Mardi 29 mars 2016

- Présidence de M. Jean Bizet, président, et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Politique étrangère et de défense - Audition commune avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale de M. Alain Le Roy, secrétaire général du Service européen pour l'action extérieure (SEAE)

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Nous avons le plaisir de vous accueillir, monsieur le secrétaire général, pour une audition organisée conjointement avec la commission des Affaires européennes du Sénat. Nous sommes heureux qu'avec vous un Français ait succédé à un autre Français - Pierre Vimont, que nous avions reçu au sein de cette commission au début de la législature - à la tête du secrétariat général du Service européen d'action extérieure, un service essentiel de l'Union européenne.

Les politiques étrangères et de défense dont vous êtes chargé sont celles pour lesquelles, à l'évidence, la valeur ajoutée de l'Union est potentiellement la plus forte. Plus que jamais, l'union fait la force, et la division l'impuissance. Mais le chemin vers l'union est long et difficile. Elle suppose une volonté politique qui n'existe pas toujours en cette période où s'expriment des tensions entre les États plutôt que l'indispensable solidarité requise pour faire face aux multiples crises auxquelles l'Union doit faire face dans son voisinage proche.

À l'Est, en dépit des accords de Minsk, rien n'est réglé en Ukraine. Au Sud, la Libye, profondément divisée sur le plan politique, a sombré dans la violence, laissant le champ libre à l'implantation de Daech à proximité d'une Tunisie qui paye, comme la France, le prix du terrorisme. Au Moyen-Orient, Syriens et Irakiens sont confrontés chaque jour aux horreurs de la guerre et du fanatisme religieux - qui sévit aussi au Pakistan, comme l'a à nouveau rappelé l'attentat commis ce week-end. En bref, un « arc de feu » entoure l'Union européenne, que ces crises affectent directement : depuis des mois, les migrants fuient les zones de conflits et échouent par centaines de milliers en Grèce, pays fait ce qui est en son pouvoir pour les accueillir dignement.

Alors que ces crises liées se nourrissent les unes des autres, certains États se refusent à la solidarité proposée par la Commission européenne il y a plusieurs mois. Comment obtenir que les pays membres apportent à la crise des réfugiés une réponse unie et cohérente ?

Au Conseil européen de juin prochain sera présentée la nouvelle stratégie de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à laquelle la Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, travaille depuis plusieurs mois. Un consensus entre les États-membres vous semble-t-il possible ? Sera-t-il à la hauteur des enjeux ? Surtout, cette nouvelle stratégie s'accompagnera-t-elle de la mobilisation des moyens civils et militaires nécessaires pour assurer tant la sécurité des frontières de l'Union que la solidarité vis-à-vis des réfugiés et entre tous les États, ceux qui les reçoivent et les autres ?

Le terrorisme est, de toutes les menaces auxquelles fait face l'Union européenne, la plus difficile à conjurer. L'Europe a déjà connu des épisodes terroristes par le passé - qui ne se rappelle le nombre élevé des victimes des Années de plomb, au cours des années 1970 ? La particularité de la période tient au lien entre les actes terroristes actuels et les guerres en cours au Moyen-Orient. Conjurer le terrorisme qui frappe l'Union exige donc de régler ces conflits qui l'alimentent. Comment envisagez-vous l'évolution de la situation en Syrie, en Libye, au Mali ? Bachar al-Assad, le dirigeant syrien que l'on nous a présenté pendant trois ans comme infréquentable, semble l'être devenu beaucoup moins depuis trois mois ; quelles mesures l'Union européenne peut-elle prendre au sujet de la Syrie, tous les États membres n'ayant pas la même position ? En Afrique, la France continue de gérer en grande partie seule la situation au Mali et en République centrafricaine, alors même qu'il s'agit de protéger l'Union européenne dans son ensemble des conséquences de l'intolérance. En bref, quelle est votre analyse de la stratégie européenne contre le terrorisme ? Plus précisément, pouvez-vous dresser le bilan de la mise en oeuvre de l'article 42-7 du traité de l'Union, sur le fondement duquel la France a demandé leur assistance à ses partenaires après les attentats commis à Paris ? Comment s'exprime la solidarité européenne ?

D'autre part, même si M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a déclaré que l'Union européenne ne s'élargirait pas au cours de son mandat, les négociations se poursuivent avec les cinq candidats officiels que sont la Serbie, la Macédoine, le Monténégro, l'Albanie et la Turquie et, à l'occasion de la récente négociation relative aux migrants, la Turquie a demandé l'ouverture d'au moins un chapitre supplémentaire du processus relatif à son adhésion. Nous sommes quelques-uns à nous être rendus en Serbie et au Monténégro, et nos interlocuteurs nous ont fait part de leur volonté de poursuivre les négociations d'adhésion. Les Monténégrins nous ont aussi dit leur inquiétude à l'idée que les réfugiés refoulés par la Turquie ne prennent un autre chemin, celui de l'Albanie et du Monténégro, des pays trop petits pour gérer pareille situation. Si des couloirs sécurisés ne sont pas organisés, on ne fera que déplacer le problème, et surtout les drames humains.

A-t-on réellement progressé vers une plus grande coordination et cohérence des volets de l'action extérieure de l'Union, ceux qui ressortissent directement des compétences de la Commission - l'aide au développement et la politique commerciale - et ceux qui relèvent du champ traditionnellement inter-gouvernemental, la diplomatie et la défense ?

Enfin, où en est-on, au sein du Service européen d'action extérieure, du développement progressif d'une culture diplomatique commune, partagée entre les personnels du service, de la Commission, du Conseil et des États membres ? L'émergence progressive de cette culture diplomatique commune justifie, me semble-t-il, la création de votre service, outil indispensable, créé par le traité de Lisbonne, dans la perspective d'une politique étrangère et de défense commune, plus que jamais nécessaire étant les drames auxquels nous assistons.

M. Jean Bizet, président. - Je vous salue à mon tour, monsieur Le Roy, en mon nom et au nom des sénatrices et sénateurs ici présents. Je me réjouis que l'occasion nous soit ainsi donnée de poursuivre le dialogue fructueux qu'une délégation du Sénat français avait engagé avec vous l'an passé à Bruxelles. Comme la présidente Auroi, je me réjouis qu'un Français succède à un autre Français à la tête du SEAE. Je me souviens aussi de l'accueil très chaleureux que vous nous aviez réservé à Rome, alors que vous y étiez ambassadeur, occupé à conforter la très importante relation franco-italienne.

Dans un contexte international particulièrement troublé, les questions à vous poser ne manquent pas. Comme le montrent malheureusement les derniers attentats de Bruxelles, faire face à la menace terroriste est un défi partagé par tous les États membres. Notre commission y a beaucoup travaillé et, le 1er avril 2015, le Sénat a adopté une proposition de résolution appelant l'Union européenne à une action beaucoup plus résolue par le biais d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. Comme le disent clairement les traités, la réponse à apporter appartient d'abord aux États membres, responsables de la sécurité, mais une réponse européenne coordonnée est aussi indispensable à chaque fois qu'elle peut apporter une valeur ajoutée ; nous la souhaitons plus affirmée et surtout plus opérationnelle. Au-delà, une coopération internationale s'impose. Quelle peut-être, selon vous, la valeur ajoutée d'une politique européenne commune de sécurité ?

Le terrorisme djihadiste contribue d'aggraver la déstabilisation de régions entières ; ce défi géostratégique majeur doit-être relevé, aussi difficile cela soit-il. Ce combat sera une oeuvre de longue haleine. Comment l'Union européenne peut-elle se positionner ?

La déstabilisation en cours pose aussi la question de la défense européenne. Face à des menaces directes contre sa sécurité, l'Union européenne doit se doter des moyens d'assurer sa défense - on voit le lien étroit qui unit désormais sécurité intérieure et sécurité extérieure. Mme Gisèle Jourda et M. Yves Pozzo di Borgo, membres de la commission des affaires européennes du Sénat, ont été mandatés pour travailler ces questions avec la commission des affaires étrangères. Nous serons très attentifs à la nouvelle stratégie de sécurité que prépare Mme Federica Mogherini ; pouvez-vous nous donner des indications sur les priorités qui seront retenues ?

La situation en Ukraine demeure préoccupante. Les accords de Minsk, pour la conclusion desquels l'Allemagne et la France ont joué un rôle clef, doivent être strictement appliqués, mais dialoguer avec M. Poutine reste indispensable. Quelle analyse faites-vous des sanctions imposées à la Russie, dont on sait ce qu'elles ont entraîné ? Nos collègues Simon Sutour et Yves Pozzo di Borgo se penchent sur ces questions. Nous serons très attentifs au referendum qui aura lieu le 6 avril prochain aux Pays-Bas, par lequel les Néerlandais se prononceront sur l'accord d'association avec l'Ukraine ; son issue risque de compliquer encore la situation d'une Europe qui a un grand nombre de sujets de préoccupation.

M. Alain Le Roy, secrétaire général du Service européen pour l'action extérieure (SEAE). - C'est pour moi un honneur et un plaisir de vous retrouver tous. Par une lettre du 28 janvier dernier, Mme la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité vous avait dit souhaiter venir s'exprimer elle-même devant les commissions compétentes du Parlement français ; cela devrait se faire à la fin du mois d'avril, lors de son voyage officiel à Paris. La Conférence interparlementaire sur la politique européenne de sécurité et de défense qui se déroulera du 6 au 8 avril 2016 à La Haye sera une autre occasion de dialoguer.

On entend beaucoup dire qu'il est difficile pour une Union européenne en difficulté d'avoir une politique étrangère forte, laquelle suppose d'avoir confiance en soi. On pourrait dire au contraire que si l'Europe parvenait à mettre en oeuvre une politique étrangère forte, cela contribuerait à montrer ce à quoi elle sert et pourrait être un moyen de combattre l'euroscepticisme grandissant. Certaines de nos compétences nous permettent de remporter des succès en politique étrangère, et il est de nombreux domaines dans lesquels une politique étrangère plus cohérente de l'UE a déjà porté ses fruits.

À cet égard, je citerai pour commencer les relations avec la Russie. Je suis frappé de constater à quel point tous les États membres sont conscients de la nécessité d'arriver à une position commune, unifiée, à propos de la Russie. Les positions de départ étaient très différentes : les pays Baltes, la Suède et la Pologne sont, pour des raisons historiques, partisans d'une extrême fermeté alors que l'Espagne, l'Italie et la France, par exemple, n'ont pas la même attitude. Mais à chaque fois que la question des sanctions ou du dialogue avec la Russie est évoquée, chaque pays, au cours du débat, convient que si l'Union européenne veut avoir le moindre impact, elle doit préserver son unité - et, depuis le début de la crise ukrainienne, l'Europe a su faire preuve d'unité. Ainsi, sur ce sujet, en partant de positions initiales très différentes, les Vingt-Huit parviennent à chaque fois à une position commune ; cela dit la valeur ajoutée de l'unité européenne.

Le dernier conseil des affaires étrangères, ce mois-ci, a été l'occasion d'une discussion informelle sur les relations UE/Russie. Sans conclusions écrites, elle a toutefois permis de définir comment l'on envisageait les prochains mois. Il a d'abord été décidé que l'on ne parlerait des sanctions qu'en juin. On sait que la levée des sanctions est conditionnée par la mise en oeuvre complète des accords de Minsk et que cette mise en oeuvre est en difficulté. D'une part, étant donné les antagonismes politiques en Ukraine, l'exécutif a du mal à faire voter par la Rada la loi électorale pour le Donbass et les dispositions anti-corruption. De son côté, la Russie ne montre aucune volonté de rendre à l'Ukraine le contrôle de la frontière russo-ukrainienne. Bien entendu, la Russie argue qu'il n'y a aucune raison de maintenir les sanctions qui lui sont imposées si l'Ukraine ne remplit pas sa part de l'accord, cependant que l'Ukraine fait valoir l'inverse.

L'accord s'est fait aussi sur les cinq points qui doivent fonder le dialogue actuel avec la Russie : insister, à Vingt-Huit, sur la mise en oeuvre complète des accords de Minsk ; dans le cadre du partenariat oriental, resserrer les relations de voisinage, y compris avec les pays d'Asie centrale ; accroître la résilience de l'Union européenne, notamment en renforçant son autonomie énergétique ; poursuivre un engagement sélectif avec la Russie dans les domaines où l'Union a un intérêt clairement identifié et au sujet desquels les points de vue ne sont pas trop éloignés - l'Iran, l'Afghanistan, la lutte contre le changement climatique, et maintenant la Syrie, même si à ce propos les positions sont plus éloignées ; éviter, enfin, que l'écart entre la Russie et l'Union européenne ne se creuse, en développant les échanges entre sociétés civiles.

Sur la Syrie, l'unité européenne est moins évidente, le cas de Bachar al-Assad ayant fait l'objet d'évaluations divergentes. Mme Mogherini s'est rendue la semaine dernière à Genève à l'invitation de M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie. C'était l'occasion de demander aux parties le respect absolu du cessez-le-feu, le développement de l'accès humanitaire sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones contrôlées par le pouvoir - et vous aurez noté que l'Union européenne a rouvert son bureau ECHO à Damas - et l'accélération du processus de transition politique. Sur ce dernier point, très compliqué, la Russie a un rôle majeur à jouer. Les discussions, ces derniers jours, à Genève, ne prenaient pas un tour très favorable.

La situation en Libye est d'une importance cruciale pour l'Union européenne. Ces jours-ci encore, le nombre d'embarcations chargées de migrants se dirigeant potentiellement vers l'Europe a augmenté ; les équipages de l'opération Sophia en récupèrent régulièrement, tout comme les garde-côtes libyens. Au moins 200 000 migrants potentiels sont actuellement dans les camps libyens, certains disent 800 000. Il est donc essentiel qu'un gouvernement d'union nationale s'installe le plus rapidement possible en Libye, comme prévu dans l'accord de Skhirat. L'Union européenne fait le maximum pour soutenir les efforts en ce sens de M. Martin Kobler, qui dirige maintenant la Mission d'appui des Nations Unies en Libye. Nous sommes en contact avec M. Fayez al-Sarraj, le Premier ministre nommé, que Mme Mogherini a rencontré il y a quelques semaines à Tunis. Il tente d'aller prendre ses fonctions à Tripoli, ce que les « durs » l'ont empêché de faire hier encore en interdisant l'espace aérien à son avion, mais il va chercher d'autres moyens de rejoindre Tripoli.

C'est une des manières dont nous intervenons. Nous le faisons aussi, comme pour la Syrie, en apportant un soutien financier à l'équipe de négociation ; au-delà, une enveloppe de quelque 100 millions d'euros est prévue qui doit permettre d'aider le nouveau gouvernement à faire fonctionner l'administration et les principaux services publics, ainsi que les municipalités, aussitôt qu'il sera installé. Nous nous préparons d'autre part à aider la réforme de la police et de la justice criminelle libyennes. Mais, pour l'instant, le gouvernement libyen d'union nationale que nous soutenons n'a toujours pas eu le vote favorable de la chambre des représentants de Tobrouk. L'édifice est donc extraordinairement fragile. Nous sommes prêts à faire encore plus, mais en tout état de cause, nous ne nous substituerons pas aux Libyens.

Chacun, à Bruxelles, se félicite du rôle pilote qu'a joué la France au Mali lors des attaques venant du Nord du pays. Aujourd'hui, la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM-Mali) fonctionne bien. Dans le cadre de l'article 42-7 du traité de l'Union, la France a sollicité l'aide des autres pays membres pour alléger son effort au Mali et des réponses très favorables lui ont été faites, notamment de la part de l'Allemagne.

Je reviens un instant sur le passé pour mettre en exergue deux cas dans lesquels la valeur ajoutée de l'Union européenne a été clairement démontrée. En premier lieu, lors des négociations du groupe E3+3 - composé de la France, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Chine, de la Russie et des États-Unis - relatives au programme nucléaire de l'Iran, l'Union a eu un rôle de coordonnateur, et Mme Helga Schmid, directrice politique du SEAE, a négocié pendant cinq ans sans relâche, permettant aux ministres d'aboutir à un accord le 14 juillet dernier. L'Union européenne a donc joué un rôle clef dans ces discussions, comme elle le fait pour le suivi de la mise en oeuvre de l'accord, avec le rôle de coordination confié à la Haute Représentante, Mme Mogherini.

