Mardi 4 juillet 2017

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 20.

Accueil d'un nouveau commissaire

Mme Michèle André, présidente. - Merci d'être présents pour cette séance avancée d'une journée de manière à permettre à ceux qui le souhaiteront de se rendre demain à la cérémonie d'hommage à Simone Veil, et à notre rapporteur de se rendre à la réunion de la commission des lois, avancée à ce soir.

Je souhaite la bienvenue à mon compatriote Claude Nougein, sénateur de Corrèze, qui siège avec nous pour la première fois.

M. Jacques Genest. - La Corrèze n'est pas l'Auvergne...

Mme Michèle André, présidente. - À quoi le président Chirac, qui se disait auvergnat, vous répondrait : « la lisière vaut bien le drap. »

Projet de loi organique et projet de loi rétablissant la confiance dans l'action publique - Examen du rapport pour avis et communication sur la recevabilité financière des amendements

La commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, sur le projet de loi organique n° 580 (2016-2017) et le projet de loi n° 581 (2016-2017) rétablissant la confiance dans l'action publique.

EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Notre commission des finances s'est saisie pour avis, sur ces deux textes, des dispositions qui relèvent de sa compétence, soit les articles 9 et 13 du projet de loi organique, qui concernent la suppression de la réserve parlementaire ou dotation d'action parlementaire et l'article 12 du projet de loi ordinaire qui habilite le Gouvernement à créer un dispositif permettant d'assurer le financement des campagnes électorales et de la vie politique.

L'article 9 du projet de loi organique a pour objet la suppression de la dotation d'action parlementaire. Cette « réserve » n'ayant été créée par aucune disposition législative, il est proposé par le I de l'article 9 d'en supprimer la « pratique ». Par coordination, le II du même article abroge la disposition de la loi organique relative aux lois de finances, la loi organique relative aux lois de finances, qui prévoyait la publication en annexe du projet de loi de règlement de la liste des subventions octroyées à la demande des parlementaires.

Relevons que l'article ne propose pas d'interdire, en tant quel telle, l'adoption d'amendements de crédits du Gouvernement reprenant des propositions de membres du Parlement, ce qui nous empêcherait de formuler toute proposition dans le débat budgétaire, mais bien la pratique spécifique de la réserve parlementaire.

Quels sont les motifs avancés par le Gouvernement ? Selon l'étude d'impact, cette pratique constituerait un « contournement » de l'article 40 de notre Constitution et lors de son audition au Sénat le 27 juin dernier, Nicole Belloubet, ministre de la justice, est allée plus loin en mentionnant « une pratique qui est originellement contraire à l'article 40 de la Constitution ».

Or comme le souligne le Gouvernement lui-même, dans sa décision du 9 octobre 2013, le juge constitutionnel a admis le nouveau dispositif de transparence de la réserve parlementaire prévu par la LOLF, sans remettre en cause la constitutionnalité de cette pratique.

Par ailleurs, le montant de la « réserve parlementaire » a pu être pendant plusieurs années provisionné dès le projet de loi de finances et figurer donc dans la budgétisation initiale de l'État proposée par le Gouvernement au Parlement. La répartition de l'enveloppe de la « réserve parlementaire » entre les missions et programmes budgétaires a toujours procédé d'amendements du Gouvernement. Ainsi, cette pratique ne conduit pas les parlementaires à accroître les dépenses publiques mais seulement à jouer un rôle dans la répartition et l'affectation d'une part très limitée des crédits budgétaires, 146 millions d'euros en 2017 sur un total de dépenses du budget général de l'État de 446 milliards d'euros, soit 0,03 % des crédits, pour des opérations ciblées, en faveur de l'investissement local ou du secteur associatif.

Pour mettre fin à cette « pratique », comme le souligne l'avis du Conseil d'État, il suffirait que le Gouvernement cesse de « faire droit aux demandes des parlementaires, tant au stade de la discussion des projets de lois de finances que de l'exécution de ces lois ». Seules les dispositions prévues par la LOLF relatives à la publication des montants en cause nécessiteraient donc une abrogation.

Ainsi, la nécessité de légiférer est motivée par le Gouvernement non pas tant par des motifs juridiques que pour la raison qu'il s'agirait d'une « pratique inefficiente qui contribue à alimenter la suspicion de clientélisme à l'égard des parlementaires, souvent détenteurs d'un mandat local ».

Or, s'il est incontestable que le « secret » entourant la réserve parlementaire pendant de nombreuses années a pu contribuer à cette suspicion, d'importants efforts ont été réalisés depuis 2013 qui conduisent désormais à une transparence totale tant sur la répartition de la réserve entre les parlementaires que sur l'attribution des crédits.

Tout d'abord, une disposition de la LOLF, introduite en 2013 par un amendement sénatorial, prévoit la publication, en annexe du projet de loi de règlement, de la liste des subventions octroyées à la demande des parlementaires. Par ailleurs, les deux assemblées publient elles-mêmes ces informations en ligne sous forme de données ouvertes. Vous vous souvenez d'ailleurs qu'à la demande du président du Sénat, nous avions entendu l'ensemble des groupes et fait des propositions pour renforcer la transparence, aujourd'hui supérieure aussi bien à celle des subventions retracées dans le « jaune » budgétaire des subventions aux associations qu'à celle d'autres concours financiers aux collectivités territoriales, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) par exemple.

Quant aux modalités de répartition entre les parlementaires de la « réserve » du Sénat, elles sont également publiques et transparentes.

Une des critiques portées à la réserve parlementaire, au-delà de la question de la transparence qui vient d'être évoquée, est son coût administratif. L'étude d'impact indique ainsi que la suppression de la réserve parlementaire « devrait se traduire (...) par un allègement de charge administrative estimé à 4 millions d'euros » et par « l'économie de 6 emplois d'administration centrale qui étaient entièrement consacrés à la gestion des travaux divers d'intérêt local ». Aucune économie n'est attendue sur le budget des préfectures, dont les agents ne se contentent pas de gérer la réserve parlementaire. Les modalités de chiffrage de l'allègement de la charge administrative ne sont pas précisées.

Outre le fait que dans le dispositif proposé par le Gouvernement, le coût de gestion de la réserve dite « ministérielle » sera maintenu, il faut souligner que la procédure administrative avait été très sensiblement améliorée ces dernières années pour les subventions aux collectivités locales. Ainsi, un site internet dédié a été ouvert le 15 novembre 2016, permettant désormais à l'administration de recevoir 30 % à 35 % des dossiers en ligne. La dématérialisation des procédures était destinée à se généraliser et à réduire d'autant le coût administratif du dispositif.

Enfin, la direction du budget a confirmé que les critères de recevabilité des demandes de subvention ne se distinguent pas, en droit, de ceux applicables aux subventions de l'État pour des projets d'investissement. Ces critères sont définis, notamment, par le décret n° 99-1060 du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l'État pour les projets d'investissement ainsi que par l'arrêté des ministres de l'intérieur et du budget du 2 octobre 2002.

Par ailleurs, alors même que la « réserve parlementaire » serait supprimée, ce qu'il est convenu d'appeler la « réserve ministérielle » ne fait l'objet d'aucune mention ni réforme dans le présent article alors qu'elle s'exposerait à des critiques similaires. Les crédits de la réserve ministérielle inscrits en loi de finances initiale se sont élevés à 19 millions d'euros entre 2011 et 2013 puis, en 2014 et 2015, ont représenté respectivement 16 et 14 millions d'euros avant de chuter à 8,4 millions d'euros en 2016 et 5,4 millions d'euros en 2017.

Pour ce qui concerne la réserve parlementaire, la dotation d'action parlementaire du Sénat a été fixée en loi de finances initiale 2017 à 56,26 millions d'euros, montant inchangé depuis 2012. En exécution, 80,5 % des 53,3 millions d'euros réellement dépensés en 2016 sont allés à la mission « relations avec les collectivités territoriales » et 19,5 % aux autres missions budgétaires. En exécution 2016, le montant concernant l'Assemblée nationale s'est élevé à 81,86 millions d'euros, dont 48,9 % pour la mission « relations avec les collectivités territoriales » et 51,1 % pour les autres missions budgétaires.

La dotation d'action parlementaire apporte à l'investissement local un soutien qui n'est pas seulement symbolique dans le contexte actuel de baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales. Pour les communes, elle représente l'équivalent d'une majoration de 9 % du montant de subventions reçues au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) - laquelle ne fait pas l'objet de la plus grande transparence.

Il s'agit la plupart du temps d'un complément aux crédits attribués par l'État ce qui explique que les montants moyens soient relativement peu élevés : ainsi, en 2016, 20 % des dossiers de la « dotation d'action parlementaire » soumis par les sénateurs sont inférieurs à 2 000 euros, 65 % sont compris entre 2 000 et 10 000 euros, 11 % sont compris entre 10 000 et 20 000 euros, 3 % sont compris entre 20 000 et 50 000 euros et seulement 0,6 % des dossiers sont supérieurs à 50 000 euros.

La réserve parlementaire irrigue également le tissu associatif et contribue à la cohésion sociale. Elle subventionne de nombreuses « petites » associations au niveau local, par exemple en 2016, 1815 associations rattachées au programme « vie associative », 1 670 associations sportives locales au titre du programme « sport », 378 associations au titre du programme « hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ou encore, en 2015, 237 associations oeuvrant dans les secteurs de l'action sociale, de la culture et de la jeunesse et des sports en outre-mer.

Dans son avis, le Conseil d'État a d'ailleurs invité le Gouvernement à « veiller à ne pas priver (...) un certain nombre d'organismes publics ou privés de ressources indispensables pour assurer les missions de service public qui lui sont confiées ».

Lorsque l'on étudie l'impact de la réserve parlementaire, il apparaît que celle-ci apporte un soutien récurrent à certains programmes budgétaires et donc à certaines politiques publiques, si bien que sa disparition pourrait poser des difficultés si les crédits des lignes correspondantes n'étaient pas abondés dans les prochains projets loi de finances.

Ainsi, la réserve parlementaire abonde les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ». Les principaux bénéficiaires des subventions sont les instituts et alliances françaises ainsi que les lycées français, dont certains ont, dans certaines régions, des budgets extrêmement modestes, voire certains consulats ou les bals du 14 juillet.

Elle intervient aussi largement, dans le financement, auquel elle contribue pour 20 %, des réseaux, fédérations, petites structures qui oeuvrent dans ce domaine.

De même, elle finance de manière significative des travaux sur des bâtiments religieux qui appartiennent aux communes - églises, opérations en faveur des commerces de proximité, le développement du tourisme, etc.

Enfin, pour certaines fondations politiques comme la Fondation Jean Jaurès ou Fondapol, les subventions provenant de la dotation institutionnelle des deux assemblées, décidées de manière collégiale par le collège des vice-présidents, complètent substantiellement les subventions accordées par les services du Premier ministre.

Or le Gouvernement n'a pris aucun engagement sur l'avenir de ces crédits.

Lors de sa conférence de presse du 1er juin 2017, François Bayrou a évoqué la création d'« un fonds d'action pour les territoires ruraux », « transparent et soumis à critères précis et publics ». Ces précisions ne figurent ni dans le projet de loi ni dans l'étude d'impact qui lui est associée.

Lors de son audition, Nicole Belloubet a semblé écarter toute création d'un fonds nouveau, au profit d'un abondement de dispositifs existants, dont elle n'a pu préciser ni le montant ni la nature. L'étude d'impact du projet de loi est terriblement lacunaire sur ce sujet, mentionnant une « éventuelle réallocation des crédits vers des dispositifs existants et normés, dont les règles d'allocation sont connues et publiques » - deux qualificatifs sur lesquels j'émettrai, à titre personnel, une réserve, si j'en crois les pratiques d'attribution de la DETR dans un certain nombre de départements.

Ainsi, plusieurs hypothèses seraient en cours d'examen qui sont principalement l'abondement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou, le cas échéant, de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation de politique de la ville (DPV).

Au-delà des incertitudes pesant sur l'avenir des crédits alloués aux collectivités territoriales, le Gouvernement n'a fait mention d'aucun dispositif susceptible de prendre le relais des crédits de la réserve parlementaire qui irriguent actuellement le tissu associatif et certaines politiques publiques.

Bien au contraire, l'intention est très claire, puisque l'étude d'impact montre que l'un des enjeux de la réforme est d'économiser le montant de ces subventions. Pour ce qui concerne spécifiquement les associations, celles-ci ne seront plus désormais soutenues que par les moyens existants, qui n'apportent pas de garantie particulière en matière de transparence.

Ainsi, selon le dernier jaune budgétaire « Effort financier de l'État en faveur des associations », plus de 33 037 attributions de subventions aux associations sont intervenues en 2015 pour un montant total de 2,06 milliards d'euros - des sommes sans commune mesure avec la réserve parlementaire. Si le tome 3 du jaune budgétaire dresse une liste exhaustive des associations subventionnées, les critères d'octroi des subventions et de sélection des dossiers ne sont pas strictement définis.

Si la dotation d'action parlementaire venait à être supprimée, il reviendrait donc au Gouvernement de décider de l'ensemble de ces subventions.

En conclusion, l'article 9 n'a pas de caractère normatif puisqu'il n'est pas besoin d'une loi organique pour supprimer une « pratique ». Le supprimer n'aurait pas de réelle incidence alors que le Gouvernement ne dit rien sur ses intentions, notamment à l'égard des petites collectivités locales qui seraient les plus touchées par la suppression de la réserve parlementaire.

En l'état d'imprécision des intentions du Gouvernement, je vous propose donc un amendement pour inscrire dans la LOLF une dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements pour financer des projets proposés par les parlementaires avec un plafond de 20 000 euros par subvention. Le Gouvernement déciderait lui-même du montant de la dotation qu'il souhaite inscrire, les projets seraient soumis par les bureaux des deux assemblées dans une totale transparence et la liste des subventions accordées serait rendue publique. Les critères seraient précisément définis par la loi organique.

Je vous propose également d'améliorer la transparence de la réserve ministérielle en imposant sa publication par la loi et en format ouvert.

Enfin, j'interrogerai le Gouvernement sur ses intentions quant à l'inscription de crédits budgétaires pour les programmes qui bénéficiaient de manière récurrente de la réserve parlementaire pour des objets spécifiques. Je pense aux alliances françaises et à certains établissements à l'étranger qui bénéficient d'un soutien récurrent et que la disparition de ces crédits fragiliserait.

Je vous propose de ne pas modifier l'article 13 du projet de loi organique qui a pour objet de permettre que les crédits de réserve parlementaire dans les lois de finances antérieures à l'exercice budgétaire 2018 puissent continuer à être exécutés jusqu'à leur terme.

J'en viens maintenant au projet de loi ordinaire.

L'article 12 porte en effet sur la « banque de la démocratie ». Comme vous le savez, le dispositif qui devait initialement figurer dans le projet de loi a été retiré suite à l'avis du Conseil d'État, qui l'a estimé trop lacunaire. Il a donc été remplacé par une demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.

Trois remarques peuvent être faites.

Premièrement, sont visés à la fois le financement des campagnes électorales et celui des partis politiques déposant des comptes certifiés.

Deuxièmement, le mécanisme interviendrait à titre subsidiaire au marché, en cas de « défaillance avérée », par trois mécanismes de financement : l'obtention de prêts, d'avances ou de garanties.

Troisièmement, le dispositif prendrait la forme soit d'une structure dédiée, éventuellement adossée à un opérateur existant - la Caisse des dépôts et consignations a été évoquée sans en avoir été, semble-t-il, vraiment consultée... -, soit d'un mécanisme de financement.

L'accès au crédit bancaire constitue un enjeu fondamental pour la démocratie, à double titre. Il s'agit, d'une part, de garantir, ainsi que le dispose l'article 4 de la Constitution « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », et d'éviter, d'autre part, le risque d'un financement opportun de partis ou campagnes.

D'autres dispositions du projet de loi, à mon sens de bon aloi, répondent d'ailleurs à cet objectif. Les articles 8 et 9 limitent ainsi les possibilités d'emprunt aux établissements bancaires ayant leur siège social dans un État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen. L'article 10 crée un médiateur du crédit pour exercer une mission de conciliation entre les établissements financiers et les partis ou candidats. De fait, il devient complexe, notamment pour les parlementaires, d'ouvrir un compte dédié.

Cependant, la demande d'habilitation qui nous est soumise ne repose sur aucune étude préalable des besoins et des mesures nécessaires pour y répondre. En l'état, elle n'offre pas de réponse sur les moyens de concilier l'impartialité des décisions prises et la viabilité financière. Volontairement très large, elle présente un caractère prématuré. C'est d'ailleurs ce qu'a reconnu la ministre de la justice en annonçant une mission conjointe des inspections générales des finances et de l'administration sur ce sujet. Pour l'heure, nous ne saurions accepter de délivrer une habilitation aussi vague et dénuée d'orientations, au rebours de l'exigence du Conseil constitutionnel. Je vous propose donc de supprimer cet article 12.

Mme Michèle André, présidente. - Merci de cette analyse claire, qui rejoignant le travail que nous avions mené en 2015, confirme que la réserve parlementaire ne constitue en rien un contournement de l'article 40 et qu'il n'y a aucune nécessité juridique de supprimer par la loi un dispositif ne reposant sur aucun texte.

