Mardi 27 octobre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Financement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin - Audition de MM. Michel Bouvard, sénateur, et Michel Destot, député

La réunion est ouverte à 18 h 33.

La commission procède à l'audition de MM. Michel Bouvard, sénateur, et Michel Destot, député, sur le financement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Mme Michèle André, présidente. - Je suis heureuse d'accueillir Michel Destot, député, aux côtés de notre collègue Michel Bouvard, pour nous présenter les conclusions du rapport qu'ils ont remis au Premier ministre sur le financement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin.

M. Michel Destot, député. - J'ai également grand plaisir à vous présenter les conclusions de cette mission parlementaire que nous avons réalisée au cours du premier semestre, à la demande du président de la République, qui entend poursuivre la réalisation de ce projet majeur, après MM. Mitterrand, Chirac et Sarkozy. Nous avons travaillé avec Michel Bouvard en parfaite intelligence. Je salue aussi le concours de Christian Maisonnier, ingénieur des ponts et chaussées, ici présent.

Notre mission portait sur le financement de la construction de la partie française du tunnel de base transfrontalier de 57 kilomètres qui relie Suse, en Italie, à Saint-Jean-de-Maurienne, en France. Nous avons travaillé en lien avec les élus nationaux et locaux, les ministères, les instances européennes, ainsi que tous les acteurs économiques, en particulier les transporteurs.

Ce projet majeur participe au développement économique, non seulement du sud-est de la France et de l'Italie du Nord, mais aussi de la France, de l'Italie et de l'Europe dans leur ensemble. L'année 2015 a été décisive à cet égard. Au cours d'un sommet franco-italien, en février dernier, le président de la République et le président du Conseil italien se sont engagés définitivement à assurer la réalisation du tunnel de base. En juillet, la Commission européenne s'est engagée pour sa part à prendre en charge 40 % du projet, que l'Italie financera à hauteur de 35 % et la France de 25 %. La répartition des charges est équilibrée car les accès au tunnel sont plus importants du côté français que du côté italien. Le budget de ce tunnel de base est de 8,5 milliards d'euros. Les descenderies, tunnels techniques destinés à vérifier l'état de la roche et donner accès au tunnel de base, ont été déjà été creusées pour un coût de 1,5 milliard d'euros. Le chantier durera 12 ans, de 2018 à 2030.

Ce projet est majeur à l'égard du report modal dans l'arc alpin. Alors qu'aujourd'hui le franchissement des Alpes concerne à 90 % la route et à 10 % le rail, ce projet permettra de parvenir à l'équilibre, aussi bien pour les voyageurs que pour le fret.

Ce projet est aussi majeur d'un point de vue économique. L'Italie est le deuxième partenaire commercial de la France après l'Allemagne. L'axe Lyon-Turin confortera le corridor Séville-Budapest, qui concentre 18 % de la population européenne et réalise 17 % de son PIB. L'Allemagne et l'Europe de l'Est ont attiré les flux et les marchandises. Or la façade méditerranéenne bénéficie d'une démographie dynamique. La croissance économique doit l'accompagner. L'aménagement des corridors Nord-Sud, comme Londres-Milan, et Est-Ouest revêt donc une importance cruciale pour notre pays.

Neuf tunnels de base ferroviaires existent ou sont en cours de réalisation dans l'arc alpin. Les trois principaux sont le Lyon-Turin entre la France et l'Italie, le Brenner entre l'Italie et l'Autriche et le Saint-Gothard en Suisse.

Je l'ai dit, l'UE assurera 40 % du financement du tunnel de la liaison Lyon-Turin, l'Italie 35 % et la France 25 %, pour 2,1 milliards d'euros. Nous proposons un financement mixte, réparti entre crédits publics et privés. Le concours de l'État est nécessaire alors que les collectivités territoriales se sont déjà engagées à participer à la réalisation des accès au tunnel. Le reste proviendrait d'une Eurovignette, perçue dans la région alpine, définie de façon large, afin d'englober le littoral méditerranéen.

Nous proposons que sa mise en oeuvre soit progressive et mesurée pour éviter les détournements de trafic. Alors que la directive européenne Eurovignette nous autorise à augmenter les péages autoroutiers d'accès au tunnel de 25 %, nous proposons une hausse de 10 % dans les Alpes du Nord, car les tarifs y sont déjà élevés, et de 15 % sur l'A8, en accord avec les élus locaux, car celle-ci est engorgée et les tarifs des péages y sont plus faibles. Pas d'augmentation en revanche pour les tunnels alpins du Mont-Blanc et du Fréjus, mais la hausse intervenue ces dernières années pourrait être requalifiée. Ce plan d'ingénierie financière durerait 50 ans et serait porté par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque européenne d'investissement (BEI). Je rappelle que les tunnels du Lötschberg et du Saint-Gothard en Suisse ont été financés grâce à un fonds public spécial, alimenté par une redevance sur les poids lourds, la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les hydrocarbures. Pour le tunnel du Brenner, l'Autriche a opté pour une Eurovignette, tandis que l'Italie a mobilisé des crédits budgétaires alimentés par une taxe autoroutière.

Une ligne ferroviaire entre la France et l'Italie à travers les Alpes existe déjà. Elle a été lancée en 1847, soit avant le rattachement de la Savoie à la France, tandis que le tunnel a été construit en 1871. Certains prétendent qu'il suffirait de la moderniser, mais son potentiel est entravé par la haute altitude et par des pentes supérieures à 3 %, qui limitent les charges des trains. Les tunnels de ce type sont abandonnés les uns après les autres dans les Alpes à cause de problèmes de sécurité.

D'aucuns qualifient ce projet de pharaonique. Il s'agit plutôt d'un enjeu majeur pour notre pays, l'Italie et l'Europe. Le seul projet aussi ambitieux a été le tunnel sous la Manche, formidable accélérateur de croissance, en dépit des multiples difficultés rencontrées lors de sa construction. Qui prétendrait encore qu'il fut une erreur ?

Le général de Gaulle disait que « la politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c'est d'être petit ». La liaison Lyon-Turin s'inscrit dans une veine gaullienne !

M. Michel Bouvard. - Oui, avec Michel Destot, nous avons travaillé en harmonie sur ce dossier crucial pour notre pays et l'Europe du sud. Quand on sait qu'un cinquième du fret qui passe par le tunnel sous la Manche est destiné à l'Italie, on mesure les enjeux pour notre façade atlantique et nos ports, dont l'hinterland est très réduit, d'autant que les ports de Gênes et Venise sont saturés.

Le coût financier de ce projet suscite bien des inquiétudes et des fantasmes. Notre rapport concerne le seul tunnel de base : au sein d'un projet qui comporte aussi des voies d'accès, il sera la principale source de gains de temps. Il doit être réalisé en une fois, alors que les voies d'accès pourront être réalisées par la suite. Certains chiffres fantasmagoriques circulent : 30 milliards d'euros, entend-on parfois, montant « arrondi » de 26 milliards, provenant d'un autre arrondi, etc.

Nous évoquons dans notre rapport deux estimations qui présentent un écart de 400 millions d'euros, selon qu'elles incluent ou non la galerie de Saint-Martin-la-Porte. La part à la charge de la France étant de 25 %, l'effet de levier, de un pour quatre, est exceptionnel pour un tel ouvrage. Les Italiens ont accepté de contribuer au financement du tunnel de base à hauteur de 35 % car ils ont moins de voies d'accès à aménager. Toutefois, sur l'ensemble du projet, les participations des deux pays seront équivalentes.

Nous sommes partis du référé du 1er août 2012 de la Cour des comptes que j'invite chacun à lire sur le site de l'institution pour éviter de lui faire dire ce qu'il ne dit pas...La Cour notait que l'état de nos finances publiques ne permettait pas à la France de financer seule cet ouvrage. Celui-ci doit se justifier, ajoutait-elle, par le report modal. Elle soulignait que la participation de l'UE n'était alors pas acquise. Elle appelait enfin à engager une procédure de certification des coûts.

Depuis lors, l'UE a confirmé son engagement, clair et définitif, de financer le tunnel à hauteur de 40 %, s'agissant d'un ouvrage international de franchissement d'un massif transfrontalier, dès la période 2014-2020. Les fonds seront débloqués en fonction de l'avancement des chantiers, une partie ayant déjà été versée. De plus, l'UE autorise la France et l'Italie à mobiliser une ressource nouvelle spécifique, taxe ou contribution, pour financer une partie de l'ouvrage. Il appartient au Parlement de décider la création d'une Eurovignette, ressource qui présentera la particularité d'être entièrement affectée à la réalisation de l'ouvrage, sans abonder le budget général de l'État, même si elle soulagera ses finances.

L'Autriche a déjà mis en place une Eurovignette pour construire le tunnel du Brenner, dont le coût total est similaire à celui du Lyon-Turin. Cette recette lui rapportera 35 millions d'euros par an pendant 64 ans, soit la durée du chantier plus 50 ans. Nous proposons d'appliquer la même règle en France : l'Eurovignette serait perçue pendant les douze ans que dureront le chantier, puis pendant 50 ans. Cette recette, à la différence de l'écotaxe, doit être perçue dans la zone qui bénéficie de l'ouvrage. Nous avons constaté que les flux de transit qui franchissent les massifs alpins sont pénalisés par des conditions de temps aléatoires, et que les axes sont saturés dans la région Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, davantage d'ailleurs dans les agglomérations. L'UE nous autorise à percevoir une taxe sur le périmètre montagneux et sur les voies du massif montagneux, au sens des règlements communautaires. Ainsi, nous avons identifié deux zones de perception : la zone nord couvre les abords des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. Leurs tarifs ont augmenté ces dernières années, pour financer la réparation du tunnel du Mont-Blanc et la deuxième galerie du tunnel du Fréjus. La commission intergouvernementale franco-italienne arrête le montant des péages. Il serait possible de requalifier une partie des hausses, mais si l'on cherche des ressources, mieux vaut attendre la fin des concessions autoroutières en 2050. Ensuite, nous proposons de relever de 10 % les tarifs poids lourds sur les autoroutes de la partie nord, sachant que le droit européen permet une hausse de 25 %. Nous préférons une hausse modérée, lissée dans le temps, pour la rendre acceptable par les transporteurs et éviter les détournements de trafic vers la Suisse.

Dans le Sud, nous proposons d'augmenter les péages du réseau Escota de 15 %, car ils sont moins élevés. Or le trafic y est en hausse, à cause des fermetures imprévisibles et momentanées des tunnels alpins, pour des raisons de sécurité, dues notamment aux variations de pression constatées dans ces tunnels. La saturation de ce réseau est source de nuisances pour les populations du littoral. C'est pourquoi les élus du littoral sont d'accord pour relever les tarifs.

Nos hypothèses de calcul sont très prudentes et tiennent compte des dédommagements à verser aux sociétés autoroutières. Ainsi, il serait possible de percevoir 17 millions d'euros par an de recettes sur la partie nord, avec un solde net de 11,9 millions d'euros, et 21, 9 millions d'euros sur le réseau Escota, soit un solde net de 19,7 millions d'euros. La requalification de la hausse des péages dans les tunnels nord-alpins rapporterait 8,9 millions d'euros. La recette nette s'élèverait au total à 40,5 millions d'euros par an, ce qui laisse une marge pour financer les voies d'accès. Sous ces hypothèses, il serait possible de lever 1,33 milliard d'euros.

Il pourrait être fait appel à la dette, auprès de la Banque européenne d'investissement par exemple, qui apporte pour ce type d'ouvrages des concours jusqu'à 50 % de la part restant à la charge des États. Les Italiens ont déjà inscrit les crédits nécessaires dans leur loi de programmation des finances publiques. Cette dette doit-elle être prise en compte à l'égard des critères de Maastricht ? La réponse est complexe et dépend de la gouvernance de l'opérateur TELT (Tunnel Euralpin Lyon-Turin). Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes en Italie, où le déficit public est inférieur à 3 %.

Ces financements n'excluent pas d'autres recettes complémentaires. Cet ouvrage contribuera à la promotion d'une économie décarbonée, grâce au report modal que les États sont libres de mettre en oeuvre. À la différence du tunnel sous la Manche, un texte régit les conditions de transport dans les tunnels : la convention alpine, que la France a ratifiée, autorise à contingenter les trafics de poids lourds. De même, la politique tarifaire dépend des États. Elle n'est pas contradictoire avec l'Eurovignette car ce type d'ouvrage entraîne un accroissement du trafic et des échanges. De plus, nous comblerons notre retard en matière de fret ferroviaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteure spéciale de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». - Merci pour votre présentation qui a déjà répondu par avance à plusieurs de mes questions. Dispose-t-on d'une évaluation plus précise des retombées, liées en particulier à l'économie décarbonée ? Quel est l'état des lieux des liaisons ferroviaires entre la France et l'Italie ?

Enfin, la contribution de la France s'élèvera à près de 2,1 milliards d'euros. L'Eurovignette rapportera 1,3 milliard d'euros. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) sera-t-elle mise à contribution pour le reste ? Cela paraît peu réaliste, en l'état actuel...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Le système de transport combiné Modalohr, qui permet de charger des camions sur le rail, fonctionne-t-il toujours ? Comme notre rapporteure spéciale, je m'interroge sur la capacité de l'AFITF à participer au financement du projet...

Vous proposez des majorations de péages. N'est-ce pas donner raison a posteriori à ceux qui, parmi nous, ont déploré l'abandon de l'écotaxe ?

M. Philippe Dallier. - Les grands projets suscitent toujours des estimations très diverses. Il en va de même pour le Grand Paris Express... Le tunnel de base coûterait donc 8,5 milliards d'euros. Est-ce le même ordre de grandeur pour le tunnel du Brenner ?

M. Michel Bouvard. - Tout à fait.

M. Philippe Dallier. - Le coût total, incluant les voies d'accès, s'élève à 24 milliards d'euros. Comment seront-elles financées ? Enfin, quinze ans de travaux pour percer un tunnel, cela me paraît bien long. Les techniques actuelles ne permettent-elles pas d'accélérer ce délai ?

M. André Gattolin. - Je suis toujours inquiet quand des estimations sont avancées pour des grands projets en France. Même un chantier aussi classique que celui de la Philharmonie de Paris, a fini par revenir au double du devis initial. La Philharmonie de Hambourg a coûté, il est vrai, quatre fois plus que la première estimation ! Quant au tunnel sous la Manche, il a pris plus d'un an de retard et son coût final a aussi doublé le devis...

Ce projet repose sur des hypothèses très optimistes. La complexité des travaux, les difficultés liées à la géologie et la géomorphologie des sols de montagne sont sous-estimées. On découvrira les obstacles au cours des forages, et le coût ne cessera d'augmenter. Certes, l'Eurovignette est intéressante, mais si l'on en juge par l'expérience, il convient, par prudence, de doubler le prix indiqué dans ces devis dits par les professionnels eux-mêmes « BTP », destinés à remporter les appels d'offres, et sous-estimés en conséquence. Le montage savant que vous proposez résistera-t-il aux retards et aux aléas ? Les calculs sont justes en apparence, mais les hypothèses qui les fondent ne semblent guère fiables.

Mme Marie-France Beaufils. - La question des coûts est importante mais l'essentiel tient tout de même à la dimension environnementale du projet. La pollution de l'air est élevée et dure à supporter pour les populations. Il est temps d'agir. Comme Philippe Dallier, je suis dubitative sur le financement des voies d'accès. L'enjeu est de stimuler le transport ferroviaire.

Je rappelle qu'il est possible de créer une taxe affectée à une dépense précise, à l'image de celle instaurée au XIXe siècle sur les billets de train, pour financer les gares.

M. Éric Doligé. - Comment les sommes collectées grâce à l'Eurovignette seront-elles réparties entre la France et l'Italie ? Les poids lourds qui emprunteront ce tunnel feront des économies de carburant, ce qui pourrait compenser en partie le coût de la vignette.

M. Jacques Chiron. - Tout a commencé avec la Transalpine, projet porté par une association qui rassemble l'ensemble des élus, des collectivités et des acteurs économiques depuis une vingtaine d'années, pour lutter contre la pollution due au trafic et à l'engorgement des vallées. Les populations souffrent de cette pollution. Qui, aujourd'hui, regrette le tunnel sous la Manche ? Personne !

Ceux qui critiquent ce projet devraient avoir en tête que l'axe Lyon-Turin, à la différence des autres tunnels alpins existants, n'est pas un axe Nord-Sud, mais bien un axe Est-Ouest. Ce nouveau tunnel ne sera donc pas redondant.

Quant au coût total, de 24 milliards d'euros, il inclut la desserte de Chambéry, de Grenoble, d'Annecy et le contournement de Lyon.

M. Maurice Vincent. - Cette infrastructure, qui serait achevée en 2029, sera-t-elle adaptée à l'évolution du trafic, à cette date, même si la croissance, comme le laisse penser Olivier Blanchard, économiste du FMI, n'est pas aussi forte que prévu ?

M. Michel Destot. - Le report modal dû au rééquilibrage entre la route et le rail dans les Alpes permettra d'éviter l'émission d'un million de tonnes de gaz à effet de serre par an. Ce n'est pas négligeable ! Cela entraînera aussi des effets sur la pollution et l'engorgement des vallées.

Oui, c'est aussi une incitation à reposer la question de l'écotaxe, qui était pourtant soutenue par une majorité de parlementaires...Il est dommage qu'au moment de décider, l'on recule. Notre fiscalité est bancale. Saisissons cette occasion pour réactiver une dynamique vertueuse. En matière de fret ferroviaire, nous sommes très en retard par rapport à nos voisins.

Nul ne peut affirmer évidemment qu'il n'y aura pas de dépassements budgétaires...

M. André Gattolin. - Il y en aura !

M. Michel Destot. - Mais chacun a appris à établir des estimations rigoureuses. La France devra contribuer à hauteur de 2,1 milliards d'euros, soit 200 millions d'euros par an, l'équivalent du budget d'investissement de la métropole grenobloise ou du département de la Savoie... Est-ce insoutenable ? Nos voisins ont réalisé des tunnels comparables sans être aidés...

Les travaux dureront douze ans. Cette durée est due à la complexité du sol...

M. Michel Bouvard. - Ce n'est pas de la craie !

M. Michel Destot. - En effet, il est nécessaire de réaliser de nombreuses études techniques et de creuser des descenderies pour explorer les roches dures qui le composent.

Les transporteurs, à l'image des longs courriers qui effectuent la liaison Londres-Milan, sont moins sensibles au coût qu'au facteur temps. L'incertitude autour de l'ouverture ou de la fermeture des tunnels du Fréjus ou du Mont-Blanc leur est préjudiciable. Ils réclament aussi la possibilité de répercuter tout ou partie de la taxe sur les chargeurs. C'est pourquoi nous préconisons que la taxe apparaisse sur la facture.

Ce projet est à la fois Est-Ouest et Nord-Sud. Notre magnifique façade méditerranéenne est engorgée toute l'année. À Vintimille, les embouteillages de camions ne cessent pas. Tous les élus de la région nous appellent à être encore plus ambitieux pour taxer les poids lourds. De plus, si nous ne perçons pas ce tunnel, nous assisterons à une évasion du trafic Nord-Sud vers d'autres pays. Mieux vaudrait organiser ce corridor, afin de saisir les opportunités de croissance économique et démographique qu'il entraîne.

M. Michel Bouvard. - Il est évident qu'en l'état actuel de ses engagements, l'AFITF n'a pas les ressources pour financer l'ouvrage. D'où la nécessité de recourir d'abord à de la dette, avant de mobiliser des concours budgétaires. Selon nos estimations, il faudra 800 millions d'euros, étalés sur douze ans, avec peu de décaissements au cours des premières années. Toutefois l'AFITF a déjà dépensé, grâce à ses dotations, 250 millions d'euros pour participer au percement des 12 kilomètres de descenderies réalisés. Tout est affaire d'ingénierie financière. Nous ne pouvions être plus précis, faute de disposer de la courbe des décaissements annuels.

Comment envisager que la France ne soit pas capable d'investir 80 millions d'euros par an dans un projet international, indispensable et avec un tel effet de levier ? Il faudrait aussi tenir compte des retombées fiscales pour les collectivités territoriales, estimées à 100 millions d'euros sur la durée du chantier, pour la seule cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) des entreprises travaillant sur le tunnel.

M. Michel Destot. - N'oublions pas non plus les créations nettes d'emplois !

M. Jacques Chiron. - Trois mille emplois sur douze ans...

M. Michel Bouvard. - L'un des torts des partisans du projet a sans doute été de le justifier avant tout par la croissance du trafic. Celle-ci a été forte dans les massifs alpins jusqu'à la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1999, puis a ralenti, une partie des flux passant désormais par la Suisse ou le sud de la France.

La crise de 2008 a aussi eu un fort impact : entre septembre et octobre 2008, le trafic dans les tunnels alpins s'est effondré de 20 %, et nous n'avons pas, depuis lors, retrouvé les niveaux antérieurs. Le premier objectif est le report modal. Nous devons aussi penser à nous intégrer à la dynamique de la partie sud de l'Europe, dans un axe Est-Ouest, jusqu'aux Balkans. Nous devons profiter du dynamisme de l'Italie du Nord. Les voies de franchissement des Alpes dessinent la carte d'un nouveau Saint-Empire romain germanique. Si nous ne réalisons pas ce tunnel Est-Ouest, nous resterons aux marges de la Mitteleuropa ! Inspirons-nous de la vision de Cavour, qui a lancé en 1857 le tunnel du Mont-Cenis, alors que le royaume de Piémont-Sardaigne était criblé de dettes à cause de la guerre de 1848...

M. André Gattolin. - Il n'y avait pas d'agences de notations à l'époque, ni de marchés financiers !

M. Michel Bouvard. - La réalisation des voies d'accès peut être étalée dans le temps. L'enveloppe de 24 milliards d'euros inclut des travaux déjà réalisés comme l'électrification des lignes Gières-Montmélian ou Grenoble-Valence. Les collectivités territoriales de Rhône-Alpes se sont engagées le 19 mars 2002 et le 19 mars 2007 à contribuer à hauteur d'un milliard d'euros. Une partie des voies accès sont déjà fonctionnelles et autofinancées, grâce au transport de voyageurs.

Le système Modalohr est un succès technique. Il participe à l'expérimentation de l'autoroute ferroviaire alpine. Les navettes sont saturées, mais l'impact commercial est limité faute d'un cadencement suffisant et à cause de l'éloignement de la plateforme qui ne permet pas assez de gain de temps. Nous attendons depuis plusieurs années la construction d'une nouvelle plateforme à Grenay, au sud de Lyon, pour accompagner la montée en puissance de la ligne historique et gagner davantage de temps. Les opposants au tunnel prétendent qu'il suffirait de la moderniser encore pour faire passer 20 millions de tonnes de marchandises. Ils ont mal lu le rapport de la Cour des comptes ! Le tunnel du Mont-Cenis a été conçu en 1857. Avec les normes de sécurité actuelles, il est impossible de faire circuler plus de 15 millions à 16 millions de tonnes, au mieux. Pour mémoire, il y a trente ans, à la grande époque, quelque 11 millions de tonnes transitaient par ce tunnel...

Le produit de l'Eurovignette reviendra entièrement à la France. L'Italie est libre de mettre en place une taxe similaire si elle le souhaite. L'accord des deux États est requis pour fixer le tarif des tunnels et instaurer une telle taxe, mais ses modalités relèvent de chaque État. De même, chaque État est libre du mode de financement.

M. Michel Destot. - L'Italie a choisi de ne pas taxer les camions qui franchissent le tunnel du Brenner.

M. Michel Bouvard. - En effet. Les Italiens mènent une politique très proactive en faveur du secteur du transport routier, très atomisé dans ce pays, beaucoup plus que chez nous. Certaines voix commencent à s'élever néanmoins pour demander un changement. Peut-être la COP 21 offrira-t-elle l'occasion d'une prise de conscience...

Un mot sur les chiffrages des grands projets. Le coût de la ligne LGV Atlantique s'est élevé à 11,8 milliards d'euros, moins de 1 % de dépassement par rapport aux 11,7 milliards de l'autorisation ministérielle. La ligne Nord a coûté 3,3 milliards, soit 6 % de plus que l'autorisation ministérielle de 3,1 milliards d'euros. Le dépassement a atteint 10 % pour la LGV Est, mais 4 % pour la LGV Méditerranée...

M. André Gattolin. - Il ne s'agissait pas de percer un tunnel d'une telle ampleur, avec les incertitudes que cela représente. Songez au tunnel sous la Manche...

M. Michel Bouvard. - J'y viens. Nous avons déjà percé des descenderies. Le chiffrage est précis et prend en compte les aléas géologiques. L'UE a lancé une procédure de certification du coût. Le premier rapport indique que l'estimation est fiable. L'on constate de même que la dérive budgétaire est limitée pour la galerie de sécurité du tunnel du Fréjus. Il existe, il est vrai, des incertitudes géologiques, dues au travail de la montagne, à l'existence de zones de cargneule. Nous avons bénéficié de retours d'expériences. Ainsi, le coût de la galerie de sécurité du tunnel de Fréjus sera conforme aux attentes. D'ailleurs, l'inconnue concerne à 80 % les frais dus au percement de l'ouvrage, et seulement à 20 % les coûts des équipements techniques, qui ne varient guère. En définitive, les risques sont limités, et comme il n'y a pas d'architectes, mais seulement des ingénieurs, je suis confiant...

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie.

M. Michel Bouvard. - En attendant, je ne peux que vous inviter à venir visiter le chantier !

Mme Michèle André, présidente. - Pourquoi pas ?

La réunion est levée à 20 h 00.

Mercredi 28 octobre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Loi de finances pour 2016 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » (et communication sur le contrôle budgétaire sur le coût de l'organisation des élections) - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 9 h 02.

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Hervé Marseille, rapporteur spécial, sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » et entend une communication sur son contrôle budgétaire concernant le coût de l'organisation des élections.

M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. - La mission « Administration générale et territoriale de l'État » porte les moyens alloués aux préfectures et sous-préfectures, les crédits relatifs au financement de la vie politique, ainsi que les crédits des fonctions support du ministère de l'intérieur, pour un total de 2,5 milliards d'euros en 2016. À périmètre constant, ces crédits sont en baisse de 1,7 % par rapport à 2015.

La mission est concernée par la mise en place du plan de lutte contre le terrorisme, qui entraînera 19,3 millions d'euros de dépenses nouvelles, principalement destinées à sécuriser le système informatique et de télécommunications du ministère de l'intérieur et à financer de nouveaux diplômes universitaires et programmes de recherche en islamologie.

S'agissant du programme 307, soulignons que le mouvement de transformation de l'organisation et des missions de l'administration préfectorale se poursuivra et s'amplifiera en 2016. La réduction du nombre de préfectures de région, de 22 à 13 en France métropolitaine, induira des regroupements de services au sein des futurs chefs-lieux de région, comme ceux relatifs à la gestion des ressources humaines et à la gestion des budgets opérationnels de programme. 337 agents devraient être concernés par une mobilité géographique ou fonctionnelle. Subsistent encore des incertitudes quant aux modalités pratiques de cette réorganisation et ses conséquences budgétaires : elle pourrait induire des coûts transitoires qui ne figurent pourtant pas dans les documents budgétaires qui nous ont été communiqués.

Par ailleurs, la révision de la carte des sous-préfectures se poursuivra en 2016 avec pour objectif de rationaliser la présence infra-territoriale de l'État. Cette évolution va de pair avec le développement de nouvelles modalités d'accès aux services publics sur les territoires par la création de Maisons de l'État regroupant des services de proximité de l'État ou de Maisons de services au public : trente Maisons de l'État ont déjà été créées et d'autres projets sont en cours d'élaboration.

