Mercredi 15 février 2017

- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Rémy Pointereau, président. - Veuillez excuser le président Hervé Maurey, retenu par une réunion de l'Union interparlementaire sur les objectifs du développement durable, la protection de la planète et des océans.

La proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement sera examinée en séance publique mercredi 22 février, dans l'espace réservé au groupe écologiste. Nous examinons ce matin le rapport Ronan Dantec, par ailleurs très occupé par la commission d'enquête sur la compensation des atteintes à la biodiversité, dont nous saluons la disponibilité. Un seul amendement a été déposé sur cette proposition de loi.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous sommes en effet réunis pour examiner la proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement, adoptée le 15 juin 2016 par l'Assemblée nationale.

L'accès à une eau potable est un élément vital, indissociable de la dignité humaine. Le droit à l'eau potable et à l'assainissement a d'ailleurs été reconnu comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie » par une résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies du 28 juillet 2010. Mais ce droit est loin d'être une réalité pour tous. Dans le monde, plus de 600 millions de personnes n'ont pas accès à une eau salubre et plus de 2,5 milliards de personnes sont privées d'accès à des installations sanitaires. Il s'agit d'une des premières causes mondiale de mortalité, notamment infantile : près de 700 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année du fait de maladies liées à la consommation d'une eau contaminée. Le changement climatique, qui accroît les épisodes de sécheresse et accélère la désertification, fait peser une autre menace sur l'accès à l'eau, qui touche en premier lieu les pays les plus vulnérables : 65 % de la population africaine pourrait ainsi être confrontée à un stress hydrique d'ici 2025.

Dans ce contexte, la France jouit d'une situation privilégiée, tant au regard des ressources en eau disponibles que de l'accès de la population à une eau potable et à des équipements sanitaires. En effet, près de 99 % des Français sont aujourd'hui raccordés à un réseau de distribution d'eau. Le droit à l'eau potable est donc une réalité pour la grande majorité des habitants de notre pays. Pourtant, il reste des catégories de population qui n'ont pas accès à l'eau potable et à l'assainissement dans des conditions satisfaisantes : d'une part, celles qui n'ont pas d'accès physique à l'eau, au premier rang desquelles les personnes sans-abri ; d'autre part, les personnes qui ont du mal à régler leurs factures d'eau et font face à des impayés, voire des coupures d'eau.

Cette proposition de loi agit sur deux fronts à travers deux mesures phares : la mise à disposition gratuite d'équipements de distribution d'eau et d'assainissement pour les personnes qui en ont besoin et la création d'une aide préventive pour aider les personnes à faibles ressources à s'acquitter de leurs factures d'eau. Elle est issue de nombreux travaux réalisés ces dernières années sur le droit à l'eau et à l'assainissement, par des juristes comme Henri Smets, des associations, ou encore des institutions comme le Conseil d'État.

Cette proposition de loi s'inscrit surtout dans la lignée de plusieurs initiatives de députés et de sénateurs de sensibilités politiques différentes qui ont cherché à garantir l'accès de tous à l'eau : je pense à la proposition de loi du député André Flajolet de 2010 visant à créer l'allocation de solidarité pour l'eau, ou à la loi du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement adoptée à l'initiative de notre collègue Christian Cambon.

À la suite du sixième Forum mondial de l'eau qui s'est tenu à Marseille en mars 2012, et où une délégation de notre assemblée s'était rendue, la Fondation France Libertés et plusieurs associations réunies au sein du collectif « Coalition eau » ont entrepris, avec des parlementaires, la rédaction d'une nouvelle proposition de loi visant à créer une aide préventive d'accès à l'eau. Élaboré de manière transpartisane, le texte issu de ces travaux a été co-signé par des députés de quatre groupes politiques différents à l'Assemblée nationale.

Nommé rapporteur au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, le député Michel Lesage a réalisé un travail important d'amélioration juridique et légistique de ce texte, en lien étroit avec le Gouvernement et le milieu associatif, si bien que le texte qui nous est présenté est juridiquement cohérent. Cet intense travail de préparation, de plus de trois ans, et les contraintes du calendrier parlementaire, expliquent que cette proposition de loi nous soit soumise aussi tard dans la législature. Finir la législature en votant le droit à l'eau serait toutefois un symbole très fort.