Outre que je crains qu'en voulant supprimer la réserve parlementaire au motif d'écarter le soupçon de clientélisme, on ne crée la suspicion. Je comprends mal, au plan des principes, pourquoi une subvention, comme par exemple, celles versées au titre de la DETR, accordée par un fonctionnaire bénéficierait d'une présomption d'intérêt général alors qu'une subvention proposée en toute transparence par un parlementaire serait entachée du soupçon de clientélisme. D'autant que les services de l'État qui instruisent les dossiers de réserve, s'ils s'abstiennent d'en apprécier l'opportunité, ont le devoir d'en contrôler la régularité avec la même rigueur qu'ils le font pour les subventions attribuées par l'État. Je puis vous assurer, pour les avoir à plusieurs reprises conviés, que les fonctionnaires qui instruisent ces dossiers s'en acquittent avec le plus grand sérieux.

J'ajoute que la suppression de la réserve est une punition collective infligée non pas aux parlementaires mais aux milliers de collectivités et d'associations qui bénéficiaient de ces subventions. Le rapporteur général a donné des chiffres au sujet du réseau culturel à l'étranger, des fondations politiques ou de l'équipement des communes. Pour les Restos du coeur ou le Secours populaire, ce sont quelque 500 000 euros qu'il faudra trouver pour compenser la disparition de la réserve parlementaire.

La suppression ici proposée vient à contretemps, alors que le dispositif venait de devenir pleinement démocratique et transparent. Durant mes trois années à la présidence de notre commission, je me suis beaucoup investie dans le fonctionnement de la réserve parlementaire. Je sais qu'il est possible de rationnaliser encore son fonctionnement, comme la Cour des comptes le faisait apparaître il y a quelques années, pour en réduire les coûts administratifs, dont je ne suis pas certaine, cependant, qu'ils soient aujourd'hui plus élevés que ceux d'autres subventions.

Avant que le rapporteur général ne présente ses amendements, je voudrais indiquer que si le texte définitif maintenait la suppression de la réserve, il faudrait obtenir du gouvernement confirmation que tous les dossiers de 2017 pourront être financés, même si les crédits correspondants ont été ouverts par le collectif budgétaire de fin d'année et que les arrêtés de subvention correspondants ne sont pris que début 2018.

Je voudrais aussi rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, dans tous les ministères et en particulier au ministère de l'intérieur, ont oeuvré à la modernisation de la réserve parlementaire, pour en gommer les lourdeurs et mettre en valeur ses apports à la vie de nos territoires.

M. Yannick Botrel. - Partisan du maintien de la réserve parlementaire, je rejoins le rapporteur sur un certain nombre de points. Au Sénat, nous avons avancé vite et loin, en particulier sur la transparence : les montants par sénateur sont connus, la liste des subventions attribuées est rendue publique chaque année, autant de dispositions qui font au reste apparaître que 80 % des sommes allouées le sont au bénéfice des collectivités territoriales. Il n'y a donc, dans la réserve, guère sujet à débat ou scandale. Comme parlementaire, je ne suis d'ailleurs jamais interpellé sur son fonctionnement.

Le double seuil que vous retenez, de 20 000 euros maximum et 50 % du projet concerné, me paraît compatible avec les projets que nous soutenons. Mais comment se passeront concrètement les choses, entre le bureau du Sénat ou de l'Assemblée nationale et les parlementaires, pour l'établissement de la liste ? Et la répartition continuera-t-elle à être départementale ?

M. Richard Yung. - Quelques mots sur le projet de banque pour la démocratie. Un beau nom...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Encore faut-il mettre quelque chose dedans...

M. Richard Yung. - Un beau nom qui ne m'empêche pas de partager le sentiment qu'il cache une usine à gaz. Nous comprenons tous les problèmes que pose le financement des campagnes électorales, mais à quoi bon, pour y répondre, créer un établissement public, alors qu'il existe des structures, comme la Caisse des dépôts et consignations ou la Banque publique d'investissement, qui permettraient de prévoir un mécanisme de répartition pour mettre les moyens à disposition de ceux qui en ont besoin. À quoi bon créer une nouvelle structure, sinon pour faire quelques heureux puisqu'il y faudra un président, un secrétaire général, des moyens... Je ne voterai pas ce projet, peu clair et prématuré.

S'agissant de la réserve parlementaire, je serai plus nuancé. Sa suppression constitue un message politique clair et répond à un engagement du Président de la République et de sa majorité. Il y a eu, dans le passé, des abus considérables imputables à de mauvaises utilisations de la réserve et à un manque de transparence, que nous payons injustement aujourd'hui, quand nous ne faisons que verser quelques dizaines de milliers d'euros à des associations sociales ou culturelles. Tel est l'état de l'opinion publique.

Si, comme vous tentez de le proposer par amendement, nous nous engagions dans une approche permettant de montrer que les décisions d'attribution sont prises collectivement par les élus, les responsables locaux, le préfet, je serais prêt à y adhérer.

M. François Patriat. - Les dérives passées ne plaident pas, de fait, pour le maintien de la réserve parlementaire. Les Français y voient une pratique clientéliste qui n'est plus acceptée aujourd'hui. Comment gérer les choses, au reste, dans un département comme le mien, qui compte 707 communes alors que l'on peut donner à 20 communes par an ? À chaque fois que l'on attribue une subvention, on fait un ingrat et vingt aigris. La reconnaissance que nous vaudrait cette pratique ? On constate plutôt un certain cynisme chez les maires, qui ont tendance à aller frapper à toutes les portes pour essayer d'obtenir de l'un ou de l'autre, quand ce n'est pas de l'un et l'autre, une part de la réserve. Je n'ai jamais été partisan du maintien de cette réserve, et souscris donc sans état d'âme au projet de loi.

En revanche, je n'oublie pas que la France compte de nombreuses petites communes rurales, dont 150 dans le département dont je suis l'élu, qui comptent moins de 100 habitants. Et c'est pourquoi je plaide, dans le même temps, pour la création d'un fonds d'aide forfaitaire aux petites communes rurales, afin de leur permettre d'engager, grâce à des subventions de 5 000 à 10 000 euros, des dépenses auxquelles elles ne peuvent faire face.

M. Alain Houpert. - Que sont les 147 millions d'euros de la réserve parlementaire au regard des économies qui ont été réalisées sur les dotations aux collectivités territoriales ? Ces subventions viennent en aide aux communes, pour de petites sommes, sur des chapitres dépourvus d'aide - pour le logement, les réserves eau et incendie, l'équipement en défibrillateurs... La réserve parlementaire, en somme, vient appuyer, au bénéfice des plus faibles, des actions de solidarité territoriale.

Au demeurant, je pourrais préférer la voir supprimée, tant elle nous vaut, comme le disait François Patriat, plus de reproches que de bénédictions, mais je veux que mon territoire s'élève. Je veux que les parlementaires que nous sommes, sans esprit partisan, puissent aider les petites communes qui n'ont rien. Et pas besoin, pour cela, d'inventer le fil à couper le beurre. Je souscris à la proposition d'alignement du rapporteur sur la règle s'appliquant aux subventions de l'État, qui ne peuvent dépasser 50 % du montant de l'investissement projeté, et j'irais plus loin que lui encore sur la transparence : vous visez la réserve ministérielle, mais quid de la réserve présidentielle ?

La réunion est levée à 15 heures

Projet de loi organique et projet de loi rétablissant la confiance dans l'action publique - Suite de l'examen du rapport pour avis et communication sur la recevabilité financière des amendements

La réunion est ouverte à 17 h 05.

M. Bernard Delcros. - Je veux rappeler que la réserve parlementaire est encadrée par l'État. Ne laissons pas penser, par nos propos, que toute latitude est aujourd'hui laissée aux parlementaires. Cette dotation permet d'aider les projets de petites communes dont les opérations ne sont bien souvent pas éligibles à d'autres aides. Je suis prêt à suivre notre rapporteur sur le seuil et les critères proposés. En ajoutant que je ne vois pas de raison, en effet, de ne pas appliquer les mêmes critères à la réserve ministérielle.

M. Claude Nougein. - J'approuve totalement vos propos, madame la présidente, sur les départements ruraux, dont nous sommes l'un et l'autre des représentants. J'ajoute que les maires que j'ai eu l'occasion de rencontrer sont, toutes tendances confondues, vent debout contre ce projet de suppression de la réserve parlementaire, qui profite pleinement aux petites communes. Une réserve dont il est fait usage dans la plus grande transparence, contrairement aux procès d'intention auxquels se plaisent certains médias. Il faut rétablir la vérité. La réserve parlementaire n'est rien de plus que la cerise sur le gâteau qui permet de boucler certains petits projets.

M. Jacques Genest. - Je félicite à mon tour notre présidente pour ses propos, et approuve les orientations de notre rapporteur général. La réserve parlementaire est très importante pour les petites communes. Le plafond de 20 000 euros que notre rapporteur propose de retenir permettra de subventionner des projets qui ne sont pas éligibles à la DETR. Et j'estime comme vous que ces dotations, qui tissent un lien entre le Sénat et les territoires, ne doivent aller qu'aux communes et à leurs groupements, à l'exclusion des associations, à l'égard desquelles le risque de clientélisme ne peut être écarté.

M. Éric Doligé. - Notre rapporteur demande la transparence sur la réserve ministérielle. Pourquoi ne pas aller au bout, et faire de même pour la réserve présidentielle ?

Mme Michèle André, présidente. - La réserve ministérielle est publiée.

M. Éric Doligé. - Mais pas celle du Président de la République. Que fait René Dosière ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il n'y a pas de réserve présidentielle en tant que telle. Mais peut être le Président de la République peut-il orienter des subventions en passant par un département ministériel.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU PROJET DE LOI ORGANIQUE

Article 9

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mon amendement COM-92 répond à certaines des préoccupations qui se sont exprimées. Le dispositif tel que je le conçois, avec un plafond de 20 000 euros, ne se télescope pas, comme l'a rappelé Jacques Genest, avec la DETR, qui, réservée aux projets structurants, ne finance pas les petits projets. Mon amendement prévoit également que la dotation ne pourrait plus subventionner que les investissements des communes et de leurs EPCI, à l'exclusion des associations.

Bernard Delcros a raison de souligner que la situation qui prévalait il y a quatre ou cinq ans n'a plus cours. Mais il reste que l'on peut encore améliorer la transparence en prévoyant de confier au bureau de chaque assemblée le soin de transmettre la liste des projets au Gouvernement. La même transparence devrait prévaloir pour la réserve ministérielle : mon amendement suivant y pourvoit.

Je dois dire que si l'on devait aller vers la suppression pure et simple de la réserve, j'en viendrai à militer pour la suppression de toute subvention passant par un ministère qui ne fait pas l'objet d'une totale transparence ! Il en est dont les montants sont sans commune mesure avec la réserve parlementaire, et qui ne font pourtant pas l'objet de la même transparence. Quand on sait que le budget de l'État subventionne des milliers d'associations... Les parlementaires ont toute légitimité démocratique, mais ils ne peuvent, en revanche, siéger dans toutes les commissions ad hoc.

M. Alain Houpert. - Quid de la réserve présidentielle ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comme je l'ai dit, elle ne passe pas par le budget de l'Elysée.

Mme Michèle André, présidente. - Comment régler le problème des alliances françaises et des fondations, que vous avez évoqué ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'interrogerai le Gouvernement. Je l'ai dit, il faut leur maintenir une forme de soutien. Il en va de leur survie. Le ministère des affaires étrangères pourrait proposer un dispositif.

L'amendement COM-92 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 9 sous réserve de l'amendement qu'elle a adopté.

Article additionnel après l'article 9

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'ai dit ce qu'il en était de mon amendement COM-93, qui étend l'exigence de transparence à la réserve ministérielle.

L'amendement COM-93 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter un article additionnel ainsi rédigé.

Article 13

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 13 sans modification.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU PROJET DE LOI

Article 12

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comme l'a dit Richard Yung, créer une banque pour le financement des campagnes électorales et de la vie politique serait s'engager prématurément dans un processus très lourd. Je ne nie pas qu'il existe, en matière de financement, des difficultés, mais le gouvernement reconnait lui-même qu'il n'a pas de dispositif à proposer, puisqu'il a diligenté une mission conjointe des inspections générales des finances et de l'administration. Nous ne pouvons, à ce stade, lui signer un chèque en blanc. Je pense, au-delà, qu'il est d'autres solutions que la création d'une banque, qui, comme l'a rappelé là encore Richard Yung, suppose un président, un secrétaire général, des locaux, des voitures de fonction...

M. André Gattolin. - Un haut fonctionnaire du Conseil d'État ou de la Cour des comptes...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est pourquoi je demande, par mon amendement COM-132, la suppression de l'article 12.

L'amendement COM-132 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois la suppression de l'article 12.

Mme Michèle André, présidente. - Notre rapporteur participera tout à l'heure à la réunion de la commission des lois pour y défendre notre position.

Dans la perspective de l'examen en séance publique des deux projets de loi rétablissant la confiance dans l'action publique, et dans un souci de transparence, je souhaite quant à moi apporter quelques précisions à la jurisprudence applicable aux initiatives parlementaires relatives aux moyens du Parlement.

J'ai en effet été saisie par le Président Philippe Bas, pour avis, sur la recevabilité d'amendements déposés en vue de l'élaboration du texte de la commission des lois.

Les dépenses des assemblées font partie des charges de l'État et se trouvent donc dans le champ de l'article 40. En effet, dans une décision de 2003, le Conseil constitutionnel considérait que l'augmentation du nombre de sénateurs aurait « une incidence directe et certaine sur les dépenses du Sénat, lesquelles font partie des charges de l'État ».

Cependant, le Conseil constitutionnel a consacré, dès 2001, le principe d'autonomie financière des pouvoirs publics constitutionnels, qui « déterminent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement ; cette règle est inhérente au principe de leur autonomie financière, qui garantit la séparation des pouvoirs ».

Une décision de 2012 a réaffirmé ce principe : le Parlement ne peut, à travers la loi, diminuer le traitement du Président de la République et du Premier ministre, au nom de la séparation des pouvoirs. Le commentaire aux cahiers de cette même décision précise que le principe de séparation des pouvoirs s'applique également aux assemblées : « la séparation des pouvoirs a pour corollaire l'autonomie des assemblées dont l'objet est de permettre la bonne exécution d'une mission constitutionnelle, le vote de la loi et le contrôle de l'exécutif, en toute indépendance ».

Si le Sénat doit pouvoir déterminer lui-même les crédits nécessaires à son fonctionnement, on peut donc considérer que l'article 40 ne peut y faire obstacle. Cette analyse est corroborée par le commentaire aux cahiers du Conseil constitutionnel de la décision précitée de 2003 : « l'article 40 de la Constitution ne saurait être entendu [...] comme faisant obstacle à la règle selon laquelle les pouvoirs publics constitutionnels déterminent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement. ».

La possibilité pour les parlementaires de proposer une augmentation des dépenses des deux chambres - et non de leur seule assemblée - soulève en revanche plus de questions, dans la mesure où elle suppose qu'une assemblée puisse imposer une charge à l'autre assemblée. Le Sénat serait particulièrement concerné, dès lors que l'Assemblée nationale peut disposer du dernier mot.

La première solution consisterait à limiter la possibilité de déroger à l'article 40 aux seules initiatives sénatoriales concernant le Sénat. Je considère que cette solution serait excessivement restrictive, dans la mesure où de nombreuses dispositions sont communes à l'ensemble des parlementaires.

Certes, la rédaction pourrait être adaptée pour ne s'appliquer qu'aux seuls sénateurs, mais cela supposerait de rompre l'équilibre entre les deux assemblées. De plus, modifier les dispositions communes contraindrait alors à procéder à une deuxième lecture, même en cas d'accord entre les deux chambres dès l'origine : une disposition relative aux sénateurs introduite au Sénat serait étendue aux députés par l'Assemblée nationale, avant d'être adoptée conforme en deuxième lecture au Sénat.

Je préconise une deuxième solution, afin de maintenir l'équilibre entre les deux chambres. En effet, l'existence de dispositions communes témoigne du souhait d'assurer l'équilibre des moyens entre les deux assemblées.

C'est ainsi, par exemple, que les crédits attribués à chaque assemblée sont inscrits au projet de loi de finances sur proposition d'une commission commune, composée paritairement. Cette solution permettrait de surcroît de débattre des moyens du Parlement dans son ensemble, et non du Sénat et de l'Assemblée nationale pris séparément.

Dès lors, ce raisonnement me conduit à considérer que l'article 40 n'est pas opposable aux initiatives sénatoriales concernant les dépenses relatives au fonctionnement du Sénat ; qu'il ne l'est pas non plus aux initiatives sénatoriales concernant les dépenses relatives au fonctionnement du Sénat et de l'Assemblée nationale, à condition, d'une part, que le droit en vigueur prévoie des dispositions communes, d'autre part, que l'équilibre entre les deux chambres soit maintenu.

C'est sur ce fondement que j'ai répondu aux interrogations du Président Philippe Bas.

Si certains collègues peinent à comprendre la procédure de l'article 40, invitez-les à venir me voir. Il arrive que de deux amendements très proches dans leur objectif, l'un soit déclaré irrecevable et pas l'autre, selon le dispositif juridique retenu. Mon objectif n'est pas d'agir en gendarme casqué, mais de faciliter la vie de nos collègues.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous n'avons pas été saisis des dispositions relatives à l'indemnité représentative des frais de mandat, l'IRFM, mais permettez-moi d'en dire quelques mots, car elles sont à la limite de nos compétences.