Les missions des préfectures continueront d'évoluer dans le cadre du plan « préfectures nouvelle génération » présenté par le ministre de l'intérieur le 9 juin 2015, qui poursuit le désengagement des préfectures des missions de guichet relatives à la délivrance de titres, comme les certificats d'immatriculation des véhicules ou les permis de conduire, grâce au recours à des tiers de confiance, à des procédures dématérialisées et à la création de plateformes régionales d'instruction des demandes de titres. Cette réduction des activités de guichet doit permettre de renforcer quatre missions identifiées comme prioritaires : la sécurité et l'ordre public, le contrôle de légalité et budgétaire des collectivités territoriales, la lutte contre la fraude et la coordination territoriale de la mise en oeuvre des politiques publiques.

Ces évolutions auront pour effet la réduction des effectifs de l'administration préfectorale, avec 200 suppressions de postes en 2016. Elles concerneront les services préfectoraux départementaux ; les services régionaux verront eux leurs effectifs augmenter.

Par ailleurs, l'équilibre financier de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) restera fragile en 2016, en raison de coûts de production élevés du permis de conduire et du passeport biométrique. L'ANTS engagera une renégociation des conditions tarifaires conclues avec l'Imprimerie nationale afin de maîtriser ces dépenses.

Le programme 232 enregistre une baisse de 77 % de ses crédits de paiement, qui s'établissent à 101 millions d'euros, en raison de l'absence d'élections générales en 2016. Toutefois, en raison du report des élections régionales de mars à décembre 2015, certaines dépenses ne seront mises en paiement qu'en 2016, ce qui induira des reports de crédits non-exécutés. Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de maintenir le volume de l'aide publique aux partis à son montant de 2015, de 67,8 millions d'euros, ce qui est une bonne chose.

Enfin, le programme 216, qui finance les moyens logistiques du ministère de l'intérieur, voit ses crédits augmenter de + 6,9 %. Cette hausse résulte toutefois du transfert des effectifs exerçant des missions de sécurité routière sur ce programme ainsi que des dépenses supplémentaires dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme. À périmètre constant, les crédits de ce programme baissent de 1,7 % en raison de la maîtrise de la masse salariale et de la suppression de 94 postes en 2016. Par ailleurs, les crédits dédiés aux dépenses de contentieux du ministère de l'intérieur connaissent une nette diminution en 2016, alors que ces dépenses font l'objet d'une sous-dotation budgétaire chronique qui se traduit par des écarts répétés entre prévision et exécution. Il existe donc un risque important de dérapage de ces dépenses en cours d'exécution.

Enfin, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), chargé de l'agrément, du contrôle et du conseil des entreprises de sécurité privées, voit sa subvention budgétaire maintenue à 16,8 millions d'euros, alors que ses compétences s'élargiront en 2016 à 800 nouveaux organismes de formation de sécurité privée.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

J'en viens maintenant aux conclusions du contrôle budgétaire que j'ai mené sur le coût de l'organisation des élections. Ce coût, supporté tant par l'État que par les communes, est significatif. En 2012, d'après les données du programme 232 qui regroupe les crédits associés à l'organisation des élections, les élections présidentielles et législatives ont représenté pour l'État une dépense totale d'environ 342 millions d'euros. En prenant en compte certaines dépenses non retracées, en particulier les dépenses relatives au personnel mobilisé lors des scrutins, ce coût s'élèverait, d'après l'Inspection générale de l'administration (IGA), à 437 millions d'euros. L'effort financier réalisé par les communes lors de la tenue de scrutins ne fait pas l'objet d'un suivi par le ministère de l'intérieur mais a été estimé à 200 millions d'euros en 2012 par l'IGA.

Afin de compenser une partie des coûts supportés par les communes lors de la tenue de scrutins, l'État leur verse à chaque élection des frais d'assemblée électorale. Mais cette subvention ne couvre qu'une faible partie des dépenses effectivement engagées par les communes, 15 % en moyenne. À titre d'exemple, la ville de Paris a dépensé 1 million d'euros lors des élections européennes de 2014 et a reçu de l'État une subvention de 165 000 euros. Surtout, le montant de cette subvention, calculé en fonction du nombre de bureaux de vote et d'électeurs inscrits, n'a pas évolué depuis 2006, alors que le taux d'inflation a été en moyenne de 1,5 % par an. Il y a donc bien un désengagement financier de l'État au détriment des communes, qui n'est pas acceptable.

Il existe plusieurs déterminants de la dépense électorale. Le poste le plus important est constitué par les dépenses liées à la propagande électorale, qui ont représenté plus de la moitié de la dépense électorale totale en 2012, soit 180 millions d'euros. Elles recouvrent les dépenses de mise sous pli et d'envoi des professions de foi et des bulletins de vote, ainsi que les remboursements aux candidats de leurs frais d'impression. Le second poste de dépenses est constitué par les remboursements forfaitaires aux candidats de tout ou partie de leurs dépenses de campagne, pour 83 millions d'euros. Il existe plusieurs autres déterminants de la dépenses électorale, dont les montants mis bout à bout sont significatifs, qu'il s'agisse des coûts associés à la révision des listes électorales, à la gestion des procurations ou à l'impression et à l'envoi des cartes électorales.

L'administration ne dispose pas de tous les leviers pour maîtriser la dépense électorale, puisque celle-ci dépend notamment du nombre d'électeurs, de candidats ou encore du montant des dépenses électorales de ces derniers. Toutefois, j'ai pu identifier des marges de manoeuvre qui permettraient de réduire le coût d'organisation des scrutins.

Premièrement, je propose d'expérimenter la dématérialisation de la propagande électorale à l'occasion de l'élection présidentielle de 2017. Le Gouvernement a proposé à deux reprises de dématérialiser la propagande pour les élections européennes de 2014 puis pour les élections départementales et régionales de 2015. Ce projet a été rejeté, à juste titre, par le Parlement, car il risquait de provoquer une inégalité d'accès à l'information électorale entre les citoyens. Surtout, il paraissait inopportun de supprimer l'envoi papier de la propagande en 2015 alors que le mode de scrutin des élections départementales et le périmètre des cantons venaient d'être modifiés.

Pourquoi alors proposer la dématérialisation de la propagande à l'occasion d'une élection présidentielle ? Contrairement aux autres élections, l'élection présidentielle jouit d'une forte couverture médiatique qui assure aux candidats une publicité suffisante de leurs propos et de leurs programmes. Dématérialiser la propagande électorale dans ces conditions, en publiant les professions de foi des candidats sur un site Internet dédié et en informant les citoyens sur ces nouvelles modalités de consultation, ne remettrait pas en cause l'égale information de tous les électeurs. En revanche, je reste attaché à l'envoi papier de la propagande électorale s'agissant des élections locales, qui sont par nature moins médiatisées.

Deuxièmement, je considère qu'il est nécessaire de créer un répertoire national unique regroupant l'ensemble des électeurs. Actuellement, chaque commune gère sa propre liste électorale et l'INSEE tient un fichier général afin de s'assurer de la cohérence des listes entre elles et d'éviter les doubles inscriptions. Mais il existe des écarts importants entre les listes locales et le fichier général, qui concerneraient selon l'IGA 2,5 % du corps électoral, soit environ un million d'électeurs. Créer un répertoire unique, dont les listes électorales communales seraient extraites, permettrait de remédier à cette situation. En parallèle, je préconise de supprimer, à terme, les commissions de révision des listes électorales qui sont actuellement chargées de statuer sur les demandes d'inscription au cours de la période de révision des listes, mais qui se contentent le plus souvent d'avaliser le travail préalablement effectué par les services municipaux et dont le coût de fonctionnement n'est pas anodin.

Troisièmement, il conviendrait d'achever la dématérialisation totale du processus de vote par procuration, qui a été lancée en 2013 mais qui peine à aboutir. L'objectif est de permettre aux mandants de remplir le formulaire de procuration en ligne avant de venir s'identifier auprès des autorités habilitées à établir les procurations. Puis, ces autorités enverraient les formulaires par voie dématérialisée aux communes concernées. Il s'agit d'une mesure de simplification et d'économie qui me paraît bienvenue.

Quatrièmement, je propose de supprimer l'envoi aux électeurs de documents peu utiles. Il s'agit, d'une part, des bulletins de vote des candidats envoyés au domicile de chaque électeur, qui présentent peu d'intérêt puisqu'ils sont de toute façon disponibles dans les bureaux de vote. Or, ils représentent un coût important : le ministère de l'intérieur avait estimé les gains attendus d'une telle suppression à 5,9 millions d'euros pour les élections départementales de 2015. D'autre part, je m'interroge sur l'utilité des cartes électorales, qui ont avant tout une fonction symbolique, mais qui ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour pouvoir voter, puisque les électeurs doivent obligatoirement présenter une pièce d'identité le jour du scrutin. Elles ont certes pour intérêt de permettre aux électeurs de connaître la localisation de leur bureau de vote. Toutefois, il pourrait être envisagé d'expérimenter leur suppression, en prévoyant d'informer les électeurs de leur lieu de vote par affichage en mairie ou sur Internet.

Cinquièmement et enfin, il est nécessaire d'améliorer l'information des candidats sur les modalités de remboursement de leurs dépenses. En effet, nombre de comptes de campagne sont réformés à chaque élection par la Commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) du fait d'une mauvaise information des candidats ou de contradictions entre la jurisprudence de la Commission et les indications délivrées par les services préfectoraux. La CNCCFP dispose d'un véritable pouvoir d'appréciation. Il conviendrait donc de rédiger un nouveau guide détaillant avec précision les dépenses relevant de dépenses électorales. Par ailleurs, il conviendrait de clarifier par la loi les règles d'imputation des dépenses effectuées lors de primaires ouvertes dans les comptes de campagne des candidats, qui est un problème nouveau auquel la CNCCFP fait face.

Ainsi serait-il possible de moderniser l'organisation des élections en France, tout en garantissant le respect des exigences démocratiques.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois. - Une remarque tout d'abord sur la nouvelle organisation territoriale. Comment va-t-on concilier la création de grandes préfectures de région et un déploiement des services sur différents sites ! Tout change mais rien ne change, nous dit-on...Comment les sites seront-ils spécialisés ? Comment les gens s'y retrouveront-ils ? Mystère.

Les services de l'État ont été réorganisés avant les élections régionales, mais ce n'est qu'après celles-ci que les régions restructureront leurs services. Il faudra mettre des cierges pour que tout cela corresponde !

Enfin, je suis persuadé que la lutte contre le terrorisme passe non seulement par un renforcement des moyens policiers mais aussi par une action psychologique, de réflexion, de compréhension, et de propagande. Bourses pour la formation des imams, recherche en islamologie, organisation de colloques, etc. : les crédits consacrés à cette action n'augmentent que de 400 000 euros. C'est bien mais c'est trop peu.

M. Jean-Claude Boulard. - Dans les villes, lorsqu'une sous-préfecture ferme, elle est remplacée par une maison de l'État ou une maison de services au public. Les maisons de l'emploi qu'on ouvrait hier ferment aujourd'hui, à croire que toute nouvelle maison a vocation à devenir close. Cette floraison masque mal en réalité le recul de l'État, qui ne se résumera jamais à une « maison ».

Il ne faudrait pas non plus que l'État calque l'organisation territoriale de son administration sur la carte des grandes régions. Rien de tel pour éloigner l'État des territoires. L'échelon de proximité doit rester le département. De plus, en régionalisant l'administration de l'État, on renforce paradoxalement les directions régionales. Le préfet de région a beaucoup moins de contrôle sur les administrations régionales que le préfet de département sur les directions départementales. Voyez les DREAL, qui sont devenues quasi-autonomes !

M. André Gattolin. - Je salue le travail du rapporteur mais ne partage pas toutes ses recommandations, en particulier sur la dématérialisation de la propagande électorale et des bulletins de vote. Sans doute, dira-t-on, est-ce paradoxal pour un écologiste, mais je place la démocratie au-dessus de l'écologie ! Il est bon que les électeurs reçoivent les bulletins à leur domicile : cela évite de montrer, dans le bureau de vote, qu'on ne les prend pas tous... La propagande électorale est une forme d'information sur le scrutin. À supprimer tous les documents, on accroît le risque d'abstention. Certains jeunes dans les quartiers n'hésitent pas à brandir leur carte d'électeur avec fierté en cas de contrôle d'identité, comme marque de leur citoyenneté. D'autres choisissent de renvoyer leur carte en signe de protestation. Ne sacrifions pas cela à des mesures de petites économies.

Il y a deux ans, on a réduit le financement public des partis politiques, les dotations par parlementaire ont été réduites. Veut-on que les citoyens financent eux-mêmes directement les partis ? Il y a une perversion à fonder le financement des partis sur le nombre de voix au premier tour des législatives : depuis l'inversion du calendrier électoral, le taux de participation aux législatives a chuté de 10%. Autant de moins pour les partis ! La présidentialisation et le fonctionnement à deux tours favorisent la bipolarisation, au détriment de l'équité. Il est malsain de réduire les ressources des partis en cours de mandat. Plutôt que de nous faire hara-kiri, n'ayons pas peur d'affirmer que la démocratie vit de subventions publiques. Les financements privés ou des militants ne doivent pas être prépondérants.

M. Philippe Dallier. - Souvenez-vous des péripéties autour de l'installation de machines pour prendre des photos sécurisées dans les mairies. C'était gratuit, cela marchait. Puis les photographes sont montés au créneau, on a fait machine arrière, réhabilité les photographes de quartier et les photomatons. C'était ridicule. Cette fois, on tombe dans l'absurde en demandant aux photographes d'établir une liaison sécurisée avec l'ANTS. Combien cette fantaisie nous coûte-t-elle ?

Votre quatrième recommandation propose de généraliser l'externalisation des mises sous pli de la propagande électorale et de l'envoi des bulletins. À chaque fois qu'on a tenté de le faire en Seine-Saint-Denis, cela a été une catastrophe. Les personnes, qui sont payées une misère, se désintéressent du travail. Cette mesure ne vise qu'à économiser les quelques subsides accordés aux fonctionnaires communaux. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Mme Marie-France Beaufils. - Je suis inquiète des conséquences de la nouvelle organisation des services de l'État sur la vie préfectorale. Dernièrement, nous avons voulu organiser dans ma ville une simulation d'évacuation de la population, en prévention du risque d'inondation. Les services de l'État nous ont dit qu'ils n'avaient pas les outils pour le faire. C'est pourtant la vocation de l'État de jouer le rôle de coordinateur ! Ni les petites communes, ni les intercommunalités, ne sont armées pour cela. Il faut laisser aux préfectures les moyens de répondre aux besoins des territoires.

Je partage les préoccupations d'André Gattolin sur le financement des partis politique. Il est aussi important de conserver la carte d'électeur : pour beaucoup de nos concitoyens, la recevoir alerte sur la tenue prochaine d'élections. Ne prenons pas le risque d'augmenter encore l'abstention. Les documents papier ont le mérite de servir de support à la discussion, à l'échange, notamment dans les quartiers populaires. Pour le moment, la dématérialisation me paraît prématurée. Il faut privilégier tout ce qui contribue à intéresser l'électeur à l'élection, c'est une question de démocratie.

M. Vincent Delahaye. - Les crédits liés aux dépenses de contentieux du ministère de l'intérieur baissent de 25 %. Est-ce pour financer la lutte contre le terrorisme ? Serait-ce sinon de l'insincérité budgétaire, sachant que ces dépenses sont systématiquement sous-dotées ?

Le rapporteur ne propose que d'expérimenter la dématérialisation des documents électoraux. Je suis volontaire pour tenter à Massy l'expérience de la suppression de la carte d'électeur. Comme motif de fierté, Monsieur Gattolin, la carte nationale d'identité fait très bien l'affaire ! Je suis très attaché à l'idée d'un répertoire national des électeurs car beaucoup se trouvent inscrits dans deux communes, l'Insee n'enregistrant pas toujours les radiations. Croyez-moi, c'est le bazar. Mieux vaudrait que cela soit automatique.

M. Roger Karoutchi. - Plus personne ne croit que la refonte de la carte régionale sera source d'économies. Là où l'ancienne préfecture disparaîtra, on créera l'équivalent avec une maison de l'État, sans économies à la clef.

Supprimer la carte d'électeur ne me paraît pas une bonne idée : recevoir sa carte rappelle l'imminence de l'élection. N'en déplaise à André Gattolin, je ne crois pas que les jeunes l'utilisent comme document d'identité, mais il s'agit bien d'un élément d'appartenance au corps électoral.

Toutes les formations politiques préconisent de diminuer le nombre de parlementaires. Mais passer à 400 députés et 200 sénateurs signifierait réduire le financement des partis politiques de 13 millions d'euros !

M. Francis Delattre. - À titre personnel, je ne voterai pas les crédits de cette mission. La nouvelle carte régionale maltraite l'histoire, la géographie et le bon sens, sans permettre de réaliser la moindre économie puisque les services seront maintenus. Pour ce qui est de l'Île-de-France, on ne sait plus trop où en est le Grand Paris. L'échec de la région est patent tandis que les départements de la grande couronne sont devenus des départements relégués.

Je suis aussi scandalisé par le manque de moyens des préfectures. On ne trouve plus un seul ingénieur dans la préfecture d'un département d'un million d'habitants. Nous avons besoin des services de l'État. Quand il y a des averses violentes, les automobilistes font de l'aquaplaning sur les autoroutes de l'État, faute de moyens pour entretenir les évacuations d'eau ; on n'a pas davantage les moyens de contrôler la sécurité sur les ponts des autoroutes. Diminuer encore les moyens, c'est courir à la catastrophe. Enfin, que deviendront les sous-préfectures en cas de fusion de communes pour créer des agglomérations ? J'aimerais que le Gouvernement réponde à ces questions plutôt que de nous faire miroiter des économies auxquelles personne ne croit.

Mme Michèle André, présidente. - Les crédits des anciennes directions départementales de l'équipement ne relèvent pas de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Francis Delattre. - Peut-être, mais c'est le préfet qui coordonne.

M. Antoine Lefèvre. - En Picardie, certaines préfectures ont été spécialisées. C'est le cas en particulier pour l'accueil des étrangers : les habitants de l'Aisne doivent ainsi se rendre dans l'Oise, à la préfecture de Beauvais, pour accomplir leurs démarches. S'ils n'ont pas de voiture, il leur faut prendre le train et passer par Paris, ce qui est ubuesque. Avec les grandes régions, on va encore éloigner le service public des citoyens alors que nous avons plus que jamais besoin de conforter le lien social dans les territoires. Soyons vigilants.

Avec Alain Anziani, j'avais rédigé il y a quelques années un rapport sur le vote électronique. Où en est-on sur ce sujet ? Des expérimentations sont-elles prévues ?

M. Éric Doligé. - Je voulais aussi interroger le rapporteur sur le vote électronique. En outre, une clarification des compétences et des responsabilités des préfectures à l'égard des services départementaux d'incendie et de secours serait nécessaire, car elles décident des dépenses mais ne contribuent pas au financement.

M. Richard Yung. - Les Français de l'étranger ont l'habitude du vote électronique et cela marche de mieux en mieux. Je regrette que le ministère de l'Intérieur y soit hostile pour la métropole. La création d'un répertoire national unique permettrait aussi de remédier aux problèmes de double inscription, qui se posent notamment pour les Français de l'étranger. Je soutiens ces propositions qui vont dans le sens d'un système moderne.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois. - Vu l'enthousiasme que mettent nos concitoyens à se rendre aux urnes, je crois qu'il faut envisager toute modification de notre système électoral avec une main tremblante. Dans mon village, recevoir son bulletin de vote, préparer l'enveloppe, se rendre au bureau de vote, tout cela est fondamental. Peut-être en va-t-il différemment pour les Français de l'étranger, mais évitons les mesures générales. Il n'y aurait pas meilleure façon de décourager encore davantage la participation.

M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. - Merci à tous. Ne refaisons pas le débat sur la réforme territoriale. Cette mission concerne l'organisation territoriale de l'État. Pour l'instant, c'est le statu quo. Les plans de mobilité des personnels ne sont pas achevés, il n'y a pour l'instant aucune économie en vue, c'est pourquoi les crédits évoluent peu. Ce budget vise précisément à maintenir la présence territoriale de l'État.

La difficulté majeure concerne le maintien des sous-préfectures, qui jouent un rôle essentiel dans les territoires ruraux ou éloignés des centres administratifs. L'expérimentation d'une rationalisation de la carte des sous-préfectures qui a été conduite en Alsace et en Moselle va se poursuivre dans d'autres régions, mais cela se fait avec mesure et très lentement car le sujet est sensible. En zones urbaines, un certain nombre de sous-préfectures sont remplacées par des maisons de l'État. La présence infra-territoriale de l'État est nécessaire pour l'accueil des étrangers. En revanche, les autres missions de guichet des préfectures diminuent en raison de la dématérialisation des procédures de demande et d'instruction des titres.

S'agissant du contrôle sur le coût des élections, je rappelle que je n'ai fait que proposer d'expérimenter la suppression de la carte d'électeur. À l'heure où les budgets diminuent, il est délicat de réclamer plus de moyens pour les partis politiques. Leurs dotations ont été maintenues, c'est déjà bien.

M. André Gattolin. - Après avoir baissé !

M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. - Difficile de réclamer à la fois une baisse du nombre de parlementaires et plus d'argent pour les partis !

J'ai proposé de dématérialiser la propagande pour l'élection présidentielle car elle représente une dépense importante. Chacun connaît le nom des candidats à ces élections, même dans les villages les plus reculés. Il en va différemment pour les élections locales. Je rappelle toutefois qu'une expérimentation de dématérialisation partielle a été menée lors des dernières élections départementales dans l'Allier, l'Aude, l'Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et la Savoie, et qu'il n'y a eu aucun problème.

M. Michel Bouvard. - Les candidats avaient même donné leur accord.

M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. - Chacun a en tête les péripéties qui ont entouré l'installation, puis le démontage, des appareils photographiques sécurisés dans les mairies. Nul ne sait d'ailleurs à qui appartient le matériel, qui a fini à la cave...

Mme Michèle André, présidente. - À l'ANTS.

M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. - La question se reposera pour la création de cartes d'identités sécurisées. L'idée de l'État est de veiller à ce qu'il y ait une interface entre les photographes et l'ANTS.

M. Michel Bouvard. - On a manqué de courage politique et on a cédé au lobby des photographes...

M. Hervé Marseille, rapporteur spécial. - J'ai reçu les représentants des professionnels de la photographie et les ai félicités pour leur lobbying. Ils suggèrent maintenant d'étendre l'interface avec les services de l'État à la carte Vitale. Cela supposerait de travailler avec les organismes de l'assurance maladie, un exercice de spéléologie administrative loin d'être gagné...

Je note la candidature de Massy pour une expérimentation de la suppression de la carte d'électeur.

L'État cherche à réduire les dépenses de contentieux, notamment pour refus de concours de la force publique, dont le coût est élevé. Il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que ce coût soit pour quelque chose dans la récente détermination de l'État à faire appliquer les décisions d'expulsions ! Parmi les principaux contentieux, notons aussi ceux liés aux étrangers, à la protection fonctionnelle des fonctionnaires ou aux accidents de la route.

Je n'ai eu aucune information sur les orientations de l'État en matière de vote électronique.

S'agissant de l'externalisation de la mise sous pli de la propagande électorale, je rappelle que les dépenses de mise sous pli se sont élevées à 25 millions d'euros en 2014, auxquels s'ajoutent 50 millions d'euros de frais d'acheminement. Il y a donc une volonté de rationaliser cette dépense par le recours à des prestataires extérieurs. Certaines communes ont toutefois des difficultés à trouver des entreprises prêtes à effectuer cette tâche.

Mme Michèle André, présidente. - Merci. En tant que rapporteure spéciale de cette mission, j'avais estimé que la régionalisation donnerait un rôle accru aux préfets de départements car c'est vers eux que se tourneront les élus en cas de difficulté. Il faut avoir confiance dans l'organisation territoriale de l'État et dans sa capacité à se réorganiser. Si peu d'économies apparaissent, c'est que les préfectures se sont déjà réorganisées et ont supprimé des postes ces dernières années.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

La commission des finances donne acte de sa communication à M. Hervé Marseille et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Loi de finances pour 2016 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial

Puis la commission procède à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial, sur la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Mme Michèle André, présidente, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - En l'absence d'Albéric de Montgolfier, empêché, je vous présente les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

La mission « Conseil et contrôle de l'État » se compose de quatre programmes : le Conseil d'État et les autres juridictions administratives, la Cour des comptes et les autres juridictions financières, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, depuis la loi de finances pour 2014, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Sur l'enveloppe budgétaire de 639,2 millions d'euros consacrés à la mission, en progression de 0,4 % par rapport à 2015, plus de 60 % des crédits sont consentis à la justice administrative et près de 34 % aux juridictions financières.

Par ailleurs, en raison des spécificités des institutions qui la composent, la mission bénéficie de dérogations en matière de contrôle financier et de règles d'exécution budgétaire.

S'agissant du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », ses crédits augmentent de 1 % par rapport à 2015, avec 386,9 millions d'euros.

En 2016, le programme bénéficiera, comme en 2015, de 35 équivalents temps plein supplémentaires, dont 29 postes de magistrats administratifs. Ces créations s'opéreront principalement en faveur des tribunaux administratifs et du traitement du contentieux de l'asile.

Cette politique de création d'emplois se poursuit dans un contexte de progression continue des entrées. Le nombre d'affaires enregistrées dans toutes les juridictions administratives augmente effectivement : + 11 % pour les tribunaux administratifs, + 3,4 % pour les cours administratives d'appel, + 26 % pour le Conseil d'État et + 7,5 % pour la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) sur l'année 2014. Cette tendance devrait se poursuivre en 2016 avec la mise en place de plusieurs réformes, sans qu'il soit possible d'en évaluer l'impact budgétaire précis à ce stade : réforme du droit d'asile, du droit des étrangers, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, dépénalisation du stationnement payant etc. Il faudra que les juridictions s'organisent pour faire face à ces nouvelles missions.

2016, sera ainsi une année particulière pour la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qui devra face à un double défi : une adaptation de son organisation à la réforme du droit d'asile, qui impose notamment de nouveaux délais de jugement et un déstockage des dossiers en instance à l'OFPRA, qui pourrait entraîner une augmentation sensible des recours. Dans ce contexte, la CNDA devra connaître une dégradation prévisible de son délai de jugement à 7 mois et 7 jours en 2016, supérieur au délai de 5 mois fixé par le législateur dans le cadre de la réforme du droit d'asile.

Néanmoins, les autres juridictions administratives devraient stabiliser, voire poursuivre la réduction de leur délai de jugement, qui est bien inférieur à un an.

Quant au CESE, son budget s'établit, pour 2016, à 38,1 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une diminution de 0,4 % par rapport à 2015. Cette maîtrise s'opère sur tous les titres.

Le CESE poursuit la réduction de son plafond d'emplois qui s'établit désormais à 150 Équivalents Temps Plein Travaillés (ETPT). S'agissant de ses dépenses d'investissement - qui concernent principalement des travaux de rénovation du Palais d'Iéna - le Conseil parvient à les financer pour une partie importante grâce à des ressources propres de valorisation du Palais, estimées à 1,7 million d'euros pour 2016.

