Mardi 31 janvier 2017

- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président -

La réunion est ouverte à 15 h 35.

Proposition de loi visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis sur la proposition de loi n° 207 (2016-2017) visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.

La commission désigne M. Albéric de Montgolfier en qualité de rapporteur pour avis sur la proposition de loi n° 207 (2016-2017) visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.

Proposition de loi visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété - Examen du rapport pour avis

La commission examine ensuite le rapport pour avis sur la proposition de loi n° 207 (2016-2017) visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Cette proposition de loi, présentée par notre collègue député Camille de Rocca Serra et plusieurs de ses collègues de différents groupes politiques, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 8 décembre dernier. Elle a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat après que l'amendement de nos collègues Joseph Castelli et Jacques Mézard au projet de loi de ratification de plusieurs ordonnances relatives à la Corse, reprenant ses dispositions, a été déclaré irrecevable par la commission des lois. Le texte a été renvoyé à l'examen au fond de la commission des lois du Sénat, avec pour rapporteur notre collègue André Reichardt - et elle nous a délégué l'examen des articles 3, 4, 5 et 6, en raison de leur nature fiscale.

En effet, si les deux premiers articles modifient le code civil, les trois articles suivants modifient le code général des impôts, en visant les impôts dus au titre des droits de partage, qui sont des droits d'enregistrement, et des droits de mutation à titre gratuit entre vifs ou par décès (donations et successions), et le dernier article est relatif au gage, qui a été levé en séance par le Gouvernement.

L'article 3 proroge de dix ans et renforce, en la portant de 30 % à 50 % de la valeur des biens, l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit pour la première mutation de biens immobiliers postérieure à la reconstitution des titres de propriété, mesure de portée nationale qui doit s'éteindre au 31 décembre 2017.

L'article 4 proroge également de dix ans, jusqu'au 31 décembre 2027, l'exonération de 50 % des droits de succession pour les immeubles situés en Corse et n'ayant pas fait l'objet d'une mutation à titre onéreux depuis le 23 janvier 2002.

Enfin, l'article 5 rétablit pour dix ans l'exonération des droits de partage sur les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse, exonération supprimée depuis le 1er janvier 2015.

Dans son rapport, notre collègue député Camille de Rocca Serra précise que le texte vise à sécuriser la reconstitution des titres de propriété et à faciliter le règlement des indivisions et, d'autre part, à prévoir des dispositions fiscales n'ayant pour objet « que d'accompagner et d'encourager les dispositions d'ordre civil, qui sont de premier rang ».

Même si ces mesures fiscales ne sont donc que de second rang, elles n'en revêtent pas moins une importance centrale. En effet, l'initiative de nos collègues députés répond directement aux préoccupations manifestées par l'Assemblée de Corse à l'approche de l'échéance du régime fiscal spécifique applicable aux droits de mutation par décès pour les immeubles situés en Corse, et de l'application du droit commun en matière d'impôt sur les successions.

Les dispositions fiscales dont la prorogation est proposée arrivent à échéance au 31 décembre 2017 : leur prorogation aurait pu être envisagée dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Toutefois, le choix d'un véhicule législatif dédié se justifie par la crainte d'une nouvelle censure du Conseil Constitutionnel, dès lors qu'il a déjà censuré la prolongation de mesures fiscales spécifiques à la Corse dans les lois de finances pour 2013 et pour 2014.

L'intention des auteurs de la proposition de loi doit être saluée : il est nécessaire que les travaux de « titrement » engagés par le groupement d'intérêt public pour la reconstitution des actes de propriété (GIRTEC) se poursuivent car, malgré le nombre de dossiers traités par cet organisme, de nombreux titres de propriété ne sont toujours pas établis en Corse. On dénombrait encore au 1er janvier 2012 en Corse 63 800 biens non délimités, pour 1 005 600 parcelles existantes, soit un taux de 6,4 %, contre 0,4 % au plan national. Ces biens représentaient 15,7 % de la surface cadastrée de la Corse. Par ailleurs, il faut noter que, malgré des améliorations, en 2015, sur un nombre de 351 646 propriétaires « apparents » encore 83 431 étaient présumés décédés, soit près d'un quart.

Ce problème de désordre foncier est réel, il faut poursuivre les travaux pour y remédier, plus de 200 ans après l'arrêté du 21 prairial an IX (10 juin 1801) dit «arrêté Miot ».

Dans cette logique, il est cohérent d'accorder un avantage fiscal après la reconstitution des actes de propriété. C'est le but de l'article 3, qui proroge et renforce l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit pour la première mutation de biens immobiliers postérieure à la reconstitution des titres de propriété : les situations visées sont précises, l'avantage fiscal est bien ciblé. Seule la durée de prorogation - dix ans - est sujette à caution dès lors que l'article 21 de la loi de programmation des finances publiques de 2014 dispose que les dépenses fiscales ne doivent pas être reconduites pour plus de trois ans et que la prolongation doit faire l'objet d'une évaluation.

Comme le souligne le rapport commandé par l'Assemblée de Corse, « le principe d'égalité devant la loi fiscale ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte, soit en rapport direct avec l'objet de la loi qu'il établit ». La proposition de loi fait donc un lien très direct entre les incitations fiscales qu'elle propose de prolonger et le désordre foncier en Corse.

Toutefois, les autres mesures fiscales que ce texte prolonge de dix ans, voire rétablit - comme l'exonération des droits de partage -, s'appliquent à tous les biens immobiliers, y compris ceux qui sont délimités et dont les propriétaires sont connus. De fait, ces exonérations de droits de succession s'appliquent à l'ensemble des immeubles situés en Corse, alors même que les problèmes de droits de propriété ne concernent que certains de redevables.

Dans sa décision de décembre 2012, le Conseil constitutionnel avait jugé que « le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques ». Il peut être admis que ces dispositions fiscales dérogatoires ne visent pas exclusivement à favoriser la reconstitution des titres de propriété, mais à conserver, pour les héritiers de biens immobiliers en Corse, un régime fiscal plus favorable, ce qui s'explique aussi en partie par les spécificités sociales, économiques et démographiques de la Corse. Si ces arguments peuvent être entendus, il n'en reste pas moins que les dispositions figurant aux articles 4 et 5 de la proposition de loi révèlent d'importantes fragilités au regard du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt. À cet égard, une prorogation de dix ans peut paraître excessive.

Enfin, l'exonération de 50 % sur les droits de successions pour les immeubles situés en Corse (sauf pour les biens immobiliers cédés à titre onéreux depuis le 23 janvier 2002) est dans la proposition de loi équivalente à celle applicable à la première mutation d'un bien dont la propriété est reconstituée, ce qui ôte à ce dispositif son caractère réellement incitatif.

Je vous propose donc quatre amendements visant à limiter à trois ans la prorogation de l'exonération de droits pour la première mutation d'un bien immobilier dont la propriété est reconstituée (article 3) ainsi que la prorogation des droits de mutation par décès pour les immeubles situés en Corse (article 4) ; à renforcer l'incitation fiscale pour la reconstitution des propriétés, en portant de 50 à 60 % l'exonération de la première mutation à titre gratuit d'un bien immobilier dont la propriété est reconstituée ; à supprimer, en contrepartie, l'exonération des droits de partage, dispositif supprimé depuis le 1er janvier 2015 pour l'ensemble des biens en indivision - et alors que, dans les cas visés, les indivisions peuvent ne pas être liées à des problèmes fonciers. La hausse du taux d'exonération que je vous propose devrait permettre de favoriser le règlement plus rapide d'un certain nombre de situations.

Je vous invite donc, mes chers collègues, avec ces quatre amendements, à sécuriser ce texte, sachant qu'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pourrait se produire - puisque n'importe quel contribuable, y compris dans l'Hexagone, pourrait se prévaloir de ces avantages au nom de l'égalité devant l'impôt, et donc interroger le Conseil constitutionnel à ce titre.

Quant à la perspective d'aller plus vite grâce à un vote conforme, elle est altérée par l'intention de la commission des lois d'adopter demain des amendements à ce texte.

M. Philippe Dominati. - Si le Sénat n'émet pas un vote conforme, ce texte a-t-il des chances d'aboutir dans cette législature ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Oui ; une commission mixte paritaire (CMP) pourrait se tenir très rapidement.

M. Philippe Dominati. - La réduction de l'exonération des droits de succession à trois ans me laisse circonspect. Le problème se pose depuis plus de deux siècles, je veux bien qu'un délai de dix ans soit trop long, mais un délai de trois ans, c'est assurément trop court : est-ce bien réaliste, ne retirez-vous pas toute efficacité juridique à ce texte ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Le Conseil constitutionnel a censuré une prorogation de cinq ans, la loi de programmation des finances publiques prévoit trois ans : vous pouvez proposer un délai plus long, mais je vous invite à donner toutes ses chances à ce texte en cas d'examen par le juge constitutionnel.

M. Philippe Dominati. - Cela revient à dire qu'on ne peut rien faire...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Si, mais en restant raisonnable.

M. Richard Yung. - Voilà deux cents ans que le problème dure, et nous devons prendre position pour le début du mois de février... Démarche bien française !

Résoudre un problème aussi ancien et délicat est un objectif auquel on ne peut que souscrire. Il est en effet assez choquant qu'une partie du territoire français soit sans cadastre et sans droits de succession. Aussi sommes-nous a priori plutôt favorables au dispositif.

Nous aimerions simplement savoir à combien son coût peut se monter.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - À 20 millions d'euros environ. L'enjeu budgétaire est donc loin d'être majeur. Il est vrai que, de toute manière, les choses vont mieux...

M. Richard Yung. - Je suppose que M. le rapporteur fait référence au déficit budgétaire, qui se réduit en ce moment...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Comme la croissance !

Le problème est avant tout juridique : il se pose sur le plan du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt.

M. Richard Yung. - En ce qui concerne les amendements de M. le rapporteur, nous y sommes plutôt favorables. Au reste, il y a de fortes chances que les articles 4 et 5 de la proposition de loi soient censurés par le Conseil constitutionnel.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je répète que l'augmentation de 50 % à 60 % du taux de l'exonération de droits de mutation à titre gratuit pour la première mutation postérieure à la reconstitution des titres vise à accentuer le caractère incitatif du dispositif. Si l'on ne différencie par l'avantage en faveur de celui qui a fait l'effort de reconstituer les titres, le dispositif n'est pas justifié par un motif d'intérêt général !

M. Philippe Dominati. - Est-ce à dire que l'Assemblée nationale ignore la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'initiative des parlementaires est libre, sous réserve des irrecevabilités.

M. Philippe Dallier. - Quelqu'un a dit : L'Assemblée nationale vote un texte, le Sénat écrit la loi... À la réflexion, c'est peut-être bien vrai !

Le rapporteur a parfaitement raison d'attirer notre attention sur les risques que le dispositif courrait s'il était adopté en l'état, d'autant que ce qu'il annonce va très probablement se produire. Reste que cette question est complètement politique. On ne dit pas les choses telles qu'elles sont, et le vrai débat est ailleurs, sur des sujets plus vastes. Dans ces conditions, je ne sais plus bien quoi faire.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Ma responsabilité est de vous avertir des risques. Moyennant quoi chacun est entièrement libre de son vote.

Une analyse honnête du dispositif fait apparaître des risques très élevés. On peut, certes, considérer qu'il y a un signal politique à donner en matière de reconstitution des titres en Corse ; c'est là un autre sujet.

M. Yvon Collin, président. - Nous passons à l'examen des articles 3, 4, 5 et 6 de la proposition de loi, dont la commission des lois nous a délégué l'examen au fond.

Article 3

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° COM-4 augmente de 50 % à 60 % le taux de l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit pour la première mutation postérieure à la reconstitution des titres de propriété. Si l'avantage est identique pour la première mutation et pour les suivantes, il perd de son intérêt. L'exonération doit être plus incitative pour ceux qui font l'effort de reconstitution des titres.

L'amendement n° COM-4 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° COM-5 réduit à trois ans la durée de la prorogation de l'exonération partielle. Certes, comme l'a souligné Philippe Dominati, trois ans est un délai court, surtout pour résoudre un problème qui dure depuis deux cents ans. Mais la durée de cinq ans a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel, et celle de trois ans est conforme à la loi du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques.

L'amendement n° COM-5 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 3 ainsi modifié.

Article 4

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° COM-6 a le même objet que le précédent.

L'amendement n° COM-6 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 4 ainsi modifié.

Article 5

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° COM-7 supprime l'article 5. L'enjeu budgétaire de cet article est particulièrement limité, puisque les droits de partage représentent de petits montants. En revanche, vouloir rétablir un avantage qui a été supprimé n'apparaît pas pertinent.

L'amendement n° COM-7 étant adopté, la commission proposera à la commission des lois de supprimer l'article 5.

Article 6 (Supprimé)

La commission proposera à la commission des lois de maintenir la suppression de l'article 6.

La réunion est close à 16 h 10.

Mercredi 1er février 2017

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Contrôle budgétaire - Préfecture de police de Paris - Communication

La séance est ouverte à 9 h 30.

La commission entend tout d'abord une communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, sur la préfecture de police de Paris.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - La préfecture de police de Paris est une institution à part qui n'a pas d'équivalent dans les principales capitales européennes. Son particularisme s'explique par l'histoire : il s'agit d'une institution bicentenaire, qui a longtemps rayonné essentiellement sur la commune de Paris. Une réforme importante a toutefois étendu en 2009 son périmètre d'intervention à la petite couronne.

Sur le territoire de la ville de Paris, le préfet de police a des compétences particulières qui sont dévolues sur le reste du territoire au maire.

Au-delà de la capitale, ses attributions dérogent également au droit commun. Ainsi, il exerce les compétences habituellement confiées aux services départementaux d'incendie et de secours en matière de lutte contre l'incendie dans l'ensemble de la petite couronne. Par ailleurs, il possède des attributions au niveau de la zone de défense et de sécurité, en tant que préfet de la zone de défense de Paris, ainsi que certaines compétences régionales - et même au-delà, jusqu'à Orléans, s'agissant des transports.

Ces compétences multiples et cette organisation particulière ont souvent été justifiées par le statut de capitale de la ville de Paris - en considérant qu'il est normal qu'une organisation policière spécifique existe pour protéger les institutions et assurer l'ordre public. En réalité, ce n'est pas ce que l'on constate à l'étranger. Il n'existe aucune organisation policière spécifique à Berlin, Madrid et même Bruxelles. Lorsque des particularismes existent, comme à Londres, Washington ou Tokyo, ils n'ont pas l'ampleur de ceux observés à la préfecture de police et concernent souvent le mode de nomination.

Sous la Ve République, il y a eu des tentatives pour décliner le modèle du préfet de police sur le reste du territoire. Depuis 2012, il existe ainsi un préfet de police pour les Bouches-du-Rhône. Mais cette création contemporaine est très éloignée du modèle parisien. Les compétences, les pouvoirs et les effectifs du préfet de police des Bouches-du-Rhône restent très en-deçà de ceux de son homologue parisien. Il s'agit d'une structure légère, centrée sur l'opérationnel et le travail de coordination. D'ailleurs, l'ancien préfet de police Philippe Massoni disait souvent que, dans l'administration française, il n'y a pas besoin de préciser « de Paris » lorsque l'on parle du préfet de police. Il n'y a véritablement qu'un seul préfet de police.

La préfecture de police est aujourd'hui fragilisée par la complexité de son organisation et l'enchevêtrement des compétences. Les différentes réformes intervenues - par exemple après l'affaire Ben Barka - n'ont pas ramené l'institution dans le droit commun, voire ont accentué ses spécificités. La préfecture de police conserve ainsi son propre service de renseignement, qui d'ailleurs s'occupe également de la lutte contre l'immigration.

Tout cela pose naturellement la question de la coordination. Sur le territoire de la préfecture de police, on trouve pas moins de onze préfets. Alors que la gendarmerie est caractérisée par l'unité de sa direction - on identifie d'ailleurs clairement son patron dans l'opinion -, trois personnalités coexistent au sommet de la hiérarchie policière : le directeur général de la police nationale, le préfet de police et le directeur général de la sécurité intérieure. L'organisation policière est morcelée, le préfet de police étant directement placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur.

Sur le plan budgétaire, les enjeux sont très importants : la préfecture de police représente une dépense de 3,1 milliards d'euros pour le programme « Police nationale ». Le financement de la préfecture de police repose néanmoins sur deux budgets distincts, les services d'intérêt local étant pris en charge par un budget spécial abondé principalement par les collectivités territoriales.

Mais l'organisation budgétaire apparaît incohérente. Certaines dépenses régaliennes demeurent prises en charge par la ville de Paris. À l'inverse, certaines dépenses prises en charge par l'État devraient normalement être financées par les collectivités territoriales au regard du droit commun de la décentralisation. Par ailleurs, l'organisation budgétaire conduit à faire voter le seul conseil de Paris sur un budget auquel la ville de Paris ne contribue pourtant de que façon minoritaire. Et l'ensemble des investissements tombent dans le patrimoine de la ville de Paris, alors qu'ils ont en partie été financés par les collectivités territoriales de petite couronne.

En outre, l'organisation budgétaire apparaît contradictoire avec l'organisation administrative. Si le préfet de police dépend hiérarchiquement du ministre de l'intérieur, et non du directeur général de la police nationale, ce dernier détermine son budget et ses effectifs en tant que responsable de programme. Le préfet de la police ne maîtrise réellement que 5 % des crédits qu'il exécute !

Dans ce contexte, la préfecture de police est aujourd'hui contestée. Je vous ai amené un ouvrage de Jean-Jacques Urvoas, publié en 2011.

Mme Michèle André, présidente. - Très bonne lecture !

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - En effet ! Dans ce livre, l'actuel ministre de la justice qualifiait la préfecture de police d'« hérésie juridique qu'il est urgent d'abolir », dans un chapitre intitulé « Supprimer la préfecture de police ». Mais cette contestation dépasse les clivages partisans. Notre collègue député Philippe Goujon, maire d'un arrondissement de la ville de Paris, indiquait ainsi récemment dans une tribune que la préfecture de police est « malade ».

Cette insatisfaction s'explique notamment par une hausse de la délinquance : les missions sont parfois mal remplies. Il y a aussi un sentiment d'éloignement, renforcé par la police d'agglomération.

