Mercredi 9 décembre 2015

- Présidence de M. Jean-Claude Carle, vice-président, puis de M. Louis Duvernois, vice-président, et enfin de M. Jean-Claude Carle, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 20.

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme M. Claude Kern rapporteur sur la proposition de loi n° 145 (2015-2016), présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues de l'UDI-UC, visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.

Présidence de M. Louis Duvernois, vice-président -

Garantir le droit d'accès à la restauration scolaire - Examen de l'amendement

La commission examine l'amendement sur la proposition de loi n° 341 (2014-2015) visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - L'amendement n° 1 de M. Kaltenbach prévoit qu'un arrêté du Gouvernement fixe le tarif maximum de la restauration scolaire dans le premier degré et précise que l'augmentation ne pourra être supérieure à inflation. Les tarifs de la restauration scolaire dans le public sont fixés par la collectivité territoriale qui en a la charge. En application de l'article R. 531-53 du code de l'éducation, ce tarif ne saurait excéder le coût de revient de l'exploitation du service. La quasi-totalité des communes module les tarifs selon des critères sociaux, comme la Ville de Paris qui applique dix tranches tarifaires selon le quotient familial, de 7 euros à 13 centimes le repas. Dans l'enseignement privé, le tarif est libre puisque le service n'est pas subventionné. Les hausses constatées sont en grande partie imputable à l'effet de ciseaux auquel sont confrontées les communes du fait de la baisse des dotations de l'État et de la réforme des rythmes scolaires. Cet amendement, qui porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, n'est selon moi pas pertinent. Avis défavorable.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - M. Kaltenbach soulève un vrai problème d'accès, mais la réponse ne doit pas être fournie au détour d'un amendement, dans une niche parlementaire ; il y aurait besoin d'en discuter plus avant. En 2012, lorsque mon groupe avait déposé une proposition de loi sur l'accès à la restauration scolaire pour tous les enfants, nous avions indiqué que les tarifs entraînaient une véritable inégalité. Le calcul que nous avions effectué ne se limitait pas à compenser l'inflation. Nous nous abstiendrons.

M. Jacques-Bernard Magner. - Le groupe socialiste s'abstiendra, estimant que cet amendement pose une bonne question, mais qu'elle ne peut être traitée dans le cadre de cette proposition de loi.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Présidence de M. Jean-Claude Carle, vice-président -

Liberté de la création, architecture et patrimoine - Table ronde sur les dispositions relatives à l'architecture

La commission organise une table ronde sur les dispositions relatives à l'architecture du projet de loi n° 15 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (article 26, articles additionnels après l'article 26, article 27), en présence de :

- M. Paul Chemetov, Mmes Christine Edeikins et Lucie Niney, membres du groupe de réflexion « Développer » de la Stratégie nationale pour l'architecture ;

- Mmes Catherine Jacquot, présidente, et Isabelle Moreau, directrice des relations extérieures, du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA) ;

- Mme Marie-Françoise Manière, présidente, et M. Lionel Carli, vice-président de l'Union nationale des syndicats français d'architectes (UNSFA) ;

- MM. Johann Froeliger, président, et Pierre Petropavlovsky, trésorier, du Syndicat de l'architecture.

M. Jean-Claude Carle, président. - Nous recevons M. Paul Chemetov et Mmes Christine Edeikins et Lucie Niney, membres du groupe de réflexion « Développer » de la Stratégie nationale pour l'architecture ; Mmes Catherine Jacquot, présidente, et Isabelle Moreau, directrice des relations extérieures du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA) ; Mme Marie-Françoise Manière, présidente de l'Union nationale des syndicats français d'architectes (UNSFA) et MM. Johann Froeliger, président, et Pierre Petropavlovsky, trésorier, du Syndicat de l'architecture, pour une table ronde sur les dispositions relatives à l'architecture du projet de loi sur la liberté de la création, l'architecture et le patrimoine.

M. Paul Chemetov, membre du groupe de réflexion « Développer » de la Stratégie nationale pour l'architecture. - Alors que la loi dispose que l'architecture est d'intérêt public, que les Journées du patrimoine témoignent de l'engouement des Français pour cette discipline, et que le patrimoine architectural et la création qui le sous-tend sont une des raisons de l'attrait touristique de la France, nous sommes dans une situation curieuse. Les architectes, comme les médecins, sont formés et diplômés par l'État : mais que dirait-on si un tiers seulement des prescriptions étaient signées par des médecins et deux tiers par des pharmaciens, laborantins, gourous, fakirs ou rebouteux ? Depuis les lois Boutin et Warsmann, les marchés publics pour le logement et les espaces publics sont attribués au moins-disant. Imaginez qu'on recrute en priorité, dans les hôpitaux, ceux qui acceptent le salaire le plus faible... Cette situation est aberrante. Les récentes avancées, comme l'abaissement du seuil du recours à l'architecte de 170 à 150 mètres carrés, sont dérisoires. L'an dernier, 100 000 pavillons ont été construits sans le moindre contrôle architectural, soit un tiers des constructions. Télérama se demandait il y a quelques années « comment la France est devenue moche » : voici l'une des explications.

Mme Christine Edeikins, membre du groupe de réflexion « Développer » de la Stratégie nationale pour l'architecture. - La demande d'architecture reste disparate, en particulier dans le domaine de la maîtrise d'ouvrage privée et publique, car elle est fondée sur des niveaux divers de connaissance de la discipline. La loi sur la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) est interprétée de manière très différente selon les maîtres d'ouvrage publics.

La question des procédures est très importante. Le concours fait valoir au maximum la création et la recherche, bien plus que d'autres procédures qui favorisent le dumping sans possibilité de faire évoluer la création. La question des missions données aux professionnels est aussi très importante. La création architecturale peut s'exprimer dès lors que l'ensemble des compétences sont confiées à l'architecte pour assurer la réalisation de bâtiments, édifices et espaces publics : la qualité des détails et le conseil au client sont importants pour la maîtrise des coûts.

Dans le projet de loi, l'architecture apparaît étonnamment à l'écart des autres champs de la création, traités selon trois volets - création, diffusion, patrimoine. L'architecture n'est abordée que sous le point de vue du patrimoine.

Mme Lucie Niney, membre du groupe de réflexion « Développer » de la Stratégie nationale pour l'architecture. - Je confirme l'importance du concours architectural, gage de qualité, et d'accès des jeunes architectes à la commande publique. La commande publique doit être exemplaire. Les agences doivent aussi se structurer, évoluer en fonction de la multiplication des acteurs en maîtrise d'oeuvre et des commanditaires, coopératives par exemple. Nous insistons aussi sur le rapport de l'architecte avec la maîtrise d'ouvrage privée, afin que la qualité architecturale soit maintenue.

