Mardi 17 mai 2016

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Rapport d'activité du CSA pour 2015 - Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

La commission entend M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, sur le rapport d'activité du CSA pour 2015.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le président, mes chers collègues, le dernier alinéa de l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986 précise que, dans le mois suivant sa publication, le rapport du CSA est présenté chaque année par son président en audition publique devant les commissions permanentes chargées des affaires culturelles de chaque assemblée parlementaire.

Il n'a pas été possible, monsieur le président, du fait du calendrier de travail de notre assemblée, de respecter à la lettre ce délai d'un mois, c'est pourquoi je vous remercie de vous être rendu disponible à la première date qui vous a été proposée.

L'actualité de l'audiovisuel - qui reste très fournie - commandait que ce rendez-vous ait lieu dans les meilleurs délais et vous savez combien nous y sommes attachés.

Je rappellerai que l'année écoulée a été rythmée par plusieurs événements concernant le secteur des médias qui ont sollicité l'attention du régulateur.

Je pense, en particulier, à l'annonce du rachat de la chaîne Numéro 23 par NextRadioTV et à la polémique suscitée par le risque de spéculation sur la revente des fréquences de la télévision numérique terrestre (TNT). Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui avait décidé le 14 octobre 2015 d'abroger l'autorisation d'émettre de cette chaîne, a vu sa décision remise en cause par le Conseil d'État, le 30 mars dernier. Je ne doute pas, monsieur le président, que vous aurez à coeur de revenir sur cet épisode et de partager avec nous les conclusions qu'il vous a inspirées.

Le deuxième grand sujet qui nous vient à l'esprit concerne la généralisation de la diffusion haute définition (HD), intervenue le 5 avril dernier, à la suite de la réorganisation des multiplex de diffusion et au changement de norme de compression.

Le CSA nourrissait de grandes craintes vis-à-vis de ce processus et avait alerté le Parlement sur les risques encourus. Quel bilan faites-vous de ce basculement ? Avez-vous été saisis de problèmes spécifiques rencontrés par les particuliers ? Par exemple, quelques particuliers, en Normandie, ma région, ont été obligés de changer de poste de réception, faute de pouvoir continuer à recevoir le signal de télévision sur leur récepteur habituel pourtant équipé d'un nouvel adaptateur. S'agit-il d'un phénomène que vous confirmez sur l'ensemble du territoire ?

Le troisième sujet sur lequel il me semble important de vous entendre concerne l'état de l'information à la télévision.

L'année 2015 et ce début d'année 2016 ont été marqués par des annonces importantes concernant l'évolution du paysage : création d'une chaîne publique d'information en continu, arrivée de LCI sur la TNT, incertitude sur l'avenir de iTélé et nouveaux projets de chaînes de SFR dans l'information avec une chaîne BFM Paris et une chaîne BFM Sport.

Quel regard portez-vous sur ce chamboulement ? Que pouvez-vous nous dire, en particulier, concernant le projet de nouvelle chaîne d'information du service public et, plus généralement, la création d'une véritable plate-forme regroupant une offre globale d'information télévision/radio/numérique ? Quels sont les enjeux qui vont, selon vous, se poser au régulateur ?

Je vous proposerai, monsieur le président, de vous exprimer au cours d'un propos liminaire. Après quoi j'inviterai notre rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel, M. Jean-Pierre Leleux, à vous interroger. Mme Claudine Lepage, rapporteure de l'audiovisuel extérieur, m'a demandé de l'excuser, étant retenue à l'étranger dans le cadre d'un déplacement prévu de longue date. Je vous proposerai enfin de répondre à l'ensemble des questions de mes collègues.

Je vous laisse la parole, monsieur le président.

M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel. -Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver pour ce rendez-vous annuel fixé par le législateur lui-même.

Le rapport d'activité annuel du CSA représente l'épine dorsale des relations entretenues, toute l'année durant, entre le CSA et les assemblées parlementaires. Ces relations se nourrissent aussi de la remise de rapports, tel celui consacré, l'an dernier, à la radio numérique terrestre ou encore le rapport annuel, qui vous sera transmis cette semaine, sur la diversité et la cohésion sociale dans la société française. À ces rapports s'ajoutent les auditions par les parlementaires : dix-sept auditions se sont tenues en 2015, parmi lesquelles sept ont eu lieu au Sénat, dont quatre devant votre commission.

Nous avons en effet vocation tant à rendre compte de nos travaux aux assemblées parlementaires et à leurs commissions qu'à nous mettre au service du public en notre qualité de régulateur indépendant.

Nous l'avons fait, aidés en cela par des sollicitations toujours plus nombreuses. Nous recevons environ 1 000 plaintes chaque mois, tant par le biais des réseaux sociaux que sur notre site internet. Celui-ci est toujours plus visité : 10 000 pages sont vues chaque jour, 900 000 visites ont été relevées l'an dernier. Ce site fournit aux usagers des applications à intérêt pratique, telles que « Ma couverture TNT » et « Ma radio FM ». En outre, les auditions publiques auxquelles nous procédons y sont retransmises systématiquement. Enfin, nous y mettons à disposition du public des publications très variées sur des sujets concrets, de l'arrivée de Netflix jusqu'à l'importance de la Coupe du monde de rugby dans la diffusion sportive.

Nous sommes attachés à l'éducation du public aux médias. Un site internet renouvelé, « Clés pour l'audiovisuel », a été créé à cette fin en septembre dernier ; il a vocation à s'enrichir encore considérablement.

La diversité de la société française fait quant à elle l'objet de beaucoup de manifestations. J'ai personnellement formulé des demandes de programmations renforcées et pluriannuelles à ce sujet lors de réunions avec l'ensemble des éditeurs. Des messages ont été diffusés à l'occasion de la Fête nationale et un colloque annuel s'est réuni. Il faut relever que les radios se sont engagées dans ce mouvement de leur propre initiative, dans l'esprit de régulation volontaire auquel nous sommes très attachés.

Nous encourageons aussi la promotion de la langue française, qui a fait l'objet de deux journées, en mars 2015 et mars 2016.

De même, nous avons mené des campagnes pour une meilleure protection des mineurs : il s'agit notamment d'éviter que les enfants de moins de trois ans soient exposés aux images, ce qui peut entraîner chez eux des perturbations psychologiques.

C'est un exercice quelque peu artificiel que de condenser en un bref exposé l'activité multiforme du CSA, dont quelques chiffres peuvent illustrer l'ampleur : 68 collèges tenus tout au long de l'année, 1 200 dossiers examinés, 115 auditions publiques - nous allons ainsi entendre prochainement les dirigeants de SFR et les quatre responsables de l'audiovisuel public -, 39 rapports élaborés.