À cet égard, la question des moyens joue certainement un rôle. Les effectifs ont davantage baissé que sur le reste du territoire national, notamment parce que les policiers demandent à quitter la préfecture de police dès qu'ils en ont la possibilité, pour partir en province. En 2015, le nombre de départs a même été plafonné. C'est évidemment sous-optimal sur le plan de l'efficacité : des jeunes peu expérimentés sont amenés à exercer dans des territoires particulièrement sensibles. Il existe des dispositifs d'incitation financière, mais ces derniers sont insuffisants et mal calibrés.

La question des locaux a également retenu mon attention. Je m'attendais à ce que cette institution bicentenaire soit un peu avantagée sur ce plan. Ce n'est pas le cas du tout. On trouve des locaux d'une vétusté surprenante. Le commissariat du 8e arrondissement est un bon exemple. Cela s'explique notamment par un sous-investissement dans la maintenance. Ces dernières années, la préfecture de police a dépensé environ 6 euros par mètre carré, alors que la norme est plutôt de 15 euros au minimum. Le nouveau chef du service immobilier est en train de définir un nouveau plan stratégique pour remédier à ces difficultés - le dernier remontait à 2008 !

Face à ce constat, quelles sont mes préconisations ?

Il faut recentrer la préfecture de police sur son coeur de métier : l'ordre et la sécurité publics. Dans cette optique, il faudrait transférer à la direction générale de la police nationale et à la direction générale de la sécurité intérieure les compétences du préfet de police en matière de police judiciaire, de police aux frontières et de renseignement. Sur le renseignement et l'immigration, ces préconisations rejoignent celles formulées dans mon précédent rapport. Pour la police judiciaire, l'évolution serait bénéfique, compte tenu de la présence de la direction régionale de la police judiciaire à Versailles et des offices centraux à Nanterre. Le nouveau siège à Batignolles constitue à cet égard une belle opportunité.

En complément, la répartition des compétences entre le préfet de police et le maire de Paris du régime de droit commun, afin de permettre la mise en place d'une police municipale de plein exercice. Des évolutions ont déjà eu lieu en ce sens, mais il faudrait aller plus loin. Je note d'ailleurs que les trois quarts des communes de petite couronne disposent déjà d'une police municipale.

En contrepartie, on pourrait élargir la compétence opérationnelle de la préfecture de police à l'ensemble du territoire de la métropole, afin de rapprocher le périmètre de la police d'agglomération des bassins de délinquance. Actuellement, des villes comme Argenteuil ou Viry-Châtillon sont exclues du périmètre d'intervention du préfet de police. La logique serait d'englober l'ensemble de l'unité urbaine, mais la métropole du Grand Paris constituerait déjà un périmètre plus adapté. Cela permettrait en plus de faire voter l'ensemble des collectivités concernées sur le budget spécial.

Enfin, une politique ambitieuse doit être engagée pour restaurer l'attractivité de la préfecture de police, en augmentant les dépenses d'entretien du parc immobilier et en renforçant les incitations financières visant à fidéliser les personnels.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce sujet a fait l'objet d'une question d'actualité hier car les statistiques tendent à montrer que les cambriolages et les atteintes aux biens sont en augmentation en région parisienne. Si on ajoute à cela la menace terroriste, la question de l'organisation de la préfecture de police de Paris mérite d'être posée, et je remercie Philippe Dominati d'avoir étudié le sujet. Quand on voit que la commune d'Argenteuil n'est pas dans le ressort de la préfecture de police, on peut s'interroger sur son périmètre d'action. Je souhaiterais poser deux questions à notre rapporteur spécial : quels sont les effectifs policiers de la préfecture de police effectivement présents sur le terrain à un instant donné, en service de jour comme de nuit ? Car derrière les chiffres théoriques, j'imagine que l'organisation du temps de travail et la présence de nombreux services « support » doivent diminuer leur nombre réel, alors même que certaines tâches pourraient probablement être déléguées à des acteurs privés.

Deuxième question : faudrait-il envisager de mettre fin à l'exception parisienne de la préfecture de police, ce qui reviendrait à donner davantage de pouvoir à la ville ? Le coût est-il connu et la ville de Paris serait-elle en mesure de la financer ?

Par ailleurs, notre rapporteur envisage-t-il une suppression des pouvoirs de police relatifs à la circulation du préfet de police ? Pour ma part, je tiens à ce qu'il les conserve pour que la ville de Paris ne prenne pas de nouvelles décisions aussi problématiques que la fermeture des voies sur berge : il est heureux qu'un préfet de police puisse parfois tempérer les initiatives intempestives de certains élus !

Si l'idée est de créer une police municipale à Paris, je suis d'accord, mais je suis en revanche opposé au transfert à la mairie des pouvoirs de circulation.

M. Roger Karoutchi. - Je ne suis pas favorable au système des préfectures de police. Je ne suis pas convaincu qu'il ne faille pas remettre en question ce système ancien, que ce soit à Marseille ou à Paris. On croit qu'il fonctionne bien mais, pour ma part, j'estime qu'il fonctionne mal et qu'il est complétement dépassé face aux nouvelles formes de délinquance.

Je ne pense pas qu'il faille élargir le périmètre de compétence de la préfecture de police à l'ensemble de la métropole, dans la mesure où je doute qu'elle soit parfaitement efficace sur le territoire dont elle a déjà la charge, à savoir Paris et sa petite couronne. N'aurions-nous pas plutôt intérêt à avoir une autorité départementale plus forte, avec des effectifs réellement déconcentrés dans les départements ?

J'ai rendu il y a quelque temps une étude assez approfondie sur les réseaux de délinquance et l'on constate qu'en Île-de-France, les bandes organisées agissent à Paris et dans les départements de la petite couronne mais également de plus en plus dans ceux de la grande couronne, notamment en Seine-et-Marne et le Val-d'Oise. C'est pourquoi j'estime qu'il faut soit conserver le système de la préfecture de police tel qu'il est, soit étendre son périmètre d'intervention à l'ensemble de l'Île-de-France, soit le remettre en cause. Mais je pense que vouloir uniquement la concentrer sur la zone centrale serait une erreur.

M. Philippe Dallier. - En tant que sénateur de la Seine-Saint-Denis, je vais rappeler ce qui se passait dans mon département avant l'arrivée de la préfecture de police. Avec les effectifs de la Seine-Saint-Denis, les soirs de match au stade de France, nos commissariats étaient vides car tous les policiers étaient mobilisés pour assurer sa sécurité. De fait, il faut traiter les problèmes de la zone dense de manière globale et je dois vous dire que j'y suis absolument favorable car je sais qui seraient les parents pauvres si l'on revenait à la situation antérieure : nous serions seuls dans notre coin à gérer nos problèmes ! Or le périphérique n'empêche nullement les délinquants de passer d'un côté à l'autre et la police métropolitaine a du sens.

Je voulais également insister sur les polices municipales. Les élus de Paris débattent de l'opportunité d'en créer une, mais la question ne se pose plus en banlieue. Presque tous les départements de petite couronne disposent d'une police municipale et la question de la coordination de l'ensemble, dans un souci d'efficacité, devrait être posée. Il serait également souhaitable de s'interroger sur le découpage des secteurs d'intervention des différentes polices, car il serait possible d'être beaucoup plus efficace en transférant des zones d'un commissariat à l'autre. J'ai cherché à sensibiliser le ministre de l'intérieur sur ce sujet et on m'a fait valoir qu'il s'agissait d'un chantier difficile et coûteux mais je pense qu'il faut aller vers une police d'agglomération contrôlée par les élus locaux et coordonnée avec celle de l'État. Quel est le sentiment de notre rapporteur spécial sur ce point ?

M. Francis Delattre. - Les zones couvertes par la préfecture de police, telles que la Seine-Saint-Denis, bénéficient d'une présence policière deux fois plus importante que celles situées à l'extérieur, telles que le Val-d'Oise, alors que les deux territoires que je viens de citer sont confrontés à des défis analogues.

C'est un facteur de tensions entre petite et grande couronne. Du point de vue de mon département, cette situation est insupportable, car nous avons dû créer des polices municipales qui sont coûteuses. Et je peux vous assurer qu'à chaque fois que le ministre de l'intérieur annonce des créations de poste à Marseille, nous en perdons dans mon département alors que la préfecture de police n'en perd jamais. C'est un État dans l'État, très puissant, qui conduit à une situation d'inégalité entre des territoires qui devraient être tous traités de la même façon, car lorsque l'on passe d'Épinay à Enghien, on a affaire aux mêmes délinquants.

Par ailleurs, nous avons un vrai problème de logement des policiers, qui doivent être installés à proximité immédiate de leur lieu de travail, et je pense qu'il pourrait être utile de mettre en place pour eux un fonds de garantie des loyers, d'autant que beaucoup de policiers sont endettés.

M. Claude Raynal. - Sur le principe, une police d'agglomération est toujours une bonne idée mais, comme je le vis à Toulouse, cela ne se traduit pas toujours par une meilleure prise en compte des besoins des territoires périphériques, la tendance étant souvent de vider les commissariats de banlieue pour concentrer les moyens en centre-ville. Pour éviter ce genre de travers, il faut définir précisément les missions de la police à l'échelle de l'agglomération dans son ensemble.

Je ne suis pas certain que créer une police municipale à Paris soit une très bonne idée car lorsqu'il existe une police municipale, la police nationale tend souvent à considérer qu'elle n'a plus à assurer la même présence sur les territoires concernés et il n'est donc pas certain, au bout du compte, que leurs habitants soient davantage en sécurité. En outre, il s'agit d'un transfert de charge de l'État vers les collectivités territoriales. Enfin, je veux rappeler que l'enjeu du maintien de l'ordre public à Paris, capitale de la France et siège de ses institutions, ne saurait être comparé avec les problématiques de sécurité rencontrées par les autres villes françaises.

M. Marc Laménie. - Je souhaiterais que notre rapporteur spécial nous apporte quelques compléments d'information sur les effectifs de la préfecture de police de Paris, sur sa stratégie de communication, notamment vis-à-vis des élus locaux et sur son patrimoine immobilier, qui est malheureusement en mauvais état.

M. Jean-Claude Requier. - Il me paraît indispensable de faire coïncider le périmètre d'intervention de la préfecture de police de Paris avec celui de la métropole. Un provincial comme moi peine à saisir les différences entre la ville de Paris, la métropole du Grand Paris, le Grand Paris, la région Île-de-France, etc. ! Il faut chercher à simplifier et ne pas multiplier les périmètres de compétences sans souci de cohérence d'ensemble, à l'instar de ce qui existait sous l'Ancien Régime !

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - En réponse à la question du rapporteur général sur les effectifs, la préfecture de police de Paris représente 42 000 fonctionnaires, dont environ 4 500 fonctionnaires qui dépendent de la ville de Paris. Sur ce total, les effectifs opérationnels représentent environ 27 000 fonctionnaires.

Ceci permet de répondre par anticipation à la question de Claude Raynal sur la délégation à la municipalité de certains pouvoirs de police. Le préfet de police dispose en effet de pouvoirs de police spéciale dans une cinquantaine de domaines. Il ne s'agit pas de sujets de nature à mettre en danger la République. Leur transfert à la municipalité était d'ailleurs l'objet d'une proposition de loi adoptée par le Sénat.

Pour répondre à Francis Delattre, la préfecture de police de Paris est bien loin d'accaparer les effectifs. Ses effectifs ont davantage baissé que ceux de la police nationale entre 2008 et 2015.

En réponse à la deuxième question du rapporteur général, sur les attributions du préfet de police, je rappelle que celui-ci continue de disposer de certains pouvoirs en matière de circulation. Pour les voies sur berge, les décisions de la maire de Paris sont soumises à l'avis conforme du préfet de police. Le problème ne vient donc pas de l'absence de prérogatives de l'État, car celles-ci sont prévues par le droit actuel, quand il s'agit d'axes structurants.

Je suis évidemment sensible à la question posée par Roger Karoutchi sur la pertinence du maintien d'une préfecture de police, qui aurait d'ailleurs pu constituer l'axe principal d'un rapport de la commission des finances. Mais il s'agit là d'un débat politique d'ampleur nationale, et je vous renvoie à cet égard aux trois pages de l'ouvrage de Jean-Jacques Urvoas que je viens de mentionner. L'objet de mon travail était avant tout d'éclairer le fonctionnement et les dysfonctionnements de la préfecture de police, et d'assurer la cohérence de son évolution institutionnelle. Il est vrai qu'on peut aller jusqu'à poser la question de l'utilité même d'une préfecture de police, comme cela a été fait par plusieurs responsables politiques, de droite comme de gauche. Ce débat aura peut-être lieu dans un cadre plus large, le cas échéant en séance publique.

Sur le périmètre de l'Île-de-France, je pense que la région constitue une zone bien trop large. L'unité urbaine comprend moins d'un tiers du territoire régional mais 89 % de ses habitants. Une autre difficulté tient à la présence de zones gendarmerie sur la région - ce qui n'est pas le cas pour le territoire métropolitain.

Les choses sont toutefois compliquées : le préfet de département a perdu sa compétence de police de proximité au profit du préfet de police de Paris, mais combien de fois l'élu de Seine-Saint-Denis - et peut-être demain d'Argenteuil - a-t-il rencontré le préfet de police de Paris ? La permanence des effectifs permise par le passage à un système « dual » est peut-être satisfaisante mais il faut aussi se poser la question de la proximité.

Une dernière remarque : auparavant, une « belle » carrière dans l'administration préfectorale se terminait par un poste de préfet de région puis de préfet de la région Île-de-France - lequel incarne traditionnellement le corps préfectoral et préside l'association des préfets. Souvenons-nous par exemple de notre ancien collègue Lucien Lanier, préfet de la région Île-de-France. Aujourd'hui, l'ampleur des tâches administratives du préfet de police est telle que cette fonction peut constituer l'aboutissement naturel d'une carrière préfectorale : la dimension « civile » du métier l'a emporté sur sa dimension « policière ». Là encore, cela nous ramène à la question, posée entre autres par Jean-Jacques Urvoas, Roger Karoutchi ou encore Philippe Goujon, de la justification de l'existence même de la préfecture de police de Paris.

La commission donne acte à M. Philippe Dominati de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Archives nationales - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

La commission procède à l'audition de Mme Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales, M. Pierre-Frédéric Brau, président de l'association des archivistes français, M. Hervé Lemoine, directeur, chargé des archives au sein de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication, Mme Sophie Moati, présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes, et M. Gilles Morin, président de l'association des usagers du service public des Archives nationales (AUSPAN), pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les Archives nationales.

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Mme Michèle André, présidente. - En décembre 2015, la commission des finances, sur la proposition des rapporteurs spéciaux Vincent Éblé et André Gattolin, a confié à la Cour des comptes le soin de réaliser une enquête sur les Archives nationales. Elle se réunit aujourd'hui afin d'entendre ses conclusions, mais aussi de connaître les réactions des représentants du service des Archives nationales, du ministère de la culture et de la communication, des archivistes et des usagers.

Cette enquête intervient près de dix ans après la création en 2007 des trois services à compétence nationale des Archives nationales, qui visaient à donner une autonomie de gestion au centre des Archives nationales par rapport à la direction des Archives de France.

Cette audition sera certainement l'occasion de faire le bilan de cette réforme. Elle devrait aussi nous permettre de tirer quelques perspectives pour l'avenir, puisque la remise du rapport est postérieure à la décision de la ministre de la culture et de la communication, annoncée en juin 2016, de fermer le site de Fontainebleau.

Sont présents pour nous éclairer : Sophie Moati, présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes ; Hervé Lemoine, directeur, chargé des archives au sein de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication ; Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales ; Pierre-Frédéric Brau, président de l'association des archivistes français et Gilles Morin, président de l'association des usagers du service public des Archives nationales (AUSPAN).

À l'issue de l'audition, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Mme Sophie Moati, présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Avant de présenter les principaux constats de l'enquête que la Cour a effectuée en 2016 à votre demande sur les Archives nationales, je voudrais au préalable rappeler le périmètre sur lequel elle a porté et la méthodologie suivie.

Ainsi que le récapitule le schéma numéro un, en page 14 du rapport, la France se caractérise par une gestion éclatée des archives de l'État.

En accord avec les rapporteurs spéciaux, il a été décidé de centrer l'enquête sur les seules Archives nationales gérées par les services relevant directement du ministère de la culture et de la communication, soit les trois services à compétence nationale (SCN) créés en 2007 : le service généraliste des Archives nationales, présentes sur trois sites, Paris, Fontainebleau et Pierrefitte-sur-Seine et les deux services spécialisés, les Archives nationales d'outre-mer (ANOM), situées à Aix-en-Provence, et les Archives nationales du monde du travail, situées à Roubaix.

Au total, ces trois services conservent environ 440 kilomètres linéaires d'archives, emploient 560 agents, ce qui représente environ 27 millions d'euros de masse salariale, auxquels s'ajoutent 11 millions d'euros de crédits de fonctionnement. L'enjeu budgétaire est donc limité.

L'enquête n'a pas porté sur les archives de l'État gérées de manière autonome par certains ministères, comme celles du ministère de la défense, que votre commission connaît bien, pour avoir travaillé sur le service historique de la défense en 2014.

Elle ne porte pas davantage sur les archives des services déconcentrés de l'État, qui ne sont pas versées aux Archives nationales, mais aux Archives départementales.

En revanche, plusieurs aspects transversaux à toutes les archives de l'État ont été examinés, comme l'évolution de la législation applicable, la politique interministérielle mise en place pour contrer le risque de « balkanisation » lié à l'éclatement des services d'archives, et les projets informatiques mutualisés.

En termes de méthodologie, l'enquête, menée par Michèle Coudurier, conseiller maître, et Philippe Duboscq, conseiller maître, et soumise au contre-rapport de Christophe Blanchard-Dignac, conseiller maître en service extraordinaire, s'est déroulée sur pièces et sur place.

Les cinq sites des archives nationales ont été visités, ainsi que celui du centre national du microfilm et de la numérisation d'Espeyran dans le Gard, qui n'a pas été érigé en service à compétence nationale en 2007 compte tenu de sa taille extrêmement réduite. Près de quatre-vingts personnes ont été rencontrées pour appréhender toutes les dimensions des archives - administrative, juridique, scientifique, patrimoniale - et les enjeux, voire les contradictions, auxquels elles sont confrontées. Des éléments de comparaison internationale ont été recueillis pour éclairer la situation française.

