Mercredi 19 octobre 2016

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

PLF pour 2017 - Mission « Engagements financiers de l'État », comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce » - Examen du rapport spécial (et communication sur son contrôle budgétaire relatif au rôle des banques spécialistes en valeurs du Trésor)

La réunion est ouverte à 8 h 33.

La commission examine tout d'abord le rapport de M. Serge Dassault, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et le compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce », et entend sa communication sur son contrôle budgétaire relatif au rôle des banques spécialistes en valeurs du Trésor.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur de la mission « Engagements financiers de l'État », je suis chargé de vous présenter les conclusions de la mission d'évaluation relative aux banques spécialistes en valeur du Trésor que j'ai menée et de vous donner des informations sur la situation financière de la France en 2016 et ses perspectives pour 2017.

Ces informations vous permettront, je l'espère, de mieux apprécier les risques financiers qui pèsent sur la France en raison de l'accroissement permanent de son endettement non maîtrisé.

Nous empruntons chaque année environ 200 milliards d'euros : 70 milliards d'euros pour financer notre déficit et 130 milliards d'euros pour payer nos échéances d'emprunt. En règle générale, il est rigoureusement interdit, dans toute gestion financière privée, d'emprunter pour payer des dépenses de fonctionnement et des échéances d'emprunt. Mais notre Gouvernement se l'autorise, depuis un certain nombre d'années... Cela s'appelle de la cavalerie, et c'est synonyme, à long terme, de faillite. Cette pratique est devenue courante en France depuis la présidence de François Mitterrand.

Notre dette publique était de 100 milliards d'euros en 1980 ; elle est aujourd'hui de 2 170 milliards d'euros. Pour la seule dette de l'État, la charge d'intérêts financée par le budget général de l'État sera cette année de 41,8 milliards d'euros. Cela représente plus de la moitié du produit de l'impôt sur le revenu pour 2017, qui sera, d'après les prévisions optimistes du Gouvernement, de 73 milliards d'euros. Ces 41,8 milliards d'euros de charge de la dette représentent 10,75 % des dépenses de l'État.

La charge de la dette, qui est pourtant une dépense stérile, est le deuxième poste budgétaire de l'État, devant les missions « Défense » et « Enseignement supérieur », qui sont pourtant des priorités pour garantir notre sécurité et l'amélioration du taux de croissance potentielle de notre pays.

M. Daniel Raoul. - Attendons de voir 2017 !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Malheureusement, la charge de la dette a vocation à augmenter encore davantage.

En effet, quand nos taux d'intérêt augmenteront, à la suite d'une décision de la Banque centrale européenne ou de la Réserve fédérale américaine, mais aussi et surtout en raison d'une perte de confiance de nos investisseurs, constatant que le Gouvernement actuel ne tient pas ses promesses de réduction de déficit et que la signature de la France n'est plus ce qu'elle était, notre charge de la dette augmentera immédiatement. Nous serons rapidement en cessation de paiement... comme la Grèce !

M. Richard Yung. - Quelle horreur !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Et ce n'est pas l'Europe qui nous sauvera.

D'ailleurs la Commission européenne, par la voix du commissaire Pierre Moscovici, que vous connaissez bien, a récemment rappelé que la France devait respecter ses engagements de réduction des déficits, ce qu'elle ne fait pas. Le Gouvernement ne veut pas changer de politique et réduire les dépenses de fonctionnement financées par des emprunts. C'est la raison pour laquelle la prévision de 2,7 % de déficit présentée par le Gouvernement me paraît insincère, tout comme au Haut Conseil des finances publiques qui considère ce taux comme improbable, pour présenter les choses de façon agréable.

M. Didier Guillaume. - On verra ça !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Notre besoin de financement atteindra, en 2017, 192 milliards d'euros, correspondant à un déficit de 69,3 milliards d'euros et au financement de la dette arrivant à échéance. Il sera financé par un emprunt de 185 milliards d'euros.

Notre dette ne pourra jamais être remboursée, car elle est alimentée par des emprunts couvrant des dépenses de fonctionnement, qui ne rapportent rien. Et plus elle croît, plus nous empruntons pour la payer.

Si le Gouvernement n'émettait pas en continu de nouveaux titres de dette, la France se trouverait en cessation de paiement. Nos investisseurs, de plus en plus inquiets en raison non seulement de notre incapacité à réduire nos dépenses, mais surtout de notre propension à en créer de nouvelles, se trouveront obligés d'augmenter nos taux d'intérêt, ce qui provoquera une catastrophe et la faillite de la France. Nous sommes de plus en plus menacés.

Pour émettre des nouveaux titres, l'Agence France Trésor, qui gère la trésorerie et la dette de l'État, s'appuie sur un réseau d'une vingtaine de banques avec lesquelles elle entretient des relations privilégiées, et qu'on appelle les « spécialistes en valeur du Trésor », ou SVT. Jusqu'à présent, ces banques sont honorées de participer à ces opérations, et nous n'avons jamais eu de problèmes avec elles, mais l'insistance que met le Gouvernement à ne tenir aucun de ses engagements et à continuer d'augmenter ses dépenses, sans faire aucune économie, commence à les inquiéter. À force, les investisseurs peuvent finir par ne plus vouloir acheter nos bons du trésor ou par augmenter leurs taux d'intérêts, ce qui provoquerait immédiatement la cessation de paiement de la France. Cela va bien finir par nous tomber dessus.

Il faudra que nos futurs présidents de la République, quels qu'ils soient, acceptent de mettre en oeuvre une saine gestion de nos finances publiques et cessent d'accorder leur préférence à la satisfaction des électeurs par l'accumulation de niches fiscales, qui représentent aujourd'hui près de 90 milliards d'euros.

M. Didier Guillaume. - Ils vont avoir du travail !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Les impôts ont été créés pour financer les dépenses de l'État et pas pour être redistribués à certains électeurs ; or c'est malheureusement ce qui se passe.

Même le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, que tout le monde applaudit...

M. Didier Guillaume. - C'est vrai !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - ...coûte à l'État 16 milliards d'euros par an, financés par des emprunts.

M. Didier Guillaume. - Il est fait pour les entreprises !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Il est facile de réduire les charges sur salaire en les faisant payer par des emprunts !

C'est le cas de la réduction des charges payées par l'État aux entreprises pour les dédommager des trente-cinq heures payées trente-neuf, dues à la générosité de Martine Aubry. Cette mesure était gratuite pour elle, mais pas pour les contribuables. En effet, elle coûte chaque année 21 milliards d'euros, qui sont empruntés, ce qui représente plus de 300 milliards d'euros depuis 2000. Quel bénéfice en tire l'économie française ? Aucun ! Que l'on supprime la limitation de la semaine de travail à trente-cinq heures et l'on fera une économie significative de 21 milliards d'euros.

M. Daniel Raoul. - Bon courage !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Il faudrait également que nos futurs présidents de la République suppriment au moins la moitié des niches fiscales, lesquelles représentent 90 milliards d'euros en diminution de recettes. En diminuant le coût de ces niches de 45 milliards d'euros, nous pourrions commencer à réduire nos déficits.

Une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de nos têtes : la hausse des taux d'intérêt. Ceux-ci peuvent augmenter dans tous les pays de la zone euro, mais ils pourraient également être relevés uniquement par nos investisseurs, découragés par notre politique budgétaire laxiste. Si nos futurs présidents ne se préparent pas à ces menaces, l'avenir de la France comme puissance économique est très menacé.

Heureusement, nous n'en sommes pas encore là, car nos prêteurs ne semblent pas encore inquiets, mais nous continuons à nous endetter sans limites. La dette publique s'élève aujourd'hui à 2 170 milliards d'euros, mais il est presque certain que nous allons passer à 2 200 milliards d'euros, puis à 2 300 milliards d'euros... Où s'arrêtera cette folie, que nous ne pourrons jamais rembourser ?

Il serait indispensable que les candidats à l'élection présidentielle prennent conscience de ces problèmes, ce qui ne semble pas être le cas. Ils paraissent préférer promettre des cadeaux à leurs électeurs sans penser à la France.

Je tiens enfin à vous signaler notre engagement à l'égard de la Grèce à hauteur de 239,6 millions pour 2017, ce qui n'est pas énorme. En revanche, nous nous sommes engagés à prêter à la Grèce 40 milliards d'euros si ce pays faisait défaut à ses engagements, ce qui est de l'ordre du probable. Nous aurions donc à supporter 40 milliards d'euros de charges supplémentaires.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » qui s'élèvent, pour 2017, à 42,15 milliards d'euros, en espérant qu'ils n'augmentent pas plus, et des comptes spéciaux dont je suis également rapporteur.

M. Roger Karoutchi. - A la lecture de la note de présentation, j'ai été interpellé par le comparatif avec l'Allemagne, notre principal partenaire. En effet, il y est précisé que la dette par actif a augmenté pratiquement de 10 % en France entre 2012 et 2015, contre une baisse de 5 % pour l'Allemagne dans le même temps.

La facilité de la France à recourir à la dette, qu'a regrettée Serge Dassault, n'est-elle pas d'autant plus préjudiciable dans le cadre d'une relation de compétitivité avec notre principal partenaire ? En d'autres termes, n'accroît-on pas nos handicaps commerciaux par rapport à l'Allemagne ?

M. Richard Yung. - Il est effectivement important que les politiques budgétaire et de la dette ne soient pas basées sur la recherche de cadeaux à faire à des électeurs. Une telle attitude serait tout à fait condamnable, quel que soit le bord politique qui en est responsable.

M. Roger Karoutchi. - Ce serait inadmissible.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Tout le monde doit le condamner !

M. Richard Yung. - Concernant le point soulevé par Roger Karoutchi, je ne suis pas sûr que le critère de la dette par actif soit pertinent. Vous connaissez la situation allemande, caractérisée par une population très vieillissante, avec un fort taux d'épargne et un patrimoine immobilier stabilisé. Les Allemands ne sont donc pas dans la même situation que nous.

Le vrai critère, c'est le coût horaire par salarié. Or, sur ce point, les situations française et allemande se sont rapprochées, pour être quasiment au même niveau.

Serge Dassault évoque une baisse des taux d'intérêt qui n'est pas réellement liée à la qualité de la signature de la dette française. Cette affirmation me pose problème, car elle donne l'impression qu'elle pourrait être liée à autre chose, mais alors à quoi ? Pour ma part, je crois savoir que la signature française est au contraire très valorisée, venant juste après l'Allemagne sur l'ensemble des marchés monétaires et financiers. J'en veux pour preuve notre importante contribution à la politique du quantitative easing que pratique la BCE en achetant des montants importants de titres français, car elle considère qu'ils sont de bonne qualité.

Reste qu'effectivement le marché peut évoluer...

M. Philippe Dallier. - Les taux d'intérêt sont volatiles !

M. Richard Yung. - La fin de la récréation sera peut-être sifflée en décembre par la Réserve fédérale américaine, la Fed, et nous aurons alors à assumer. Pour autant, je le répète, la signature de la France est bonne et nous n'avons pas de mal à placer notre papier.

M. Éric Bocquet. - Ma première question prolonge ce que Richard Yung vient de dire. Comment la France, qui serait surendettée, au bord de l'apocalypse, peut-elle encore emprunter sur les marchés financiers ? Richard Yung a apporté un début de réponse en affirmant que notre signature était fiable, reconnue, sérieuse, ce que je crois également. Néanmoins, j'aimerais avoir un éclairage sur ce point.

Ma seconde question concerne les aides à la Grèce. J'ai lu dans un article très sérieux sur le site internet du journal Le Figaro que 10 % des 125 milliards d'euros d'aides versées à la Grèce depuis 2010 sont allés effectivement dans les caisses de l'État, 90 % de cette somme ayant bénéficié aux banques. Pouvez-vous me confirmer cette information ?

M. Philippe Dallier. - Jusque-là, tout va bien, grâce à la qualité de la signature de la France mais, comme le soulignait Roger Karoutchi, le décrochage entre la France et l'Allemagne aura un jour des conséquences.

M. Didier Guillaume. - Ce n'est pas vrai !

M. Philippe Dallier. - Mais si ! Ce qui m'inquiète, c'est que vous avez l'air non pas de baigner dans l'optimisme, mais de considérer qu'on peut toujours s'endetter plus sans aucun risque de décrochage ou de flambée de nos taux d'intérêt. Plus le temps passe, plus le risque que les taux d'intérêt remontent devient important. Avec une maturité de sept ans en moyenne, nous savons ce que nous coûterait une hausse de 100 points de base.

À l'heure actuelle, il est paradoxal que nous soyons toujours plus endettés et que cela nous coûte à peine plus que l'année dernière, mais cette situation aura une fin. Aussi, il vaudrait mieux que nous nous y préparions en abordant ce sujet avec le recul nécessaire.

À mon sens, nous allons droit dans le mur ; c'est juste une question de temps. Je crains que le réveil, peut-être en décembre après les élections américaines, ne soit douloureux. En tout état de cause, la remontée des taux commence à se profiler, et le jour où elle surviendra, cela fera très mal, sachant qu'une augmentation de 100 points de base représenterait 2 milliards d'euros supplémentaires de charge de la dette dès la première année.

M. Bernard Lalande. - Le rapport de Serge Dassault constitue presque un catalogue de prescriptions sur la manière de gérer la France sans dette. Or je constate que, depuis la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, la France s'est toujours endettée. La situation aurait-elle été très mal gérée jusqu'à aujourd'hui, les prescriptions délivrées par le docteur Dassault permettant enfin, dans les mois qui viennent, de redresser la situation ?

La comparaison permanente avec l'Allemagne m'interroge également. Nous sommes actuellement la sixième puissance mondiale, tandis que l'Allemagne doit être la cinquième. Notre seul objectif serait-il de passer devant l'Allemagne ? Serait-ce le seul enjeu ? À mon sens, il s'agit surtout de pouvoir adapter une économie territoriale à la culture d'un pays, à sa façon d'avoir construit son unité.

Bien évidemment, il peut être nécessaire de recourir au déficit. J'en veux pour preuve la lecture de certains programmes : pour financer le futur, beaucoup de candidats à de hautes fonctions préconisent d'accroître l'endettement et le déficit public. Soit ils sont irresponsables, soit cette voie n'est pas sans issue.

Enfin, vous dites que la dette augmente en nominal, mais il faut aussi prendre en considération l'augmentation de la richesse du pays. Il faut relativiser l'endettement en fonction non pas de l'endettement des autres pays, mais de l'augmentation de notre richesse.

Serge Dassault, vous avez certainement raison, il faut « nettoyer la table » en matière de dette. Mais à condition, bien évidemment, que ce nettoyage n'entraîne pas de récession ou de ralentissement de la distribution de la richesse pour le plus grand nombre dans notre pays.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - On peut toujours dire que la signature de la France est respectée - pour l'instant. Quand j'interroge les banques, elles ne sont pas encore inquiètes, mais cela ne doit pas nous dispenser de l'être. La signature de la France est liée aujourd'hui à une conjoncture correcte, mais il ne faut pas oublier qu'elle dépend aussi, à terme, de notre endettement, donc de l'absence de réduction des déficits.

Pour être tout à fait honnête, je reconnais que la responsabilité d'une telle situation incombe à tous les présidents, de gauche comme de droite, qui ont tous emprunté pour couvrir des dépenses de fonctionnement. C'est inadmissible ! Si on n'a pas d'argent pour faire ce qu'on a envie de faire, on ne le fait pas, comme dans les entreprises.

En France, depuis toujours, les présidents de la République ont pris l'habitude d'emprunter chaque fois qu'ils voulaient faire un petit cadeau à leurs électeurs, et cela va continuer si l'on considère les programmes de plusieurs candidats à la présidence de la République, qui viennent pour l'instant d'un seul bord politique, puisqu'on ne connaît pas encore les autres protagonistes.

M. Didier Guillaume. - C'est vous qui voulez emprunter !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - C'est de l'inconscience totale ! C'est l'avenir de la France qui est en jeu ! Comme l'a dit Philippe Dallier, la fin des taux d'intérêt bas étant proche, la catastrophe nous pend au nez. Il suffirait que nos investisseurs, qui pour l'instant nous ont maintenu leur confiance, s'inquiètent et arrêtent de nous prêter de l'argent à des taux aussi faibles pour que tout s'effondre.

C'est pourquoi il faut arrêter d'emprunter pour couvrir les dépenses de fonctionnement. Tout le monde s'extasie sur le CICE, mais avec quoi est-il financé ? De l'emprunt. Arrêtons de dépenser l'argent que l'on n'a pas. C'est une évidence qui s'impose partout et toujours. Le problème est purement financier.

La France est mal gérée, au contraire de l'Allemagne, qui a arrêté de financer des dépenses pour faire plaisir à des cibles électorales. Or, en France, le Gouvernement continue à supprimer des impôts à travers l'instauration de niches fiscales toujours plus nombreuses. Les bénéficiaires sont sans doute très contents, mais les comptes publics en pâtissent.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

La commission décide également de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organisme gérant des services publics » ainsi que du compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce ».

La commission donne acte de la communication du rapporteur spécial sur son contrôle budgétaire relatif au rôle des banques spécialistes en valeur du Trésor et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

PLF pour 2017 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial (et communication sur son contrôle budgétaire relatif à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP))

La commission examine ensuite le rapport de M. Didier Guillaume, rapporteur spécial, sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative », et entend une communication sur son contrôle budgétaire relatif à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP).

M. Didier Guillaume, rapporteur spécial. - Le rapport sur cette mission est toujours un moment d'évasion au coeur du budget, puisque nous nous intéressons rarement à ce sujet sous un angle budgétaire. Certains pratiquent la course le matin, et d'autres regardent plutôt le sport à la télévision.

La mission « Sport, jeunesse et vie associative » regroupe les crédits de deux programmes : le programme 219 « Sport » et le programme 163 « Jeunesse et vie associative ».

Ces programmes ont pour point commun de ne rassembler qu'une faible partie de l'ensemble de l'effort public en faveur de la politique publique en question. Ainsi, pour la jeunesse et la vie associative, de multiples missions du budget général viennent en soutien des associations, et la priorité du quinquennat sur la jeunesse s'est traduite dans le financement de dispositifs qui relèvent par exemple de l'éducation nationale ou encore de la mission « Travail et emploi ».

Pour le sport, outre les dépenses du centre national pour le développement du sport (CNDS) qui ne sont pas comptabilisées dans le budget, l'effort public est massivement réalisé par les collectivités territoriales. Dans les comparaisons internationales, la France se caractérise ainsi par un fort soutien public au sport non seulement de l'État, mais surtout des collectivités territoriales. Notre collègue François Baroin ne me contredira pas.

Le budget 2017 pour cette mission est celui de la continuité et de la consolidation des engagements pris ces dernières années : poursuite de la montée en puissance du service civique, qui est une réalité, même si l'on peut y être opposé ; pérennisation des mesures prises dans le cadre du comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté, notamment le plan « Citoyens du sport ».

En conséquence, la dotation de la mission est en forte progression, passant de 610 millions d'euros en 2016 à 734 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2017. Cette progression, comme l'année dernière, est due essentiellement à la montée en charge du service civique, pour 95 millions d'euros supplémentaires, et à une mesure de périmètre sur le programme 219, pour 36 millions d'euros. Si l'on neutralise l'effet service civique et que l'on raisonne à périmètre constant, les crédits de la mission sport sont en baisse de 3,3 %, résultat d'une volonté assumée par le Gouvernement de faire participer les budgets qui ne sont pas prioritaires à la baisse des dépenses publiques.

J'en viens au programme 219 « Sport », marqué par une grande stabilité des interventions de l'État. Tout d'abord, les subventions aux fédérations sportives sont strictement identiques, soit 78,7 millions, en tenant compte d'un fonds de concours du CNDS. J'avais fait, l'an passé, des préconisations pour une modernisation des relations financières entre l'État et les fédérations. En effet, on se passionne pour les grandes manifestations sportives telles que les Jeux olympiques, mais on s'étonne qu'avec 41 médailles, ce qui est un bon résultat, on se retrouve loin derrière d'autres nations, pas forcément plus sportives que la nôtre. Il m'est apparu que le financement strictement annuel des fédérations sportives les gênait pour avoir une vraie visibilité dans leur politique de formation des sportifs de haut niveau. La nouvelle directrice des sports du ministère semble s'engager dans une démarche pluriannuelle afin de laisser plus d'autonomie aux fédérations. J'avais indiqué que les critères d'attribution des subventions étaient beaucoup trop tatillons, alors que le rôle de la direction des sports devrait plutôt être de donner des orientations aux fédérations, et de se contenter d'un contrôle a posteriori pour vérifier leur action. J'ai le sentiment que le ministère des sports s'engage dans cette direction, ce qui est souhaité par toutes les fédérations dans la perspective des Jeux olympiques de 2024.

Ensuite, les subventions aux différents opérateurs du sport sont stables ou en augmentation. C'est notamment le cas de la subvention de fonctionnement à l'INSEP, qui est fixée à 22,1 millions d'euros, après une année 2016 où le fonds de roulement de l'opérateur a été mis à contribution, comme d'autres fonds de roulement. C'est également le cas de la subvention à l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui s'établit à 8,5 millions, en hausse de 9 % par rapport à 2016.

