans le projet de loi de finances pour 2018 par un montant record du coût budgétaire du dispositif, qui atteint 20 milliards d'euros au titre de l'impôt sur les sociétés. Cette hausse continue s'explique par le délai de trois ans dont disposent les entreprises pour déclarer leur créance de CICE, mais également par une meilleure connaissance du dispositif et un intérêt accru du fait de la révision à la hausse du taux du CICE.

La baisse du taux du CICE à 6 % à compter de 2018, puis la suppression annoncée du dispositif dans sa forme actuelle à partir du 1er janvier 2019 conduiront à une diminution progressive des remboursements et dégrèvements correspondants.

Malgré son poids budgétaire important, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi n'a pas démontré des effets certains. Le dernier rapport d'évaluation du comité de suivi du CICE, de septembre 2017, conclut ainsi que le dispositif n'a pas eu d'impact à court terme en 2013 et 2014 sur les investissements, sur la recherche et le développement ni sur les exportations. Il souligne également l'incertitude des effets du CICE sur l'emploi.

Enfin, j'ai demandé une information sur la répartition géographique des bénéficiaires du CICE - il ne s'agit pas de lever le secret bancaire ni de porter atteinte au secret fiscal -, parce qu'il me semblait qu'elle permettrait d'évaluer totalement ses effets sur le chômage. L'absence d'un dispositif de traçabilité et de contrôle de l'utilisation des crédits concernés sur ce point, qui permettrait de mieux juger des effets de la mesure sur l'emploi et la compétitivité, est regrettable. Nous ne pouvons qu'y être sensibles en tant que parlementaires, quelles que soient nos options politiques.

Le dernier élément significatif qui explique la hausse globale du montant des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État est l'universalisation du crédit d'impôt pour les services à la personne votée en loi de finances initiale pour 2017, qui va notamment permettre aux retraités à revenus modestes de bénéficier du dispositif. Le coût de cette mesure en 2018 est évalué à 1,1 milliard d'euros qui sont retracés sur les dépenses de la mission.

En ce qui concerne les impôts locaux, le montant des dégrèvements d'impôts économiques appelle plusieurs observations.

Tout d'abord, conformément aux souhaits réitérés par ma prédécesseur, les restitutions de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) seront désormais retracées sur le compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » et non plus sur la présente mission, afin d'éviter un excédent structurel du compte. Ceci se traduit par une mesure de périmètre de 750 millions d'euros environ.

Par ailleurs, comme vous le savez, une décision du Conseil constitutionnel de mai 2017 a modifié les modalités de calcul du dégrèvement barémique de CVAE. Nos collègues Charles Guené et Claude Raynal ont particulièrement travaillé sur cette question, qui a une double incidence sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

D'une part, la censure du Conseil constitutionnel étant d'application immédiate, il en résulte un coût pour l'État, correspondant aux montants réclamés par les entreprises au titre des exercices passés du fait de l'application de la consolidation du chiffre d'affaires. Le coût de ces contentieux devrait s'élever à 300 millions d'euros en 2017 et à 150 millions d'euros en 2018.

D'autre part, le coût du dégrèvement barémique sur la CVAE acquittée par les entreprises en 2017 augmente ; compte tenu du décalage d'un an, ses effets se feront sentir en 2018, par une hausse de 300 millions d'euros des crédits de la mission. Cette situation devrait être résolue par l'article 7 du projet de loi de finances, sous réserve de son adoption.

Au total, les effets de cette décision du Conseil constitutionnel représentent un surcoût pour l'État de 450 millions d'euros en 2018 sur la présente mission.

J'en viens au dégrèvement de taxe d'habitation, dont je rappelle qu'il sera présenté par le rapporteur général le 15 novembre prochain. Le coût correspondant étant retracé sur la présente mission, j'en rappelle néanmoins les grandes lignes.

Il s'agit bien d'un dégrèvement et non d'une exonération ; la mesure sera mise en place progressivement sur trois ans : en 2018, l'ensemble des bénéficiaires verront leur cotisation diminuer d'un tiers ; enfin, le dégrèvement sera calculé en se fondant sur les taux et les abattements de 2017 ; la base, elle, continuera à croître ; si le dégrèvement ainsi calculé était inférieur à la contribution due, la différence serait acquittée par le contribuable.

D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques, cette mesure représentera - en 2020, lorsqu'elle aura été mise en place dans son intégralité - un gain de pouvoir d'achat moyen de 325 euros par ménage acquittant actuellement la taxe d'habitation. Le gain effectif variera cependant de façon importante, selon le décile de revenus et la localisation du contribuable. Cette mesure bénéficiera essentiellement aux « classes moyennes », même si j'avoue avoir du mal à préciser les contours de cette notion.

On observe également que le bénéfice de la mesure sera différent selon la localisation du contribuable. Ainsi, à revenus équivalents, le montant de l'allégement pourra être très différent.

Je considère pour ma part que la solution retenue par le Gouvernement n'est pas satisfaisante. Elle crée notamment un risque sur les ressources des communes et groupements et ne résout pas la question de la vétusté des valeurs locatives. Il est nécessaire de procéder à une révision des valeurs locatives, tout en s'attachant à prendre en compte les revenus dans le calcul de la cotisation due. Celui-ci est d'ores et déjà pris en compte, à travers les abattements, exonérations et dégrèvements existants, mais il aurait sans doute été préférable d'aller plus loin et d'étendre, même progressivement, le plafonnement de la taxe d'habitation en fonction des revenus. Cela ne signifie pas que je suis favorable à une poll tax !

N'oublions jamais que les contribuables à la taxe d'habitation n'ont, en général, pas la possibilité de la déduire de leur impôt sur le revenu, contrairement aux entreprises qui peuvent déduire la contribution économique territoriale qu'elles acquittent de la base de calcul de leur impôt sur les sociétés ou sur le revenu.

Compte tenu de ces observations, du poids du CICE et des incertitudes quant à son utilité, des doutes demeurant sur la compensation de l'allégement de la taxe d'habitation, je vous invite à ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Mme Sylvie Vermeillet. - Je partage les analyses et conclusions du rapporteur spécial, notamment sur la taxe d'habitation. Un dégrèvement ne suffit pas à rendre un impôt juste. Il fallait mener à terme la révision des valeurs locatives.

A-t-on une idée du coût de gestion du CICE ? Cette mesure n'a pas été lisible pour les entreprises ; son préfinancement possible via Bpifrance relevait plutôt de l'usine à gaz et le coût de gestion a dû être exorbitant.