Sur le fond, le rapport qui vous a été transmis dresse quatre grands constats relatifs aux missions, à l'organisation institutionnelle, aux questions immobilières et à la politique interministérielle des archives.

La Cour des comptes formule huit recommandations, en plus d'un certain nombre de rappels à la loi ou au règlement.

Le premier constat de la Cour des comptes réside dans le fait que les quatre missions des Archives nationales - collecte, classement, conservation et communication - sont exercées de manière inégale et souvent défaillante par les différents services d'archives relevant du ministère de la culture et de la communication.

Presque dix ans après la création des trois services à compétence nationale, leurs périmètres respectifs ne sont toujours pas précisément définis, ce qui crée parfois des situations de chevauchement sinon de concurrence entre eux.

Aucun des deux services spécialisés ne dispose d'un projet scientifique formalisé définissant ses objectifs et ses priorités. En cette absence, la politique de collecte des Archives nationales du monde du travail a été menée de manière expansive, au gré des opportunités et des volontés des directions successives.

Pour le service généraliste des Archives nationales, la collecte est surtout définie par l'espace de stockage disponible, ce qui conduit à rationner les versements en provenance des administrations, et même à stopper ceux des archives notariales. Faute d'études pluriannuelles récentes, les perspectives de collecte sont, en outre, mal évaluées.

Des arriérés de classement ont été relevés dans les trois services. Même aux Archives nationales d'outre-mer, dont la quasi-totalité des fonds sont clos, il reste un volume important d'archives non classées depuis leur rapatriement d'Indochine et d'Algérie, ni même déballées comme en témoignent les photos prises par les rapporteurs au cours de leur enquête.

Le volume d'archives non classées est aussi très important aux Archives nationales du monde du travail. En plus des deux magasins entièrement dédiés aux archives en vrac, qui représentent 3 kilomètres linéaires, il en existe aussi dans le magasin équipé d'un engin robotisé, qui n'a jamais été vidé de ses 2 kilomètres linéaires d'archives depuis la panne survenue il y a maintenant dix ans sur ce transstockeur.

Autre insuffisance : en l'absence de récolement, les deux services spécialisés ne connaissent ni leur stock d'archives ni le métrage d'espace disponible.

La bonne conservation des archives n'est pas toujours bien assurée, les locaux de stockage ne respectant pas toujours les normes en la matière, en particulier ceux du service généraliste des Archives nationales à Paris, et plus encore à Fontainebleau.

En fait, sur les six bâtiments de stockage d'archives que compte ce site, seuls deux sont encore opérationnels : le bâtiment dit « provisoire », datant de 1972, et qui est encore utilisé partiellement, la mezzanine ayant été condamnée et le bâtiment dit « temporaire », construit en 2007 pour stocker des archives dans l'attente du nouveau site de Pierrefitte-sur-Seine.

Enfin, la politique de communication et de valorisation des fonds présente de fortes disparités selon les services. Les horaires d'ouverture et le nombre d'archives communicables ne sont surtout pas suffisamment adaptés aux besoins des usagers, en particulier des universitaires et généalogistes professionnels.

À l'issue de ce premier constat, la Cour des comptes formule deux recommandations qui ont trait à la réalisation d'études prospectives de collecte d'archives d'une part, à la publication de listes des fonds non classés et d'états des entrées d'archives réalisées dans l'année d'autre part. Ces deux mesures, qui relèvent du bon sens, constitueraient des leviers très importants d'amélioration de la mission de collecte et de classement.

Deuxième constat dressé par la Cour des comptes : la réforme institutionnelle, qui a conduit à la création en 2007 de trois services à compétence nationale, a été utile mais insuffisante. Si, dix ans après, la Cour des comptes observe des progrès indéniables dans la structuration du service généraliste des Archives nationales, elle ne peut que souligner les difficultés de fonctionnement des deux services spécialisés, difficultés récurrentes depuis quinze ans à Roubaix, et plus récentes à Aix-en-Provence.

La réforme institutionnelle de 2007 avait pour objectif principal de renforcer l'autonomie de gestion des services des Archives nationales. Malgré les progrès observés, l'examen de la gestion des trois services, surtout celle de ses ressources humaines, fait ressortir des handicaps et des lacunes, voire des irrégularités à corriger, parmi lesquelles je citerais la forte rotation des agents et de nombreuses vacances de postes dues notamment à la lourdeur des procédures de recrutement et à un manque d'attractivité manifeste d'un certain nombre de postes et des temps de travail très favorables et peu contrôlés. Je soulignerai à titre d'exemple que les Archives nationales n'appliquent toujours pas la journée dite « de solidarité » instaurée en 2004. Le temps de travail est de toute façon très inférieur aux obligations légales.

L'autorité ministérielle de rattachement, en l'occurrence le ministère de la culture et de la communication, porte une part de responsabilité en ne remplissant pas pleinement sa mission de contrôle des trois services, et en freinant parfois les évolutions.

Face à ces constats, amplement documentés dans le rapport et ses annexes, la Cour des comptes formule trois recommandations.

Deux concernent les ressources humaines et visent notamment à améliorer la gestion prévisionnelle des emplois, à redéfinir l'organisation et le temps de travail pour les mettre en conformité avec la réglementation et les adapter à l'évolution des missions. L'autre recommandation est de regrouper les trois services des Archives nationales au sein d'un établissement public à caractère administratif. Elle appelle quelques commentaires de ma part.

Pourquoi un regroupement des trois services ? Confronté aux difficultés récurrentes de fonctionnement des deux services spécialisés, le ministère de la culture et de la communication n'a pas apporté de solutions pérennes. Ces deux services ne disposent toujours pas de moyens et de compétences suffisants dans les domaines administratif et scientifique. Un regroupement avec le service des Archives nationales offrirait l'avantage d'une mutualisation, notamment dans les services d'information archivistiques, sans remettre en cause les missions spécifiques des sites de Roubaix et d'Aix-en-Provence.

Pourquoi la création d'un établissement public ? Soyons clairs : la Cour des comptes ne considère pas qu'un changement institutionnel soit la solution à tous les problèmes, mais elle observe les limites actuelles du statut de service à compétence nationale et considère que le statu quo défendu par le ministère, sous réserve de quelques ajustements, constitue un frein au développement des Archives nationales.

Le rapport dit « Stirn » de 2006 - qui avait précédé la création des trois services à compétence nationale, et qui se situait lui-même dans le prolongement du remarquable rapport établi par Guy Braibant en 1996, préconisant déjà la création d'un établissement public national administratif - considérait que le choix de ce statut pouvait être une étape vers la création d'un établissement public national.

J'ajoute que la Cour reste bien sûr vigilante sur le coût de ses recommandations. Nous n'avons pas pour habitude de recommander la multiplication des opérateurs et des établissements publics. En l'occurrence, le service des Archives nationales étant déjà structuré comme un établissement public, une évolution de son statut n'engendrerait pas de surcoûts notables. Il offrirait l'avantage d'un cadre contraignant pour la gestion interne de l'établissement et en termes de relations avec l'autorité de tutelle, et favoriserait également l'ouverture aux sciences archivistiques et d'usage.

J'en viens à présent au troisième constat de la Cour des comptes, qui met en relief le risque d'une nouvelle impasse immobilière, en dépit de l'avancée majeure qu'a constitué la construction, longtemps attendue, du nouveau bâtiment de Pierrefitte-sur-Seine.

La Cour des comptes a examiné de manière approfondie ce projet, engagé en 2004 et achevé début 2013, pour un coût total proche de 207 millions d'euros.

Il n'échappe pas aux critiques déjà formulées par la Cour des comptes à l'égard des grands chantiers culturels conduits dans les années 2000 : mauvaise évaluation initiale des coûts, dépassement du budget de 37,5 millions d'euros - hors actualisation et révision des prix - et retard du calendrier d'environ deux ans pour la livraison du bâtiment, même si, en termes relatifs, c'est toutefois moins que pour d'autres chantiers culturels.

La Cour des comptes souligne la réussite fonctionnelle du nouveau bâtiment, unanimement saluée et reconnue.

Toutefois, les problèmes immobiliers demeurent. Alors que le site de Pierrefitte-sur-Seine devait offrir une capacité de stockage pour les trente ans à venir, soit jusqu'aux alentours de 2040, il est estimé aujourd'hui que les Archives nationales seront confrontées à la saturation de leurs locaux dès 2023-2024.

Il existe plusieurs raisons à cela.

La première tient à la réduction de la capacité de stockage du bâtiment de Pierrefitte-sur-Seine, qui a été opérée à l'origine pour rester dans l'enveloppe financière qui avait été fixée. S'est ajoutée à ce problème initial, depuis l'inauguration, une collecte d'archives publiques plus importante qu'estimé.

La seconde raison est liée aux sinistres survenus sur le site de Fontainebleau en 2014, qui ont rendu les deux principaux bâtiments de stockage inaccessibles. Après une longue période de tergiversations, le ministère de la culture et de la communication a décidé en juin 2016 la fermeture définitive du site bellifontain, selon un calendrier qui reste à finaliser. Je crois savoir que le ministère y réfléchit activement.

Avec seulement deux sites opérationnels - Paris et Pierrefitte-sur-Seine -, les Archives nationales doivent faire face à deux enjeux.

Le premier enjeu est l'extension du site de Pierrefitte-sur-Seine, qui apparaît inéluctable. La Cour des comptes appelle l'attention des décideurs sur la nécessité d'engager rapidement les études préalables, afin de ne pas répéter les erreurs du passé, souvent dues à des décisions beaucoup trop tardives. C'est le sens de la recommandation n° 6 du rapport.

Le second enjeu est l'avenir du site parisien. Des décisions ont été prises en 2016 avec l'annonce de l'installation de plusieurs services de l'administration centrale du ministère de la culture et de la communication, et le lancement d'une étude en vue de la modernisation des bâtiments consacrés aux archives dans le quadrilatère de Rohan-Soubise.

La Cour relève toutefois que cette dernière aura un coût certainement élevé, sans permettre d'atteindre les normes actuelles de stockage. Il importe donc de réexaminer la décision prise de conserver un volume important de fonds d'archives à Paris, et d'envisager d'en transférer certains, le moment venu, dans des locaux plus adaptés à Pierrefitte-sur-Seine. C'est une question qu'il ne faut pas éluder.

J'aborde maintenant le quatrième et dernier constat : la mise en place tardive d'une politique interministérielle des archives, alors que celle-ci est indispensable étant donné l'éclatement des services d'archives.

En plus des ministères des affaires étrangères et de la défense, qui gèrent historiquement leurs archives de manière autonome, un certain nombre de services de l'État ou d'organismes publics bénéficient d'une dérogation de fait à la règle du versement de leurs archives définitives aux Archives nationales. La Cour des comptes estime nécessaire de tous les recenser et de régulariser leur situation avec la signature de conventions, comme prévu par la loi de 2008 sur les archives. Il est tout de même anormal que s'installent des situations dérogatoires de fait, non recensées, non examinées, qui échappent à la mission de contrôle et de surveillance des Archives de France !

Au sein des ministères qui versent leurs archives définitives aux Archives nationales, la Cour des comptes a constaté l'existence de deux modèles d'organisation, celui des « missions ministérielles », constituées pour partie d'archivistes mis à disposition par le ministère de la culture et de la communication, et celui des « services ministériels d'archives », financés entièrement par les ministères concernés. Il importe qu'un choix organisationnel clair soit fait entre ces deux modèles. C'est le sens de la recommandation n° 7 du rapport.

Face au risque de « balkanisation » des services d'archives et aux enjeux numériques croissants, la mise en place d'un dispositif de pilotage interministériel n'a été effective qu'en 2012, avec l'instauration d'un délégué interministériel aux Archives de France (DIAF) et la renaissance d'un comité interministériel des Archives de France (CIAF), le précédent institué en 2002 étant resté virtuel.

Les travaux menés au sein du nouveau CIAF, réuni régulièrement depuis 2013, ont permis l'élaboration d'un cadre commun de modernisation des archives et d'autres réalisations concrètes. Mais, alors que le délégué interministériel est censé être consulté pour avis sur les projets des ministères en matière notamment de construction ou rénovation de bâtiments d'archives, l'arrêté fixant le seuil de consultation n'a toujours pas été pris, ce qui entrave le plein exercice de sa mission. Il y a quand même à la clé la question de la coordination de nombreux de projets immobiliers. Ce n'est donc pas un sujet mineur.

Le Conseil supérieur des archives, autre instance, a été à nouveau réuni en 2016 après plusieurs années d'inactivité. La Cour des comptes recommande de revoir la composition de ce conseil et de réduire le nombre de ses membres, afin qu'il joue pleinement le rôle scientifique qui lui est assigné.

S'agissant enfin des grands projets informatiques mutualisés, la Cour des comptes ne peut à ce stade vous livrer d'analyse approfondie, leur état d'avancement ne le permettant pas. Elle relève juste que la mise en place d'un portail interministériel des archives est un peu tardive si on compare la situation de notre pays à celle de pays voisins. Nous relevons également les difficultés rencontrées par le programme VITAM pour recruter les compétences nécessaires en matière d'archivage électronique.

En conclusion, je suis consciente que l'état des lieux dressé par la Cour des comptes peut apparaître sévère. Il l'aurait certainement été davantage et teinté de pessimisme au début des années 2000. Suscitant un faible intérêt de la part des décideurs politiques, les Archives nationales apparaissaient alors comme une institution en crise, sans réponse au problème de saturation de ses locaux.

Tel n'est plus le cas aujourd'hui. La création du site de Pierrefitte-sur-Seine a donné un nouvel élan. Elle a d'ailleurs facilité une meilleure structuration du service généraliste.

Plus généralement, la dimension interministérielle des archives est mieux prise en compte qu'il y a une dizaine d'années, de même que les enjeux du numérique, les avancées qu'il permet et les nouveaux problèmes qu'il pose.

Le message qu'a voulu délivrer la Cour des comptes est plus optimiste que ne le laisse apparaître l'exposé de ses constats.

Fortes des progrès réalisés, conscientes des lacunes actuelles et des enjeux majeurs qui se posent à elles, les Archives nationales, dans leur ensemble, doivent selon nous se donner les moyens d'une nouvelle ambition, pour mieux répondre aux besoins présents et futurs de l'État et des citoyens.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. - Je remercie la Cour des comptes pour cette enquête ambitieuse, qui dresse un point utile sur les Archives nationales, tant il vrai que ce sujet de politique publique n'avait pas été examiné depuis fort longtemps par votre institution.

Je remercie aussi la direction des Archives de France et celle des Archives nationales. J'ai pu rencontrer la directrice des Archives nationales à deux reprises dans les mois qui viennent de s'écouler et elle m'a accompagné lors de ma visite des sites de Pierrefitte-sur-Seine et de Fontainebleau. Ces échanges m'ont apporté un éclairage complémentaire et m'ont permis de mieux appréhender le travail sur pièces et sur place mené par la Cour des comptes.

L'enquête de la Cour des comptes nous a conduits, André Gattolin et moi-même, en tant que co-rapporteurs spéciaux des crédits de la culture au sein de la commission des finances, à formuler une série de six remarques.

Tout d'abord, la Cour des comptes dresse un bilan plutôt sévère - même si votre conclusion, madame la Présidente, modère quelque peu la tonalité dominante - de l'organisation et du fonctionnement actuel des Archives nationales.

Les deux services spécialisés rencontrent en particulier des difficultés importantes. La grande majorité des remarques formulées par les magistrats nous paraissent fondées et nous estimons que la situation appelle une réforme rapide de la gouvernance des Archives nationales.

La piste d'une transformation des trois services à compétence nationale en établissement public administratif nous paraît intéressante. On ne peut pas se contenter, me semble-t-il, de formuler des voeux pieux. Il faut une nouvelle étape et agir d'un point de vue institutionnel pour poursuivre les efforts dont vous avez souligné qu'ils ont d'ores et déjà produit quelque effet.

Le statut d'établissement public aura le mérite de contraindre les services - mais aussi la tutelle - à mettre en place des outils de gestion et de suivi plus rigoureux, spécifiques, autonomes, comme l'obligation d'un retour vers un conseil d'administration, qui permettrait d'associer plus étroitement les usagers et les scientifiques aux problématiques administratives des archives. La signature d'un contrat d'objectifs et de moyens, avec des indicateurs spécifiques de suivi, serait également intéressante.

Deuxièmement, pour éviter une nouvelle impasse immobilière, il est urgent que la construction d'un nouveau bâtiment à Pierrefitte-sur-Seine soit confirmée. Le parachèvement des mètres carrés disponibles par l'équipement mobilier est une première étape, mais il faut également engager une réflexion sur l'utilisation de la réserve foncière existante. Il faut donc que le financement d'une telle opération soit sécurisé.

En effet, la fermeture du site de Fontainebleau et la sous-estimation des besoins au moment de la construction du centre conduiront, si rien n'est fait, à une saturation rapide des capacités de stockage sur ce site.

La fermeture du site de Fontainebleau, qui est selon moi désormais inéluctable -
je parle ici en tant qu'élu de Seine-et-Marne - constitue une décision malheureusement nécessaire au regard des multiples problèmes que pose le site, comme la présence d'amiante, l'instabilité des sols et les inondations d'une partie importante des archives intervenues alors que le site était inaccessible.

Toutefois, cette fermeture doit s'accompagner d'une extension rapide des capacités de stockage du site de Pierrefitte-sur-Seine, les deux allant de pair.

Troisième remarque : nous ne partageons pas la vision de la Cour des comptes selon laquelle le transfert des fonds actuellement conservés à Paris vers le site de Pierrefitte-sur-Seine constituerait une réponse adaptée aux défis que pose le quadrilatère historique de Rohan-Soubise, un bâtiment parmi les plus patrimonialement importants et intéressants du Marais et du coeur de Paris.

Ce transfert déstabiliserait, nous semble-t-il, le site de Pierrefitte-sur-Seine, surtout si on lui fixe pour objectif premier d'absorber la fermeture de Fontainebleau. Nous pensons donc que cela fragiliserait le site parisien, alors qu'il fonctionne aujourd'hui plutôt bien, au travers des archives qui, pour l'essentiel, sont des archives de l'ancien régime. Il faut au contraire affirmer la dimension archivistique du site parisien pour des raisons à la fois patrimoniales, pratiques et même financières.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Notre quatrième remarque porte sur la gestion des ressources humaines des Archives nationales.