Un deuxième exemple, moins connu mais non moins important pour l'Union, montre l'utilité de la diplomatie européenne : le dialogue entre Belgrade et Pristina. Leurs relations devaient impérativement être normalisées pour que l'on progresse un jour vers l'élargissement de l'Union européenne à la Serbie. Les premiers ministres du Kosovo et de Serbie sont réunis pratiquement chaque mois à Bruxelles, en présence de Mme Mogherini, pour trouver des solutions pour tous les sujets en suspens : accès à l'énergie, frontières, visas... C'est un rôle plus ingrat mais d'une grande importance, ces deux pays étant dans notre voisinage immédiat.

Quant à la stratégie globale que nous préparons, elle sera soumise au Conseil européen de juin. À la demande du Royaume-Uni, le Conseil Européen ne se tiendra pas, comme prévu, le 23 juin car c'est le jour du referendum britannique, mais vraisemblablement les 28 et 29 juin. Le document que présentera Mme Mogherini définira une vision commune à l'horizon de cinq à huit ans dans un document court - une vingtaine de pages - rédigé dans l'esprit de la stratégie de sécurité élaborée par M. Javier Solana en 2003, mais avec un spectre plus large puisqu'il s'agit cette fois d'une stratégie globale de politique étrangère et de sécurité, conformément au mandat donné par le Conseil européen de juin dernier. Le texte réaffirmera que l'Union européenne est une communauté de valeurs fondée sur la sécurité. Il dira la volonté commune de renforcer la résilience des États membres et celle de leurs partenaires dans le cadre d'une politique de voisinage révisée ; de développer une approche intégrée des conflits et des crises ; d'investir davantage dans la coopération avec les autres entités d'intégration régionale; de renforcer la gouvernance mondiale ; d'améliorer la capacité européenne à développer la sécurité collective dans une approche intégrée combinant sécurité externe et sécurité interne.

Les ambitions du Conseil européen de juin 2015 en matière de politique européenne de défense, n'ont pas été tout à fait à la hauteur des principes arrêtés par le Conseil européen de juin 2013. Nous pensons que cette stratégie doit donner des points d'accroche ambitieux sur les capacités, ce qui permettra ensuite d'élaborer un livre blanc consacré à la politique européenne de défense. Je m'en suis entretenu avec M. Michel Barnier, conseiller spécial du président de la Commission européenne pour la défense et la sécurité ; il pense aussi que la stratégie globale devrait fixer les axes doctrinaux qui seraient ensuite déclinés dans un livre blanc qui pourrait être soumis au Conseil européen de décembre 2016.

Dans la lutte contre le terrorisme, l'urgence pour l'Union européenne, c'est d'abord le registre des noms de passagers, le Passenger Name Record (PNR) ; l'accord des Vingt-Huit s'étant fait, l'urgence est maintenant que le Parlement Européen l'approuve. Il convient aussi de renforcer la prévention et la lutte contre la radicalisation. Par exemple Mme Mogherini a rencontré récemment le roi de Jordanie, qui a demandé à l'Union européenne d'aider le royaume à financer des programmes de déradicalisation, comme nous le faisons dans un grand nombre de pays. D'autre part, comme vous le savez, la France est à l'origine du projet de corps de garde-frontières européens, dont on espère qu'il pourra aboutir en juin prochain. En matière de contre-terrorisme, le ministre français de la défense, lors du Conseil « Affaires étrangères » réuni en formation « Défense » le 18 novembre 2015, a présenté une demande d'assistance mutuelle fondée sur l'article 42-7 du traité de l'Union. Les vingt-sept autres États membres ont soutenu unanimement la demande française, et ce soutien s'est traduit dans les faits.

Évidemment, aux yeux de la direction générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne, les progrès ne sont pas suffisants pour ce qui concerne l'interconnexion des fichiers Schengen. C'est une des grandes difficultés à résoudre, et le nécessaire travail technique n'est pas encore complétement abouti. C'est bien sûr un domaine dans lequel l'Union européenne aura une valeur ajoutée majeure si elle assure l'interopérabilité et l'immédiateté des connexions entre les différents systèmes.

Vous avez eu connaissance de notre communication relative à la politique de voisinage, dont nous souhaitons qu'elle devienne plus différenciée, plus flexible et mieux ciblée, pour favoriser la résilience des pays considérés en renforçant les aides relatives à leurs réformes dans le secteur de la sécurité.

Le processus d'élargissement le plus avancé concerne le Monténégro : il a ouvert 20 des 35 chapitres nécessaires. La Turquie en a ouvert 15 et la Serbie 2. L'Albanie et l'Ancienne République de Macédoine ont le statut de candidat mais dans les deux cas aucun chapitre n'a encore été ouvert ; avant cela, des réformes importantes doivent être conduites. Enfin, la Bosnie-Herzégovine a déposé sa demande d'adhésion le 15 février dernier.

Je m'arrêterai un instant sur le cas de la Turquie. Il a été convenu avec M. Ahmet Davutoðlu, Premier ministre turc, qui avait été invité à la fin du dernier Conseil européen, de lancer l'ouverture d'un chapitre supplémentaire - le chapitre 33, relatif aux dispositions financières et budgétaires. La France, qui jusqu'alors mettait son veto à l'ouverture de ce chapitre, l'a acceptée car c'était une des conditions posées par la Turquie pour contribuer sérieusement à contenir l'immigration vers l'Union européenne. Les Turcs ont donc demandé clairement la relance du processus d'admission, mais chacun en sait la longueur, et aussi qu'un referendum aurait lieu à la fin du processus. Pour assurer le contrôle des migrants et en particulier le retour des migrants illégaux actuellement en Grèce, la Turquie a aussi demandé la libéralisation des visas. C'est un point très difficile. À ce jour, la Turquie remplit 35 des 72 critères nécessaires pour que l'Union européenne accepte cette libéralisation, et elle affirme être en mesure de les remplir tous en juin. La décision a été prise d'examiner sa demande, à laquelle réponse sera faite sur la base d'un rapport de la Commission déterminant si la Turquie remplit effectivement les 72 critères. En résumé, il a été décidé d'accélérer l'examen des critères de libéralisation des visas, non de les alléger.

S'agissant de l'organisation et des outils de la politique étrangère, j'évoquerai le groupe des commissaires qui ont à traiter des relations extérieures de l'Union, dont Mme Mogherini, en sa qualité de vice-présidente de l'Union, préside les réunions mensuelles. Cette configuration nouvelle, voulue par M. Juncker, est une manière d'assurer plus de cohérence dans l'action extérieure de l'Union européenne. Et c'est avec plusieurs commissaires que, le 16 avril prochain, Mme Mogherini se rendra en Iran ; les volets « commerce », « énergie » et « droits de l'homme » seront ainsi abordés simultanément au cours de cette visite.

J'en viens pour finir au Service européen d'action extérieure lui-même. Il a été créé par le traité de Lisbonne et installé le 1er janvier 2011. Je rends hommage au travail remarquable de M. Pierre Vimont, qui a mis sur pied, ex nihilo, un service sui generis dont l'expertise est de plus en plus reconnue. Dix années seront nécessaires à mon avis pour qu'il trouve sa pleine crédibilité. Nous en sommes à la phase 2 de son organisation, et les développements me paraissent positifs. Les chefs des délégations de l'Union européenne jouent un rôle de coordinateur de plus en plus marqué, et toutes les discussions des Conseils des affaires étrangères, que Mme Mogherini préside ès qualités, sont alimentées par nos dossiers, de manière professionnelle et crédible pour les États membres.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je vous remercie. La parole est pour commencer à mes collègues députés Joaquim Pueyo et Yves Fromion, qui travaillent actuellement sur la stratégie européenne de sécurité.

M. Joaquim Pueyo, député. - L'Union européenne doit relever de très grands défis. Lors de mon arrivée à la commission des affaires européennes, en 2007, la politique de sécurité et de défense commune n'était pas considérée comme un enjeu crucial. On voit maintenant toute son importance et l'on se rend compte que la définition d'une telle politique peut renforcer l'Union en modifiant le point de vue porté sur elle par les eurosceptiques. Je me dois de souligner que sans l'Union européenne, nous éprouverions de plus grandes difficultés encore pour régler les flux migratoires et la question du terrorisme. Il faut donc davantage d'Europe. De bonnes décisions ont déjà été prises, qu'il s'agisse du renforcement de l'agence Frontex ou de l'accord avec la Turquie - il est ce qu'il est, mais il était indispensable pour maîtriser des flux migratoires considérables.

Mon collègue Yves Fromion et moi-même avons été reçus sur le porte-aéronefs Cavour utilisé par la force multinationale Sophia pour assurer sa double mission sécuritaire et humanitaire. Nous avons rencontré l'état-major européen, au premier rang duquel son commandant, le contre-amiral italien Andrea Gueglio. L'opération Sophia a permis, en moins d'un an, de sauver 9 000 femmes et hommes à la dérive sur des embarcations en Méditerranée. L'objectif de l'opération est de lutter contre les passeurs et de détruire leurs bateaux et, plus radicalement, d'éviter que les embarcations ne partent des côtes libyennes puisque, selon les informations qui nous ont été communiquées, les migrants prêts à partir se comptent par centaines de milliers.

D'autre part, la politique de voisinage a trop longtemps été jugée secondaire ; où en sont, à présent, les relations avec les pays du Maghreb - Algérie, Maroc, Tunisie ? Enfin, j'ai pu constater que, comme la Jordanie, l'Arabie conduit des programmes de déradicalisation.

M. Yves Fromion, député. - J'ai sous les yeux un document retraçant les orientations de la future stratégie européenne de sécurité commune ; je déplore qu'il n'existe qu'en anglais.

M. Alain Le Roy, secrétaire général du Service européen pour l'action extérieure (SEAE). - Il ne s'agit que d'un document préparatoire : la stratégie elle-même n'a pas encore été publiée et je puis vous assurer qu'il y aura une version française.

M. Yves Fromion, député. - Il n'empêche : dans la phase préparatoire, chacun devrait pouvoir consulter dans sa langue tout rapport publié pour alimenter la réflexion.

Pour ce qui concerne la Libye, nous sommes aujourd'hui dans une phase purement humanitaire : nous récupérons avec des bateaux militaires les migrants que les trafiquants d'êtres humains amènent à la limite des eaux internationales pour qu'ils soient débarqués en Italie. Les hommes du porte-aéronefs Cavour apprécient modérément d'être transformés en acolytes forcés de ces trafiquants ; cela devient d'autant plus préoccupant que Daech prend pied sur la plus grande partie du littoral libyen et que l'on ne peut douter de leur volonté de contrôler ce trafic formidablement lucratif. Sur un autre plan, l'Union européenne envisage-t-elle de prendre des mesures visant à éviter la répétition à Leptis Magna, un des plus beaux sites antiques du bassin méditerranéen, des destructions commises par Daech à Palmyre ? Sur le fond, si aucune autorité libyenne n'est capable de prendre ses responsabilités, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies est-elle concevable pour tenter d'arrêter le trafic des migrants, protéger la vie de ces malheureux surexploités et remettre un début d'ordre dans les eaux territoriales libyennes ?

Les réponses du Gouvernement français sur ce point étant assez générales, pouvez-vous nous dire quelle aide précise l'Union européenne a apporté à la France sur le fondement de la clause d'assistance mutuelle prévue à l'article 47-2 du traité de Lisbonne ?

Je suis de ceux qui considèrent que la Turquie n'a pas obligatoirement vocation à rejoindre l'Union européenne. Si c'était le cas, le territoire européen deviendrait frontalier de la poudrière moyen-orientale, et nous hériterions du problème kurde. Nous irions donc au-devant de difficultés redoutables, alors que le projet des pères fondateurs de l'Union était de créer un espace de paix, non de faire des Européens les sapeurs-pompiers de tous les foyers de conflit mondiaux. Pour ces raisons, je considère que l'Union doit avancer sur ce chemin avec une prudence extrême, et en tout cas sans aller contre les opinions publiques pour éviter une révulsion anti-européenne.

M. Philippe Bonnecarrère. - Vous avez évoqué le rôle du SEAE dans la préparation des accords et l'élaboration des traités entre l'Union européenne et les pays tiers, et évoqué les enjeux migratoires. Or, très peu d'accords de réadmission des personnes déboutées du droit d'asile ou qui n'ont pas présenté de demande d'asile ont été signés ; en particulier, les pays africains, dont ceux d'Afrique de l'Ouest, n'en ont pas signé. Préparez-vous de tels accords et conditionnent-ils les programmes de coopération et d'aide au développement ?

Que pensez-vous de la vente par Airbus de sa branche d'électronique de défense au fonds d'investissement américain KKR ? Que signifie cette cession pour la politique européenne de défense et de sécurité dont vous avez souligné les enjeux ?

J'ai accompagné le président Larcher lors de sa visite à Lampedusa et je tiens à souligner l'ignominie de ce qui se passe en Libye : les migrants économiques jugés aptes à résister au voyage y sont forcés, ils sont battus et rançonnés. Ce sont en très grande majorité des hommes âgés de 20 à 30 ans, mais il y a malheureusement aussi quelques femmes, érythréennes, qui sont systématiquement violées en Libye, où l'on a reconstitué l'infamie de la traite d'êtres humains. Je partage donc sans réserve le sentiment exprimé par mes collègues députés sur l'urgence qu'il y a à traiter la question libyenne.

M. Didier Quentin, député. - Étant donné la chute du prix du gaz et du pétrole d'une part, la dégradation de la santé du président Bouteflika d'autre part, on peut s'interroger sur l'avenir de l'Algérie ; quel est votre avis ? Sur un autre plan, on a évoqué un corps de garde-frontière européens, mais parle-t-on aussi de garde-côtes ?

M. Michel Raison- Sachant la difficulté qu'éprouvent les États de l'Union européenne à trouver une position commune sur les sujets brûlants que sont la lutte contre le terrorisme et la radicalisation ou encore le traitement de la question migratoire, n'y avait-il pas plus urgent que de s'unir pour imposer des sanctions à la Russie ? Tous les pays membres n'étaient pas d'accord pour agir de la sorte ; l'accord s'est-il fait de justesse ou y a-t-il eu une large unanimité ? Outre cela, était-ce vraiment utile ? On peut s'interroger, puisque les Russes continuent de renforcer leurs positions en dépit des sanctions. De plus, sachant les conséquences économiques qu'elles ont pour les pays européens, on se demande si cela n'arrange pas les États-Unis que l'Union européenne et la Russie soient moins soudées qu'elles pourraient l'être. En réalité, n'est-on pas en train de subir les effets d'un lobbying américain visant à affaiblir l'Union ?

M. Richard Yung. - Le SEAE créé des délégations dans le monde entier, y compris dans les États membres de l'Union européenne. Comment se fait le partage du travail avec les ambassades pour s'assurer qu'il n'y a pas de doublons ni, donc, de gaspillage d'énergie et d'argent ?

M. André Gattolin. - S'il est un domaine dans lequel l'Union européenne a des compétences, c'est dans la signature d'accords commerciaux bilatéraux et il en existe une multitude. Mais l'on parle commerce, et il semble manquer une vision géostratégique globale ; le rôle du SEAE n'est-il pas de donner un sens à cet ensemble ? D'autre part, où en est l'élaboration de la politique stratégique de l'Union au sujet de l'Arctique ? Une feuille de route a été rendue publique au début de l'année pour être discutée en mars ; qu'en est-il ? C'est l'Islande qui, dans trois ans, présidera le Conseil de l'Arctique et la Chine, qui a beaucoup investi dans ce pays, prépare déjà cette présidence ; que fait l'Union européenne, qui semble toujours avoir un temps de retard ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Les sanctions que l'Union européenne impose à la Russie coûtent très cher aux Européens ; l'Italie vient d'évaluer ce coût à 3 milliards d'euros pour elle seule, et l'on estime à 1,5 million le nombre d'emplois européens concernés. L'Union n'a pas intérêt à ce que la Russie, qui est un de ses grands partenaires économiques, soit trop affaiblie. Or, en dépit des entretiens positifs entre MM. Kerry et Lavrov et en dépit de la reprise de Palmyre grâce à la Russie, on a appris récemment que la Russie s'est vu refuser les crédits qu'elle recherche sur les marchés financiers internationaux après que le Trésor américain a passé des coups de fil non seulement aux banques américaines mais aussi aux banques françaises - déjà tétanisées par le « syndrome BNP-Paribas » - et à celles des autres pays de l'Union. Les États-Unis sont donc en train d'assécher la Russie, partenaire indispensable de l'Union européenne. Comment l'Union réagit-elle à ces derniers événements autrement plus graves que les sanctions, même si leurs effets sont durement ressentis en France, notamment par les agriculteurs ?