Mme Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes. - Il y a quelques mois, la loi sur la transition énergétique a porté sur des enjeux où l'aménagement du territoire et le bâtiment occupent une part majeure, en raison de la consommation d'énergie et des émissions de gaz carbonique. L'aménagement du territoire ne donne pas toujours satisfaction, notamment en périphérie des bourgs ; les centres sont souvent délaissés au profit de quelques lotissements érigés sur des terres naturelles, où chaque ménage dispose de deux voire trois véhicules. Il est nécessaire d'injecter de l'architecture dans la construction de la maison individuelle, qui constitue 40 % du logement en France, les architectes n'intervenant que sur 3 à 5 % des projets.

Trois articles particulièrement importants ont été adoptés par l'Assemblée nationale. L'un portait sur l'intervention de l'architecte dans les permis d'aménager des lotissements pour établir le projet architectural paysager et environnemental, afin d'améliorer l'architecture ordinaire, fondamentale pour les paysages français. La profession d'architecte étant réglementée, elle peut s'inscrire dans la loi.

Un autre a fixé le seuil d'intervention de l'architecte à 150 mètres carrés de surface de plancher. C'est un simple retour à la situation qui prévalait avant 2012 : le passage de 170 à 150 mètres carrés correspond à la différence entre le calcul de la surface hors oeuvre nette et de la surface de plancher. Cette mesure, surtout symbolique, montre que la puissance publique consacre l'obligation de faire appel à un architecte.

L'article 26 duodecies réduit de moitié les délais d'instruction des permis de construire lorsque ceux-ci sont établis par un architecte ; cela ne concerne que des petits projets, en deçà des seuils. Il s'agit d'une mesure de simplification pour le service instructeur, assuré de la compétence de professionnels, comme pour le particulier. On estime que la majorité des permis est accordée tacitement, tant les services sont chargés. Cet amendement est aussi une façon d'inciter le public, qui connaît mal notre discipline, à solliciter un architecte, ce qui n'entraîne aucun surcoût, ainsi que l'a montré un récent rapport du ministère du logement.

Mme Marie-Françoise Manière, présidente de l'Union nationale des syndicats français d'architectes. - Nous soutenons toutes les mesures adoptées à l'Assemblée nationale. Le processus d'attribution subit une déformation, une perversion : de plus en plus de collectivités territoriales mettent à disposition des promoteurs, sans concours, du foncier pour des logements mais aussi pour des équipements publics. Il faudrait imposer la procédure d'appel d'offres dès lors que les fonds sont publics.

Quand le service instructeur pense avoir affaire à une signature de complaisance, il peut appeler l'ordre régional. Nous proposons d'aller plus loin : si chaque dépôt de permis était assorti d'un numéro fourni par l'ordre sur le formulaire Cerfa, les signatures de complaisance, voire les fausses signatures, ne seraient plus possibles. Nous avons constaté des vols de logo ou la signature de permis de construire déposés dans le sud de la France par des agences situées dans le Nord.

Nous nous opposons aux contrats globaux, incluant conception, réalisation, entretien et maintenance. Seule l'indépendance de la maîtrise d'oeuvre, et donc de l'architecte, garantit la défense des intérêts du client. Les contrats globaux doivent être limités au strict minimum et les procédures de la loi MOP privilégiées.

M. Johann Froeliger, président du Syndicat de l'architecture. - La loi sur l'architecture de 1977 a créé les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) : il s'agissait de consacrer la notion d'architecture d'utilité publique pour tous, non de définir les privilèges d'une profession, mais ses devoirs. Les CAUE assument une mission de service public. Pour les collectivités territoriales, outre l'assistance technique, ils sensibilisent les élus et leur personnel à la qualité architecturale, proposent des aménagements et révèlent parfois les qualités d'un paysage ou d'une architecture vernaculaire. Pour les candidats à la construction, ils orientent les demandeurs. Pour les architectes, les CAUE demeurent des interlocuteurs de qualité, organisant le dialogue entre les collectivités territoriales, les particuliers et les architectes.

Aujourd'hui, une mutation des CAUE est nécessaire. La réforme territoriale renforce la nécessité d'une vigilance sur l'urbanisme, l'architecture et l'environnement. Le déploiement des services de CAUE à l'échelle départementale en fait l'outil de référence pour l'assistance aux collectivités territoriales. L'architecture s'inscrit dans des notions modestes, quotidiennes. Les CAUE doivent voir leur mission confortée.

L'architecture n'est pas la plus-value artistique d'un projet technique. Le recours à un architecte devrait être plus systématique. La loi, du reste, l'a prévu. Le seuil de 150 mètres carrés, pour les particuliers, a fait de ce recours une option, suscitant l'auto-construction, l'abandon des architectures vernaculaires, la standardisation des modèles. En considérant l'architecture comme un mal réglementaire et un produit de luxe, on a déstabilisé la profession et défiguré nos villages, nos bourgs.

La profession souffre aussi d'habitudes malsaines, comme la validation de projets par des architectes qui n'en sont pas les auteurs. Il faut lutter contre cette pratique de signatures de complaisance.

L'implication des architectes dans la société ne peut être déniée ; elle reste de référence pour les pouvoirs publics comme la société entière.

Mme Françoise Férat, rapporteur. - Merci aux intervenants pour la qualité de leurs interventions. Considérez-vous que le projet de loi accorde une place satisfaisante à l'architecture ? Quel regard portez-vous sur les dispositions introduites à l'Assemblée nationale ? Et sur le label « patrimoine récent » ? Relève-t-il de la loi ou d'une circulaire ? Quel sera son intérêt si le non-respect de l'obligation d'information n'est pas sanctionné ?

Madame Jacquot, j'ai retenu que nous revenions à une disposition antérieure et que l'architecte doit travailler avec les urbanistes et les paysagistes, comme l'a proposé le rapport Tuot. En matière d'instruction des permis de construire, replaçons-nous dans les situations locales. Si certains services municipaux traitent les dossiers sans difficulté, nombre de petites communes rurales ont vu disparaître les services instructeurs des directions départementales de l'équipement, or elles sont en pleine restructuration intercommunale et ignorent si elles auront accès ou non à des services partagés. Un délai d'un mois nous semble impossible à tenir pour l'instant. J'entends que cette mesure est pertinente pour encourager le recours à l'architecte...

