Jeudi 24 mars 2016

- Présidence de M. Éric Doligé, vice-président -

Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer - Audition des instituts de recherche en agriculture en zones tropicale et équatoriale

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Je vous prie de bien vouloir excuser Michel Magras qui n'a pas pu se rendre disponible ce matin. Je conduis les débats à sa demande en ma double qualité de vice-président de la délégation et de rapporteur coordonnateur de l'étude relative aux normes applicables à l'agriculture dans les outre-mer.

Nous auditionnons aujourd'hui les représentants des instituts de recherche implantés sur ces territoires en zones tropicale et équatoriale. Je les remercie d'avoir répondu à notre invitation. Monsieur Frédéric Saudubray est le représentant de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) dont il est le directeur régional pour l'Aquitaine et l'outre-mer. Christian Chabrier et Jean-Heinrich Daugrois représentent, pour leur part, le CIRAD qui est un institut de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes ; il est implanté dans la zone Antilles-Guyane et dans l'océan Indien. L'Institut national de recherche agronomique (INRA), représenté par MM. Harry Ozier-Lafontaine et François Héquet, est également implanté dans la zone Antilles-Guyane. Deux rapporteurs se trouvent à mes côtés, Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe, et Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne, qui vous poseront, le cas échéant, des questions, en complément de vos interventions organisées autour d'un questionnaire que nous vous avons transmis au préalable. Ces auditions prolongent celles qui ont déjà été conduites sur le sujet depuis plusieurs semaines.

M. Frédéric Saudubray, directeur régional Aquitaine et outre-mer de l'IRSTEA. - En préambule, je tiens à préciser que certaines questions ne relèvent pas strictement des domaines de compétences de l'IRSTEA. Je me permettrai d'apporter des éléments de réponse, en m'appuyant sur l'expérience que j'ai acquise dans la zone Caraïbes, notamment les Caraïbes anglophones, en dehors de l'Institut. J'aborderai en premier lieu la question de la concentration des polluants agricoles dans les sols et dans les eaux, l'IRSTEA menant des travaux sur la qualité des eaux.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Nous avons besoin de disposer de réponses et d'exemples concrets sur la réalité des normes applicables dans les territoires. Nous cherchons à étudier leurs impacts pour comparer notre situation à celle de nos voisins en tenant compte des contraintes européennes et nationales, dans la perspective de définir des systèmes de production à la fois compétitifs et respectueux de la santé des consommateurs.

Quelles sont les techniques développées et utilisées outre-mer pour mesurer les concentrations en polluants agricoles dans les sols et dans les eaux, pour filtrer et traiter les effluents, afin de restreindre l'impact environnemental et pour diminuer la consommation agricole en eau ?

M. Frédéric Saudubray. - La recherche de notre institut s'intéresse à la qualité des eaux qui fait d'ailleurs l'objet d'un suivi effectif. Parallèlement au travail régulier des organismes de l'eau, les instituts de recherche mènent en effet aux Antilles un suivi de la qualité des eaux à partir de systèmes d'instrumentation de bassins versants. Les méthodes utilisées sont les mêmes qu'en métropole. Certains dispositifs de bassins versants étudient plusieurs cultures, d'autres se limitent à des cultures en particulier pour étudier les effets induits par certaines pratiques ; l'approche est parfois même territoriale pour étudier l'origine des différents polluants qui n'est pas nécessairement uniquement agricole.

Les normes peuvent constituer un frein face à certains pays dont les normes sont moins strictes. Le système de mesure de la qualité de l'eau est en effet moins performant dans les Antilles anglophones. Nous suivons par ailleurs un nombre de molécules nettement supérieur à ce qui se pratique ailleurs, jusqu'à 250 sur certaines analyses d'eaux en outre-mer. Les contraintes pèsent donc davantage sur les pratiques agricoles dans les Antilles françaises avec un système de mesure plus performant et au spectre plus large en nombre de molécules recherchées.

La problématique du traitement des effluents se pose dans des termes équivalents. D'un point de vue environnemental, ces normes sont à la fois porteuses de contraintes et de bénéfices. À titre d'exemple, les effluents d'élevage qui se conforment à une norme de traitement sont également source de plus-value au travers de la production d'énergie. Bien que contraignantes, ces normes représentent un atout pour développer d'autres productions jointes.

La diffusion des innovations auprès des producteurs et le lien entre la recherche et le développement est une question à laquelle je suis particulièrement sensible. Je développerai deux exemples à l'appui de mon propos. L'IRSTEA, en lien avec l'INRA, a rencontré un certain succès en matière de développement de productions fourragères. Nous n'avons pas abordé ces problématiques exclusivement d'un point de vue technique, mais aussi de façon systémique. Nos organismes ont ainsi mis en place une politique de transfert volontariste au travers de la formation continue, de la diffusion de guides techniques et de la production d'une collection fourragère pour illustrer notre démarche. Ils ont également approfondi leurs liens avec la formation initiale dès les lycées agricoles, et pas seulement au niveau de l'université. L'IRSTEA a par ailleurs travaillé sur un prototype comme alternative aux traitements aériens de la banane qui avaient été interdits. Cette recherche a toutefois subi un quasi-échec en termes de transfert, puisque l'innovation n'a pas dépassé le stade du prototype et que les agriculteurs utilisent encore plusieurs techniques de traitement, tels que les pulvérisateurs à dos, les traitements du type arboriculture et les foggers. Cet éparpillement dans les pratiques conduit à désorganiser la filière et peut être source de difficultés car l'homologation d'un produit est aussi liée à son mode d'utilisation. Le matériel utilisé n'est pas toujours homologué, ce qui constitue un non-respect des normes, et ne protège pas toujours correctement les exploitants. L'exposition cutanée et respiratoire qu'ils subissent fait l'objet actuellement d'une évaluation dont les résultats sont attendus d'ici la fin de l'année. Depuis l'interdiction des traitements aériens sont apparues des pratiques de substitution qui ont mis à mal une autre norme, celle de la protection des personnes, qui n'utilisent pas suffisamment les équipements tels que les masques, du fait de la chaleur. Les nouvelles pratiques tendent en outre à augmenter la quantité de produit utilisé.

Il est vrai que la réglementation est plus contraignante en France que dans les pays extérieurs à l'Union européenne, que ce soit pour le nombre de molécules suivies ou l'interdiction du traitement aérien. Les normes traduisent la volonté d'instaurer une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Dans les pays anglophones, le respect des normes est moins contrôlé, parce que les outils d'analyse et la pression sociale sont moindres.

Comment transformer la contrainte normative environnementale et sanitaire en avantage comparatif et en argument de promotion des produits agricoles ultramarins ? Je me contenterai d'émettre un avis personnel sur cette question complexe.

Actuellement, sur la base d'une expérimentation menée à La Réunion, l'IRSTEA cherche à comprendre comment l'effort environnemental est considéré et à qui il bénéficie. L'agriculteur qui supporte l'effort induit par les normes bénéficie de retours assez faibles. Les bénéfices directs sont au nombre de quatre, à savoir la sécurité de l'exploitant, une représentation plus positive du métier d'agriculteur, la rétribution financière d'origine publique d'une part, sous forme de subvention, et commerciale d'autre part, en termes de plus-value pour ses produits. C'est ce dernier aspect qui est toutefois le moins rétribué. Des études en métropole ont cependant révélé que le consommateur est prêt à payer pour protéger sa santé. Il est donc important de privilégier, dans une logique de marché, cette promesse plutôt que la protection de l'environnement qui le sensibilise moins, surtout si ces enjeux se trouvent loin de chez lui.

La question de la diversification des productions agricoles se pose dans la zone depuis déjà une trentaine d'années. J'étais d'ailleurs chargé, il y a 15 ans, d'un projet de cette nature en zone Caraïbes anglaise que la coopération française finançait. Les pays de l'outre-mer manquent d'atouts sur les marchés à l'export, en raison du coût de la main-d'oeuvre, de la petite taille des productions et structures foncières, mais aussi des normes environnementales. Il est donc préférable de viser à l'export des marchés de niche, par exemple la production de la marante (arrow-root), plante dont les rhizomes produisent de la fécule alimentaire et qui a des propriétés curatives. Cette plante est très prisée sur le marché anglais et donc à forte valeur ajoutée.

Sur le marché local, l'irrégularité de l'approvisionnement suppose d'organiser les filières face à la grande distribution. C'est un problème prégnant de l'organisation du monde agricole outre-mer. En outre, les possibilités d'exportation sur le marché régional n'ont pas été assez explorées. La production de biomasse peut également présenter une alternative, par exemple à La Réunion pour la filière canne à sucre.

La question des labels bio est délicate. Tous les pays tiers n'ont pas les mêmes niveaux d'exigence, par exemple sur le café labélisé bio en Afrique, mais il est difficile de généraliser. La banane de la République dominicaine ne me semble pas non plus respecter le cahier des charges bio tel qu'il est défini en France et dans l'Union européenne.

M. Harry Ozier-Lafontaine, président du centre INRA Antilles-Guyane et délégué régional pour la Guadeloupe. - Les informations suivantes proviennent de deux unités de recherche, l'une qui travaille sur les agrosystèmes tropicaux et l'autre sur les zootechniques. Pour rappel, le contexte climatique se caractérise par un niveau élevé d'humidité, de fortes températures et l'absence de rupture de cycle. Le contexte géographique favorise par ailleurs les échanges de matériel végétal entre les îles. Ces éléments contextuels rendent la région vulnérable aux menaces biologiques. Le positionnement de l'INRA sur les productions de diversification vise à renforcer l'autonomie alimentaire, ainsi que la santé environnementale et humaine.

La Guadeloupe peut être considérée comme un phytotron naturel de par la diversité de ses paysages, ses microclimats, ses types de sol ou encore ses pratiques culturales, ce qui permet une transposition des travaux de recherche à de nombreux pays de la zone tropicale, en particulier les DOM. Mon propos s'articule en quatre points qui ne répondront peut-être pas exactement au questionnaire que vous nous avez adressé. Le premier est relatif aux principales menaces biologiques qui pèsent sur les productions de diversification végétales et animales aux Antilles-Guyane et aux réponses originales que l'INRA et ses partenaires leur apportent.

Dans le domaine des productions végétales, les contraintes sont de trois ordres :

- les adventices,

Nous avons mené des travaux sur la sélection et la compréhension du fonctionnement de plantes de service qui sont cultivées en association ou en rotation avec les plantes destinées à la consommation. Elles permettent de couvrir rapidement le sol et de lutter contre l'envahissement par les mauvaises herbes. Le CIRAD possède d'ailleurs une collection de ces plantes. L'INRA a également mené des travaux pointus sur les mulchs et les paillages biodégradables, notamment le papier kraft qui peut être facilement déployé sur les champs en remplacement du plastique, sous réserve d'utiliser la machine adéquate. La gestion des successions a conduit à mettre au point un projet de petite mécanisation avec le griffage, des petits chalumeaux qui brûlent les adventices à leur sortie de terre ;

- les maladies fongiques, bactériennes et virales,

Je développerai l'exemple de l'anthracnose, une maladie fongique qui attaque l'igname aux Antilles. L'INRA développe, depuis dix ans, un programme en génétique pour mettre au point des résistances durables contre le champignon.

Par ailleurs, nous avons développé, contre le flétrissement bactérien de la tomate, des variétés résistantes. La Caraïbos a ainsi été disséminée dans toute la zone intertropicale, mais en Martinique, l'agent pathogène a toutefois contourné les résistances de cette variété. Nous développons aussi des pratiques en bio-protection s'appuyant sur le fonctionnement de champignons du sol que l'implantation de certaines plantes favorise. Il reste à transférer ces travaux de recherche au travers de l'apprentissage.