La proposition de loi est composée de quatre mesures principales. D'abord, son article 1er reconnaît un droit à l'eau potable et à l'assainissement. Il ne s'agit pas de créer un droit opposable à l'eau au même titre que le droit au logement puisque l'article ne définit pas de voies de recours juridictionnelles pour contraindre la puissance publique à agir, mais d'inscrire dans l'ordre juridique interne un droit déjà consacré au niveau international.

La seconde mesure vise à garantir à tous un accès physique à l'eau potable et à l'assainissement. L'article 2 de la proposition de loi oblige les collectivités compétentes en matière d'eau et d'assainissement à installer et entretenir des équipements de distribution gratuite d'eau potable. Il prévoit également la mise à disposition gratuite de toilettes publiques dans les collectivités de plus de 3 500 habitants et de douches publiques dans les collectivités de plus de 15 000 habitants. Cela permettra aux personnes sans-abri, dont le nombre est estimé à 100 000 en France, de satisfaire leurs besoins élémentaires d'alimentation et d'hygiène par la mise à disposition de points d'eau collectifs et de bains publics.

Cette mesure est loin d'être aussi contraignante qu'il y paraît puisque, pour se conformer à cette obligation, les collectivités pourront mettre à disposition les équipements sanitaires ou de distribution d'eau qui existent déjà, par exemple ceux des bâtiments publics - mairies, centres sportifs, centres d'accueil - ou d'associations subventionnées. Sauf volonté des collectivités d'augmenter leur offre, cette mesure n'occasionnera aucune dépense de construction d'installations nouvelles pour les collectivités. Au regard de l'enjeu humain et sanitaire que représente l'accès de tous à l'eau, cette exigence paraît raisonnable.

La troisième mesure consiste à créer une aide préventive d'accès à l'eau et à l'assainissement, nommée « allocation forfaitaire d'eau ». Les articles 3, 4, 5 et 6 en précisent les conditions d'éligibilité et les modalités de financement. L'article 3 pose le principe d'une aide préventive versée aux personnes dont les dépenses d'eau excèdent 3 % de leurs ressources disponibles. Ce seuil est la norme retenue par les institutions internationales pour caractériser un coût prohibitif de l'eau. En moyenne, les dépenses d'eau représentent 0,8 % du budget des ménages. D'après le Conseil général de l'environnement et du développement durable, il existerait environ 2 millions de personnes en France dont la facture d'eau dépasse ce seuil d'acceptabilité de 3 %.

Actuellement, les ménages confrontés à des impayés d'eau peuvent recourir aux aides versées notamment par les fonds de solidarité pour le logement (FSL) gérés par les départements. Ce mécanisme ne fonctionne toutefois qu'a posteriori pour aider, ponctuellement et au cas par cas, les ménages en difficulté - ce qui occasionne des coûts dont on parle trop peu - et certains ménages, par crainte de stigmatisation ou par méconnaissance des dispositifs existants, n'y ont pas recours. Enfin et surtout, un quart des FSL n'octroient pas d'aides au règlement des impayés d'eau, faute d'un volet spécifique, et lorsque de telles aides existent, leurs critères d'attribution varient fortement d'un territoire à l'autre. Les limites de ces mécanismes curatifs plaident pour la mise en place d'une aide préventive afin d'éviter que les ménages en difficulté se retrouvent dans l'impossibilité de payer leurs factures d'eau.

L'article 4 précise les modalités de versement de cette aide : il s'agirait d'une allocation forfaitaire d'eau versée aux personnes dont les ressources sont inférieures ou égales à celles du RSA « socle ». Les personnes dont les ressources seraient comprises entre le montant forfaitaire du RSA « socle » et le plafond de ressources donnant droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) percevraient la moitié de l'allocation. Le choix de verser cette allocation aux bénéficiaires du RSA « socle », outre le fait qu'il permet une gestion simple et lisible de l'aide, est cohérent avec l'objectif de cibler les personnes dont les dépenses d'eau dépassent 3 % de leur revenu disponible, puisque ce seuil est généralement atteint par les personnes qui disposent de moins de 600 euros par mois. Pour tenir compte de la forte disparité des prix de l'eau sur le territoire, cette allocation ne serait attribuée qu'aux seules personnes payant l'eau à un prix supérieur à un niveau fixé par décret.