Dans moins d'un mois, le 15 novembre, le CESE verra ses membres renouvelés. Anticipant cette perspective et souhaitant assurer la pérennité du régime de sa Caisse de retraites au-delà de 2020, le bureau du CESE a adopté une série de mesures complémentaires à la première réforme engagée en 2011. La pension servie pour un premier mandat sera ainsi divisée par deux : d'environ 700 euros brut à 350 euros par mois.

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » est, quant à lui, doté de 213,5 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit un budget en légère diminution (0,3 %) par rapport à 2015. Cette baisse s'observe sur les dépenses de personnel, qui diminuent de 0,2 million d'euros.

La réforme des juridictions financières, engagée en 2012, a été menée à son terme. Son coût total a été réévalué à la baisse (6,15 millions d'euros sur la période 2012-2016) et le coût pour 2016 est faible (0,12 million d'euros). Toutefois, la restructuration des chambres régionales des comptes se poursuit, avec la réforme territoriale de 2015, relative à la délimitation des régions, qui impose la réduction du nombre des CRC métropolitaines de 15 à 13 afin d'adapter les ressorts des juridictions aux nouvelles régions. Cette réforme - non intégrée au projet de loi de finances pour 2016 - nécessitera à l'instar de la précédente, de nouvelles dépenses permettant l'accompagnement du personnel et la réalisation des travaux nécessaires : un budget de 4 millions d'euros, pour 2016, sera nécessaire selon les estimations de la Cour des comptes.

Enfin, le dernier programme est consacré au Haut Conseil des finances publiques. Le budget alloué à ce programme a été réajusté aux besoins de l'institution : soit une baisse de 0,82 million d'euros à 0,62 million d'euros en 2016. Le plafond d'emplois est néanmoins resté stable avec 3 ETPT, pour lesquels 370 000 euros sont prévus.

En conclusion, le rapporteur spécial propose à la commission d'adopter, sans modification, les crédits proposés pour la mission et chacun de ses programmes.

M. Jean-Claude Boulard. - Je regarde toujours avec intérêt l'évolution des crédits de la Cour des comptes, si prompte à donner des leçons. L'an dernier, j'avais attiré l'attention sur l'augmentation de ses crédits de fonctionnement - le discours s'était d'ailleurs fait plus mesuré. Cette année, les crédits baissent... de 0,3 %. Que la baisse des dotations aux collectivités locales soit aussi modérée ! Nous serions les plus heureux des élus ! D'autant que si l'on ajoute les fonds de concours attendus en 2016, le total des crédits s'établit en réalité à 214,8 millions.

M. Marc Laménie. - Le précédent rapport, que nous avons examiné ce matin, soulignait la baisse des effectifs des préfectures et des sous-préfectures ; celui-ci, très pédagogique, détaille les crédits considérables affectés à des juridictions certes très respectables mais qui ne sont pas en lien direct avec les citoyens et les élus. Y a-t-il des pistes de réflexion sur une mutualisation des juridictions ? Les rapports du CESE sont-ils tous utiles ? N'y a-t-il pas des doublons entre les rapports des juridictions financières et l'expertise des directions des finances publiques ?

M. Michel Bouvard. - L'activité de la justice administrative s'accroît, du fait de dispositions que nous avons adoptées, à commencer par le principe de précaution qui encourage les recours des associations. En revanche, des mesures contre les recours abusifs ont été prises, j'aimerais savoir si elles ont été efficaces. Le nombre d'arrêts rendus à ce titre est-il de nature à limiter le recours à la juridiction administrative ?

Si la Cour des comptes est exemptée des régulations budgétaires, c'est pour la protéger de toute pression de l'exécutif. Ses missions se sont accrues alors que ses crédits sont stables : la certification des comptes des hôpitaux se fait à périmètre constant, et les demandes émanant des assemblées parlementaires sont en hausse. Nous avons là un auxiliaire précieux pour nos travaux, ne soyons pas obnubilés par son coût. Par rapport à nombre de pays étrangers, la Cour fonctionne avec des crédits raisonnablement encadrés.

Personne ne semble envisager de réduire le nombre de membres du CESE. On pourrait s'interroger sur l'utilité de leurs déclinaisons régionales, les CESER, dont l'apport à la réflexion et à la décision publique n'est peut-être pas fondamental en période de restriction budgétaire.

M. Vincent Delahaye. - Je comprends bien l'utilité du Conseil d'État et de la Cour des comptes, même si je regrette l'augmentation des contentieux administratifs, liée à la multiplication des textes législatifs. En revanche, je prône depuis longtemps la suppression du CESE : les 40 millions d'euros qui lui sont consacrés sont à mes yeux 40 millions de trop. Je doute que nous soyons très nombreux à nous servir de ses rapports.

M. Jean-Claude Requier. - Je rejoins Michel Bouvard ; mon groupe a d'ailleurs déjà proposé de supprimer les CESER.

Les chambres régionales des comptes (CRC) sont actuellement au nombre de vingt, dont cinq en outre-mer. Cela nous donne l'occasion d'un vrai tour de France, depuis Noisiel, petite ville de Seine-et-Marne où est implantée la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, jusqu'à Mamoudzou à Mayotte ! Je trouve d'ailleurs très bien d'avoir implanté la CRC d'Ile-de-France dans une petite ville.

M. André Gattolin. - Je ne sais si les rapports du CESE sont lus, mais que dire de l'absence de réponse du Gouvernement aux rapports réalisés dans le cadre des pouvoirs de contrôle du Parlement ? J'ai récemment cosigné avec Jean-Pierre Leleux un rapport sur le financement de l'audiovisuel public ; la seule réponse que nous ayons eue de la ministre a été par voie de presse, pour dire que nous proposions une BBC à la française, ce qui est faux. Il n'y a eu aucune réponse officielle.

Si je ne prône pas la suppression du CESE, on pourrait sans doute se passer des CESER. Je veux en revanche dénoncer une anomalie, voire une tromperie démocratique : les listes en vue du prochain renouvellement du CESE et du Comité économique et social européen sont concoctées entre les partenaires sociaux et certains partis politiques, et il a été matériellement impossible à la commission des affaires européennes du Sénat de donner son avis, qui a été sollicité en plein été ! C'est fort dommageable.

M. Roger Karoutchi. - Je proposerai un avis négatif lorsque sera levée la réserve sur les crédits de la mission « Immigration et asile », car la hausse des effectifs de la CNDA est loin d'être suffisante pour faire face à ses nouvelles obligations. Vu le nombre de dossiers, le déstockage va rallonger les délais de traitement entre l'OFPRA et la CNDA, a fortiori si l'on accepte des réfugiés qui passeront par la procédure du droit d'asile en 2016-2017.

Mme Michèle André, présidente. - Supprimer les CESER, voire le CESE ? Je vous rappelle qu'il figure, comme le Sénat, dans la Constitution.

Comme le note Michel Bouvard, la Cour des comptes voit effectivement son champ de compétences s'étendre, avec l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales prévue par la loi NOTRe et certainement le contrôle des établissements sociaux, médicaux-sociaux et de santé privés inclus dans projet de loi de modernisation de notre système de santé en cours d'examen. Une précision pour notre collègue Jean-Claude Boulard : les fonds de concours et attributions de produits de la Cour des comptes proviennent pour l'essentiel des mandats des commissaires aux comptes d'organisations internationales.

Concernant la remarque d'André Gattolin relatif à l'absence de réponse du gouvernement sur les rapports de contrôle, j'appelle votre attention sur l'article 60 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), selon lequel « lorsqu'une mission de contrôle et d'évaluation donne lieu à des observations notifiées au Gouvernement, celui-ci y répond, par écrit, dans un délai de deux mois. » Je vous encourage à saisir l'exécutif !

M. Michel Bouvard. - La présidente ou le rapporteur général de la commission pourraient en faire l'objet d'une question au Gouvernement, ce serait un signal fort.

Mme Michèle André, présidente. - Il faudrait faire le bilan des rapports sénatoriaux qui ont donné lieu à de telles observations. Je vous précise, par ailleurs, que j'ai adressé au Premier ministre nos rapports d'information sur le e-commerce et sur l'économie collaborative et leurs observations, que je jugeais particulièrement importants.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Loi de finances pour 2016 - Débat d'orientation sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) du bloc communal

Enfin, la commission procède à un débat d'orientation sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) du bloc communal prévue par le projet de loi de finances pour 2016.

M. Charles Guené, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Je m'attacherai à présenter l'évolution de l'architecture de la dotation forfaitaire des communes, avant de laisser la parole à Claude Raynal, qui vous présentera celle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Le projet de loi de finances pour 2016 propose de réformer en profondeur la dotation forfaitaire des communes, en proposant une nouvelle architecture, fondée sur une dotation de base, une dotation de centralité et une dotation de ruralité, complétée par une enveloppe « majoration et tunnel », qui correspond à ce qu'il reste des composantes figées de la dotation forfaitaire ancienne, et qui disparaîtra avec la baisse des dotations en 2016 et 2017.

Sachant que la loi de finances pour 2015 a fondu l'ensemble des composantes de la dotation forfaitaire en une seule dotation, et cristallisé, ce faisant, les effets de l'ancienne architecture, c'est à l'architecture de la dotation forfaitaire 2014 qu'il convient de comparer cette architecture nouvelle.

On peut noter que la somme de la dotation de base, de la dotation de centralité et de la dotation de ruralité n'est pas très éloignée de la somme de l'ancienne dotation de base et de l'ancienne dotation de ruralité.

Tandis que l'ancienne dotation de base prévoyait une majoration du montant par habitant pour les communes les plus peuplées à travers un coefficient logarithmique croissant avec la population, c'est un montant unique, de 75,72 euros par habitant, que retient la nouvelle dotation de base.

La dotation de centralité est, quant à elle, calculée au niveau intercommunal, avec application d'un coefficient logarithmique. Cette dotation est répartie entre l'EPCI et les communes : la part revenant à l'EPCI étant égale à son coefficient d'intégration fiscale (CIF), dans la limite de 40 %. La répartition entre les communes de la part leur revenant serait fonction du rapport entre leur population et celle de l'ensemble intercommunal, porté à la puissance 5. Sont également prévus des modes répartition dérogatoires : à la majorité des deux tiers du conseil communautaire, il peut être décidé d'une répartition en fonction du CIF entre l'EPCI et les communes, puis entre les communes en fonction des dépenses d'équipement, sans qu'il soit cependant possible de diminuer la part de l'EPCI ou d'une commune de plus de 30 % par rapport à la répartition de droit commun. Si l'unanimité du conseil communautaire est réunie, le mode de répartition peut être librement décidé. Il s'agit là de la seule part territorialisée du dispositif.

L'éligibilité à la dotation de ruralité sera fonction de la densité de population, le montant national de la dotation étant déterminé à partir de la population éligible, et réparti en fonction de la population et de la densité. Ce montant devrait être proche de celui de la dotation de superficie de 2014, pour 25 611 communes éligibles. La dotation sera plafonnée à quatre fois la dotation de base, soit 303 euros par habitant. Ce plafonnement devrait concerner 139 communes. Les communes accueillant un parc national bénéficieront, pour la répartition, d'une majoration de leur population.

Le nombre de communes percevant à la fois une dotation de centralité et une dotation de ruralité devrait être de 15 039.

J'en viens à la majoration et au « tunnel ». Le montant de la dotation forfaitaire 2016, avant contribution au redressement des finances publiques, sera égal au montant de la dotation forfaitaire 2015. Or, la différence entre la dotation forfaitaire spontanée 2016 - dotation de base, dotation de ruralité et dotation de centralité - et la dotation forfaitaire 2015 est de 2,85 milliards d'euros. Il faut donc ajouter ce montant à la dotation forfaitaire spontanée. Cette majoration est répartie au prorata de la dotation forfaitaire spontanée, étant entendu que la dotation forfaitaire d'une commune ne pourra s'écarter de plus de 5 % de la dotation forfaitaire 2015 : c'est le « tunnel ». Autrement dit, la dotation forfaitaire 2016 d'une commune sera égale à 95 % de la dotation forfaitaire 2015 si la dotation spontanée cumulée à la majoration est inférieure à 95 % de la dotation forfaitaire 2015, ce qui serait le cas pour 5 878 communes ; tandis que pour 27 424 communes, elle sera égale à 105 % de la dotation forfaitaire 2015, si la dotation spontanée cumulée à la majoration est supérieure à 105 %.

Les composantes dites figées, soit les compensations et le complément de garantie, seront progressivement supprimées, au fil de la baisse des dotations.

Je vous rappelle que les compensations correspondent à l'ancienne compensation de la « part salaires » de la taxe professionnelle, supprimée en 1999, ainsi qu'à la compensation des baisses de dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) supportées par certaines communes entre 1998 et 2001 ; quant au complément de garantie, il était destiné à assurer qu'aucune commune ne voie sa dotation diminuer à l'occasion de la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 2004. Son montant était égal à la différence entre le montant de la dotation forfaitaire perçue en 2004 et la somme de la dotation de base et de la dotation de superficie perçue en 2005.

Ces deux dotations pouvaient faire l'objet d'une minoration pour alimenter la hausse de la péréquation verticale et la hausse spontanée de la dotation de base du fait de l'augmentation de la population. Les compensations étaient minorées d'un pourcentage identique pour chaque commune. Le complément de garantie était minoré uniquement pour les communes dont le potentiel fiscal par habitant était inférieur à 0,75 fois le potentiel fiscal moyen. Entre 2010 et 2014, les compensations, passées de 1 840 millions d'euros à 1 331 millions d'euros, ont reculé de 28 % et le complément de garantie, passé de 5 123 millions d'euros à 4 732 millions d'euros, de 8 %.

Qu'en est-il de l'écrêtement et de la contribution au redressement des finances publiques (CRPF) ?

Pour financer la hausse de la péréquation verticale, la dotation forfaitaire des communes sera écrêtée, dans la limite de 3 %, comme cela est le cas aujourd'hui. Sont écrêtées les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à 75 % du potentiel fiscal moyen par habitant, soit plus de 18 000 communes en 2016. L'écrêtement est réparti en fonction de la population et de l'écart relatif de potentiel fiscal par habitant.

Quant à la CRPF, elle restera calculée en fonction des recettes réelles de fonctionnement et viendra s'imputer sur la dotation forfaitaire, dans la limite de 50 %.

Nous avons pris l'exemple de deux communes, pour illustrer ce que seront les évolutions au fil du temps. L'une, avec une dotation forfaitaire 2015 de 1,5 million d'euros et une dotation spontanée pour 2016 de 500 000 euros, l'autre avec une dotation forfaitaire 2015 de 500 000 euros et une dotation forfaitaire pour 2016 de 1,5 million d'euros. Au titre de la CRFP, elles verront leur dotation forfaitaire baisser de 14 % en 2016 et de 17 % en 2017, ce qui correspond à la baisse moyenne. Elles ne seront pas écrêtées. La baisse de la dotation forfaitaire de la première sera lissée, du fait du « tunnel », sur 16 ans, et la hausse de celle de la seconde sur 31 ans.

Tout cela est plus simple qu'il n'y paraît, mais il faut prendre le temps de s'y pencher.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Simple mais complexe à expliquer. Qu'en est-il de la DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ? Vous savez que dans le système actuel, le montant de la dotation d'intercommunalité varie selon le type d'EPCI : entre les communautés de communes et les métropoles, les montants par habitant sont très différents. La dotation de compensation vise, quant à elle, à rééquilibrer les transferts au moment de la création de la communauté et à compenser la part salaires de la taxe professionnelle, étant entendu que celle des communes de la Métropole du Grand Paris, qui était jusqu'à présent versée aux communes sera transférée, à l'avenir, aux EPCI.

Au regard de cela, le dispositif proposé pour 2016 se compose d'une dotation de péréquation, d'une dotation d'intégration, fondée sur le CIF, de la dotation de centralité, dont on a vu que 60 % minimum reviendront aux communes, ainsi que de garanties et d'un tunnel, selon une même logique de variation maximale de 5 % que pour les communes.

La dotation de compensation, de 4,5 milliards d'euros, était, en 2015, composée d'une part compensation de la « part salaires » (CPS) et d'une part relative aux baisses de dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) intervenues entre 1998 et 2001. Vous savez que les élus n'aiment pas trop la notion de compensation, qui sert souvent de variable d'ajustement. De fait, la part CPS est écrêtée chaque année pour financer la hausse de la population et l'achèvement de la carte intercommunale.

Quant à la dotation d'intercommunalité de 1,9 milliard d'euros, des enveloppes pour chaque catégorie d'EPCI étaient définies, à partir d'un montant par habitant : de 20,05 euros par habitant pour les communautés de communes à fiscalité additionnelle à 60 euros par habitant pour les communautés urbaines (CU) et les métropoles. La répartition entre EPCI d'une même catégorie, hors communautés urbaines et métropole, où elle s'élevait à 60 euros par habitant, se faisait, pour 30 %, via une dotation de base, en fonction de la population pondérée par le CIF et, pour 70 %, via une dotation de péréquation, en fonction du potentiel fiscal et de la population pondérée par le CIF.

Le projet de loi de finances pour 2016 propose de fusionner dotation de compensation et dotation d'intercommunalité, pour créer une DGF des EPCI composée de trois dotations.

En premier lieu, une dotation de péréquation, dont le montant global correspond à 49 euros par habitant, soit 3,4 milliards d'euros. Y seraient éligibles les EPCI dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à 1,5 fois le potentiel fiscal moyen de leur catégorie. Elle serait répartie en fonction de la population, de l'écart de potentiel fiscal ci-dessus mentionné et du coefficient d'intégration fiscale.

En deuxième lieu, la dotation d'intégration, de 21 euros par habitant, soit un montant national de 1,5 milliard d'euros. Y seraient éligibles tous les établissements. Elle serait répartie en fonction de la population et du coefficient d'intégration fiscale. Il s'agit, vous l'aurez compris, d'encourager l'intégration.

En troisième lieu, enfin, la part « EPCI » de la dotation de centralité s'élèverait à 650 millions d'euros. Y seraient éligibles tous les EPCI, excepté ceux à fiscalité additionnelle, sauf dérogation adoptée à la majorité qualifiée. Elle serait répartie entre les communes membres et l'EPCI en fonction du coefficient d'intégration fiscale, dans la limite de 40 %.

J'en viens aux mécanismes de garantie et de plafonnement. Il est prévu, en 2016, un abattement de 50 % pour les EPCI n'ayant pas perçu de dotation de compensation ou de dotation d'intercommunalité en 2015 et qui percevraient une DGF égale à la moitié de leur DGF spontanée. Cet abattement limite, pour ces EPCI, la hausse de DGF résultant de la réforme.

Le montant de la DGF 2016, avant contribution au redressement des finances publiques, est égal au montant de la DGF 2015. Or, la différence entre la DGF spontanée 2016 - dotation de centralité, dotation de péréquation, dotation d'intégration - et la DGF 2015 est de 1,7 milliard d'euros. Il faut donc ajouter ce montant à la dotation spontanée.

S'y ajoute une garantie, qui veut que bénéficient d'une DGF au moins égale au montant de l'année précédente les EPCI dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur d'au moins 50 % à celui de leur catégorie - aucun ne serait concerné en 2016 - et les EPCI dont le CIF est supérieur à 0,5 - 32 EPCI seraient concernés.

En vertu du mécanisme du « tunnel », enfin, la DGF par habitant perçue par un EPCI ne pourrait être inférieure ou supérieure de 5 % à celle perçue l'année précédente. En 2016, 211 EPCI bénéficieraient de la garantie des 95 %, et 1 808 EPCI verraient leur DGF plafonnée à 105 %.

Pour ce qui concerne la contribution des EPCI au redressement des finances publiques, le montant et la répartition resteraient les mêmes qu'en 2015 : 621 millions d'euros répartis en fonction des recettes réelles de fonctionnement, hors recettes exceptionnelles et flux croisés. Une nouveauté cependant : la minoration de dotation ne pourrait excéder 50 % du montant de la DGF. Ce système de minoration, qui s'appliquera chaque année, évitera les cas de DGF « négatives ».

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Il n'est pas inutile d'évoquer les évolutions de la péréquation verticale. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit la suppression de la dotation nationale de péréquation (DNP), afin d'abonder la dotation de solidarité rurale (DSR) de 453 millions d'euros et la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) de 341 millions d'euros. En outre, la péréquation verticale est majorée de 297 millions d'euros.

Je reconnais, au terme de cette présentation, qu'il nous a fallu quelques jours pour appréhender ce dispositif. J'ajoute que la commission des finances a reçu les simulations en deux temps, les secondes étant plus détaillées que les premières et permettant notamment de mesurer les effets à terme du « tunnel ».

M. Michel Bouvard. - Redoutables !

Mme Michèle André, présidente. - Le rapporteur général devrait vous apporter des précisions, cet après-midi, sur ces simulations.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Quand on voit la réforme appliquée à des cas concrets, on la comprend mieux.

Mme Michèle André, présidente. - Notre débat de ce matin est l'occasion de demander à nos rapporteurs, que je remercie pour leur travail, de nous éclairer sur les points qui nous restent obscurs.

Quelques précisions de calendrier. La commission des finances de l'Assemblée nationale examinera les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et les articles qui lui sont rattachés les 4 et 5 novembre, et l'examen en séance publique est prévu le 9 novembre au soir. Notre commission procèdera à leur examen le 12 novembre, et la séance publique devrait avoir lieu le 25 novembre.

M. Jean-Claude Boulard. - Cette réforme est présentée au nom de la simplification. Inutile de dire que l'objectif est parfaitement rempli ! Je me suis longtemps senti bien seul lorsque j'ai entrepris d'alerter sur les difficultés de ce projet, mais je m'aperçois, depuis quelque temps, que mon sentiment est partagé. Les effets cumulés sur certains territoires du recul des dotations de l'État, du financement de la péréquation et des conséquences de la réforme seront très difficile à supporter. Alors que le périmètre des intercommunalités est en cours de modification, on peut se demander s'il n'y aurait pas matière à reporter l'exercice. Bien des collègues partagent désormais mon sentiment d'inquiétude. D'autant que ce ne sont pas les territoires les plus puissants qui seront touchés, mais les petites villes et les villes moyennes. Le Sénat devrait s'en préoccuper. Il ne me semblerait pas illégitime de se donner un an de plus, afin de s'appuyer sur des simulations solides et de mesurer les effets de la réforme après modification de la carte intercommunale, quitte à fixer des principes dès cette année.

Si, néanmoins, cette réforme devait se poursuivre, il serait bon, pour le moins, que soit pris en compte le ratio d'effort fiscal, c'est-à-dire le rapport entre le produit de l'imposition directe locale et le revenu moyen par habitant. Il serait paradoxal de prélever des ressources dans des communes où ce ratio est largement supérieur à la moyenne au profit de communes où il est inférieur.

Le « tunnel » ? Outre que l'on peut se demander quand on en sortira, j'observe que si l'on y intégrait, non seulement les effets de la réforme mais également le repli des dotations et le financement de la péréquation, cela atténuerait un peu le prélèvement sur les territoires - et l'on sait qu'aujourd'hui, en matière financière, un peu moins de douleur c'est presque du bonheur.

Dernière observation, on évoque un amendement gouvernemental qui majorerait la dotation des métropoles. Ce ne serait pas cohérent avec l'esprit de la réforme qui vise à dénouer le lien entre la dotation et le statut juridique de l'intercommunalité. De plus, dès lors que l'on est dans une enveloppe fermée, toute modification en faveur des uns se fait au détriment des autres.

M. Philippe Dallier. - Je remercie nos rapporteurs d'avoir fait oeuvre de pédagogie, ce qui n'est pas inutile sur un sujet aussi complexe.

Nous attendions une grande réforme, que nous étions unanimes à souhaiter. Je pensais qu'elle intégrerait celle des dotations de péréquation, devenues illisibles. Le Gouvernement a fait le choix de ne pas y toucher, sauf pour la DSU. C'est regrettable. On va continuer à corriger les effets de la DGF à travers la DSU, le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) et le Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France. Autrement dit, on ne fait le boulot qu'à moitié, une fois de plus.

Je le dis très clairement : je n'achèterai plus de lapin dans un sac. En 2010, on nous a fait valoir que ce serait se comporter en mauvais parlementaire que de se préoccuper des effets du FPIC sur nos propres territoires, et qu'il convenait de voter en confiance. Ce que l'on a fait, comme un seul homme. On ne m'y reprendra plus.

J'observe qu'à nouveau, notre rapporteur général et notre présidente ont eu le plus grand mal à obtenir les simulations. Cela étant, ainsi que l'a rappelé Jean-Claude Boulard, ces simulations ne valent rien. Car dès lors que la dotation de centralité prend une part importante, il est clair que la carte intercommunale à venir va les bouleverser. Nous avons des chiffres, donc, mais ils ne valent rien. Sans compter que pour la Métropole du Grand Paris - qui ne représente jamais que 12 % de la population nationale - on nous dit que les mécanismes retenus ne peuvent pas s'appliquer, sinon à accorder à la ville de Paris un véritable jackpot au nom de la centralité. On navigue donc à l'aveugle.

Le Sénat devrait être le premier à dire que l'on ne peut voter une réforme dans de telles conditions. Nos grands électeurs, et les maires en particulier, nous en tiendraient grief. On ne peut voter ce texte en l'état : il faut attendre l'achèvement de la carte intercommunale.

Un mot de la DSU, seule dotation de péréquation qu'il est prévu de réformer. C'est déjà ça. On va partiellement sortir de la cristallisation décidée il y a quelques années. L'augmentation annuelle de la DSU est concentrée sur les communes les plus pauvres, les autres étant soit au régime de l'inflation, soit à celui de la stagnation. Or, les situations relatives ont changé. On sort de la cristallisation, ce qui est une bonne chose, mais uniquement pour l'augmentation de DSU, le reste demeurant cristallisé. C'est reproduire la même ânerie que l'on a faite dans le passé avec la DGF, en figeant la situation à l'année n-1. Les évolutions, soit positives, soit négatives, qu'ont connues les communes dans l'intervalle ne seront pas prises en compte. C'est regrettable. Il faudrait repartir de la situation des communes en 2015 ou 2016.

M. Vincent Delahaye. - Le sujet est compliqué. Nous étions tous d'accord sur la nécessité d'une réforme. Mais faut-il la conduire à marche forcée, sans réelle étude d'impact, comme on nous le propose aujourd'hui ? Quand on a décidé, il y a quelque temps, d'une péréquation horizontale, le contexte n'était pas du tout celui que l'on connaît aujourd'hui, avec la baisse drastique des dotations décidée par le Gouvernement. Si l'on ne s'appuie pas, avant toute prise de décision, sur une étude d'impact globale, on s'expose à découvrir a posteriori des effets dévastateurs sur certains territoires. Il est déplorable qu'il faille tant insister pour obtenir des simulations. Je n'oublie pas que les ministres ont commencé par nous dire que l'on pouvait les consulter sans faire de photocopies !

M. François Marc. - En d'autres temps, on ne les avait pas du tout...

M. Vincent Delahaye. - Philippe Dallier a de surcroît souligné à juste titre que les chiffres qui nous sont transmis ne reflètent pas la réalité. Je suis échaudé par d'autres expériences avec Bercy : quand on décortique les simulations qui nous sont transmises, on s'aperçoit qu'elles comportent de grosses erreurs. J'appelle mes collègues à la plus grande vigilance.

Cette réforme vise, nous dit-on, à réduire les inégalités. Mais le fait-elle vraiment ? La dotation par habitant varie aujourd'hui de 1 à 2 pour les communes et de 1 à 11 pour les EPCI. La réforme, à défaut de simplifier, réduit-elle au moins cet écart ?