Non retracé par les crédits de la mission, le CNDS est marqué par deux mouvements de sens opposés. D'un côté, il connaît une légère réduction de ses ressources et de ses interventions traditionnelles de 4,3 millions d'euros. Je parle dans mon rapport d'un « coeur d'activité maîtrisé », car c'est la réforme engagée en 2012-2013 pour recentrer le CNDS sur les territoires les plus carencés qui a permis de sauver l'établissement de la faillite et de pérenniser son action essentielle à la vitalité de nos territoires, puisque beaucoup de collectivités territoriales y ont recours pour financer leurs équipements sportifs. De l'autre côté, le CNDS voit se développer des interventions nouvelles exceptionnelles, avec le financement renouvelé de la candidature de Paris 2024, à hauteur de 10 millions d'euros cette année, et la première tranche d'un programme de rénovation des équipements sportifs en outre-mer, pour 10 millions d'euros également. À cet égard, je tiens à souligner l'importance de ce plan de rénovation quadriennale, pour permettre à l'outre-mer de disposer d'installations sportives dignes de ce nom et à la hauteur de son rôle majeur dans le sport français. En effet, nous devons de nombreuses médailles olympiques aux athlètes ultramarins, notamment antillais.

J'en viens au programme 163 « Jeunesse et vie associative ». Le fait marquant de ce programme, c'est la poursuite de la montée en charge du service civique, qui doit accueillir 150 000 jeunes en 2017, contre 52 000 en 2015 et 110 000 en 2016. J'ai entendu le président de l'Agence du service civique, Yannick Blanc, qui m'a indiqué que l'objectif de 110 000 jeunes en 2016 était en passe d'être tenu. En mobilisant l'ensemble des services de 1'État sur des grands programmes d'accueil de volontaires depuis 2015, l'Agence a réussi son pari d'une massification du service civique. Pour franchir la deuxième étape en 2016, l'adhésion des collectivités territoriales sera importante, car elle permettra de répondre aux attentes des volontaires au plus près du terrain, alors que la mobilité géographique est souvent un frein à l'engagement.

D'un point de vue financier, la dotation pour le service civique s'établit ainsi à 390 millions d'euros, soit une hausse de 32 %. Le service civique représentera ainsi en 2017, pour la première fois, plus de la moitié des crédits de la mission.

Les dépenses de l'Agence sont, à 90 %, tournées vers l'indemnisation des volontaires, qui perçoivent 467 euros par mois, et des structures d'accueil. Les dépenses de fonctionnement sont limitées, s'établissant à environ 15 millions d'euros, dépenses de personnel comprises. Pour accompagner cette montée en puissance, l'Agence verra son plafond d'emploi remonté de 71 à 81 ETPT.

À côté du service civique, le programme 163 finance également plusieurs dispositifs en faveur de la vie associative. Il s'agit en particulier du Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) qui voit ses crédits préservés à hauteur de 31,4 millions d'euros. Ce fonds soutient les emplois, notamment d'encadrement, dans un ensemble d'associations afin d'en favoriser le lancement ou la pérennisation.

Les autres dispositifs en faveur de la jeunesse et de la vie associative connaissent des baisses de crédits, pour un total d'environ 2 millions d'euros.

Au total, la mission « Sport, jeunesse et vie associative » reflète la mise en oeuvre des engagements du Gouvernement : le soutien à l'universalisation progressive du service civique, avec un effort supplémentaire d'environ 100 millions d'euros ; la pérennisation de certaines initiatives citoyennes en faveur du sport ou de la vie associative ; la concentration des investissements de l'État et du CNDS dans les équipements sportifs sur les territoires les plus en retard, en particulier l'outre-mer.

Au regard de ces éléments, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

Je vais maintenant vous présenter mon rapport de contrôle budgétaire sur l'INSEP. On en parle beaucoup, mais on ne sait pas toujours quel est son rôle. Il était important de voir comment cet organisme fonctionnait, dans la mesure où la moitié des médaillés olympiques de cette année en sont issus.

M. Francis Delattre. - C'est facile ; ils pillent les clubs !

M. Didier Guillaume, rapporteur spécial. - La question à laquelle je cherchais à répondre est la suivante : au terme d'un vaste chantier de rénovation du site, l'INSEP a-t-il et se donne-t-il les moyens de ses ambitions en matière de performance sportive ? À cet égard, je ne suis pas d'accord avec Francis Delattre, car si l'on souhaite des sportifs de très haut niveau « médaillables », ils ne peuvent pas rester dans les clubs. Ce constat est assez largement partagé. Si nous souhaitons atteindre la haute performance, il faut miser sur cet institut.

Tout d'abord, je constate que le financement de 1'INSEP est éclaté. Le soutien de l'État se compose de deux dotations : une subvention de fonctionnement et une prise en charge directe des dépenses d'investissement.

S'agissant du fonctionnement, la part de crédits publics est de plus en plus réduite, ici comme ailleurs. Elle a été compensée par une augmentation des frais de pension demandés aux sportifs, ce qui a posé des problèmes à beaucoup d'entre eux. En effet, même si leurs revenus mensuels varient en fonction de leur discipline, ils sont souvent peu élevés en regard des efforts fournis. Certains sportifs n'ont pas les moyens de payer ces frais de pension sans l'aide, variable, de leur fédération. Je pense donc que ces frais de pension ont atteint une forme de plafond, qu'il ne serait pas raisonnable de dépasser.

Je fais donc deux recommandations : il convient que la part de crédits publics soit désormais pérennisée au montant actuel et il faudrait que ce financement soit complété par de nouvelles ressources propres à imaginer, qu'elles soient publiques ou privées. Au-delà du mécénat, où l'INSEP est en concurrence avec les fédérations partenaires, il pourrait être envisagé le paiement d'une « soulte », en cas de transfert d'un athlète formé par l'INSEP vers une ligue professionnelle. C'est ce qui se fait dans certaines disciplines, notamment en football, et peut-être pourrait-on étendre ce système. Du coup, les clubs pourraient récupérer l'argent investi pour la formation du sportif concerné.

S'agissant des investissements, l'État prend en charge directement le paiement des charges. La rénovation a permis à l'INSEP de disposer d'équipements de grande qualité, dans toutes les disciplines. J'ai pu le voir sur place : il s'agit d'un atout majeur pour le sport de haut niveau français et pour la candidature de Paris 2024.

Cette rénovation ne va pas sans poser un certain nombre de questions financières. En particulier, le partenariat public-privé de la zone Nord du site se caractérise par d'importants surcoûts, en raison des avenants qui sont régulièrement conclus. La formule de la maîtrise d'ouvrage publique, retenue pour la partie Sud du site, permet une plus grande prévisibilité des dépenses.

Au total, le coût de la rénovation sur l'ensemble de la période est estimé à 219 millions d'euros, dont 165 millions d'euros qui ont déjà été réglés. Or, le montant prévisionnel était de 115 millions d'euros, soit presque moitié moins.

L'enjeu, désormais, est de maintenir cet outil, de le préserver dans cet état d'excellence qui conditionne la performance de notre sport de haut niveau. Pour cela, il convient de permettre à l'INSEP, en maintenant la subvention, de mettre en oeuvre son plan pluriannuel d'investissement pour réaliser des travaux réguliers de remise en état des installations.

Au-delà des aspects financiers, le principal défi de l'INSEP est de se donner les moyens de son ambition en termes de visibilité et d'organisation. C'est la seule possibilité d'obtenir des recettes supplémentaires.

Le directeur général de l'INSEP, Jean-Pierre de Vincenzi, souhaite s'orienter davantage vers la haute performance, plutôt que vers le haut niveau. Il s'agit d'un choix politique assez clair qu'il assume. Pour être plus précis, jusqu'à maintenant, l'INSEP accueillait sans distinction les athlètes de haut niveau inscrits sur les listes du ministère des sports. Or, on s'apercevait que les médailles dans les grands championnats n'étaient pas au rendez-vous. Dorénavant, et dans la perspective de Paris 2024, l'INSEP devra choisir entre une sélection plus importante pour ne recruter que les « médaillables » et l'accueil des tous les sportifs de haut niveau. Cela n'est pas tout à fait la même chose.

En ce qui me concerne, je suis d'accord avec cette approche sélective, sauf à ce qu'elle conduise à une approche britannique de surconcentration des moyens sur les seules disciplines pourvoyeuses de médailles. Ainsi, le Royaume-Uni n'envoie dans les grandes compétitions internationales que les seuls athlètes qui peuvent être médaillés, ce qui est différent de l'approche française, que nous devons conserver, avec un peu plus de sélection.

Pour cela, l'INSEP doit s'appuyer sur le réseau « Grand INSEP » en cours de constitution. La réorganisation des CREPS au niveau régional, prévue par la loi, doit être l'occasion d'une meilleure association et d'une mutualisation avec l'INSEP, pour permettre cette labellisation, et, surtout, la mise en place de meilleures filières décentralisées au niveau régional.

L'INSEP devra également s'appuyer sur l'attractivité de sa marque, qu'elle pourrait renforcer et enrichir en devenant un centre de préparation olympique, selon le label qui a été récemment créé par le Comité international olympique.

L'INSEP est à la croisée des chemins, au moment où l'État doit réduire ses dépenses. Pour maintenir son ambition et préserver son site exceptionnel, l'INSEP a besoin de ressources stables et d'une dynamique collective avec les fédérations et les CREPS. Si la candidature de Paris est retenue pour les JO de 2024, les crédits et la dynamique suivront assez naturellement. En revanche, si tel n'est pas le cas, la subvention de l'État risque de continuer à décroître. C'est pourquoi il faut dès aujourd'hui expérimenter de nouvelles ressources et tisser des liens régionaux, pour que l'INSEP continue malgré tout d'avoir les moyens de son ambition en matière de haute performance sportive.

M. Éric Bocquet. - Je voudrais revenir sur l'Euro 2016. Des conditions fiscales particulièrement avantageuses ont été accordées à l'UEFA pour organiser cette compétition en France. J'aimerais savoir s'il y a quand même eu des retombées pour le mouvement sportif. En d'autres termes, une partie des recettes a-t-elle été consacrée au développement et à l'aide des clubs amateurs du pays, par exemple ? Il faut savoir que les règles d'organisation de ce tournoi étaient très strictes, notamment pour protéger les grands sponsors. Il y avait notamment un fabricant de boissons gazeuses sucrées et un distributeur de sandwichs américains. À cette occasion, ces sponsors imposent leur règle du jeu, y compris aux commerçants locaux autour des stades quand les matchs ont lieu. Pour assurer la pérennité du financement de l'INSEP, n'y a-t-il pas là une piste de travail pour trouver des recettes nouvelles, dans la perspective des Jeux olympiques notamment ? Autrement dit, les règles du sponsoring imposées par le Comité international olympique seront-elles les mêmes si la France est retenue pour l'organisation des Jeux olympiques en 2024 ?

M. Jean-Claude Boulard. - Notre rapporteur spécial a rappelé que les collectivités locales finançaient l'essentiel des équipements sportifs. C'est peut-être le moment de faire passer un message aux fédérations pour les calmer sur le plan normatif. Elles pêchent en effet par excès de zèle en la matière. Il n'y a pas d'année sans que des vestiaires, des sanitaires, des changements dans le rayon de la raquette du terrain de basket ne viennent impacter gravement les finances des collectivités locales. Il n'y a pas que l'État qui invente des normes. Notre assemblée doit envoyer un message extrêmement fort aux fédérations sportives.

Par ailleurs, je suis souvent frappé par le train de vie des fédérations, qui mérite d'être examiné. Les petits clubs s'agacent du montant des prélèvements sur les licences au profit des fédérations, dans certains cas pour financer des dîners de gala.

Enfin, nous avons supprimé voilà deux ans la taxe sur les spectacles au profit de la TVA à 5,5 %, classant de ce fait le football professionnel dans la catégorie des produits de première nécessité. C'est hallucinant ! Nous devrions peut-être réfléchir à l'opportunité de revenir sur cette décision.

M. Jean-Claude Requier. - Je voudrais à mon tour féliciter le rapporteur pour son rapport, qui est particulièrement sportif, au sens de la camaraderie et de la convivialité. Il est vrai que le sujet est moins polémique que celui de la dette de l'État.

Tout d'abord, je salue la montée en puissance du service civique, puisque 150 000 jeunes seront concernés en 2017, et 350 000 en 2020. Le RDSE est très favorable à cette évolution. Yvon Collin avait d'ailleurs fait un rapport en ce sens.

Je lis dans le rapport qu'il y a une répartition géographique des crédits du CNDS. Quelle est sa logique ? Je vois que la ligue de football de la Méditerranée reçoit de l'argent. Pourquoi pas les autres ?

Je conclurai en illustrant les propos de Jean-Claude Boulard sur les normes. Lorsque le club de football de ma commune est monté en série régionale, comme il manquait quelques lux à l'éclairage du stade, il a fallu faire des travaux importants pour le mettre aux normes.

M. Dominique de Legge. - Je souhaite aussi intervenir dans le même sens que Jean-Claude Boulard. Je constate, à la lecture du rapport, que les dépenses des collectivités territoriales représentaient six fois celles de l'État. À un moment où nous devons tous faire un effort de maîtrise de la dépense publique, je pense que les fédérations devraient être sensibilisées à cette question. Plus précisément, dans les sommes consacrées au sport par les collectivités territoriales, comptabilisez-vous seulement les dépenses de fonctionnement ou y a-t-il aussi les dépenses d'investissement, c'est-à-dire les mises aux normes, qui sont de plus en plus coûteuses ?

Je voudrais aussi insister sur le reversement aux fédérations départementales et nationales, qui consiste souvent à prendre les trois quarts du coût des licences pour les donner à des gens qui restent bien loin des stades.

M. Philippe Dallier. - Ma question porte sur la situation de l'AFLD. Le rapporteur spécial nous a dit que ses crédits augmentaient de 9 % cette année mais, dans le rapport, il apparaît que cette hausse est en trompe-l'oeil, puisque le nombre des contrôles va diminuer. Cela s'expliquerait par le fait que le fonds de roulement de l'agence a été complètement consommé les années précédentes. Le rapport met notamment en cause la réserve de précaution, auparavant de 5 %, maintenant de 8 %. Est-ce à dire qu'après avoir inscrit des crédits en hausse en loi de finances initiale, le Gouvernement les rabote systématiquement en cours d'année avec la réserve de précaution ? Si tel est le cas, je m'interroge sur la sincérité des chiffres qui nous sont présentés.

M. André Gattolin. - On parle beaucoup de l'évaluation des sportifs au regard de leur performance, notamment olympique, mais il ne faut pas oublier que ces athlètes ont besoin d'éducation. Je n'entrerai pas dans la polémique sur leur niveau culturel et leur capacité à assassiner la langue française lorsqu'ils s'expriment à la télévision, mais je m'intéresse à leur avenir post-sportif. La question de la formation et de l'éducation générales des sportifs est un vrai sujet. Il existe dans certains lycées des sections sports-études et l'INSEP dispense des formations assez intéressantes pour gérer l'après-carrière, mais nous sommes quand même en retard, notamment par rapport aux États-Unis et à d'autres pays d'Europe, où le sport universitaire est très organisé. Nos universités sont complètement défaillantes dans leur soutien aux sportifs, non seulement pour ce qui concerne la pratique sportive proprement dite, mais également pour leur permettre d'aborder sereinement leur vie d'après. Qu'est-ce qui est prévu dans le programme 219 pour l'éducation et la formation de nos jeunes sportifs ?

M. Francis Delattre. - Autant j'apprécie l'implication du rapporteur pour présenter son rapport, autant certains aspects de ce rapport me plaisent moins.

Pour les sports olympiques, en dehors des quatre grands que nous connaissons tous, ce sont essentiellement les collectivités territoriales qui assurent les dépenses d'infrastructure et de fonctionnement, il faut le dire avec force.

L'INSEP capte les meilleurs sportifs formés par les clubs, ce qui crée chez eux une grande frustration. À cela s'ajoute le fait que les fédérations sportives - notamment la fédération française d'athlétisme - ne font jamais de retour d'information aux clubs formateurs, à part peut-être la fédération française de tennis.

L'INSEP est-il l'endroit idéal pour la formation des sportifs de haut niveau ? J'en doute fortement : les entraîneurs se disputent pour pouvoir y entraîner, le suivi médical des sportifs est très approximatif, comme le prouvent les blessures récurrentes de Teddy Tamgho, par exemple. Il faut décentraliser la formation des sportifs, la confier à des grands clubs, qui pourraient avoir des résultats meilleurs que l'INSEP.

Dans le petit club d'athlétisme de la ville de Franconville dont je suis l'élu, on comptait quatre sélectionnés pour les Jeux olympiques. Je ne suis pas sûr que l'INSEP puisse prétendre au même ratio, alors même qu'il nous a pris nos meilleurs jeunes depuis dix ans.

Tous ces sports - athlétisme, natation... - souffrent d'un important déficit de visibilité, sauf quand arrivent les Jeux olympiques ou des grands événements. Les fédérations, et notamment la fédération d'athlétisme, négocient très mal les droits TV, notamment avec France 2.

Cette situation, je le répète, est d'autant plus frustrante pour les clubs que, lorsqu'un des athlètes ou nageurs qu'ils ont formés a une médaille, on ne parle que du sponsor ou de la fédération, jamais du club, qui a financé 90 % de sa formation.

Il y a un autre sport qui a des médailles olympiques : l'équitation. Rien que pour le parc équestre de Lamotte-Beuvron, on compte deux médailles d'or et une médaille d'argent lors des Jeux de Rio. Et c'est ce sport que l'on a assassiné en faisant passer la TVA de 5,5 % à 20 %, prétendument à cause de Bruxelles. Aujourd'hui, un tiers des centres équestres sont en grande difficulté. C'est pourquoi je demande que leur soit appliquée une TVA de 10 %.

Mme Michèle André, présidente. - Nous aurons peut-être l'occasion de discuter de ce sujet demain, dans l'hémicycle, où se tiendra un débat sur les conclusions du rapport d'information de la commission des affaires économiques sur la situation de la filière équine.

M. Serge Dassault. - J'aurai une seule question à poser au rapporteur spécial : comment les subventions arrivent-elles au club ? Par l'Etat, la région, le département, la commune ?

M. Éric Doligé. - J'aimerais, moi aussi, que les chiffres du rapporteur soient complétés en indiquant le nombre de médailles internationales ou olympiques à côté des sommes allouées par pays pour le sport. Nous aurions ainsi une idée de la rentabilité, même si le terme n'est pas adapté, de la dépense publique en faveur du sport par pays, ce qui nous permettrait de comparer.

Il faut aussi prendre garde à une chose : le nombre de médailles distribuées par les Jeux olympiques augmente de façon considérable d'une olympiade à une autre ; on ne peut donc pas prétendre que la France en glane de plus en plus. En proportion, ce n'est pas le cas.

J'ajouterais également à ce tableau une colonne supplémentaire sur la richesse des fédérations sportives. Quand, dans nos petites communes, nous les convions pour inaugurer les petits travaux que nous faisons pour nos petits clubs, les fédérations nous regardent toujours de très haut. Il serait donc intéressant de connaître leurs finances.

Le rapport fournit le montant des primes distribuées aux sportifs médaillés olympiques et à leurs entraîneurs, en fonction de la couleur de la médaille. Certaines primes distribuées par le passé ont été défiscalisées. Est-ce le cas pour les primes accordées aux médaillés olympiques ? Et que se passe-t-il quand un même sportif obtient plusieurs médailles ?

M. Michel Canevet. - Je salue à mon tour la démonstration passionnée du rapporteur. Il a bien expliqué que l'investissement de l'État dans le sport et la vie associative dépasse de loin les seules sommes apparaissant dans le budget.

La dotation au Centre national pour le développement du sport tend à diminuer, ce qui fait peser des contraintes de plus en plus lourdes sur les collectivités territoriales. Le CNDS pourra-t-il au moins accompagner les projets financés par les collectivités territoriales pour les mises aux normes des installations ? La baisse des dotations est-elle fonction de la baisse proportionnelle des taxes affectées ?

Je remarque par ailleurs l'importance des réductions impôts consenties pour le financement de la vie associative : environ 2 milliards d'euros. Sur cette somme, combien est affecté au financement du sport ?

Un mot enfin sur le développement du service civique. Le nombre de bénéficiaires va augmenter de manière très significative dans les années qui viennent, cela a été dit. On parle, pour accompagner ce développement, de 10 postes supplémentaires dans l'Agence du service civique. Quels seront, dans le détail, les moyens nécessaires pour faire face à ce développement ? Cela va-t-il induire des dispositifs particuliers notamment en local, avec une représentation plus forte de l'Agence dans les territoires, alors qu'elle s'appuyait jusqu'alors sur les directions départementales de la cohésion sociale, les DDCS ?

M. Thierry Carcenac. - Un mot sur la décentralisation des centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) et pour lesquels la dotation augmente de 6 %. Je préside la commission consultative sur l'évaluation des charges : nous avions traité de ce sujet avant même la fusion des régions et une étude devait être faite par l'État pour quantifier la masse de transferts opérés cette année. Qu'en est-il ? Les 60 millions d'euros de subvention de fonctionnement à destination des CREPS intègrent-ils le traitement des difficultés évoquées par les régions ?

M. Jean Pierre Vogel. - Quelques mots pour revenir sur les propos de Francis Delattre au sujet de la filière équine. L'équitation, c'est la seule discipline individuelle qui se pratique en couple : avec un cheval. C'est un sport qui fait appel essentiellement à des personnes privées pour investir dans les manèges, les carrières, la cavalerie. Quand les collectivités territoriales investissent également, cela crée des situations où la concurrence est disproportionnée.