L'article 5 est relatif aux modalités de financement de cette aide, dont le coût est estimé entre 50 et 60 millions d'euros - à titre de comparaison, les sommes engagées pour lutter contre la précarité énergétique se situent entre 600 millions et un milliard d'euros... Cet article prévoyait que l'aide soit financée par un Fonds de solidarité du droit à l'eau institué au sein du Fonds national d'aide au logement (Fnal) alimenté par la création d'une taxe additionnelle à la taxe existante sur les eaux en bouteille de 0,5 centime d'euro par litre d'eau embouteillée. Compte tenu du fait qu'environ 150 litres d'eau en bouteille sont vendus en France par an et par habitant, et à supposer que cette taxe soit entièrement répercutée par les entreprises, cela représenterait un surcoût de moins de 1 euro par an pour le consommateur.

Cet article a toutefois été supprimé en séance publique à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, opposé à la création d'une surtaxe qui aurait pu pénaliser les petites entreprises mettant sur le marché de l'eau embouteillée, et qui a souhaité qu'une solution de financement plus consensuelle soit trouvée. Les fabricants d'eau en bouteille, avec lesquels j'ai eu l'occasion d'échanger, sont favorables à cette nouvelle mouture du texte.

L'article 6, lui, demeure. Il prévoit une solution de repli puisqu'il affecte le produit de l'actuelle contribution sur les eaux embouteillées au Fnal pour le financement de l'allocation forfaitaire d'eau. En clair, l'action publique sera allégée puisque la dépense assurée aujourd'hui par les départements sera prise en charge par l'État et son montant diminué par la réduction des coûts de gestion. L'article 6 prévoit en outre la généralisation, dans tous les fonds de solidarité pour le logement, d'un volet « eau » chargé de financer des aides aux ménages confrontés à des impayés d'eau.

L'article 7 prévoit que les maires ou les présidents d'EPCI présentent un rapport sur les actions menées pour mettre en oeuvre le droit d'accès à l'eau potable et à l'assainissement dans les trois ans suivant les élections municipales. Cette question devra également figurer dans les rapports annuels sur le prix et la qualité du service public d'eau potable présentés aux assemblées délibérantes.

L'article 8 prévoit enfin la remise par le Gouvernement d'un rapport triennal sur la mise en oeuvre de ce droit à l'eau potable et à l'assainissement.

Cette proposition de loi répond à un enjeu humain et social majeur : celui de l'accès de tous à l'eau et à l'assainissement. Fruit d'un long travail réalisé avec le milieu associatif et le Gouvernement, le texte issu des travaux de l'Assemblée est équilibré et cohérent, et tient la route du point de vue juridique. Compte tenu du calendrier législatif, je souhaite qu'il soit adopté de manière conforme par notre assemblée. C'est pourquoi je ne propose pas d'amendements et donnerai un avis défavorable à celui qui a été déposé. J'espère que le Sénat sera à la hauteur de cet enjeu et votera en faveur de cette proposition de loi. La Slovénie a inscrit le droit à l'eau dans sa Constitution ; la France peut être le premier pays à transposer la résolution de l'ONU - qu'elle a soutenue - dans sa législation.

M. Philippe Madrelle. - Je félicite le rapporteur pour son exposé. Ce texte est le résultat d'un long travail des ONG, engagé il y a plus de vingt ans déjà par la fondation France Libertés de Danielle Mitterrand, qui a eu le mérite de mettre en lumière la contradiction entre le statut naturel et le statut économique de l'eau. Comme l'air que l'on respire, l'eau est un bien commun, et ne peut à ce titre être considérée comme une simple marchandise. Pour traduire ce principe en droit, cette proposition de loi repose sur deux piliers : d'une part, la reconnaissance du droit à l'eau potable et à l'assainissement, en vertu duquel chaque personne doit pouvoir disposer d'une quantité d'eau minimale pour vivre, d'autre part, l'organisation de l'accès à l'eau dans l'espace public.