Une deuxième maladie bactérienne, le citrus greening, menace les plantations d'agrumes en Guadeloupe et dans d'autres pays. L'implantation de porte-greffes sains est l'alternative envisagée, mais la pérennité de cette solution ne dépasse pas cinq ans. Des pays comme la Floride développent une plante dont l'huile essentielle permet de combattre cette maladie en agissant à la fois sur le vecteur qui est un insecte et sur la bactérie. La réglementation peut toutefois constituer un obstacle pour transposer cette solution dans nos pays.

Dans le cas de l'igname qui est touchée par des maladies virales, la production de plants sains est la solution la plus durable. Nous développons donc des laboratoires de cultures in vitro ;

- les ravageurs,

La fourmi manioc fait figure de véritable fléau aux Antilles, en Guadeloupe particulièrement. Une thèse menée avec le réseau Tramil a permis d'inventorier toutes les plantes dont les propriétés insecticides et fongicides sont susceptibles d'intervenir dans la lutte contre cet insecte. D'autres équipes mènent également des travaux, notamment dans le cadre de l'Université des Antilles et de la Guyane. Nous nous heurtons toutefois à la réglementation en vigueur pour faire homologuer ces produits.

Nous avons également mis au point des moyens biologiques, tels que les pièges à phéromones, pour lutter contre le charançon de la patate douce. Ils sont assez proches de ceux identifiés contre le charançon du bananier.

Dans le domaine des maladies animales, l'INRA concentre ses efforts sur le parasitisme gastro-intestinal qui affecte les petits ruminants ; il développe des démarches intégrées de lutte contre ce parasitisme qui sont exemplaires et transposables. Elles consistent à associer des plantes fourragères et des graminées, mais aussi des animaux ou encore à utiliser des plantes anthelminthiques.

Il est toutefois à relever que la prédation représente le principal problème dans toute la Caraïbe. Il pourrait être résolu au moyen de caméras ou de clôtures.

Le deuxième volet de mon propos concerne les mesures environnementales prises vis-à-vis des polluants et de l'économie de l'eau en zone tropicale.

Le chlordécone a conduit à mettre en place un observatoire sur deux bassins versants instrumentés qui font figure de référence, l'un en Martinique, l'autre en Guadeloupe. Des travaux sont menés de façon intégrée pour étudier comment les pratiques exercent une influence sur le transfert dans les sols et dans les eaux, dans les végétaux et dans les animaux. Là encore, ils sont transposables.

Concernant le traitement des effluents d'élevage, l'INRA dispose de plates-formes de compostage et mettra au point d'ici mai-juin un pilote de méthanisation, celle-ci étant rarement étudiée sous cet angle en zone tropicale. Une thèse étudie par ailleurs comment la qualité du matériel en provenance des effluents conduit à améliorer les lombrics de compost.

L'INRA mène par ailleurs des travaux avec ses partenaires depuis une vingtaine d'années sur la gestion de l'irrigation dans les zones sèches, en développant des modèles de bilans hydriques. L'Institut a également mis au point le capteur Thérésa qui permet de déclencher l'irrigation de façon pointue, à partir de la mesure des déplacements de sols. En outre, les mulchs et les paillages sont utilisés pour limiter l'évaporation du sol. Plus récemment, le zonage agro-écologique de la Guadeloupe incite à repenser l'implantation des cultures en fonction des potentialités pédologiques et climatiques de chaque milieu. Par exemple, la culture de la banane qui est très consommatrice en eau gagnerait à être déplacée sur la zone sud de la Basse-Terre.

Le troisième sujet abordé concerne les moyens mis en oeuvre pour le transfert et l'appropriation des solutions explorées.

Ces moyens sont nombreux et complémentaires, à savoir :

- un site, inra-transfert.fr, qui présente les travaux de l'INRA sous forme de fiches pédagogiques à destination des professionnels et des décideurs et qui est transposé à Mayotte ;

- le Groupement Intergouvernemental d'experts sur les évolutions du climat (GIEC) en Guyane ;

- un site récemment développé par le réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) ( coatis.rita-dom.fr) ;

- des plates-formes offrant des systèmes experts destinés à permettre la sélection de plantes de service en fonction des utilisations et des contraintes de milieu, à la fois agro-écologiques et socio-économiques.

En parallèle, l'INRA développe des programmes de recherche avec les organismes professionnels et les agriculteurs dans une démarche participative et mène de nombreuses actions :

- des journées techniques thématiques de restitution avec les producteurs ;

- des fiches techniques sur, par exemple, l'igname ou la production animale ;

- des essais en ferme qui favorisent les techniques participatives d'apprentissage à l'intention des acteurs, comme pour les mycorhizes ;

- des outils d'aide à la décision techno-économique, calculateurs qui mesurent l'impact sur la production des modifications des pratiques culturales, comme pour la banane, l'igname et la canne à sucre ;

- des plates-formes de sélection participative avec une implication très active dans le réseau Rita ;

- une participation active à l'enseignement agricole au travers du concept INRA Formateur qui a reçu un agrément et a permis de créer une licence s'adressant, depuis 2015, à de jeunes agriculteurs, « Agriculture Développement Régional Entreprenariat en milieu tropical » ;

- une intervention dans le domaine de la formation continue en lien avec le ministère de l'agriculture sur le thème suivant : « Agriculture, produire autrement, l'agro-écologie ».

Sur le dernier volet de mon propos relatif au positionnement des DOM vis-à-vis des pays tiers et des freins à lever pour améliorer la compétitivité, comme le colloque organisé en 2015 en Guadeloupe, Carribean Food Crops Society, l'a démontré, les Antilles françaises ont présenté leur mea culpa sur le chlordécone et pris les mesures nécessaires pour limiter ses impacts. Les pays de la Caraïbe qui sont confrontés au problème avec la même acuité n'ont pas été en mesure d'en faire autant.

Il est également à signaler que la réglementation semble à deux vitesses à certains agriculteurs. À titre d'exemple, la banane de la République dominicaine est commercialisée avec le label bio sur le marché français, mais est traitée à partir de pesticides qui sont interdits en France. De la même façon, les ignames en provenance du Costa Rica sont commercialisées en France, alors qu'elles sont produites à grand renfort de pesticides, ce qui est interdit en France. Cette concurrence déloyale soulève donc un grand nombre de questions. Le parcours d'homologation des produits dits biologiques peut enfin en dissuader certains, alors que nombre de plantes possèdent des propriétés très intéressantes qui pourraient être utilisées efficacement. L'exemple du citrus greening est loin d'être unique.

Je souhaite partager quelques pistes d'action qui me semblent indispensables. Il s'agit notamment de :

- soutenir l'exigence et l'exemplarité comme gages de réussite et de différenciation pour les produits ;

- constituer des groupes de travail ad hoc sur certains sujets, par exemple sur la fourmi manioc, en commençant par inventorier les pratiques existantes, qu'elles soient traditionnelles ou pas, puis en testant avec les agriculteurs celles qui seraient les plus efficaces dans nos milieux.

Par ailleurs, je participe prochainement, à l'Académie de l'agriculture de France, à un groupe de travail sur la petite agriculture familiale. Ces initiatives sont indispensables pour impulser le changement ;

- renforcer l'innovation organisationnelle, et non seulement l'innovation technologique qui a été privilégiée, pour améliorer l'appropriation des outils technologiques en lien avec les organisations professionnelles et les agriculteurs ;

- promouvoir les techniques et les démarches qui s'inspirent de l'agro-écologie et développer les productions de type bio, pour les aider à se démarquer, que ce soit avec le label ou peut-être davantage au travers de marques ;

- assouplir les démarches d'homologation qui sont trop longues ;

- durcir les politiques réglementaires vis-à-vis des produits importés ;

- mieux informer les consommateurs ;

- accompagner les agriculteurs durant les phases de transition d'un système conventionnel à un système dit agro-écologique en trouvant des mécanismes compensatoires ou en élargissant l'accès au Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), au-delà des producteurs de canne et de banane.

M. Jean-Heinrich Daugrois, chercheur au CIRAD. - La canne à sucre reste une culture importante pour les Antilles. Elle est plantée avec des boutures de canne pendant les douze années de sélection et se multiplie au cours de ses cinquante ans de vie, en engrangeant des bactéries.

Le processus de sélection vise à produire des variétés qui sont censées résister aux maladies et aux ravageurs locaux. La canne à sucre reste toutefois sensible à l'enherbement. Sans traitements herbicides, la perte s'élève de 300 à 500 kg par hectare de canne à sucre par jour. L'année de la plantation est, de plus, déterminante dans un cycle de culture qui dure de cinq à dix ans. La canne est enfin soumise à un risque, celui de l'introduction de nouvelles maladies que la sélection de la variété ne peut pas prévenir. Il entraîne la nécessité de protéger les frontières et de vérifier que les variétés importées soient saines, pour éviter les baisses de rendement.

Les organismes locaux se chargent le plus souvent de la sélection des variétés. À La Réunion, il existe un centre de création variétale qui sélectionne et envoie les variétés dans les différentes zones. Dans les DOM, les variétés sont sélectionnées en fonction des zones locales et sont introduites via le CIRAD. L'utilisation des variétés résistantes s'inscrit toutefois dans une approche plus globale des systèmes de production.

La culture de la canne à sucre n'utilise aucun pesticide pour traiter les bactéries ou les insectes. Les prédateurs, qu'ils soient présents ou introduits, régulent les ravageurs installés depuis longtemps. Le traitement pesticide déréglerait la prédation et favoriserait les ravageurs. Des digues biologiques existent toutefois, par exemple : le ver blanc à La Réunion ; l'introduction de certains parasites a également été efficacement développée dans les Antilles, comme le parasite larvaire du foreur de la canne à sucre.

Pour lutter contre les maladies, deux voies représentent une alternative à la résistance variétale, à savoir :

- l'assainissement des boutures à un moment donné de leur vie en thermothérapie pour créer des pépinières et planter des champs de cultures, essentiellement en Guadeloupe ;

- la protection des frontières par la sélection de matériel végétal sain au Visacane, la quarantaine canne à sucre du CIRAD à Montpellier.

La gestion de l'enherbement donne lieu à plusieurs pratiques alternatives qui sont proposées aux planteurs dans le Plan Ecophyto DOM, tels que le sarclage mécanique, le paillage qui favorise la conservation de l'eau dans les sols, ainsi que l'utilisation des plantes de service. Celle-ci peut intervenir avant la plantation ou en inter-rang, avec des plantes de couverture ou en jachère cultivée.

La sélection de variétés de canne à sucre résistantes ne représente pas un coût direct pour le planteur. Le coût de la lutte biologique est réduit à l'application de l'agent à la plantation la première année. Si le champ démarre bien la première année, le travail est bien moindre lors des dix années qui suivent. En outre, la directive régionale d'épidémio-surveillance Ecophyto a permis de mettre en place en Guadeloupe une surveillance du territoire pour contrôler l'entrée de maladies à risques en provenance d'Amérique centrale, par exemple la rouille orangée.

Le CIRAD cherche à réduire la quantité des herbicides, tout en améliorant le spectre d'efficacité des solutions proposées. Ces initiatives résultent d'un dispositif d'expérimentation géré à La Réunion par eRcane. Ses résultats sont diffusés lors de réunions d'information auprès des techniciens, des planteurs et des chambres d'agriculture. Un réseau de partage d'information et de mise en commun des expérimentations sur les herbicides est en place depuis 2002 entre La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe. Pour faciliter l'obtention de certaines innovations, il y a des mesures agro-environnementales qui sont des mesures incitatives subventionnant les surcoûts des méthodes alternatives aux pesticides et herbicides.