Les temps de travail, selon le rapport de la Cour des comptes, paraissent très favorables et peu contrôlés. En effet, le nombre d'heures dues est de 1 547 heures pour l'ensemble des agents - à l'exception des agents de direction - et de 1 533 heures à 1 526 heures pour les agents bénéficiant du repos compensateur supplémentaire, soit entre 60 heures et 81 heures de moins que le temps de travail minimum dans la fonction publique.

Cependant, il faut préciser qu'au total, la rémunération des agents des Archives nationales, en dehors des conservateurs du patrimoine, semble moins avantageuse que celle des fonctionnaires travaillant en administration centrale, ce qui explique pour partie les difficultés de recrutement auxquelles sont confrontés les trois services à compétence nationale.

Nous pensons donc qu'il faut engager une réflexion globale sur le statut, la rémunération et l'organisation du travail des agents des Archives nationales, afin d'aligner à la fois leur temps de travail et leur traitement sur ceux des agents du ministère.

Cette réflexion pourrait à notre sens se doubler d'un questionnement sur le nombre de postes d'encadrement et de direction, qui nous paraît encore aujourd'hui particulièrement important au sein de l'ensemble des Archives nationales, notamment dans les trois services à compétence nationale.

Cinquième remarque : nous pensons qu'il faut généraliser les missions d'archives dans les ministères dits « versants ». Ces missions sont des antennes du ministère de la culture et de la communication, par opposition aux services ministériels, intégralement financés par les ministères. La généralisation du modèle des missions doit s'accompagner d'un renforcement du dialogue entre les missions et le service interministériel des archives de France (SIAF).

Elle ne doit pas signifier un désengagement des ministères versants. Si le ministère de la culture et de la communication assure la conservation des archives et le contrôle scientifique archivistique, il est absolument essentiel que les ministères versants prennent leurs responsabilités en matière de collecte, et en particulier au stade de ce que l'on appelle les « archives intermédiaires ».

En outre, le modèle de la mission doit être adapté aux spécificités ministérielles, afin de garantir une certaine souplesse aux ministères versants.

Enfin, sixième constatation : il nous semble que deux projets interministériels doivent ici être salués et confortés, malgré des modes de financement parfois discutables. Il s'agit tout d'abord du projet VITAM, qui vise à créer un logiciel socle d'archivage électronique, et du projet France archives, tendant à créer un portail Internet de recherche d'archives commun à toutes les institutions d'archives publiques de France.

Une première version devrait être mise en ligne durant le mois de février 2017. Celle-ci devrait permettre aux archives publiques de peser face à la concurrence privée, et de mettre en valeur la complémentarité des fonds.

En effet, les Archives nationales, éclatées dans une multiplicité de structures différentes, ne gèrent pas la totalité des archives de l'État. Ce sont les services départementaux des archives qui assurent la conservation des archives des services d'État déconcentrés.

Voici donc les quelques remarques que nous souhaitions porter à votre connaissance.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. - J'aimerais interroger Sophie Moati sur la question d'une priorisation des préconisations qui figurent au sein du rapport. Quels sont selon vous les changements les plus urgents à mettre en oeuvre ? Y a-t-il une lecture chronologique des efforts à conduire ?

Nous nous interrogeons par ailleurs sur une recommandation importante du point de vue de la structuration administrative, relative à la transformation des trois services à compétence nationale en un seul établissement public administratif (EPA), au motif que cela permettrait d'améliorer le pilotage et la gouvernance de ces services. La Cour des comptes a, dans le passé, souligné que la création d'EPA s'accompagnait souvent de surcoûts importants. Quels facteurs vous donnent-ils à penser que la création d'un EPA serait, dans le cas des Archives nationales, une source d'économies ?

Peut-être pourrions-nous, sur ce sujet du statut administratif, interroger Hervé. Lemoine, directeur des Archives de France, sur le fait que le rapport de la Cour des comptes met en lumière l'existence d'importants dysfonctionnements, en particulier dans les deux services à compétence nationale spécialisés, hébergés dans des villes de province. Comment expliquer que ces deux services ne soient toujours pas dotés d'un projet scientifique, près de dix ans après leur création ? Existe-t-il de ce point de vue des perspectives prochaines ?

La Cour des comptes observe une incapacité à coordonner les trois services des Archives nationales, alors même qu'ils sont confrontés à des problématiques pour partie similaires. Pourquoi ces trois services ne collaborent-ils pas davantage entre eux ? Leur fusion en un établissement public administratif vous paraît-elle souhaitable ?

Nous pourrions également, sur ce sujet, demander à Pierre-Frédéric Brau, qui préside l'association des archivistes français, s'il a connaissance des raisons pour lesquelles ces deux services spécialisés n'ont pas aujourd'hui une réelle connaissance du stock d'archives. Des difficultés techniques archivistiques particulières peuvent-elles expliquer une telle situation de méconnaissance du volume d'archives ?

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - La Cour des comptes propose de prévoir le transfert des archives conservées à Paris vers le site de Pierrefitte-sur-Seine. Ceci nous paraît discutable. Estimez-vous, Sophie Moati, que le projet « CAMUS » visant à pérenniser la présence d'archives à Paris n'apporte pas de garanties suffisantes quant à la conservation et la mise en valeur de ces archives ? Nous pensons, quant à nous, qu'il est intéressant de mettre en valeur les Archives nationales dans Paris même.

Par ailleurs, nous sommes plutôt en faveur de la généralisation des missions dans les ministères versants. Vous posez en effet, dans le cadre de votre rapport, une alternative entre deux possibilités : celle de missions directement rattachées au ministère de la culture et de la communication et celle de services ministériels intégralement financés par le ministère versant.

Quels sont les avantages et les inconvénients de chaque système ? Dans notre esprit, la mission avait l'avantage de fédérer le système autour du ministère de la culture et de la communication, en permettant de résoudre la situation parfois ubuesque des archives ministérielles.

M. Hervé Lemoine, directeur, chargé des archives au sein de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication. - Je tiens à souligner que le ministère de la culture et de la communication, et notamment les Archives de France, a beaucoup apprécié la qualité de ce rapport extrêmement bien documenté.

Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu de rapport portant sur l'ensemble des services des Archives nationales, d'autant qu'ils ont connu une très grande transformation avec la création de trois services à compétence nationale. Ce bilan était donc certainement nécessaire.

Il est certes parfois un peu sévère, mais nous le prenons comme une invitation à continuer à améliorer la gestion de nos services pour accomplir notre mission de service public, même si certaines propositions reçoivent un avis plus mitigé de notre part que d'autres, sur lesquelles notre accord est total et qui constitueront notre feuille de route pour l'avenir.

S'agissant du point important de la transformation des trois services en un établissement public administratif, il est vrai que beaucoup des constats réalisés par la Cour des comptes sur les difficultés d'exercice de la tutelle nous paraissent très pertinents.

En revanche, peut-être la Cour des comptes n'insiste-t-elle pas suffisamment sur le fait qu'il a parfois été difficile d'assurer de façon satisfaisante cet exercice de tutelle.

Ceci tient au calendrier même dans lequel nous avons dû agir. C'est en effet en 2007 qu'ont été créés ces trois services à compétence nationale. Dès 2008, s'engage la révision générale des politiques publiques, qui va déboucher, début 2010, sur l'organisation actuelle du ministère de la culture et de la communication, avec la création de grandes directions générales et le retrait aux services « métier » des moyens de gestion, c'est-à-dire des ressources financières et humaines, qui ont été transférés aux directions générales.

La gestion des moyens était dès 2010 de la responsabilité de la sous-direction des affaires financières et générales de la direction générale des patrimoines et du secrétariat général de notre ministère.

Nous nous sommes donc trouvés au milieu du gué, en n'ayant plus la possibilité de peser sur les moyens alloués aux services des archives, d'où la souffrance éprouvée pour les deux plus petits d'entre eux, ainsi que vous le soulignez.

En outre, la vocation des Archives de France est de piloter l'ensemble de la politique des services publics d'archives, dont celle des archives départementales, qui n'étaient pas dans le périmètre du rapport, mais qui figurent bien dans celui de nos activités. Or, il était également très important, durant la période 2010-2011, d'assurer la coordination de l'action publique des services départementaux d'archives. Ceux-ci étaient quelque peu inquiets des conséquences de la révision générale des politiques publiques et de la transformation de leur administration de référence.

De 2007 à 2011, la complexité du contexte administratif implique, au moins pour partie, que nous n'avons pas eu le temps de mettre en oeuvre suffisamment tôt certaines procédures de nature à mieux assurer la tutelle des trois services à compétence nationale, et notamment celui des Archives nationales.

Par ailleurs, les services des Archives nationales, qui n'avaient le statut de service à compétence nationale que depuis trois ans, étaient partis à la conquête de leur autonomie scientifique et opérationnelle, objectif alors poursuivi. Il a donc fallu trouver où mettre le bon curseur entre le contrôle de l'exercice des missions en termes de métier et le développement de leur autonomie. J'espère que nous sommes aujourd'hui parvenus à un équilibre plus satisfaisant, mais c'est un travail de tous les instants.

L'évolution des institutions dépend parfois de la volonté propre des personnes qui les animent. De ce point de vue, la bonne entente entre les directeurs des Archives nationales et le directeur chargé des Archives de France est essentielle à l'atteinte d'un équilibre pérenne.

Le service qui a souffert le plus et qui a eu les problèmes les plus importants est celui des Archives nationales du monde du travail, qui connaît un problème de sous-effectif constant depuis des années, que nous avons eu beaucoup de peine à pallier car nous ne pouvions pas rééquilibrer directement nos enveloppes d'emplois, d'où certaines tensions en gestion.

Cela étant, la situation s'est, je crois, beaucoup améliorée s'agissant des ressources humaines et des moyens budgétaires. Nous sommes même parvenus à créer en 2014, au sein des Archives de France, une délégation chargée des moyens généraux. Cette délégation a obtenu mandat de la direction générale des patrimoines pour effectuer, s'agissant des ressources humaines et du budget, la gestion des moyens alloués aux Archives nationales. Nous avons donc pu établir des conférences de gestion et mettre en oeuvre une tutelle plus formalisée, même si elle est encore insuffisante à certains égards, ce dont nous avons parfaitement conscience.

L'établissement public administratif serait-il l'avenir de ce système, ou pourrait-il constituer, comme la Cour des comptes le laisse entendre, un levier de modernisation de ces services ? Il est apparu au ministère de la culture et de la communication que le constat des rapporteurs de la Cour des comptes ne paraissait pas suffisamment établi pour nous amener à privilégier une telle transformation statutaire de ces établissements.

En outre, nous restons toujours marqués par les conclusions du rapport de la Cour des comptes de 2011 relatif aux évolutions statutaires et institutionnelles des musées de France sur dix ans.

La Cour des comptes montrait dans son rapport que la création de certains établissements publics muséaux avait nécessité un doublement des budgets et un accroissement très significatif des emplois. Le ministère de la culture et de la communication pense qu'une telle augmentation, en termes de budget ou de ressources humaines, ne serait pas aujourd'hui supportable. Nous nous référons également au rapport établi par l'Inspection générale des finances en 2013, qui soulignait certains aspects de fonctionnement extrêmement coûteux des établissements publics.

Il nous semble donc, en l'état actuel des choses, que les coûts susceptibles d'être générés ou induits par la création d'un l'établissement public ne seraient pas à la hauteur des avantages que l'on pourrait en tirer. Mais nous avons bien conscience qu'il est nécessaire de renforcer les outils de tutelle, qui sont bien plus formalisés au sein des établissements publics que des services à compétence nationale.

J'ai lu dans le rapport que le ministère de la culture et de la communication craignait une plus forte autonomie du service des Archives nationales s'il était doté du statut d'établissement public. Pour ma part, ce n'est pas quelque chose que je redoute.

En effet, j'ai été en poste dans un établissement public et j'ai paradoxalement l'impression, alors que l'établissement public peut paraître plus autonome que le service à compétence nationale, que nous devions en réalité rendre plus de comptes au conseil d'administration, y compris sur notre politique scientifique, qu'un service à compétence nationale n'en a l'obligation envers sa tutelle.

Mme Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales. - Comme le disait Hervé Lemoine, j'ai été impressionnée par l'importance de la documentation et la compréhension fine des enjeux et des sujets portés par les Archives nationales de ce rapport.

Si les efforts et les améliorations me paraissent plus importants que ce qui se dégage du rapport, c'est peut-être parce que celui-ci porte sur les dix dernières années - ce qui est d'ailleurs assez rare pour un rapport de la Cour des comptes. Or, durant ces dix années, la situation s'est largement transformée.

Je tiens tout d'abord à préciser que le quadrilatère qui constitue le site de Paris, grâce à une volonté très forte du ministère de la culture et de la communication, a vocation à être pérennisé dans sa dimension patrimoniale. Il a été proposé à France Domaines, qui a partagé ce point de vue, de le sanctuariser en y regroupant certaines des administrations centrales du ministère de la culture et en arrêtant un nouveau schéma directeur immobilier pour les Archives nationales. Ceci permettrait de rénover la partie relative aux Archives nationales, qui m'intéresse tout particulièrement.

Cette vision globale serait probablement mise à mal s'il s'agissait, à terme, de transférer une partie des archives sur le site de Pierrefitte-sur-Seine. On retrouve en effet à Paris les archives de l'Ancien régime et celles des notaires parisiens. Or, ces deux départements constituent la moitié des communications en salle de lecture des Archives nationales, ce qui témoigne de la vitalité des archives situées à Paris.

Par ailleurs, on trouve également sur le site de Paris un musée des Archives nationales, dont on voit mal ce qu'il deviendrait si une partie des archives devait s'installer à Pierrefitte-sur-Seine.

Depuis 1808, on a en outre construit sur le quadrilatère un ensemble d'équipements et de magasins de conservation qui ne peuvent être affectés, a priori, à d'autres usages.

C'est pourquoi il est préférable de ne pas bouleverser cet équilibre, d'autant que nous sommes suffisamment perturbés par ce que nous sommes en train de vivre avec la fermeture, à terme, du site de Fontainebleau.

En deuxième lieu, les besoins immobiliers concernant le site de Pierrefitte-sur-Seine sont évidemment fondés, et nous ne pouvons que nous réjouir d'entendre dire que le financement de l'extension doit être sécurisé, cette réserve foncière devant précisément permettre de répondre aux besoins de stockage dont il est beaucoup question dans le rapport de la Cour des comptes. S'agissant de la réserve foncière de Pierrefitte-sur-Seine, les possibilités d'extension par tranches successives peuvent être très importantes, bien au-delà des 150 kilomètres évoqués par l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) pour répondre à la problématique spécifique du site de Fontainebleau. Les tranches successives ont également pour avantage de pouvoir cibler les vrais besoins en fonction du moment où l'importance prise par les archives numériques va conduire à inverser la courbe de l'arrivée des archives « physiques ».

Ma troisième remarque porte sur le régime horaire d'une grande partie des agents des Archives nationales, que vous avez relevé. Ce régime horaire remonte à des protocoles datant du début des années 2000, négociés à la suite de mouvements de grève assez importants et sur lesquels il a été compliqué de revenir. En 2012, il avait été envisagé, dans le cadre de la direction générale des patrimoines, un règlement intérieur commun avec les musées, dont les Archives nationales ont été exclues.

La question de l'aménagement horaire est, comme vous le dites, à rapprocher d'un certain nombre d'autres spécificités. Nous rencontrons actuellement des difficultés pour stabiliser les effectifs, notamment sur le site de Pierrefitte-sur-Seine, pour un certain nombre de raisons. Une assistance à maîtrise d'ouvrage vient d'ailleurs d'être lancée pour pouvoir trouver les leviers suffisants pour y parvenir.

À n'en pas douter, des améliorations pourront être apportées concernant l'organisation interne du service, mais il existe également, ainsi que vous l'avez souligné, tout un pan d'interrogations, notamment concernant les régimes indemnitaires des agents des Archives nationales par rapport aux agents relevant de l'administration centrale. Le statut des SCN est en effet quelque peu intermédiaire, et un certain nombre d'agents peut avoir le sentiment d'une relative iniquité, par rapport aux agents de l'administration centrale.

Ceci ressort aussi d'un diagnostic portant sur les risques psychosociaux qui vient d'être mené avec l'ensemble des agents des Archives nationales.

S'ajoute à cela une problématique, assez importante aux Archives nationales, en matière de santé au travail, notamment liée à la portance. On ne peut ignorer qu'un nombre relativement important d'agents connaît des restrictions de charge, au terme de diagnostics établis par la médecine de prévention. Certains sont dits « non-portants ». Cette non-portance va plutôt en s'aggravant au fur et à mesure que le temps passe. Or les archives contemporaines sont aujourd'hui conservées dans des cartons de type « Dimabs », parfois très lourds.

En 2016, soixante-dix aménagements de postes de travail ont été décidés par la médecine de prévention, dont un certain nombre portant sur des restrictions de port de charges, ce qui crée des situations difficiles.

Revoir certaines spécificités des horaires de travail ne peut donc se faire qu'en examinant parallèlement d'autres mécanismes permettant également d'améliorer l'attractivité du site de Pierrefitte-sur-Seine et des Archives nationales en général. Dans le cas contraire, si l'on se contente d'un retour à la règle brutal sans le compenser par un certain nombre d'autres mesures tendant à une meilleure attractivité du site, on risque encore d'aggraver cette problématique.

On le ressent très fortement quand on dirige le service des Archives nationales, les tensions s'aggravant d'année en année.

M. Hervé Lemoine. - S'agissant des missions ou des services ministériels, nous allons tout à fait dans le sens que vous préconisez : un système hybride n'est pas satisfaisant. On voit d'ailleurs que cela se fait souvent au gré des circonstances, et que celles-ci n'ont rien à voir avec un quelconque caractère scientifique ou avec l'objectif des missions que nous poursuivons. Nous souscrivons donc totalement à la préconisation consistant à opter résolument pour l'organisation de véritables missions d'archives au sein des ministères. Afin d'y parvenir - et pour aller dans le sens de la Cour des comptes - il faut réunir tous ceux qui ont la responsabilité de la documentation au sein des ministères, les conseillers de la Cnil, de la Cada, ainsi que ceux qui sont en charge de la réflexion sur l'open data.