Un amendement de la commission des lois prévoit la prise en charge des frais de mandat selon un système non plus déclaratif, mais sur justificatifs. Je suis disposé à le voter mais en revanche, je veux appeler votre attention sur le fait qu'une fiscalisation de l'indemnité de base et de l'IRFM, déduction faite des frais, reviendrait à créer un contrôle de l'administration fiscale sur la nature de ces frais et porterait atteinte, ainsi que le Conseil d'État l'a d'ailleurs estimé, à la séparation des pouvoirs. Je ne suis pas favorable aux initiatives en ce sens.

Mme Michèle André, présidente. - Nous aurons l'occasion de reparler de l'IRFM. Imaginons que tous les frais soient contrôlés par le Sénat : les questeurs auraient quelques soucis, car il faudrait bien recruter des contrôleurs.

M. Richard Yung. - Ne pourrait-on imaginer un système simplifié ?

Mme Michèle André, présidente. - La commission des lois travaille sur ce sujet, mais nous avons jugé utile d'avoir un échange. Il faudra être attentifs à ses préconisations.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Elle préconise une gestion sur justificatifs, dans les conditions prévues par le bureau de chaque assemblée. Cela n'interdit pas une prise en charge directe de certains frais, qui évite au parlementaire d'avoir à en faire l'avance.

Mme Michèle André, présidente. - Je rappelle qu'il existe un guide de l'IRFM, propre à nous orienter. Nos questeurs devraient discuter avec ceux de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Dallier. - Mieux vaudrait trouver, en effet, un système commun.

M. Roger Karoutchi. - Ce qui est préconisé serait l'équivalent d'un droit de tirage. Mais cela suppose bien que dépense par dépense, un fonctionnaire parlementaire fasse le point. Clairement, on entre dans un tout autre système. Autre question, dès lors qu'il ne s'agira plus d'un stock mais d'un droit de tirage, il faudra annualiser la somme.

M. Bernard Lalande. - La confiance n'exclut pas le contrôle. Si l'on retient un système de tirage, quatre ou cinq personnes y suffisent. Créer un service ad hoc pour contrôler les dépenses des sénateurs serait susciter, encore, un climat de suspicion. Il faut avoir confiance dans les représentants de la nation.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le point central est dans le remboursement sur justificatif.

M. Alain Houpert. - Si un tel système est retenu, il faudra prévoir une trésorerie d'avance.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est pourquoi l'amendement de la commission des lois retient les termes de « prise en charge », laquelle peut aller du remboursement à l'avance, en passant par la prise en charge directe.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie. Il est bon que notre commission des finances puisse aborder clairement ce sujet de l'IRFM.

Contrôle budgétaire - Programme des interventions territoriales de l'État (PITE) et exemple du Marais poitevin - Communication

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial de la mission « Politique des territoires ». - Deux éléments m'ont conduit à mener un contrôle budgétaire sur le programme des interventions territoriales de l'État (PITE), inscrit au programme 162 de la mission « Politique des territoires ». Tout d'abord, la durée des opérations du programme. Lors de sa création en 2006, il a été très clairement indiqué que « l'inscription d'une action au PITE était nécessairement balisée dans le temps ». Or, après une période expérimentale de deux ans, il est resté figé, depuis 2009, autour de quatre actions. Mon deuxième constat concerne le niveau des crédits affectés. Pour prendre le seul exemple du Marais poitevin, le montant des crédits inscrits en loi de finances, qui se situait aux environs de 4 millions d'euros par an depuis près de dix ans, a chuté à 1,2 million d'euros en 2017. Les députés avaient approuvé fin 2016 une hausse de crédits, sur laquelle le gouvernement est revenu en seconde délibération.

En conduisant ce contrôle budgétaire, je m'étais fixé pour objectif de répondre à plusieurs questions. D'abord, faut-il poursuivre ce programme ? Quel est son bien-fondé ? A-t- il une plus-value pour les territoires ? Répond-il efficacement à des enjeux spécifiques qui concernent directement l'État ? Quels critères pour sélectionner les actions ? Les montants attribués sont-ils adéquats ? La durée de l'engagement de l'État pour chacune des actions est-elle la bonne ? Enfin, faut-il y inscrire de nouvelles opérations ?

J'ai effectué plusieurs auditions, en particulier sur le cas du Marais poitevin. Je me suis rendu dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire, où j'ai rencontré les principaux acteurs concernés par cette action, et je me suis entretenu avec le préfet de région Nouvelle Aquitaine, qui la coordonne. J'ai aussi réuni les sénateurs des départements concernés.

Créé par la loi de finances pour 2006 à la demande des préfets, qui souhaitaient disposer d'une enveloppe de crédits fongibles pour gérer les politiques locales interministérielles, le PITE est un programme budgétaire qui déroge à la lettre et à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : il ne met pas en oeuvre une politique nationale unique mais est composé d'actions territoriales répondant à des enjeux divers comme, par exemple, les algues vertes en Bretagne ou la pollution au chlordécone dans les Antilles. De plus, il est financé par des contributions issues de différents ministères.

Pour bénéficier du PITE, un projet doit satisfaire plusieurs conditions : comporter une forte dominante interministérielle, présenter un enjeu « particulier voire exceptionnel », une nécessité de réactivité - comme ce fut le cas pour la pollution aux algues vertes - ou une dimension interrégionale.

Lors de la phase d'expérimentation, entre 2006 et 2008, huit projets ont été retenus et financés parmi les 30 dossiers déposés par les préfets. Or, depuis 2009, le PITE comporte quatre actions. D'abord, le programme exceptionnel d'investissements en faveur de la Corse, qui représente les deux tiers des crédits. Puis, l'action « Eau et agriculture en Bretagne », qui contribue au plan de lutte contre les algues vertes et au maintien de la qualité de l'eau, suite à un contentieux européen dans la région. Troisièmement, le plan chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, dont l'action de sensibilisation des populations a récemment été jugée efficace par un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA). Enfin, le plan gouvernemental pour le Marais poitevin.

Dans l'ensemble, les crédits du PITE diminuent depuis 2010. Par ailleurs, aucune nouvelle action n'a été introduite depuis huit ans, alors que des demandes ont été formulées par les préfets de région.

Je veux maintenant évoquer plus particulièrement la contribution du PITE à la mise en oeuvre du plan gouvernemental pour le Marais poitevin. D'une surface de 100 000 hectares, ce marais constitue la deuxième zone humide de France, partagée entre deux régions - Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine - et trois départements - Vendée, Deux-Sèvres et Charentes maritimes. Ce territoire a été marqué par l'extension des grandes cultures céréalières et la disparition accélérée des prairies humides naturelles à partir du milieu des années 1970, ce qui a conduit à la condamnation de la France par la Cour de justice des communautés européennes en 1999 pour manquement à la directive « Oiseaux » - condamnation qui a justifié la mise en place du PITE.

Il existe de multiples dispositifs de protection des milieux naturels et des espèces dans la zone humide : zone Natura 2000, réserves naturelles nationales, régionales, label « grand site de France », etc. Et un très grand nombre d'acteurs interviennent dans la gestion du Marais poitevin, ce qui complique considérablement sa gestion. Il est difficile de tous les citer mais, pour simplifier, on peut retenir qu'il existe des acteurs privés réunis au sein de 41 syndicats de marais, eux-mêmes fédérés en quatre entités distinctes, et une multitude de structures publiques, parmi lesquelles le parc naturel régional, le parc naturel marin, trois syndicats mixtes hydrauliques, l'institution interdépartementale du bassin de la Sèvre Niortaise (IIBSN), un syndicat mixte des réserves de substitution, le conservatoire régional des espaces naturels et, bien sûr, toutes les collectivités territoriales situées dans le périmètre de la zone humide du marais - deux régions, trois départements, huit EPCI et 92 communes. À cette liste s'ajoute l'établissement public du Marais poitevin (EPMP), qui a été créé par l'État en 2011 pour assumer la compétence de gestion de l'eau et des milieux naturels et apaiser les tensions au niveau local, et bien sûr le préfet de région Nouvelle-Aquitaine, qui assume la fonction de coordonnateur, ainsi que le conservatoire régional des espaces naturels et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui est co-gestionnaire de deux réserves naturelles nationales avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Une telle multiplicité d'acteurs montre bien le besoin d'une forte coordination par l'État.

Entre 2003 et 2013, l'État a investi 60 millions d'euros, dont près de 60 % au titre du PITE. Sur 260 millions d'euros investis en dix ans dans le Marais poitevin, près de la moitié provient des collectivités territoriales, un quart de l'État, 17 % de l'Union européenne et 11 % de l'agence de l'eau Loire Bretagne. Ces crédits sont allés principalement vers l'hydraulique - gestion des cours d'eau et rénovation des équipements - l'agriculture, pour dissuader les pratiques d'assèchement, et le tourisme.

Le PITE a été utilisé pour financer un complément aux mesures agro-environnementales afin d'inciter au développement de l'élevage et donc au maintien des prairies naturelles humides. Des dispositifs spécifiques comme les prairies communales et les contrats de « maintien de l'eau dans les parties basses des prairies » sont également soutenus par le PITE. Les résultats sont visibles puisque l'extension des surfaces asséchées a été stoppée et la surface de prairies dans la zone du Marais poitevin s'est stabilisée et a même légèrement augmenté en 2015. De plus, le parc naturel régional a reconquis en 2014 son label perdu en 1997. Le PITE a aussi financé l'entretien et la restauration d'ouvrages hydrauliques très anciens et trop longtemps délaissés ainsi que la réalisation de retenues de substitution.

Toutefois, on observe depuis 2015 une baisse importante des crédits du PITE en faveur du Marais poitevin : ces derniers ont quasiment été divisés par trois en 2017 par rapport à une moyenne d'environ 4,5 millions d'euros par an. Cette diminution de crédits ne résulte pas d'une évaluation des besoins sur le terrain et elle n'a pas été anticipée, ce qui a pu mettre les partenaires locaux en difficulté.

En somme, l'action du PITE dans le Marais poitevin a permis de redresser une situation extrêmement délicate, révélée par la condamnation de la France en 1999 et le retrait du label au parc naturel régional en 1997. Sur la durée, on peut considérer que l'action du PITE est positive. Grâce à lui, le préfet de région, très impliqué sur ce dossier, peut fédérer les nombreux acteurs du site pour concilier les usages, poursuivre le plan d'investissement et respecter les nécessaires équilibres. Toutefois, l'efficience de l'ensemble du système, qui mobilise un très grand nombre de structures privées et publiques et d'importants moyens financiers, suscite des interrogations.

Aussi convient-il de préparer sereinement un retour aux modalités classiques de financement à moyen terme, sans pour autant interrompre brutalement le PITE. En effet, les risques de dégradation du milieu naturel subsistent, les grosses réparations de remise à niveau des équipements hydrauliques ne sont pas achevées et les incitations financières au maintien des prairies humides demeurent indispensables.

Bref, le PITE présente des avantages réels pour répondre à des situations particulières et dont les enjeux dépassent les seules questions locales. Il permet à l'État d'agir rapidement et efficacement pour répondre aux enjeux spécifiques qui le concernent, par exemple de santé publique ou de contentieux européen. Il procure aux gestionnaires - en l'occurrence les préfets de région - une très grande souplesse d'intervention et un moyen d'assurer la cohérence de l'action de l'État au-delà de certaines limites administratives et dans des contextes locaux parfois compliqués. Il offre également davantage de visibilité et de lisibilité aux acteurs locaux, dans la mesure où il regroupe des crédits de différents ministères et permet de financer un plan gouvernemental sur plusieurs années.

Aussi je propose de maintenir ce programme tout en ciblant mieux les actions éligibles et en encadrant davantage les conditions d'accès et de gestion. C'est l'objet des huit propositions suivantes.

Ma première proposition est de maintenir le dispositif PITE en le réservant exclusivement à des opérations qui répondent à un moment donné à des enjeux territoriaux particuliers nécessitant l'intervention de l'État, comme par exemple en cas de risque de contentieux européen, de menace pour la santé publique, ou pour réduire la fracture territoriale. La deuxième proposition consiste à appliquer réellement la limitation dans le temps des actions du PITE, qui devront ensuite trouver leur place dans le droit commun et les partenariats locaux. La troisième proposition est de réaliser systématiquement des évaluations de la mise en oeuvre de chaque plan d'action tous les trois à quatre ans. Quatrième proposition : faire figurer dans les documents budgétaires les ministères contributeurs et les montants attribués annuellement à chaque action du PITE - aujourd'hui, nous n'avons pas assez de visibilité sur ce point.

Sur le cas particulier du Marais poitevin, je propose d'abord de maintenir l'action « Marais poitevin » du PITE pendant une durée de trois ans, en la dotant de 2,5 à 3 millions d'euros par an en moyenne, afin de donner de la visibilité aux acteurs locaux et de conserver un seuil critique d'intervention. Ainsi, le préfet de région sera conforté dans son rôle important, qui consiste à apaiser les tensions et à rassembler les acteurs. Deuxièmement, je propose de réserver les crédits du PITE, d'une part, aux projets de remise à niveau des ouvrages hydrauliques et aux retenues de substitution, sur la base d'une feuille de route énumérant les opérations prioritaires, et d'autre part aux mesures agro-environnementales en faveur du maintien des prairies naturelles et de leur extension. Par voie de conséquence, l'axe « Développement touristique et économique » du PITE, notamment le projet touristique de navigation fluviale, doit trouver ses financements auprès des acteurs locaux et des crédits d'État de droit commun. Troisièmement, il conviendrait de mettre à l'étude une réforme simplifiant la gouvernance du Marais poitevin. La décision en la matière revient, bien sûr, aux collectivités territoriales et à l'État mais, de mon point de vue, des rapprochements pourraient être encouragés entre les principaux opérateurs hydrauliques. Enfin, je propose une clause de réexamen de l'action « Marais poitevin » du PITE d'ici la fin de l'année 2020. Il s'agirait d'évaluer s'il convient de maintenir encore l'action ou si l'on peut transférer ces crédits vers les programmes budgétaires d'origine. L'idée est de donner un signal aux acteurs locaux et, éventuellement, de permettre le fléchage des actions du PITE vers d'autres territoires.

Mme Michèle André, présidente. - La complexité peut être sans limites, vu la capacité de notre administration à trouver des solutions parfois contradictoires. Ainsi, une condamnation fondée sur la directive « Oiseaux » nous fait découvrir la problématique de l'assèchement des marais...

M. Maurice Vincent. - Quelle est la différence entre le PITE et d'autres dispositifs apparemment similaires, comme les contrats de massif ?

M. Claude Raynal. - Je reste dubitatif. Certes, la diminution des crédits dans tous les ministères ne peut que peser sur le PITE, comme sur les autres programmes. Votre proposition de réserver le PITE à des enjeux territoriaux particuliers n'est-elle pas trop large ? De plus, vous préconisez une limitation dans le temps mais, dans le Marais poitevin, vous recommandez un maintien des crédits à un niveau compris entre 2,5 et 3 millions d'euros pendant au moins trois ans.

M. Bernard Delcros, rapporteur. - Le PITE répond à un enjeu territorial spécifique : par exemple, la pollution aux algues vertes. Les contrats de massif définissent en quelque sorte une politique de développement parallèle, qui conjugue crédits régionaux, départementaux et européens - quand les crédits du PITE proviennent exclusivement de l'État mais issus de différents ministères. Ceux-ci représentent d'ailleurs un total de 30 millions d'euros, ce qui n'est pas considérable. Et quand la France est condamnée par la CJUE, l'État doit bien réagir !

C'est la question de la limitation dans le temps qui a motivé mon contrôle, car au renouvellement plus ou moins régulier des crédits a succédé leur division brutale par trois en 2017. Il faut évidemment limiter la durée de chaque action mais les interrompre brutalement risquerait d'annihiler les efforts effectués. Le mieux est donc d'avertir les acteurs que cette action pourrait disparaître d'ici trois ans. Cela laissera le temps de rénover convenablement certains ouvrages hydrauliques. Sans l'intervention du PITE depuis 2006, nous aurions asséché le Marais poitevin.

La commission donne acte de sa communication à M. Bernard Delcros et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Application du droit européen environnemental - Communication

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - M'inscrivant dans les pas de ma prédécesseure, Fabienne Keller, auteur de quatre rapports entre 2006 et 2011 sur ce sujet, j'ai souhaité procéder à un examen de l'évolution de la situation française en matière de contentieux environnementaux européens. On constate une amélioration globale depuis 2011, y compris en matière de transposition des directives. Toutefois, des difficultés persistent, tant dans la transposition des directives que dans leur mise en oeuvre.

Je me suis intéressé de façon plus spécifique à la qualité de l'air, dans la continuité des travaux menés par la commission d'enquête que j'ai présidée en 2015. Cette thématique illustre en effet les difficultés rencontrées sur le terrain pour assurer la mise en oeuvre effective d'une directive environnementale. Je me suis ainsi rendu à Lille, agglomération concernée par le plan de protection de l'atmosphère couvrant le Nord et le Pas-de-Calais.

Ce travail a également été l'occasion d'étudier les évolutions du cadre d'application du droit européen environnemental. La Commission européenne, dont l'intention est de moins légiférer mais mieux, place en effet l'application effective des directives au coeur de ses priorités. Cette évolution appelle une plus grande vigilance mais offre aussi une chance pour notre pays de retrouver un rôle moteur dans la mise en oeuvre du droit européen, en particulier environnemental.

Tout d'abord, l'environnement reste la principale source de contentieux européens. Au niveau européen, en 2015, il s'agit encore du premier domaine d'infraction ; pour la France, 18 % des nouvelles plaintes enregistrées par la Commission européenne en 2015 concernent ce secteur.