M. Alain Le Roy, secrétaire général du Service européen pour l'action extérieure (SEAE). - La future stratégie européenne de défense et de sécurité sera plus ambitieuse, monsieur Pueyo. L'opération Sophia a été décidée après que le naufrage de deux embarcations au cours du week-end du 18 avril 2015 a provoqué la noyade de 1 200 migrants au large des côtes libyennes. Le Conseil européen a alors engagé un plan de lutte contre les trafiquants d'êtres humains. Les équipages des navires utilisés à cette fin n'ont pas pour mandat explicite de sauver les migrants mais ils le font bien évidemment pour respecter la Convention sur le droit de la mer et l'obligation morale qui s'impose à eux. À ce jour, 9 800 personnes ont été sauvées. L'opération Sophia est en phase 2a, celle de l'arraisonnement en haute mer des embarcations servant aux passeurs et de l'arrestation de ces derniers. La phase 2b consistera à procéder de la même manière dans les eaux territoriales libyennes.

Toutefois, l'enclenchement des phases 2b puis 3, qui rendraient l'opération Sophia beaucoup plus efficace, suppose bien entendu que le gouvernement libyen en fasse la demande. C'est une autre des raisons pour lesquelles nous insistons avec force pour qu'un gouvernement d'union nationale s'installe en Libye.

Vous m'avez interrogé, monsieur Fromion, sur l'éventualité d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il est très peu probable que la Russie accepte de voter une résolution prévoyant une force d'interposition en Libye, que ce soit dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations Unies ou qu'il s'agisse de répondre à l'obligation de protéger - cette obligation, au demeurant, vaut pour la protection des hommes, non pour celle des sites. Il ressort des contacts pris avec la Russie qu'elle ne donnera pas ce mandat, et l'on peut penser que dans ce contexte la Chine s'y opposerait également

Au Maghreb, monsieur Quentin, la situation diffère selon les États considérés. La Tunisie doit être particulièrement aidée notamment compte tenu de sa transition démocratique et de sa fragilité socio-économique. Nous avons renforcé nos efforts et reçu le Premier ministre tunisien au Conseil des affaires étrangères il y a quelques mois, et M. Gilles de Kerchove, coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, s'est rendu en Tunisie. Nous aidons ce pays autant que nous pouvons mais, à mon sens, l'aide européenne devrait être plus massive encore.

Nos relations avec le Maroc sont excellentes mais elles se sont dégradées après que la Cour de justice de l'Union européenne, faisant droit en première instance à la requête du Front Polisario, a annulé l'accord commercial sur les produits agricoles signé entre le Maroc et l'Union. Mme Mogherini s'est rendu au Maroc et ce déplacement a rétabli les relations. Mais le Maroc reste très sensible à cette affaire. À la demande de la France, l'Union européenne a fait unanimement appel de la décision de la Cour et demandé que l'appel soit traité en procédure accélérée ; il y faudra de six à huit mois.

Nous nous interrogeons comme vous sur la succession, un jour, du président Bouteflika, et sur l'avenir économique d'une Algérie touchée de plein fouet par la baisse des prix du pétrole, alors que son économie est peu diversifiée. L'Union européenne est prête à renforcer sa coopération avec ce pays.

Je puis vous promettre, monsieur Fromion, que la future stratégie européenne de sécurité fera l'objet d'une version française. Vous noterez que toutes les conclusions du Conseil européen et du Conseil des affaires étrangères sont rédigées dans les deux langues. À l'ONU, le français est l'une des deux langues de travail, mais moins de 5 % des réunions se tiennent en cette langue. Au SEAE, près de 20% des réunions ont lieu en français, langue dans laquelle le président Jean-Claude Juncker s'exprime régulièrement. Mais c'est un travail de tous les jours...

Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, c'est sur le fondement de l'article 42-7 du traité de l'Union, jamais utilisé précédemment, que la France a choisi de solliciter l'assistance des autres États membres. D'autres possibilités s'offraient à elle : l'invocation de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord ou la mise en oeuvre de la clause de solidarité prévue à l'article 222 du traité sur le fonctionnement de l'Union. « Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire », l'article 42-7 fait obligation aux autres États membres de l'Union de lui apporter « aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ». La demande française ayant été unanimement approuvée, le Gouvernement a ensuite demandé aux autres pays membres, lors de contacts bilatéraux, un appui dans les frappes contre Daech en Syrie et en Irak et aussi une participation accrue aux opérations engagées au Sahel pour permettre à la France d'alléger son effort.

Le ministre français de la défense est mieux placé que je ne le suis pour vous donner des indications précises sur les formes qu'a prise l'assistance demandée par la France. Je rappelle qu'en Syrie les Britanniques participent aux frappes et que l'Allemagne a envoyé des avions ravitailleurs. D'autre part, de nombreux Européens sont venus relayer les forces françaises au Mali et d'autres vont participer à une mission de formation des forces armées en République centrafricaine, ce qui permettra d'alléger le dispositif français. D'autres offres de pays membres de l'Union relatives aux évacuations médicales sont en cours d'étude par le ministère de la défense. Tous les pays membres de l'Union se sont engagés sans réticence aux côtés de la France et je n'entends pas le Ministre de la Défense dire que la réponse n'est pas à la hauteur de ses attentes - mais, je vous l'ai dit, je ne puis donner à votre question qu'une réponse partielle puisque les aides offertes le sont dans un cadre bilatéral.

Il y avait urgence absolue à trouver un accord avec la Turquie au sujet du contrôle des migrants. La Turquie a exprimé des demandes très fortes en matière de visas et de processus d'adhésion à l'Union, si bien que l'ouverture d'un chapitre supplémentaire a été décidée, mais nul ne méconnaît l'état des opinions publiques européennes à l'égard de ce pays. Nous avançons dans le processus d'admission, mais personne ne s'est engagé sur le résultat final des négociations : l'engagement a porté sur l'accélération de l'ouverture de chapitres supplémentaires. On est à 15 chapitres sur 35, il reste du temps et l'on procède avec prudence.

Sur le plan juridique, monsieur Bonnecarrère, les accords de retour et de réadmission relèvent de la responsabilité de M. Dimítris Avramópoulos, commissaire chargé de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté, mais le SEAE est chargé de préparer le terrain et Mme Mogherini ainsi que moi-même et nos directeurs rencontrons régulièrement les exécutifs des pays considérés. L'accord de Cotonou, signé par tous les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, prévoit en son article 13 que « chacun des États ACP accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne, à la demande de ce dernier et sans autres formalités ». Cette clause n'est pratiquement pas mise en oeuvre. Nous réfléchissons actuellement à la période « post-Cotonou », à partir de 2020. Le conditionnement de l'aide au développement à la signature d'accords de réadmission n'est pas tranché faute de consensus entre Européens, mais le sujet est sur la table.

Pour ce qui est de l'Europe de la défense, les décisions du Conseil de juin 2015 n'ont pas été à la hauteur de ce qui était attendu, et l'on notera que l'engagement pris par les États européens au sein de l'OTAN de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires et 20 % de leurs budgets militaires aux investissements n'est pas repris par les mêmes pays au sein de l'Union européenne. J'ai reçu les représentants d'Airbus ; ils m'ont indiqué que faute d'effort européen plus marqué pour augmenter la capacité de défense commune, les entreprises telles qu'Airbus se recentreront sur les activités civiles et cesseront d'investir dans cette branche qui ne présente pas suffisamment de débouchés pour elles. Il y a là un problème majeur, et la nécessité d'un effort européen en matière de capacité de défense sera évoquée dans la stratégie globale que présentera Mme Mogherini, puis dans le livre blanc. La vente de la branche « électronique de défense » d'Airbus au fonds KKR est un exemple de cette désaffection. J'espère que, lors du Conseil européen de juin, les chefs d'État et de gouvernement rediront l'importance de l'effort de défense.

On estime entre 200 000 et 800 000 le nombre de migrants potentiels prêts à tenter la traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes. L'Union européenne ne ménage pas ses efforts : nous soutenons au maximum M. Martin Kobler, qui était invité lors du Conseil des affaires étrangères du 18 mars dernier. Les difficultés sont considérables. La traite d'êtres humains est évidente, et c'est pourquoi nous en appelons à un gouvernement d'union nationale qui pourrait demander aux États membres d'intensifier la lutte contre Daech.

Oui, monsieur Quentin, il est prévu de constituer un corps de garde-côtes européen ; on devrait savoir au mois de juin si, comme je le pense, on y parviendra.

Il est exact, monsieur Raison, que le volume du commerce américano-russe étant dix fois moindre que le commerce entre l'Union européenne et la Russie, les États-Unis sont moins gênés que l'Union par l'impact économique, par ricochet, des sanctions. Il est exact aussi que les États-Unis font du lobbying à Bruxelles, mais je puis témoigner que lorsque les décisions se prennent au Conseil européen sur les sanctions, ce n'est pas cela qui compte. En l'espèce, pour la Crimée, l'argument est que nous ne pouvons accepter l'annexion illégale d'un territoire, contraire aux valeurs européennes et au droit international. Les sanctions concernant la Crimée seront donc maintenues aussi longtemps que la Crimée restera sous souveraineté russe.

Pour ce qui est du Donbass, il y a des sanctions économiques et des sanctions personnelles. Un débat a lieu au sein du Parlement européen sur l'éventuel allégement des sanctions personnelles pour permettre au moins le développement des échanges interparlementaires. En revanche, il y a eu pour l'instant consensus au sein du Conseil européen sur le maintien des sanctions économiques et aussi des sanctions financières qui, comme le soulignait M. Pozzo di Borgo, ont un impact majeur sur les banques. On verra ce qu'il en est en juin. Les chefs d'État et de gouvernement savent parfaitement l'incidence des sanctions imposées à la Russie sur l'économie de l'Union européenne - de mémoire, on parle de 0,6 % du PIB communautaire - mais ils considèrent que, conformément à la décision prise, la levée des sanctions reste conditionnée par l'application complète des accords de Minsk. Si l'efficacité des sanctions était aussi faible que le pense M. Raison, la Russie ne demanderait pas régulièrement qu'elles soient levées ; en réalité, les sanctions financières limitent les investissements étrangers en Russie. Enfin, la décision ne relève pas du SEAE mais des chefs d'État et de gouvernement. Il est vrai, monsieur Pozzo di Borgo, que le « syndrome de l'amende BNP-Paribas » n'a pas disparu, si bien que les banques, notamment françaises, redoutant les effets de l'extra-territorialité judiciaire américaine, ont tendance à s'autocensurer. Je le redis, c'est aux gouvernements qu'il revient de trancher sur le maintien ou la levée des sanctions.

Monsieur Yung, il existe à ce jour 139 délégations de l'Union européenne dans le monde et nous comptons en ouvrir une nouvelle prochainement en Iran. Nos délégations ont pour principale fonction la mise en oeuvre des programmes européens, qu'il s'agisse d'accords de coopération ou d'accords commerciaux. Les chefs de délégation ont aussi pour tâche de tenter de coordonner la position européenne dans les différents sujets d'intérêt commun. À cette fin, ils réunissent les ambassadeurs des Vingt-Huit représentés, toutes les semaines ou plus généralement tous les mois, selon le pays hôte. Et, d'une manière générale, nos délégations sont impliquées dans la défense des droits de l'homme.

Nous essayons d'éviter les duplications, et nous avons constaté que certains « petits » États membres ont fermé leurs ambassades après que nous avons ouvert des délégations. Pour contenir les coûts, nous développons la « co-localisation », soit que l'Union européenne accueille la délégation d'un pays européen, soit l'inverse. Jamais les États membres ne nous demandent de fermer une de nos délégations ; ils sont globalement satisfaits du service que nous apportons, particulièrement quand ils n'ont pas de représentation nationale.

La politique commerciale, monsieur Gattolin, relève de Mme Cecilia Malmström, commissaire au commerce ; le SEAE a pour rôle de veiller à sa conformité aux orientations politiques de l'Union. Cela a été fait pour l'Accord économique et commercial global avec le Canada ; de même, pour ce qui concerne le traité transatlantique en cours de négociation entre l'Union européenne et les États-Unis. Il existe un Conseil des affaires étrangères « version commerce » devant lequel Mme Mogherini s'exprime. C'est Mme Cecilia Malmström qui pilote ces politiques mais elle rend compte devant le groupe des commissaires chargés des relations extérieures de l'Union dont j'ai fait mention, et le SEAE a pour rôle de préparer des notes expliquant en quoi les orientations commerciales suivies peuvent ou non être conformes aux orientations globales européennes. Mme Malmström a d'autres occasions de rendre compte aux États membres, quand elle s'adresse au comité des représentants permanents (Coreper).

Enfin, je devais recevoir M. Michel Rocard, ambassadeur de France chargé des relations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique, le jour où les attentats ont été commis à Bruxelles. La communication européenne relative à l'Arctique sera publiée en mai ou juin, un peu plus tard qu'initialement prévu ; mais ce sera un texte ambitieux. Sans avoir le statut d'observateur au Conseil de l'Arctique, l'Union européenne en a tous les attributs et peut faire entendre sa voix - et nous sommes conscients qu'il y a là un enjeu majeur.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. - Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, pour la précision de vos réponses. Nous avons prévu de recevoir bientôt M. Michel Barnier, et nous nous réjouissons d'accueillir Mme Mogherini. Mes remerciements vont aussi à nos collègues sénateurs

La réunion est levée à 18 h 40.

Jeudi 31 mars 2016

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Institutions européennes - Arrangement pour le Royaume-Uni : communication de Mme Fabienne Keller

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle une communication de Fabienne Keller sur l'arrangement pour le Royaume-Uni.

Je rappelle que le Conseil européen, réuni les 18 et 19 février, est parvenu à cet arrangement, qui comporte plusieurs volets. Mieux vaut regarder cet accord sous un angle positif. Avant la réunion du Conseil européen, nous avions nous-mêmes, sur le rapport de Fabienne Keller, formulé une résolution européenne, devenue résolution du Sénat le 16 février. Ce texte affirmait notre souhait de voir le Royaume-Uni rester dans l'Union européenne, se montrait ouvert au dialogue avec ce grand pays mais restait ferme sur la préservation des acquis de la construction européenne.

Un référendum sera organisé le 23 juin prochain au Royaume-Uni sur le maintien ou non dans l'Union. L'arrangement trouvé au Conseil européen est un élément important du débat. Mais on peut aussi penser que la réponse à la question de l'appartenance à l'Union dépendra plus profondément de l'état et de la sensibilité de l'opinion britannique à l'égard du projet européen. Sur ce point, il semble difficile de faire des pronostics très assurés.

Toujours est-il qu'il est intéressant à ce stade de faire un point sur ce qui a été décidé lors du Conseil européen.

Mme Fabienne Keller. - L'« arrangement » obtenu en février dernier par le Royaume-Uni constitue la réponse unanime de l'Union européenne, par la voix de ses 28 États membres, aux demandes britanniques de réforme de l'Union telles qu'elles ont été présentées par le Premier ministre britannique dans sa lettre au Président du Conseil européen datée du 10 novembre 2015.

Nous parlons d'« arrangement » parce qu'il s'agit de la traduction officielle du mot anglais « arrangement » qui n'a pas la même charge négative qu'en français. Il est évident qu'il aurait fallu préférer le mot « accord ».