Nous souscrivons donc entièrement à la proposition de développer le principe des missions ministérielles et, ainsi que le préconise la Cour des comptes, d'essayer de travailler à la convergence ou à une meilleure association des correspondants informatiques et liberté (CIL), et des personnes responsables de l'accès au sein des administrations (PRADA) au sein de ces missions.

Enfin, vous vous êtes interrogés sur l'absence de projet scientifique, culturel et éducatif au sein de nos trois services nationaux de l'époque : ceci n'était alors pas d'usage dans nos services. C'est une pratique qui vient des musées. On considérait en fait que la doctrine et la pratique archivistiques françaises, extrêmement normatives, étaient suffisantes pour dessiner le cadre de fonctionnement et les missions de ces services.

Nous nous reposions sur la pratique archivistique française (PAF), qui déterminait de façon très précise les missions de nos services. Les inspections des Archives départementales étaient très régulières, moins pour les Archives nationales, mais celles-ci avaient une grande proximité avec la direction des Archives de France, qui produit toujours la norme : nous sommes là dans notre rôle d'administration centrale. Ce n'est d'ailleurs plus le cas de certains secteurs. Pour ce qui est du livre et de la lecture, c'est la Bibliothèque nationale qui produit aujourd'hui la norme, et non le service du livre et de la lecture. En revanche, concernant les archives, ce sont bien les Archives de France, avec la sous-direction de la politique archivistique, qui sont productrices de la norme. C'est la raison de l'absence de projet scientifique dans les deux services spécialisés, mais nous avons engagé nos services à rédiger ces documents, suite à ces échanges, car ceci nous paraît important.

Les services publics d'archives ont d'abord une responsabilité légale : ils conservent des éléments qui ont une valeur probante sur le plan juridique. Ils ont également un rôle administratif. La dimension culturelle et la valorisation sont venues plus tard. Elles sont maintenant très importantes. C'est pourquoi on a désormais jugé nécessaire de réaliser de véritables projets scientifiques, culturels, pédagogiques et éducatifs.

M. Pierre-Frédéric Brau, président de l'association des archivistes français. -Ce rapport nous a semblé très riche et correspond à un bilan parfois quelque peu sévère. On peut y voir aussi des pistes d'amélioration, et il témoigne de la dynamique engagée au sein des Archives nationales.

Pour ce qui est de la pénibilité au travail, qui est rapidement abordée dans le rapport, elle ne doit pas être minimisée. Les archivistes peuvent connaître une certaine polyvalence, mais cela reste un métier très physique - au moins pour une partie du personnel. Des troubles musculo-squelettiques peuvent apparaître, notamment du fait d'une population vieillissante, et poser des problèmes à partir de cinquante ans.

Ces difficultés peuvent bloquer tout un service. Selon le rapport, 30 % des agents ne sont en effet plus en mesure de porter des cartons, ce qui peut avoir des conséquences lourdes sur le bon fonctionnement de la salle de lecture.

Quant au projet scientifique, culturel et éducatif (PSCE), ces outils se développent au sein du réseau des archives - même si tous les PSCE ne sont pas aussi travaillés que ceux que sont en mesure de produire les Archives nationales - et peuvent renforcer la cohésion d'un service, préciser à nouveau ses missions, et expliquer aux décideurs ce que sont les archives. On est en effet parfois victimes a priori de l'image des archives ; l'aspect pédagogique est donc intéressant.

Vous m'avez demandé pourquoi des archives ramenées d'Indochine ou d'Algérie n'ont toujours pas été ouvertes et dorment sur les étagères.

En tant qu'archiviste départemental, je pourrais inviter la Cour des comptes à venir visiter mes dépôts dans l'Yonne : les arriérés constituent une réalité dans l'ensemble des services d'archives.

Un équilibre doit être trouvé entre la sollicitation des usagers, l'accès que l'on doit donner aux informations et les moyens humains et scientifiques alloués au classement. Cette question transparaît également dans le rapport de la Cour des comptes. Les archivistes ne disposent pas toujours de beaucoup de temps pour revenir sur le passé et solder le passif.

En ce qui concerne les Archives nationales d'outre-mer, les fonds ont été rapatriés en catastrophe, pas toujours avec le concours des administrations productrices.

S'agissant des Archives nationales du travail, elles collectent beaucoup d'archives privées, parfois très volumineuses. Certaines entreprises se dotent aujourd'hui de systèmes d'archives et parviennent à valoriser la fonction d'archiviste, tant d'un point de vue organisationnel qu'historique. Cependant, les Archives nationales du monde du travail sont souvent intervenues lors de la fermeture d'entreprises, avec pour toute alternative soit les archives, soit la benne ; la volonté a été de sauver le maximum. L'idée est que, l'archiviste ayant l'éternité pour lui, tout finira par se résorber.

Mme Michèle André, présidente. - Un peu comme en archéologie...

M. Pierre-Frédéric Brau. - À la différence que nos stocks ont déjà été « découverts » ! Les moyens scientifiques et humains ne paraissent pas toujours à la hauteur des enjeux.

M. Gilles Morin, président de l'association des usagers du service public des Archives nationales. - Très franchement, je trouve le rapport de la Cour des comptes d'une excellente qualité. Je crois qu'on le citera à l'avenir comme on l'a fait du rapport Braibant dans les années 1990. Les points abordés me semblent tout à fait pertinents et les recommandations sont fondamentales.

En premier lieu, je dirais que nous revenons de loin ! Nous avons connu des améliorations, mais il reste beaucoup à faire, et nous risquons à l'heure actuelle une nouvelle impasse archivistique. Il y a donc urgence à intervenir sur la question des nouveaux locaux.

Je tiens à insister sur le fait que, pour nous, la nécessité de la construction d'une extension sur le site de Pierrefitte-sur-Seine s'impose. C'est fondamental ! L'inquiétude est en train de naître dans le milieu des historiens à ce propos. L'avenir des Archives nationales en dépend.

En tant que représentant des usagers, j'ai beaucoup utilisé les Archives nationales de Paris, de Fontainebleau, et maintenant de Pierrefitte-sur-Seine. J'ai relevé durant les quinze dernières années une nette amélioration. Nous étions dans une situation de crise absolue au début des années 2000. Le centre de Pierrefitte-sur-Seine et la suppression de fait de Fontainebleau ont conduit à une migration des publics des archives. Le site de Fontainebleau n'a jamais exactement fonctionné comme il aurait dû. Je l'ai fréquenté durant des années : je n'y ai jamais vu plus de quinze personnes, et j'y étais souvent seul au moins une partie de la journée !

Désormais, avec le centre de Pierrefitte-sur-Seine, nous constatons une amélioration réelle : la salle est ergonomique, les communications bien plus rapides, etc.

Néanmoins je serai plus critique sur d'autres points : le service public reste en deçà des attentes. Pour un lecteur, les horaires sont un élément fondamental. Si je voulais être méchant, je dirais que ce sont ceux d'un bureau de poste d'une petite commune...

Mme Michèle André, présidente. - Ne parlez pas d'un point douloureux pour les sénateurs !

M. Gilles Morin. - Vous voyez ce que je veux dire.

Si je ne peux arriver avant 14 heures ou 14 heures 30, je n'y vais pas. Étant donné le temps de transport, ce n'est pas la peine de se déplacer pour finir à 16 heures 45. Nous sommes des centaines de personnes dans cette situation.

La comparaison avec la Bibliothèque nationale de France (BnF) et avec les autres grands pays démocratiques peut être cruelle de ce point de vue. Cela fait quinze ans que nous demandons régulièrement une extension des horaires, notamment le soir, afin de bénéficier au minimum d'une ou deux ouvertures « nocturnes ». On nous répond toujours gentiment en nous disant que l'on étudie la chose mais, visiblement, cela n'a jamais été une priorité pour les Archives nationales. La décision est toujours repoussée : on retombe sur la question des effectifs, mais surtout des conditions d'emploi et des heures supplémentaires. Nous savons pourtant que certains employés seraient volontaires pour travailler le soir. Il fallait le dire !

L'environnement de la Plaine-Saint-Denis pose également problème. Du point de vue des équipements, il n'existe ni boulangerie ni même un distributeur de billets dans le secteur. Les Archives nationales, en liaison avec la communauté de la Plaine-Saint-Denis ou l'université, doivent prendre en main cette question pour qu'un minimum d'équipements soit présent aux alentours du centre.

Second point : il me semble que les Archives nationales vivent trop dans l'entre-soi. Trop peu d'avis extérieurs émanent d'experts et de lecteurs. Il me paraît symptomatique que le projet scientifique, culturel et éducatif ait complètement été réalisé en interne, sans avis extérieur à ma connaissance.

Les entrées des fonds privés, les priorités des classements, les inventaires et les projets de numérisation ou les tris me semblent devoir faire l'objet de véritables débats citoyens ou, en tout cas, d'avis éclairés. Les Archives nationales ne doivent pas, à elles seules - et c'est pourtant ce qui passe à l'heure actuelle - déterminer concrètement ce que seront les recherches futures. En effet, les tris qui sont faits aujourd'hui influeront grandement sur les travaux de recherche des prochaines années.

Le critère prioritaire, on l'a dit, est celui de la place. Les prévisions actuelles m'inquiètent - et je ne suis pas le seul. Nous allons connaître des changements dans les mois à venir avec, selon les prévisions actuelles, des versements assez massifs de 5 kilomètres linéaires. Le problème, me semble-t-il, est résolu par la direction grâce à des tris plus systématiques et drastiques. Je suis assez inquiet de voir que l'émergence de la réflexion scientifique sur cette question coïncide justement avec le moment où l'on a besoin de place : je crains que l'on ne trie les fonds en fonction de la place qu'ils occupent et qu'on écrème beaucoup ceux qui semblent trop volumineux. C'est là un vrai problème. Les avis extérieurs et les partenariats doivent donc être recherchés, notamment avec les universités. Il faut accentuer l'ouverture à la recherche universitaire.

Il me semble également que les Archives nationales doivent approfondir la politique de recherche interne en matière archivistique, et approfondir les échanges.

Je donnerai ici l'exemple du comité consultatif sur l'ouverture des archives de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons tenu six réunions au cours desquelles ont été confrontés les différents centres d'archives des Archives nationales, mais aussi extérieurs - préfecture de police, affaires étrangères, etc. Nous avons discuté des pratiques, des problèmes posés. Nous avons également échangé avec des usagers réguliers.

Nous avons débattu des priorités à retenir, comme de la façon de présenter les inventaires ou les fiches pour les jeunes. Tout ceci était positif. Ce genre d'initiatives doit être généralisé. Je crois savoir que la mise en place d'un comité plus large est prévue, mais il me semble que cela ne suffit pas.

L'autre forme d'ouverture possible et souhaitable consiste à suivre les exemples de la BnF ou d'autres centres en matière de fonds non classés. Ceux-ci ont choisi d'associer, dans un certain nombre de cas, de jeunes chercheurs ou des personnes confirmées, notamment retraitées, au classement de fonds, naturellement sous la direction de véritables professionnels.

Il me semble qu'il faudrait aussi adopter une attitude proactive dans la recherche des fonds privés. Il y a, de ce point de vue, un défaut : des fonds importants sont en déshérence. Il faudrait aller voir les ministres lorsqu'ils quittent leurs fonctions plus systématiquement que cela n'a été fait. On ne s'est ainsi pas occupé des archives du parti radical, ou autres, qui moisissent dans des caves parisiennes.

Il conviendrait de trouver des solutions rapides à de tels problèmes.

M. Michel Bouvard. - J'ai eu la chance d'aller vendredi dernier à Pierrefitte-sur-Seine pour l'ouverture au public des archives de Philippe Séguin. J'ai apprécié la grande qualité du travail de ceux qui ont oeuvré sur ces fonds.

Ma première remarque a trait à l'attention qui est portée au devenir des archives électroniques et des choix qui doivent être faits par rapport aux dépôts physiques. C'est un point très important pour les collectivités départementales, qui sont confrontées à des stratégies immobilières et de stockage des documents. Il faut qu'une décision soit maintenant prise sur le devenir de ces archives, car cela engage des moyens publics.

Ma seconde observation porte sur les archives de l'outre-mer. On a souligné que tout n'a pas été exploité. Je confirme que tout n'est pas exploité dans les dépôts d'archives. On doit donc être encore plus attentif aux conditions de conservation. C'est une priorité absolue.

S'agissant des archives de l'outre-mer, c'est l'occasion de rappeler la préoccupation qu'on doit avoir par rapport au fait qu'une partie des archives des périodes françaises outre-mer n'ont pas fait l'objet de microfilms, se trouvent toujours dans les pays devenus indépendants, dans des conditions de conservation qui ne sont pas toujours idéales, et risquent la destruction. On ne peut se désintéresser d'une partie de la mémoire collective du pays et de nos concitoyens.

Enfin, un point a beaucoup intéressé le rapporteur spécial de l'immobilier de l'État que je suis. Ce rapport est en effet révélateur des lourdeurs, des carences et des problèmes globaux de l'immobilier de l'État. Lorsque j'ai lu, page 9, qu'il fallait prendre des décisions sans tarder pour éviter une nouvelle impasse immobilière, ma curiosité a été aiguisée. La page 30 du rapport revient sur les premières infiltrations qui ont eu lieu à Fontainebleau en 1974. Il a fallu vingt ans, suite aux problèmes de stockage, pour décider du bâtiment provisoire, tenir compte de sa durée d'achèvement et des problèmes d'amiante, etc. Il y a lieu de s'interroger sur le décalage entre les constats et le moment où les décisions ont été prises en matière de politique immobilière.

Première question : qu'est-ce qui prime dans les décisions, la position de l'Oppic ou celle des utilisateurs ? Cette question n'est pas innocente au regard des problématiques qui existent aujourd'hui autour du quadrilatère Rohan-Soubise.

J'ai siégé en tant que représentant de notre assemblée dans les deux réunions du Conseil de l'immobilier de l'État évoquées dans le rapport, le 16 décembre 2015 et le 10 février 2016. Je remercie la Cour des comptes d'avoir souligné que nous nous sommes interrogés - après avoir validé le fait que quelque chose pouvait être réalisé dans le carré Soubise - sur le fait de savoir si les conditions de conservation et d'exploitation seraient idéales. Sommes-nous sûrs que les coûts qui nous ont été présentés seront respectés, compte tenu des dérives qu'on a observées sur d'autres opérations conduites par le même ministère avec le même Oppic, dans le quadrilatère Richelieu ou encore concernant la BnF ?

Ceci m'amène à poser deux dernières questions : premièrement, en matière de politique immobilière de la culture, tire-t-on les enseignements de ce qui est fait avec les autres opérateurs ? Existe-t-il des partages d'expériences entre opérateurs - et singulièrement avec la Bibliothèque nationale, puisque, même s'il ne s'agit pas de métiers identiques, ils sont tout de même voisins ? Essaie-t-on de mutualiser certaines fonctions et de réaliser quelques économies ?

Deuxièmement, quel travail est-il mené sur les coûts de conservation des documents ? Lorsque les conditions ne sont pas idéales, il peut y avoir des coûts résultant de la nécessité de conservation des documents déposés. Y a-t-il des analyses réalisées sur les coûts à long terme, au regard des solutions immobilières parfois plus coûteuses qui peuvent être présentées, et qui supposent une vision en profondeur ?

M. Michel Canevet. - Je remercie la Cour des comptes d'avoir réalisé ce diagnostic à la fois précis et éclairant sur ce sujet assez préoccupant des archives, en espérant que l'administration puisse prendre en compte les observations qui ont été formulées, et qui me paraissent tout à fait pertinentes.

Je souhaiterais savoir, en complément de ce qu'a évoqué Michel Bouvard, quel est aujourd'hui le niveau de numérisation des Archives nationales. Quel pourcentage cela représente-t-il ? En matière d'open data, comment se positionnent les Archives nationales ?

S'agissant des besoins futurs de locaux et au regard de ce qui a été dit sur la manque de services autour de la Plaine-Saint-Denis, ne serait-il pas opportun de prévoir une nouvelle implantation plutôt qu'une extension de Pierrefitte-sur-Seine ? N'est-ce pas une option que l'on pourrait envisager ?

Par ailleurs, les conditions d'accueil des usagers sur les différents sites sont-elles bonnes ? J'ai entendu qu'elles l'étaient pour Pierrefitte-sur-Seine, mais le sont-elles sur les autres sites, en dehors de Fontainebleau ?

Pierre-Frédéric Brau a évoqué les conditions de travail : existe-t-il une mission, au sein des directions, concernant la réflexion et l'aide à l'organisation du travail ? La situation par rapport aux risques de troubles musculo-squelettiques rend en effet nécessaire de prendre en compte cette problématique de façon spécifique, si l'on ne veut pas arriver à des difficultés de fonctionnement dans les établissements dont vous avez la charge, ainsi que dans l'ensemble du réseau des archives du territoire national.

M. Yannick Botrel. - Je souhaiterais intervenir sur un point particulier qui me semble déterminant. Il s'agit de l'informatisation et de la consultation en ligne de certaines archives, par ailleurs libres d'accès.

Dans le département des Côtes-d'Armor, dont je suis l'élu, un certain nombre d'archives sont aujourd'hui consultables en ligne, comme l'état-civil jusqu'en 1905, les cadastres anciens, les recensements, les délibérations du conseil général depuis l'origine. C'est un véritable service public qui a été rendu à cet égard. La salle de consultation a d'ailleurs été vidée des quatre cinquièmes des personnes qui s'y rendaient habituellement, dont beaucoup parcouraient de grandes distances pour s'y rendre.

Un tel travail peut-il être conduit sur les Archives nationales ? S'agissant des Archives nationales de l'outre-mer, un certain nombre de dossiers individuels sont consultables, mais sur place uniquement. J'ajoute qu'aucune information n'est communiquée par les services. C'est compréhensible, mais on ne peut que le déplorer. Il faut se rendre impérativement à Aix-en-Provence, et ce n'est pas facile pour tout le monde, d'autant que les amplitudes horaires peuvent pénaliser les chercheurs.