Nous entendons être un régulateur proche des opérateurs. L'organigramme du CSA a été réformé l'an dernier, pour la première fois depuis 2005. Nous avons à cette occasion créé des structures supports à destination de ces acteurs, en particulier des guichets uniques pour les webtélévisions et les webradios. Nous avons aussi créé un secrétariat général aux territoires, qui a pour vocation de coordonner et d'animer l'action des comités territoriaux de l'audiovisuel, ou CTA, auxquels nous donnons de plus en plus de compétences : nous avons notamment supprimé la deuxième délibération par le CSA des décisions prises par les CTA. Nous allons progressivement leur confier, en partie, le contrôle des télévisions locales.

Nous sommes proches des acteurs également sur des problèmes plus délicats. Je pense au travail que nous avons mené à la suite des attentats de l'an dernier : si les attaques de janvier 2015 ont donné lieu à des problèmes et des anomalies, le constat est en revanche très positif quant au travail des rédactions autour des événements tragiques de novembre 2015 et du foisonnement constaté à cette occasion sur les réseaux sociaux.

Deux problèmes subsistent néanmoins. Il faudrait, si un drame similaire devait, hélas, survenir à nouveau, que des cellules de crise soient rapidement constituées, réunissant représentants des ministères concernés et du CSA, en cas de besoin. Il faut également renforcer le contrôle de certaines chaînes satellitaires qui émettent depuis des pays frappés par les secousses du terrorisme.

Nous restons également attentifs au pluralisme et à l'indépendance des médias, sujet qui vous tient à coeur, comme en témoignent les récentes propositions de loi sur ce sujet. Certes, nous ne souhaitons ni intervenir dans la vie interne des sociétés d'audiovisuel ni réguler ex ante. Toutefois, nous tenons à encourager toutes les formes possibles d'autorégulation et en particulier, pour reprendre le terme présent dans la législation proposée, les comités de déontologie. Le CSA a d'ailleurs été à l'initiative de la création de tels comités dans plusieurs chaînes d'information en continu.

Nous entendons aussi être un régulateur présent au coeur des mutations du secteur audiovisuel. Nous tirons à cet égard le bilan du transfert de la bande 700 MHz. En dépit de nos inquiétudes, ce transfert a été un succès, comme en témoigne le relatif silence médiatique à ce sujet, à l'exception de quelques cas.

Ce transfert représentait trois opérations en une : le changement de norme de compression ; la restructuration des multiplex en Île-de-France et dans certains territoires avoisinants ; enfin l'offre, dans la région Rhône-Alpes, de six nouvelles chaînes TNT en haute définition. En Île-de-France, 99,99 % des foyers ont bénéficié de ce basculement ; en Rhône-Alpes, 97 %. Ces changements ont d'ailleurs pu bénéficier à d'autres chaînes : en entraînant une remise en ordre de l'étalonnage, ils ont donné à certains téléspectateurs l'occasion de découvrir des chaînes déjà diffusées, mais jusqu'alors méconnues.

Nous avions manifesté notre inquiétude sur ce sujet à plusieurs reprises. Je tiens à cet égard à exprimer ma gratitude envers votre commission et envers vous en particulier, madame la présidente, pour avoir écouté et relayé nos préoccupations, notamment sur les sujets de l'indemnisation des diffuseurs et du calendrier, prégnants jusqu'au dernier jour. Quant aux campagnes d'information, nous y avons beaucoup contribué, dans la discrétion, en collaboration avec les chaînes. Les élus et les préfets ont également été tenus informés par nos soins. Enfin, lors du transfert même, nous avions mis en place au CSA un quartier général qui a fonctionné jour et nuit. Tout cela peut expliquer la réussite du transfert des fréquences.

Vous avez cité, madame la présidente, un problème spécifique rencontré par certains foyers à l'occasion de ce transfert. Il se peut en effet que certains récepteurs très anciens n'aient pu bénéficier du cordon qui devait être acquis. L'Agence nationale des fréquences, qui gérait le central téléphonique, a reçu la teneur de ces cas extrêmement rares, bien moins fréquents en tout cas que les problèmes survenus lors du passage de la télévision analogique à la TNT.

J'en viens au sujet de la structuration des opérateurs. Vous avez évoqué à ce propos, madame la présidente, l'attribution gratuite d'une ressource rare à la chaîne Numéro 23 dans le cadre du spectre hertzien. Nous avons toujours eu dans cette affaire le souci d'éviter que le domaine public constitué par les fréquences hertziennes soit utilisé d'une manière assimilable à des finalités spéculatives ; ce domaine public gratuit doit en effet être protégé et faire l'objet d'une saine gestion.

À la suite de la décision du Conseil d'État, un accord a très rapidement été conclu avec le groupe NextRadioTV, désormais allié à Altice, pour un transfert de la chaîne ; la somme est moindre, mais elle reste importante. Nous examinons désormais les possibilités offertes par l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Il est plausible que d'autres étapes soient franchies. Nous restons dans tous les cas attentifs à la qualité de la programmation future de cette chaîne, source de diversification des services aux téléspectateurs.

La structuration du paysage audiovisuel donne lieu à d'autres problèmes et à des décisions du CSA relatives aux chaînes d'information en continu. Je pense d'abord à l'octroi de la gratuité à LCI, à la demande de la chaîne, à compter du 5 avril dernier, sur le canal 26. Il ne m'appartient pas de commenter au premier chef les résultats de cette chaîne. Néanmoins, grâce aux chiffres de l'institut Médiamétrie, nous constatons un rebond de son audience, estimé entre 0,1 % et 0,3 %.

Ce rebond ne remet pas en cause les résultats des autres chaînes. En effet, on ne constate qu'un léger tassement de BFM TV, peut-être dû à un contexte d'actualité moins dense et moins tragique que dans les mois précédents ; son audience sur plusieurs mois reste stable, autour de 1,8 %. Quant à iTélé, sa part de marché s'établit à 1 %, soit une hausse de 0,1 point par rapport au mois précédent.

À propos d'iTélé, vous aurez relevé dans la presse, mesdames, messieurs les sénateurs, les débats relatifs à son avenir. Je rencontrerai aujourd'hui même M. Vincent Bolloré pour en discuter.

M. David Assouline. - Vous avez de la chance !

M. Olivier Schrameck. - Vous avez lu comme moi les déclarations faites ce matin à la presse par M. Bolloré, avec, d'une part, son refus d'entrer dans des négociations de cession de cette chaîne et, d'autre part, les orientations nouvelles qu'il souhaite lui donner dans le nouveau contexte de concurrence plus intense entre chaînes d'information en continu.

J'en viens à la perspective de création d'une chaîne fédérant les efforts de l'audiovisuel public en matière d'information en continu. Je n'ai pas été surpris des récentes annonces à ce sujet : Mme Delphine Ernotte en avait en effet déjà fait mention dans son projet stratégique pour France Télévisions. Nous sommes sensibles au caractère fédérateur d'un tel projet. La mise en commun des ressources de l'audiovisuel public est en soi une bonne chose.