Les essais sur la production de la canne à fibre qui ont eu lieu en Guadeloupe ont été transportés à La Réunion. Un projet est également développé en Guadeloupe pour produire de la canne à fibre directement pour l'énergie. Il est possible d'utiliser la fibre pour produire de l'énergie de stockage (gaz, méthanol) grâce à des techniques de digestibilité de la fibre ou bien en complément de l'énergie produite dans les usines qui sont adossées à des usines de sucre.

M. Christian Chabrier, chercheur au CIRAD. - Le CIRAD travaille depuis longtemps avec des partenaires aussi bien dans le domaine du développement que dans celui de la recherche, traditionnellement l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA). Je souhaite apporter des compléments à ce qui a été dit, en m'appuyant sur mon expérience dans la culture de la banane et sur des exemples de cultures fruitières et maraîchères.

Les plantes de couverture représentent des techniques très intéressantes pour réduire l'utilisation des pesticides, puisque la filière banane a divisé par deux sa consommation d'herbicides entre 2002 et aujourd'hui, grâce au travail que nous avons mené en lien avec l'INRA. L'association de plantes de service et de plantes de couverture permet également de modifier l'agrosystème, en améliorant la structure du sol et en augmentant l'activité biologique des bactéries et des champignons. Planter des graminées en inter-rang entre les arbres fruitiers ou entre les bananiers entraîne l'augmentation de l'activité fongique. Elle-même conduit à multiplier la quantité d'animaux qui se nourrissent au détriment des champignons, par exemple des nématodes mycophages, ainsi que la population des prédateurs de ces êtres vivants qui agissent ensuite sur les phytophages. Le CIRAD utilise ces plantes de service pour augmenter le nombre de prédateurs naturels des insectes nématodes qui se nourrissent au détriment de la culture, que ce soit sur le bananier, le goyavier ou sur certaines plantes à tubercule comme le taro.

Ce type de méthode est aussi utilisé pour lutter contre certains champignons. Un grand nombre de plantes de service émettent par leurs racines des substances dotées de propriétés bactéricides. Le CIRAD travaille actuellement sur l'oignon pays pour limiter le développement d'une bactérie qui entrave la culture des solanacées (la tomate, le piment et l'aubergine) en Martinique et en Guadeloupe. Les résultats de ces travaux sont en cours de transfert auprès des agriculteurs. Utilisée pendant deux à trois mois, cette plante peut leur assurer une culture rentable.

Les associations de plantes permettent aussi de lutter contre des ravageurs aériens. Le basilic à grandes feuilles permet par exemple de repousser les mouches blanches qui transmettent les virus de la tomate. Le maïs sert aussi de plante piège contre les noctuelles des cultures maraîchères.

En complément des travaux de l'INRA sur les bio-pesticides contre le psylle, le vecteur du greening, le CIRAD cherche à modifier l'agrosystème pour favoriser une petite guêpe, Tamariseia radiata, qui est l'un des prédateurs naturels du psylle. L'utilisation d'une co-culture associant des goyaviers associés au verger d'agrumes constitue une autre piste. Ces techniques visent à limiter les re-contaminations des vergers et à allonger la période durant laquelle le verger est sain. Par ce biais, le pari du zéro pesticide que La Réunion a remporté sera gagné en Guadeloupe et en Martinique. En Guadeloupe, le greening est vécu comme une véritable catastrophe, ce qui n'est pas le cas en Martinique où les populations sont beaucoup plus faibles, le psylle étant arrivé plus tard et avec son parasitoïde.

Les agriculteurs peuvent considérer les normes comme des contraintes, mais celles-ci n'en demeurent pas moins un excellent levier dont dispose le législateur pour faire évoluer les pratiques. Quand le CIRAD a développé de nouvelles variétés de banane pour limiter les quantités de fongicides, il a dû faire face aux résistances des producteurs qui ont invoqué les contraintes imposées par la grande distribution sur les prix. Ils exigeaient que les nouvelles variétés se conservent dans les mêmes conditions que les Cavendish qui sont des produits normés. Nous travaillons sur des plantes triploïdes et donc naturellement stériles, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas être améliorées. Le CIRAD a obtenu des variétés résistantes à la cercosporiose, mais souffrant jusqu'à présent de plusieurs défauts rédhibitoires, dont un problème de conservation. Avec l'arrivée de la cercosporiose noire aux Antilles et l'interdiction du traitement aérien, l'UGPBAN a toutefois racheté au groupe Pomona des mûrisseries adaptées aux conditions de conservation de notre nouvelle variété qui est résistante à la cercosporiose, baptisée « la 925 ». Ce nom témoigne du nombre très important d'hybrides qu'il a fallu développer avant de trouver cette variété exceptionnelle. Une variété d'ananas a récemment révolutionné le marché américain, la MD2, que l'université d'Hawaï a baptisée ainsi et qui est connue depuis, du fait des Costaricains, sous le nom de Sweetee, plus sympathique.

Je souhaite nuancer ce qui a été dit sur les normes de nos voisins. Il est exact que la banane dite « bio » de République dominicaine, comme celle de Colombie, pose problème, puisque le cahier des charges est beaucoup plus léger que celui auquel sont soumis les agriculteurs des DOM. La réglementation de nos partenaires africains au Sénégal, au Cameroun et au Cap Vert est en revanche exactement conforme à celle de l'Union européenne, leurs produits étant destinés au marché européen. Il est donc possible de proposer à certains de nos partenaires des règles compatibles avec les intérêts de nos agriculteurs. Ce qui est vrai avec nos partenaires d'Afrique ne l'est pas avec ceux d'Amérique latine et des Caraïbes. Toutes les plantations de bananes chiquita au Costa Rica sont certifiées ISO 14 000 et Rain Forest Alliance, alors qu'elles sont traitées trois fois par an avec des produits interdits - respectivement en 2008 et 2003 - en Europe, le cadusafos et le terbufos. En Guadeloupe et en Martinique, le taux de nématicides s'élève en moyenne à 0,2 % par an. La plupart des plantations de bananes ont développé certaines des méthodes que le CIRAD a mises au point avec l'IRD et qui combinent l'assainissement des parcelles par rotation culturale et l'utilisation de matériels sains issus de vitro-plants.

Concernant la surveillance des eaux, tous les instituts de recherche ont consenti un énorme travail dans le cadre du plan national d'action contre le chordécone et bénéficié de moyens très importants, mais il n'existe pas à La Réunion et à Mayotte l'équivalent de l'Observatoire des pesticides. Faute de ressources, notre travail dans ces derniers territoires se limite aux commandes locales, par exemple la gestion des effluents d'élevage ou de l'industrie cannière, sans étudier le devenir des pesticides sur les différents compartiments, sol et eau.

Sur le recours des pays tiers au chlordécone, le Cameroun l'a utilisé de façon systématique de 1966 à 1986 avec des quantités de produit deux ou trois fois supérieures par rapport aux Antilles. Il a arrêté ses applications en 1995 dans les plantations industrielles. Le CIRAD, en tant qu'ancien bras armé de la coopération française en Afrique, s'est senti tenu d'attirer l'attention des autorités camerounaises sur la question. Elles nous ont répondu qu'elles se préoccupaient plus de nourrir leur population que de s'assurer de la qualité des eaux. Chaque pays est souverain et nous n'avons pas les moyens d'obliger un partenaire à se saisir d'un problème qu'il refuse de voir.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Le chlordécone a permis de faire progresser les pratiques culturales aux Antilles pour plusieurs productions, la banane et les légumes racines. La vision que vous défendez au sujet des normes en tant que chercheurs est-elle partagée par les agriculteurs ?

Vous n'avez pas évoqué le suivi des eaux sur les élevages piscicoles, alors que de nombreux producteurs produisaient des écrevisses et des ouassous. Ces élevages ont-ils été fermés avec le chlordécone ?

Par ailleurs, les techniques que vous développez et qui sont utilisées en Martinique et en Guadeloupe sont-elles brevetées ? Peuvent-elles bénéficier à d'autres pays, et les aider à concurrencer et mettre en péril notre agriculture ? Il est vrai que l'Indonésie et la Malaisie où le CIRAD intervient ne nous concurrencent toutefois pas encore sur l'huile de palme.

Vos instituts mènent parfois des recherches pendant de longues années pour aboutir à des variétés comme la 925. Celles-ci ne pourraient-elles pas progresser plus vite si vous étiez autorisés à travailler directement sur le génome ou à partir d'organismes génétiquement modifiés (OGM) ? J'ai entendu parler très récemment de plants de vigne qui ont été sélectionnés pendant 35 ou 40 ans, alors que les OGM auraient permis d'obtenir des résultats similaires bien plus rapidement.

M. Christian Chabrier, chercheur au CIRAD. - Nous considérons les normes comme des alliées pour imposer, parfois contre l'avis des agriculteurs, un certain nombre d'innovations.

En 2005, l'interdiction du fipronil, un pesticide, pour protéger les abeilles a développé le piégeage de masse contre le charançon du bananier. Depuis cette date, les producteurs de patates douces utilisent tous la technique du piégeage du charançon de la patate douce (contre 20 % en 2003). Cette norme permet également à l'UGPBAN de communiquer sur le bénéfice du « zéro pesticide ». Sans cette interdiction, cette innovation, qui est le fruit d'un travail commun avec l'INRA, aurait rencontré plus de résistances pour s'imposer.

Afin de protéger les innovations des risques de transfert auprès des partenaires internationaux et de s'assurer qu'elles profitent d'abord aux producteurs nationaux, il est nécessaire de bouleverser la manière de valoriser les résultats qui repose aujourd'hui sur les publications. De plus, une grande partie de notre travail reçoit une part croissante de financements internationaux, dans le cadre des projets européens. Il devient donc plus difficile de défendre le principe des brevets, quand l'Europe incite les chercheurs à publier leurs travaux dans des revues de la plus large diffusion possible. Demain, un producteur hondurien pourrait facilement s'approprier nos résultats contre le greening des agrumes. Par ailleurs, le CIRAD se trouve dans une situation inconfortable. Vous avez raison de souligner que nos innovations peuvent être appliquées en Côte d'Ivoire, au Cameroun ou au Costa Rica. Cependant, le CIRAD ne dépend pas seulement du Ministère de la recherche, mais aussi du Ministère des Affaires étrangères. Notre histoire nous conduit à travailler avec nos partenaires étrangers.

M. Jacques Gillot, rapporteur. - Il est nécessaire de dire toute la vérité contre l'hypocrisie des autorités qui dissimulent des réalités au sujet du bio de la République dominicaine. L'INRA a évoqué plusieurs solutions pour lutter contre la fourmi manioc et le citrus greening, ces fléaux qui menacent aussi bien le développement que le jardin créole. Est-il vrai que des solutions comme la culture de plantes de service ne sont pas mises en oeuvre faute d'argent ?

M. Harry Ozier-Lafontaine. - Nous disposons d'éléments significatifs pour réduire la pression qu'exercent ces deux fléaux sur nos productions à un niveau acceptable, mais l'organisation qui permettrait de les déployer n'existe pas. À titre d'exemple, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les collectivités locales et l'État ont lancé un appel d'offres et récompensé 14 projets qui portaient sur les volets collecte et valorisation des algues Sargasse, ce qui atteste de la capacité à proposer des solutions. La priorité est donc de mettre en place les structures adéquates pour diffuser ces solutions. Cette responsabilité relève des politiques publiques. Les chercheurs n'ont pour mission que de produire de la connaissance.

M. Jacques Gillot, rapporteur. - À vous de nous dire comment il est possible d'agir pour mettre en place le produit.

M. Harry Ozier-Lafontaine. - Le marché est trop petit pour les grandes firmes qui cherchent des débouchés à leurs produits. Des mesures particulières doivent être adoptées pour accompagner le développement de nos économies insulaires.