La TVA dans ce secteur est passée de 5,5 % à 20 %, avec des conséquences désastreuses. Le chiffre d'affaires des centres équestres a baissé de 10 % en deux ans. La moyenne de l'excédent brut d'exploitation par établissement est de 1 500 euros par mois, pour des personnes qui travaillent 70 heures par semaine.

Le sport équestre fait travailler toute une filière professionnelle. Je rappelle tout de même que c'est la troisième fédération de France, derrière le football et le tennis. Et pourtant ses membres, même les meilleurs, gagnent très peu d'argent comparé aux deux premières.

La directive européenne doit donc être revue, et la TVA abaissée au maximum à 10 %. C'est crucial, car une structure équestre disparaît tous les jours en France.

M. Alain Houpert. - Le sport équestre est un élément important d'aménagement du territoire. Tous les centres sont situés hors des villes et des métropoles, dans des zones rurales. Bien sûr, cela a un coût. Un cheval coûte plus cher qu'un ballon. Mais l'augmentation de la TVA a été une erreur pour l'aménagement du territoire.

Il en va de même pour un autre sport, qui peut être considéré comme trop élitiste : le golf. Il y a des golfs ruraux sur tout le territoire, qui eux aussi participent à l'aménagement du territoire, à la pérégrination des touristes sportifs et donc à une meilleure connaissance de la France.

Or, l'an passé, nous avons assisté à une augmentation explosive de la taxe foncière. Pour les agriculteurs, qui louent une partie de leurs terres à des sociétés qui exploitent ces golfs ruraux, souvent en vivotant, c'est intenable : pour un revenu de 700 euros, ils peuvent acquitter une taxe foncière de 4 000 euros.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis au nom de la commission de la culture. - Je remarque en premier lieu que le budget du programme « Sport » est en hausse de 24 millions d'euros, ce qui, dans le contexte actuel, est appréciable. L'objectif du financement public du sport n'est pas seulement de gagner des médailles, mais de développer les pratiques. De ce point de vue, la progression est réelle, même s'il est difficile de la mesurer, car elle se développe surtout en dehors des clubs.

Pour ce qui concerne le CNDS, n'ayons pas la mémoire courte. Voilà un organisme qui a failli disparaître en 2012-2013. Le plan de redressement mis en place, qui passe par le resserrement des critères sur les zones très carencées, doit s'achever fin 2017. Le CNDS sera ensuite, espérons-le, plus efficace.

J'insiste par ailleurs sur le déploiement du plan « Citoyens du sport », grâce auquel 400 éducateurs seront envoyés sur les territoires, et notamment dans les quartiers difficiles.

Pour ce qui concerne le sport de haut niveau, 2017 sera la première année d'application en année pleine de la loi visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale. Ce n'est pas rien, car cela emporte des effets sur la façon dont les accidents du travail ou la santé des sportifs de haut niveau sont pris en charge.

Les crédits alloués aux fédérations étaient, en 2016, inchangés pour la troisième année consécutive. Ils restent inchangés cette année. Nous attendons les conclusions des États généraux du sport du haut niveau, lancés il y a une dizaine de jours, pour mieux paramétrer l'action publique en la matière, notamment pour ce qui portera sur l'organisation à mettre en place pour les quatre années qui viennent, celles qui nous séparent des futurs Jeux olympiques.

J'en viens aux remarques sur l'Euro 2016. L'année dernière, à la même époque, lorsque nous avons voté le budget, nous nous posions deux questions : celle du financement des stades construits ou rénovés et celle de la sécurité dans les stades et les fan zones. Sur ces deux points, tout s'est passé de manière satisfaisante.

Pour ce qui est de l'exonération fiscale dont ont joui les organisateurs de l'Euro, cette demande figure désormais dans le cahier des charges de tous les organisateurs de ce type d'événement. L'alternative est donc simple : soit on accueille un événement de grande ampleur, et l'on accepte ces exonérations, soit on ne l'accueille pas. Mais n'oublions pas les retombées économiques pour le pays. Notre seule déception vient de la fréquentation dans les stades de football, que nous espérions voir monter après l'Euro, mais qui ne cesse de chuter.

Quelques mots sur le train de vie de certaines fédérations. Beaucoup d'enquêtes à charge sont diffusées par les télévisions, surtout d'ailleurs à propos de fédérations internationales, comme le CIO ou l'UEFA. Mais cela n'a rien à voir avec la fédération française de canoë-kayak ou de volley-ball, par exemple. Nombre de ces fédérations nationales ont d'ailleurs perdu récemment des sponsors privés importants, ce qui les oblige à trouver d'autres sources de financement.

Les critiques sur l'INSEP me semblent rudes : tous les pays comparables à la France nous l'envient, pour la formation sportive comme professionnelle des athlètes. L'année passée a été difficile pour l'INSEP, à qui l'on avait demandé un effort financier, à hauteur de 2 millions d'euros, prélevés sur le fonds de roulement. Avec le budget de cette année, nous revenons à la situation antérieure.

Pour ce qui a trait au transfert des 17 CREPS, le rapport de la Commission consultative sur l'évaluation des charges souligne que cette décentralisation est très réussie. Les CREPS sont tout à fait associés aux politiques de formation et à la préparation des compétitions.

J'en termine avec l'AFLD, dont l'augmentation du budget est effectivement en trompe-l'oeil. Voilà des années que cette agence puise dans ses fonds de roulement pour remplir ses missions. Résultat : le nombre des contrôles qu'elle effectue est en baisse, alors qu'elle devrait en faire de plus en plus, du fait de la généralisation des passeports biologiques notamment.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis au nom de la commission de la culture. - Le programme 163, « Jeunesse et vie associative », connaît une augmentation de 21,5 %, ce qui s'explique par le développement du service civique. Nous avons eu l'occasion d'en discuter lors de nos débats sur le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté : c'est un développement qui, fort heureusement, fait consensus. Une question seulement se posait : le service civique devait-il être universel ou obligatoire ? Il sera universel, l'obligation étant difficile à mettre en place.

Je rappelle que ce sont 100 000 jeunes qui auront fait leur service civique en 2016, pour un objectif, fixé par le Président de la République, de 350 000 par an dans trois ans. Je voudrais dire l'importance, à mes yeux, que les collectivités territoriales puissent recruter plus de jeunes en service civique. C'est aujourd'hui le cas pour seulement 10 % de ces jeunes. Ce serait pour les collectivités un vrai réservoir de main-d'oeuvre.

Pour ce qui est des autres dispositifs du programme 163, le fonds de développement de la vie associative (FDVA) n'est pas plus doté que l'année dernière, hélas. Une manne pourrait lui être attribuée : les fonds inactifs, sur les comptes d'associations disparues. Ce serait bien que cet argent retourne non pas auprès de l'État, même si c'est ce qui est prévu, mais des associations elles-mêmes.

Mme Michèle André, présidente. - La question des normes imposées par les fédérations n'est pas récente : j'ai été adjointe aux sports à Clermont-Ferrand durant deux mandats et mon directeur protestait chaque année sur ces demandes récurrentes. En revanche, la situation devient de plus en plus difficile.

M. Didier Guillaume, rapporteur spécial. - Éric Bocquet m'a interrogé sur le financement du football amateur. Depuis la coupe du monde de football en 1998, le football amateur est alimenté par une part des recettes des grandes compétitions. L'Euro 2016 a alimenté ce fonds...

M. Maurice Vincent. - À hauteur de 20 millions d'euros !

M. Didier Guillaume, rapporteur spécial. - Je partage par ailleurs les observations d'Éric Bocquet sur le positionnement des grandes marques de soda et de sandwichs dans les grands événements.

Quant aux conditions fiscales accordées aux organisateurs, elles sont définies événement par événement et la commission des finances devrait recevoir sous peu les engagements de l'État à cet égard pour les JO 2024.

Jean-Claude Boulard a de la constance dans les idées, puisqu'il m'avait posé les trois mêmes questions l'année dernière. Les fédérations ont entendu l'appel pour moins de normes, dont vous déplorez la prolifération. Pour ce qui est de leur train de vie, et hormis les quelques cas de fédérations internationales que nous connaissons, il est revenu à un niveau à peu près correct. Et ce n'est pas que je veuille les défendre par principe !

Pour ce qui est de la soumission des spectacles sportifs au taux de TVA réduit de 5,5 %, ce n'est pas à moi de me prononcer.

Jean-Claude Requier m'interrogeait sur le tableau, qui retrace seulement les dix principales subventions de la part territoriale du CNDS en 2015. On pourrait continuer le tableau.

Cela dit, il est vrai que le CNDS a connu beaucoup de problèmes. Il y a trois ans, il était en quasi-faillite. Il bénéficie dans le budget de ressources exceptionnelles : 10 millions d'euros pour le financement de la part État de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024 ; autant pour commencer à financer un plan de rattrapage des équipements sportifs en outre-mer.

Je reviens sur la remarque de Dominique de Legge : oui, les collectivités territoriales donnent beaucoup. D'ailleurs, le différentiel entre les aides d'État et les aides des collectivités territoriales tend à s'accroître. Les dépenses figurant dans le graphique du rapport comprennent investissement et fonctionnement.

Pour ce qui est de l'AFLD, c'est en effet en trompe-l'oeil... on puise dans le fonds de roulement tous les ans. C'est grave, car les contrôles vont diminuer alors que le dopage va plus vite que les médecins. L'AFLD fait un excellent travail, mais elle ne peut pas tout faire. Ce fléau doit se traiter à l'échelle mondiale.

J'en viens à la question d'André Gattolin sur la formation des sportifs : tous les cours sont organisés en fonction des entraînements. L'INSEP s'en charge d'ailleurs très bien. C'est vrai également pour les sportifs qui sont non pas à l'INSEP, mais dans des filières d'excellence.

Alors, pour répondre à Francis Delattre, l'INSEP est-il l'endroit idéal pour les sportifs ? C'est en tout cas l'un des endroits où la formation des sportifs de haut niveau peut se faire. Quant à vos remarques sur l'insuffisance des suivis médicaux, je me suis rendu sur place pour constater qu'un effort énorme avait été produit pour les améliorer : des médecins et des psychologues ont été embauchés et tout le matériel nécessaire a été acquis. L'Institut peut même, désormais, suivre des sportifs de haut niveau qui ne sont pas de l'INSEP.

Nous aurons demain, en séance publique, un débat sur la filière équine. C'est un sujet épineux, qui nous a tous interpellés, notamment depuis que le taux de TVA applicable est passé à 20 %.

Jean Pierre Vogel m'interroge sur le réseau des CREPS. La décentralisation est désormais chose faite, et les moyens sont au rendez-vous. Tout cela va pouvoir mieux fonctionner. Je sais que je ne convaincrai pas Thierry Carcenac, mais enfin...

Il m'est difficile de répondre à la question de Serge Dassault : les subventions aux clubs sont versées par les régions, les départements, les filières nationales, les fédérations, les communes... L'enchevêtrement est réel.

Quant à la proposition d'Éric Doligé de faire apparaître le nombre de médailles en face des dépenses publiques consenties pour subventionner le sport, je tiens à dire qu'il est difficile de se livrer à ce genre de comparaison, car la destination et la nature des dépenses varient beaucoup d'un pays à l'autre. En Allemagne, les subventions des Länder sont très importantes, et les clubs entretiennent avec le privé un rapport plus étroit. Il faut également prendre en considération l'argent investi non seulement dans le sport de haut niveau, mais dans chacune des filières.

Pour ce qui concerne les primes des médaillés de Rio : nous avons l'an passé un amendement pour qu'ils puissent les étaler sur trois ou quatre ans, ce décalage leur permettant de payer les impôts de façon lissée dans le temps. Tout le monde n'est pas Teddy Riner... La défiscalisation des primes pour les médaillés a existé, peut-être reviendra-t-elle ?

Certaines fédérations sont riches, c'est vrai, mais d'autres n'ont rien. Quelques-unes ont clairement vécu au-dessus de leurs moyens. Mais, globalement, l'effort a été fait pour améliorer leur gestion. La nouvelle directrice des sports veut amplifier le mouvement en faisant évoluer leur financement.

Michel Canevet me demande si la baisse des interventions du CNDS est liée à la baisse du plafonnement des taxes affectées. C'est le cas. La recette en elle-même ne diminue pas. L'idée est seulement de ne pas augmenter le budget de fonctionnement du CNDS.

Pour ce qui est du service civique, l'Agence dédiée continuera à s'appuyer sur les services déconcentrés de l'État. Cela implique une augmentation des moyens de l'Agence à l'échelon national. Il est en effet important de centraliser la gestion du programme pour éviter que ne prolifèrent les ETPT en local.

Alain Houpert, enfin, a abordé le sujet du golf dans les territoires ruraux. Il y a une volonté réelle de la fédération française de golf et de l'État de faire un effort pour les clubs ; un effort d'autant plus nécessaire que la France a obtenu l'organisation de la Ryder cup. Cet événement international va représenter une manne considérable.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

Elle donne acte de sa communication sur l'INSEP à M. Didier Guillaume, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

PLF pour 2017 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 63) - Examen du rapport spécial

Puis la commission examine le rapport de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », et l'article 63 rattaché.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Pour la dernière année du quinquennat, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est marquée par un désengagement financier de l'État de la politique du handicap. Deux transferts de crédits sont prévus à compter du 1er janvier 2017 : le transfert du financement des dotations de fonctionnement des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) à l'assurance maladie ; le transfert des moyens de fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA.

Si elles ont pour objet de simplifier les modalités de financement de ces organismes, ces deux mesures conduisent à amputer les moyens consacrés par l'État à la politique du handicap de deux milliards d'euros. L'État ne financera plus que l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) ainsi que la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH) en ESAT. Ces transferts réduiront l'information du Parlement à propos du financement des ESAT et des MDPH. Leurs crédits de fonctionnement ne seront plus examinés à l'occasion des projets de loi de finances ; ils seront noyés parmi les autres montants alloués aux dépenses sociales et médico-sociales retracés dans les projets de lois de financement de la sécurité sociale.

Par ailleurs, le plan de prévention et d'arrêt des départs non souhaités des personnes handicapées vers la Belgique est largement insuffisant pour faire face aux besoins. Nous avons débattu de ce point l'an dernier. Ce plan est doté de 10 millions d'euros, alors que l'assurance maladie verse tous les ans 152 millions d'euros aux établissements belges accueillant des personnes handicapées françaises.

Enfin, la réforme des modalités de revalorisation de l'AAH, désormais réalisée en fonction de l'inflation constatée et non plus en fonction de l'inflation prévisionnelle, a conduit à une quasi-stagnation de son montant en 2016.

Plusieurs dispositifs financés par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » connaissent une progression dynamique. La prime d'activité, créée au 1er janvier 2016 en remplacement du RSA « activité » et de la prime pour l'emploi, connaît une montée en charge plus rapide que prévu : son taux de recours était de 60 % en juin 2016, alors que la prévision budgétaire avait été construite sur une hypothèse de 50 %. En conséquence, la dépense de prime d'activité est revue à la hausse en 2017 pour atteindre un montant prévisionnel de 4,3 milliards d'euros. Ceci prend également en compte l'ouverture de la prime à de nouveaux bénéficiaires en 2016, comme les allocataires de l'AAH, d'une pension d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

De plus, le coût des mesures de protection juridique des majeurs continue à croître sous l'effet de la progression du nombre de majeurs concernés par des mesures de protection, directement liée au vieillissement démographique.

J'en viens à deux sujets d'inquiétude ou d'insatisfaction.

Tout d'abord : la situation de la politique d'adoption en France. Le nombre d'adoptions internationales réalisées par l'intermédiaire de l'Agence française de l'adoption (AFA) diminue de manière constante : 201 adoptions ont été réalisées via l'Agence en 2015, contre plus de 3 000 en 2009. Le Gouvernement a annoncé vouloir fusionner 1'AFA avec le groupement d'intérêt public « Enfants en danger ». Plusieurs associations représentant des parents adoptants ont manifesté leur inquiétude. Elles craignent que la disparition juridique de l'AFA entraîne la disparition des accréditations dont elle dispose dans les pays d'origine et l'annulation des procédures d'adoption en cours. Il conviendra d'être particulièrement vigilant sur ce point.

Par ailleurs, les montants relatifs à l'aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) des anciens migrants dans leurs pays d'origine, créée en 2016 au profit des travailleurs immigrés âgés qui effectuent des séjours de longue durée dans leurs pays d'origine, sont fortement revus à la baisse en 2017. Cela traduit une sous-consommation importante de cette aide, ce qui n'est pas satisfaisant.

Point positif : le renforcement des moyens consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes ainsi qu'à la lutte contre le système prostitutionnel, afin notamment de financer l'aide financière à la réinsertion des personnes prostituées.

Enfin, s'agissant des dépenses support des ministères sociaux, les crédits augmentent en raison de la hausse de la masse salariale, principalement du fait de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique. Cependant, la politique de réduction des moyens se poursuit avec la suppression de 138 emplois, hors mesures de transfert, en 2017. Cette même politique est menée pour les agences régionales de santé, dont le schéma d'emploi prévoit la réduction de 100 ETPT supplémentaires en 2017.

Au total, au regard notamment des insuffisances de la politique du handicap, je donne, à titre personnel, un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.

L'article 63 rattaché à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » vise à supprimer le Fonds national des solidarités actives (FNSA) mis en place en 2009 afin notamment de financer le RSA « activité ». Il bénéficie d'une subvention de l'État et d'une fraction du produit de la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires.

Avec la création de la prime d'activité en 2016, le FNSA a perdu sa principale raison d'être. Il ne finance désormais plus que le RSA « socle » versé aux jeunes actifs, la prime de Noël versée aux bénéficiaires de certaines prestations sociales et les frais de gestion liés à la prime d'activité. La proposition de suppression du FNSA constitue donc l'aboutissement logique de la mise en place de la prime d'activité. Elle va dans le sens de ce que j'avais préconisé l'année dernière.

La suppression du FNSA conduirait ainsi à faire prendre en charge directement par le budget de l'État les dépenses restant à sa charge, majorant les crédits du programme 304 de 205 millions d'euros en 2017. Afin d'assurer l'équilibre budgétaire de cette opération, la part du produit de la contribution allouée au FNSA serait réaffectée au Fonds de solidarité, qui finance l'allocation spécifique de solidarité, et qui verrait en conséquence sa subvention d'équilibre versée par l'État baisser à due concurrence.

Compte tenu de ces éléments, je propose d'adopter cet article sans modification.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales. - Je voudrais d'abord féliciter le rapporteur spécial pour la qualité de ses investigations.

Je voudrais vous faire part de l'avis du rapporteur de la commission des affaires sociales sur cette mission, qui est contrasté. L'évolution des crédits qu'elle prévoit suscite une adhésion et deux réserves.

Je me réjouis de la préservation des crédits en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre la traite des êtres humains.

Ma première réserve porte sur la nouvelle architecture du programme 157 « Handicap et dépendance ». Je ne conteste pas la concentration de l'État au profit, principalement, de l'AAH, pas plus que le transfert d'autres crédits de la politique du handicap au profit d'acteurs nationaux plus indiqués, comme l'assurance maladie et la CNSA. Mais la méthode retenue pour ce faire s'apparente à un désengagement brutal plutôt qu'à un passage de relai. De plus, avec le transfert de la part nationale du financement des MDPH, c'est à une baisse artificielle des dépenses de l'État que ce budget se livre. Cela crée en outre de l'opacité, car les crédits de fonctionnement des MDPH se trouveront noyés, sans chiffrage particulier, dans la nouvelle dotation de la CNSA. Mais alors que les MDPH sont confrontées à un important surcroît de travail, tout ce dont elles ont besoin, c'est de sécurité et de visibilité. Certes, le Président de la République s'est engagé à accorder 8 millions d'euros supplémentaires à la politique du handicap, mais cette hausse ne devra pas reposer sur les seuls départements.

J'en viens au reste du programme et à la prime d'activité. Il faut se réjouir bien sûr du succès de cette nouvelle prestation. Selon nos calculs, le taux de recours dépassera bien les 50 % budgétés, pour atteindre les 70 %. Ce dispositif est en effet beaucoup mieux ciblé. Mais, deuxième réserve, on peut s'interroger sur le coût final de la prestation. De plus, avec la suppression de la prime pour l'emploi, nous nous privons du levier qu'est le crédit d'impôt, qui a des effets positifs sur l'emploi et qui est utilisé par nos voisins européens. Malgré la communication du Gouvernement, la prime d'activité, ne nous leurrons pas, n'aura aucun effet sur emploi : le chômage dans notre pays provient d'une offre d'emploi atone.

M. André Gattolin. - J'adresse toutes mes félicitations au rapporteur spécial et au rapporteur pour avis. Leurs deux interventions soulignent en effet le problème majeur de cette mission : la question du handicap. C'est un enjeu national. Or nous n'avons plus, hélas, de politique nationale du handicap. Un autre exemple, au-delà de ceux évoqués à l'instant, l'Institut national des jeunes aveugles et l'Institut national des jeunes sourds étaient auparavant financés à 60 % par l'État et à 40 % par les agences régionales de santé. Ils le sont désormais à 100 % par les régions.

Je veux bien entendre l'argument selon lequel, pour traiter ces sujets, il faut être au plus près du terrain. Soit, mais le traitement des situations doit être le même pour tous. Or ce n'est pas le cas. Le traitement d'un dossier de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) varie de deux à dix-huit mois en fonction d'un département à l'autre. De plus, dans certains départements, on attribue au maximum un taux d'incapacité de 50 %, sans qu'aucune expertise médicale soit réellement définie à l'échelon national.