Le CSA a rendu un avis sur les modifications du cahier des charges de France Télévisions ; nous nous y félicitons de façon générale des dispositions à valeur réglementaire prises à ce sujet et notons en particulier qu'il n'était pas prévu de financements publicitaires, ce qui évitera de créer plus de concurrence sur un marché déjà tendu.

Pour le reste, il appartient au Gouvernement de présenter une demande à cette fin, ce qu'il n'a pas encore fait. Cette demande, selon le régime spécial prévu à l'article 23 de la loi du 30 septembre 1986, doit nous conduire à vérifier si le pluralisme et la diversité des opérateurs sont respectés par le projet ; en revanche, le CSA ne fera pas d'étude d'impact sur ses aspects économiques.

Quand nous recevrons ce dossier, nous l'examinerons dans des délais rapides. Sans anticiper sur les débats du collège, nous serons très attentifs à l'équilibre de la délibération sur les millièmes afin que les règles fondamentales qui les gouvernent soient respectées et non dégradées. Nous avons constitué dans cette perspective des multiplexes, déjà employés dans le régime de la TNT ; pour autant, nous ne savons pas encore quel régime sera demandé par le Gouvernement.

Nous restons également très attentifs aux règles relatives à la numérotation des chaînes. Nos principes cardinaux en la matière sont les suivants : objectivité, transparence et non-discrimination. Il est très important de les respecter, dans l'esprit de l'avis sollicité du CSA qui se retrouve dans l'amendement au projet de loi pour une République numérique déposé par M. Fouché, notamment, et adopté par votre assemblée, visant la combinaison des numérotations logique et spécifique que pratiquent en général les fournisseurs d'accès à internet, les FAI.

Nous avons été attentifs à d'autres aspects importants de l'audiovisuel public.

Le CSA a ainsi rendu un avis sur les modifications entraînées par la généralisation de la publicité sur Radio France ; nous avons fixé à cette occasion des limites très strictes. Nous nous félicitons que le Gouvernement nous ait suivis là-dessus, en particulier sur la durée des messages publicitaires et l'exclusion maintenue de la publicité sur certaines antennes. Des problèmes subsistent néanmoins quant aux contrôles qui seront faits des restrictions retenues : la charte adoptée par Radio France est assez sibylline à cet égard ; des modalités plus précises devraient être fixées. J'ai eu l'occasion d'aborder ce sujet avec M. Mathieu Gallet.

J'en viens au sujet, pour moi crucial, de la régulation à l'échelon européen.

Nous avons constaté dans plusieurs pays - Hongrie, Pologne, Croatie et Grèce - des problèmes de fonctionnement des collèges et des entorses au principe d'indépendance des régulateurs. Cela a suscité des prises de position du CSA et du groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels, l'ERGA. Ce dernier, désormais sous présidence néerlandaise, s'est exprimé à ce sujet le 11 janvier dernier puis à l'occasion de sa réunion plénière, le 3 mars ; il a encore publié un communiqué au sujet de la Croatie le 18 avril. C'est durant ma présidence qu'un groupe spécifiquement dédié à l'indépendance des régulateurs nationaux avait été organisé au sein de l'ERGA.

Une nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels, qui doit énoncer et préciser ces principes d'indépendance, fait aujourd'hui, conformément à nos voeux, l'objet d'une active préparation sous l'impulsion du commissaire européen à l'économie et à la société numériques Günther Oettinger. Nous espérons qu'un premier avant-projet pourra être rendu public à la fin de ce mois. À ce stade du travail en cours, certaines idées que nous avons inspirées dans les groupes de travail - indépendance des régulateurs, protection des mineurs, distribution des rôles avec intégration des intermédiaires numériques et, notamment, des plates-formes de distribution, et, à l'issue d'un vote positif, aujourd'hui même, répartition territoriale des compétences - nous semblent faire l'objet de beaucoup d'intérêt de la part de la Commission.

De nombreux sujets nouveaux sont également abordés dans ces discussions. Mme la ministre de la culture a mentionné à Cannes la perspective d'un pourcentage minimal de 20 % de production et d'exposition européennes à la charge des nouveaux acteurs que sont ces plates-formes. On peut encore citer d'autres directions prometteuses : l'extension du champ d'application de la directive aux plates-formes de partage vidéo ; de nouveaux services indépendamment des services linéaires et non linéaires classiques ; enfin, des règles quant aux taux d'investissement et de taxation dans les pays directement concernés, eu égard à leur public, par les groupes de télévision installés en dehors du territoire français.

Par ailleurs, l'ERGA, qui a été constitué le 4 mars 2014, devrait recevoir un statut officiel dans la directive comme groupe de coordination entre les régulateurs nationaux et la Commission.

Je me réjouis de ces évolutions. C'est en effet à cet échelon européen que les phénomènes de concentration et de concurrence doivent être maîtrisés.

Pour en venir, justement, à la question de la concentration, madame la présidente, nous nous félicitons du fait que de nouveaux groupes investissent dans le secteur audiovisuel, ce qui témoigne de son attractivité. Il faut évidemment veiller au maintien de la diversité et du pluralisme. Les études de droit et d'économie comparés que nous avons effectuées montrent toutefois que la France se situe dans la marge basse des pays européens en termes de concentration.

L'arrivée d'un nouveau bouquet dans le paysage audiovisuel français pose quant à elle des problèmes de numérotation très complexes, que nous étudions actuellement ; nous avons un délai d'un mois pour nous prononcer. Nous sommes avant tout attachés à ce que seule une numérotation thématique puisse, à titre principal, être substituée à la numérotation logique, et non pas une numérotation fondée sur la structuration des groupes économiques en présence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, deux réflexions pour conclure ce propos liminaire.

En premier lieu, cette année aura montré encore le caractère précieux et singulier de la double face du CSA, régulateur d'une part social et juridique, d'autre part économique. Son premier rôle est d'autant plus fort et entendu qu'il s'appuie sur un secteur actif et ouvert aux progrès économiques et technologiques. À l'inverse, le CSA vit son rôle de régulateur économique au service des valeurs et des principes dont vous lui avez confié la garde.

En second lieu, contrairement à ce que j'entends ici ou là, même si la plate-forme hertzienne reste importante - elle dessert 57 % de nos compatriotes -, la régulation conserve pleinement sa justification, quels que soient les supports de diffusion. Ceux-ci se renouvellent largement : on observe un foisonnement des offres de médias audiovisuels à la demande ou directement sur internet, faisant intervenir ces nouveaux acteurs que sont les plates-formes numériques. Une telle abondance fait apparaître de nouveaux enjeux qualitatifs - rareté et sélectivité -, car elle ne suffit pas à elle seule à garantir qualité et pluralisme. Il est d'autant plus important de promouvoir une diversité culturelle effective et, en particulier, les productions françaises et européennes. De même, pour ce qui est de l'information diffusée à foison sur internet, il faut maintenir la responsabilité des rédactions.