Quel regard portez-vous sur les dispositions relatives au 1 % artistique ? Que pensez-vous de la phase de dialogue, toujours en fin de procédure, dans les concours ? Pour l'avoir pratiquée dans mon département de la Marne, j'ai constaté que la commission d'appel d'offres a tout loisir de choisir, sans a priori. L'expérimentation en matière de normes peut interpeller les parlementaires : faudrait-il en étendre le champ aux logements sociaux ou en circonscrire la portée ? M. Froeliger a fortement plaidé pour les CAUE. Mme Manière a évoqué les signatures de complaisance, dont nous avons connaissance. Les élus locaux s'interrogent sur un pouvoir dont ils n'ont pas une connaissance suffisamment complète pour en mesurer la portée.

M. Paul Chemetov. - Avant de créer un label pour le patrimoine du XXe siècle, il faut savoir que la dernière session d'attribution de labels remonte à 40 ans. Entre temps, il s'est passé des choses ! Grands chantiers présidentiels, production de logement extrêmement différente des grands ensembles qui prévalaient antérieurement. Le label est glissant : en 2015, seuls les projets postérieurs à 1915 peuvent être labellisés. Au bout de cent ans, soit un monument est devenu historique, soit il n'est pas retenu. Guère plus de 2 000 bâtiments du XXe siècle ont été labellisés alors que la production a été aussi considérable que celle de tous les siècles passés, et seulement 900 sont protégés uniquement au titre du label. Il faut reprendre la politique du label ; quant à savoir s'il faut l'inscrire dans la loi, cela dépend de vous. Elle mérite en tout cas d'être affirmée. Une société doit être capable de dire ce qu'elle choisit et ce qu'elle rejette.

Je ne me satisfais pas du plancher de 150 mètres carrés. Nous sommes une profession protégée réglementée, seule assujettie, en Europe, à une assurance trentenaire. Le taux de sinistralité des bâtiments d'architectes est inférieur à celui des constructeurs de maisons individuelles sur catalogue. Pourquoi l'État forme-t-il des architectes ? Il est biface ! Les médicaments sont-ils vendus au supermarché et sans prescription quand ils sont dosés à moins de 150 milligrammes ?

Mme Catherine Jacquot. - On assiste au désengagement de l'État sur l'instruction des permis de construire, transférée aux collectivités territoriales. Sans dessaisir celles-ci, nous estimons que l'intervention d'un architecte dans les petits projets facilite le travail des services instructeurs : ils peuvent se borner à vérifier la complétude du dossier et ainsi se consacrer à des projets plus complexes. Pour le particulier, ce n'est pas une charge supplémentaire, il est assuré d'un délai réduit et de l'obtention de son permis, ce qui facilite sa demande de crédit à la banque.

Nous avons proposé un amendement rédactionnel sur les concours. Nous ne pourrons pas déroger à la directive européenne qui définit l'anonymat, mais le dialogue peut prendre plus de place.

Sommes-nous satisfaits de la rédaction du projet de loi ? Nous pourrions espérer une place plus grande pour l'architecture. Nous avons formulé de nombreuses propositions dans la Stratégie nationale. Notre attitude vis-à-vis du projet de loi est néanmoins positive, car celui-ci représente une avancée, notamment pour l'architecture ordinaire dans certains territoires très délaissés.

Nous regrettons que l'expérimentation sur les normes, intéressante, soit limitée aux équipements publics. En étant extrêmement contraignantes, les normes créent des modèles typologiques de logement très formatés. Le trois-pièces est très précisément normé, au mépris des traditions régionales, des évolutions sociales et familiales. Tout en gardant les objectifs d'accessibilité pour les handicapés et de prévention des incendies, libérons les moyens. Nous sommes favorables à l'extension de l'expérimentation aux logements sociaux, pour trouver des chemins différents vers le but d'excellence fixé dans le code de la construction et les règlements d'urbanisme.

Mme Marie-Françoise Manière. - S'agissant du 1 % artistique, il est important que l'oeuvre soit choisie très tôt. La planter au milieu de la cour trois ou quatre ans après la réalisation du bâtiment n'a pas de sens. Si elle est retenue dès la conception, elle peut être intégrée dans le projet. Cette mesure, qui n'a pas de coût, est simple à mettre en application. Même chose de l'attribution de numéros aux dossiers de permis de construire, pour lutter contre les signatures de complaisance ; ce sera au Conseil de l'Ordre de faire la police.

M. Johann Froeliger. - Le projet de loi ne définit pas de nouveaux privilèges, mais des modalités pratiques, sur des sujets traités récemment. Il s'agit de redéfinir notre rôle vis-à-vis des élus et de la population. Nous sommes la profession de référence sur les travaux de construction. Selon le principe de la loi de 1977, le recours à l'architecte est obligatoire. La notion de seuil a engendré un effet pervers.

Notre profession ne s'isole pas. Elle travaille avec les autres, ingénieurs, paysagistes, urbanistes, notamment pour le permis d'aménager. Si nos demandes sur ce point ont pu émouvoir les géomètres et les bureaux d'étude, notre travail est d'accompagner leurs compétences dans la transition écologique et de définir, au-delà du parcellaire, les volumes et leur inscription dans l'environnement. La loi va dans ce sens, c'est pourquoi nous la soutenons.

Mme Christine Edeikins. - Indispensable dans tous les actes de création architecturale, le dialogue entre le commanditaire et le concepteur est pourtant mis entre parenthèses par la phase de concours, ce qui est propice aux incompréhensions ; et dans les procédures négociées et les marchés en procédure adaptée, les critères de qualité architecturale et urbaine sont trop négligés au profit du prix de la construction ou de la rémunération de la maîtrise d'oeuvre. Les phases de dialogue sont évidemment à réintroduire autant que possible, mais après une définition des critères axée sur le sens du projet architectural, dans sa spatialité intérieure mais aussi dans la ville ou le paysage.

Lors de l'introduction du seuil des 170 mètres carrés, tout particulier devait prendre l'avis du CAUE au-dessous de ce seuil avant d'engager des travaux ; mais cette disposition a bien vite disparu, conduisant à la situation anormale que nous connaissons.

Mme Catherine Jacquot. - Dans plusieurs départements, les CAUE pourtant si utiles à l'aménagement du territoire sont en grand danger...

Nous avons préparé un amendement prévoyant un diagnostic préalable aux travaux de performance énergétique : la réhabilitation énergétique ne saurait se résumer à un cumul d'interventions techniques, parfois très dommageables.

Mme Françoise Férat, rapporteur. - Il conviendrait d'étendre la réflexion sur les équipes pluridisciplinaires aux zones artisanales et commerciales qui enlaidissent nos entrées de villes.