M. Marc Laménie. - J'aurai la même question que l'an dernier : quelles solutions apporter au départ des handicapés français vers la Belgique pour s'y faire soigner ? Nous manquons cruellement de capacités d'accueil en France. Il en va de même pour les ESAT. Sommes-nous condamnés à l'impuissance ?

Enfin, comment mieux faire fonctionner les ARS ?

M. Yannick Botrel. - On ne peut pas à la fois dire qu'il est logique que l'État se concentre sur l'AAH et laisse la CNSA et l'assurance maladie prendre en charge des crédits qu'elles ont toute légitimité à exécuter, et regretter que l'État se désengage.

Je fais confiance au contrôle parlementaire pour vérifier la bonne utilisation de ces dépenses.

M. Serge Dassault. - J'aimerais connaître le coût de l'aide personnalisée au retour à emploi. Sait-on exactement combien de retours à l'emploi cette aide a rendu possibles ? Pour ma part, je doute de leur efficacité.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Je rejoins André Gattolin sur l'enjeu que représente la gestion de la personne handicapée dans les politiques nationales. Des difficultés persistent dans le traitement des demandes et dans les délais de réponse. La situation varie selon les départements. Dans le mien, le Nord, c'est assez tendu.

Je partage le souci d'équité de traitement sur le territoire national. L'État doit, parmi ses priorités, veiller au bon déroulement des procédures et faire en sorte que les cas soumis aux maisons départementales des personnes handicapées reçoivent des réponses. Au-delà des non-voyants et des malentendants, le propos pourrait être élargi au handicap en général.

Nous avions eu un débat sur les personnes handicapées françaises accueillies dans des établissements belges l'an dernier. Je m'étais rendu à Charleroi, en Wallonie, pour observer la situation. Une mission spéciale a par la suite été instituée par la commission des affaires sociales du Sénat, ce dont il faut se féliciter. Je doute que la situation ait beaucoup évolué en un an, même si je ne dispose pas de données chiffrées.

La réponse réside dans la création de nouvelles places, de nouveaux établissements. Les listes d'attente sont assez importantes, en particulier dans les régions frontalières, comme la mienne.

Les disparités territoriales en matière de santé et d'espérance de vie sont fortes. Dans les Hauts-de-France, nous sommes en bas de classement depuis de nombreuses années, et l'on ne constate malheureusement pas d'amélioration. Des déserts médicaux s'installent, par exemple dans l'Avesnois, le Cambrésis. Cela devient très inquiétant. Il est urgent de mener une politique nationale volontariste pour éviter que les fossés ne se creusent. Outre la présence de services publics, de commerces et d'écoles, l'accès à la santé est une condition nécessaire pour pouvoir vivre sur un territoire.

Encore une fois, les transferts de compétences, que j'assimile à un désengagement de l'État, sont une vraie préoccupation.

Enfin, sur la question du contrôle parlementaire, je n'aurais pas pu mener le contrôle budgétaire que j'ai réalisé sur les ESAT si leurs dotations de fonctionnement n'avaient pas été financées par l'État et retracées dans la mission « Solidarité ».

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - À la fin du mois de juillet, environ 2,37 millions de foyers - c'est une estimation ; nous n'avons pas tous les chiffres - percevaient la prime d'activité.

Nous ne disposons pas d'éléments tangibles sur le retour à l'emploi, mais nous savons que nous sommes loin des objectifs fixés en la matière, alors qu'il y a des améliorations sur le taux de pauvreté.

Le coût de la prime d'activité s'élève à 4,3  milliards d'euros environ. Cette prime remplace le RSA activité et la prime pour emploi : son automaticité et l'ouverture aux jeunes expliquent le nombre important de bénéficiaires.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et de l'article 63 rattaché.

Projet d'instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu - Audition de M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques (DGFiP)

La commission entend M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques (DGFiP), sur le projet d'instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu.

Mme Michèle André, présidente. - Nous recevons ce matin Bruno Parent, le directeur général des finances publiques, pour notre deuxième matinée d'audition sur le projet d'instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu.

Je vous rappelle que nous entendrons mercredi prochain les représentants des organisations syndicales de l'administration des finances publiques.

Bruno Parent est accompagné de Maryvonne Le Brignonen, chef de projet « Retenue à la source » à la direction générale des finances publiques (DGFiP), de Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale, et de Grégoire Deyirmendjian, sous-directeur chargé de la fiscalité des personnes.

M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques. - Le document qui vous est soumis est d'une épaisseur inédite, mais le projet en question le mérite. Nous avons eu à coeur de rédiger les 413 pages de l'évaluation préalable de telle sorte que chacun puisse y trouver les réponses aux questions qui pourraient se poser sur le sujet.

S'il est légitime de vouloir prévoir tous les cas de figure, en tenant compte des situations les plus diverses, la réforme s'appliquera dans des conditions d'assez grande simplicité pour la très grande majorité de nos citoyens. La situation de plus de 90 % des contribuables est simple, et sera encore simplifiée par le prélèvement à la source.

La réforme présente une grande cohérence technique et une grande lisibilité. Si elle prend corps au plan législatif, la DGFiP mettra en oeuvre des mesures d'accompagnement, d'assistance et de soutien pour en faire la pédagogie. Nous assisterons les contribuables et les collecteurs pour que tout se passe de manière fluide. C'est notre devoir d'être au service des usagers.

M. Michel Bouvard, rapporteur spécial des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - Je salue le travail de la DGFiP sur ce dossier, dont je mesure la complexité.

Je n'ai pas trouvé dans le document, que j'ai lu attentivement, d'évaluation des économies budgétaires et d'effectifs que la réforme doit permettre de réaliser à long terme. Il est important de connaître le retour sur investissement escompté.

Nous attendons le même souci de transparence et d'information du Parlement sur le e-commerce. Nous aimerions avoir communication du récent rapport de l'inspection générale des finances évaluant nos propositions sur le sujet. Certains aspects de ce débat - je pense notamment aux travaux sur l'économie collaborative - ont un lien indirect avec le prélèvement à la source. J'aimerais savoir comment cela s'intégrera dans le dispositif.

M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». - L'épaisseur inédite du document tient en partie aux travaux du Parlement. Les lois de finances successives ont abouti à une complexité des impositions. Je pense à la familialisation, aux niches fiscales, à l'interventionnisme de l'État. Il faut avoir ces éléments en tête pour pouvoir expliciter les conséquences du prélèvement à la source. Par ailleurs, nous avons, par le passé, adopté un certain nombre de réformes : déclaration préremplie, télédéclaration, mensualisation...

Michel Bouvard s'est interrogé sur les économies et le retour sur investissement attendus. Or le dispositif que nous mettons en place vise à mettre en cohérence le paiement de l'impôt et la date de perception des revenus ; cela intéresse en premier lieu les particuliers. Nous ne sommes donc pas dans la même problématique.

À mon sens, la réforme aura pour effet de nous amener à réfléchir sur les manières de modifier notre fiscalité.

Notre vision cartésienne nous conduit à étudier tous les cas particuliers. Or, sur les 36 millions de foyers fiscaux, 17,5 millions sont imposables, dont 11,8 millions qui sont titulaires uniquement de traitements, salaires et de revenus de remplacement. La communication de la réforme doit être centrée sur les situations les plus fréquentes, et non sur les cas particuliers.

L'évaluation préalable mentionne, à la page 325, un important volet informatique. J'aimerais savoir comment l'État, qui sera collecteur pour lui-même, modifiera ses logiciels. Les fonctionnaires doivent être informés des évolutions à venir et du travail qui sera effectué. Quels coûts ont été identifiés en la matière ? Ils n'apparaissent pas forcément dans le programme 156 « Gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local », où l'on voit seulement une hausse des crédits de suivi logiciel de 24 millions d'euros à plus de 30 millions d'euros.

Au plan informatique, comme il s'agit généralement des traitements et salaires, tout passera par la déclaration sociale nominative (DSN) qui doit être étendue à l'ensemble des collecteurs en juillet 2017. Qu'en sera-t-il ? Pour l'instant, selon le rapport de la Cour des comptes sur la collecte des prélèvements versés par les entreprises, tout va bien. Les entreprises peuvent avoir jusqu'à 233 prélèvements en tant que contribuables et collecteurs, mais il y en a huit qui représentent plus de 15 % des recettes prélevées.

La formation des personnels devra prendre en compte la nécessité d'expliquer aux citoyens le fonctionnement du nouveau système. Le rapport a mis en lumière une tendance à la baisse de la fréquentation dans les centres des impôts de 12 millions de personnes auparavant contre 10,5 millions aujourd'hui, mais on risque d'avoir un peu plus de monde avec la réforme. J'ai vu que des dépenses de formation étaient prévues et que l'administration comptait engager un plan spécifique en la matière avant, je suppose, le 1er janvier 2018.

Les coûts de la communication externe annoncée relèveront-ils des marchés qui existent déjà ? Y aura-t-il au contraire des contrats spécifiques de communication ?

Michel Bouvard a évoqué le e-commerce et la dématérialisation. Les plateformes pourraient être collectrices du prélèvement à la source. Comment cette problématique est-elle envisagée ?

Enfin, un retour en arrière serait-il possible ? Si oui, quel en serait le coût ? Si non, quelles seraient les conséquences sur l'administration ?

M. Bruno Parent. - Sur le retour sur investissement, les choses sont parfaitement claires : le projet n'a pas pour objet, même s'il peut avoir pour effet, de baisser les charges de l'administration fiscale. Les effectifs diminuent depuis longtemps, et ils continueront de diminuer en 2017, mais ce n'est pas la finalité du prélèvement à la source, qui vise simplement à améliorer les services rendus aux contribuables, en leur donnant plus de facilités pour faire face à leurs obligations.

Pour la DGFiP, il y aura dans un premier temps un pic de charge. J'ai souligné la nécessité pour nous d'accompagner les usagers, les entreprises et les collecteurs dans la prise en main de la nouvelle modalité de recouvrement. Ils auront des questions à nous poser et des conseils à nous demander. Nous aurons donc plus de travail, le temps que chacun comprenne le nouveau dispositif et s'y habitue. Cela ne devrait pas durer une éternité. Nous reviendrons ensuite à un rythme de croisière.

M. Michel Bouvard, rapporteur spécial. - Les gains seront modestes !

M. Bruno Parent. - Les retours sur investissement et les allégements de charges seront sans doute moins importants que ce que l'on entend parfois. La réforme concerne seulement le recouvrement de l'impôt sur le revenu des particuliers ; elle n'a d'ailleurs jamais eu d'autre prétention. C'est un champ d'application réduit par rapport à l'éventail des missions de la DGFiP. Nous consacrons 1 200 équivalents temps plein au recouvrement spontané - par opposition aux actions en recouvrement forcé - de l'impôt sur le revenu. C'est le coeur de la fonction concernée par la réforme. C'est donc une erreur de croire que l'on pourrait économiser des dizaines de milliers d'emplois. Le Conseil des prélèvements obligatoires, et Michel Bouvard, ont raison de dire que les gains seront modestes, même s'ils existeront, plutôt dans un deuxième temps.

Le volet informatique concerne l'État et les collecteurs, pas les particuliers. Du côté de l'État, c'est principalement le système d'information fiscale du recouvrement qui est à modifier. Nous avons une certaine expérience de la gestion de systèmes complexes : la déclaration préremplie, qui a été évoquée tout à l'heure, était une réforme différente, mais avec des analogies : les entreprises transmettent une information à l'administration fiscale, qui la resitue ensuite dans les bonnes cases des déclarations de revenus de dizaines de millions de contribuables.

Mais le système d'information fiscale n'est effectivement pas le seul à être affecté. Nous payons les salaires et les retraites des fonctionnaires, et nous sommes assez proches des collectivités territoriales. Nous ferons face au coût informatique lié au fait que nous soyons à la fois producteurs et consommateurs, c'est-à-dire gestionnaires et utilisateurs du système.

Les travaux informatiques seront, pour l'essentiel, effectués à partir des moyens internes de la DGFiP. Nos équipes informatiques sont assez puissantes : nous assumons une grande diversité de tâches, et notre métier consiste à traiter des informations. Ce sont essentiellement les fonctionnaires des services informatiques de la DGFiP qui feront face, même si nous solliciterons aussi une aide externe. Cela représentera peut-être quelques dizaines de millions d'euros ; ce n'est pas considérable. Mais l'essentiel du travail sera effectué par les fonctionnaires déjà à l'oeuvre sur les systèmes informatiques, pas seulement pour des raisons d'économie budgétaire, mais tout simplement parce qu'il est plus facile de modifier dans un délai contraint un système d'information si on le connaît déjà. De toute manière, si ces fonctionnaires n'exécutaient pas ces tâches, ils en feraient d'autres, et seraient tout de même payés ; voilà pourquoi ces questions sont peu abordées dans le programme 156 « Gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local ».

La formation du personnel commencera avant le 1er janvier 2018, dès le début de l'année prochaine.

Si le Parlement adopte cette réforme, nous devrons être capables de répondre aux questions que les contribuables pourraient poser par anticipation.

Le prélèvement à la source commencera à compter du 1er janvier 2018. Pour être prêt à cette date, il faudra avoir mené toute une série d'opérations, notamment au cours du second semestre 2017. Par exemple, nous communiquerons aux collecteurs - collectivités territoriales, hôpitaux, entreprises, associations... - les taux de prélèvement figureront sur l'avis d'imposition que les contribuables recevront au mois d'août ou de septembre, afin de leur permettre d'effectuer le premier prélèvement sur la première paye du mois de janvier 2018.

La formation de nos cadres et de nos agents devra être suffisamment précoce pour que ces derniers soient en mesure d'apporter soutien et conseils aux contribuables et aux collecteurs à chacune de ces étapes.

Pour 2017, la campagne d'impôt sur le revenu sera comme celles des autres années. Ce sera l'occasion de poser des questions sur le prélèvement à la source. Néanmoins, certaines dispositions, comme la notion de revenu exceptionnel ou les mesures anti-abus, rétroagissent sur 2017. Il y a aura sans doute en cours d'année des questions légitimes qui seront soulevées.

La formation sera intense dès le premier semestre 2017, même si elle sera essentiellement développée en interne. Son coût sera largement internalisé. Les coûts supplémentaires, par exemple concernant les frais de déplacement, seront marginaux.

Des actions de communication, au sens médiatique du terme, sont en cours de réflexion. Des spécialistes de la communication de l'État, pas uniquement spécifiques à la DGFiP vu l'ampleur de la réforme, travaillent sur une campagne médiatique qui devra rythmer l'année 2017 : presse, radio, télévision, réseaux sociaux. L'objectif est, là encore, d'accompagner le mieux possible les usagers et les collecteurs. L'architecture générale n'en est pas encore arrêtée, mais il y a une ferme volonté de faire le nécessaire.

Cela renvoie à l'un des aspects fondamentaux de la réforme : tout est fait pour que ce soit l'administration fiscale qui soit l'interlocuteur des contribuables. Plus nous aurons une communication généraliste efficace, plus nous aurons une administration fiscale présente et réactive face aux contribuables, moins ceux-ci auront la tentation de s'adresser à quelqu'un d'autre. Faire de l'administration fiscale le coeur du dispositif est un des aspects importants de la réforme.

Michel Bouvard, je me ferai l'écho de votre demande s'agissant du e-commerce auprès du ministre, qui a reçu le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF).

Thierry Carcenac, vous m'interrogez sur la possibilité d'un retour en arrière. Vous avez compris le travail et la mobilisation qu'une telle réforme représente pour une administration comme la nôtre, en termes de logistique, de systèmes informatiques. Nous sommes mobilisés sur la réussite technique du chantier qui nous est confié. Nous ne nous posons pas la question que vous avez soulevée. Je ne peux donc pas y apporter de réponse précise. Elle supposerait une analyse technique, que nous n'avons pas menée, tout simplement parce que nous ne nous situons pas dans cette perspective.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le sujet est complexe et intéressant. Nous avons ouvert un espace participatif sur le projet de de prélèvement à la source, qui a reçu 1 142 contributions à ce stade.

Je rends un hommage sincère à la DGFiP. La France a développé des outils informatiques assez remarquables : la déclaration préremplie, la mensualisation, les prélèvements à l'échéance, le portail www.impots.gouv.fr, avec l'espace « Particuliers », sur lequel on a accès à l'ensemble des avis d'imposition, y compris à l'historique. Notre administration fiscale a donc peut-être compensé l'absence de prélèvement à la source par des outils qui rendent le système plus fluide.

Pourquoi a-t-on écarté deux autres scénarios, qui consistaient à remettre l'administration fiscale - le Parlement avait d'ailleurs amendé le projet de loi de finances pour 2016 en vue d'étudier cette alternative - au centre du dispositif ?

Je me réfère aux préconisations du Conseil des prélèvements obligatoires - j'en parlais ce matin avec son président, Didier Migaud - pour rendre l'imposition contemporaine. Nous sommes d'accord : il est tout de même aberrant de payer un impôt sur la base des revenus de l'année N-1. Mais pourquoi avoir introduit les entreprises comme collecteurs tiers ? Cela va compliquer le système. Nous l'avons vu lorsque nous avons entendu la CGPME et le Medef, ou lorsque nous avons reçu les contributions des syndicats. Un délit pénal lorsque les chefs d'entreprise révèleront des données fiscales, des risques de discrimination salariale si l'on considère qu'il n'y a pas d'augmentation du fait du taux d'imposition... C'est absurde !

Le rapport examine effectivement les deux autres options. Mais pourquoi parlez-vous de « solution dégradée » à propos du scénario dans lequel ce serait l'administration fiscale qui ferait le prélèvement ? Pourquoi ne pourrait-on pas avoir une évaluation contemporaine des revenus et un système d'acomptes, au lieu de créer des problèmes en introduisant un tiers ? Il n'y a pas de risque d'impayés, puisque, comme vous l'expliquez, le taux de recouvrement spontané en France est très bon. Pourquoi introduire un tiers collecteur, au lieu de conserver une relation simple et bilatérale entre le contribuable et l'administration fiscale ? S'agit-il de préparer autre chose ? Pourquoi la DGFiP n'est-elle plus au coeur du système ?

Prenons le cas concret des réclamations, estimées à 200 000 chaque année. Comment le remboursement d'une personne ayant effectué une demande gracieuse après avoir été prélevée se passera-t-il ? Y aura-t-il ajustement sur d'autres impositions, ou une modification du taux de prélèvement à la source ?

On nous dit que l'intérêt de la réforme est de tenir compte des évolutions de revenus et de situation. Or la naissance n'est pas prise en compte de manière automatique. Est-ce une erreur ? Pourquoi n'y a-t-il pas adaptation automatique du taux ?

L'année de transition est une question compliquée. Certes, même avec un système de prélèvement par l'administration, il y aura une année de transition. Mais pourquoi ne pas avoir fait au plus simple en retenant une moyenne de revenus pour évaluer les éventuels abus ? On entre dans le coeur des contrats de travail, pour retenir les rémunérations qui sont exceptionnelles ou pas et évaluer si le contribuable a cherché à optimiser son imposition. Je suis inquiet : on modifie le délai de reprise fiscale. Retenir la moyenne des revenus perçus serait plus simple pour apprécier les cas d'optimisation et permettrait de régler le problème de l'année de transition.

J'ai bien compris votre souci, très légitime, de maintenir un dispositif d'incitation à la réalisation de travaux dans des immeubles loués en 2017, faute de quoi on assisterait à un effondrement du secteur économique. Mais pourquoi avoir limité la déductibilité à 50 % du montant des travaux en 2017 ? Concrètement, pour une copropriété qui ferait des travaux en 2017 et pas en 2018, seulement la moitié du montant des travaux sera prise en compte. Les conséquences sur l'activité économique dans le bâtiment seraient très défavorables.

Le taux par défaut pour lequel le contribuable peut opter est par définition assez défavorable, puisque c'est le taux d'un célibataire sans enfant. Le barème qui risque, de plus, de créer des effets de seuil, pourrait-il être révisé ?

Personne ne peut se satisfaire du système actuel, basé sur les revenus de l'année N-1. Mais pourquoi avoir introduit les entreprises dans le dispositif ? Certaines PME font encore des bulletins de paie à la main. Il y a des problèmes de responsabilité et de confidentialité.

Pourquoi ne pas avoir fait le prélèvement par l'administration fiscale sur la base d'une imposition contemporaine, en utilisant la DSN, notamment pour les revenus salariés ? La DSN, nous dit-on, risque de ne pas être prête pour toutes les entreprises en 2017. La réforme ne serait-elle donc pas prématurée ? Est-on en mesure d'effectuer ce prélèvement au 1er janvier 2018 ?

Je ne conteste pas le principe d'une imposition contemporaine. Mais je ne vois pas l'intérêt d'écarter la DGFiP, qui fait bien son travail par ailleurs, et d'introduire les entreprises comme tiers collecteurs.

Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale. - On peut basculer dans la contemporanéité en faisant intervenir l'administration de deux manières.

La manière un peu fruste consisterait à laisser l'administration continuer de calculer des acomptes, certes contemporains, mais sur la base de situations historiques. L'acompte continuerait d'être calculé sur ce qui s'est passé deux ans auparavant pour les premiers mois de l'année et sur les revenus de l'année précédente pour les derniers mois de l'année. Ce serait un acompte fixe, sur des données historiques. Il servirait juste à payer l'impôt de l'année.

Pour un contribuable qui ne ferait rien, ce serait la même chose qu'aujourd'hui dans le cadre de la mensualisation, avec un prélèvement des acomptes sur une situation historique. En cas de variation du revenu, le montant fixe continuerait d'être calculé par l'administration.