Le droit à l'eau potable n'est pas effectif pour tous en France : plus de 100 000 personnes ne disposent pas d'un accès direct à l'eau, un million de ménages se situent sous le seuil de pauvreté et n'ont accès à l'eau que dans des conditions alarmantes. Dans le monde, 1,5 milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, 2,5 milliards de personnes ne disposent pas d'une installation d'assainissement, et 34 000 personnes dont 5 000 enfants meurent chaque année faute d'accès à une eau potable. Un Américain consomme 500 à 600 litres d'eau par jour alors qu'un Africain doit se contenter de 20 litres...

L'article 5, qui créait le Fonds de solidarité pour le droit à l'eau, a été supprimé à l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement. Ce combat pour l'accès de tous à l'eau est le symbole de tout un engagement pour un monde plus juste et plus solidaire. Après la COP21 et le vote de la loi pour la reconquête de la biodiversité, la France doit montrer l'exemple en s'engageant plus résolument pour la protection de l'environnement, de la ressource en eau et la promotion des droits humains. Tant au niveau local qu'international, l'eau est un enjeu de gouvernance et la gestion de ce bien commun doit plus que jamais être au service des communautés et de l'intérêt général. L'adoption de ce texte constituerait une première étape dans la reconnaissance de la dignité humaine, avec la mise en place d'une véritable démocratie de l'eau - qui est la base de la vie. Votons en conséquence ce texte conforme. La France serait, après la Slovénie, l'un des quinze pays au monde à reconnaitre ce droit. Nous reviendrons ensuite sur les questions financières que soulève ce texte.

Mme Évelyne Didier. - Nous avions déposé un texte analogue en 2009, sur la base des propositions de France Libertés, mais aussi de l'Observatoire des usagers de l'assainissement en Ile-de-France (Obusass) et des travaux du Conseil national de l'eau. Nous proposions alors que la caisse d'allocations familiales distribue l'aide, puisqu'elle dispose, sur l'ensemble du territoire, des informations utiles sur les personnes en difficulté. J'ai été sollicitée pour retirer mon amendement, mais je souhaiterais auparavant des précisions sur le financement du dispositif.

Mme Chantal Jouanno. - La reconnaissance internationale du droit d'accès à l'eau et à l'assainissement avait donné lieu à d'importants débats, et sa concrétisation est une très bonne chose. Le sujet central est toutefois celui du traitement de l'eau : l'eau est certes un bien gratuit, mais son traitement ne l'est pas nécessairement... Combien de communes de plus de 3 500 habitants sont concernées par l'obligation de mise à disposition de toilettes gratuites, et qui paiera ? Le coût sera-t-il bien de 60 millions d'euros pour 2 millions de personnes ? Enfin, quid de l'application du texte outre-mer, à Mayotte en particulier ?

Mme Évelyne Didier. - Bonne question !

M. Jérôme Bignon. - Nommé naguère grâce à Jacques Chirac au Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, j'ai participé au combat en faveur du droit au logement opposable. Ce travail est long, prend du temps, nécessite une évolution des mentalités. Ce texte est un grand pas en avant, et il faut relativiser la charge qu'il représente. Vous est-il seulement arrivé de vous faire couper l'eau en raison d'impayés ? Moi oui - je n'avais pas reçu la facture : c'est d'une grande violence, surtout lorsque vous avez des enfants en bas âge.

Chaque commune, en France, dispose d'un point d'accès à l'eau. Ce texte ne fait que rendre obligatoire la mise à disposition des équipements existants dans les gymnases, les écoles, les salles de sport : ce n'est donc pas compliqué ! Ce texte est une manifestation supplémentaire de solidarité envers ceux qui souffrent le plus. Songez aux milliers de gens qui ont des difficultés pour se laver, pour accéder aux toilettes, regardez ce qui se passe dans les parkings publics, y compris à Paris ! De ce point de vue, nous sommes un pays un peu sous-développé... Le peu d'organisation et de générosité que requiert ce texte équilibré ne me semble pas inconsidéré, et son financement est intelligent. Bref je rends hommage à ceux qui l'ont élaboré et au rapporteur pour son travail, et je le voterai sans hésitation si l'amendement est retiré.