Mme Lucie Niney. - Je partage l'opposition de Mme Manière aux contrats globaux, qui réservent de fait les marchés aux majors du BTP, excluant les artisans et les architectes qui n'ont pas le réseau ni les ressources nécessaires. Évitons la généralisation de la conception-réalisation, pour préserver le savoir-faire français.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - L'Assemblée nationale a, par ses amendements, considérablement renforcé la place de l'architecture dans le projet de loi ; elle l'a aussi introduite dans son intitulé. Êtes-vous satisfaits de ces ajouts et quels bémols - ou dièses - souhaiteriez-vous y apporter ?

L'article 1er de la loi résonne comme un cri : « La création artistique est libre ». Comment l'architecte, qui au fond est un artiste, concilie-t-il cette liberté avec le carcan de la réglementation ? À force de dessiner des chambres, des cuisines, des fenêtres identiques, d'utiliser des modélisations, où trouvez-vous votre oxygène de création ? Ne conviendrait-il pas de ménager des espaces où l'architecte donnerait libre cours à son expression ?

M. Paul Chemetov. - Nous ne sommes pas des artistes au sens strict : un livre ne prend pas la place d'un autre dans une bibliothèque, mais un bâtiment occupe un espace à l'exclusion d'un autre.

Depuis Napoléon, notre profession est la seule qui doive assumer les conséquences de ses actes pendant trente ans - la responsabilité sur le second oeuvre pendant dix ans, et sur la structure pendant trente ans.

En dépensant 20 000 euros au mètre carré pour une folie - au sens ancien, architectural du terme - la fondation Louis Vuitton utilise librement de l'argent privé. Il ne saurait en aller pareillement de l'argent public.

La responsabilité de l'architecte s'exerce dans les limites posées par le client, mais sa liberté est de proposer un projet.

Mme Catherine Jacquot. - Au contraire de l'artiste, l'architecte a des responsabilités économiques, techniques et environnementales. Pour s'adapter au mieux à l'harmonie d'un paysage et à l'économie du projet, l'architecte a besoin d'une commande publique exemplaire et vertueuse, le préservant des intérêts extérieurs qui affectent les partenariats public-privé (PPP) et surtout les contrats globaux. Notre demande vise à garantir l'indépendance de la maîtrise d'oeuvre à l'égard des intérêts de l'entreprise qui, à prix constant, tend - et c'est compréhensible - à réduire les prestations.

Le principe du concours est celui du mieux-disant : pour un prix donné, le meilleur projet est retenu. Cette formule devrait être appliquée partout où l'argent public est engagé.

La maîtrise d'oeuvre est à peine identifiée dans les contrats globaux, les contrats de performance énergétique, de maintenance, de conception-réalisation ou encore les PPP. Notre amendement introduit cette identification et préserve le principe d'indépendance, dont les sénateurs Sueur et Portelli ont souligné l'importance dans leur rapport sur les partenariats public-privé.

M. Johann Froeliger. - Autre différence avec l'artiste, l'architecte construit pour autrui et au nom d'autrui. Dans une relation de confiance, il est l'interlocuteur de référence lors de la construction.

Mme Christine Edeikins. - L'originalité de notre métier est aussi la capacité à proposer de nouveaux usages pour faire évoluer la spatialité des projets et les espaces urbains. La conception s'accompagne d'un devoir de conseil auprès du client, notamment quand, dans le développement d'un projet, un besoin de décloisonner certaines normes se fait jour. Il convient de faciliter l'expérimentation pour faire évoluer ces normes.

Mme Lucie Niney. - Parce que nous connaissons la règlementation, nous pouvons inventer de nouveaux usages, de nouvelles pratiques plus adaptées qui ont vocation à être généralisées par la suite.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Les capitaux des cabinets d'architecture doivent être au moins pour moitié des capitaux propres, ce qui, nous a-t-on dit, limite la capacité des plus grands cabinets français à s'imposer face à leurs concurrents étrangers dans les appels d'offres internationaux. Êtes-vous sensibles à cette contrainte ?

M. Paul Chemetov. - Moins de 10 % des 30 000 architectes français ont un salarié ou plus. Les agences qui emploient plus d'une dizaine de personnes, ce qui est peu au niveau international, ne sont que 200 à 300. Commençons par ouvrir les cabinets à d'autres professionnels comme les ingénieurs et les techniciens. La compétition internationale est certes rude ; je ne nie pas l'importance d'aller planter notre drapeau à Hong-Kong. Je réclame la réciprocité : les architectes internationaux ont accès aux concours publics français, ce n'est pas toujours le cas dans l'autre sens.

Mme Catherine Jacquot. - Pour longtemps je l'espère, les architectes resteront majoritaires dans les agences d'architecture : notre code de déontologie comme la réglementation l'exigent. Plutôt qu'une ouverture du capital des agences, l'export réclame un soutien de nos ministères de tutelle et la constitution, avec les grands bureaux d'études, d'équipes soudées et soutenues par le gouvernement. Les Allemands le font très bien.

L'ouverture du capital aux bureaux d'études, aux ingénieurs, voire aux entreprises du bâtiment signifierait la fin de notre profession ; mais l'appui de laboratoires de recherche, d'universités, de nos ministères, voilà ce qui aiderait nos architectes à s'exporter.

Mme Marie-Françoise Manière. - Je suis entièrement d'accord. Les majors du bâtiment ouvriraient des cabinets, mais aussi Leroy Merlin ou Castorama ! L'ouverture du capital serait la ruine de nos cabinets.

M. Leleux a évoqué les contraintes de la création ; nous proposerons un amendement à l'article 11 pour éviter que la réglementation sur le gabarit des fenêtres, des toitures, etc. ne la bride.

Mme Christine Edeikins. - La maîtrise d'oeuvre doit se renforcer autour de l'architecte, seul à même d'appréhender à la fois les aspects culturels, financiers, techniques et la spatialité du projet. La principale difficulté que rencontrent les grandes agences qui travaillent à l'étranger est plutôt la transmission des savoirs et des compétences en interne ; une agence qui réussit prend de la valeur, ce qui du même coup rend plus difficile pour les collaborateurs de devenir associés.

Mme Sylvie Robert. - Je me félicite que ce projet de loi, amendé par l'Assemblée nationale, valorise le désir d'architecture plutôt que la contrainte. Je suis particulièrement sensible à la transmission et à la formation : nous avons besoin de culture architecturale. C'est un secteur transversal, ce qui explique la dissémination dans le texte des dispositions qui lui sont relatives. Depuis la parution de l'article de Télérama sur la « France moche », la situation a peu évolué.

