Mercredi 12 juillet 2017

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 10 heures

Objectifs de développement durable - Table ronde

M. Hervé Maurey, président. - J'ai souhaité organiser cette table ronde sur la mise en oeuvre des objectifs de développement durable (ODD) car nous avons pensé avec Jérôme Bignon qui préside, au sein de notre commission, le groupe de travail sur les négociations internationales climat et environnement qu'un point était nécessaire sur ce sujet. Nous avons désormais un recul d'un an et demi depuis l'entrée en vigueur de ces objectifs et la question de leur mise en oeuvre en France constitue un enjeu important. Si les ODD sont un sujet d'actualité, paradoxalement, ils apparaissent encore trop peu connus ou mal appréhendés.

Je rappelle donc que les ODD ont été adoptés le 25 septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations Unies dans le cadre de l'agenda 2030 du développement durable. Cet agenda se définit comme un programme pour les populations, pour la planète, la prospérité, la paix et les partenariats. C'est ce qu'on appelle les « 5 P ».

Il fixe 17 objectifs de développement durable qui concernent des enjeux environnementaux certes, mais également économiques et sociaux, rejoignant en cela la définition même du développement durable qui s'appuie sur ces trois piliers. Ces 17 objectifs se déclinent ensuite en 169 cibles, souvent dotées d'indicateurs de suivi et d'objectifs chiffrés que tous les pays du monde se sont engagés à atteindre d'ici à 2030.

Ces objectifs ont un champ très large. Ils recouvrent aussi bien les enjeux de la lutte contre les changements climatiques, de l'énergie propre, de la biodiversité aquatique ou terrestre, que ceux de l'éradication de la pauvreté et de la faim dans le monde, de l'éducation, de la réduction des inégalités, ou encore de la paix.

L'adoption des ODD prend la suite de deux processus internationaux. Le premier est celui des Sommets de la Terre, dont le dernier, « Rio+20 », s'est tenu à Rio en 2012 où a été acté le principe de la définition de nouveaux objectifs de développement durable. Le deuxième processus est celui des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), adoptés en 2000 pour une période de 15 ans.

Je rappelle d'ailleurs que notre commission s'est préoccupée très tôt de ces enjeux, comme l'illustre le premier rapport d'information qu'elle a adopté, quelques semaines après sa création en 2012, sur « Rio+20 : l'émergence d'un nouveau monde ». C'était dans le cadre du groupe de travail sur le climat, que j'évoquais tout à l'heure et que présidait alors Laurence Rossignol.

Cette préoccupation est donc ancienne pour notre commission et elle n'a jamais cessé d'alimenter nos travaux, comme l'a également montré notre forte mobilisation sur l'accord de Paris. Je fais ici notamment référence à la résolution adoptée par le Sénat à l'unanimité le 16 novembre 2015.

Si les ODD prennent la suite de ces deux processus que je viens de décrire, leur niveau d'ambition est néanmoins bien plus élevé. Leur caractère universel, l'ampleur de chaque objectif, la démarche de consultation de l'ensemble des acteurs de la société civile, ou encore leur « indivisibilité » en font un processus inédit. Je pense que nous y reviendrons lors de la table ronde.

Si les ODD ne constituent pas en eux-mêmes un acte juridiquement contraignant pour les gouvernements, il doit en être assuré une large diffusion afin de permettre à toutes les communautés nationales de s'en saisir et de les mettre en oeuvre.

À l'échelle internationale, c'est le Forum politique de haut niveau qui assure le suivi de leur mise en oeuvre. Chaque année, tous les acteurs, institutionnels ou non, peuvent en discuter au cours de ses sessions. La réunion de cette année se tient d'ailleurs en ce moment-même à New-York.

Dans le cadre des réunions régulières de l'Union interparlementaire, dont Jérôme Bignon et moi-même sommes membres, des discussions sur les ODD ont déjà eu lieu. Elles ont, par exemple, porté sur l'objectif 14 qui concerne les océans.

Au niveau français, c'est la déléguée interministérielle au développement durable qui assure et coordonne la mise en oeuvre de la déclinaison de ces objectifs au sein de nos politiques publiques.

Avant de laisser la parole à Jérôme Bignon et à nos invités, je voudrais simplement finir en précisant que nous attendons de cette table ronde qu'elle nous éclaire sur différents aspects. Quelle est la méthode retenue pour la mise en oeuvre de ces ODD en France ? Quelles cibles présentent un enjeu important pour notre pays ? Où en sommes-nous de la mise en oeuvre des ODD ? Sommes-nous sur la bonne voie pour atteindre les ODD à l'horizon 2030 ? Où en est la question de leur appropriation par la société civile ?

Je rappelle que les ODD constituent en quelque sorte la prolongation des agendas 21, en mettant les partenariats au coeur de leur mise en oeuvre. Et de ce point de vue, le bilan est mitigé car on ne s'approprie pas encore assez ces objectifs. Dès lors, il convient de voir comment faire pour y remédier.

Enfin, comment nous, parlementaires, pourrions-nous mieux appréhender ces objectifs dans la mise en oeuvre des différentes politiques publiques que nous examinons ?

M. Jérôme Bignon. - Je remercie le président d'avoir organisé cette table ronde importante à plusieurs titres. Je préside le groupe de travail sur les négociations internationales climat et environnement. Après l'impulsion donnée par l'accord de Paris puis les complications liées au risque de sortie des États-Unis de l'accord, il est pour moi important que les ODD puissent bénéficier d'un élan national fort. Ces ODD sont en effet en lien étroit avec les objectifs de l'accord sur le climat. S'ils ne sont pas juridiquement contraignants, il s'agit néanmoins d'un accord de grande ampleur puisqu'ils ont été signés par 193 des 195 États présents à Paris.

Les ODD possèdent une dimension inédite car les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) n'étaient ni aussi larges, ni aussi ambitieux. Si un cap est franchi, il ne faut pas oublier les étapes qui ont précédé. Nous avons tous en mémoire les agendas 21 ou la prise de parole de la première ministre suédoise en 1972, lors de la première conférence mondiale sur le développement durable.

De nombreuses questions se posent aujourd'hui. Où en est la France dans l'application des ODD ? Quelles sont pour notre pays les conséquences de l'application ou de la non-application de ces objectifs ? Pourrons-nous tenir le délai fixé à 2030 ? L'application de ces ODD sera-t-elle plus difficile dans certains domaines que dans d'autres ? Une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) de mars 2017 intitulé « La France passera-t-elle le test des objectifs de développement durable ? » relaie bien ces interrogations. Les points de vue de la déléguée interministérielle et des représentantes de l'IDDRI nous permettront de constater d'éventuelles divergences de point de vue sur ces questions.

Le caractère universel des ODD marque ensuite un changement de méthode. Ils ne se situent plus dans une dichotomie entre les pays du Nord et ceux du Sud car tous les pays sont impliqués dans une démarche collaborative. Il s'agit également de la logique de l'accord pour le climat. Cette démarche collaborative implique d'essayer de ne plus travailler en silos. Si la diversité des sujets évoqués rend un travail transversal plus complexe, elle le rend aussi plus utile. Le Sénat est la chambre des collectivités territoriales et il a à coeur de leur faire passer ce message car ce sujet devra nous animer dans les années à venir, chacun dans son domaine de compétence.

L'interconnexion des 17 objectifs est une avancée. Dire que ces objectifs se confondent en partie les uns dans les autres pourrait passer pour un raccourci facile mais il s'agit d'une réalité. Comment nier, par exemple, le lien évident entre pauvreté et éducation ? Il en va de même pour le réchauffement climatique même si cela est plus difficilement perceptible. Les peuples les plus pauvres et les moins éduqués ont, en effet, les organisations climatiques les moins performantes.

Pour revenir à la France, d'autres interrogations apparaissent. Quels sont les objectifs prioritaires ? Quels sont les plus pertinents du point de vue de notre pays ? Faut-il en prioriser certains ou les appréhender en un bloc ? Enfin, le lien avec les territoires passe par les collectivités territoriales, comme évoqué, mais également par la société civile. Les travaux du Comité 21 ont d'ailleurs permis d'y associer un certain nombre d'acteurs privés. Les ODD ne doivent pas être confisqués par certaines catégories mais nécessitent, au contraire, le travail de tous. Cette nécessaire collaboration implique de faire tomber certaines barrières entre les acteurs locaux. Il revient aux parlementaires de faire vivre ce débat démocratique, avec un regard sur la question plus concret que dogmatique ou idéologique.

Je propose au président de fixer une clause de revoyure pour que nous nous réunissions avant chaque réunion du Forum politique de haut niveau qui a lieu au mois de juillet à New-York. Je propose également d'élargir le point de vue du Sénat sur ce sujet par la création d'un groupe de travail ad hoc réunissant également des collègues d'autres commissions permanentes comme celles de la culture, des affaires économiques, des affaires sociales, des lois ou des finances. Tous les groupes et toutes les commissions pourraient ainsi concourir à la création d'un regard transversal d'ici l'été prochain. Un point d'étape pourrait ainsi être fait juste avant la réunion du Forum politique de haut niveau de 2018.

Nous recevons donc aujourd'hui la déléguée interministérielle, Laurence Monnoyer Smith, qui va pouvoir exposer le travail du Gouvernement et nous indiquer comment nous pourrions, le cas échéant, être utiles. Très intéressé à ces questions, l'IDDRI est aujourd'hui représenté par Julie Vaillé et Laura Brimont. Bettina Laville représente le Comité 21 dont elle est la présidente. Enfin, également membre du Comité 21, Hélène Valade est directrice du développement durable de l'entreprise.

Mme Laurence Monnoyer-Smith, déléguée interministérielle et commissaire générale au développement durable. - La date de notre réunion de ce jour est effectivement symbolique car je me rends à New-York dimanche pour la réunion du Forum politique de haut niveau sur les ODD. Votre introduction précise me permet directement de faire un point sur les travaux du Gouvernement et la mobilisation des services autour des ODD.

Les ODD sont aujourd'hui pour nous une forme de nouveau paradigme. Leur caractère transversal et le nouveau regard qu'ils invitent à porter sur la mondialisation constitue une source de motivation pour l'administration. Ce regard porte à la fois sur les enjeux climatiques et environnementaux mais également sur l'ensemble de leurs conséquences sur toutes les dimensions de la société, qu'il s'agisse de la faim ou de l'éducation, par exemple. Il s'agit, certes, d'une source de complexité, mais également d'un formidable espoir. Car malgré les forts enjeux qui y sont associés, cette conception de la mondialisation est construite en termes d'attention portée à l'autre, de justice, de solidarité et d'accueil. Notre rôle est aujourd'hui de porter ce beau message au sein du Gouvernement.

À la suite de l'adoption des ODD en septembre 2015, notre Gouvernement a été l'un des premiers à se mettre au travail et à proposer une sorte d'état de l'art. Dans la foulée de la COP 21, nous avons soutenu devant le Forum politique de haut niveau l'importance des enjeux climatiques et de leurs conséquences sociétales en termes de santé, de lutte contre la pauvreté et de lutte contre la misère et la faim. Le Gouvernement s'est ensuite engagé, au cours du comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, à mettre en oeuvre les ODD de manière cohérente. Il a confié à la déléguée interministérielle le rôle de coordination et de mise en oeuvre des ODD en partenariat étroit avec le ministère des affaires étrangères. Je souligne d'ailleurs que ce partenariat interministériel se passe très bien. Dans le cadre de la préparation du point d'étape que nous présentons cette année, nous avons défini une feuille de route comprenant trois principaux volets.

Le premier vise à organiser la contribution de l'État à la mise en oeuvre des objectifs. Le deuxième porte sur l'information et la sensibilisation en vue de l'appropriation des ODD qui, comme cela a été souligné par le président, n'atteignent pas encore le niveau de notoriété souhaité. Le dernier volet constitue le coeur de notre démarche puisqu'il porte sur la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la société. C'est sur ce dernier volet que s'appuie notre plateforme de partenariat avec la société civile. Il se nourrit des acquis de la COP 21 et de l'enthousiasme à l'origine de nombreuses coalitions entre les institutions, le gouvernement et la société civile. Les autres participantes à cette table ronde sont d'ailleurs à la fois les symboles et les fers de lance de cette coopération avec le gouvernement pour la mobilisation de la société civile.