Sur cet accord, quelques remarques liminaires. Le Royaume-Uni a obtenu moins que ce qu'il demandait, mais plus que ce que l'Union voulait d'abord lui concéder. C'est peut être le signe d'un bon compromis. Cet accord - somme toute modeste - n'est pas de taille à peser beaucoup dans le débat interne en Grande-Bretagne sur le maintien dans l'Europe. Sa force est avant tout symbolique dans la mesure où l'Union répond aux demandes britanniques, reconnaissant ainsi le poids de cet État membre dans l'Union ; en outre, si cet accord prend en compte des intérêts nationaux, il y a dans les mesures qu'il contient des germes de réforme qui peuvent mériter examen même pour les Européens convaincus que nous sommes. L'ensemble des dispositions de l'accord ne prendront effet que le jour où le Royaume-Uni informera le Conseil de sa décision de rester membre de l'Union européenne. Cela signifie que leur mise en oeuvre est reportée au lendemain du référendum du 23 juin prochain, à la condition expresse que le référendum débouche sur une confirmation du maintien du Royaume-Uni dans l'Union ; dans le cas contraire, l'accord sera nul et non avenu. Enfin, dans le cas où le Royaume-Uni se maintient dans l'Union, l'accord entrera en vigueur, car l'ensemble de ses dispositions ont été déclarées pleinement compatibles avec les traités, mais encore faut-il mettre en oeuvre les engagements qui y sont contenus de modifier le droit dérivé, en tant que de besoin, pour rendre ses mesures applicables, ce qui entraînera un nouveau délai.

J'en viens au fond de l'accord, qui reprend l'ordre des quatre demandes britanniques et je suggère d'en faire de même pour l'analyse.

Sur la gouvernance économique et la zone euro, en premier lieu, l'accord répond en grande partie aux inquiétudes britanniques. Il réaffirme la nécessité d'approfondir l'union économique et monétaire et demande aux pays non membres de la zone euro de ne pas entraver ce processus, lequel devra, en contrepartie, rester respectueux des droits et compétences des États membres non participants. L'Union se propose de faciliter la coexistence entre les deux groupes et réaffirme que tout discrimination entre personnes physiques ou morales fondée sur la monnaie officielle de l'État membre où elles sont établies ou sur la monnaie ayant cours légal dans cet État membre est interdite.

Il est précisé que le droit de l'Union relatif à l'union bancaire s'applique uniquement aux établissements de crédit situés dans la zone.

Toute dépense liée à la politique monétaire ne pourra être imputée qu'à la zone euro.

Enfin, si un membre du Conseil ne participant pas à l'union bancaire indique son opposition motivée à l'adoption d'un acte législatif relatif à celle-ci, le Conseil est tenu d'en discuter et l'État membre concerné de justifier son opposition en indiquant en quoi le projet ne respecte pas les principes de non-discrimination. Le Conseil doit alors faire tout ce qui est en son pouvoir pour aboutir dans un délai raisonnable à une solution satisfaisante. Il s'agit d'une procédure d'alerte et non d'un veto, mais sur ce chapitre, les demandes du Royaume-Uni ont été entendues.

S'agissant de la recherche d'une plus grande compétitivité, l'Union, en réponse aux demandes britanniques, rappelle que le marché intérieur est son objectif premier et que pour créer de la croissance et des emplois, elle doit renforcer sa compétitivité. En quoi faisant ? En réduisant les charges administratives et les coûts de mise en conformité pesant sur les opérateurs économiques. L'accord reprend ce qui est déjà contenu dans « Mieux légiférer » et dans le programme de la Commission dit « REFIT ». Il s'agit ni plus ni moins de simplifier, d'alléger, voire d'abroger, les textes législatifs quand ils gênent le développement des PME et des micro-entreprises.

En outre, l'Union s'engage à pousser les feux en matière de négociations commerciales avec les États-Unis, le Japon, l'Amérique latine et l'Asie Pacifique...

Sur ces points, l'accord se contente de réitérer un ensemble de promesses dont le seul mérite est de convaincre que le Conseil et l'Union sont « business minded » ou au moins « business friendly » - comme on dit en bon alsacien.

J'en viens au volet relatif à la souveraineté et à la défense des parlements nationaux.

Le Royaume-Uni ne sera plus tenu désormais de prendre part à une intégration politique plus poussée dans l'Union. De plus, l'accord reconnaît, à ce propos, que la référence à une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe » ne constitue pas une base légale pour étendre la portée des dispositions des traités et du droit dérivé de l'Union et ne peut en aucun cas être utilisé à l'appui d'une interprétation extensive des compétences de l'Union ou des pouvoirs de ses institutions. Cette référence à une « union sans cesse plus étroite » ne peut empêcher les différents États membres « d'emprunter différentes voies d'intégration » ni contraindre l'ensemble des États membres à aspirer à un destin commun.

Tout est dit et c'est pour ainsi dire la reconnaissance d'une Europe à deux vitesses.

Quant au principe de subsidiarité, en réponse à la position britannique, l'accord en offre une exégèse classique avant d'introduire une nouvelle règle capitale : dans le cas où les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représentent plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la présidence du Conseil inscrira - c'est un impératif - la question à l'ordre du jour du Conseil afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie.

À la suite de cette délibération, les représentants des États membres mettront fin à l'examen du projet d'acte en question ou ils le modifieront pour prendre en compte les préoccupations exprimées dans les avis motivés.

Sans aller jusqu'au droit de veto que souhaiteraient les Britanniques, il s'agit là d'une avancée majeure au profit des parlements nationaux et de l'amorce du rééquilibrage dans la répartition du pouvoir législatif entre les différents acteurs européens.

J'en arrive au plus délicat, soit aux aménagements à apporter au principe de la libre circulation des travailleurs. L'accord reconnaît qu'il est légitime de tenir compte d'une situation exceptionnelle et de prévoir au niveau de l'Union comme au niveau national des mesures qui permettront de limiter le flux des travailleurs quand il est d'une telle importance qu'il a des incidences négatives autant pour les États membres d'origine que pour les États membres de destination. C'est pourquoi l'accord reconnaît que le droit à la libre circulation peut souffrir des limites pour des raisons sociales et économiques ainsi que pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ainsi, si des raisons impérieuses d'intérêt général le justifient, la libre circulation des personnes peut être restreinte par des mesures proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi. Quelles sont ces mesures ?

Le « frein d'urgence », tout d'abord. C'est un mécanisme d'alerte et de sauvegarde destiné à faire face à l'afflux - d'une ampleur exceptionnelle et pendant une période prolongée - de travailleurs en provenance d'autres États membres. Ce mécanisme permet à un État membre, après examen et sur proposition de la Commission, de restreindre l'accès aux prestations liées à l'emploi de caractère non contributif. L'État membre concerné peut limiter, pendant une durée totale pouvant aller jusqu'à quatre ans, l'accès des travailleurs communautaires à ces prestations non contributives. Cependant, cette limitation doit être graduelle et un accès progressif doit être aménagé afin que le travailleur touche l'intégralité de ces prestations au bout de ces quatre ans. Ce type d'autorisation aura une durée limitée de sept ans. L'accord précise, aspect intéressant, que la Commission européenne estime qu'il ressort de la situation britannique que le Royaume-Uni peut déjà prétendre activer ce mécanisme.

Deuxième mesure, l'indexation des allocations familiales : les États membres reçoivent la possibilité d'indexer ces allocations sur les conditions qui prévalent dans l'État membre où l'enfant réside, mais cela ne sera valable que pour les travailleurs qui arriveront après l'entrée en vigueur de l'accord. Après 2020, la mesure pourra être généralisée.

La troisième série de mesures a trait aux mariages de complaisance et aux menaces à l'ordre public : l'arrangement prend des dispositions pour lutter contre les mariages de complaisance de ressortissants d'un État membre avec des personnes extra-communautaires dans le seul but de leur assurer l'entrée sur le territoire de l'Union et pour empêcher l'entrée de certaines personnes en provenance d'autres États membres et présentant une menace pour l'ordre public ou la sécurité.

Quatrième mesure, enfin, la limitation de la libre circulation des personnes lors de futurs élargissements : l'accord prévoit que lors des futurs élargissements de l'Union des mesures transitoires seront prises pour limiter la libre circulation des personnes en provenance des nouveaux entrants.

En conclusion, au-delà des détails techniques, quelle est l'essence du message envoyé ? En premier lieu, le principe de la libre circulation des personnes peut recevoir des aménagements en réponse à des situations spécifiques.

En deuxième lieu, l'Union respecte pleinement la libre organisation des systèmes sociaux nationaux.

En troisième lieu, l'Union doit réguler, mais sans la brider, l'activité des acteurs économiques.

En quatrième lieu, le principe d'une « union sans cesse plus étroite » ne peut s'opposer à ce que chaque État membre emprunte une voie différente d'intégration ni contraindre l'ensemble des États membres à aspirer à un destin commun.

En cinquième lieu, les traités doivent reconnaître qu'il y a deux groupes au sein de l'Union : la zone euro et les autres États membres n'ayant pas adopté la monnaie unique.

Enfin, le renforcement du rôle des parlements nationaux est en marche : ils sont associés plus étroitement au processus législatif.

M. Jean Bizet, président. - Ce dernier point est peut-être le point le plus important. Nous verrons ce que sera la décision du peuple britannique. Nous espérons tous, pour l'équilibre de l'Union, que la Grande-Bretagne fera le choix d'y rester, mais cela engage une nouvelle approche de l'Union, une Europe à plusieurs vitesses, une certaine émulation en matière de compétitivité venant corriger je ne dirai pas les excès mais certaines orientations britanniques un peu abruptes. Le débat est ouvert, il ne s'agit là que d'un rapport d'étape et peut-être sommes-nous à l'aube d'un nouveau départ - en Européen convaincu, je veux le croire. La démarche britannique doit être appréhendée sous un angle positif. L'Europe en a bien besoin. Il est clair, cependant - les simulations le montrent assez - qu'un Brexit serait très pénalisant pour la City, pour l'activité économique, pour le traité transatlantique, et avant tout pour les Britanniques.

M. Daniel Raoul. - Les parlements nationaux pourront-ils opposer un véto au cours du processus d'élaboration des textes ?

Mme Fabienne Keller. - Non, il faut 55 % des voix, soit un nombre significatif d'États membres, pour s'opposer à un texte.

M. Michel Raison. - Cela est-il déjà arrivé ?

Mme Fabienne Keller. - C'est une procédure nouvelle, qui prendra effet si les Britanniques décident de rester. Dans le processus de « carton jaune », où chaque parlement avait deux voix et qui exigeait de réunir un tiers des voix, il n'y avait pas obligation de réexamen par le Conseil. La force de ce dispositif, c'est que lorsque 55 % des voix sont réunies, il y a obligation d'inscription à l'ordre du jour du Conseil, ce qui crée, pour les chefs de gouvernement, une obligation politique. Le fait est que si plus de la moitié des parlements demande un changement, c'est qu'il y a un vrai problème de fond. Il y aura là un vrai exercice de contre-pouvoir.

M. Richard Yung. - Le Conseil aura élaboré et adopté telle ou telle proposition et les parlements pourront ensuite s'y opposer ? Ce qui veut dire qu'un chef de gouvernement, qui aura souscrit à ce texte dans le cadre du Conseil, pourra voir son parlement dire qu'il n'est pas d'accord. Curieuse situation.

M. Jean Bizet, président. - Le processus interviendra avant l'adoption finale.

M. Richard Yung. - Déjà que les choses ne sont pas simples, bon courage...

Mme Fabienne Keller. - Le processus d'élaboration des textes est très long. C'est dans la phase d'examen d'une proposition soumise par la Commission que nous donnerons un avis, ou menacerons de le donner, ce qui aura un effet sur les discussions préparatoires au Conseil. C'est l'exercice traditionnel de notre pouvoir d'influence, mais assorti de cette menace d'un vote négatif, ce qui n'est pas rien.

M. Richard Yung. - Je l'ai dit d'emblée, ce processus ne va pas, pour moi, dans le bon sens. Ce n'est pas la construction européenne que nous voulons. Les Anglais ont le droit de ne pas partager ces vues, mais nous devons nous tenir prêts à aller plus loin, en nous inspirant de la théorie des cercles concentriques. Car ce que nous voulons, c'est construire une union économique, monétaire et financière plus étroite avec l'Allemagne et l'Italie.

M. Daniel Raoul. - Et un peu sociale, non ?

M. Richard Yung. - Ce que je veux dire, c'est que nous souhaitons avancer au lieu de regarder vers Singapour et les moutons de Nouvelle-Zélande.

M. Éric Bocquet. - Le gouvernement britannique appelle à la vigilance sur ce qui pourrait entraver le développement des PME ? Il vient aussi, dans le dernier budget, de baisser l'impôt sur les sociétés, passé de 28 % à 20 % et annonce 17 % pour 2020. Et cela sans concertation, bien sûr, puisque l'on est dans un espace économique de concurrence effrénée. Autant dire que le Royaume-Uni pousse les feux très loin. N'est-ce pas de nature à peser sur nos propres choix fiscaux, à l'heure où certains qualifient notre fiscalité de confiscatoire ?... Le Royaume-Uni agit en pleine souveraineté, c'est son droit, mais dans le concert européen, cela pose une vraie question.

M. André Gattolin. - Je ne vous suis pas totalement lorsque vous dites que l'on entre dans une Europe à deux vitesses, avec la zone euro d'un côté et le reste de l'autre. On est, en réalité, en train de créer une troisième dislocation. Pour l'heure, la Grande-Bretagne, le Danemark sont dans l'opt-out, notamment sur l'euro, mais tous les autres membres sont dans un processus d'adhésion à l'euro. Là, j'ai le sentiment que l'on est en train de créer un statut particulier pour la Grande-Bretagne, notamment sur la question des droits sociaux des travailleurs intra-européens. Toutes les enquêtes britanniques montrent que les citoyens de l'Union qui travaillent en Grande-Bretagne ont un taux de qualification, d'activité, de rémunération et donc de cotisations sociales supérieurs à l'Anglais moyen. Or, la Grande-Bretagne nous dit que tous ces gens que son attractivité économique amène chez elle lui coûtent très cher, en oubliant qu'ils lui rapportent aussi. Et avec cet arrangement, ils vont lui rapporter plus encore puisqu'elle ne versera pas un certain nombre de prestations sociales. M. Cameron vante le dynamisme de son économie en oubliant que son attractivité repose non seulement sur un coût du travail faible mais surtout sur des charges sociales et patronales extrêmement faibles. Ce dumping social lui attire du monde, mais il ne veut pas en payer le prix. Il y a là un paradoxe, et la Grande-Bretagne se comporte, en cela, un peu comme elle le fait pour l'immigration : avec les accords du Touquet, c'est sur les épaules de la France que repose le soin d'assurer son contrôle aux frontières.

L'Union européenne essaye d'habiller la dérogation qu'elle va consentir aux Britanniques d'un cadre plus générique, mais en réalité, elle crée un statut particulier. C'est une situation très ambiguë. D'autant que les derniers sondages ne sont pas favorables au maintien dans l'Union, les deux camps sont au coude à coude. Que deviendront toutes ces concessions à l'issue du référendum ? S'il tranche pour le Brexit, j'ai tendance à penser que l'on renégociera pour en conserver tout de même quelque chose.

M. René Danesi. - Je ne suis pas un chaud partisan de la doxa anti-Brexit, au contraire. J'ai voté non au référendum organisé par le président Pompidou sur l'adhésion de la Grande-Bretagne, et je ne l'ai pas regretté une minute. J'étais convaincu à l'époque - et les faits ont montré que je n'avais pas tort - que la Grande-Bretagne n'entrait dans le marché commun que pour veiller à ce qu'il reste un simple marché commun. Il s'agissait de tuer dans l'oeuf toute ambition d'une Europe politique, d'une Europe fédérale - que j'appelais de mes voeux. L'Europe est de fait devenue un vaste ensemble économique libéral où sévit la concurrence entre les salariés, entre les économies, entre les États. Avec cette conséquence que la dérégulation, par le haut, produit, à l'autre bout, des milliers de normes. En revanche, pas l'ombre d'un chantier social, pas l'ombre d'un chantier fiscal. Au contraire, la Grande-Bretagne est en train de devenir, au nez et à la barbe de tout le monde, un paradis fiscal, avec son taux de 17% d'impôt sur les sociétés - que je vous invite à comparer au taux français.