Le pluralisme et la protection du dynamisme culturel gardent tout leur sens dans l'abondance des contenus et la convergence entre réseaux : loin de n'être que la contrepartie d'une ressource rare, il s'agit d'une exigence sociale et nationale, profonde et astreignante.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le président, d'avoir élargi votre propos aux enjeux européens. Je souhaite aussi, pour ma part, l'officialisation du rôle de l'ERGA, qui a accompli un excellent travail depuis sa création. C'est à l'échelon européen que doivent désormais se régler non seulement les questions de concurrence et de concentration, mais aussi de régulation du nouvel écosystème audiovisuel produit par la mutation numérique.

Nous avons évoqué ce sujet dimanche dernier avec Mme la ministre de la culture et M. Andrus Ansip, commissaire européen chargé du marché numérique unique. Un vrai travail doit être effectué autour des questions économiques, fiscales et juridiques pour garantir la diversité culturelle.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Ma première question portera sur la numérotation des chaînes. Le groupe SFR a annoncé voici quelques semaines un nouveau plan de numérotation visant à privilégier ses propres chaînes sur les numéros allant de 10 à 30. Le bloc TNT serait pour sa part proposé au niveau de la quatrième centaine, contre la troisième aujourd'hui. Public Sénat hériterait ainsi du numéro 90, contre 57 aujourd'hui, et du numéro 413, contre 313 aujourd'hui dans le bloc TNT.

Que pensez-vous de cette tendance des distributeurs à privilégier leurs propres chaînes et de cette convergence entre, distribution, production et édition ? Le Sénat a en effet adopté un amendement au projet de loi pour une République numérique, qui vise à prévoir une obligation de proposer la numérotation logique et une possibilité de proposer une numérotation alternative cohérente, sous le contrôle du CSA. Le dispositif prévu dans cet amendement pourrait-il, selon vous, permettre de mieux encadrer les pratiques de certains distributeurs ? Faudrait-il aller encore plus avant dans la réflexion sur ce sujet ?

Deuxième question, un article est aujourd'hui en discussion dans le projet de loi sur la liberté de création - l'article 7 bis AA - qui vise à légaliser les enregistreurs personnels vidéo en réseau, ou nPVR. Il fait peu de doute aujourd'hui que cette fonctionnalité va concurrencer les autres modes d'accès aux programmes délinéarisés : replay, vidéo à la demande, vidéo à la demande par abonnement. Qui va assurer la régulation des nPVR ? Le CSA pourra-t-il veiller à ce qu'une concurrence déloyale ne s'instaure pas au détriment des diffuseurs ?

Ma troisième question porte sur le rapprochement des contenus et des contenants au sein de grands groupes de communication auquel on assiste aujourd'hui. Il s'agit d'un problème récurrent, d'une sorte de « monstre du Loch Ness » qui émerge de temps à autre avant de disparaître à nouveau. Or la régulation de l'audiovisuel et des télécommunications est aujourd'hui séparée entre le CSA et l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Cette convergence en cours n'appelle-t-elle pas une remise à plat des modes de régulation et la création d'un régulateur sinon commun du moins soumis aux mêmes modalités d'observation ?

M. Olivier Schrameck. - La numérotation des chaînes est bien entendu aussi capitale pour nous que pour vous. Nous travaillons en relation étroite avec les protagonistes de ce dossier, en particulier M. Combes, pour SFR, et M. Weill. Nous avons déjà eu l'honneur d'être consultés par la présidente de cette commission sur ce problème. Nous avions alors suggéré l'articulation entre deux types de numérotation, ce qui serait susceptible de rendre un meilleur service au téléspectateur.

Nous ne pouvions pas alors imaginer les projets dont nous saisiraient NextRadioTV et le groupe Altice, devenu Groupe News Participations (GNP). La perspective radicalement nouvelle adoptée par ces acteurs et les réactions parvenues tant au CSA qu'aux pouvoirs publics compétents peuvent conduire au réexamen des précautions à prendre à la matière. Nous entendions en effet prendre en compte comme numérotation alternative non pas celle fondée sur la structuration économique qu'ils ont en tête, mais bien seulement une numérotation thématique.

Il est trop tôt pour tirer les conclusions de cette initiative. Je ne peux ici m'exprimer sur le problème précis dont nous sommes saisis : cela m'est interdit par l'article 5 de la loi du 30 septembre 1986. Néanmoins, pour m'exprimer de manière générale, j'ai indiqué à mes interlocuteurs que le type de numérotation proposée, qui vise à mettre en avant les chaînes de ces acteurs, nous posait de sérieux problèmes d'application de la législation et de la réglementation en vigueur, y compris notre délibération de 2007.

Vous avez apporté à ce problème capital une réponse importante. Néanmoins, il doit peut-être être examiné plus avant.

J'en viens à votre deuxième question, relative à l'article 7 bis AA du projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine.

Juridiquement, nous sommes là aux marges de nos compétences, puisqu'il s'agit de modifier le code de la propriété intellectuelle, notamment en étendant le champ de l'exception pour copie privée. Cet exemple montre - n'interprétez pas cela, je vous prie, comme la revendication de compétences pour le CSA - que ce problème est en réalité au coeur de l'exercice de nos attributions.

En effet, il s'agit d'une modification des équilibres économiques entre éditeurs, distributeurs - y compris les nouvelles formes de distribution désignées sous le nom de « OTT » ou « over-the-top » - et ayants droit.

C'est pourquoi, au cours d'une discussion informelle, puisque nous n'avions pas de position officielle à prendre à ce sujet, nous avons manifesté notre grave préoccupation : nous désirons en effet, tout en faisant la part du nécessaire progrès technologique, éviter que le capital économique créé par les éditeurs ne soit quelque peu vidé de sa substance par ces nouveaux modes de visionnage des programmes télévisés.

Une solution raisonnable pourrait à nos yeux résulter d'un accord entre ces trois catégories d'acteurs. En tout état de cause, l'autorisation des éditeurs ne saurait être traitée par prétérition. Je sais bien qu'un débat existe à ce sujet entre l'Assemblée nationale et le Sénat ; quoi qu'il en soit, je souhaite me faire l'écho des préoccupations des éditeurs à ce sujet.

Vous me demandez si le CSA devrait se voir attribuer compétence en la matière. Nous ne voulons certes pas entrer dans des querelles de revendication de compétences. Néanmoins, la régulation ne se justifie que comme la prise en compte d'un tout dont les volets sont interdépendants. L'affaire de l'extension de la copie privée en est une parfaite illustration.