En ce qui concerne l'organisation de l'État, je m'appuie en tant que déléguée interministérielle sur le réseau de hauts fonctionnaires du développement durable. Au sein d'un comité de pilotage interministériel où sont représentés l'ensemble des ministères, des chefs de file ont été désignés pour animer la mise en oeuvre de chacun des ODD. Ils ont pour consigne d'intégrer au maximum les différentes parties prenantes dans cette mise en oeuvre.

Nous sommes donc contraints de travailler en silos. Il s'agit d'une difficulté que nous nous attachons à surmonter. Pour cela, nous avons beaucoup échangé avec d'autres pays, notamment européens, pour déterminer notre mode d'organisation. Notre choix a été de prendre acte du caractère spécifique et technique de chacun des ODD pour leur attribuer des chefs de file en conséquence. Les ministères sociaux sont, par exemple, en première ligne sur l'ODD consacré à la santé. En plus de ces chefs de file, nous avons également déterminé des correspondants dans d'autres ministères pour traiter les aspects connexes de chaque ODD correspondant, le cas échéant, à un autre ODD. On ne voit pas, par exemple, comment travailler sur les questions de santé sans y lier la problématique de l'éducation. Chacun de ces chefs de file est donc responsable du tracé de cette rosace qui, autour d'un ODD, détermine quels aspects d'autres ODD entrent en résonance avec lui.

Ce travail a d'abord été effectué pour les ODD dont le rapportage a lieu cette année. Il s'agit de l'ODD n° 1 sur la pauvreté, de l'ODD n° 2 sur la sécurité alimentaire et l'agriculture durable, de l'ODD n° 3 sur la santé et le bien-être, de l'ODD n° 5 sur l'égalité entre les hommes et les femmes, de l'ODD n° 9 sur les infrastructures et l'innovation, de l'ODD n° 14 sur les océans et de l'ODD n° 17 qui porte sur les partenariats et qui revient tous les ans.

Nous allons maintenant nous mettre rapidement au travail sur les ODD qui seront rapportés l'an prochain et pour lesquels nous espérons bénéficier de l'expérience acquise cette année. Il sera essentiellement question d'ODD environnementaux portant sur l'eau, l'énergie propre, la ville durable, la vie terrestre, la consommation et la production durables. Ces domaines sont proches des coeurs de cible que nous nous traitons au ministère de la transition écologique.

Un point d'étape pour les ODD concernés est réalisé cette année par le comité de pilotage en lien avec la société civile. Il ne s'agira pas d'un rapport à proprement parler car l'année que nous venons de vivre ne nous permettait pas d'avoir une impulsion gouvernementale suffisante pour cela. L'ONU pourra, en tout état de cause, compter cette année sur les rapports de 44 autres pays. Mais nous passons notre tour cette année, nous serons très probablement au rendez-vous l'année prochaine.

Nous avons cette année beaucoup avancé sur la question des indicateurs qui demeure un point sensible. Ils servent en effet à évaluer la situation de la France et la cohérence des politiques publiques qui y sont menées. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) est, dans notre pays, responsable de la sélection des indicateurs pertinents parmi les 263 mis à la disposition de chaque État. L'INSEE a déjà mis en ligne 110 indicateurs. Sous son égide, un groupe de travail va élaborer une liste d'une centaine d'indicateurs communs d'ici la fin de l'année. Ils permettront de donner une image de l'état d'avancement de la mise en oeuvre des ODD en France.

En ce qui concerne le second volet de la feuille de route, un certain nombre d'actions de sensibilisation ont été entreprises. Je rends hommage aux équipes qui m'appuient dans cette tâche et qui n'ont pas ménagé leurs efforts dans cet exercice. L'année a ainsi été mise à profit pour rencontrer de nombreux acteurs. Nous avons également recensé l'ensemble des intervenants mobilisés autour des ODD dont les organismes représentés à cette table ronde sont de bons exemples. Je peux également citer le Forum des ressources pour l'éducation au développement durable (FOREDD), l'Agence française de développement (AFD), le Partenariat français pour l'eau ou encore les initiatives du Global compact (Pacte mondial des Nations unies). Ces rencontres se sont organisées autour d'ateliers au mois d'avril dernier, en vue de la préparation du Forum politique de haut niveau. L'objectif était d'analyser leur organisation et de les interroger sur leur perception des grandes priorités au sein des ODD. Ces rencontres ont également été l'occasion de réfléchir à l'organisation de la plateforme de partenariat avec la société civile.

Nous avons aussi mis en place une lettre d'information et un Mooc. Il s'agit d'un cours en ligne qui permettra bientôt de diffuser une formation à un nombre important de personnes. Nous avons également organisé la semaine du développement durable. Ouverte par Nicolas Hulot le 30 mai dernier, elle a regroupé 1 300 initiatives en France sous le signe des ODD. Le 25 septembre prochain, un évènement nous permettra d'attirer l'attention du monde politique et pour lequel j'espère un soutien fort du Premier Ministre.

Je passe maintenant au dernier volet de la feuille de route sur la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la société. J'évoquais les ateliers de concertation sur les modalités d'un dispositif d'implication des parties prenantes. Nous souhaitons mettre en oeuvre ces modalités d'échange à partir du 25 septembre, date anniversaire de l'adoption des ODD. Il pourra s'agir d'une plateforme numérique et de rencontres régulières. Cela permettra de lancer en amont le processus de rapportage des ODD environnementaux en France. Nous avons entrepris une démarche de sensibilisation à destination des élus et des acteurs des territoires. Elle a notamment porté sur l'intégration des ODD dans leurs rapports annuels et leurs actions en matière de développement durable.

Nous sommes intervenus auprès d'acteurs engagés tels que le Comité 21 ou le Global compact qui ont chacun entrepris un tour de France des ODD. Suite à leur sollicitation, nous sommes aussi intervenus auprès du Collège des directeurs du développement durable, qui a lancé des groupes de travail.

L'enjeu majeur pour nous est aujourd'hui que les ODD deviennent un référentiel pour tous les acteurs et un mode de lecture des politiques publiques. À l'aune des cibles que nous nous fixerons, ils permettraient d'évaluer l'action du Gouvernement et les politiques publiques, de prendre en considération l'ensemble des sujets liés au dérèglement climatique ainsi qu'à la solidarité et à la justice sociale.

Je prends acte de la suggestion de Jérôme Bignon de créer un groupe de travail parlementaire ad hoc, en y associant les autres commissions permanentes du Sénat.

Mme Julie Vaillé, chercheure à l'IDDRI. - L'IDDRI a beaucoup travaillé sur la mise en oeuvre des ODD. Ils constituent pour nous le pilier manquant de la globalisation qui ne concerne pour le moment que le commerce, la finance ou l'économie. Les ODD représentent l'ensemble de tous les autres sujets en faveur de la coopération tels que la santé, l'éducation ou l'environnement. L'agenda 2030 pour le développement durable touche les thèmes centraux des débats politiques et sociaux comme l'éducation, la santé, l'environnement et le chômage.

Les ODD correspondent également à une vision européenne du monde. Si les ODD avaient été conçus par Donald Trump, leur contenu aurait sans doute été tout autre... Ils font ainsi une part large à la justice, la protection sociale ou l'égalité devant le droit en tant que principes phares du contrat social européen. L'Europe et ses États membres, au premier rang desquels la France, ont un rôle clé à jouer dans les agendas 2030 pour faire avancer les politiques de développement durable. Ils doivent progresser vers un projet européen à la fois renforcé et renouvelé qui réaffirmera l'exemplarité de l'Europe en la matière.

Comme Jérôme Bignon l'évoquait, il est possible de se demander quelle avancée représentent les ODD par rapport aux 25 années d'évolution du développement durable qui les ont précédés et vis-à-vis de leurs « cousins », les objectifs du millénaire. L'universalité est une réponse. Les ODD concernent tout le monde, et la France notamment, car un vrai effort reste à faire de la part des pays riches. L'indivisibilité est aussi un point important car les ODD sont tous interconnectés et il convient d'en tenir compte. Les engagements pris par les États en matière d'ODD ne se bornent pas à des engagements de principe mais prennent la forme de cibles, d'indicateurs et d'objectifs chiffrés. Si les Sommets de la Terre évoquaient souvent de grandes intentions, les ODD en apportent aujourd'hui la mesure.

Les ODD ne sont pas un agenda à la seule destination des États. Leur mise en oeuvre est l'affaire de tous. Ils concernent les entreprises, les associations, les syndicats et les collectivités locales. Pour favoriser les comparaisons et sensibiliser sur les bonnes pratiques, l'IDDRI a travaillé à plusieurs niveaux. Au niveau national, la première priorité était de faire connaitre les ODD et de voir si la France se sentait concernée par cet exercice onusien considéré par certains comme hors sol. Les ODD peuvent réellement répondre à des enjeux majeurs de notre pays. Nous avons fait à l'IDDRI une évaluation des tendances pour l'atteinte des ODD en 2030 qui montre que 7 cibles nécessiteront une inversion de tendance pour être atteintes. Ils touchent des enjeux majeurs qui sont souvent économiques et sociaux. Il s'agit, entre autres, de la qualité de l'éducation, de l'équité dans l'éducation, du plein emploi, mais également de la préservation de la biodiversité. Pour 16 autres cibles, cette étude constate que la France suit une tendance positive, qu'il conviendra toutefois d'accentuer. Cette étude montre également que la France est bonne élève sur certains ODD.

Sur certaines questions, comme le chômage, il peut sembler que les ODD ne constituent pas un outil nouveau. C'est pourtant le cas. Il existe, en effet, des objectifs et des cibles dont la France ne s'était pas dotée avant les ODD. C'est notamment vrai en ce qui concerne les inégalités de revenus. Les ODD représentent donc aussi, pour vous parlementaires, un nouvel outil de contrôle de l'action du Gouvernement.

L'IDDRI a réalisé une comparaison de la manière dont les différents États s'étaient approprié les ODD. Pour cela, nous avons analysé sous l'angle de cinq critères 22 rapports volontaires déposés l'an dernier au Forum politique de haut niveau. Parmi ces critères figure le soutien politique fourni dans ces pays. Le soutien apporté par la chancelière allemande en est un bon exemple. Les cadres administratifs et institutionnels des ODD sont également un critère. Certains pays ont directement confié les ODD au Premier ministre ou à la chancellerie pour leur faire surplomber les silos administratifs habituels. Certains États ont mis en place des systèmes d'évaluation visant à analyser les progrès des ODD. D'autres les ont intégrés dans les stratégies publiques. Enfin, certains pays ont organisé un partage de responsabilité entre acteurs publics et privés.

Cette analyse a conduit à examiner sous un jour particulier le rôle du Parlement. En tant qu'organe législatif et de contrôle, le Parlement a, par nature, un rôle important à jouer dans la mise en oeuvre des ODD. Si dans certains pays, le Parlement est simplement consulté lors de la mise en place de stratégies, il prend une part plus active dans d'autres États. C'est notamment le cas en Finlande pour la gouvernance et le suivi de la mise en oeuvre de l'agenda 2030. En Allemagne, au Mexique et aux Philippines, des commissions existantes sont en charge du suivi des ODD. Enfin, la Norvège a également intégré les ODD dans son processus budgétaire. Chaque ministre en charge d'un ODD doit établir dans son projet de budget le rapport de suivi des cibles qui y sont rattachées. Ces rapports sont ensuite compilés par le ministre des finances dans le projet annuel de budget soumis au Parlement.