A-t-on une idée des retombées du « suramortissement Macron » qui permettait d'ajouter 40 % de déduction fiscale à l'amortissement comptable ? Cette mesure a été extrêmement efficace sur l'investissement, contrairement au CICE. Il serait intéressant d'établir un comparatif entre ces deux mesures. Le suramortissement a pris fin le 15 avril 2017, mais c'est lui qui aurait dû être prolongé, contrairement au CICE.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette mission a tiré notamment les conséquences de la réforme de la taxe d'habitation, prévue à l'article 3 du projet de loi de finances. Le rapporteur spécial vient de proposer de ne pas adopter ses crédits. Pour ma part, je pense que nous devrons approfondir l'analyse de cette mesure - nous n'avons reçu que récemment les réponses à notre questionnaire -, et je propose de réserver notre vote sur cette mission.

M. Éric Bocquet. - Vous connaissez ma position de fond sur le CICE. Le comité de suivi émet des réserves très fortes quant à son efficacité en termes de création d'emplois : le Gouvernement a-t-il prévu des ajustements pour améliorer cette efficacité ?

Concernant la répartition géographique des bénéficiaires du CICE, de deux choses l'une : soient les données n'existent pas, soit on refuse de les transmettre à un parlementaire - la deuxième hypothèse me paraissant inquiétante. J'avais adressé un courrier il y a trois ans au préfet de mon département et l'on m'avait répondu que le secret des affaires s'opposait à la transmission d'une telle information, ce qui m'avait profondément choqué.

M. Marc Laménie. - Notre rapporteur spécial a retracé précisément l'évolution de cette mission très importante. Ce sont les restitutions de crédit de la TVA qui représentent le plus fort montant, soit 51 milliards d'euros, mais on observe également une forte progression des restitutions d'impôt sur les sociétés. Comment s'explique cette évolution ?

M. Julien Bargeton. - Comme le rapporteur spécial, je pense que nous devrions apprendre à évaluer davantage les dispositifs fiscaux. Il note d'ailleurs que le dégrèvement de taxe d'habitation gomme partiellement les injustices. Je suis plus réticent sur la révision des bases locatives, dans la mesure où les transferts sont tellement massifs que cette mesure en devient inacceptable, non pas par les contribuables, mais par les maires.

Le rapport n'évoque pas l'avenir du CICE, notamment sa pérennisation sous forme de baisse des cotisations sociales. Il serait intéressant de disposer d'éléments sur ce point. J'estime que le dispositif a malgré tout permis d'éviter un certain nombre de licenciements et de restaurer les marges des PME.

Cette mission retracera-t-elle, à terme, le remboursement de la taxe de 3 % sur les dividendes censurée par le Conseil constitutionnel ? J'évoque ce sujet d'un point de vue purement technique.

En définitive, cette mission décrit les réformes fiscales dans la partie « dépenses », mais le tome II de l'évaluation des voies et moyens évalue les dépenses fiscales, c'est-à-dire les pertes de recettes. En termes d'évaluation, il serait bon de consolider la présentation des réformes fiscales.

Mme Frédérique Espagnac. - Comme Éric Bocquet, j'avais demandé au préfet de région la répartition des bénéficiaires du CICE dans mon département. N'ayant pas obtenu cette information, j'ai procédé moi-même à l'enquête en contactant les chefs d'entreprise. J'ai ainsi pu vérifier que ce dispositif, compte tenu de la baisse de l'investissement des collectivités locales liée aux baisses de dotations, a permis d'éviter un certain nombre de licenciements, notamment pour les entreprises de travaux publics et les TPE-PME de nos territoires.

M. Jean-Marc Gabouty. - Je déclare que je suis chef d'entreprise en exercice. Mais à ce titre, je peux témoigner de la réalité quotidienne. Le CICE et son préfinancement ne sont pas des usines à gaz comme on a pu le prétendre : le dispositif est tout à fait accessible à une petite entreprise si elle a un comptable. Les difficultés viennent de l'application sans discernement d'autres mesures, notamment celles destinées à lutter contre le blanchiment, qui ont retardé les versements.

Il n'y a pas de lien direct entre le CICE et la création d'emplois. Néanmoins, il a contribué à la survie d'entreprises et a favorisé l'investissement. Nous connaissons actuellement le taux le plus faible de défaillances d'entreprises depuis dix ans et le CICE n'y est sûrement pas pour rien.

Le CICE facilite l'autofinancement pour investir, le suramortissement est une incitation à accélérer les investissements : c'est un outil de relance, mais pas de compétitivité. Lorsqu'il a été prorogé, le suramortissement a vu son périmètre considérablement réduit.

Le CICE doit être transformé en baisse de charges sociales. Si le patronat a pu manifester quelques réticences, c'est parce qu'il s'est aperçu que le CICE, étant un crédit d'impôt, n'avait pas d'incidence sur l'impôt sur les sociétés, alors que la baisse de charges augmentera le résultat de l'entreprise, et donc sa cotisation d'impôt sur les sociétés.

M. Jacques Genest. - On peut dire que la taxe d'habitation est obsolète parce que les valeurs locatives sont obsolètes. En 1989-1990, nous avons travaillé un an sur la révision des valeurs locatives, sans résultat puisque personne n'a voulu prendre la responsabilité d'assumer cette réforme. Si la taxe d'habitation est injuste, la taxe foncière l'est également, puisque ses bases sont les mêmes. De toute façon, le contribuable trouve toujours l'impôt injuste...

Le rapporteur spécial nous a indiqué que le dégrèvement compenserait les hausses des bases de la taxe d'habitation. Mais le Gouvernement sera-t-il enclin à revaloriser chaque année les valeurs locatives, comme il le fait traditionnellement, alors qu'il va devoir rembourser les communes ?

Si on augmente les taux, les personnes qui bénéficient du dégrèvement vont devoir payer quelques dizaines d'euros. Là aussi, c'est l'État qui paiera in fine, puisque la taxe n'est pas mise en recouvrement en dessous d'un certain montant. Cette réforme sera peut-être populaire, mais elle coûtera très cher.

M. Bernard Delcros. - Sur le CICE, je partage ce qui a été dit. Le coût du dispositif est très élevé, pour des résultats qui sont, a minima, peu lisibles. Je suis favorable au remplacement de cette mesure par la baisse des cotisations patronales, comme il est prévu.