Je m'interroge, au-delà, sur le critère du CIF. On argue que l'intégration, pour les communautés d'agglomération, vise à réduire les dépenses. Je relève que la Cour des Comptes le conteste et considère que la création des intercommunalités a plutôt augmenté la dépense publique. Pourquoi pousser dans cette voie, sauf à vouloir la mort des communes ?

On a évoqué les DGF négatives. Cela me choque que l'État puisse ainsi prélever sur les territoires, et je me demande même si cela est constitutionnel. Il faut mettre une limite à la baisse des dotations, car les collectivités donnent aussi à l'État par le biais de la TVA - y compris sur une partie de l'investissement, car le Fonds de compensation pour la TVA ne couvre pas tout. Il faudrait prévoir un plancher, faute de quoi les élus n'auront d'autre solution que d'augmenter les impôts locaux.

M. Dominique de Legge. - Malgré l'effort de pédagogie des rapporteurs, je confesse que je ne suis pas sûr d'avoir saisi toutes les subtilités de cette réforme.

Où est le problème à livrer des simulations ? De deux choses l'une, soit elles ne sont pas disponibles, ce qui veut dire que la réforme n'est pas mûre, soit elles le sont, et c'est parce qu'elles sont difficile à accepter qu'on ne nous les transmet pas.

Nous venons d'adopter la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), au cours duquel on nous a demandé de laisser de côté la question des ressources, pour ne pas se fâcher. Mais où est, avec ce texte qui nous arrive aussitôt après, la solution de continuité ? Comment nous demander de travailler à la fois sur les changements de périmètre prévus dans la loi NOTRe et sur cette réforme, dont on ne peut mesurer les effets sur les nouveaux périmètres ?

Nous sentons, sur le terrain, quelles que soient nos sensibilités politiques, une perte de confiance et une inquiétude de la part des élus locaux. Cette réforme n'est-elle pas de nature à la conforter ? Je n'oublie pas que le Président de la République, durant sa campagne, affirmait, sincèrement je le crois, vouloir un « pacte de confiance » entre l'État et les collectivités. Nous présenter, dans le moment présent, cette réforme, n'y participe pas. En quoi accompagne-t-elle les évolutions voulues par la loi NOTRe ?

Ce qui m'amène à une dernière question : on retient le critère du CIF pour favoriser les regroupements, et dans le même temps, on met en place une dotation de base uniforme quel que soit le territoire. Que recherche-t-on donc ? L'intégration ou l'uniformité ? Où est le point d'équilibre ? On ne le trouvera qu'en se penchant de près sur les simulations.

Oui, on ne peut en rester à un système de dotations devenu trop complexe et totalement opaque, mais ce qui nous est ici proposé n'est ni transparent, ni simplificateur.

Mme Michèle André, présidente. - Une fois encore, les simulations vous seront présentées dès cet après-midi par le rapporteur général.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cette réforme est aussi redoutable que la baisse des dotations. Je partage le sentiment de mes collègues : nous ne sommes pas en état de la mener maintenant.

Une précision sur la dotation de ruralité. Sont-ce les parcs naturels dans leur ensemble ou les seuls parcs nationaux qui sont pris en compte ? Quid des parcs naturels marins ?

Je suppose que pour le critère de population, c'est la population au sens de la DGF qui est visée. Mais qu'en est-il de la densité ? C'est un critère qui peut, selon la manière dont on l'entend, recéler bien des pièges.

J'y insiste, cette réforme est une affaire redoutable, dont les conséquences peuvent être, au sens strict, formidables. Il faut vraiment s'assurer d'un consensus des élus.

M. Michel Bouvard. - Je salue l'investissement de nos rapporteurs.

Je mesure la difficulté de l'exercice. Réformer la DGF est un tel bouleversement que cela appelle à l'humilité. Cela dit, j'avoue que je partage les interrogations de mes collègues : le moment est-il bien choisi, alors que les intercommunalités sont en pleine recomposition ? Comment mesurer, en fonction de ce qu'elles vont mettre en commun, ce qu'il ressortira de la réforme ? Or, c'est un élément déterminant et, comme le dit Philippe Dallier, on nous fait acheter un lapin dans le sac. J'ajoute, dans le même registre, que s'il ne faut pas promener abusivement la vache, il faut tout de même savoir quelles sont ses capacités. Dans quel bonneteau se trouvera-t-on à l'arrivée ? On nous a présenté l'égalité de dotation par habitant comme un immense progrès, mais on voit bien, dans les simulations, que les territoires ruraux n'y gagnent pas autant qu'annoncé, tandis qu'à l'inverse, le sacrifice demandé, ce faisant, aux zones urbaines, sera largement compensé par la dotation de centralité.

Il est certes logique de prendre en compte les charges de centralité, mais où placera-t-on le curseur ? À quelles communes reconnaîtra-t-on des charges de centralité ? Nous manquons d'éléments pour nous éclairer sur ce point.

Ma deuxième interrogation porte sur les critères. Il ne faudrait pas que l'on en vienne à l'uniformité, car les territoires sont très différents, et pas seulement au regard de leur densité ou des charges de centralité. Je partage le constat de l'Association nationale des élus de montagne : la prise en charge des risques naturels, l'entretien des réseaux routiers, les surcoûts liés aux infrastructures publiques doivent être pris en compte.

Je veux également poser à nouveau le problème des stations de sports d'hiver. Quand les dotations, sans compter le FPIC, diminuent dans des proportions pouvant aller jusqu'à 400 000 euros, comment investir dans l'outil de travail, à hauteur de ce que font les stations suisses ou autrichiennes ? Et comment parvenir au chiffre de 100 millions de visiteurs dont le ministre des affaires étrangères estime, à juste titre, que la France pourrait l'atteindre dans les années qui viennent ? Il reste bien des zones d'ombre, qui demandent à être éclairées, notamment s'agissant des critères de population et de densité.

M. Jean-Claude Requier. - Comme Marie-Hélène Des Esgaulx, je m'interroge sur la prise en compte des parcs naturels dans la dotation de ruralité : les parcs régionaux sont-ils aussi concernés ?

Il en va de cette réforme comme des plans locaux d'urbanisme. Tout le monde est d'accord sur le principe, mais quand on entre dans le détail du zonage, les choses se compliquent, et l'on fait des mécontents. De là la difficulté à réformer dans notre pays.

Mme Fabienne Keller. - Mon intervention ira dans le même sens que celles de Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Dominique de Legge et Marie-Hélène Des Esgaulx, sans oublier Jean-Claude Boulard. Il est normal que chacun recherche les conséquences concrètes de la réforme sur les communes et intercommunalités qu'il connaît. Or, l'exercice est impossible en l'absence de simulations. Philippe Dallier a dit qu'il n'achèterait pas un lapin dans un sac ; je lui ferai écho en disant, en bonne alsacienne, que je refuse d'acheter un chat dans un sac.

Un point sur le calendrier. Tout le monde appelle de ses voeux une réforme de la DGF, mais celle que l'on nous propose serait applicable dès 2016, alors que le périmètre des intercommunalités est encore sur le métier. Si bien que les simulations ne sont pas fiables. Les communes et les intercommunalités sont de surcroît en train de travailler sur leur budget pour 2016. Elles savent qu'il faudra les construire à la baisse, mais en ignorant dans quelles proportions - cela rend l'exercice d'autant plus difficile que chaque économie est devenue douloureuse.

Année après année, la date à laquelle elles sont informées sur les dotations recule. La perte de confiance est réelle, tant l'incertitude est grande. Je mets en garde, car à mener la réforme dans la précipitation, sans laisser le temps aux élus de vérifier ce qu'elle donnera sur leur territoire, on suscite un sentiment d'inéquité.

Mme Marie-France Beaufils. - La présentation des rapporteurs en elle-même montre que la simplification n'est pas au rendez-vous.

La dotation de base présente au moins cet intérêt qu'elle prend en compte les plus petites communes, en particulier rurales, mais entreprendre, sur cette base, de faire évoluer l'ensemble du dispositif, c'est entrer dans un engrenage fort complexe. J'ai examiné la manière dont s'appliquera la dotation de centralité : entre une petite ville périphérique d'une grosse commune à l'intérieur d'une intercommunalité et une commune de la même taille extérieure à cette intercommunalité, le décalage sera énorme. J'ajoute qu'à aucun moment on ne tient compte de la situation des populations qui habitent ces communes, et donc des charges de la collectivité concernée. Prenez deux communes de 15 000 à 20 000 habitants, dont l'une compte des quartiers d'habitat social supposant des services, tandis que ce n'est pas le cas de l'autre, qui se trouve même en dessous de ses obligations : il pourra arriver que la seconde reçoive une dotation considérablement supérieure. Cette réforme devait pourtant mieux prendre en compte la réalité des situations !

Je souscris à ce qu'a dit Philippe Dallier sur l'évolution des populations des communes attributaires de la DSU. J'ajoute que le critère du potentiel financier n'a jamais été revu, ce qui provoque, lorsque l'on regarde quelles sont les communes qui ont été attributaires de la DSU dans la dernière période, quelques surprises. Si l'on réforme, allons jusqu'au bout, et ne restons pas au milieu du gué, au risque de créer des difficultés.

Autre question : comment cette réforme s'articule-t-elle avec le FPIC ? Aucun élément ne nous permet de l'apprécier. Comme bien d'autres élus au sein du Comité des finances locales, où je siège comme représentante des communes de plus de 2 000 habitants, j'estime que l'on ne peut se déterminer sur cette réforme sans disposer des éléments d'appréciation qui nous garantissent que ses objectifs de départ sont bien pris en compte. J'ajoute que la proposition du Gouvernement ne tient pas pleinement compte des conclusions du rapport de Jean Germain et Christine Pires Beaune.

Pour moi, il est urgent de travailler plus au fond. N'allons pas voter en loi de finances une réforme dont nous ne savons pas où elle nous mène. Souvenons-nous de la réforme de la taxe professionnelle, qui a eu de lourdes conséquences.

M. Didier Guillaume. - Voilà quarante ans que nous plaidons pour une réforme des bases locatives, mais on ne la fait pas, parce que c'est difficile. Voilà vingt-cinq ans que nous voulons réformer les impôts locaux, au bénéfice de nos concitoyens, mais on ne le fait pas, parce que c'est difficile. De la même manière, nous faisons le constat unanime que la DGF est devenue injuste, et qu'il faut la réformer, et nous ne le ferions pas, parce que c'est difficile ?

Sur les finances des collectivités territoriales, nous faisons tous le même constat. Il existe des injustices flagrantes. Dans mon département, certaines communes ont un potentiel fiscal par habitant de plus de 3 000 euros, lié à la construction de centrales nucléaires, tandis que celui de petites villes supportant des charges de centralité et qui comptent une part importante de logement social ne dépasse pas 600 à 650 euros. Pouvons-nous continuer ainsi ?

Beaucoup de collectivités territoriales connaissent des difficultés financières. Et cela ne date pas d'hier ; déjà, il y a quelques années, une quinzaine de départements étaient à la limite du dépôt de bilan. Certaines communes investissent beaucoup, construisent du logement social, et leurs efforts ne sont pas reconnus par l'État. C'est de ces constats qu'est née la volonté de réformer la DGF.

Je partage certaines des observations qui ont été faites, mais il n'est pas juste de dire que la réforme ne simplifie pas. Voyez la DGF actuelle : personne n'est capable de s'y retrouver. Reconnaissons que cette réforme, en dépit de son caractère technique, rend les choses plus claires : une dotation de base, une dotation de centralité, qui répond à une demande générale, une dotation de ruralité. Ce n'est pas si complexe à comprendre. L'enveloppe est réaménagée pour tenir compte de l'intégration dans des intercommunalités, de la nouvelle réalité des villes mais aussi des campagnes. Plus de 80 % des communes rurales gagnent à cette réforme.

Il est vrai que les villes à l'intérieur des agglomérations intégrées y perdent, comme le soulignait Marie-France Beaufils, et c'est un vrai sujet. Il est également vrai que cette réforme intervient à un moment où le paysage intercommunal évolue et où la contribution au redressement des finances publiques pèse lourd : pour certaines communes, ce sera la double peine. Cela est difficile à accepter. Et là où les intercommunalités évoluent, les charges sont telles qu'elles ne s'en sortent pas.

On ne remédiera à rien en bricolant : il faut une cohérence d'ensemble. D'où le sentiment de mon groupe, qui juge que l'on ne peut souscrire à cette réforme en l'état. Nous manquons de simulations, et nous avons besoin d'aller plus au fond, pour nous forger des certitudes. Mais nous ne voudrions pas que par facilité électoraliste, certains refusent cette réforme tout de go en disant qu'ils en veulent une autre. Tenir un tel discours au congrès des maires en novembre prochain tout en vantant dans son département, comme je le vois faire par certains députés, les avantages que tireront les communes rurales de la réforme serait bien léger. Il faut être cohérent !

Ce n'est pas le moment de réformer, objectent certains : mais ce ne l'est jamais ! Pour nous, si mettre cette réforme en oeuvre dès 2016 peut poser plus de problèmes qu'apporter d'avantages, nous entendons aborder ce projet de nouvelle architecture de façon positive. Nous partageons tous ce constat que les injustices de la DGF sont flagrantes et que l'on doit y réintroduire de l'égalité : il faut aller de l'avant.

On ne peut contester le fait que certaines communes sont riches, mais jamais on ne verra un maire le reconnaître. La commission des finances doit assumer le fait qu'il existe des communes riches, voire très riches, et des communes pauvres, voire très pauvres. Nous devons être capables de faire évoluer cette réforme. S'il serait sans doute prématuré de la mettre en place en 2016, il faut avancer. Jean-Claude Boulard a évoqué l'amendement que le Gouvernement entend déposer à l'Assemblée nationale. Mais il ne l'a pas encore fait, et nous ne travaillons, ici, que sur des conjectures. À ma connaissance, il n'y a pas de texte débattu pour le moment au Parlement. À nous de faire évoluer les choses, en ne perdant pas de vue l'objectif d'équité qui doit nous guider.

M. François Marc. - Je partage l'essentiel de ce propos. Je remercie les rapporteurs de leur souci de pédagogie.

Le rapport de la mission conduite par Jean Germain et Christine Pires Beaune a montré que la DGF actuelle nous conduisait dans le mur. Les DGF négatives sont déjà nombreuses, et vont exploser dans les temps à venir si l'on n'y remédie pas. C'est là un constat technique ; quand un moteur ne fonctionne plus, il faut le réparer. C'est à quoi s'emploie le Gouvernement.

Le dispositif existant est éminemment complexe. Entreprendre de le simplifier ne signifie pas que tout va se résoudre par a + b. Comme l'a rappelé Didier Guillaume, le rapport de Christine Pires-Beaune et Jean Germain a révélé des inégalités qui durent depuis des décennies. Les laissera-t-on perdurer alors que l'on n'a de cesse de rappeler, et le débat d'hier en séance publique sur les langues régionales en a donné l'illustration, que la République doit assurer à ses citoyens un traitement identique ?

L'exercice n'est pas simple, mais il est indispensable. La transparence ne peut encore être totale, puisque les simulations sont encore en cours. Rappelez-vous que lors de la réforme de la taxe professionnelle, nous n'en avions aucune, et Philippe Marini était le premier à s'en plaindre. Il y a un net progrès.

Trois options étaient possibles. La plus simple à retenir aurait été celle d'une DGF communautaire laissant chacun se débrouiller pour répartir la galette. Une autre option aurait été, considérant que réformer la DGF est trop compliquée et crée inévitablement des mécontentements, de choisir la solution de facilité consistant à réformer les mécanismes de péréquation, pour réduire les inégalités. Mais ce faisant, on ne résout pas le problème : on ne touche pas à l'architecture et au bout de quelques années, les difficultés resurgissent. La troisième option, celle qu'a retenue le Gouvernement, était de rechercher une architecture simplifiée : dotation de base, dotation de centralité, dotation de ruralité. Il y a là une base de travail, même si l'on ne peut encore être totalement satisfait des résultats. Les uns et les autres ont dit leurs interrogations. Je pense qu'en travaillant sur les deux ou trois sujets évoqués, nous pourrions améliorer sensiblement la copie. Il serait bon de se pencher de près sur la question de l'effort fiscal. Le problème, évoquée par Marie-France Beaufils, des différences de traitement qui peuvent perdurer entre deux communes au sein d'une même intercommunalité mérite aussi d'être traité. Sur la dotation de ruralité, des questions méritent d'être éclaircies, notamment touchant au critère de densité.

Bref, nous avons bien conscience que des questions pertinentes sont posées. Le Gouvernement y travaille et le dialogue se poursuit. Pour moi, j'espère encore que ces questions puissent trouver réponse rapidement, pour une mise en oeuvre de la réforme en 2016. Cela suppose de la diligence.

M. Éric Doligé. - Je remercie nos rapporteurs de leur effort de pédagogie mais je crains que les maires et les présidents de communautés de communes ne restent, comme nous, perplexes, pour ne pas dire plus. Ils ne connaissent pas le périmètre exact de leurs intercommunalités ; ils ne disposeront de simulations fiables qu'après leur regroupement, si bien qu'en pleine période d'élaboration des budgets, ils ignorent quelles seront leurs ressources.

Il est vrai que lors de la réforme de la taxe professionnelle, comme lors de celle des droits de mutation, nous n'avons appréhendé les règles du jeu qu'a posteriori - je ne suis pas même certain qu'elles soient encore bien établies, puisque l'on est souvent et contributeur et bénéficiaire. Nous courions, à l'époque, après les simulations. On nous en livrait toutes les heures et elles étaient aussi fausses les unes que les autres. Celles de la direction générale des collectivités locales et celles des finances publiques n'étaient pas même identiques. Ceci pour dire que je crains fort qu'il en aille de même des simulations que l'on va nous livrer. Quant à la simplification, il n'y en a aucune, comme en témoigne la complexité de cette période préparatoire.

Le vrai problème tient à la précipitation. On annonce pendant des années une réforme, sans rien préparer, et d'un seul coup, elle tombe, sans avoir été précédée d'un vrai travail de fond. La proposition est désormais sur la table, on peut l'améliorer, nous objecte-t-on. Didier Guillaume a beau nous dire qu'il semble difficile de mener ce travail à bien pour le mois de janvier, je suis convaincu que la pression va être telle que dans quelque temps, on entendra les voix socialistes nous dire que le Gouvernement a apporté les réponses, et qu'il faut voter la réforme.

Je m'inquiète, pour ma part, de la loi sur le cumul des mandats. Les parlementaires d'aujourd'hui sont pour beaucoup élus locaux. Qu'en sera-t-il demain, quand ils ne seront plus en prise avec le terrain ? On risque de voir le Parlement faire n'importe quoi. Que nos rapporteurs aillent donc dans les communes faire oeuvre de pédagogie : ils mesureront, à l'aune des rebuffades des élus auxquelles j'ai bien peur qu'ils ne se heurtent, combien cette réforme est incompréhensible sur le terrain. Les maires et les présidents d'intercommunalités se trouvent face à des difficultés insurmontables, et un certain nombre d'entre eux vont être dans l'obligation d'augmenter, de façon assez sévère, les impôts locaux.

Il ne s'agit pas de refuser systématiquement les réformes, mais donnons-nous un peu de temps pour aller au-devant de nos élus, nos relais sur le terrain, avec un projet présentable.

M. Marc Laménie. - Merci à nos rapporteurs de leur implication. La tâche, sur ce dossier, reste immense. N'oublions pas que quel que soit le Gouvernement, le premier contributeur, c'est l'État, et l'État, c'est tout le monde.

Chaque maire reçoit des services de l'État une fiche de DGF, complexe à déchiffrer mais très intéressante, car elle donne tous les critères pris en compte dans chaque commune. Les situations sont très variables. Quand certaines voient leur dotation baisser, pour d'autres, elle reste stable, voire, dans certains cas, augmente. L'effort fiscal et le potentiel financier sont, comme l'ont rappelé certains collègues, des critères importants à prendre en compte. Autre exigence, qu'a rappelée Didier Guillaume, la remise à plat des valeurs locatives, qui est, à mon sens, indissociable de cette réforme.

M. Francis Delattre. - Déchiffrer cette réforme est certes complexe, mais on n'en comprend pas moins la stratégie et les conséquences. Et pendant ce temps, les maires doivent manier le rabot. Ceci pour dire que l'étude d'impact doit être globale. Elle doit aussi prendre en compte la diminution des dotations, et son impact sur l'emploi. Quand on reçoit, dans nos communes, les chefs de petites entreprises, on mesure leur situation. La construction est en berne.

Nous avons fait tous les efforts possibles, nous avons réduit, ainsi que les préfectures ne cessent de nous y engager, la masse salariale. On en vient à présent à nous reprocher d'avoir des projets culturels. Nous reprochera-t-on, demain, de vouloir construire une crèche ? Car c'est ce qui nous pend au nez. Quand les moyens manquent, on supprime ! Et l'on continue d'aggraver le chômage local.

Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut revoir le scénario, mais il faudrait commencer par produire une étude d'impact sur l'emploi. Qu'est-ce qui crée aujourd'hui le plus d'emploi ? Les dotations aux collectivités ou le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ? Cela mériterait que l'on y regarde de près...

Un mot sur la région parisienne. Je suis maire d'une ville pauvre, dans un département qui n'est pas riche, et je peux vous dire que ce n'est pas simple à gérer. Or, le potentiel financier nous pénalise, car il ne prend pas en compte le coût de la vie en région parisienne - logement, transports... C'est pourquoi la DSU mise en place du temps de Michel Rocard et Michel Delebarre, un projet sur lequel nous avions beaucoup travaillé, était régionale. L'enveloppe normée est un piège, à l'intérieur duquel on est condamné à batailler les uns contre les autres. La péréquation devrait être régionale. On a vu ce qu'il s'est passé avec le FPIC. Entre ce que l'on reçoit de DSU et ce que l'on reçoit ou ne reçoit pas du FPIC, on n'y comprend plus rien ! Comme l'a dit le président Guillaume, travaillons à revoir les choses, avec en mains une vraie étude d'impact. Dans mon département, parmi les quatre villes qui vont toucher davantage, on trouve Roissy ! Si vous pensez que Roissy est une ville pauvre, et que ma commune de Franconville, qui se retrouve contributrice, est riche, je vais vous organiser une visite sur le terrain.

Mme Michèle André, présidente. - Le Sénat hors les murs ?

M. Bernard Delcros. - Je m'associe à l'hommage rendu aux rapporteurs. Tout le monde convient que la DGF est illisible et surtout injuste, comme l'a clairement démontré le rapport Pires-Beaune.

J'entends les arguments de ceux qui mettent en garde contre toute précipitation, en avançant des arguments fondés, comme la redéfinition de la carte intercommunale, mais le cumul de la DGF d'aujourd'hui et de la baisse des dotations de l'État rend cette réforme indispensable, sauf à asphyxier certains territoires. Oui, il faut préciser, affiner les simulations, mais on ne peut indéfiniment reporter la réforme. Il y va de l'avenir de certains territoires.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Je rappelle, avant tout, que nous avons fondé notre travail sur un article du projet de loi de finances, qui existe bel et bien.

Comme fiscaliste, je veux d'abord rappeler que la fiscalité n'est pas une matière simple. La DGF telle qu'elle existe ne l'est certainement pas et la nouvelle architecture envisagée n'est pas si complexe qu'on veut bien le dire. Elle serait d'ailleurs plus simple encore sans le tunnel, mais je crois que certains n'apprécieraient guère qu'on le supprime. Je vous rassure : il m'a tout de même fallu du temps pour déchiffrer les choses, et j'invite chacun à s'y consacrer de même.

Malgré tout, la réforme répond, à mon sens, aux objectifs poursuivis : gommer une sédimentation historique, proposer un système qui tienne compte de la richesse des collectivités et de leurs charges, en prévoyant un lissage qui rende les évolutions soutenables.

Même si cela n'est pas allé de soi, nous disposons, à présent, de simulations. Ce qui ne veut pas dire qu'elles sont faciles à lire. Je précise aussi qu'elles nous manquent pour Paris et les communes de la grande métropole.

M. Philippe Dallier. - On a un sac, mais sans le lapin.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Nous avons tenté de vous livrer une présentation objective, hors tout jugement de valeur. Sans anticiper sur notre rapport, je puis vous dire que nous avons, comme vous, fait un certain nombre d'observations. Nous aimerions ainsi voir l'effort fiscal pris en compte. Nous jugeons comme vous difficile d'appréhender une telle réforme en si peu de temps. Comme vous, nous relevons que les simulations sont difficiles à réaliser, d'autant que le futur périmètre des intercommunalités ne sera connu qu'au 30 juin 2016, ce qui n'est pas sans poser problème, sachant que la dotation de centralité est territorialisée. Il nous paraît donc difficile d'analyser finement les effets de la réforme et de proposer des améliorations en si peu de temps. J'ajoute que nous sommes dans un pays où manque un espace concret de gouvernance des finances publiques, qui serait pourtant nécessaire pour conduire une réforme d'une telle ampleur.

Marie-Hélène Des Esgaulx et Jean-Claude Requier s'interrogent sur la majoration de la dotation de ruralité attachée aux parcs naturels. Elle concerne les communes dont le territoire est situé pour tout ou partie sur le territoire d'un parc national, et les communes insulaires dont le territoire est, de même, situé au sein d'un parc naturel marin national.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Je reviens sur l'intervention de Bernard Delcros. La réforme intervient, en effet, en un temps où la contribution au redressement des finances publiques pèse lourd. Le critère retenu en 2014 des recettes réelles de fonctionnement n'avait pas soulevé d'objection parmi les associations d'élus. Mais quand au milliard et demi de 2014 viennent ensuite s'ajouter trois fois 3,67 milliards d'euros, il devient difficile de s'en tenir à cette règle, qui n'est pas sans comporter quelques biais. On sait ainsi que dans les villes, qui offrent de nombreux services de crèche, par exemple, les recettes de fonctionnement sont augmentées des recettes de ces crèches, alors même que ce sont en réalité des dépenses. Sur 12,5 milliards d'euros, un tel biais n'est plus indolore. L'idée de retravailler la DGF, pour aider les communes mises en difficulté par cet effort de contribution au redressement des finances publiques est venue de là.

Je me réjouis de la qualité de notre débat, mais j'insiste sur le fait que l'idée est bien de corriger la DGF le plus vite possible. On ne peut pas laisser les choses en l'état, sauf à subir des conséquences qui nous feraient regretter de ne pas avoir agi plus vite. On ne peut pas arguer que le système proposé est complexe. N'oublions pas que la DGF actuelle est illisible. Si chacun devait mettre sur le papier comment elle est constituée, je crains que l'on n'ait des surprises. Cela étant, que les critères soient complexes ne signifie pas qu'ils sont idiots. Chaque modification de la DGF a visé à prendre en compte de vrais sujets. C'est notamment la réforme de 2004 qui a conduit à modifier la DGF par habitant, pour protéger, en les forfaitisant, les communes qui perdaient de la population et des entreprises.

Ce que l'on entreprend aujourd'hui de faire, c'est de remplacer des critères illisibles par des critères compréhensibles : une dotation par habitant, une dotation de centralité, une dotation de ruralité, et un « tunnel » destiné à lisser les effets de la réforme dans le temps. Les maires peuvent parfaitement comprendre cette architecture.