Comment en est-on arrivé là ? Par l'élargissement permanent. Si bien qu'avec 28 États, la dynamique franco-allemande, qui était le moteur du processus européen, est noyée. Cela entraîne à l'évidence une paralysie des institutions. La règle de l'unanimité ne fonctionne pas, elle ne peut pas fonctionner. Et les deux avancées que constituaient, par rapport au marché commun, l'euro et Schengen, sont en voie de dislocation. Sous le coup des événements, certes, mais aussi parce qu'à un si grand nombre, on n'arrive jamais à se mettre d'accord.

Sans compter que cette course à l'élargissement a jeté l'Europe dans une politique extérieure parfaitement aventureuse. Sous l'égide de L'OTAN, c'est à dire des États-Unis. Il y a une dizaine d'années, de bons esprits nous expliquaient que la Turquie faisait partie de l'Europe et qu'il fallait qu'elle y entre. Personne n'a voulu voir que le Président Erdogan se servait de ce miroir aux alouettes pour régler son compte à l'armée qui veillait à ce que la Turquie reste un État laïc. Et il a réussi à liquider son influence politique, donc celle de la laïcité, sous les applaudissements de l'Europe. Il faut le faire ! A suivi cette aventureuse politique de voisinage, qui oubliait que nos voisins avaient d'autres voisins. Et quels voisins ! La Russie ! Sans doute dans les années 1990 était-elle encore très déstabilisée mais dès que l'ours russe s'est remis sur ses pattes, ce n'était plus jouable. Cela nous a amenés tout droit à la confrontation. Avec, accessoirement, les conséquences que l'on sait sur le monde agricole français.

Ceci pour dire que j'espère que les Anglais voteront non. Puissent-ils nous quitter, enfin ! Et que l'Europe saisisse sa chance de revenir à ses fondamentaux. Si cela doit passer par une Europe à plusieurs vitesses, peu importe, ce qui compte, c'est le noyau dur. Si je dis dur, c'est en n'oubliant pas que l'Allemagne a la tête dure, mais enfin... La conséquence - je parle sous le contrôle de notre ami Yves Pozzo di Borgo - c'est que l'on retrouvera des relations apaisées avec la Russie. Comme l'a fort bien dit le général de Gaulle, l'Europe va de l'Atlantique à l'Oural. Mais pas jusqu'à Washington !

M. Didier Marie. - Comme je l'ai dit lors de nos précédentes réunions, David Cameron joue avec le feu. Bien qu'il ait obtenu un certain nombre d'aménagements en faveur de la Grande-Bretagne, la population ne votera pas là-dessus. Les sondages, comme le rappelait André Gattolin, ne sont guère rassurants. M. Cameron porte ainsi un très mauvais coup à la construction européenne. Soit c'est le Brexit, avec les conséquences économiques que l'on sait, soit c'est le maintien dans l'Union, mais avec un arrangement dont les dispositions pourront à l'avenir être revendiquées par tout autre pays qui ferait valoir ses particularismes. Entre deux maux, il faut choisir le moindre : mieux vaut que la Grande-Bretagne reste dans l'Union. Mais cela appellera de la part du couple franco-allemand, une initiative politique rapide, pour amener un rebond de la construction européenne. Cela passe par la construction d'un noyau dur mais suppose d'aller, au-delà, vers un parlement de la zone euro, de prendre des initiatives en matière de convergence sociale et fiscale, de réaffirmer notre politique extérieure commune, qui a besoin, comme l'a montré la crise des réfugiés, de plus d'intégration et de volonté.

Si ces initiatives n'étaient pas rapidement prises, le risque de délitement de la construction européenne est réel. Nous avons donc tout intérêt, quelle que soit notre sensibilité politique, à plaider pour un tel rebond.

M. Jean-Paul Emorine. - M. Cameron choisit le moment où l'Europe est fragilisée dans ses frontières pour négocier son « chèque ». C'est lancer un très mauvais signal, alors que l'Union a besoin de cohésion. Si chaque pays en vient à négocier pour y rester, on ne s'en sortira pas.

Que le Brexit ait lieu ou non, on fera avec. Je m'interroge, en revanche, sur la portée des avis des parlements nationaux. Que nous puissions rendre de tels avis est une bonne chose, mais cela n'est pas sans danger si les voix sont discordantes. On l'a vu avec l'agriculture. Aujourd'hui, nous n'avons plus une mais des politiques agricoles communes, ce qui nous met dans une situation de concurrence déloyale. Comme l'ont rappelé Richard Yung et Didier Marie, notre objectif doit être de construire une Europe solide et c'est pourquoi la demande britannique me déplaît beaucoup.

M. André Reichardt. - À mettre en regard cet arrangement et le projet de directive sur les travailleurs détachés, je me pose la question de la cohérence. Je me félicitais de ce projet de directive, qui vise à faire en sorte que les conditions de travail dans le pays d'accueil s'appliquent à tout le monde. Or, l'arrangement va au rebours. C'est toute la politique stratégique de l'Union qui, à ce compte, peut être remise en cause, car où est la cohérence ? Cet accord, camouflé sous des préoccupations d'ordre général, m'inquiète, car chacun pourra s'en saisir, alors qu'il contredit d'autres aspects des politiques européennes, qui vont vers plus d'intégration.

M. Yves Pozzo di Borgo. - J'ai été ravi d'entendre mon ami Danesi. J'étais, à l'époque à laquelle il fait référence, dans le même état d'esprit et je retrouve dans son propos l'essence de la construction européenne.

Nous sommes à la croisée des chemins. Nous nous rendons compte que nous sommes trop petits pour faire face à la mondialisation, et qu'il faut aller vers plus de fédéralisme. Un exemple. Il y a quelques jours, on a appris que les Russes, mis en difficulté par la baisse des prix du pétrole, voulaient emprunter sur les marchés financiers. Coup de fil du Trésor aux banques américaines : pas question de prêter un centime aux Russes, sous peine de rétorsion. Même chose avec les banques européennes, qui ont, furieuses, dû obéir. Cela donne la mesure de la puissance américaine. Or, si la France, l'Allemagne et l'Italie étaient unies, nous serions capables de résister.

Autre exemple, on nous annonce ce matin la sortie de la nouvelle BMW Tesla, avec un chargement électrique qui donne une autonomie de 400 à 450 kilomètres. Or, la valorisation du groupe est à elle seule supérieure à celle de Peugeot et Renault réunis. Si Tesla réussit, cela va tuer notre industrie automobile. L'Europe ne devrait-elle pas faire, dans ce secteur, comme elle a fait pour Airbus, et aider les entreprises à investir ? Nous avons tout intérêt à retrouver l'état d'esprit des origines, si nous ne voulons pas nous retrouver à la traîne de la Silicon Valley, où s'opèrent des choix industriels essentiels. Voyez le numérique : les Américains ont leur système, les Chinois ont leur système et nous, nous n'existons pas.

Autre exemple, encore, on a appris que les Américains envoient des chars à l'Est. Imaginez l'humiliation que cela représente ! C'est à peu près comme si nous en envoyions au Mexique parce qu'il craindrait un voisin ! Il ne s'agit pas ici de faire de l'anti-américanisme, mais alors que l'Europe est une vraie force économique, nous restons amorphes ! Je rejoins mon ami Danesi, avec lequel je partage une histoire militante, il faut aller vers plus de fédéralisme.

Quant aux Anglais, s'ils nous quittent, je ne suis pas sûr qu'ils en profitent beaucoup. Les marchés financiers en seront ébranlés et l'on peut s'attendre à des transferts d'entreprises, qui viendront sur la zone euro. Alors que l'Angleterre n'est pas autre chose qu'un paradis fiscal « légal », je ne suis pas persuadé que sa sortie ne soit pas favorable à la construction européenne.

Mme Fabienne Keller. - Je vous remercie de ces nombreuses interventions, qui regardent vers l'avenir. Richard Yung s'inquiète de voir disparaître la notion d'une union « sans cesse plus étroite ». Bien qu'elle soit plus déclarative que juridique, il est vrai qu'elle n'en marque pas moins avec force l'esprit de la construction européenne.

M. Richard Yung. - Sera-t-elle même conservée dans les textes ?

Mme Fabienne Keller. - En cas de modification du traité... On touche là à une symbolique très puissante.

Éric Bocquet et Yves Pozzo di Borgo ont posé la question de la cohérence de la politique fiscale et économique de l'union monétaire. Vaste sujet, qui engage non seulement la question des taux mais celle des bases fiscales. Les groupes multinationaux ne sont pas au taux nominal, auquel seules les PME, attachées à un territoire, sont soumises. Il faut à tout prix harmoniser tant les bases que les taux. D'autant que la France est, à cet égard, en mauvaise posture face à certains États membres qui essayent, on peut le comprendre, de sauver une partie de leur activité. Seul un débat au sein de la zone euro nous permettrait d'avancer. Ce qui ne règle pas, cela dit, le cas du Royaume-Uni.

André Gattolin craint que le statut particulier qui serait reconnu au Royaume-Uni ne crée un risque supplémentaire de dislocation. Mais ce pays jouit déjà d'un statut particulier, qui ne date pas d'hier. Je reste prudente sur ce qu'il a dit des sondages, car il semblerait que la plupart sont des sondages par internet, qui comportent des biais énormes. J'ajoute que de tels pronostics peuvent aussi susciter un réflexe pro-européen.

René Danesi, dans son exposé très complet, s'est inquiété des risques de dislocation de l'euro et de Schengen. Je rappelle cependant que le Royaume Uni n'y est pour rien, puisqu'il ne fait partie ni de l'un ni de l'autre. Si Schengen est déstabilisé, c'est plutôt par la poussée de l'immigration, des difficultés posées aux pays du sud et du terrorisme. Et si l'euro l'est, c'est du fait de notre propre fragilité économique. Quant à son analyse sur nos relations avec la Russie et la Turquie, je dirais qu'elle va bien au-delà de celle que j'ai livrée.

Jean-Paul Emorine a souligné à juste titre qu'il n'y avait plus de politique agricole commune, une politique qui a pourtant longtemps été au coeur de la volonté européenne.

M. Jean Bizet, président. - Elle a été la première !

Mme Fabienne Keller. - Et fut un grand succès de l'Union européenne, soucieuse d'assurer sa sécurité alimentaire.

Il nous a dit combien la démarche britannique lui déplaisait. N'oublions pas que c'est la démarche d'un État en prise à des difficultés internes, où le pouvoir est éclaté entre eurosceptiques et europhiles et dont le chef du Gouvernement, victime d'un populisme que tous les États membres connaissent aussi, a trouvé la solution du référendum pour franchir le cap des législatives. Il ne faut pas perdre de vue l'origine de cette démarche, même s'il est vrai qu'elle est susceptible de déstabiliser les principes fondamentaux de l'Union européenne.

André Reichardt s'inquiète de la cohérence avec la directive travailleurs détachés. Je rappelle cependant qu'à la différence des autres États membres, la Grande-Bretagne n'est guère concernée par cette directive. Elle est plutôt confrontée à des migrants intra-européens qui s'installent sur son territoire. Il est vrai cependant que pour les autres pays européens, se pose un problème de cohérence.

Yves Pozzo di Borgo a souligné que nous sommes trop petits pour faire face à la mondialisation, alors que les États-Unis sont partout. Ne perdons pas de vue, cependant, que les Américains sont aussi souvent nos alliés sur beaucoup de sujets.

J'en viens à la question principale. Le Brexit serait-il ou non une catastrophe ? On pourrait certes considérer, comme certains, que ce serait loin d'être un drame, et qu'il n'y a pas de quoi sonner l'alarme au seul motif que l'insularité des Britanniques les porte à une démarche britanno-centrée. Mais souvenez-vous des propos de Mme Bermann, ambassadrice de France au Royaume Uni, lors de son audition. Elle rappelait qu'un pays comme la Chine, qu'elle connaît bien pour y avoir été en poste, constaterait purement et simplement, en cas de Brexit, que la zone Europe connaît une inversion brutale de dynamique du fait de la sortie d'un Etat membre, et non des moindres. Si donc on peut considérer qu'un Brexit ne changera, techniquement, pas grand chose, et que l'on montera vite des accords à l'image de ceux que l'on a passés avec la Norvège ou la Suisse, il reste qu'au plan politique, le regard du monde sur l'Union européenne peut changer brutalement, avec des conséquences considérables sur la place de l'Europe dans le monde. C'est pourquoi je suis résolument favorable au maintien du Royaume Uni dans l'Union.

Le débat n'est pas terminé. Nous nous rendrons sur place, avec Jean Bizet, pour suivre les élections et vous livrer une analyse des forces en présence. Vous avez vu que récemment, le ministre des affaires sociales, Ian Duncan Smith, a quitté le Gouvernement, que le maire de Londres, Boris Johnson, a pris position pour le Brexit. Les forces en présence sont mouvantes et nous vous proposerons, fin mai ou début juin, une analyse plus poussée.

M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis de la qualité des échanges sur un sujet extrêmement important. Il est vrai que pour des raisons de politique intérieure, M. Cameron s'est engagé dans une démarche dangereuse. J'insiste sur le fait que si Brexit il y avait, l'arrangement deviendrait caduc et ne pourrait s'appliquer à d'autres États membres. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela pourrait donner des idées à certains, mais enfin...

Le référendum est un outil qu'il faut manier avec beaucoup de précaution. Comme disait Woody Allen à propos des référendums : « La réponse est non. Rappelez-moi la question ? » Quelle que soit la décision du peuple britannique, nous serons amenés à réfléchir à un rebond du fonctionnement de l'Union européenne. Notre commission s'honorerait à le faire. Comme l'a rappelé Fabienne Keller, l'Europe est sous le regard de ses grands voisins.

Pour faire écho au propos d'Yves Pozzo di Borgo au sujet de la puissance américaine, je relève que dans le cadre de la négociation sur le traité transatlantique, M. Obama devrait, pour lui donner un dernier coup d'envoi, se rendre en Europe avant la fin de son mandat, et ce sera vraisemblablement plutôt en Allemagne et à Londres...

Il est indispensable que nous donnions, avant la mi-décembre, notre analyse sur le statut d'économie de marché de la Chine, et notamment sur la question du « droit moindre ».

J'ajoute que l'on ne peut négocier sereinement sur le traité transatlantique avec cette épée de Damoclès que représente l'extraterritorialité de la loi américaine. Nous ne pourrons peser que si les États membres sont unis.

Économie, finances et fiscalité - Mise en oeuvre de la stratégie numérique de l'Union européenne : communication de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot

M. Jean Bizet, président. - Nous allons entendre à présent la communication d'André Gattolin et Colette Mélot sur la mise en oeuvre de la stratégie numérique de l'Union européenne.

Nous pouvons suivre la Commission européenne dans sa proposition de construire un marché unique du numérique. Il y a là un enjeu économique majeur pour permettre à l'Europe de retrouver le chemin de la croissance et de la création d'emplois. Mais on ne saurait sous-estimer les obstacles encore nombreux qui entravent la réalisation de cet objectif.

Nous avons souligné au Sénat que l'Union européenne ne pouvait pas être une simple consommatrice. Elle doit aussi être productrice sur le marché unique numérique. Nous devons nous préoccuper de la perte de souveraineté de l'Union européenne sur ses données. Nous sommes depuis longtemps très vigilants sur la protection des données personnelles. Nous nous sommes préoccupés du maintien du niveau de protection de nos consommateurs dans le cadre des achats en ligne, en adoptant un avis motivé.

La gouvernance de l'Internet a aussi fait l'objet de travaux et de résolutions du Sénat, sur le rapport de notre collègue Catherine Morin-Desailly. L'Europe devrait jouer tout son rôle pour promouvoir un Internet conforme aux valeurs démocratiques et aux droits et libertés fondamentaux.

Nous souhaitons une régulation effective des grandes plates-formes qui occupent une position dominante qui peuvent leur permettre d'imposer leurs vues à des PME sous-traitantes.