Sur la taxe d'habitation, il ne s'agit pas de revenir sur la mesure prévue, qui figurait dans le programme du Président de la République. La question posée aujourd'hui est plutôt celle de savoir quel dispositif garantira au mieux une juste recette pour les collectivités locales. Le système qui a été choisi est celui du dégrèvement ; certaines questions restent en suspens, dans la mesure où le taux de la taxe d'habitation est lié à celui d'autres taxes. Des simulations vont nous être fournies afin que nous puissions mesurer les incidences dans les départements.

Je suis favorable à la proposition du rapporteur général de réserver notre position sur les crédits de cette mission.

M. Philippe Dallier. - Je veux faire une remarque sur le sens du vote que nous allons émettre : je comprends tout à fait que nous nous interrogions sur la pertinence de telle ou telle mesure votée et sur le coût de ces dégrèvements et exonérations. Nous sommes là pour ça. Ceci étant dit, sur la taxe d'habitation, nous aurons l'occasion, en première partie, de nous positionner, pour ou contre.

Ce matin, il s'agit simplement, dans l'hypothèse où la décision serait actée, de prévoir le remboursement des sommes aux communes par l'État. Quel message enverrions-nous à nos collectivités locales si nous votions contre les crédits de la mission ?

Revenons-en à l'objet même de cette mission, et nous discuterons en première partie du bien-fondé de cette suppression de la taxe d'habitation. Contrairement à ce que dit Julien Bargeton, on ne va pas gommer les inégalités : l'inégalité de traitement entre contribuables va persister, au détriment de tous ceux qui continueront à payer la taxe d'habitation et la taxe foncière.

Je rejoins le rapporteur spécial en appelant de mes voeux une réforme des valeurs locatives. Nous savons bien, certes, que c'est très compliqué : beaucoup de tentatives ont échoué devant le risque politique. Mais il n'y a pas d'autre voie si nous voulons rendre cet impôt juste. L'alternative pourrait consister à imaginer une suppression, à brève échéance, de la taxe foncière ; mais, le cas échéant, je ne sais comment nous pourrons rétablir un lien, même minimal, entre le contribuable local et la commune.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. -Soyons clairs : réserver les crédits n'est pas un appel à les rejeter. Le débat sur la première partie n'a même pas encore eu lieu ; la position de la commission n'est pas arrêtée. Si nous modifions de façon importante la réforme de la taxe d'habitation, cela aura de conséquences considérables sur la mission que nous examinons puisque la compensation pour les collectivités territoriales prend la forme d'un dégrèvement. Quoi qu'il en soit, réserver aujourd'hui ne veut pas dire rejeter demain, mais simplement se préparer à tirer les conséquences d'une position que nous adopterions sur la taxe d'habitation. Honnêtement, à ce stade, je ne sais pas ce qu'il faut penser de cette réforme. Je n'ai pour le moment arrêté sur cette question aucune position définitive.

Sur certaines questions, d'ailleurs, nous attendons toujours des réponses, lesquelles méritent d'être digérées. Je m'interroge en particulier sur la constitutionnalité d'un dispositif qui aurait pour effet de réduire le nombre de contribuables, dans certaines communes, à zéro, un ou deux ! Cette mesure mérite donc d'être expertisée. C'est pourquoi je propose que nous réservions les crédits, ce qui ne veut pas dire prendre une position, favorable ou défavorable.

M. Vincent Éblé, président. - Je partage ce point de vue.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Mes chers collègues, un certain nombre de vos observations et analyses relèvent du travail critique des parlementaires en direction du Gouvernement, dont je prends moi-même ma part. Soyons attentifs !

Toute exonération, tout remboursement, doivent donner lieu à traçabilité. C'est vrai pour le CICE comme pour tous les autres dispositifs. L'unanimité, sur ce principe, me semble accessible. Soyons très exigeants sur cette question, puisqu'elle nous rassemble !

S'agissant du CICE, il est vrai que nous avons du mal à localiser les bénéficiaires du crédit d'impôt - vous voyez bien que ce constat n'est pas idéologique -, de même que nous avons du mal à localiser la valeur ajoutée qui sert de base à la CVAE. Dans mon département, l'opposition dit la même chose que moi : comment localiser le crédit d'impôt ? Ce mécanisme crée des difficultés pour les maires et les présidents de départements.

Concernant les coûts de gestion, les PME rencontrent des difficultés de trésorerie et demandent des préfinancements. Personne ici n'a le monopole de l'esprit d'entreprendre ; ce problème est très important, il se pose nationalement. Ceci dit, j'ai aussi constaté, dans mon département, que les demandes de préfinancement reviennent chaque année, sachant que dans les TPE que je connais - tous le disent -, il y va d'un simple jeu de trésorerie. Les conséquences sur l'emploi, on en est loin !

Je n'ai en effet pas abordé le dispositif de suramortissement, car son coût n'est pas une dépense de la présente mission : il s'agit d'un dispositif de déduction et non d'un remboursement ou d'un dégrèvement.

La question a été posée de savoir s'il existait un seuil minimal de recouvrement pour la taxe d'habitation. La réponse est oui : 12 euros. La multiplication de ces petites cotisations coûterait plusieurs dizaines de millions d'euros à l'État.

D'autres questions relèvent de sujets sur lesquels je ne suis ni habilité à répondre ni compétent pour le faire. Mon collège, ami, camarade, Éric Bocquet, se réjouira de constater la baisse du taux du CICE à 6 % : sa ténacité en la matière n'a pas été vaine !

L'un de nos collègues de la majorité présidentielle me reproche de ne pas avoir parlé de la baisse des charges au 1er janvier 2019. Si je suis resté silencieux sur ce point, ce n'est pas pour manifester mon désaccord, lequel est par ailleurs tout à fait réel, mais parce que je ne suis ni au Gouvernement, ni dans la majorité présidentielle, et que mon rôle de rapporteur spécial n'est pas de commenter ce genre de décisions !