Pour autant, par rapport à l'état des lieux réalisé en 2011, j'ai constaté de nombreux progrès dans l'application du droit européen de l'environnement. On compte ainsi huit procédures au stade du manquement, et trois arrêts en manquement sont en cours d'exécution - ils figurent en première page de l'infographie - mais aucune de ces affaires n'est visée par une procédure de « manquement sur manquement » susceptible d'aboutir à une condamnation pécuniaire au vu des progrès et des échanges réguliers et continus entretenus avec la Commission européenne. Ainsi, il n'y a plus aucune procédure ouverte au titre du manquement sur manquement.

Aujourd'hui, les risques budgétaires encourus par la France au titre des contentieux européens environnementaux sont relativement faibles. Je rappelle, pour mémoire, que la France a été condamnée une première fois en 2006, au paiement d'une somme forfaitaire de 20 millions d'euros au titre d'une mauvaise application d'une directive qui concernait les « poissons sous taille ». La seconde condamnation, en 2011, d'un montant de 10 millions d'euros, découlait du défaut de transposition de la directive relative aux OGM. Comme je l'ai rappelé, trois arrêts en manquement ont entraîné la prise de mesures d'exécution, afin d'éviter l'engagement d'une procédure de « manquement sur manquement », susceptible d'aboutir à des sanctions pécuniaires. Les risques budgétaires de ces affaires étant considérés comme faibles, les provisions pour litiges communautaires inscrites avant 2016 ont toutes été reprises. Aucune provision pour litiges communautaires n'est donc inscrite au bilan de l'État en clôture de l'année 2016. J'appelle votre attention sur une évolution très importante : la charge budgétaire des contentieux n'est plus supportée uniquement par le budget de l'État. Les collectivités territoriales sont, depuis la loi « Notre », coresponsables politiquement et financièrement avec l'État en cas de procédures contentieuses européennes liées à l'inexécution d'obligations relevant en tout ou partie de leur compétence.

La France a aussi amélioré ses performances en matière de transposition depuis 2005. Nous remplissons correctement l'objectif fixé au niveau européen : depuis 2009, le taux de déficit de transposition oscille entre 0,3 % et 1 %. En outre, depuis 2011, aucun arrêt en manquement au motif de non transposition d'une directive n'a été rendu par la CJUE à l'encontre de la France. Là encore, les risques budgétaires sont nuls à ce jour : la Cour de justice n'a rendu aucun jugement pour manquement à l'obligation de communiquer les mesures de transposition, car les États membres se sont toujours conformés à leurs obligations avant que l'arrêt ne soit rendu, et la Commission européenne acceptait de se désister en cours d'instance. L'annonce récente de l'intention de la Commission européenne de ne plus se désister et de demander à la CJUE d'infliger non seulement une astreinte, mais aussi le paiement d'une somme forfaitaire impose de poursuivre les efforts, d'autant que la part d'infractions ouvertes pour retard de transposition au sein du nombre total d'infractions ouvertes contre la France augmente depuis 2012.

Cet état des lieux montre une réelle amélioration de la situation française. Néanmoins, plusieurs dossiers pourraient faire peser à l'avenir des risques de sanctions contre la France : il s'agit des dossiers illustrés en deuxième page de l'infographie, notamment la procédure relative aux plans de gestion des déchets, et les deux procédures relatives à la qualité de l'air.

Pour être plus concret, je me suis penché sur la mise en oeuvre de la directive relative à la qualité de l'air, qui illustre les lacunes rencontrées dans la mise en oeuvre d'une directive environnementale.

La France est ainsi concernée par deux procédures d'infraction à la directive de 2008 sur la qualité de l'air ambiant et un air pur en Europe pour non-respect des valeurs limites de particules et des oxydes d'azote. Nous ne sommes pas le seul pays concerné : seize États membres sont concernés par la première procédure ; douze par la seconde. Au-delà des enjeux financiers associés au contentieux, la lutte contre la pollution de l'air représente aussi un enjeu sanitaire, la mauvaise qualité de l'air étant responsable de près de 48 000 décès précoces par an. Je vous renvoie au rapport pour plus de détails sur ces points.

La conclusion que je tire des difficultés de mise en oeuvre sur le terrain est simple mais sévère : la qualité de l'air fait aujourd'hui l'objet d'une réelle ambition politique, pénalisée, cependant, par l'absence de vision stratégique. De plus, une gouvernance complexe, résultant d'une multiplicité d'outils de planification, s'ajoute à des financements insuffisants, freinant une mise en oeuvre effective de la directive sur le terrain.

D'abord, l'action nationale est pénalisée par l'absence de vision stratégique en la matière. La difficulté de la mise en oeuvre de la directive s'explique par la diversité des sources de pollution et la contradiction entre des objectifs concurrents. De nombreuses mesures sectorielles, telles le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) ou le fonds « air-bois » visent à aider les particuliers à limiter les émissions de polluants atmosphériques issues du chauffage. On nous a beaucoup parlé à Lille de la difficulté à maîtriser ces émissions car l'usage du chauffage au bois est une tradition fortement ancrée dans la région des Hauts-de-France. Cet usage concerne aussi souvent les foyers modestes, habitant des logements mal isolés. Son utilisation est pourtant recommandée dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, brouillant donc le message pour les citoyens. En outre, le retard pris dans l'élaboration du plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) et son absence d'ambition particulièrement regrettable fragilise la crédibilité politique.

La mauvaise application de la directive s'explique surtout par un problème de pilotage et de gouvernance. De nombreux outils existent, voire trop, et on peut se poser la question de leur hiérarchie et de leur coordination ; je n'en citerai que quelques-uns : les schémas régionaux climat air énergie (SRCAE), bientôt les Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), les plans de prévention de l'atmosphère (PPA), les Plan climat-air-énergie territorial (PCAET). De plus, une profusion d'acteurs intervient dans la planification en matière de qualité de l'air, à de multiples échelons. Deux questions simples mais essentielles se posent : où les décisions sont-elles prises, et comment la cohérence des mesures est-elle assurée ?

Dans le domaine de l'air, l'absence de lieu d'échanges réunissant les différents acteurs est criante et pénalise un traitement global de cette problématique. J'ai pu constater sur le terrain la qualité du dialogue entre les parties prenantes à l'amélioration de la qualité de l'air. Mais elles restent en attente d'une meilleure coordination et d'un accompagnement de la part de l'État. L'accompagnement des métropoles, désormais compétentes en matière de « qualité de l'air », n'est ainsi pas suffisant. L'amélioration du pilotage dans le domaine de l'air sera l'objet de l'une de mes propositions.

Enfin, les financements ne sont pas à la hauteur des enjeux. Par exemple, la métropole européenne de Lille, lauréate de l'appel à projet « villes respirables », lancé par le ministère de l'environnement, a construit son plan d'action sur la base d'un appui financier promis d'un montant de 1 million d'euros. Finalement, seul l'accompagnement de l'étude d'une zone à circulation restreinte (ZCR) a fait l'objet d'un conventionnement avec l'État, et les montants alloués ont par conséquent été divisés par dix.

Malheureusement, cette absence de visibilité quant aux financements alloués par l'État aux collectivités territoriales met en péril la dynamique des projets locaux. Surtout, dans un contexte de coresponsabilité politique et financière en matière de contentieux européens, l'État n'assume pas la responsabilité qui est la sienne en matière d'accompagnement, tant en matière d'appui au pilotage qu'en termes financiers.

Sur le front de la transposition des directives, mes travaux m'ont conduit à faire deux principaux constats, valables pour tous les secteurs, mais de façon encore plus marquante dans le domaine environnemental : l'exercice de transposition est aujourd'hui largement contraint, et fréquemment alourdi. Contraint car la diversité des secteurs relevant du ministère chargé de l'environnement - l'énergie, les transports -, secteurs fortement concernés par le droit européen, entraîne une mobilisation intense et continue des services chargés de la transposition des directives, confrontés à l'accumulation des directives à transposer. Alors qu'une soixantaine de directives sont transposées annuellement tous domaines confondus, le stock de directives restant à transposer pour le ministère de l'environnement au 1er mars 2017 s'élevait à vingt-deux directives.

L'exercice de transposition est ensuite fréquemment alourdi, notamment par le dépassement des exigences de transposition d'une directive, plus couramment appelé « surtransposition », fréquent en matière environnementale. Cette surtransposition de normes européennes est souvent préjudiciable à l'activité économique mais contribue aussi à accuser l'Union européenne de maux en réalité nationaux. Je prendrais un exemple simple de surtransposition en matière environnementale, celui des produits phytosanitaires. Alors que la France a adopté des règles particulièrement strictes sur ces produits, les fruits et légumes traités à l'étranger avec des produits interdits en France sont commercialisés sur le territoire national sans indications spécifiques, en vertu des principes de libre circulation et de reconnaissance mutuelle.

Je me suis intéressé aux systèmes à l'oeuvre dans d'autres pays : au Royaume-Uni, par exemple, des principes directeurs de transposition sont fixés. Le principe de « copie à l'identique » prévoit une transposition mot pour mot des directives, sauf dans les cas où ce principe porte préjudice aux intérêts du pays. J'ai agréablement pu noter au cours des auditions que depuis quelques années, la nécessité de limiter les surtranspositions fait l'objet d'une préoccupation croissante au plus haut niveau de l'État. Une communication en Conseil des ministres sur la méthode de travail européen, le 14 juin dernier, rappelle que la transposition doit se faire en évitant toute surtransposition qui, je cite, serait un facteur « de lourdeur administrative pour les citoyens et les entreprises, de charges financières et de défiance à l'égard de l'Union européenne ».

Quelles réponses proposer pour améliorer l'application du droit européen environnemental ?

Mes propositions s'articulent autour de deux axes : le premier vise à maîtriser la transposition d'une directive environnementale ; le second, à en réussir la mise en oeuvre.

Concernant la transposition, je propose tout d'abord de favoriser la transmission d'information entre les équipes responsables de la transposition et celles chargées de la négociation des projets de directive. La circulation d'informations doit en effet permettre d'anticiper les difficultés liées à l'exercice de transposition et de renforcer la connaissance des arbitrages effectués lors de la négociation européenne sur la directive par les services chargés de la rédaction des textes de transposition.

Je propose ensuite que, lorsque la transposition s'effectue par voie législative, les éléments étendant les prescriptions de la directive au-delà de ce qu'elle prévoit soient identifiés et justifiés afin d'améliorer l'information du Parlement sur les arbitrages politiques opérés en amont par le Gouvernement. Il est crucial, même indispensable, que le législateur national puisse s'exprimer en toute connaissance de cause lors du vote sur un projet de loi de transposition d'une directive.

Dans l'objectif de limiter les écarts de compétitivité qui peuvent résulter de la transposition d'une directive, l'étude d'impact annexée au projet de loi de transposition pourrait utilement être enrichie d'une analyse des conditions de transposition dans les autres États membres.

Ma principale proposition pour réussir la mise en oeuvre des directives environnementales découle de l'expérience tirée de la politique en faveur de la qualité de l'air : une mise en oeuvre rapide et efficace des directives européennes appelle une gouvernance claire et un pilotage fort au niveau local. L'association de l'État et des acteurs locaux apparaît comme un facteur essentiel du succès de la mise en oeuvre d'une directive environnementale, lorsque certaines obligations qui en découlent relèvent de leur domaine de compétence. Il me semble indispensable que les transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales récemment opérés s'accompagnent d'un appui et de financements de la part de l'État, afin de ne pas laisser le poids des initiatives et des investissements aux seules collectivités. Les points de blocage dans la mise en oeuvre découlent souvent d'une carence d'instances de décision, mais aussi d'une complexité des flux financiers.

Ainsi, je propose, au niveau local, d'encourager la création d'instances de pilotage dédiées à la mise en oeuvre des directives environnementales, afin d'approfondir la relation partenariale entre l'État et les collectivités territoriales et d'aborder la question du plan de financement pour assurer cette mise en oeuvre.

Je décline cette recommandation sur la question spécifique de la mise en oeuvre de la directive relative à la qualité de l'air, en proposant la tenue d'un échange régulier, organisé par la DREAL, réunissant les acteurs responsables de la mise en oeuvre des directives environnementales (équipes de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, élus compétents des métropoles, de la région, des communes et intercommunalités), du moins dans les zones visées par les avis motivés envoyés par la Commission européenne en matière de PM10 et de NO2.

Une série de propositions complémentaires et spécifiques à la qualité de l'air est également détaillée dans le rapport.

En outre, les déchets et l'air apparaissent comme les principaux points faibles de l'application du droit européen environnemental alors même que ces domaines relèvent du champ de compétences des collectivités territoriales. Outre un accompagnement imparfait de la part de l'État dans la mise en oeuvre des directives européennes déjà adoptées, cette situation découle d'une association aujourd'hui encore insuffisante au processus d'élaboration de la norme européenne. Je recommande ainsi d'associer davantage les collectivités territoriales au processus d'élaboration de la norme européenne, en particulier sur les projets de texte dont la mise en oeuvre est susceptible de leur incomber.

En conclusion, je souhaite rappeler la nécessité d'adopter une approche globale et décloisonnée sur les questions environnementales. La création d'un ministère d'État de la transition écologique et solidaire constitue, me semble-t-il, un signal fort pour une appréhension globale des enjeux environnementaux, même si je regrette l'absence du logement, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire dans le périmètre du ministère. J'ai rappelé les interactions entre qualité de l'air et isolation thermique des logements sur la thématique du chauffage au bois. Le ministère de la transition écologique et solidaire et celui de la cohésion des territoires devront travailler en forte synergie sur ce sujet. Une collaboration étroite est également attendue avec les ministères des solidarités et de la santé, ainsi qu'avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, notamment dans le cadre des états généraux de l'alimentation et de l'agriculture.

L'application du droit européen environnemental nécessite un pilotage fort mais aussi interministériel. L'élaboration en cours d'une feuille de route gouvernementale en matière de transition écologique, dont la publication est attendue cette semaine, constitue, je pense, une excellente initiative en ce sens.

Mme Michèle André, présidente. - La complexité que vous avez rappelée est en effet source de questionnements pour les élus locaux.

M. Maurice Vincent. - Ce rapport me rappelle certains souvenirs concrets. Lorsque des arboriculteurs vous expliquent qu'à cause d'une surtransposition d'une directive sur les pesticides, nous sommes envahis par des importations qui ont été soumises à ces pesticides, les parlementaires que nous sommes sont bien ennuyés pour répondre. Or, s'il y a surtransposition, cela signifie que des arbitrages interministériels ont été rendus en amont, parfois au niveau du Premier ministre. Je suis donc favorable à la proposition du rapporteur de renforcer la transparence du processus afin d'améliorer l'information du Parlement.

Je souhaitais également demander au rapporteur si le préfet de région n'avait pas à sa disposition tous les moyens pour mettre en oeuvre les dispositions de la directive européenne relative à la qualité de l'air. Je me souviens de décisions prises par le préfet, qui ont pu apparaître brutales aux élus locaux, mais qui semblaient indiquer qu'il disposait de tous les outils nécessaires.

M. Michel Canevet. - Il s'agit d'un sujet d'actualité important. Dans ma région, la Bretagne, la mise en oeuvre des dispositions de la directive relative à la reconquête de la qualité des eaux, notamment littorales, doit se conjuguer avec un contexte agricole difficile, où les marges de manoeuvre sont limitées.

En matière environnementale, ne vaudrait-il pas mieux avoir recours au règlement, qui s'impose à l'ensemble des États-membres sans nécessiter de texte de transposition, plutôt qu'à la directive ? Cela permettrait une application homogène sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

M. Thierry Carcenac. - Vous préconisez de mieux associer les collectivités territoriales au processus d'élaboration de la norme européenne. Pourriez-vous rappeler le rôle du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) ? Il me semble que, dans le cadre des travaux de la commission consultative d'évaluation des normes, ancienne dénomination du CNEN, nous avons pu constater des difficultés liées à des surtranspositions proposées par certains ministères.

M. Marc Laménie. - Ces questions font effectivement intervenir un grand nombre d'acteurs, ce qui est source de complexité. Par exemple, en matière de qualité de l'air, qui est compétent ? S'agit-il de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer si les difficultés posées aux apiculteurs sont abordées dans votre rapport ?

M. Claude Raynal. - Je reviens sur la question de Thierry Carcenac. Vous proposez de mieux associer les collectivités territoriales au processus d'élaboration de la norme. Cela semble complexe. Pourriez-vous nous indiquer quelles seraient les modalités de cette collaboration entre niveau européen et collectivités territoriales, qui sont très différentes les unes des autres ?

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Je rappellerai tout d'abord que, s'il convient d'éviter les défauts de la surtransposition, il ne faut pas non plus s'abriter derrière cet écueil pour ne pas transposer les règles européennes.

Pour répondre à la question de Marc Laménie, le rapport ne traite pas des problématiques spécifiques aux apiculteurs.

Pour revenir à la question de la surtransposition, il me semble qu'en la matière, le mieux est l'ennemi du bien. La France a le défaut de souvent vouloir être la meilleure élève. En ce domaine, il me semble préférable d'être un élève appliqué, mais sans aller au-delà de ce qui est nécessaire.

En matière de qualité de l'air, le préfet de région et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement sont compétents, en particulier sur le plan de protection de l'atmosphère, qui fixe les mesures portées, dans leurs domaines, par les collectivités territoriales, ainsi que sur les mesures en cas de pic de pollution. Il convient de travailler le plus possible en amont, sur la prévention de la pollution quotidienne. En ce qui concerne les pics de pollution, il faut en réduire le nombre et l'intensité. L'amélioration de la situation viendra nécessairement d'un dialogue renforcé entre les quatre secteurs émetteurs de polluants atmosphériques.