Je suis très sensible à l'avenir des CAUE : il convient de mettre en place un pôle de ressources au niveau régional - maisons de l'architecture, CAUE, conseillers en architecture des directions régionales des affaires culturelles (DRAC)... - pour les questions architecturales et de conditionner l'exécution de travaux en deçà du seuil de 150 mètres carrés à l'avis des CAUE et des acteurs qui accompagnent les collectivités, car elles n'ont pas toujours les ressources nécessaires en leur sein.

Sur les dérogations à certaines normes à des fins d'expérimentation, nous allons présenter un amendement autorisant les parties prenantes à proposer des évolutions de normes, ce qui nous semble plus efficace que l'évaluation a posteriori. Pour ma part, j'estime que le 1 % artistique devrait être rendu obligatoire. Enfin, d'après mon expérience, la collaboration entre le maître d'ouvrage et le cabinet d'architecte est parfois heureuse, parfois douloureuse ; mais des phases de dialogue plus efficientes faciliteraient, au-delà de la liberté architecturale, l'insertion dans l'environnement et l'appropriation des formes urbaines par la population.

M. René Danesi. - La composition des jurys d'architectes est diversifiée et s'ils rendent un avis, la décision en dernière instance reste au maître d'ouvrage qui, il est vrai, suit en général cet avis. Je ne vois pas l'intérêt d'en modifier la composition. Quant au dialogue, est-il utile de le prôner dans un texte de loi ?

En matière de responsabilités, une fois le bâtiment terminé, les félicitations, mais plus souvent les critiques, sont avant tout adressées au maire, au président du conseil départemental ou régional qui l'a commandé.

Le conseil régional d'Alsace où j'ai siégé pendant trente ans a toujours choisi le mieux-disant dans ses appels d'offres pour les lycées. Il arrive qu'une collectivité recherche, à travers la commande, le geste architectural - nous avons eu quelques grandes signatures en Alsace. Mais cela ne dispense pas du suivi du chantier, auquel nous avons toujours veillé. De même, nous avons veillé à inclure des équipes jeunes dans les présélections. Tout cela relève du bon sens élémentaire, pas de la loi.

Dans l'architecture ordinaire, les normes, notamment thermiques, font fortement augmenter le coût intrinsèque au détriment du geste architectural. On a vu apparaître des cubes, certains signés par des célébrités. J'ai confié la construction de ma maison à un architecte diplômé, mais le coût est passé de 300 000 à 450 000 euros. Le geste architectural, c'est bien, mais la bonne fin de l'opération sans surcoût, c'est mieux !

Le contrôle par les services instructeurs porte avant tout sur la compatibilité avec les plans locaux d'urbanisme (PLU), les droits des tiers, les droits d'accès, etc. et non sur la qualité architecturale. Où serait la simplification si l'architecte s'occupait de l'ensemble du processus ? L'État n'assure plus l'instruction des permis de construire. Les villes d'une certaine importance l'ont reprise, les autres communes ont regroupé leurs services instructeurs, où elles ont placé des anciens des directions départementales des territoires (DDT).

Certains architectes apposent une signature de complaisance sur des bâtiments construits par des confrères n'ayant pas les titres requis. Il conviendrait d'assurer un certain contrôle à l'intérieur de votre profession.

Dans les lotissements, on trouve du bon et du moins bon. Les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les PLU, créent de nouvelles contraintes. Les agences départementales d'aménagement et d'urbanisme donnent désormais d'utiles conseils aux collectivités avant que celles-ci s'engagent dans des projets - sans compter les CAUE.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Vous n'avez pas évoqué la question des abords ; or le projet de loi substitue, à la règle automatique des 500 mètres autour des sites classés, un périmètre délimité négocié. Qu'en pensez-vous ?

Les bâtiments de l'école d'architecture de Nanterre, mis en vente par France Domaine, sont laissés à l'abandon, au point qu'il faudra peut-être les détruire. Il semble que la gestion des monuments récents fasse l'objet de moins d'attention que les plus anciens. Enfin, jugez-vous suffisant le nombre d'écoles d'architecture dans notre pays ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Le rapporteur a fustigé les carcans qui pèsent sur la liberté des architectes. Mais cette liberté nous a causé, en Nord-Pas-de-Calais, quelques mésaventures : le concepteur renommé de l'école d'art du Fresnoy avait manifestement négligé la gravité... Nous soutiendrons néanmoins le droit d'expérimentation et son extension à l'habitat. Nous sommes favorables à un assouplissement des normes, pourvu que l'obligation de résultat et le suivi demeurent - à ce point de vue, le texte nous semble bien rédigé.

Les écologistes sont particulièrement sensibles à l'articulation entre nature et culture, paysage et architecture. On peut conforter la mission des CAUE par des moyens renforcés ou par la loi. Souhaitez-vous que les textes imposent la création de CAUE dans chaque département, ou rendent leur avis obligatoire ? 

La COP21, la haute qualité environnementale doivent être vécues comme une opportunité, non comme une contrainte. Avez-vous entrepris des recherches sur les matériaux ?

Les élus sont eux aussi victimes des surcoûts. On finit par les admettre d'entrée de jeu ! Ces dérives sont-elles le résultat de modifications de la commande - le chantier de la Philharmonie parisienne en offre un bon exemple - ou un palliatif au moins-disant ?

M. Paul Chemetov. - Il n'est pas question de proposer de nouvelles normes, mais de nouveaux usages auxquels ces normes s'adapteront. Cela va de pair avec la bonne réception publique des projets.

Le dialogue n'a pas lieu lors du choix initial, puisque l'anonymat préside à la procédure du concours. Comment le commanditaire peut-il s'engager avec quelqu'un dont il n'a pu tester les réactions, déterminer s'il était solide, raisonnable ou fou ?

Après le récent bouleversement territorial, il faut regrouper les intervenants au sein de pôles de ressources, au moins au niveau régional.

Enfin, je rappelle qu'à la fin de l'ère des grands ensembles, vers 1975, un millième des crédits publics étaient affectés à l'expérimentation sur le logement. Cela n'a pas donné de mauvais résultats.

Mme Lucie Niney. - Nous avons de nombreuses propositions, dont certaines peuvent être mises en oeuvre en dehors du cadre législatif. Les zones artisanales et commerciales doivent à nos yeux faire l'objet de la même attention que les lotissements.

La procédure adaptée repose sur une simple note d'intention de l'architecte, non la présentation d'un projet. Un processus en deux étapes, avec une présélection rémunérée suivie d'une phase de dialogue, serait préférable. Ainsi le commanditaire s'engagerait après s'être assuré de la cohérence des propositions.

