Mercredi 29 juin 2016

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - Examen des amendements complémentaires

La réunion est ouverte à 9 h 04.

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'examen des amendements complémentaires de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis, sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Mme Michèle André, présidente. - Notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier, va nous présenter des amendements complémentaires sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Je vous présente des amendements complémentaires, dont beaucoup d'amendements techniques, sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Mon amendement n° FINC.1 supprime, dans l'habilitation accordée au Gouvernement pour légiférer par ordonnance, des dispositions superfétatoires relatives aux collectivités et territoires d'outre-mer. Le Conseil d'État considère que dès lors qu'il y a une habilitation à légiférer par ordonnance, le pouvoir législatif est compétent pour adapter le droit dans les collectivités et territoires d'outre-mer sans qu'il soit nécessaire de le préciser dans l'habilitation. L'habilitation emporte de plein droit l'adaptation aux collectivités d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie. Il convient donc de ne pas ajouter des dispositions emportées de plein droit par l'habilitation ; c'est l'objet de ces amendements.

M. Daniel Raoul. - Cet élément est étonnant, dans la mesure où pour une loi, il revient au pouvoir législatif de prévoir les conditions d'application aux collectivités ultramarines.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - En effet, nous devons le prévoir pour la loi ; de même, il appartient à l'ordonnance de le prévoir. En l'espèce, il s'agit de l'habilitation à légiférer par ordonnance, qui, elle, n'a pas à préciser qu'elle s'étend aux modalités d'application aux collectivités d'outre-mer. Nous vous communiquerons l'avis du Conseil d'État pour comprendre ces précisions.

L'amendement n° FINC.1 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° FINC.2 est un amendement de coordination.

L'amendement n° FINC.2 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° FINC.3 a pour objet de préciser et sécuriser le plafond de sanction applicable devant l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en le fixant à 10 % du chiffre d'affaires. Afin de respecter le principe de proportionnalité des peines, cet amendement précise également la liste limitative des manquements auxquels cette sanction serait applicable. La sanction prévue par cet amendement s'inscrit en regard des sanctions applicables devant l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui peuvent aller jusqu'à 15 % du chiffre d'affaires.

M. Richard Yung. - Cet amendement abaisse donc le plafond de sanction de 15 % à 10 %. S'agit-il d'une demande des banques ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Non. C'est moi-même qui ai proposé que le plafond de 15 % pour les sanctions applicables devant l'AMF soit étendu aux sanctions devant l'ACPR. Mais en fixant un plafond identique à 15 % du chiffre d'affaires pour les sanctions devant l'ACPR, nous créons une distorsion par rapport au plafond de 10 % déjà applicable en vertu des textes communautaires pour les infractions aux normes prudentielles. Par ailleurs, si nous ne précisons pas les infractions, nous pouvons craindre que la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la proportionnalité des peines ne s'applique, considérant que le plafond de sanctions est trop élevé.

M. François Marc. - Qu'en est-il du périmètre retenu pour le chiffre d'affaires ? Est-il facilement identifiable ?  

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Il s'agit du périmètre du groupe consolidé.

L'amendement n° FINC.3 est adopté.

Mme Michèle André, présidente. - L'amendement n° FINC.4 porte de nouveau sur l'habilitation à légiférer par ordonnance en vue de procéder aux adaptations ultramarines. L'amendement n° FINC.5 est rédactionnel.

L'amendement n° FINC.4 et l'amendement n° FINC.5 sont adoptés.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° FINC.6 introduit une disposition pour laquelle nous sommes confortés par notre visite avec la présidente et Antoine Lefèvre au parquet national financier (PNF). Récemment, Éliane Houlette nous a indiqué que le PNF n'était pas destinataire des notes d'information de Tracfin, qui saisit directement les parquets territoriaux. Cet amendement prévoit donc une simple information systématique du procureur de la République financier.

Mme Michèle André, présidente. - L'amendement n° FINC.7 est rédactionnel.

L'amendement n° FINC.6 et l'amendement n° FINC.7 sont adoptés.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° FINC.8 porte sur les investissements qualifiés d'atypiques, qui font régulièrement l'objet de scandales. Une étude réalisée pour le compte de l'AMF à ce sujet montre que 5 % des Français ont déjà réalisé des investissements atypiques, et que 40 % d'entre eux déclarent avoir été victimes d'une arnaque. Or les dispositions actuelles ne sont pas assez protectrices pour les investissements atypiques, qui échappent au contrôle a priori et au pouvoir de sanction de l'AMF. La seule solution est donc de saisir ex post la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Aussi, cet amendement propose d'introduire un contrôle systématique de l'AMF préalablement à toute communication à caractère promotionnel ou démarchage. Par ailleurs, les intermédiaires ne respectant pas leurs obligations pourraient désormais être sanctionnées par l'AMF.

Sans doute s'agit-il d'un amendement d'appel, dans la mesure où l'AMF ne dispose pas actuellement des moyens nécessaires en interne pour contrôler ces produits. Toutefois, la situation actuelle revient à encombrer les tribunaux avec des affaires d'escroquerie de grande ampleur. Or parmi les investisseurs concernés, il y a certes des personnes qui prennent des risques, mais il y a aussi des personnes naïves auxquelles on promet des rendements mirifiques qui se révèlent être des escroqueries. Les gens se trouvent ruinés, alors même que souvent il ne s'agit souvent pas de gros épargnants, et que ces investisseurs décident de placer toute leur épargne dans ces produits atypiques. Le cadre en vigueur implique que les affaires soient jugées dix ans plus tard, ce qui donne lieu à des situations personnelles dramatiques.

Il convient donc de traiter ce sujet.

M. André Gattolin. - Je suis les préconisations du rapporteur. Il est également déterminant de dire où ces entreprises minières sont cotées. Pour la plupart, ces entreprises spéculatives, appelées junior minières, sont cotées sur la place de Toronto selon le droit ontarien. Des scandales avaient eu lieu il y a quelques années, lorsque la bourse de Vancouver proposait ces produits dans une certaine opacité. On a depuis un peu régulé, mais encore aujourd'hui, la bourse de Toronto sur les matières premières est considérée comme un paradis fiscal minier. Même la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine déplore que certaines entreprises d'exploration soit autorisées à entrer en bourse non pas sur des réserves évaluées, mais sur des réserves supposées. Or, dans 80 % des cas, les mines d'or, de diamant et d'uranium sont cotées sur le marché de Toronto. C'est pourquoi spécifier l'endroit de cotation de ces entreprises est une source d'information très importante.

M. Richard Yung. - Cet amendement est cohérent avec les dispositions prévues par ailleurs dans le projet de loi pour interdire la publicité sur les produits hautement spéculatifs. Le plus surprenant à ce sujet est la crédulité générale de gens qui se précipitent pour investir dans des produits très incertains.

L'amendement n° FINC.8 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° FINC.9 vise à étendre les dispositions de la loi dite « Eckert » relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence aux contrats de retraite supplémentaire. Les montants en jeu sont importants : l'ACPR a révélé que l'encours des contrats dont le capital ou la rente n'a pas été liquidé alors même que le souscripteur a atteint l'âge légal de départ en retraite s'élevait en 2015 à 6,7 milliards d'euros. Certains titulaires ne sont donc vraisemblablement pas bien informés.

Mme Michèle André, présidente. - Oui, c'est cohérent avec la loi « Eckert ».

Les amendements nos FINC.9, FINC.10, FINC.11 et FINC.12 sont adoptés.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. - L'amendement n° FINC.13 permet de clarifier la rédaction de l'article 45 quater B, qui crée un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés. Il s'agit plus particulièrement d'adapter la rédaction aux règles de fonctionnement du registre du commerce et des sociétés prévues par le code de commerce

L'amendement n° FINC.13 est adopté.

Contrôle budgétaire - Contrôle des conditions de maintien des droits des étudiants boursiers - Communication

La commission entend ensuite M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, sur le contrôle des conditions de maintien des droits des étudiants boursiers.

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Les aides sociales directes dont bénéficient les étudiants issus des milieux les plus modestes sont destinées à favoriser l'égal accès à l'enseignement supérieur en réduisant les inégalités sociales. Les bourses sur critères sociaux constituent le coeur du dispositif.

Les aides sociales directes bénéficient ainsi à plus du tiers des étudiants inscrits dans une formation y ouvrant droit (35,8 %), ce qui est considérable. Le nombre de boursiers sur critères sociaux a considérablement augmenté, pour atteindre 660 000 étudiants au cours de l'année universitaire 2014-2015 et cette tendance devrait se poursuivre compte tenu de l'augmentation permanente du nombre d'étudiants.

Parallèlement, en moins de dix ans, les bourses sur critères sociaux ont été renforcées, avec notamment le versement d'un dixième mois, la création de nouveaux échelons ainsi que le relèvement des montants de bourses et des plafonds de ressources.

Sous l'effet de l'ensemble de ces éléments, la dépense publique afférente aux aides sociales directes des étudiants a atteint plus de deux milliards d'euros en 2014.

En contrepartie de cette aide financière, l'étudiant boursier doit suivre la formation pour laquelle il bénéficie de cette aide. Ainsi, un décret du 16 avril 1951, codifié à l'article D. 821-1 du code de l'éducation, précise que « si l'étudiant ne remplit pas les conditions générales de scolarité et d'assiduité auxquelles est subordonné son droit à la bourse, il est tenu au reversement des sommes indûment perçues ». Selon la circulaire annuelle qui fixe les modalités d'attribution des bourses sur critères sociaux, l'étudiant doit ainsi être assidu aux cours et présent aux examens.

L'étudiant est donc soumis à une obligation de moyen - suivre les cours, passer les examens - mais n'a pas d'obligation de résultat, à tout le moins dans un premier temps. En effet, c'est seulement à compter de son troisième droit à bourse que l'étudiant devra tout de même justifier de sa progression avec la validation d'un nombre minimal de crédits ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System), de semestres ou d'années.

Ces aides doivent profiter à des étudiants qui suivent réellement les enseignements pour lesquels ils se sont inscrits. Pourtant, j'ai pu constater que cela n'allait pas de soi en pratique.

Ce contrôle budgétaire ne vise pas à rechercher des économies sur le budget de l'enseignement supérieur ...

M. Michel Bouvard. - Dommage !

M. Philippe Adnot. - ...ni à réduire les aides sociales versées aux étudiants. Au contraire, l'objectif est d'améliorer la qualité et l'efficacité de la dépense publique, afin de préserver les bourses sur critères sociaux qui permettent aux étudiants issus des milieux les plus modestes d'étudier dans de bonnes conditions.

Pour ce contrôle, j'ai réalisé plusieurs déplacements, à Toulouse, à Rennes, entendu de nombreuses personnes en audition et envoyé un questionnaire à l'ensemble des universités. 80 % d'entre elles m'ont répondu.

Plusieurs constats s'imposent à la suite de ce travail de contrôle.

Premier constat, le nombre actuel d'étudiants boursiers déclarés non assidus serait, selon le ministère de l'enseignement supérieur, très faible.

Si l'on suit les résultats de l'enquête annuelle menée par la direction générale de l'enseignement supérieure et de l'insertion professionnelle (DGESIP), seuls 3 % des étudiants boursiers seraient déclarés non assidus, soit un peu moins de 14 000 étudiants pour l'année 2013-2014. Nous sommes, à mon sens, loin de la vérité.

Le défaut d'assiduité serait ainsi principalement constaté à l'université (avec 86 % des non-assidus pour 79 % des boursiers), avec une forte concentration sur la première année de licence. Les ordres de reversement ne représenteraient que 12,72 millions d'euros.

Si la direction générale des finances publiques (DGFiP) n'a pas été en mesure de m'indiquer le taux de recouvrement global des sommes indûment perçues, les directions régionales des finances publiques (DRFiP) que j'ai eu l'occasion de rencontrer ont estimé qu'environ 30 % étaient effectivement recouvrés.

Le nombre réduit d'étudiants déclarés non assidus peut s'expliquer par le fait qu'un certain nombre d'établissements ne contrôlent que très partiellement cette assiduité.

Deuxième constat, le contrôle est réalisé selon des pratiques très hétérogènes par les établissements d'enseignement supérieur et, à l'intérieur même de ces établissements, par les différentes unités de formations et de recherche.

Le contrôle d'assiduité aux cours et de présence aux examens relève de la responsabilité des présidents d'universités, des chefs d'établissements, pour les lycées ayant des classes préparatoires aux grandes écoles ou des sections de techniciens supérieur, et des directeurs d'école.

J'ai été frappé par l'absence d'harmonisation et la grande hétérogénéité des pratiques, entre les établissements mais également au sein même de certaines universités.

Ainsi, dans les lycées, les écoles et les instituts universitaires de technologie (IUT), le contrôle est particulièrement poussé puisque les absences, qui se mesurent en demi-journées, y sont en général faiblement tolérées. En outre, la présence des élèves est vérifiée à chaque heure de cours.

En revanche, au sein des universités, le contrôle de l'assiduité des étudiants est bien plus limité et peut s'avérer quasi inexistant.

Tout d'abord, l'assiduité aux cours des étudiants boursiers n'est vérifiée que de façon très aléatoire. Cela se comprend aisément pour les cours magistraux, en particulier dans les amphithéâtres, encore que certains établissements pratiquent des contrôles. Certains n'y sont, en revanche, pas favorables par principe.

En revanche, il est beaucoup moins compréhensible que, s'agissant des travaux dirigés et des travaux pratiques, où le nombre d'étudiants s'avère beaucoup plus limité. Moins de la moitié des universités ont indiqué s'appuyer sur l'assiduité aux travaux dirigés car les contrôles n'y seraient, soit par réalisés, soit peu fiables. Certains enseignants seraient même hostiles à l'idée de faire l'appel, considérant qu'ils travaillent avec de jeunes adultes responsables !

Dans de nombreux cas, le contrôle de l'assiduité des étudiants boursiers se limite donc uniquement à leur présence aux examens. Si cela peut paraître trop peu, il faut savoir que, dans plusieurs universités, il suffit même d'être présent à une seule épreuve pour justifier du versement de dix mois de bourse, ce qui paraît déjà très contestable. Or, à ceci s'ajoute le fait que, dans le cadre de l'épreuve, le boursier peut se contenter de rendre une « copie blanche » pour que sa présence soit validée. Je ferai de ce scandale des « copies blanches » le titre de mon rapport.

Les établissements justifient cette pratique, qui n'est pas exceptionnelle, en indiquant que la circulaire prévoit bien une « présence aux examens » et non l'obligation pour l'étudiant de rendre une « vraie » copie ni d'obtenir une note minimale.

Certaines épreuves peuvent ainsi enregistrer entre 30 % et 50 % de copies blanches. Ces étudiants sont clairement identifiés puisqu'ils s'installent dans l'amphithéâtre sans réaliser un seul effort pour faire l'examen et attendent que la durée de présence minimale exigée soit écoulée. Cela peut perturber ceux qui sont venus pour passer réellement leur examen.

Bien entendu, ces « faux étudiants » ne sont pas nécessairement des boursiers sur critères sociaux et peuvent être là pour bénéficier plus simplement du statut d'étudiant. Certaines unités de formations et de recherche (UFR) sont apparemment connues pour être plus légères dans la réalisation de leur contrôle d'assiduité.

Enfin, cas le plus extrême, il arrive également que certaines universités ou UFR ne déclarent aucun étudiant comme non assidu au cours d'une année. Ces situations s'expliquent, soit par la défaillance de l'organisation administrative, soit par une volonté délibérée des enseignants ou de l'université.

Cette situation conduit donc à ce que des étudiants non assidus bénéficient, sans difficulté, de dix mois de bourses, tout en créant une importante différence de traitement entre boursiers.

Certaines universités tentent de renforcer leurs modalités de contrôle d'assiduité et à harmoniser les pratiques. Elles se heurtent toutefois à la définition imprécise de l'assiduité dans la circulaire mais aussi aux réticences de certains enseignants et étudiants.

Troisième constat, à la faiblesse du contrôle réalisé s'ajoute le fait que l'information remonte généralement bien trop lentement vers les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS).

Les universités attendent généralement la fin du premier semestre pour leur signaler les étudiants non assidus, après que les CROUS leur ont fait parvenir la liste des étudiants boursiers.

Au mieux, les retours se font, pour le premier semestre, en mars ou avril. L'information de la non-assiduité de l'étudiant parvient au CROUS bien trop tard, les universités ne renvoyant parfois ces listes qu'en juillet ! Cela rend, de fait, impossible la suspension de la bourse et difficile le recouvrement des indus.