Mme Laura Brimont, chercheure à l'IDDRI. - Les ODD ne concernent pas seulement les gouvernements, mais également la société civile, dont les ONG et les entreprises. Les ONG sont des acteurs traditionnels puisqu'elles ont toujours été impliquées depuis Rio 1992 dans les discussions internationales. C'est en revanche nouveau pour les entreprises qui ont été impliquées très en amont pour les ODD. Beaucoup d'entre elles prennent d'ailleurs aujourd'hui la parole sur le sujet. Les attentes formulées à l'attention de ces entreprises sont de deux ordres. Le premier est une implication financière de leur part pour alimenter la transition vers la durabilité. Le second passe par leurs activités économiques afin que ces entreprises favorisent de nouveaux produits ou services, ou modifient leur mode de production dans cette optique. Ces attentes ne correspondent pas encore nécessairement à la réalité. L'enjeu est de savoir si les prises de position des multinationales et des entreprises plus modestes correspondent à du repackaging de leurs politiques de responsabilité sociétale et environnementale (RSE) sous un nouveau label « ODD » ou si elles changent réellement leur manière de faire. Les ODD sont aujourd'hui utilisés dans certaines entreprises pour relancer des sujets déjà portés en interne mais qui avaient du mal à émerger. C'est notamment le cas de l'ODD 10 sur les inégalités, utilisé pour relancer les problématique de l'égalité salariale.

La question se pose aussi de savoir quelles sont nos attentes envers les ONG. La première d'entre elles est, pour nous, de tenir le Gouvernement responsable de ses engagements. Les ONG sont aujourd'hui en train de se structurer pour répondre à cette mission. Certaines initiatives prises en ce sens à l'échelle européenne sont intéressantes, comme SDG Watch. Il s'agit d'une coalition d'ONG qui a vocation à scruter les avancées de l'Europe sur ces sujets. Pour le moment, il n'existe pas d'équivalent en France mais des progrès sont en cours.

Les ONG ont aussi pour rôle de tenir le secteur privé responsable de ses engagements. Nos entretiens sur le sujet révèlent qu'un lien reste à créer entre les entreprises et les ONG qui ne leur font pour le moment pas confiance. Les ONG partent du principe que les engagements des entreprises sont volontaires, qu'il n'existe pas de système à même d'en évaluer la portée et qu'elles ne sont pas réellement tenues par ces engagements.

Le troisième rôle des ONG est de mettre directement en oeuvre les ODD au travers de leurs activités propres. Les ONG prétendent déjà le faire puisqu'il s'agit souvent de leur raison d'être, mais il existe des domaines susceptibles de progrès. C'est le cas dans la coopération entre ONG de secteurs différents afin de dépasser l'organisation en silos. Le dernier rôle des ONG est enfin de communiquer sur les ODD car nous savons que la prise en compte des ODD est subordonnée à une demande sociétale et politique.

Mme Bettina Laville, présidente du Comité 21. - J'ai eu la chance de créer le Comité 21 avec la regrettée Madame Veil. Nous présidions à l'époque deux associations que je lui ai proposé de réunir. Le Comité 21 a, à ce titre, porté les agendas du développement durable, dans le prolongement de la Conférence de Rio de 1992, dans les territoires, auprès d'autres ONG et dans les entreprises. Cette introduction me permet de montrer l'importance des ODD par rapport au passé. 2015 a marqué la réconciliation entre le développement et l'environnement qui avaient été séparés par la conférence de Johannesburg en 2002 et les OMD. Après la jonction de ces deux sujets réalisée en 1992, cette scission a néanmoins été utile puisqu'elle a permis d'entrainer les entreprises vers le développement durable dans la décennie post-Johannesburg, mais les objectifs de développement s'en sont trouvé dissociés des agendas du développement durable. C'est, de mon point de vue, la source de l'échec de la conférence de Copenhague, qui a marqué une divergence de priorités entre les pays en développement et les autres au sujet des enjeux climatiques. Malgré le succès final, les tensions sont restées extrêmement fortes à la conférence de Paris. En réunissant à nouveau ces deux aspects, les ODD vont dans la bonne direction.

Les ODD représentent également un chemin, de 2015 à 2030, qu'une étude sur la biodiversité citée par le Monde du 11 juillet décrit comme une période cruciale. On peut être tenté de voir les ODD comme une création technocratique, un « machin onusien », mais ce n'est pas le cas. La présentation de ces objectifs n'est pas forcément simple à percevoir pour le grand public mais il s'agit d'une des dernières tentatives de ce siècle pour créer un chemin commun à tous les pays du monde, qui réconcilie prospérité humaine et biosphère. Il s'agit d'un point capital qui est parfois difficile à faire comprendre du fait de l'expression complexe de ces enjeux. Ces objectifs ne sont pas à considérer un par un mais sous la forme d'un tissage qui les reprend tous et qui permet de rendre réalisable le but final. Ce travail de communication est important. C'est la raison pour laquelle le Comité 21 a engagé un tour de France des ODD afin d'aider les parties prenantes et les collectivités à intégrer et à approprier ce travail. Nous savons tous qu'il existe beaucoup de schémas et de plans à l'échelle des territoires qu'il faut réussir à lier entre eux. Il est donc intéressant de pouvoir dire aux acteurs locaux que les ODD représentent un lien avec le reste du monde qui va bien au-delà de la planification territoriale. Ils réconcilient la nécessaire proximité des élus locaux avec une vision globale du monde.

À travers leurs différents buts, les ODD ont un lien avec la science. Le président de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) est d'ailleurs membre de la commission scientifique. Il est tout à fait important de lier les ODD avec les progrès de la science, en matière climatique ou de biodiversité notamment.

Je regrette une grande lacune européenne sur le sujet. L'Europe est, dans son contexte actuel, un terrain intéressant pour recréer du lien alors que sa prise en charge des ODD est aujourd'hui très insuffisante. Malgré son engagement dans les politiques climatiques, l'actuel président de la commission n'est pas un grand défenseur de la cause du développement durable. Un mouvement va d'ailleurs émerger en septembre en faveur d'un sixième scénario pour le renouveau de l'Europe qui intègrera la notion de développement durable alors que les cinq scenarii actuels ne le font pas. Il s'agit d'une lacune importante puisque l'Europe a été pionnière en la matière.

Nous avons tenté d'établir une photographie de l'appropriation du développement durable dans les différentes composantes de la société civile française. Les rapports issus de cette démarche sont sur le site internet du Comité 21. Ils révèlent quatre tendances principales. La première est que, sauf cas particuliers, il existe une grande méconnaissance des ODD. Le travail de citoyenneté pour faire connaitre et rendre vivants ces objectifs est donc considérable pour qu'ils ne soient pas relégués au rang d'objets technocratiques.

Le deuxième constat est qu'il existe une grande envie. Lorsqu'on décline les ODD, le public montre un intérêt significatif, notamment dans les domaines de la justice et des inégalités. Notre pays compte un certain nombre de plans touchant à l'économie ou au climat mais très peu sur ces sujets-là. S'approprier les ODD est une opportunité puisqu'ils ne concernent pas seulement les pays en voie de développement. Ce point est important lors des négociations internationales où, grâce à la portée universelle des ODD, ces pays peuvent constater qu'ils ne sont pas les seuls à devoir faire des progrès.

Notre troisième observation est que les ODD créent du lien. Ils sont, en effet, tellement imbriqués les uns avec les autres que les différentes entités en charge ont l'obligation de travailler ensemble. Ce constat est repris par l'ODD 17, sorte d'ODD de couronnement final, dont l'objet est de créer des partenariats. Cet ODD concerne directement le Comité 21 qui a la chance de rassembler l'ensemble des parties prenantes, qu'il s'agisse des collectivités territoriales, des entreprises, des organismes de recherche et des ONG. Il est donc possible d'établir des solidarités tout à fait importantes.

La quatrième remarque issue de cette photographie des appropriations concerne le désir de suivi. L'ensemble des personnes qui prennent conscience de l'importance des ODD souhaitent pouvoir en constater les progrès. Les ODD donnent, à ce titre, une nouvelle vision de la notion de progrès. Il s'agit d'un progrès par étapes qui n'est pas sans rappeler l'esprit du XVIIIème siècle et de l'encyclopédie. Les sujets sont pris un par un et on essaie de les faire progresser.

Les ODD sont donc un instrument de progrès mondial et un véritable instrument de paix. La paix est d'ailleurs un ODD en soi. Si l'ONU a parfois du mal à créer de la paix, elle dispose maintenant d'un nouveau vecteur pour y parvenir.

Mme Hélène Valade, directrice du développement durable de la société Suez. À titre liminaire, je rappelle que j'ai fondé le Collège des directeurs du développement durable et que j'en suis actuellement vice-présidente. Je souhaite ici faire trois remarques.

La première concerne le manque de notoriété des ODD. Je suis frappée que nous tombions tous dans l'écueil d'utiliser systématiquement cet acronyme. Car l'acronyme devient « autoporteur » et fait oublier le contenu même de la notion. J'essaie, pour ma part, de dire de quoi il s'agit réellement à chaque fois que j'en ai l'opportunité au travers d'un discours ou d'un écrit. C'est d'autant plus important que les objectifs de développement durable portent un véritable projet de société. Chacun des thèmes traités renvoie à des préoccupations fortes pour l'opinion publique.

Ma deuxième remarque concerne le rôle des entreprises. Depuis quelques années, leur capacité à s'interroger sur leur rôle dans la société et leur capacité à contribuer au bien commun fait bouger la définition classique de l'entreprise. L'entreprise est, certes, l'acteur d'un marché, mais elle fait en même temps partie intégrante de la société. Elle a sur elle un impact positif ou négatif et doit l'assumer. Ce nouveau rôle des entreprises s'est, depuis une dizaine d'années, traduit par des politiques de développement durable. Il est vrai que certaines n'ont pas échappé au greenwashing. D'autres sont néanmoins notables et robustes. Elles s'appuient notamment sur des projets aux objectifs précis, fixés à des échéances données. Les objectifs de développement durables procèdent de la même logique car ils renforcent la prise en compte de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale de l'entreprise.

Cette question en amène une autre. Elle consiste à savoir si le droit qui s'applique à ce sujet est du droit « mou » ou du droit « dur » car cet aspect influence les relations entre les différents acteurs. Il serait judicieux de penser une refondation des relations entre les entreprises et l'État, où le rôle de ce dernier serait plus porté vers l'accompagnement. Cette refondation pourrait, à terme, conduire à l'inscription dans la loi de la contribution des entreprises à l'intérêt général comme élément à part entière de leur définition. L'État doit, pour cela, faciliter l'expérimentation et accepter de revoir un certain nombre de règles afin de permettre ce nouveau projet de société. Cela est d'autant plus nécessaire que les ODD exigent des résultats d'ici 2030.

Enfin, les ODD confortent les politiques de développement durable mises en place par un certain nombre d'entreprises au cours de ces dernières années. Suez a, par exemple, pris des engagements assez concrets et forts au moment de la COP 21 afin que nous réduisions nos propres émissions de gaz à effet de serre ainsi que celles de nos clients. La COP 21 a d'ailleurs été une catalyse entre les entreprises et les acteurs institutionnels. Ces institutions se sont rendu compte qu'il y avait des directions à donner, que les entreprises avaient des solutions et qu'il fallait les faire parler. Cela m'a personnellement confortée dans la proposition de ces engagements, notamment sur le climat ou sur l'eau, y compris en France. Car des progrès sont encore nécessaires en matière de droit à l'eau ou de précarité hydrique puisque certaines personnes ont du mal à payer leurs factures.

Les ODD ont également permis de lier d'autres sujets à l'actualité et aux actions de l'entreprise. En ce qui concerne Suez, je pense spécifiquement à l'ODD sur les océans. Je dois avouer que l'on s'en occupait peu alors que l'océan est sans doute la nouvelle frontière du XXIème siècle. Il est aussi le réceptacle d'innovations en matière de transports, d'alimentation ou de santé. Il existe en réalité un large champ de possibilités pour qu'une entreprise comme Suez contribue à ce que l'on évite de polluer les océans. La prise en compte de ces possibilités est en grande partie le fruit des agendas 2030. La nouvelle feuille de route de Suez en matière de développement durable pour la période 2017-2021 est composée de 17 engagements correspondant au même nombre d'objectifs de développement durables. Cette feuille de route comprend un bloc nommé « contribution au bien commun ». Le but est de savoir en quoi une entreprise comme la nôtre peut dépasser ses propres intérêts pour contribuer à l'intérêt général.