La régulation, c'est le suivi des équilibres économiques et la prise en compte des progrès technologiques : tel est le coeur de notre activité.

Enfin, votre troisième question, relative à une possible fusion de l'ARCEP et du CSA, évoque plus largement le phénomène majeur de la convergence entre contenus et contenants. Nous nous réjouissons que certains grands groupes gestionnaires de réseaux investissent dans les programmes, donc dans la création. Cela permet une présence économique et culturelle accrue, y compris au-delà de nos frontières.

Le temps est-il venu de la fusion entre le CSA et l'ARCEP ? Le Président de la République avait évoqué cette option en octobre 2014, lors d'un séminaire tenu au CSA même. Néanmoins, je n'ai pas perçu jusqu'à ce jour de mouvement en ce sens de la part des pouvoirs publics ou de l'ARCEP elle-même.

Une considération pratique s'impose : il faudrait veiller à ne pas engloutir nos énergies dans une réforme très profonde de nos organisations, alors même que d'autres enjeux majeurs, économiques et technologiques, demeurent. En outre, le champ de régulation de l'ARCEP va bien au-delà du secteur audiovisuel.

Tout ce qui favorise la coopération entre le CSA et l'ARCEP est souhaitable. Si toutefois ce processus doit être emprunté, ce doit être de manière extrêmement graduelle. La fusion d'organismes équivalents dans d'autres pays ne s'est pas toujours faite au bénéfice de l'audiovisuel. Ainsi de l'OFCOM, régulateur des communications britannique, le plus puissant organisme de ce type à l'échelon européen. D'un point de vue quantitatif, parmi les 7 000 agents de l'OFCOM, moins de 700 s'occupent de l'audiovisuel, ce qui a conduit certains à qualifier ce secteur de « parent pauvre » de l'OFCOM.

Il faut donc prendre garde et éviter que les programmes ne soient sacrifiés aux réseaux.

M. David Assouline. - Je veux saluer, à l'occasion de ce bilan d'activité, le travail gigantesque accompli par le CSA à un moment difficile. L'audiovisuel est en effet confronté à d'importants défis et les enjeux du débat sont extrêmement complexes. Les services et les experts du CSA sont mobilisés sur tous les plans, y compris technologique et juridique ; si l'on vous critique parfois pour trop travailler et vous immiscer partout, cela révèle également votre grande énergie, que je tiens à saluer.

Cela dit, il est bon d'ouvrir le débat sur certaines zones d'ombre malvenues pour le CSA, qui a besoin d'une grande crédibilité pour assurer son autorité. Un débat est ainsi nécessaire sur le rôle du CSA dans la liberté de l'information et sa régulation. Lors de nos travaux autour de la proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions, nous avons recueilli de la part de certains syndicats beaucoup de critiques à votre encontre : selon eux, moins le CSA se mêle d'eux, mieux ils se portent !

Je suis très inquiet. En effet, alors que vos missions ont été établies en 1986, dans le cadre de la libéralisation des ondes, le paysage audiovisuel est en train d'être bouleversé à tous les niveaux. On voit apparaître de nouveaux acteurs de l'audiovisuel - SFR ou M. Bolloré - ; on ne sait lesquels vont en contrepartie disparaître. Les rapports de force se modifient ; les acteurs étrangers gagnent en puissance. Par ailleurs, les contenus sont à présent majoritairement consultés, par les jeunes, notamment, non plus par la télévision, mais sur internet, par le biais des réseaux sociaux ou de YouTube, qui échappent à toute régulation.

Vos missions s'établissent dans un champ donné, suivant le principe d'intérêt général qui veut que, en contrepartie de fréquences gratuites, les opérateurs de télévision soient soumis à des obligations que vous contrôlez. Toutefois, les changements brutaux que je viens d'évoquer font de la régulation un challenge toujours plus important et qui nécessite de nouveaux moyens. Devrez-vous vous contenter de poser des rustines au fil du temps et des problèmes qui s'imposeront successivement à vous et qu'il faudra gérer au mieux ?

Vous allez rencontrer M. Bolloré. Vous avez bien de la chance : nous tentons depuis juillet dernier de procéder à son audition sans succès ! Pourtant, nous avons de réelles inquiétudes à son sujet. Pour ce qui est du cinéma, par exemple, si un tel acteur se retirait de la production cinématographique, c'est tout l'écosystème du cinéma français qui serait ébranlé. Vous ne nous rassurez que modérément sur ce point. J'ai certes lu l'entretien avec M. Bolloré paru ce matin ; néanmoins, il faisait à l'Olympia voici quelques semaines des déclarations sinon totalement opposées, du moins fort différentes.

Je sais que votre liberté d'expression n'est sans doute pas aussi large que je le souhaiterais, mais je tenais à vous faire part de cette inquiétude globale, en toute franchise : les nouveaux acteurs, l'arrivée dans le secteur de SFR - acteur non « classique » -, les contenants et la création de programmes. Quant à Canal+, acteur classique du secteur qui assurait jusqu'alors un certain équilibre, on ne sait pas très bien où cette chaîne va, compte tenu des départs incessants de « piliers » qui lui donnaient son ton à la fois culturel et proche des jeunes.

Pour ce qui concerne l'audiovisuel public, la question du canal attribué à la chaîne d'information aura son importance.

Sur la numérotation en général, je partage les interrogations de Mme la présidente de la commission et de M. le rapporteur. À cet égard, la loi sur le numérique va dans le bon sens. Je souhaite cependant savoir où vous en êtes en la matière. Il fut un temps où l'on pensait attribuer le canal 23 à la chaîne d'information publique. Si tel n'est pas le cas, quel canal lui attribuer pour qu'elle ne soit pas reléguée après les chaînes d'information privée, qui ont évidemment toute leur place ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Le passage à la nouvelle norme de diffusion des chaînes de la TNT ne s'est pas fait aisément dans le Nord-Pas-de-Calais. Beaucoup de personnes ont en effet perdu un nombre significatif de chaînes. Détail amusant, les personnes disent que ce n'est pas grave, car « elles font toutes la même chose ». (Sourires.) Voilà qui est tout de même troublant s'agissant de notre paysage audiovisuel français (PAF) !

Il y a donc beaucoup de ratés. La majorité de ces personnes ont perdu la première chaîne. Ce n'est pas dramatique... (Nouveaux sourires.)

Je souhaite vous interroger, monsieur le président du CSA, sur le site internet Clés de l'audiovisuel.

Le Conseil supérieur des programmes, qui a fait des propositions pour le socle éducatif de tous les élèves, jeunes et adolescents, fonde beaucoup d'espoir sur la formation aux médias et à l'audiovisuel. Les nouveaux enseignants, quoique bien formés, sont très avides d'outils extérieurs, notamment des événements numériques interactifs.