Quatrième constat, du point de vue de la procédure, la multiplicité des acteurs crée, par ailleurs, dilution des responsabilités et lenteur de mise en oeuvre.

Quatre acteurs différents interviennent pour la gestion des bourses et, plus spécifiquement, dans le cadre du contrôle d'assiduité : les rectorats, les CROUS, les présidents d'universités, directeurs d'école ou chefs d'établissement et les DRFiP.

Comme le dit la Cour des comptes, le circuit d'instruction et de paiement est complexe. En conséquence, aucun de ces quatre protagonistes ne se sent réellement responsable de l'effectivité du contrôle d'assiduité. Les CROUS ont, toutefois, manifesté leur intérêt pour que les pratiques évoluent. Je n'ai pas senti la même volonté des rectorats qui auraient pourtant dû, en principe, jouer un rôle d'impulsion dans l'harmonisation et la qualité des pratiques.

En outre, l'interaction de ces multiples acteurs conduit à allonger considérablement les délais de traitement des dossiers des boursiers déclarés non assidus. Les ordres de reversement sont émis très tardivement, rendant difficile le travail des DRFiP. Celles-ci se retrouvent ainsi à envoyer des titres de perception pour demander le recouvrement de sommes plusieurs mois, voire plusieurs années après la fin de l'année universitaire en cause.

En tout état de cause, on comprend que le recouvrement des bourses ne peut constituer une priorité pour les DRFiP, compte tenu des faibles montants généralement en jeu, avec 2 300 euros en moyenne par titre. Ce travail peut également s'avérer très difficile car la population étudiante est très mobile et généralement peu solvable.

À partir de ces constats, il apparaît qu'une réforme du contrôle des conditions de maintien des droits à bourses s'avère indispensable, avec un réel suivi de l'assiduité de l'étudiant boursier. Il convient, à tout le moins, de s'assurer que l'étudiant boursier a bien procédé à son inscription pédagogique, et non seulement à son inscription administrative.

En outre, l'hétérogénéité des pratiques actuelles crée une inégalité de traitement entre les étudiants qui ne peut être acceptée. Cela vaut non seulement entre étudiants boursiers mais également vis-à-vis de ceux qui ne le sont pas et qui, pour réussir leurs études, doivent travailler, sans aucune aide de l'État. Il convient de s'assurer que le versement de la bourse a bien sa contrepartie, à savoir suivre des études.

Il convient avant tout de garantir une plus grande équité entre les étudiants et l'attestation du « service fait ». Pour cela, sans remettre en cause l'autonomie des universités, les modalités du contrôle d'assiduité attendues des établissements d'enseignement supérieur doivent être plus précisément définies au niveau national.

Ensuite, et je rejoins sur ce point l'analyse de la Cour des comptes, il convient, soit de développer un véritable contrôle d'assiduité des étudiants, soit d'instaurer, en complément ou en substitution, une obligation de réussite. Si la Conférence des présidents d'universités m'a indiqué que le développement du contrôle continu permettrait un meilleur suivi de l'assiduité, il convient aussi d'adapter nos procédures aux nouveaux modes d'enseignement, notamment avec le développement de l'enseignement à distance, pour lesquels l'obtention d'un résultat minimal pourrait être la solution.

Pour renforcer le contrôle d'assiduité, la présence aux cours devrait se concentrer sur les travaux dirigés et les travaux pratiques où l'appel ou l'émargement devrait être systématique.

Parallèlement, il conviendrait d'imposer la présence à tous les examens. L'émargement à une seule épreuve, pour laquelle une simple copie blanche serait rendue, ne saurait suffire.

Dans l'hypothèse où les universités seraient réticentes ou dans l'incapacité de réaliser un tel contrôle, une obligation de réussite pourrait également être instaurée dès la première année.

Ainsi, en l'absence de contrôle d'assiduité aux cours, les universités pourraient coupler l'exigence de présence aux examens à l'obtention d'un nombre minimal de crédits ECTS ou d'une moyenne plancher sur l'ensemble des épreuves. L'obligation d'obtenir un résultat minimal pourrait même se substituer intégralement à l'obligation d'assiduité dans certains cas.

Ensuite, alors que le recouvrement des sommes indûment perçues s'avère difficile, il convient de suspendre au plus vite les bourses d'étudiants non assidus et de réduire les délais actuellement constatés.

Tout d'abord, les étudiants boursiers qui ne souhaiteraient pas réellement suivre les cours doivent être repérés le plus rapidement possible.

À cet effet, il convient de rendre effectif le contrôle de l'inscription pédagogique de l'étudiant à compter d'une certaine date. Dans l'idéal, lorsque le calendrier de la formation universitaire le permet, le premier versement de la bourse devrait même être conditionné par l'inscription pédagogique de l'étudiant.

Les systèmes d'information et leur interfaçage devraient également être améliorés afin de faciliter le travail des personnels concernés et d'automatiser les contrôles. Actuellement, les interventions humaines sont trop nombreuses et il paraît incroyable que des fichiers Excel continuent d'être échangés entre les CROUS et les établissements d'enseignement supérieur. Les universités devraient, en outre, être en mesure de suspendre elles-mêmes l'aide versée en cas d'identification d'un boursier non assidu, comme c'est déjà le cas pour les lycées ou les écoles. Cela aurait également pour mérite de les responsabiliser davantage.

Enfin, afin de simplifier les procédures avec l'intervention de quatre acteurs, le transfert de la gestion complète des bourses au réseau des oeuvres universitaires et scolaires pourrait être étudié. Il pourrait également être envisagé de confier cette compétence aux universités.

Pour que le contrôle d'assiduité des étudiants boursiers soit effectivement réalisé, l'ensemble des acteurs doit se sentir investi. Les établissements d'enseignement supérieur ont, en tout état de cause, tout intérêt à s'assurer de l'assiduité de leurs étudiants. La présence de « faux » étudiants nuit à l'image des établissements universitaires qui les accueillent, notamment en faisant chuter leur taux de réussite. En outre, l'affluence d'un nombre important d'étudiants à la rentrée universitaire crée ainsi des difficultés aux universités en termes de prévision des moyens, comme le soulignent certains présidents d'établissements.

Afin d'inciter davantage les universités à réaliser ces contrôles, ceux-ci pourraient constituer un indicateur de leur performance pour déterminer leur dotation annuelle.

Enfin, il convient d'éviter que d'éventuels abus ne se prolongent trop longtemps. À l'heure actuelle, un étudiant pour lequel un ordre de reversement a été émis en raison d'un défaut d'assiduité peut bénéficier d'un nouveau droit à bourse dès l'année universitaire suivante, sans avoir procédé au remboursement requis. Cela ne me paraît pas normal. Aussi, je vous propose de revenir sur ce principe, en prévoyant que, tant que le remboursement n'a pas été opéré, le CROUS ne peut accorder un nouveau droit à bourse.

En conclusion, tous les étudiants ne sont, naturellement, pas des fraudeurs et les étudiants « fantômes » ne sont pas tous boursiers. Surtout, un des principaux défis de l'enseignement supérieur concerne l'orientation des étudiants. En effet, parmi les non-assidus, ne figurent pas nécessairement que des étudiants « fantômes » qui viennent profiter d'un système, mais bien de nombreux jeunes qui se sont inscrits dans une formation qui, soit ne leur convient pas car ils étaient mal renseignés ou indécis, soit ne constituait pas leur premier choix. Lorsqu'un dispositif efficace aura été mis en place pour l'orientation des étudiants, le suivi de leur assiduité pourra réellement être assuré.

J'ai eu beaucoup de surprises avec ce contrôle et j'ai pu constater à la fois des personnes très engagées et d'autres, au contraire, très désinvestis. Le nombre de boursiers non assidus est probablement bien plus élevé que le pourcentage de 3 % qui ressort actuellement de l'enquête annuelle du ministère. Certains ont avancé le chiffre de 30 %, cela me paraît excessif mais si atteignait 15 % à 20 %, les sommes en jeu seraient bien plus conséquentes et doivent servir à aider les étudiants qui, travaillant pour réussir leurs études, le méritent.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il est utile que la question du contrôle des conditions de maintien des droits des étudiants boursiers, généralement peu examinée, ait pu faire l'objet d'un travail approfondi de Philippe Adnot. Il ne fait aucun doute, comme il l'a souligné, que les moyens consacrés aux étudiants boursiers gagneraient à être mieux utilisés.

Je souhaiterais insister sur les difficultés inhérentes à la gestion des indus et à leur recouvrement, ainsi que sur les coûts administratifs qui en découlent. Il faudrait impérativement s'attacher à limiter l'apparition des indus et, pour ce faire, faciliter les contrôles. Ceci pourrait, notamment, être permis par le développement des systèmes d'information. Y a-t-il, aujourd'hui, un manque de volonté ou encore une insuffisance des moyens informatiques qui seraient susceptibles de faire obstacle à un renforcement des contrôles ?

M. Michel Bouvard. - Dans le cadre de mes activités à la Cour des comptes, j'avais également eu à connaître du problème identifié par Philippe Adnot. Ainsi, il m'était apparu que plusieurs « leviers » pouvaient être mobilisés en vue de le résoudre. En premier lieu, les recteurs d'académie, qui sont également chanceliers des universités, devraient davantage être mis à contribution dans le pilotage du contrôle de l'usage des bourses. En second lieu, les dotations versées aux universités pourraient être mobilisées afin d'inciter les établissements à mieux contrôler l'assiduité des étudiants boursiers. Auparavant, ces dotations n'intégraient pas la compensation de l'exonération des frais d'inscription de ces derniers ; or, tel n'est plus le cas aujourd'hui ! Par conséquent, l'on pourrait envisager une minoration de l'enveloppe compensatoire dès lors que le système de contrôle d'un établissement se révèle défaillant.

En outre, un affermissement des contrôles permettrait de mieux appréhender le coût réel des « faux étudiants », qui perçoivent non seulement des bourses d'étude, mais aussi des aides personnelles au logement... Il s'agit probablement d'un autre gisement d'indus.

Enfin, s'agissant du recouvrement des bourses indues, il pourrait être utile, à mon sens, d'examiner la situation fiscale des étudiants concernés. Dans l'hypothèse où un bénéficiaire abusif serait rattaché au foyer fiscal de ses parents, il ne serait pas illégitime que ces derniers puissent être appelés à reverser les sommes indûment perçues.

M. André Gattolin. - Méfions-nous des approches strictement comptables pour davantage examiner la réalité des choses. Mes fonctions d'enseignement m'ont permis de constater que le contrôle de l'assiduité se faisait sans difficulté dans le cadre des masters, où les effectifs sont généralement réduits. Mais comment effectuer un contrôle de la présence des étudiants lors des cours d'amphithéâtre donnés en licence, qui peuvent réunir plusieurs centaines de personnes ? Les moyens administratifs dont disposent les universités ne le permettent certainement pas. Par ailleurs, le contrôle de l'assiduité peut se révéler fortement chronophage pour les enseignants eux-mêmes ; à l'occasion d'interventions dans des formations continues, j'ai pu être amené, pour chaque cours donné, à consacrer une vingtaine de minutes au contrôle de la présence des participants ainsi qu'aux démarches administratives y afférent ! S'il faut sans doute renforcer les contrôles en la matière, il convient toutefois de rester réaliste quant à leur mise en oeuvre...

M. Maurice Vincent. - Le travail réalisé par Philippe Adnot soulève un véritable problème. Toutefois, ce dernier concerne essentiellement les premières années des filières généralistes. Une fois le « cap » de la première année de licence franchi, les étudiants se montrent généralement assidus. Concernant le contrôle de la présence des étudiants, je tiens à souligner que celui-ci n'est possible que dans le cadre des travaux dirigés, mais pas dans celui des cours magistraux, dont les effectifs sont trop importants. Par ailleurs, un renforcement des contrôles peut se heurter, d'une part, à la « culture » des professeurs des universités et des maîtres de conférences et, d'autre part, à la diversité des acteurs intervenant en première année de licence, qui comprennent des vacataires, des personnes issues du secteur privé, etc.

Certaines préconisations que vous faites me paraissent intéressantes, notamment pour réduire le nombre d'intervenants dans la procédure. En revanche, j'estime injuste l'idée que l'attribution d'une bourse universitaire puisse être conditionnée à la réussite aux examens. Un étudiant peut parfaitement se montrer assidu mais échouer aux examens...

Pour finir, si l'on souhaite améliorer l'équité et l'efficacité de la dépense publique et améliorer le système de financement de l'enseignement supérieur, il convient de considérer le cloisonnement entre les filières sélectives, où la dépense publique est considérable, et les autres. Compte tenu de l'origine sociale de la majorité des étudiants inscrits dans des formations sélectives et de leur bonne intégration au marché du travail, les droits d'inscription dans ces dernières pourraient être significativement accrus.

M. Roger Karoutchi. - Je considère que la remise en question des bourses au mérite a constitué une grave erreur. Le système actuel d'attribution des bourses, fondé sur des critères généraux, est injuste, dans la mesure où il ne permet pas un examen personnalisé et donc adapté au dossier de chaque étudiant.

Contrairement à André Gattolin, je ne pense pas que les moyens administratifs à la disposition des universités pour procéder au contrôle de la présence des étudiants boursiers soient insuffisants. Le problème réside, en réalité, dans le refus des dirigeants universitaires de s'occuper de telles questions.

Rétablir des critères de réussite conditionnant le maintien des bourses ne me paraîtrait pas inopportun ; certes, il ne s'agirait pas d'exiger la réussite à tous les examens, mais, selon moi, à tout le moins, l'obtention d'une moyenne générale minimale.

M. Marc Laménie. - Le problème identifié par le rapporteur recouvre certainement des situations hétérogènes selon les établissements universitaires. Pour autant, serait-il possible à Philippe Adnot de m'indiquer s'il a été observé, au cours des dernières années, une augmentation du montant des bourses indûment perçues ? Est-il parvenu à recueillir des données chiffrées sur ce point ?

M. François Marc. - Deux exigences me semblent devoir effectivement guider une meilleure gestion des bourses étudiantes. Tout d'abord, il est essentiel d'assurer la cohérence des pratiques entre les universités. Ensuite, les systèmes d'information devraient être mieux utilisés à des fins de contrôle, comme le préconise d'ailleurs le rapporteur.

Je constate que les problèmes d'assiduité concernent avant tout les premières années universitaires. Aussi, selon moi, cette situation n'est pas sans lien avec les difficultés relatives à l'orientation des étudiants, qui produit indubitablement des effets pervers.

Je souhaiterais formuler deux remarques concernant les recommandations avancées par Philippe Adnot. Premièrement, les enseignants-chercheurs n'ont pas vocation à être des « contrôleurs », en particulier dans des amphithéâtres réunissant quelques centaines d'étudiants. Je ne suis pas convaincu que ce soit aux universités de suspendre les bourses. Deuxièmement, conditionner le maintien des bourses à la réussite aux examens pourrait s'avérer problématique dès lors que l'on sait que, pour financer leurs études, beaucoup d'étudiants sont contraints de travailler...

M. André Gattolin. - Près de 45 % d'entre eux !

M. François Marc. - ...ce qui peut conduire à des échecs. Je ne suis pas certain qu'un tel critère doive être retenu.

M. Éric Doligé. - Je remercie Philippe Adnot pour ce rapport extrêmement concret et intéressant. J'ai entendu Maurice Vincent qui a indiqué qu'il fallait optimiser les dépenses de l'État mais je constate, au fil des interventions, qu'il y a toujours des arguments pour éviter d'aller jusqu'au bout. Cela me rappelle les arguments entendus lors de l'examen d'une proposition de loi sur le revenu de solidarité active (RSA) que j'avais déposée : dès que l'on souhaite contrôler, cela pose un certain nombre de problèmes. Ceci étant, j'aimerais savoir s'il existe une réflexion analytique sur le coût global des phénomènes décrits, au-delà des indus. Si 1 % à 2 % des étudiants inscrits ne suivent pas les cours, cela pose des problèmes de fonctionnement général, d'ordre administratif ou encore de mise à disposition de locaux. Le rapporteur s'est-il penché sur la question de la course à l'inscription dans les universités ? Certaines universités mettent en effet en avant le nombre d'étudiants inscrits et leur progression pour demander des moyens supplémentaires. On s'aperçoit ensuite qu'un certain nombre de ces étudiants sont peu assidus. Y a-t-il une durée maximale pour l'attribution de bourses sur critères sociaux ? Dans certaines universités, on trouve en effet des étudiants inscrits depuis plus de dix ans.