Dans la dotation de base 2014, le montant minimal par habitant était de 64,46 euros, assorti d'un système logarithmique qui faisait varier ce montant en fonction de la population. Dans le système proposé, avec un montant uniforme de 75,72 euros par habitant, les plus petites communes sont nécessairement gagnantes. Ceux qui, comme Michel Bouvard, croient le contraire, mélangent cette dotation avec d'autres dotations que reçoivent certaines communes, notamment touristiques.

D'autre part, il faut mesurer l'effet conjoint de la réforme et de la baisse des dotations. Certaines communes sont, du fait de la réforme, gagnantes : elles perdent certes en raison de la contribution sur deux ans au redressement des finances publiques, mais beaucoup moins qu'elles n'auraient perdu en l'absence de réforme. J'ajoute qu'avec une marge de 5 % en « tunnel », une commune qui gagne 5 % du fait de la réforme en bénéficiera durant vingt ans, bien au-delà des deux années où elle est appelée à contribuer au redressement des finances publiques : il y a donc bien, au bout du compte, un gain, et qui peut être substantiel.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Vous oubliez celles qui perdent 5 %.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Dès lors que l'on admet la nécessité de remettre à niveau certaines communes, il y aura nécessairement des perdants. Seront-ce les grandes villes ? Les villes moyennes des intercommunalité ? Là est le débat. L'autre vrai sujet concerne la prise en compte de l'effort fiscal. Il faut en débattre.

Philippe Dallier a déploré la cristallisation de la DSU. Il a reconnu, cependant, que les futures augmentations, qui tiennent compte de la réalité des communes aujourd'hui, ne sont pas concernées. Si l'on voulait aller au-delà, et décristalliser l'existant, il faudrait prévoir, car on ne saurait modifier la donne de but en blanc, un tunnel significatif, ce qui créerait une complexité supplémentaire.

Je comprends mal les inquiétudes de Vincent Delahaye, qui juge qu'en retenant le critère du CIF, on veut la mort des communes. Là n'est pas la question. Il est normal que les intercommunalités, qui exercent un certain nombre de compétences, reçoivent une dotation en conséquence.

Marie-Hélène Des Esgaulx s'interroge sur la prise en compte de la densité. C'est la population au sens de l'INSEE qui est retenue pour son calcul et la « population DGF » pour sa répartition.

Marie-France Beaufils a raison de soulever le problème, que j'ai moi-même mis en évidence, des intercommunalités « défensives ». On doit pouvoir trouver des correctifs.

Francis Delattre a entrepris d'ouvrir un débat qui déborde le cadre de notre réunion. Ce n'est pas la réforme de la DGF qui aura un impact sur l'emploi, mais plutôt la baisse des dotations.

Mme Michèle André, présidente. - Merci à nos rapporteurs de leur travail, qui se poursuit.

La réunion est levée à 12 h 12.

Loi de finances pour 2016 - Mission « Enseignement scolaire » - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 14 h 29.

Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Le budget de la mission « Enseignement scolaire » est spectaculaire : 67 milliards d'euros en intégrant le versement au compte d'affectation spéciale « Pensions », 48 milliards d'euros hors contribution au CAS. Il pose la double question de sa soutenabilité par rapport à la loi de programmation des finances publiques et de la pertinence de la répartition des grandes masses entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire, dont le déséquilibre explique peut-être une partie des difficultés de notre pays en matière de formation.

S'agissant de la soutenabilité, la mission « Enseignement scolaire » dépasse régulièrement le plafond triennal fixé par les lois de programmation des finances publiques. En 2016, cet écart s'élèvera modestement à 132 millions d'euros. En 2014, alors que les crédits de la mission avaient été votés avec un dépassement de 210 millions d'euros, celui-ci s'est finalement élevé à 450 millions d'euros. Cet écart résulte notamment d'un glissement vieillissement-technicité (GVT) mal évalué, de nombreux enseignants ayant reporté leur départ à la retraite. Fin 2016, nous constaterons vraisemblablement un dépassement s'agissant des dépenses de personnel.

L'année 2016 sera une année que je qualifierais de « conservatrice ». Le schéma d'affectation des grandes masses n'évolue guère, comme si tout fonctionnait de manière satisfaisante. Les crédits du programme 140 « Enseignement scolaire public du premier degré » progressent de 400 millions d'euros, ce qui représente une augmentation d'environ 2 %. Cette évolution est positive s'agissant de notre point faible. Les crédits du programme 141 « Enseignement public du second degré » sont stables, hormis l'impact de l'acquisition de manuels conformes aux nouveaux programmes scolaires à la charge de l'État : 150 millions d'euros pour une première tranche en 2016, autant en 2017. Le programme 143 « Enseignement technique agricole » enregistre une progression de 0,70 % inférieure à celle constatée sur l'ensemble de la mission. Les dotations à l'enseignement privé évoluent de façon similaire à celles de l'enseignement public, même si les effectifs croissent plus rapidement que dans le public. La stabilité des crédits du programme 214, « Soutien de la politique de l'Éducation nationale », masque une évolution peu maîtrisée et préoccupante des dépenses consacrées aux grands chantiers informatiques.

La dépense en faveur de l'enseignement en France se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE : elle est passée en trente ans de 5,7 % à 6 % du PIB, soit plus qu'en Allemagne et qu'en Italie, mais moins qu'aux États-Unis, en Finlande ou en Corée du Sud. En euros constants, du fait de l'augmentation du PIB, les dépenses totales sont passées de 66 milliards d'euros en 1980 à 129 milliards d'euros en 2014.

Plus préoccupants, les médiocres résultats aux enquêtes internationales s'expliquent en partie par les priorités inégales du ministère. La dépense française moyenne par élève du primaire atteint 83 % de la moyenne des pays de l'OCDE, contre 119 % pour un élève du secondaire : dans l'enseignement secondaire, il y a plus de programmes, plus de diversité, plus d'années d'enseignement et l'encadrement par élève est supérieur à la moyenne de l'OCDE : un enseignant pour 12,5 élèves en France contre un pour 13,5. Au contraire, ce taux est d'un pour 18,9 élèves dans l'enseignement primaire français, contre un pour 15,3 dans l'OCDE. Nous sommes donc confrontés à un problème d'affectation des moyens entre un primaire stratégique et un secondaire dispersé.

S'agissant des 55 000 créations de postes prévues dans l'éducation, les prévisions seront atteintes si le budget 2016 est voté et si le budget 2017 épouse la même ligne. Hormis le millier d'enseignants destinés à l'enseignement agricole, plus de la moitié des emplois - 26 000 - concernent des stagiaires. Il s'agit donc d'un exercice comptable. On se réjouit d'avoir 14 000 enseignants supplémentaires dans le primaire et 7 000 dans le secondaire ; ne faudrait-il pas transférer la totalité vers le primaire ? La création de 6 000 postes d'accompagnants est également prévue, qui ne seront pas nécessairement devant les élèves, sinon en doublon avec les enseignants.

Un tel effort quantitatif interdira l'évolution qualitative, qui serait nécessaire dans le secondaire notamment, où nous avons besoin de moins d'enseignants, mais de qualité et recrutés à un bon niveau. Un fort déséquilibre se fait jour entre le nombre de postes offerts aux concours, le nombre de candidats inscrits, le nombre de présents et le nombre d'admis, particulièrement en langues vivantes - notamment en anglais - en mathématiques, en lettres classiques, même si, semble-t-il, l'année 2015 est plus favorable. Quels enseignants voulons-nous, avec quelle carrière ? Le niveau des élèves à la sortie du secondaire ne peut que nous interpeller : nous savons les résultats des enquêtes Pisa et l'échec en première année de faculté montre que les mentions sont désormais le réel critère de valeur du baccalauréat.

Davantage de dépenses seront consacrées au numérique, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. Ne sont retracées dans ce budget que les seules dépenses consacrées à la formation des enseignants. L'articulation des projets ministériels avec les actions des collectivités territoriales reste à déterminer. Il en va de même pour la prise en charge des activités périscolaires qui restent à la charge des collectivités territoriales. Je regrette également le report des décisions sur les bourses de lycée qui laisse les familles dans l'incertitude.

Par ailleurs, ce ministère n'arrive pas à sortir de son projet de système d'information Sirhen (système d'information des ressources humaines de l'éducation nationale), dont le coût dépassera de 241 millions d'euros le budget initialement prévu.

Enfin, les opérateurs sont, dans une large mesure, exonérés des efforts demandés au ministère.

Ce budget est donc un budget de statu quo qui ne s'attaque en rien aux problèmes de l'enseignement scolaire. Si des chefs d'établissement s'engagent, des élus locaux sont partenaires, des familles s'impliquent, des mesures devraient également être prises telles que l'allègement du secondaire, le renforcement du primaire ou encore l'accompagnement de la diversité avec l'enseignement agricole, l'enseignement privé, l'apprentissage et l'autonomie des établissements.

Je proposerai donc l'adoption de ce budget sous réserve du vote de deux amendements que je présenterai.

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Je partage l'analyse objective des chiffres réalisée par Gérard Longuet, et non son analyse du fond.

Avec plus de 67 milliards d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, la mission « Enseignement scolaire » reste le premier budget de la France. Derrière des chiffres témoignant de l'effort de la Nation en faveur de la formation de la jeunesse, il convient de s'interroger sur la politique mise en oeuvre, sur sa pertinence et sur son adéquation aux besoins. Les crédits sont en augmentation de 0,6 % par rapport à 2015. Il reste des problèmes de mise en oeuvre du budget et de mise en place des effectifs. Je ne reviendrai pas sur les besoins de l'enseignement primaire. Dans le secondaire, les 7 000 créations de postes seront insuffisantes car il reste des classes surchargées à 30 élèves.

Le budget 2016 s'inscrit dans la continuité des derniers exercices qui revenaient sur les 80 000 suppressions de postes décidées par le précédent Gouvernement. Ces coupes drastiques avaient été incomprises par le corps enseignant, victime d'une « souffrance ordinaire » selon les mots de Brigitte Gonthier-Maurin dans son rapport de 2012 sur le métier d'enseignant. La politique de recrutements est nécessaire et répond à un véritable besoin. La critique récurrente des soi-disant surnombres dans l'éducation nationale est dépassée, les coupes franches dans les effectifs sous le précédent quinquennat y ayant plus que répondu. Faut-il, dès lors, supprimer des postes de remplaçants, au risque de se retrouver avec des classes sans enseignant ? Faut-il supprimer des postes de directeurs d'école ou d'accompagnants d'élèves handicapés ? Je ne le crois pas. Ceux qui appellent à diminuer les effectifs sont les premiers à critiquer la fermeture de classes dans leur commune, dans leur département ou dans leur région. Un raisonnement comptable vaudrait-il à Paris mais pas en province ? Comment expliquer l'existence de surnombres qu'aucun d'entre nous ne constaterait localement ?

Les créations de postes prévues dans le présent projet de loi de finances répondront aux besoins des élèves et des enseignants et contribueront à la réduction des inégalités sociales et à la résorption de la fracture territoriale. C'est pourquoi je me félicite que l'objectif de 55 000 créations de postes sur le quinquennat puisse être atteint, même si, comme le notent certains syndicats d'enseignants, on ne perçoit pas toujours sur le terrain l'effet de ces annonces.

L'effort budgétaire est significatif mais cessons de considérer la mission « Enseignement scolaire » comme une dépense : c'est plutôt un investissement de la Nation dans sa jeunesse.

Je ne crois pas que nous ayons trop d'enseignants. Notre situation budgétaire nous oblige à prendre en compte la quantité, mais ne perdons pas de vue la qualité, revendication portée par les enseignants eux-mêmes. Pour autant, l'augmentation des effectifs ne saurait répondre à tous les défis du système scolaire français. Le problème vient de la mise en oeuvre de cette politique de rétablissement des moyens humains depuis 2012. La réforme du recrutement des enseignants de 2010, qui avait fait disparaître l'année de stage en alternance, a été difficile pour de nombreux jeunes enseignants. La création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé) a permis la reconstitution d'une formation initiale demandée par les jeunes enseignants.

Pour autant, certains points demeurent en suspens. Les emplois d'avenir professeurs, qui seront progressivement remplacés par les contrats d'apprentis professeurs, permettent à des jeunes intéressés par les métiers de l'enseignement d'acquérir une première expérience même si, bien souvent, les travaux réalisés par ces jeunes le sont au détriment de leur formation. Il serait préférable d'instaurer une forme de pré-recrutement plutôt que d'avoir recours à ces étudiants qui ne doivent pas constituer un palliatif aux recrutements d'enseignants titulaires.

Des efforts de rémunération ont été consentis avec l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISAE) dans le premier degré ou la revalorisation des indemnités perçues par les enseignants des établissements relevant de l'éducation prioritaire. Cependant, comment se satisfaire d'une situation où le pouvoir d'achat des enseignants a diminué de 1 % en 2013 ? Nous avons besoin d'enseignants plus nombreux et mieux formés, mais il ne faut pas faire l'impasse sur l'amélioration de leurs conditions matérielles.

Je partage les propos de Gérard Longuet sur l'accompagnement de la réforme des rythmes scolaires. La diminution des crédits destinés au fonds de soutien au développement des activités périscolaires est regrettable dans un contexte de baisse des dotations aux collectivités et de surcoûts dus aux réformes du collège et des programmes.

L'an dernier, j'avais attiré votre attention sur le manque de formations ou d'entreprises volontaires pour que les jeunes, notamment dans l'enseignement technique agricole, puissent réaliser leur alternance, alors que certains métiers connaissent une pénurie de main-d'oeuvre. À l'inverse d'une surabondance d'options, nous constatons une inadéquation de l'offre de formation.

Ce budget n'est donc pas parfait mais certaines mesures vont dans le bon sens, bien que souvent insuffisantes ou inachevées. Sous le bénéfice de ces observations et sans préjuger des amendements qui seront présentés par Gérard Longuet, je vous propose de vous abstenir sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - L'amendement n° 1 vise à diminuer les effectifs du secondaire tout en préservant les moyens accordés au primaire. Il prévoit : au titre du programme 141 « Enseignement public du second degré », la suppression des 591 créations de postes d'enseignants stagiaires prévues en 2016 et le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, soit 3 640 postes non remplacés ; au titre du programme 139 « Enseignement privé du premier et du second degrés », le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux pour le seul second degré, soit 1 325 postes non remplacés ; au titre du programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale », le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, soit 308 postes non remplacés. En année pleine, cela représenterait une économie de près de 150 millions d'euros.

Il sera en outre demandé aux opérateurs de contribuer à l'effort de réduction des dépenses à hauteur de 15,5 millions d'euros (8,5 millions d'euros pour l'Onisep, grâce à la dématérialisation de la diffusion gratuite papier dont le coût est estimé par la Cour des comptes à 17 millions d'euros ; 11 % des dépenses de fonctionnement du réseau Canopé, soit 4 millions d'euros ; 3 millions d'euros, soit 10 % des dépenses de fonctionnement du Cned). Au total, cet amendement permettrait une économie de l'ordre de 165 millions d'euros en année pleine.

L'amendement n° 2 vise à interpeller la ministre sur le projet Sirhen - le Louvois de l'éducation nationale...

M. Claude Raynal. - Une référence malheureuse !

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Un audit de 2013 a réévalué la durée du projet à treize ans au lieu de sept ans et son coût à 321 millions d'euros au lieu de 80 millions d'euros. Cet amendement vise à obliger le ministère à nous indiquer quand et dans quelles conditions il entend sortir de ce labyrinthe ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Loin d'être l'opérateur de paye de toute l'éducation nationale, Sirhen ne concerne, à l'heure actuelle, que les administrateurs civils et les corps d'inspection ; 300 millions d'euros pour 4 000 personnes, cela paraît excessif ! Notre commission s'est émue des déboires de Louvois ou de l'opérateur national de paye, on ne peut donc que regretter que cela continue avec Sirhen.

Les années passent et se ressemblent, les constats s'amplifient ; la France consacre près de 70 milliards d'euros à l'éducation, premier budget national, part importante du PIB, mais elle recule d'année en année dans les classements Pisa. Les résultats sont-ils en adéquation avec les moyens ?

Je remercie le rapporteur spécial d'avoir insisté sur la différence entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire. Les taux de réussite aux concours m'interpellent : 62 % des candidats ont été admis en lettres classiques : n'y aurait-il que des bons élèves ? En mathématiques, 48 % des candidats sont admis et 24 % des postes ne sont pas pourvus. C'est très inquiétant pour le métier d'enseignant ! L'éducation nationale est davantage dans une gestion de masse que dans une gestion fine de ses ressources humaines.

L'amendement consistant à rééquilibrer la dépense en faveur du primaire nous renvoie à la multiplication des options. Je me souviens d'avoir passé l'option menuiserie au baccalauréat. Pourquoi des options menuiserie, couture, macramé pour un bac général, ou une option surf en Île-de-France ? Derrière ces options, il y a des enseignants. La multiplication des options complexifie la gestion des ressources humaines. Il faudrait atteindre des ratios d'encadrement proches de ceux de l'Union européenne dans le primaire et avoir moins d'options dans le secondaire. Je soutiendrai l'amendement n° 1.

L'amendement n° 2 met l'accent sur les outils vieillissants de l'éducation nationale, alors que des outils internet sont demandés par les familles. Les centres d'information et d'orientation et l'Onisep travaillent encore sur des supports papier inadaptés.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Je vous remercie d'accueillir dans votre classe studieuse un mauvais élève comme moi. Le budget s'inscrit dans la continuité, en constante augmentation depuis trente ans, sans les résultats escomptés. Nous sommes parmi les pays les plus inégalitaires : un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur. La moitié des 150 000 jeunes sortant chaque année du système sans diplôme a connu des difficultés entre le cours préparatoire et le CE2. L'apprentissage des fondamentaux entre quatre et sept ans doit être une priorité : l'avenir d'un jeune est quasiment scellé à son septième anniversaire. Il faut redéployer les moyens du secondaire vers le primaire, avec des enseignants formés aux pédagogies ayant fait leurs preuves et incités financièrement à venir devant les élèves en ayant le plus besoin. Selon la Cour des comptes, il est nécessaire de redéployer et simplifier l'offre de formation au lycée : le nombre de filières et d'options est trop important : un élève de seconde peut choisir entre 236 options différentes !

À la suite de la réforme des programmes, que le conseil supérieur de l'éducation a rejetée, l'État s'est engagé à prendre en charge le financement des manuels scolaires des collèges, mais pas ceux des écoles. Les communes le feront, alors qu'elles supportent déjà le surcoût des rythmes scolaires. Je proposerai certainement un amendement de redéploiement des crédits à partir de ceux consacrés à l'administration centrale, où des économies sont sans doute possibles.

Enfin, le projet Sirhen constitue effectivement une dérive inacceptable.

M. Roger Karoutchi. - Je souscris aux recommandations de notre rapporteur spécial. J'ai été nommé inspecteur général il y a dix-sept ans et lors de la première réunion, on nous a dit que le système scolaire ne fonctionnait pas et qu'il fallait le recentrer. Les rapports Pisa le démontrent, ce sont les pays qui se sont recentrés sur les fondamentaux qui progressent le plus vite. En revanche, ceux qui offrent de nombreuses options s'effondrent. Un enseignement collectif ne peut être un enseignement à la carte, individualisé.

Les gouvernements de gauche et de droite n'ont pas eu le courage de mettre un terme à cette dérive : il faut en revenir aux fondamentaux, notamment au niveau du secondaire. Notre système est trop diversifié, trop lourd et donc difficile à gérer. Ce n'est pas avec toujours plus d'enseignants et toujours plus de moyens qu'on changera ce système malade parce que sans objectifs ni lignes directrices.

M. Vincent Delahaye. - Nous le répétons d'année en année, nous devrions nous recentrer sur les fondamentaux et arrêter de nous disperser : il faut privilégier la qualité plutôt que la quantité. Avec les 60 000 postes supplémentaires, c'est la quantité qui l'a emporté. Je regrette que les documents budgétaires n'apportent pas de réponses aux questions que nous nous posons. Pourquoi ne connaissons-nous toujours pas le nombre d'élèves par niveau, le nombre de classes et celui d'enseignants ? Je ne sais même pas quelle est l'évolution du nombre d'élèves d'une année sur l'autre. Dans nos communes, c'est pourtant la première chose qui nous préoccupe.

J'ai l'impression de voter à l'aveugle le budget du « mammouth ». J'adopterai les amendements du rapporteur spécial, même si j'aimerais qu'ils aillent plus loin.

M. Marc Laménie. - Quel est le poids, dans ce budget, de l'administration centrale, des rectorats et des inspections d'académie ? Il y a du monde dans le grand ministère...

Les programmes font l'impasse sur le fonctionnement des institutions et sur le devoir de mémoire : c'est regrettable. Enfin, où en est-on de la médecine scolaire, dont l'importance semble se réduire d'année en année ?

M. Philippe Adnot. - Je suivrai les recommandations de notre rapporteur spécial. Je regrette que l'État retire des collèges tous les personnels qu'il mettait à disposition pour le suivi et la maintenance informatiques. J'ai prévenu la rectrice que mon département serait dans l'incapacité de remplacer ces personnels.

M. Éric Bocquet. - Nous nous félicitons des créations de postes après cinq années de suppressions massives : encore faut-il distinguer les annonces des créations effectives. Les taux d'encadrement ne sont pas neutres : ceux qui ont enseigné savent qu'une classe de 15 ou de 30 élèves, ce n'est pas la même chose.

La crise des recrutements est inquiétante : le métier n'est plus attractif pour diverses raisons, notamment financières. Un plan de recrutement est indispensable pour attirer les jeunes vers ce beau métier de plus en plus difficile à exercer.

L'enquête Pisa rappelle à juste titre le déterminisme entre la situation économique et sociale des familles et la performance des enfants. Nous déplorons la diminution des crédits du fonds de soutien aux activités périscolaires, alors que les communes ont joué le jeu en offrant des activités de qualité. L'école numérique ? Mais ce sont les collectivités qui investissent dans le matériel, notamment dans les écoles élémentaires. L'éducation nationale s'était engagée à former les enseignants à ce nouvel outil. Qu'en est-il ?

M. Francis Delattre. - L'appréciation des effectifs de l'éducation nationale varie selon que l'on est rue de Grenelle ou sur le terrain. Dans ma commune, toutes les classes comptent 30 élèves et les moyens sont loin d'être excessifs. Nous avons certainement beaucoup trop d'inspecteurs généraux...

M. Roger Karoutchi. - D'inspecteurs d'académie !

M. Francis Delattre. - ... et pas assez d'enseignants. Tous les ans, je bénis les directeurs d'école qui réussissent à faire des rentrées correctes avec des moyens très justes.

De plus en plus souvent, les maires de mon département sont saisis de demandes visant à permettre à des jeunes de quitter l'école sous prétexte qu'ils vont avoir chez eux une formation adéquate. C'est scandaleux, car il s'agit surtout de jeunes filles qui sortent du système scolaire sans que personne ne vérifie la réalité de l'enseignement à domicile. Il n'existe pas non plus de cours par correspondance : ces jeunes de 14-15 ans sont soustraites d'office de l'école, sans aucun contrôle. Je reçois pratiquement toutes les semaines des maires qui doivent signer de telles demandes d'exemptions qui se multiplient.

Mme Michèle André, présidente. - Merci d'attirer notre attention sur ce grave sujet.

M. Serge Dassault. - Pour favoriser la formation professionnelle et éviter que 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni formation, supprimons le collège unique. Beaucoup d'élèves ne s'intéressent pas aux cours qui y sont dispensés. Il faudrait sélectionner les élèves à la sortie du primaire : le certificat d'études n'existe plus, ce que je déplore. Comme les redoublements ont été supprimés, ces jeunes passent de classe en classe sans acquérir aucune formation, ce qui explique en grande partie l'insécurité dans nos communes. Au lieu d'avoir été formés à un métier manuel, ces jeunes deviennent pour la plupart des délinquants.

M. Richard Yung. - Je serai plus nuancé que le rapporteur spécial sur cette approche quantitative. La situation est très différente en fonction des régions, certains rectorats manquant d'enseignants. À l'étranger, nous avons beaucoup de mal à recruter des enseignants français, parce que les recteurs bloquent le départ des professeurs de mathématiques, de physique, de langues vivantes. Le plan de recrutement de 14 000 postes pour le primaire et de 7 000 postes pour le secondaire répond en partie à ces préoccupations.

Le niveau de rémunération de nos enseignants ajoute à la difficulté : leur prestige social s'est amoindri et les salaires sont inférieurs à ceux pratiqués chez nos voisins, notamment en Allemagne.

Quant au qualitatif, la France en fait beaucoup trop : 216 options ! J'estime qu'il faut les ramener à 21 par exemple...

Mme Michèle André, présidente. - Laissons cela à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

M. Richard Yung. - Les parents veulent toujours davantage d'options, ce qui entraîne des horaires surchargés, alors que dans d'autres pays, il y a trois à quatre heures d'enseignement le matin et l'après-midi est consacrée aux sports ou aux activités culturelles. Et pourtant ces enfants sont au moins aussi éveillés que les nôtres...

Je ne voterai pas le premier amendement sur les réductions de crédits, mais je suis assez tenté par le second. Si ces 44 millions d'euros sont supprimés, arrêtera-t-on de payer les fonctionnaires en question ? Les administrations françaises tentent de développer de grands programmes informatiques sans en avoir la compétence.

M. Michel Canevet. - Les amendements de notre rapporteur sont empreints de bon sens ; ils portent sur une centaine de millions d'euros alors que le budget augmente de 700 millions d'euros. J'espère que l'effort portera prioritairement sur l'enseignement primaire car l'apprentissage des fondamentaux est la priorité. Les chiffres donnés par notre rapporteur spécial sont éloquents lorsqu'on compare notre situation à celle de nos voisins. Quel est le nombre de postes qui ne sont pas affectés à l'encadrement des élèves ?

J'ai du mal à comprendre pourquoi les crédits alloués au fonds de soutien dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires diminuent alors que le nombre d'élèves reste stable. Ce fonds devra-t-il être abondé en cours d'année ?

Le nombre d'élèves de l'enseignement préélémentaire privé augmente alors qu'il diminue dans l'enseignement public. Pourtant, les crédits augmentent plus dans le public (+ 1,89 %) que dans le privé (+ 0,40 %). Le niveau d'encadrement sera-t-il maintenu dans le privé ?

La diminution du nombre de régions va-t-elle entraîner une réduction des crédits affectés à l'administration décentralisée de l'éducation nationale ?

M. Thierry Carcenac. - Je note que cette année, la rentrée s'est bien passée. Lorsque notre rapporteur nous dit qu'il s'agit d'un budget conservatoire, je m'en félicite, car cela augure bien de la rentrée prochaine.

Dans mon département, la densité de population en zone de montagne est de 17 habitants au kilomètre carré tandis qu'à proximité de Toulouse, la densité est très forte. Ne globalisons donc pas le nombre des enseignants. Notre collègue Alain Duran vient d'être nommé par le Gouvernement pour rédiger un rapport sur l'offre de formation différenciée en zone urbaine et en zone rurale et de montagne.

L'actuelle formation des maîtres va dans le bon sens, mais nous nous interrogeons sur la crise des recrutements et sur les rémunérations. Des agrégés enseignent dans des collèges de région parisienne : la politique de recrutement pourrait sans doute être revue.