Pour répondre à M. Danesi, la créativité se bonifie lorsqu'elle est contrainte par la réglementation. On ne peut dissocier le respect des normes du geste architectural. Quant aux surcoûts, je précise que les honoraires de maîtrise d'oeuvre représentent une somme minime dans le coût global de construction ; mais pour l'architecte, ils doivent garantir un travail mené dans des conditions sereines.

Mme Christine Edeikins. - La Stratégie nationale de l'architecture contient des propositions pour lutter contre l'inégalité entre l'Île-de-France et les autres territoires, en particulier ruraux, où les compétences architecturales sont plus disséminées. Nous prônons la constitution d'espaces de concertation, de réunion, de revue de projets réunissant les directeurs des services de l'architecture et du patrimoine, les architectes des bâtiments de France, les CAUE, et les architectes conseils de l'État. Ces derniers sont présents dans chaque DRAC et dans la DREAL de la région Rhône-Alpes. Cette réunion de compétences faciliterait, pour les projets complexes, une action concertée et complémentaire des acteurs et donnerait plus de force aux avis, aujourd'hui fragilisés par leur caractère dispersé.

Nous ne proposons pas de modifier les concours, mais de les améliorer par une phase de dialogue. Le jury classe les candidats en fonction de leur projet, et ne traite qu'ensuite de la rémunération. L'absence de dialogue pose problème, mais il y a toujours la possibilité de poser des questions aux candidats.

Une école d'architecture par région est un minimum ; certains territoires régionaux en ont deux ou trois. Cela donne la possibilité aux élus d'engager un dialogue sur la recherche, de dégager des thématiques communes aux collectivités et de développer la pédagogie.

La responsabilité des surcoûts est partagée. Il est vrai que la profession s'est fragilisée en laissant sortir les métreurs, les économistes de la construction, les ingénieurs de son champ. Mais nous sommes également confrontés à des budgets irréalistes. Pour éviter les surcoûts, il convient de prendre en compte dès le départ les caractéristiques du site et les règles d'urbanisme - autant d'éléments de complexification des projets.

La question économique doit aussi être abordée sous l'angle du conseil au donneur d'ordre dans l'établissement du budget. Notre profession doit prendre sa part de responsabilité. Dans le cas de la Philharmonie, la procédure ne donnait pas de contrôle économique à l'architecte comme dans un concours classique.

Attention, l'image présentée à l'appui d'un projet est parfois un miroir aux alouettes ; il faudrait surtout s'attacher au contenu, aux plans, à la spatialité et à l'insertion urbaine.

Mme Catherine Jacquot. - La loi, intelligemment, prévoit désormais un périmètre réfléchi selon les perspectives et les abords d'un monument classé, au lieu des systématiques 500 mètres.

La labellisation des bâtiments est intéressante, même si elle n'est malheureusement pas assortie de contraintes : elle introduit un dialogue et alerte les élus sur la qualité des bâtiments, permettant d'en sauver certains, qui seraient sinon condamnés.

Les régions Bourgogne-Franche-Comté, Centre et Corse n'ont pas d'école d'architecture ; certaines, comme le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, n'en comptent qu'une. C'est dommage, car la qualité de l'architecture d'une région s'améliore avec l'implantation d'une école : les jeunes s'installent dans la région.

Oui, la transition écologique est une opportunité pour les architectes, malgré les contraintes. Substituons à la création continuelle de normes une logique d'objectifs et créons une nécessaire confiance en laissant aux professionnels le choix des chemins pour y aboutir. Le permis de faire peut être un utile moyen. L'obligation de recourir à un architecte doit absolument être étendue aux zones d'activité commerciale, industrielle et de services.

Mme Marie-Françoise Manière. - Les CAUE sont des centres de ressources de proximité, notamment dans les territoires ruraux. S'ils devenaient régionaux, les particuliers n'iraient plus les consulter, à 300 kilomètres de chez eux. Les architectes se sont saisis de la transition écologique, qui est une vraie opportunité.

Raisonnons par rapport au coût global de l'édifice - construction, entretien et maintenance... L'intervention de l'architecte ne représente que 1 à 2 % du coût global ; s'en passer, c'est faire une économie dérisoire, d'autant que l'entretien et la maintenance en sont fortement renchéris.

M. Johann Froeliger. - Le numérique améliorerait le recours des particuliers aux CAUE. L'échelle départementale est celle de référence et de proximité et elle fonctionne bien.

Mme Maryvonne Blondin. - La formation est-elle adaptée à l'évolution des réglementations et aux évolutions de la culture architecturale ? Depuis 2007, les architectes de niveau master ont remplacé les architectes diplômés par le Gouvernement (DPLG). Quelles professions associées pourraient être intégrées dans les agences ou les cabinets ? Mon département compte depuis trois ans un CAUE, fort utile aux petites communes n'ayant pas les moyens de disposer de leur propre service d'expertise. L'adhésion s'élève à 50 euros par an. Les architectes seront-ils intéressés par les petits dossiers de permis de construire ? Mon expérience personnelle prouve le contraire...

M. Alain Dufaut. - J'ai présidé le CAUE de mon département durant neuf ans. L'échelon de proximité départementale est irremplaçable. Les CAUE sont des interlocuteurs privilégiés des élus locaux ; leur fragilité actuelle est liée à des besoins supplémentaires de financement mais leurs missions sont connues et très bien réalisées. L'article 26 quater impose les architectes dans les opérations d'aménagement de lotissements. Je ne suis pas d'accord : les géomètres-experts ont la compétence requise ; leur associer un architecte n'est pas nécessaire. On pourrait peut-être déterminer un seuil pour y recourir ? Je précise : j'ai été longtemps géomètre-expert...

Mme Christine Prunaud. - Dans nos permanences, nous voyons de plus en plus de géomètres et d'urbanistes. Ils nous demandent de ne pas élever les seuils... Qu'entendez-vous par un retour à 2012 ?

Si selon vous, employer un architecte n'engendre pas de surcoût, ce n'est pas l'avis de nos concitoyens ; dans les Côtes d'Armor, où domine l'agroalimentaire, les salaires sont faibles. Les lotissements fleurissent sur des terrains de plus en plus petits, les maisons sont implantées sur environ 300 mètres carrés et elles ont une surface généralement inférieure à 120 mètres carrés. Comment dialoguer avec les architectes pour mieux informer les citoyens ?