J'ai consulté le site Éducation et médias, créé par le CSA, qui se déploie selon quatre axes majeurs : « connaître », « pratiquer », « analyser » et « aller plus loin ». L'axe « connaître » donne une vision exhaustive et documentée de toutes les chaînes. Il me semblerait intéressant, si les publics jeunes sont visés, de mentionner, pour leur donner davantage de visibilité, les ressources de l'audiovisuel, c'est-à-dire la publicité, la redevance, les mécanismes financiers. Cela fait partie des connaissances démocratiques que doivent posséder de futurs citoyens.

Pouvez-vous nous indiquer quels publics consultent ce site ?

David Assouline a évoqué les bouleversements du paysage audiovisuel et rappelé quelle était notre ligne en termes d'intérêt général. Je vous en prie, monsieur le président, utilisez toutes les clés à votre disposition pour éviter ces flux d'émissions anxiogènes qui contribuent à remplir les urnes dans un sens qui ne répond pas à nos voeux !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Aux termes de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, le CSA devra fournir un travail à l'occasion de la nomination des membres des comités de déontologie.

Notre commission a adopté un amendement visant à accorder un délai supplémentaire au CSA pour ce faire, et nous avons actuellement un débat sur l'application de la loi.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le président, quelle charge de travail représentera pour le CSA cette nouvelle mission ?

Je remercie David Assouline d'avoir fait part de notre inquiétude concernant l'avenir de Canal+ et, en particulier, le soutien à la création. Nous sommes perplexes face à la stratégie, volontairement ou non, chaotique de la chaîne sur ce sujet.

M. Olivier Schrameck. - J'ai été sensible à la mention que vous avez faite, monsieur Assouline, du travail effectué par les collaborateurs du CSA. Le Conseil, organe collégial, ne pourrait pas travailler autant et aussi vite sans l'appui et le dévouement de ses équipes de direction, que nous venons de réorganiser.

J'étendrai cet hommage aux comités territoriaux de l'audiovisuel, les CTA, qui assurent le suivi des problèmes, soulignés par Mme Blandin, qui peuvent survenir en tout point du territoire.

Pour ce qui concerne les rapports du CSA avec les rédactions des chaînes de télévision et de radio, j'ai déjà dit que nous n'étions pas des déontologues et nous n'avons pas la prétention de l'être. Il se trouve cependant que le Parlement nous a confié la mission de sauvegarder un certain nombre de droits et de garanties, parmi lesquels figurent la dignité de la personne humaine, la préservation de la vie d'autrui, les exigences de l'ordre public, le respect de l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, et je pourrais continuer la liste.

Nous avons donc, de par votre volonté, une responsabilité que nous essayons d'exercer avec doigté et délicatesse. Voilà pourquoi le CSA a créé, avant ma nomination, la procédure de mise en garde, qui n'est pas un déclencheur potentiel de sanction. J'ai quant à moi pris l'initiative de mettre en place systématiquement une procédure contradictoire, qui s'applique avant toute mesure d'avertissement à l'égard des opérateurs.

Nous l'avons dit, nous ne souhaitons pas intervenir dans le fonctionnement interne des rédactions, même si sont prévues, à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, des dispositions spécifiques à l'audiovisuel public. Nous ne voulons pas non plus nous immiscer dans les relations entre les responsables des groupes et leurs collaborateurs. C'est le rôle des comités de déontologie et de certains organismes internes aux entreprises audiovisuelles que de se saisir de ces questions, en conformité avec le droit du travail.

Pour ce qui est de prendre nos responsabilités, et bien que nous ne souhaitions pas avoir un rôle de « gendarme », je rappelle que nous avons prononcé 47 mises en demeure en 2015. Nous avons, par ailleurs, pris des mesures à la suite des anomalies qui se sont produites après les événements de janvier 2015. Plusieurs rédactions étant concernées, il y a eu un « effet de chiffre ».

Un certain nombre de ces rédactions nous ont critiqués sur ce point. On peut le comprendre, mais, je le répète, nous avons pris nos responsabilités, celles que vous, législateur, nous avez confiées. Nous savions que nous ne serions pas populaires, car un avertissement - ce ne sont que des avertissements - n'est jamais bien reçu. Mais nous avons, aussi, dialogué avec l'ensemble des rédactions pour réfléchir sur les conditions collectives d'exercice de leur métier face à des événements tragiquement inédits. Ce capital d'expérience et de dialogue accumulé aura, je pense, été utile en novembre 2015.

Nous ne sommes donc pas des déontologues, mais des serviteurs de la loi, nous le sommes, et nous la servons, quand il le faut, avec rigueur.

Notre mission est, d'ores et déjà, très large puisque nous sommes compétents quel que soit le support des programmes : mobile, tablette, ordinateur, télévision.

Nous sommes aussi compétents pour l'ensemble des services de médias audiovisuels à la demande, les SMAD, des webradios, des webtélévisions et, selon nous, pour les onglets que les chaînes créent sur les services de distribution intermédiaire. Il y a un débat sur ce dernier point. Nous l'acceptons, avec la conviction de détenir ces compétences ; il suffirait que le législateur le confirme...

Un autre débat porte sur les sites internet. Aux termes d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 octobre 2015, les créations audiovisuelles analogues à un programme de télévision ne présentent pas de différence de substance par rapport à des formes plus classiques de télévision linéaire.

Je remarque, d'ailleurs, que votre commission mène une réflexion sur l'adaptation des nouvelles formes de télévision à la demande - services non linéaires ou pas - au champ d'application de la directive européenne. Les modes de régulation ne peuvent pas être les mêmes.

Il est très intéressant, également, que la Commission réfléchisse à des modalités de corégulation, voire d'autorégulation, notamment en matière de protection des mineurs - sujet sur lequel un groupe de travail avait remis un rapport quand j'étais président de l'European Regulators Group for Audiovisual Media Services, l'ERGA.

Lorsque telle émission encourage l'alcoolisme, lorsque tel internaute se laisse aller à tenir des propos clairement discriminatoires, voire racistes, lorsque la protection des mineurs n'est pas respectée sur les réseaux autres que ceux de l'audiovisuel, un problème ne se pose-t-il pas ? Ces questions, les parents se les posent très concrètement !

J'ai soulevé cette question à plusieurs reprises. Le CSA, qui s'efforce de faire du mieux possible son travail de régulation dans le champ qui est le sien, pourrait être un référent, un « tiers de confiance » au sein d'un champ plus large, même si nous n'avons aucunement l'ambition de réguler internet.

Pour ce qui concerne la situation du groupe Vivendi, j'espère en savoir davantage au cours de la journée.