Le plan numérique à l'école va commencer à porter ses fruits en 2016. Pour un euro dépensé par les départements, l'État contribuera à hauteur d'un euro mais prenons garde à la maintenance et au soutien aux établissements, comme l'a rappelé Philippe Adnot. La commission consultative sur l'évaluation des charges, que je préside, n'abordera pas ce sujet car il ne s'agit pas de transferts, ni de charges nouvelles. La question se pose néanmoins de l'accompagnement de l'extension évidente et nécessaire de ce plan.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Thierry Foucaud et moi-même avons à coeur de mieux comprendre le fonctionnement de l'éducation nationale, même si nous n'en tirons pas les mêmes conclusions.

Je remercie le rapporteur général pour son soutien à mes amendements.

Jean-Claude Carle estime que la France est le pays le plus inégalitaire. Le problème de l'égalité est philosophique : beaucoup de parents ont des enfants pour qu'ils prolongent en mieux ce qu'ils sont. Il est logique que les parents responsables s'impliquent et il ne faut pas nous priver de leur bonne volonté. En revanche, nous devons sans doute nous substituer à ceux qui sont indifférents. La classe unique permettait aux enseignants de suivre les enfants. Ceux-ci passent désormais d'une classe à l'autre en changeant de professeurs. C'est un facteur de faiblesse car ils ne connaissent pas assez leurs élèves.

Je suis d'accord avec Jean-Claude Carle sur les apprentissages des fondamentaux, notamment de la lecture. Les nouveaux rythmes scolaires sont une charge pour les collectivités locales, charge qui n'est pas compensée et qui n'avait été demandée par personne.

Roger Karoutchi a parlé de la dispersion du secondaire : il faut accepter la diversité de notre pays, qu'elle soit démographique, géographique ou historique. Les régions industrielles ont de nombreux lycées professionnels qui sont l'héritage des centres d'enseignement technique lancés par les industriels et repris par l'éducation nationale. Nous allons vers l'unité, mais elle supposerait l'internat. Hélas, cette excellente solution fait l'objet du rejet des mères, qui ne sont d'ailleurs plus des mères mais des « mamans » comme des pères, qui sont devenus des « papas », qui ont peur de perdre leurs enfants. Je trouve cela navrant, mais il s'agit d'un fait de société contre lequel nous ne pouvons rien.

Je remercie Vincent Delahaye pour la précision de ses questions : il s'agit en effet d'un budget de statu quo. En revanche, nous disposons des tableaux récapitulatifs demandés : nous pourrons vous les communiquer. Les régions n'évoluent pas de la même façon et leur sociologie n'est pas la même.

Je découvre les demandes d'exonération de présence scolaire évoquées par Francis Delattre. Votre enracinement dans le Val-d'Oise vous rend familier de la diversité française actuelle.

Pour répondre à Marc Laménie, la médecine scolaire est en effet marginalisée. Cette médecine, exclusive il y a cinquante ans, est entrée en compétition avec une médecine de ville désormais très présente. Plus que le médecin, c'est l'infirmière qui est importante dans un établissement, car elle a un talent polyvalent.

Nous ne disposons pas de données exactes sur les enseignants qui ne sont pas devant les élèves : lorsque la droite est au pouvoir, elle s'efforce d'en réduire le nombre et quand la gauche arrive, elle crée des fonctions de soutien. Le balancier est reparti vers des enseignants qui ne sont pas à proprement parler devant des élèves, qui sont en doublon, ou ont une clientèle particulière dont le coût- rendement n'est pas établi - c'est le cas des Rased.

J'ai noté l'observation de Philippe Adnot sur le retrait des personnels d'État qui étaient mis à disposition des collèges pour la maintenance des outils informatiques. C'est contradictoire avec l'idée de former les enseignants aux techniques informatiques. Toutes les expériences étrangères montrent que l'informatique ne règle en rien les problèmes de la pédagogie, celle-ci restant adossée à la présence de l'enseignant et à sa relation avec les élèves.

Éric Bocquet a raison de distinguer les postes annoncés et les postes créés. J'en parle à la page 39 de mon rapport. En 2014, l'écart a été spectaculaire, la sous-consommation du plafond d'emplois s'étant élevée à 12 784 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Certes, on ne recrute pas les enseignants comme des laveurs de carreaux, mais il reste un écart significatif entre les emplois annoncés et ceux qui sont pourvus.

Je souscris à ce qui a été dit par Francis Delattre, l'inégalité territoriale est une réalité. Les statistiques globales montrent tout, sauf l'essentiel : c'est « la forme suprême du mensonge ». Il faut entrer dans le détail pour y voir clair. Vous avez 30 élèves par classe dans votre département pour une moyenne nationale de 12,5. Voilà pourquoi les élus doivent travailler avec les recteurs et les directeurs départementaux de l'éducation nationale. J'ai noté votre observation sur les jeunes filles retirées du système scolaire. J'interrogerai le ministère sur cette « évaporation ».

Pour répondre à Serge Dassault, René Haby ne voulait pas d'un collège vraiment unique. Tous les ministres, y compris Najat Vallaud-Belkacem, acceptent l'idée de la diversité. À l'intérieur du collège unique, il faut multiplier l'information professionnelle pour que les jeunes garçons veuillent devenir autre chose que pompier ou footballeur. Par exemple, sénateur ou constructeur d'aéroplane... Le moule unique est inacceptable, car contraire à la réalité. Ouvrons aux jeunes des fenêtres d'ambition et d'espoir.

Richard Yung ne veut pas opposer qualitatif à quantitatif, mais un recrutement de professeur vaut pour quarante ans... De même, les mesures catégorielles coûtent extrêmement cher. Je l'ai vécu au ministère de la défense : nous diminuions les effectifs et les mesures catégorielles augmentaient la masse salariale. Pour les matières comme les mathématiques et l'anglais, la concurrence du privé est incontestable et nous aurons beaucoup de mal à recruter.

Sur la question de Michel Canevet, nous ne connaissons pas le nombre d'enseignants qui ne sont pas devant les élèves. Nous préférons qu'ils soient dans les classes mais certaines fonctions transverses ne sont pas totalement inutiles. En revanche, il ne faut pas qu'elles soient une occasion de fuir l'élève, tentation d'un certain nombre d'enseignants.

La dotation consacrée au fonds de soutien au développement des activités périscolaires est totalement insuffisante. Quant à l'enseignement privé, le statu quo évite la réouverture d'une guerre, mais les parents choisissent. La demande la plus forte n'est pas dans des régions catholiques et conservatrices. En région parisienne, des familles issues de la diversité choisissent l'enseignement catholique, apostolique et romain parce qu'elles ont le sentiment que leurs enfants seront mieux encadrés.

La régionalisation sera un élément de réponse pour adapter les politiques d'éducation nationale aux territoires. La Meuse compte souvent moins de douze habitants au kilomètre carré. On maintient des établissements que la raison exigerait que l'on supprime. Telle est la vie française dans sa complexité.

Envoyer des agrégés en collège est en apparence anormal. Cela ne l'est pas complètement pour le bien des agrégés, ni pour le bien des élèves. Ce n'est quand même pas la règle dominante.

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Il y a du bon et du moins bon dans ce budget. Qu'on n'aille pas dire cependant qu'il témoigne d'un effort significatif. Il augmente de + 0,6 % pour une inflation de 1 %, cette année. Comme tous les ans, on refait la politique de l'éducation nationale, chacun apportant sa pierre à l'édifice. Le budget de l'éducation nationale est de 67 milliards...

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - dont 20 milliards d'euros pour les retraites : engager, c'est aussi engager un retraité.

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - ... contre 40 milliards d'euros pour le pacte de responsabilité et de solidarité : l'éducation nationale ne coûte donc pas si cher.

Nous serons tous d'accord pour dire qu'il n'est pas normal que l'on continue à avoir trente élèves par classe dans un quartier où les populations souffrent. Il faut corriger cette situation, faute de quoi, notre politique sociale en faveur des quartiers ne pourra que se détériorer.

La question de l'apprentissage est posée tous les ans sans jamais qu'on la résolve. On manque de plombiers, de couvreurs... Des apprentis trouvent parfois un employeur sans avoir accès à la théorie ; parfois, c'est l'inverse. Si l'on continue ainsi, on ira dans le mur, car les chiffres resteront les mêmes. Voilà pourquoi j'ai proposé l'abstention.

Enfin, le numérique, qui est une question d'avenir, mobilise 24 millions d'euros pour assurer la formation des enseignants. Les collectivités se sont engagées dans ce programme tout comme elles l'ont fait pour les rythmes scolaires. Il faudrait tenir compte de leurs difficultés de financement et les aider sur ces deux domaines essentiels pour l'avenir.

Nous avons donc de bonnes causes à défendre en faveur de nos enfants et de la France.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Pour répondre à Richard Yung, l'amendement relatif à Sirhen n'aura pas pour conséquence d'interrompre la paye des fonctionnaires. Cet amendement vise, si j'ose dire, à aider le ministre face à son administration. J'ai vécu ce genre de situation avec l'affaire Louvois. Un ministre est toujours bercé de l'illusion que les choses se règleront en trois mois. On connaît la suite...

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Je suis évidemment opposé à l'amendement qui réduit les crédits consacrés à l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Malgré tous les moyens dont on nous parle, des classes restent chargées, à vingt-cinq ou trente élèves. D'un point de vue mathématique, il y a pourtant un enseignant pour quinze élèves. La contradiction tient à ce que le lycée est très consommateur en moyens humains. Il faudrait redéployer le personnel et surtout réduire les options qui ne sont pas indispensables. D'autant qu'on se sert souvent de ces options pour choisir les bonnes orientations.

L'inégalité vient souvent d'un manque d'accès à l'information. Il n'y a pas de bonne orientation sans bonne information. En 1998, j'ai été rapporteur d'une commission d'enquête sur la gestion des personnels de l'éducation nationale. On recensait alors 30 000 enseignants qui n'étaient pas devant les élèves, soit l'équivalent de l'académie de Grenoble ou d'une trente-et-unième académie virtuelle. Il n'est pas aberrant que tous les enseignants ne soient pas devant les élèves ; il est même souhaitable que certains d'entre eux aillent dans d'autres administrations, voire dans le monde économique. Ce qui l'est moins, c'est qu'un enseignant fasse toute sa carrière hors de l'éducation nationale. C'est un problème de ressources humaines.

L'amendement n° 1 est adopté, ainsi que l'amendement n° 2.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire », ainsi modifiés.

Loi de finances pour 2016 - Mission « Économie » et compte de concours financier « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » (et articles 52 et 53) - Examen du rapport spécial

Puis la commission procède à l'examen du rapport de MM. Jacques Chiron et Bernard Lalande, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Économie » et le compte de concours financier « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » (et articles 52 et 53).

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial. - La mission « Économie » rassemble une série de d'instruments destinés à soutenir la croissance des entreprises, et notamment des PME de l'artisanat, du commerce et de l'industrie, sous forme de subventions, de prêts, de garanties ou encore d'exonérations fiscales. Elle porte aussi les crédits des administrations, autorités administratives indépendantes (AAI) et des opérateurs chargés de la mise en oeuvre de ces politiques.

Les crédits demandés au titre de l'année 2016 s'élèvent à 1,7 milliard d'euros, en baisse de 4,7 % (- 83 millions d'euros) : l'effort de maîtrise des dépenses publiques est supérieur de 51 millions d'euros à ce qui était prévu dans la programmation triennale.

Le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » porte à lui seul la moitié de ces crédits. Les dépenses de personnel et de fonctionnement et les subventions aux différents opérateurs affichent une stabilité globale : de fait, ces dépenses sont relativement rigides, même s'il reste des marges de manoeuvre, par exemple du fait de la fusion entre Ubifrance et l'agence française des investissements internationaux (AFII) en un opérateur commun dénommé Business France.

L'effort budgétaire repose donc principalement sur une réduction des aides aux entreprises, ce qui est une occasion de rationaliser des dispositifs complexes, éclatés, et peu évalués.

La dotation du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), par exemple, baisse à 15 millions d'euros en 2016. Grâce à la réforme de son fonctionnement, en 2014, il est passé d'une logique de guichet, propice aux effets d'aubaine, à une logique d'appels à projets, ciblés sur des chantiers porteurs, dans les zones rurales et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Depuis la suppression du comité professionnel de la distribution des carburants (CPDC), les aides aux stations-service de proximité sont prises en charge par le Fisac. La poursuite de ces aides, souvent très importantes pour le maillage territorial, doit beaucoup à la mobilisation du Sénat l'année dernière, et particulièrement de la présidente Michèle André. Toutefois, deux interrogations demeurent : comment adapter les critères d'éligibilité au Fisac, très restrictifs, aux spécificités des stations-service ? Et qu'en est-il des 2 200 dossiers en stock ? L'enveloppe de 12,5 millions d'euros que le Gouvernement s'est engagé à débloquer ne figure nulle part dans le programme.

Quant au programme 220, qui porte les crédits de l'Insee, il représente 437 millions d'euros en 2016, en baisse de 2,6 %. Les économies sur les dépenses de fonctionnement et de personnel auraient pu être encore plus importantes si le déménagement vers le nouveau centre statistique de Metz ne connaissait pas quelques vicissitudes.

Le programme 305 représente 427 millions d'euros. Sa forte baisse, de 7,7 %, est imputable à la diminution tendancielle de la subvention à la Banque de France, notamment grâce aux gains de productivité et à l'allègement des procédures de surendettement. La subvention est passée de 317 millions d'euros en 2011 à 252 millions d'euros en 2016. Quelques progrès sont également constatés dans le regroupement des services économiques à l'étranger.

Le programme 343 porte la participation de l'État au plan « France très haut débit », qui déploiera un réseau de fibres optiques à très haut débit sur l'intégralité du territoire d'ici 2022, avec un objectif intermédiaire de 50 % des foyers en 2017. Le déploiement des nouveaux réseaux à très haut débit représente plus de 22 milliards d'euros d'investissement sur les dix prochaines années, soit : 6 à 7 milliards d'euros investis par les opérateurs privés pour assurer la couverture des 3 600 communes les plus denses, avec 55 % des locaux à usage professionnel regroupés sur 10 % du territoire ; 13 à 14 milliards d'euros investis dans les « réseaux d'initiative publique » (RIP) déployés par les collectivités territoriales, l'État apportant pour sa part 3 milliards d'euros d'ici 2022, soit près de la moitié du financement public. Deux outils sont prévus à cette fin : le fonds national pour la société numérique (FSN) et le programme 343, qui prendra le relais à partir de 2015, sur un montant de financement de 2,1 milliards d'euros à l'horizon 2022. Pour 2016, 188 millions d'euros sont débloqués, après les 1 412 millions d'euros prévus en 2015 et avant les 150 millions d'euros en 2017.

Même si nous soutenons avec force le plan « France très haut débit », nous conservons deux réserves. D'une part, le délai de dix ans prévu pour la couverture du territoire semble trop long au regard de la rapidité des transformations induites par la révolution numérique. D'autre part, les abonnés qui bénéficieront d'une couverture plus rapide au titre de la zone dense, fin 2017, ne contribuent pas directement au financement d'un meilleur déploiement dans les zones non denses pour réduire la fracture numérique. Par conséquent, nous suggérons de mettre en place un dispositif de « péréquation numérique », qui pourrait prendre la forme d'une contribution prélevée sur les abonnements à Internet des particuliers et entreprises bénéficiant de la couverture en zone dense, et dont le produit serait affecté au financement des réseaux d'initiative publique dans les zones les moins rentables.

S'agissant du numérique, notre commission des finances a constitué un groupe de travail transversal et non partisan, qui a présenté deux rapports, le 17 septembre 2015 : « L'économie collaborative : propositions pour une fiscalité juste, simple et efficace », et « le e-commerce : propositions pour une TVA payée à la source ». Nous présenterons ces propositions aujourd'hui à Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique.

Enfin, le compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » porte les 200 millions d'euros de crédits du fonds pour le développement économique et social (FDES), réactivé en 2014. Il soutient des PME industrielles qui peinent à trouver des financements, mais qui sont viables sur le long terme. Nous estimons que l'État est ici dans son rôle : il ne faut pas laisser les aléas de la crise détruire des industries et des emplois qui ont un avenir.

Les crédits budgétaires de la mission « Économie » (1,7 milliard d'euros) apparaissent bien modestes au regard des 20 milliards d'euros de dépenses fiscales qui y sont rattachées. La principale est bien sûr le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui est monté en puissance et représente à lui seul 13 milliards d'euros. Le rapport 2015 du comité de suivi du CICE fait par France Stratégie montre, dans une enquête, que ce crédit d'impôt est plébiscité par les entreprises, qui peuvent l'affecter comme elles le veulent : dans le secteur des services, 54 % l'utilisent pour créer des emplois, et 35 % dans le secteur de l'industrie ; 46 % l'utilisent pour augmenter les salaires dans les services, et 31 % dans l'industrie ; 53 % s'en servent pour conforter leurs résultats d'exploitation dans les services, et 52 % dans l'industrie ; 61 % l'emploient pour investir dans les services, et 65 % dans l'industrie. Enfin, elles sont 35 % dans les services et 25 % dans l'industrie à considérer que le CICE peut permettre une baisse du prix de vente, ce qui signifie qu'il ne sert pas à augmenter la marge.

D'après France Stratégie, le CICE est à 70 % consommé par les micro-entreprises, les PME et les ETI, et seulement 30 % par les grandes entreprises : il convient donc de modérer les critiques qui avaient été faites à ce sujet. Néanmoins, la limite de 2,5 % du SMIC ne bénéficie pas aux entreprises qui versent des salaires élevés - sans pour autant que leurs résultats s'en ressentent, car celles-ci sont souvent exportatrices, et bénéficient donc de compléments de subventions ou d'exonérations particulières. Dans l'ensemble, le CICE a un effet de levier intéressant.

Nous saluons également le suramortissement de 40 % annoncé par le Premier ministre, en avril dernier, et qui vise spécifiquement les investissements productifs. Cette mesure, complémentaire du CICE, est proche dans son esprit de notre proposition de l'an dernier, qui avait été adoptée à la quasi-unanimité du Sénat.

D'autres dépenses fiscales apparaissent mal calibrées, même s'il est difficile d'être complet. Par exemple, l'amortissement exceptionnel des logiciels acquis par les entreprises représente 90 milliards d'euros pour 2 400 bénéficiaires, soit en moyenne 37 500 euros par entreprise, ce qui suggère que de grands groupes en tirent un avantage substantiel. Il pourrait être opportun de limiter son bénéfice aux PME et aux ETI, et le cas échéant d'utiliser les ressources libérées pour favoriser des investissements innovants. Nous ferons des propositions à ce sujet.

M. Jacques Chiron, rapporteur spécial. - L'article 52, qui est rattaché à la mission « Économie », crée un fonds de péréquation de 20 millions d'euros entre les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Les ressources des CCI sont en forte baisse, avec un plafonnement de leur taxe affectée (925 millions d'euros cette année), deux prélèvements exceptionnels ayant en outre été opérés sur leur trésorerie, à hauteur de 170 millions d'euros en 2014 et de 500 millions d'euros en 2015. Cette contrainte a conduit les CCI à s'engager dans un grand mouvement de réorganisation et de rationalisation, pour mettre fin à certains excès, conformément à l'esprit de la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services. Toutefois, cette situation a également provoqué dans certaines chambres des difficultés financières ponctuelles. Beaucoup d'autres ont dû repousser ou annuler des investissements. Surtout, la répartition actuelle de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-CVAE), qui alimente les CCI, repose sur des critères historiques figés en 2010, qui ne tiennent pas compte de la dynamique économique réelle des territoires ni des besoins des entreprises. D'où l'importance d'un dispositif de péréquation à l'échelle nationale.

Concrètement, l'article crée un fonds de 20 millions d'euros alimenté par la taxe affectée, qui aurait vocation à financer des projets spécifiques d'investissement des chambres, et à contribuer à la solidarité financière entre les CCI. Les aides seraient attribuées par délibération de l'assemblée générale de CCI France, l'établissement fédérateur du réseau. Les montants non utilisés en fin d'exercice seraient reversés au budget de l'État.

Nous sommes évidemment favorables à une telle proposition, mais avec deux réserves. D'une part, le montant de 20 millions d'euros est très faible : afin d'éviter tout saupoudrage entre des centaines de projets, nous vous proposons de préciser que les aides sont affectées à « des projets structurants de portée régionale ou nationale », comme par exemple les chantiers du plan « CCI de demain », qui prévoit notamment un guichet unique numérique.

D'autre part, la solution proposée par cet article ne peut être que transitoire, dans l'attente d'une refonte globale des modalités de répartition de la taxe affectée entre les CCI, pour tenir compte de la réalité économique. Toutefois, une telle réforme ne peut être envisagée qu'après un examen détaillé des missions accomplies par les CCI, et en tout état de cause après leur regroupement prévu en 2017 pour s'adapter à la nouvelle carte des régions.

L'article 53 comporte quant à lui deux parties. La première crée trois taxes affectées au profit de trois centres techniques et industriels (CTI) : celui de la fonderie (CTIF), l'Institut des corps gras (ITERG), et le CTI de la plasturgie et des composites (CTIPC), créé cette année. Ces taxes se substitueraient à un financement par dotation budgétaire. L'assiette est constituée par les produits fabriqués par les filières, et finance essentiellement des missions de recherche et développement, ainsi que des transferts de technologie.

Le financement par taxe affectée est une solution pertinente pour les CTI et pour les comités professionnels de développement économique (CPDE) qui leur sont assimilés. Ce modèle devrait être étendu aux trois organismes demeurant financés par une dotation budgétaire. La taxe affectée présente plusieurs avantages : stabilité des assiettes et donc des recettes, assujettissement des importations et plus grande implication des entreprises. Ces trois taxes sont conformes à l'article 16 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui prévoit que les taxes affectées sont justifiées dès lors qu'elles répondent à une logique sectorielle. Elles sont plafonnées par l'article 14 du projet de loi de finances, qui fait suite à l'article 46 de la loi de finances initiale du 28 décembre 2011.

La deuxième partie de l'article 53 harmonise les dispositions applicables à l'ensemble des taxes affectées aux CTI et aux CPDE. L'harmonisation porte d'abord sur les modalités de recouvrement, la principale innovation étant que la direction générale des finances publiques (DGFiP) prenne le relais des professionnels en cas de non-paiement de la taxe.

Mais surtout, l'harmonisation consiste à restreindre les actions finançables par la taxe affectée aux seules missions de recherche-développement et de transfert de technologie. Ce dernier point nous semble problématique : depuis longtemps, le succès des CTI et les CPDE repose sur des actions bien plus larges en faveur des entreprises de leur filière : campagnes de promotion en France et à l'international, aides à l'exportation etc. Ces aides sont très importantes pour les filières composées d'un grand nombre de PME faisant face à une concurrence internationale exacerbée. Par exemple, le CPDE du cuir aide toute la filière, pour laquelle le traitement de la peau est le plus important, et commence dès l'élevage des veaux. Notre cuir est de meilleure qualité car en France, on aime manger des veaux de neuf mois, à la différence de l'Italie ou de l'Espagne. Pour des peaux de qualité, la filière aide les éleveurs à remplacer les fils barbelés par des clôtures électriques, et à garder des étables propres pour éviter les champignons.

Afin de préserver cet équilibre, nous vous proposons un amendement qui vise à permettre que les taxes affectées financent l'ensemble des missions des CTI et des CPE - mais sous la stricte condition, et c'est une nouveauté, qu'il s'agisse de missions d'intérêt général, comme pour tout financement public.

Nous vous invitons à adopter sans modification les crédits de la mission « Économie » et du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », et à adopter les articles 52 et 53 modifiés par nos deux amendements.

L'amendement n°1 concentre l'effort financier du fonds de péréquation et d'investissement des CCI sur un nombre restreint de projets structurants, de portée nationale ou régionale, pouvant contribuer à la modernisation du réseau consulaire. Les aides ne seraient pas réservées aux seules CCI de région ou à la tête de réseau, elles demeurent librement attribuées à tout projet ou demande d'aide pertinente, par une délibération de l'assemblée générale de CCI France, dans des conditions précisées par décret, comme le prévoit le texte initial. Cela correspond à une demande de CCI France.

Avec l'amendement n° 2, les taxes affectées aux CTI et aux CPEDE pourraient financer des actions correspondant à toutes leurs missions d'intérêt général. Les opérations financées par des ressources publiques devront toujours être précisées par décret en Conseil d'État, contrôlées par la tutelle. Les taxes affectées étant soumises à un plafonnement, le risque de dérive financière est écarté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La mission « Économie » est une mission importante, avec de très nombreuses dépenses fiscales rattachées. Nous avions été très préoccupés l'an dernier par le plafonnement des ressources et le prélèvement sur le fonds de roulement des CCI. Je remarque que le fonds de péréquation des CCI réalise des investissements et aide les chambres de commerce en difficulté, ce qui sous-entendrait que les prélèvements des années précédentes ont créé des difficultés dans certaines chambres.

Il est envisagé de créer trois taxes affectées, selon le principe que l'industrie financerait ses propres politiques : pourquoi pas. Mais il y a un problème de principe : le Gouvernement, qui dit vouloir supprimer des petites taxes, en crée trois ! Ceci n'est pas conforme à la loi de programmation des finances publiques, qui prévoit la suppression d'une taxe affectée pour toute nouvelle taxe créée. Voyez par ailleurs la complexité de l'article 53 - sa lecture prendrait une demi-heure, je vous l'épargnerai en séance. J'ai reçu la fédération des industries mécaniques, qui se plaint de multiples taxes avec un calcul compliqué d'assiette. Une pièce comportant du plastique et du métal sera-t-elle assujettie aux taxes sur le plastique et à celles sur le métal ? Et l'on prétend simplifier le code général des impôts ! On pourrait trouver des assiettes et des rédactions plus claires.

M. Francis Delattre. - On centre enfin le discours sur l'entreprise, créatrice de richesses et d'emplois. Votre tonalité est excellente, mais je suis plus circonspect sur ce qui est en fait un « fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) » des CCI. Les grandes CCI vont payer pour les autres. Voyez l'exemple de la formation professionnelle, sur laquelle les CCI sont en pointe : les riches CCI de la région parisienne pourraient aider celle du Gard ou celles des territoires du nord et de l'est francilien, mais en pratique elles ont souvent des charges importantes pour les grandes écoles comme HEC ou l'Essec. Si vous réduisez les moyens des CCI, elles n'économiseront pas sur ces écoles, elles fermeront des formations.

Je ne peux qu'approuver le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, qui estime que tout est à refaire pour le financement de notre économie. La non-déductibilité fiscale des intérêts des prêts contractés par les ETI et les PME pour investir a fait des dégâts considérables : pourquoi ne pas la supprimer ? Les ETI dépendent à 90 % des prêts bancaires pour se financer. Nous approuverions tous un tel amendement. Le président de la République a convenu que la suppression de la TVA sociale était une erreur, voilà la deuxième erreur ! Il explique ensuite à la télévision qu'il accorde 200 millions d'euros d'aide aux PME et aux ETI - soit une goutte d'eau. Les grands groupes mondiaux, qui empruntent sur les marchés mondiaux, n'ont pas ce problème.

15 millions d'euros pour le Fisac, c'est un peu ridicule. S'agissant de l'article 53, ces trois taxes sont d'une grande complexité. Compte tenu de ces remarques, il sera difficile d'adopter votre rapport.

Mme Marie-France Beaufils. - Quels sont les effets d'aubaine sur le Fisac ? Dans mon agglomération, le niveau d'accompagnement des projets des collectivités territoriales avait beaucoup diminué ces dernières années. On réduit fortement les capacités d'intervention d'un organisme très important, Epareca (établissement public national pour l'aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux), qui accompagne la création des centres commerciaux dans les zones urbaines sensibles.