M. Jean-François Longeot. - En attendant d'en discuter en réunion de groupe avec le président Hervé Maurey, le groupe UDI-UC s'abstiendra.

M. Louis Nègre. - Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. Je comprends la démarche qui la sous-tend, mais j'y vois un coût supplémentaire pour les collectivités territoriales. Les taxes supplémentaires et les transferts de charges, elles en ont ras-le-bol ! Que l'État, qui pousse à la hausse les impôts locaux en leur retirant 11 milliards d'euros de dotations, assume ses responsabilités !

M. Gérard Miquel. - L'accès à l'eau potable est indispensable, c'est vrai, mais je voudrais des précisions sur la gestion du fonds. À ma connaissance, dans aucune collectivité on ne coupe l'eau des particuliers...

Mme Évelyne Didier. - C'est Veolia qui coupe l'eau !

M. Gérard Miquel. - ...car le conseil général, ses services sociaux, interviennent intelligemment avant d'en arriver à cette extrémité. Ne centralisons pas la gestion des difficultés, dont les collectivités s'acquittent très bien.

M. Gérard Cornu. - La gestion de proximité est en effet indispensable au recouvrement de ces sommes. Il faut pouvoir suivre les personnes en difficulté, en cas de déménagement par exemple. Évitons de monter une usine à gaz...

M. Michel Raison. - Je rejoins à mon tour Gérard Miquel : trop de textes manifestent de la défiance à l'égard des élus locaux. Les centres d'action sociale assurent leurs missions efficacement. De plus, le cahier des charges passé avec le fermier par les communes pour la gestion de l'eau interdit le plus souvent les coupures d'eau intempestives. M. Bignon n'a peut-être pas eu de chance... Chez moi en tout cas, cela ne se passe pas ainsi : le particulier qui a contracté une dette d'eau s'adresse aux services d'action sociale, et bénéficie d'un accompagnement.

M. Charles Revet. - Président d'un syndicat des eaux depuis trente ans, je n'ai pas le souvenir de la moindre coupure d'eau, car une solution personnalisée est toujours trouvée à temps, sauf cas exceptionnel d'un gros consommateur indélicat. Reconnaissons le travail de proximité effectué sur le terrain.

M. Rémy Pointereau, président. - Les coupures d'eau sont même encadrées par la loi !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce texte ne met aucunement en cause la gestion locale des problèmes d'impayés, et les coupures sont en effet encadrées par la loi. La seule chose qui change est la prise en charge par l'État des factures des plus précaires grâce aux recettes générées par l'eau en bouteille. Vous faites donc un contresens, monsieur Nègre, car ce texte réduit en réalité les charges des collectivités ! On ne peut donc sans incohérence dénoncer l'étranglement des départements et s'opposer à ce texte... Et citez-moi une seule commune qui ne dispose pas déjà d'un robinet d'eau potable ! Aucune charge nouvelle ne pèsera sur les collectivités non désireuses de s'équiper, et celles désireuses d'aller plus loin seront incitées à le faire.

Madame Jouanno, l'outre-mer ne fait en effet pas l'objet de dispositions spécifiques. Quant à l'assainissement, il donne déjà lieu à des conflits d'usage sur l'espace public : les communes n'ont pas besoin de la loi pour évoluer sur ce sujet.

Ce texte, je le redis, n'ajoute aucune contrainte. Il envoie en revanche un signal fort contre la précarité hydrique, à l'instar de ce que nous avons fait contre la précarité énergétique. Il ne porte, comparativement, que sur de petites sommes, et réduira le nombre de dossiers que les collectivités auront à traiter. C'est de plus le fruit d'un travail transpartisan à l'Assemblée nationale. Bref je comprends mal qu'il ne fasse pas consensus, voire qu'il prête aux récupérations politiques. Finir la législature sur ce vote serait un beau symbole !