Existe-t-il, s'agissant de l'informatisation d'un certain nombre de documents et de la communication en ligne, une politique prospective des Archives nationales ou des Archives nationales d'outre-mer ?

Mme Michèle André, présidente. - Hervé Lemoine, vous avez rapidement évoqué la coordination entre les Archives nationales et les Archives départementales. Comment cela se passe-t-il ? Êtes-vous satisfait ?

Par ailleurs, existe-t-il une différence de coûts entre les expositions physiques et les expositions via Internet ? Que peut-on mettre en oeuvre sur le plan pédagogique ?

M. Hervé Lemoine. - Le sénateur Bouvard m'a interrogé à propos des archives électroniques, qui sont l'une de nos priorités.

Ceci a été souligné dans le rapport de la Cour des comptes. Nous avons deux grands programmes. Le premier est VITAM, destiné spécifiquement aux archives centrales de l'État et il sera développé aux Archives nationales. C'est en 2012 que ce projet a été intégré au projet scientifique des Archives nationales, à la demande des Archives de France. Nous avons joué notre rôle de tutelle et avons pesé pour que cette dimension soit intégrée au projet de modernisation des archives nationales. Il nous paraissait essentiel de prendre en compte dès aujourd'hui la problématique de l'archivage électronique pérenne.

Nous disposons par ailleurs, pour ce qui est des départements, d'une déclinaison de VITAM, « Archives départementales-Essor » (AD-ESSOR). Nous avons réalisé un tour de France numérique sur deux ans, de façon à rencontrer les différents acteurs, afin de les préparer à l'univers numérique. Notre mission consiste à accompagner les collectivités pour les amener à développer, avec leur direction des services informatiques, le moyen d'accueillir et de développer des plates-formes d'archivage électronique.

S'agissant des archives de l'outre-mer, il existe un portail dénommé Irel, qui est un portail de recherche en ligne assez ancien. Il a été pionnier en son temps. Nous travaillons aujourd'hui à l'élaboration d'un nouvel outil d'accès aux instruments de recherche consacrés aux Archives nationales de l'outre-mer.

Le sénateur Botrel a raison : il y a moins d'accès en ligne à des dossiers complets des Archives nationales de l'outre-mer - mais il faut dire qu'il en existe beaucoup - que dans d'autres séries ou sous-séries d'archives. Néanmoins, on a quand même accès à l'ensemble des instruments de recherche.

On peut regretter que la numérisation et l'accès en ligne d'un certain nombre d'informations aient vidé les salles de lecture, notamment en matière d'état-civil, mais lorsque nous avons un lecteur physiquement présent en salle de lecture, nous en avons potentiellement cent quarante en ligne. Le rapport est vertigineux. Certes, nous avons physiquement moins de lecteurs dans nos salles, mais nous n'avons jamais eu autant de personnes qui consultent des documents en ligne.

Pour autant, ce qui est numérisé et en ligne ne correspond qu'à une toute petite fraction du patrimoine gigantesque que nous possédons. C'est l'héritage de notre administration plusieurs fois séculaire. Nous disposons de milliers de kilomètres linéaires d'archives historiques conservées pour l'éternité. On estime aujourd'hui qu'entre 5 % et 7 % du patrimoine archivistique est numérisé et accessible en ligne.

Ceci représente près de quatre cents millions de documents, ce qui est gigantesque et sans commune mesure avec la Bibliothèque nationale, par exemple, à travers Gallica. Plus de deux milliards de pages sont en effet lues par an ! Le portail France Archives, qui constitue une sorte d'agrégateur de recherche, a pour objet de faire en sorte que quelqu'un qui, aujourd'hui, effectue une recherche sur autant de sites Internet d'archives qu'il y a de services publics d'archives, ne pose à l'avenir qu'une seule fois sa question, tous les sites étant « moissonnés » par cet agrégateur de recherche.

M. André Gattolin, rapporteur pour avis. - Encore faudrait-il une ergonomie intelligente du moteur de recherche. L'arborescence du site de l'Anom, qui est cité comme exemple, n'est pas très conviviale !

M. Hervé Lemoine. - Il a été exemplaire, mais il est aujourd'hui dépassé. C'est bien pourquoi le portail France Archives constitue un agrégateur de données qui fonctionne sur les technologies du web sémantique. Les utilisateurs poseront leur question comme ils le font sur Google, et obtiendront des réponses sans pour autant connaître toute la complexité de l'organisation des fonds d'archives. On est donc parti d'une logique totalement différente.

M. Michel Bouvard. - Où en est-on des archives non numérisées et non transférées qui demeurent en Afrique du Nord ?

M. Hervé Lemoine. - Il existe trois fonds très importants. Les deux premiers sont ceux de l'Afrique Occidentale française et de l'Afrique Équatoriale française. D'autres fonds, au Vietnam, correspondent aux fonds de l'ancienne Indochine française.

Pour ce qui concerne l'Afrique Occidentale française, nous avons envoyé une mission technique il y a deux ans, afin de déterminer l'état physique des archives.

M. Michel Bouvard. - Ma question porte sur les archives relatives à la période française en Algérie, qui concernent beaucoup de nos concitoyens. Les documents ne sont pas transférés, et les conditions de conservation sont aléatoires, avec des risques de détériorations.

M. Hervé Lemoine. - C'est un problème à part entière et très singulier. Nous avons un différend diplomatique avec l'Algérie, qui revendique la propriété des archives que nous avons rapatriées et qui sont conservées à Aix-en-Provence.

M. Michel Bouvard. - Tout cela peut être microfilmé. On a eu le même problème avec l'Italie.

M. Hervé Lemoine. - Ces archives représentent 10 kilomètres linéaires. Certaines engagent la vie privée. On ne peut donc tout numériser ni tout rendre accessible.

Il n'est absolument pas normal que certains fonds de cette période ne soient pas définitivement classés. C'est pourquoi j'ai demandé aux Anom, depuis trois ans, d'affecter en permanence trois conservateurs sur le classement de ces fonds. Cela avance maintenant bien. Une opération massive de numérisation ne sera possible que lorsqu'ils seront entièrement classés.

Nous avons rétabli avec le gouvernement algérien des relations de travail plus constructives depuis deux ans, de façon à pouvoir avoir accès aux fonds d'archives conservés en Algérie, ce qui n'était pas le cas auparavant. Nous avons obtenu, il y a un an et demi, le versement des instruments de recherche qui nous permettent d'avoir une idée de la physionomie des fonds. En revanche, je n'ai aucune idée de leur état sanitaire, car je n'ai jamais eu la possibilité d'avoir accès aux fonds conservés en Algérie, bien que je m'y sois rendu six fois.

Nous en sommes aujourd'hui à un partage d'informations qui concernent surtout les instruments de recherche, afin de tenter de déminer le problème de revendications du gouvernement algérien quant à la propriété de ces fonds, dont il demande le retour, auquel nous opposons le fait qu'il s'agit d'archives produites par l'administration française au moment où l'Algérie dépendait de celle-ci. Pour nous, ces archives relèvent donc de la domanialité publique française.

Je suis prêt à vous en parler plus longuement. C'est un sujet fort complexe, sur lequel nous travaillons avec beaucoup d'attention.

Enfin, concernant l'aspect immobilier, il ne faut pas croire que la politique de collecte des archives se fait uniquement en fonction des kilomètres linéaires disponibles dans nos bâtiments. Ce ne serait guère scientifique. Ce n'est pas en fonction de ce critère que nous devons nous déterminer.

Certes, il existe un enjeu à pouvoir nous doter des bâtiments nécessaires à la conservation de ces archives, mais le premier enjeu - et cela vaut pour l'ensemble des services publics d'archives - réside pour moi dans la sélection en amont et la collecte. Gilles Morin considère que 5 kilomètres linéaires, c'est trop peu. Je pense que c'est presque trop. Nous conservons aux Archives nationales, sur le site de Paris, des papyri mérovingiens jusqu'à des documents allant jusqu'en 1790, recouvrant ainsi près de douze siècles d'histoire. Ils représentent près de 20 kilomètres linéaires. Nous ne sommes pas totalement amnésiques ni ignorants au sujet de cette période. Or, sur la seule année 2014, nous avons collecté 20 kilomètres linéaires d'archives définitives, après élimination et sélection !

En un an, nous collectons donc aujourd'hui autant que ce que nous avons collecté pour documenter mille deux cents ans d'Histoire. Ceci démontre que nous sommes dans une phase d'accélération de la production administrative et documentaire. Nous en faisons nous-mêmes le constat : la révolution bureautique, qui a été suivie par la révolution informatique, a eu pour effet paradoxal de multiplier les supports numériques, mais nous avons également à côté une production documentaire analogique qui n'a jamais été aussi importante. Loin de servir la recherche, elle la dessert selon moi. Trop d'informations tue l'information. Quand nous disposons de séries de centaines de mètres linéaires de documents, nous n'arrivons pas nous-mêmes, historiens, à effectuer notre travail, car l'appréhension d'une telle masse est si lourde qu'elle rend toute recherche impossible.

Beaucoup d'historiens de la période contemporaine utilisent aujourd'hui des sources secondaires et publiées plutôt que les sources premières que sont les archives, parce qu'ils sont rebutés par le volume et la complexité de ces archives. Le problème est aggravé par la réforme des études - en particulier la suppression de la thèse d'État. J'ai personnellement mis dix ans pour soutenir ma thèse d'État. Les délais n'étaient à l'époque pas les mêmes. On ne peut dire à un chercheur qui travaille aujourd'hui sur un sujet contemporain qu'il doit dépouiller 6 kilomètres linéaires d'archives. En six à huit mois, c'est impossible.

La question immobilière ne doit donc pas résumer la stratégie en termes de politique de sélection et de collecte. C'est un problème qui se pose en amont.

Pour répondre plus spécifiquement à votre question sur l'aspect immobilier, le rapport de la Cour des comptés nous invite à ne pas allonger davantage les délais pour nous doter des bâtiments nécessaires à la poursuite de ladite collecte. J'entends les réserves que vous émettez au sujet de l'Oppic et de sa capacité à assurer la maîtrise d'ouvrages dans des conditions optimales. Ce n'est pas de mon ressort, mais de celui du secrétariat général de notre ministère. Les Archives nationales et les Archives de France sont là dans un rôle de prescripteur. Nous exprimons des besoins, qui sont suivis par l'Oppic.

J'espère que tout est optimal en termes de réalisation et de coûts. Je n'ai pas lieu de penser le contraire, mais cela ne relève pas directement de ma responsabilité.

S'agissant de la numérisation et de l'open data, beaucoup de législations se surajoutent au seul code du patrimoine. Nous essayons d'en tenir compte. Je pense à la loi dite « Lemaire », ou à la loi dite « Valter ». Nous essayons de faire en sorte que les évolutions législatives s'articulent avec les dispositions du code du patrimoine, afin de favoriser l'accessibilité des archives.

M. Gilles Morin. - Je voudrais dire mon accord avec Françoise Banat-Berger sur un point important : la question du site de Paris. Pour les historiens, il est très important de conserver le caractère patrimonial de ce lieu, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques. C'est également un lieu très utilisé par les chercheurs.

En second lieu, comment sont réalisés les tris et sur quels critères ? Ceci mérite des débats qui ne peuvent pas être qu'internes.

M. Pierre-Frédéric Brau. - L'association des archivistes français n'a pas de doctrine quant au fait de savoir s'il faut ou non fusionner les services à compétence nationale. Elle insiste néanmoins sur leur nécessaire coordination, qui doit être très réelle.

On a également évoqué la question des missions et des services ministériels d'archives. Sans prendre parti, il nous semble important qu'une réflexion soit entamée sur la chaîne archivistique, du producteur jusqu'à la conservation, assurée par les services à compétence nationale. Les Archives nationales ne doivent pas être considérées comme un simple réceptacle de tout ce qui se déverse des ministères, mais doivent pouvoir intervenir en amont.

De la même façon, il convient que les besoins des ministères soient pris en compte. Ceux-ci rencontrent aussi des problèmes immobiliers et certains d'entre eux sont confrontés au regroupement des ministères et à la rationalisation des implantations, qui font perdre des capacités de stockage intermédiaire, d'où une pression accrue sur la collecte.

M. Hervé Lemoine. - La coordination des services nationaux avec les archives départementales est essentielle pour nous. Beaucoup d'archives publiques produites par les services centraux de l'État et les services déconcentrés sont très complémentaires. Une politique de collecte s'évalue d'un point de vue national, en tenant compte de la part prise par les Archives nationales pour les organes centraux, et par les Archives départementales pour les services déconcentrés de l'État - d'où l'intérêt du portail France Archives, qui permettra au chercheur de gommer pour partie la diversité institutionnelle.

S'agissant des expositions et de la politique de valorisation, nous aidons financièrement les Archives départementales. Avec les Archives nationales, nous souhaitons favoriser la coopération lorsque des sujets permettent de valoriser des fonds provenant de différents services. Je souhaite également que certaines expositions remarquables des Archives départementales puissent être remontées à Paris, aux Archives nationales.

Cela se fait aujourd'hui facilement pour les musées. Ce n'est pas le cas dans le secteur des archives. Je trouve cela dommage, car bien des choses formidables se font dans les départements.

Mme Sophie Moati. - La première question posée par le rapporteur spécial concerne la priorisation des recommandations que l'on pourrait proposer.

Les plus urgentes sont liées aux aspects immobiliers, même si ceci ne détermine pas toute la politique archivistique. Il s'agit de notre recommandation n° 6 sur les études préalables à l'extension du site de Pierrefitte-sur-Seine, et de la recommandation n° 1, qui lui est liée - réaliser tous les trois ans des études prospectives de collecte d'archives. Il nous semble qu'il existe sur ce point une carence et une défaillance forte du ministère et des services. Ces études doivent enfin être coordonnées et consolidées par le SIAF. Je suis sûre qu'Hervé Lemoine y est parfaitement prêt.

Notre recommandation n° 2 peut paraître facile et anodine. Elle devrait selon nous avoir des effets vertueux. Il s'agit de la publication d'informations publiques sur les arriérés de classement et l'arrivée de nouvelles archives. Il est important de publier ce genre d'informations.

L'un de vous a estimé qu'il existait trop d'entre-soi. Il n'y a pas non plus suffisamment d'informations publiques dans ce domaine très important pour les chercheurs et le public en général. C'est en outre une incitation forte à développer autour de ces questions des politiques appropriées. Il s'agit là d'une action très rapide à mettre en oeuvre.

Nos autres recommandations peuvent nécessiter des délais, notamment en matière de règlement intérieur de conditions d'emploi, les instances représentatives du personnel devant nécessairement être consultées.

La constitution d'un établissement public suppose un certain nombre d'étapes. Il faut aussi discuter avec les différents ministères du choix du mode d'organisation. Tout cela n'est pas immédiat, mais peut être immédiatement engagé.

Enfin, la modification de la composition du Conseil supérieur des archives est sûrement un élément intéressant, mais n'est peut-être pas le plus important dans l'ordre des urgences. Ceci suppose au demeurant une loi.

Je voudrais répondre à deux points particuliers.

Tout d'abord, à propos de l'établissement public national, je remercie Hervé Lemoine d'être un lecteur attentif des rapports de la Cour des comptes et d'avoir relevé que nous sommes généralement peu favorables à la multiplication des établissements publics -notamment dans ce ministère mais pas seulement - du fait des surcoûts liés à leur constitution.

Précisément, si nous vous proposons aujourd'hui cette recommandation, c'est que nous avons des motifs sérieux de le faire. Il ne s'agit pas de regrouper les trois services en un seul établissement public national dans une logique d'économies, mais il nous semble que cette évolution, compte tenu du niveau de maturité atteint par les Archives nationales n'aurait, sans surcoût notable, en envisageant l'adjonction d'un agent comptable et probablement la constitution d'un service informatique commun, que des avantages pour chacun des trois centres.

La mutualisation des moyens, de l'expérience et de l'expertise développées par les Archives nationales, ainsi que de certaines expertises spécifiques développées dans les deux centres spécialisés, serait vertueuse.

J'ajoute qu'un grand nombre des problèmes identifiés dans le rapport - gestion des ressources humaines, dialogue social - nous invite à penser, alors que la situation perdure depuis des dizaines d'années, qu'il faut absolument un opérateur public responsable de sa gestion interne, du dialogue avec ses personnels, de l'organisation de ses relations avec les usagers et les producteurs d'archives. Cela nous semble constituer un élément de bien meilleure gestion, de responsabilisation et d'oxygénation du service des Archives nationales.

Il faut franchir cette nouvelle étape. Les solutions statutaires ne peuvent tout résoudre, mais il nous semble que le moment est venu.

Enfin, s'agissant de l'immobilier, soyons clairs : la Cour des comptes ne propose pas la disparition des Archives nationales du quadrilatère Rohan-Soubise.

Nous soulignons simplement - la cause semble entendue - qu'il faut supprimer le site de Fontainebleau. L'extension du site de Pierrefitte-sur-Seine est indispensable, et nous pensons qu'il serait irresponsable de penser et de concevoir des études préalables sur l'extension du site de Pierrefitte-sur-Seine sans examiner la question de la pertinence du maintien de la localisation d'un certain nombre de fonds sur le quadrilatère.

Notre vision n'est pas étroitement comptable : nous considérons normal et naturel de maintenir un centre des Archives nationales au sein du quadrilatère. Un certain nombre de fonds ont été conçus pour y rester, mais vous savez comme moi que la question des fonds notariaux n'a pas été réglée, alors que des monceaux d'archives doivent être collectés. Quelle est la justification, surtout dans la perspective de l'archivage électronique, de les maintenir au coeur du Marais ? Aucune, nous semble-t-il ! En tout cas, la question mérite d'être posée clairement.

Deuxièmement, il nous semble qu'il existe des problèmes de normes de conservation sur ce site qui doivent être exposés et pris en compte. Je veux bien que seuls 17 kilomètres linéaires soient consacrés aux siècles qui nous ont précédés, mais il faut aussi intégrer l'idée qu'un grand nombre de destructions ont permis de réduire ce périmètre.

Nous souhaitons simplement que ce bâtiment soit mis aux normes. Or, cela coûte très cher pour un tel site historique. Tout ne justifie pas d'être intégré dans le quadrilatère. Nous voulons que l'ensemble des fonds soit réexaminé et que l'on prenne calmement une décision.