Pour répondre à Michel Canevet, l'objet d'une directive est précisément de laisser des marges de manoeuvre aux États-membres.

Enfin, sur la question de la place des collectivités territoriales, il pourrait être envisagé qu'elles participent aux réunions organisées par le secrétariat général des affaires européennes avec le ministère concerné.

M. Claude Raynal. - Qui participerait ? Les associations d'élus ?

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Oui, cela me semble indispensable.

S'agissant du rôle du conseil national d'évaluation des normes, je rappelle que ce dernier ne dispose pas d'un pouvoir d'auto-saisine, il rend un avis uniquement sur les textes dont il est saisi par le Gouvernement.

Vous trouverez dans le rapport un schéma qui présente l'ensemble des parties prenantes en matière de qualité de l'air. Cela confine parfois à l' « usine à gaz » ou revient à « brasser de l'air ».

La commission donne acte de sa communication à M.  Jean-François Husson et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Risques financiers liés à la remontée des taux d'intérêt - Communication

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Ce rapport a bien sûr été préparé avant la déclaration de politique générale du Premier ministre devant l'Assemblée nationale. Permettez-moi de dire que j'ai été déçu : de nombreuses annonces sont faites, mais personne n'indique comment elles seront financées ! Ce n'est certes pas nouveau, mais on aurait pu espérer mieux...

Le seul élément que je retiens de cette déclaration, c'est l'affirmation selon laquelle nous dansons sur un volcan. Je suis entièrement d'accord : à cause du risque permanent d'augmentation des taux d'intérêt, nous sommes en permanence sous la menace d'une grave crise de nos finances publiques. Le report de la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF) est regrettable : cet impôt - qui rapporte peu - est antiéconomique et fait partir les investisseurs français et étrangers. Repousser cette réforme pour économiser quelques milliards me paraît incompréhensible : n'y a-t-il pas d'autres mesures à envisager qui permettraient de limiter nos dépenses, en particulier concernant les dépenses d'intervention de l'État comme le RSA ?

La France est dans une situation économique et financière catastrophique : notre dette atteint 2 220 milliards d'euros, qui s'accroit chaque année en raison de notre déficit budgétaire. Nous empruntons chaque année 200 milliards d'euros par an, pour financer le déficit et les échéances de nos emprunts. Je vous rappelle que, pour les entreprises, il est interdit d'emprunter pour rembourser les intérêts de prêts contractés dans le passé : cela s'appelle de la cavalerie et mène droit à la faillite.

La fiscalité est trop élevée et démotivante, les charges sur les salaires trop lourdes et la durée du travail non compétitive, ce qui entraine une faible croissance, un chômage récurrent et aggravent notre déficit.

Les taux d'intérêt, aujourd'hui encore très faibles à moins de 1 %, permettent à la France de s'endetter à faible coût, sans en sentir immédiatement les conséquences budgétaires. La charge de la dette annuelle, une dépense incompressible, s'élève à 42 milliards d'euros en 2017 : c'est donc un des budgets les plus importants de l'État.

Une augmentation des taux d'intérêts nous obligera à emprunter chaque année une somme encore plus élevée et conduira à faire croître la charge de la dette. Si cette situation perdure, elle fragilisera les finances publiques françaises et aggravera d'autant le déficit budgétaire. Bruxelles observe d'ailleurs la France avec inquiétude...

Il faut rappeler que la faiblesse des taux d'intérêt observée aujourd'hui n'est pas liée à l'action de nos précédents gouvernements qui ont tous mené une politique budgétaire déséquilibrée avec des dépenses excédant largement les recettes. Le déficit budgétaire pour 2017 présente d'ailleurs, comme la Cour des comptes l'a montré, un fort risque de dépasser 3 % du PIB.

Pire, ils ont pris de grands risques avec un État providence qui nous ruine. Nous n'avons plus les ressources fiscales nécessaires pour financer les dépenses de fonctionnement et d'intervention.

L'emprunt n'est pas un puits de pétrole inépuisable où l'on peut se servir quand on en a besoin. Le puits sera rapidement vide dès que les investisseurs, avant tout opportunistes, n'auront plus confiance dans la qualité de la signature de la France et que les taux remonteront. Ils ont déjà exprimé des incertitudes. La situation est très grave.

Par exemple, dans le cas d'une augmentation de taux de 2 points de pourcentage, l'augmentation de la charge de la dette dépasserait 9 milliards d'euros dès la deuxième année et s'élèverait à plus de 21 milliards d'euros dans cinq ans. Elle passerait de 42 milliards à 63 milliards !

Alors, que faire ?

La seule façon de réduire notre déficit budgétaire et les risques qui lui sont liés serait de changer totalement notre fiscalité en s'inspirant du système de « flat tax », c'est-à-dire de taxe à taux unique le plus vite possible.

Si le nouveau gouvernement conserve la fiscalité actuelle, qui bloque toute possibilité de croissance, alors le déficit budgétaire ne diminuera pas et les risques liés à l'augmentation des taux d'intérêts seront très importants.

En appliquant trois taux constants, faibles, sur l'assiette de la contribution sociale généralisée (CSG), suivant le niveau de revenus, on supprimerait totalement l'impôt sur le revenu actuel, avec une partie de ses niches. Le taux serait nul pour les plus faibles revenus. Le taux maximal s'élèverait à 25 %. Cela augmenterait le pouvoir d'achat de nombreux ménages, leur permettant d'investir davantage dans l'économie et donc de soutenir la croissance.

En élargissant l'assiette et en baissant les taux, on se rapproche de certaines recommandations du Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, concernant le rapprochement de l'impôt sur le revenu et de la CSG.

Ainsi, au lieu d'avoir une fiscalité excessive et paralysante qui oblige l'État à créer des niches fiscales toujours plus nombreuses, qui atteignent aujourd'hui 90 milliards d'euros, tous les contribuables disposeront de moyen financiers pour satisfaire leurs besoins et l'État bénéficiera de revenus supplémentaires.

Grâce à la suppression des niches fiscales, le gouvernement pourra ramener les impôts sur les bénéfices des entreprises, sur les dividendes et les plus-values à 20 %, ce qui contribuera aussi au développement de l'économie.

L'État pourrait également obtenir des recettes supplémentaires en vendant les participations qu'il détient dans un certain nombre de sociétés privées. Ces participations atteignent près de 100 milliards et elles ne sont pas, pour la plupart, pertinentes.

En suivant ces quelques pistes, le Président de la République pourrait disposer, pour le budget 2018, de recettes supplémentaires lui permettant de réduire les impôts et de cesser la baisse des dotations aux collectivités territoriales, enclenchant un cycle vertueux de reprise de la croissance. À cet égard, la suppression de la taxe d'habitation est une très mauvaise idée : elle priverait les collectivités locales de ressources indispensables à leur bon fonctionnement.

Ce sont des propositions que je porte depuis longtemps et j'espère que le nouveau Gouvernement comprendra enfin ces arguments de bon sens.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La création annoncée tout à l'heure par le Premier ministre d'un prélèvement sur le capital, de l'ordre de 30 %, se rapproche d'une flat tax.

Il existe par ailleurs des exigences constitutionnelles de progressivité de l'impôt, que la proposition de Serge Dassault respecte puisqu'elle repose sur trois taux.

M. Claude Raynal. - Je constate que vous avez fortement élargi le champ de votre contrôle, portant sur le risque de remontée des taux. Je ne m'y attendais pas totalement. Il y a des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas vous suivre, comme la mise sur un même plan de l'ISF et du RSA.

Je suis toutefois d'accord avec vous sur un sujet précis : je confirme que les deux discours que nous avons entendus, aujourd'hui et hier, n'ont eu aucun contenu.

Il serait impossible de rentrer dans le détail de tous les sujets que vous avez évoqués. S'agissant toutefois des participations de l'État, il y a des cas dans lesquels elles ont du sens. Lorsqu'il s'agit, par exemple, de sauver l'entreprise Peugeot ou de trouver des solutions pour la relancer sans perdre le contrôle national, l'intervention de l'État peut se justifier, surtout lorsque les familles d'actionnaires sont déficientes, ce qui arrive parfois. Nous pourrions citer bien d'autres exemples.

Concernant les taux d'intérêt, la situation n'est pas si catastrophique que cela. Elle est difficile, je le reconnais, mais la question fondamentale est celle du lien entre la remontée des taux et l'inflation. S'il y a une franche remontée des taux dans un contexte de reprise de l'inflation, les problèmes sont moins graves. Je trouve que la façon dont les taux remontent, progressivement et avec des efforts, de la part des banques centrales, pour mieux informer les marchés, dissipe - pour le moment - le risque que vous mettez en avant. En outre, il faut, en France, sept à huit ans pour que cette hausse des taux se répercute sur l'ensemble du stock de dette. Vous avez raison de vous pencher sur ce sujet, mais il ne faut pas sonner le tocsin : la remontée des taux par elle-même n'est pas forcément dramatique. Il faut regarder les choses sans catastrophisme.

M. Marc Laménie. - Avez-vous quantifié l'impact, en milliards d'euros, d'une augmentation possible des taux ?

M. Michel Canevet. - Je remercie le rapporteur de nous avoir rappelé la situation préoccupante des finances publiques. Claude Raynal ne la juge pas catastrophique, mais lorsque la dette publique approche 100 % du PIB, la situation paraît quand même alarmante.

Y a-t-il encore des investisseurs qui prêtent à la France à des taux négatifs ?

Par ailleurs, j'ai bien entendu les propositions du rapporteur, mais je m'inquiète du niveau de la dette et du déficit budgétaire. Une diminution des recettes ne risquerait-elle pas de les aggraver ? Certains peuvent considérer que le Président de la République n'a rien dit lundi devant le Congrès, mais il a tout de même évoqué l'objectif de porter les dépenses militaires à 2% du PIB. Le rapporteur souscrit-il à cet objectif ?

M. Bernard Lalande. - Je ne suis pas particulièrement surpris par la tonalité de ce rapport. Néanmoins je pense que gouverner, c'est avant tout assurer à tous une vie de dignité et d'égalité, ce qui n'empêche pas les talents de pouvoir s'exprimer, et la possibilité de vivre dans un pays de liberté.

Pour en revenir aux taux d'intérêt, j'ai entendu que le Gouvernement souhaitait stabiliser la dépense publique. Mécaniquement, cela se traduira par des économies si la dépense publique est stabilisée. Par ailleurs, s'il est évident que la dette et le poids des intérêts doivent diminuer, il conviendrait de redistribuer cette économie à ceux qui en ont le plus besoin sur notre territoire. Or le rapporteur nous propose de consacrer cette économie à des baisses d'impôt.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Les taux d'intérêt pourraient augmenter de manière soudaine et abrupte en raison d'un mouvement de défiance des investisseurs, ce qui serait très grave. Le risque politique est une composante essentielle de l'évolution des taux d'intérêt, comme nous avons pu le voir lors de la campagne pour les élections présidentielles cette année. Les investisseurs étaient très inquiets de l'élection possible de candidats représentant des partis extrêmes.

Par ailleurs, si j'entends les remarques de certains, mais il n'en reste pas moins que l'État ne fait pas d'économies ! Certes, la suppression de certaines dépenses ne sera pas agréable pour tout le monde, mais il faut aussi que les gens se responsabilisent et qu'ils travaillent. À quoi cela rime-t-il de payer des gens qui ne travaillent pas ? Beaucoup de personnes qui bénéficient d'aides sociales ne cherchent pas d'emploi - et certains viennent même de l'étranger pour bénéficier de ces allocations.

Les investisseurs s'inquiètent... Cela fait des années que l'on nous promet que tout va s'arranger !

La réduction des impôts aura un effet vertueux sur l'activité et la croissance, et donc sur les embauches. La France sera beaucoup plus attractive avec un système fiscal moins lourd. C'est le cas à Dubaï : il n'y a quasiment pas d'impôt et une croissance extraordinaire ! Car l'argent est réinvesti dans l'économie.

M. Bernard Lalande. - Je ne pense pas qu'il suffise de ne pas payer d'impôt pour que les gens vivent bien. J'ai constaté que les pays dans lesquels on paie le moins d'impôts sont ceux dans lesquels le peuple vit le moins bien. Il doit y avoir un juste milieu entre l'impôt et le bonheur et la dignité des peuples.

La commission donne acte de sa communication à M.  Serge Dassault et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Projet de loi d'habilitation autorisant à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi d'habilitation autorisant à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (A.N. n° 4,  XVème lég.), sous réserve de son dépôt, et nomme M. Albéric de Montgolfier en qualité de rapporteur pour avis.

Missions « Crédits non répartis » et « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Nomination d'un rapporteur spécial

La commission nomme M. Claude Nougein rapporteur spécial des crédits des missions « Crédits non répartis » et « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

La réunion est levée à 19 h 16.

Mercredi 5 juillet 2017

- Présidence de Mme Michèle André, présidente, et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, préalable au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) et sur l'audit des comptes publics demandé par le Premier ministre

Mme Michèle André, présidente. - Nous recevons cet après-midi Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Après l'avoir fait ce matin à l'Assemblée nationale, il va présenter à nos deux commissions son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, rapport présenté au Parlement chaque année avant le 30 juin, en application de l'article 58-3° de la loi organique relative aux lois de finances et dans lequel la Cour des comptes a, comme en 2012, choisi d'inscrire l'audit des finances publiques que lui a demandé le Premier ministre.

Ce rapport a été rendu public le 29 juin et, depuis, il anime la vie publique puisque la presse s'en est fait abondamment l'écho. De plus, il nourrit les travaux du Gouvernement puisque vous êtes, monsieur le Premier président, sollicité pour présenter ce document dans plusieurs évènements qu'il organise.

Je rappelle que le débat d'orientation des finances publiques se tiendra en séance publique le jeudi 20 juillet après-midi et notre rapporteur général présentera son rapport d'information préparatoire devant la commission des finances le mercredi 19 juillet.

M. Alain Milon, président. - Je veux rendre hommage au travail réalisé par la Cour des comptes qui permet d'objectiver la situation des comptes publics de notre pays. Nous n'avons pas été surpris par les résultats présentés. Au cours des examens des textes financiers, les commissions des finances et des affaires sociales ont eu l'occasion d'exposer les réserves que leur inspiraient les prévisions présentées par le Gouvernement. Pour notre part, nous avions contesté la consistance des économies prévues dans le champ de l'Ondam mais aussi l'affirmation de la ministre selon laquelle les régimes de retraites seraient à l'équilibre pour des décennies.

Nous ne sommes pas davantage surpris qu'une part importante des suggestions de la Cour porte sur le champ social. Les administrations de sécurité sociale représentent 46 % des dépenses publiques et 24 % du PIB en prélèvements obligatoires. Notre commission a souligné à plusieurs reprises la nécessité de reprendre le chantier des politiques de l'emploi et de revoir certains contrats aidés. Pour des raisons démographiques et économiques, la dynamique des dépenses sociales est forte. La révision des projections démographiques de l'Insee, favorable à l'assurance chômage, nous invite à nous pencher rapidement sur le dossier des retraites. La soutenabilité d'un modèle social auquel les Français sont très attachés est en jeu : nous devons imaginer une réforme en profondeur tout en évitant une politique de rabot qui peut porter ses fruits à court terme mais qui ne peut répondre aux défis à venir pour notre protection sociale.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis heureux d'être devant vous cet après-midi pour vous présenter les principales conclusions du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui inclut cette année l'audit des finances publiques, conduit par la Cour des comptes à la demande du Premier ministre. Il avait pour objectifs d'évaluer la situation actuelle des comptes publics, d'identifier les perspectives et les risques qui s'y attachent pour les années 2017 à 2020 et de formuler des propositions. Pour cela, la Cour a cherché à répondre à une question précise : les pouvoirs publics seront-ils en mesure d'atteindre les objectifs de finances publiques définis dans la loi de finances pour 2017 et le programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril ? Autrement dit, quelle est l'ampleur des risques qui pèsent sur la réalisation de la trajectoire prévue dans ces documents ?

Nos investigations nous ont conduits à formuler six constats. Tout d'abord, s'agissant de 2016 et des années précédentes, même si des progrès ont été constatés, la lenteur des efforts de réduction du déficit depuis 2011 a placé la France dans une situation de net décalage par rapport à ses partenaires européens. Ainsi, la réduction du déficit depuis 2011, qui est réelle, a néanmoins été plus lente que pour la moyenne de nos partenaires européens ; de plus, la croissance de nos dépenses est restée supérieure à celle de nos partenaires si bien que le déficit public de la France pour 2016 est toujours l'un des plus élevés d'Europe. Enfin, notre dette publique continue de croître, soit 96,3 points de PIB fin 2016. Pour conclure cette photographie comparative, trois faits marquants : la France est désormais, avec l'Espagne, le seul pays de la zone euro dont le déficit est supérieur au seuil de 3 points de PIB. En second lieu, la France a passé douze des quinze dernières années en procédure de déficit excessif, ce qui constitue un record au sein de la zone euro, partagé cette fois avec le Portugal. Troisième fait marquant : alors que les dettes publiques allemande et française étaient d'un niveau très proche avant la crise de 2008, la dette française est aujourd'hui supérieure à la dette allemande de près de 30 points de PIB. En définitive, la situation des finances publiques française est loin d'être assainie, en dépit des progrès réalisés. Elle continue de présenter des facteurs de vulnérabilité importants. Et ceci d'autant plus que des risques forts pèsent sur la capacité de la France à tenir pour l'avenir ses engagements européens. C'est ce que révèle l'analyse des perspectives qui se dessinent pour 2017 et les années suivantes.