M. Daniel Raoul. - Je pense que le problème se situe essentiellement en première année universitaire. Certains étudiants sont affectés dans des disciplines ou des filières qui ne correspondent pas à leurs souhaits initiaux ou à leurs aptitudes, ce qui peut advenir après avoir inscrit ses voeux dans le système informatisé « Admission post-bac ». Le deuxième groupe d'étudiants absents en première année correspond à ceux qu'on appelle les « faux étudiants », qui s'inscrivent pour accéder aux services du CROUS ou à certaines prestations comme les aides personnelles au logement.

Je ne suis pas d'accord avec la proposition de rendre obligatoire le critère de réussite à l'examen pour bénéficier d'une bourse. Il faut laisser un droit au redoublement. De plus, avec le système de crédits ECTS, dans lequel on peut passer dans une année supérieure sans avoir validé la totalité des crédits, comment définit-on la réussite ? En revanche, une obligation de présence aux épreuves d'examen me paraît être le minimum. Quant à la présence physique aux travaux dirigés et aux cours, elle me semble moins nécessaire avec les moyens technologiques actuels et l'accès aux enseignements en ligne.

M. Jean-Claude Boulard. - Dès lors qu'une obligation d'assiduité au Sénat a été instaurée, il ne me paraît pas contestable d'étendre une telle obligation aux étudiants dans les universités. Personnellement, je n'avais jamais été rémunéré pour ma présence mais pour la qualité de mon travail. J'ai appris à pointer, je l'ai accepté. Deuxièmement, je suis consterné d'entendre que ce ne serait pas le rôle des professeurs de rappeler les règles d'assiduité et de contrepartie due à la collectivité. Dans mon école, au village, une règle de morale était écrite chaque jour au tableau et commentée. Une connaissance ne sert à rien si elle n'est pas intégrée dans des règles de comportements. Cette carence est grave. Toutes les excuses et tous les laxismes sont possibles mais la solidarité ne peut être durablement mise en oeuvre que si elle s'accompagne de rigueur. Bien sûr, il faut des critères clairs et objectifs. Bien sûr, le contrôle est plus difficile dans les amphithéâtres, mais je crois qu'il en va de l'honneur de l'ensemble des étudiants de sanctionner un certain nombre de comportements, tel que celui des « copies blanches » que je découvre, afin de redonner du crédit collectif à l'ensemble de l'université.

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Pour répondre au rapporteur général, je confirme que le rapport coût-efficacité peut être jugé trop faible pour lancer des procédures permettant de récupérer les indus de bourse. Le plus simple serait donc d'appliquer le principe selon lequel une personne qui présente des indus non recouvrés ne peut recevoir une nouvelle bourse.

Comme Michel Bouvard, je considère que le recteur devrait jouer un rôle essentiel en tant que responsable de la gestion des bourses. Pour les universités, jouer sur la compensation boursière serait en effet plus simple. Le coût réel est une question importante car, aujourd'hui, un étudiant peut être déclaré non assidu tout en continuant à bénéficier de l'ensemble des avantages du système.

André Gattolin a souligné qu'il était difficile de contrôler dans les amphithéâtres mais mon propos sur l'assiduité portait surtout sur les travaux dirigés. Par ailleurs, il est vrai que l'essentiel des difficultés se concentre sur la licence.

Il n'était pas du tout dans mon intention d'exiger le critère de réussite totale à l'examen. Mais il faut un minimum de notation ou de travail justifiant que la personne a bien étudié. Certains étudiants m'ont fait observer, comme Daniel Raoul, qu'il existe aujourd'hui des moyens pour étudier sans être présent aux cours et tout de même réussir. Mais il faut faire la preuve d'un effort pour étudier. Je suis d'accord avec Maurice Vincent sur l'augmentation des droits d'inscription que, pour ma part, j'appliquerais toutefois à toutes les filières. Cette augmentation donnerait en effet des marges de manoeuvre aux universités, d'autant plus que les étudiants boursiers sont dispensés de droit d'inscription.

En réponse à Éric Doligé, je souhaitais indiquer que l'on ne peut obtenir les sept droits à bourse sans progression dans ses résultats à compter de la troisième année.

Roger Karoutchi a raison de souligner que le système d'attribution n'est pas efficace. Le bon fonctionnement du système dépend en grand partie des personnes responsables. Nous avons constaté que, dans des universités comptant un très grand nombre d'étudiants, le contrôle d'assiduité existe, tandis qu'il n'existe pas nécessairement dans certaines universités plus petites.

Je souhaitais préciser à Marc Laménie que le problème est que les statistiques sont très récentes et que les administrations responsables ne disposaient pas nécessairement des modalités de contrôle pratiquées, celles qui vous ont été présentées provenant du questionnaire que j'ai adressé.

Je suis assez d'accord avec François Marc concernant l'amélioration de la pratique de l'orientation. Cela éviterait d'avoir des décrocheurs et des gens qui ne suivent pas les cours, tout simplement parce qu'ils se sont trompés d'orientation. Vous indiquez que le rôle des enseignants n'est pas de faire office de « contrôleur » mais, à l'instar de Jean-Claude Boulard, je considère qu'il est normal de s'intéresser aux résultats de ses étudiants. Plus on s'y intéresse, plus vite l'on peut identifier les « décrocheurs » et les réorienter.

Comme l'a souligné Éric Doligé, la question du coût global est en effet essentielle. La course au nombre d'inscrits a bien existé mais le nombre d'étudiants n'est plus aussi déterminant pour l'attribution des dotations budgétaires.

Je suis tout à fait d'accord avec les propos de Daniel Raoul : il convient d'entendre obligation de réussite comme une obligation de résultat minimal, c'est-à-dire qu'il y ait au moins la démonstration d'un effort d'étudier.

M. François Marc. - La question n'est pas celle du suivi des étudiants. Il est évident que chaque professeur a envie que ses étudiants réussissent mais doit-il être le poinçonneur à l'entrée de l'amphithéâtre pour s'assurer que tous les élèves sont présents ?

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - Dans les recommandations qui vous ont été distribuées, vous constaterez que je propose de concentrer l'obligation d'assiduité sur la présence aux travaux dirigés. J'ai bien dit que cela ne concernait pas nécessairement les cours en amphithéâtre.

La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Adnot et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Groupe de travail sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) - Communication

La commission entend enfin MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sur les travaux du groupe de travail sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

La réunion est ouverte à 10h15.

Mme Michèle André, présidente. - Charles Guené et Claude Raynal vont nous présenter un remarquable travail qui, de façon inédite, a été réalisé avec l'Assemblée nationale. En ce moment même, leurs homologues Christine Pires Beaune et Véronique Louwagie présentent aux députés le document qui vous a été distribué. Je salue la présence parmi nous de Jacques Mézard, co-rapporteur, avec Philippe Dallier et Charles Guené, du rapport d'information de la délégation aux collectivités territoriales sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - La réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) prévue par l'article 150 de la loi de finances pour 2016 a été reportée au 1er janvier 2017, compte tenu de la révision de la carte intercommunale et des dysfonctionnements constatés au cours du débat parlementaire.

Le Sénat, puis l'Assemblée nationale, ont créé des groupes de travail transpartisans afin d'identifier des pistes d'amélioration pour lever ces points de blocage, tout en conservant l'architecture proposée par le Gouvernement.

Afin de disposer d'analyses, d'enrichir ses propositions et de pouvoir simuler les différentes pistes de réforme envisagées, le Sénat a sélectionné un cabinet de conseil : Ressources consultants finances (RCF) qui a accompagné nos travaux.

Un comité de pilotage conjoint regroupant les rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du Sénat et les deux rapporteures nommées par l'Assemblée nationale s'est réuni régulièrement afin de préparer les séances des groupes de travail et de coordonner les travaux des deux assemblées.

Par ailleurs, le groupe de travail a entendu les ministres Jean-Michel Baylet et Estelle Grelier, et consulté les associations d'élus, celles-ci ayant été sollicitées pour l'envoi de contributions écrites et invitées à participer à une table ronde.

À la suite de l'annonce par le Président de la République du report de la réforme à 2018, nous vous proposons d'en rester, à ce stade, à un rapport d'étape. Celui-ci prévoit toutefois certaines mesures à prendre dès 2017, dans la mesure où les modalités de répartition actuelles de la DGF posent certains problèmes - nous en avons identifié quatre - qu'il convient de régler le plus tôt possible : il s'agit des  « DGF négatives », du financement de la péréquation verticale, de l'effet de seuil de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et du fonctionnement en enveloppes de la DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Dans un deuxième temps, nous avons étudié les principes pouvant constituer le socle d'une future réforme de la DGF à partir de 2018, étant entendu que tout scénario de réforme devra être accompagné de simulations pluriannuelles exhaustives.

J'en viens tout d'abord aux points à réformer dès le projet de loi de finances pour 2017 avec, en premier lieu, le rebasage de la DGF des communes et des EPCI.

Selon l'article 150, aucune commune ne pourrait voir sa contribution au redressement des finances publiques (CRFP) représenter plus de la moitié de sa dotation forfaitaire : la question des « DGF négatives » est traitée en redonnant une dotation forfaitaire aux communes qui n'en percevaient plus, et donc en les exonérant d'une partie de leur CRFP, alors même que ces communes perçoivent d'importantes recettes par ailleurs.

Le groupe de travail propose, au contraire, de « rebaser » la DGF notamment en élargissant le support de la CRFP à la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et en jouant sur les attributions de compensation (AC).

En effet, la CRFP ne doit pas être considérée comme un prélèvement sur la DGF, mais comme une ponction sur les recettes réelles de fonctionnement (RRF). Actuellement, cette contribution s'impute sur la DGF, mais rien n'empêche qu'elle le soit sur d'autres vecteurs. Certaines communes font d'ailleurs aujourd'hui l'objet d'un prélèvement sur leurs recettes fiscales, ce sont les « DGF négatives ».

Nous proposons de définir une dotation de référence, calculée notamment à partir de l'ancienne dotation de base, pour chaque commune, ce qui permettrait de supprimer les « DGF négatives » sans remettre en cause la contribution au redressement des finances publiques et d'améliorer ainsi la lisibilité du système.

Deux cas de figure peuvent alors se présenter : soit le montant support est suffisant pour absorber la CRFP, auquel cas la fraction résiduelle de dotation est ajoutée au montant de la dotation de base pour former la dotation de référence de la commune. Soit le montant support est insuffisant, et le reliquat de CRFP dû est alors acquitté par l'EPCI auquel appartient la commune, qui le répercute automatiquement et obligatoirement sur la commune à travers une minoration de son attribution de compensation. Pour les communes isolées, l'ajustement se ferait à travers leur contribution ou attribution au titre du fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR).

En outre, nous proposons de faire remonter la compensation part salaires (CPS) et la DCRTP des communes au niveau des EPCI. Cette opération est neutre pour chaque commune et chaque EPCI, en jouant sur les attributions de compensation, et permet d'homogénéiser la DGF des communes et celle des EPCI en globalisant toutes les compensations de l'ancienne taxe professionnelle au niveau des EPCI, quel que soit leur statut fiscal. Les comparaisons entre communes et entre EPCI auront ainsi plus de sens qu'aujourd'hui.

S'agissant des EPCI, la logique du rebasage est la même : il s'agit de définir une dotation de référence après la CRFP.

Avant et après rebasage, les ressources des communes et des EPCI sont strictement identiques, tant au niveau global que pour chacun d'entre eux. Cette neutralité est assurée à travers la variation des attributions de compensation. De même, ce système est budgétairement neutre pour l'État. Les ministères ont confirmé la neutralité du système, notamment pour l'État. Ce rebasage permet de régler un grand nombre de problèmes, notamment les cas des « DGF négatives ».

J'en viens au deuxième point qu'il faudra régler dès le projet de loi de finances pour 2017 : le financement de la péréquation verticale.

Depuis 2015, l'écrêtement - destiné à financer notamment la hausse de la péréquation verticale - prend la forme d'un prélèvement péréqué portant sur la dotation forfaitaire, plafonné à 3 % de cette dernière. Ce plafonnement à 3 % a plusieurs conséquences sur le financement de la péréquation, aggravées par la CRFP. Tout d'abord, le plafonnement implique que les communes concernées contribuent moins à la péréquation que ce qu'elles devraient. Par ailleurs, la dotation forfaitaire de chaque commune diminue du fait de la CRFP, et donc plus une commune a de RRF, moins elle contribue à la péréquation. Enfin, les 168 communes qui ont une dotation forfaitaire nulle du fait de la CRFP ne contribuent pas au financement de la hausse de la péréquation. Il en résulte un report sur les autres communes qui sera de plus en plus important, et qui s'élève déjà, en 2016, à 51 millions d'euros.

Entre 2013 - dernière année avant la CRFP - et 2015, plus de 10 000 communes ont vu leur prélèvement augmenter plus que proportionnellement à la hausse globale du prélèvement. Pour plus de 7 000 communes, ce prélèvement a augmenté de plus de 50 % et même de plus de 100 % pour 4 500 communes. Ceci a pu expliquer certaines incompréhensions en mars dernier, lors des notifications de la dotation forfaitaire.

Pour mettre fin à ce problème, il pourrait être envisagé de faire évoluer le plafonnement, en le supprimant ou en en augmentant progressivement le taux, étant entendu que le rebasage résoudrait déjà une partie du problème.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Je précise que nos quatre propositions de réformes pour le projet de loi de finances pour 2017 ont été travaillées avec la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et Bercy. Nous ne vous proposons rien qui ne soit réalisable.

En troisième lieu, donc, nous vous proposons de recentrer la DSU et de corriger ses effets de seuil.

À titre de rappel, l'article 150 de la loi de finances pour 2016 prévoit de réformer les trois dotations de péréquation verticale. Il propose ainsi de supprimer la dotation nationale de péréquation (DNP) afin d'abonder les enveloppes de dotation de solidarité rurale (DSR) et de DSU ; de réserver la DSU aux deux premiers tiers des communes de plus de 10 000 habitants et de répartir la progression de la DSU entre l'ensemble des communes éligibles et non plus entre les 250 premières communes dites « DSU cible », avec un coefficient de 0,5 à 2 en fonction du rang de classement à l'indice synthétique.

Afin d'éviter le saupoudrage de la DSU et de limiter les effets de seuils, nous proposons de réformer la DSU dès le projet de loi de finances pour 2017. En revanche, il est préférable de ne pas réformer l'architecture des dotations de péréquation en 2017. Nous proposons une opération a minima pour traiter la question de la DSU. Une refonte de la péréquation devra nécessairement s'inscrire dans le cadre d'une réforme plus large de la DGF.

Il apparaît donc souhaitable de conserver la DNP en l'état, dans l'attente d'une réforme globale, qui pourrait reposer sur deux enveloppes (DSU et DSR élargies) ou trois enveloppes (DSU, DSR et DNP), car il serait sans doute difficile de recréer une dotation générale de péréquation une fois la DNP supprimée.

S'agissant de la DSU, dans la continuité de ce que prévoit l'article 150 de la loi de finances pour 2016, nous proposons de recentrer l'éligibilité à la DSU des communes de plus de 10 000 habitants des trois premiers quarts aux deux premiers tiers et de passer ainsi de 751 à 667 communes. Le Comité des finances locales (CFL) travaille actuellement également en ce sens. Nous proposons aussi de répartir l'augmentation annuelle de la DSU sur les 667 communes éligibles et non plus seulement sur les 250 premières - à défaut, les écarts deviendraient excessifs. Cette répartition pourra être affectée d'un coefficient multiplicateur pour tenir compte des écarts de ressources et de charges.

Enfin, pour 2017, nous souhaitons corriger le fonctionnement en enveloppes de la dotation des EPCI. À l'heure actuelle, l'enveloppe fonctionne par catégorie juridique d'EPCI. Cette année, les changements de catégories de certains EPCI ont mis en tension la dotation d'intercommunalité, notamment celle des communautés d'agglomération.

En effet, l'enveloppe de dotation d'intercommunalité de chaque catégorie d'EPCI est calculée en fonction de la population et d'un montant par habitant. Cette enveloppe est ensuite répartie en fonction de critères, tels que le coefficient d'intégration fiscal (CIF), le potentiel fiscal, la population, etc... Ainsi, l'enveloppe des communautés d'agglomération est égale à 45,40 euros multiplié par le nombre d'habitants, mais le montant que chaque communauté d'agglomération perçoit effectivement est compris entre 9 euros et 128 euros par habitant.