Je suis favorable au maintien de la recherche sur la transgénèse et les OGM, car elles peuvent apporter des solutions pour développer des cultures dans les milieux salés ou sur la mer. Ces recherches pourraient toutefois causer des problèmes pour l'environnement et la santé humaine en raison des transferts de gènes qui développent des résistances. De façon parallèle, contrairement à la recherche en génétique qui n'agit qu'au niveau de l'individu, l'agro-écologie agrège plusieurs niveaux d'organisation. Elle offre donc des marges d'amélioration bien supérieures, à condition de mettre en place d'autres modalités d'organisation. Des chercheurs belges qui sont très présents en zone tropicale, par exemple Philippe Barré, ont démontré la nécessité de changer de paradigme et d'organisation pour développer l'agro-écologie.

M. Frédéric Saudubray. - Je ne connais pas assez la question de la pisciculture. Il est vrai que le chlordécone a entraîné la fermeture de plusieurs piscicultures, mais le suivi de la qualité de l'eau manque peut-être de rigueur, malgré les mesures d'adaptation qui sont prises ponctuellement pour éviter les rejets.

Les normes me semblent positives, sous réserve de bien mesurer leurs conséquences. L'interdiction du traitement aérien a par exemple aggravé la situation, ce qui a fait perdre tout son sens à cette norme. Elle a en effet été appliquée, alors que la recherche et la profession n'étaient pas prêtes à proposer une alternative. À quel moment appliquer une norme ? Par ailleurs, la recherche peut conduire à introduire de nouvelles normes, à mesure que la performance dans la mesure de la qualité de l'eau progresse et où l'on est capable de détecter de nouvelles molécules. Nous développons aujourd'hui de nouveaux outils qui permettent de capter les effets cumulatifs des polluants dans le temps. Jusqu'où est-il utile de progresser dans la connaissance ? Chaque connaissance doit-elle se traduire par une norme ? Cette évolution ne me semble pas nécessairement bénéfique.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Vous avez évoqué les conséquences de l'interdiction du traitement aérien pour la protection des opérateurs qui répandent les produits d'épandage au sol, mais ne portent pas toujours leurs vêtements de protection. Le prototype de traitement pour les bananes pourrait-il être adopté facilement et déployé en grandeur réelle ? À quel stade de développement en êtes-vous ?

M. Frédéric Saudubray. - Nous avons arrêté le prototype. En effet, nous ne l'avons pas terminé assez vite et la profession a trouvé d'autres solutions dans l'intervalle pour le traitement. Elle utilise aujourd'hui quatre types d'équipement dont les contraintes sont différentes, à savoir l'atomiseur à dos, le quad, un pulvérisateur fogger et un pulvérisateur arboricole. Comme leur homologation représente un coût important, les firmes n'en choisiront qu'un ou deux.

M. Christian Chabrier. - Le CIRAD a consacré des moyens importants au début des années 90 à la transgénèse, mais les résultats intéressants que nous avions obtenus ont été mis au rebut ou bien utilisés par nos concurrents, ce qui a été source de frustration pour nous. L'interdiction du développement des bananiers génétiques a cependant représenté un facteur d'innovation. La caractérisation des bananiers sauvages d'Asie du Sud-Est ou de l'océan Indien et la reconstitution de l'origine des Cavendish nous permettent aujourd'hui de recréer des hybrides, à partir des sous-espèces sauvages d'Indonésie et de Madagascar. Ces efforts représentent douze ans de travail.

M. Serge Larcher. - Le sucre, le rhum et la banane des Antilles peuvent être consommés sans problème pour la santé, mais la concurrence de l'Amérique latine et de la zone Caraïbes représente une bombe à retardement. Cette situation résulte des accords commerciaux que l'Europe a signés, et non des innovations qui sont transférées à des pays en voie de développement. Les légumes racines que nous consommons localement ne sont pas produits localement, mais viennent de pays de la zone et subissent des traitements qui ne sont pas rigoureusement identifiés. Les agriculteurs antillais, quant à eux, sont soumis à une obligation de traçabilité. Les normes sont probablement trop nombreuses, mais elles sont protectrices pour la santé. Peut-être auraient-elles pu éviter que le cancer de la prostate devienne la première cause de mortalité masculine dans la zone Caraïbes. De plus, si les agriculteurs se tournent vers des produits qui sont commercialisés ailleurs, c'est parce qu'ils ne trouvent pas les produits qui permettraient de résoudre durablement les problèmes de parasites, le marché étant trop petit pour intéresser les grandes firmes. Il est donc nécessaire de dynamiser la recherche et de trouver des financements.

M. Charles Revet. - L'importation de bananes sous le label bio en provenance de pays qui utilisent des pesticides interdits en France soulève de nombreuses questions. Les variétés hybrides que le CIRAD a développées après l'interdiction des OGM peuvent-elles répondre aux besoins des agriculteurs de l'outre-mer ?

M. Christian Chabrier. - C'est le cas. Dans le cas de l'igname ou de la banane, nous travaillons sur des variétés cultivées qui sont stériles, ce qui engendre des contraintes. Il aurait été plus facile d'utiliser des outils de transgénèse que nous avons développés dans les années 80, c'est-à-dire d'injecter des gènes d'intérêt dans le plasmide des variétés de départ. Nous avons toutefois trouvé d'autres solutions innovantes. La filière pomme dans les années 80 ne commercialisait que la golden. Or, cette variété n'offre le plus souvent des produits de qualité que quand elle est produite à Angers et qu'elle est ramassée en novembre. La filière banane fait face au même problème aujourd'hui, ses produits sont hyper standardisés et produits à bas coût. Face à la grande distribution, les producteurs peinent à valoriser leurs produits. Si nous proposons des produits variés avec des goûts nouveaux, nous pourrons forcer l'ensemble de la filière à se diversifier et la grande distribution à proposer des variétés nouvelles. En quinze ans, la filière pomme a réussi à se diversifier et commercialiser une gamme de pommes dont les qualités gustatives répondent à tous les goûts des consommateurs.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Je vous remercie pour votre participation à cette séance. N'hésitez pas à nous remettre des documents complémentaires.

M. Christian Chabrier. - À la demande du Ministère de l'Agriculture, le CIRAD a coordonné un exercice collectif sous forme de guide tropical destiné aux agriculteurs. Il vise à les aider à modifier leur système de production et à appliquer les règles de l'agro-écologie dans le cadre du Plan Ecophyto. Les instituts de recherche, les instituts techniques, les chambres d'agriculture et les coopératives agricoles y ont participé.

Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer - Audition du Syndicat du Sucre de La Réunion

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Nous retrouvons nos interlocuteurs du Syndicat du Sucre qui nous avaient interpellés sur les conséquences potentiellement désastreuses de la politique commerciale européenne, ainsi que la Directrice générale adjointe du groupe Isautier et du musée La Saga du Rhum. Que ce soit pour la Guyane où est encore implantée une distillerie, pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, la production cannière représente un enjeu économique et social majeur, à la fois comme secteur pourvoyeur d'emplois et comme marqueur d'identité culturelle.

Nous devons faire la lumière sur les contraintes normatives qui affectent la filière canne, avec ses deux productions emblématiques du sucre et du rhum. L'enjeu est la préservation d'une filière essentielle pour nos territoires, ainsi que sa valorisation. Comme le rapport de Michel Magras et de Gisèle Jourda sur la production sucrière des départements des outre-mer et la négociation d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Vietnam l'a montré, cette filière est aujourd'hui menacée par la politique commerciale européenne. La délégation sénatoriale à l'outre-mer s'est déjà mobilisée pour défendre le sucre. Nous espérons que le Syndicat du Sucre nous éclairera sur les questions que nous lui avons adressées.

Mme Aurore Bury, chargée de mission Foncier et Aménagement du Territoire du syndicat du sucre de La Réunion. - En préambule, la filière canne de Guadeloupe et de La Réunion s'impose comme un modèle agricole performant qui est la clé de voûte de l'économie. À La Réunion, elle comprend 3 200 exploitants agricoles qui cultivent en moyenne 7,8 hectares, ce qui représente 58 % de la surface agricole utilisée. Ils se répartissent sur l'ensemble du territoire. La filière canne génère 18 300 emplois, qu'ils soient directs, indirects ou induits. Elle emploie 9 % de la population active, soit 13,3 % de l'emploi marchand, ce qui est important sur un territoire affichant l'un des taux de chômage les plus importants d'Europe.

La filière apparaît également comme un acteur incontournable dans l'aménagement du territoire et le développement durable, par sa capacité d'adaptation aux conditions pédoclimatiques et cycloniques de l'île, ce qui sécurise les revenus des agriculteurs. À ce titre, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a référencé la filière comme l'une des plus vertueuses dans les DOM, à l'occasion de la COP21. Elle joue également un rôle important dans le développement durable, en stockant une quantité importante de carbone, en contribuant à lutter contre l'érosion et en produisant chaque année 10 % de l'électricité de l'île, ce qui en fait une source d'énergie renouvelable significative.

La filière s'est clairement engagée dans une démarche agro-écologique volontariste, de plusieurs façons.

Elle respecte les normes en vigueur, qu'elle considère comme un gage de la qualité de ses produits et de la protection du consommateur.

Elle s'engage dans le développement de techniques alternatives. Le seul centre européen de sélection de canne à sucre se trouve à La Réunion. Les solutions variétales s'adaptent aux particularités des territoires et, aujourd'hui, la canne à sucre ne requiert plus de fongicide ou d'insecticide, grâce aux efforts menés dans le cadre de la lutte biologique depuis une trentaine d'années contre le ver blanc et le foreur. Enfin, les itinéraires techniques des herbicides tendent à faire baisser l'indice de fréquence de traitement (IFT=3,1), ce qui est très inférieur à l'indice utilisé dans le maraîchage (IFT=28 à 30).

Elle s'engage dans le domaine de l'écologie industrielle en innovant dans la gestion de ressources comme l'eau ou l'énergie.

La valorisation des ressources locales du territoire dans un schéma d'économie circulaire se traduit par la mise à disposition des produits des différentes filières en direction des agriculteurs.

Néanmoins, il existe encore des limites techniques qui nous empêchent de basculer dans une agriculture biologique.

Mme Sarah Rachi, chargée de mission Affaires européennes et réglementaires du syndicat du sucre de La Réunion. - Dans l'état actuel des connaissances et compte tenu du coût de la main d'oeuvre en France, la production de canne biologique n'est pas envisageable à La Réunion. Au vu de ce qui s'est dit dans les travaux menés au sein de l'ODEADOM, nous pensons que la situation est identique en Guadeloupe pour les mêmes raisons. Des pays tels que l'Inde, le Paraguay, la Colombie et Cuba produisent du sucre bio, parce que les coûts de main d'oeuvre sont bien plus faibles ce qui permet notamment le désherbage manuel. Les DOM rencontrent aussi d'autres difficultés qui sont d'ordre technique et organisationnel.

L'itinéraire technique de production de la matière première représente une première difficulté. La canne à sucre s'inscrit dans une relation de complémentarité avec les autres filières agricoles. À La Réunion, la filière constitue le réceptacle des résidus de la filière animale, avec les effluents d'élevage. Or, l'élevage biologique est inexistant à La Réunion et il serait nécessaire de convertir toute l'agriculture réunionnaise au bio pour pouvoir produire de la canne biologique, tout en maintenant l'équilibre entre les filières. Il faudrait également préserver, voire augmenter la fertilité et l'activité biologiques des sols en utilisant des matières organiques ou des effluents d'élevage bio, mais les gisements ne sont pas assez significatifs pour réaliser cette conversion sur toutes les surfaces.