Avant d'entrer dans le détail des chiffres, le deuxième constat de l'audit concerne les nombreux biais de construction qui ont affecté la sincérité des prévisions sur lesquelles est bâtie la trajectoire financière 2017-2020. Comme lors de l'audit de 2012, notre juridiction constate un risque de dérapage du déficit par rapport aux objectifs retenus. Mais si les écarts sont comparables, leurs origines diffèrent. En 2012, l'écart provenait d'une surestimation des recettes et d'une révision à la baisse de la croissance. En 2017, il résulte quasi-exclusivement de sous-estimations des dépenses de l'État, qui se sont traduites par des sous-budgétisations importantes dès 1'adoption de la loi de finances initiale. Au sein des comptes des administrations publiques, ces dépenses sont celles dont l'État a le plus directement la maîtrise. L'écart provient également, mais dans une bien moindre mesure, de reports de charges de l'année 2016 vers l'année 2017, d'aléas intervenus début 2017 et de mesures nouvelles annoncées depuis le vote de la loi de finances. Pour 2018, force est de constater que le programme de stabilité sous-estime, lui aussi, l'effort en dépenses nécessaire pour atteindre l'objectif prévu d'une réduction de 0,5 point du PIB du déficit.

Dans ce contexte, la sincérité des prévisions de finances publiques et des documents budgétaires est impérative. En particulier, la préparation des prochaines lois de finances doit être l'occasion de marquer une rupture avec les pratiques récurrentes de sous-budgétisation. Ce n'est pas, loin s'en faut, la première fois que la Cour des comptes observe des éléments d'insincérité dans la construction des prévisions de finances publiques. Elle l'a fait à plusieurs reprises, et depuis longtemps, notamment dans le cadre de ses rapports sur l'exécution du budget de l'État. Vous retrouverez la trace d'expressions très directes de mon prédécesseur sur ce point, il y a une dizaine d'années. Encore récemment, la Cour a soulevé « la question de la qualité et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales » dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de 2014. Elle a parlé d'« une sincérité de la loi de finances initiale à améliorer » et de « débudgétisations importantes [...] qui ont altéré la sincérité de l'exécution de la dépense » dans son rapport sur le budget de l'État de 2015. Dans nos rapports, vous trouverez douze mentions du terme de « sincérité » en 2014, et huit en 2015. C'est pourquoi je reconnais avoir été surpris que certains s'étonnent et s'émeuvent. Si la Cour, constatant des écarts significatifs entre les prévisions et les réalisations, ou entre les prévisions annoncées et les prévisions raisonnables au regard des informations disponibles, n'en disait rien, ce serait anormal, car alors elle ne remplirait pas la mission que la Constitution et la loi organique lui confient. La Cour est dans son rôle, et il serait intéressant que les uns et les autres se penchent sur les solutions propres à renforcer la sincérité des prévisions de finances publiques. Car des solutions institutionnelles existent : l'exemple des prévisions macroéconomiques associées aux lois de finances et aux programmes de stabilité, dont la sincérité a incontestablement été renforcée par la création puis l'action du Haut conseil des finances publiques, le prouve. Toutefois, il n'existe encore aucun dispositif analogue pour s'assurer de la sincérité des prévisions de finances publiques, et en particulier celles des dépenses, en amont de leur approbation par le Parlement ou de leur examen par la Commission européenne.

S'agissant maintenant des perspectives pour 2017, la Cour observe un risque fort de voir la France sortir dès cette année de la trajectoire dont elle s'est dotée. C'est au niveau des dépenses de l'État que se situent les principaux risques pour 2017. Les dépassements potentiels sur les crédits des ministères sont évalués à 7,3 milliards d'euros par rapport au programme de stabilité. Ils sont concentrés principalement sur les missions « Agriculture », « Défense », « Solidarité » et « Travail et emploi ». Il faut y ajouter le coût de la recapitalisation d'Aréva, qui pèsera sur le déficit en comptabilité nationale à hauteur de 2,3 milliards d'euros.

Du côté des « bonnes surprises » potentielles, la Cour n'a en revanche identifié qu'une économie probable d'un milliard d'euros par rapport aux prévisions, répartie entre le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne et la charge de la dette.

Enfin, dernière donnée clé pour comprendre l'équation budgétaire de 2017 : à politiques inchangées et en excluant toute facilité consistant à reporter les dépenses sur les exercices suivants, nous évaluons les capacités réelles d'annulation de crédits au sein de la réserve de précaution du budget de l'État à un montant situé entre 2 et 3 milliards d'euros, qui correspond à celui constaté par la Cour dans son rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2016. Le fait qu'il y ait une réserve de précaution n'avait bien évidemment pas échappé à la Cour des comptes.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les dépenses publiques seraient supérieures de 5,9 milliards d'euros aux prévisions du programme de stabilité, ce qui représente 0,3 point de PIB.

Au total, bien qu'il reste encore des incertitudes à cette période de l'année, nos analyses révèlent que la cible de solde public pour 2017 apparaît, à politiques constantes, hors d'atteinte. Sous réserve que des crédits d'un niveau équivalent à celui de l'exercice 2016 soient annulés d'ici la fin de l'année, le déficit s'élèverait à 3,2 points de PIB pour 2017, soit un dérapage de 0,4 point par rapport au programme de stabilité et de 0,5 point par rapport à la loi de finances initiale.

Face à cette situation, si la France souhaite tenir ses engagements, l'adoption de mesures de redressement est indispensable. Contenir le dérapage du déficit à 0,4 point d'écart par rapport à l'objectif du programme de stabilité, et donc atteindre 3,2 points de PIB, suppose déjà une action vigoureuse et rapide pour annuler des crédits s'élevant de 2 milliards à 3 milliards d'euros. Aller au-delà et passer de 3,2 à 3 points de PIB de déficit impliquerait d'importantes mesures d'économies supplémentaires à hauteur de 4 milliards à 5 milliards d'euros. Enfin, pour atteindre la cible de 2,8 points de PIB fixée par les pouvoirs publics, ce serait encore 4 à 5 milliards d'euros d'économies supplémentaires qu'il faudrait trouver. Bref, le respect de notre engagement européen - fixé à 2,8 points de PIB de déficit - ne serait possible que grâce à des économies s'élevant de 8 à 9 milliards d'euros.

Le quatrième message de l'audit porte sur les perspectives financières pour les années 2018 à 2020. Je me limiterai aux observations relatives à l'année 2018, pour laquelle nous n'avons pas cherché à émettre de prévision de solde, puisque cela dépendra des résultats de 2017, mais à mettre en lumière la difficulté de l'équation budgétaire. Le programme de stabilité prévoit une réduction du déficit de 0,5 point de PIB par rapport à 2017. Cet objectif apparaît extrêmement ambitieux, d'autant plus que certaines mesures votées fin 2016 conduisent à une diminution des prélèvements obligatoires pour 2018, à hauteur de 0,3 point de PIB. Dès lors, pour tenir cet engagement, il serait nécessaire de parvenir à une croissance nulle des dépenses, en volume, c'est-à-dire hors inflation, ce qui marquerait une rupture nette avec le rythme constaté ces dernières années. En 2016, l'augmentation de la dépense se montait en effet à 0,9 %. Cette rupture serait d'ailleurs d'autant plus complexe à enclencher que plusieurs facteurs poussent les dépenses à la hausse en 2018. Ainsi en est-il de la masse salariale, dynamique du fait des créations d'emplois prévues dans les secteurs prioritaires et de la montée en charge de l'accord sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR). Ainsi en est-il également de la hausse des dépenses de défense et de sécurité, au coût croissant de plusieurs grands projets d'infrastructure, à l'atténuation des effets des réformes des retraites, ou encore à la reprise attendue de l'investissement local.

En définitive, la Cour estime que la trajectoire de réduction du déficit fixée par la loi de finances et le programme de stabilité de 2017 est particulièrement difficile à respecter et implique des mesures de corrections vigoureuses.

Ce constat ne doit cependant nourrir ni fatalisme, ni pessimisme. Car les efforts qui permettraient de maîtriser durablement les finances publiques de la France ne sont pas hors de portée. C'est d'abord dans les méthodes employées pour concevoir, mettre en oeuvre et suivre les efforts de maîtrise des finances publiques que résident des marges de progrès considérables.

La dépense publique française s'élève en 2016 à 56,2 % du PIB, pour une moyenne de 47,7 % dans la zone euro. Si certains écarts s'expliquent, en partie, par des choix d'organisation différents - comme par exemple en matière de retraite - il est indéniable que la France dépense plus que ses partenaires dans certains secteurs, comme l'éducation, l'emploi ou le logement, sans pour autant obtenir, loin s'en faut, de résultats supérieurs. Nos voisins ont réussi à mener des politiques de transformation qui leur permettent aujourd'hui de dépenser à la fois moins et mieux, en réunissant plusieurs conditions de succès. D'abord, une volonté politique forte et constante, exprimant des objectifs clairs et assumés et soutenant des gestionnaires publics responsabilisés, alors qu'aujourd'hui, dans notre pays, tout est fait pour les déresponsabiliser. Ce principe de responsabilisation était au coeur de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances de 2001, et je ne peux que regretter qu'il ait été tant dévitalisé.

La deuxième condition de succès, c'est l'inclusion dans l'effort de toutes les administrations publiques, y compris les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales. Enfin, troisième condition : l'intégration pleine et entière des projets de réforme dans le processus budgétaire, avec la fixation d'objectifs globaux d'économies et leur déclinaison par catégorie d'administrations publiques. Trop souvent, en effet, les ambitions de réformes ont été déconnectées de la procédure budgétaire.

Au-delà de ces préalables indispensables, la Cour recommande plusieurs évolutions de la gouvernance des finances publiques : le renforcement de la cohérence et de la portée des différents textes financiers. Le programme de stabilité pourrait ainsi être soumis au Parlement. Le périmètre des lois financières pourrait être revu pour mieux couvrir l'ensemble des dépenses des administrations publiques (loi de finances et, à terme, loi de financement de la sécurité sociale étendue à la protection sociale obligatoire et loi de financement des collectivités locales). Les volets « recettes » des projets annuels de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pourraient très utilement faire l'objet d'une discussion conjointe au Parlement. Les normes et outils budgétaires existants pourraient être complétés par un objectif pluriannuel de dépenses lisible et compréhensible, couvrant toutes les administrations publiques. Il serait voté dans la loi de programmation et décliné dans les lois financières.

Deuxième axe : la réactivation d'une instance du type de la conférence des finances publiques, pour permettre une appropriation des objectifs par les différentes parties prenantes (État, sécurité sociale, collectivités territoriales). Je me réjouis donc qu'une initiative soit d'ores et déjà prise dans ce sens. Nous serons attentifs à sa mise en oeuvre.

Enfin, et c'est un point sur lequel je veux insister : la procédure budgétaire elle-même pourrait évoluer. Elle pourrait être rééquilibrée au profit de l'examen des résultats effectifs des politiques déployées, revenant ainsi à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances. Cela signifie deux choses : tout d'abord, moins de temps devrait être consacré à l'examen du projet de loi de finances initiale à l'automne. En revanche, il faudrait en consacrer beaucoup plus à la mesure des résultats lors de l'examen de la loi de règlement au printemps, qui deviendrait ainsi une véritable loi de résultat.

Corollaire de ce rééquilibrage, l'information fournie au Parlement, qui a été considérablement enrichie au cours des quinze dernières années, pourrait être davantage exploitée, même si le Sénat, plus que l'Assemblée nationale, le fait déjà. Je pense bien sûr aux documents budgétaires, mais aussi aux travaux d'évaluation des juridictions financières.

Si la gouvernance globale des finances publiques pourrait ainsi être rendue plus complète et plus efficace, c'est précisément pour donner un cadre de référence solide et stable aux gestionnaires publics pour maîtriser leurs dépenses et améliorer l'efficience de leur action. Des marges de manoeuvre importantes existent en effet, dont nombre ont été identifiées par la Cour dans le cadre de ses travaux. Je ne citerai que quelques axes qui figurent dans le rapport.

Les trois premiers axes sont communs à l'ensemble des administrations publiques - État, collectivités territoriales et sécurité sociale - les trois axes suivants concernent chacun des trois grands champs de dépenses.

La masse salariale des administrations publiques représentait 284 milliards d'euros en 2016. Des mesures récentes ont relancé sa progression, sans que cette occasion ait été saisie pour moderniser la gestion des parcours des fonctionnaires. La Cour a identifié différents leviers en matière d'effectifs, de temps de travail et de rémunérations, qui permettraient de ralentir voire d'inverser la progression de la masse salariale.

La maîtrise des autres dépenses de fonctionnement, qui représentaient 112 milliards d'euros en 2015, pourrait encore être renforcée par des actions de simplification comme le développement de l'administration numérique, l'adaptation des réseaux territoriaux et la restructuration de l'immobilier public - sur laquelle la commission des finances a récemment publié un rapport - ou encore par une mutualisation accrue des achats.

Troisième élément transversal à toutes les administrations publiques : les dépenses de transferts sociaux, les dépenses fiscales - qui se montent à 85 milliards d'euros - et les investissements, dont les effets devraient être mieux évalués a priori et dont le ciblage devrait être plus pertinent, par exemple dans des secteurs comme le logement ou l'emploi.

Après avoir été supérieur à celui des dépenses de l'État au cours des années récentes, le rythme de progression des dépenses des collectivités locales s'est infléchi en 2015 et en 2016, sous le double effet d'une contrainte plus forte exercée par l'État et d'un moment particulier du cycle électoral. Le poids de ces dépenses, de l'ordre de 225 milliards d'euros en 2016, en fait un levier majeur de l'amélioration du solde public national. La Cour ne peut donc qu'appeler à la poursuite des efforts de maîtrise des dépenses locales et à une clarification de leurs missions respectives et de leur articulation. Pour y parvenir, la poursuite d'une réduction à un rythme à définir des concours de l'État est souhaitable.

Malgré des progrès récents, notre système de sécurité sociale demeure marqué par des déficits récurrents, qui menacent sa pérennité et nous isolent parmi nos voisins européens. La Cour estime que le déficit des comptes sociaux constitue une anomalie : nous sommes le seul pays à accepter un déficit aussi durable alors même qu'il s'agit de dépenses courantes. On peut s'interroger sur la pertinence de leur financement par l'emprunt, c'est-à-dire par les générations futures qui elles-mêmes devront financer leurs propres dépenses. Ce sont en particulier les déficits élevés de l'assurance maladie qui retardent le retour à l'équilibre de la sécurité sociale. Dans ses rapports récents, la Cour a avancé plusieurs pistes de réformes en profondeur, parmi lesquelles figurent une accélération de la recomposition de l'offre de soins, notamment à l'hôpital, une amélioration de la pertinence et de 1'efficience des prises en charge et une meilleure maîtrise des dépenses à fort enjeu. Nous avons ainsi estimé que tel était le cas pour les dépenses de soins infirmiers, de masso-kinésithérapie, de médicaments, de dispositifs médicaux, d'imagerie médicale, d'analyses de biologie, de transports sanitaires ou d'arrêts de travail.

Enfin, je voudrais évoquer le cas des services publics prioritaires assurés par l'État, notamment l'éducation nationale et la sécurité. Il revient bien entendu aux représentants du suffrage universel de décider quand des augmentations de moyens sont nécessaires et donc légitimes. Le rapport présenté aujourd'hui souligne simplement qu'avant d'augmenter les budgets, il est important d'évaluer la pertinence des organisations et des missions existantes et d'analyser la capacité à répondre aux nouveaux besoins par des redéploiements internes. Sans cela, les moyens nouveaux pourraient n'avoir pour effet que d'arroser du sable. Tout n'est pas qu'une question de crédits ou d'effectifs : il faut également revoir l'organisation, le fonctionnement et la répartition des moyens.

Derrière l'ensemble de ces leviers d'action, il devrait y avoir à chaque fois plus de contractualisation, moins de régulation infra annuelle, des managers publics responsabilisés et intéressés aux résultats de leur action, et donc capables de proposer des économies durables, et non à courte vue. C'est à ces conditions que l'action publique gagnera réellement en performance.

Notre audit indique qu'à politique inchangée, la trajectoire des finances publiques s'écarterait significativement de celle qui a été prévue par la loi de finances pour 2017 et par le programme de stabilité. L'atteinte des objectifs fixés pour 2017, 2018 et les années suivantes serait fortement compromise. L'audit montre aussi que cette situation impose des efforts importants, qui sont à la portée des pouvoirs publics, sous trois conditions : un effort de pédagogie collective sur la dépense publique, l'établissement de textes financiers sincères et à la portée renforcée et, enfin, une beaucoup plus grande responsabilisation de tous les acteurs.