Il est difficile d'avoir une vision claire en raison de la diversité des modes d'intervention. Je m'abstiendrai donc sur le vote des crédits, mais j'irai plus loin dans l'analyse. Les centres techniques et industriels, avec lesquels j'avais travaillé sur le secteur du bois et de l'ameublement, réalisent un travail intéressant. Sachons être attentifs à leur rôle et à la continuité de leur action.

Le préfinancement des CICE est un élément non négligeable. Quant à l'affectation des sommes par les entreprises, nous ne disposons pour l'instant que des intentions exprimés : il ne faut pas s'y fier aveuglément. En réponse à une question d'actualité, le Gouvernement a rappelé l'ampleur du CICE attribué à Air France : on ne peut pas dire que la compagnie en fasse une utilisation particulièrement exceptionnelle...

Nous nous interrogeons sur la manière dont nos interlocuteurs économiques utilisent le CICE. Souvent le comptable d'une petite entreprise y voit une aubaine pour sa trésorerie. Est-il un bon outil ? Ne faudrait-il pas changer la manière dont les entreprises le considèrent dans leur résultat financier ? Les entreprises soumises à la compétition internationale ne sont pas celles que cible le CICE.

M. Maurice Vincent. - Le plan sur le déploiement du très haut débit est très important. Il est indispensable d'accélérer l'équipement des entreprises et des ménages qui en ont besoin. J'ai été saisi par plusieurs présidents d'intercommunalité de mon département sur le surdimensionnement - et le surcoût conséquent - des infrastructures de très haut débit, y compris, parfois, pour des résidences secondaires au fond des bois. Comment justifier des dépenses considérables pour des populations qui n'utilisent presque jamais le réseau ? Définissons des priorités pour les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les ménages le souhaitant.

M. François Marc. - Nous devons opérer un tri dans les nombreuses missions. Les rapporteurs ont expliqué en quoi le CICE, principale dépense fiscale, est une réussite. L'Insee a publié une étude sur l'évolution comparée du coût du travail, dont la presse du matin se fait l'écho ; celle-ci nous apprend que si le Gouvernement n'avait pas mis en oeuvre le CICE en 2012, le désavantage comparatif aurait pu se creuser, les coûts de production se renchérir et la France décrocher dans la compétition mondiale... Quel bel hommage !

La subvention allouée à la Banque de France revient de 317 millions à 252 millions d'euros en 2016, grâce aux gains de productivité réalisés dans le traitement du surendettement. Cela semble énorme. Les missions de la Banque de France ont-elles changé, avec davantage missions de contrôle et de régulation reprises par la Banque centrale européenne (BCE) ?

Le plan France très haut débit sera subventionné à hauteur de 3 milliards d'euros par l'État, par le biais du programme 343, à horizon 2022. Seules sont prévues des autorisations d'engagement (AE) à ce stade : 1 412 millions d'euros en 2015, 188 millions d'euros en 2016, et 150 millions d'euros en 2017. A-t-on des éléments de programmation au-delà ?

M. André Gattolin. - Je partage l'avis de Maurice Vincent sur le très haut débit. N'est-il pas démagogique de prétendre que chaque citoyen doit avoir accès partout à internet ? Est-ce le rôle de l'État de financer cela ? Ce plan de 20 milliards d'euros ne suffira même pas. Il faudrait établir des priorités, avec un maillage des villes et ces centres-bourgs, là où les entreprises sont ou veulent s'installer - et non dans un chalet de haute montagne. Dans une grande ville américaine, vous aurez souvent des difficultés à accéder au très haut débit. Le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin, remis en janvier 2013, soulignait que le déploiement profiterait d'abord aux entreprises collectant des données personnelles, et donc avant tout à Google. Il faut régler la question de la fiscalité internationale avant de développer un équipement universel.

François Marc citait l'étude de l'Insee sur le CICE : on est dans la projection, soyons plus prudents que Le Figaro. L'Insee est remercié pour ses bonnes études : on taille dans ses crédits ! Cela affectera-t-il ses établissements régionaux ? Vont-ils être regroupés ? Un État qui décide se fonde sur de bons instruments indépendants. À trop tailler, on obère l'avenir : Vincent Capo-Canellas a montré comment Météo France n'a pas acheté le supercalculateur dans lequel le Royaume-Uni a su investir malgré ses restrictions budgétaires. Or voilà qu'on demande au Crédoc (centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) de créer ses ressources propres en produisant des études contestées pour de grands groupes. Doit-on faire de telles économies sur un organisme important ?

M. Thierry Carcenac. - Le programme 343 « Plan France très haut débit » est très important. L'Europe souhaite que tous les pays de l'Union européenne bénéficient du très haut débit ; la déclinaison en France se fait au niveau régional ou départemental, grâce aux schémas d'aménagement. Entre le haut débit et le très haut débit, il y a de la marge mais diverses difficultés surgissent, comme celle de la récupération de la TVA.

Il se passe en général deux ans entre le montage des dossiers et leur approbation par le fonds de solidarité numérique (FSN). C'est sans doute ce qui explique qu'aucun crédit de paiement ne soit prévu sur le triennal. Une fois que la fibre optique arrive à domicile, il faut encore trouver un opérateur et des abonnés. Nous devrons donc déterminer les besoins sur le territoire. Nous avons libéralisé le secteur de la téléphonie : dans certaines communes, les opérateurs ne voulaient retenir que certains quartiers. La discussion a duré un an pour que l'opérateur historique accepte de couvrir toutes les communes de la communauté d'agglomération.

L'an dernier les chambres d'agriculture se sont lancées dans la péréquation, avec la création d'un fonds spécifique à cet effet. Cette année, l'article 52 instaure un fonds de péréquation entre les CCI. Votre amendement propose de remplacer les mots « projets spécifiques » par « projets structurants de portée nationale ou régionale ». Des CCI financent des lignes aériennes : si leurs moyens diminuent, elles demanderont aux collectivités de financer ces lignes qui permettent d'aménager le territoire. Le fonds de péréquation ne pourrait-il les prendre en compte ?

M. Éric Doligé. - Il est toujours facile d'accroître les prélèvements sur les citoyens, les entreprises ou les collectivités puisqu'il suffit d'augmenter des taux ou de créer des taxes. Bien évidemment, nous avons contesté le CICE lors de sa création car ce dispositif nous semblait très compliqué. Un journal du matin...

M. François Marc. - Un grand journal !

M. Éric Doligé. - ... se satisfait des retours : encore heureux que le CICE ait des effets positifs !

La création d'un fonds de péréquation entre les CCI s'impose, compte tenu des prélèvements importants qui les ont frappées. Reste que les collectivités devront prendre la relève car les actions des CCI ont beaucoup diminué ces dernières années. Le financement par taxes affectées est en forte diminution comme le montre le tableau de la page 49 : ces taxes sont passées de 1 268 millions d'euros en 2014 à 925 millions d'euros en 2016. La tendance baissière est très nette. Disposez-vous de projections pour l'avenir ? Que vont devenir les CCI ? Elles ont accepté les prélèvements sur leurs réserves, mais ceci s'est fait aux dépens des investissements futurs, comme cela a été le cas dans mon département. Le Gouvernement nous dit que les prélèvements portaient sur des réserves : en fait, ils ont empêché des projets de voir le jour.

M. Marc Laménie. - Le poids des dépenses fiscales nous interpelle ; le programme 220 me surprend car le coût des études statistiques de l'Insee est très important : 437 millions d'euros ! Je peux aussi vous assurer que les parlementaires qui assistent aux assemblées générales des CCI se font interpeller ; il faut prendre en compte cette inquiétude légitime.

M. Michel Bouvard. - Comment le préfinancement du CICE par Bpifrance va-t-il évoluer ? Quel en sera le coût pour le budget de l'État ? Le président de Bpifrance nous a indiqué qu'une rémunération était liée à ce préfinancement.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial. - Avec le CICE, nous voulions que les entreprises puissent investir, innover, embaucher et exporter. Il fallait trouver un mode de financement original qui ne puisse être contesté par la Commission européenne et qui bénéficie à toutes les entreprises, de la plus petite à la plus grande. De plus, cette aide ne devait pas distinguer entre les entreprises. Il fallait aussi tenir compte du fait que les acheteurs allaient immédiatement demander à bénéficier de cette diminution des charges qui augmentait la marge des entreprises : comme dans le monde agricole, à chaque subvention, le marché réclame sa part.

Le CICE est progressivement monté en puissance. Certes, il y a eu des effets d'aubaine, des imperfections, et toutes les entreprises en ont bénéficié, de sorte que nous n'avons pas ciblé les entreprises exportatrices. Cependant, notre culture économique nous porte à ne regarder que les entreprises du CAC 40 alors, que le tissu économique est fait de PME et d'ETI, qui bénéficient également du CICE et ne l'utilisent pas pour leurs actionnaires.

Michel Bouvard nous a interrogés sur le préfinancement du CICE par Bpifrance. Le comité du suivi note un ralentissement depuis le début de cette année, après deux années de progression : au cours du premier trimestre, la diminution a été d'environ 30 %, alors que ce préfinancement s'élevait en 2013 puis en 2014 à 5 milliards d'euros. La reprise de l'activité a réduit les demandes de préfinancement : les entreprises ont bénéficié du CICE, qui répond bien à leurs attentes.

Le plan France Très haut débit en est pour l'instant au stade des études. L'objectif du Gouvernement est de desservir 55 % de la population en 2017. Pour répondre à François Marc, 1,5 milliard d'euros sera dépensé d'ici là. Les zones rurales seront, quant à elles, desservies à l'horizon 2022. Lorsque le minitel a été installé, tout le monde en a bénéficié, jusqu'aux plus lointains villages des montagnes corses, comme on l'avait fait pour l'eau et l'électricité. Aujourd'hui, la sauvegarde des territoires ruraux passe par le très haut débit. On peut très bien vouloir monter un e-commerce en montagne. Le délai de dix ans nous semble trop long : c'est pourquoi nous proposons une péréquation de la redevance pour améliorer le financement du plan France Très haut débit.

Pour l'Insee, le transfert à Metz pose encore problème, certains agents ayant refusé la mobilité territoriale.

La mission « Économie » diminue de 4,7 %, mais, malgré cet effort, elle s'attèle à des sujets d'avenir comme le très haut débit. Notre amendement sur les CCI est de bon sens. Il évitera ce qu'on a appelé les effets d'aubaine en parlant du Fisac - s'agissant de ce dernier, d'ailleurs, certaines collectivités attendent toujours de toucher les fonds.

M. Jacques Chiron, rapporteur spécial. - En 2014 et 2015, 670 millions d'euros ont été prélevés sur la trésorerie des CCI : j'observe qu'aucune d'entre elles n'a mis la clé sous la porte. Ensuite, taxe additionnelle a la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), affectée aux CCI, a diminué. Le niveau de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (CFE) a en revanche été maintenu. Demain, c'est seulement la répartition de 20 millions d'euros sur une enveloppe totale de 376 millions d'euros qui sera différente : il faut relativiser !

Le rapporteur général a émis des réserves sur l'article 53, en évoquant l'absence de suppression corrélative d'autres taxes. Nous créons trois taxes qui vont produire 3 millions d'euros de recettes, mais nous réduisons de 130 millions les taxes affectées aux CCI. La balance est bonne, il n'y a pas contradiction avec l'esprit de l'article 16 de la loi de programmation des finances publiques.

Les chambres d'agriculture ont consenti les efforts nécessaires entre 2010 et 2014. Elles ont mis en place des outils nationaux pour comparer leurs coûts respectifs, ce que n'ont pas fait les CCI, alors que certaines coûtent beaucoup plus cher que d'autres. Un récent rapport de l'Assemblée nationale, et un autre du Sénat, préconisent que les prélèvements sur les CCI arrivent à leur terme d'ici un an ou deux ; elles seront alors mieux gérées.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Économie ».

Elle décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, le compte de concours financier « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

Article 52

L'amendement n° 1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter l'article 52 ainsi modifié.

Article 53

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je ne pourrai pas voter l'article 53 en l'état. Sont soumises à la taxe les chaudières d'une température supérieure à 130 degrés et d'une puissance supérieure à 11 300 kilowatts, les récipients de 50 à 300 litres sans dispositif mécanique ou thermique, sans parler des porte-jarretelles en dentelles ou des déshabillés en maille. L'article continue ainsi sur huit pages et pour un rendement de 3 millions d'euros. Et ceci au moment où la direction générale des finances publiques, chargée de contrôler tout cela, va perdre 2 200 postes...

M. Jacques Chiron, rapporteur spécial. - Le texte, demandé par les fédérations, a l'avantage de concerner également des produits importés.

Après avoir adopté l'amendement n° 2, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 53.

Loi de finances pour 2016 - Réforme de la dotation globale de fonctionnement - Simulations

La commission entend ensuite une Communication de M. Albéric de Montgolfier sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pour compléter la présentation de ce matin, nous allons vous communiquer les deux fichiers des simulations des effets de la réforme de la DGF qui nous ont été transmis par le ministère de l'intérieur, l'un sur les communes, l'autre sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Pour obtenir ces informations, je me suis rendu, le 8 octobre dernier, dans les locaux de la direction générale des collectivités locales (DGCL), qui m'a finalement transmis les données le 16 octobre. Ces données permettent de connaître le point d'arrivée de la réforme après épuisement des effets du « tunnel ». Les simulations sont basées sur les données 2015, c'est-à-dire sur les dernières données disponibles. Elles présentent deux limites importantes. Tout d'abord, les résultats sont présentés de manière agrégée pour les communes de la future métropole du Grand Paris.

M. Philippe Dallier. - Nous ne disposons toujours pas de ces données.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Ces communes représentent pourtant 18 % de la dotation forfaitaire et sept millions de personnes. Les arbitrages ne sont pas rendus. Le directeur général des collectivités locales nous a indiqué qu'un amendement du Gouvernement serait présenté en séance pour préciser les règles relatives à ces communes. Si les règles de droit commun s'appliquaient, Paris percevrait pratiquement l'intégralité de la dotation de centralité.

La seconde limite réside dans la fiabilité de la carte intercommunale. Les simulations ont été réalisées sur le périmètre des EPCI au 1er janvier 2015. La carte intercommunale est appelée à changer très profondément, ce qui aura de fortes conséquences sur la répartition de la dotation de centralité.

Enfin, le Gouvernement n'a pas tiré toutes les conséquences de cette réforme sur la péréquation horizontale. Une DGF plus juste devrait rendre moins le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), qui augmente pourtant de 220 millions d'euros en 2016.

J'en viens maintenant aux simulations elles-mêmes. Une commune du centre de la France de 14 000 habitants percevait en 2015 une dotation forfaitaire de 3 millions d'euros. Désormais, sa dotation forfaitaire spontanée est égale à la somme de sa dotation de base (1,18 million d'euros) et de sa dotation de centralité (900 000 euros), soit un peu plus de 2 millions d'euros. Comme ce montant ne s'écarte pas de plus de 5 % de sa dotation forfaitaire de 2015, elle n'est pas impactée par le tunnel. Sa dotation est ensuite écrêtée puis minorée de la contribution au redressement des finances publiques, ce qui donne une dotation forfaitaire 2016 de 2,6 millions d'euros. À terme, sa dotation forfaitaire sera égale à sa dotation forfaitaire spontanée, c'est-à-dire 2 millions d'euros.

Deuxième exemple, une commune rurale de 107 habitants dans l'est de la France percevait une dotation forfaitaire de 83 000 euros en 2015. Désormais, sa dotation forfaitaire spontanée est égale à 12 000 euros. Grâce au tunnel, sa dotation forfaitaire 2016 s'élève à 78 700 euros. Après écrêtement, elle percevra 74 600 euros. À terme, sa dotation sera bien de 12 000 euros.

M. Jean-Claude Requier. - En combien de temps ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On nous a indiqué que le tunnel pourrait avoir des effets jusqu'à quarante-six ans au plus.

M. Jean-Claude Requier. - Ce sera une maigre retraite.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Troisième exemple, une communauté d'agglomération de l'ouest de la France de 65 000 habitants percevait en 2015 une DGF totale de 5,3 millions d'euros, soit 73,16 euros par habitant. Sa nouvelle DGF spontanée s'élève à 7,8 millions d'euros, soit 107,5 euros par habitant. Ces montants ne sont pas plafonnés et ils ne comprennent pas non plus la majoration. Après garantie et plafond, le montant par habitant passe alors à 76,82 euros. Après contribution au redressement des finances publiques, sa DGF de 2016 s'élève à 4,8 millions d'euros, soit 66,35 euros par habitant.

Par conséquent, il n'y a pas de véritables gagnants dans la réforme, mais plutôt des « moins perdants ». Dans un département d'Île-de-France, une seule commune a une DGF supérieure à celle de 2015 après contribution au relèvement des finances publiques. Pour certains, la réforme atténue la baisse de dotations, pour d'autres, non. En tout cas, elle ne compense quasiment jamais la baisse de dotation.

Mme Michèle André, présidente. - Ces données ont été transmises à la commission des finances et dès lors tous les commissaires y ont accès. En revanche, elles ne sont pas rendues publiques par le Gouvernement.

M. Michel Bouvard. - Qu'en est-il du rapport sur la soutenabilité du FPIC, puisqu'il perdure ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il est arrivé hier soir.

Mme Fabienne Keller. - Les simulations concernent-elles toutes les communes et les EPCI, ou ne prennent-elles que des exemples ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous trouverez dans les fichiers l'intégralité des communes et des EPCI.

M. François Marc. - Si on isole la réforme de la DGF de la baisse des dotations de 3,5 milliards d'euros, « toutes choses égales par ailleurs » comme disent les mathématiciens, deux tiers de collectivités gagneront à la réforme.

Mme Michèle André, présidente. - Vous aurez tout le temps d'examiner cela de près.

Loi de finances pour 2016 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial

Enfin, la commission procède à l'examen du rapport de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est le support budgétaire des opérations conduites par l'État actionnaire. Je vous présenterai tout d'abord les évènements à signaler dans l'année écoulée pour ce compte et puis les aspects purement financiers.

L'année 2015 a tout d'abord été marquée par la mise en place du droit de vote double prévu par la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite loi « Florange », qui a pour objet de favoriser l'actionnariat de long-terme. Cela s'est déroulé généralement sans difficulté, à deux exceptions près.

Le conseil d'administration d'Air France a souhaité que l'assemblée générale des actionnaires se prononce sur le sujet. Cela a conduit l'État à porter sa participation au capital d'Air France de 15,88 % à 17,58 % pour 42 millions d'euros.

Chez Renault, qui fait encore l'objet d'une actualité particulière aujourd'hui sur ce sujet, l'État a porté sa participation de 15,01 % à 19,73 % pour près de 1,3 milliard d'euros, afin de garantir la mise en place du droit de vote double en assemblée générale des actionnaires.

À titre personnel, il me semble que c'est une bonne disposition qui permet à l'État de mieux faire valoir ses décisions stratégiques et, dans certains cas, de s'assurer des recettes de cession sans perte d'influence.

Le deuxième évènement important concerne Areva, qui connaît d'importantes difficultés et va subir un plan de restructuration. Areva va céder sa filiale de construction de réacteurs à EDF, avec éventuellement une prise de participation de partenaires industriels étrangers, qui pourraient venir du Japon ou de Chine compte tenu du développement attendu du marché chinois. S'agissant de la société Areva elle-même, qui se recentrerait sur les activités liées aux combustibles, l'État sera sans doute conduit à souscrire à une augmentation de capital dont le montant pourrait se situer entre 2 milliards d'euros et 3,5 milliards d'euros.

Je citerai également l'exemple du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), que l'on pourrait presque considérer désormais comme une start-up car il se développe de manière très importante dans le domaine du traitement du plasma sanguin. Cette société, qui est pour l'instant détenue à 100 % par l'État, a lancé une augmentation de capital de 230 millions d'euros. Le LFB restera entièrement public au terme de l'augmentation de capital qui sera souscrite par Bpifrance, de manière tout à fait pertinente puisqu'il s'agit de permettre à cette société de poursuivre son développement grâce à la construction d'une usine ultra-moderne près d'Arras avec 500 emplois à la clef.

Dernier point, il avait été prévu l'année dernière la création d'un comité stratégique de l'État actionnaire, chargé d'évaluer dans la durée la stratégie et les objectifs de l'État actionnaire, de l'actualiser si nécessaire, et de juger de la performance de gestion de l'Agence des participations de l'État (APE). Je constate que ce comité n'a pas été mis en place.

S'agissant maintenant des aspects financiers, vous savez que, traditionnellement et de manière purement conventionnelle, il est prévu en loi de finances initiale 5 milliards d'euros de produit de cessions sur le compte d'affectation spéciale. C'est encore le cas le cas en 2016.

S'agissant de l'exercice 2015, ce montant n'a pas encore été vérifié, du moins pour ce qui concerne le premier semestre, puisque nous en sommes à environ 1,7 milliard d'euros de ventes. Celles-ci ont principalement concerné la cession de titres Safran, pour de 1,033 milliard d'euros, l'ouverture du capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac pour 308 millions d'euros, et la cession de titres Engie, pour 206 millions d'euros. Nous verrons si d'autres décisions sont prises pour se rapprocher de l'objectif de 5 milliards d'euros.

En 2016, nous pouvons nous attendre à la cession de la participation de l'État dans les aéroports de Nice et de Lyon qui a été autorisée par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances. J'insiste sur le fait que cette opération porterait sur les sociétés de gestion des aéroports et non pas sur les infrastructures.

S'agissant de Renault, il était prévu que l'État ramène sa participation à son niveau initial de 15,01 % dans l'année. Cette opération n'a pas encore été réalisée, pour des raisons diverses tenant notamment aux conditions de marché pour l'instant peu favorables.

Compte tenu du faible niveau des cessions, la contribution du compte d'affectation spéciale au désendettement de l'État devrait être de l'ordre de 2 milliards en 2015, alors qu'un versement de 4 milliards d'euros était prévu en loi de finances initiale. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit un versement de 2 milliards d'euros du compte d'affectation spéciale vers la caisse de la dette publique.

Le secteur énergétique - à travers des entreprises comme EDF, Engie et Areva - est surreprésenté dans le portefeuille coté de l'État, dont la valeur est donc très sensible à l'évolution du cours de bourse de ces sociétés. Entre avril 2014 et avril 2015, la valeur du portefeuille a ainsi reculé de 2,3 milliards d'euros à 83,1 milliards d'euros, soit une baisse de 2,73 %. Cette évolution s'est depuis accentuée et la baisse est maintenant de l'ordre de 12 % sur un an.

Il faut toutefois rester prudent. Je vous rappelle la forte hausse constatée sur la période précédente, qui s'est élevée à 40,75 % du 30 avril 2013 au 30 avril 2014, s'expliquait déjà principalement par l'évolution du cours de ces actions.

M. Michel Bouvard. - Lors de l'audition du président directeur général (PDG) de la Banque publique d'investissement (BPI), nous avions pu constater que le capital du Fonds stratégique d'investissement (FSI), désormais intégré à la BPI, n'avait pas été entièrement libéré. Est-ce un cas unique ?

Par ailleurs, j'ai lu dans votre rapport que figurait dans le programme des avances d'actionnaire de l'Agence française de développement (AFD) à la Société immobilière de la Guyane (SIGUY). D'autres sociétés immobilières des départements d'outre-mer sont-elles concernées ? Possède-t-on une évaluation de leurs besoins de financement à venir ?

M. Francis Delattre. - Lors de la vente d'une partie d'Alstom à General Electrics, le PDG d'Alstom, Patrick Kron, nous avait dit que son groupe conserverait son « pôle transports », auquel l'État apporterait deux milliards d'euros. Qu'en est-il ? Par ailleurs, je crains qu'Areva ne connaisse d'importantes difficultés dans les mois à venir.

Bien que libéral d'un point de vue économique, je crois que nous avons vraiment besoin d'un fonds souverain et je souhaitais saluer la montée au capital de Renault réalisée récemment par le Gouvernement afin de préserver le pouvoir de décision de l'État au sein de l'entreprise. Les intérêts stratégiques français doivent être protégés.

M. Michel Canevet. - Le comité stratégique de l'État actionnaire composé de personnalités indépendantes et qualifiées sera-t-il une autorité administrative indépendante supplémentaire ?

Au 31 juillet, le programme de cessions est très en-deçà des 5 milliards d'euros envisagés pour 2015. Du coup, la participation au désendettement de l'État passerait de 4 milliards d'euros à 2 milliards d'euros, les dividendes sont en baisse, la valeur globale du portefeuille de l'État recule... Est-ce lié essentiellement à Areva ? Est-ce parce qu'il y a eu un changement à la direction de l'Agence des participations de l'État (APE) ?

M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - Il n'y a pas d'autres participations de l'État en dehors de celles qui sont présentées dans le rapport. L'actionnariat de la BPI est réparti pour moitié entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations et, à ma connaissance, aucune évolution significative n'est prévue sur ce point. En ce qui concerne les sociétés immobilières des DOM, seule celle dont il est question dans mon rapport relève du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Je rejoins les analyses de Francis Delattre sur la nécessité pour notre pays de disposer d'un fonds souverain qui puisse servir de pôle d'investissements à long terme et d'investisseur stratégique dans un certain nombre de domaines. Avec le recul, l'intervention de l'État dans le cas de Renault était véritablement positive.

Concernant Alstom, le président Patrick Kron avait évoqué la possibilité pour l'État d'acheter 20 % du capital de l'entreprise une fois que General Electrics aurait récupéré la division « énergie ». Cette option de 2 milliards d'euros n'a pas encore été levée. L'État peut encore y avoir recours dans les mois à venir mais il n'a pas l'obligation de le faire et se déterminera selon des considérations stratégiques. Il sera également attentif à l'évolution du cours de bourse, qui pourrait l'amener à attendre un peu.

Le comité stratégique n'est pas une nouvelle autorité administrative indépendante, il s'agit d'un groupe d'experts chargé d'éclairer les décisions de l'État actionnaire. Il n'a pas été mis en place pour le moment.

Il est tout à fait exact que les cessions de participations sont actuellement en retrait par rapport à ce qui était prévu par la loi de finances pour 2015. Je ne pense pas que le changement de direction à l'APE en soit l'explication. La situation du marché n'a tout simplement pas permis au Gouvernement de vendre des actions dans de bonnes conditions.

Ainsi, EDF subit comme d'autres opérateurs la baisse des prix de l'électricité sur le marché international, ce qui entraîne la diminution de sa valorisation. Dans le cas de Renault, l'État a été obligé de monter au capital pour faire jouer la possibilité de vote double des actionnaires de long terme prévue par la loi « Florange » : il pensait récupérer cet argent rapidement mais n'a pas pu le faire à cause de la situation de Volkswagen qui a fait baisser la valorisation des autres constructeurs automobiles. Enfin, les difficultés financières d'Areva avaient été sous-estimées. C'est ce contexte général qui explique que l'État ait moins cédé de participations et ait réduit le versement à la Caisse de la dette publique par rapport que ce qui était initialement envisagé.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

La réunion est levée à 18 h 07.

Jeudi 29 octobre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Loi de finances pour 2016 - Mission « Action extérieure de l'État » (et communication sur le contrôle budgétaire sur la délivrance des visas) - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 9 h 16.