Le Sénat est saisi du projet de loi pour une République numérique qui a été adopté par l'Assemblée nationale en janvier. Il l'examinera en mai. Il est donc nécessaire de nous interroger sur la cohérence entre l'agenda européen et l'agenda national.

Il ne vous a pas échappé en lisant les journaux économiques nationaux que le débat sur le statut et les fonctions de l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) fait rage. Il s'agit d'une société de droit privé à laquelle les Américains ne sont pas prêts à renoncer. Là encore, ne pas jouer collectif nous met en position de faiblesse.

M. André Gattolin. - Il y a pratiquement un an, la Commission européenne présentait une ambitieuse stratégie numérique pour l'Union européenne. Après les annonces, viennent les actions et nous voulions, avec Colette Mélot, faire un point avec vous.

Seize initiatives étaient annoncées. Où en est-on ?

On peut dire que la Commission européenne a été assez méthodique et volontaire. Après l'annonce de sa stratégie, et avant que celle-ci ne soit définitivement validée par le Conseil et le Parlement européen, elle a lancé une série de consultations publiques sur différents aspects de la politique numérique. Il est bon de suivre ces consultations, car notre parole de parlementaires est écoutée dans ces travaux préalables. L'une, en cours, porte sur le statut de la Chine à l'OMC. Concernant le numérique, la dernière consultation a été lancée il y a moins d'une semaine, le 23 mars dernier. Elle concerne la place des éditeurs dans la chaine de valeur des droits d'auteurs et l'exception de panorama.

Cette question des droits d'auteur est très importante à l'ère numérique et particulièrement pour notre pays. La Commission européenne avait initialement prévu de présenter une proposition législative sur le sujet en juin. D'après nos informations, ce sera pour l'automne, au mieux. Je ne pense pas que cette réforme sera enterrée, mais je crois que les Commissaires se sont rendu compte qu'il convient d'avancer prudemment sur ce sujet sensible.

Pour le reste, la Commission européenne a poursuivi ses travaux. Elle a déjà soumis au Conseil quatre propositions de texte. Deux concernaient les transactions en ligne et ont fait l'objet d'un avis motivé du Sénat au titre de la subsidiarité. Vous vous souvenez certainement que nous nous étions émus d'une harmonisation totale du droit des consommateurs qui aboutirait à un affaiblissement de la protection des consommateurs français, sachant que notre droit est plus protecteur. Hélas, nous avons été peu suivis par les autres parlements. La raison est double : d'une part, peu d'États membres disposent d'un droit de la consommation qui couvre déjà les transactions en ligne et la plupart sont donc en attente d'un texte européen ; d'autre part, beaucoup de petits pays ont intérêt à développer le commerce transfrontière pour les exportations de leurs entreprises.

De son côté, le Gouvernement français partageait notre préoccupation. Par conséquent, lors des négociations qui ont déjà débuté, il demande que les aspects qui nous posent problème soient exclus de l'harmonisation maximale pour ne faire l'objet que d'une harmonisation minimale. Je rappelle que les directives d'harmonisation maximale ne permettent pas de mieux-disant ; ce sont des règlements qui ne disent pas leur nom. Mais du moins, les négociations semblent avancer assez vite, ce qui était aussi un engagement de la Commission pour mettre en oeuvre sa stratégie numérique, et nous pouvons espérer obtenir satisfaction.

Le troisième texte concerne la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur. Notre compatriote Jean-Marie Cavada, Président du Mouvement européen-France, a été nommé rapporteur de ce texte pour le Parlement européen. Je propose que Colette Mélot et moi-même le rencontrions pour recueillir son avis avant de vous présenter notre position.

Le quatrième texte est une proposition de décision sur l'utilisation de fréquences 470-790 MégaHertz dans l'Union. Jean Bizet nous l'avait soumis par procédure écrite car il ne semblait pas poser de difficulté. La proposition reprend en effet dans les grandes lignes la position des autorités nationales et s'inscrit dans la continuité du rapport de Pascal Lamy sur le sujet. Toutefois, elle semble poser des difficultés aux radiodiffuseurs. Peut-être pourrions-nous entendre un représentant de TDF pour y voir plus clair.

J'en viens maintenant aux projets à venir. Devant le Parlement européen le 19 janvier, le vice-président Ansip, en charge de la stratégie numérique, a fait des annonces concernant le calendrier d'un certain nombre de réformes. Un document vous a été distribué sur lequel je pourrai revenir si vous le souhaitez.

Je voudrais insister sur le « paquet Industrie » annoncé pour le début du mois d'avril. Il s'appuierait sur trois communications visant l'informatique en nuage avec la création d'un cloud européen, la normalisation des technologies de l'information et de la communication et enfin l'amélioration des compétences des Européens dans le numérique.

Il s'agit du volet de la stratégie européenne pour lequel, je pense, la France et le Sénat doivent être force de proposition. En effet, la Commission européenne est toujours plus prompte à réglementer qu'à laisser les États membres agir. Pourtant, on le sait bien, l'accès au financement pour le développement des start-ups reste difficile en Europe, alors qu'il est aisé sur le continent américain, voire en Asie. De la même façon, l'Union européenne ne permet pas assez aux États membres de soutenir certains secteurs ou certaines industries, là où Canadiens, Américains et Asiatiques ne se gênent pas !

L'Union européenne pourrait s'inspirer du régime qu'elle a mis en place pour les technologies clés génériques, les « kets » selon l'acronyme anglais (key enabling technologies). Il s'agit de technologies à vocation pluridisciplinaire qui peuvent produire des résultats prometteurs pour la recherche et pour l'économie en proposant de nouvelles technologies industrielles, de nouveaux services et des applications encore inédites. Elles nécessitent qu'on investisse très en amont et sur du moyen à long terme. L'Union a prévu un financement par le programme cadre de recherche et d'innovation Horizon 2020 de 6 milliards d'euros, couplé à un régime dérogatoire aux règles encadrant les aides d'État. L'Union européenne stimule la concurrence mais empêche du coup, sur des secteurs industriels stratégiques, tout interventionnisme des États nationaux. Il devient pourtant urgent d'avoir une vision stratégique et les États nationaux qui le souhaitent doivent pouvoir agir dans ce domaine qui réclame des investissements massifs. L'essentiel, dans ce régime d'aides, est de ne pas prévoir de conditions trop complexes et trop rigoureuses afin qu'il reste attractif et donc efficace.

Dans la résolution du Sénat du 30 juin 2015 pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse, nous plaidions pour une véritable politique industrielle en faveur du numérique dans l'Union européenne. Sur la base des propositions que la Commission européenne va émettre, je crois qu'il faudra travailler à préciser notre vision pour permettre à l'Union européenne de développer sa propre industrie numérique européenne. Les enjeux sont importants - or, si l'Union européenne facilite l'harmonisation du marché, elle reste, en matière de politique industrielle, en retrait. Je terminerai en en ajoutant deux : le Big Data, le traitement des données de masse, un secteur d'avenir mais qui implique qu'on s'y intéresse aujourd'hui, et la régulation des plateformes dont on voit qu'elle est nécessaire et dont Colette Mélot va vous parler.

Mme Colette Mélot. - C'est en effet un sujet que je voudrais aborder avec vous car il est au coeur d'une interrogation que peut susciter le projet de loi pour une République numérique qui a été transmis au Sénat : faut-il légiférer sur le numérique au niveau national ou au niveau européen ? Faut-il réguler les plates-formes au niveau national ou au niveau européen ?

Comme vous le savez peut-être j'ai été nommée rapporteur de la commission de la culture sur ce projet de loi et m'y suis donc intéressée de près. En premier lieu, le texte consacre la neutralité d'Internet déjà approuvée au niveau européen. Il charge l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, de veiller au respect de cette règle.

Autre apport majeur, la définition des plates-formes et l'instauration d'une obligation de loyauté. Qu'est-ce que cette obligation ? C'est celle de « délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente ». Il s'agit donc simplement d'une obligation d'information, somme toute peu contraignante. Mais elle marque le début d'une régulation des plates-formes dans notre pays.

Pour certains comme le président de l'ARCEP, Sébastien Soriano, il s'agit d'une erreur et la régulation de ces plates-formes devrait se faire uniquement au niveau européen. On peut pointer deux risques inhérents à une réglementation uniquement nationale. Le premier tiendrait à un manque d'efficacité - comment imposer une obligation à une entreprise qui n'est pas sur le sol français ? Deuxième risque, l'obligation ne s'appliquerait finalement qu'aux entreprises françaises, voire européennes et briderait leur développement face aux géants de l'Internet américains.

Lorsque nous avons entendu Alexandre Tisserant, directeur-adjoint du cabinet d'Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, celui-ci a fait valoir plusieurs arguments qui, je crois, ne sont pas tous en contradiction avec l'idée d'une régulation européenne.

Tout d'abord, il y a l'argument juridique : le règlement « Rome I » fixe des règles à l'échelle de l'Union européenne pour déterminer la loi nationale applicable aux obligations contractuelles en matière civile et commerciale impliquant plusieurs pays. Pour le Gouvernement, en application de ce règlement, l'obligation de loyauté s'appliquerait aux plates-formes dont les services sont employés par les consommateurs français, quel que soit le pays où elles ont leur siège.

Ensuite, le cabinet de la ministre estime cette obligation de loyauté assez faible. Qu'une entreprise ait obligation d'informer le consommateur ne devrait pas l'empêcher de se développer.

Enfin, et c'est je crois l'argument le plus important, l'adoption d'une loi française ne va pas nécessairement à l'encontre de l'adoption d'une réglementation européenne sur les plates-formes. Des échanges entre la Commission européenne et le ministère, il ressort que cette dernière envisage de définir les plates-formes et de leur imposer des obligations. Nous pouvons nous en réjouir. Mais elle regrette que la France n'ait pas attendu qu'elle le fasse. Face à quoi le Gouvernement fait valoir deux arguments. Le premier tient au délai d'adoption d'un texte européen. La phase de consultation publique ne s'est terminée que le 6 janvier 2016. Il faut désormais que la Commission rédige une proposition qui sera soumise au Conseil et au Parlement européen. En pratique, le futur texte n'entrera en vigueur que dans quatre ou cinq ans. Pour le ministère, il sera toujours temps, alors, d'adapter la loi française s'il le faut. Deuxième argument, l'influence de la France dans l'élaboration de la future réglementation européenne. Le ministère estime qu'il sera plus facile de peser dans la discussion si la France dispose d'une loi déjà en vigueur.

Ces arguments me paraissent fondés. Nous déplorons tous le temps que peut prendre l'adoption d'une directive ou d'un règlement européen. J'évoquerai dans un instant celui sur la protection des données. Et nous constatons régulièrement les difficultés qui existent déjà avec les plates-formes en ligne.

Tout le monde a en tête la protection des données pour laquelle la loi sur la CNIL de 1978 avait fortement inspiré le règlement européen de 1995. La France peut montrer l'exemple. J'émettrai simplement une réserve sur l'influence réelle de notre pays. À la commission des affaires européennes, nous sommes bien placés pour constater que l'influence française est en baisse dans une Europe à vingt-huit.

Au plan économique, le problème ne tient pas uniquement à la réglementation. Comme l'a rappelé André Gattolin et comme nous l'a dit ici même le Président de l'ARCEP, nous ne nous donnons pas les moyens, au niveau européen, de faire émerger des acteurs susceptibles de concurrencer les grands groupes américains. Là est le problème. Il nous manque une politique industrielle européenne en faveur du numérique.

Je reviens à la protection des données personnelles. Là aussi, le projet de loi présente des avancées. Toutefois, la rédaction de certaines dispositions diverge du projet de règlement européen. Ce dernier a fait l'objet d'un compromis en janvier dernier entre les institutions européennes. Il devrait - le conditionnel est important ! - être adopté par le conseil Justice et Affaires intérieures le 21 avril prochain et par le Parlement européen réuni en séance plénière à la même période.

Le cabinet d'Axelle Lemaire nous a assurés que des amendements au projet de loi sont d'ores et déjà prévus au cas où le règlement serait adopté. Ils pourraient être introduits lors de la discussion en séance publique au Sénat, qui débutera à la fin du mois d'avril. C'est le cas des dispositions concernant le droit à l'oubli pour les mineurs. Le projet de loi suit la logique du projet de règlement, mais il faudra adapter le premier en fonction de la rédaction finale du second.

Bien que l'on puisse se demander pourquoi le projet de loi ne suit pas déjà le texte du règlement, on voit que le Gouvernement n'avance pas indépendamment de l'Union européenne. Un autre exemple relatif à la protection des données personnelles en témoigne. Le projet de loi encadre la « mort numérique », c'est-à-dire le devenir des données personnelles après la mort. Cela se fait conformément à l'accord trouvé sur le règlement européen, qui avait prévu de laisser cette question aux législations nationales.

Viennent encore des dispositions concernant les pouvoirs de la CNIL, la portabilité des données ou encore le secret des correspondances sur lesquelles je pourrai revenir, si vous le souhaitez.

J'en termine par deux sujets qui occupent beaucoup le rapporteur pour la commission de la culture que je suis : le libre accès aux données de la recherche et la fouille de données, qu'on appelle, en bon français, data mining. Je précise que la commission de la culture est saisie au fond sur ce sujet.

Sur le premier point, le Gouvernement suit un mouvement déjà engagé en Europe. Le projet de loi prévoit que les publications nées d'une activité de recherche financée principalement sur fonds publics peuvent être rendues publiquement et gratuitement accessibles en ligne par leurs auteurs après un certain délai. L'embargo est à l'heure actuelle de douze mois pour la recherche scientifique, et de vingt-quatre mois pour les sciences humaines ; il passerait à six et douze mois respectivement. Ce n'est pas sans poser problème aux éditeurs. Mais ce principe figure dans les lignes directrices du programme-cadre Horizon 2020 établies en 2014 et il est déjà en vigueur en Allemagne et en Italie. Notre pays va s'inscrire dans le même mouvement.

Second point : la fouille de données et de textes. Grâce à une extraction automatisée des informations contenues dans un nombre gigantesque de données et de textes scientifiques, cette technique permet de créer une information qui ne pourrait pas être produite autrement. On est au coeur des évolutions permises par le numérique et le Big Data.

Alors qu'elle est mise en oeuvre au Canada, au Japon et aux États-Unis, cette technique n'est pas encore permise en Europe - mais le Royaume-Uni l'autorise déjà puisqu'il a modifié sa législation en ce sens dès 2014. Son régime juridique relèverait d'une exception au droit d'auteur, dont on sait qu'il devrait être réformé à l'automne au niveau européen, comme André Gattolin vous l'a dit. Cependant, un amendement a été introduit à l'Assemblée nationale pour que la loi l'autorise dès maintenant.

Mon sentiment est qu'il n'y a pas de raison d'anticiper plus que de raison car cette méthode pose de gros problèmes aux éditeurs et aux organismes de recherche. Toutefois, l'enjeu est important pour les chercheurs, qui y sont très favorables. Nous ne pouvons donc pas tourner complètement le dos à cette évolution. Si nous ne souhaitons pas créer une nouvelle exception au droit d'auteur, il faut trouver un autre moyen. Je vais donc proposer à la commission de la culture une position de compromis, fondée sur les relations contractuelles entre chercheurs et éditeurs. Je ne sais pas si cette solution sera retenue, mais je pense que notre commission des affaires européennes sera amenée à se pencher sur la question quand la réforme du droit d'auteur lui sera soumise.

M. Jean Bizet, président. - Sur ce sujet, qui est au coeur de l'économie du XXIème siècle, deux mondes, là encore, s'affrontent. Un monde de l'innovation sans règles et le nôtre.

M. Alain Vasselle. - J'admire nos deux rapporteurs, aussi à l'aise sur ce sujet ardu que des poissons dans l'eau. Je m'interroge sur notre stratégie. La France, dans une Europe à vingt-huit, devient sans doute de moins en moins influente, mais pour autant, elle considère qu'en adoptant un texte, elle pourra peser sur le contenu de la directive. Cette stratégie est-elle aussi celle d'autres pays et si tel est le cas, une alliance ne renforcerait-elle pas la démarche ?