Les 28 communautés d'agglomération qui sont devenues communautés urbaines ou métropoles en 2016 percevaient en moyenne 35,10 euros par habitant. Toutes choses égales par ailleurs, la dotation d'intercommunalité perçue par les communautés d'agglomération restantes a diminué d'environ 50 millions d'euros en raison du seul changement de catégorie juridique de ces 28 communautés. Il faudra donc trouver un moyen de résoudre ce problème qui peut avoir des conséquences particulièrement importantes pour les communautés d'agglomération. Il existe quelques solutions techniques, mais elles ne sont pas simples, d'autant que l'enveloppe globale est constante.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Nous en arrivons aux éventuelles améliorations à apporter ultérieurement à l'article 150.

Faut-il un report d'un an de l'article 150 afin de s'assurer que la réforme sera bien menée, ou bien est-il préférable de le supprimer ? Avec nos collègues de l'Assemblée nationale, nous préférons reporter la réforme d'un an plutôt que de laisser croire qu'elle n'a pas ou plus lieu d'être.

Deux orientations majeures de la réforme soulèvent des difficultés sérieuses : le choix de proposer une dotation universelle au montant relativement élevé, 75,72 euros par habitant dans l'article 150, réduit les marges de manoeuvre restantes pour prendre en compte la diversité des situations des communes et les garanties dont elles bénéficient. En second lieu, la redistribution, à l'aveugle, de toutes les garanties, a des effets particulièrement brutaux pour certaines communes en difficulté : toutes les garanties ne sont en effet pas injustifiées.

En ce qui concerne la structure de la dotation forfaitaire, l'article 150 prévoit une dotation de base, une dotation de centralité partagée entre l'EPCI et ses communes membres en fonction de la part de la population communale dans l'EPCI portée à la « puissance 5 » - ce qui nous avait laissés pantois - et une dotation de ruralité.

Cet article pose plusieurs difficultés majeures : la non-prise en compte des nouveaux périmètres intercommunaux alors qu'ils sont déterminants dans la répartition de la dotation de centralité ; l'utilisation de la « puissance 5 » entraîne des résultats absurdes sur certains territoires polycentraux ; l'appréhension difficile de la notion de charges de centralité ; la sensibilité de la question de la territorialisation d'une part de la dotation forfaitaire des communes ; l'illisibilité du coefficient de majoration et du tunnel.

Les groupes de travail proposent donc de remanier fortement la dotation de centralité. Nous abandonnerions la territorialisation en créant une nouvelle dotation de centralité réservée aux communes au-dessus d'un certain seul de population et répartie en fonction d'un coefficient logarithmique pour prendre en compte les charges des communes. Une majoration serait prévue en fonction du poids démographique de la commune dans le département, en considérant les charges spécifiques des communes centres qui offrent des équipements et des services aux populations alentours. Ce nouveau système serait bien préférable à la « puissance 5 » qui ne fonctionnait absolument pas.

Nous proposons aussi d'adapter à la marge la dotation de ruralité. Elle serait réservée aux communes en deçà de seuils démographique et de densité et serait répartie en fonction de la densité et de la population, majorée pour les communes accueillant un parc naturel, et pourrait être assortie de plafonds (par habitant, voire par hectare).

Nous souhaitons également un changement de logique de la dotation de base : au lieu de déterminer, en amont, le montant par habitant de cette dotation, celle-ci serait considérée comme le solde de l'enveloppe restant après le calcul des enveloppes dédiées à la centralité et à la ruralité. L'avantage de cette formule serait que chaque année, le montant total de la dotation forfaitaire serait réparti sans nécessiter l'introduction d'un coefficient de majoration, ce qui améliorerait sensiblement la lisibilité de la répartition.

La dotation forfaitaire serait répartie exclusivement en fonction de critères de charges et les dotations de centralité et de ruralité seraient exclusives l'une de l'autre, en fonction d'un seuil de population. Nous rencontrons néanmoins une difficulté : l'article 150 prévoit une suppression de toutes les garanties comprises au sein de la dotation forfaitaire des communes. Mais derrière un même montant de garanties, se cachent des communes à la situation financière très différente. La répartition du complément de garantie par habitant de toutes les communes en fonction de leur potentiel fiscal par habitant montre qu'il n'y a absolument aucune corrélation entre les deux. C'est pourquoi il est indispensable d'envisager la création d'une dotation spécifique, qui consoliderait les anciennes garanties de certaines communes, par exemple en fonction d'un seuil de potentiel financier et d'effort fiscal. Certes, la création d'une telle dotation n'est pas satisfaisante puisqu'elle revient à cristalliser une partie du passé. L'alternative serait d'augmenter significativement le caractère péréquateur de la DGF, ce qui pourrait être complexe à mettre en oeuvre.

J'en arrive à la structure de la péréquation verticale. Les communes dont le potentiel fiscal est inférieur à la moyenne nationale ne sont pas uniquement des communes en grande difficulté, mais également des « communes moyennement pauvres », qui doivent également bénéficier de la solidarité nationale.

Trois principes à l'oeuvre dans l'article 150 appellent une analyse particulière au regard de ces « communes moyennement pauvres ». Dès lors que la dotation de base absorbe les trois quarts de la dotation forfaitaire et qu'elle est répartie en fonction de la population, il en découle que les communes qui ne bénéficieront pas de la péréquation verticale seront pratiquement traitées de façon identiques entre elles, alors que les différences de richesse peuvent être considérables.

L'article 150 prévoit de réduire le nombre de communes bénéficiaires de la DSU et de la DSR afin d'éviter le saupoudrage et de supprimer la DNP. Les « communes moyennement pauvres » risquent ainsi d'être exclues de toute péréquation verticale et traitées de la même façon que des communes beaucoup plus riches. Il est donc proposé de conserver une dotation de péréquation générale, en miroir de la dotation de base, soit en reconduisant en son sein le montant de la DNP, soit en l'abondant de la DSR péréquation et de la DSU « non cible ».

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - S'agissant de la structure de la DGF des EPCI, outre la question spécifique de la dotation de centralité, la proposition du Gouvernement était considérée comme insoutenable pour certains EPCI, notamment les plus peuplés, en raison de la remise en cause brutale de la dotation de compensation qui aurait été totalement redistribuée. Les capacités financières des territoires industriels seraient donc totalement redistribuées, ce qui semble insoutenable. Un système de garanties était prévu pour les EPCI dont le CIF était supérieur à 50 %. Il suffisait donc que tous ces territoires augmentent leur CIF au-dessus de ce seuil pour vider de ses effets la réforme.

La solution étudiée par les groupes de travail vise à recycler progressivement la dotation de compensation, sur une période de dix ans : chaque année, 10 % de son montant abonderaient la dotation d'intercommunalité. Celle-ci serait composée de trois parts : une dotation d'intégration, prenant en compte le CIF ; une dotation de péréquation, prenant en compte des critères de richesse et, enfin, une dotation territoriale, qui serait répartie en fonction de critères relatifs à l'ensemble intercommunal, mais serait perçue uniquement par l'EPCI. L'enjeu de la DGF des EPCI est donc de trouver un rythme de recyclage de la dotation de compensation qui soit acceptable, en lien avec la croissance des autres ressources de l'EPCI.

Le dernier point concerne le système de transition. Le tunnel proposé par l'article 150 a trois défauts : le système de garanties n'est pas autofinancé car les garanties des uns ne sont pas automatiquement financées par les écrêtements des autres, ce qui rendait nécessaire le maintien d'un coefficient de majoration dans la dotation forfaitaire. En outre, une commune dont la dotation aurait dû à terme augmenter de 50 % gagne autant la première année qu'une commune dont la dotation aurait dû à terme augmenter de 5 %. Enfin, la réforme n'était entièrement mise en oeuvre qu'au bout de quarante ans.

Nous vous proposons donc de mettre en place une transition progressive sur dix ans : la première année, chaque commune percevrait 10 % de sa nouvelle dotation forfaitaire et 90 % de sa dotation de référence, puis 20 % et 80 %, etc. C'est d'ailleurs ce qui avait été fait lors de la réforme de la DGF en 1985.

En conclusion, il est nécessaire dès 2017 de remédier à quatre problèmes posés par la DGF actuelle : rebaser la DGF en élargissant le support de la CRFP, afin notamment de supprimer les « DGF négatives ». Aujourd'hui, certains élus comparent l'évolution de leur DGF alors qu'ils devraient comparer l'évolution de leurs recettes réelles de fonctionnement.

En second lieu, il faut un financement équitable de la péréquation verticale en réformant le plafonnement à 3 % de l'écrêtement de la dotation forfaitaire des communes. Si l'on ne procède pas à cette modification, le système ne pourra perdurer.

En troisième lieu, il convient de réformer la DSU pour éviter son saupoudrage et limiter les effets de seuil. Il est anormal que tout ceci ait été gelé pendant des années.

Quatrièmement, nous devons remédier aux effets de transfert de DGF des EPCI liés aux changements de catégories juridiques.

Pour le reste, nous souhaitons fixer les principes d'une réforme de la DGF du bloc communal à partir de 2018, notamment en ce qui concerne la dotation forfaitaire des communes, avec un système de transition efficace, les dotations de péréquation et la DGF des EPCI.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Nous vous avons présenté un rapport d'étape. La répartition actuelle de la DGF comporte de nombreuses injustices et une réforme est nécessaire.

La situation de l'outre-mer est particulière et difficile à appréhender avec les dispositions de droit commun. Il convient donc, le cas échéant, de les adapter aux spécificités des communes d'outre-mer.

Dans la perspective de la réforme de la DGF, qui devra préalablement faire l'objet de simulations pluriannuelles, nous devrions mettre les prochains mois à profit pour continuer à travailler sur la question des indicateurs et notamment sur le potentiel fiscal, le potentiel financier, l'effort fiscal, le coefficient d'intégration fiscale et sur la définition de la « population DGF ». Nous devrons également réfléchir aux effets cumulés de la péréquation verticale et de la péréquation horizontale, c'est-à-dire du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Par ailleurs, l'appréhension des charges des collectivités passe trop souvent par des indices synthétiques et des logarithmes, qui ne suffisent plus à apprécier assez finement les contraintes de chaque territoire et dont la définition n'est jamais consensuelle. À ce titre, le système italien des « besoins de financement standard » pourrait être utile.

À notre avis, la réforme de la DGF devrait beaucoup plus tenir compte des ressources et des charges qu'il convient de redéfinir de façon bien plus précise et contemporaine.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci pour ce travail sur un sujet aride et complexe. Faut-il sauver l'article 150 ou proposer une autre réforme ? Je regrette le manque d'ambition de cette réforme, qui ne supprime pas les mécanismes incompréhensibles, comme le FPIC. On reprend d'une main ce qu'on accorde de l'autre ? Il suffirait que la DGF tienne compte de la réalité pour ne plus avoir besoin de péréquation horizontale.

M. Michel Bouvard. - Tout à fait !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Comment accepter des « DGF négatives » ? Ne faut-il pas aller au-delà de l'article 150 ?

M. Jacques Mézard, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Si nous n'avons pas toutes les solutions, l'essentiel des questions vient d'être posé.

Comme vient de le dire le rapporteur général, nous devons revisiter l'ensemble du système de financement de nos collectivités, devenu incompréhensible pour nos collègues élus locaux et pour nos concitoyens. En attendant, des solutions concrètes doivent être trouvées dès 2017.

Le Cantal et la Lozère seraient durement touchés par cette réforme, alors que nous connaissons leur situation financière. Si le système actuel est maintenu, ma communauté d'agglomération sera étranglée en raison de la transformation d'autres communautés d'agglomération en communautés urbaines ou métropoles. Or lors de l'examen du projet de loi sur les métropoles au Sénat, au cours duquel la ville de Dijon avait été bien défendue, le Gouvernement s'était formellement engagé à maintenir l'enveloppe pour les communautés d'agglomération qui ne changeaient pas de statut. Mais, une fois de plus, les engagements pris en séance n'ont pas été tenus. J'espère que la commission des finances fera des propositions pour gommer ces injustices.

Puisqu'il n'est plus urgent d'aller très vite, profitons-en pour faire le ménage.

M. Philippe Dallier. - Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

Je salue le travail de nos rapporteurs et la démarche commune avec l'Assemblée nationale. Il y a longtemps qu'on aurait dû procéder de la sorte pour se réapproprier les sujets difficiles et jusqu'à présent souvent traités en dehors du Parlement. Grâce à vous, la question de « DGF négatives » sera traitée. Le déplafonnement était également fondamental : vos propositions vont dans le bon sens. Nous allons sortir de ces sept longues années durant lesquelles l'augmentation de la DSU aura été concentrée sur 250 communes. Cependant, je regrette que vous ne reveniez pas sur la cristallisation de la DSU perçue par les communes « non cible ».

Concernant la réforme de la DGF, il faut avoir le courage de dire les choses : l'article 150 ne fonctionne pas. Autant le supprimer plutôt que de repousser son application à 2018. En revanche, les chiffres que nous avons étudiés en groupe de travail montrent que nous n'avons pas de solution de rechange « clé en main ».

Nous partons d'une situation tellement inextricable qu'il nous faut tout remettre à plat, y compris le FPIC et le Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Pourquoi ne pas utiliser des critères de charges objectifs ?

Le travail a été intéressant, mais n'est pas parvenu à une réforme alternative. J'espère que le futur Gouvernement aura le courage de remettre l'ouvrage sur le métier.

M. Vincent Delahaye. - Comme l'a dit Philippe Dallier, le groupe de travail a bien travaillé, mais une revue d'ensemble devrait être effectuée. Les simulations ont démontré des anomalies dues notamment aux garanties. Il faut donc repartir sur de nouvelles bases, en abrogeant l'article 150, même si des ajustements doivent être effectués dès 2017.

Les propositions sur l'intercommunalité me semblent peu claires. Pourquoi accorder plus de dotations aux EPCI qui sont les plus intégrés ? J'ai toujours pensé que ces intégrations devaient permettre de réaliser des économies et donc ne justifiaient pas des dotations en hausse.

Comment financerons-nous à l'avenir les effets d'aubaine des changements de statut de certaines communautés ? Les dotations des communautés urbaines étant plus intéressantes que les communautés d'agglomération, la tentation existe... Faut-il accepter que certaines y gagnent au détriment des autres ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je salue le travail considérable mené par les deux groupes de travail et qui montre que notre résistance de l'an passé était justifiée. Il y a un paradoxe à se féliciter du report tout en commençant à opérer le malade. Nous venons de rappeler la nécessité d'avoir une vue globale en ces matières : faut-il commencer à réformer ? N'oublions pas qu'en Île-de-France, la première couronne connaît des effets qui n'ont pas encore été examinés.

Le rebasage sera neutre pour les communes, les EPCI et l'État, mais attention aux flux entre les EPCI et les communes. Si tout n'est pas automatique, certaines communes feront de la résistance pour conserver leurs dotations. Prenons garde aux usines à gaz !

Comme nous avons coupé le lien entre les communes et les projets de développement économiques, certaines n'ont pas envie d'investir. Dans la première couronne de l'Île-de-France, le système est déresponsabilisant : si les établissements publics territoriaux n'équilibrent pas leurs comptes, les impôts des communes augmentent automatiquement.

Certes, il faut éviter le saupoudrage pour la DSU, mais vous dites aussi que les « communes moyennement pauvres » doivent être aidées. Or, la DSU leur apporte une petite bouffée d'oxygène.

Vous estimez que la démographie est l'élément majeur qui doit être pris en compte pour la dotation de centralité. Certaines communes peuvent faire fonction de ville centre, car elles ont beaucoup d'équipements, sans être pour autant les plus peuplées.

M. Michel Bouvard. - Je m'associe aux remerciements que mes collègues ont adressés aux rapporteurs. Leur tâche était ingrate et les observations du rapporteur général sont fondées. Le document finalisé a le mérite d'identifier les problèmes majeurs soulevés par l'article 150 et de formuler quatre propositions pour remédier à des difficultés actuelles. Elles me paraissent fonctionner sous réserve de vérifier la soutenabilité des effets de la suppression du plafonnement.

En revanche, comme l'a dit Charles Guéné, nous manquons de critères objectifs pour refléter les charges, car on ne peut pas sérieusement s'en tenir au revenu moyen par habitant. Une mécanique d'identification des charges par catégorie de collectivités s'impose, qui prendra en compte des critères comme la présence de logements sociaux, les contraintes liées à la géographie ou au relief, etc.

La définition de la population DGF est également essentielle pour les communes où l'on constate un écart considérable entre la population permanente et la population saisonnière. C'est un critère d'autant plus important que la dotation touristique qui figurait autrefois dans la dotation forfaitaire a été définitivement enterrée. À ne pas le prendre en compte, on risque de tuer l'outil de travail que constituent les équipements touristiques pour un certain nombre de communes, avec les conséquences qui s'ensuivent en matière d'emploi, de performance et de compétitivité.