La commission procède à l'examen du rapport de MM. Éric Doligé et Richard Yung, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Action extérieure de l'État » et entend une communication sur leur contrôle budgétaire concernant la délivrance des visas.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Nous vous présentons le rapport budgétaire sur la mission « Action extérieure de l'État » ainsi qu'un rapport faisant suite à une mission de contrôle budgétaire sur la délivrance des visas dans les postes consulaires. Sur ces deux sujets, qui sont liés, nous vous proposons un amendement de crédits.

La mission « Action extérieure de l'État » contient l'ensemble des crédits consacrés à notre diplomatie politique et culturelle, à la fois à Paris et dans notre réseau, à travers les ambassades, Instituts français, centres de recherche et établissements d'enseignement français à l'étranger. Elle regroupe également les crédits destinés à l'administration des Français de l'étranger : réseau consulaire et bourses scolaires aux élèves français à l'étranger. Enfin, comme l'an passé, elle comprend un programme 341, spécifique et provisoire, pour les dépenses d'organisation de la COP 21. Les crédits demandés pour la mission s'établissent à 3 198,7 millions d'euros en crédits de paiement. C'est près de 250 millions d'euros de plus qu'en 2015. Cependant, cette hausse est en trompe-l'oeil. Elle n'abonde pas les crédits du réseau ou les effectifs du ministère, qui diminuent, cette année encore, de 115 équivalent temps plein. Elle s'explique par un effet de change négatif et par le paiement en 2016 de l'essentiel des dépenses liées à la COP 21.

L'effet de change est le principal déterminant de la dépense du programme 105, qui rassemble les crédits de la diplomatie politique. En effet, son plus gros poste de dépenses est constitué des contributions aux organisations internationales - notamment l'ONU - et aux opérations de maintien de la paix. Les crédits prévus pour l'ensemble de ces contributions passent de 746 millions d'euros en 2015 à 904 millions d'euros en 2016, car elles sont, pour la plupart, libellées en dollars, et la valeur de l'euro est passée de 1,3 à 1,15 dollar. Aussi leur coût a-t-il été réévalué à la hausse en juillet. Le ministère a d'ailleurs, pour 2015, un besoin de financement d'environ 150 millions d'euros, car le montant budgété sur la base d'un taux de change plus favorable est insuffisant. Pour 2016, il a sécurisé ses décaissements en procédant, par l'intermédiaire de l'Agence France Trésor, à l'achat à terme de 600 millions de dollars. Ce mécanisme de couverture laisse toutefois à désirer : si, d'ici le paiement des contributions, la valeur de l'euro remonte, nous aurons perdu de l'argent. Et s'il baisse encore, nous aurons gagné de l'argent en spéculant à la baisse sur l'euro ! Mieux vaudrait, comme en Allemagne, un mécanisme d'ajustement automatique en cours d'année du montant des dotations en fonction du taux de change.

Les crédits du programme 185, relatif à la diplomatie culturelle, baissent de 4 %. Cette diminution concerne les subventions aux opérateurs de la mission que sont l'Institut Français, Campus France ou Atout France, mais aussi celle versée à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). C'est problématique, étant donné l'augmentation continue des effectifs d'élèves dans le réseau français à l'étranger. Pour assurer son financement, l'AEFE va procéder à une forme de prélèvement sur le fonds de roulement de certains des établissements dont elle assure la gestion directe. Utile, sinon justifié, cet expédient ne saurait être considéré comme une solution pérenne. Par ailleurs, les bourses aux étudiants étrangers diminuent d'environ 4 millions d'euros.

En 2016, la plupart des engagements pris en 2015 pour l'organisation de la COP 21 devront être payés. C'est l'objet du programme provisoire 341. Au total, le coût prévu pour l'État s'élève à 182 millions d'euros. L'an passé, j'avais présenté un amendement de crédits diminuant de 10 millions d'euros la dotation de ce programme, afin d'inciter le Gouvernement à développer les mécénats privés pour cet événement. D'après nos informations, environ 50 entreprises sont partenaires de la COP 21. Certaines contribuent par des versements, d'autres par des dons en nature : Engie fournit gratuitement du gaz, Derichebourg prend en charge le nettoyage, Renault prête des véhicules électriques... Au total, les contributions des entreprises représentent environ 26 millions d'euros. Cependant, comme il s'agit souvent de prestations fournies en plus de celles assurées par l'État, ce chiffre ne diminue pas directement la charge de celui-ci. De plus, le ministère constate d'importants surcoûts. Ainsi, l'espace d'accueil, dont la surface devait être de 130 000 m2, fera 180 000 m2, et la sécurité a été renforcée après les attentats de janvier. Bref, les contributions des entreprises ne feront qu'éponger les surcoûts constatés.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter mon amendement, qui diminue de dix millions d'euros les dotations de ce programme, en crédits de paiement cette fois. Il soulignera la nécessité, quelle que soit l'importance de cet événement, de tenir les coûts dans son organisation, si besoin en réduisant certaines prestations non indispensables : au lieu d'augmenter la facture globale, les mécénats privés devaient réduire celle de l'État.

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - Le programme 151 concerne l'administration des Français de l'étranger et les affaires consulaires. Ses crédits, d'environ 370 millions d'euros, connaissent une légère baisse résultant de deux évolutions contraires.

Les dépenses d'administration des Français de l'étranger sont en hausse. Cela s'explique par les recrutements, comme les années passées, de personnel pour l'instruction des visas, afin d'en accélérer la délivrance. C'est le seul endroit où les effectifs augmentent, grâce à un relèvement de 10 ETP du plafond d'emplois des consulats. Autre explication : les dépenses de tournées consulaires et de préparation des élections augmenteront l'an prochain.

A l'inverse, les bourses scolaires aux élèves français des quelque 490 établissements dépendant de l'AEFE diminuent. Les crédits correspondant baissent de 10 millions d'euros par rapport à 2015, pour s'établir à 115,5 millions d'euros. Cette baisse, de même que la faible consommation estimée pour 2015 - 102 millions d'euros - contredisent l'engagement pris lors de la réforme du système d'aide à la scolarité en 2013, qui était de parvenir à un montant global de 125 millions d'euros. Après constitution de la réserve de précaution, il ne restera plus en 2016 que 108 millions d'euros de crédits disponibles. Certes, une réforme des aides à la scolarité était nécessaire. Le nombre d'enfants bénéficiaires est passé de 25 000 à 26 000, et nous pouvons faire encore plus. Mais la quotité prise en charge s'est réduite, ce qui n'est pas sans créer de réelles difficultés. Je crois donc que le niveau de 125 millions d'euros doit rester l'objectif si nous voulons garantir l'accès de tous nos enfants au réseau d'enseignement français à l'étranger.

C'est pourquoi nous vous proposons un amendement augmentant de 5 millions d'euros le montant des bourses. Comment est-il financé ? Non par une taxe sur le tabac, mais par la mise en oeuvre d'une de nos préconisations relative à la délivrance des visas dans les consulats.

Cette activité se situe au croisement de plusieurs problématiques - sécurité et immigration, attractivité et tourisme - et engendre des recettes. Nous avons donc choisi d'en faire l'objet d'un contrôle budgétaire en 2015 et d'analyser son efficacité afin de garantir la croissance de cette recette non fiscale, qui s'élevait à 160 millions d'euros en 2014. Cette année-là, la France a instruit 3,2 millions de demandes de visas et en a délivré 2,8 millions, dont 2,5 millions étaient des visas de court séjour valables pour l'ensemble de l'espace Schengen. La France est le premier pays européen en termes de demandes de visas, celles-ci provenant essentiellement de Russie et de Chine. Leur instruction est une activité productive et rentable de notre administration. Son produit pourrait atteindre 250 millions d'euros en 2018 si la tendance de progression du nombre d'arrivées se poursuit. La délivrance des visas Schengen en 48 heures dans plusieurs grands pays d'Asie est, à cet égard, bienvenue. L'instruction des demandes de visa coûtant, en dépenses de personnel et de fonctionnement, environ 120 millions d'euros par an, soit 40 euros par visa demandé, ou un quart du produit total, correspond un bénéfice net pour l'État. C'est d'autant plus remarquable que le prix des visas est fixé au niveau communautaire.

L'exemple du consulat de Dubaï, où Éric Doligé a effectué une mission, montre bien que le nombre de demandes de visa n'est pas un stock fini. Au contraire, il est très élastique à la rapidité de l'instruction. Il est donc légitime de renforcer les effectifs des consulats consacrés à cette activité dans les postes où la demande est forte, notamment en Chine, en Inde ou dans les pays du Golfe. Pour financer cet accroissement des moyens humains, nous proposons d'intéresser les consulats à la recette qu'ils produisent en créant un système d'attribution de produits. Le ministère des affaires étrangères se verrait attribuer une fraction du bénéfice issu de l'augmentation de la recette. Un tel mécanisme existait il y a plusieurs années, mais Bercy a récupéré depuis la totalité de la recette. Ce système n'est pas inscrit dans le projet annuel de performances (PAP) pour 2016, mais le ministère nous a indiqué avoir recueilli l'accord de Bercy pour qu'il entre en vigueur dès le 1er janvier 2016. Ainsi, le ministère conservera, sur la recette des visas, environ six millions d'euros par an. Il prévoit d'affecter un million d'euros au renforcement des effectifs et cinq millions d'euros à Atout France, agence de promotion à l'étranger du tourisme en France qu'il vient de faire entrer dans son périmètre. Toutefois, cette intention n'est pas indiquée dans le PAP ni dans le budget de l'opérateur.

Atout France est un opérateur utile et nécessaire. Ses missions et son statut font l'objet d'une mission d'inspection conjointe de l'inspection générale des affaires étrangères et de l'inspection générale des finances et devraient évoluer l'an prochain. Cependant, en contrepartie de l'abondement de cinq millions d'euros non inscrit dans le bleu budgétaire, nous proposons de réduire de 5 millions d'euros la subvention qui lui est versée. Cela rétablit la sincérité de la présentation du budget de l'opérateur. De plus, dans un contexte de réduction des dépenses des opérateurs, il n'est pas justifié d'augmenter de presque 10 % le budget d'un opérateur avant d'avoir redéfini ses missions - et surtout avant d'avoir précisé la part que le secteur privé doit prendre à son financement. Ainsi, l'amendement de crédits que nous vous proposons retire cinq millions d'euros au programme 185, sur la subvention d'Atout France, pour les affecter aux bourses scolaires du programme 151, étant entendu que le mécanisme d'attribution des produits des visas compensera, pour Atout France, cette réduction.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Nous proposons en effet de renforcer les effectifs des consulats sous tension. Cependant, il est budgétairement impossible de faire face uniquement de cette manière à l'augmentation forte de la demande de visas pour la France, celle-ci s'étant accrue de 50 % en 5 ans. C'est pourquoi le ministère a, depuis environ dix ans, développé l'externalisation du recueil des dossiers de demandes. Délesté de l'accueil des demandeurs, le consulat peut ainsi se consacrer à l'instruction proprement dite. Trois quarts des demandes sont désormais déposées dans un centre externalisé. La productivité des consulats s'en trouve accrue et les conditions d'accueil des demandeurs considérablement améliorées. Le coût est nul pour l'État, puisque le prestataire est rémunéré par des frais de services facturés aux demandeurs.

Cependant, nous estimons que la productivité globale de la procédure peut encore être améliorée. Pour cela, il faudrait décharger les consulats des tâches inutiles et chronophages qu'ils effectuent. Nous avons déjà fait adopter un article additionnel au projet de loi sur le droit des étrangers supprimant l'obligation de signature des vignettes-visas. D'autres procédures administratives, comme le quittancement, pourraient être supprimées : nous l'avons constaté sur le terrain et vérifié par des comparaisons internationales.

Par ailleurs, le système d'information France Visa, plus fonctionnel que le système actuellement utilisé, devrait être mis en service en 2017. Mais il devra s'appuyer sur un autre système, appelé BioNet, qui recueille les données biométriques des demandeurs de visas dans les centres externalisés. Développé par Thalès, BioNet nous semble coûteux, disproportionné et inefficace. Il a d'ores et déjà coûté plus de 10 millions d'euros à l'État pour 160 appareils installés, soit environ 62 500 euros par appareil, alors que les appareils allemands représentent un coût de location de 4 600 euros par an. Les appareils, lourds et complexes, tombent très régulièrement en panne. Cela nous a été confirmé aussi bien par les directions à Paris que par les consulats que nous avons visités. Pis : le service de réparation de Thalès est particulièrement lent à répondre aux sollicitations des prestataires en cas de panne. Or un appareil en panne représente un goulot d'étranglement dans la procédure, des retards et, partant, une perte d'attractivité pour la destination France, dans un contexte très concurrentiel. Nous demandons donc une renégociation du contrat pour exiger de Thalès au minimum un renforcement de ses équipes de maintenance.

Par ailleurs, nous proposons d'intégrer dans la procédure de délivrance de visas une démarche plus commerciale. Atout France pourrait, comme le fait l'agence Visit Britain, vendre des produits touristiques - entrées aux musées, tickets pour les bateaux-mouches - dans les centres externalisés, ce qui fixerait les demandeurs sur la France. Nous pourrions aussi facturer les services rendus par les consulats aux demandeurs, notamment lorsque ces derniers souhaitent bénéficier d'une instruction rapide ou en urgence. Pour obtenir un visa britannique dans la journée, par exemple, il en coûte 600 livres.

Bref, nous préconisons un renforcement des moyens humains affectés à la délivrance de visas et une hausse de leur productivité, étant donné les bénéfices que recueille l'État de cette activité et son importance pour l'attractivité touristique de la France. Les tâches inutiles devraient être supprimées et les tâches supplémentaires, comme la priorisation de certaines demandes, facturées. Enfin, elle devrait être l'occasion d'une démarche de promotion touristique fixant les demandeurs de visa sur la destination France.

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - Entre système européen et système national, notre architecture de délivrance des visas est au milieu du gué. D'un côté, les visas sont valables pour tout l'espace Schengen et répondent à des règles communautaires. De l'autre, leur délivrance reste une compétence nationale, considérée comme un attribut de souveraineté, et les pays se livrent une véritable concurrence pour attirer le plus de demandeurs et, partant, de touristes. Nous connaissons le visa dumping auquel certains se livrent... Cette situation n'est ni saine ni sûre du point de vue du contrôle de nos frontières.

Nous connaissons les arguments avancés pour expliquer la difficulté d'une délivrance communautaire des visas. Je plaide en ce sens depuis dix ans, et le ministère des affaires étrangères a mis au point une liste des dix raisons pour lesquelles ce serait totalement impossible, comme l'incompatibilité entre les systèmes d'information nationaux ou la diversité des mesures de sécurité. En effet, chaque pays s'attache à ajouter aux règles communes ses pratiques spécifiques, sans doute pour préserver son pré carré. S'y ajoutent des préoccupations sur la souveraineté que le visa représenterait ou sur l'intérêt qu'ont certains États à prendre des parts de marché aux autres.

Je pense que ce système bancal a vécu et qu'une communautarisation de la délivrance de visas Schengen s'impose à terme. Nous préconisons de la mettre en oeuvre dans des sites pilote, où les consulats doivent de toute façon s'adapter à une évolution des caractéristiques de la demande, comme à Téhéran. La France a tout à gagner d'un système qui fasse enfin primer la qualité de l'accueil touristique et la richesse du patrimoine naturel et culturel sur l'efficacité d'une procédure administrative.

Mme Michèle André, présidente. - Le matériel biométrique évoqué me fait penser à celui qui est installé dans nos préfectures. Il requiert un entretien soigneux, certes, et n'est pas d'une qualité exceptionnelle. Pour autant, ne confondons pas son prix d'achat avec le coût annuel de sa location. Il est vrai que dans les deux cas, c'est cher...

M. André Gattolin. - Vos deux amendements me posent problème. L'organisation de la COP 21 est lourde, et j'avais annoncé que les coûts prévus seraient sans doute dépassés. De fait, les participants seront bien plus que les 40 000 d'abord annoncés. Puis, outre l'évènement parisien, lui-même très dispendieux, la France devra assumer la présidence de la COP 21 pour un an à compter du 30 novembre. Le Pérou, qui préside la COP 20, organise encore des réunions à Lima ce mois-ci. Économiser dix millions d'euros sur les crédits de paiement de l'an prochain entravera le suivi de l'évènement de décembre.

Oui, il faut augmenter les bourses des élèves français scolarisés hors de France dans des établissements français. Leur nombre diminue car les bourses ne couvrent pas tous leurs frais. Au contraire, on a plutôt tendance à couper les bourses, comme on le voit à Québec et Montréal. En même temps, pour assurer leur rentabilité, les établissements acceptent des élèves étrangers, qui paient cher. Bref, au lieu d'assurer un service public de l'éducation comparable à celui dispensé sur le territoire national, nous développons des écoles de luxe. Amputer les crédits du programme 151 serait terrible. La propension de Bercy à fractionner les crédits a pour résultat une totale illisibilité de certains budgets. Ainsi, l'action extérieure culturelle de la France se répartit entre le ministère des affaires étrangères et celui de la culture. Le budget de l'écologie, entre autres, subit le même éclatement, sur lequel Christian Eckert joue avec aisance.

M. Michel Bouvard. - Proposez donc un amendement...

M. André Gattolin. - La part du budget de la culture, dans l'action culturelle internationale, recule, et son montant passe de plus de 6 millions d'euros à 5,9 millions d'euros. L'action 2 « coopération culturelle et promotion du français » du programme 185 perd plus de 3 millions d'euros, l'agence pour l'enseignement du français à l'étranger perd 15 millions d'euros, et les dépenses de personnel concourant au programme « Diplomatie culturelle et d'influence » sont réduites de 7 millions d'euros. Dans ces conditions, où va la francophonie ? Que devient le rayonnement de la culture française ? Augmenter le budget national de la culture est une bonne chose, mais à l'étranger, nous sommes en perte de vitesse.

J'ai rencontré récemment, à sa demande, Mariko Oka-Fukuroi, qui enseigne le français à l'université de Tokyo et que le Gouvernement japonais a mandatée pour développer sa culture d'influence. Shinzo Abe, conservateur, qui ne passe pas pour un grand ami des lettres, s'est rendu compte de l'importance de la diplomatie d'influence : en cinq ans, il a porté le budget du ministère la culture de 0,17 à 0,34 % du PIB. Comment développer notre influence économique en négligeant la dimension culturelle ? Nous demandons de plus en plus aux Instituts français de développer leurs ressources propres. À Londres, c'est très facile, puisque la plupart de nos banques y ont, en pratique, leur siège. Ailleurs, tous nos établissements se serrent la ceinture, et leur activité s'effondre. Ce n'est donc pas chez eux qu'il faut prendre les sommes nécessaires à l'augmentation - légitime - des bourses.

M. Michel Bouvard. - Je salue la réactivité du ministère sur les problèmes de délivrance des visas. Certaines des opérations immobilières qui figurent sur le PAP - États-Unis, Nigéria, Haïti... - ont été lancées il y a longtemps, et la lenteur de leur mise en oeuvre a entraîné des surcoûts. Les rapporteurs spéciaux indiquent dans leur note de présentation qu'ils n'ont, hélas, eu accès qu'à des informations limitées sur les perspectives d'évolution à moyen terme de notre patrimoine immobilier à l'étranger. Un travail d'approfondissement s'impose et, surtout, nous devons suggérer au ministère de raccourcir les délais entre la décision de vendre et son exécution.

Je suis très hostile à la réduction des crédits d'Atout France, même si je comprends le problème de lisibilité budgétaire qu'ils posent. Atout France est affecté par les évolutions du taux de change. Ayant été pendant cinq ans rapporteur spécial du budget du tourisme à l'Assemblée nationale, je suis sensible à cet aléa. Puis, tous nos concurrents augmentent leurs moyens de promotion touristique à l'étranger. Alors que notre ministre considère, à juste titre, que nous pouvons accueillir 100 millions de touristes, et que nous devons renforcer le panier moyen dépensé en France, ce n'est pas le moment de se priver des capacités d'action d'Atout France. Nous vendons également de l'ingénierie, développée par des groupes français, et certaines des missions d'Atout France sont exécutées sur le territoire national, à commencer celles de l'ancienne direction d'étude et d'aménagement touristique de la montagne, dont les services font désormais partie d'Atout France. Bref, on arrive à l'os : des postes ne sont pas renouvelés, on perd des compétences transversales... Clarifier les stratégies d'Atout France, très bien ! Mais réduire ses moyens de 5 millions d'euros serait particulièrement inopportun.

M. Marc Laménie. - Je m'interroge sur la baisse continue des effectifs au ministère des Affaires étrangères depuis 2007. Cette mission détermine l'image de notre pays dans le monde. Il serait dommage de l'écorner, même s'il est nécessaire de faire des économies.

M. Bernard Lalande. - On nous met toujours dans l'obligation de faire des efforts budgétaires. À force, on risque d'assécher le domaine qu'on cherchait à promouvoir. S'agissant du rayonnement de la France, ne sacrifie-t-on pas le long terme au court terme, l'histoire à l'actualité ? Par ailleurs, les effets de levier sont là où il y a un retour potentiel de la part de l'économie marchande. Si l'on continue à diminuer les crédits de la culture et de l'éducation, on ne parlera plus que le chinois ou l'anglais dans le monde, et la France n'aura plus aucune influence.

M. François Marc. - On parlera les langues régionales...

M. Bernard Lalande. - Je soutiens donc l'amendement. Comme vous le proposez dans l'amendement, on gagnerait à mener une analyse détaillée des conséquences des coupes budgétaires successives en matière d'enseignement français à l'étranger, dans le cadre d'une mission d'inspection. C'est même indispensable. On ne peut pas continuer à fournir des efforts budgétaires sans un tel audit à long terme.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Pour répondre à la question de la présidente, le matériel dont nous parlons présente des exigences de sécurité encore renforcées par rapport à celui des préfectures, car il est géré par des prestataires privés, qui sont établis à l'étranger. Nous avons cependant constaté que dans les mêmes locaux où les demandes de visas français, allemands ou suisses sont adressées, alors qu'on utilise, côté français, des cabines spécialisées avec du matériel Thalès, lourd et coûteux, les Allemands se contentent d'un simple ordinateur avec un programme et un appareil photo pour sécuriser les données. Notre technique est beaucoup plus volumineuse, coûteuse et risquée, puisque nous n'avons que Thalès pour fournisseur. Notre matériel a été acheté, avec de gros contrats de maintenance pour le mettre à jour ; les Allemands louent le leur à leur imprimerie nationale.

Il est vrai qu'en 2016, la France assurera la présidence de la COP 21 au-delà du rendez-vous international de Paris de ces prochaines semaines. Mais cela représente seulement un million d'euros de dépenses ; ce n'est donc pas ici qu'il faut chercher les surcoûts. L'an dernier, j'avais proposé dans un amendement de diminuer les dépenses de 10 millions d'euros sur un budget de 182 millions, en reportant l'effort sur la participation des entreprises. Grâce à cinquante d'entre elles, nous avons dégagé 26 millions d'euros en espèces ou en nature. J'espérais qu'on abaisserait le montant des dépenses de l'État. Au lieu de cela, on n'a fait qu'additionner ces nouveaux bénéfices aux dépenses déjà réalisées. Pour la COP 21, on est ainsi passé de 130 000 à 180 000 mètres carrés de locaux à aménager. Mieux vaudrait utiliser les apports des sponsors extérieurs pour faire des économies plutôt que pour augmenter les dépenses. C'est ce que je cherche à rappeler, dans mon amendement.

Quant à Atout France, l'objectif n'est pas d'en réduire le budget de cinq millions d'euros, mais de l'alimenter grâce aux six millions d'euros que l'on aura gagnés sur les bénéfices des visas. Il n'y a pas d'impact budgétaire pour Atout France par rapport à ce qui est inscrit dans le projet annuel de performances par le Gouvernement. Cela étant, un travail est en cours pour recadrer les missions d'Atout France, en supprimant celles qui ne sont pas adaptées - par exemple la classification des hôtels -, de sorte qu'il faudra sans doute revoir le budget. Des évolutions doivent aussi avoir lieu dans le cadre de la transformation de la carte des régions, dont l'agence devra tenir compte.

On attend une augmentation globale de 2 % des élèves inscrits dans les établissements français. Pour compenser l'augmentation des coûts scolaires, les frais de scolarité augmentent d'environ 5 % par an ; dans le même temps, les bourses scolaires n'augmentent pas. Richard Yung va nous en dire plus.

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - Le système scolaire français à l'étranger connaît un succès qui ne se dément jamais. On enregistre une demande croissante de la part des familles françaises de plus en plus nombreuses à s'installer à l'étranger (20 % en plus cette année), mais aussi de la part des étrangers : sur les 350 000 élèves scolarisés dans les 500 établissements français, 200 000 ne sont pas français. C'est grâce à ces élèves étrangers qui n'ont pas de bourse et qui doivent s'acquitter de frais de scolarité majorés que le système se maintient. Parmi les Français, 26 000 élèves bénéficient de bourses, après les modifications du système d'attribution, en 2013, qui en ont élargi l'accès et diminué les quotités, alors que le système précédent de prise en charge n'incitait pas à la modération des frais de scolarité. Cette révision à la baisse peut poser problème à certaines catégories intermédiaires. Cela dit, les cas d'enfants qui n'auraient pas pu intégrer le système français faute de bourse suffisante sont rarissimes. Par conséquent, je ne partage pas votre pessimisme.

Le vrai problème reste de savoir comment financer le devenir du système scolaire à moyen terme, si l'État retire ses aides. Dans la mesure où les parents paient déjà 63 % du coût total, il est difficile de leur demander plus. On ne peut pas non plus envisager de financer cela seulement par des partenariats avec les grandes entreprises, car cela n'entre pas dans la culture française. D'où mon plaidoyer pour les cinq millions d'euros de bourses.

Nous avons laissé de côté la question de l'immobilier, car nous en avons souvent parlé. Elle n'a pas pour autant été résolue, avec un compte d'affectation spéciale (CAS) qui évolue chaque année. Les bijoux de famille se raréfient...

Quant à la baisse des effectifs, elle est réelle. Avec 115 ETP en moins, elle reste cependant l'une des plus faibles sur l'ensemble des ministères.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Je voudrais ajouter que l'éducation nationale pourrait faire un effort. Des postes ont été créés sur le territoire national, mais aucun à l'étranger. Nous continuerons à travailler sur la question des bourses, avec des analyses plus fines sur les masses globales.

L'immobilier reste un point d'interrogation. Il serait souhaitable d'avoir une visibilité non pas à l'année, mais sur le long terme. Le ministère des affaires étrangères doit verser systématiquement 25 millions d'euros à l'État sur les ventes immobilières. Le montant peut être plus élevé si les rentrées sont bonnes. Dans le cas contraire, cela risque de poser problème.

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - La bonne nouvelle, c'est qu'il y a trois ou quatre ambassades communes franco-allemandes en construction. On progresse doucement mais sûrement.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 24 (état B)

Mme Michèle André, présidente. - L'amendement n° 1, présenté par les deux rapporteurs, a pour objet de transférer cinq millions d'euros, en autorisation d'engagement et en crédits de paiement, du programme 185 (action 7) vers le programme d'action 151 (action 2).

L'amendement n° 1 est adopté.

Mme Michèle André, présidente. - L'amendement n° 2, présenté par Éric Doligé, a pour objet de diminuer de 10 millions d'euros les crédits de paiement du programme 341, relatifs à l'organisation de la COP 21 (action 2).

L'amendement n° 2 est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État », ainsi modifiés.9

La commission donne acte de leur communication à MM. Éric Doligé et Richard Yung, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 10 h 16.