Dernière chose : monsieur le rapporteur général, j'ai commencé par me demander pourquoi vous n'aviez pas le même avis que moi - je souhaitais voter contre, vous proposez de réserver les crédits. Il n'y a là aucune bande jaune, aucune frontière. Mais la réforme de la taxe d'habitation coûtera 10 milliards d'euros, quand le CICE coûte 20 milliards d'euros : on ne peut pas mettre en balance les deux dispositifs. Il faut regarder les crédits de la mission dans leur ensemble ! En quelque sorte, monsieur le rapporteur général, vous proposez de réserver les crédits de la mission en attendant que vos amendements sur la taxe d'habitation soient adoptés, avant, pour finir, de voter les crédits. Je veux bien être très constructif - ça m'arrive souvent en tant qu'élu local. En même temps, il faut bien, le moment venu, savoir émettre un avis tranché, non pour le plaisir de la polémique, mais par souci de clarté dans les orientations que nous prenons en matière de remboursements et de dégrèvements.

M. Vincent Éblé, président. - La sagesse dicterait, me semble-t-il, de réserver notre position définitive sur les crédits de la mission.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous sommes en train d'examiner les crédits des missions. À l'issue de cet examen, après transmission du texte de l'Assemblée nationale, nous effectuerons une revue de tous les votes, et nous adopterons ou rejetterons les crédits des missions qui auront été réservés. La réserve peut être motivée par une simple demande de précision. S'agissant de la taxe d'habitation, notre décision dépend simplement de votes ultérieurs. Réserver ne préjuge en aucun cas du vote que nous serons amenés à émettre en fin d'examen des missions.

M. Vincent Éblé, président. - En réservant notre position, nous ne méconnaissons pas ce que Pascal Savoldelli souligne à juste titre : la mission comprend une consolidation de crédits de diverses natures, pour des ordres de grandeur assez variables. Il nous manque simplement quelques éléments d'éclairage définitifs pour nous prononcer.

M. Julien Bargeton. - Favorable aux réformes fiscales qui sont proposées, et donc à leur traduction budgétaire, je ne partagerai pas cette position.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Mes chers collègues, j'ai bénéficié d'une petite formation à la dialectique.

M. Philippe Dallier. - Ça nous manque !

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Je vais maintenir ma position, qui est respectée et respectable. Je ne suis pas friand de polémique pour la polémique. Si tel était le cas, j'aurais eu du grain à moudre lors du débat précédent : sur la mission de tout à l'heure, nous nous sommes beaucoup moins posé la question de réserver notre position, et j'aurais eu des titres à bondir sur certaines phrases prononcées. Mais je suis au Sénat, pas en meeting ; je m'en tiens à un comportement respectueux de l'ensemble de mes collègues.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Aide publique au développement » et compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - Examen du rapport spécial

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Notre politique d'aide publique au développement (APD) a été durement mise à contribution ces dernières années. L'enjeu, pour les années qui viennent, est de définir une nouvelle trajectoire qui soit ambitieuse, c'est-à-dire qui nous remette sur la voie du respect de nos engagements internationaux, mais aussi crédible, ce qui suppose de consacrer des ressources plus importantes à cette politique. C'est à l'aune de ces éléments que nous allons vous présenter les crédits 2018 de l'aide publique au développement.

La définition d'une nouvelle trajectoire est en effet indispensable, tant la France est éloignée du respect de ses engagements internationaux. L'objectif est de consacrer 0,7 % de notre produit intérieur brut (PIB) au développement ; nous n'étions qu'à 0,38 % en 2016, et nous devrions atteindre 0,40 % à 0,42 % en 2017, ce qui nous place en douzième position au niveau international.

Au-delà du respect de l'objectif, nous risquons véritablement de « descendre en seconde division », en « Pro D2 », comme on dit en rugby. Avec une aide de 9,5 milliards de dollars, nous sommes distanciés par les États-Unis, dont l'aide s'élève à 34 milliards de dollars, mais surtout par l'Allemagne (25 milliards de dollars) et le Royaume-Uni (18 milliards de dollars). Les aides de nos deux voisins représentent respectivement le triple et le double de la nôtre ! Je rappelle à ce titre qu'Angela Merkel a effectué l'an dernier une tournée diplomatique au Mali, au Niger et en Éthiopie et a reçu les présidents tchadien et nigérian.

La divergence des trajectoires française, allemande et britannique est frappante et préoccupante.

La composition de l'aide de chacun de ces pays montre que les niveaux de l'aide multilatérale restent relativement proches. Les différences d'aide bilatérale s'expliquent tout d'abord par le fait que l'Allemagne a consenti un effort considérable pour l'accueil des réfugiés (6,2 milliards de dollars contre environ 500 millions de dollars pour la France et le Royaume-Uni). Mais le décrochage de la France s'explique avant tout par un montant de dons beaucoup moins important : celui-ci ne représente qu'un tiers de celui de ces deux autres pays européens.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Au cours de la campagne électorale, le Président de la République a fixé pour objectif que notre aide publique au développement atteigne 0,7 % du PIB en 2030 ; il a pris récemment l'engagement, devant l'Assemblée générale des Nations-Unies, que soit atteint un objectif intermédiaire de 0,55 % d'ici la fin du quinquennat. Plus précisément, cette augmentation de l'aide devrait notamment porter sur l'aide bilatérale, qui est un meilleur outil d'influence, et dont la part a diminué au cours des dernières années.

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 traduit l'ambition portée par le Président de la République. Ainsi, les crédits de la mission « Aide publique au développement » connaissent la troisième hausse la plus importante en valeur, avec une augmentation de 16 % entre 2018 et 2020. Par rapport à 2017, l'augmentation serait même de 20 %.

Au demeurant, cette programmation est la plus ambitieuse qu'ait connue la mission « Aide publique au développement » depuis qu'ont été mises en place les lois de programmation des finances publiques. Ainsi, à l'exception de la loi de programmation de 2009, qui prévoyait une légère hausse des crédits, toutes les lois de programmation suivantes proposaient, au mieux, une stabilisation, et, plus souvent, une diminution des crédits. La hausse de 500 millions d'euros par rapport à 2017 est inédite et permettrait de dépasser le record atteint en 2010.

Si l'on ajoute le produit des taxes affectées, les ressources totales seraient supérieures de 13 % au montant exécuté en 2010, année au cours de laquelle notre aide atteignait 0,5 % du PIB. Par rapport à l'exécution provisoire 2017, elles seraient en hausse de 20 % en 2020, sachant que notre aide doit augmenter d'un peu plus de 30 % pour atteindre l'objectif.

En définitive, il faudra certes expertiser cette trajectoire de façon plus fine, le lien entre les crédits et l'APD au sens de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n'étant pas automatique, mais ces éléments nous conduisent à considérer que l'objectif de 0,55 % en 2022 est crédible, à condition de maintenir une trajectoire ascendante jusqu'à cette date.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Nous avons présenté la trajectoire ; j'en viens désormais aux crédits pour 2018 et aux points qui appellent notre vigilance s'agissant de la programmation des années à venir.