L'avantage par rapport à la situation actuelle est qu'il pourrait moduler. Mais c'est à lui de tout faire. Il n'y a aucun service rendu. L'administration envoie une facture historique. Si le contribuable pense que cette facture historique ne correspond pas à ses revenus de l'année, il doit essayer d'estimer ses revenus de l'année. Cette option est expressément écartée dans un certain nombre de rapports, dont celui de Didier Migaud, lorsqu'il était membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Il y avait un système plus élaboré. L'administration prélèvait de manière contemporaine sur la base d'informations plus fraîches, que sont les informations que pourraient lui envoyer les collecteurs, c'est-à-dire les employeurs et les caisses de pensions. Chaque mois, ces mêmes collecteurs auraient quand même quelque chose à faire ; ils ne seraient pas du tout hors du dispositif. Ces collecteurs, toujours via la DSN, qui est le coeur de notre projet, enverraient à l'administration fiscale le montant des salaires ou des pensions versées le mois précédent. Sur la base de cette information, la DGFiP prélèverait à la source en utilisant les informations historiques rafraîchies. Pourquoi parler d'un dispositif dégradé ? Parce qu'il n'existe dans aucun des pays ayant mis en place la retenue à source. Dans ces pays, c'est-à-dire tous les pays de l'OCDE sauf la Suisse et la France, c'est le tiers collecteur qui fait le prélèvement. Dans le système proposé par le Gouvernement, il y a une information contemporaine à la source. C'est le tiers collecteur qui connaît le montant de la base imposable à l'instant où il verse le salaire ; c'est aussi lui qui a l'argent. Si l'on effectue le prélèvement à ce moment-là, l'information est la plus fraîche possible. Elle est contemporaine du versement du salaire.

Quels que soient les progrès informatiques réalisés par la DGFiP, cette information arriverait avec un décalage de un à deux mois. L'impôt ne serait donc plus contemporain pour le contribuable. Le treizième mois de décembre ne serait ainsi prélevé par la DGFiP qu'en janvier ou février de l'année suivante, alors que le salarié n'aurait plus les revenus correspondants. En outre, avec ce système, nous perdrions une dizaine de milliards au moment de l'année de transition puisque tout le mois de décembre serait perdu, le prélèvement n'intervenant que deux mois plus tard. Pourquoi demander à l'administration qui ne dispose que de l'information historique de procéder au prélèvement alors que l'entreprise dispose de l'information la plus contemporaine possible et verse les salaires ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Un ou deux mois de décalage, ce serait quand même mieux que le système actuel.

M. Bruno Parent. - Certes ! Nous nous rejoignons donc sur l'idée qu'il faut réformer, même si nous divergeons encore sur les modalités à retenir.

Tous les pays développés ont choisi le prélèvement à la source calculé par l'entreprise, car c'est le seul système qui permet aux salariés de percevoir un salaire net, disponible pour la consommation. C'est la grande différence avec la réforme que vous préconisez, monsieur le rapporteur général, puisque l'impôt serait prélevé avec deux mois de retard. En outre, il ne s'agirait plus d'un prélèvement à la source à proprement parler puisque la source, c'est l'employeur.

L'une des vertus du système est sa contemporanéité : nos concitoyens auront beaucoup moins de mal à payer l'impôt sur le revenu puisque l'argent sera pris au moment où il sera disponible. Les demandes gracieuses devraient mécaniquement diminuer. Aujourd'hui, des contribuables viennent nous voir en nous disant qu'ils ne peuvent payer leur impôt en raison d'une perte d'emploi ou d'un départ à la retraite. Avec le prélèvement à la source, cette cause disparaît. Ne restera plus comme problème que le paiement du solde, dont le montant sera étalé sur plusieurs mois au-delà d'un certain seuil.

Mme Véronique Bied-Charreton. - Une fois l'impôt acquitté, les demandes gracieuses ne sont plus possibles. Cela n'est envisageable que pour les impôts qui n'ont pas encore été payés. Le « gracieux » porte sur une incapacité à payer, pas sur des sommes déjà prélevées. Il ne pourra donc désormais porter que sur le solde de l'impôt sur le revenu ou sur d'autres impôts.

M. Bruno Parent. - La DSN, colonne vertébrale du dispositif, fonctionne aujourd'hui. Courant 2017, tous les collecteurs la mettront en oeuvre. Reste que l'insertion de certaines entités n'était prévue qu'à partir de 2020. Nous sommes donc en train de construire un succédané de cette DSN qui ne s'appliquera qu'au prélèvement à la source afin que tous les employeurs puissent disposer d'un taux applicable aux salaires versés. La DSN compte 283 lignes, auxquelles il faudra ajouter deux lignes pour le prélèvement à la source. Pour ces professions, il s'agira donc d'une DSN réduite à la portion congrue, c'est-à-dire aux items relatifs au prélèvement à la source. Cette réforme se fera avec le concours des équipes de la sphère sociale qui ont porté la DSN. La réforme entrera donc en vigueur à la date prévue et, bien évidemment, elle sera testée avant le 1er janvier 2018.

Mme Véronique Bied-Charreton. - Par rapport aux autres États qui, tous, ont mis en place il y a bien longtemps ce prélèvement à la source, notre pays bénéficie de deux facteurs positifs : les entreprises utilisent déjà la DSN et l'administration fiscale saura traduire la complexité de l'impôt sur le revenu par un seul taux synthétique. Aux États-Unis, en Belgique, en Allemagne, la situation est bien plus compliquée car les employeurs doivent se référer à divers barèmes. Nous profitons des progrès informatiques qui rendent cette réforme bien plus facile à appliquer.

M. Richard Yung. - Très bien !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le système que vous proposez est quand même très compliqué et vous avez même été obligés d'allonger le délai de reprise. Pourquoi ne pas prévoir une moyenne sur les deux dernières années pour déterminer le montant des revenus non exceptionnels à prendre en compte lors de l'année de transition

M. Michel Bouvard, rapporteur spécial. - Comment les frontaliers qui sont déjà soumis au prélèvement à la source seraient-ils traités ?

Mme Véronique Bied-Charreton. - Nous avons choisi d'effacer les revenus d'une année pour éviter une double imposition en 2018. En cas de revenus exceptionnels en 2017, il faudra les prendre en compte. Le salaire imposable ne peut être comparé aux bénéfices réalisés par un indépendant ou à des revenus fonciers.

Pour les salariés, nous avons établi une liste des revenus dits exceptionnels. En prenant la moyenne des revenus constatés au cours des années passées, nous aurions décalé la contemporanéité et nous nous serions écartés de notre objectif. Ainsi, les personnes se retrouvant au chômage en 2018 auraient été pénalisées puisque seule la moitié des impôts pour 2017 auraient été effacés. La moyenne s'adapte donc mal à ce type de situations.

J'en viens à la question sur les travaux réalisés par les bailleurs, à savoir les revenus fonciers. Les travaux réalisés en 2017 bénéficieront d'un double avantage : les déficits fonciers de 2017 seront imputés sur 2018 et seront reportables. Le taux de prélèvement tiendra donc compte de ces travaux. Pour éviter que les bailleurs ne fassent pas de travaux en 2017, ils bénéficieront en 2018 de la moitié du montant des travaux réalisés en 2017. Ainsi, si vous avez réalisés des travaux en 2017 et aucun en 2018, vous aurez le droit de déduire la moitié des travaux de 2017, en plus du fait que le déficit foncier de 2017 sera pris en compte.

M. François Marc. - Il s'agit d'une mesure de relance.

M. Grégoire Deyirmendjian, sous-directeur chargé de la fiscalité des personnes. - La situation des frontaliers qui bénéficient déjà d'un prélèvement contemporain ne sera pas modifiée ; ils continueraient à acquitter l'impôt dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.

M. Bruno Parent. - Vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que le taux par défaut est par définition défavorable. Je ne puis être d'accord avec vous, car s'il s'applique au salaire du moment, il ne tient pas compte des autres revenus du foyer fiscal. En outre, les contribuables pourront opter pour ce taux, ce qui démontre bien qu'il n'est pas systématiquement défavorable. Il est d'ailleurs prévu que le contribuable devra payer la différence à l'administration fiscale. Suivant les situations de famille et de revenus autres que salariaux, ce taux peut être favorable ou défavorable.

En outre, le taux par défaut s'appliquera aussi en cas de situation inévitable : entrée sur le marché du travail, retour de l'étranger. Dans ces cas, la DGFiP n'aura pas le temps d'adresser à l'employeur le taux normal du foyer correspondant. L'employeur devra donc appliquer le taux par défaut. Mais ce dernier n'aura pas vocation à s'éterniser : il sera remplacé rapidement par le taux normal dès que l'administration l'aura transmis. Ainsi, dès le premier salaire versé, un prélèvement à la source sera effectué. Nous sommes donc toujours dans la même logique de la contemporanéité.

Mme Véronique Bied-Charreton. - Le texte proposé prévoit différents changements de situation pour lesquels l'administration fiscale recalcule le montant du prélèvement après qu'ils ont été déclarés par le contribuable. Ces changements - mariage, divorce, décès - s'accompagnent de la création ou de la disparition d'un foyer fiscal. Tel n'est pas le cas pour ce qui est des naissances. Il s'agit, en effet, d'événements qui ont une influence sur le montant de l'impôt dont il peut être tenu compte par le biais d'une modulation du taux de prélèvement : le contribuable peut demander une telle modulation et, à cet effet, estimer le montant de ses revenus de l'année, indiquer la modification de la composition de son foyer fiscal, et ce sur le site Internet dédié, permettant à l'administration de calculer un nouveau taux qui, s'il est inférieur au prélèvement appliqué jusqu'alors, sera communiqué à son employeur. L'arrivée d'un enfant pourrait donc être appréhendée à travers les modulations du taux.

M. Charles Guené. - Jusqu'à présent, j'étais favorable à l'établissement d'un prélèvement à la source. Toutefois, à la suite des débats qui se sont tenus, je m'interroge : pourquoi ne pas avoir choisi la mensualisation contemporaine ? Le contribuable aurait pu rester au centre du dispositif en avertissant l'administration fiscale des évolutions de sa situation. Ce sera d'ailleurs le cas pour une naissance, comme vous venez de le dire. En outre, n'oublions pas les multiples niches de notre législation fiscale. Certains vont voir leur revenu disponible largement amputé. Serait-il difficile d'en revenir à une mensualisation contemporaine ?

Le prélèvement libératoire des élus va être supprimé pour entrer dans le moule de cette réforme, qui devait respecter la neutralité fiscale. Les indemnités représentatives de frais de mandat bénéficieront toujours d'un abattement, mais la tranche zéro du prélèvement obligatoire est supprimée. L'abattement général pour frais d'emploi devrait être majoré d'autant, sinon tous les élus de France des communes de plus de 500 habitants vont devoir acquitter des impôts supplémentaires. S'agit-il d'un choix délibéré ?

M. Vincent Capo-Canellas. - N'aurait-il pas été plus prudent de mener cette réforme en début plutôt qu'en fin de mandat ?

Peut-on séparer le mode de collecte de l'impôt sur le revenu d'une réforme fiscale, à moins que le prélèvement à la source n'en soit que le prélude ?

M. Marc Laménie. - Votre grande administration voit ses moyens humains se réduire. Cette réforme va-t-elle conduire à stabiliser les effectifs ?

M. Richard Yung. - Il n'est jamais temps de faire des réformes ! Pourtant, nous sommes le dernier pays de l'OCDE à ne pas prélever à la source. La droite nous parle de prélèvement contemporain... qui ne répond pas au problème. En Allemagne, où j'ai travaillé, on est obligé de prendre un conseiller fiscal pour remplir sa déclaration.

Le 5 octobre, le Medef et la CGPME nous ont affirmé que cette réforme aurait un coût élevé pour les entreprises et dégraderait leurs relations avec leurs salariés. Est-ce le cas ?

M. Michel Canevet. - Les effectifs du réseau territorial de la DGFiP ne risquent-ils pas de continuer à fondre avec cette réforme ? Les implantations territoriales continueront à disparaître puisqu'il leur revient, entre autres, de collecter l'impôt sur le revenu.

Pour quelle raison la DSN ne s'applique-t-elle pas aux collectivités publiques ? Le secteur public ne se doit-il pas d'être exemplaire ?

Nous partageons les inquiétudes des entrepreneurs en ce qui concerne les coûts qu'ils vont devoir assumer.

M. Bruno Parent. - Cette réforme intervient-elle au bon moment ? Je ne suis sans doute pas le plus qualifié pour répondre à cette question mais, techniquement, les échéances électorales ne perturberont en rien sa mise en oeuvre. En outre, cette réforme est totalement détachable d'une réforme fiscale globale : prélèvement à la source ou pas, le contribuable payera la même chose.

Le réseau de la DGFiP restera-t-il ce qu'il est ? Non, mais cela n'a aucun rapport avec cette réforme. Je rappelle que, depuis la fin des années 1990, le Parlement vote tous les ans la diminution des effectifs, mais le Gouvernement a tenu compte de cette réforme qui va entraîner un pic de charge momentané et il a donc réduit à 500 ETP la diminution globale des effectifs de la DGFiP entre 2016 et 2017.

Le réseau évolue, notamment parce que les services rendus ne sont pas bons lorsque les centres sont trop petits.

M. Jacques Genest. - Ce n'est pas vrai !

M. Bruno Parent. - Le réseau continuera à évoluer raisonnablement avec ou sans prélèvement à la source.

Concernant les craintes des représentants du Medef, que nous rencontrons régulièrement, je serai très prudent. La plupart des très petites entreprises recourent à un prestataire de services pour leurs paies, qu'il s'agisse d'un comptable, ou d'un éditeur de logiciel. Il ne saurait être exclu que les prestataires de logiciels ne facturent pas les modifications qu'ils devront introduire dans leurs systèmes informatiques, considérant qu'il s'agit là d'une évolution règlementaire, comme il en intervient régulièrement. Qui vivra verra...

Les grandes entreprises ont, le plus souvent, un système de paie intégrée. Or celui-ci a déjà pris en compte la DSN. Elles devront donc récupérer le taux que leur enverra la DGFiP et l'appliquer aux salaires versés. Cette modification ne semble pas d'une complexité extraordinaire puisqu'il s'agit d'appliquer à une assiette connue le taux fourni ou le taux par défaut.

J'en viens à la relation de l'entreprise avec ses salariés : tout sera fait pour que les questions que se poseront ces derniers soient traitées par l'administration fiscale et non par les entreprises. Il se passera quelques semaines entre le moment où l'entreprise collectera l'impôt sur le revenu de ses salariés et celui où elle versera ce montant au Trésor. Dans l'intervalle, ces sommes resteront dans la trésorerie des entreprises.

Mme Véronique Bied-Charreton. - Pour ce qui concerne les prélèvements sur les revenus des élus locaux, la réforme dépasse le cadre du simple recouvrement. Le Gouvernement estime qu'il est difficile de maintenir le système actuel alors que l'ensemble de la population sera prélevé à la source. En revanche, l'abattement sur les indemnités représentatives de frais de mandat sera maintenu. N'oublions pas non plus l'abattement de 10 % qui s'applique sur tous les traitements et salaires. Enfin, un élu ne sera imposable qu'à partir de 2 000 euros par mois. Selon la situation, certains y gagneront et d'autre y perdront.

Mme Véronique Bied-Charreton. - Dès 2017, les élus locaux vont basculer dans le régime général car les indemnités versées l'année prochaine seront effacées. Les élus locaux ne seront donc pas imposés pendant un an.

M. Bruno Parent. - Le système actuel pour les élus locaux est très complexe. Un certain nombre d'élus ont du mal à s'y retrouver.

M. Francis Delattre. - Si nous n'avons pas mis en place le prélèvement à la source, c'est parce que notre système fonctionnait très bien et notre administration fiscale était plutôt en avance sur les autres. Est-il vraiment opportun de transférer aux entreprises la tâche de recouvrement de l'impôt ? Dans quelle mesure le surcoût qui en résulterait pour les entreprises a-t-il pu être évalué ?

Nombre des 60 propositions formulées par François Hollande lorsqu'il était candidat n'ont pas été menées à bien. Cette réforme, qui était annoncée, intervient en fin de quinquennat : seuls les salariés et les retraités seront véritablement concernés par cette réforme : n'est-ce pas discriminant ? Jusqu'à présent, nos concitoyens consentaient à l'impôt ; avec ce système, ils y seront assujettis d'office.

Mme Marie-France Beaufils. - Non, l'impôt est obligatoire !

Comment les choses se passeront-elles lorsqu'un revenu évoluera en cours d'année ou qu'un changement d'employeur interviendra ?

M. Jacques Genest. - Je ne comprends pas les raisons de cette réforme. Pourquoi ne pas instituer la mensualisation actualisée ? Les agriculteurs, les artisans et les commerçants vont devoir avoir recours à des experts comptables.

L'administration fiscale, dont j'ai fait partie pendant trente-cinq ans, n'est pas en mesure de mener à bien cette réforme. Après la fusion entre les impôts et le Trésor, on a vu arriver dans les trésoreries des personnels qui avaient fait toute leur carrière aux impôts et qui étaient incapables de répondre aux élus locaux. Il aurait fallu bien mieux former ces personnels.

Les élus locaux ont d'autres revenus. Avec cette réforme, on va faire payer des impôts à des élus qui sont, avant tout, des bénévoles.

Mme Michèle André, présidente. - Mais qui perçoivent quand même des indemnités.

M. François Marc. - Cette réforme était attendue, la France était en retard.

Nous avons entendu le 5 octobre des représentants d'entreprises qui ont émis des objections, dont certaines étaient de nature politique. En revanche, d'autres portaient sur des points techniques et vous avez levé les doutes. La concertation se poursuivra-t-elle ?

Notre commission des finances a beaucoup oeuvré pour la réforme des valeurs locatives des locaux commerciaux mais aussi des locaux d'habitation. Sur ce dernier point, la réforme semble marquer le pas. Est-ce dû à la réforme du prélèvement à la source qui occupe toutes les énergies de la DGFiP ?

M. Bruno Parent. - Le taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu est excellent et, comme cela a été dit, le prélèvement à la source ne permettra pas à l'État d'encaisser plus vite. Mais tel n'est pas l'objet de cette réforme. Son principal but est de répondre aux attentes de nos concitoyens : ceux qui partent à la retraite ne comprennent pas pourquoi ils doivent payer un impôt sur un revenu qu'ils ne perçoivent plus. D'autres, comme les agriculteurs, voient leurs revenus varier considérablement d'une année sur l'autre et doivent acquitter un impôt calculé sur l'année N-1. D'autres encore, comme les artisans, peuvent être confrontés au défaut d'un gros client et doivent payer beaucoup d'impôt alors que leurs revenus ont baissé. Coller à la réalité des revenus est une forme de justice. Je n'y vois nulle discrimination, monsieur Delattre. Il faut que tout le monde puisse bénéficier de cette réforme, notamment les professions indépendantes, comme les agriculteurs, les commerçants et les artisans. Dans le monde agricole, cette réforme semble d'ailleurs bien accueillie.

Toute la DGFiP est mobilisée pour la réussite de cette réforme ambitieuse. Les agents et les cadres de la direction générale souhaitent la réussite cette réforme, quelles que soient les positions des organisations syndicales représentatives. La DGFiP relèvera le défi qui lui est lancé.

Comme François Marc, j'ai entendu dire que la concertation avait été insuffisante. Elle a commencé en 2015 et elle s'est poursuivie tout au long de cette année. Nous sommes en train de préparer cette réforme et ce n'est pas faire injure au Parlement que de le dire. Nous verrons quel sera son vote. Bien entendu, la concertation se poursuivra l'an prochain.

La réforme des valeurs locative des locaux professionnels est en marche. L'an passé, le Parlement a d'ailleurs été amené à se prononcer. Pour les locaux d'habitation, des simulations ont été faites sur cinq départements. Certes, il s'agit de résultats trop partiels pour en tirer des enseignements définitifs. Mais il n'y a pas eu d'effet d'éviction du fait de la réforme du prélèvement à la source car il ne s'agit pas des mêmes équipes ni des mêmes structures. Un rapport a été publié fin 2015 et les simulations réalisées sont en train d'être analysées.

Marie-France Beaufils a évoqué le cas de changement d'employeurs en cours d'année. Lors du versement du premier salaire, soit l'employeur aura connaissance du taux qui s'appliquera à son salarié, soit, si tel n'est pas le cas, il utilisera le taux par défaut. Mais dès le salaire suivant, il disposera de l'information délivrée par la DGFiP et pourra donc calculer l'impôt sur le revenu. Bref, si le salaire fluctue considérablement d'un mois sur l'autre, l'impôt suit.

En cas de multi-employeurs, chaque employeur appliquera le même taux fourni par l'administration fiscale.

Enfin, en fonction de la déclaration de revenus rédigée l'année suivante par le contribuable, nous afficherons les prélèvements déjà effectués de sorte qu'il puisse s'assurer qu'il a payé ce qu'il devait et qu'il connaisse le solde à acquitter. Nous agirons donc en totale transparence.

La réunion est levée à 12 h 55.

Jeudi 20 octobre 2016

- Présidence de Mme Michèle André, présidente

Enseignement français à l'étranger et accès des Français de l'étranger à cet enseignement - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

La réunion est ouverte à 10 h 35.

La commission procède à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances, sur l'enseignement français à l'étranger et l'accès des Français de l'étranger à cet enseignement.