Mme Michèle André, présidente. - La Cour a estimé que le projet de loi de finances pour 2017 était « manifestement entaché d'insincérité ». Si le Conseil constitutionnel avait partagé votre jugement, il aurait pu censurer le projet de loi de finances, ce qu'il n'a pas fait. En outre, les risques pesant sur ce budget ne semblent pas si différents de ceux mis en évidence au cours de la période récente. Vous chiffrez le dérapage pour cette année à 9 milliards d'euros alors qu'en 2015, à la même période de l'année, il était évalué à 7 milliards d'euros, ce qui n'avait pas empêché le Gouvernement de faire mieux en fin d'année que l'objectif initial de dépenses, notamment en mobilisant la réserve de précaution à hauteur de 4 milliards d'euros. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez employé ce terme très fort d'insincérité ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - A la différence de la présidente, je n'ai pas été surpris ni offusqué par le rapport de la Cour des comptes puisqu'il confirme les critiques que la commission des finances avait formulées à l'automne dernier. C'est d'ailleurs pourquoi nous avions refusé d'examiner le budget en séance publique. À l'époque, nous avions été vivement critiqués, notamment par le secrétaire d'État au budget qui disait que le Sénat refusait de faire son travail. Bien au contraire, nous l'avions bien fait puisque notre rapport estimait que le déficit public pourrait atteindre 3,2 % du PIB, chiffre désormais avancé par la Cour des comptes. J'avais écrit que « ces estimations alternatives font apparaître la situation budgétaire dégradée que laissera à la prochaine majorité gouvernementale un projet de loi de finances pour 2017 à la sincérité contestable ». L'analyse de la Cour des comptes diffère quelque peu de celle de la commission des finances puisqu'elle considère que les évaluations de recettes apparaissent seulement un peu plus élevées mais elle estime que les sous-budgétisations sont plus importantes que notre propre estimation. Quoi qu'il en soit, nous avions identifié les risques de dérapages pour 2017 et 2018 et nous avions proposé des réformes structurelles.

D'après vos estimations, la recapitalisation d'Areva devrait alourdir de 2,3 milliards d'euros le déficit public. L'opération n'a toujours pas été réalisée, et nous sommes dans l'attente de la décision du comptable national sur son traitement comptable. Avez-vous une idée de la date à laquelle le verdict sera rendu ?

Les dépassements de crédits pourraient être limités par une action stricte sur les dépenses publiques. Vous avez cité des pistes d'économies. La réserve de précaution est importante : 13 milliards d'euros fin avril 2017. De simples annulations de crédit suffiront-elles ou bien faudra-t-il envisager un collectif budgétaire ou des décrets d'avance ?

J'ai récemment publié un rapport sur la dette publique. Le Premier ministre évoquait hier une remontée inéluctable des taux d'intérêt. Privilégiez-vous un scénario particulier et quel serait l'impact d'une hausse des taux sur nos finances publiques en 2017 et en 2018 ?

Le ministre de l'intérieur a lu lundi à la tribune le discours du Premier ministre et je me demande s'il n'a pas oublié quelques lignes sur les économies à réaliser. J'ai simplement entendu parler de maîtrise de la masse salariale, d'économies sur le logement, mais tout cela n'a été qu'esquissé. La commission des finances est allée plus loin, grâce à un important travail que nous avions commandé à la Cour des comptes sur la masse salariale : nous avions évoqué le temps de travail, les jours de carence, la masse salariale, les primes...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Je ne reviendrai pas sur les considérations, que je partage, de notre président Alain Milon. Je fais mien votre diagnostic sur la situation des finances sociales avec un déficit qui ne s'est réduit que de 0,1 point de PIB. Malgré des efforts, le bilan du plan d'économies 2015-2017 n'est donc pas à la hauteur des ambitions initiales.

Vous avez évoqué plusieurs pistes d'économies sur l'emploi, l'assurance chômage, la formation professionnelle. Pour ce qui est des retraites, vous estimez que le rapprochement des régimes sera difficile à réaliser. Cela signifie-t-il que la fusion des régimes vous semble hors de portée ? Le Gouvernement et le Président de la République souhaitent une réforme systémique avec l'instauration d'un régime par points. Pensez-vous que cela soit envisageable ?

Les dépenses de santé représentent plus de 11 % du PIB. Vous indiquez quelles sont les économies possibles dans le champ de l'Ondam et vous avez publié, à notre demande, des rapports très documentés sur ce point. Nous avons essayé de les utiliser au mieux dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment en ce qui concerne la pertinence des actes, les offres de soin et les jours de carence. Compte tenu, notamment, de la démographie médicale et de l'évolution du coût des médicaments, l'équilibre de l'assurance maladie est-il à notre portée ?

M. Didier Migaud. - Nous n'avons pas dit que le projet de loi de finances était globalement insincère. Nous ne sommes d'ailleurs pas juge de la sincérité globale de la loi de finances. En revanche, nous avons dénoncé les biais de construction qui affectent la sincérité de la loi de finances et du programme de stabilité. Il appartient au seul Conseil constitutionnel de dire à partir de combien d'insincérités il décide d'annuler la loi de finances.

M. François Marc. - Il ne l'a pas fait !

M. Didier Migaud. - Certes, mais il statue en décembre alors que notre rapport d'audit est publié en juillet, après les six premiers mois d'exécution. Nous disposons donc d'éléments, recoupés avec les administrations du budget et du Trésor. Nous savons parfaitement que les sous-budgétisations étaient connues lors de la confection du programme de stabilité et même lors de la loi de finances initiale. Comment qualifier des sous-budgétisations, des économies improbables comme celles de l'Unedic ? Comment qualifier des annulations de crédits par décrets d'avance, immédiatement ré-ouverts en collectif et gelés la semaine suivante ? Cela s'appelle des éléments d'insincérité et nous ne ferions pas notre travail si nous n'attirions pas votre attention sur cela.

Le programme de stabilité avait fixé le déficit à 2,7 % du PIB, puis à 2,8 %. Le Haut Conseil des finances publiques avait estimé le 2,7 % improbable, ce qui avait entraîné de vives réactions et sa légitimité avait été mise en cause, comme si la suppression du thermomètre permettait de faire disparaître les symptômes. Dès la fin de l'année dernière, la Cour des comptes estimait que le déficit se monterait à 3,2 % du PIB, comme le faisait la commission des finances, mais aussi la Banque de France. La Commission européenne n'a jamais retenu le chiffre de 2,7 % du PIB. Quant au Conseil constitutionnel, il a évité de se prononcer sur ce chiffre, sa référence étant plutôt les 3 %, alors qu'elle ne figurait pas dans le projet de loi de finances initial. Voilà pourquoi nous estimons que la sincérité peut encore progresser dans les documents budgétaires.

Depuis 2013, la réduction des déficits des comptes publics oscille entre 0,1 et 0,2 point. La marche pour 2017 était beaucoup plus ambitieuse, puisqu'il s'agissait de 0,6 point, alors même que le projet de loi de finances contenait un certain nombre de dépenses supplémentaires et que la conjoncture économique ne montrait pas de signes de nette amélioration. Notre diagnostic ne peut donc pas surprendre.

Pour Areva, la décision finale sera prise par Eurostat en mars ou avril 2018, une fois que la France aura présenté ses comptes publics. Mais sa décision portera sur les comptes 2017, puisque la dépense pèsera sur cette année. La jurisprudence d'Eurostat est constante : une partie de la recapitalisation sera considérée comme une aide de l'État et donc comme une dépense. Les 2,3 milliards d'euros de recapitalisation seront vraisemblablement considérés comme maastrichtiens. La Commission européenne ne prend pas en compte ces estimations car elle estime que tant qu'une décision n'est pas constatée, elle n'a pas à l'intégrer dans ses estimations, mais le problème est bien évidemment connu.

La réserve de précaution change de nature depuis quelques années. Normalement, elle est censée permettre de faire face à des aléas imprévus. Depuis quelques années, elle sert à absorber des sous-budgétisations constatables dès le vote de la loi de finances initiale. En 2016, elle était de l'ordre de 11 milliards d'euros, elle est d'un peu plus de 13 milliards d'euros en 2017. Nous avons examiné la possibilité d'annulations effectives de crédits : en 2016, sur les 11 milliards d'euros mis en réserve, seuls 2,5 milliards d'euros ont pu être annulés. Sur la base de cet exemple, nous estimons qu'il faudra annuler environ 2,5 milliards d'euros de crédits en 2017 pour que le déficit soit limité à 3,2 points de PIB.

J'ai lu des déclarations d'anciens responsables expliquant qu'ils avaient procédé à des « surgels ». Quand le congélateur est plein, il est plein ! Le « surgel » autorise-t-il un dégel effectif ou, au contraire, une congélation définitive ? On peut aussi décider de geler l'ensemble du budget : si c'était la solution, ce serait simple.

Le respect d'un déficit limité à 3,2 points de PIB implique donc l'annulation de 2,5 milliards d'euros sur la réserve de précaution. Si vous voulez limiter le déficit à 3 points de PIB, il faut trouver 4,5 milliards d'euros d'économies supplémentaires. Si vous voulez être en ligne avec le programme de stabilité, il faut annuler encore 4,5 milliards d'euros de dépenses. Il nous paraît tout à fait possible de faire en 2017 ce qui a été fait en 2016 pour que le déficit reste à 3,2 points de PIB ; il serait plus difficile de passer à un déficit à 3 points de PIB, mais cela reste faisable.

La Cour des comptes n'a pas à se prononcer sur les moyens employés pour opérer le redressement des comptes. La loi organique relative aux lois de finances ouvre deux possibilités : les décrets d'avance ou le collectif budgétaire. Le choix de la voie retenue appartient au Gouvernement.

En ce qui concerne la dette, les prévisions du programme de stabilité paraissent plutôt raisonnables. Nous ne devrions pas connaître cette année une augmentation brutale des taux d'intérêt et le ministère de l'économie et des finances a toujours été relativement prudent dans ses estimations des charges de la dette et d'évolution des taux d'intérêt. En revanche, nous avons pu évaluer les conséquences d'une augmentation des taux de 100 points de base : à la page 92 du rapport, un graphique montre quelles seraient les conséquences d'une telle augmentation sur nos comptes publics.

Pour répondre aux questions du rapporteur général de la commission des affaires sociales, les pistes d'économies que nous avons évoquées nous semblent réalisables sans remettre en cause l'accès aux soins et la qualité des soins. Nous disposons de marge de manoeuvre sur un certain nombre de dépenses. L'équilibre de la sécurité sociale est à notre portée et il est pertinent de se fixer un tel objectif à court terme.

En ce qui concerne les retraites, de nouvelles évolutions sont nécessaires pour rapprocher l'ensemble des régimes dans un double objectif : un équilibre financier durable et une meilleure équité entre les régimes. Renforcer la convergence suppose d'ajuster les paramètres des différents régimes, en articulant mieux le régime de base et les régimes complémentaires, et de poursuivre le rapprochement entre secteur privé et public engagé en 2003 - un rapport récent de la Cour des comptes fait apparaître que les régimes privés et publics se sont sensiblement rapprochés. Faut-il aller jusqu'à la fusion de ces régimes ? Un autre de nos rapports met en évidence les avantages d'une telle évolution, mais aussi les risques financiers et les délais nécessaires à respecter. Nous ne nous sommes pas penchés sur les avantages respectifs du calcul par points ou par annuités. Cependant, une fusion trop rapide pourrait coûter cher à l'État, du fait de l'inclusion des primes dans le calcul des pensions : Raoul Briet, président de la première chambre, ou Christian Charpy, conseiller maître, pourront vous apporter des précisions sur ce point. Nous pourrions également venir vous présenter ce rapport.

M. Éric Doligé. - Nous travaillons actuellement sur un texte censé « rétablir la confiance dans l'action publique ». Le Gouvernement concourt à l'action publique ainsi que l'administration, les parlementaires ne sont donc pas les seuls concernés.

Un budget insincère ne va pas dans le sens de la confiance dans l'action publique. Renforcer la sincérité des comptes est important, vous l'avez dit. Le rapporteur général de la commission des finances a rappelé tout à l'heure que le Sénat avait refusé d'examiner le projet de loi de finances pour 2017 en raison de son insincérité. Il faut donc rapprocher les termes « insincérité », « responsabilité » et « confiance ». L'insincérité peut être volontaire, elle peut aussi résulter d'une incompétence - cela ne me paraît pas être le cas - ou de facteurs non prévisibles.

Pensez-vous que l'on puisse introduire dans notre droit une disposition permettant de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement lorsqu'il présente un budget insincère ?

Mme Michèle André, présidente. - En écoutant le Premier président de la Cour des comptes, je me disais que, si le Sénat avait examiné la dernière loi de finances, ce travail nous aurait servi aujourd'hui...

M. Jacques Chiron. - Eh oui !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il aurait fallu que le Gouvernement accepte d'écouter le Sénat...

Mme Michèle André, présidente. - Si le Sénat avait mené son travail à terme, nous serions dans une meilleure position aujourd'hui.

M. Yves Daudigny. - Nous sommes tous convaincus du caractère insupportable de la dette sociale qui fait supporter à nos enfants et à nos petits-enfants le coût des soins dont nous bénéficions actuellement. Néanmoins, il me semble que les interventions que nous avons entendues jusqu'à présent ont peu mis en valeur l'effort considérable, et largement efficace, accompli ces dernières années pour atteindre l'objectif d'équilibre du régime général de la sécurité sociale.

Pour la branche maladie, le déficit prévu s'élève à 2,6 milliards d'euros, la branche AT-MP est en excédent de 0,7 milliard d'euros, la branche famille est à l'équilibre et la branche vieillesse enregistre un excédent de 1,6 milliard d'euros. Le déficit du régime général s'établit donc à 400 millions d'euros, mais je n'oublie pas le déficit de 3,8 milliards d'euros du Fonds de solidarité vieillesse, parce qu'il faut être honnête. Cet effort méritait d'être souligné.

Nous mesurons l'intérêt des propositions de la Cour des comptes concernant l'assurance maladie. Les facteurs de croissance de la dépense restent importants, qu'il s'agisse de l'allongement de la durée de la vie, du coût des nouvelles thérapies, alors que les mesures de réduction de la dépense ont souvent un effet différé, comme dans le cas du virage ambulatoire.

Je voulais vous interroger sur un point de détail : un décret publié le 10 mai 2017 confie la gestion de l'amortissement de la dette sociale à l'Agence France Trésor. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) est maintenue, avec son conseil d'administration et un nouveau président. Des transferts de personnel sont réalisés et l'Agence France Trésor, qui gère déjà une dette de plus de 1 600 milliards d'euros, va gérer la dette de la Cades, de l'ordre de 140 milliards d'euros. Quel regard portez-vous sur cette décision ? Annonce-t-elle une fusion à terme des finances sociales et des finances de l'État ?

M. François Marc. - Je suis heureux que les questions budgétaires reviennent à l'ordre du jour. Nous avons beaucoup entendu parler des costumes de tel candidat, des T-shirts de tel autre ou des hologrammes d'un troisième, mais on a entendu peu de considérations budgétaires dans cette campagne électorale, alors même que le déficit de l'État reste à 70 milliards d'euros par an, alourdissant régulièrement la dette.

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, vous nous avez présenté votre appréciation de l'état des comptes publics et exprimé un certain nombre de considérations de caractère politique, évoquant notamment l'insincérité des comptes, alors même que nous ne sommes qu'au milieu de l'année. L'an dernier, la prévision de déficit, à la même époque, était à 72,3 milliards d'euros et il s'est élevé à 69 milliards d'euros en fin d'année. Dans ces conditions, un Premier président de la Cour des comptes devrait être prudent lorsqu'il s'autorise à présenter des prévisions en milieu d'année, surtout si elles sont assorties de commentaires de caractère politique.

Pour ma part, je vous interrogerai sur les chiffres connus, puisque, pour 2017, on n'en est qu'aux conjectures, aux prévisions, aux simulations, aux hypothèses de travail. Si l'on compare la situation de 2010 à celle de 2016, pouvez-vous nous confirmer que le déficit de la sécurité sociale est passé de 23 milliards d'euros à 7 milliards d'euros et que le déficit de l'État a été réduit de 148,8 milliards d'euros à 69 milliards d'euros ? Pouvez-vous nous apporter une confirmation qui relève de votre compétence de vérificateur des comptes publics ?

M. Yannick Botrel. - Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je ne suis pas en accord avec les termes de votre rapport concernant le budget de l'agriculture, dont je suis rapporteur spécial avec mon collègue Alain Houpert.

Qualifier d'insincère le budget agricole, c'est refuser de reconnaître le caractère aléatoire, voire imprévisible, de certaines dépenses, imputables à des phénomènes météorologiques ou sanitaires. Il est paradoxal que votre rapport évoque ces aléas sans en tirer les conséquences pratiques. Faudra-t-il que les budgets à venir anticipent le coût des sécheresses ou des crises sanitaires éventuelles ? Si la Cour des comptes le pense, il serait également bon qu'elle nous indique quelle méthodologie appliquer pour y parvenir.

La problématique des refus d'apurement communautaires pour la période 2008-2012 explique l'essentiel de l'augmentation des dépenses du budget de l'agriculture. Le solde de ces apurements, d'un montant de 1,1 milliard d'euros, fut un héritage bien lourd à porter. La pratique de l'inscription de cette dépense dans les projets de loi de finances rectificative est ancienne et les refus d'apurement n'ont jamais figuré dans les lois de finances initiales dans le passé. Pour l'année en cours, nous étions encore en pourparlers avec Bruxelles pour certains ajustements au moment du vote du budget. Si l'on qualifie aujourd'hui ce budget d'insincère, il aurait fallu le dire depuis de nombreuses années, les précédentes lois de finances ayant toutes utilisé la même méthode. Voilà pourquoi je relativise les appréciations de la Cour des comptes, d'autant plus que, lors du dernier quinquennat, les crises agricoles de tous ordres se sont additionnées et que le Gouvernement y a fait face.