Les ressources que consacre la France à l'aide publique au développement en 2018 sont en augmentation.

Les crédits de la mission connaissent une hausse de 100 millions d'euros environ ; cette hausse est toutefois entièrement « absorbée » par l'augmentation de la contribution de la France au Fonds européen de développement. Les autorisations d'engagement diminuent de 30 % cette année, mais ceci ne fait que refléter la traditionnelle irrégularité de leur montant, qui est fonction du rythme de reconstitution des différents fonds multilatéraux.

Le produit des taxes affectées, à savoir la taxe sur les billets d'avion et la taxe sur les transactions financières, est quant à lui gelé à 800 millions d'euros environ.

Enfin, les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », qui, comme son nom l'indique, retrace uniquement des prêts, sont en hausse de 760 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 260 millions d'euros en crédits de paiement, si l'on exclut du calcul les opérations exceptionnelles menées l'an dernier.

Les crédits connaissent donc une augmentation, certes modeste, mais bien réelle.

S'agissant de la trajectoire, plusieurs points appellent notre vigilance. Tout d'abord, l'exécution doit être en phase avec les crédits votés : le taux d'exécution de la mission s'est dégradé de quelques points ces dernières années. Au-delà des montants en jeu, le taux d'exécution est un révélateur du degré d'ambition accordé à cette politique, laquelle a tôt fait d'être considérée comme une variable d'ajustement de l'exécution budgétaire.

À cet égard, l'annulation, en juillet dernier, de près de 140 millions d'euros par décret d'avance a jeté le trouble. Nous estimons que les impératifs budgétaires de l'été 2017 pouvaient justifier cette mesure d'économie par rapport au budget du précédent gouvernement ; mais les choix présentés au Parlement sont désormais ceux de l'actuelle majorité gouvernementale, et les crédits de cette mission doivent être sanctuarisés. À ce titre, les efforts réalisés pour améliorer la sincérité du budget vont dans le bon sens.

Par ailleurs, nous notons que l'effort budgétaire est centré sur la fin du triennal. Ce choix est un facteur de risque pour la mise en oeuvre concrète de la programmation, et nous serons vigilants sur son respect.

Enfin, nous regrettons que les produits des taxes sur les billets d'avion et sur les transactions financières soient désormais gelés. Le principe même de l'attribution d'une taxe affectée est de permettre au bénéficiaire de profiter de sa dynamique.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - J'ajoute à ce qui vient d'être dit un point plus précis sur les ressources de l'Agence française de développement (AFD), qui est - vous le savez - l'opérateur pivot de notre aide bilatérale, et qui est engagée sur une trajectoire d'augmentation de 4 milliards d'euros de ses engagements et de 400 millions d'euros de ses dons en 2020 par rapport à 2015.

Les crédits budgétaires qui lui sont consacrés, en 2018, augmentent par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Plus précisément, les crédits permettant à l'AFD d'accorder des dons sont en hausse de 67 millions d'euros en autorisations d'engagement et atteignent 400 millions d'euros environ. Par ailleurs, les crédits permettant à l'AFD de « bonifier » les prêts, c'est-à-dire d'abaisser directement le taux d'intérêt proposé aux bénéficiaires de ses concours, sont en hausse de 55 millions d'euros. L'AFD bénéficie en outre de la « ressource à condition spéciale », un prêt de long terme de l'État à taux extrêmement bas, qui lui sert également à accorder des prêts concessionnels ; les crédits correspondant aux activités courantes de l'AFD sont stables.

En définitive, le niveau des autorisations d'engagement est cohérent avec la trajectoire de croissance de ses engagements, lesquels doivent augmenter de 4 milliards d'euros d'ici 2020.

En revanche, le niveau des crédits de paiement pose question. Les annulations de juillet dernier ont conduit à diminuer de 118 millions d'euros, en crédits de paiement, les dons-projets de l'agence. Or ces crédits correspondaient à des engagements déjà pris ; à moins de ne pas honorer ses engagements contractuels, ce qui nuirait gravement à son image et à celle de la France, l'AFD doit donc elle-même financer ces paiements. À ce stade, il apparaît que le montant des crédits prévu pour 2018 ne permettra pas d'apurer cette situation. Nous ferons le point sur cette question d'ici la séance publique, après examen de la mission par l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, l'an dernier, le Parlement avait décidé d'affecter à l'AFD 270 millions d'euros tirés des recettes de la taxe sur les transactions financières. L'article 19 du présent projet de loi de finances revient sur cette affectation et attribue ces 270 millions d'euros au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), qui finance essentiellement de l'aide multilatérale.

Il appartiendra au rapporteur général de nous présenter cet article de première partie, mais nous considérons qu'une telle mesure serait incohérente avec l'objectif d'accorder la priorité à notre aide bilatérale. À ce stade de la discussion, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui tend à résoudre le problème. Nous verrons ce qu'il en sera dans le texte transmis.

Nous soulignons au passage que la débudgétisation des dépenses du FSD, qui représentent un quart des crédits d'aide publique au développement, est problématique. Elle nuit au contrôle du Parlement et apparente ces crédits à une variable d'ajustement pour les gestionnaires de la mission.

Enfin, l'objectif de 0,55 % annoncé par le Président de la République impliquera de définir une nouvelle trajectoire, à la hausse, des engagements de l'AFD. Le futur contrat d'objectifs et de moyens de l'agence pour la période 2017-2020 sera l'occasion de préciser cette trajectoire et de définir les moyens qui l'accompagneront.

Compte tenu de cette définition d'une trajectoire ascendante et ambitieuse et de l'augmentation de l'aide, nous vous invitons, mes chers collègues, à proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. - Je me contente de quelques observations, avec beaucoup de réserves, puisque notre commission ne se prononcera que le 15 novembre prochain.

Je note avec satisfaction la trajectoire annoncée, avec beaucoup de vigilance sur les chiffres. Un constat : les efforts menés par nos voisins, l'Allemagne et le Royaume-Uni, représentent trois fois l'effort français. Sur la décision de l'Assemblée nationale concernant la taxe sur les billets d'avion et la taxe affectée, je me range à l'avis des rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Nous entendions hier Rémy Rioux, directeur général de l'AFD. Il nous a indiqué que les 270 millions d'euros affectés en 2017 ont bien été utilisés conformément à leur affectation. Nous nous associons donc à la décision de l'Assemblée nationale.