Mme Michèle André, présidente. - En décembre dernier, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes une enquête sur un sujet qui avait, cette année comme les précédentes, particulièrement agité nos débats budgétaires : la situation de l'enseignement français à l'étranger et l'accès des Français à cet enseignement.

Nous recevons Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes.

Je souhaite également la bienvenue à Jacques Legendre, rapporteur pour avis du programme 185, de la mission « Action extérieure de l'État », au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi qu'à nos collègues représentant les Français établis hors de France.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - Je suis heureux de présenter au Sénat l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'enseignement français à l'étranger et l'accès des Français de l'étranger à cet enseignement.

Cette enquête intervient trois ans après la précédente enquête sur le même thème, laquelle avait donné lieu à un référé de la Cour en 2013.

Comme de coutume, nos investigations ont été menées sur pièces et sur place, au sein des ministères concernés comme sur le terrain. Nous nous sommes rendus dans sept pays, dont quatre en Europe, deux en Afrique, un au Moyen-Orient. Nous avons visité 25 établissements scolaires et rencontré 500 personnes en tout, qu'il s'agisse des responsables des établissements, mais aussi de membres de leur environnement immédiat, comme les associations d'anciens élèves et de parents.

Notre enquête a été centrée sur l'évolution des financements publics consacrés à cette politique entre 2012 et 2015, dans le périmètre de l'action 5 - AEFE - du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » et de l'action 2 - « Accès des élèves français au réseau AEFE » - du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». Nous avons également considéré le financement par ressources propres des établissements, qui proviennent de deux sources : les frais de scolarité et les recettes alternatives.

L'enseignement français à l'étranger - une compétence du ministère des affaires étrangères et du développement international, dont nous avons auditionné le secrétaire général Christian Masset, après nos travaux et avant notre communication sur ces derniers - et son opérateur public dédié, l'AEFE, ont-ils les moyens de se projeter avec confiance dans l'avenir ?

De nos travaux, il faut retenir trois messages.

Premièrement, malgré des efforts louables de gestion ces dernières années, l'enseignement français à l'étranger ne dispose pas de stratégie conforme à sa double vocation d'accueillir les enfants des expatriés français à l'étranger et de participer au rayonnement français à l'étranger par l'accueil des enfants des pays concernés.

Deuxièmement, le dynamisme des dépenses constaté dans la période récente et les possibilités limitées d'accroissement des recettes sont une réelle source de fragilité du système.

Troisièmement, l'amélioration de la gestion des ressources humaines demeure une priorité.

Je veux maintenant développer ces messages.

Premier message : l'enseignement français à l'étranger se distingue par la densité de son réseau, issu de l'histoire, et par une gouvernance délicate due à la multiplicité des acteurs impliqués. Un peu moins de 500 établissements scolaires sont concernés. Ils se répartissent en trois catégories distinctes : les établissements en gestion directe, les établissements conventionnés et les établissements partenaires, les trois étant homologués par les ministres de l'éducation nationale et des affaires étrangères.

Ces facteurs expliquent d'abord, malgré les efforts entrepris depuis 2013, la difficulté d'établir pour ce réseau disparate des priorités géographiques claires pour les années à venir. Plusieurs tentatives de priorisation du développement du réseau ont été entreprises, mais n'ont pas abouti. Nous concevons qu'il s'agit là d'un exercice difficile, car la demande de l'enseignement français évolue parfois de manière peu prévisible. Il faut par exemple constater une expatriation française vers la Chine moindre que prévu au cours des dernières années.

L'enseignement français à l'étranger est un réseau ; il est donc par définition peu simple de le piloter. Il y a en outre des réseaux dans le réseau : la Mission laïque française, l'Alliance israélite universelle, l'Association franco-libanaise pour l'éducation et la culture, dont tous les établissements ne sont pas homologués.

À cela s'ajoute une concurrence intense de la part des écoles privées, anglo-saxonnes notamment. Si nos travaux démontrent que la demande d'enseignement français est satisfaite partout, sauf dans quelques rares cas, comme au Maroc, ils soulignent également que la décision de suivre l'ensemble de sa scolarité dans un établissement de l'enseignement français ne va pas de soi, ce qui implique de mettre sur pied une réflexion sur l'accompagnement des élèves jusqu'à la terminale et même au-delà.

L'enseignement français à l'étranger dispose également, au-delà de son réseau propre, d'une offre complémentaire avec le label FrancÉducation, offre qui a ses avantages, mais également ses limites.

La concurrence des établissements privés anglophones pose des problèmes pour notre politique en la matière ; il faudrait pouvoir la suivre au sein de nos postes diplomatiques.

À notre sens, une des questions principales est le devenir des élèves après le bac. Pour les élèves français, il est indispensable qu'ils obtiennent un identifiant national étudiant (INE), qui est un vrai passeport pour l'enseignement supérieur. Une autre de nos propositions est d'intégrer les anciens des lycées français dans le monde dans la gouvernance du réseau.

Deuxième message : le modèle économique de l'enseignement français à l'étranger est fragilisé par le faible potentiel d'évolution des recettes et le dynamisme des charges, que l'on constate sur tous les postes ou presque - le personnel, l'immobilier, les bourses.

Pour ce qui est de l'immobilier, nous notons que le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une enveloppe bienvenue pour la sécurisation des établissements. Malgré tout, nous vous faisons part de notre inquiétude sur la capacité de financement des opérations inscrites au schéma pluriannuel de stratégie immobilière. La sécurisation va coûter très cher ; elle devient même une vraie rubrique du schéma. Cette préoccupation rejoint celle qui porte sur les travaux de sécurisation des emprises diplomatiques à l'étranger.

Pour ce qui est des bourses, nous avons constaté que, dans le système actuel, les enveloppes sont tenues et permettent de répondre à la demande. Les non-scolarisations pour raison financière sont néanmoins extrêmement délicates à estimer. Nous anticipons que les dépenses de bourses continueront à évoluer, peut-être au-delà des 124 millions d'euros qui devaient leur être affectés à horizon 2019. Notre recommandation consiste à réaliser des gains sur la gestion des bourses par une dématérialisation accrue.

Nos travaux démontrent également que la hausse des dépenses a été financée par une augmentation importante des frais de scolarité à la charge des parents depuis 2008. En outre, 54 % des expatriés prennent désormais en charge les frais de scolarité de leurs enfants, contre 36 % auparavant. Nous vous alertons sur un point : une nouvelle hausse de ces frais pourrait détourner nombre de familles de l'enseignement français à l'étranger.

Pour ce qui est de la participation de l'État à l'enseignement français à l'étranger, les crédits ont diminué de 8 % depuis 2012. Le ratio de l'aide consentie aux établissements, hors bourses, sur le montant des droits de scolarité acquittés par les familles est passé de 65 % en 2013 à 58 % en 2015 pour les établissements en gestion directe (EGD). La tendance est similaire pour les établissements conventionnés. Cette tendance ne peut se poursuivre.

Trois scénarios sont possibles : une diminution des crédits, qui entraînerait l'attrition du réseau et la fermeture de certains établissements ; la stabilisation des crédits et le maintien du réseau en l'état, ce qui impliquerait alors la mise en place de réformes sur l'évolution des statuts des établissements et des personnels, ainsi que le développement des établissements partenaires ; une augmentation des crédits, qui permettrait une expansion du réseau.

Pour faire ce choix, qui revient au législateur, il convient de garder à l'esprit que l'enseignement français à l'étranger est un actif patrimonial et matériel, dont la valeur serait remise en cause si les crédits qui lui sont alloués venaient à trop diminuer.

Troisième message : la gestion des ressources humaines doit être réformée en profondeur. La Cour avait déjà fait cette préconisation en 2013.

La catégorie juridique des enseignants expatriés doit notamment être remise en question. Quelle est sa pertinence ? Ce sont des gens de qualité, mais la spécificité de leurs missions pose question. Quant au statut de résident, détaché de l'éducation nationale, c'est une fiction qui ne trompe personne : ce sont des expatriés sans le nom, puisqu'il suffit d'être résident dans un pays depuis plus de trois mois pour l'obtenir. Le sacro-saint décret de 2002 doit être revisité. La situation actuelle nous semble en effet incohérente et insincère. Elle se caractérise en outre par une gestion rigidifiée des personnels.

Quant aux recrutés locaux, leurs profils varient du bachelier de Madagascar au docteur de Harvard. Un véritable enjeu de formation, non pas continue, mais d'intégration, se pose donc. Nous aimerions d'ailleurs qu'il soit possible de connaître le nombre de recrutés locaux dans les établissements partenaires.

Nous suggérons de repenser la répartition entre résidents et expatriés. Quelle est la pertinence, par exemple, de placer des expatriés parmi les non-enseignants, à la direction des affaires administratives et financières, par exemple ?

Nous proposons donc d'établir de nouvelles règles de gestion pour les résidents, en supprimant les recrutements différés et en mettant fin à la reconduction tacite du détachement ; de réduire la proportion d'expatriés au profit des résidents à effectif total maintenu ; et de valoriser le statut de recruté local, à travers, par exemple, la création d'un parcours professionnel.

L'enseignement français à l'étranger est un atout unique pour France. C'est un actif de très grande qualité, un domaine d'excellence, dont il faut garantir la pérennité.

Cette politique arrive aujourd'hui à la croisée des chemins. Tout désengagement de l'État conduirait au dépérissement du réseau. Il faut donc pouvoir définir les priorités qui lui seront assignées pour l'avenir, témoigner d'une réelle volonté d'améliorer la gestion des ressources humaines, et stabiliser les crédits alloués.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je remercie les magistrats de la Cour des comptes, et en premier lieu Jean-Philippe Vachia, de l'excellent travail qu'ils nous ont rendu et qui vient de nous être présenté. Ce travail complète et précise plusieurs rapports existants sur un réseau complexe, divers, multiforme et unique au monde.

Je retiens pour ma part quatre éléments principaux de cette enquête.

Premier point, le réseau est unique par son ampleur, mais son évolution est lente et ne traduit pas une stratégie. Il est vrai que ce réseau est d'abord le fruit de l'histoire. La Cour des comptes recommande que le ministère se dote de grilles d'analyse prospective, en fonction des flux d'expatriation et des offres alternatives, tout en convenant que cet exercice est difficile. Vous avez cité le cas de la Chine, par exemple. À court terme, pensez-vous qu'une évolution est souhaitable ? Comment pourrait-elle s'opérer compte tenu de l'inertie propre à un réseau d'établissements existants ?

Deuxièmement, s'agissant du financement, la Cour des comptes souligne que la part des crédits publics s'est considérablement réduite par rapport aux frais de scolarité. J'ajouterai la régulière ponction du fonds de roulement de l'Agence, de ses services centraux et de ses établissements en gestion directe. La directrice générale de la mondialisation, que j'ai entendue voilà quelques jours, a parlé d'une ponction de 65 millions d'euros sur les services centraux et de 32 millions d'euros sur les établissements en gestion directe, après une ponction de 20 millions d'euros l'année dernière. Confirmez-vous ces chiffres ? N'y a-t-il pas là une atteinte aux droits des parents, qui ont alimenté ces fonds de roulement par les frais qu'ils acquittent en vue de travaux d'investissement, lesquels ne pourront pas être réalisés ?

En 2017, les dépenses de sécurisation des établissements sont budgétées à hauteur de 14,7 millions d'euros. Quel est le montant prévisionnel de ces dépenses de sécurisation à moyen terme pour l'ensemble du réseau ?

Je crois, en tout état de cause, que nous devons désormais préserver le financement de l'AEFE et de ses établissements.

Troisième point : les bourses scolaires.

La Cour des comptes a analysé cette question, qui fait l'objet d'importants débats au Parlement chaque année, de façon objective et précise. Elle en conclut, comme le ministère, que le taux de demandes de bourse non satisfaites est très faible et que l'enveloppe consommée est donc suffisante. Cependant, il y a un biais important : cette analyse s'intéresse aux demandes jugées recevables par les commissions locales ou qui sont déposées parce qu'elles correspondent aux critères définis. La sévérité de ces critères, qui est souvent décriée par nos compatriotes à l'étranger, n'est donc pas prise en compte. Pensez-vous, dans ces conditions, que l'enveloppe de 115 millions d'euros par an est à la hauteur des besoins ?

Le quatrième point a trait à la gestion des ressources humaines, sur laquelle la Cour des comptes a livré une analyse détaillée très intéressante. Il en ressort notamment que les différences de statut et de rémunération entre les expatriés et les résidents - un expatrié coûtant deux fois plus cher à l'AEFE qu'un résident - ne sont pas justifiées par une différence de mission fondamentale. Ces différences sont donc, sur le terrain, mal ressenties. Ma question s'adresse donc à la fois à la Cour des comptes, à l'AEFE et au ministère de l'éducation nationale : une transformation progressive des postes d'expatriés en postes de résidents, s'agissant du personnel enseignant, est-elle envisageable ? Quelles sont les marges de manoeuvre financières potentielles liées à une telle évolution pour l'AEFE ?

Par ailleurs, la Cour des comptes préconise une formation initiale obligatoire, aujourd'hui inexistante, pour les enseignants recrutés locaux, qui sont selon elle « l'avenir du réseau ». Est-ce envisageable et sous quelle forme ? Quel en serait le coût ?

Je terminerai en insistant à mon tour sur l'importance du suivi post-bac des anciens élèves du réseau. Un travail doit clairement être mené pour mieux exploiter cette diaspora.

M. Christophe Bouchard, directeur général de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. - Avant de répondre aux questions qui me seront posées, je voudrais faire quelques remarques sur la présentation faite à l'instant par le président Vachia.

L'AEFE prendra connaissance dans le détail du rapport de la Cour des comptes, comme elle avait pris connaissance des observations préliminaires, à propos desquelles elle avait fait valoir ses réactions.

Ce rapport, comme le rapport de 2013, dresse un tableau très complet sur la situation actuelle du réseau de l'enseignement français à l'étranger et des enjeux le concernant. Nous tenons à souligner le constat de départ formulé par la Cour des comptes, constat que nous partageons pleinement, qui insiste sur le caractère unique de ce réseau, aussi bien dans son organisation que dans l'implication de l'État, et sur son importance et son efficacité comme vecteur de l'influence française.

Il va de soi que l'AEFE et son ministère de tutelle partagent la volonté de tout mettre en oeuvre pour que la double mission de l'Agence et de son réseau - l'enseignement français aux enfants d'expatriés et l'influence culturelle auprès des enfants des pays concernés - continue d'être remplie de la façon la plus efficace possible, tout en l'adaptant aux évolutions à la fois endogènes et exogènes qui l'affectent.

Nous partageons donc le constat central fait par la Cour des comptes de la nécessité d'un maintien de l'engagement fort de l'État pour préserver ce modèle français.

Une différence d'appréciation avec un élément du rapport, cependant : l'AEFE, à travers notamment le contrat d'objectifs et de moyens 2016-2018², a d'ores et déjà élaboré une feuille de route pour les prochaines années, en cohérence avec les grandes orientations fixées dans le présent rapport de la Cour des comptes, et s'inspirant des réflexions menées sur la base de son précédent rapport, en 2013. Cette dimension a peut-être été sous-estimée dans le présent rapport.

Sur la question du pilotage, nous partageons le constat de la nécessaire fixation des priorités de l'enseignement français à l'étranger sur un plan géographique, thématique et organisationnel. Il faut rattacher à cette réflexion le travail mené par les ambassades d'une trentaine de pays sur le « plan enseignement », qui doit permettre d'offrir une vision de moyen terme en matière d'évolution du réseau.

Nous soulignons également l'importance de l'évolution du réseau au regard des contraintes budgétaires. Des premières réponses se font jour, à travers le développement des établissements partenaires mais aussi d'une offre complémentaire, comme le label FrancÉducation. Notre objectif est de continuer à promouvoir la croissance de l'offre dans un contexte contraint.

Nous partageons également les conclusions de la Cour des comptes sur l'importance des aspects liés aux ressources humaines, tant pour les personnes détachées titulaires de l'éducation nationale, pour lesquelles se pose la question du statut, que pour les recrutés locaux, qui représentent 50 % du personnel de nos établissements, et pour lesquels se pose effectivement la question de la formation, continue et initiale. Nous travaillons d'ores et déjà sur ces sujets.

Un point sur notre politique pédagogique et le contenu des enseignements : nous accordons une place importante à l'innovation pédagogique ; elle participe de la qualité reconnue de nos enseignements. Par ailleurs, depuis quelques mois, nous avons mis l'accent sur la thématique de l'inclusion : il s'agit de ne pas exclure par principe les élèves qui ont du mal à suivre les cours.

J'insiste sur un autre point, soulevé par Jean-Philippe Vachia : le lien entretenu avec l'enseignement supérieur est très important. Je veux ici rétablir quelques faits. Nous assurons le suivi des élèves quand ils passent dans l'enseignement supérieur, en France ou à l'étranger d'ailleurs. Je peux même dire que nous sommes très impliqués. La question de l'identifiant national étudiant a été soulevée. Sur ce sujet, nous avançons bien. Nous nouons également de nombreux partenariats avec de nouveaux établissements de l'enseignement supérieur en France et à l'étranger.

Quant au rôle des anciens élèves dans cette politique, je conviens que nous n'exploitons pas assez ce réseau. Nous ne touchons qu'une partie de la diaspora des anciens élèves, qui compte entre 500 000 et 600 000 membres. Nous devons accélérer le développement de réseaux sociaux dédiés pour créer des liens supplémentaires entre les anciens élèves de notre réseau, anciens élèves qui, des années après avoir quitté nos établissements, peuvent représenter de véritables soutiens à la France.

M. Pierre Lanapats, directeur adjoint de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau du ministère des affaires étrangères et du développement international. - Nous remercions la commission des finances d'avoir diligenté cette enquête de la Cour des comptes sur l'enseignement français à l'étranger. C'est l'occasion de faire un point d'étape sur les évolutions importantes qu'a connues notre réseau depuis trois ans.

Elle s'inscrit dans la continuité de la concertation menée par la ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, Hélène Conway-Mouret, sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger, des rencontres que le ministère des affaires étrangères et du développement international, le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur ont sur le sujet, et des travaux spécifiques sur ce thème : le rapport de 2012 de la sénatrice Claudine Lepage et du député Philip Cordery, le rapport Perret de 2015.

Le ministère, son secrétaire général l'a dit, est d'accord sur la pertinence du double objectif de l'enseignement français à l'étranger, à savoir, d'une part, une éducation de qualité pour les enfants des Français établis à l'étranger, d'autre part, le développement de l'influence française auprès des enfants d'étrangers.

L'enseignement français à l'étranger, ce sont près de 500 établissements dans 137 pays. L'engagement de l'État y est aussi important que nécessaire : c'est le premier poste de dépense du programme 185 « Action extérieure de l'État », à hauteur de 60 %.

Malgré cela, le réseau est de plus en plus largement autofinancé, à travers les frais de scolarité payés par les familles.

L'équilibre actuel de ce partage des charges ne saurait être remis en cause. Le ministère des affaires étrangères et du développement international partage en effet pleinement le constat de la Cour : il faut stabiliser les crédits budgétaires de l'AEFE. Nous nous permettons de souligner l'adaptabilité du réseau dans ses différentes composantes : nous voulons qu'il contribue à la vitalité de notre réseau diplomatique, en particulier dans les zones de croissance de nos communautés expatriées, et au renforcement de notre présence économique.

Nous avons également encouragé la promotion d'un réseau complémentaire, véritable deuxième pilier de l'influence éducative française à l'étranger, à travers le label FrancÉducation, accordé aux meilleurs établissements bilingues francophones -158 écoles et 60 000 élèves en profitent désormais.

Nous sommes conscients de la nécessité de finir tous ces chantiers et d'en ouvrir d'autres.

En premier lieu, cela passe par le renforcement de notre coopération avec le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur. Cette volonté d'une meilleure prévisibilité de la cartographie de nos implantations a donné lieu à la mise en place des « plans enseignements » dans les principaux pays de notre réseau.

Nous sommes également ouverts au principe d'une réflexion d'ensemble sur les ressources humaines.

La possibilité d'accéder à l'enseignement supérieur français est un axe de travail important que nous avons donné à notre réseau, en insistant sur le caractère crucial du continuum avec les études secondaires. Quant au suivi des élèves, notamment étrangers, après leur départ des établissements, il nous semble important qu'il se fasse en parallèle du déploiement du réseau d'alumni.

Mme Anna-Livia Susini-Collomb, cheffe du département des relations européennes et internationales à la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale. - Je tiens à mon tour à saluer le travail et les constats faits par la Cour des comptes dans ce rapport. C'est un rendez-vous que nous attendions pour, au-delà de nos réflexions, prendre le temps de nous projeter dans l'avenir du réseau, le temps aussi du recul sur les actions que nous menons dans un dossier complexe.

Le ministère de l'éducation nationale ne peut que rejoindre le constat et les préconisations de la Cour des comptes. Une phrase du rapport illustre bien la situation dans laquelle nous sommes : notre politique en matière d'enseignement français à l'étranger, pour ce qui concerne les homologations, par exemple, navigue en effet entre une certaine tolérance et une certaine rigueur.

Nous avons beaucoup travaillé, en format interministériel, à renforcer notre coopération avec le ministère des affaires étrangères et du développement international, autour notamment de l'engagement des établissements du réseau AEFE en faveur du label qualité.