M. Jean-Louis Carrère. - En tant que sénateur des Landes, département très rural et très étendu, je m'intéresse de près au débat sur les CAUE. Je suis très favorable aux énergies renouvelables. J'habite dans une ville de 5 000 habitants, au milieu des chênes et des pins, où les capteurs solaires fleurissent sur les toits au détriment de la norme architecturale. Cela provoque des débats ; mon épouse est favorable à ces grands géants tristes du Greco qui tournoient, alors que je n'approuve que leur finalité, pas leur esthétique, dans des paysages très protégés de Chalosse ou des Landes de Gascogne, dans les paysages contigus du pays basque et du pays d'Orthe... Prenons l'initiative pour conforter dans cette loi le rôle des CAUE. L'échelon départemental est essentiel - sans aucun atavisme départemental. Je vais plus loin : nous avons réalisé avec le CAUE, les architectes, les donneurs d'ordre, un travail pertinent avec les pays - plus adaptés que les cantons - sur les paysages : le département ne subventionne que les collectivités appliquant la charte paysagère, qu'il s'agisse de lotissements, d'exploitations agricoles, d'activités économiques ou industrielles. La loi pourrait y contribuer.

M. Paul Chemetov. - Lors de la Révolution française, la première carte des départements, géométrique, quadrillait la France en carrés. Par bonheur, on a suivi la réalité des paysages : rivières et reliefs. La mesure n'a jamais fait le projet.

Le taux de marge sur des maisons « boîtes de conserve », rarement inférieur à 25 %, atteint parfois 40 %. Il vaudrait mieux utiliser un architecte et des artisans. Comment les architectes pourraient-ils travailler sur des maisons ? Cela leur est de fait interdit, alors ils se concentrent sur d'autres projets de qualité architecturale - la « haute couture ». L'australien Glenn Murcutt, un des architectes les plus renommés au niveau international, ne construit que des maisons. De plus en plus, on rapproche les formations des architectes de celles des paysagistes, des économistes, ou on crée des formations croisées.

Mme Christine Edeikins. - La question des lotissements est cruciale. Elle doit être traitée en intelligence avec toutes les compétences disponibles. Le géomètre-expert n'est pas le seul professionnel apte à concevoir des lotissements...

M. Alain Dufaut. - Je n'ai pas dit cela !

Mme Christine Edeikins. - L'article R. 442-5 du code de l'urbanisme indique que le projet architectural - défini comme devant être réalisé par l'architecte - doit être joint à la demande de permis d'aménager. Comment le lotissement s'insèrera-t-il dans le paysage et le tissu urbain dont il dépend ?

Dans de nombreux territoires, il n'existe aucune alternative entre le logement social, collectif et diabolisé, et l'habitat individuel où la réponse est unique. La créativité architecturale autorise, en fonction des lieux, de la taille de la parcelle, etc. de mettre en oeuvre des typologies déjà expérimentées pendant des décennies : des maisons avec patio ou cour, un bâti de densité plus ou moins forte... La maison isolée sur une parcelle de 300 mètres carrés n'a plus de sens au regard du vivre ensemble ou de la préservation de l'intimité. La construction doit faire intervenir des professions complémentaires.

Mme Catherine Jacquot. - La formation d'architecte s'est rapprochée des cursus universitaires. Dans le nouveau système licence-master-doctorat (LMD), pour avoir le titre d'architecte et exercer, le candidat doit, après un master, obtenir une habilitation à exercer la maîtrise d'oeuvre en nom propre (HMONP), puis s'inscrire au tableau de l'ordre.

La moitié de la profession est composée de toutes petites agences, souvent unipersonnelles, présentes sur l'ensemble du territoire national. De nombreux architectes sont intéressés par des petits projets, voire ne vivent que de cela. Nous nous efforçons de mieux les faire connaître en créant un répertoire à destination des particuliers.

Le seuil de 150 mètres carrés serait un retour à la loi de 1977, appliquée jusqu'en 2012. Il y a eu trois ans d'exception. Nous préférerions que ce seuil soit encore abaissé. Nous avons proposé des mesures incitatives comme le permis simplifié dans le cas du recours à un architecte, même en-deçà du seuil. En France, 95 % des maisons ont une surface de plancher inférieure à 150 mètres carrés. Les constructions entre 150 et 170 mètres carrés ne représentent que 5 % du total : la mesure est essentiellement symbolique. Les maîtres d'oeuvre ne doivent donc pas s'inquiéter.

Mme Marie-Françoise Manière. - La formation est obligatoire tout au long de notre carrière, en sus de notre formation initiale. Lors de mes études, on parlait déjà de maisons solaires ! Beaucoup d'architectes travaillent seuls ; beaucoup ont des dossiers de rénovation. Les agences intègrent tous types de compétences, des ingénieurs, des économistes ou des paysagistes.

Comme le prévoit l'article 26 ter, les CAUE pourraient avoir une compétence supplémentaire sur les plates-formes énergétiques prévues par la loi sur la transition énergétique.

M. Pascal Allizard. - Le département est l'échelon le plus satisfaisant pour les CAUE, mais si l'on décide d'en avoir un par département, il faut faire des économies là où il existe des doublons ! En effet, certains conseils départementaux ont mis en place des agences techniques départementales.

J'ai assisté à l'inflation sur le prix d'un projet public - une maison de retraite - affecté par l'application de nouvelles normes, avec des financeurs qui n'avaient pas les moyens d'absorber le surcoût. Nous avons perdu cinq ans sur ce dossier : le bâtiment a fini par être détruit et reconstruit d'une autre manière...

M. Jean-Louis Carrère. - C'est le département qui finance !

M. Pascal Allizard. - L'amortissement du surcoût aurait duré 85 ans !

J'ai travaillé dans le design automobile. Au nom de l'objectif d'économie, nous voulions par exemple alléger les véhicules. Tous les constructeurs du monde ont alors adopté les mêmes logiciels, aboutissant aux mêmes solutions, aux mêmes modèles, à une banalisation des véhicules. Ils s'en sont affranchis depuis. Ne craignez-vous pas une normalisation à outrance et une standardisation contraire à vos objectifs ?

Le service instructeur des permis de construire réalise un contrôle en conformité et non en opportunité. Nous venons de voter une loi sur la décentralisation, dans laquelle l'État attribue ces compétences aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et une autre loi les leur reprendrait aussitôt après ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Les maîtres d'oeuvre constructeurs affirment qu'ils sont très présents dans la tranche des 150-170 mètres carrés et que les architectes le sont très peu.

Comment comptez-vous remédier aux signatures de complaisance ? Dans ma petite commune rurale, j'en ai vu !

Je soutiens les CAUE ; j'ai la chance d'en avoir un dans mon département, qui m'aide dans l'élaboration de mon PLU. Ils ne sont pas menacés, mais comment, dans la loi, conforter leur action ?