Mme Évelyne Didier. - La conception et l'adoption des ODD au niveau de l'ONU représente un grand pas car ils remettent l'Homme au centre des débats. Il convient de le répéter car aucune entité n'a d'autre justification que le bien de l'humanité, qu'il s'agisse d'un État, d'une collectivité, d'une entreprise ou d'une ONG. Même une entreprise repliée sur elle-même et sur ses bénéfices a besoin de la société. C'est le cas sur de nombreux aspects, comme la formation professionnelle ou l'accès aux infrastructures routières, par exemple.

Avoir écrit ce principe au sein des ODD est déjà une grande force. Reste maintenant la mise en oeuvre et de nombreux acteurs sont pour cela en route.

En tant que sénateurs, mes collègues est moi-même sommes avant tout des généralistes. Je pense à ce titre que les acronymes fréquemment utilisés devraient être traduits en langage commun afin d'être compris de toute personne. On ne peut pas généraliser une réflexion et la faire partager à tous, y compris par l'intermédiaire des médias, si le langage que nous utilisons n'est pas compris de tous. Les documents d'urbanisme sont un bon exemple de cette nécessité. Les réunions organisées dans le cadre de leur élaboration n'attirent pas forcément les foules. Je souhaite réellement que cette remarque soit prise en compte. Du rapportage - mot français - est certes organisé. Mais à quoi bon rapporter sur la popularisation et l'atteinte d'objectifs tant que l'on n'aura pas fait l'effort d'aller jusqu'au citoyen en rendant notre démarche lisible ?

Mme Annick Billon. - Je partage la remarque sur le caractère technocratique des abréviations. Nous avons bien compris l'intérêt des ODD qui concerne l'ensemble des acteurs, tels que la société civile, les ONG, les entreprises ou les associations, tous associés à cette réflexion et cette avancée. Si tout le monde partage le même objectif de long terme, je ne pense pas que cela soit le cas à court terme. C'est notamment le cas des collectivités territoriales contraintes par des restrictions budgétaires.

Je me pose également la question de savoir qui pilote les ODD et quels sont les moyens financiers dégagés pour les atteindre. Ces moyens ne doivent pas constituer une charge supplémentaire pour les entreprises. Au sein d'un système économique européen et international les ODD devraient constituer un avantage pour nos entreprises et non un poids supplémentaire faussant la concurrence à leurs dépens.

M. Alain Fouché. - Ma question s'adresse à Madame Laville. Je souhaiterais que vous nous donniez plus de détails sur la difficile implication de l'Europe que vous évoquiez. Comment faire ? Quelles mesures prendre pour remédier à cette situation ?

M. Didier Mandelli. - Je souhaite rappeler l'existence du Plan environnement des collectivités. Il s'agit d'un outil au profit des collectivités territoriales mis en place par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) il y a une quinzaine d'année et qui représentait une alternative à l'agenda 21, parfois un peu lourd à mettre en place. Pour l'avoir personnellement expérimenté dans ma commune, je constate que ce type d'outil est utile et permet aux collectivités de s'engager dans ces démarches. Le volet information et sensibilisation des citoyens de ce plan était intéressant. En matière d'ODD, je pense donc qu'il pourrait être bénéfique de s'inspirer de ce type d'outils qui a fait ses preuves, quitte à l'adapter ou l'actualiser.

Madame Vaillé, vous évoquiez l'analyse faite sur le rôle du Parlement dans un certain nombre de pays. L'avez-vous faite pour la France ? Existe-t-il des préconisations ou des souhaits, notamment du ministère, pour que le Parlement prenne une place plus active ?

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Je rejoins le constat de Madame Didier. Même nos services connaissent un certain vertige. Mes expériences de professeur de sciences de l'information et de la communication spécialiste des nouvelles technologies et de vice-présidente de la Commission nationale du débat public me donnent une certaine connaissance des problématiques d'appropriation des sujets quels qu'ils soient. Nous sommes conscients du temps et des efforts qui seront nécessaires pour parvenir à une bonne appropriation des ODD, ainsi que du soutien dont nous aurons besoin. La tâche m'a d'ailleurs semblé particulièrement difficile lorsqu'elle m'a été confiée en tant que déléguée interministérielle. Déployer une campagne de communication est nécessaire mais ne suffira pas. Il faudra des trésors d'argumentation et de conviction pour que tout le monde se sente concerné et se mobilise. Il convient également de bien sensibiliser les fonctionnaires. Il faudrait peut-être également embaucher des « youtubeurs » pour faire du buzz et mobiliser les jeunes ! Le défi est grand, toutes les bonnes idées sont les bienvenues et nous ne ménageons pas nos efforts !

Le 6 juillet dernier, le Parlement européen a adopté un rapport invitant la Commission européenne à se saisir de la question des ODD et de l'agenda 2030. Le commissaire Karmenu Vella, en charge de l'environnement, m'a indiqué que ce sujet faisait polémique au sein de la Commission pour de nombreuses raisons, dont la forte réticence de certains pays de l'Union. Je me déplace fréquemment auprès des institutions de l'Union européenne pour essayer de faire pression pour une meilleure prise en compte.

La question du pilotage de la mise en oeuvre des ODD ne pose plus de problème depuis le comité interministériel qui l'a confié au Premier Ministre par mon intermédiaire. Nous souhaitons maintenant que le nouveau Premier Ministre reprenne le flambeau en montrant son intérêt. Nous y travaillons.

Je vous conseille d'interroger Bercy pour la question des moyens alloués aux ODD. Il s'agit d'une question très complexe qui s'exprime en termes de réallocation et d'optimisation de moyens. Car nous savons pertinemment que nous ne disposerons pas de nouveaux moyens et qu'il faudra composer avec des réallocations. À l'échelle du Commissariat général au développement durable, j'ai dû réallouer des moyens de personnels pour répondre à ce sujet, en prenant le risque de ne pas pouvoir les utiliser pour d'autres travaux. D'autres pays ont, à l'inverse, dédié des enveloppes bien précises. Les cas de la Finlande et de l'Estonie sont notables puisque ces deux pays ont engagé des réallocations de moyens via des plans d'investissement et la mobilisation du milieu scientifique. Nous pourrions donc nous en inspirer.

Mme Laura Brimont. - Les réunions annuelles du Forum politique de haut niveau représentent une opportunité de faire un point sur l'avancée des agendas 2030. La mesure de ces avancés se fait de différentes manières. Il peut s'agir de se pencher sur certains ODD, notamment ceux cités par madame Monnoyer-Smith. Cela peut également prendre la forme de contributions volontaires des États. L'an dernier des rapports ont pour la première fois été remis par 22 pays dont le nôtre. Nous avons donc analysé ces rapports sous l'angle de la place donnée aux Parlements nationaux. Nous avons pu constater que certains États n'en parlaient pas ou peu. Nous avons également constaté que certains Parlements étaient plus impliqués, notamment par l'intermédiaire de commissions en charge des ODD. Un des cas les plus symboliques est celui de l'implication des ODD dans le processus budgétaire qui a déjà été évoqué. Nous notons que c'est une bonne pratique.

La France n'est pas dotée de telles pratiques mais en possède certaines relativement proches introduites par la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, dite « loi Sas ». Cette loi oblige annuellement le Gouvernement à présenter au Parlement l'évolution de 10 indicateurs en lien avec le développement durable. La question qui se pose maintenant est de savoir comment articuler ces indicateurs très tôt mis en place par la France avec les ODD.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie d'avoir présenté ces éléments qui nous montrent que tout n'est pas une question de budget, mais également de réflexes et de bonnes pratiques. J'avoue que l'on n'est pas forcément très mobilisé par les indicateurs qui sont censés être suivis de près par le Parlement, par manque de transmission des données en question.

Mme Bettina Laville. - Je confirme qu'un large débat existe au niveau de la Commission européenne, à tel point que le Parlement européen vient de l'enjoindre, la semaine dernière, de faire avancer les ODD. Les choses sont donc amenées à bouger, même si ce n'est pas le cas pour le moment. Il est certain que des États peuvent être réticents mais je pense que cet immobilisme vient d'un manque d'impulsion au plus haut niveau. C'est la raison de notre proposition de sixième scénario. Je vous le transmettrai, monsieur le président, dès qu'il sera prêt car le Parlement français peut également s'emparer de cette proposition.

En tant que membre du Conseil d'État, je précise que celui-ci a examiné hier le projet d'ordonnance sur la transposition de la directive « RSE ». Il est un peu surréaliste de voir que tous ces documents sur la RSE ne prononcent jamais le terme d'ODD. La France s'est néanmoins soumise, en partie volontairement, à des obligations qui s'imposent à elle en la matière. Nous allons donc publier à l'horizon 2018 un document de concordance entre l'ensemble des documents territoriaux, des documents traitant de RSE et RSO et les ODD. Il ne faudrait pas que les entreprises ou les collectivités présentent des plans au service des ODD sans même le savoir, ce qu'elles font déjà en grande partie !

Le rôle du Parlement consiste, à mon sens, à veiller à une forme de logique générale dans les dispositifs pour assurer une meilleure lisibilité de ces documents de progrès auprès du citoyen.

Mme Hélène Valade. - J'insiste sur l'objectif de développement durable 17 qui incite à la transversalité entre les thèmes mais aussi entre les acteurs. Cette capacité à travailler ensemble est capitale, notamment pour les entreprises entre-elles. J'attire l'attention sur la mise en oeuvre de boucles d'économie circulaire locales utiles aux objectifs d'emploi, de lutte contre le réchauffement climatique et de baisse contre les émissions de gaz à effet de serre. C'est un outil puissant que vous pourriez encourager.

Même si elle est corsetée par une réglementation parfois très spécifique, la commande publique reste aussi un levier extraordinaire. Des avancées pragmatiques pourraient être envisagées en liant l'attribution de commandes au respect de certains ODD.

Mme Laurence Monnoyer-Smith. - Je souhaite revenir sur la question des attentes que nous avons dans le rôle du Parlement et du Sénat en particulier.

Je rappelle que le Comité interministériel sur la coopération internationale de novembre dernier enjoint le Gouvernement de produire un rapport au Parlement. Nous devrons donc revenir vers vous.

Nous devons penser à inviter régulièrement les membres du Parlement à nos ateliers et rendez-vous et vous inscrire à notre courriel mensuel d'information qui diffuse à l'ensemble des inscrits des informations relatives aux ODD. Il s'agit d'une lettre coopérative par l'intermédiaire de laquelle nous diffusons l'information que les différents acteurs nous font parvenir. Nous reconnaissons ne pas vous avoir suffisamment impliqués jusque-là et allons y remédier.

Nous devons hiérarchiser les cibles des ODD car il n'est pas possible de toutes les atteindre simultanément. Cette démarche passe par une revue des politiques publiques engagée par les services d'inspection qui a démarré chez nous ainsi que dans les ministères sociaux. Elle permettra d'élargir l'état des lieux de l'IDDRI à l'ensemble des ministères. Cette revue pourrait faire l'objet d'une incitation du Sénat, notamment si vous instituez une commission ad hoc. Cette commission pourrait également se positionner sur des priorités à donner ou des manques à combler. Notre rapport d'étape de mise en oeuvre en dénombre d'ailleurs certains, notamment en ce qui concerne l'ODD n° 5 relatif à l'égalité entre les hommes et les femmes. Si nous ne cachons pas les points de satisfaction, des marges de progrès importantes demeurent.

M. Jérôme Bignon. - Merci mesdames pour ces contributions. Notre idée est d'établir des relations dans la durée et de vous revoir l'année prochaine afin d'inscrire le suivi des ODD dans une perspective de long terme, vers 2030. Nous devons montrer que nous nous sommes engagés à suivre ces politiques dans la transversalité au Sénat, voire en lien avec l'Assemblée nationale.