Je regrette que l'on n'ait pas intégré dans le potentiel financier les sommes prélevées ou reçues par les communes au titre des dotations de solidarité ou du FPIC. C'est pourtant une évidence : on n'est pas riche de ce que l'on a donné et on améliore sa situation à recevoir une dotation.

Le mérite principal du rapport reste d'avoir identifié la difficulté à traiter les garanties. Les simulations d'application de la réforme sur le bloc communal ont fait apparaître des distorsions qui touchent les communes, mais pas les intercommunalités, car le poids des garanties pèse davantage sur les communes que sur les EPCI. Il faudra en tenir compte pour ne pas déstabiliser le mode de fonctionnement d'un certain nombre de collectivités.

Le président Mézard disait tout à l'heure que les promesses faites devant les parlementaires n'étaient pas toujours tenues. Je tiens également à dire combien je suis choqué : le Gouvernement avait pris l'engagement d'autoriser le cumul de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et du fonds de soutien à l'investissement local, engagement confirmé par une circulaire du Premier ministre adressée aux préfets. Or, l'un des préfets de la République considère que cette disposition n'est pas applicable sur une partie du territoire de la République, en l'occurrence la région Auvergne-Rhône-Alpes. C'est inacceptable. D'autant qu'on pénalise ainsi les territoires qui contribuent le plus au FPIC et qui subissent les plus fortes baisses de dotation. C'est précisément là qu'on aurait besoin d'un soutien à l'investissement. Pourquoi nous interdire ce cumul alors qu'il est autorisé sur le reste du territoire ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ce genre de problèmes se résout le mercredi matin en conseil des ministres. Je suis estomaqué.

M. Maurice Vincent. - Ce n'est peut-être pas le seul critère qui préside à la nomination et au maintien en place d'un préfet.

Mme Michèle André, présidente. - Les élus d'Auvergne-Rhône-Alpes sont très mobilisés sur ce sujet. Pour avoir travaillé avec le préfet en question, je crois qu'il est homme à s'adapter à toutes les situations. Nous ne pouvons que nous étonner de cette manière de procéder. Il y a sans doute une explication.

M. Jacques Genest. - Le groupe de travail a réalisé un gros travail. J'y ai participé modestement. Les résultats sont peu satisfaisants et même surprenants. On a trouvé des lièvres ; on ne les a pas encore tués. Remplacer un système compliqué et injuste par un autre système qui multiplie ces défauts ne peut être que dangereux.

Je suis un homme pragmatique. Plutôt que de philosopher, j'ai préféré regarder les tirs à blanc du groupe de travail, en partant des simulations. Elles montrent qu'en Ardèche, la situation serait beaucoup plus catastrophique si l'on n'appliquait pas l'article 150. Par exemple, la commune la plus riche de l'Ardèche, où l'on a implanté une centrale nucléaire, et qui compte parmi les plus riches de la région Auvergne-Rhône-Alpes touche davantage que les petites communes bourg-centres.

Dans la mesure où la dotation de base serait un solde, il risque d'être pénalisant pour les petites communes rurales. Elles souffriront également de la suppression de la DNP. Par ailleurs, le fonctionnement par strates est injuste. Lorsqu'elles ont été instituées, les garanties avaient leur raison d'être, restons prudents avant de les supprimer. Pour l'instant, les pistes explorées par la réforme pénalisent les bourg-centres qui supportent les mêmes charges qu'auparavant. Comme le disait Michel Bouvard, le revenu moyen par habitant ne veut absolument rien dire. Deux retraités de l'industrie avec de gros salaires suffisent à classer une petite commune parmi les communes riches, même si le reste de la population est pauvre. Cela n'aurait aucun sens d'y augmenter les impôts. Mieux vaudrait adopter des critères objectifs.

En ce qui concerne la voirie, à aucun moment on ne prend en compte les zones de montagne. Le département accordait des aides aux petites communes pour le déneigement ; elles risquent de disparaître. Comment feront les maires ? Si on ne déneige pas, les gens ne viendront pas. Le critère d'altitude et de montagne doit pouvoir jouer. La commune bourg-centre supporte également les charges des élèves scolarisés, ainsi que celles des logements sociaux en milieu rural. La vie associative est un autre critère important. Plus elle est développée, plus la commune aura de frais.

Le travail est excellent ; le résultat l'est moins. Il est urgent d'attendre. Les deux premiers points de l'article 150 étaient bons ; le troisième pose problème. Abrogeons l'article et reportons la tâche sur le prochain Gouvernement.

Je ne peux être que très favorable à ce qu'ont dit Michel Bouvard et le rapporteur général au sujet de l'attitude du préfet de Auvergne-Rhône-Alpes. Il est inadmissible qu'un préfet n'applique pas les directives de l'État. C'est dire si l'État est devenu faible.

M. Yannick Botrel. - Je tiens à complimenter nos collègues pour leur aisance à traiter ce dossier très technique, qui me laisse avec une conviction : on ne pourra pas prévoir de manière précise les conséquences des options retenues. Si l'on prévoit dix ans pour mettre en place cette réforme, on risque fort de devoir se soumettre à une réévaluation permanente du dispositif en fonction des conséquences réelles de la réforme.

Dans le département des Côtes-d'Armor, nous allons passer de 32 à 8 intercommunalités. En plus d'un pôle structurant, il faut dégager des pôles d'équilibre correspondant aux anciens chefs-lieux de canton, pour jouer un rôle de proximité auprès de la population. Certains d'entre eux peuvent ne pas être très peuplés. En Bretagne, la densité de population s'accroît à mesure que l'on approche de la côte, et inversement.

Quels critères appliquer pour définir la dotation de centralité ? Si les communes participent en général au fonctionnement de l'école, l'investissement reste à la charge de la commune-centre. Le déficit du restaurant scolaire est un autre critère très concret, tout comme la présence d'équipements sportifs ou culturels à la charge du bourg-centre. Le seuil de population doit être envisagé par rapport à la situation globale de l'intercommunalité et ne peut pas être décrété sans tenir compte de la réalité du territoire.

M. Marc Laménie. - Compliments à nos rapporteurs pour ce travail très complexe. Comment construire un système idéal ? Vous connaissez tous l'historique de la DGF et de ses composantes. Comment simplifier la péréquation, qu'elle soit verticale ou horizontale ? J'ajouterai une interrogation annexe : quel devenir pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle ?

M. François Marc. - Les rapporteurs ont été largement remerciés et félicités, à juste titre, pour leur prestation sur un sujet à la fois technique et exigeant. J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec eux. Je me félicite de la contribution du cabinet RCF. Grâce à lui, nous disposons de simulations pour construire l'avenir. Restent à définir les perspectives de notre projet. Je suis d'accord avec les orientations qui ont été dégagées pour mettre en oeuvre cette réforme dès 2017, car il faut effectivement aller vite. Je ne suis pas non plus en désaccord avec les principes qui ont été définis pour la réforme de la DGF du bloc communal.

En revanche, je ne partage pas la position de Jacques Genest selon laquelle il est urgent d'attendre, en espérant qu'un autre gouvernement trouvera les moyens de faire plaisir à tout le monde. Plus on tarde à agir, plus on affaiblit le statut communal. Si l'on n'est pas capable de répondre au problème souligné par Jean Germain et Christine Pires Beaune sur les inégalités très fortes entre communes créées par la DGF, la seule solution technique qui s'imposera sera la dotation communautaire à répartir au sein de chaque territoire. Ceux qui plaident pour un report sont donc en train d'enterrer la commune.

Je partage la totalité des conclusions du rapport et des orientations qui s'en dégagent. À titre personnel, je reste convaincu que l'on aurait pu finaliser cette réforme fin 2015, moyennant quelques aménagements sur la centralité. Avec les améliorations apportées et les nouvelles simulations dont nous disposons, nous sommes en capacité de la mettre en oeuvre dès l'année prochaine, quitte à déposer un amendement conséquent sur l'article 150. C'est la seule manière de préserver la commune. Si on ne corrige pas les inégalités, avec le temps, c'est la dotation communautaire qui s'imposera.

M. Bernard Delcros. - J'adresse mes remerciements aux rapporteurs qui ont animé ce groupe de travail avec autant d'engagement que de compétence. Je salue la démarche qui a consisté à réunir des groupes de travail des deux assemblées, de sorte que le Parlement s'est approprié ce sujet extrêmement important. C'est une stratégie à reprendre dans d'autres domaines.

La réforme de la DGF est déterminante pour l'avenir des territoires. La contribution au redressement des finances publiques a accru les inégalités territoriales, en s'appuyant uniquement sur les recettes des collectivités sans prendre en compte leur capacité contributive. Les enveloppes de dotation sont constantes ou en baisse. Pour une DGF plus juste, il faut que certaines collectivités acceptent de recevoir moins pour que d'autres reçoivent plus. D'où la difficulté de la réforme. D'autant qu'on ne connaît pas encore l'impact sur les dotations de la réorganisation territoriale et du changement de statut d'un certain nombre de collectivités.

Je suis favorable aux quatre dispositions à mettre en oeuvre dès la loi de finances pour 2017. Il est urgent de procéder à un rebasage pour éviter les « DGF négatives ». Comment accepter que les collectivités qui ont le plus de capacités contributives ne participent pas à l'effort de redressement des finances publiques ? Idem pour le financement de la péréquation verticale avec la suppression du plafonnement à 3 %. Enfin, il faut approfondir la réflexion sur le fonctionnement de la DGF des EPCI, en prenant en compte les modifications de statut.

Faut-il reporter ou non l'article 150 ? S'il s'agit d'améliorer le système de la DGF, mieux vaut le maintenir, car son architecture est bonne et seule la définition des critères et des curseurs est à revoir. Quant à choisir la voie d'une réforme plus globale, c'est la meilleure façon de ne rien faire. En ce qui concerne les curseurs, dans la mesure où le montant par habitant reste très important, soit un peu plus de 75 euros, l'enveloppe pour la péréquation est faible. La dotation de ruralité fonctionne aussi sur un montant par habitant, alors qu'il faudrait introduire d'autres critères.

Je suis favorable à l'idée de relativiser le poids démographique des communes en le rapportant à la démographie du département : un petit bourg de 1 500 habitants peut jouer le rôle de bourg-centre et de rassemblement de services dans un petit département, alors que ce ne sera pas forcément le cas dans un département plus important. Je crois également qu'il faut ramener le dispositif de transition à dix ans plutôt que quarante ans.

Quant au cumul de la DETR et du fonds de soutien à l'investissement local, il doit être possible car il permet de mieux financer certains projets, mais implique d'en financer moins. Dans le Cantal, nous avons préféré financer davantage de projets en ne cumulant pas la DETR et le fonds de soutien à l'investissement. Plutôt que d'appliquer une règle générale, mieux vaut faire preuve de bon sens en fonction des particularités de chaque département.

Je suis favorable à ce que l'on prenne en compte l'effort fiscal, mais avec précaution. On ne peut pas vouloir d'un côté alléger la pression fiscale sur les habitants et de l'autre pénaliser les collectivités qui le font. S'il faut effectivement prendre en compte l'effort fiscal, on ne peut pas le déconnecter du revenu par habitant.

Je m'associe à mon collègue de l'Ardèche. Il faut conserver le doublement de la voirie communale en zone de montagne. En revanche, la dotation de superficie et donc sa majoration dans les zones de montagne est supprimée. Les communes de montagne comptent peu d'habitants, mais doivent faire face à des charges supplémentaires liées à l'altitude, aux grands espaces, aux longueurs de voirie, au déneigement, à la dégradation des routes... Ce serait une mesure d'équité et de justice que de les prendre en compte, d'autant que les sommes à engager seraient relativement faibles au regard de la DGF.

M. Vincent Eblé. - Une fois n'est pas coutume, je partage les convictions de collègues d'autres groupes que le mien et notamment de Philippe Dallier qui réclame une réforme ambitieuse et lourde. Notre difficulté à concrétiser l'intention de la réforme ne vient pas d'un obstacle technique, mais d'un manque de volonté politique pour s'engager dans une réforme où certains ont à perdre. À toute chose malheur est bon. La décision du Parlement de limiter le cumul des mandats de parlementaire et de membre d'un exécutif local devrait donner de la hauteur à notre positionnement politique et favoriser l'intérêt général. Je suis favorable à une réforme qui refonde les modalités de contribution de l'État au financement des collectivités territoriales.

Puisque la réforme de la DGF du bloc communal a été ralentie voire interrompue, pourquoi n'avons-nous pas profité de cette année pour réformer la DGF des départements, tout aussi inéquitable et scandaleuse ? Nous aurions pu définir ainsi quelques principes pour établir un différentiel de charges entre les collectivités. Chacun y va de son couplet, la ruralité, l'urbanité, la mer, la montagne... On gagnerait à exploiter les agrégats financiers pour identifier les charges et leur adosser ensuite les critères de contribution financière. Composition de la population, contraintes territoriales, voirie, montagne : intégrons toutes ces charges selon ce qu'elles représentent dans le budget des collectivités territoriales. Nous aurons ainsi les modalités de pondération des dotations financières.

Cette réforme est indispensable, car le système craque de partout. Preuve en est, les dispositifs correctifs sont légion : péréquations spécifiques à l'Île-de-France, ou qui valent au niveau national, péréquations à l'intérieur du bloc communal ... Si nous maintenons tous ces systèmes sans les refonder, nous risquons l'explosion. Priver quelqu'un d'une recette pour la donner à plus pauvre : si le principe est bon, la réalité est difficile à vivre et ne pourra susciter que réticences et blocages. Arrêtons avec les péréquations et travaillons à ce que la dotation initiale dont les collectivités peuvent bénéficier pour conduire les politiques publiques soit juste. C'est ainsi qu'on évitera les jalousies. Je suis favorable à une révolution de la DGF, révolution tranquille, mais révolution tout de même.

M. Thierry Carcenac. - Une grande réforme est toujours intéressante. Je ne crois pas pour autant que le grand soir pourra se réaliser. Je félicite les rapporteurs pour leur pragmatisme. Le rebasage, le déplafonnement du prélèvement à 3 % et les modifications de la péréquation verticale sont de bonnes mesures grâce auxquelles nous pourrons régler certains problèmes dès 2017. Que faire de l'article 150 ? Si on le supprime, la réforme deviendra trop complexe à mettre en oeuvre. Maintenons-le, quitte à le modifier plus tard.

Votre approche de la dotation forfaitaire est très intéressante. Nous avons eu une réforme de la DGF des départements en 2005. Je me rappelle le grand débat qu'avait suscité la proposition de Gilles Carrez, avec pour résultat l'institution d'une dotation forfaitaire pour les départements, fixée à 74,02 euros. Il s'agissait de donner la même chose à tout le monde, ce qui a naturellement entraîné la création de dotations de garantie et de compensation. Imaginez : les 100 départements bénéficiaient de la dotation. Il a fallu attendre le dernier moment pour en exclure les Hauts-de-Seine qui recevaient encore 5 euros par habitant. Le sujet mérite réflexion. L'inversion que vous réalisez en privilégiant les dotations de ruralité et de centralité nous invite à définir précisément ces notions pour mettre en place les critères adaptés. En tout état de cause, il est plus intéressant de travailler à partir d'une dotation de base prévue dans le cadre d'une enveloppe définie en aval plutôt qu'en amont.

Plutôt que la population départementale, je prendrais en compte la densité de population par territoire. Je suis président d'un conseil départemental, dans un territoire où coexistent des zones de montagne peu denses et des métropoles très peuplées. La densité de population par territoire reflète ce déséquilibre.

Enfin, l'effort fiscal et le revenu par habitant vont de pair. Nous n'aurons pas d'autre choix que de procéder à une révision des valeurs locatives, si nous souhaitons plus de justice.

M. Michel Canevet. - J'apprécie les propositions de nos excellents rapporteurs. La répartition de la dotation de centralité dans l'article 150 était inadaptée. Il est beaucoup plus pertinent que la dotation de base soit un solde. Je partage les regrets de François Marc : cette réforme est indispensable, ne la retardons pas. Je ne crois pas que le non-cumul des mandats nous sera très favorable : il risque au contraire de nous faire perdre en expertise.