Nous nous interrogeons sur les nouvelles règles de comptabilisation de l'aide résultant des prêts, et sur la conséquence qu'elles devraient avoir s'agissant de la répartition entre les prêts et les dons. Les dons représentent la partie « faible » des aides versées par l'AFD, sur laquelle nous avons demandé quelques précisions. Nous envisageons d'ailleurs de mener une mission pour comparer les pratiques de l'AFD en termes de mise en oeuvre des fonds avec celles qui ont cours dans les pays voisins. De toute évidence, un certain nombre d'interrogations méritent d'être levées sur les moyens mobilisés, eu égard aux demandes exprimées par les ONG.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. - Pour compléter les propos de mon collègue, dont je partage les remarques, je précise que nous jugeons vertueuse, bien sûr, la trajectoire proposée ; néanmoins, pour atteindre l'objectif de 0,55 % avec une hypothèse de croissance du PIB de 1,7 %, il faudrait, au cours de la mandature, abonder le budget de la mission de 1 milliard d'euros supplémentaire chaque année. Est-ce bien faisable ? Je ne vous cache pas nos inquiétudes sur notre capacité à tenir cette trajectoire.

Concernant notre place dans le classement des États donateurs, vous n'avez pas parlé de notre opérateur d'expertise technique internationale, Expertise France, né il y a quelques années d'un rapport sénatorial de Christian Cambon, Jean-Claude Peyronnet et Jacques Berthou, et de la volonté de regrouper nos agences d'expertise technique pour leur donner une surface importante, sur le modèle de la Gesellschaft für internationale zusammenarbeit (GIZ) allemande. Il s'agissait d'une bonne décision ; pour autant, si nous voulons vraiment oeuvrer en faveur d'une « équipe France » du développement, rattraper notre retard et conforter notre présence dans le monde, il serait utile que l'AFD travaille en collaboration plus étroite avec Expertise France. La première était censée apporter à la seconde un volume de 25 millions d'euros de projets ; on en est très loin ! Il ne s'agit pas, me semble-t-il, d'un sujet annexe.

Mme Nathalie Goulet. - On ne peut que saluer cette proposition de trajectoire. Le hasard fait bien les choses : l'examen de ce rapport vient après celui de la mission « Immigration, asile et intégration ». Il faut insister sur le lien qui unit aide au développement et maîtrise de l'immigration : plus nous aiderons les pays en voie de développement, moins nous subirons de l'immigration non souhaitée.

J'appelle l'attention sur deux points. Premièrement, malgré la loi votée en 2014, l'évaluation des programmes continue à poser des problèmes.

Deuxièmement, quid de l'articulation avec d'autres acteurs, avec les fondations type Bill Gates notamment, qui ont beaucoup plus d'argent que l'AFD ? Nous devons travailler multilatéralement avec le FMI et les fondations internationales, qui contribuent elles aussi au développement. L'efficacité de l'action française dépend de notre capacité à coopérer avec ces acteurs. Nous avons certes la volonté, mais certainement pas les moyens, de jouer la partie à titre individuel.

M. Éric Bocquet. - Il était en effet judicieux d'examiner les deux rapports ce matin : on ne peut imaginer réfléchir à la question migratoire sans prendre en compte la situation de sous-développement de certains États. La responsabilité de la France, en la matière, est importante ; on ne saurait contempler le côté face de cette pièce en négligeant le côté pile.

Je partage le souci de vigilance de nos deux rapporteurs sur le décrochage qu'ils constatent dans l'engagement financier de la France sur ces sujets, par rapport à l'Allemagne notamment, dont nous devons saluer la politique d'accueil des migrants.

Je déplore la décision malheureuse prise sur le projet de taxation sur les transactions financières (TTF), auquel le gouvernement français, dès le mois de mai, s'est empressé de donner un coup d'arrêt. C'est l'Arlésienne ! Le Gouvernement a annoncé l'abrogation de la tranche supérieure à 20 % de la taxe sur les salaires pesant sur les hauts revenus du secteur financier - Dieu sait qu'ils sont élevés, compte tenu de la santé resplendissante de ce milieu. On a également enterré la TTF au niveau européen, alors qu'elle pourrait rapporter entre 20 milliards et 22 milliards d'euros, soit dix fois le budget français consacré à l'aide au développement.

M. Julien Bargeton. - Les rapporteurs spéciaux ont présenté, un tableau intéressant sur les bénéficiaires de l'aide française. Dispose-t-on d'éléments sur l'aide non gouvernementale ? Sans caricaturer l'utilisation de ces fonds par les États, l'ambition de réorienter ces aides vers les sociétés civiles et les associations locales elles-mêmes me paraît légitime.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Nous saluons la volonté d'augmenter l'aide au développement, mais nous restons sur notre faim. Je réitère les interrogations déjà soulevées sur la situation de l'AFD à la suite des coupes effectuées à l'été 2017, qui ne sont pas compensées dans le présent budget. Nous resterons donc vigilants sur ces dossiers, qui sont décisifs pour la place de la France dans le monde et pour notre capacité à faire rayonner notre vision humaniste.

M. Victorin Lurel. - Henri Emmanuelli, qui était rapporteur spécial de cette mission à l'Assemblée nationale, dénonçait régulièrement le mode de calcul de l'aide publique au développement française : non seulement nous ne respections pas nos engagements internationaux, mais nous comptabilisions les aides de l'AFD en direction des outre-mer français, lesquels étaient donc considérés, à l'époque, comme des pays étrangers. Cette pratique, ou plutôt cette astuce, perdure-t-elle aujourd'hui ?

Par ailleurs, nous sommes d'accord sur la nécessité de recentrer la politique d'aide au développement sur l'aide bilatérale. Néanmoins, cette dernière est aujourd'hui essentiellement centrée sur l'Afrique. Si notre ambition est mondiale, si nous souhaitons retrouver notre place, si nous refusons de nous faire distancer par l'Allemagne et le Royaume-Uni, faut-il absolument prioriser l'aide bilatérale ? Ne serait-il pas nécessaire de définir une stratégie de redéploiement de l'influence française dans le monde ?