Le Sénat dispose de plusieurs moyens pour développer cette transversalité. Il peut s'agir de réunions d'information mais également de la mise à profit de la période budgétaire. Toute les commissions sont alors saisies, au moins pour avis, et les budgets présentés pourraient être examinés à l'aune des ODD. Cette démarche aurait l'avantage de ne pas coûter cher, tout comme le mail que vous proposez de nous envoyer. Nous serons ravis de le lire pour rester en lien avec le sujet.

Outre les commissions, les délégations du Sénat peuvent aussi être intéressées par les ODD. Ce pourrait notamment être le cas de la délégation aux droits des femmes, la délégation aux entreprises ou celle aux collectivités territoriales. Nous avons des relations privilégiées avec les territoires et nous pourrions organiser des rencontres sur le sujet avec l'Association des maires de France, l'Association des départements de France, les Régions de France ou encore des collectivités du littoral. Par ces rencontres nous pouvons faire avancer le débat efficacement et à moindre frais.

M. Hervé Maurey, président. - Merci Jérôme Bignon. Merci mesdames de nous avoir sensibilisés sur ce sujet et sur la nécessité de nous en emparer et de jouer notre rôle d'aiguillon pour le Gouvernement. Le message est bien enregistré.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 45

La réunion est ouverte à 16 h 40.

Audition de M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, accompagné de son secrétaire d'État, M. Sébastien Lecornu.

Monsieur le ministre d'État, ce n'est pas la première fois que vous vous exprimez devant notre commission, car vous étiez déjà venu dans le cadre de vos précédentes fonctions, mais c'est la première fois que vous êtes auditionné par le Parlement en tant que ministre et nous sommes très honorés que cette première ait lieu au Sénat. Je suis aussi particulièrement heureux d'accueillir votre secrétaire d'État, Sébastien Lecornu, que je connais depuis très longtemps, puisque nous sommes élus du même département.

Vous venez nous voir à un moment où l'actualité est très riche. La semaine dernière, la réunion du G20 a montré combien il est difficile d'élaborer une déclaration commune sur le climat. On peut en revanche se réjouir que, malgré la décision des États-Unis de sortir de l'accord de Paris, l'ensemble des pays membres aient considéré que la lutte contre le réchauffement climatique était un processus « irréversible ». À la suite de ce G20, le Président de la République a annoncé la convocation d'une conférence internationale sur le climat le 12 décembre à Paris. Vous pourrez nous indiquer comment cette conférence s'articulera avec la COP23, qui se tiendra quelques semaines auparavant à Bonn.

Sur le plan national, l'écologie a été présente dans le discours du Président de la République devant le Congrès, dans le discours de politique générale du Premier ministre. La semaine dernière, vous avez également présenté un ambitieux plan Climat qui comprend 23 axes organisés autour de six grandes priorités. Vous avez également annoncé ce lundi la fermeture de 17 réacteurs nucléaires, ce qui suscite de nombreuses interrogations.

Enfin, les premières critiques à l'encontre de votre action ont été formulées au sujet de la position adoptée par la France dans le cadre des discussions européennes sur les perturbateurs endocriniens, certains vous reprochant de ne pas avoir été suffisamment ferme face aux Allemands.

Votre plan Climat est très vaste, car il englobe un peu tous les aspects - énergie, agriculture, mobilité, logement -, mais il apparaît encore imprécis aux yeux des observateurs, puisqu'il fixe un certain nombre d'objectifs assez larges, comme la suppression des véhicules thermiques à l'horizon 2040. Vous nous expliquerez comment vous pensez atteindre ces objectifs.

Nous nous interrogeons aussi sur le rôle particulier des territoires dans votre plan. Vous avez indiqué que l'État contractualiserait avec eux sur la rénovation des bâtiments, les circuits courts, la mobilité et qu'ils bénéficieraient de moyens pour faire face à ces enjeux. Nous espérons que vous pourrez nous donner des précisions, notamment sur l'affectation d'une part de la contribution climat-énergie aux collectivités locales.

Vous avez déclaré que ce plan serait un « exercice innovant » et avancé l'idée d'un panel de citoyens et de consommateurs intervenant dans sa mise en oeuvre : j'imagine que vous nous préciserez sa composition et son rôle. La présence des élus territoriaux intéresse au plus haut point notre assemblée. Nous aimerions savoir comment vous comptez les associer à la mise en oeuvre de ce plan, en vous appuyant sur l'expérience réelle de certains d'entre eux et en diffusant les bonnes pratiques territoriales auprès d'autres qui ont besoin d'être sensibilisés.

Au-delà de la présentation de ce plan Climat, je formulerai deux demandes. La première concerne votre programme législatif. Vous avez annoncé un projet de loi sur l'interdiction des permis d'exploration d'hydrocarbures et un autre sur les mobilités : sont-ils confirmés et à quelle échéance ? La seconde porte sur l'association des parlementaires, notamment des sénateurs, à la réflexion et à l'action que vous menez. Un certain nombre d'états généraux et d'assises sont annoncés, par exemple sur la mobilité, l'alimentation ou les perturbateurs endocriniens. Il est dans l'intérêt de tous que la concertation puisse être menée le plus possible en amont. Je rappelle que, sur la COP21, l'ensemble des commissions et délégations du Sénat avait travaillé, permettant au Sénat d'adopter à l'unanimité une résolution : contrairement aux préjugés, le Sénat n'est pas une assemblée rétrograde qui ne s'intéresserait pas au développement durable ni à l'écologie.

M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. - Merci de votre accueil, monsieur le président. Sur un sujet aussi complexe, qui impose une refonte profonde de notre société, de nos modes de consommation et de production, de notre modèle énergétique, j'ai toujours dit qu'il n'y aurait pas d'homme - ou de femme - providentiel à la tête de ce ministère. Quelles que soient les qualités de la feuille de route que nous avons commencé à élaborer, j'ai cruellement conscience du fait que, si nous ne la construisions pas ensemble, ici et ailleurs, l'issue serait connue à l'avance.

Par définition, les sujets que nous traitons ne devraient pas être clivants, puisqu'ils sont universels : nous gagnerons ensemble ou nous perdrons tous ensemble. Je ne voudrais pas vous donner l'impression que, parce que j'ai accédé à ces responsabilités que je n'ai pas forcément vues venir, nous allons entrer dans cette transition de manière fluide. J'ai conscience que combiner le court terme et le long terme est un exercice nouveau pour nos démocraties : suivant que l'on privilégie l'un ou l'autre, les mêmes décisions ne s'imposent pas et la combinaison des deux est un exercice complexe, d'autant plus complexe que le court terme s'impose en permanence, est très concret, s'exprime dans les souffrances, le désarroi, alors que le long terme est parfois plus abstrait et n'apparaît pas spontanément comme une priorité à nos concitoyens. De la réussite de ces politiques dépendent pourtant les conditions d'existence de nos propres enfants. Ces sujets sont techniques et parfois conflictuels, parce que les grilles de lecture ne sont pas les mêmes, quelle que soit la sincérité de chaque partie. Il nous incombe donc de réaliser cette combinaison délicate.

Au-delà des urgences auxquelles il faut réagir, sans que cela vaille orientation stratégique, ma priorité est de définir ensemble un horizon et les modalités pour l'atteindre. Sur trois ou quatre grands domaines, il faut engager des dynamiques, fixer des trajectoires, créer des conditions d'irréversibilité, en respectant la prévisibilité et la cohérence sans lesquelles il n'est pas d'acceptabilité économique et sociale.

Par exemple, si l'on résume l'équation climatique, il faut renoncer à exploiter les trois quarts des réserves d'énergies fossiles facilement accessibles. Ce constat a de quoi nous tétaniser, parce que, pendant 150 ans, ces énergies fossiles ont permis à une partie de l'humanité de se développer : brutalement, la solution devient le problème. Continuer à chercher de nouveaux gisements d'énergie fossile est-il cohérent avec l'injonction que la conférence de Paris nous a adressée ? Il va évidemment falloir sortir des vieux schémas et arrêter la prospection de nouvelles ressources, puisque délivrer un permis de recherche revient à accorder un droit de suite.

Peu importe la vitesse avec laquelle le changement se met en marche, si l'on crée les bonnes conditions, les évolutions seront beaucoup plus rapides que l'on ne l'imagine. Des objectifs ambitieux peuvent être atteints avant l'échéance fixée : la Chine avait adopté des objectifs pour 2020 dans le domaine des énergies renouvelables, elle les a déjà largement dépassés - je vous accorde que la planification n'y a pas la même importance qu'ici. Je souhaite donc entraîner les acteurs économiques, territoriaux dans cette trajectoire.

Quelques priorités sont claires, même si les plans d'action n'ont pas tous pu être établis en deux mois ; l'ordre dans lequel je les cite n'est pas hiérarchique, car elles interfèrent les unes avec les autres.

Première priorité, la transition énergétique. Elle nous impose de nous projeter dans un nouveau modèle, avec quelques incertitudes, concernant notamment le stockage des énergies intermittentes - je ne doute pas que des ruptures technologiques se produiront, mais il faut être prudent. Pour aller vite et loin, il faut s'engager dans cet itinéraire, créer les conditions de la cohérence, s'assurer que la contrainte est bien prise en compte par les acteurs et nous ferons la démonstration que notre pays, comme d'autres, pourra tendre vers l'autonomie, grâce à l'efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables.

Pour répondre à votre question sur le nucléaire, monsieur le président, je vous avouerai que mon approche est très neutre : le nucléaire existe et il aura au moins la vertu de nous permettre une transition sécurisée sur l'approvisionnement, à condition de ne pas planifier les choses au dernier moment. Une loi de transition a été votée, mais certains semblent découvrir aujourd'hui ce qu'elle implique : pour tenir l'objectif de 50 % de nucléaire dans la production d'électricité à partir de 2050, dans la mesure où la consommation a déjà commencé à baisser et que le bouquet énergétique va se diversifier, personne ne comprendrait que le parc nucléaire reste en l'état.

Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, nous allons donc définir une trajectoire et établir une planification, parce qu'une centrale, ce sont aussi des hommes, des femmes, des familles, des compétences : une action brutale serait vouée à l'échec. Je vous demande donc de travailler ensemble à ces scénarios. Nous avons besoin de connaître, cas par cas, la rentabilité économique de chaque réacteur, la situation sociale et professionnelle de chaque centrale, les conditions de sécurité, les conséquences pour les territoires. J'ai la naïveté de croire que nous pouvons le faire intelligemment, avec une forme de sensibilité qui n'empêche pas l'exigence.

Sans aucune provocation de ma part, il me semble qu'annoncer la fermeture de Fessenheim n'était pas de bonne méthode, parce que le procédé était brutal. Évidemment, s'il y a des impératifs de sécurité, il ne faut pas avoir d'états d'âme, mais je voudrais que nous abandonnions les symboles pour adopter une stratégie et définir des modalités, pour agir de manière intelligente et programmée en appréhendant l'ensemble des paramètres et en respectant l'esprit de la loi. Plus nous reculerons les échéances, moins nous aurons de choix, moins nous serons capables de respecter notre feuille de route.

La transformation du modèle énergétique est lourde, mais j'espère faire avec vous la démonstration qu'elle n'est pas seulement une contrainte. Nos entreprises, petites ou grandes, disposent d'un savoir-faire, de beaucoup d'inventivité, et je pense que nous pourrons démontrer que cette contrainte peut avoir des aspects positifs. J'ai souhaité que l'adjectif « solidaire » apparaisse dans l'intitulé de mon ministère, afin que nous pensions à l'acceptabilité sociale des mesures que nous allons prendre.

Je vais essayer d'entraîner beaucoup de mes collègues ministres dans mon sillage, ce qui ne sera pas difficile, parce que le Président de la République et le Premier ministre ont donné des directives en ce sens. En outre, je pense que nous avons atteint une maturité qui fait que le développement durable n'est plus sous-traité, même si je ne suis pas certain que tout le monde ait compris ce que les objectifs fixés et la complexité des enjeux nous imposent en termes de changement. Tout le monde est pour l'écologie et le développement durable, mais dès qu'il s'agit de traduire cette adhésion en termes de choix, les attitudes sont plus réservées parce qu'il faut remettre en cause des fondamentaux. C'est normal, puisque nous sommes à l'aube d'une transformation culturelle, sociétale. Le XXIe siècle doit être le moment d'un bilan : il faut dédier notre intelligence, notre économie, notre technologie au progrès.