Les décisions que vous prendrez sur l'extension de Pierrefitte-sur-Seine auront des effets en 2024 et jusqu'en 2030. Je ne souhaite pas que l'on se réunisse à nouveau dans quelques années pour évoquer un problème de saturation immobilière.

Mme Michèle André, présidente. - Merci, madame la présidente, pour votre passion, votre connaissance du dossier et la manière dont vous l'avez présenté. Nous avons beaucoup apprécié cette fin de matinée.

Je remercie chacun d'entre vous pour la qualité de ses réponses et la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimés.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de MM. Vincent Éblé et André Gattolin.

La réunion est close à 12 h 50.

- Présidence commune de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 15 h 40

Audition de M. Mario Monti, président du groupe de haut niveau sur les ressources propres, et de M. Alain Lamassoure, membre du groupe de haut niveau, député européen

La commission des finances entend, lors d'une audition conjointe avec la commission des affaires européennes, M. Mario Monti, président du groupe de haut niveau sur les ressources propres, et M. Alain Lamassoure, membre du groupe de haut niveau, député européen.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je remercie Mario Monti et Alain Lamassoure d'avoir accepté notre invitation pour nous présenter les conclusions du groupe de haut niveau sur les ressources propres de l'Union européenne.

La commission des affaires européennes du Sénat critique de longue date le financement du budget européen. En effet, contrairement à ce que prévoit le traité, ce budget est financé en très grande partie par des contributions régulières des États membres. Nous voyons bien les inconvénients d'un tel système, qui favorise tous les marchandages entre États membres soucieux avant tout de leur solde net.

C'est pourquoi nous avons accueilli avec satisfaction la création du groupe de haut niveau placé sous votre présidence, monsieur Monti, vous dont chacun connaît la grande expérience, exercée au niveau national comme au niveau européen. Fort de celle-ci, vous étiez particulièrement bien placé pour tenter de dégager des pistes acceptables permettant de doter enfin le budget européen de ressources propres viables et pérennes. Alain Lamassoure, qui vient régulièrement au Sénat, est l'un de nos interlocuteurs réguliers au sein des institutions européennes, et nous apprécions la profondeur de son analyse.

Monsieur Monti, monsieur Lamassoure, quels constats le groupe de haut niveau a-t-il dressés ? Quelles sont les principales pistes qu'il a retenues pour rénover le financement du budget européen ? Au-delà, pensez-vous qu'un consensus puisse être trouvé entre les États membres pour donner une suite concrète à vos propositions ?

Votre rapport tombe en quelque sorte à point nommé, puisque le Sénat est en train de mener, dans le cadre d'un groupe de suivi piloté par Jean-Pierre Raffarin et moi-même, sa propre réflexion sur la manière de réenchanter l'Europe.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - La question des ressources propres est au coeur de l'actualité européenne, puisqu'elle a été débattue le 27 janvier au Conseil de l'Union européenne chargé des affaires économiques et financières (ÉCOFIN). Le sujet a également été abordé hier, au cours de la conférence de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, à laquelle je participais avec Fabienne Keller et François Marc.

S'il semble que les États membres ne retiennent pas toutes vos conclusions, une large majorité des parlementaires européens et nationaux réunis hier à Bruxelles souscrivaient à votre diagnostic : la structure du budget européen comporte aujourd'hui des défauts -rigidité, complexité, manque de lisibilité - qui appellent une réforme en profondeur et un plus large recours aux ressources propres. Le principe selon lequel cette réforme doit être réalisée à coût constant m'a paru faire également l'unanimité.

En revanche, les vues divergent s'agissant des nouvelles ressources propres les plus adéquates, et un grand nombre de questions restent en suspens. Je ne doute pas que nos collègues vous interrogeront en particulier sur le panier de nouvelles ressources, leur rythme d'introduction et la manière de mieux coordonner les dépenses du budget européen et celles des budgets nationaux.

Votre éclairage nous sera précieux, notamment dans le cadre du travail dont a parlé Jean Bizet, mais aussi dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel.

M. Mario Monti, président du groupe de haut niveau sur les ressources propres. - Je suis ravi de pouvoir vous présenter, au côté d'Alain Lamassoure, qui a été mon collègue à plusieurs reprises dans le cadre de diverses entreprises liées à notre foi européenne, les grandes lignes de notre rapport sur les ressources propres de l'Union européenne.

Avant qu'Alain Lamassoure, qui a joué un rôle fondamental dans notre réflexion, n'aborde certains problèmes qui, en général et dans une perspective française, peuvent vous intéresser tout particulièrement, je voudrais vous expliquer dans quelles perspectives nous avons travaillé.

Voilà des décennies que la question des ressources propres est intouchable. Tout le monde s'accorde à reconnaître que le système est loin d'être optimal, mais le sujet a toujours été considéré comme politiquement explosif et techniquement très complexe.

Une innovation politique importante a été décidée à la fin de 2013, au terme d'un bras de fer entre le Parlement européen et le Conseil : grâce à l'action d'Alain Lamassoure, notamment, le Conseil n'a pas pu éluder la question des ressources propres, comme il l'avait fait plusieurs fois par le passé, et la décision a été prise de créer un groupe de travail dédié. Vous le savez mieux que moi : lorsqu'on crée un groupe, ce n'est pas toujours pour faire avancer un sujet... En l'occurrence, l'idée, tout à fait géniale - je puis le dire car je n'y étais pour rien -, fut d'instituer un groupe de dix personnalités politiques : trois désignées par chacune des trois grandes institutions européennes - le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne - et un président choisi d'un commun accord entre celles-ci.

Ainsi, dès l'origine, la composition de notre groupe lui donnait une haute sensibilité politique ; nous pouvions par ailleurs nous appuyer sur des groupes techniques composés d'experts, mais nous avons mené un travail largement politique. Cette composition assurait en outre la représentation des différentes sensibilités institutionnelles : bien que chaque membre ait participé à nos travaux à titre personnel, il est évident que les trois membres désignés, par exemple, par le Parlement européen, au nombre desquels était Alain Lamassoure, avaient une proximité intellectuelle et politique particulière avec cette institution. La composition de notre groupe assurait aussi la représentation d'autres sensibilités : des pays du nord ou des pays du sud de l'Europe, des États fondateurs ou des États membres plus récents, entre autres.

Grâce à la forte volonté d'approfondissement et de coopération de tous les membres du groupe, nous sommes tombés d'accord à l'unanimité sur une série de propositions qui ne sont pas banales, ni neutres ou vides ; on peut ne pas y souscrire, mais elles ne sont pas innocentes. Devant le Conseil ÉCOFIN, à la fin de la semaine dernière, j'ai insisté sur cette unanimité : à un moment où, presque dans tous les domaines, les institutions européennes et les États membres ont de graves difficultés pour dégager des accords, le sondage systématique en profondeur auquel nous nous sommes livrés peut créer l'espoir que, par l'approfondissement de certaines questions dans un esprit volontariste et dans le cadre d'une démarche politique, mais qui s'appuie sur des bases techniques solides, des compromis qui fassent avancer l'Europe pourront être trouvés.

À la création de notre groupe, au début de l'année 2014, l'émergence concomitante de plusieurs défis promis à devenir structurels ne s'était pas encore produite. Je veux parler de la question des réfugiés et des migrations et de celle du terrorisme et du renforcement nécessaire de la sécurité interne et externe. Le seul vent léger qui semblait souffler dans la direction d'un volontarisme budgétaire accru en Europe venait du débat sur la capacité budgétaire de la zone euro. Si ce vent a malheureusement perdu de son intensité, un autre a fortement gagné en puissance : celui qui pousse tous les États membres de l'Union européenne à se doter d'un « équipement » budgétaire approprié aux nouveaux défis.

Deux autres événements sont intervenus pendant nos travaux : le « Brexit » et l'élection du nouveau président des États-Unis.

Le premier aura nécessairement certaines conséquences budgétaires : il entraînera une perte nette de ressources pour le budget de l'Union européenne, mais aussi la disparition du rabais britannique, un système absurde et illisible pour les citoyens et, je l'espère, des effets que celui-ci a produits sur l'attitude d'autres États membres en ce qui concerne leur contribution à la compensation britannique.

Quant à l'élection du président américain, elle rend hautement probable que l'Europe doive, dans les années à venir, se responsabiliser davantage pour ce qui est de sa sécurité interne et externe. Songeons que nous sommes entourés par une Russie qui ne se distingue pas par sa timidité et une Turquie qui ne fait pas non plus profil bas, à l'heure où, à l'ouest, où nous pensions avoir toujours des alliés et des amis de la construction européenne, les attitudes vont changer, conduisant notamment à une certaine remise en question de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord (OTAN). Dans ce contexte, voulons-nous, oui ou non, prendre l'Union européenne au sérieux ?

Si toute politique actuelle, avec ses implications budgétaires, a sa légitimité historique, le fait est qu'une grande partie des politiques menées par l'Union européenne sont redistributives. Or le devoir primordial que chacun de nos États a accompli au cours de son histoire, celui de garantir l'ordre et la sécurité, ne peut plus, désormais, être rempli par les États membres individuellement. Conscients de cette réalité, ceux-ci, pour la première fois depuis des décennies, se tournent vers Bruxelles et en appellent à l'Europe.

Selon nous, la logique voudrait que, si les États membres reconnaissent eux-mêmes à l'Union européenne de nouvelles fonctions propres, ils la dotent symétriquement de nouvelles ressources propres.

Cette tendance correspond à un recentrage de l'activité de l'Union européenne sur ce qu'on appellerait, dans le monde des affaires, son core business. Celui-ci va devenir extrêmement difficile à mener, mais, sur notre continent, seule l'Union européenne peut le faire.

Nous proposons de porter un autre regard sur le budget et le processus budgétaire européens. Il s'agit d'écarter progressivement l'analyse en termes de contributeurs nets et bénéficiaires nets, qui fragilise l'Union européenne. De fait, les négociations budgétaires actuelles donnent à nos concitoyens l'impression d'un jeu à somme nulle : si tel État gagne dix centimètres au tir à la corde, tel autre perd dix centimètres. C'est exactement l'image que l'Union européenne ne devrait plus donner.

C'est pourquoi nous proposons de recentrer tout le discours budgétaire sur la valeur ajoutée européenne et les biens publics européens.

Nos propositions sont précises, mais aussi modestes. Je ne connais personne qui puisse honnêtement soutenir qu'il a une idée du pourcentage du produit intérieur brut (PIB) européen que le budget de l'Union européenne devra représenter dans cinq, sept ou dix ans. Le principe du 1 % n'a aucune raison d'être écarté au profit d'un autre, mais c'est un article de foi, susceptible d'être démenti un jour par de nouvelles réalités.

Pour ce qui est de la procédure budgétaire, elle nous a paru fonctionner mal et être mal structurée. L'articulation entre le budget de l'Union européenne et les budgets nationaux doit être améliorée. Il faut aussi réfléchir à la forte diminution de la part des ressources propres dans le budget de l'Union européenne.

Les potentielles ressources propres nouvelles que nous avons imaginées sont de deux ordres. Les unes ont trait au marché intérieur : l'impôt sur les sociétés, ou une partie de celui-ci, pourrait être mis à la disposition de l'Union européenne, surtout si nous parvenons à faire progresser l'harmonisation de ce marché, ce à quoi s'emploie le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière, Pierre Moscovici, qui fut membre de notre groupe, et à rendre plus difficile l'évasion fiscale des multinationales, ce à quoi Alain Lamassoure a travaillé au Parlement européen dans le cadre de sa commission spéciale « TAXE » sur les rescrits fiscaux. Les autres se rapportent au transport, au climat et à l'énergie, un domaine dans lequel de nouvelles formes d'imposition au bénéfice de l'Union européenne peuvent être imaginées.

Je souligne que nos propositions ne conduisent pas à augmenter le montant du budget de l'Union européenne, ni à alourdir la pression fiscale globale sur les contribuables européens.

Peut-être vous aurai-je donné l'impression de ne pas entrer suffisamment dans le détail de nos propositions. J'ai préféré vous en exposer l'orientation politique, car je crois que si notre travail porte ses fruits, ce sera surtout parce que nous aurons essayé de présenter des scénarios que les ministres des finances et les chefs d'État et de Gouvernement auront plus de difficultés à écarter au profit du statu quo, vis-à-vis du Parlement européen et des opinions publiques.

M. Alain Lamassoure, membre du groupe de haut niveau sur les ressources propres. - Notre réflexion s'est inscrite dans le cadre des traités actuels, et nous ne proposons aucun transfert de souveraineté fiscale. Les parlements nationaux sont et resteront le souverain fiscal.

La comparaison avec certains de nos impôts locaux est éloquente : par exemple, notre taxe d'habitation est instaurée par le Parlement, mais les conseils municipaux ont la possibilité d'en fixer le taux dans les limites d'une certaine fourchette.

Qu'il s'agisse de créer une nouvelle ressource fiscale allouée en totalité ou en partie au budget européen ou d'affecter à celui-ci une part d'une recette fiscale existante, la décision appartiendra aux parlements nationaux. Au demeurant, le traité de Lisbonne, qui prévoit la possibilité de créer de nouvelles ressources propres alimentant le budget européen, subordonne cette création à une procédure qui, en réalité, ressemble à une révision du traité sans le nom, puisqu'elle requiert l'unanimité des ministres des finances et une ratification par les parlements nationaux. Ne soyez donc pas inquiets. Au fond, l'Union européenne est un peu dans la situation d'une collectivité territoriale, il est vrai un peu particulière.

Il y a encore trois ans, certains États membres contestaient fortement qu'il y ait vraiment besoin d'un budget au niveau européen. Plus personne ne peut aujourd'hui le contester.

Lorsqu'on s'est aperçu qu'il fallait des moyens pour faire face à toute la dimension du problème migratoire et à tous les aspects de la lutte contre le terrorisme islamiste, mais qu'aucune marge de manoeuvre n'existait dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, les gouvernements ont décidé de créer des fonds ad hoc. Plusieurs de ces fonds satellites ont été institués rien que pour le problème syrien : l'un pour les Syriens déplacés dans leur pays, l'autre pour les Syriens réfugiés en Turquie. Un autre a été créé pour aider les pays africains à garder chez eux les jeunes tentés de migrer en Europe. Un autre encore est destiné à financer la part européenne de l'aide à l'Afrique décidée dans le cadre de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21).

Dans notre rapport figure un schéma, élaboré par votre ancien collègue Jean Arthuis, aujourd'hui président de la commission des budgets du Parlement européen, qui montre la constellation de fonds et budgets annexes qui existent aujourd'hui. Ce schéma est plus convaincant que tous mes discours...

Financés par des contributions des États en proportion du revenu national brut, ces fonds présentent le défaut fondamental de ne faire l'objet d'aucun contrôle parlementaire. Le Parlement européen n'a pas son mot à dire, puisqu'ils sont extérieurs au budget de l'Union. Bien entendu, les parlements nationaux pourraient avoir leur mot à dire, mais, dans la plupart des pays, le ministre explique qu'il s'agit de respecter un accord et que les parlementaires doivent voter les montants proposés, ce qu'ils font. Or par qui ces fonds sont-ils gérés ? Par des bureaucraties nouvelles, de sorte que, au nom de la lutte contre la bureaucratie de l'Union européenne, on multiplie des bureaucraties que personne ne contrôle !

Si nous parlons à nos électeurs en employant dans la même phrase le mot « Europe » et le mot « impôt », nous pouvons être sûrs du résultat, surtout par les temps qui courent... En revanche, puisque tout le monde reconnaît qu'il faut faire face à certains défis au niveau européen, et donc prévoir les financements nécessaires, le débat doit porter d'abord sur ce qu'on attend de l'Europe, sur les responsabilités et les tâches qu'on lui assigne, dans le cadre, là aussi, des traités actuels. En d'autres termes, on ne peut pas traiter le volet ressources sans traiter le volet dépenses.

Il y a sur ce sujet une réflexion de fond à engager, dans la mesure où, aujourd'hui, les deux tiers du budget de l'Union européenne servent à financer des politiques que je qualifierais de traditionnelles : la politique agricole commune et la politique régionale. Ces politiques sont-elles vraiment fondamentales pour la préparation de l'avenir de l'Europe ?

J'ajoute que, à l'initiative des gouvernements, des agences européennes sont régulièrement créées ; il y a maintenant une bonne trentaine de ces petites bureaucraties - j'ai renoncé à en faire le décompte exact. Lorsque nous avons créé un service nouveau au sein de la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure, et que nous lui avons affecté 3 000 diplomates et autres fonctionnaires, le ministre français des affaires étrangères a aussitôt réuni ses syndicats pour leur garantir qu'il n'y aurait aucune réduction d'emplois dans l'administration nationale. Fera-t-on de même pour le corps de garde-côtes et de garde-frontières européens que nos gouvernements, à l'unanimité, ont décidé de créer ? Sur le plan du millefeuille administratif, bonjour les dégâts !

À la vérité, il y a deux conceptions possibles. Soit on considère les agences et services européens comme un niveau d'administration supplémentaire, ce qui conduit à ajouter des dépenses, des fonctionnaires et des impôts, et donc à nourrir les critiques contre l'Europe bureaucratique, soit l'on raisonne d'une manière différente, à laquelle personne n'a encore réfléchi : il s'agit de s'assurer, à chaque transfert d'une compétence ou d'une politique vers l'Union européenne - je pense en particulier aux politiques d'asile et d'immigration, mais aussi à la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme -, que les moyens correspondants, c'est-à-dire les crédits et le personnel, ainsi que les ressources fiscales, lui sont également transférés. Or la Commission européenne s'est toujours refusée à faire cet exercice, qui consiste à ouvrir enfin la dimension budgétaire du principe de subsidiarité.

Remarquez que cette logique est la même que celle à l'oeuvre dans la décentralisation : lorsque l'État transfère des compétences aux régions, par exemple, il faut s'assurer que les emplois qui disparaissent au niveau national sont au moins aussi nombreux que ceux créés au niveau régional. Il faut veiller au respect de la même règle en cas de transfert des États membres vers l'Union européenne, pour garantir aux citoyens que, suivant l'esprit du principe de subsidiarité, un euro au moins est économisé au niveau national pour un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles. Dans certains domaines, si l'on donnait la pleine compétence, avec les moyens correspondants, à l'Union européenne, un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles se traduirait par une économie de vingt-huit euros.