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Cette mission est capitale pour la place de la France : il y va de la diplomatie d'influence menée par l'AFD, dont l'image est très positive dans les 85 pays où nous sommes présents, à travers des agences très structurées, très compétentes, en Colombie par exemple, où un partenariat très étroit et très efficace nous unit aux villes de Medellin et de Bogota. Un tel partenariat ne coûte rien à la France, puisque l'agence s'autofinance.

Je salue les deux rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Jean-Pierre Vial, concernant les nouvelles règles de calcul des aides, à ce stade il semble que l'effet négatif sur les prêts de l'AFD soit compensé par l'effet positif sur les prêts du Trésor. Elles pourraient en revanche avoir des effets sur la façon dont nous accordons nos prêts.

Comme Marie-Françoise Perol-Dumont, la trajectoire nous interpelle : il s'agit d'un coût, en effet, d'un effort, mais surtout d'un engagement. Nous espérons que le contrat d'objectifs et de moyens avec l'AFD donnera à la France les moyens de respecter ses engagements. À charge pour nous d'être vigilants.

Concernant Expertise France, nous appelons également de nos voeux une relation plus étroite de cette institution avec l'AFD, sur le modèle de la GIZ allemande, outil extrêmement performant qui complète l'action de Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), organe financier de l'aide allemande au développement. La GIZ est une force avancée pour l'outil de production allemand - la chancelière l'a bien compris. Tout à fait d'accord, donc, pour doter la France d'un outil comparable.

Nathalie Goulet, l'évaluation est un souci permanent : donner ne suffit pas. Mais lorsque nous donnons des aides par exemple à l'éducation, comment évaluer leur efficacité ? Il y a deux ou trois ans, nous avions rencontré la ministre britannique chargée des problèmes d'aide au développement. À cette occasion, nous avions découvert que les britanniques font grand cas de l'évaluation. Reste que certaines politiques sont difficiles à expertiser, reconnaissons-le. Le chantier de la mise en place d'outils d'évaluation plus performants reste ouvert ; le Royaume-Uni, de ce point de vue, est tout à fait exemplaire.

S'agissant de la coopération avec d'autres partenaires, l'AFD travaille avec les collectivités qui font de l'aide décentralisée. Sur le terrain, les agences de l'AFD déplorent que la coordination ne soit pas parfaite avec les acteurs, et notamment avec les ONG. Certaines d'entre elles s'engagent à une hauteur supérieure à celle des États ; il faut se réjouir d'un tel mécénat intelligent. Peut-on travailler en partenariat avec elles ? Oui, mais l'aide est alors multilatérale. Or nous devons privilégier le bilatéral, qui a l'avantage d'être plus visible : faire, c'est bien, mais sans négliger de planter notre drapeau et de faire savoir que la France est présente.

Julien Bargeton, sur la question de l'aide directe aux associations, nous ne manquerons pas de vous communiquer les éléments que vous demandez.

Victorin Lurel, en effet, il y a quelques années, l'engagement de la France dans les territoires d'outre-mer était considéré comme une aide au développement ; tel n'est plus le cas aujourd'hui. De ce point de vue, il n'y a plus d'ambiguïté ; je tiens à vous rassurer.

Sur l'aide bilatérale, j'ai déjà répondu, en disant qu'elle était préférable à l'aide multilatérale en termes d'influence diplomatique.

Je le répète : l'AFD est un outil remarquable, dont le rôle et l'importance sont restés trop longtemps méconnus du Parlement. Parce qu'une volonté politique est en train de s'affirmer, la trajectoire que nous appelons de nos voeux sera, j'en suis certain, respectée. Plus nous agirons en matière d'aide au développement, plus nous freinerons les mouvements migratoires.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - La mission « Conseil et contrôle de l'État » se compose de quatre programmes : le Conseil d'État et les autres juridictions administratives, la Cour des comptes et les autres juridictions financières, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, depuis la loi de finances pour 2014, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Le budget de cette mission devrait augmenter de 1,92 % sur la période 2018-2020, soit une augmentation inférieure à celle des dépenses totales de l'État, qui progresseront de 3 %, d'après la loi de programmation des finances publiques.

Pour 2018, les crédits de la mission s'élèvent à 663 millions d'euros et sont en hausse de 2,2 %.

Cette hausse est principalement portée par le budget alloué au Conseil d'État et aux autres juridictions administratives, principal programme de la mission par son montant.

Les crédits de ce programme progressent de 2,6 % par rapport à 2017 et atteignent 405 millions d'euros, en raison notamment d'une hausse des dépenses de personnel. Trois emplois des juridictions judiciaires sont ainsi transférés vers le programme, en vue de la création de la commission du contentieux du stationnement payant. Cette création, en elle-même, aura peu d'incidence sur le budget du programme, puisque la quasi-totalité du personnel sera rémunérée via la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Le Conseil d'État pourrait malgré tout connaître une augmentation des affaires entrantes, en sa qualité de juge de cassation.

Les 51 autres emplois créés seront intégralement affectés à la Cour nationale du droit d'asile, dont les locaux devraient également s'étendre pour accueillir ces nouveaux emplois et de nouvelles salles d'audience.

Ces moyens supplémentaires permettront à la CNDA de faire face à l'augmentation continue du contentieux de l'asile, qui a progressé de 30 % entre 2016 et 2017. Ils l'aideront également à poursuivre son objectif de réduction des délais de jugement : on observe en effet que les créations d'emplois des dernières années ont permis à la CNDA de contenir ses délais moyens de jugement à 7 mois environ, soit une durée proche de la cible de 5 mois fixée par le législateur en 2015.

Les autres juridictions administratives seront également soumises à une hausse de leur contentieux, du fait d'un nombre élevé d'affaires entrantes pour les contentieux de masse tels que le contentieux des étrangers ou le contentieux du droit au logement opposable (7 % du contentieux total). Elles devraient malgré tout parvenir à respecter leur objectif de délai moyen de jugement.

J'en viens maintenant aux crédits du Conseil économique, social et environnemental, qui s'élèvent à 40 millions d'euros, l'augmentation étant de 1,2 %, bien inférieure à celle constatée l'an dernier.

Le CESE s'est notamment engagé, pour 2018, dans une nouvelle gestion budgétaire, avec pour conséquence l'affectation de ses ressources propres au financement des projets d'investissement.