Deuxième priorité : la santé et l'environnement. Avec Agnès Buzyn et Frédérique Vidal, nous allons bâtir une méthode. On a longtemps attendu d'aborder cette question, parce que les relations de cause à effet entre l'utilisation de certaines substances et l'apparition de pathologies n'apparaissent pas immédiatement. Nous disposons de très peu d'études épidémiologiques. Celles-ci sont longues et complexes à réaliser, parce qu'il faut prendre en compte les phénomènes de bioaccumulation et les interactions entre différentes substances. Chacun a conscience que nous devons disposer d'études fiables pour avancer. Nous recevrons différents interlocuteurs - lanceurs d'alerte, ONG, scientifiques, etc. - pour essayer de bâtir ensemble une stratégie. L'enjeu est aussi économique : le XXe siècle a été le siècle de l'hygiène bactériologique, j'espère que le XXIe siècle sera celui de l'hygiène chimique.

Je souhaite que nous adoptions une attitude rationnelle et déterminée, y compris sur la pollution de l'air. Nos connaissances sont maintenant suffisantes pour que notre responsabilité soit engagée si nous repoussons encore le traitement de ce problème. Il faut envisager ce que nous pouvons faire seuls, en France, et ce que nous pouvons faire avec l'Europe : parfois l'Europe nous entraîne, parfois elle nous freine.

Sur ce dernier point, les perturbateurs endocriniens sont un cas d'école. Je viens d'être nommé ministre lorsque j'apprends qu'un texte doit être adopté par la Commission européenne le lendemain. Je demande au commissaire le report du vote. Je me concerte avec nos amis allemands qui veulent exclure de la définition des perturbateurs endocriniens un certain nombre de substances précisément fabriquées pour leur rôle perturbateur, notamment dans le domaine de l'agriculture. Je n'obtiens rien des Allemands, mais j'obtiens de la Commission l'intégration dans le champ d'évaluation d'autres domaines que le domaine agricole - les jouets, les cosmétiques, etc. -, une enveloppe de 50 millions d'euros pour la recherche et l'accélération de la phase d'évaluation pour les substances dont le rôle perturbateur n'est pas avéré, mais soupçonné. J'obtiens du Gouvernement français que l'on confie à nos agences un travail d'évaluation de la dangerosité des substances dont le rôle perturbateur n'est pas avéré. Surtout, et c'est la raison essentielle qui a motivé ma décision, on m'explique qu'un nouveau report permettrait de laisser en circulation des substances dont la dangerosité est avérée, au nombre desquelles un composant du fameux « agent orange » utilisé pendant la guerre du Vietnam. Comme beaucoup, j'estime que ce texte est largement insuffisant parce qu'il laisse sur le marché encore trop de substances, mais j'ai pris malgré tout la décision de le faire voter par la France compte tenu de ce que je viens de vous expliquer. Évidemment, ceux qui trouvent ce texte insuffisant ont raison, mais il faut avancer pas à pas.

Troisième priorité : l'agriculture et l'alimentation. Bien qu'il ne s'agisse pas de mon domaine de compétence ministérielle, le sujet est important du point de vue du climat, car, selon les modes de production, l'agriculture peut être le problème ou la solution. La problématique santé-environnement est également essentielle en ce qui concerne les agriculteurs. Il existe une demande des consommateurs pour une nouvelle offre alimentaire, demande que nous ne couvrons pas : certaines coopératives bio ont une croissance de 33 %, mais 90 % des produits sont importés. L'objectif de souveraineté alimentaire de la France n'est pas non plus à négliger : il est aberrant qu'une grande partie de nos protéines végétales proviennent du Brésil, au détriment de la forêt amazonienne, ce qui est contradictoire avec la lutte contre le réchauffement. N'oublions pas non plus la détresse économique et psychologique de nos agriculteurs confrontés à la défiance des consommateurs ou du monde urbain. J'ai également à coeur de protéger la santé des agriculteurs contre l'utilisation abusive d'intrants : je connais suffisamment d'agriculteurs victimes de pathologies lourdes qui sont abandonnés par ceux qui sont censés les soutenir. Les états généraux de l'alimentation, au sujet desquels M. Travert et moi-même nous sommes concertés, devraient être un moment d'intelligence collective.

Quatrième priorité : mon ministère ne doit pas oublier qu'il est aussi le ministère du vivant, de la biodiversité, des océans. Compte tenu de la gravité de la situation internationale - je fais référence au dernier rapport sur la rapidité de l'érosion de la biodiversité -, si la France veut être entendue, il faut qu'elle commence à s'occuper de sa propre biodiversité, notamment dans ses territoires ultramarins.

J'aimerais réconcilier l'économique, l'écologique et le social, c'est-à-dire faire entrer l'écologie et le développement durable dans la modernité. Ce sera plus facile à l'avenir, parce que les acteurs existent : territoires, petites, moyennes et grandes entreprises. Il faut juste comprendre pourquoi la créativité qui germe chez nous, avec l'aide du programme d'investissements d'avenir (PIA) ou de la BPI, va fructifier ailleurs, au Colorado ou en Espagne. Avec Sébastien Lecornu, nous allons prendre ce problème à bras le corps, parce que nous sommes convaincus que notre pays dispose de trésors de créativité, mais les projets se heurtent à des obstacles dans la phase industrielle : par exemple, créer une ferme d'énergie thermique marine prend un temps fou.

La seule chose que je peux inscrire à mon actif est d'avoir été à l'origine du Grenelle de l'environnement, dont l'apport le plus instructif, selon moi, a porté sur la méthode : des gens qui ne se parlaient pas se sont écoutés et ont admis que les arguments des autres étaient recevables, les énergies se sont additionnées plutôt que de se confronter. Sur beaucoup de ces sujets, on peut s'inspirer de cette méthode, qu'il s'agisse de l'alimentation, de la transition énergétique ou de la santé. Il faut parfois prendre plus de temps, mais cela permet d'aller plus loin plus vite.

Pour conclure, j'évoquerai le plan Climat. Il est ambitieux parce que la situation est plus que critique. Je ne peux pas souscrire à l'avis de ceux qui pensent que les changements se feront à la marge. Je comprends que l'on puisse être tétanisé à l'idée de devoir diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre - et nous allons encore forcer la dose, puisque nous affichons la volonté d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.

Comme vous l'avez évoqué, monsieur le président, nous nous sommes fixé l'objectif de mettre fin à la vente de véhicules émettant des gaz à effet de serre d'ici 2040. Dès le lendemain matin, nos industriels ont relevé le défi : ils sont capables d'atteindre cet objectif si l'on crée les bonnes conditions, notamment sur le plan fiscal. L'Inde s'engage à atteindre le même objectif dès 2030. Le même jour, le constructeur Volvo a déclaré vouloir l'atteindre en 2019... Comme le disait Nelson Mandela : « Nous réduire ne rend pas service au monde » et la situation exige de voir loin et grand - il est impossible de voir grand de près. Je suis persuadé que cet objectif ne va pas provoquer de résistances, mais qu'il stimulera au contraire la créativité.

L'objectif de neutralité carbone va nous imposer de réduire fortement nos émissions, mais il va aussi pousser l'intelligence humaine à s'associer à l'intelligence de la nature, c'est-à-dire à utiliser les capacités de la nature pour stocker du CO2 ou du méthane. L'agriculture peut nous y aider : selon que les vaches sont nourries au tourteau de soja ou à la prairie, l'effet n'est pas le même sur le changement climatique.

L'idée est de développer une vision d'ensemble, d'entraîner tout le monde dans la même convergence et d'ajouter progressivement au plan Climat des idées, des préconisations, des corrections. Tel est notre état d'esprit.

M. Hervé Maurey, président. - Merci de cet exposé qui nous permet de prendre de la hauteur et remet un certain nombre de sujets en perspective. Un nombre important de nos collègues ont demandé la parole, ce qui ne vous surprendra pas.

M. Michel Vaspart. - Monsieur le ministre d'État, vous évoquiez en préambule la pression qu'exerce parfois la population sur les sujets d'intérêt local et je souhaite vous poser une question qui intéresse une région que vous connaissez bien.

Le 23 novembre 2016, j'avais interrogé votre prédécesseur, Mme Ségolène Royal, sur la sursédimentation de l'estuaire de la Rance et les difficultés que nous rencontrons avec EDF et les services de l'État pour trouver des solutions permettant un financement pérenne de la gestion de ces sédiments. Je proposais même que l'électricité produite par le barrage, au lieu d'être vendue au prix du marché, alors que l'usine marémotrice est une installation absolument unique, soit vendue à un prix écologique qui permettrait de financer notamment la gestion des sédiments. Mme Royal m'avait répondu : « Vous avez tout à fait raison au sujet de la sursédimentation. Je vous annonce que j'ai lancé une inspection sur ce sujet afin de proposer un modèle économique viable à partir de la vente d'énergie. [...] Le prix de vente de l'énergie hydroélectrique devrait intégrer le coût [...] du traitement de la sursédimentation. C'est le bon sens. J'espère que le rapport qui me sera remis rapidement permettra d'apporter des solutions. Si vous pouvez contribuer à ces travaux, j'en serai enchantée, car je suis décidée à aller vite. »

Depuis cette date, le rapport a été rendu. Je comprends que le changement de gouvernement impose certains délais pour que le dossier soit repris, mais la situation est préoccupante, car l'incompréhension de la population et des associations de défense de l'environnement croît.

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Ce sujet me préoccupe, puisque je franchis la Rance deux fois par semaine. J'ai été alerté par les ONG et je sais par ailleurs qu'un projet de parc régional est en cours d'élaboration. Je me souviens de l'état de la Rance avant le barrage et je suis sûr que le phénomène que vous décrivez n'est pas purement naturel. Nous allons donc prendre en charge très rapidement ce dossier.

M. Gérard Cornu. - Monsieur le ministre d'État, on ne peut que souscrire à votre souci de cohérence. Ma première question portera sur les modalités de la transition énergétique. Vous avez indiqué un cap et un seuil. Ne pensez-vous pas que, au-delà de cette vision, la situation des territoires doive être prise en compte ? Si l'on développe le véhicule électrique, il faut aussi installer des prises et des bornes. De nombreux freins subsistent et il incombe à votre ministère de veiller à ce que l'aménagement du territoire permette à chacun de recharger la batterie de son véhicule, dont on sait que l'autonomie s'améliorera à terme.

Deuxième question : vous avez évoqué la transformation sociétale, culturelle et économique à réaliser. Lors d'un voyage de notre commission en Corée du Sud, un de nos interlocuteurs s'était réjoui de voir la France s'intéresser aux énergies renouvelables, parce que la Corée construit des panneaux photovoltaïques. Il est très important que nous nous préoccupions du développement dans notre pays de filières écologiques qui peuvent lui être très profitables.

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Sur la mobilité comme sur l'énergie, nous aurons à choisir entre diverses solutions dans la transition et il y a encore des zones d'ombre. J'ai besoin par exemple de me faire une opinion sur l'hydrogène, car les informations dont je dispose sont contradictoires. Je pense malgré tout que l'hydrogène peut contribuer à la solution, mais ce n'est qu'un sentiment. Il y aura aussi des moteurs hybrides ou des moteurs thermiques qui ne consommeront que deux litres aux cent kilomètres.

Je connais les limites du charme des véhicules électriques : pour l'instant, je ne peux pas faire l'aller-retour entre Saint-Malo et Rennes. Il faut garder à l'esprit que la voiture électrique n'est pas l'alpha et l'oméga, puisqu'elle pose le problème des terres rares, du recyclage, etc. En revanche, les véhicules électriques vont jouer un rôle dans le stockage des énergies intermittentes.