M. Francis Delattre. - Je remercie le Premier président de la Cour des comptes d'avoir tenu un discours sur la réalité du pays. Nous sommes sortis de la philosophie pour revenir à la réalité : c'est bientôt la fin des rêves !

Ma question porte sur l'ampleur des mesures fortes nécessaires pour respecter notre engagement d'un déficit à 3 points du PIB. On peut toujours effectuer certains ajustements grâce à des mesures très techniques, telles que celles qu'a évoquées notre rapporteur général, mais lorsque l'ordre de grandeur atteint plusieurs milliards d'euros, on en vient à se poser la question de la responsabilité du Parlement. Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier président, à partir de quel niveau de dépassement il serait indispensable que le Gouvernement dépose un projet de loi de finances rectificative ?

Le fait que le nouveau Gouvernement n'ait pas déposé de projet de loi de finances rectificative signifie qu'il donne son agrément à la politique conduite par l'ancien secrétaire d'État au budget, Christian Eckert. Ce dernier s'est vanté d'avoir réduit le déficit de 70 milliards d'euros à 69 milliards d'euros, alors que nous savons tous qu'il sera plutôt de l'ordre de 75 milliards d'euros : ce n'était que de la communication ! Il est temps de prendre de vraies mesures et il serait souhaitable que le Parlement y soit associé. Dès lors qu'une orientation politique différente s'est manifestée, pourquoi ne conseillez-vous pas au Gouvernement de déposer un projet de loi de finances rectificative??

M. Richard Yung. - La question de l'insincérité du budget revient chaque année et elle nous met forcément mal à l'aise : soit il s'agit d'une erreur, soit il y a eu un « biais de construction », pour reprendre la belle expression de la Cour des comptes. Que peut-on faire pour sortir de cette situation ? Pour les prévisions, la réponse a consisté en la création du Haut Conseil des finances publiques. Faut-il aussi créer une Haute Autorité des dotations budgétaires ?

J'approuve tout à fait vos observations, Monsieur le Premier président, sur la nécessité de revoir les méthodes de travail mises en oeuvre lors de l'adoption des lois de finances. Nous passons un temps infini à discuter dans l'hémicycle sur des dépenses de quelques dizaines de milliers d'euros, alors que l'on ne s'occupe pas de mesurer l'efficacité de la dépense publique ou le respect des objectifs. Faut-il envisager une révision de la loi organique relative aux lois de finances ?

Un dernier mot sur les réserves de précaution : elles enlèvent toute signification à notre vote, puisque le Gouvernement fait ce qu'il veut ensuite, la réalité budgétaire finale étant sans rapport avec le document que le Parlement a discuté.

Mme Michèle André, présidente. - Nous examinerons dans quelques jours le projet de loi de règlement. J'espère que nous serons nombreux dans l'hémicycle pour discuter ce texte qui me paraît offrir l'occasion de vérifier si nous adhérons collectivement aux objectifs et aux grands principes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Notre capacité d'amender est assez limitée dans le cadre d'une loi de règlement...

Mme Michèle André, présidente. - Mais la capacité de compréhension est bien là !

La commission des finances a à plusieurs reprises entendu les responsables de programme pour préparer l'examen du projet de loi de règlement. Or ceux-ci ne sont pas décideurs, mais exécutants de décisions qui leur échappent, et nous avons parfois pu mesurer leur malaise face à nos questions.

Une réflexion devrait être menée pour faire de la loi de règlement un outil d'appréciation plus qualitatif. Les vingt jours que nous consacrons à l'examen de la loi de finances initiale ne sont pas du temps perdu, mais nous pourrions essayer de rendre plus pertinentes les modalités d'examen des lois de règlement.

M. Marc Laménie. - Merci pour ce travail pédagogique. Page 59 du rapport, un tableau montre que les dépenses de l'État dans le périmètre de la norme de dépense s'élèvent à 390 milliards d'euros. Quelle serait la conséquence d'une éventuelle remontée des taux d'intérêt sur le poids de la charge de la dette, qui est de plus de 40 milliards d'euros ?

L'État est le premier financeur des collectivités territoriales, puisque les prélèvements sur recettes représentent 44 milliards d'euros. On évoque toujours la baisse des dotations de l'État. Or les collectivités territoriales sont des donneurs d'ordres importants, essentiels à l'investissement. Quel niveau de prélèvements pourrait être supporté par les collectivités territoriales ?

M. Maurice Vincent. - Monsieur le Premier président, vous avez utilisé le terme d'insincérité. Je souhaite insister sur sa charge communicationnelle, alors que la défiance vis-à-vis des responsables politiques est considérable. N'ignorons pas la perception extérieure de ce terme technique.

Page 15 de votre rapport, vous dites que le Haut Conseil des finances publiques est associé à la prévision des taux de croissance et vous souhaitez qu'il soit également associé, en amont, aux prévisions de dépenses et de recettes afin de s'assurer de leur validité. Ai-je bien compris ? Cette évolution poserait des questions importantes.

Je suis particulièrement les participations financières de l'État, notamment en ce qui concerne Areva. La facture d'Areva-EDF de 7,5 milliards d'euros, émise avant 2012, pèse aujourd'hui sur les équilibres à trouver. Dans votre rapport, vous soulignez que les 2,3 milliards d'euros de recapitalisation intégreraient le déficit maastrichtien. Toutefois, d'un point de vue budgétaire, ces 7,5 milliards d'euros ont toutes les chances d'être trouvés d'ici la fin de l'année, puisque l'État procède à des ventes de participations depuis le 1er janvier. L'interprétation maastrichtienne concernant les 2,3 milliards d'euros n'implique pas une absence de recettes d'ici la fin de l'année.

M. Thierry Carcenac. - Dans une vie antérieure, j'ai étudié les documents de la Cour des comptes. Si les formules pour qualifier la sous-budgétisation changent parfois, nous sommes trop habitués à ce genre de choses. Néanmoins, les budgets contraints conduisent à la déresponsabilisation des directeurs d'administration, ce qui pose problème.

J'ai relu des observations de 2013 et 2014 sur la dette, selon lesquelles les taux d'intérêt avaient vocation à remonter dans les années suivantes. Je note cependant que, grâce à l'Agence France Trésor, la charge de la dette, qui était de 52,2 milliards d'euros en 2012, est aujourd'hui de 41 milliards d'euros. Il convient de noter cet effort.

Les recettes de l'impôt sur les sociétés sont décevantes. Monsieur le Premier président, les avez-vous comparées avec les dépenses fiscales importantes à venir, notamment celles du CICE qui continuent à augmenter ?

Vous avez noté que les collectivités territoriales participaient au redressement budgétaire. Le fait que leurs ressources aient été largement diminuées empêche de voir la baisse des investissements, ce qui pose problème. Il serait intéressant d'en faire part dans un rapport.

Mme Fabienne Keller. - Je m'inquiète de l'insincérité des comptes publics, plus grave que les années précédentes.

Soulignons le travail mené sur les ressources humaines de l'État. On peut y trouver des sources d'économies, tout en préservant un management incitatif dans les grandes administrations de l'État.

Pouvez-vous clarifier la situation des crédits de la défense, alors que la lutte contre le terrorisme constitue une priorité absolue ? Un gel des dépenses, à hauteur de 2,3 milliards d'euros, a été décidé il y a quelques semaines. Quelle dotation assurerait la sécurité de la France sur notre territoire comme ailleurs dans le monde ?

M. Georges Patient. - Vous préconisez la suppression pure et simple des surrémunérations en outre-mer, en dénonçant des avantages salariaux injustifiés - je précise qu'elles sont versées non aux ultramarins, mais aux fonctionnaires d'État expatriés outre-mer. Comptez-vous évaluer l'impact de cette suppression sur des économies ultramarines déjà fragiles ?

Vous évoquez l'accord sur la Guyane - qui constitue un plan d'urgence - en signalant que sa mise en place sera plus tardive que prévu. Cette information provient-elle du Gouvernement ?

Mme Michèle André, présidente. - Un équilibre entre les économies à réaliser et la croissance à ne pas casser doit être trouvé. Monsieur le Premier président, votre rapport d'audit n'évoque pas le risque sur la croissance. Page 122 du rapport, vous indiquez à propos de vos simulations que, par souci de simplicité, il est fait l'hypothèse que la diminution des dépenses publiques est sans effet sur la croissance du PIB. Je n'y crois pas beaucoup, d'autant que les baisses de dépenses publiques évoquées atteignent 150 milliards d'euros. Quel est l'impact des baisses de dépenses sur la croissance et avez-vous évalué l'impact sur la croissance des scénarios que vous proposez ?

M. Didier Migaud. - Oui, une réduction des dépenses peut entraîner un effet récessif. Tout dépend de son niveau - il faut trouver le bon compromis.

À mon tour de vous poser une question, Madame la présidente : existe-t-il un lien entre le niveau de dépenses publiques et la croissance ? Si tel était le cas, la France serait championne du monde de la croissance, puisqu'elle a l'un des niveaux de dépenses publiques parmi les plus élevés au monde ! Il n'existe pas de lien mécanique. Le plus important est que les dépenses soient efficientes. Le niveau des dépenses en France est plus élevé que dans bien d'autres pays pour des résultats plus passables. C'est pourquoi il faut s'intéresser aux lois de résultats et à l'efficience de l'investissement public. Tout investissement n'est pas vertueux en lui-même. Songez au tout-TGV. La pertinence d'un investissement peut s'amoindrir au fil du temps.

Monsieur Éric Doligé, il n'est pas certain que la question de la sincérité soit réglée par un régime de responsabilité des gouvernants. Il s'agit d'un sujet de nature politique : la relation entre le Gouvernement et le Parlement. La sanction peut être un vote de défiance ou une motion de censure, ou l'élimination par le suffrage universel à l'élection suivante. Le plus important est que les éléments soient connus de tout le monde, grâce à une juridiction indépendante telle que la Cour des comptes.

Pour répondre à Maurice Vincent, oui, des avis d'autorités doivent contribuer à une plus grande sincérité des documents présentés. C'est le cas des hypothèses macro-économiques, sans doute grâce au Haut Conseil des finances publiques. Cela n'existe pas sur les scénarios de finances publiques. Il pourrait être pertinent qu'une autorité indépendante puisse exprimer un avis, afin d'éclairer le Parlement. C'est ensuite au Parlement de décider librement. Il ne faut jamais se formaliser d'un avis - j'ai été surpris de recevoir une volée de bois vert après avoir évoqué l'avis du Haut Conseil des Finances publiques. Toute solution - Haut Conseil des finances publiques ou Cour des comptes - peut être étudiée. Le Parlement doit aussi pouvoir être saisi sur le programme de stabilité, puisqu'il engage le pays. Ce serait utile et intéressant.

Nous préférons contribuer à la sincérité de la présentation des documents budgétaires et financiers plutôt qu'intervenir dans le cadre d'une sanction qui arrive trop tard.

Je n'ai aucune difficulté à reconnaître auprès d'Yves Daudigny et François Marc que le déficit de la sécurité sociale et celui des comptes publics ont diminué. La commission des comptes de la sécurité sociale se réunira demain - nous recevrons plus d'informations sur le déficit de la sécurité sociale à cette occasion. Toutefois, nous observons que son budget n'est pas encore à l'équilibre. Quant aux comptes publics, la France est le seul pays européen, avec l'Espagne, à pâtir d'un déficit excessif. Si la France a réduit ses déficits, sa situation s'est plutôt dégradée par rapport à celle des pays comparables. Constater des écarts par rapport à une trajectoire n'est pas émettre un jugement politique - sinon, il faudrait aussi adresser ce reproche à la Commission européenne, à la direction du budget, à la direction générale du Trésor, à la Banque de France, à la Cour des comptes. Nous avons travaillé sur pièces pour affirmer qu'un certain nombre de sous-budgétisations étaient connues lors de la confection des documents budgétaires transmis au Parlement et à la Commission européenne. Nous n'inventons rien - et nous sommes dans notre rôle. La loi organique relative aux lois de finances demande à la Cour des comptes de rédiger un rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire, donc par définition non seulement sur le passé, mais aussi sur le présent et l'avenir. C'est en s'appuyant sur des pièces que nous avons dit qu'il y avait eu des annulations de crédits sur 2016 et que ce mécanisme était donc possible. Pour autant, il est impossible d'annuler tous les crédits gelés. Nous le disons à partir de pièces et nous sommes prêts à soutenir la contradiction. Demandez ces documents au ministère des finances ! Je rappelle que le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques a été prévu par la loi organique relative aux lois de finances - je crois la connaître un peu.

À Francis Delattre et Éric Doligé, je réponds que la Cour des comptes n'a pas compétence pour répondre à la question : à partir de quel niveau faut-il une loi de finances rectificative ? La loi organique relative aux lois de finances dispose qu'une annulation peut se faire par décret d'avance ou par une loi de finances rectificative. Cela regarde le Gouvernement.

Richard Yung, oui, quelques dispositions constitutionnelles, organiques, ou réglementaires peuvent être modifiées pour changer les conditions de présentation et d'examen des textes budgétaires. La Cour des comptes est prête à contribuer à votre réflexion. Il est aussi possible d'étudier le fonctionnement des pays étrangers. La procédure française est assez spécifique, en ce que l'examen de la loi de finances initiale est plus long que dans les pays comparables, qui se consacrent davantage au débat d'orientation.

Le problème de recapitalisation d'Areva n'est pas celui des recettes - les 7 milliards d'euros peuvent être trouvés - mais celui de l'inscription de la dépense dans la comptabilité maastrichtienne. Quel que soit le financement, cette dépense doit apparaître. Les 7 milliards d'euros ne seront pas comptabilisés dans le déficit. En revanche, 2,3 milliards d'euros le seront, selon la jurisprudence d'Eurostat.

Je partage totalement les propos de Thierry Carcenac sur la responsabilisation. Le ministère de l'économie et des finances doit changer ses pratiques. La façon dont les budgets sont arrêtés déresponsabilise trop les gestionnaires. Le principe selon lequel chaque ministre doit être son propre ministre des finances a complètement disparu. Les gestionnaires publics ne sont pas intéressés aux résultats, au contraire. Il faut revoir les méthodes. La responsabilisation est essentielle pour une action publique plus efficiente.

Bien évidemment, la dette fait courir un risque à la France. Même la Banque centrale européenne le dit aujourd'hui. Jusqu'à présent, la dette pouvait augmenter alors même que la charge de la dette diminuait. Il faut en sortir. Aux États-Unis, la situation change. La Banque centrale européenne assumait une politique jugée complaisante offrant des taux d'intérêt bas. Avec la reprise de l'inflation et le retour de la croissance, ceux-ci vont évoluer. Ce ne sera pas brutal, mais cela peut avoir des conséquences, compte tenu d'une dette qui continue de croître.

L'investissement des collectivités territoriales a baissé, nous l'avons constaté. Nous y reviendrons en octobre dans le rapport sur les finances locales.

Les dépenses fiscales progressent hors CICE. Elles dépassent le plafond fixé par la loi de programmation, sans que cela suscite de réaction.

Je disais à Fabienne Keller qu'un travail est en cours sur la loi de programmation militaire. Pour l'instant, nous constatons un recensement de besoins supplémentaires liés à la lutte contre le terrorisme et à la présence de la France sur plusieurs terrains extérieurs. Les dépenses contraintes, de défense, de sécurité, ainsi que de santé, peuvent continuer à augmenter. Il faut donc maîtriser les dépenses de fonctionnement et de personnel.

Georges Patient souhaite-t-il la disparition de la surrémunération outre-mer ?

M. Georges Patient. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'en demande une évaluation.

M. Didier Migaud. - Nous émettons des observations sur le montant de 1,4 milliard d'euros que représente cette surrémunération : ses critères de répartition ne correspondent plus à la réalité. Par exemple, la majoration de traitement liée au différentiel de coût de la vie par rapport à la métropole mérite d'être débattue à nouveau. On pourrait envisager une majoration appuyée sur des critères revisités, comprenant une prime d'installation outre-mer et des indemnités de sujétion et d'éloignement fusionnés. Nous ne proposons pas une économie nette mais une meilleure utilisation de cette somme.

Nous avons pris en compte une partie de la dépense destinée à la Guyane prévue pour 2018 et non la totalité. Il faudra qu'elle soit confirmée par l'actuel Gouvernement.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. - La sous-budgétisation de la mission « Agriculture » est récurrente depuis 2014. L'une des raisons est liée aux apurements communautaires. À l'occasion de notre audit, nous avons réuni la secrétaire générale du ministère, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel ainsi que le directeur financier pour dresser un état des lieux concret. La secrétaire générale et le directeur financier ont poussé un cri du coeur commun quant à l'importance croissante des sous-budgétisations dues aux refus d'apurements communautaires. Cette donnée est avérée.

Je précise, concernant la réserve de précaution, que nous avons procédé comme en 2012. À l'époque, il s'agissait de 1,5 à 2 milliards d'euros de dépassements de crédits. Il était donc possible de compenser ces risques. Cette année, le montant s'élève à 6 milliards d'euros nets. L'ordre de grandeur n'est pas du tout le même. Nous apportons, dans notre rapport, une explication technique aux 2 à 3 milliards d'euros d'annulations utiles. Un exemple : l'économie sur l'Unedic, présentée comme une partie du bouclage de la loi de finances et du programme de stabilité, a été abandonnée au profit d'un gel de crédits supplémentaire de près de 2 milliards d'euros décidé en avril. Il n'y a pas de sens à ajouter du gel à du gel. Ce gel supplémentaire est donc resté virtuel.

La réunion est close à 16 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.