Sans trahir le secret des affaires, je peux vous dire que certains chiffres doivent être relativisés. Il y a, certes, des indices inquiétants : 183 000 désabonnements au premier trimestre de 2016, par exemple ; mais on en relevait 180 000 au dernier trimestre de 2015. Les désabonnements sont en effet passés de 30 000 à 183 000. Par ailleurs, les nouvelles modalités imposées par le droit de la consommation facilitent les désabonnements.

Le désabonnement a augmenté de 0,4 %, je ne vous en dirai pas plus.

M. David Assouline. - Est-il vrai que le déficit est de 200 millions d'euros ?

M. Olivier Schrameck. - Je ne peux répondre aussi nettement. Le groupe Canal+ est un ensemble complexe, qui a des activités en France et aussi à l'international.

Il y a eu des pertes significatives sur les activités françaises, M. Bolloré l'a dit le 21 avril dernier à l'Olympia, mais aussi des gains très importants sur les activités internationales : le nombre d'abonnés en vidéo atteint 2 millions en Afrique, contre 610 000 sur Canalplay en France.

Les situations sont donc contrastées.

Il y a aussi un débat sur les résultats financiers d'iTélé et des chaînes gratuites. On oppose ainsi souvent D8 et D17. Quoi qu'il en soit, cela ne se traduit pas par un signe « plus » ou par un signe « moins ». La situation est donc multiforme et complexe. Le discours de M. Bolloré peut donc être perçu de façon différente selon les circonstances. Dans le cadre d'une demande d'accord de distribution exclusive de la chaîne sportive beIN Sports, par exemple, il est normal qu'un chef d'entreprise fasse plutôt valoir les risques encourus si cette demande n'était pas suivie d'effets.

On ne peut donc pas faire un diagnostic noir ou blanc de la situation du groupe et de ses composantes, lesquelles sont superposées : Vivendi, la société d'exploitation de Canal+, le groupe Canal+. Les analyses diffèrent aussi selon les strates.

Un point très important que vous avez souligné, monsieur Assouline, est la part essentielle que prend Canal+ dans le financement du cinéma, à hauteur de plus de 300 millions d'euros, si j'inclus la production audiovisuelle. Et comme il y a des proratas à hauteur de 12,5 % par rapport au chiffre d'affaires, il importe que celui-ci, comme l'a dit Mme la ministre de la culture à Cannes, soit préservé, et ce quelle que soit la volonté des dirigeants.

Enfin, le groupe s'est engagé dans une politique de participation à la distribution. Il a ainsi acquis des plates-formes, parmi lesquelles Dailymotion. On a beaucoup parlé, pour l'audiovisuel public et TF1, de l'affaire Newen, mais le groupe Banijay est encore plus important sur le marché.

Pour ce qui concerne la numérotation, je veux être très clair : l'audiovisuel public, priorité du législateur, est certes au coeur des compétences du CSA, mais il n'est pas question qu'il bénéficie d'un traitement privilégié par rapport à l'audiovisuel privé. Nous sommes garants, en application de la loi, des intérêts privés comme de l'intérêt public. Et la loi nous impose de veiller à ce que la numérotation obéisse à des objectifs d'équité, de transparence et de non-discrimination. Si nous sommes saisis d'une demande en la matière, c'est la numérotation logique, arithmétique, qui s'appliquera.

M. David Assouline. - C'est-à-dire ?

M. Olivier Schrameck. - Cela signifie que nous ne réserverons pas de traitement particulier, qui irait à l'encontre des règles que nous appliquons de façon générale.

Madame Blandin, je suis quelque peu surpris par ce que vous avez rapporté, car la recherche et la mémorisation de chaînes, ou rescan, conduisent plutôt à découvrir de nouvelles chaînes. Des problèmes d'émetteurs peuvent toutefois se poser à certains endroits. Ainsi avons-nous relevé en Île-de-France 118 anomalies liées à de tels problèmes, alors que les émetteurs n'étaient pas situés dans cette région.

Ces anomalies peuvent être dues à une mauvaise orientation. Leur détection est de la compétence des attachés techniques de l'audiovisuel. Nous nous sommes donc dotés de dispositifs mobiles, des camions, afin de résoudre ces problèmes. Si le problème n'est pas de cet ordre, il faut alors faire appel à un antenniste.

Mais il n'y a pas pour nous de problème secondaire ou isolé : nous faisons en sorte de régler tous les incidents qui se produisent.

J'indique que le nombre de saisines téléphoniques de l'Agence nationale des fréquences, l'ANFR, est aujourd'hui inférieur à ce qu'il était avant l'opération des 4 et 5 avril. À l'occasion de ces milliers de communications téléphoniques, les usagers sont accompagnés jusqu'à la résolution du problème - car tous les problèmes ne sont pas insolubles -, ce qui représente une durée de communication moyenne de 6 minutes.

Sur la formation aux médias, je vous informe, madame Blandin, que nous avons modifié la conception du site du CSA. Nous avions fait un premier essai en 2013.

Ce site était jugé réussi par certains aspects, incomplet par d'autres. C'était inévitable ; nous avons aussi des problèmes de ressources publiques et d'investissement.

Son audience s'accroît si l'on se réfère au nombre des pages vues, de 17 000 à 26 000 par mois, mais c'est encore trop peu. Par ailleurs, 139 309 pages ont été consultées, avec un taux de satisfaction des nouveaux visiteurs en augmentation de 60 %. Le public est généralement constitué de médiateurs de l'éducation nationale, de professeurs, d'étudiants et d'élèves. Les mots clés des recherches sont ceux qui répondent à votre souci, liberté de communication, qualité de l'audiovisuel, comment avoir la télévision, programmes de flux, notamment.

Selon nous, la connaissance ainsi transmise ne doit pas être limitée aux acteurs de l'audiovisuel, mais concerner tout ce que peuvent apporter, dans leur grande richesse et leur diversité, les programmes audiovisuels.

Je pense vraiment que la communication, l'univers audiovisuel, la radio comprise, doit prendre le relais de l'école. Il ne faut donc pas se limiter, en termes de ressources, aux chaînes auxquelles on est habitué, ni même à l'audiovisuel public, si important soit-il. Il faut favoriser l'éducation par les médias. C'est une grande ambition, que nous ne concrétiserons pas du jour au lendemain, mais qui ne nous quittera jamais.

S'agissant de la nature des programmes, dans le cadre de notre mission de contrôle, nous nous penchons sur certaines émissions, telles que le Mad Mag ou The Bachelor, notamment au regard de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes également intervenus à quatre reprises au sujet d'une émission célèbre, dont le principal animateur est suivi par de très nombreux téléspectateurs.

Les ferments de discrimination ou des comportements que nous avons pu constater encore récemment, qu'ils concernent les trisomiques ou les femmes, de même que les comportements confinant à l'humiliation, à la violence et à l'intimidation nous ont conduits à faire des observations dont la force et l'intensité sont allées en s'accroissant.