C'est tout un modèle qui doit se transformer. Il faut se lancer, en sachant que certaines pistes seront moins bonnes que d'autres. Les territoires peuvent aussi nous aider à expérimenter et valider certaines solutions.

Sur les filières, vous avez raison. Une nouvelle économie est en train de poindre. Divers sujets méritent d'être approfondis : les formations - je pense en particulier à la rénovation thermique, où l'on trouve du bon et du mauvais - ; l'économie circulaire, encore abstraite il y a peu, mais qui intéresse désormais de grandes entreprises ; l'économie sociale et solidaire, enfin.

M. Alain Fouché. - Monsieur le ministre d'État, chacun connaît votre engagement pour défendre la planète.

Sur le nucléaire, vous avez annoncé un objectif volontariste, mais difficile à atteindre : il faut démanteler, reclasser les salariés...

Que comptez-vous faire pour les communes qui font l'objet d'un démarchage insensé pour installer des éoliennes ? Les préfets interviennent, mais ne faudrait-il pas déterminer à l'avance des zones d'implantation et prévoir une répartition du produit des taxes, afin que les communes ne prennent pas leur décision pour des motifs uniquement financiers ?

Le président Maurey a eu l'excellente idée d'emmener une délégation de la commission dans l'Arctique où nous avons pu constater une dégradation extraordinaire du milieu naturel. Mme Royal s'est vu confier une mission sur cette région, comment allez-vous coordonner votre action avec la sienne ? Compte tenu de la dégradation de la situation, que ferez-vous au niveau international pour empêcher le développement de l'extraction d'énergies fossiles et le développement de nouvelles routes maritimes dans ces régions fragiles ? Les Russes extraient du pétrole qu'ils transportent dans des bateaux pourris à Rotterdam où nous l'achetons ! C'est un enjeu majeur pour l'avenir.

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Il est très difficile de répondre à votre dernière question, parce que vous mettez en exergue l'universalité d'un enjeu qui demande une réponse universelle. Si certains États s'exonèrent de leurs responsabilités, surtout quand elles sont importantes, le coup est dur. Pour être franc, j'estime que M. Trump a fait une mauvaise manière à l'humanité, celle d'aujourd'hui comme celle de demain. Cela dit, soit on cède au fatalisme, soit on va de l'avant, comme le Président de la République. Nous pouvons rester sur la défensive, en consacrant l'irréversibilité de l'accord de Paris, ou passer à l'offensive, en décidant d'aller plus vite et plus loin, en essayant d'entraîner d'autres pays. Comme Laurent Fabius, je considère que nos institutions et notre droit, à l'échelon national et international, ne sont pas adaptés aux enjeux universels de long terme. Il va falloir travailler sur ces sujets, car ce sont des biens communs qui sont soustraits à l'humanité et l'on n'a que trop tardé à réagir.

La marge de manoeuvre qui nous reste est très faible et tout va se décider dans les vingt ans à venir : il ne s'agit plus d'arrêter le réchauffement, mais d'empêcher qu'il devienne irréversible, c'est pourquoi nous ne pouvons pas faire de concessions. Diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre suppose de prendre des mesures lourdes.

Sur le nucléaire, j'entends bien vos doutes. J'ai foi dans les énergies renouvelables. J'ai visité des centres de recherche dans le monde entier, y compris dans les émirats arabes : tant que la contrainte n'était pas actée, le besoin d'investir dans le renouvelable ne se faisait pas sentir. Vous verrez que le génie humain est en train d'opérer une révolution. Faisons la démonstration en accompagnant cette transition prudente, mais exigeante : nous verrons que nous pourrons rapidement nous approvisionner principalement avec ce que le soleil, le vent, les marées ou le gradient thermique permettent.

Imaginez que, à cause du réchauffement climatique, non seulement la France, mais le Bénin, le Burkina, puissent pourvoir à leurs besoins à partir d'énergies à terme gratuites - le soleil, le vent, etc. Tous les conflits du XXe siècle étaient liés, de près ou de loin, au contrôle des sources d'énergie. Vous allez peut-être me trouver naïf, mais je pense que nous allons supprimer ainsi bon nombre de sources de conflits. De quoi l'Afrique a-t-elle besoin ? Pas de grandes centrales, mais de la latéralisation de l'énergie, en satisfaisant ses besoins élémentaires à partir du soleil, de l'eau, de la biomasse. Les énergies renouvelables peuvent donc aussi nous apporter une forme de paix.

Avec l'énergie éolienne, la France a un problème, comme avec les autres énergies renouvelables. Le paradoxe, c'est que ce sont des associations qui se disent écologistes qui opposent le plus de résistance. Que chacun prenne ses responsabilités : on ne peut pas être contre tout. Encore faut-il que les pouvoirs publics montrent la cohérence de leur action et tel n'est pas le cas si le mitage se fait au gré des subventions.

Quand on décide d'implanter des éoliennes off shore, il se passe douze à quinze ans entre l'appel d'offres et l'installation de la première éolienne. Entre-temps, le modèle d'éolienne choisi est devenu complètement obsolète, les nouveaux modèles sont deux fois plus efficaces, ce qui signifie que l'on a besoin de deux fois moins d'éoliennes. Il faut remédier à ces dysfonctionnements, sinon nos objectifs ne seront jamais atteints.

Vous avez décrit un phénomène à l'oeuvre dans l'océan Arctique. La montée des eaux résulte d'un double phénomène : la fonte des glaces boréales et australes et la dilatation des océans due à la hausse de la température. Ce phénomène ne sera pas graduel, mais connaîtra des effets de seuil. Nous observons déjà chez nous un recul du trait de côte.

Ce phénomène irréversible peut entraîner certains dans ce que les sociologues appellent la « tentation de la ruine » : la fonte de la banquise crée de nouvelles voies de communication et permet l'exploitation de nouvelles ressources, il faudrait donc en profiter. Nous devons être intraitables face à cette forme de folie poussée à l'extrême.

La mission de Ségolène Royal reprend en partie celle qui fut confiée à Michel Rocard, en y ajoutant l'Alliance solaire internationale qui concerne les pays tropicaux. Grâce à Michel Rocard, l'Antarctique bénéficie d'un statut, à la différence de l'Arctique. Il s'agit d'éviter des conflits qui risquent de s'ouvrir et d'empêcher l'exploitation de nouveaux gisements d'hydrocarbures.

M. Hervé Maurey, président. - En ce qui concerne les éoliennes, la fiscalité n'est pas très incitative pour les communes. Une bonne partie de la fiscalité locale est passée aux intercommunalités et les communes sont nettement moins intéressées par l'implantation d'éoliennes.

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Il faudra m'aider sur ce sujet.

Mme Évelyne Didier. - Je partage vos propos, monsieur le ministre d'État. Cette question est la mère des batailles, à condition que l'on y ajoute la lutte contre les inégalités. La reconversion et la formation des personnels touchés doivent être anticipées, pour que ceux-ci ne se retrouvent pas dans des situations inextricables, notamment dans le Nord, la Lorraine ou la Creuse. Il faut éviter de paupériser des secteurs entiers de notre pays.

Enfin, après l'adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité, j'ai déposé une proposition de loi relative à la mise en place d'un moratoire sur les variétés tolérantes aux herbicides. Ce sujet doit être examiné avec attention afin de trouver des pistes d'améliorations.

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Si l'on veut prendre en charge les conséquences sociales et économiques d'une situation donnée, il ne faut pas les découvrir au dernier moment. C'est pourquoi j'ai voulu mettre les choses en évidence. Un aménagement du calendrier, territoire par territoire, sera peut-être à envisager, mais il faut toujours garder à l'esprit que, derrière des centrales à charbon, on trouve des compétences, des histoires, des familles. Cela vaut pour le nucléaire. J'espère mériter le titre de ministre de la transition écologique et solidaire...

Le sujet des espèces tolérantes aux pesticides est prioritaire, car on ne peut pas jouer en permanence aux apprentis sorciers. J'ai invité M. Travert à se rendre avec moi au centre de recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Versailles. Si vous saviez tout ce que la nature met à notre disposition pour combattre certains agresseurs ! Nous ne sommes pas pris de court, mais simplement livrés parfois à une forme d'inertie. Pourtant, dans de nombreux domaines, des alternatives existent, avec des impacts beaucoup plus faibles.

Mme Nicole Bonnefoy. - Ma question porte sur les perturbateurs endocriniens et les risques chimiques du compte pénibilité. La santé doit primer toute autre considération, avez-vous dit. Je partage ce principe, fil rouge qui avait d'ailleurs guidé nos travaux en 2010 dans le cadre de la mission d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement, présidée par Sophie Primas et dont j'étais rapporteur. En dépit de ces sept mois de réflexion et d'auditions, nous avions bien remarqué que la santé humaine n'était pas une priorité.

Le 4 juillet dernier, la France a validé la définition des perturbateurs endocriniens proposée par la Commission européenne. Néanmoins, ces nouvelles garanties que le Gouvernement met en avant se situent en deçà du principe de précaution. En effet, en attendant le résultat des études à venir, les critères retenus permettront l'autorisation de mise sur le marché de perturbateurs endocriniens ayant des effets nocifs sur les humains, comme l'a rappelé la Endocrine Society.

Comme l'a indiqué le journal Le Monde le 10 juillet, la France n'a obtenu aucun nouveau progrès. De même, l'évolution annoncée par le Premier ministre sur la prise en compte des risques chimiques dans le compte pénibilité suscite des interrogations. Pourtant, la déclaration et la mesure de l'exposition au risque chimique devaient contribuer à la prévention de ces maladies contractées au travail et qui ne sont que rarement reconnues comme maladies professionnelles, bien qu'elles puissent être très graves.

Quelle est votre position sur ces deux sujets, monsieur le ministre d'État ?

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Le Gouvernement partage votre inquiétude et votre volonté, madame la sénatrice. J'ai lu l'article du Monde, mais vous n'avez pas dû avoir connaissance des dispositions qui ont été ajoutées au texte. Je n'aurais pas donné mon accord si nous n'avions obtenu des avancées : l'inclusion des jouets dans le champ de la recherche, l'engagement pris par la Commission pour accélérer des évaluations concernant certaines substances, l'attribution de 50 millions d'euros en faveur de la recherche, enfin, la possibilité de prendre unilatéralement des mesures en faveur des Français. Mais si l'on veut accélérer le retrait de substances nocives, il faut avancer sur le texte.

M. Claude Bérit-Débat. - Ma première question concerne l'interdiction d'exploration des gaz de schiste, qui fera l'objet d'un projet de loi prochainement. En Dordogne, deux permis d'explorer ont été délivrés. Que prévoit ce projet de loi ? Quid de la refonte du code minier, à l'heure où deux mines d'or pourraient être rouvertes ?

Ma seconde question a trait à l'acceptabilité des énergies renouvelables, car dans ma région, tout projet de petit parc éolien ou d'implantation de panneaux photovoltaïques se heurte immédiatement à l'opposition des associations. Comment sensibiliser les acteurs de terrain, y compris les associations de défense de l'environnement ?

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Sur les permis déjà actés, seule la négociation nous permettra de revenir en arrière, au cas par cas. Je ne peux être comptable de ce qui a été décidé avant ma prise de fonction, mais chacun doit prendre ses responsabilités compte tenu de l'intérêt supérieur de ce sujet. L'idée est d'interdire les énergies fossiles conventionnelles et non conventionnelles.

Le sujet de l'acceptabilité des énergies renouvelables est délicat, mais quand les citoyens sont intéressés par des fermes éoliennes, la situation s'améliore. La colonisation de l'océan avec des éoliennes me chagrine, mais il faut éviter les situations irréversibles. Le maintien du nucléaire en l'état, le mitage du paysage et l'implantation de centrales thermiques suscitent le découragement de nos concitoyens. C'est pourquoi nous devons diversifier les énergies et réduire notre consommation. Tel est le sens du projet de loi qui devrait être déposé dans le courant du mois de juillet. Les élus doivent nous aider à faire preuve de pédagogie sur le terrain.