La deuxième contrainte technique a trait à l'enherbement. Aujourd'hui, il n'est pas possible de désherber sans herbicides, même si la filière cherche à diminuer leur utilisation. La canne qui est une graminée souffre en effet de la concurrence des autres graminées qui foisonnent dans la zone tropicale. À La Réunion, environ 210 espèces de mauvaises herbes ont été recensées. Un champ perd en moyenne entre 300 kg et 500 kg de canne à l'hectare par jour de retard de traitement herbicide après un mois de compétition, ce qui équivaut à une perte de 10 % après 15 jours de retard. Compte tenu des coûts de main d'oeuvre, le désherbage manuel étant impossible, les productions bio seraient conditionnées à la mise sur le marché d'herbicides bio a minima de même efficacité que ceux actuellement utilisés. En parallèle, des travaux sont menés au centre de recherche réunionnais eRcane pour maîtriser la concurrence des adventices grâce aux plantes de couverture et aux plantes intercalaires, ainsi que sur des combinaisons d'herbicides permettant d'en réduire l'usage, en complément de la sélection variétale. Ces travaux n'ont toutefois pas encore permis de s'en dispenser.

S'il n'est pas possible d'envisager la production de canne biologique à l'échelle de l'île, qu'en est-il de la faisabilité du bio à une petite échelle ? Les structures industrielles qui existent aujourd'hui à La Réunion et en Guadeloupe ne sont pas adaptées à de petits volumes. En moyenne, une sucrerie réunionnaise broie 8 000 tonnes de canne par jour. Un planteur réunionnais livrant en moyenne 10 tonnes de canne par jour, il faudrait mobiliser huit cents planteurs pour lui permettre de tourner une journée. L'absence d'un outil industriel dédié nécessite donc de concentrer dans le temps, en début ou en fin de campagne conventionnelle, la production de sucre biologique, mais les conséquences sur l'organisation en amont seraient fortes et peu acceptables par les exploitants canniers. Enfin, la fertilisation organique, le désherbage manuel, la concentration de la production sur un temps limité engendrent de plus des baisses de rendement. À titre d'exemple, l'île Maurice a tenté l'expérience du bio dans les années 90. Un organisme de certification agronomique a suivi trois propriétés qui se sont converties au bio. Leur production maximale a atteint 558 tonnes, puis elle a été divisée par deux au bout d'un an, avant de chuter à 116 tonnes en 1998, ce qui a conduit à l'arrêt de la production. D'autres essais ont également été tentés à Marie-Galante, avec les mêmes résultats.

M. Philippe Rondeau, responsable Études Projets Développement durable du syndicat du sucre de La Réunion. - Mon propos portera sur la question des produits phytosanitaires et du processus d'homologation.

Parce que la canne à sucre grandit dans un environnement tropical, les mauvaises herbes bénéficient de conditions très favorables. Il est donc indispensable d'utiliser des herbicides pour garantir la rentabilité de la filière. Il en existe aujourd'hui une dizaine qui sont « homologués canne » à La Réunion, mais le profil éco-toxicologique de certains a été retiré en raison des nouvelles contraintes européennes. Si la palette qui couvre à peine le champ des mauvaises herbes devait encore se réduire, il faudrait désherber manuellement, ce qui ferait baisser la compétitivité du sucre réunionnais en raison du coût de la main d'oeuvre. La problématique se pose donc en ces termes : comment conserver un nombre suffisant de molécules utilisables sur la canne à sucre ?

Avec 40 000 hectares de canne à sucre, le marché est extrêmement restreint à l'échelle européenne ou française et peu attractif pour les firmes commercialisant des herbicides. Celles-ci homologuent donc des molécules sur différentes céréales comme le maïs ou le blé et demandent ensuite des extensions d'homologation sur la canne à sucre, pour laquelle l'homologation d'une molécule ne pourrait pas être amortie. Maintenir une palette d'une dizaine de molécules n'en demeure pas moins un combat permanent, à chaque prolongation d'extension d'homologation, pour inciter les industriels à soutenir la filière canne.

Nous proposons donc de mettre en place un système qui leur imposerait de discuter de façon systématique avec les filières des DOM en amont de la fin de la période d'homologation de leurs molécules.

De nombreux pays producteurs sont des pays tropicaux, par exemple l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Australie. Ils utilisent des molécules que les pays européens ont interdites en raison de leur profil toxicologique, par exemple le diuron ou l'atrazine, ce qui leur donne un avantage compétitif car ces produits peu chers ont également un large spectre. Les niveaux d'exigence environnementaux et sanitaires de l'Europe nous semblent légitimement élevés, mais nous considérons aussi que le sucre produit dans ces pays ne devrait pas entrer sur le marché européen.

Mme Sarah Rachi. - Avec l'ouverture des négociations en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le Parlement européen a d'ailleurs adopté une résolution demandant explicitement l'exclusion des sucres spéciaux du mandat des négociations pour éviter ces distorsions de concurrence.

M. Philippe Rondeau. - Concernant le sujet de la valorisation des co-produits, la filière canne se situe au coeur de l'économie circulaire sur l'île et contribue à différents services agro-environnementaux dans une démarche de complémentarité entre les filières. Elle produit plusieurs coproduits qui sont utilisés dans la filière élevage, dont :

- la mélasse qui sert à alimenter des troupeaux de bovins ;

- la paille de canne à sucre qui freine le développement des mauvaises herbes et les risques érosifs sur les champs de maraîchage ;

- les cendres de bagasse et les écumes de sucrerie ainsi que les vinasses qui fertilisent les champs de canne à sucre.

L'économie circulaire permet de réduire d'autant l'importation d'engrais minéraux.

Les normes qui réglementent l'usage de ces coproduits sont toutefois adaptées à un contexte métropolitain où les surfaces sont plus importantes et non au contexte tropical. Les sols des îles tropicales sont volcaniques et naturellement riches en deux métaux, le nickel et le chrome, ce qui génère des teneurs en métaux lourds plus élevées pour ces coproduits que pour leurs équivalents métropolitains dans d'autres filières. Ces normes nous empêchent donc de les utiliser facilement sur les champs de canne à sucre.

Nous portons donc trois demandes au nom de la filière :

- la prise en compte des particularités des territoires insulaires tropicaux dès les phases de réflexion sur les nouvelles normes pour des produits fertilisants ou des produits amendants ou au moment de leur révision. Il faut agir en amont du processus normatif car obtenir une adaptation est lourd et complexe ;

- une nouvelle normalisation sous la norme NFU44051 pour les écumes de sucreries de canne qui respectent aujourd'hui une norme adaptée à la betterave sucrière. Cette demande remonte à mai 2012 et n'est toujours pas satisfaite ;

- des dérogations sur les coproduits issus de végétaux de La Réunion, écumes de sucrerie, cendres de bagasse et composts de déchets verts, pour accepter des teneurs en nickel et en chrome plus élevées.

Mme Danièle Le Normand, présidente de La Saga du Rhum. - Depuis plusieurs années, la valorisation de la vinasse se pose comme une problématique insulaire d'économie circulaire. Trois distilleries s'inscrivent aujourd'hui dans la filière « canne, sucre, rhum et énergie » et la vinasse est caractérisée comme un effluent des distilleries. Nous avons lancé en 2001 une étude avec le CIRAD pour étudier comment les résidus de la distillerie pouvaient être apportés aux champs, la vinasse étant très riche en potasse. Cette étude a abouti à l'issue de la cinquième année sur un protocole d'épandage et elle a donné lieu à une publication au titre de la fertilisation organique à La Réunion.

Depuis 2005, la distillerie du Groupe Isautier produit 10 000 à 12 000 m3 de vinasse par an, les deux autres en produisant davantage. Ces modèles n'apportent toutefois pas de solutions adaptées et économiques à l'agriculture, malgré les partenariats d'étude qui ont été conclus, par exemple, en Afrique du Sud. Une distillerie sud-africaine à Durban développe en effet une pratique qui serait très pertinente pour notre territoire, à savoir un procédé d'énorme concentration. Cette vinasse concentrée est ensuite épandue dans les champs de canne à sucre sur 120 000 hectares comme élément fertilisant. Elle pourrait être utilisée dans toutes les productions agricoles qui ont un besoin majeur de potasse comme les bananes ou l'ananas, mais également dans les circuits d'irrigation en plein champ et surtout sous les serres.

Les pratiques de l'OCDE faisant l'objet d'une grande vigilance de la part de la CIRAD, la validation du procédé est encore en cours. À partir de janvier 2017, la distillerie d'Isautier lancera la mise en oeuvre d'une évapoconcentration pour obtenir une vinasse concentrée, stabilisée et conservant sa teneur en potasse. Nous souhaitons également faire reconnaître ce procédé en norme française, sur la base de l'étude du CIRAD. Bien que cette démarche s'inscrive dans l'économie circulaire, que le produit ait fait l'objet d'une étude vérifiée et que ce modèle soit vertueux pour nos îles, il est troublant de constater que la durée de reconnaissance de la norme NF s'élève à huit mois. Une autre distillerie, la plus importante de l'île, s'est en parallèle lancée sous la pression de la réglementation dans la mise en oeuvre de méthanisation, ce qui suppose un certain volume et une certaine durée de production dans l'année. Elle tentera de faire reconnaître les résidus post-méthanisation comme des engrais.

Je souhaite témoigner d'une difficulté liée à la mise en oeuvre des reconnaissances dans des délais adaptés à nos économies et aux enjeux de nos filières. Les temps nécessaires à l'obtention des normes sont en décalage avec ce qui se pratique aujourd'hui dans d'autres pays, ce qui fait peser une pression sur l'industrie qui suit l'effort de la filière qui est de nature à déstabiliser celle-ci.

M. Jacques Gillot, rapporteur. - Je vous remercie pour ces informations sur un sujet que la délégation a beaucoup étudié. Pensez-vous que les normes européennes actuelles et les accords signés sans la participation des ultramarins font peser une menace sur l'avenir de la filière ?

Mme Danièle Le Normand. - Cette question préoccupe tous les départements d'outre-mer et je vous remercie de vous en préoccuper également. Je vous répondrai par une pirouette qui éclairera ma réponse : existe-t-il un projet alternatif de culture correspondant au poids de la filière en termes d'emplois ? Nous nous sommes inquiétés en apprenant qu'Hawaï arrêtait cette année la production de canne à sucre qui occupait 80 000 hectares de l'île, il y a trente ans. En tant que Réunionnaise, je suis soucieuse d'un développement économique harmonieux qui trouve des débouchés en France et en Europe, mais nous ne sommes pas en mesure d'arrêter la mondialisation et la réglementation qui s'imposent à nous. Il n'existe pas non plus de filière alternative. Le bilan de la filière doit intégrer aujourd'hui dans l'équation les bienfaits nés de l'économie circulaire et du bilan carbone, ce qui nous engage à poursuivre une valorisation de cette filière pour exporter les modèles industriels performants, en lien avec les services de l'économie circulaire que nous savons développer au-delà de nos îles, par exemple vers l'Afrique. Par ailleurs, la canne à sucre façonne le paysage à tel point qu'il est impossible d'imaginer La Réunion sans, ce qui est vrai également pour la Martinique et la Guadeloupe.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Je souhaite vous poser plusieurs questions techniques sur ce sujet que je connais peu.

La durée de l'autorisation de mise sur le marché varie-t-elle selon le produit phytosanitaire ou est-elle la même pour tous les produits pendant dix ou vingt ans ?

Quand les fabricants demandent une extension d'homologation des molécules utilisées sur les céréales, ont-ils mesuré au préalable l'efficacité du produit sur la canne à sucre ?

La présence du nickel et le chrome se retrouve-t-elle dans toute la tige de la canne à sucre ou seulement dans le bas comme avec le chlordécone ?

M. Philippe Rondeau. - Je ne peux pas répondre à la première question mais la durée d'une autorisation de mise sur le marché varie en général entre cinq et dix ans.