Mais nous ne faisons pas les programmes. Nous constatons, en revanche, que la violence y est trop présente. Pour préserver les plus jeunes spectateurs, nous la combattons en appliquant les armes que nous fournit la loi : campagnes de signalétique, vérification des bandes annonces.

Madame la présidente, quelle que soit la forme définitive que prendra la loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, le rôle du CSA sera plus important, notamment du fait de la création des comités de déontologie. Nous ne le regrettons pas, car l'exemple de Canal+ nous a montré l'inefficience d'une discussion égrenée au fil des mois, sans appui législatif. Pour autant, nous ne devons pas nous substituer à qui que ce soit.

Je serai donc reconnaissant aux deux chambres, et en particulier à la Haute Assemblée, de nous laisser le délai nécessaire, soit un an, pour adapter les conventions aux stipulations nouvelles, délai qui me paraît minimal compte tenu du nombre des acteurs concernés.

Pour ce qui concerne les membres des comités de déontologie, le CSA n'aura qu'un rôle de contrôle de l'indépendance, et ne se substituera pas aux autorités de désignation internes. Dans ce cadre, nous serons attentifs aux limites que nous fixera la loi et aux responsabilités nouvelles que ces limites impliqueront.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le président, pour les réponses que vous avez bien voulu nous apporter ainsi que pour ce bilan détaillé de l'activité très dense du CSA.

En un an, le Sénat a procédé à sept auditions du CSA, dont quatre sur l'initiative de la commission de la culture ; nous achevons aujourd'hui la cinquième audition. Ce faisant, nous entendons assumer notre rôle de contrôle de l'action des autorités indépendantes.

En mon nom et en celui de l'ensemble des membres de la commission de la culture, je tiens encore une fois à vous remercier chaleureusement, ainsi que vos équipes et l'ensemble des conseillers du CSA.

M. Olivier Schrameck. - Je leur transmettrai ces remerciements, mais la plupart nous suivent en direct. Dès que l'occasion s'en présente, je suis heureux d'être accompagné par les membres du collège, qui se sont d'ailleurs spécialisés par secteurs de compétences. Je pense, par exemple, à Nicolas Curien, qui se consacre plus particulièrement au sujet de la bande 700 MHZ.

Bilan annuel de l'application des lois - Communication

La commission entend une communication de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente, sur l'application des lois.

Communication sur le bilan 2014-2015 de l'application des lois relevant de la compétence de la commission

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, comme chaque année à la même période, nous examinons aujourd'hui le bilan de la mise en application des lois relevant de notre commission pour la session écoulée, c'est-à-dire 2014-2015.

Au cours de cette session, quatre lois ont été promulguées dans les secteurs de compétence de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication : la loi n° 2014-1663 du 30 décembre 2014 habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage ; la loi n° 2015-195 du 20 février 2015 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel, dite DDADUE ; la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse ; la loi n° 2015-737 du 25 juin 2015 portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l'enseignement supérieur.

Sur un plan strictement numérique, la liste des lois promulguées dans les secteurs de compétence de la commission de la culture traduit une stabilité de son activité législative. Avec quatre lois adoptées définitivement au cours de la session 2014-2015, de même que lors de l'année parlementaire 2013-2014, l'activité de la commission de la culture se maintient par rapport à la session précédente. Hormis les lois sur le DDADUE et la presse, qui comprenaient de nombreux articles, les deux autres lois comportaient quatre articles au plus.

Sur les quatre lois promulguées, une est issue d'une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues : il s'agit de celle relative à la modernisation du secteur de la presse.

Parmi ces quatre lois, deux sont d'application directe et deux demandent des décrets d'application. La loi sur le code mondial antidopage et celle sur l'université des Antilles et de la Guyane sont d'application directe et ne nécessitent donc aucun décret d'application.

Par contre, la loi relative à la modernisation du secteur de la presse est partiellement applicable - deux décrets sur trois ont été pris - et la loi sur le DDADUE est devenue totalement applicable - un seul décret qui met en application trois dispositions - au cours de la session.

Le constat effectué les années précédentes se confirme : le choix de la procédure accélérée plutôt que celui de laisser la navette se poursuivre est sans incidence sur le rythme de parution des mesures d'application de la loi. Cette session, toutes les lois promulguées ont fait l'objet d'une procédure accélérée !

Le contrôle de la parution des textes d'application renvoie évidemment à la question des délais. Des efforts ont été accomplis par les gouvernements successifs et un texte de loi s'accompagne désormais d'un calendrier de parution des mesures d'application.

Le délai de parution des décrets d'application pris au cours de la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2016 pour les lois promulguées au cours de l'année parlementaire, est inférieur à trois mois dans la moitié des cas.

Pour terminer ce panorama du contrôle, je noterai que le dépôt de rapports laisse toujours apparaître un retard, les gouvernements successifs ne manifestant que peu de volonté à cet égard. Le nombre de rapports en attente de parution demeure toujours particulièrement élevé : trente-six rapports depuis 2000, et quatorze rapports parus au cours de la session 2014-2015.

En pratique, je me félicite de ce que la plupart des textes attendus pour l'application des « grandes » lois votées depuis le début de la législature dans les secteurs qui relèvent de la compétence de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, soient désormais parus.

Deux des lois promulguées au cours de précédentes sessions sont entrées totalement en application au cours de l'année parlementaire 2014-2015.

Il s'agit de la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, dont le dernier décret d'application est paru le 27 avril 2015 - décret n° 2015-483 portant modification du régime de contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles des services de télévision - et de la loi relative à la refondation de l'école dont les deux derniers décrets attendus sont parus au cours de la session - arrêté du 3 novembre 2015 sur la périodicité et le contenu des visites médicales et de dépistage obligatoires et décret n° 2015-1929 du 31 décembre 2015 relatif à l'évaluation des acquis scolaires des élèves et au livret scolaire, à l'école et au collège.

Par contre, le bilan d'application des lois anciennes reste inchangé : les décrets parus pour la période de référence ne concernent jamais ou à de rares exceptions près les lois promulguées lors des législatures antérieures.

Au-delà de ces aspects chiffrés, nous sommes tous attachés à assurer le contrôle de l'application des lois en menant à bien différents travaux d'information à travers la mise en place de groupes de travail et de missions d'information constitués au sein de notre commission. C'est une tradition de notre commission, et je suis très attachée à ce qu'elle se poursuive.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à vous référer à la note qui vous a été distribuée pour de plus amples informations sur le contrôle de la mise en application des lois adoptées par notre commission.

Enfin, le débat annuel en séance plénière aura lieu le mardi 7 juin prochain, à quatorze heures trente.

La réunion est levée à 16 h 10.