Madame Didier, les embouteilleurs n'étaient pas désireux de devenir en quelque sorte responsables de la lutte contre la précarité hydrique.

M. Gérard Miquel. - Je voterai ce texte, rassurez-vous, mais à qui exactement les aides seront-elles versées ? Aux personnes ou aux départements ? Ce n'est pas du tout la même chose. Et je crois savoir comment les choses risquent de se terminer...

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le chèque eau sera versé directement aux bénéficiaires.

M. Gérard Miquel. - Ces dispositifs aboutissement généralement à ce que la somme soit versée à la collectivité. Quid de ceux qui utiliseraient leur chèque à d'autres fins ?

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le chèque eau ne servira qu'à payer les factures d'eau, comme le chèque énergie ne sert qu'à payer les factures d'énergie...

M. Gérard Miquel. - Me voilà rassuré.

M. Rémy Pointereau, président. - Ce texte poursuit des objectifs louables, mais je suis sensible à l'inflation législative. Ce que dispose cette proposition de loi, nous le faisons déjà sur nos territoires ! Les points d'eau existent, les toilettes publiques également, les coupures d'eau sont encadrées et les centres d'action sociale accompagnent les particuliers... Sauf peut-être à Paris où, m'a dit un élu parisien, il est indispensable de remédier au manque de toilettes et de douches publiques - mais c'est alors au Conseil de Paris de faire quelque chose -, ce texte me semble bien inutile.

Mme Évelyne Didier. - Je le voterai également, mais je n'ai pas eu ma réponse. Si l'on ne taxe plus les eaux en bouteille, comment financera-t-on le dispositif ?

M. Alain Fouché. - Il est bien beau de dire que les centres communaux d'action sociale font beaucoup. En réalité, cela dépend des communes. Bien souvent, ce sont les départements qui paient les factures, et du jour pour le lendemain qui plus est, alors que les CCAS peuvent mettre plusieurs jours ! Une raison de plus de préserver les départements...

M. Jean-François Rapin. - En tant que maire, j'essaie de faciliter le règlement à l'amiable de ces problèmes. Je crains que le chèque eau, en conduisant à monter une structure lourde de complications administratives pour les ayants droit, soit une usine à gaz.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je comprends mal la tournure que prennent nos débats... Il est envisagé que le chèque soit versé par les caisses d'allocations familiales et les mutualités sociales agricoles - un décret précisera les détails de sa mise en oeuvre. Ce n'est donc pas une usine à gaz, et cela réduira même les frais de gestion des CCAS et des départements ! Parallèle au chèque énergie généralisé au 1er janvier 2018, le chèque eau n'est pas un nouveau système mais bel et bien une mesure de simplification puisqu'il réduira le nombre de dossiers à traiter a posteriori.

Madame Didier, il existe déjà une taxe sur l'eau en bouteille. Le texte propose de la flécher vers l'aide au règlement des impayés d'eau.

Mme Évelyne Didier. - Dès lors, je retire mon amendement.

M. Didier Mandelli. - Un tiers du produit de la taxe générale sur les activités polluantes et la moitié de celui des amendes de police sont véritablement fléchés vers les objets respectifs de ces prélèvements : quelle garantie avons-nous ici que le financement prévu pour cette aide ne financera qu'elle ?

Je crains par ailleurs les effets pervers du passage d'une logique d'accompagnement à une logique de guichet. Certes, ce dispositif est promu par les ONG et les acteurs internationaux. Mais n'oublions pas que les collectivités et les associations qui aident les personnes confrontées à des impayés d'eau les accompagnent aussi dans la gestion de leurs problèmes d'électricité, d'accès à la culture, d'accès de leurs enfants à la cantine, etc. Simplifier la gestion des dossiers par les collectivités, pourquoi pas, mais prenons garde à ne pas distendre le lien social tissé sur le terrain par les associations et les services sociaux des collectivités.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Au contraire, les CCAS seront déchargés de lourdeurs administratives ce qui leur permettra de mettre leur énergie au service de l'accompagnement des personnes !

La proposition de loi est adoptée sans modification.

La réunion est close à 10 h 55.