Je vous confirme que des tests mesurent l'efficacité des molécules sur la canne à sucre, ainsi que leur innocuité pour le végétal. Cet aspect fait partie des éléments demandés lors de la constitution du dossier d'extension d'homologation. Les filières réunionnaise et guadeloupéenne aident d'ailleurs les firmes à mettre en place ces essais dans l'environnement tropical.

Le CIRAD a mené de nombreux essais sur la particularité des sols réunionnais sur la teneur en nickel et en chrome. Il en ressort que si le chrome et le nickel sont présents dans les sols depuis des millénaires, leur teneur dans le végétal n'est pas plus élevée. De plus, ils ne sont pas phyto-disponibles, c'est-à-dire qu'ils restent stables dans les sols. Leurs états natifs sont enfin très peu dangereux pour l'environnement et la santé humaine. Notre demande de dérogation s'appuie donc sur cette base scientifique. Par ailleurs, les métaux lourds qui sont extraits du sol retournent ensuite au sol au moment de la fertilisation par ces coproduits dans un mouvement circulaire. Il n'existe donc aucun risque d'enrichissement en nickel et en chrome des sols réunionnais.

Les métaux se retrouvent en partie dans la bagasse et dans les écumes par la terre lors du chargement mécanique de la canne, et non par le végétal.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - En quoi l'arrêt de la production de la canne à sucre à Hawaï serait une opportunité pour La Réunion ? Je n'ai pas compris pourquoi Danièle Le Normand y voyait une source d'inquiétude.

M. Philippe Rondeau. - Les propos de Danièle Le Normand visaient à nous inciter à la vigilance. Nous devons nous interroger avant tout sur les moyens de donner un avenir à la filière. Pour nous, il est inenvisageable de se placer dans la logique hawaïenne et de supprimer la filière, car nous n'avons pas d'autre alternative.

Mme Odette Herviaux. - Sur certains territoires, pour la culture du blé, la modification du couvre-sol et le fait de resserrer le semis remplacent les herbicides, la concurrence entre plantes permettant de favoriser le blé. Pourriez-vous apporter des précisions sur les recherches menées sur l'association de plantes pour contrer les graminées ?

M. Philippe Rondeau. - La canne à sucre est déjà très couvrante, c'est-à-dire qu'elle pousse vite et qu'elle est très dense, mais les mauvaises herbes restent très compétitives. Les pailles qui restent après chaque récolte limitent également leur développement. La sélection variétale vise aussi à augmenter la compétitivité de la canne et ses capacités d'autoprotection, mais les herbicides sont indispensables. Pour réduire leur recours, le centre de recherche met en place une solution innovante qui consiste à semer des plantes de service sur les inter-rangs de canne à sucre, selon des itinéraires très pointus. Elle ne pourra toutefois pas être employée dans tous les contextes de sols et de reliefs de La Réunion et ne permet donc pas d'envisager à court et moyen terme de ne plus utiliser d'herbicides.

Mme Aurore Bury. - L'enherbement pose un problème plus difficile pour les lianes qui poussent tous les quinze jours en milieu tropical. Contre les graminées, nous avons déjà testé plusieurs pratiques alternatives qui sont efficaces. Les paillages permettent de réduire de 70 % l'enherbement durant les trois premiers mois. La technique des rangs jumelés est également utilisée avec les plantes intercalaires, mais celles-ci peuvent servir de tutrices pour les lianes.

M. Michel Vergoz. - Quelles contraintes pèsent sur nos productions et sur celles de nos concurrents ? Un expert a démontré sans équivoque possible que la banane de la République dominicaine n'avait rien de biologique, alors qu'elle est commercialisée comme telle en France, ce qui suscite bien des interrogations. Comment est-ce possible ? Où est l'État ? Qui régule ? Ce n'est pas une simple tromperie sur la marchandise, mais une véritable escroquerie au niveau international.

De plus, certaines contraintes environnementales qui pèsent sur le sucre ont conduit à l'interdiction de certaines molécules. Or, elle ne s'applique pas dans d'autres pays qui nous concurrencent sur la niche des sucres spéciaux. En tant que parlementaires, comment pouvons-nous garder la confiance des citoyens ? Même si vous avez raison de demander des dérogations sur le chrome ou le nickel pour préparer l'avenir, cette question qui n'est qu'accessoire relève d'une posture défensive. Il me semble que nous devrions faire preuve de plus de hargne sur l'essentiel, c'est-à-dire ne pas laisser perdurer ces inégalités entre les produits sur le marché européen. Que dire de l'accord bilatéral avec le Vietnam ? La même question se posera demain avec l'Afrique du Sud, puis l'Amérique du Sud. C'est bien le moins d'exiger l'exclusion des sucres spéciaux qui sont traités avec des molécules interdites. Les parlementaires doivent se faire entendre du Gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, en se mettant d'accord sur un dénominateur commun. À quand une posture offensive ?

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Le sénateur a posé la question de fond. Pourquoi continuer d'accepter l'inacceptable ?

Mme Aurore Bury. - Nous ne pouvons que partager ces propos. Il est avant tout nécessaire de faire preuve de cohérence et d'adopter une démarche plus offensive dans la protection des produits de qualité issus de nos territoires.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - La question se pose surtout à nous. Nous devrons l'aborder avec fermeté dans notre rapport pour obtenir des résultats. Il est inacceptable d'opposer à nos produits qui sont conformes des barrières insurmontables quand d'autres peu vertueux sont mis sur le marché. Nous vous remercions infiniment de votre participation.

Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux outre-mer - Filière pêche et aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Les auditions qui suivent participent des travaux que mène la délégation à l'outre-mer pour évaluer l'impact des normes sur notre aquaculture, notamment par rapport à ses concurrentes. Je tiens à vous remercier de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions sur la filière pêche et aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon. Vos exposés peuvent suivre le questionnaire que nous vous avons adressé ou bien aller au-delà. Ils seront suivis d'un échange de questions et réponses.

Nous auditionnons cet après-midi :

- Monsieur Herlé Goraguer, du département Ressources biologiques et environnement de l'IFREMER, qui oeuvre notamment depuis plusieurs années pour le développement de la pectiniculture, c'est-à-dire l'élevage de la coquille Saint-Jacques ;

et, par visioconférence :

- Madame Carole Coquio, de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

- et Monsieur Benoît Germe de la société « Exploitation des Coquilles » (EDC), basée à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui est la seule entreprise aquacole française à élever des coquilles Saint-Jacques, la Royale de Miquelon.

M. Benoît Germe, collaborateur de la société EDC. - Le secteur aquacole de Saint-Pierre fait principalement l'élevage des coquilles Saint-Jacques, celui des moules donnant lieu à des essais plus limités. Des opérateurs ont également porté d'autres projets, à savoir un projet de grossissement de morues à partir d'un captage de juvéniles en milieu sauvage, ainsi qu'un élevage de salmonidés, truites et saumons qui s'est révélé prématuré, bien qu'opérant au niveau technique. La zone représente de façon générale un potentiel important, sous réserve de trouver des opérateurs et des investisseurs capables de porter ces projets. La pêche de loisir permet aussi d'obtenir un certain volume de poissons d'une espèce qui est endémique dans la région et susceptible d'intéresser les marchés européens, l'omble de fontaine. Les espèces aquacoles en production à Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont en effet pas concurrencées sur le marché européen. En France, de nombreuses centrales d'achats recherchent des produits d'origine française que nous pourrions satisfaire.

Le projet EDC a démarré en 2001 dans le secteur privé. Un travail important en recherche et développement a permis de développer plusieurs techniques sur les juvéniles, même si l'entreprise doit encore progresser dans la production de la coquille finale. Elle produit des juvéniles de coquilles Saint-Jacques, c'est-à-dire qu'elle capture un naissain sauvage en mer, puis l'élève pour obtenir un stade de coquille qui est ensuite ensemencé au fond de la mer. Elle en produit déjà de petites quantités. Ce projet intéresse toute la filière, depuis l'activité de recapture de ces coquilles par des bateaux de pêche jusqu'aux entreprises de transformation sur Miquelon pour la mise sur le marché des produits. L'entreprise emploie directement une vingtaine de personnes et donne de l'activité aux usines de transformation et aux deux bateaux de pêche qui comptent entre deux à quatre personnes à bord.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Selon la note que vous nous avez transmise, cette production n'est pas suffisamment à maturité, puisque la mise sur le marché suppose de produire entre 19 et 20 millions de juvéniles par an. À partir de quand votre production sera-t-elle rentable ?

M. Benoît Germe. - Actuellement, les productions mises sur le marché peuvent atteindre jusqu'à 12 tonnes de noix de Saint-Jacques par an. À titre indicatif, huit kilos de coquilles sont nécessaires pour obtenir un kilo de noix. La consommation locale s'élève par ailleurs à 8 tonnes par an, le reste s'écoulant sur d'autres marchés assez facilement. Il nous reste cinq à six ans de travail pour valider les études concernant l'ensemencement pour espérer obtenir un volume de 19 millions de juvéniles par an. Nous maîtrisons bien les deux premières années d'élevage et de production de juvéniles dont le cycle global s'étire sur sept ans. Nous devons encore améliorer dans le cycle d'ensemencement en mer les techniques de drague et le suivi de faune. L'enjeu est d'assurer une répétitivité industrielle raisonnable de l'ensemble de la chaîne, de la capture du naissain à la coquille dite industrielle. Il existe une autre technique d'élevage, l'élevage en panier suspendu en mer, mais cette solution engendre des coûts trop élevés. Les Japonais ont d'ailleurs également choisi la technique de l'ensemencement en mer qui est l'option économique la plus viable.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Cette technique est-elle opérée dans des lieux où vous seuls pouvez récupérer les coquilles ? D'autres opérateurs peuvent-ils pratiquer cette collecte ?

M. Benoît Germe. - Nous avons choisi des zones d'ensemencement à proximité des côtes, qui sont pour ainsi dire un jardin. La technique des semis en mer s'apparente en effet à la culture des carottes. Nous les déposons à l'aide d'un GPS de façon extrêmement précise. Un décret ministériel fixe par ailleurs les limites des zones qui sont interdites de pêche. Elles doivent être en théorie surveillées, mais je pense que la prédation extérieure y est limitée.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Quelles contraintes et quelles normes s'appliquent dans votre secteur géographique ? Comment parvenez-vous à rester concurrentiels ? Quelles sont les normes environnementales et sanitaires nationales que le secteur aquacole doit respecter ? Quelles normes les productions de Saint-Pierre-et-Miquelon doivent-elles respecter pour pouvoir entrer sur le marché européen ? Sur le marché canadien ? Sur le marché américain ?

Mme Carole Coquio, adjointe au chef du service Alimentation à la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer de Saint-Pierre-et-Miquelon. - L'ensemencement en mer nous autorise à commercialiser nos produits en produits de la pêche qui subissent moins de restrictions à l'entrée sur le marché européen, alors que les produits de l'aquaculture ne sont pas autorisés à entrer dans l'Union européenne.

M. Benoît Germe. - En 2007, les vétérinaires européens ont inspecté nos installations après une demande d'agrément concernant la production de mollusques bivalves vivants dans l'archipel. Ce sont eux qui nous ont conseillé de ne pas les déclarer autrement qu'en produits de la pêche, arguant que l'archipel ne dispose pas des moyens techniques nécessaires pour remplir les demandes qui conditionnent l'exportation des oursins et des coquilles Saint-Jacques vivants sur les marchés européens.

Mme Carole Coquio. - Ces pratiques sont mises en oeuvre dans les autres zones de pêche européennes. La coquille Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc, qui relève de l'ensemencement est, elle aussi, considérée comme un produit de la pêche.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Faut-il comprendre de vos propos que les fonctionnaires eux-mêmes vous donnent les moyens d'exporter, alors que la réglementation vous l'interdirait en France continentale ?