S'agissant du code minier, cette étape sera un peu plus longue, car l'ouverture de mines ou la réouverture de nouvelles exploitations, notamment outre-mer, remontent jusqu'à moi seulement maintenant.

M. Hervé Poher. -  J'ai deux questions à vous poser, questions pratiques et de court terme, monsieur le ministre d'État. Concernant le canal Seine-Nord, la semaine dernière et hier encore, nous avons entendu l'oraison funèbre du canal Seine-Nord, prononcée par un financier avec des raisons fallacieuses. Dans les Hauts-de-France, ce qui nous chagrine, c'est que tout cela est assumé par votre ministère, qui est chargé de l'environnement et des transports. Or le canal, c'est des dizaines de milliers de camions transformés en péniches ! Monsieur le ministre d'État, hormis les raisons comptables, existe-t-il d'autres raisons qui ont abouti à cette euthanasie ?

Ma seconde question porte sur l'Agence de sureté nucléaire. Voilà un an, j'ai eu la chance d'assister à l'audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN. Son message était simple : « Je peux faire tout ce que vous voulez, mais il faut me donner des moyens supplémentaires. », soit l'équivalent de 120 postes. J'ai ensuite posé une question orale à Mme la ministre de l'environnement, pour savoir si des moyens seraient donnés. Elle m'a répondu qu'« il fallait réfléchir avant de poser une question. »

Cela fait donc un an que je réfléchis, et je vous pose la même question : « Pouvez-vous nous assurer que l'ASN aura les moyens de ses missions ? »

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Je vais essayer de vous répondre avant un an ! L'ASN a déjà bénéficié d'une forte augmentation de ses crédits. Pour évaluer ses moyens, je dois rencontrer prochainement son directeur. Quant au canal Seine-Nord, j'ai reçu des instructions. Eu égard au rapport de la Cour des comptes, nous allons devoir faire des choix parmi l'ensemble des aménagements envisagés, afin de ne pas prendre des engagements que l'État ne pourrait pas tenir.

Le report modal du transport routier sur le ferroutage ou le fluvial est un sujet essentiel. Le canal est critiqué, car il ne toucherait que 500 camions. Pour ma part, j'ai bien compris qu'il s'agissait d'un projet économique dans son ensemble. Avec Élisabeth Borne, je vais prendre le temps d'examiner les choses, car l'enveloppe réclamée est de l'ordre de 1 milliard d'euros. Mais une fois que nous avons pris des engagements, nous devons les tenir.

Nous avons deux priorités pour le transport : le confort quotidien des Français sur le réseau, dont je découvre la dégradation, et la situation des marchandises sur la route.

M. Jean-François Longeot. - Monsieur le ministre d'État, la mission d'information sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles que j'ai présidée, et dont Mme Blandin était rapporteure, a formulé 27 propositions ambitieuses dans cinq directions complémentaires. Nous avions d'ailleurs attiré l'attention de votre prédécesseur sur la nécessité que votre ministère s'empare de ce dossier. Je vous ferai parvenir ce document, qui traite de recyclage, de toxicité et de rareté des matériaux, afin que ce travail ne reste pas au fond d'un tiroir comme 100 millions de téléphones portables usagers !

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - J'espère que votre rapport pourra inspirer notre future feuille de route sur l'économie circulaire.

M. Jean-Jacques Filleul. - Vos propos sont très positifs, monsieur le ministre d'État. Concernant les produits toxiques, le Conseil d'État vient d'enjoindre au Gouvernement de prendre des mesures urgentes contre la pollution des émissions de particules fines, notamment le fameux NOx dont nous connaissons tous les effets néfastes pour la santé. Quelles mesures allez-vous prendre ?

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - On a beaucoup moqué les lanceurs d'alerte durant des années. Mais nous sommes maintenant pris dans un étau, car si nous prenons les mesures qui s'imposent, certains se verront infliger une double peine. Je pense notamment au diesel, dont l'interdiction place des familles dans une impasse. C'est pourquoi nous avons pris des dispositions destinées à l'achat d'un véhicule d'occasion dans le plan climat. Notre responsabilité commune est engagée à ce sujet, car nous ne pouvons plus nous abriter derrière le doute. Cela est contraire au principe de précaution pour lequel j'ai beaucoup oeuvré en d'autres temps.

M. Hervé Maurey, président. - J'invite ceux de nos collègues qui le souhaitent encore à poser successivement toutes leurs questions, auxquelles répondra ensuite M. le ministre d'État.

M. Michel Raison. - Monsieur le ministre d'État, je suis tout à fait satisfait de la non-agressivité de vos propos. J'ai particulièrement apprécié votre volonté de donner de la fiabilité à la science. Quant aux agriculteurs, ils vivent effectivement un désarroi psychologique, car ils ont un sentiment de non-reconnaissance eu égard à tous les progrès qu'ils ont consentis. Certaines ONG se sentent trop souvent autorisées à parler d'agriculture sans même connaître la base de la technique agricole ou à user de slogans sans retenue. J'espère que vous êtes au courant du cycle de l'azote, monsieur le ministre d'État ! Et sans vouloir vous offenser, je vous signale que les animaux en prairie ont aussi besoin de protéines.

On ne peut séparer les agriculteurs en deux catégories : les bons seraient passés au bio, et les mauvais auraient conservé l'agriculture traditionnelle. Les pratiques ont beaucoup évolué depuis les années cinquante. On parle toujours des quelques aspects négatifs, sans jamais aborder les points positifs. Nous aurons sans doute des actions importantes à conduire ensemble. J'attends l'organisation d'une réunion spécifique sur la technique agricole.

M. Cyril Pellevat. - La Haute-Savoie a vécu un épisode très long de pollution dans la vallée de l'Arve, avec une forte mobilisation du monde associatif et une grande exposition médiatique. Votre prédécesseur s'était rendu sur place et avait fait quelques annonces. La situation évolue, mais trop lentement. Monsieur le ministre d'État, comptez-vous mettre en oeuvre un plan spécifique en la matière, et dans quels délais ? Les élus et les associations sont à votre disposition pour avancer sur ce dossier.

Je souhaite également attirer votre attention sur la question de la liaison autoroutière Machilly-Thonon-les-Bains. Votre ministère a validé le 20 juin le projet, réclamé par les associations depuis de nombreuses années, qui sera soumis à enquête publique.

Enfin, j'ai rencontré aujourd'hui le président du syndicat mixte du lac d'Annecy, qui souhaite inaugurer une unité de méthanisation des boues. Il vous invite avec M. le secrétaire d'État pour examiner un certain nombre de dossiers importants.

M. Jean-François Husson. - L'actualité du jour est celle de l'action de l'État, à qui le Conseil d'État a enjoint de mettre en oeuvre des solutions dans les neuf mois à venir. Nous avons traité cette question dans un rapport d'enquête, ainsi que dans notre nouveau rapport, jugé sévère alors qu'il est en deçà de la réalité. Ce sujet est intéressant en ce qu'il témoigne de la difficulté de coordonner les différents projets.

S'agissant de la rénovation thermique des logements, les résultats du crédit d'impôt relatif à la transition énergétique sont décevants. L'efficacité de ce dispositif fiscal sera-t-elle examinée avant le prochain projet de loi de finances ? Enfin, la prime de conversion pour l'achat d'un véhicule électrique fonctionne, mais peine à atteindre la cible des ménages modestes. En quoi le nouveau dispositif va-t-il répondre à ces difficultés ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Dans le département de la Sarthe, dont je suis élu, de nombreuses entreprises nous sollicitent pour mettre en place des panneaux photovoltaïques, des éoliennes ou autres. Finalement, la Commission de régulation de l'énergie nous interdit ces aménagements pour des motifs purement financiers. Les schémas régionaux pourraient-ils être utiles pour clarifier la situation ? La rénovation thermique des habitats doit être prioritaire. Pour ce faire, il faut s'affranchir de certains critères qui empêchent la réalisation de ces aménagements.

M. Jean-Yves Roux. - La signature de l'accord de Paris a marqué une étape importante. Il y a bien un avant et un après COP21, qui doit aussi se traduire dans les politiques publiques. Élu des Alpes-de-Haute-Provence, je suis très attentif à la prise en compte des distances parcourues pour accéder à divers services publics essentiels. Cela contribuerait également à améliorer notre bilan carbone. Quelle est la position du Gouvernement, monsieur le ministre d'État ?

Par ailleurs, vous avez annoncé votre volonté de ne plus permettre la production de véhicules à essence ou diesel à l'horizon de 2040. Prévoyez-vous des mesures spécifiques pour les véhicules à vocation agricole ?

Mme Annick Billon. - En Vendée, un parc éolien installé en mer suscite l'inquiétude de certains pêcheurs. Monsieur le ministre d'État, vous nous avez donné des objectifs précis. Souvent, ceux-ci n'ont pas été atteints, du fait d'une fiscalité inadéquate. Quels moyens allez-vous mettre à notre disposition pour remplir notre mission ?

M. Nicolas Hulot, ministre d'État. - Je souhaite revenir devant vous régulièrement, car des informations dont je n'ai pas forcément connaissance remontent. De plus, il pourrait être utile d'échanger de façon plus thématique sur certains sujets tels que le développement du solaire, objet de résistances et d'oppositions. Nous voudrions comprendre, par exemple, pourquoi l'autoconsommation reste marginale.

Nos ignorances sont parfois plus grandes que notre connaissance. Je ne suis pas spécialiste de l'agriculture et suis preneur de toute leçon en la matière. Mais je sais qu'il n'y a pas une agriculture, mais des agricultures, dont je souhaite que la diversité soit encouragée. La permaculture ou l'agroforesterie sont intéressantes. Le bio n'est pas l'alpha et l'oméga, mais c'est un marché porteur.

Il faut que tous les interlocuteurs se mettent autour de la table, car la répartition de la richesse n'est pas toujours très équitable. À cet égard, et dans la perspective de la réforme de la PAC, j'attends beaucoup des états généraux de l'alimentation, afin que les préjugés tombent. Les agriculteurs peuvent nous aider ; encore faut-il qu'ils soient rémunérés pour cela. Il en est de même de la transition énergétique.

Monsieur Pellevat, je pourrais vous parler de la méthode, car la solution est moins évidente. Pas un seul élu local qui n'ait désigné en priorité la situation paradoxale de l'une des régions les plus belles de France, dont l'emblème est le mont Blanc : la pollution y est très importante. Nous devons avoir une vision régionale pour régler cette question, qui ne consiste pas à déplacer les camions d'un tunnel à un autre ! Je répondrai à votre invitation avec plusieurs membres du Gouvernement, probablement au début de l'automne.

La fiscalité est un outil essentiel pour structurer les modes de production et de consommation. Il est important d'y travailler en amont. Ma vision ne l'emportera pas forcément, mais je déplore que, par le passé, les réflexions engagées sur la fiscalité écologique et la réforme de la fiscalité en général n'aient pas été croisées. En conséquence, la fiscalité écologique apparaît toujours comme de la fiscalité additionnelle, voire punitive. Si elle doit accompagner les transitions, elle n'a pas vocation à être définitive. Il faudrait retenir une approche plus globale en la matière, grâce à des mesures dissuasives, progressives, mais aussi incitatives. Quant à l'affectation de cette fiscalité, la question n'est pas tranchée.

Le prix du carbone est un sujet important, car il a des répercussions à l'échelle mondiale. La Conférence de Paris présente des effets visibles, et d'autres invisibles. Le désinvestissement carbone est à l'oeuvre, y compris outre-Atlantique, car le risque est intégré. La France s'est d'ailleurs engagée à créer ce fameux « corridor carbone », avantage compétitif pour l'économie décarbonée.

Pour l'évaluation d'un certain nombre de dispositifs dont l'efficacité est variable, nous voulons laisser un peu de souplesse sur les moyens et être plus exigeants sur les résultats.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces échanges, qui sont extrêmement instructifs.

M. Hervé Maurey, président. - Merci de votre intervention et des réponses que vous avez apportées à l'ensemble de nos collègues, qui sont tout à fait prêts à travailler de concert avec vous.

La réunion est close à 18 h 20.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.