M. Jean-Yves Leconte. - Je remercie à mon tour nos rapporteurs. Sur la question des plates-formes, le Gouvernement s'est appuyé sur notre droit de la consommation, dont il a fait son point d'entrée pour nous assurer protection. Je pense notamment à l'obligation faite aux plates-formes d'avoir un représentant physique en France, contraire au principe de liberté de service en Europe et qui risque de nous fermer aux innovations venues d'ailleurs. Ceci pour dire qu'il faut être très vigilant aux décalages qui peuvent exister entre la rédaction actuelle du projet de loi pour une République numérique et le projet de règlement européen. On ne peut pas se le permettre, ni dans les principes, ni dans les sanctions.

Il est important, en revanche, d'être actifs sur le TDM (Text and Data Mining). Nos chercheurs, qui sont au fondement de l'innovation, restent très conservateurs dans leur façon de communiquer leurs travaux. Ils se tiennent à l'écart du numérique et demeurent prisonniers de la publication en revue. Peut-être n'ont-ils pas le choix, car ce sont les éditeurs qui « labellisent » leurs travaux, mais force est de constater que les pays qui autorisent le TDM, comme les États-Unis et le Japon, sont les plus grands pays de recherche. Ceux qui le refusent se privent de l'accès à une mine de connaissances et de la possibilité de diffuser les travaux par cette voie ; c'est à côté de la plaque. Ne serait-il pas judicieux de faire évoluer notre droit d'auteur pour tenir compte du TDM, devenu indispensable à l'avenir de la recherche française ? Veillons à ne pas nous priver d'une possibilité qu'ouvre la directive. On évitera que des chercheurs talentueux n'aillent s'installer ailleurs.

Mme Pascale Gruny. - À la différence de nos rapporteurs, je ne me sens pas, sur ce sujet, comme un poisson dans l'eau. Face à ces évolutions rapides, nos concitoyens ont besoin d'être rassurés. Avec le commerce électronique, par exemple, ce ne sont plus les grandes surfaces mais bien les plates-formes de vente en ligne qui sont devenues les premiers concurrents des commerces de centre-ville.

Vous n'avez pas parlé de la cybersécurité, un vrai sujet d'inquiétude, y compris pour les entreprises, attaquées de toutes parts. Voyez ce qu'il s'est passé avec la mise en place des virements Sepa par les banques. On a vu se multiplier les mails envoyés par des petits malins qui sollicitaient, sous ce prétexte, des informations confidentielles, des RIB. Les hackers sont pleins de ressources. On ne souvient de l'affaire Michelin, mais les PME sont concernées elles aussi. Il faut agir sans tarder, au niveau européen, car on a toujours un train de retard sur le piratage.

M. Jean Bizet, président. - Vous évoquez le droit d'auteur, il n'est pas seul concerné. Nous sommes à la veille de voir évoluer les titres de propriété intellectuelle. Je pense aux certificats d'obtention végétale. C'est le 18 mai prochain que la présidence néerlandaise organisera une conférence sur la propriété intellectuelle. C'est un pays très en pointe sur ces questions. Jusqu'à présent, la durée des certificats était de 20 à 25 ans mais à présent que le temps économique va infiniment plus vite que le temps politique et administratif, on songe à raccourcir ce délai de cinq ans.

Mme Colette Mélot. - Merci de vos questions qui témoignent de l'intérêt que vous portez à ce sujet complexe. Comme l'a souligné Pascale Gruny, l'attente de nos concitoyens, qui se sentent souvent menacés par ces évolutions, est forte. Il y a donc urgence.

Alain Vasselle s'interroge sur la meilleure façon pour la France de peser sur la décision européenne. Des alliances sont-elles possibles ? Bien que peu de pays aient encore entrepris de légiférer sur le numérique, certains s'y sont engagés. Nous pourrions ainsi travailler de concert avec l'Allemagne, qui prévoit un texte d'ici à la fin de l'année. Ce serait une bonne chose, comme sur bien d'autres sujets, que la France et l'Allemagne prennent une position commune. Une conférence franco-allemande devrait se tenir l'été prochain à Berlin et le ministre de l'économie allemand a indiqué que le projet de loi en préparation en Allemagne comporterait trois volets : territoire ; sécurité des données - probablement sous un angle souverain, en réaction aux derniers rebondissements sur le Safe Harbor - ; établissement de la responsabilité des données pour les entreprises. Quant à l'Italie, elle a prévu un texte sur l'économie collaborative, qui va à l'encontre du droit européen.

Jean-Yves Leconte a rappelé que la France a choisi de s'appuyer sur le droit de la consommation. Nous avions voté, il y a quelque temps, une résolution à ce propos. Il faut réguler les plates-formes, nous en sommes convaincus. Il est vrai que leur faire obligation d'avoir un représentant légal sur le territoire peut poser des difficultés et risque de brider le développement des entreprises françaises. Il faut avancer en prenant en compte tous les paramètres.

Sur le TDM, un outil technique essentiel pour les chercheurs, je ne vous cache pas que ce sont les éditeurs qui résistent ; ils ne sont pas prêts à modifier leur modèle économique. Je crois qu'ils y viendront, mais il ne faut pas trop tarder. C'est pourquoi, sachant que le Gouvernement entend supprimer l'article nouveau voté à l'Assemblée nationale sur l'exception au droit d'auteur, pour ne pas anticiper sur la directive, je pense proposer, par amendement, une solution alternative, dans son attente. Une clause contractuelle entre les éditeurs et les organismes de recherche pourrait ainsi autoriser le TDM. C'est un compromis qui permettrait d'agir en attendant la directive.

M. André Gattolin. - Les chercheurs ne sont pas du tout hostiles au TDM, ce sont en effet les éditeurs qui s'y opposent. Or, pour le chercheur, la publication dans des revues bien accréditées est essentielle, car elle détermine son « ranking ». Il se mêle à ce processus, comme l'ont montré de nombreuses études menées aux États-Unis, beaucoup d'intérêts matériels. On publie des recherches que l'on juge porteuses, susceptibles de faire l'objet d'un vrai financement, ce qui pose un réel problème d'indépendance. Les éditeurs, qui jouent un rôle de filtre, sont vent debout contre toute exception au droit d'auteur ; on l'a vu, à la commission de la culture, lorsque l'on a travaillé sur des exceptions au droit d'auteur dans le cadre du texte sur l'enseignement supérieur et la recherche. C'est une manne qu'ils entendent conserver.

M. Jean-Yves Leconte. - C'est proprement scandaleux, et plus encore dès lors que le financement de la recherche est public.

M. André Gattolin. - Absolument. Du temps que j'étais chercheur, je refusais les droits d'auteur lorsque l'on m'en proposait, considérant que j'étais payé pour publier. C'était aussi une façon d'inciter les éditeurs à faire de même et à ouvrir les données au numérique.

Je rebondis sur les interrogations d'Alain Vasselle. Est-il opportun d'aller plus vite que l'Union européenne ? Je crois que oui, dans certains cas, comme celui des plates-formes. Quand on travaille, en matière législative, dans un cadre multilatéral, on dresse toujours un état de l'art. Autrement dit, on fait le point sur les législations nationales existantes. À l'époque où le pouvoir d'influence de la France était fort, on pouvait se contenter de n'intervenir sur la décision qu'en aval, une fois le texte présenté. Mais tel n'est plus le cas, il faut travailler en amont, intervenir dans les consultations publiques et à toutes les étapes du processus d'élaboration des textes.

Ce qui importe, s'agissant des plates-formes, c'est d'obtenir plus de transparence sur les algorithmes qui, étant régulièrement modifiés par l'interaction des internautes, transforment les résultats de requête, dont l'ordre se retrouve bouleversé. Certains restaurateurs ont ainsi constaté qu'ils se trouvaient rejetés en bas de liste non du fait des consommateurs mais de concurrents malveillants qui s'évertuaient à envoyer des avis négatifs sur leurs services. Y voir un peu plus clair sur la manière dont les algorithmes fonctionnent serait une bonne chose. Attendre la directive ? Bien souvent, à force d'attendre, on se retrouve les mains liées, face au fait accompli. Lors de l'audition d'Axelle Lemaire devant la commission des finances, nous avons appris que son cabinet surveillait de près l'évolution des textes européens sur le sujet, pour essayer de s'adapter au plus juste. Mais il semble que sur les plates-formes, l'Europe reste réticente à aller vers plus de transparence : il n'est pas mauvais, dans ce cas, de chercher à influer.

La cybersécurité est en effet un enjeu important. La directive NIS, adoptée fin décembre, répond aux souhaits de l'ANSSI, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information - une agence qui fonctionne fort bien et dont la mission de se limite pas à l'administration puisqu'elle joue de plus en plus un rôle de conseil auprès des entreprises. Il est vrai, cependant, que les PME-PMI sont encore peu aidées. Dans le cadre du deuxième pilier de la stratégie numérique, un texte devrait voir le jour en juin ou juillet prochain, visant à mettre en place un partenariat public-privé pour la recherche en matière de cybersécurité. Je ne suis pas un partisan inconditionnel des partenariats public-privé, mais en ce domaine, je les ai toujours préconisés car les capacités de l'État sont limitées tandis que beaucoup d'entreprises privées très qualifiées en ce domaine travaillent pour des grandes entreprises, elles-mêmes stratégiques pour notre économie.

En matière de cybercriminalité, la France dissocie clairement entre attaque et défense : c'est la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) qui est en charge des attaques, et l'ANSSI qui est chargée de la protection. Bien des pays considèrent ce modèle avec intérêt.

L'enjeu est loin d'être négligeable, ainsi que cela a été rappelé lors du dernier sommet de Davos ; si l'on ne fait rien, on va au-devant de grandes difficultés. En effet, si les gouvernements et les entreprises ne prennent pas de mesures adéquates, les cyber-attaques pourraient entraîner une perte pouvant aller jusqu'à 3 000 milliards de dollars d'ici à 2020. Et les grandes entreprises ne sont pas seules concernées. Une PME de vingt personnes peut être amenée à traiter des dizaines de millions de données personnelles. Si ces données sont détournées, l'impact peut en être énorme et sur nos libertés et sur le dynamisme de notre économie. Nous avons beaucoup insisté là-dessus ces dernières années, et cela a porté ses fruits puisqu'un texte devrait voir le jour d'ici à l'été.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour ces échanges sur un sujet qui n'a pas fini de nous occuper. Nous verrons quelle sera l'évolution du projet de loi pour une République numérique.

Agriculture et pêche - Point d'actualité sur les questions agricoles : communication de Mmes Pascale Gruny et Patricia Schillinger

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre un point d'actualité sur les questions agricoles. Je suis d'autant plus reconnaissant à nos deux collègues d'avoir accepté une interversion dans notre ordre du jour que Patricia Schillinger était contrainte de nous quitter et de laisser le soin à Pascale Gruny de faire seule cette communication.

Il n'est pas besoin de souligner la très grande actualité de ces questions tant les légitimes préoccupations de nos agriculteurs et éleveurs se sont exprimées dans nos territoires au cours des derniers mois. Les filières porcines et laitières ont été particulièrement concernées.

La communication de ce jour est naturellement centrée sur la dimension européenne de ces questions qui ont aussi des aspects qui relèvent directement des États membres, dont la France. Pour ma part, il me semble que les instruments européens, en particulier les lignes budgétaires, devraient être utilisés pour oeuvrer à la modernisation des structures agricoles. Le deuxième pilier de la PAC offre des possibilités qu'il faut exploiter. Les régions ont, dans ce domaine, une responsabilité clé. C'est un message à envoyer aux présidents de régions alors qu'elles prennent toute leur dimension économique.

Mme Pascale Gruny. - Nous renouvelons, à travers ce point d'actualité, une expérience de l'année dernière. Il n'y a ni texte à examiner, ni projet en préparation, mais seulement une difficulté sur un secteur et un débat public autour d'une situation de crise.

Nous avons choisi de nous concentrer sur deux filières, même si nous n'ignorons pas que d'autres sont dans l'inquiétude : la filière porcine et la filière laitière, en respectant évidemment les compétences de notre commission, c'est-à-dire en privilégiant les aspects européens.

La filière porcine engage deux sujets, le marché et le contentieux lancé contre l'Allemagne.

Le marché du porc est en pleine restructuration. La mise aux normes s'est accompagnée d'investissements de capacité dans la plupart des pays. Les deux dernières années sont marquées par une hausse de production qui vient surtout des deux grands leaders européens, l'Allemagne et l'Espagne. La France est encore le troisième producteur mais est talonnée par la Pologne. Beaucoup de pays sont dans une stratégie offensive.

Du côté de la demande, la consommation interne est atone. La baisse de la consommation de porc, plus faible que celle de la viande bovine, mais de 1 % par an tout de même, est à peine compensée par une augmentation de la population. La demande externe a été bouleversée par l'embargo russe, même si globalement le marché asiatique a pris le relais.

La France est dans une situation décalée : la production augmente, sauf en France ; les exportations se tiennent, sauf en France.

Trois points méritent une attention particulière. Quid, tout d'abord, de l'engagement sur un prix d'achat de 1,40 euro le kilo ? On se souvient que, pendant l'été, les GMS (grandes et moyennes surfaces) avaient pris l'engagement d'acheter à ce prix minimum. Cet engagement n'a pas été tenu. À notre grande surprise, nous avons appris, lors de nos auditions, que cet accord avait été dénoncé autant par les acheteurs, les GMS, que par les producteurs. Ils nous ont expliqué pourquoi. La filière porcine est complètement ouverte. Il y a des flux dans les deux sens. On importe autant qu'on exporte. Car on est déficitaire sur certains produits - le jambon, par exemple -, et on exporte ce que l'on ne consomme pas : les abats et la graisse en Russie, les oreilles et les pieds en Chine. Le marché est très concurrentiel. En fixant un prix de 1,40 euro, au-dessus des cours européens, les producteurs se déconnectaient du marché mondial. Ils ne pouvaient plus vendre à l'extérieur. Ni en Europe, ni hors l'Europe.

Cet aspect du marché était loin des préoccupations de Leclerc et Intermarché, principaux signataires de l'engagement de 1,40 euro, car ils sont très peu présents à l'export. Les grands abatteurs, en revanche, tels que Bigard par exemple, se sont vite rendus compte qu'ils ne pouvaient pas tenir ce prix. Bigard s'est ainsi retiré du marché au cadran, et a préféré se tourner vers le gré à gré.

Avec cet engagement, les producteurs prenaient le risque de perdre non seulement les marchés extérieurs, mais aussi le marché au cadran qui est un point de référence déterminant pour la profession. C'est pourquoi, d'un commun accord, entre acheteurs et producteurs, l'engagement de 1,40 euro a été levé. Une sérieuse leçon pour l'avenir. On croit à une bonne idée et, pour finir on se rend compte, à l'expérience, que les effets pervers l'emportent. Il faut d'ailleurs préciser que l'engagement sur un prix de vente est un peu illusoire, car tout dépend du prix de revient - en l'espèce du prix des intrants, de l'alimentation animale.

Se pose, ensuite, le problème de l'embargo sanitaire décidé par la Russie après la découverte d'un cas de peste porcine africaine sur un sanglier en Lituanie. Tout le monde convient que le fondement sanitaire est très léger et que les règles commerciales internationales n'empêchent pas d'avoir des échanges régionaux, qui devraient permettre la reprise des exportations françaises.

Notre président a eu plusieurs échanges avec la Commission européenne mais cela n'avance guère. Nous avons eu deux explications différentes. La première est que les Russes seraient prêts à reprendre les importations régionales, à l'exception des pays Baltes, de la Pologne, et des pays limitrophes. Mais il y aurait un blocage de la Pologne et de l'Allemagne car aucun ne veut que la Russie reprenne ses échanges sans eux. La Commission ne peut qu'enregistrer. Une autre explication veut que les Russes s'amusent à organiser des rivalités et n'ont aucune intention de lever l'embargo. Il y a un contentieux en cours à l'OMC mais les Français savent que, si les Russes perdent, ils feront de toute façon appel. On est au point mort.