Depuis le dernier renouvellement de 2015, le CESE poursuit une modernisation institutionnelle, qui inclut une rénovation de son régime financier et comptable. Cette rénovation prévoit entre autres l'introduction de plusieurs mesures de contrôle et de la certification de ses comptes, laquelle devrait être réalisée par la Cour des comptes. Le CESE cherche également à réaffirmer sa mission consultative, en développant un indicateur destiné à mesurer les suites données à ses préconisations, et en produisant des avis en lien avec d'autres institutions comme la Cour des comptes ou le Défenseur des droits.

Ce projet de modernisation pourrait être prolongé dans le cadre de la réforme annoncée par le Président de la République, en juillet dernier, devant le Congrès - il avait alors évoqué une « chambre du futur ». Mais il est encore trop tôt pour estimer les incidences d'une telle réforme sur le budget de l'institution.

Deuxième budget de la mission par son montant, le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » est, quant à lui, en augmentation de 1,5 % par rapport à 2016, et atteint 217,4 millions d'euros.

Cette augmentation est principalement due à une hausse des dépenses de personnel, liée à la revalorisation des emplois et à la hausse du régime indemnitaire des magistrats des chambres régionales des comptes.

Le nombre d'emplois reste plafonné à 1 840 et peu de changements interviendront au cours de l'année 2018 pour les juridictions financières. Ces dernières poursuivent l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, et la mise en oeuvre de leur nouvelle compétence de contrôle des établissements et services sociaux et médicaux-sociaux (ESMS) et des établissements de santé privés.

L'un des principaux indicateurs de performance du programme, mesurant les effets sur les comptes des travaux de certification, voit changer sa méthode de calcul. Celle-ci prend désormais en compte le nombre de constats d'audits et traduit ainsi plus fidèlement l'impact positif des travaux de certification de la cour.

Les autres indicateurs restent inchangés et atteignent un niveau satisfaisant en 2018.

Dernier programme de la mission, le budget du « Haut Conseil des finances publiques » atteint comme l'an dernier à peine un demi-million d'euros. La pertinence de ce programme interroge toujours, vu le montant très faible des moyens qui lui consacrés, lesquels sont par ailleurs issus de la Cour des comptes (employés, locaux, fonctions supports, etc.).

Une présentation des crédits du Haut Conseil au sein d'une action du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » serait envisageable, mais il faudrait pour cela une modification de la loi organique du 17 décembre 2012, qui prévoit l'existence de ce programme.

En conclusion, je propose à la commission d'adopter, sans modification, les crédits proposés pour la mission et pour chacun de ses programmes.

M. Patrick Kanner, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Ce budget s'inscrit dans la continuité des précédents, avec un effort en faveur de la CNDA. Je suivrai ces évolutions en vue de l'examen de la mission par la commission des lois.

Mme Christine Lavarde. - La réforme du stationnement payant peut aboutir à une véritable prolifération du contentieux administratif. Les échelons locaux auront à gérer les recours administratifs préalables obligatoires, ce qui aura un coût : dans ma commune, nous passons un marché de 200 000 euros pour créer une cellule de traitement de ces recours. Il serait bon, l'an prochain, de disposer d'un chiffre consolidé.

M. Michel Canevet. - L'évolution globale de ce budget est de 2,2 %. Or on demande aux collectivités territoriales de limiter à 1,2 % la hausse annuelle de leurs dépenses pendant le quinquennat. Pourtant, c'est l'État qui est dans la situation financière la plus difficile et qui devrait réaliser l'essentiel des efforts de réduction du déficit ! Je ne méconnais pas la croissance de la charge de travail des juridictions administratives mais des dispositions évitant d'alourdir le contentieux peuvent être prises, comme nous l'avons mentionné au cours de notre débat en séance sur les propositions de loi pour le redressement de la justice.

M. Julien Bargeton. - L'essentiel de l'évolution des crédits profite à la CNDA, dont la masse salariale augmente. Les crédits du Haut Conseil représentent 0,07 % du coût de la mission. Ce n'est pas grand-chose, et ce programme pourrait être rapproché de celui qui concerne la Cour des comptes.

M. Victorin Lurel. - Oui, une augmentation de 2,2 %, ce n'est pas rien. En 2012, le législateur organique a voulu affirmer l'indépendance du Haut conseil des finances publiques. Il ne me paraît donc pas pertinent de fusionner ce programme avec celui de la Cour des comptes.

Mme Nathalie Goulet. - Avez-vous évalué le bénéfice de la réforme, annoncée par le Président de la République, consistant à réduire d'un tiers les membres du CESE ? Quant à ce programme 340, pourquoi ne pas le transformer en action ?

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - Il faut une loi organique.

M. Emmanuel Capus. - Réduire les dépenses publiques, oui ; mais nous ne devons pas économiser sur le régalien. Entre 2012 et 2016, le nombre de recours au Conseil d'État a crû de 12 %, de 20 % devant les cours administratives d'appel et de 6 % devant les tribunaux administratifs. Et les missions confiées à la justice administrative sont toujours plus larges. Il faut donc adopter ces crédits.

M. Thierry Carcenac. - Pour réduire les délais d'instruction des demandes d'asile, il faut des crédits - et cela impose de trouver des locaux pour loger les intéressés. Quels seront les effets de la suppression d'une chambre à la Cour des comptes ? Le programme 340 peut être transformé en action, mais quid des autres instances comme l'observatoire, ou le comité des finances locales ? Il faudrait une vision globale.

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - La CNDA est en effet confrontée à une progression continue du contentieux de l'asile - 30 % en 2017 - ce qui réclame des moyens. La secrétaire générale du Conseil d'État m'a fait la même remarque que Christine Lavarde : le contentieux du stationnement s'avère massif, nous verrons ce qu'il en est l'an prochain. Oui, la progression des crédits de la mission est supérieure à celle des dépenses des collectivités territoriales, mais cette mission contribue régulièrement à l'effort de réduction des dépenses en cours de gestion. Deux millions d'euros ont ainsi été annulés dans le dernier décret d'avance.

Une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU garantit l'indépendance du programme 164. Le HCFP ne perdrait donc pas son indépendance avec un rattachement de ses crédits au programme 164. D'autant que d'autres institutions indépendantes n'ont pas leurs crédits présentés dans un programme spécifique.

Je vois Didier Migaud demain matin et compte l'interroger sur les conséquences de la suppression de la deuxième chambre.

La réforme du CESE doit encore être précisée, nous devrons sans doute attendre d'ici 2020 pour avoir les évaluations d'impact.

M. Vincent Éblé, président. - Merci.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

La réunion est close est 12 h 30.