Cette réforme s'inscrit dans un contexte particulier de participation à l'effort de réduction des dépenses publiques. Nous devons nous attendre à ce que le Gouvernement demande de nouveaux efforts aux collectivités territoriales. La réforme n'en sera que plus difficile. D'où l'importance de l'engager rapidement. Les évolutions sur le périmètre intercommunal favoriseront les effets d'aubaine, car un certain nombre de communautés de communes se transformeront en communautés d'agglomération et bénéficieront à ce titre de dotations supplémentaires. De plus, le coefficient d'intégration fiscale n'intègre pas les mêmes ressources pour les communautés de communes et pour les communautés d'agglomération : par exemple, la redevance assainissement n'est prise en compte que pour les communautés d'agglomération.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Nous avons travaillé de manière transpartisane sur les bases de l'article 150. Les analyses du cabinet RCF nous ont aidé à mettre en lumière ses limites. Nous en avons tiré des conclusions utiles et nous avons défini les modifications immédiates auxquelles nous devons procéder. Cela ne signifie pas pour autant que nous sommes contre une réforme globale. L'article 150 appartient au système actuel des finances locales, un système vieux de près d'un demi-siècle. Mais notre fiscalité locale ne correspond sans doute plus à notre époque.

Si l'on engage une réforme, il faudra veiller à ce qu'elle appréhende la totalité des recettes et la réalité des charges. Il y a cinquante ans, chaque territoire pouvait dégager des recettes ; ce n'est plus le cas. Quant aux charges, on était à l'époque à peine sortis de la gestion en bon père de famille des biens communaux. Rien à voir avec les montants actuels. Par conséquent, il faut une remise en cause complète de notre système de fiscalité locale. Tous les pays voisins pratiquent des impôts nationaux avec des taux nationaux. Il faudra également mettre fin à une schizophrénie : on peut appréhender les charges sur un territoire sans pour autant tuer la commune. Inspirons-nous des Italiens qui ont pu définir des coûts standards pour étudier les charges. Demain, il y aura 1 250 territoires en France. Cela nous facilitera peut-être la tâche.

Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? Notre rapport est une étape. Devons-nous attendre le projet de loi d'un Gouvernement ou continuer à travailler au Parlement ? Ce n'est pas seulement à moi de répondre.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Je remercie nos collègues qui ont participé à ce groupe de travail dans une ambiance positive, où a primé la recherche de solutions, sur des sujets difficiles. Les premières simulations que nous avons réalisées méritent d'être approfondies. Nous avions tenté de maintenir le montant par habitant de la dotation de base à ce que prévoyait l'article 150. Peut-être faudrait-il prendre un peu plus sur la dotation de base pour mieux redistribuer, comme le suggérait Thierry Carcenac ? Pour éviter de conserver certaines garanties, qu'elles se justifient par leur ancienneté ou par leur logique, il faudrait des systèmes de péréquation très forts et une dotation de base faible. Je suis plutôt favorable au maintien de l'article 150. Chacun pourra ainsi se saisir de la question chaque année pour la faire progresser. Supprimer l'article 150 reviendrait à enterrer la réforme plutôt qu'à l'améliorer.

Mme Michèle André, présidente. - Au nom de la commission, je souhaite que nous poursuivions ce travail pour pouvoir l'exploiter au moment de la prochaine loi de finances. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, comme on dit en Auvergne.

La commission donne acte de leur communication aux rapporteurs spéciaux et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Questions diverses

Mme Michèle André, présidente. - Autorisez-vous notre rapporteur pour avis sur le projet de loi « Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique » à déposer les amendements nos FINC.5, FINC.9, FINC.10 et FINC.13 que nous avons adoptés ce matin après leur avoir apporté des corrections rédactionnelles ?

Il en est ainsi décidé.

La réunion est levée à 12 h 15.

- Présidence commune de Mme Michèle André, présidente et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales -

Situation et les perspectives des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, et conjointement avec la commission des affaires sociales, la commission des finances entend de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

La réunion est ouverte à 15 h 05

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Les commissions des affaires sociales et des finances sont réunies pour entendre Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présenter le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui constitue un élément d'information du Parlement important en vue du débat d'orientation des finances publiques, qui se tiendra le jeudi 7 juillet prochain en séance publique.

Pour préparer ce débat, nous bénéficierons également du rapport que le Gouvernement doit, en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), remettre au Parlement avant le 30 juin. De plus, nous prendrons connaissance des communications et des rapports d'information préparés par les rapporteurs généraux de nos deux commissions. Nous retrouverons le Premier président dès demain après-midi, dans le cadre du colloque organisé conjointement par la Cour des comptes et le Sénat, qui est consacré à la comptabilité générale de l'État, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mise en place.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales est attentive aux rapports de la Cour des comptes, et particulièrement réceptive à ses propositions. Notre commission souhaiterait pouvoir voter non pas une loi de financement de la sécurité sociale, mais une loi de financement de la protection sociale, afin de disposer enfin d'une vue d'ensemble. Venant d'ouvrir un colloque sur la robotique et sur l'espace ambulatoire, j'ajoute que nous serons particulièrement attentifs à l'évolution du coût des soins ambulatoires lors de l'examen de la loi de financement pour 2017.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis, comme toujours, très heureux d'être entendu par vos commissions pour vous présenter le rapport que la Cour des comptes a publié ce matin sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Ce rapport est établi chaque année conformément à la LOLF, pour que le Parlement puisse préparer de la manière la plus opérationnelle possible le débat d'orientation sur les finances publiques. Il examine les finances publiques françaises à l'aune des objectifs fixés et des engagements pris par les pouvoirs publics. Le rôle de la Cour des comptes est d'apprécier les résultats obtenus au regard de ces objectifs et de ces engagements mais ce n'est pas la Cour qui les détermine.

Cette publication se situe dans le prolongement du rapport sur le budget de l'État en 2015, qu'il complète. Elle concerne, en effet, l'ensemble des administrations publiques, y compris la sécurité sociale et les administrations publiques locales, et analyse la trajectoire d'évolution des finances publiques à l'horizon 2019. Il est par ailleurs tenu compte des travaux du Haut Conseil des finances publiques, notamment sur les prévisions de croissance associées au programme de stabilité d'avril dernier.

Pour vous présenter ce rapport, j'ai à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de sa préparation, Christian Charpy et Éric Dubois, conseillers maîtres, ainsi que Vianney Bourquard, conseiller référendaire.

Dans ce rapport, la Cour des comptes dresse trois constats principaux. Premièrement, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015, mais la situation des finances publiques de la France reste en décalage avec la moyenne de l'Union européenne. Deuxièmement, l'objectif de réduction du déficit public pour 2016, plus modeste qu'en 2015, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales. Troisièmement, en l'état des décisions connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste. Avant de conclure mon propos, je ferai un rapide point sur les évolutions récentes en matière de gouvernance des finances publiques.

J'en viens au premier constat du rapport : la situation des finances publiques s'est légèrement améliorée en 2015, mais cette situation reste en décalage avec celle de la plupart des autres pays de l'Union européenne.

Interrompu entre 2013 et 2014, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015. La légère amélioration observée est plus rapide que prévu dans la loi de programmation des finances publiques : le déficit public, qui devait être de 4,1 points de PIB en 2015, a finalement été de 3,6 points de PIB. La Cour des comptes observe que cette amélioration d'un demi-point de PIB avait déjà été largement acquise en 2014, avec 0,4 point de déficit en moins qu'anticipé. Cette amélioration doit en outre être nuancée à plusieurs titres. D'une part, le déficit public reste à un niveau élevé en 2015. La réduction des déficits publics est essentiellement imputable aux collectivités territoriales, qui ont significativement infléchi leurs dépenses de fonctionnement (+ 1,0 % en 2015 après + 2,7 % en 2014), et diminué de manière marquée leurs dépenses d'investissement pour la seconde année consécutive. Une situation légèrement moins dégradée des comptes sociaux contribue également de manière plus marginale à ce résultat.

D'autre part, l'amélioration des déficits publics a bénéficié de phénomènes qui ne sont pas forcément récurrents. La modération des dépenses a été facilitée par la baisse des charges d'intérêts et par la chute de l'investissement local. Or ces évolutions ne peuvent pas être considérée comme pérennes. La dette publique continue d'augmenter, ce qui conduira les charges d'intérêts accrus si les taux d'intérêt remontent. La chute de l'investissement local, qui résulte en partie du cycle électoral, devrait cesser de favoriser la baisse des dépenses en 2016.

Nous examinons chaque année la situation des finances publiques au regard de celle de nos voisins européens. Cet examen conduit à plusieurs constats. En premier lieu, le niveau du déficit public reste élevé en France relativement à nos voisins. Seuls quatre pays de l'Union européenne conservent un déficit effectif plus dégradé que celui de la France : la Grèce, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni. Cet écart touche également le déficit structurel. La France continue d'accuser un décalage par rapport aux autres économies européennes dans l'ajustement de ses finances publiques. Quatre pays seulement ont un déficit structurel plus élevé que celui de la France : le Royaume-Uni, l'Espagne, la Slovénie et la Belgique. La réduction du déficit public en France, de l'ordre de 0,5 point de PIB en 2015, est à peu près équivalente à celle observée en moyenne au sein de la zone euro et de l'Union européenne. Cela signifie que la France doit poursuivre ses efforts de réformes structurelles, si elle souhaite mettre fin au décalage observé aujourd'hui avec les autres pays européens ou a minima le réduire significativement.

En second lieu, les dépenses publiques en France ont continué d'augmenter en volume, à un rythme supérieur à celui de la plupart des autres pays de l'Union européenne. Si la maîtrise de la dépense fait désormais partie de la stratégie gouvernementale pour redresser les finances publiques, cette stratégie apparaît cependant moins marquée que dans d'autres pays, même ceux qui ont accru en 2015 leurs dépenses publiques, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne. Mais si l'on s'intéresse à l'ensemble de la période 2010-2015, l'Allemagne est le seul de ces pays à avoir connu une dynamique de la dépense publique supérieure à celle de la France depuis 2010. La situation des finances publiques y est nettement plus favorable.

En troisième lieu, la trajectoire d'endettement de la France diverge désormais non seulement de celle de l'Allemagne, mais aussi de celle de la moyenne des pays de la zone euro. Alors que le poids de la dette publique a diminué en moyenne dans la zone euro (- 1,3 point de PIB) et dans l'Union européenne (- 1,6 point de PIB), il a continué à augmenter en France (de 0,4 point de PIB).

De manière à infléchir la dépense publique, le Gouvernement a annoncé un plan de 50 milliards d'euros d'économies de dépenses sur la période 2015 à 2017, dont la Cour des comptes a examiné la mise en oeuvre pour 2015. Lors de l'annonce de ce plan, le Gouvernement avait réparti les économies sur les trois années 2015 à 2017, avec une première tranche de 21 milliards d'euros d'économies en 2015, puis deux tranches de 14,5 milliards d'euros chacune, en 2016 et 2017. Cette répartition a été modifiée progressivement au cours de l'année 2015 jusqu'au programme de stabilité d'avril 2016. Dans ce document, le montant d'économies a été révisé à la baisse pour 2015 et 2016. L'effort le plus important a alors été reporté sur l'exercice 2017 (18,7 milliards d'euros). La Cour des comptes observe que le montant des économies correspond à un effort par rapport à une évolution tendancielle des dépenses publiques. Or l'examen des hypothèses retenues par le Gouvernement révèle qu'elles conduisent à une évaluation plutôt élevée de la croissance tendancielle. Elles comportent ainsi un biais majorant d'autant les économies affichées. La première tranche d'économies de plus de 18 milliards d'euros en 2015 a été examinée dans ce rapport. Même si l'effort des pouvoirs publics est réel, la Cour des comptes estime que le montant d'économies s'élève plutôt à 12 milliards d'euros, du fait essentiellement d'une moindre contribution de l'État : ses dépenses (hors prélèvements sur recettes, hors charges d'intérêts, hors pensions) ont en effet continué d'augmenter de 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2015, alors qu'elles auraient dû diminuer de près d'un milliard. De surcroît, certaines mesures d'économies présentées par le Gouvernement ne peuvent pas être comptabilisées comme des économies réelles. En particulier, le ralentissement de la dépense des programmes d'investissements d'avenir (PIA) correspond davantage à des décalages de paiements qu'à une vraie économie. La dépense est reportée dans le temps et non pas annulée. Les crédits totaux destinés aux PIA affectés aux opérateurs restent, en effet, inchangés.

Au total, l'effort sur les dépenses publiques en 2015 a été réel, mais moindre que celui correspondant aux engagements européens. L'effort structurel qui aurait permis de respecter les engagements européens de la France est de 0,5 point de PIB par an. Or l'effort structurel tel qu'évalué par le Gouvernement est de 0,3 point de PIB hors charge d'intérêts, avec la croissance potentielle retenue par le Gouvernement, et serait de 0,2 point de PIB avec la croissance potentielle estimée par les organisations internationales.

L'objectif de réduction du déficit public pour 2016, modeste, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales.

Dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, le déficit public prévu pour 2016 était de 3,6 points de PIB. Dans le programme de stabilité d'avril 2016 transmis par le Gouvernement à la Commission européenne, cette prévision a été abaissée à 3,3 % du PIB. Les résultats, meilleurs que prévu en 2014 et en 2015, associés à une conjoncture économique orientée plus favorablement, sous réserve d'effets possibles du résultat du référendum au Royaume-Uni, permettent ainsi d'envisager une situation financière un peu améliorée en 2016. Les risques apparaissent limités sur les prélèvements obligatoires. La prévision de recettes repose sur un scénario de croissance du PIB et d'inflation jugé réaliste par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le dernier programme de stabilité. Les indicateurs de conjoncture publiés depuis cet avis le confortent, sous réserve des conséquences éventuelles du « Brexit ».

Les recettes publiques apparaissent correctement calibrées. Elles devraient progresser en 2016 au rythme d'une croissance économique, en amélioration par rapport à 2015, comme le retient la prévision du Gouvernement, toujours sous réserve des conséquences éventuelles de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Si le scénario relatif aux recettes publiques apparaît relativement prudent, la trajectoire de déficit ne saura être durablement respectée sans une maîtrise rigoureuse des dépenses. Des tensions fortes existent, notamment en ce qui concerne l'évolution des dépenses de l'État. Elles sont plus importantes en 2016 qu'en 2015. Les risques de dépassement pourraient représenter en 2016 entre 3,2 et 6,4 milliards d'euros, contre des risques estimés entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros à la même époque l'année dernière. Ces dépassements sont avant tout liés aux annonces de mesures nouvelles et aux sous-budgétisations. Les annonces nouvelles recensées par la Cour des comptes pourraient conduire à accroître les dépenses de l'État de 2,5 milliards d'euros. Cet accroissement serait principalement le fait du plan d'urgence pour l'emploi, des aides accordées aux agriculteurs et aux éleveurs et de la hausse des dépenses du ministère de la défense. Les sous-budgétisations seraient d'environ 2 milliards d'euros en 2016, soit un ordre de grandeur comparable à celui observé en 2015. Malheureusement, les sous-budgétisations sont récurrentes. Elles concernent en particulier les missions « Défense », « Travail et emploi », et « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Ces sous-budgétisations nuisent à la sincérité du vote du Parlement sur la loi de finances. Elles rognent dès le début de l'année les marges de manoeuvre nécessaires pour maîtriser l'exécution de la dépense budgétaire.

Par ailleurs, la masse salariale de l'État, hors contributions au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », devrait progresser de 1 à 1,5 % en 2016, contre 0,4 % en 2015. Il faut remonter à 2007 pour retrouver un tel rythme d'évolution. Les trois facteurs qui avaient permis de modérer la masse salariale de l'État depuis près de dix ans contribuent maintenant à cette accélération. Les effectifs augmentent depuis 2015. La valeur du point de la fonction publique sera majorée au 1er juillet 2016 puis au 1er février 2017. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures catégorielles depuis le début de cette année.

Le Gouvernement a accentué, en début d'exercice, la réserve de précaution pour tenir l'objectif de dépense de l'État. Il a décidé de geler les reports de crédits de manière transversale, pour la première fois depuis la mise en oeuvre de la LOLF en 2006. Par ailleurs, l'élaboration, en juin 2016, du premier des trois décrets d'avance prévus dans l'année a déjà donné lieu à des arbitrages difficiles, le Gouvernement ayant renoncé à certaines des annulations prévues initialement. Au regard de l'ampleur des risques de dépassement de crédits, le respect de l'objectif de dépenses incluses dans la norme de dépenses en valeur sera particulièrement difficile en 2016, même s'il reste atteignable. À titre de comparaison, malgré des risques de dépassement moindres en 2015, la norme de dépenses n'avait été respectée que facialement, grâce à la baisse du prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne et à des contournements notables (3 milliards d'euros).

Le respect de l'objectif pourrait devenir impossible si de nouvelles dépenses supplémentaires venaient à être décidées d'ici la fin de l'année. Des risques de moindre ampleur pèsent également sur les dépenses des administrations de sécurité sociale. En particulier, l'économie de 800 millions attendue en 2016 de la renégociation de la convention de l'Unedic paraît désormais hors d'atteinte à la suite de l'échec de cette négociation.