Mme Carole Coquio. - La réglementation nous le permet, mais sous réserve d'obtenir un certificat à l'export vers l'Union européenne et donc de mettre en place un plan de contrôle spécifique. Avec la technique de l'ensemencement que la société EDC utilise, le produit est considéré comme un produit de la pêche, au bout de trois ans en milieu naturel, et non plus comme un produit de l'aquaculture.

M. Benoît Germe. - La mise sur le marché des mollusques se heurte à une difficulté, les vétérinaires européens et canadiens ne reconnaissant pas les tests qui sont utilisés dans leurs pays respectifs pour analyser les phyto-toxines. Compte tenu de notre positionnement géographique, si nous commercialisions un produit d'aquaculture en frais, il nous faudrait envoyer les échantillons en France, dont nous aurions les résultats bien après la commercialisation des produits. Il n'est pas non plus possible techniquement de les envoyer au Canada, puisque leurs tests ne sont pas reconnus en Europe. Indépendamment de cette contrainte, il ne me semble pas intéressant pour l'heure d'exporter des produits frais. Nous manquons encore des infrastructures logistiques nécessaires pour en exporter des quantités significatives.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Vous est-il possible d'exporter vos produits congelés vers le Canada ? Utilisez-vous les tests nord-américains ou ces tests ne s'appliquent-ils qu'aux produits frais ?

M. Benoît Germe. - Nous ne rencontrons aucune difficulté pour les produits congelés et les tests ne portent que sur les produits frais. Les services vétérinaires de Saint-Pierre assurent un suivi de zone sur les toxines et nous sommes en mesure de constituer des dossiers solides. Nous n'exportons par ailleurs aucun produit transformé. Les coquilles sauvages qui sont pêchées dans la zone française et vendues à Terre-Neuve ne subissent pas le moindre contrôle de la part des Canadiens.

Mme Carole Coquio. - Ils les considèrent probablement comme des produits canadiens et se chargent eux-mêmes des contrôles. Cependant, les Canadiens sont plus protectionnistes que les Américains. Il est plus facile de vendre un produit aux États-Unis.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Comment situez-vous les Européens par rapport à eux ?

M. Benoît Germe. - Les Américains me semblent plus souples que les Européens sur la réglementation sanitaire, contrairement aux idées reçues. Nous commercialisons beaucoup de poissons surgelés sur les marchés européens. Tous nos produits subissent les mêmes contraintes que celles qui s'appliquent aux produits alimentaires. L'archipel reste toutefois considéré à l'arrivée comme un pays tiers en matière sanitaire, y compris de la part des vétérinaires de Roissy avec lesquels nous avons rencontré plus de difficulté pour des produits frais qu'en Belgique ou en Allemagne. Les services vétérinaires de Saint-Pierre ont dû intervenir pour laisser entrer les produits.

L'Union européenne nous autorise à importer les produits de la pêche auxquels est assimilée la coquille Saint-Jacques. Le protocole de contrôle qui s'applique alors à nos produits est conforme à la réglementation française et européenne sur la base d'un plan de surveillance sanitaire supervisé par la Direction générale de l'Alimentation.

Mme Carole Coquio. - Deux protocoles sont mis en place à Saint-Pierre-et-Miquelon, d'une part, le contrôle des produits, d'autre part, le suivi des zones de pêche grâce à des analyses de phytoplancton et de la qualité de l'eau.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - La spécificité de Saint-Pierre-et-Miquelon tient à votre position géographique excentrée par rapport à l'Europe. D'après vos propos, vous rencontrez de plus grandes difficultés pour expédier vos marchandises par Roissy que par Bruxelles.

M. Benoît Germe. - Nous n'avons rencontré ce problème qu'une seule fois. L'archipel est un petit territoire dont les productions sont peu importantes en volume. Or, il nous est demandé de mobiliser les moyens dont dispose un État, ce qui pose des problèmes de financement.

Ce sont nos autorités de tutelle, notamment le ministère de l'agriculture, qui valident le plan de contrôle sanitaire. Les difficultés à l'entrée sont ponctuelles, mais le suivi local est conforme aux normes sanitaires françaises.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - De par sa position géographique, l'archipel se trouve également soumis aux règlements européens et à ceux du continent nord-américain. Lesquels sont les plus contraignants ? Dès lors que vous respectez les normes les plus contraignantes, vos produits répondent-ils à toutes les autres ou sont-elles spécifiques à chaque pays ?

M. Benoît Germe. - L'archipel est contraint de mener une démarche spécifique selon les pays vers lesquels il souhaite exporter ses produits, que ce soit vers l'Union européenne, le Canada ou les États-Unis.

Mme Carole Coquio. - Tout produit sur le territoire doit respecter les normes en matière d'hygiène, à savoir le Paquet Hygiène. Nous établissons ensuite un certificat à l'export vers le Canada ou les États-Unis et nous vérifions que nos produits respectent les réglementations de ces pays.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Le Canada exporte-t-il ses coquilles Saint-Jacques vers l'Union européenne ? Vous concurrence-t-il sur le marché européen, puisque ses ressources lui permettent de procéder aux tests nécessaires à l'export ?

Comment mesurer le différentiel de compétitivité des aquaculteurs de Saint-Pierre-et-Miquelon par rapport à leurs concurrents canadiens ou américains exportant vers l'Union européenne ?

M. Benoît Germe. - Le Canada nous concurrence sur le marché européen. Le marché français des pectinidés représente le premier marché européen, mais seulement en valeur. Il est donc très attractif pour tous les producteurs de noix de Saint-Jacques. Les productions endémiques françaises approvisionnent le marché français des coquilles Saint-Jacques à hauteur d'à peine 20 %. Ce sont les Canadiens et les Américains qui exportent vers l'Europe et la France la même espèce en très gros volumes. Il existe trois catégories de produits, à savoir la pecten maximus produite en France, la placoplecten magellanicus que nous élevons en provenance de la zone nord-américaine et l'espèce d'Amérique latine de plus petite taille, moins chère et utilisée dans les plats cuisinés. Les États-Unis exportent aussi des coquilles fraîches par avion à Rungis et sur le marché européen.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Est-il vrai que les États-Unis consomment les coquilles Saint-Jacques, sans le corail ?

M. Benoît Germe. - Le corail étant considéré comme la partie à risque en cas de contamination, les États-Unis ne commercialisent que la noix et interdisent la consommation de corail. C'est en réalité l'hépatopancréas qui est susceptible de contaminer le produit. En termes de préparation, il est par ailleurs cinq fois plus rapide de ne conserver que la noix au lieu d'enlever l'hépatopancréas sans polluer l'ensemble de la noix et en conservant le corail. Cette tendance se répand à l'heure actuelle en Europe. Les Espagnols pour leur part consomment la totalité de la coquille.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Les capitaux d'EDC sont-ils privés ?

M. Benoît Germe. - EDC est une société privée qui se concentre sur l'activité d'élevage. Elle appartient à un ensemble d'entreprises qui comprend une unité de transformation et des navires de pêche. Cette unité a reçu des agréments européens qui lui permettent de transformer les coquilles et de les exporter.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Quel soutien apporte l'Ifremer au développement de la filière aquacole de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Herlé Goraguer, chercheur au département Ressources biologiques et environnement à Ifremer. - Le projet a débuté au début des années 2000 et a connu des débuts difficiles, en raison d'une méconnaissance du milieu aquacole de la rade de Miquelon. En 2006, l'État a donc demandé à l'Ifremer d'assister l'entreprise EDC au niveau technique. L'intervention de l'Ifremer visait à mieux caractériser l'élevage et à définir une série de problèmes liés à la température d'eau, aux courants et à la nature des fonds pour les ensemencements. L'institut a ainsi développé des systèmes de caméra vidéo sous-marine et de mesure du phytoplancton dans la colonne d'eau et s'est efforcé d'identifier les zones les plus appropriées pour le captage des naissains. C'est l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) qui a financé 80 % de ces actions, permettant la mise à disposition quasiment à plein temps d'un ingénieur aquacole et d'une technicienne. Depuis l'été 2015, l'Office a toutefois suspendu son financement et l'Ifremer n'a plus d'ingénieur en poste à la suite d'un audit de la société. Nous attendons de connaître la suite qui sera donnée à ce projet.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Quelles seraient les étapes complémentaires nécessaires au développement d'une filière de la coquille Saint-Jacques à Miquelon ?

M. Herlé Goraguer. - Le développement d'une filière aquacole dans son ensemble s'inscrit dans la durée, par exemple vingt ans dans le cas de la crevette en Nouvelle-Calédonie qui a bénéficié d'un appui scientifique important de l'Ifremer. À titre de comparaison, l'institut ne soutient le projet EDC que depuis peu (2006) et avec des moyens assez limités. Nous jugeons cependant le projet viable techniquement, mais le recrutement des naissains reste exposé à des aléas environnementaux ou climatiques qui pourraient contraindre l'entreprise à les importer du Canada. Pour que le projet monte en puissance, il est indispensable d'augmenter les quantités de juvéniles produits et de résoudre des difficultés techniques liées aux semis dans un milieu naturel. Actuellement, le taux de survie des juvéniles en recapture au bout de cinq ans ne dépasse pas 15 % en raison de la prédation des crabes et des étoiles de mer notamment et de la mortalité, ce qui est très en deçà de celui du Japon à 40 %.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Avez-vous envisagé de produire les naissains à partir des juvéniles ?

M. Herlé Goraguer. - Une écloserie coûte cher en main d'oeuvre, au moins deux ou trois emplois permanents. Elle suppose, de plus, de produire des algues pour nourrir les coquilles et pour les faire pondre. Il est donc préférable de se fournir en naissains à partir d'un captage naturel ou au Canada.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Les naissains sont-ils soumis à des normes précises ?

M. Herlé Goraguer. - Les services vétérinaires de Saint-Pierre-et-Miquelon contrôlent ces importations pour éviter la propagation de virus ou d'espèces marines invasives.

Mme Carole Coquio. - Les naissains achetés au Canada entrent avec un certificat sanitaire des autorités canadiennes garantissant l'absence de contaminant externe.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Qu'en est-il de l'espèce japonaise ?

M. Herlé Goraguer. - Cette espèce n'est pas adaptée aux eaux de Saint-Pierre-et-Miquelon qui sont beaucoup trop froides.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Le réchauffement du climat et des eaux ne devrait-il pas changer la donne ?

M. Herlé Goraguer. - Pour l'heure, avec 0,1 degré, le réchauffement climatique est trop ténu pour mettre en péril l'élevage.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Que représentent la pêche et l'aquaculture dans l'activité économique de l'archipel ? Des potentiels de développement peuvent-ils en être attendus ? Ces marchés resteront-ils des niches ? Serez-vous en mesure de vous positionner sur le marché nord-américain ?

M. Benoît Germe. - La population de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon s'élève à seulement 6 000 habitants. Dans le village de Miquelon où vivent 600 personnes, l'activité de pêche et d'aquaculture occupe 70 personnes. L'activité du territoire se partage entre la pêche et l'aquaculture à hauteur de 25 % et des activités administratives. Les seuils d'emplois que l'archipel a connus, il y a trente ans, ne sont plus d'actualité, c'est pourquoi la filière doit être maintenue sur l'archipel dont aucune autre activité ne peut prendre le relais. Développer l'aquaculture à Saint-Pierre-et-Miquelon est en effet techniquement possible, sous réserve de trouver les financements et les porteurs de projet. Les élevages de poissons sont toutefois soumis au cycle de l'animal, par exemple 20 ans dans le cas de l'esturgeon ou 7 ans pour la coquille Saint-Jacques, et à des aléas qu'il reste encore difficile de maîtriser. Les personnes qui se consacrent aujourd'hui à l'élevage de saumons tirent profit des investissements qu'ont consentis leurs grands-parents. Les élevages aquacoles sont donc encore relativement récents, comparés aux élevages bovins par exemple, et reposent sur des techniques qu'il est nécessaire de développer pendant une vingtaine d'années.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - En résumé, l'environnement est favorable, mais ces élevages qui s'inscrivent dans une démarche de long terme supposent de trouver des investisseurs, indépendamment des essais qui peuvent être développés, par exemple sur les salmonidés.