M. Jacques Grosperrin. - Ce projet de loi a l'ambition nouvelle d'assurer une qualité architecturale du cadre de vie des Français, incluant les paysages naturels et le bâti existant. Il est difficile de soumettre un projet de construction sur des sites dépendant des architectes des bâtiments de France (ABF). Pourtant, de très belles réalisations mêlent ancien et contemporain. Comment pourrait-on mieux articuler la libre création architecturale et le respect des paysages ?

M. Christian Manable. - Les concours d'architectes satisfont les collectivités territoriales car leur composition éclairée facilite le choix par le maître d'ouvrage. Comme président du conseil départemental de la Somme, j'ai présidé des jurys pour des collèges ou des maisons départementales. Le système a sa faiblesse : avec la crise, les architectes ont faim, si bien que l'inflation du nombre de candidats rend très difficile le choix d'une short list. Ainsi, nous avions examiné 119 dossiers - très inégaux - pour un collège haute qualité environnementale en banlieue d'Amiens.

Mme Catherine Jacquot. - Nous ne pouvons qu'approuver cette belle unanimité sur les CAUE. Ils sont financés par la taxe sur les permis de construire, en théorie reversée par les conseils départementaux. Depuis quelques années, celle-ci est peu ou pas reversée - ce qui est illégal, s'agissant d'une taxe affectée. De même la loi de 1977 prévoyait la création d'un CAUE par département : tous ne l'ont pas été. Les conseils départementaux ont tendance à vouloir intégrer les CAUE dans des structures plus larges comme des groupements d'intérêt économique (GIE), les transformant quasiment en services propres. Mais les CAUE doivent conserver leur indépendance pour assurer leur expertise auprès des collectivités locales.

C'est aux chambres de discipline de l'ordre de faire la police contre les signatures de complaisance, mais nous n'avons pas les moyens de contrôler l'ensemble des permis de construire. Nous demandons que les services instructeurs nous saisissent. Il y a soupçon de signature de complaisance, par exemple, lorsque la même personne signe cinquante permis dans l'année. Mme Manière propose de mentionner un numéro de dossier attribué par l'ordre. Nous proposons aussi que le nom de l'architecte soit mentionné sur le panneau affichant les informations du permis de construire. Ce serait pédagogique et permettrait de repérer si un nom revient souvent.

Oui, la loi porte une ambition nouvelle pour la qualité architecturale. Il est nécessaire de marier l'architecture contemporaine et les sites classés. Nous avons proposé de supprimer le seuil concernant les cités historiques et les sites classés, en accord avec l'Association nationale des ABF et l'Association des architectes du patrimoine : quelle que soit la taille de la construction dans une zone protégée, l'avis d'un architecte faciliterait le travail de l'ABF, souvent débordé, et cette complémentarité serait très positive.

Malheureusement, nous ne pouvons pas remédier à la crise économique qui provoque l'explosion du nombre de candidatures dans les consultations. Nous avons proposé dans la Stratégie nationale une homogénéisation des dossiers de concours - mesure non législative - afin de simplifier leur examen.

Le segment entre 150 et 170 mètres carrés de surfaces de plancher représente 5 % des maisons individuelles. Les constructeurs de maisons individuelles répètent à l'envi un modèle et contribuent à la médiocrité de l'architecture d'une grande partie des habitations en France.

M. Paul Chemetov. - Souvent, ce ne sont pas 119 candidats, mais plus de 200, voire 300 qui se pressent à des concours. Il est impossible alors de sélectionner trois candidats, sauf connivences, pour ne pas dire plus. La mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques suggère de retenir un dixième des impétrants, ou de limiter, comme en Suisse, les concours à un mètre carré de rendu en noir et blanc, pour décider d'un projet et non d'une image.

Rappelons aux ABF que les bâtis anciens étaient, à l'origine, contemporains. Les ABF sont extrêmement compétents mais devraient rendre des avis collectifs plutôt qu'individuels, dans certains périmètres.

Mme Lucie Niney. - Les écoles d'architecture sont pionnières dans la recherche sur les nouveaux matériaux. La Stratégie nationale propose une meilleure collaboration entre les écoles et les professionnels, l'accueil de doctorants dans les agences... Il faut faire plus de recherche avec davantage de moyens.

Seuls les architectes sont à même de faire la synthèse des enjeux et de susciter l'émergence de nouveaux modèles économiques - construction individuelle groupée -, les financements de projet coopératifs... L'architecture française est en retard, mais en élargissant ses domaines de compétences elle pourrait être moteur de ce nouveau monde à construire.

Mme Christine Edeikins. - Nous proposons d'instaurer un critère restrictif, dans les concours, fondé sur le chiffre d'affaires des agences, pour une meilleure adéquation entre l'ampleur de l'opération à réaliser et la capacité financière des architectes : une agence de deux personnes ne peut pas construire un hôpital régional important. Le jury ferait un choix plus posé. Les candidatures pourraient être dématérialisées avec la projection des trois images les plus représentatives de chaque projet.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Quelle est la place des femmes dans la profession et les écoles ?

Mme Catherine Jacquot. - Elle est croissante, mais nous sommes très loin de la parité. Il y a autant de femmes que d'hommes dans les écoles, voire un peu plus de femmes, mais seules 25 % d'entre elles sont finalement inscrites au tableau. Nous appliquerons la loi sur la parité lors des prochaines élections professionnelles.

M. Pascal Allizard. - En tant qu'ancien président de la commission des finances du conseil départemental du Calvados, je vous confirme que la taxe pour les CAUE est une dépense obligatoire affectée. Certains départements, en sus, leur apportaient une contribution volontaire. Mais voilà, fin 2015, quinze conseils départementaux sont en cessation de paiement - l'État les aidera à hauteur de 50 millions d'euros - et ils seront une quarantaine dans ce cas en 2016. C'est un problème de trésorerie...

M. Jean-Claude Carle, président. - Merci de nous avoir éclairés sur ce sujet. Notre commission se réunira mercredi 16 décembre à 9 heures pour examiner la proposition de loi visant à instaurer un jour de mémoire dans l'enseignement puis organisera une table ronde sur les dispositions concernant le patrimoine du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP). L'après-midi, la ministre de la culture et de la communication nous présentera ce projet de loi.

Communication diverse

M. Jean-Claude Carle, président. - Nous assurons notre collègue Loïc Hervé de toute notre solidarité. Suite à la fermeture d'une mosquée salafiste dans sa commune, il a reçu des menaces de mort ; c'est inadmissible.

M. Jean-Louis Carrère. - Vous avez tout notre soutien.

M. Loïc Hervé. - Merci beaucoup.

La réunion est levée à 12 h 10.