Au total, si l'objectif, plus modeste qu'en 2015, de réduction du déficit reste atteignable, il exigera une gestion très stricte des moyens. Il ne laisse aucune place à des décisions nouvelles conduisant à des hausses de dépenses. Les annonces successives de nouvelles dépenses publiques, qui ne sont, en l'état de nos connaissances actuelles, ni financées ni gagées par des économies pérennes, font peser un risque sur les finances publiques en 2016 mais plus encore sur les années suivantes. Parmi les dépenses supplémentaires annoncées au cours de l'année 2016, celles concernant la masse salariale pèseront en effet essentiellement à partir de 2017 et continueront de monter en charge ensuite.

J'en arrive au troisième et dernier constat de la Cour des comptes : au regard des décisions d'ores et déjà connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste, au regard des nouveaux engagements pris. Pour les années 2017 à 2019, le programme de stabilité d'avril 2016 prévoit une trajectoire de redressement des finances publiques revue à la baisse par rapport à la loi de programmation. L'amélioration du déficit public est en effet moindre que celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, alors même que le déficit de 2015 est d'un demi-point inférieur. Le résultat, meilleur que prévu, n'est donc pas mis à profit pour réduire plus rapidement le déficit public et infléchir nettement la trajectoire de dette.

Le Gouvernement a, dès le programme de stabilité d'avril 2015, révisé à la hausse la croissance potentielle pour 2016 et 2017. Elle se situe désormais à un niveau sensiblement supérieur à celui retenu par les organisations internationales. Elle permet ainsi au Gouvernement d'afficher un solde structurel à l'équilibre en 2019 malgré un déficit effectif s'élevant encore à 1,2 point de PIB. Cependant, avec les estimations de PIB potentiel des organisations internationales, le déficit structurel serait d'environ un point de PIB. Sur la base d'hypothèses de croissance potentielle plus prudentes, une trajectoire plus ambitieuse de finances publiques serait nécessaire pour respecter, en 2019, l'objectif de moyen terme de solde structurel fixé à - 0,4 point de PIB par la loi de programmation.

L'analyse du programme de stabilité montre en outre que l'atteinte d'une cible de déficit effectif de 1,2 point de PIB en 2019 suppose une maîtrise sans précédent du volume de la dépense publique compte tenu de la baisse visée du taux de prélèvements obligatoires de 0,2 point par an. La dépense publique en volume (hors charges d'intérêts) devrait être stable en 2017 puis baisser légèrement en 2018 et en 2019, ce qui n'a jamais été le cas dans notre histoire budgétaire récente, sauf en 2011 compte tenu des effets des PIA. Cela devrait impliquer un effort accru par rapport à la période récente puisque cette dépense en volume a progressé en moyenne de 1,1 % entre 2010 et 2015 et de 2,6 % entre 2000 et 2009. Pour que l'objectif soit atteint, il faut donc aller au-delà, en ralentissant encore la dépense publique. Pour le moment, le Gouvernement ne présente pas de réforme nouvelle qui permette de conforter ses objectifs. Au contraire, la hausse programmée des dépenses militaires, les mesures annoncées en début d'année concernant l'emploi, la modération de l'effort demandé aux communes et intercommunalités et, surtout, la progression de la masse salariale vont pousser les dépenses à la hausse, à hauteur d'environ 0,3 point de PIB en 2017, soit de l'ordre de 6 milliards d'euros. En particulier, la masse salariale des administrations, qui représente près du quart des dépenses publiques, augmentera, dès 2017, à un rythme marquant une forte rupture avec les évolutions constatées depuis dix ans. Aucun des trois leviers - stabilité des effectifs, gel du point d'indice et limitation des mesures catégorielles - ne sera actif. De ce fait, la masse salariale de l'État pourrait progresser en 2017 à un rythme supérieur à celui enregistré au total sur l'ensemble de la période 2009-2015, soit plus de 2 %. La réforme des grilles salariales négociée dans le cadre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » va entraîner également une hausse des dépenses de personnel. Sa montée en charge progressive représenterait à l'horizon 2020 entre 2 et 2,5 milliards d'euros pour la seule fonction publique d'État, et entre 3,5 et 4,5 milliards d'euros pour l'ensemble des composantes de la fonction publique.

Les travaux de la Cour des comptes montrent que les risques pesant sur la réalisation de cette trajectoire sont très importants. Pour atteindre la cible du programme de stabilité, les mesures annoncées dans le cadre du plan d'économies à 50 milliards d'euros devraient être effectivement mises en oeuvre et comporter des mesures supplémentaires qui, pour le moment, font défaut.

Un mot sur la gouvernance des finances publiques : la crise financière de 2008, puis celle des dettes souveraines, ont conduit les États membres de l'Union européenne, en particulier ceux de la zone euro, à revoir leur gouvernance budgétaire. Plusieurs textes sont intervenus qui prévoient trois innovations : une règle d'équilibre structurel ; l'instauration d'un mécanisme de correction automatique ; la création d'institutions budgétaires indépendantes. Afin d'accompagner la mise en oeuvre de la maîtrise des dépenses, la Cour des comptes s'est penchée sur la mise en oeuvre de ces règles. Les textes européens imposent désormais la fixation d'un objectif d'équilibre de moyen terme, défini en termes structurels, qui ne peut pas être supérieur à 0,5 point de PIB. Le pilotage de la politique budgétaire à partir d'un objectif de solde structurel, plutôt que nominal, est, dans son principe, économiquement souhaitable : il permet de limiter le risque d'une politique budgétaire trop relâchée en période de croissance forte ou trop rigoureuse en période de récession et il permet aussi de refaire de la politique budgétaire un instrument contra-cyclique. En France, cet objectif est inscrit dans les lois de programmation des finances publiques. Révisables à tout moment, celles-ci ne lient pas le législateur financier. Le mécanisme de correction automatique, qui impose une correction en cas de déviation significative de la trajectoire de solde structurel, n'a en pratique pas fonctionné en 2014. Ce mécanisme a été déclenché au printemps 2014 mais le Gouvernement, plutôt que de revenir sur la trajectoire de finances publiques de la loi de programmation alors en vigueur, a choisi de modifier cette trajectoire en présentant une nouvelle programmation pluriannuelle.

Les nouvelles règles de gouvernance ont imposé la création d'organismes budgétaires indépendants Dans ce cadre, la France a créé le Haut Conseil des finances publiques. Les organisations internationales considèrent que ces institutions incitent les pouvoirs publics à davantage de prudence dans l'estimation des recettes publiques, élément clef pour le respect des trajectoires de solde.

Quelques améliorations pourraient renforcer la gouvernance des finances publiques. D'abord, l'objectivation de la croissance potentielle paraît nécessaire pour ne pas biaiser les cibles de solde structurel. Autant d'économistes, autant de prévisions, certes. Mais il serait intéressant de rapprocher les hypothèses de travail. Lorsque les prévisions de croissance sont révisées, il conviendrait que les comités budgétaires indépendants puissent être consultés et exprimer leur avis. Nous constatons que le programme de stabilité annuel est devenu la pierre angulaire du dialogue avec l'Union européenne et, à bien des égards, plus structurant que les lois de programmation, qui ne donnent d'ailleurs lieu qu'à un examen limité, tant par le Parlement que par le Haut Conseil des finances publiques. Plus de solennité à l'approbation des programmes de stabilité ne nuirait pas.

Ensuite, les règles européennes de gouvernance budgétaire pourraient être simplifiées. Si la référence au solde structurel permet de vérifier la soutenabilité de long terme de la politique budgétaire et doit donc être conservée dans son principe, elle gagnerait à être complétée par une règle de dépense, plus facile à expliciter ex ante et à vérifier ex post. Une telle règle pourrait prendre la forme d'un objectif de dépenses décliné annuellement pour l'ensemble des administrations publiques, fixé en euros courants, en fonction d'une cible de solde structurel compatible avec le respect de l'objectif structurel de moyen terme. Un tel schéma imposerait de réfléchir à un mode de gouvernance associant l'État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales. Il faudrait en préciser sa définition et les modalités de son suivi.

En conclusion, je rappellerai d'abord que la Cour des comptes ne méconnaît pas les efforts réalisés ces dernières années par les pouvoirs publics pour procéder au redressement des finances publiques. Pour autant, elle redoute que l'amélioration de la conjoncture conduise une nouvelle fois à interrompre ce mouvement. Les travaux de la juridiction financière, en mettant notamment en lumière les expériences de nos voisins européens, montrent au contraire que l'effort structurel ne doit pas être relâché au moment où les pouvoirs publics bénéficient d'une conjoncture économique favorable et de taux d'intérêt extrêmement bas. Les ajustements structurels des finances publiques qui doivent intervenir dans des phases de conjoncture moins favorables sont généralement beaucoup plus douloureux.

En dépit des progrès réalisés dans la période récente, la politique de maîtrise de la dépense menée jusqu'à présent a davantage visé à la contenir qu'à la réduire. Les résultats ne sont pas complètement au rendez-vous, alors que les travaux des juridictions financières soulignent les marges d'efficacité et d'efficience de l'action publique dans notre pays. Nous mettons toujours en avant le décalage qu'il peut y avoir entre le niveau des dépenses publiques et les résultats des politiques publiques.

Faire des choix explicites, s'attaquer aux principales sources d'inefficacité de la dépense, réexaminer les missions des administrations publiques prises dans leur ensemble et mieux cibler les dépenses d'intervention : tout cela aiderait à mieux maîtriser les dépenses publiques tout en permettant d'affirmer les priorités politiques voulues par les pouvoirs publics.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Votre analyse pour les années à venir rejoint malheureusement celle de la commission des finances, tant pour 2015 que pour les exercices suivants.

En 2015, la réduction des déficits a reposé, en grande partie, sur les collectivités territoriales. Certes, le solde structurel s'est amélioré en 2015, mais nous en connaissons les raisons, et la Cour des comptes souligne la grande différence entre la trajectoire budgétaire française et celles de nos voisins, notamment avec l'Allemagne en matière de dette.

Vous estimez qu'il existe un risque significatif de non-respect des objectifs pour 2017. Est-il déjà trop tard pour respecter nos engagements européens ? Ou bien devrons-nous réduire drastiquement nos dépenses ? Pour parvenir à l'objectif de 3 % du PIB. Quel montant d'économies supplémentaires devra être prévu dans le projet de loi de finances pour 2017 ?

Vous avez rappelé divers risques, sans parler de la dépense explosive du revenu de solidarité active (RSA) dans les départements. Des dépenses imprévues pourraient intervenir. Quels pourraient être les risques inhérents aux contentieux communautaires, comme celui concernant la CSG des non-résidents ou le précompte ? Sont-ils pris en compte ?

Le « Brexit » aura immanquablement d'importantes conséquences. Quelle appréhension la Cour des comptes a-t-elle des incidences budgétaires de ce « Brexit », dont la commission des finances a montré qu'elles pourraient être significatives, voire de ses effets sur la croissance économique ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Certes, le mouvement de réduction du déficit public a repris, mais vous soulignez la moindre maîtrise des dépenses, comme notre commission le constatait ce matin en ce qui concerne les comptes sociaux.

Le programme de stabilité 2016-2019 a révisé les hypothèses de taux d'intérêt à court terme en estimant qu'ils seraient négatifs cette année et nuls en 2017. Quels traitements réserver à la dette logée à l'Acoss - soit 16 milliards d'euros aujourd'hui et près de 30 milliards d'euros en 2019 - qui est exposée au risque des taux, à la conjoncture et au « Brexit » ?

Avec le plan de 50 milliards d'économies, la part des administrations de sécurité sociale a été revue à la baisse. Quelle est la part des économies réellement acquises à la fin 2015 et celle des reports de charges ? Je pense en particulier à l'Ondam hospitalier et aux coûts de gestion des caisses.

Nous avons observé des écarts importants entre les prévisions et les résultats, notamment pour la CSG sur les revenus de remplacement, mais aussi pour les prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Quel est le sentiment de la Cour des comptes sur les prévisions de recettes affectées à la sécurité sociale ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - En 2016, nous identifions des risques plus importants qu'en 2015. En 2015, le respect des objectifs en matière de dépenses a été difficile à tenir et si le résultat affiché est facialement correct, il a été présenté au prix de quelques contournements par rapport aux règles budgétaires classiques. Nous les avons chiffrés aux environs de 3 milliards d'euros.

Pour 2016, les risques nous apparaissent plus forts qu'en 2015. Nous invitons le Gouvernement à être extrêmement vigilant afin de maîtriser la dépense. Pour respecter l'objectif, il ne faut pas en rajouter, bien évidemment. Or, certaines mesures auront déjà des effets sur 2016, notamment celles en faveur des jeunes, de l'emploi, de la masse salariale avec l'augmentation du point d'indice... L'objectif reste néanmoins atteignable.

Pour 2017, l'objectif de maîtrise de la dépense est beaucoup plus ambitieux que pour 2016, puisqu'il prévoit une stabilité en volume de la dépense. Alors même que l'on ne voit pas ce qui pourrait permettre de parvenir à cet objectif, des dépenses supplémentaires sont annoncées, sans être gagées, qui rendent encore plus difficile le respect de l'objectif de 2,7 %. Par rapport à la stabilité en volume de la dépense publique en 2017, les promesses qui ont été faites correspondent à 0,3 % de PIB, soit 6 milliards d'euros.

Nous n'avons pas pu analyser les conséquences du « Brexit » sur la croissance au Royaume-Uni, en Europe et en France, et les résultats qu'il peut avoir sur le scénario des finances publiques. Pour 2016, les effets seront sans doute maîtrisés. Pour 2017, si la croissance est entamée par une récession Outre-Manche, les recettes, et donc le scénario des finances publiques, en seront affectées. Le Haut Conseil des finances publiques avait d'ailleurs identifié ce risque. L'incertitude n'est certes pas un facteur de consolidation de la croissance. Pour le moment, personne ne peut dire avec certitude quelles seront les conséquences réelles sur les hypothèses macroéconomiques de la France.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. -Au moment de l'audit de 2012, nous avions constaté l'absence de prise en compte d'un certain nombre de contentieux dans le programme de stabilité du printemps 2012. Les informations entre les trois directions de Bercy qui sont co-responsables de ce sujet sont désormais plus fluides et transparentes. L'expérience a montré que les estimations étaient prévisionnelles car beaucoup dépend des décisions et du rythme de travail des différentes juridictions appelées à trancher définitivement ces contentieux. Dans les années précédentes, nous avons eu des inscriptions prudentes en programme de stabilité et de bonnes surprises en termes budgétaires liées à une dépense inférieure aux prévisions.

Le provisionnement actuel se fait dans des conditions raisonnables, solides et professionnelles, et la réalité de la dépense est fonction de paramètres extérieurs à l'administration.

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Pour 2016 et 2017, le programme de stabilité prévoit respectivement 2,6 milliards et 1,7 milliard d'euros de décaissements. C'est significativement plus que pour 2014 et 2015. Le montant n'est donc pas sous-estimé, même si les aléas restent importants.

M. Didier Migaud. Premier président de la Cour des comptes. - Nous reviendrons sur la dette sociale lors de la présentation du rapport sur la loi d'exécution de la sécurité sociale. Nous rappellerons que l'existence d'une dette sociale est, en soi, une anomalie, car cela traduit l'accumulation de déficits sociaux qu'aucun de nos voisins n'accepte à ces niveaux et sur cette durée, car cela consiste à reporter sur les générations futures le financement de simples dépenses de transfert. La Cour des comptes a toujours attaché une grande importance à la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, dont l'horizon avait initialement été fixé à 2017 et a été décalé au-delà de 2019. Nous sommes préoccupés par la persistance d'une dette sociale et nous recommandons que son amortissement intervienne au plus vite. Fin 2016, la Cades aura saturé sa capacité de reprise de dettes pour un amortissement complet prévu à l'horizon 2024. Dans ces conditions, la dette résiduelle portée par l'Acoss se monte à près de 16 milliards d'euros fin 2016 et potentiellement à 30 milliards d'euros fin 2019. Cette dette ne peut être reprise par la Cades sans nouvelle disposition législative et sans y associer des ressources nouvelles permettant son amortissement complet aux termes prévus. Nous avons déjà recommandé dans le passé l'organisation de la reprise par la Cades des dettes constituées à l'Acoss en prévoyant, bien sûr, les recettes nécessaires à l'amortissement complet de la dette sociale. Cette recommandation s'applique, en particulier, aux 16 milliards d'euros de dette résiduelle portée par l'Acoss. La situation est fragile car nous sommes exposés à l'évolution des taux d'intérêt. Certes, ils peuvent rester bas encore un certain temps du fait du « Brexit », mais une remontée n'est pas à exclure alors même que la croissance resterait atone. Nous devons nous mettre à l'abri d'éventuels retournements.