M. Benoît Germe. - L'environnement concurrentiel doit aussi être pris en compte. Le Canada dispose de moyens financiers et de surfaces énormes pour ses élevages aquacoles. Il vient d'investir huit millions de dollars dans une écloserie. Le moindre projet aquacole à Saint-Pierre est plus difficile à financer. Nous sommes des nains en comparaison des Canadiens.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - N'avez-vous jamais envisagé l'élevage de l'esturgeon à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Benoît Germe. - Je connais le producteur qui produit le caviar d'Aquitaine. Il y travaille depuis 30 ans.

M. Herlé Goraguer. - Il existe deux espèces d'esturgeon au Canada qui ne sont pas exactement celles que nous trouvons chez nous. Elles ont d'ailleurs subi des pertes importantes en raison des pollutions du Saint-Laurent. Elles sont élevées et pêchées pour être consommées, et non produire du caviar, contrairement à l'Aquitaine. Nous n'avons jamais envisagé sérieusement de promouvoir cette aquaculture. Quant à la morue dont l'aquaculture a été tentée en 2006 contre l'avis de l'Ifremer, l'élevage n'était pas viable et il a été arrêté en 2010 : la température des eaux en période hivernale en rade de Saint-Pierre, dans une vingtaine de mètres d'eau, empêchait les morues de se nourrir. Actuellement, un marin pêcheur développe plus ou moins efficacement un élevage de moules pour la consommation locale. Sa production actuelle s'élève à trois ou quatre tonnes et nous espérons qu'elle atteindra douze tonnes, car le marché en est demandeur.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Connaissez-vous des problèmes de débouchés ?

M. Benoît Germe. - Ce n'est pas le cas. La demande de nos clients européens pour la coquille Saint-Jacques s'élève à 120-130 tonnes de noix par an et nous serions déjà satisfaits si nous en produisions 90 tonnes par an, ce qui n'est pas négligeable pour l'archipel. Le prix de vente du produit fini fluctue actuellement entre 27 et 30 euros le kilo, contre 12 euros dans le passé. Cet élevage est donc pertinent, puisqu'il permet de dégager des plus-values qui compensent nos surcoûts liés à la logistique. Ce qui n'est pas le cas avec la moule, vendue 1 200 euros la tonne en marché de gros, ce qui ne couvre pas le prix du transport.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Vous travaillez pour vos petits-enfants qui devront développer ce potentiel à leur tour.

M. Benoît Germe. - Nous l'espérons. Sur le plan technique, la filière sera exploitable d'ici cinq ans, si nous respectons toutes les procédures d'ensemencement en mer. Son développement reposera ensuite sur notre capacité à trouver des investisseurs.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Produisez-vous exclusivement des coquilles Saint-Jacques ou également des pétoncles ?

M. Benoît Germe. - Comme l'Europe a voulu simplifier l'information destinée aux consommateurs, certaines espèces de pétoncles ont reçu l'appellation de « coquilles Saint-Jacques » ou de « noix de Saint-Jacques », et notamment celle que nous élevons grâce au lobbying intense des États-Unis et du Canada. Quand la société bretonne Tipiak vante dans ses publicités les gratins des grands-mères, la liste des ingrédients de ses produits vient en réalité du Chili ou d'Argentine, parce que ces productions sont bien moins chères que nos productions françaises.

Mme Carole Coquio. - La noix de Saint-Jacques bénéficie de cette appellation quand elle est commercialisée en noix. Elle est dénommée pétoncle quand elle est commercialisée en frais avec coquilles. Nous n'avons donc pas intérêt à la vendre en frais.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - La pétoncle est considérée en France comme une noix de Saint-Jacques bas de gamme. Je vous remercie de ce que vous nous avez appris.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Ce produit est un produit de niche, mais il est intéressant pour votre territoire.

Mme Carole Coquio. - Je souhaite également apporter des éléments de réponse au quatrième point de votre questionnaire relatif aux analyses de toxines, de métaux lourds, de microbiologie et de phytoplancton sur les produits aquacoles, notamment les mollusques bivalves.

Le laboratoire crée toutes les conditions pour que les analyses soient faites. Les noix de Saint-Jacques supposent d'analyser les phyto-toxines. Le laboratoire met donc en place un kit chimique pour les toxines, mais celui-ci n'est pas reconnu. En conséquence, nous validons nos analyses en les envoyant toutes les trois semaines au laboratoire IDAC de Nantes qui utilise la méthode Afnor (chromatographie haute performance) pour comparer les valeurs des différents tests.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - C'est donc un double contrôle.

M. Benoît Germe. - Nous rencontrons les mêmes difficultés sur les analyses bactériologiques. Les laboratoires sont soumis à la norme COFRA, mais celui de Saint-Pierre n'a pas reçu cet agrément. Certains clients nous obligent donc à garantir les résultats du laboratoire par une double analyse. Les différents scandales alimentaires ont en effet conduit les assureurs à mettre en place des normes plus exigeantes que les normes vétérinaires de la législation.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Vos assureurs sont-ils européens ou américains ?

M. Benoît Germe. - Ce sont ceux de nos clients. Les normes sanitaires demandées par la mise sur le marché sont parfois plus exigeantes que les normes réglementaires. Le volume de production de l'archipel ne justifie pas d'ouvrir un laboratoire certifié COFRA, ce qui requerrait un investissement important et du personnel. Les activités ne peuvent cependant pas se développer en l'absence d'un laboratoire certifié. Nous sommes enfermés dans un cercle vicieux, tant que ne s'exprime pas la volonté politique de financer les infrastructures.

Mme Carole Coquio. - Le laboratoire ne dépend que de la Direction générale de l'Alimentation.

M. Éric Doligé, président et rapporteur coordonnateur. - Nous vous remercions pour la richesse de ces informations et pour votre disponibilité. Nous ne manquerons pas de vous demander des renseignements complémentaires en cas de besoin. Nous vous souhaitons de réussir sur la durée.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Est-il courant que l'Ifremer intervienne de façon permanente dans ce type de projet ?

M. Herlé Goraguer. - Dans le passé, l'implantation de l'Ifremer à Saint-Pierre-et-Miquelon a employé jusqu'à 17 personnes, avec un navire de recherche scientifique, dans un contexte marqué où la pêche à la morue représentait une activité importante jusqu'au moratoire de 1992 et la réduction de la zone économique exclusive à un simple couloir.

Comme l'Ifremer ne voulait pas garder sur place une équipe scientifique dédiée à l'halieutique, l'évaluation des ressources en appui à l'industrie de transformation de la morue, il ne restait plus en 1994 qu'un seul agent qui est parti à la retraite en 2009. Le Grenelle de la mer a toutefois fixé le principe du maintien d'une activité de recherche marine de la compétence de l'Ifremer dans les outre-mer. J'ai donc accepté d'y retourner en 2010 et je suis chargé de tous les domaines de compétence de l'Ifremer, à savoir l'aquaculture, la biodiversité, les espèces invasives, l'halieutique et les courants.

Bien que la recherche ait pris beaucoup de retard sur Saint-Pierre-et-Miquelon, deux thèses d'État viennent d'être lancées ainsi qu'un programme de recherche important pour l'année prochaine. Nous souhaitons faire venir un bateau de l'IRD pendant quatre mois en lien avec d'autres laboratoires pour étudier la nature des sédiments marins, les courants et les températures d'eau. Certains phénomènes sont particulièrement prometteurs, notamment le phytoplancton dont des espèces nouvelles pourraient être décrites. Le concombre de mer doit également faire l'objet d'évaluations. Il est transformé au Canada et commercialisé sur le marché asiatique. Son exploitation a atteint 1 100 tonnes l'année dernière et fait travailler deux bateaux artisans pendant la période estivale. Nous avons prévu de lancer une mission l'année prochaine qui sera financée en partie par la Direction des Pêches Maritimes et de l'Aquaculture. Annick Girardin, ancienne députée de Saint-Pierre-et-Miquelon et ministre de la Fonction publique et George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, sont également disposées à financer des recherches sur l'environnement marin.

Le seul organisme de recherche physiquement présent à Saint-Pierre-et-Miquelon est l'Ifremer, à travers ma personne. En parallèle de la recherche, je participe aux commissions locales à la préfecture sur les risques naturels, les changements climatiques et les demandes de subventions agricoles. Le projet d'aquaculture n'est donc que l'un des sujets qui occupe l'Ifremer dans l'archipel et je travaille avec des laboratoires compétents sur ces domaines. Plusieurs équipes spécialistes de l'élevage des coquilles viennent régulièrement de La Rochelle ou de Brest où une écloserie produit des juvéniles de coquilles qui sont ensemencées, puis re-capturées au bout de trois ans. Elle fournit également ces juvéniles aux collectivités de pêche dans les pertuis charentais, à Saint-Malo et dans la baie de Quiberon.

L'entreprise a démarré à l'aide de subventions importantes, mais sans savoir où elle allait. C'est la raison pour laquelle l'Ifremer lui a apporté son expertise. Bien que Saint-Pierre soit un petit territoire, le projet d'aquaculture est viable s'il est bien encadré. Il est difficile de trouver des porteurs de projet assez impliqués. Je crois à une petite production locale de qualité et labélisée Saint-Pierre-et-Miquelon pour toucher des restaurants haut de gamme plutôt qu'à un volume de 100 tonnes de noix. L'image de marque de l'archipel peut être source de valeur ajoutée pour se différencier des produits canadiens.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Les qualités gustatives du produit changent-elles, selon que le produit est frais ou congelé ?

M. Herlé Goraguer. - Les techniques de congélation utilisées par la Société Nouvelle des Pêches de Miquelon maintiennent les qualités gustatives du produit. La noix de l'archipel est plus grosse que celle de la baie de Saint-Brieuc et sa qualité gustative est remarquable. Le marché local en consomme déjà six tonnes par an. Le marché français est loin d'être saturé de produits d'origine française et les débouchés ne manquent donc pas.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Je ne vois pourtant que des coquilles françaises sur le marché.

M. Herlé Goraguer. - Elles viennent de la baie de Saint-Brieuc ou de la rade de Brest.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - En surgelé, elles viennent du Chili.

M. Herlé Goraguer. - Nous ne consommons pas la gonade, le corail sur lequel se concentrent parfois les toxines dues au phytoplancton. La gonade de l'espèce cultivée au Canada ayant des qualités organoleptiques moindres que les coquilles de Bretagne, elle n'est pas valorisée, y compris comme sous-produit.

La filière offre des perspectives et mérite d'être développée, notamment pour maintenir une activité économique dans l'archipel et notamment sur Miquelon, depuis que la pêche de la morue s'est effondrée. Dans le passé avant 1992, elle employait huit chalutiers de 50 mètres, faisait tourner des usines avec 25 000 tonnes de poissons débarqués contre 2 000 tonnes aujourd'hui. Le développement de cette activité a servi de palliatif pour la population locale.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Existe-t-il un tourisme de la pêche ?

M. Herlé Goraguer. - Certains pêcheurs professionnels demandent aux Affaires maritimes des licences pour embarquer des plaisanciers à la journée. Les touristes viennent souvent par le ferry du Canada, et non de France, en raison du coût du billet et de la nécessité de passer par le Canada. L'environnement y est pourtant préservé avec une nature magnifique.