Dans ce secteur extrêmement concurrentiel, le lancement début octobre d'une plateforme - intégralement financée par le ministère - visant à mesurer l'engagement sur le long terme des établissements pour cette qualité est un plus. Je signale également la mise à disposition d'inspecteurs pédagogiques « vie scolaire » et le renforcement du service pédagogique par l'AEFE. Nous avons également affecté du personnel dédié pour la gouvernance du réseau, mis sur pied des outils d'autoévaluation des établissements scolaires et entamé une politique d'audit de ces établissements.

Mais nous sommes encore au milieu du gué. Les outils existent : nous devons les affiner ensemble. La situation est rendue complexe par la diversité d'un réseau qui s'étend sur toutes les zones du globe.

Le travail prospectif sur les questions géographiques, politiques ou d'engagement des ressources humaines du réseau est tout à fait nécessaire.

J'ai beaucoup aimé le concept de « formation intégrative » des recrutés locaux, qui apparaît dans ce rapport. Beaucoup de choses se font déjà, mais ce concept est intéressant car il évite la confusion avec la formation initiale que nous ne pourrions de toute façon pas mettre en place.

Pour ce qui est de la poursuite des études dans l'enseignement supérieur français, je rappelle qu'un arrêté de 2012 crée ce référentiel qu'est le numéro d'identification national étudiant. Son application pour les élèves de l'enseignement français à l'étranger est prévue pour la rentrée 2017-2018. Les choses sont en cours. Une réunion s'est par exemple tenue hier matin entre les services du ministère de l'éducation nationale et l'AEFE. Ce numéro est important, en effet, pour la poursuite des études. Les élèves de l'enseignement français à l'étranger disposent déjà d'un numéro quand ils passent le brevet ou le bac. L'idée est de systématiser l'immatriculation, à l'image de ce qui est fait actuellement en France.

M. Jean-Marie Jespere, chef de la mission de la formation, des parcours professionnels et de la mobilité internationale à la direction générale des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale. - La gestion des ressources humaines est l'enjeu le plus important pour l'enseignement français à l'étranger, en premier lieu parce que la qualité du personnel est source d'attractivité pour les expatriés.

Notre rôle est de soutenir au mieux le développement de l'enseignement français à l'étranger, en permettant au personnel titulaire d'intégrer certains dispositifs. Nous tâchons de maintenir une répartition homogène pour garantir l'équité des moyens entre académies et l'égalité des enseignants face à la mobilité.

Connaître les priorités du ministère des affaires étrangères et du développement international en la matière constitue un levier d'action pour sensibiliser nos personnels au sujet de la mobilité. Si l'AEFE vient à suivre les recommandations de la Cour des comptes sur le statut des résidents, nous apporterons notre éclairage et participerons aux travaux.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Dans un contexte économique contraint, est-il envisageable de faire évoluer le réseau vers l'Asie, où la croissance économique est la plus forte et notre présence la plus faible ?

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Je reste sur ma soif sur un sujet : le prélèvement sur le fonds de roulement de l'AEFE, qui sera de 100 millions d'euros cette année, après avoir été de 20 millions d'euros l'an passé. Or le fonds de roulement disponible serait, semble-t-il, de 176 millions d'euros et le montant des investissements à faire est d'environ 130 millions d'euros. Je rappelle que le prélèvement sur le fonds de roulement rentre dans le budget de l'État. Tout cela semble anormal, voire illisible. J'aimerais donc avoir quelques clarifications sur le sujet, car nous allons au-devant de réelles difficultés.

M. Christophe Bouchard, directeur général de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. - La question sur l'évolution du réseau est utile. Elle nous permet de retracer ce qui s'est passé au cours des dernières années, de présenter nos prévisions pour les prochaines années et d'insister sur la spécificité de l'enseignement français à étranger, notamment sur ses implications en termes de planification. La comparaison avec l'évolution du réseau diplomatique est d'ailleurs éclairante.

Le nombre d'élèves est globalement en augmentation sur les dernières années. À la rentrée 2016, il y avait un peu plus de 6 000 élèves supplémentaires par rapport à l'année précédente. Le suivi de l'évolution des communautés françaises est l'une de nos priorités, conformément au contrat d'objectifs et de moyens, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ayant pour mission première de scolariser les enfants français à l'étranger.

Le Royaume-Uni, en particulier la ville de Londres, est l'un des endroits où le nombre d'élèves a le plus augmenté. Les zones francophones restent prioritaires, que ce soit autour du bassin méditerranéen ou en Afrique francophone, mais aussi dans les pays émergents, par exemple dans le Golfe ou en Asie.

L'évolution du réseau présente une spécificité. Certes, nous pouvons être proactifs et prendre des initiatives. Mais nous répondons avant tout à la demande, selon qu'elle existe ou non.

Dans les deux principales puissances asiatiques, la Chine et l'Inde, qui représentent ensemble 2,5 milliards d'habitants, soit le tiers de la population mondiale, nous sommes confrontés à un blocage légal. Les gouvernements de ces deux pays interdisent, à de rares exceptions près, la scolarisation de leurs nationaux au sein de notre réseau. Nous devons donc nous limiter à la population française expatriée ou aux étrangers en provenance d'autres pays.

Nous sommes soumis à l'évolution de la communauté française. En Chine, elle n'a cessé d'augmenter pendant trois décennies, ce qui a mené à un projet immobilier ambitieux : le nouveau lycée français a été inauguré au mois de mai par le ministre des affaires étrangères. Mais, du fait des changements en matière de recours aux expatriés par les entreprises implantées en Chine ou des conditions de vie dissuasives à Pékin, le nombre d'élèves avait entre-temps baissé. Nous devons prendre en compte ce type de paramètres. Le nombre d'expatriés en Inde, encore plus limité qu'en Chine, baisse aussi, en raison des choix des entreprises et de la pollution à New Delhi.

Cela relativise certains discours que nous entendons par ailleurs. Sur le plan diplomatique, la Chine est une priorité, le ministère des affaires étrangères souhaitant faire de nos implantations dans ce pays les premières dans le monde en nombre d'agents.

La francophonie reste un domaine d'influence essentiel pour nous ; je pourrais citer le Maroc, la Tunisie, le Liban, l'Afrique francophone. Certes, c'est le résultat de l'histoire. Mais cela ne signifie pas qu'il faille l'abandonner. C'est un héritage du passé, mais cela représente aussi des points d'ancrage pour l'avenir.

Ne croyons pas que déshabiller Pierre permettrait d'habiller Paul ! Il est vrai que les 50 000 élèves scolarisés dans les établissements homologués au Liban sont hors de proportion avec la part de ce pays dans la population mondiale. Mais nous ne gagnerions rien à réduire la voilure au Liban pour l'augmenter ailleurs. Nous l'augmentons là où c'est nécessaire, compte tenu des contraintes qui sont les nôtres. Ce n'est pas toujours simple.

Les acteurs anglo-saxons, qui fonctionnent avec des règles différentes, sont dans la même situation. Il s'agit d'un marché. Nous nous établissons là où il existe une demande, en tenant compte de la spécificité du système des écoles : quand un élève entre en maternelle dans l'une de nos écoles, il est a priori censé continuer jusqu'en terminale. Nous raisonnons donc sur quinze ans. Les revirements à 180 degrés sont très difficiles, pour ne pas dire impossibles.

Les fonds de roulement conditionnent notre capacité à fonctionner. Entre les services centraux de l'AEFE, qui assurent notamment la rémunération des personnels enseignants, résidents et expatriés, et les établissements en gestion directe, ou EGD, je reconnais que la situation est complexe.

Monsieur le rapporteur spécial, les montants auxquels vous avez fait référence sont de nature différente. Les quelque 20 millions d'euros que vous avez mentionnés relèvent non pas d'un prélèvement sur le fonds de roulement, mais d'un mouvement de trésorerie des EGD vers les services centraux de l'AEFE. Cela n'a donc pas d'influence sur le fonds de roulement global de l'Agence, qui se compose à la fois du fonds de roulement des services centraux et des fonds de roulement des EGD. En l'occurrence, les services centraux, qui assurent chaque mois depuis Nantes la paie des employés du siège et des personnels enseignants, résidents et expatriés, avaient des besoins de trésorerie.

A la fin de l'année 2015, le montant global du fonds de roulement de l'AEFE, services centraux et EGD confondus, était d'environ 360 millions d'euros.

Cette année, compte tenu de nos contraintes - la situation est tendue -, ce montant global baissera d'une trentaine de millions d'euros sur les services centraux, en raison d'un déficit d'exploitation. Cela tient à un problème que la Cour des comptes a d'ailleurs soulevé : le poids croissant de la part patronale de la pension civile des personnels détachés de l'éducation nationale. Auparavant, elle était prise en compte par le ministère de l'éducation nationale. Mais elle a été transférée sur l'AEFE, avec, la première année, une subvention supplémentaire qui équivalait à la pension de l'époque, soit 120 millions d'euros. Mais cette subvention a été intégrée dans la dotation globale du programme 185, qui a baissé, alors que le poids de la pension civile augmente, d'où un déficit d'exploitation. Quand je parle d'une baisse de 30 millions d'euros, c'est au regard des éléments dont nous disposons à ce stade -l'année civile n'est pas terminée - et sous réserve du versement complet de la subvention annuelle due à l'Agence.

Le fonds de roulement des EGD devrait, sauf modifications imprévues d'ici à la fin de l'année, baisser d'un peu plus de 60 millions d'euros. C'est une évolution logique. Ces établissements ont effectué tout au long de l'année des dépenses d'investissement, qui étaient prévues dans le cadre de programmes immobiliers, d'où une baisse du fonds qui avait été constitué pour les financer. D'ailleurs, la hausse des frais de scolarité qui était intervenue dans un certain nombre d'établissements visait à constituer des réserves pour mener à bien ces projets immobiliers, qui continueront d'être menés dans les années à venir.

Il y a une interrogation sur la soutenabilité de ces projets immobiliers. Selon nos analyses, sous réserve - j'y insiste, car c'est important - du maintien de la dotation budgétaire à son niveau actuel, nous pourrons tout à fait les financer.

Une fois ces projets immobiliers réalisés - je précise que le schéma de programmation immobilière élaboré au cours des derniers mois a été validé par toutes les instances, y compris par le Conseil de l'immobilier de l'État -, nous reviendrons à un fonds de roulement conforme à ce qui est raisonnable.

M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Dans le cadre de l'examen auquel nous procédons au nom de la commission des affaires étrangères, Gaëtan Gorce et moi-même nous interrogeons sur certains des problèmes qui ont été soulevés aujourd'hui.

Je suis préoccupé par le cas des élèves qui, ayant obtenu leur baccalauréat dans un lycée français à l'étranger, n'ont pas pu trouver de place dans l'enseignement supérieur français et ont dû aller faire leurs études au Canada ou aux États-Unis. J'insiste sur la nécessité que les jeunes bacheliers des lycées français puissent intégrer notre enseignement supérieur. Auriez-vous des éléments chiffrés sur le phénomène que je viens de décrire ?

Le rapport de la Cour des comptes dénonce la faiblesse de l'inspection dans le second degré. Pourrait-on avoir plus de précisions à cet égard ?

Enfin, je me fais l'écho d'une interrogation de mon collègue Gaëtan Gorce : qu'en est-il de l'information des enseignants français susceptibles de partir à l'étranger ?

M. Jean-Yves Leconte. - Cette audition est très utile avant la discussion budgétaire. Le rapport correspond à ce que l'on perçoit en se déplaçant à l'étranger, même si je regrette qu'il ne soit pas suffisamment incisif sur certains points.

Le nombre d'élèves a augmenté de 55 000 en six ans. Or il n'y a ni recrutements supplémentaires - l'AEFE est sous plafond d'emplois - ni renforcement des moyens budgétaires, qui sont même en baisse.

Les frais de scolarité payés par l'ensemble des familles s'élèvent à 1,8 milliard d'euros, soit 4,5 fois plus que la subvention publique. Cela soulève une interrogation sur la capacité de pilotage du réseau par l'État. Comment peut-on piloter un réseau dont on assure moins de 20 % du financement ?

La stratégie des établissements consiste depuis des années à suivre la demande solvable, ce qui est logique compte tenu de la baisse des dotations publiques. Avec moins de 20 % de financement public, un certain nombre d'établissements ne veulent plus jouer leur rôle de coopération éducative : aider un établissement voisin, c'est aider un concurrent.

Autre préoccupation, il existe une contradiction de plus en plus notable : d'un côté, les Français expatriés veulent limiter les frais de scolarité ; de l'autre, les étrangers paient cher pour accéder à des établissements aussi attractifs que leurs concurrents, notamment anglo-saxons. Pour équilibrer leurs comptes, les établissements ont besoin de clients solvables.

Concernant les bourses, d'un strict point de vue budgétaire, la logique d'enveloppe est toujours plus confortable que la logique de droits. Mais je rencontre les Français de l'étranger : le niveau des bourses et les conditions de traitement des dossiers ne permettent plus de garantir une prise en charge de l'ensemble de la scolarité si les familles n'ont pas suffisamment de moyens. Sur le long terme, c'est la politique des bourses qui est susceptible d'être remise en cause.

Il y a une autre contradiction, mentionnée dans le rapport, entre les besoins en enseignants, avec 55 000 élèves de plus en six ans, et les capacités de l'éducation nationale. Des établissements remettent en cause des projets de développement, craignant de ne pas obtenir d'enseignants. Cela ne peut pas durer.

Il faudrait aussi regarder localement les statuts des établissements. Même dans les établissements conventionnés, on trouve des situations un peu baroques.

Il faudrait formuler une recommandation sur l'homologation, qui doit venir certifier la réponse à des exigences précises, et non relever de considérations d'opportunité politique. Une réflexion sur le sujet s'impose. Cela aurait mérité de figurer dans le rapport.

En tant que parlementaire, je vote le budget. On nous dit que certains recrutés locaux des EGD ne sont pas sous plafond d'emplois. Or, dans le budget de l'AEFE, il est indiqué qu'ils le sont. Pourrait-on avoir des éclaircissements de la Cour des comptes sur ce point ?

L'an dernier, j'avais défendu un amendement relatif aux résidents. Ils sont sous plafond d'emplois, mais tantôt complètement pris en charge par les établissements, tantôt non. Ne pourrait-on pas avoir un peu plus de marges de manoeuvre ?

Le coût des pensions civiles pour l'AEFE est de l'ordre de 180 millions d'euros. Il est indiqué que les établissements strictement homologués - ils bénéficient de 2 000 détachements - ne coûtent rien à l'État. Ce n'est pas vrai. Par une simple règle de trois, on s'aperçoit que le coût est d'à peu près 60 millions d'euros pour l'éducation nationale. Il s'agit d'une subvention cachée, qui n'est même pas indiquée dans le rapport, pour les établissements homologués. Les établissements qui sont dans le périmètre public marchent avec des semelles de plomb. Le dispositif est régi par un décret de 1984. Il faudrait pouvoir en sortir progressivement.

La politique dont nous parlons joue un rôle essentiel pour la France, en termes à la fois de soft power et de présence économique à l'étranger, pour un coût inférieur au prix d'un A380 !

M. Michel Bouvard. - Je salue les travaux de la Cour des comptes.

Le secteur dont nous parlons relève bien des investissements d'avenir pour notre pays, qu'il s'agisse de son économie ou de son rayonnement. Malheureusement, nous sommes confrontés à des problèmes budgétaires, comme souvent lorsqu'il s'agit de financer le long terme.

Il y a 11 000 élèves inscrits sur liste d'attente, dont la moitié sont des nationaux. Et encore la liste d'attente ne recense-t-elle que ceux qui ont pris la peine de s'inscrire ! D'autres ne le font même pas, découragés par la longueur de cette liste...

Pourtant, la demande existe. Voilà quelques jours, j'étais à Chengdu, ville de 18 millions d'habitants de la province chinoise du Sichuan, qui compte 80 millions d'habitants et où il n'y a pas d'enseignement français alors que les entreprises françaises y sont nombreuses.

Les entreprises françaises prennent moins en charge les frais de scolarité. Y a-t-il moyen de nouer des partenariats avec les grands groupes industriels français mondialisés ou de les faire contribuer davantage, à l'instar de ce qui se pratique en Allemagne ? Peut-on envisager des partenariats avec des pays francophones européens qui n'ont pas de réseau d'enseignement à l'étranger - je pense à la Suisse ou à la Belgique -, mais dont certains nationaux sont scolarisés dans nos établissements à l'étranger ?

Les analyses de la Cour des comptes sur l'immobilier correspondent à ce que nous constatons pour d'autres compartiments du budget de l'État. Celui-ci est incapable d'avoir une approche durable en termes de gestion de l'immobilier. Le schéma 2016-2020 est très bien, mais reste la question des moyens.

On nous dit : « sous réserve des dotations budgétaires ». Des prélèvements sont effectués sur le fonds de roulement. Selon le rapport, 50 % des établissements ont des besoins en matière de travaux immobiliers, sans parler des aspects tenant à la sécurité. En clair, nous sommes dans la même impasse que d'habitude en matière de gestion du patrimoine immobilier. On le constate aussi pour le compte d'affectation spéciale « Gestion de l'immobilier de l'État », ainsi que pour un certain nombre d'établissements publics.

Y a-t-il moyen de sécuriser les financements nécessaires pour l'entretien du patrimoine ? N'y a-t-il pas une réflexion à mener pour gérer l'immobilier de l'État à l'étranger de manière plus globalisée ? Il y a bien des cessions en parallèle...

M. Richard Yung. - Les observations de la Cour des comptes nous donnent matière à réfléchir. Les sénateurs représentant les Français de l'étranger, très concernés par de telles problématiques, ont besoin de prendre un peu de recul pour analyser tous les enjeux.

Je note la croissance du réseau ; le nombre d'élèves et la demande sont en progression. Le système français est considéré, à juste titre, comme très bon. Il y a même des Américains qui montent des écoles maternelles et primaires françaises uniquement pour les enfants de leur pays ! Mais la description de l'évolution des moyens publics met en lumière un problème de cohérence.

L'AEFE a pour mission de scolariser à la fois les enfants français et les enfants non français. La formulation est assez vague.

Que signifie « scolariser les enfants français » ? Que tout enfant français à l'étranger a droit à une place dans une école française ? Cela ne fonctionne pas ainsi en pratique. Tous les enfants français ne vont pas dans des écoles françaises, pour de multiples raisons, par exemple la préférence accordée au système éducatif de l'autre pays pour un enfant issu d'un couple binational. L'AEFE agit quand on lui signale des cas d'enfants français non scolarisés, mais tous ces cas ne sont peut-être pas signalés.

Et que signifie « scolariser les enfants non français » ? Que l'on scolarise les enfants des élites du pays ? Ce n'est pas condamnable en soi, mais le rôle de l'enseignement français à l'étranger n'est pas de se substituer aux systèmes éducatifs défaillants d'autres pays, systèmes dans lesquels les élites se gardent bien de scolariser leurs propres enfants. Certes, je comprends bien l'objectif politique de scolariser de futures élites en langue française, mais cette situation me met mal à l'aise.

J'ai un sentiment ambivalent à propos des bourses. La réforme qui est intervenue était certainement nécessaire, mais on constate une chute assez significative des montants : 106 millions d'euros en 2014, 89 millions d'euros en 2015 et 92 millions d'euros en 2016. Lors de la réforme, on avait invoqué le sacro-saint chiffre de 125 millions d'euros, qui correspondait au niveau de l'année précédente. Maintenant, on est à 30 % de moins. Rend-on un service moindre ? Je comprends les objectifs de la réforme, notamment celui de réaliser des économies, mais n'est-on pas en train de l'appliquer de manière trop rigide ? Un certain nombre d'enfants n'obtiennent pas ce qu'ils pourraient obtenir en bonne logique. Lors de nos déplacements sur le terrain, nous entendons toujours dire qu'il n'y a pas assez de bourses. Comment évaluer ce que serait le bon niveau ? Selon quels critères ? Nous ne savons pas si le chiffre de 125 millions d'euros est suffisant. En revanche, 92 millions d'euros, ce n'est sans doute pas assez.

Le rapport de la Cour des comptes appelle à une grande réforme de la gestion des personnels. Fort bien, mais laquelle ? Que nous propose-t-on ? Une harmonisation des statuts ? Est-ce politiquement et syndicalement faisable ?

M. Olivier Cadic. - Il y avait peu d'élus consulaires parmi les personnes auditionnées. J'en ai recensé quatre.

Il est dommage que la conseillère consulaire de Londres Sophie Routier, qui avait repéré les sites de Camden et de Brent, n'ait pas été auditionnée. À Londres, nous avons tout de même levé 120 millions d'euros en quelques années, grâce à un management participatif. Alors que l'on n'avait jamais réussi auparavant à réaliser un deuxième établissement secondaire, nous y sommes parvenus en huit ans ! Il est bien d'avoir visité les nouveaux établissements et rencontré Frédéric de la Borderie, mais il aurait été souhaitable d'auditionner les véritables artisans de telles réalisations.

En tant que parlementaires représentant les Français de l'étranger, nous n'avons pas été auditionnés non plus. Surtout, il est regrettable de ne pas avoir rencontré les représentants des milieux économiques, notamment les présidents des chambres de commerce, qui ont joué un rôle important à Londres.

Il faut aussi rencontrer les anciens directeurs administratifs et financiers et les anciens proviseurs des EGD, quand ils ont une vraie liberté de parole, pour qu'ils puissent détailler les limites du système et les difficultés rencontrées sur le terrain.

Un EGD peut se retrouver confronté à une situation de concurrence déloyale lorsqu'un autre établissement reçoit de l'argent public, ce qui lui permet d'établir une tarification différente.