M. Raoul Briet. - Le tableau d'estimation des mesures d'économie pour 2015 a été établi sur la base des schémas du Gouvernement. Nous avons comparé le réalisé aux objectifs du programme. Le montant affiché par le Gouvernement était de 18 milliards d'euros ; notre estimation est de 12 milliards d'euros. Les deux principales zones d'écart sont le budget général de l'État - 3,3 milliards d'euros d'économies pour un affichage à 7,4 milliards d'euros - et le décalage de l'engagement des crédits des programmes d'investissements d'avenir (PIA), qui est un report dans le temps et non une économie.

Les économies réalisées au titre de l'Unédic et du respect de l'Ondam n'appellent pas d'objection ; en revanche, une certaine opacité subsiste sur les économies réalisées dans la catégorie des autres dépenses des organismes de sécurité sociale, dont l'analytique ne nous a pas été fourni. Nous avons essayé de reconstituer l'impact des mesures prises dans le champ du régime général, parvenant à un total de 1,6 milliard d'euros identifié pour 2,6 milliards d'euros affichés. Ce décalage d'un milliard d'euros s'ajoute aux cinq milliards d'euros d'écart dans le réalisé des dépenses de l'État. Au total, nous sommes aux deux tiers des économies annoncées au titre de 2015 - 12 milliards d'euros pour 18 milliards - sur la base d'évaluations qui demeurent fragiles et conventionnelles.

L'effort structurel sur la dépense, plus facilement objectivable, est estimé par le Gouvernement à 0,4 point de PIB. Déduction faite de la baisse liée à la charge d'intérêts, qui n'est pas attribuable au Gouvernement, ce total est ramené à 0,3 point voire, d'après les estimations des organisations internationales, à 0,2 point. C'est un effort réel, mais inférieur à l'objectif de 0,5 point fixé par la Commission européenne pour la maîtrise des dépenses publiques.

Concernant le pilotage, la Cour des comptes constate un écart entre les prévisions et le réalisé dans le champ du régime général, somme de légers décalages affectant des fractions de recettes de CSG. C'est simplement un point d'attention.

M. Vincent Delahaye. - J'apprécie vos analyses percutantes et pertinentes. Je vous remercie d'avoir rappelé que la réduction du déficit public est imputable, pour près des deux tiers, aux collectivités territoriales en 2015.

Ne peut-on sortir d'une logique d'examen des économies réalisées fondée sur le tendanciel d'évolution des dépenses, qui complique inutilement les discussions autour des finances publiques ? Le tendanciel est plus difficile à expliquer à la personne de la rue que les économies réelles.

Dans le rapport présenté voici deux semaines, vous évaluiez ces économies à 1,7 milliard d'euros, pour 7,4 milliards annoncés. Or le chiffre ici présenté est de 3,3 milliards. Pourquoi cette différence ?

Mme Laurence Cohen. - Les rapports de la Cour des comptes sont une mine d'informations précieuses. L'effort important demandé aux collectivités territoriales a été évoqué ; mais le discours sur les économies à réaliser fait peser un risque sur les politiques sociales, et notamment sur les plus fragiles. Il y a de l'humain derrière ces chiffres. La négociation sur la convention d'assurance chômage aurait dû permettre de dégager 800 millions d'euros d'économies ; tous les syndicats réunis ne demandaient qu'une augmentation de 0,5 % de la cotisation patronale. Cet échec va encore affaiblir les plus fragiles. La réduction des dépenses finit par poser la question de la limite, et de l'impact de ce mouvement sur les politiques sociales ; elle nous renvoie aussi à celle des nouvelles recettes, qu'il faudra nécessairement aborder. Quel objectif veut-on atteindre vis-à-vis des populations destinataires de ces politiques ?

Il conviendrait également d'évaluer l'impact réel, en termes d'activité et de créations d'emplois, des aides aux entreprises accordées sous la forme du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du crédit d'impôt recherche (CIR).

M. François Patriat. - Je salue le sérieux et l'objectivité de votre rapport, tout en observant que la partie consacrée aux satisfecit est toujours beaucoup plus courte que celle des critiques... Reste que les efforts portent leurs fruits et que, comme vous le reconnaissez, l'objectif d'un déficit inférieur à 3 % en 2017 est atteignable. Ceux qui ont creusé ce déficit rivalisent de zèle, désormais, pour le combler... Chacun doit prendre sa part des efforts à consentir. Les résultats sont meilleurs que prévu.

Quelles mesures suggérez-vous de prendre en matière de réduction du déficit structurel ?

M. Éric Doligé. - Vous parlez de ralentissement de l'augmentation de la dépense ; il serait plus clair, pour l'homme normal que je suis, de dire que la dépense continue à augmenter...

La nouvelle taxe d'aménagement annoncée lundi dernier devrait rapporter 600 millions d'euros ; c'est une résultante de la loi NOTRe, puisqu'elle financera la dépense supplémentaire des régions. N'est-ce pas une création de taxe ?

Vous évoquez, dans votre rapport, un plan de 50 milliards d'euros d'économies, dont la réalisation est progressivement repoussée dans le temps : cela revoie la part la plus importante de l'effort à 2017. Puisque vous jugez cela insuffisant, à combien estimez-vous l'effort nécessaire pour un budget équilibre ? Cent milliards d'euros ?

M. Marc Laménie. - Je remercie la Cour des comptes de ce travail de grande qualité qui nous interpelle. Vous avez mis en évidence un décalage entre le chiffrage des économies par le Gouvernement et vos propres estimations. Il y a toutefois un seuil au-delà duquel on ne peut plus réduire les moyens humains, indispensables au fonctionnement des administrations. Comment appréhendez-vous cette problématique ?

M. Serge Dassault. - Permettez-moi d'être pessimiste. L'effort d'économies a surtout concerné les collectivités territoriales à travers la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; on ne voit pas où sont les réductions des dépenses de santé. Au total, les économies sont de 12 milliards d'euros, mais sans aucune réduction réelle de dépenses. Au contraire, on multiplie les dispositifs inefficaces : contrats aidés, aide médicale d'État (AME), prime d'activité... Quant aux réductions d'impôts pour les moins favorisés, c'est gentil pour eux, mais cela représente quelques milliards de recettes perdues. L'objectif d'un déficit ramené à 3 % du PIB ne sera pas tenu parce que rien n'est fait pour. Regardons la vérité en face.

L'Europe nous surveille de près : nous sommes exposés au risque d'une augmentation des taux d'intérêt, parce que nous perdons la confiance des prêteurs. Or ces augmentations vont aggraver le poids de la dette... Les candidats à l'élection présidentielle ne semblent pas se rendre compte de la très mauvaise situation dans laquelle nous nous trouvons.

M. Richard Yung. - Entré optimiste dans cette salle, j'en sortirai pessimiste ! Je me disais qu'à 1,6 %, la croissance repartait, qu'avec un déficit à 3,6 % du PIB au lieu des 3,8 prévus, l'objectif des 3 % - fétichisme des chiffres... - devenait atteignable pour 2017. Vous remettez ce beau scénario en cause. Excès de pessimisme ? La prévision est un exercice délicat, et nous sommes tout de même sur la voie du rétablissement. Mais certains trouvent que 50 milliards d'euros, ce n'est pas assez, et parlent de 100 milliards... Notre créativité est sans limites.

La croissance potentielle fait partie, comme le semestre européen, de ces notions floues que la Commission européenne nous fait utiliser. D'abord, c'est difficile à cerner : une sorte de croissance idéale dans un monde sans inflation ni interférences extérieures. De plus - sans critiquer la Cour des comptes qui ne fait qu'appliquer les règles européennes - le mode de calcul est sujet à caution, à commencer par la prise en compte des deux années passées. Nombre d'économistes estiment qu'il faudrait davantage quatre années. Nous avons écrit, avec d'autres parlementaires, à Pierre Moscovici pour l'alerter sur ce sujet.

La Cour des comptes relève l'existence d'une différence significative entre l'estimation de l'écart de production retenue par le Gouvernement et celle avancée par la Commission européenne. Toutefois, la réalisation de nos objectifs budgétaires en retenant l'hypothèse de la Commission conduirait à tuer la croissance, comme le docteur Diafoirus qui, en tuant le malade, prétend l'avoir guéri ! Nous avons raison de lisser notre effort et d'avancer progressivement vers la résolution des déficits, la croissance et la création d'emplois.

M. André Gattolin. - Avec 8 %, la réserve de précaution a atteint un niveau record cette année. L'usage qu'en fait le Gouvernement s'inscrit-il dans une logique de gestion des aléas d'exécution ? La Cour des comptes a-t-elle des préconisations quant au niveau qu'elle estime convenable ?

Le mois dernier, vous avez relevé dans votre rapport sur le budget de l'État en 2015, le trompe-l'oeil qu'est le désendettement par l'émission d'obligations sur des souches anciennes, qui aura pour conséquence d'accroître le service de la dette. Au-delà du constat, cette politique vous semble-t-elle relever d'une bonne gestion des deniers publics sur le long terme ?

M. François Marc. - Le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques, c'est rassurant, tout comme le fait que les anticipations du Gouvernement pour 2016 sont jugées réalistes. Enfin, les apports de la rénovation de la gouvernance des finances publiques, en particulier le Haut Conseil des finances publiques et les lois de programmation, sont à saluer : ils permettent une analyse plus satisfaisante de la situation et des perspectives.

Vous estimez que des efforts plus importants sont nécessaires pour améliorer durablement la situation de la France en comparaison des autres pays européens. Une baisse conséquente des dépenses publiques devrait être annoncée et bientôt précisée. Quel est, à vos yeux, l'équilibrage le plus pertinent ? Les 50 milliards d'euros d'économies de la loi de programmation sont répartis entre les dépenses de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales. L'augmentation que vous préconisez devra-t-elle porter davantage sur l'une ou l'autre de ces composantes ?

Mme Michèle André, présidente. - Le rapporteur général de la commission des finances présentera prochainement un « consensus » de la croissance potentielle, notion certes abstraite et très débattue mais essentielle - je songe aux apports de Jean-Pierre Caffet à la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques de 2012. Avez-vous une idée de l'« épure » de la trajectoire de PIB potentielle qui devrait être retenue pour construire la prochaine loi de programmation ?

M. Didier Migaud. - Au niveau européen, des élus ont demandé à la Commission européenne d'être plus transparente sur ses hypothèses de croissance potentielle et de les confronter à celles d'autres organisations internationales ou pays. Mais nous constatons un accroissement de l'écart entre les hypothèses du Gouvernement français d'un côté, et celles de la Commission et des organisations internationales de l'autre. Le Haut Conseil des finances publiques a fait des observations en ce sens. Nous sommes prêts à poursuivre les échanges, mais il convient de conserver l'idée, avancée par la France et d'autres pays, qu'en période de récession il ne suffit pas de raisonner en termes de déficit nominal. La notion de croissance potentielle vise justement à dépasser l'analyse conjoncturelle.

Toutefois, dans l'intérêt de la transparence et de la simplification, nous proposons, in fine, l'instauration d'une règle fondée sur l'évolution de la dépense. Cela permet de couper court aux débats sur une évaluation de l'économie à partir de l'évolution tendancielle - une notion à distinguer de la croissance potentielle. Là aussi, l'estimation du Gouvernement nous semble élevée.

Les hypothèses retenues ont une influence importante sur le solde structurel et la réalité des économies. Le Parlement doit être associé à la définition de ces paramètres.

Vous m'interrogez sur le montant d'économies à réaliser et l'effort supplémentaire à demander à l'État, à la sécurité sociale ou aux collectivités territoriales ; nous ne souhaitons pas nous élever au-dessus de notre condition. Il ne nous appartient pas de faire des choix politiques : nous raisonnons à partir de vos choix et de vos objectifs, en mesurant l'écart éventuel entre ceux-ci et les mesures mises en oeuvre pour les atteindre.

J'ai toujours considéré l'équilibre des comptes sociaux comme une priorité absolue. Un déficit sur une ou deux années est concevable, mais sur une période aussi longue cela devient dangereux et injuste, puisqu'il incombera aux générations futures de financer notre dette.

Les collectivités territoriales ont certes contribué à la réduction du déficit public, mais leurs dépenses de fonctionnement continuent à augmenter - même si cette augmentation se ralentit.

Nous ne sommes ni fétichistes, ni dogmatiques. Il est vrai que la réduction de la dépense a des conséquences humaines, mais il faut plutôt prendre en compte le décalage entre le niveau de la dépense et le résultat. Beaucoup de politiques publiques ont des effets d'aubaine. Il convient de s'interroger, comme le Sénat le fait, sur la réalité de l'exécution. Certaines politiques ne sont-elles pas insuffisamment ciblées ? Il faut faire des choix clairs, mettre fin aux politiques inefficaces avant de mettre en place de nouveaux dispositifs, réexaminer les missions des administrations publiques... Chacun de nos rapports met en évidence un décalage qui soulève en France une relative indifférence : un niveau de dépense publique objectivement très élevé pour des résultats jugés médiocres ou passables. Notre pays possède des marges d'efficience élevées. Plus l'on est attaché à l'action publique, plus l'on devrait s'attacher à bien identifier les besoins et à apporter les bonnes réponses, y compris en matière d'investissement. Certains projets ne sont pas pertinents au regard du critère coût/efficacité de la dépense publique, par exemple deux gares TGV ou deux stations d'épuration très proches l'une de l'autre.

Le problème n'est pas tant le niveau de la réserve de précaution que les sous-budgétisations récurrentes, de l'ordre de deux milliards d'euros, bien souvent identifiées dès le vote du budget. Cela met en doute la sincérité des inscriptions budgétaires et complique l'exécution. Ce n'est pas satisfaisant.

Tenir vos engagements réclame par conséquent un effort supplémentaire. L'effort de maîtrise de la dépense est réel, mais pas en ligne avec l'objectif affiché dans le pacte de stabilité.

M. Raoul Briet. - Nous présentons dans notre analyse les estimations de croissance potentielle du Gouvernement et celles de l'OCDE et du FMI, qui sont proches de celles de la Commission européenne. La politique budgétaire a un rôle pertinent à jouer dans la compensation des creux économiques. Ainsi, en 2007-2008, l'Allemagne, grâce à des marges de manoeuvre que nous n'avions pas, a pu mener une politique de stimulation budgétaire. La croissance potentielle est une boussole pour le pilotage de la politique budgétaire, à condition de mener des politiques vertueuses en période de croissance. La question du quantum est un autre sujet.

Vincent Delahaye nous a interrogés sur le décalage entre l'estimation des économies réalisées sur le budget de l'État, fixée à 1,7 milliard d'euros puis à 3,3 milliards d'euros. Ce sont deux manières de lire l'économie : au regard de la dépense sous norme telle que fixée en loi de finances initiale ou révisée dans la loi de finances rectificative. En 2015, le Gouvernement a modifié la norme en fin d'année. Nous avons considéré que pour rendre la démonstration incontestable, il fallait retenir la norme telle que réalisée en fin d'année ; mais les deux approches sont défendables.

La réserve de précaution a vocation à financer les aléas de gestion et les décisions nouvelles en court d'année ; l'utiliser pour pré-financer des dépenses est un dévoiement. Des huit ou neuf milliards mis en réserve, trois ou quatre sont ainsi annulés ; les deux milliards de sous-budgétisation assumée dès le début de l'exercice représentent ainsi la moitié de l'utilisation possible, en moyenne période, de la réserve.

Notre analyse vis-à-vis de l'émission d'obligations sur souches anciennes est de nature technique. C'est une pratique ancienne et constante, même si ces émissions ont beaucoup progressé en 2015 ; de plus, la situation de marché se caractérise par des taux d'une faiblesse inhabituelle. Dans le cadre de sa logique de réponse aux demandes des investisseurs, l'Agence France Trésor a estimé que ces émissions constituaient la meilleure gestion possible de la dette publique. Il ne nous appartient pas de le confirmer ou de l'infirmer. Cela n'a pas d'effet en solde maastrichtien ; mais en comptabilité budgétaire, ce qui a été encaissé sous forme de primes d'émission donnera lieu à décaissement sous forme de charge d'intérêts dans les prochaines années. Enfin, le niveau de la dette aurait été supérieur en fin d'année si l'on avait moins recouru aux primes à l'émission.

La réunion est levée à 16 h 50.