Vient, enfin, la question du stockage privé. Pour alléger le marché, la Commission a ouvert les possibilités de stockage privé. Je rappelle qu'il n'y a pas de stockage public sur le porc. Dans le cas de stockage privé, l'opérateur s'engage simplement à ne pas vendre les carcasses pendant une durée allant de 90 à 120 jours.

Les Français sont très peu présents sur le stockage privé. Il y a une raison technique à cela. Nous sommes peu équipés en enceintes de congélation. En France, on consomme du porc frais. Il n'y a pratiquement pas de délai entre l'abattage et la consommation. Les pays orientés sur le grand export sont beaucoup plus équipés. Mais il y a aussi une raison stratégique. Le stockage privé est très lié à l'exportation. Il y a des pays qui ont une stratégie d'export, dans une logique de partenariat de long terme avec des opérateurs internationaux. C'est beaucoup moins le cas des producteurs français, qui font du coup par coup et considèrent l'export comme un marché de dégagement. Quand un client extérieur disparaît, comme c'est le cas des Russes, les Français sont un peu désemparés. Les Allemands ont doublé leurs exportations porcines en Chine. Les Espagnols les ont augmentées de 70 %. Les exportations françaises sont restées marginales.

J'en arrive au deuxième sujet d'actualité, le contentieux TVA avec l'Allemagne. C'est le deuxième contentieux, initié par les professionnels de la filière porcine, contre ce qu'ils considèrent comme une concurrence déloyale de la filière allemande.

Le premier remonte à 2012 et concernait le recours abusif aux travailleurs détachés dans les abattoirs. En 2013, l'Allemagne a adopté le principe d'un salaire minimum - conformément à un engagement politique du gouvernement de coalition CDU/SPD, mais qui répondait aussi à la demande de la filière, et a éteint le litige.

Cette fois, le contentieux porte sur l'application de la TVA. Le dossier nous paraît beaucoup mieux préparé que le précédent. Les opérateurs appliquent une directive du Conseil de 2006 relative au système commun de TVA, dite directive TVA. Cette directive prévoit que les États peuvent adopter un régime particulier - en fait un régime forfaitaire, pour les producteurs agricoles « pour lesquels l'assujettissement au régime normal se heurterait à des difficultés particulières ». Ces conditions sont définies par les États. La France a choisi un seuil objectif, lié au chiffre d'affaires. Le forfait s'applique aux très petites entreprises qui réalisent moins de 46 000 euros de chiffre d'affaires. C'est clair. L'Allemagne, en revanche, a choisi un critère lié au chargement, c'est-à-dire au nombre d'animaux par exploitation, avec des différences selon les tailles d'exploitation. L'idée est de privilégier les élevages extensifs sans pénaliser les très petites exploitations qui ont des taux de chargement supérieurs.

Trois problèmes peuvent être identifiés. Il faut reconnaître, en premier lieu, que la directive est ambigüe. Un régime de forfait peut être justifié « en cas de difficultés particulières ». De quelles difficultés s'agit-il ? Spontanément on pense aux difficultés administratives. Les procédures sont lourdes pour de très petites structures ; c'est l'interprétation française. Mais chaque État peut avoir son interprétation. Ce point nécessiterait d'être éclairci lors de la révision de la directive TVA.

Deuxième problème, ce mécanisme de forfait ouvre la voie à des systèmes d'optimisation fiscale. Un éleveur peut diviser son exploitation en autant d'unités qui lui permettent d'être au forfait. Ensuite, les Français ont mis en évidence des montages juridiques qui permettent de jouer sur les différenciations de taux. C'est ce qu'on appelle « le carrousel du porc ». Un éleveur fait du naissage/engraissage, mais entre les deux, il crée une structure intermédiaire de commercialisation. Il vend en facturant au client - lui-même - 10,7 %. Sa structure de commercialisation revend à un engraisseur - toujours lui - qui paye 7 % sur ses achats et qui va revendre à 10,7 %. L'État rembourse le différentiel. L'avantage fiscal peut aller jusqu'à 2 euros par porc. Cela peut paraître peu mais représente 15 000 euros pour une exploitation moyenne de 7 000 porcs. Je tiens les détails de ce dossier à votre disposition.

Troisième problème, sans doute le plus important car c'est celui qui est le plus surveillé par la Commission : ce système est encouragé par les pouvoirs publics. La Commission ne peut pas être insensible aux détournements de TVA, qui constituent incontestablement un avantage concurrentiel. La fédération des producteurs indique que sur le site des chambres de commerce allemandes, on trouve même de la publicité pour l'optimisation fiscale. C'est hallucinant ! Ce dossier sera à suivre avec beaucoup d'attention.

J'en viens à l'actualité de la filière laitière, que je vous présenterai au nom de Patricia Schillinger. Il y a un peu moins d'un an, nos collègues Michel Raison et Claude Haut faisaient le point sur la situation du secteur, au moment du grand tournant de l'abandon des quotas laitiers. Où en est-on un an après ?

Il y a un point commun avec la filière porcine. Le marché laitier est dans une situation de surproduction, liée à la libéralisation du marché et aux stratégies de développement de certains États membres. Globalement, tous les grands pays laitiers ont augmenté leur production, de façon mesurée - 5 % en Allemagne -, ou plus nettement - le Danemark et l'Irlande affichent ainsi une croissance de plus de 10 %. La France fait figure d'exception, puisque nous sommes le seul pays, avec l'Italie, à avoir une production pratiquement égale à celle de l'année dernière. Mais les réserves d'un seul pays ont peu d'effet quand tous les autres sont dans une stratégie différente. Je reviendrai sur ce point.

Il y a donc eu une augmentation de la production. Avec, en face, quelques désillusions sur le marché mondial. La fameuse demande chinoise qui devait tirer le marché n'est pas au rendez-vous.

Il s'agit d'une configuration du marché très classique qui entraîne un niveau de prix très déprimé. Le prix du lait est à 29 centimes le litre, début 2016, soit 10 centimes de moins qu'il y a deux ans. La baisse est de 8 % en 2015, en France comme dans la moyenne de l'Union. Cette situation est même assez nouvelle, car en général, notre système de contrats amortit les baisses de prix. Mais cette année, ce n'est pas le cas.

Cette situation est très compliquée pour nos éleveurs car cette baisse se produit dans un contexte de grande incertitude. Nos collègues l'avaient bien décrit dans leur rapport : les quotas laitiers avaient surtout pour mérite d'équilibrer la production laitière, de permettre une production dans presque toutes les régions. Sans les quotas, cette répartition est compromise. Personne ne veut le dire aussi clairement, mais c'est bien l'un des ressorts de la crise actuelle. Le contexte est donc éminemment anxiogène.

Autre élément d'incertitude, l'impression d'être dépassé, de subir le marché, sans aucune marge pour agir. Le marché chinois est tout de même un peu abstrait pour les éleveurs normands. De même, à quoi sert de restreindre nos productions si nos partenaires augmentent les leurs ?

C'est dans ce contexte qu'il faut analyser les résultats du Conseil Agri du 14 mars. Voilà plusieurs mois que la France mettait la pression sur les autres États membres et sur la Commission pour obtenir une évolution au niveau européen. Je passe rapidement sur l'illusion encore portée par quelques éleveurs quant au retour des quotas et à la hausse du prix d'intervention. Le commissaire européen a toujours été clair là-dessus.

La Commission a d'abord décidé de relever les volumes d'intervention, c'est-à-dire le stockage public, mais les Français sont assez peu présents dans ce domaine. Les Belges, par exemple, ont trois fois plus recours à l'intervention que les Français.

Il fallait autre chose et cette autre chose a été trouvée dans le règlement OCM (organisation commune des marchés) unique, plus précisément son article 222, qui prévoit qu'en cas de déséquilibre grave du marché, l'application des dispositions du traité relatives au droit de la concurrence peut être suspendue. Les organisations de producteurs et les organisations professionnelles peuvent conclure des accords pour stabiliser le secteur concerné. En d'autres termes, il s'agit ni plus ni moins de reconnaître les ententes temporaires entre producteurs. Les détails doivent être précisés dans un acte d'exécution de la Commission, attendu pour avril.

Pour un observateur extérieur, cette mesure passe un peu inaperçue. Pour les connaisseurs des institutions et du droit européen, elle est au contraire extrêmement importante. D'abord parce que la Commission reconnaît qu'il y a bien un « déséquilibre grave sur les marchés ». Cette notion, pas plus que celles de « perturbation du marché » et de « problème spécifique » auxquelles il est fait référence dans le règlement OCM unique, n'est définie et relève donc de la seule appréciation de la Commission qui, en l'espèce, reconnaît la gravité de la situation.

Cette mesure est importante, ensuite, parce que la Commission envisage une exception à ce qui fait le socle du droit européen, à savoir le droit de la concurrence. Notre président a travaillé sur cette question, il y a trois ans, dans un rapport intitulé La PAC et le droit de la concurrence, qui faisait le point sur ce qu'il est convenu d'appeler « l'exception agricole ». Le principe est que les règles de la concurrence - qu'il s'agisse des accords d'entreprises, de l'abus de position dominante ou du contrôle des concentrations - s'appliquent à tous les marchés et tous les produits. Il y a une exception en matière agricole. Plus particulièrement, les accords et les ententes sont autorisés dans certains cas.

C'est ce que les juristes ont défini comme « l'exception agricole », qui a en effet été appliquée au début de la PAC. Mais le rapport montre bien que progressivement, les règles de concurrence se sont imposées et que les exceptions se sont réduites comme peau de chagrin. La Cour de justice a estimé que les dérogations au droit de la concurrence n'étaient justifiées que si tous les objectifs de la PAC étaient favorisés. Or, comme ces objectifs sont un peu contradictoires, les dérogations n'étaient jamais acceptées.

Jusqu'à très récemment, les entorses au droit de la concurrence étaient de plus en plus rares. Puis est venue la crise laitière. Les règles relatives aux organisations de producteurs introduites en 2012 avaient constitué un premier pas, avec une dérogation implicite au droit des ententes, puisque les OP peuvent négocier les contrats pour le compte de leurs adhérents. Le recours à l'article 222 va encore plus loin puisqu'il prévoit, cette fois, une dérogation explicite au droit commun de la concurrence. On peut imaginer qu'en interne, les discussions doivent être vives entre DG agri et DG concurrence pour préparer l'acte d'exécution.

Il faut reconnaître que les éleveurs français auraient préféré une mesure administrative générale - de type quota laitier peut être ! - mais le choix s'est porté sur une entente volontaire. Comme je l'ai dit, c'est un pas symbolique et politique très important de la part de la Commission. Pour la petite histoire, je peux aussi rappeler que cet article a été introduit par le Parlement européen. Cette disposition ne figurait évidemment pas dans la proposition initiale de règlement OCM unique présenté par la Commission.

C'est maintenant aux professionnels de s'organiser. La mesure n'aura d'efficacité que si elle regroupe les producteurs et organisations de producteurs de plusieurs pays. On conviendra que s'entendre tout seul n'a pas beaucoup d'effet !

Les premiers échos ne sont pas très optimistes. Peu d'États ont des OP et les OP peuvent-elles s'entendre entre elles ? On retombe sur les stratégies différenciées des pays. Un observateur nous confiait d'ailleurs que l'Allemagne avait soutenu la France, en pensant que les producteurs allemands ne participeraient pas à ces ententes. C'est néanmoins un geste fort de la Commission et c'est aux professionnels de se regrouper.

Pour l'instant, l'action européenne a porté sur le plan juridique. Il me faut évoquer également le volet budgétaire. Je rappelle que trois outils sont susceptibles de soutenir la restructuration du secteur. D'abord, les régions ont la maîtrise du deuxième pilier, parfaitement adapté aux mesures de structure. Ensuite, le plan Juncker peut être mobilisé. C'est désormais acquis. Le commissaire européen a donné des garanties - même si ce n'est pas la Commission qui décide des opérations - et deux pays, la Finlande et la Pologne, ont déjà déposé des dossiers agricoles. Enfin, il y a toujours une réserve de crise. La Commission a reconnu un « déséquilibre grave de marché », mais pas « une crise ». Et puis cette réserve touche cette fois au budget et je ne suis pas sûre que nos alliances avec l'Allemagne tiendraient longtemps.

Je me suis concentrée sur la partie juridique car c'est elle qui a le plus avancé. Mais les deux leviers doivent être surveillés.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour cette communication sur deux filières qui ne sont pas seules à connaître des difficultés. La filière élevage dans son ensemble et la filière céréalière qui l'alimente ne se portent pas bien non plus. On peut avoir des appréciations divergentes sur l'ampleur de la crise mais au-delà, c'est bien à une mutation que ces filières sont confrontées.

Sur la filière porcine, je n'ai pas le sentiment que l'Allemagne tienne à voir menée une expertise. Les deux syndicats respectivement majoritaires, en France et outre-Rhin, ne se parlent pas. Preuve que lorsque le couple franco-allemand ne marche pas, on n'avance pas.

Quant aux quotas laitiers, nos éleveurs ne se sont toujours pas faits à leur disparition. Ils ne souhaitent qu'une chose, les voir rétablis. Or, la limitation des productions décidée lors du Conseil agriculture du 14 mars suppose que tous les pays soient vertueux. Si seuls la France et l'Italie le sont, les autres s'engouffreront dans la brèche. Lorsqu'en 2009, la production française est restée en deçà, de 4 % ou 5 %, ces parts de marchés ont immédiatement été prises par d'autres, dont l'Allemagne, et on ne les a jamais récupérées depuis.

Nous restons, en France, dans une opposition binaire entre deux modèles agricoles, si bien que l'on ne parvient pas à engager la mutation de certaines filières. D'autre pays, considérant qu'il existe des modèles plus productivistes, qui doivent cohabiter avec les autres, ont pourtant su s'engager dans une évolution. On le voit dans la production de lait bio. Dans la Manche, les producteurs, qui y gagnaient très bien leur vie, faisaient du prosélytisme pour que d'autres s'y engagent. Ils ont cessé quand ils ont compris que leurs prix étaient liés à une niche qui, à trop s'agrandir, finirait par s'écrouler. Ils commencent à accepter l'idée que les modèles doivent coexister.

M. Éric Bocquet. - Quelle imagination pour frauder ! Cela nous ramène au débat de tout à l'heure sur la concurrence fiscale. « Concurrence libre et non faussée », a-t-on inscrit dans les traités, mais tout est fait pour que les choses se passent à l'inverse ! Sur ces filières, où l'Allemagne est le premier producteur, il se crée des montages qui ne visent à rien d'autre qu'à l'optimisation fiscale, comme dans la finance. On crée des entités séparées, naissage d'un côté, engraissage de l'autre, et le tour est joué. Un tel écart entre les valeurs affichées et ce que les gens vivent ne peut que créer un malaise. C'est aussi affligeant que le scandale des lasagnes à la viande de cheval, en 2013. On transite d'ailleurs par les mêmes territoires, par Chypre, par Malte. La Commission envisage-t-elle de prendre des mesures pour contrer l'optimisation ?

Mme Pascale Gruny. - Une plainte a été déposée. La Commission européenne a vraiment pris les choses à bras le corps. Le souci vient de l'ambiguïté de la directive TVA. En France, le forfait est chiffré, c'est objectif, tandis qu'en Allemagne, les choses sont beaucoup plus floues. Dès lors que les règles fiscales sont imprécises, elles ouvrent la voie à l'optimisation. Il faudrait que les pouvoirs publics allemands s'en soucient, car il y a véritablement concurrence déloyale. Cela dit, grâce aux éléments factuels qui ont été réunis, une plainte a pu être déposée auprès de la Commission, qui est enfin à l'écoute. Vous avez raison de rappeler aux valeurs car quand il s'agit d'argent, elles ont tendance à disparaître.

M. Jean Bizet, président. - Nous ne pourrons pas faire l'économie d'une restructuration dans un certain nombre de filières. Entre les fonds du deuxième pilier, le plan Juncker, les crédits de la Banque européenne d'investissement et la réserve de crise, nous disposons d'une palette d'instruments financiers, mais il faut aussi que la profession agricole fasse son évolution. Il s'agit d'en finir avec cette opposition binaire qui prévaut encore en France. Je vous remercie de suivre ces questions, qui sont au coeur de nos territoires.

La réunion est levée à 10 h 55.