Le réseau a été conçu pour répondre à la demande des expatriés et des élites étrangères. Nous n'avons pas attendu Laurent Fabius pour faire de la diplomatie économique.

Le principe de départ était excellent : mettre en place un réseau d'écoles pour permettre aux enfants de cadres expatriés de bénéficier d'une continuité éducative et offrir aux élites étrangères la possibilité d'y scolariser leurs enfants, afin que la nouvelle génération soit francophile et favorable au développement des échanges commerciaux avec notre pays. Cela justifie d'y consacrer un demi-milliard d'euros par an.

Concernant l'objectif de scolariser les enfants français à l'étranger, le rapport fait état de taux de scolarisation variant entre 5 % et 20 %. Globalement, on sait qu'environ un quart des enfants français à l'étranger sont scolarisés dans notre système.

Cependant, depuis la création du réseau, des décennies se sont écoulées. Aujourd'hui, beaucoup de Français nés à l'étranger ne parlent même pas français : 80 % sont dans ce cas à Annaba, et près des trois quarts en Amérique du Sud.

Je partage les interrogations de Jean-Yves Leconte et Richard Yung sur le niveau pertinent en matière de bourses. Aujourd'hui, 20 % des enfants français scolarisés dans le réseau d'enseignement français à l'étranger bénéficient d'une bourse. Comme seulement 25 % des enfants français sont scolarisés dans l'enseignement français, ces bourses ne concernent que 7 % ou 8 % des enfants français à l'étranger. C'est une petite minorité. Certains commencent à se demander si le système est juste. Je pense qu'il était effectivement sain de fixer une limite, mais on a simplement partagé la pénurie !

Concernant l'objectif d'attirer les enfants des élites, le problème est que le temps a passé. Les élites sont attirées par les établissements anglo-saxons, dont les infrastructures n'ont rien à voir avec celles de nos écoles. Nous sommes face à une difficulté pour répondre à la demande des élites. Il faudrait un système à double niveau, donc avec des tarifs différenciés, dans nos établissements. Je partage le souci républicain de s'adresser à tout le monde, mais, pour attirer les élites, qui exigent le haut de gamme en matière d'infrastructures, il faut s'en donner les moyens, quitte à avoir un système à double vitesse. A-t-on bien mesuré la dynamique de croissance des écoles anglo-saxonnes à l'étranger et combien d'argent public y est consacré ?

Comment prétendre rayonner si notre système ne peut pas garantir que les nouvelles générations de Français naissant à l'étranger parlent français ? Le réseau de l'enseignement français à l'étranger n'est qu'un des moyens pour atteindre cet objectif de rayonnement. Il ne peut pas en être l'alpha et l'oméga et absorber tout l'argent public. Sa capacité de développement est modeste face à la dynamique de la natalité dans le monde.

Nous avons un bel outil. Il faut revoir la stratégie, mais pas sous le seul angle du montant d'argent public à mobiliser. Demandons-nous si le système répond bien aux attentes de nos milieux économiques : c'est ainsi que nous saurons si le demi-milliard d'euros consacré annuellement au réseau est bien investi.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je salue moi aussi le rapport de la Cour des comptes. Toutefois, je regrette également que les sénateurs des Français de l'étranger, pourtant fins connaisseurs du réseau des établissements français dans le monde, n'aient pas été consultés, pas plus que les membres de la commission de l'enseignement de l'Assemblée des Français de l'étranger, à quelques exceptions près.

Je trouve aussi dommage de ne parler que de l'AEFE, et pas davantage du réseau ou des écoles bilingues. Il aurait été intéressant d'aller visiter, par exemple, les petites écoles privées qui se sont constituées à Londres. Ces écoles ne relèvent pas seulement d'une vision économique. Leur création résulte souvent de l'initiative de parents qui ont commencé, par exemple, par se réunir le samedi matin dans un hall d'église. Elles se sont développées, jusqu'à atteindre l'ampleur que nous connaissons aujourd'hui. Notre réseau d'écoles est un outil essentiel de rayonnement ; nous y tenons beaucoup.

Les bourses sont effectivement insuffisantes. Je passe mon temps à le dire : s'il y a relativement peu de demandes, c'est parce que l'effet de dissuasion est très fort. Ces bourses ne profitent pas aux familles modestes ou aux familles de plus de deux ou trois enfants. Des témoignages me sont parvenus de quasiment partout dans le monde de familles ayant renoncé à l'enseignement français à cause du coût, qui devient prohibitif.

Autre problème, les enseignants détachés ont souvent beaucoup mal à faire accepter ces détachements par les rectorats, qui n'aiment pas trop les voir partir à l'étranger. Nous avons vraiment besoin de travailler main dans la main avec le Quai d'Orsay et le ministère de l'éducation nationale. La richesse du réseau, ce sont aussi les enseignants. Il n'est pas normal que l'on refuse d'envoyer des enseignants à l'étranger ou que ceux-ci doivent renoncer à leur projet d'expatriation en raison d'autorisations trop tardives.

J'espère que les sénateurs des Français de l'étranger pourront être davantage associés à de tels travaux à l'avenir.

Mme Michèle André, présidente. - Je salue la contribution des sénateurs représentant les Français de l'étranger aux débats budgétaires lors de l'examen du projet de loi de finances. Il nous a semblé important qu'ils puissent assister à l'audition de ce matin, afin de nous faire bénéficier de leur regard singulier sur de telles problématiques.

Pourquoi les anciens élèves des établissements français à l'étranger sont-ils moins impliqués que, par exemple, certains anciens élèves des grandes universités américaines ?

Les conditions financières des avances accordées à l'AEFE à partir du compte d'affectation spéciale « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » sont-elles meilleures que celles des emprunts bancaires auxquels la loi de programmation des finances publiques vous empêche désormais de recourir ? À quels types d'investissements sera consacrée l'avance - je crois qu'elle est plafonnée à 11,6 millions d'euros pour 2017 - qui est prévue ?

M. Christophe Bouchard, directeur général de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. - Un peu plus de la moitié des bacheliers des établissements scolaires français à l'étranger font leurs études en France après le bac. L'identifiant élèves n'est pas un frein pour faire des études en France ; c'est juste une difficulté pour nous lorsque nous voulons savoir ce que deviennent les élèves après le lycée. D'autres restent dans le pays de résidence en début de cycle universitaire, puis rejoignent l'enseignement supérieur français en master ou en doctorat.

Chaque année, notre objectif est d'augmenter la part d'anciens élèves du réseau qui poursuivent leurs études supérieures en France ou dans un établissement d'enseignement supérieur français. Viser un taux de 100 % ne serait ni réaliste ni souhaitable. Deux tiers de nos élèves sont étrangers. Au lycée français de Santiago du Chili, 80 % des élèves sont chiliens. Tous nos anciens élèves ne veulent pas forcément suivre leurs études en France, en raison du coût, de leur volonté de ne pas partir à des milliers de kilomètres de leur famille à dix-sept ans ou de l'existence d'universités de qualité dans leur pays de résidence. Des bacheliers français de France sont attirés par l'enseignement supérieur du Royaume-Uni, des États-Unis, du Canada, voire de Belgique ; il serait donc paradoxal que certains de nos lycéens résidant dans ces pays ne souhaitent pas y poursuivre leurs études, d'autant que cela leur permet de rester quelques années de plus dans leur famille.

Le fait que plus de la moitié des élèves de nos lycées à l'étranger, dont un nombre important d'élèves étrangers, poursuivent leurs études en France est déjà un très bon résultat. Il faut l'amplifier. Nous avons besoin de mieux connaître le parcours de ces élèves, notamment ceux qui arrivent en France au niveau du master ou du doctorat.

Je salue les initiatives prises par certains établissements d'enseignement supérieur français - je pense à HEC, à l'ESSEC ou à l'université de technologie de Compiègne - de créer des structures à l'étranger. Cela permet à des élèves de commencer leurs études sur place, puis de venir en France au bout de deux ou trois ans.

À notre connaissance, aucun élève français du réseau n'a été empêché de s'inscrire dans l'enseignement supérieur français. Il a pu exister des problèmes très ponctuels, par exemple cette année, pour l'inscription en médecine à Paris, mais seulement pour des raisons de place ; le problème ne s'est pas posé dans les universités de province. Globalement, aucun bachelier français d'un établissement scolaire à l'étranger n'est dans l'impossibilité de venir suivre ses études supérieures en France. C'est une question de choix, de stratégie et de volonté.

En matière de ressources humaines, le système évolue, qu'il s'agisse du nombre total de personnels détachés ou de la répartition entre expatriés et résidents. Le statut d'expatrié est le plus intéressant pour les personnels ; c'est aussi celui qui représente les coûts les plus importants. Il correspond à des fonctions, à des processus de recrutement, à des règles de durée de séjour et de déroulement de carrière différents de ceux qui concernent les résidents. Toutefois, il y a des évolutions. Dans le détail, chaque année, on peut passer d'un statut d'expatrié à un statut de résident pour pourvoir des postes précis. Nous l'avons fait dans les années précédentes, largement sous contrainte budgétaire. Le nombre d'expatriés a diminué, et un certain nombre d'expatriés ont été remplacés par des résidents. Nous avons dû aussi fermer des postes de résident dans certains établissements et recourir à des recrutés locaux, selon la même logique.

Qu'il s'agisse des effectifs ou des bourses - c'est vraiment la position du ministère des affaires étrangères et de l'AEFE -, il nous paraît crucial de maintenir nos engagements budgétaires, sous peine de remettre en cause l'économie globale du système.

Il n'y a aucun tabou sur le statut des établissements. Au cours des années précédentes, il y a eu des changements de statut. Certains EGD sont devenus conventionnés et, réciproquement, certains établissements conventionnés sont devenus partenaires et ont été déconventionnés. Ces évolutions sont logiques et possibles. Dans certains cas, pour répondre à des problèmes précis, on peut tout à fait envisager de faire passer un établissement d'un statut à un autre ; pour nous, c'est le pragmatisme qui doit primer.

Le réseau se caractérise par sa diversité selon les pays, qu'il s'agisse de la taille ou du statut. Il faut, me semble-t-il, examiner établissement par établissement quel est le meilleur statut pour remplir au mieux la mission. Évitons d'avoir une vision trop globale qui risquerait de casser ce qui fonctionne, au lieu d'améliorer ce qui mérite de l'être.

La baisse de la contribution des entreprises au paiement des frais de scolarité me semble plus liée à la diminution du nombre d'expatriés dans les entreprises qu'à une volonté de ces dernières de modifier les conditions de rémunération. Depuis des années, pour des raisons financières similaires à celles que nous connaissons nous-mêmes, les entreprises recourent en effet de moins en moins à des expatriés et de plus en plus à des recrutés locaux. La composition sociologique des communautés françaises à l'étranger évolue en conséquence. Il y a de moins en moins d'expatriés envoyés par leur entreprise - c'était le schéma classique voilà quelques années - et de plus en plus de Français qui décident de partir à l'étranger de leur propre chef, sans le soutien d'une entreprise.

Il y a des exemples de contributions d'entreprises au fonctionnement du réseau sous forme de mécénat. Mais, force est de le constater, la volonté des entreprises d'apporter des contributions trouve vite ses limites. Des entreprises ont contribué, dans une proportion significative, bien que minoritaire, au financement de certains projets concrets, comme celui du lycée de Pékin. Pour d'autres, il y a des contributions locales. Des réflexions sont en cours pour déterminer s'il vaut mieux rechercher les contributions localement, lycée par lycée, ou mettre en place une structure globale, par exemple une sorte de fondation, qui permettrait de fédérer les actions. De toute manière, je pense que le phénomène restera minoritaire.

En revanche - cela n'a pas été mentionné, mais leur niveau est tout à fait significatif dans certains pays -, nous recevons des contributions des États de résidence. Ainsi, l'Allemagne et plusieurs pays d'Europe du Nord ou du Benelux contribuent fortement à l'expansion de notre réseau. Au Luxembourg, un projet très important de construction d'un nouveau lycée est financé aux trois quarts par le Grand-Duché. En Allemagne, il y a des statuts particuliers.

L'effort de planification et de prévision consenti par l'AEFE en matière de gestion immobilière au cours des dernières années a été salué par le Conseil de l'immobilier de l'État, auquel le schéma 2016-2020 a été présenté. Nous avons la responsabilité immobilière directe pour les établissements en gestion. Dans la quasi-totalité de ces établissements, il y a des projets de rénovation, d'agrandissement ou de construction de nouveaux bâtiments pour faire face aux besoins. Le niveau de financement est considéré comme raisonnable et tenable pour les années à venir.

Cela est vrai « sous réserve des dotations » parce qu'il est évident que tout cela ne peut se faire que si la dotation budgétaire reste proche des niveaux actuels. Dans ce cas, les dépenses immobilières, qui seraient comprises entre 40 millions et 50 millions d'euros par an pour les prochaines années, pourraient être assumées grâce aux réserves que les établissements ont constituées et aux revenus supplémentaires liés à l'augmentation du nombre d'élèves.

Nous scolarisons 125 000 enfants français. Cela ne représente qu'une partie du total des enfants français à l'étranger. Il y a effectivement des endroits où la demande est ponctuellement supérieure à l'offre. Nous avons apporté une réponse en ce qui concerne Londres. Il peut exister une tension temporaire sur les effectifs, variable selon les années. Ainsi, après la crise financière en Espagne, des familles françaises ont quitté ce pays et des familles espagnoles ont dû faire des arbitrages financiers et retirer leurs enfants de nos écoles ; toutefois, les effectifs sont remontés depuis deux ans.

Il est difficile de faire face à des évolutions brutales. Un élève qui entre dans le système est là pour quinze ans. Des augmentations d'effectifs de classes de première ou de terminale sont le résultat d'entrées dans le système intervenues il y a quinze ans. Nous devons gérer ces situations.

La scolarisation des enfants étrangers relève de la mission d'influence. Scolariser des enfants étrangers dans leur pays, c'est, par définition, opérer une substitution. Aussi certains pays refusent-ils que leurs nationaux soient scolarisés dans nos écoles. Au Maroc, nous avons fait le choix de ne plus augmenter la taille du réseau, déjà très importante. Mais l'influence est là : chaque année, dans ce pays, 30 000 élèves sont scolarisés dans nos établissements et sont en contact avec la langue et la culture françaises. La relative contradiction qui apparaît en effet tient à la nature de cette mission d'influence que nous estimons devoir exercer, à la différence d'autres pays européens, dont le réseau scolaire à l'étranger est conçu quasiment exclusivement comme un moyen de scolarisation de leurs nationaux.

Le chiffre de 125,5 millions d'euros qui a été évoqué à propos des bourses correspond à l'engagement du Président de la République de reporter sur le budget des bourses l'intégralité de l'ancien budget plus la prise en charge liée à la réforme. Dans les dernières années, l'application des critères de la réforme a abouti à des dépenses effectives inférieures à 125,5 millions d'euros. Le ministère des finances a donc considéré qu'il n'était pas nécessaire de maintenir un tel montant dans chaque projet de loi de finances, en particulier les trois dernières années, d'où une baisse à 115 millions d'euros, puis à 110 millions d'euros dans le projet de budget qui vous est soumis. Il faut aussi tenir compte, année après année, de la réserve parlementaire, du gel d'une partie des crédits, ainsi que des jeux entre la dotation budgétaire et les montants affectés à l'AEFE.

Pour l'instant, ces sommes ont permis de répondre aux besoins, comme la Cour des comptes l'a souligné, compte tenu des critères de la réforme actuelle. Pour l'année prochaine, nous approchons de la limite, c'est-à-dire des 105 millions à 110 millions d'euros effectivement dépensés chaque année. Quant à savoir s'il y aura des tensions particulières, tout dépendra de l'évolution de l'effet de change l'année prochaine.

Aujourd'hui, on estime que les anciens élèves des établissements français à l'étranger sont peut-être au nombre de 500 000 ou 600 000 dans le monde. Les associations actuelles d'anciens élèves dans les lycées, qui sont chapeautées par l'Association des anciens des lycées français du monde, l'ALFM, couvrent environ 10 % de cette population, soit 50 000 anciens élèves. La France n'a malheureusement pas la tradition anglo-saxonne en la matière.

Le Forum mondial des anciens élèves aura lieu au mois d'avril à Lisbonne. Il permettra de redynamiser et de fédérer les actions. Nous travaillons avec l'ALFM et des médias tournés vers les Français de l'étranger sur la création d'un réseau social des anciens élèves, pour aller au-delà de la forme associative, les jeunes étant plus habitués aux réseaux sociaux. Une plateforme de contacts entre anciens et actuels élèves appelée Agora se met en place, afin que les anciens puissent donner des conseils d'orientation aux élèves de première et de terminale. Le chantier est très important. Certes, nous ne rattraperons pas en quelques années des siècles de tradition anglo-saxonne.

Madame la présidente, vous avez fait référence aux avances de France Trésor. C'est une petite partie du financement des projets immobiliers, qui sont, pour l'essentiel, financés par les réserves constituées par les établissements et par les interventions de l'Agence. Dans le cadre de la définition des équilibres budgétaires et dans le contexte du désendettement de l'État, il a été décidé de restreindre le plus possible le recours à des avances de France Trésor et de solliciter davantage les ressources propres des établissements.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Je remercie la Cour des comptes de la qualité de sa communication. Je salue les interventions des orateurs de ce matin. Plusieurs observations ont été formulées à l'endroit de la Cour des comptes.

Nous voyons combien la contribution de nos collègues sénateurs des Français de l'étranger est précieuse ; elle nous permet de mieux comprendre les problématiques auxquelles nos compatriotes expatriés sont confrontés. C'est important pour le rayonnement de la France à l'étranger, objectif se trouvant au coeur du dossier dont nous débattons aujourd'hui.

Mme Michèle André, présidente. - Je me félicite que nous ayons pu accomplir ce tour du monde, à la fois réjouissant et rassurant dans une période où la France paraît quelque peu frileuse.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - Pour établir son rapport, la Cour des comptes a systématiquement cherché à rencontrer sur place les conseillers consulaires - certes, tous n'ont pas répondu à notre invitation -, y compris à Londres. Il est vrai qu'il y a une lacune dans la liste de noms figurant dans le rapport. Nous avons également visité l'école bilingue de Londres et échangé avec l'Assemblée des Français de l'étranger.

La réforme concernant les personnels devrait avoir pour objet de revoir la tripartition entre expatriés, résidents et recrutés locaux. Ces derniers perdureront, et je me réjouis des propos que j'ai entendus sur leur formation intégratrice. Faut-il maintenir un statut des expatriés ? C'est la véritable question. Je ne dis pas qu'il faille nécessairement le supprimer ; un tel statut peut avoir son utilité pour certains établissements où le recrutement est particulièrement difficile.

L'inspection du second degré est de qualité, mais elle est insuffisante quantitativement. Ne faudrait-il pas un peu plus d'inspecteurs ? La réponse à cette question relève du ministère de l'éducation nationale. Peut-être faudrait-il aussi s'interroger sur la permanence des missions d'encadrement pédagogique des enseignants expatriés. On leur a confié une telle mission car ils étaient peu nombreux, mais ils encadrent des résidents parfois de même qualité qu'eux. Il faut remettre tout cela à plat.

L'enveloppe consacrée aux bourses est largement suffisante pour couvrir les besoins chaque année. C'est important dans un contexte de fortes tensions sur les finances publiques. Sur la base du respect de critères - il y en a -, compte tenu des amodiations que peuvent apporter les commissions consulaires des bourses, la demande de bourses est globalement satisfaite. Je ne suis pas naïf au point de ne pas imaginer que des personnes puissent être découragées de déposer une demande. Mais des critères s'appliquent.

J'entends bien que l'on puisse regretter que telle ou telle bourse n'ait pas été accordée, mais les commissions consulaires des bourses sont majoritairement constituées de représentants des parents d'élèves. Elles peuvent donner leur avis, non seulement sur le principe de l'attribution, mais aussi sur la modulation. Le système ne marche pas si mal que cela. Certes, la question du niveau d'aide publique aux familles demeure.

Comment faire évoluer ce bel outil ? Faut-il développer les partenariats ? Dans le scénario du maintien comme dans celui de l'extension, au-delà de la réforme des personnels, se pose la question des besoins que l'on veut satisfaire.

La juridiction administrative nous a rappelé qu'il n'y a pas un droit d'accès de nos compatriotes français à l'étranger à satisfaire. Mais il faut tout de même essayer de satisfaire au moins en partie les demandes. Il s'agit d'un bel outil d'influence économique. C'est pour cela que nous invitions à une réflexion stratégique sur la cartographie. Au-delà du contrat d'objectifs et de moyens, il s'agit de savoir comment l'on envisage l'évolution à cinq ou dix ans.

La Cour a dit tout le mal que nous pensions du système des avances de France Trésor. Il y a clairement une irrégularité. Sa portée n'est pas dramatique, mais la situation n'est pas conforme au droit budgétaire.

La programmation en matière d'immobilier me semble bien faite, mais les besoins de sécurisation constituent pour nous un sujet de préoccupation. Il y a l'enveloppe du projet de loi de finances pour 2017. Les audits de la sous-direction du ministère des affaires étrangères sont en cours ; ils permettront de chiffrer les dépenses. Cependant, ayant vu pour d'autres travaux le montant que cela pouvait représenter, nous éprouvons une inquiétude quant aux conséquences possibles sur l'AEFE.

Mme Michèle André, présidente. - Je remercie l'ensemble des intervenants et des collègues qui se sont exprimés au cours de cette audition.

La réunion est levée à 12 h 50.