Il est fondamental de mettre en place un tel mécanisme, en faisant jouer le réseau des cours des comptes nationales, la Cour des comptes européenne ou les commissions des finances nationales - nous n'avons fait qu'évoquer ce chantier, qui n'entrait pas dans notre mandat. Cette réflexion est indispensable au moment où nous allons être amenés, par exemple, à transformer l'Office européen de police (Europol) en une sorte de Federal Bureau of Investigation (FBI) européen. Il s'agit, en somme, de mutualiser les moyens nationaux pour augmenter la rentabilité budgétaire et l'efficacité technique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Vos éclairages sont tout à fait intéressants, même s'ils sont aussi parfois un peu inquiétants. Je souhaite vous interroger sur les ressources, en particulier sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l'impôt sur les sociétés.

Vous proposez une nouvelle ressource propre reposant sur une base harmonisée de TVA. L'idée est séduisante, mais est-elle compatible, ou coordonnée, avec le plan d'action sur la TVA que la Commission européenne avance par ailleurs ? Nous sommes un peu dubitatifs sur le projet de celle-ci de rendre aux États membres la liberté de déterminer les taux réduits.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, la proposition de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), retient un seuil d'application de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ne vous paraît-il pas trop élevé pour apporter à l'Union européenne des ressources propres suffisantes ?

Enfin, la taxe sur les transactions financières, qui peut être un facteur négatif pour la compétitivité de la place de Paris, vous semble-t-elle une ressource crédible, compte tenu des réticences de nombre d'États membres, notamment dans le contexte de concurrence consécutif au Brexit ?

M. François Marc. - En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits du budget de l'État reversés à l'Union européenne, je n'ai pas manqué d'insister chaque année sur la nécessaire évolution du système de financement. Il est tout à fait heureux qu'ait été élaboré un corps de propositions et d'alternatives possibles, sur lesquelles il faudra travailler dans les mois qui viennent pour aboutir à un dispositif rénové et porteur d'avenir.

Tirer le meilleur parti des moyens disponibles, mettre en rapport les dépenses et les recettes et dégager des synergies sont autant d'objectifs qui ne peuvent que rencontrer l'adhésion. Du reste, lors de la conférence interparlementaire qui s'est tenue à Bruxelles hier sur ces sujets, j'ai constaté une certaine unanimité de principe et un souhait partagé d'aboutir. La situation est donc encourageante.

Améliorer le système de dépenses tout en maintenant la recette à un niveau constant et en réalisant des économies dans les États est vertueux, mais implique sans doute une réorientation de la dépense. Monsieur Lamassoure, cette réorientation ne suppose-t-elle pas une diminution des crédits au profit de l'agriculture et des fonds structurels et d'investissement en faveur de la cohésion et de la solidarité ?

Actuellement, les politiques européennes tendent à bénéficier plutôt au secteur rural qu'au secteur urbain. Or le géographe Christophe Guilluy, dans La France périphérique, a démontré que les dynamiques de développement s'organisent aujourd'hui autour des métropoles et des grands centres urbains. Il faut donc préserver les leviers permettant de développer les secteurs plus excentrés. Cette dimension de la question a-t-elle été prise en considération par le groupe de haut niveau ?

Par ailleurs, dans le nouveau panier de recettes qui pourrait être institué, peut-être à compter de 2020, certaines ressources propres pourraient-elles être mises en oeuvre plus rapidement que d'autres ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Monsieur Monti, vous avez été commissaire européen à la concurrence et vous êtes, en quelque sorte, le symbole du droit européen de la concurrence et de sa doctrine. Or, dans la mondialisation, ce droit et cette doctrine ont entravé la création de grands ensembles européens. Dans le domaine du numérique, par exemple, nous n'avons pas suffisamment la possibilité de créer de grandes entreprises à la mesure des géants du web (Gafa). Je ne suis pas sûr qu'on eût pu créer Airbus si vous aviez été commissaire européen à l'époque... Monsieur Monti, ce droit de la concurrence peut-il évoluer ?

M. André Gattolin. - J'adhère au pragmatisme qui vous a conduits à travailler à traités constants, en essayant de tirer le meilleur parti du cadre actuel.

Dans la synthèse de votre rapport, les droits de douane sont qualifiés de « modèle de véritables recettes de l'Union », « dont le processus de collecte est satisfaisant ». J'approuve totalement, mais quelle est la réalité de ces dernières années ? Les traités de libre-échange bilatéraux se sont multipliés.

Chaque fois qu'un traité a été conclu, mais aussi dans le cadre des négociations sur le traité de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne (TAFTA), j'ai demandé à la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, quel serait l'impact sur les ressources propres de l'Union européenne. Les données à ce sujet ne nous sont jamais communiquées !

L'Europe est la première puissance commerciale au monde et le premier marché en termes de volume et de niveau de vie. Or nous donnons accès de plus en plus largement à ce marché en faisant tomber les droits de douane, ce qui conduit à une renationalisation du financement du budget européen. C'est ainsi que les perspectives financières pour 2014-2020 sont issues d'arrangements entre dirigeants européens, dans lesquels le président du Conseil européen de l'époque, Herman Van Rompuy, a joué un rôle particulier. On a promis la fongibilité de tous les budgets, pour que chacun ait sa part. Toute cette logique est extrêmement grave !

Je veux bien que le libre-échange soit le principe fondamental de l'Union européenne, mais dans son cadre intérieur. À force d'abaisser les droits de douane, on finit par détruire complètement la ressource et la force que notre marché devrait naturellement nous apporter.

Sans tomber dans le protectionnisme, pourquoi baissons-nous à ce point la garde, alors que 3 000 personnes travaillent sur les traités de libre échange, d'après Matthias Fekl... Nous sommes bons pour négocier ces traités de libre-échange, mais beaucoup moins pour suivre leur application.

M. Richard Yung. - Je retrouve, dans les propos de François Marc, des échos de ce que disait Tony Blair : le budget européen finance l'agriculture et des politiques territoriales avec une efficacité douteuse ; si une petite partie était consacrée à la recherche, nous aurions un budget d'avenir. Cela m'avait paru plein de bon sens. Je le dis sans doute d'autant plus facilement que je n'ai pas d'agriculteurs dans ma circonscription...

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - J'allais le dire !

M. Richard Yung. - Si on faisait la somme de vingt ans de politique agricole commune (PAC)... on atteindrait un niveau qui nous ferait peur. Est-il possible de faire quelque chose d'ici le prochain cadre pluriannuel, qui commence dans trois ans ? Ou bien devrons-nous encore attendre quatorze ou quinze ans ?

Le budget européen a peu de liens avec les budgets nationaux. Même si des liens devaient être tissés grâce à un éventuel budget de la zone euro, ils pourraient être divergents.

M. Jacques Chiron. - Vous recommandez « une ressource propre basée sur la TVA, sous une forme réformée remplaçant le système existant » et « une ressource propre basée sur l'impôt sur les sociétés ».

Notre commission des finances a travaillé sur l'e-commerce qui échappe à la TVA. Nous sommes allés à Rome, où les douanes italiennes nous ont fait remarquer que de plus en plus de biens entraient sur le territoire sans payer de taxe, en passant par certains pays peu attentifs, tout cela au détriment du pays du consommateur final, pour qui c'est un manque à gagner considérable. Nous avions travaillé sur l'hypothèse d'une TVA à la source versée automatiquement dès l'achat sur internet à l'État de l'acheteur. Une TVA plus efficace constituerait une ressource nouvelle pour les États, mais aussi pour l'Europe.

M. Mario Monti. - Merci de l'intérêt de vos commissions pour notre travail, dont témoignent vos excellentes questions. Concernant le calendrier, je ne sais trop que vous dire, car il n'y a pour l'instant aucune proposition sur la table des institutions européennes. Nous étions mandatés pour éclairer trois institutions européennes sur le budget. Mais seule la Commission, ayant le monopole de l'initiative, aura la possibilité d'examiner notre rapport en profondeur et de s'en inspirer éventuellement dans sa proposition de perspectives financières, qu'elle rédigera avant la fin de cette année ou du début de l'année prochaine.

Une négociation compliquée et longue commencera alors. Les politiques nationales sont de plus en plus définies à court terme. L'Union européenne a son budget annuel, mais elle a aussi la grande ambition d'établir une prévision à sept ans - cette durée, peut-être un peu longue, pourrait être réduite à cinq ans. Il n'y a donc rien d'imminent : la procédure est aussi lourde que pour une révision des traités.

Certains d'entre vous voient positivement la réorientation de la dépense vers d'autres domaines que l'agriculture, tandis que d'autres s'inquiètent pour la ruralité... Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec Alain Lamassoure sur ce sujet. Il y a plusieurs façons d'être solidaire avec les zones rurales. Ce que certains remettent en question, c'est que tout passe nécessairement par le budget communautaire. Faire autrement ne diminuerait en rien le caractère solidaire de l'Union.

Je serais porteur d'une image particulière de la concurrence, d'après Yves Pozzo di Borgo... Rassurez-vous, ce n'est qu'en France que j'ai cette image !

M. Yves Pozzo di Borgo. - En Italie aussi !

M. Mario Monti. - Peut-être la France a-t-elle aussi une image un peu particulière de la concurrence...

Il ne faut pas croire qu'une politique de la concurrence un peu musclée soit toujours au détriment de l'industrie européenne. Lorsque le gouvernement américain a accepté, face à Airbus, la fusion de General Electric et de Honeywell, la Commission l'a interdit...

M. Alain Lamassoure. - L'actuelle commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, porte, elle aussi, une image particulière de la concurrence aux États-Unis, grâce à son action courageuse contre les Gafa.

La ressource TVA est la survivance d'une ressource qui a rapporté beaucoup d'argent il y a une vingtaine d'années, et que les administrations nationales ont volée, à l'insu de tout le monde. Notre proposition est de réinventer une nouvelle ressource TVA. Puisque l'assiette en est harmonisée depuis trente ans, nous pourrions ajouter un point, un point et demi, deux points au taux du pays, tout en diminuant d'autant la contribution directe du pays. Il faut en effet tenir compte du fait que tous les pays n'ont pas la même liste des produits à taux réduit. Nous pensons à moyen terme, donc sans les Britanniques.

Concernant l'e-commerce, les carrousels de TVA et la fraude, nous cherchons à mettre en place une auto-liquidation par le fournisseur selon le taux du pays d'arrivée et non du pays de production. Je ne sais pas s'il existe un accord définitif au Conseil, mais on s'orienterait vers une expérimentation, que les Tchèques seraient intéressés de mener. Récupérer ne serait-ce qu'un tiers des pertes serait déjà un gain considérable.

J'ai été nommé rapporteur sur le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) au Parlement européen. J'entrerai en contact avec vous. Pourquoi proposer un supplément européen à l'impôt sur les sociétés ? Nous nous plaçons dans l'hypothèse optimiste selon laquelle un accord serait trouvé sur l'assiette commune de l'impôt sur les sociétés. Nous proposons donc un taux européen au sein d'une fourchette laissée à la décision conjointe prise à la majorité qualifiée au Conseil des ministres des finances et à la majorité au Parlement européen.

Ma première réaction concernant le seuil de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires a été celle d'un paysan béarnais : si l'harmonisation de la notion de chiffre d'affaires consolidé est un progrès, alors pourquoi en priver les petites et moyennes entreprises (PME), même si la question de la consolidation ne se pose certes que pour les grandes entreprises ? Cela attristera sans doute les grands cabinets de conseil fiscaux, mais ni nos entreprises ni nos concitoyens.

La taxe sur les transactions financières ne nous semble pas être une perspective à court terme. À partir du moment où seuls dix pays - dont un de façon incertaine - sont volontaires, cela ne pourrait financer qu'une coopération renforcée. Nous nous sommes en effet intéressés au financement de ces dernières. Si une coopération renforcée se met en place pour la zone euro, cela pourrait être une source de financement - même si, avec le Brexit, il n'est pas urgent d'avancer dans cette voie...

Tous les ministères des finances et toutes les banques centrales de la zone euro ont frisé la crise cardiaque en lisant notre proposition d'affecter à la zone euro les droits de seigneuriage et les bénéfices de la banque centrale européenne. Nous avons voulu savoir combien cela rapportait... Il faut s'adresser à la National Security Agency (NSA) pour le savoir ! Cela serait de l'ordre de plusieurs milliards d'euros, voire plus, même si c'est très variable selon les années... Voilà une mesure qui serait très populaire parmi nos concitoyens, même si elle se heurterait au lobby très puissant de nos ministères des finances et de nos banques centrales.

Comme l'a dit Mario Monti, c'est maintenant que les institutions commencent à réfléchir au prochain cadre financier pluriannuel. Nous, Français, devons nous interroger sur la PAC. Elle nous coûte horriblement cher et les agriculteurs sont dans la situation que nous connaissons, sans compter que cela rend l'Europe très impopulaire dans de nombreux pays. Nous devrions avoir, pour un coût moindre, une politique plus efficace.

La PAC est née de l'exigence de la France, au temps du Général de Gaulle, d'équilibrer un marché commun censé profiter surtout à l'industrie allemande. C'est la seule politique financée intégralement par le budget communautaire. On pourrait imaginer un cofinancement, avec une contribution plus importante pour les pays riches. On peut aider les régions périphériques à rattraper leur retard en matière de services publics fondamentaux, mais a-t-on besoin de Bruxelles pour aider les régions les plus pauvres en Allemagne ou soutenir la politique de la montagne en France ? Si nous voulons faire plus pour la recherche, l'espace, l'aéronautique, il faudra bien prendre l'argent quelque part.

Les droits de douane sont un impôt sans avenir

M. Mario Monti. - ... sauf si le protectionnisme triomphe !

M. Alain Lamassoure. - Je ne crois pas que le protectionnisme prendra cette forme. Il ne faut pas en attendre qu'il rapporte beaucoup d'argent.

Airbus, notre fleuron, a pu décoller mais à l'époque, Mario Monti n'était pas commissaire à la concurrence... Airbus vend 80 % de ses avions hors d'Europe : le protectionnisme n'est vraiment pas la solution ! Nous devrions traduire Free trade non par libre-échange mais par commerce international. Avec la Corée du Sud, l'accord de libre-échange est un triomphe : depuis, la France a un commerce excédentaire avec ce pays.

M. André Gattolin. - C'est toujours le même exemple qui est donné.

M. Alain Lamassoure. - Dans cinq ans je pourrai vous citer le cas du Canada, mais encore faut-il ratifier cet accord, et non le diaboliser !

M. André Gattolin. - Ne vous y trompez pas, j'y suis favorable !

M. Alain Lamassoure. - Les impôts d'avenir au XXIe siècle sont les impôts indirects, pas les impôts directs ; dans un monde où tout circule librement, les talents trop imposés, les entreprises trop imposées s'en vont ! Nous concentrons donc les impôts directs sur les sédentaires comme les PME, les salariés sans qualification particulière...

M. Alain Richard. - Mais les transactions aussi se déplacent !

M. Alain Lamassoure. - Mon propos n'est pas de faire payer les riches, mais d'appliquer un taux infiniment petit sur des milliards d'opérations. Il faut donc en quelque sorte rétablir la gabelle et l'octroi ! J'avais par le passé proposé un impôt sur chaque clic - tous les internautes me sont alors tombés dessus... Dans notre rapport, nous proposons une taxe de 3 centimes sur le kilowattheure d'électricité consommée ; c'est faible mais cela peut rapporter beaucoup.

M. André Gattolin. - Et la téléphonie ? La politique de la concurrence en a baissé les coûts, mais l'Europe n'en a pas profité pour y trouver une ressource...

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Il y a trente agences européennes - ce n'est rien en comparaison avec les 247 que nous avons dénombrées en France. Il y aurait des économies à faire, et cela permettrait de gagner en cohérence vis-à-vis de nos concitoyens.

Concernant la PAC, attention au contexte : aux États-Unis de 2008 à 2012, les aides à l'agriculture ont augmenté de 40 % et coûtent désormais 488 dollars par Américain ; dans le même temps, les aides européennes ont baissé de 17 % et ne représentent que 207 dollars par Européen. L'agriculture est devenue une activité stratégique, et l'alimentation, une arme. Mais vous avez raison : nous ne pouvons pas dépenser autant d'argent pour avoir des gens aussi malheureux, avec l'impression d'aller de crise en crise... Il faut la repenser. Un impôt européen ne sera jamais populaire ; mais il sera nécessaire puisque nous demandons toujours plus à l'Union européenne.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - J'aurai, quant à moi, une réaction de paysanne auvergnate... Nous ne savons pas où il faut peser pour changer les choses. Pendant ce temps, un euroscepticisme puissant continue de monter. Il y a danger dans la maison Europe. Nous souhaiterions avoir des outils pragmatiques pour nous donner au moins l'impression d'avoir prise sur notre avenir.

Un comité de parlementaires nationaux membres des commissions des finances travaillant avec les eurodéputés a été évoqué... Le fossé se creuse dans le vocabulaire même entre les eurodéputés et nous, parlementaires nationaux, qui avons des attitudes différentes, entre les Grecs et les Portugais, très inquiets pour leur avenir, et les autres.

Le citoyen lambda ne s'intéresse pas à notre maison Europe. Les paysans protestent contre l'Europe, alors qu'ils en vivent essentiellement. Lorsque vous faites remarquer qu'un parti politique veut supprimer l'Europe, les gens s'offusquent. Il est temps que les vrais Européens s'unissent, s'ils veulent garder l'idéal de paix, de développement, qui a permis l'accueil des pays sortant de la dictature...

M. Alain Lamassoure. - Le 25 mars, nous nous retrouverons à Rome pour l'anniversaire du traité instituant la Communauté économique européenne. Je suis mille fois d'accord pour travailler en commun entre eurodéputés et parlementaires nationaux, d'autant plus que vous aurez le dernier mot...

M. Mario Monti. - La conférence interparlementaire organisée en septembre 2016 a été très positive.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Mais ce sont des sphères qui ne rencontrent pas le quotidien de nos concitoyens.

La réunion est close à 17 h 10.